Your cart is currently empty!
Tag: Chine
-
Chine. L’effondrement de la politique du zéro COVID de Xi Jinping
La sortie soudaine et chaotique des contrôles stricts sur les pandémies laisse les villes aux prises avec la poussée explosive du COVID.
Par Vincent Kolo, chinaworker.info
En réponse à une vague de protestations anti-gouvernementales fin novembre (voir les liens ci-dessus), la dictature chinoise (PCC) a brusquement tourné le dos à son régime profondément impopulaire « Zero COVID ». Mais pour les masses chinoises, il s’agit de passer « de la poêle à frire au feu ». Malgré l’absence de données fiables et la sous-estimation délibérée du nombre de décès, il semble que les grandes villes comme Pékin, Shanghai et Guangzhou connaissent actuellement une poussée explosive du variant Omicron, et que d’autres régions du pays s’attendent à connaître le même sort dans les semaines à venir.
Selon les données officielles, le nombre de nouvelles infections dans l’ensemble du pays s’élève à environ 2.000 par jour, un chiffre ridiculement bas. Selon des estimations officieuses, la moitié des 22 millions d’habitants de Pékin ont déjà été infectés par Omicron. Même Hu Xijin, ancien rédacteur en chef du Global Times (quotidien chinois épousant la ligne éditoriale du Quotidien du Peuple, le journal officiel du Parti communiste chinois, NDT), a posté une réprimande sur les réseaux sociaux chinois : « Soit vous communiquez des chiffres réels, soit vous arrêtez de les publier. »
La Chine pourrait désormais connaître la vague de COVID la plus rapide de l’histoire de la pandémie. Les experts chinois prévoient que 840 millions de personnes pourraient être infectées au cours des prochains mois. La rapidité et l’ampleur terrifiantes de cette épidémie sont dues, d’une part, aux variants hautement transmissibles d’Omicron qui se propagent maintenant à l’intérieur du pays et, d’autre part, à une population en grande partie « immunologiquement naïve » qui n’a pas été exposée au virus pendant trois ans en raison d’une politique « Zéro COVID » rigoureuse basée sur le confinement, les restrictions de voyage et les tests de masse, tous soudainement supprimés dans de nombreuses régions du pays.
Omicron est relativement bénin pour la plupart des gens, mais hautement infectieux. Le variant BF.7 qui sévit actuellement en Chine a un « nombre R » reproductible de 16, contre 10 ou 11 lors de l’épidémie d’Omicron de l’hiver dernier aux États-Unis. Ce chiffre indique le nombre moyen de personnes infectées par chaque cas positif. Le 11 décembre, le principal épidémiologiste chinois, Zhong Nanshan, a déclaré aux médias d’État que ce nombre était encore plus élevé en Chine, une personne en infectant 22 autres. Alors qu’aux États-Unis, l’hiver dernier, les cas doublaient tous les deux ou trois jours, « maintenant, en Chine, le temps de doublement est de quelques heures », a déclaré l’épidémiologiste Ben Cowling de l’université de Hong Kong (15 décembre). Compte tenu du faible taux de vaccination des personnes âgées en Chine, avec seulement 40 % des plus de 80 ans entièrement vaccinés, on prévoit entre un demi-million et deux millions de décès dus au COVID au cours des prochaines vagues.
Crise politique
À la fin du mois de novembre, des manifestations ont éclaté dans une vingtaine de villes et plus de 80 universités pour protester contre les confinements incessants et les tests stricts de la politique « Zéro COVID ». Ces manifestations ont été d’une ampleur historique et ont brisé le moule des protestations des trois dernières décennies en ce qu’elles étaient d’envergure nationale et parce qu’elles ont soulevé des revendications explicitement politiques de droits démocratiques et même de « démission » de Xi Jinping.
Le PCC a investi des sommes colossales dans la création de l’État policier le plus grand et le plus sophistiqué technologiquement au monde. Il l’a fait précisément pour rendre impossible une telle flambée de protestation. Bien sûr, ce projet était voué à l’échec, comme nous l’avions prédit. Bien que les manifestations aient rassemblé un nombre relativement modeste de personnes, le simple fait qu’elles aient eu lieu a plongé le régime de Xi dans un état de crise.
Le moment et la manière dont la dictature a abandonné ses contrôles « zéro COVID » défient toute logique, à moins que l’on ne comprenne qu’il s’agit d’une réaction de panique face à ces protestations et à la crainte de leur extension faute de réaction. Non seulement c’est l’hiver, avec le Nouvel An chinois (la plus grande migration humaine annuelle au monde) dans un mois à peine, mais la Chine connaissait déjà sa plus grande vague d’infections lorsque le gouvernement a fait volte-face.
Dans aucun des autres pays qui ont suivi une stratégie « Zéro COVID », celle-ci ne s’est terminée de manière aussi désordonnée, abrupte et inopportune. En Chine, les éléments clés d’une stratégie alternative de lutte contre la pandémie, tels qu’une campagne de relance de la vaccination et le renforcement du système de santé publique, en particulier de la capacité des unités de soins intensifs, sont seulement maintenant improvisés à la hâte, au lieu d’avoir été préparés à l’avance.
Plutôt qu’une transition, c’est comme si l’ancien régime de lutte contre la pandémie s’était effondré. Le gouvernement n’a pas de « plan B » autre que celui d’improviser au jour le jour. La propagande d’État de ces trois dernières années, qui liait étroitement la doctrine « Zéro COVID » à Xi personnellement (il est le « commandant en chef » de la « guerre populaire » contre le virus), soulignait qu’il s’agissait de la meilleure stratégie pandémique au monde et de la preuve du « système supérieur » de la Chine par rapport aux « démocraties » chaotiques de style occidental. Les politiques pandémiques désastreuses des gouvernements occidentaux, enracinées dans des décennies de destruction néolibérale de l’aide sociale, ont flatté l’approche contraire mais tout aussi antisociale de Xi.
Aujourd’hui, la stratégie pandémique du régime chinois est « optimisée » selon son nouveau mot à la mode. Le « zéro COVID » n’est pas officiellement mort, mais il n’est plus mentionné dans les déclarations officielles. Ce n’est pas la première fois dans l’histoire qu’une campagne politique se poursuit en nom longtemps après avoir été interrompue dans la pratique pour éviter d’humilier le dirigeant. La révolution culturelle de Mao ne s’est officiellement terminée qu’à sa mort en 1976, alors qu’en réalité elle s’était déjà terminée en 1969.
Pourquoi cela ? Pourquoi maintenant ?
Xi s’est maintenant tu, bien qu’il ait clairement sanctionné ce changement de politique. La responsabilité du démantèlement du « Zéro COVID » a été dévolue aux gouvernements locaux, en partie pour protéger l’empereur des retombées. La crainte de la dictature d’une colère généralisée est évidemment la principale raison de ce soudain virage à 180 degrés. Mais il y a aussi un élément de vengeance : punir les masses pour avoir osé défier Xi.
La dictature a compris que le virus peut être un allié pour pacifier la population et endiguer de nouvelles protestations. Cela a joué un rôle important dans la bataille menée par le PCC pour rétablir son contrôle sur Hong Kong en 2020, à un moment où la lutte anti-autoritaire de masse était déjà entrée dans une phase de déclin. C’était des mois avant que la loi sur la sécurité nationale ne soit imposée à la ville. Dans de nombreux pays occidentaux, la phase initiale de la pandémie, avec une recrudescence des cas et une société plongée dans le chaos, s’est également accompagnée d’un arrêt ou d’un net ralentissement de la lutte de masse.
Plutôt que de descendre dans les rues pour profiter de sa nouvelle mobilité, la population des plus grandes villes chinoises a largement évité de s’aventurer à l’extérieur par peur de l’infection ou parce qu’elle est infectée. La semaine dernière, Pékin a été décrit sur internet comme une « ville fantôme virtuelle ». Le nombre de passagers du métro à Pékin et dans plusieurs autres grandes villes est inférieur à ce qu’il était avant la levée des restrictions du programme « Zéro COVID », lorsque la preuve d’un test PCR négatif était requise pour utiliser les transports publics.
Les hôpitaux de la capitale seraient débordés, avec des scènes qui rappellent celles de Hong Kong au début de l’année, avec des patients obligés d’attendre dehors dans les parkings des hôpitaux. Un nombre alarmant de membres du personnel médical est infecté, et des rapports indiquent que des médecins et des infirmières de Pékin ont reçu l’ordre de travailler malgré des tests positifs au COVID. Les médicaments courants contre la fièvre, tels que le paracétamol et l’ibuprofène, ainsi que les kits d’autodiagnostic, ont été épuisés dans de nombreuses villes, ce qui prouve une fois de plus que le changement de politique du régime n’était pas du tout planifié et qu’il s’agissait d’un réflexe. Les banques de sang seraient également à court de sang.
Les crématoriums de Pékin fonctionnent 24 heures sur 24, ce qui accroît les spéculations selon lesquelles le gouvernement supprimerait les données relatives aux décès dus au COVID. À Wuhan, lors de l’épidémie initiale au début de l’année 2020, il était largement admis que le nombre officiel de décès était sous-estimé. Officiellement, deux personnes sont mortes du COVID à Pékin depuis le 3 décembre. Un hashtag sur les deux décès est devenu viral sur les réseaux sociaux, beaucoup exprimant leur incrédulité.
Non seulement le nombre officiel de décès en Chine ne correspond pas à l’expérience d’autres pays après la levée des restrictions, mais il est également remis en question par les récits de témoins oculaires. « Des journalistes de l’agence Reuters ont vu des corbillards alignés à l’extérieur d’un crématorium COVID-19 à Pékin et des ouvriers en combinaison de protection transportant les morts à l’intérieur de l’installation », a rapporté Reuters le 19 décembre. Les recherches Internet des habitants de Pékin sur les « maisons funéraires » ont atteint leur niveau le plus élevé depuis le début de la pandémie.
La lutte de pouvoir interne du PCC
Le régime de Xi a été soumis à une pression croissante pour sortir de la politique du « Zéro COVID » afin de faire face à l’aggravation du marasme économique et d’endiguer la tendance au découplage accéléré de l’économie chinoise vis-à-vis des entreprises occidentales. De nombreux gouvernements locaux ont été mis au bord de la faillite par les coûts énormes de maintien de l’infrastructure « Zéro COVID », en particulier la demande de tests de masse à grande échelle. Soochow Securities a estimé qu’une année de tests de masse pourrait coûter aux collectivités locales chinoises un total de 1,7 trillion de yuans (257 milliards de dollars), soit environ 1,5 % du PIB.
Cette pression économique a exacerbé la lutte pour le pouvoir au sein du PCC et les conflits entre le centre et les régions. Pour Xi, un avantage important de la politique « Zéro COVID » était son rôle dans la lutte de pouvoir interne au PCC en tant qu’outil pour éliminer les critiques et récompenser ceux qui font preuve d’une loyauté servile.
Le chômage record des jeunes (près de 20 % officiellement), la baisse des salaires réels et l’implosion du marché immobilier sont autant de facteurs importants à l’origine des manifestations de novembre. Les médias et les organes de propagande de la dictature n’ont bien sûr pas fait état de ces manifestations. Officiellement, elles n’ont pas eu lieu. Il serait extrêmement dangereux pour ce régime de reconnaître que la pression de masse lui a forcé la main.
Lors du 20e congrès du PCC, six semaines seulement avant cette explosion de la lutte, Xi Jinping a de nouveau réitéré la nécessité de maintenir la politique du « zéro COVID ». Au cours du congrès, il a été annoncé que la capacité de dépistage de la Chine avait atteint le niveau incroyable d’un milliard de tests PCR par jour. On peut se demander aujourd’hui à quoi a servi cet investissement massif, car les tests de masse sont sommairement abandonnés.
Lors du congrès, Xi a purgé le Comité permanent du Politburo des éléments d’opposition et a promu des acolytes comme Li Qiang et Cai Qi, tous deux fortement associés à l’application du programme Zéro COVID dans leurs villes. En tant que chef du PCC de Shanghai, Li Qiang a présidé au confinement brutal de deux mois de la plus grande ville de Chine au début de l’année, suscitant un mécontentement massif de la population. Ce n’est pas une coïncidence si, lors des manifestations de novembre, certains des slogans antigouvernementaux les plus radicaux sont apparus à Shanghai, notamment les chants « A bas le PCC » et « Xi Jinping démission ».
L’homologue de Li à Pékin, Cai Qi, également promu au Comité permanent lors du 20e Congrès, a annoncé en juin que le programme Zero COVID serait « maintenu pour les cinq prochaines années ». Cette déclaration est devenue virale, mais pas dans le sens où Cai l’entendait, et en quelques heures la référence aux « cinq ans » a été supprimée des rapports de presse.
Le COVID zéro a maintenant disparu des déclarations officielles. Les derniers commentaires publics de Xi sur cette politique ont eu lieu lors de la réunion du Politburo du 10 novembre, lorsqu’il a demandé aux membres du Politburo de s’en tenir « résolument » au « Zéro COVID ». Elle n’a pas été mentionnée une seule fois dans le nouveau plan en 10 points annoncé le 7 décembre par la Commission nationale de la santé (CNS) et le mécanisme conjoint de prévention et de contrôle du Conseil des affaires d’État (le cabinet chinois). Il s’agit d’une « volte-face étonnante », comme l’a noté le Financial Times. Mais il est également important de noter qu’il n’y a pas eu d’annonce officielle de la fin de cette politique. Dans le jargon typique du PCC, la politique a été « optimisée ».
Le régime de Xi a substitué une politique désastreuse à une autre. Les déclarations officielles présentent le soudain changement de cap chaotique du régime comme un raffinement fondé sur de prétendus « succès ». Les médias d’État soulignent aujourd’hui la réduction de la gravité de l’Omicron – ce qui n’est guère une nouvelle – alors qu’auparavant ils rapportaient le contraire. Ils saluent le taux de vaccination de 90 %, mais celui-ci a été atteint il y a plus d’un an, et exclut des dizaines de millions de personnes parmi les plus vulnérables.
Tous les facteurs actuellement cités pour justifier le changement soudain de politique étaient présents depuis longtemps, mais le régime de Xi a persisté malgré tout. Il l’a fait en partie pour des raisons politiques, notamment la recherche d’une forme extrême de contrôle social, et comme une arme dans le programme de lutte pour le pouvoir de Xi avant le 20e Congrès (pour cimenter son projet de règne à vie).
Ce qui se passe maintenant est un échec politique massif. Chinaworker.info a constamment critiqué la politique « Zéro COVID » de Xi pour son absence de base scientifique, sa brutalité et sa lourdeur bureaucratique. Les mesures de confinement n’ont pas été utilisées pour gagner du temps afin de remédier aux taux de vaccination trop faibles du pays. Selon le FMI, 375 millions de personnes âgées de plus de 15 ans en Chine n’ont pas encore reçu trois doses, dont plus de 90 millions de personnes âgées de plus de 60 ans. Plutôt que de résoudre la crise du système de santé public, les ressources ont été détournées vers la machinerie gargantuesque des tests, de la quarantaine et de l’application des mesures de confinement. Les vaccins les plus efficaces – étrangers – sont interdits en Chine (sauf pour les étrangers !), dans le cadre de la propagande nationaliste anti-occidentale de Xi.
Selon les données officielles, au 19 novembre, seuls 1,9 million de Chinois ont été infectés par le COVID sur une population de 1,4 milliard d’habitants. Feng Zijian, ancien directeur adjoint du Centre de contrôle et de prévention des maladies, a déclaré qu’il s’attendait à ce que 60 % de la population chinoise soit infectée lors d’une première vague d’infections – ce qui se traduit par 840 millions de nouveaux cas. À terme, jusqu’à 90 % de la population chinoise aura été infectée, selon M. Feng.
Les semaines à venir s’annoncent particulièrement incertaines. Même si de nombreuses villes ont abandonné l’ancienne politique, les confinements sont toujours d’actualité. Shanghai a annoncé la fermeture de toutes ses écoles et de tous ses jardins d’enfants à partir du 19 décembre. Les étudiants universitaires auxquels chinaworker.info a parlé dans différentes villes rapportent que de nombreuses restrictions sont toujours en place.
La politique du PCC en matière de pandémie restera probablement erratique, avec des zigzags et des crises. Sa nouvelle politique fait peser le plus lourd fardeau sur la classe ouvrière et sur le secteur précaire qui comprend 300 millions de travailleurs migrants, sur les travailleurs de la santé et sur la population rurale où les soins de santé publics sont dans un état encore plus délabré. On compte 1,48 médecin et 2,1 infirmières pour 1 000 habitants dans les zones rurales, contre 3,96 médecins et 5,4 infirmières pour 1 000 habitants dans les villes, selon le South China Morning Post (12 décembre 2022).
Il n’est pas exclu que le régime effectue de nouveaux virages à 180 degrés au cours de la prochaine période. Les zigzags politiques font après tout partie de l’ADN du PCC. Si les scénarios les plus pessimistes concernant les décès dus au COVID se réalisent, nous pourrions assister à un nouveau pivot vers des confinements à grande échelle, bien que cela se heurte à des difficultés croissantes. Xi a jusqu’à présent gardé un silence complet sur l’échec du « Zéro COVID », ce qui pourrait le mettre en position de revenir sur la politique actuelle tout en désignant d’autres dirigeants du PCC et les administrations locales comme responsables de cet échec.
D’autres pirouettes politiques sont possibles, comme la mise en œuvre d’une obligation de vaccination pour les personnes âgées – une mesure que le régime a évitée, par crainte d’une opposition importante découlant du bilan effroyable de la Chine en matière de vaccins défectueux bien avant le COVID. Il n’est pas totalement exclu que l’interdiction des vaccins étrangers à ARNm soit levée, en fonction de la gravité de la situation.
Des concessions possibles ?
Le régime de Xi a été contraint de changer de cap sous la pression de masse, mais le nouveau cap est à bien des égards pire que son prédécesseur. Il ne s’agit pas d’une véritable concession et encore moins d’une réforme, au sens d’une amélioration tangible. Il montre à l’importante minorité de la population qui est au courant des manifestations de masse (la plupart des gens ne le savent pas) que la lutte peut obliger la dictature à reculer, au moins partiellement. Les marxistes expliquent l’importance de ce fait comme une leçon cruciale pour les luttes futures. Mais nous expliquons aussi qu’il faut faire plus.
ASI et chinaworker.info ont expliqué que la dictature capitaliste en Chine possède, en règle générale, moins de flexibilité politique qu’un système démocratique bourgeois avec son parlement et ses gouvernements (capitalistes) tournants. Certains défis qui ne mettent pas automatiquement en danger un régime « démocratique » de style occidental, comme l’effondrement de l’autorité d’un gouvernement, peuvent constituer une crise existentielle pour une dictature.
Par exemple, en Grande-Bretagne, l’année dernière a vu une série de gouvernements se désintégrer de manière spectaculaire, ce qui reflète une crise historique du principal parti capitaliste, les Tories. Mais cela n’a pas encore mis à l’ordre du jour l’effondrement du système capitaliste britannique.
Il existe d’autres exemples où les gouvernements capitalistes « démocratiques » manœuvrent avec un degré de liberté qui n’est pas possible dans la même mesure dans un système autoritaire rigide comme en Chine ou actuellement en Iran. C’est pourquoi la classe capitaliste, en règle générale, sauf dans des conditions spécifiques comme celles de la Chine où les relations capitalistes sont historiquement tardives et extrêmement instables, préfère la démocratie bourgeoise à la dictature bourgeoise. Mais même les capitalistes les plus « démocratiques » peuvent se réconcilier avec la dictature si la survie de leur système l’exige.
Les demandes démocratiques, par exemple la demande de syndicats indépendants, ou la liberté d’expression et la suppression des mesures de censure draconiennes, sont combattues bec et ongles par le régime du PCC parce que ces choses mettraient en danger son pouvoir, menaçant de déclencher une réaction en chaîne de perte de contrôle vers la dissolution et l’effondrement. Par conséquent, toute concession en zigzag sera suivie d’une nouvelle répression.
Le PCC n’est pas un parti, c’est l’État. La chute du PCC signifie donc l’effondrement de l’État. C’est la principale raison pour laquelle Xi a décidé qu’il n’avait pas d’autre choix que d’écraser la lutte pour la démocratie à Hong Kong, de peur qu’elle n’atteigne un point où elle déborderait sur la Chine continentale.
Cela ne signifie pas que la dictature ne peut pas faire de concessions lorsqu’elle est sous la pression d’une lutte de masse. En 2010, Pékin a contraint les constructeurs automobiles japonais à accorder des augmentations de salaire de 30 % aux ouvriers de l’automobile dans le Guangdong, afin de mettre fin à une vague de grèves qui commençait également à susciter des revendications en faveur d’un syndicat indépendant. En 2003, face à ce qui était alors la plus grande manifestation de masse jamais organisée à Hong Kong, Pékin a ordonné au gouvernement de Hong Kong d’effectuer une retraite humiliante et d’abandonner son projet de loi sur la sécurité “Article 23”. Le gouvernement de Hong Kong est tombé – il était remplaçable. Dans le Guangdong, le PCC provincial a également organisé une retraite partielle à propos du village contestataire de Wukan en 2011. Les négociateurs du PCC ont accepté d’autoriser une élection dans le village et la libération des manifestants arrêtés.
Qu’avaient en commun ces concessions ? Premièrement, et surtout, elles ne menaçaient pas fondamentalement le pouvoir et le contrôle de la dictature. Deuxièmement, la partie concédante dans ces exemples n’était pas le gouvernement central mais une agence subordonnée ou une partie extérieure – un futur bouc émissaire. Troisièmement, toutes ces concessions pouvaient être et étaient en fait annulées par de nouvelles attaques contre-révolutionnaires.
Par conséquent, le règne historique du PCC n’est pas entièrement dépourvu de flexibilité politique. Mais celle-ci est beaucoup plus limitée que dans la plupart des régimes capitalistes « démocratiques ». Et cette flexibilité a diminué de façon spectaculaire sous le règne de Xi Jinping. Le « bâton » de la répression est devenu plus gros tandis que la « carotte » des concessions est devenue plus petite. Sous la pression d’un mouvement ou d’une crise potentiellement révolutionnaire, le régime du PCC pourrait faire des promesses et proposer des réformes, auxquelles on ne peut jamais se fier. Ce qu’ils ne feront pas, c’est dissoudre la dictature et le capitalisme. Cette tâche nécessite un mouvement ouvrier de masse avec un programme démocratique et socialiste révolutionnaire.
-
Répression des manifestations en Chine, mais solidarité à l’extérieur
Fin novembre, la Chine a été frappée par une vague sans précédent de manifestations de masse dans une vingtaine de villes et plus de 80 universités. Ces manifestations ont plongé le régime de Xi Jinping dans un état de quasi-panique. Pour l’instant, la dictature chinoise du PCC et son Etat sécuritaire semblent avoir réussi à étouffer les manifestations. Mais la société chinoise ne reviendra pas en arrière.
Par Elan Axelbank, Socialist Alternative (ASI-USA)
Ces dernières années, de petites manifestations localisées contre les confinements, la pollution ou la corruption n’étaient pas inhabituelles en Chine. Et cela, même si elles ont toujours été fortement censurées. Ce qui a rendu la récente vague de protestations différente, c’est qu’elle était d’envergure nationale et que, dans certains cas, elle comportait des revendications politiques en faveur des droits démocratiques et contre la dictature. Les personnes manifestants ont appelé à la fin des politiques nationales telles que la politique “zéro COVID”. Elles ont exigé la liberté d’expression, de presse et de réunion. Des chants contre Xi Jinping et le Parti soi-disant communiste (PCC) ont retenti à Shanghai et dans les universités. La diffusion de tels slogans en public n’a pas été entendue depuis le mouvement de masse de 1989. Cela constitue une «subversion contre l’État» et est passible de nombreuses années de prison.
Le ralentissement des protestations, qui pourrait bien n’être que temporaire, est en partie dû à la répression de l’État. Mais il est aussi dû au fait que l’organisation de la classe ouvrière chinoise est empêchée par l’État policier vicieux et l’interdiction des syndicats. Par conséquent, toutes les luttes ont tendance à être convulsives et spontanées, elles manquent d’organisation. Les grèves en Chine sont ainsi rarement organisées. Le plus souvent, elles surviennent lorsque la brutalité et la tromperie envers les travailleurs et travailleuses atteignent un point de rupture.
L’arrêt des manifestations n’est toutefois pas universel. De multiples manifestations de travailleuses et travailleurs migrants ont encore eu lieu ces derniers jours dans le Guangdong et une manifestation a eu lieu à l’université de Nanjing. Les étudiantes et étudiants de Nanjing ont protesté après la levée du confinement de leur campus, avant que celui-ci ne soit soudainement réimposé quelques jours plus tard. Ce processus risque de se répéter dans toute la Chine au cours des prochains mois. La question n’est pas de savoir si les protestations réapparaîtront, mais de savoir quand.
Qu’arrive-t-il à la politique zéro COVID?
Dernièrement, plusieurs des plus grandes villes de Chine ont annoncé un assouplissement de leur politique de confinement. Dans certaines villes, l’obligation de présenter un test PCR négatif pour voyager dans les transports publics a été supprimée. À Pékin, certains complexes d’appartements ont indiqué que les résidentes et résidents pouvaient être mis en quarantaine chez eux au lieu de l’être dans les camps centralisés (fangcang) souvent décrits comme étant pires que la prison.
Il est à noter que Xi Jinping lui-même n’a fait aucune déclaration concernant la politique “zéro COVID” ou l’assouplissement des mesures de confinement (à l’exception de commentaires privés faits au président du Conseil européen en visite, Charles Michel). Xi n’a pas reconnu publiquement que des manifestations ont eu lieu. Ces dossiers ont été délégués à des fonctionnaires locaux afin de protéger Xi, qui ne peut pas «revenir» sur sa politique phare des trois dernières années. Il ne fait aucun doute que ces fonctionnaires ont l’approbation du dictateur. Alors que les médias étrangers dépeignent ces mesures comme un retrait total de la politique du zéro COVID, il s’agit en réalité d’un retrait partiel, bien qu’il puisse s’approfondir. Actuellement, 450 millions de personnes vivent dans une forme ou une autre de confinement en Chine, contre 528 millions il y a une semaine.
Loin de représenter un «adoucissement» de la dictature dans son ensemble, ce changement indique simplement que pour Xi, la propagation du COVID-19 – comme le potentiel de centaines de milliers de morts ou, comme certains experts l’ont indiqué, jusqu’à deux millions – est un moindre mal par rapport à la manifestation publique de résistance au régime la plus importante depuis 30 ans. Cela montre à quel point le régime est effrayé et peu confiant, en particulier au moment où la Chine s’enfonce dans une crise économique (Capital Economics prévoit une croissance du PIB réel de -1 % pour 2022). Cela confirme ce que nous avons dit avant et après le 20e congrès du PCC en octobre: la dictature agit de plus en plus en position de faiblesse, et non de force.
L’assouplissement de la politique zéro COVID présente désormais une nouvelle série de problèmes pour la société chinoise. Elle souligne clairement les limites de la «réforme» du système capitaliste autoritaire et pose avec acuité la question d’un changement systémique complet. Les gens ordinaires seront immensément soulagés de pouvoir se déplacer plus librement à l’extérieur, de prendre le métro, de s’engager dans davantage d’activités sociales, bien qu’il y ait également un certain scepticisme quant à la mise en œuvre réelle des mesures annoncées. Mais avec la flambée actuelle du virus, il est tout à fait possible que la Chine soit frappée par une grande vague de décès pendant les mois d’hiver, comme ce fut le cas à Hong Kong plus tôt cette année. Les vaccins chinois sont moins efficaces que ceux de l’Occident (interdits d’entrée en Chine), les taux de vaccination complète sont extrêmement faibles chez les personnes âgées (seules 40% des plus de 80 ans sont complètement vaccinées) et il y a une pénurie importante de lits de soins intensifs. Les scientifiques et les experts en matière de COVID-19 estiment que si le zéro COVID est levé, entre 1,5 et 2 millions de personnes pourraient mourir à travers le pays. Certains disent plus.
Sans «plan B», le régime va violemment zigzaguer à mesure que le variant Omicron hautement contagieux se répandra. Il passera du confinement, à l’assouplissement partiel, pour revenir au confinement. Mais dans la nouvelle période ouverte par les récentes manifestations, il sera de plus en plus difficile pour l’État de faire respecter des mesures de confinement complètes et durables, comme celles d’Urumqi ayant duré plus de 100 jours. Les étudiantes et étudiants de l’université de Nanjing lancent un avertissement au régime. L‘un d’entre eux a crié aux représentants de l’université: «Si vous nous touchez, vous deviendrez le deuxième Foxconn!», en référence à l’usine qui a connu une importante grève.
C’est pourquoi la section Chine/Hong Kong/Taïwan d’Alternative socialiste internationale (ASI) exige, au-delà de la simple fin du zéro COVID, des ressources massives pour construire et équiper le système de santé, intensifier le programme de vaccination, en particulier chez les personnes âgées, et la levée immédiate de l’interdiction des vaccins étrangers à ARN messager. Les pharmaceutiques et les autres compagnies COVID super rentables doivent devenir des propriétés publiques démocratiques sans rachat ni indemnité. Les ressources massives de ces entreprises doivent être investies dans le système hospitalier public.
Cependant, le Parti communiste (PCC), qui est en réalité le plus grand régime capitaliste du monde, ne prendra jamais de telles mesures. Ces changements constitueraient une menace fondamentale pour la maximisation des profits. La levée de l’interdiction des vaccins étrangers serait un aveu humiliant de faiblesse technologique nationale pour Xi, qui a besoin de souligner la grandeur nationale alors que la nouvelle guerre froide s’intensifie. Les dictatures ne sont jamais réformées. Le PCC doit être renversé et remplacé par un système socialiste démocratique où la classe ouvrière contrôle la société et où les droits démocratiques sont garantis à tout le monde. Un changement sérieux n’est pas possible sur la base du capitalisme, qui en Chine et dans de nombreuses régions d’Asie, a besoin d’un système autoritaire pour assurer sa domination.
La construction du mouvement en dehors de la Chine est cruciale
Lutter contre l’exploitation et l’oppression brutale du capitalisme chinois et de sa dictature à la Big Brother est extrêmement difficile et dangereux, pour ne pas dire plus. Immédiatement après la vague de manifestations de la dernière fin de semaine de novembre, le régime a envoyé des appels et des textos en masse aux personnes qui ont participé aux manifestations. Elles sont connues grâce aux caméras de sécurité et au suivi des téléphones portables. Le régime leur a communiqué que leur identité et leur participation aux manifestations sont connues de la police et les a averties de ne plus y participer. Peu avant que la récente vague de protestations n’éclate, ASI avait organisé à Londres une manifestation devant l’ambassade de Chine en solidarité avec le militant socialiste emprisonné Chai Xiaoming et pour la libération de toutes les personnes prisonnières politiques en Chine. À peine une semaine plus tard, une manifestation vingt fois plus importante est revenue au même endroit.
Mais s’élever contre la dictature n’est pas non plus sans danger pour les citoyennes et citoyens chinois vivant hors de Chine. De nombreux témoignages font état d’étudiantes et d’étudiants chinois qui étudient à l’étranger et qui participent à des veillées en solidarité avec les victimes de l’incendie d’Urumqi et les récentes manifestations, mais dont les familles en Chine reçoivent ensuite la visite de la police. Les systèmes de surveillance avancés de la dictature et son réseau d’espions et d’agents, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la Chine, sont absolument massifs. Les rapports de ces derniers mois n’ont fait que le confirmer. Il s’agit d’un État totalitaire numérique, doté des technologies de surveillance les plus sophistiquées au monde (souvent développées en partenariat avec des entreprises américaines). Par définition, une dictature a besoin d’un état de surveillance intense pour rester au pouvoir.
À de nombreux moments de l’histoire, les efforts des socialistes et des activistes en exil ont joué un rôle essentiel dans le renversement des dictatures. Les personnes en exil ont pu créer des organisations et rédiger plus librement des documents politiques qu’elles pouvaient ensuite faire passer clandestinement dans leur pays d’origine. Ce fut certainement le cas avec la Révolution socialiste russe, menée par Lénine et Trotsky qui ont vécu en exil pendant la majeure partie de leur vie politique. Dans une moindre mesure, cela a aussi été le cas avec la fin de l’apartheid en Afrique du Sud.
Au cours des six derniers mois seulement, les restrictions COVID se sont visiblement assouplies dans le monde entier, mais restaient en place en Chine, dans un contexte de crise économique de grande ampleur. Une politisation rapide – et une radicalisation dans certains cas – a touché les étudiantes et étudiants chinois qui étudient à l’étranger. Le fait que les travailleuses et travailleurs de Foxconn, la plus grande usine d’iPhone du monde, se soient défendus contre leur confinement, les conditions dangereuses et les salaires volés a donné le coup d’envoi du récent mouvement. Les étudiantes et étudiants ont joué un rôle important dans sa propagation après l’incendie d’Urumqi. De même, les manifestations de solidarité internationales qui ont eu lieu au cours de la dernière semaine et demie ont été menées presque exclusivement par des étudiantes et étudiants chinois à l’étranger.
Alternative socialiste internationale (ASI) fait tout ce qu’elle peut pour aider à développer ce mouvement. Cela s’est traduit par le fait que nos sections nationales ont pris l’initiative d’organiser leurs propres manifestations, comme à Londres. Nos sections ont aussi aidé à organiser, puis à soutenir d’autres protestations et y prendre la parole à Taipei, New York, Dublin, Boston, etc. Partout où ASI est présente, nous contribuons à la discussion et au débat indispensables sur la voie à suivre pour le mouvement : quel type d’organisation, de revendications et de stratégies sont nécessaires pour gagner?
La Chine est le 2e pays le plus peuplé du monde, la 2e plus grande économie du monde, et elle est dirigée par la dictature la plus puissante du monde. Sa classe ouvrière est gargantuesque et constitue une puissance potentielle. La nouvelle guerre froide entre l’impérialisme chinois et l’impérialisme américain menace d’aggraver toutes les crises dans tous les coins du monde dans les années à venir, y compris la menace d’un élargissement du conflit militaire inter-impérialiste. La construction d’un véritable mouvement socialiste en Chine n’est pas une option, mais une nécessité pour la classe ouvrière internationale. ASI considère cette tâche comme une priorité absolue.
Rejoignez-nous!
La dictature du PCC traverse une crise historique. Comme le dit le proverbe, chaque décision qu’elle prend sera la mauvaise, car chaque «solution» qu’elle tente de mettre en œuvre ne fait que créer à son tour de nouvelles crises. Les manifestations se sont pour l’instant calmées, mais les chants «À bas le PCC» et «Xi Jinping! Démission!» ne peuvent pas être oubliés. Pour se préparer à l’émergence d’une nouvelle vague de protestations, il faut tirer les leçons des luttes contre les dictatures à travers l’histoire, ainsi que des luttes plus récentes comme le mouvement de Hong Kong de 2019.
Les manifestations spontanées peuvent faire irruption spontanément. Mais sans revendications claires et sans organisation, leur pouvoir de résistance sera toujours limité. Il doit y avoir une stratégie claire pour gagner, basée sur le pouvoir de la classe ouvrière canalisé dans des syndicats indépendants et des syndicats étudiants. Ce pouvoir s’exerce par des grèves massives et coordonnées. Des comités clandestins doivent être créés pour coordonner, élaborer des stratégies et développer la lutte. Nous devons être clairs sur l’impossibilité de réformer le PCC, qui loin d’être «communiste», est une dictature capitaliste. Il faut être clair sur la nécessité de remplacer ce système par un gouvernement ouvrier démocratique et un véritable socialisme. Pour toutes les personnes qui sont d’accord, Chinoises ou non, vivant en Chine ou non, rejoignez Alternative Socialiste Internationale (chinaworker.info en Chine/Hong Kong/Taiwan) et aidez-nous à construire cette lutte historique si crucialement nécessaire.
-
Le régime chinois ébranlé par la plus grande vague de protestation depuis 1989. Comment poursuivre la lutte ?
A l’heure où nous écrivons ces lignes, la police se masse dans les villes chinoises afin d’éradiquer la toute récente vague de protestation. Les actions protestations se poursuivent dans les universités. Le week-end prochain pourrait voir de nouvelles manifestations de rue dans différentes villes du pays. Les manifestations qui ont balayé la Chine ces derniers jours représentent le défi le plus sérieux depuis trente ans pour la dictature du Parti communiste chinois (PCC) et son “empereur” Xi Jinping nouvellement couronné.
Par Li Yong et Vincent Kolo, chinaworker.info
Après trois ans de contrôles et de confinements étouffants d’une brutalité indescriptible dans le cadre de la politique de « Zéro Covid », la population a atteint un point de rupture. Si le « Zéro Covid » et l’incendie meurtrier de jeudi dernier au Xinjiang (dix personnes sont mortes et neuf autres ont été blessées dans un immeuble à Urumqi, capitale régionale du Xinjiang) ont servi d’éléments déclencheurs, la vague de protestation actuelle est bien plus qu’un mouvement « anti-confinement », aussi important soit-il.
Les manifestations étudiantes dans plus de 80 universités du pays ont défilé au cris de « la liberté ou la mort », un slogan de la lutte de 1989 dont la plupart des jeunes Chinois ignorent totalement l’existence. L’aspiration aux droits démocratiques et à la fin de la dictature ont rencontré l’indignation contre l’insistance insensée et non scientifique de la dictature à vouloir à tout prix tuer un virus impossible à tuer.
Au cours de la semaine écoulée, les taux quotidiens d’infection au Covid ont atteint le chiffre record de plus de 40.000. Bien que ce chiffre soit encore faible par rapport aux niveaux atteints dans de nombreux pays occidentaux au plus fort de la pandémie, la réponse du gouvernement consiste invariablement à multiplier les confinements, car il s’est mis dans une situation délicate en insistant sur la réussite de la politique de « Zéro Covid ».
La dictature a aveuglément suivi une stratégie perdante, renforcée par le rôle personnel de Xi Jinping : a) il a utilisé la politique du « Zéro Covid » comme une arme dans la lutte de pouvoir interne du PCC, en forçant les gouvernements régionaux à faire preuve de « loyauté », b) il a utilisé cette politique pour massivement renforcer les capacités de surveillance et de contrôle de la dictature.
La stratégie « Zéro Covid » de Xi a minimisé la vaccination et s’est concentrée sur des tests de masse intensifs, la recherche des contacts, la quarantaine et des confinements brutaux. Un million de Chinois – dont la famille de l’un des auteurs de cet article – se trouvent actuellement dans des centres de quarantaine (fancang), largement décrits comme étant pires que des prisons. Selon Nomura, institution qui fournit des mises à jour hebdomadaires, un nombre record de cinquante villes, représentant environ un quart de la population chinoise, sont actuellement soumises à une forme de confinement.
Le passage à la position de « coexistence avec le Covid » adoptée par la plupart des autres gouvernements pourrait submerger le secteur des soins de santé chinois, qui manque de ressources, et entraîner des centaines de milliers de décès. Une étude récente de l’agence Bloomberg Intelligence a montré que la Chine ne dispose que de quatre lits de soins intensifs pour 100.000 habitants, soit un taux bien inférieur à celui des pays développés. Un revirement de politique maintenant représenterait également une défaite personnelle humiliante pour Xi Jinping, car il s’agit de sa politique phare. Le dictateur se trouve donc dans un « zugzwang politique », comme l’a souligné la chroniqueuse de Bloomberg Clara Ferreira Marques, en utilisant un terme d’échecs qui signifie qu’un joueur est obligé de faire un mouvement, mais que chaque option aggrave la situation.
Les signes avant-coureurs
Les signes d’une explosion sociale à venir sont clairs. Le débrayage massif, en octobre, de milliers de travailleurs de la plus grande usine d’iPhone du monde (Foxconn) à Zhengzhou, a eu un effet énorme sur la conscience de masse, car ces scènes ont été largement diffusées sur les réseaux sociaux malgré tous les efforts des censeurs. La ville d’Urumqi, où la dernière vague de protestations sans précédent a commencé, est en confinement depuis une centaine de jours, accompagnée – comme dans presque tous les confinements – de pénuries de nourriture et de médicaments.
Les confinements ont donné lieu à une crise de santé mentale aux proportions inimaginables. En 2020 déjà, une enquête nationale a révélé que près de 35 % des personnes interrogées étaient confrontées à une détresse psychologique en raison de la pandémie. Cette année, le ministère de la santé a refusé de publier des statistiques concernant les suicides.
Bon nombre d’universités où ont maintenant éclaté des manifestations spontanées contre le confinement et le gouvernement ont connu plusieurs vagues de confinement, avec des étudiants bloqués pendant des semaines dans leurs dortoirs, se plaignant d’un manque de tout, y compris de produits sanitaires. Lorsque le coup d’envoi de la Coupe du monde de football au Qatar a été donné, l’effet en Chine a été choquant. La vue de foules immenses, sans masque ni restriction visible de Covid, a incité certains à se demander si la Chine se trouve sur la même planète.
Un camarade en Chine a décrit la situation comme suit : « D’après ce que je peux voir dans mon cercle social, à part quelques bureaucrates et jeunes fonctionnaires qui ne font aucun commentaire, presque tout le monde tient bon avec les manifestants – y compris l’habituelle « majorité silencieuse ». (…) Ce qui est remarquable dans cette tempête, c’est que le mécontentement à l’égard du régime de Xi est passé au premier plan, la population ne limitant plus sa colère aux fonctionnaires locaux ou à d’autres membres du cercle restreint du régime, mais à Xi lui-même. »
Dix morts à Urumqi
La colère accumulée de la population à l’égard de la politique du « zéro covid » a finalement explosé les 26 et 27 novembre, lorsque les gens se sont rassemblés dans tout le pays pour demander la levée du confinement – et ont même pris l’initiative de démonter et de détruire les clôtures et infrastructures de test – ont attaqué les agents de prévention de la pandémie et la police qui se trouvaient sur leur chemin. Le 27 novembre, les étudiants d’au moins 85 universités du pays avaient organisé des manifestations, dont le nombre variait de plusieurs dizaines à plusieurs centaines.
L’incident a été déclenché par un incendie survenu le 24 novembre dans un immeuble d’habitation d’un quartier ouïgour d’Urumqi, la capitale de la province du Xinjiang. Urumqi est une ville chinoise Han à 80 %. Cela a une grande signification quand on voit l’unité spontanée dont font preuve les Han et les Ouïgours, malgré des années de propagande vicieusement raciste du PCC contre les Ouïgours, considérés comme des « terroristes ».
Le feu lui-même n’était pas très important, mais les véhicules de pompiers n’ont pas pu arriver à temps pour l’éteindre en raison des barrières érigées pour faire respecter le confinement. On soupçonne que les victimes n’ont pas pu s’échapper parce que leurs portes et leurs issues de secours étaient verrouillées. Des vidéos montrant des personnes hurlant pour que leurs portes soient ouvertes ont été largement diffusées sur Internet avant d’être supprimées par la censure.
Dix personnes, toutes des Ouïghours, ont été tuées dans l’incendie, bien que certains rapports en ligne suggèrent que le nombre de morts soit plus élevé. Les responsables du PCC ont ensuite fui leur responsabilité en niant que les sorties étaient bloquées et en accusant les habitants de ne pas connaître les voies d’évacuation. Cela n’a fait qu’attiser la colère de la population et, cette nuit-là, un grand nombre de citoyens d’Urumqi, tant Han que Ouïgours, ont franchi les barrières de la pandémie et se sont dirigés vers les bureaux du gouvernement de la ville pour protester.
Les graines de la révolte ont été plantées dans le cœur de la population à la suite de catastrophes collatérales successives ayant entraîné des pertes de vies humaines. Il s’agit notamment de l’accident de bus dans la province de Guizhou qui a tué 27 passagers envoyés de force dans un centre de quarantaine éloigné, et d’innombrables tragédies de personnes décédées parce qu’on leur a refusé l’admission à l’hôpital sans un test PCR négatif.
Ces dernières semaines, des personnes et des travailleurs dans des villes comme Zhengzhou et Guangzhou ont franchi les barrières de la pandémie et affronté la police. À Chongqing, une vidéo de jeunes gens criant « la liberté ou la mort » devant les lignes de police a touché une corde sensible chez de nombreuses personnes. Les manifestations d’Urumqi ont déclenché une vague qui s’est propagée dans tout le pays en deux jours, enflammant la colère et le mécontentement qui se sont accumulés sous l’effet de la politique inhumaine du « zéro Covid », mais qui sont encore plus profonds. La politique de lutte contre la pandémie menée par Xi Jinping a également révélé à des millions de personnes la réalité d’une dictature étouffante et brutalement répressive. Elle a montré jusqu’où le régime est prêt à aller en matière de répression et de surveillance.
« A bas le parti communiste ! »
Dans la nuit du 26 novembre, les habitants de Shanghai ont brisé le cordon pandémique et ont défilé sur une rue dont le nom fait référence à la ville d’Urumqi, afin de rendre hommage aux victimes de l’incendie et d’exprimer leur colère. Quelques jours plus tard, la police a retiré toutes les plaques de cette rue dans le cadre de ses mesures visant à empêcher de nouvelles protestations. La foule à Shanghai s’est jointe aux chants « À bas le Parti communiste ! À bas Xi Jinping ! » Ils ont également bloqué physiquement des voitures de police et se sont battus pour libérer des manifestants qui avaient été arrêtés par la police. Les manifestations se sont poursuivies tout au long de la journée et de la soirée du 27 novembre, les gens exigeant la libération des manifestants arrêtés. En plus de Shanghai, de grandes manifestations ont éclaté à Pékin, Nanjing, Guangzhou, Chengdu, Wuhan et dans d’autres villes.
Jamais depuis 1989 la Chine n’avait connu un mouvement d’une telle ampleur nationale. Les protestations actuelles n’ont pas encore atteint ce niveau, mais nous verrons comment les choses évoluent. La crise économique et sociale de la Chine est à bien des égards plus grave qu’à l’époque. Les manifestations actuelles sont issues de nombreuses couches sociales : travailleurs migrants comme à Zhengzhou et Guangzhou, étudiants, minorités ethniques comme les Ouïgours, tandis que l’on trouve de nombreuses jeunes femmes en première ligne des manifestations. Il existe de nombreux éléments différents dans la conscience politique qui se développe aujourd’hui, mais celle-ci a déjà dépassé le stade du mouvement contre le confinement pour poser des revendications politiques en faveur de la démocratie, contre la répression, pour la fin de la dictature et pour la destitution de Xi Jinping.
À Urumqi, le gouvernement local a immédiatement fait volte-face après l’incendie en annonçant que le foyer de Covid dans la ville avait été « nettoyé » et que les contrôles étaient donc assouplis. Mais la population a continué à descendre dans la rue pour protester. De nombreux autres gouvernements ont adopté une position similaire, annonçant à la hâte la levée des mesures de confinement et procédant à quelques changements cosmétiques.
Il s’agit de la stratégie classique du PCC pour désamorcer les protestations, avec un mélange de « carotte », c’est-à-dire de concessions, suivie du « bâton » de la répression et des arrestations. Un scepticisme généralisé a été exprimé sur les réseaux sociaux, selon lequel, comme à Urumqi, le virus aurait instantanément et miraculeusement disparu. La dictature du PCC est tristement célèbre pour ses fausses promesses et fausses concessions. D’innombrables protestations environnementales ont été désamorcées en annonçant la fermeture des industries polluantes, alors que celles-ci ont vu leur activité être autorisée une fois l’agitation calmée. À Wukan, dans la province de Guangdong, les autorités du PCC ont promis des élections locales limitées pour désamorcer les mobilisations contre l’accaparement des terres et la corruption. Ces élections ont été truquées, puis la répression a commencé. De nombreux leaders de la contestation sont aujourd’hui en prison ou en exil. « Ils nous ont donné un chèque d’un million de dollars », a déclaré plus tard un militant de Wukan, « mais il n’a pas été honoré ».
Dans cette vague de protestations, les Chinois Han et les Ouïgours ont fait preuve de solidarité et ont surmonté les tactiques de division du PCC. On a pu voir à Urumqi des scènes réconfortantes où des Han ont été applaudis et embrassés par des Ouïgours passant par-là alors qu’ils déployaient des banderoles dans les rues pour pleurer les victimes de l’incendie de jeudi. Certains commentateurs des médias en Chine ont décrit cette situation comme étant sans précédent depuis l’incident du 5 juillet (émeutes interethniques et pogroms meurtriers) au Xinjiang en 2009.
Quelles revendications ?
Sur les campus universitaires, de nombreux étudiants ont manifesté leur solidarité. À l’université Tsinghua de Pékin, le 27 novembre, des centaines d’étudiants ont brandi des feuilles de papier vierges en signe de protestation, en scandant « démocratie, État de droit, liberté d’expression » et « Vive le prolétariat », tout en chantant l’Internationale.
Contrairement aux manifestations précédentes, la vague actuelle montre une évolution vers une opposition plus explicite à la dictature, les rares slogans directs contre le PCC et Xi Jinping étant largement repris. Là encore, c’est la première fois depuis 1989. L’incident du pont Sitong en octobre, au cours duquel un manifestant isolé, Peng Lifa, a accroché des bannières dans le centre de Pékin avec des slogans contre la dictature, a clairement influencé bon nombre des revendications qui sont soulevées aujourd’hui. Si la protestation d’une seule personne n’aurait pas un tel impact dans la plupart des pays, en Chine, où toutes les organisations indépendantes, la politique et les droits démocratiques sont interdits, l’effet a été électrisant.
Dans notre déclaration sur la manifestation du pont Sitong (« New Tank Man protest gets huge response », chinaworker.info, 17 octobre), nous avons reconnu cet impact et fait l’éloge de nombreux slogans de la bannière, tout en expliquant qu’il ne s’agissait pas d’un programme suffisamment complet ou clair pour construire un mouvement de contestation du pouvoir du PCC. Certaines des demandes – soutenant la « réforme » – renforcent malheureusement l’illusion que la dictature, ou certaines de ses factions d’élite, sont capables de se réformer et d’offrir des concessions démocratiques.
Le PCC a montré à maintes reprises que ce postulat était faux. La promesse faite un jour par le PCC d’autoriser des droits démocratiques limités à Hong Kong a été retirée et brisée. Si le PCC n’a pas pu tolérer une forme de « démocratie » bourgeoise mutilée et limitée dans l’entité relativement séparée de Hong Kong, il ne peut certainement pas la tolérer en Chine.
Les marxistes et chinaworker.info ont montré dans leurs articles qu’aucun système autocratique dans l’histoire n’a jamais été « réformé » pour disparaître. Les luttes de masse, le plus souvent menées par une vague de grève et des interventions décisives du mouvement ouvrier, ont toujours été les ingrédients clés d’un mouvement réussi pour vaincre un régime dictatorial et gagner des droits démocratiques. La défaite puis la répression du mouvement de Hong Kong en 2019, malgré les efforts héroïques de son peuple, montre qu’il n’y a aucune possibilité de réforme, aucune rencontre à mi-chemin, avec une dictature qui, par nature, doit garder le contrôle total.
La colère de masse contre la politique du « Zéro Covid », qui s’identifie personnellement à Xi Jinping, a encore alimenté l’atmosphère contre la dictature. L’éclatement des manifestations est sans aucun doute une humiliation et un sérieux revers pour Xi, qui vient d’entamer son troisième mandat. Au moment du couronnement de Xi, lors du 20e Congrès du PCC, nous avions prédit que « quel que soit le résultat, il ne changera pas fondamentalement les perspectives du régime du PCC, qui se dirige vers la plus grande des tempêtes » (chinaworker.info, Xi Jinping’s 20th Congress caps five years of political disasters, 17 octobre).
Il existe de nombreuses similitudes entre la situation actuelle en Chine et le soulèvement iranien. Dans les deux cas, un incident brutal a déclenché un mouvement de protestation à l’échelle nationale, dans lequel les revendications politiques contre l’ensemble du régime ont commencé à être mises en avant. L’unité impressionnante entre les différents groupes ethniques surmontant instinctivement la propagande raciste et nationaliste vicieuse a également été mise en évidence. De même, à Hong Kong, en 2019, le mouvement de masse a éclaté sur la question d’une nouvelle loi sur l’extradition, mais en quelques semaines, cette question a été dépassée, car les vagues successives de manifestations de rue ont concentré leurs demandes sur les droits démocratiques et la fin de la répression d’État.
Les leçons de Hong Kong
Les manifestations d’aujourd’hui en Chine se caractérisent par les nombreuses expressions publiques de regret : « Nous aurions dû soutenir Hong Kong ». Cela montre que le processus de prise de conscience commence à se mettre en place. Pour que la lutte en Chine aille de l’avant, il y a des leçons cruciales à tirer de ce qui a causé la défaite du mouvement de Hong Kong. Le mouvement ne manquait pas d’effectifs ni de militantisme. Mais il manquait d’organisations de masse, en particulier d’organisations de travailleurs, pour soutenir la lutte malgré les nombreux revirements inattendus, les attaques du gouvernement et la désinformation. Il était isolé dans une seule ville et ne pouvait donc pas espérer vaincre la dictature du PCC en restant seul. La domination de l’idéologie libérale au sein de la lutte de Hong Kong, la stratégie de compromis en faillite des partis d’opposition pan-démocratiques, ainsi que la mentalité de repli sur soi encore plus extrême des localistes de Hong Kong, sont devenues une entrave auto-infligée.
Une philosophie anti-organisation, reposant uniquement sur la spontanéité et les plateformes en ligne, a également entravé la lutte de Hong Kong, car face à un État impitoyable disposant d’énormes ressources, la planification, la stratégie, le développement d’un programme clair, la compréhension d’une société et d’un système de gouvernement alternatifs sont tous nécessaires. Et cela nécessite une organisation : des syndicats de travailleurs et d’étudiants, des comités de lutte à la base et, de manière critique, un parti de la classe ouvrière avec un programme clair de droits démocratiques et de socialisme.
Ce dernier montrerait que la dictature du PCC est inextricablement liée au capitalisme chinois. C’est la plus grande entreprise industrielle et financière du monde, avec sa propre armée et ses propres forces de police. Les illusions sur la démocratie capitaliste, qui remplissent habituellement et peut-être inévitablement un espace dans chaque lutte anti-autoritaire, doivent être contrées par des avertissements clairs – comme nous l’avons fait pendant la lutte de Hong Kong – que la seule façon de gagner des droits démocratiques est de rompre de manière décisive avec le capitalisme, le système sur lequel repose la dictature du PCC.
Xi Jinping, comme d’habitude, a disparu de la scène face à une crise majeure, mais nous ne pouvons pas sous-estimer la détermination et la férocité de la répression de sang-froid du PCC. Le PCC n’acceptera pas à la légère les revendications des masses, même les demandes partielles de changement de la politique de lutte contre la pandémie, de peur que cela ne remonte leur moral et ne provoque une réaction en chaîne qui conduira à davantage de luttes de masse. Le PCC acceptera encore moins des réformes démocratiques même limitées qui, dans le contexte de la Chine, de sa taille et de ses profonds problèmes sociaux et économiques, feraient voler en éclats la dictature.
La force sociale clé en Chine comme partout ailleurs est la classe ouvrière, qui est déjà un facteur significatif dans les protestations, mais qui ne dispose d’aucune organisation d’aucune sorte, pas même de syndicats pour lutter pour ses conditions de travail. La classe ouvrière, en s’organisant d’abord sur le lieu de production et ensuite dans la société en général, est la force motrice naturelle et en fait la seule force motrice cohérente d’un mouvement réussi contre la répression, la dictature et le capitalisme.
Pour se placer à la tête de la vague de protestation actuelle, les travailleurs doivent lancer l’appel à un mouvement de grève, en appelant également les étudiants à faire de même. Une grève générale serait l’arme la plus puissante contre la dictature de Xi, si elle était liée à une organisation par le biais de comités de grève, de nouveaux syndicats indépendants et d’un nouveau parti ouvrier du socialisme démocratique.
Nous appelons à :
- Une solidarité active avec la révolte de masse en Chine : développons plus d’actions de protestation.
- La fin des confinements et la fin de la folie du « Zéro Covid ».
- L’escalade du mouvement dans des grèves étudiantes et ouvrières.
- L’investissement de ressources massives pour développer et équiper le secteur de la santé, intensifier le programme de vaccination et mettre fin immédiatement à l’interdiction des vaccins à ARNm.
- Faire passer les produits pharmaceutiques et les sociétés Covid super-profitable en propriété publique démocratique sans compensation et que leurs ressources soient allouées au développement d’un système public de soins de santé.
- L’augmentation des salaires et du salaire minimum, avec nationalisation de toute entreprise refusant de payer ses travailleurs.
- La construction d’un système de protection sociale fort, l’allocation de pensions décentes, l’instauration d’une assurance médicale et d’une assurance chômage pour toutes et tous.
- Des droits démocratiques immédiats et complets : liberté d’expression, liberté de presse, fermeture de structures de censure, liberté de réunion, droit de grève, droit d’organisation.
- La construction de syndicats indépendants et démocratiques de travailleurs et d’étudiants.
- La création de comités clandestins pour coordonner la lutte de masse et élaborer les stratégies qui s’imposent. Les réseaux sociaux doivent être utilisés tout en reconnaissant leurs limites : une véritable organisation est nécessaire comme l’illustre la défaite à Hong Kong d’un mouvement purement spontané.
- La libération des prisonniers politiques.
- L’abolition de la loi sur la sécurité nationale, l’abolition des camps de prisonniers et les pleins droits démocratiques pour Hong Kong, le Tibet et le Xinjiang, y compris le droit à l’autodétermination.
- L’unité dans la lutte de la classe ouvrière en Chine, à Hong Kong, au Xinjiang et à Taiwan contre le nationalisme et le capitalisme.
- Aucune illusion ne doit être entretenue concernant les capacités du régime à se réformer. A bas Xi Jinping et la dictature ! A bas la répression d’Etat ! Dissolution de la police secrète !
- Pour une assemblée populaire révolutionnaire élue au suffrage universel, avec un mandat pour introduire de véritables politiques socialistes afin de confisquer la richesse des milliardaires et des capitalistes rouges.
- Pour le socialisme international. Pas de guerre froide mais une guerre de classe contre les capitalistes de l’Est et de l’Ouest !
-
Les marxistes et la guerre froide entre les États-Unis et la Chine
Plutôt que d’appuyer sur le bouton pause de la guerre froide impérialiste entre les États-Unis et la Chine, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a accéléré le processus.Vincent Kolo, chinaworker.info
“L’invasion russe de l’Ukraine a mis fin à la mondialisation que nous avons connue au cours des trois dernières décennies”, déclare Larry Fink, président de Blackrock, le plus grand spéculateur financier du monde. De très nombreux capitalistes, comme Fink, sont en train de rattraper les nouvelles réalités de la situation mondiale. Jusqu’au début de cette année, ils parlaient encore au futur d’une guerre froide entre les deux superpuissances, la Chine et les États-Unis.
Mais en fait, les grandes lignes du conflit actuel entre les États-Unis et la Chine ont commencé il y a dix ans avec le “tournant vers l’Asie” du président Obama. Dans le même temps, en 2012, Xi Jinping est arrivé au pouvoir et a adopté une politique étrangère plus agressive et nationaliste. C’était le revers de la médaille d’une répression considérablement accrue et d’un contrôle plus strict à l’intérieur du pays. Xi a abandonné la doctrine diplomatique pragmatique des gouvernements chinois précédents, résumée par la phrase de Deng Xiaoping, “hide and bide” (cachez vos capacités et attendez votre heure). L’approche de Xi se distingue par sa vantardise et l’exagération des capacités de la Chine. Les résultats décevants de la Chine dans la production de vaccins contre le COVID-19, malgré les centaines de milliards de dollars investis dans son secteur biopharmaceutique ces dernières années, en sont un exemple.
Le conflit avec l’impérialisme américain s’est intensifié en 2018 sous la présidence de Trump, populiste de droite, avec le lancement de la plus grande guerre commerciale depuis les années 1930. Lorsque Trump a perdu contre Biden en 2020, nous avons expliqué que la guerre froide se poursuivrait et s’intensifierait sous la nouvelle administration. En effet, le conflit est enraciné dans des processus objectifs, la crise historique du capitalisme mondial, et ne dépend pas en fin de compte du parti capitaliste qui est au pouvoir.
Dans la résolution du congrès 2020 d’Alternative Socialiste Internationale (ASI) concernant les perspectives mondiales, nous avons déclaré que “le conflit entre les États-Unis et la Chine est désormais l’axe principal autour duquel tourne la situation mondiale”. Comme cette résolution l’a précisé : “Le capitalisme mondial sort de l’ère de la mondialisation néolibérale, la tendance dominante depuis près de quatre décennies, et entre dans l’ère de la “géo-économie” dans laquelle le conflit d’intérêts entre les grandes puissances impérialistes est le facteur dominant.”
L’État et le marché
Ce texte a été écrit avant la pandémie et avant la guerre en Ukraine, qui ont toutes deux renforcé ces processus. Aujourd’hui, la tendance est au militarisme et à une lutte de pouvoir géopolitique encore plus âpre, les tendances économiques ayant tendance à suivre plutôt qu’à diriger les développements. Les États nationaux – les outils de coercition du capitalisme – plutôt que les “forces du marché” sont de plus en plus aux commandes. L’expansion militaire et la démondialisation stratégique sont désormais les principales tendances. Il ne s’agit pas seulement de l’augmentation des budgets d’armement, même si cette évolution est dramatique et alarmante, le Japon et l’Allemagne en étant les exemples les plus marquants.
La Chine possède désormais la plus grande marine du monde, avec 355 navires contre 297 pour les États-Unis, et a lancé en juin son troisième porte-avions, le Fujian, qui est aussi le plus avancé. Le plan de modernisation de Xi envisage une armée “à égalité avec les États-Unis” d’ici 2027, date du 100e anniversaire de l’Armée populaire de libération. De nombreux commentateurs préviennent qu’il pourrait s’agir du calendrier de Xi pour une invasion de Taïwan, qu’il est déterminé à placer sous le contrôle de Pékin. Cependant, la Chine n’a pas mené de guerre navale depuis 100 ans. Les experts militaires préviennent qu’une invasion de Taïwan serait encore plus compliquée que le débarquement de 1944 en Normandie.
Un climat politique frénétique est orchestré par les classes dirigeantes, en Europe mais aussi dans certaines régions d’Asie, avec en parallèle la préparation d’attaques massives contre la classe ouvrière pour financer des armées plus grandes et plus meurtrières. Partout, la solution des capitalistes et de leurs gouvernements est “plus d’armes !”. Le nationalisme, une certaine frénésie et la désorientation, sont très courants dans les premiers stades d’une guerre. Mais le vent va inévitablement tourner avec le soutien croissant pour une alternative anti-guerre, anticapitaliste et internationaliste.
Le récent sommet de l’OTAN en Espagne, la réunion du G7 en Allemagne et le sommet des dirigeants du Dialogue quadrilatéral (« Quad ») (Japon – Australie – Inde – États-Unis) au Japon ont tous été des exemples historiques d’un nouveau niveau de riposte coordonnée de l’Occident, non seulement contre la Russie mais aussi, et surtout, contre la Chine. Le nouveau niveau de rhétorique contre la Chine, qui est pour la première fois qualifiée de “défi systémique” dans le concept stratégique 2022 de l’OTAN, est la preuve que l’émoussement de la puissance chinoise est l’objectif primordial à long terme de l’impérialisme américain et, désormais, de l’OTAN. Cette orientation stratégique a été soulignée dans un récent discours du commandant de la marine britannique, l’amiral Sir Ben Key, qui a averti que “si l’on se concentre uniquement sur l’ours russe, on risque de manquer le tigre”. Le propos est clair, même s’il y a très peu de tigres en Chine (de toute évidence, il n’est pas nécessaire de connaître la zoologie pour diriger une marine).
L’invasion de l’Ukraine par la Russie était bien sûr le premier point à l’ordre du jour de ces réunions, à l’exception du sommet du Dialogue quadrilatéral, où l’implication de l’Indien Modi a nécessité un message différent de la part des autres membres de ce groupe, les États-Unis, le Japon et l’Australie. L’Inde refuse de se ranger du côté des opposants à la Russie, en partie parce qu’elle craint de pousser ainsi Poutine à se rapprocher encore plus de la Chine. Pendant des années, le régime chinois a fait pression sur la Russie pour qu’elle réduise ses ventes d’armes à l’Inde, avec laquelle Pékin entretient un différend frontalier de longue date. En accordant son soutien de facto à l’invasion de la Russie, Xi veut en partie utiliser cette invasion comme un levier contre l’Inde et permettre à la Chine de mettre la main sur la technologie militaire russe, y compris celle des armes nucléaires.
Armageddon
Les sanctions paralysantes imposées à la Russie, qui a effectivement été éjectée de l’économie mondiale, ont un double objectif : servir d’avertissement et de répétition générale en vue d’une future épreuve de force avec la Chine. Dans ce cas, l’impact mondial serait d’une toute autre ampleur. L’économie chinoise est dix fois plus importante que celle de la Russie et joue un rôle essentiel dans les chaînes d’approvisionnement, le commerce et les flux financiers mondiaux. “Appliquez à la Chine ce que nous avons vu en Russie, et vous obtenez un Armageddon pour l’économie chinoise et pour l’économie mondiale”, a déclaré un chef d’entreprise occidental au Financial Times.
Les deux parties veulent éviter ou retarder un tel scénario. Mais les deux parties se préparent également pour le jour où il se produira. Même Henry Kissinger, qui a négocié pour faire entrer la Chine de Mao dans le camp occidental pendant la première guerre froide contre la Russie stalinienne, convient que la Chine capitaliste d’aujourd’hui ne doit pas être autorisée à devenir un “hégémon”. Et ce, malgré les avertissements de Kissinger selon lesquels les hostilités entre les États-Unis et la Chine pourraient déclencher une “catastrophe mondiale comparable à la Première Guerre mondiale.”
Le contrecoup de la guerre en Ukraine a permis à l’impérialisme américain d’aligner un plus grand nombre de ses alliés autour de sa stratégie anti-Chine. Des divergences persistent, par exemple avec le gouvernement allemand, qui, aux yeux de l’administration Biden, traîne encore les pieds à l’égard de la Russie et de la Chine. Mais par rapport à la position des gouvernements respectifs avant l’invasion de février, l’écart s’est considérablement réduit.
La nouvelle situation a également apporté une manne financière à l’industrie américaine de l’armement. Lorsque le gouvernement allemand a décidé de doubler son budget militaire quelques jours seulement après l’invasion russe, le faisant passer de 47 milliards d’euros en 2021 à 100 milliards d’euros en 2022, son premier achat a été 35 avions de combat américains F-35 capables de transporter des armes nucléaires (coût estimé à 4 milliards d’euros). L’industrie américaine de l’énergie devrait également engranger d’énormes gains à mesure que l’Allemagne et l’Europe se détournent du pétrole et du gaz russes. Au cours des quatre premiers mois de l’année, les expéditions de gaz naturel liquéfié des États-Unis vers l’Europe ont triplé par rapport à la même période en 2021.
L’OTAN et ses amis
Au sommet de l’OTAN de Madrid, le Japon, la Corée du Sud, l’Australie et la Nouvelle-Zélande ont été invités pour la première fois à participer. Il ne s’agissait pas simplement d’envoyer un message à Pékin, mais aussi d’une étape vers une plus grande coordination militaire entre ces États indo-pacifiques et l’OTAN. Par conséquent, si Xi Jinping a peut-être calculé que son régime pourrait tirer des avantages de la confrontation de la Russie avec l’Occident, il risque en fin de compte de perdre encore plus que Poutine, car les enjeux pour l’économie chinoise sont bien plus importants.
Il s’agit du processus plus large de démondialisation et de formation de deux blocs antagonistes, la Chine risquant d’être évincée de secteurs clés du marché et de l’accès aux nouvelles technologies. Le milliardaire américain de la technologie Vinod Khosla prédit une “guerre techno-économique” entre les États-Unis et la Chine qui, selon lui, durera deux décennies. Les États-Unis ont déjà imposé des contrôles stricts sur des technologies d’importance stratégique telles que les équipements de télécommunications 5G et les semi-conducteurs, et leurs contrôles technologiques ne feront que s’étendre. Le Congrès est saisi de plusieurs projets de loi visant à renforcer le contrôle des investissements américains dans un large éventail de secteurs commerciaux chinois. D’autres mesures visent à financer la production américaine de semi-conducteurs, de métaux de terres rares, de technologies de batteries améliorées et d’autres secteurs où la Chine domine ou l’économie américaine est vulnérable aux perturbations de la chaîne d’approvisionnement.
L’assaut réglementaire de Trump contre le géant chinois des télécommunications Huawei a plongé l’entreprise dans une grave crise. Bloquée par les sanctions américaines pour accéder aux semi-conducteurs les plus récents, sa position même sur le marché intérieur chinois des smartphones est passée de la première à la sixième place depuis 2018, avec une baisse des ventes de 64 % l’année dernière. Pour ajouter à ses malheurs, Huawei a été contraint de réduire ses activités en Russie, l’un de ses rares marchés de croissance, pour éviter de tomber sous le coup des sanctions occidentales.
La “liste d’entités” américaine, ou liste noire des entreprises chinoises établie sous l’administration Trump, est devenue depuis un modèle pour la conduite de la guerre économique américaine à l’époque de la guerre froide. Sous Biden, la “liste des entités” a été étendue et les médias chinois affirment que 260 entreprises chinoises figurent désormais sur la liste. Plus de 100 entreprises russes ont été ajoutées en février.
Des réductions douanières ?
Une nouvelle escalade est à l’ordre du jour. “Si les États-Unis persuadent l’UE et le Japon de relancer le Comité de coordination pour le contrôle multilatéral des exportations (CoCom) afin d’étouffer les flux technologiques vers la Chine – une perspective rendue plus probable par la guerre en Ukraine – la Chine aura peu de chances de gagner la course technologique avec les États-Unis”, affirme Minxin Pei, un commentateur sino-américain.
Ce n’est pas contredit par les informations selon lesquelles Biden délibère sur la suppression éventuelle de certains droits de douane sur les produits chinois imposés par Trump en 2018. Si cela se produit, la réduction sera probablement “modeste”, peut-être en supprimant moins de 3 % des droits de douane, qui couvrent totalement plus de 300 milliards de dollars de biens chinois. L’objectif serait d’atténuer les pressions inflationnistes dans l’économie américaine à l’approche des élections de mi-mandat de novembre, bien que cela puisse n’avoir aucun effet sur l’inflation.
Des déclarations contradictoires suggèrent qu’il y a une lutte de pouvoir au sein du gouvernement de M. Biden entre les départements du Trésor et du Commerce, toute réduction des droits de douane risquant d’exposer le président à des attaques de la part des deux côtés du Congrès pour avoir été indulgent envers la Chine. Ce n’est pas seulement en Chine que le nationalisme maniaque constitue une contrainte pour la capacité du gouvernement à affiner sa politique. Janet Yellen, qui semble favorable à un certain “recalibrage” des tarifs douaniers, soutient que ceux-ci ne sont pas particulièrement efficaces comme arme contre la Chine et que des tarifs plus “stratégiques” sont nécessaires. Ce débat porte donc sur la manière d’infliger des souffrances à l’économie chinoise de manière plus intelligente, et rien d’autre.
Les relations UE-Chine
Pendant une grande partie de la dernière décennie, Pékin a entretenu l’espoir que l’Union européenne, sous la direction de facto de l’Allemagne, s’en tiendrait à une position de “neutralité stratégique” dans le conflit entre les États-Unis et la Chine. Cet espoir reposait sur la conviction que le capitalisme allemand ne ferait rien pour mettre en péril les plus de 100 milliards de dollars d’exportations allemandes vers la Chine chaque année. Mais les tentatives de Xi Jinping d’inoculer les relations UE-Chine de la guerre froide américano-chinoise ont commencé à s’autodétruire avant même la guerre en Ukraine.
Les tensions au sujet du Xinjiang ont torpillé l’accord global UE-Chine sur les investissements (ACI) en mars de l’année dernière. Si cet accord avait été ratifié, il aurait constitué un coup diplomatique important pour Pékin et une rebuffade pour Washington. Mais l’ACI est maintenant mort. Cette année, le gouvernement allemand exerce une pression financière et politique sur ses plus grandes entreprises, dont le constructeur automobile Volkswagen, en invoquant les violations des droits humains commises par la dictature chinoise dans le Xinjiang à majorité musulmane.
La question du Xinjiang est utilisée pour signaler une nouvelle approche plus dure de Berlin, à l’égard de la Chine mais aussi des capitalistes allemands, afin de leur forcer la main pour “diversifier” leurs investissements et leurs chaînes d’approvisionnement et mettre fin à une dépendance déséquilibrée vis-à-vis de la Chine. Il s’agit d’une tendance mondiale. Elle reflète les politiques des États-Unis et d’autres pays où les gouvernements dictent de plus en plus les décisions d’investissement aux entreprises privées pour des raisons de “sécurité nationale”. Elle imite certaines caractéristiques du modèle chinois.
Une telle approche “étatiste” était impensable à l’apogée de la mondialisation néolibérale. Mais aujourd’hui, chaque classe dirigeante doit protéger son pouvoir national afin de survivre à ce que Martin Wolf du Financial Times appelle la “nouvelle ère de désordre mondial”. C’est cela, plutôt que les inquiétudes liées à la répression et à la torture, qui se produisent à grande échelle au Xinjiang, qui oblige l’Allemagne et d’autres économies occidentales à freiner une plus grande interdépendance économique avec la Chine. Ce découplage de l’économie chinoise n’en est encore qu’à ses débuts, mais il s’accélère, comme certains des critiques internes de Xi avaient prévenu qu’il se produirait, rejetant la faute sur son alliance “sans limites” avec Poutine.
Le processus a en fait commencé il y a près de dix ans, sous l’effet d’autres facteurs, notamment une hausse des salaires chinois par rapport à ceux des autres économies asiatiques et même d’Europe de l’Est. Mais au cours du premier semestre de cette année, 11 000 entreprises étrangères ont été désenregistrées en Chine, contre une augmentation nette de 8 000 nouveaux enregistrements étrangers l’année dernière.
Everbright Securities estime qu’environ 7 % des commandes de meubles chinois ont été perdues au profit du Vietnam et d’autres pays entre septembre 2021 et mars 2022, 5 % pour les produits textiles et 2 % pour l’électronique. Ces tendances ont été masquées par le boom temporaire des exportations chinoises pendant la pandémie, mais comme celui-ci s’estompe, nous risquons d’assister à l’évidement de l’industrie manufacturière chinoise, à l’instar de ce qui s’est passé au Japon il y a trente ans.
Droits démocratiques
Le camp dirigé par les États-Unis présente sa position sur l’Ukraine comme une défense de la “démocratie” contre l’”autocratie”. La même hypocrisie s’applique au Xinjiang et à Taïwan. La propagande des impérialismes chinois et russe s’appuie sur un nationalisme agressif (“l’approche guerrière du loup” en Chine). Ils accusent l’Occident de chercher à affaiblir et à détruire la mère patrie, en utilisant la “démocratie” comme l’une de ses armes insidieuses. Tous les ennemis du régime – travailleurs, militants anti-guerre et pour la démocratie, personnes LGBT+ et féministes – sont qualifiés d’”agents étrangers”. Le projet nationaliste consiste à devenir une puissance forte et à reconquérir les “territoires volés”.
Les marxistes et ASI s’opposent à toutes les puissances ou blocs impérialistes et à leur propagande. Nous avertissons que le fait de soutenir l’un ou l’autre camp ou de croire qu’un impérialisme est moins dangereux que l’autre aurait des conséquences désastreuses pour la lutte des travailleurs contre le capitalisme.
L’impérialisme n’est jamais un allié dans la lutte pour la libération des peuples et nations opprimés, et pas du côté des droits démocratiques pour les masses. Les libertés politiques qui existent actuellement dans les démocraties capitalistes occidentales mais qui sont totalement absentes en Chine et de plus en plus en Russie, comme le droit de vote, le droit de s’organiser, la liberté d’expression et le droit de grève – ces droits ont toujours et partout été gagnés par la pression et la lutte des masses, et non par la bienveillance de la classe dirigeante.
L’attaque féroce de l’État américain contre le droit à l’avortement tourne en dérision la tentative de Washington de se placer sur le terrain de la “démocratie”. Ces dernières années, les pays capitalistes occidentaux ont lancé vague après vague des attaques contre les libertés civiles et les droits syndicaux. Dans les pays dotés d’une démocratie formelle ou bourgeoise, ce n’est pas l’État capitaliste qui est le dépositaire des droits démocratiques.
Léon Trotsky a expliqué que si la classe ouvrière n’est pas immédiatement capable de renverser le capitalisme, elle défend la démocratie bourgeoise contre la réaction fasciste ou autoritaire : “Les travailleurs défendent la démocratie bourgeoise, cependant, non pas par les méthodes de la démocratie bourgeoise … mais par leurs propres méthodes, c’est-à-dire par les méthodes de la lutte de classe révolutionnaire.” (Réponses aux questions sur la situation espagnole, 1937).
De “bons autocrates” ?
Les travailleurs ne peuvent jamais se tourner vers l’État capitaliste, les tribunaux, la police ou les armées capitalistes pour défendre nos droits démocratiques. Les droits démocratiques qui existent dans les États capitalistes occidentaux sont le résultat de la lutte et du rapport de forces des classes dans la société, plutôt que ce qui est écrit dans les lois ou les constitutions. Seule une lutte de masse liée à l’échelle internationale et dirigée par un mouvement ouvrier revitalisé qui se bat pour remplacer le capitalisme par un véritable socialisme peut garantir de véritables droits démocratiques. C’est la seule force qui peut mettre fin aux guerres et à l’oppression nationale. Les socialistes s’opposent à la répression d’État orwellienne des États capitalistes chinois et russes et se tiennent aux côtés de la classe ouvrière de ces pays, qui est la seule force capable de mener une véritable lutte contre la dictature.
Lorsque l’OTAN a besoin de la Turquie pour approuver les demandes d’adhésion de la Suède et de la Finlande, ses dirigeants “démocratiques” n’ont aucun scrupule à s’allier à l’autocrate impitoyable Erdogan, qui prépare de nouvelles guerres contre les Kurdes et s’attaque aux droits des syndicats, des femmes et des personnes LGBT+.
Les mêmes doubles standards à couper le souffle s’appliquent à la récente visite de Biden en Arabie saoudite pour serrer la main du dictateur Mohammed bin Salman. Il y a deux ans, lors de la campagne électorale, Biden s’était vanté de faire de l’Arabie saoudite un “paria”, mais aujourd’hui, il a besoin d’un accord sur l’approvisionnement en pétrole alors que l’embargo pétrolier russe comprime les marchés mondiaux. Il en va de même pour la mission de Blinken visant à charmer le dictateur thaïlandais, le général Prayut, en juillet. Washington est soucieux de ne pas voir le régime thaïlandais passer complètement du côté de la Chine.
Une analyse claire
Le conflit impérialiste entre les États-Unis et la Chine s’insère dans presque tous les mouvements et toutes les luttes qui se déroulent dans le monde. Nous en avons vu un élément au Myanmar l’année dernière, où d’un côté le coup d’État de l’armée était soutenu par Pékin et Moscou, tandis que de l’autre côté une partie de la jeunesse et des travailleurs qui ont monté une incroyable lutte de résistance et un mouvement de grève de masse ont malheureusement commencé à se tourner vers la pression occidentale et même l’intervention (de la soi-disant communauté internationale) pour les aider à vaincre la junte. Il s’agissait d’une cruelle illusion qui n’a fait que semer la confusion dans la lutte. La même chose s’est produite sous une forme différente à Hong Kong lors des manifestations démocratiques de masse de 2019, et à nouveau en Thaïlande l’année suivante.
Il y a des leçons politiques importantes à tirer de ces expériences dans l’environnement mondial modifié créé par la nouvelle guerre froide. Dans les exemples précités, une variante du “moindre mal” s’est installée et a désorienté une partie de ces mouvements, entraînant ou renforçant un repli de la lutte. Dans des pays comme l’Indonésie, les Philippines, la Malaisie, le Japon, Taïwan et la Corée du Sud, des sections du mouvement ouvrier et de la gauche peuvent également être désorientées et divisées par ces complications. Il s’agit bien entendu d’un avertissement pour le mouvement ouvrier naissant en Chine également.
La guerre froide, avec les deux blocs impérialistes qui exploitent et polarisent davantage des situations déjà volatiles pour accumuler les victoires géopolitiques, représente un grave danger pour les travailleurs et la jeunesse. C’est le cas même sans une autre guerre chaude reproduisant et peut-être éclipsant les horreurs de l’Ukraine. Une perspective, une analyse et un programme clairs qui rejettent le “moindre mal” et le nationalisme pour une position internationaliste et ouvrière d’opposition implacable à tous les gouvernements capitalistes et impérialistes, c’est la seule façon de s’assurer que les luttes importantes des opprimés ne sont pas déraillées par la réaction.
-
Chine. Les mesures de confinement drastiques suscitent une colère de masse
Nous publions ci=dessous une courte mais puissante vidéo de la campagne “Solidarité contre la répression en Chine et à Hong Kong” (SARCHK). Elle montre comment, à l’heure actuelle, 300 millions de personnes sont enfermées chez elles en Chine parce que Xi Jinping refuse de changer sa politique dure et brutale du “zéro covid”. Cette politique est basée sur des confinements de masse, des tests de masse sur des dizaines de milliers de personnes et l’enfermement de dizaines de milliers de personnes dans des centres de quarantaine de fortune.
La vidéo de la campagne Solidarité contre la répression en Chine et à Hong Kong (SARCHK) associe des séquences réalisées par plusieurs personnes qui ont été prises au piège lors du confinement à Shanghai et dans d’autres villes. La plupart de ces vidéos ont été retirées de l’internet chinois par les censeurs du régime.
Les tensions sociales augmentent. Une vague de pertes d’emplois a fait grimper le chômage à un niveau record, avec un taux de chômage des jeunes de 18 % (plus élevé que dans l’UE et aux États-Unis). Les travailleurs sont enfermés dans des usines et des chantiers de construction et dorment à même le sol. Le personnel hospitalier de Shanghai a organisé des manifestations et des grèves à la suite de la pénurie de fournitures médicales, de longues journées de travail et même du travail forcé en cas d’infection.
Comme l’explique cette vidéo, les entreprises de test en Chine sont les plus grandes gagnantes. Plusieurs de ces entreprises ont annoncé une croissance de leurs bénéfices de 60 à 190 % en avril par rapport à l’année précédente. “Plus d’un dixième des 100 premiers milliardaires chinois sont issus des secteurs de la pharmacie et des soins de santé. La pandémie leur a été très rentable.”
La dictature du PCC (parti prétendument “communiste”) a utilisé la lutte contre le virus comme prétexte pour renforcer massivement le contrôle social et la répression. Pendant ce temps, la deuxième plus grande économie du monde tombe d’une falaise. Les conséquences économiques sont mondiales et énormes.
Pour plus d’informations, rendez vous sur le site chinaworker.info
-
L’invasion russe, produit de la nouvelle guerre froide, marque un tournant dans les relations géopolitiques

L’invasion russe de l’Ukraine s’inscrit dans le cadre du passage à une nouvelle ère. Plus encore que la pandémie, elle accélère de nombreux processus géopolitiques dont le facteur déterminant est la nouvelle guerre froide entre les États-Unis et la Chine.Par Fabian (Gand)
L’expansion croissante de l’OTAN vers l’Est depuis 1997 représente depuis longtemps une épine dans le pied du régime russe. En 2014, la tentative de stopper l’accord d’association entre l’Union européenne et l’Ukraine et d’obtenir une coopération plus étroite de l’Ukraine avec l’Union économique eurasienne a échoué. Le président ukrainien Ianoukovitch, favorable à Moscou, a ensuite été balayé par la révolte de l’Euromaïdan. Kiev s’est alors de plus en plus orienté vers l’UE et l’OTAN. Mais Poutine a maintenu la pression avec l’annexion de la Crimée et le soutien aux groupes séparatistes de Donetsk et de Lugansk. Pour comprendre l’évolution vers l’invasion brutale actuelle, nous devons toutefois examiner les tensions interimpérialistes croissantes dans une perspective plus large.
Les racines de la nouvelle guerre froide
Le capitalisme est sorti de la Seconde Guerre mondiale fortement discrédité par les dizaines de millions de morts et l’horreur du nazisme. L’affaiblissement des grandes puissances impérialistes européennes a posé les bases d’un monde bipolaire avec deux superpuissances : les États-Unis contre l’Union soviétique stalinienne. La crainte de bouleversements révolutionnaires – soutenus ou non par une invasion venue de l’Est – était omniprésente au sein de la bourgeoisie d’Europe occidentale. Face à la « menace rouge », les gouvernements britannique et français ont joué un rôle clé dans la création de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Son premier secrétaire général, le Britannique Hastings Ismay, n’a laissé aucun doute quant à l’objectif de cet instrument : « Garder les Américains à l’intérieur, les Russes à l’extérieur et les Allemands sous tutelle ». En réponse, l’Union soviétique a créé le Pacte de Varsovie avec les régimes staliniens d’Europe de l’Est.
Contrairement à la nouvelle guerre froide actuelle, il s’agissait d’un conflit entre des systèmes sociaux antagonistes. Malgré la nature non démocratique des régimes du bloc de l’Est, les bureaucraties staliniennes qui les dirigeaient dépendaient pour leurs privilèges et leur survie de l’existence d’une économie planifiée. Jusqu’à l’effondrement de l’Union soviétique en 1991, le conflit entre ces blocs restera le facteur dominant des relations internationales.
Les tensions entre les bureaucraties staliniennes de Russie et de Chine ont ouvert la voie à la coopération entre les États-Unis et cette dernière. Ce processus, initié par la visite du président américain Nixon à Mao en 1972, allait remodeler la politique mondiale. Les nouveaux liens économiques ont ouvert la voie à la transformation de la Chine en sa forme actuelle de capitalisme autoritaire, réglementé par l’État, sous un régime qui n’a de « communiste » que le nom. La relation entre les États-Unis et la Chine devenue « l’atelier du monde » grâce à sa main-d’œuvre bon marché a constitué le moteur de la période de mondialisation néolibérale, avec la création de « nouveaux marchés » suite à l’implosion de l’Union soviétique.
La grande récession de 2007-2009 a mis fin à la relation spéciale entre la Chine et les États-Unis. La Chine semblait moins touchée par la crise mondiale, tandis que l’impérialisme américain perdait de son influence et de sa force relative. Le programme stratégique chinois « Made in China 2025 », introduit sous Xi Jinping et visant à assurer le leadership et l’indépendance de la Chine dans les industries et les technologies clés, et l’initiative « Belt and Road » (les « nouvelles routes de la soie »), visant à développer des routes commerciales et d’investissement dominées par la Chine (regroupant plus de 100 pays sur tous les continents) ont provoqué un revirement majeur dans l’attitude des États-Unis. Cela a commencé avec Trump et certaines sections de la classe capitaliste. La raison était évidente : la Chine devenait de plus en plus un challenger dans le domaine économique et technologique. Elle finira par le faire aussi sur le plan militaire.
Les deux plus grandes économies du monde sont également les plus grands partenaires commerciaux l’un de l’autre. Pourtant, même avec Joe Biden, l’accent est resté sur le conflit géostratégique avec la Chine. L’accumulation d’antagonismes aujourd’hui est similaire à la dépendance mutuelle et à la concurrence qui existait entre la Grande-Bretagne et l’Allemagne avant la Première Guerre mondiale. Pour l’impérialisme américain, la menace qui pèse sur sa puissance mondiale est plus importante que les superprofits réalisés en Chine. La base de la nouvelle guerre froide est l’impasse du capitalisme et la crise de ces deux superpuissances. De prêcheurs de la mondialisation, ils sont devenus partisans du nationalisme pour tenter de sauver leur système et leur puissance.
Une fenêtre d’opportunité
L’impérialisme russe tente depuis des années de se frayer un chemin là où l’impérialisme occidental recule : en maintenant à flot le régime d’Assad en Syrie ou encore en envoyant des mercenaires au Mali et en République centrafricaine. Le Kremlin a également maintenu à flot le régime de Loukachenko au Belarus en 2021 et a contribué à écraser le soulèvement révolutionnaire au Kazakhstan au début de cette année.
Sur le front interne, le niveau de vie en Russie est désormais inférieur de 10 % à celui de 2008. Le régime a dû faire face à plusieurs mobilisations contre la corruption et en faveur de la démocratie. À cela s’est ajoutée l’incapacité du Kremlin à contrôler la pandémie. Un soulèvement réussi au Kazakhstan aurait rapidement inspiré des protestations en Russie et le régime a dû y intervenir.
Les stratèges du Kremlin y ont vu le moment d’inverser le processus d’érosion de la sphère d’influence de la Russie depuis les années 1990 et la chute du mur de Berlin. Certaines raisons ont donné à Poutine la confiance nécessaire pour agir maintenant. Il y a ainsi eu le retrait précipité des troupes américaines d’Afghanistan, quelques années seulement après que les États-Unis aient également dû reculer en Syrie et dans le contexte d’une concentration croissante des forces de l’impérialisme américain sur le conflit géostratégique avec la Chine. D’autre part, des forces centrifuges (dont le Brexit) ont prévalu au cours des dernières années dans l’Union européenne, qui a donné une impression de divisions internes. Enfin, plusieurs pays européens dépendent du gaz et du pétrole russes.
En cas d’échec des menaces, Poutine souhaitait imposer un changement de régime visant à forcer l’Ukraine à rester hors de l’OTAN pour que celle-ci limite ses activités dans les anciens pays du bloc de l’Est. L’OTAN s’est toutefois obstinée à vouloir utiliser la population ukrainienne comme bouclier.
Un mauvais pari
Outre la résistance farouche à l’invasion de l’Ukraine, Poutine a peut-être été choqué par l’unanimité avec laquelle « l’Occident » lui a imposé de lourdes sanctions et a envoyé des armes au gouvernement de Zelensky. Les sanctions sont sans précédent : refus de laisser les compagnies aériennes russes pénétrer l’espace aérien européen, confiscation de la moitié des réserves de dollars de la Russie, coupure des banques russes du système de paiement international SWIFT, interdiction des exportations vers la Russie de toutes sortes de marchandises, etc. Les bourses russes ont plongé et la valeur du rouble a chuté de 30 %. Ce ne sont toutefois pas les oligarques et Poutine qui vont en souffrir, mais le peuple russe. La bourgeoisie des pays de l’OTAN espère ainsi créer le terreau d’un soulèvement contre Poutine. Elle pourrait bien avoir l’effet inverse dans le sens où la réaction anti-occidentale de la population pourrait renforcer la position interne de Poutine.
Il y a également le risque que les sanctions déclenchent une profonde récession mondiale. C’est l’une des plus grandes craintes du régime chinois de Xi Jinping. Ce régime est confronté à de graves menaces économiques, telles que les bulles spéculatives dans le secteur de l’immobilier. La pression russe sur l’Ukraine semblait initialement convenir à Xi. C’était une distraction pratique pour garder l’OTAN occupée. Lors d’une visite de Poutine aux Jeux olympiques d’hiver en février, Xi a déclaré qu’il souhaitait un partenariat avec la Russie « sans tabou ».
L’escalade effective du conflit a contraint le régime chinois à prendre ses distances avec le Kremlin. La contradiction avec sa propre politique étrangère et la menace de déstabilisation économique sont trop grandes. Parallèlement, les sanctions ont de plus en plus isolé la Russie, la rendant plus dépendante du régime chinois.
Ayant en tête un changement de régime en Russie, les États-Unis veulent maintenant affaiblir au maximum l’armée russe en Ukraine, tout en poussant l’économie russe dans une crise profonde afin d’affaiblir l’allié potentiel de la Chine. Les conséquences pour le peuple ukrainien ne comptent pas dans ce calcul géopolitique. Outre le soutien militaire et financier, le Pentagone envoie également des informations sur les mouvements des troupes russes au gouvernement de Kiev. L’administration Biden met également à la disposition de Zelensky des équipes de relations publiques et de lobbyistes.
L’unité occidentale retrouvée contre l’ennemi commun reste cependant fragile. En dépit de la participation active des États membres de l’OTAN au soutien du gouvernement ukrainien, la prudence demeure. Une zone d’exclusion aérienne maintenue par l’OTAN au-dessus de l’Ukraine pourrait potentiellement provoquer une troisième guerre mondiale, qui plus est une guerre entre puissances nucléaires. Même la proposition polonaise de fournir des avions de chasse à l’Ukraine via les États-Unis s’est avérée être un pont trop loin.
Le sommet européen de Versailles a certes promis une aide militaire supplémentaire de 500 millions d’euros à l’Ukraine par le biais de la très cynique « facilité européenne de soutien à la paix », mais il n’a pas été unanime pour accélérer l’adhésion de l’Ukraine à l’UE ou pour interdire totalement le gaz et le pétrole russes.
Un militarisme nationaliste
Les gouvernements de plusieurs États membres de l’OTAN ont réussi à utiliser l’invasion comme un véritable choc pour augmenter sérieusement leurs budgets de défense (lire : de guerre). Le gouvernement allemand a décidé de porter ses investissements militaires annuels à 100 milliards d’euros. En Suède, le gouvernement veut financer l’augmentation des dépenses militaires en réduisant la sécurité sociale.
Le militarisme nationaliste devient un phénomène dominant dans la politique mondiale, parallèlement à la poursuite du découplage économique entre grands blocs économiques. La Russie, onzième économie mondiale, est en train de s’isoler presque complètement avec le retrait de multinationales comme Apple, Pizza Hut, BMW, etc. Le régime russe a été contraint de répondre par l’idée de nationalisations d’usines d’importance stratégique et veut interdire l’exportation d’équipements agricoles, électriques, médicaux et technologiques au moins jusqu’à la fin de l’année.
Le monde en est encore aux premiers stades d’une nouvelle guerre froide entre les deux grandes puissances impérialistes. Dans les années à venir, cette guerre entravera durablement l’économie, provoquera des crises politiques, formera et brisera des alliances, provoquera des conflits militaires et aura un impact sur la conscience de masse dans le monde entier. Partout, la politique gouvernementale sera de plus en plus déterminée par la nouvelle guerre froide. La lutte de classe internationale contre la guerre, associée à un programme social qui rompt avec les intérêts de profit des capitalistes, est la clé de la paix.
-
L’Ukraine et la Chine : Xi Jinping joue à la roulette russe

“Celui qui n’est pas au courant des desseins de ses voisins ne doit pas conclure d’alliances avec eux”. Ce sont les mots du légendaire stratège militaire Sun Tzu, il y a plus de 2 000 ans. Xi Jinping n’a manifestement pas tenu compte de ce conseil lorsqu’il a dévoilé son alliance historique “sans limites” avec Vladimir Poutine lors de l’ouverture des Jeux olympiques d’hiver de Pékin. C’était tout juste vingt jours avant que les armées de Poutine n’envahissent l’Ukraine.
Par Vincent Kolo, Chinaworker.info (ASI en Chine)
Les spéculations vont bon train sur ce que Xi et son noyau dur savaient réellement des projets guerriers de Poutine. Ont-ils été tenus dans l’ignorance ? Cela semble peu probable. Xi, comme Poutine, a-t-il parié sur une victoire militaire russe rapide et écrasante ? Cela semble très plausible. Xi en savait-il plus, mais n’a pas informé le reste des hauts dirigeants du PCC ? C’est possible. Quoi qu’il en soit, les deux dictateurs ont commis une grave erreur de calcul. Et de telles erreurs pourraient finalement menacer leur maintien au pouvoir.
Il existe une scission à peine dissimulée au sein du régime du PCC (Parti soi-disant communiste) et une opposition significative à la ligne pro-Poutine de Xi, qui se reflète dans une certaine mesure dans les messages contradictoires émanant de Pékin. Comme l’a noté l’analyste vétéran de la Chine Katsuji Nakazawa, il existe des désaccords sur l’alliance avec la Russie au sein du Comité permanent du Politburo, l’organe dirigeant du PCC, composé de sept membres : “Les sept ne sont pas sur la même longueur d’onde”. Les divisions sur la guerre, et le fait que les politiques économiques de Xi ont également été en partie annulées, menacent d’exacerber la lutte de pouvoir interne du PCC.
Cela arrive au pire moment possible pour Xi, qui recherche la “stabilité” à l’approche du 20e du PCC Congrès et de son couronnement à la Poutine en tant que dictateur à vie. La faction anti-Xi du PCC, dirigée par le premier ministre sortant Li Keqiang et soutenue par une partie des « capitalistes rouges » et des fonctionnaires retraités, est trop faible pour renverser Xi. Mais l’opposition de cette faction aux politiques de Xi est devenue plus ouverte. Pour mettre en œuvre une politique à un stade aussi aigu de la crise, le régime de Xi doit être encore plus dictatorial et centralisé. Cela crée un cercle vicieux d’instabilité.
La “Grande controverse”
“La Chine ne peut pas être liée à Poutine et doit en être séparée le plus rapidement possible”, a écrit Hu Wei, un politologue affilié au bureau du conseiller du Conseil d’État (le gouvernement dirigé par le Premier ministre Li Keqiang). L’essai de Hu a été largement diffusé auprès des hauts dirigeants lors des “deux sessions” (du Congrès national du peuple et de la Conférence consultative politique du peuple chinois) au début du mois de mars, avant d’être retiré d’Internet et bloqué par les censeurs. Ce document est important parce qu’il critique de manière inhabituellement virulente la position de Xi, sans le nommer bien entendu, et parce que ses idées bénéficient manifestement d’un soutien considérable parmi les hauts responsables du régime. Hu déclare que la guerre a provoqué “une grande controverse en Chine”, l’opinion étant “divisée en deux camps implacablement opposés”. Il prévient : “Il y a encore une fenêtre d’une ou deux semaines avant que la Chine ne perde sa marge de manœuvre” pour se distancer de la Russie. “La Chine doit agir de manière décisive.”
Les commentaires de Hu sont l’expression la plus nette à ce jour des divisions au sein de la classe dirigeante chinoise sur la politique étrangère nationaliste et guerrière de Xi, l’alliance Xi-Poutine étant son dernier mouvement et le plus controversé. Une partie importante des officiels du PCC et des intérêts capitalistes chinois estime que la ligne nationaliste de Xi est devenue de plus en plus contre-productive, qu’elle nuit à l’économie et qu’elle renforce la rhétorique antichinoise de l’impérialisme américain. Mais comme Xi a apposé sa marque personnelle sur l’alliance avec la Russie, le régime chinois s’est mis lui-même au pied du mur. Tout au plus pourrait-il y avoir un changement de ton plutôt que de substance. “Couper les ponts” avec Poutine, comme le préconise Hu Wei, porterait un coup sérieux à l’image d’”homme fort” de Xi soigneusement construite au cours de la dernière décennie.
L’ampleur des difficultés rencontrées par Pékin dépend également du déroulement de la guerre. Une longue guerre, qui s’éternise pendant des mois et s’accompagne d’une intensification des bombardements terroristes sur les villes assiégées, est un scénario cauchemardesque pour le PCC, qui rendrait sa “fausse neutralité” impossible à maintenir. Un scénario encore pire pour Xi Jinping serait la chute de Poutine, soit par un soulèvement populaire, soit par une révolution de palais, ce qui provoquerait une onde de choc en Chine. Pour ces raisons, tout en essayant de manœuvrer et de brouiller les pistes, le régime de Xi fera tout son possible pour aider Poutine à rester au pouvoir.
La “neutralité” officielle contradictoire du régime chinois dans cette guerre a déjà porté atteinte à l’autorité de Xi, qui tente de se présenter comme un homme fort nationaliste qui ose tenir tête aux États-Unis. À l’extérieur, la rhétorique du PCC à l’égard de Biden est vague et diplomatique, prenant ses distances avec la Russie, alors que sa propagande intérieure promeut le nationalisme et est fortement pro-russe. Ce contraste a été remarqué par une certaine couche des masses. La propagande nationaliste de Xi a donc été minée, tandis que l’hypocrisie de son image “d’artisan de la paix” mondial a été exposée au grand jour. Une “grande campagne de traduction” a été organisée principalement par des Chinois d’outre-mer pour traduire en anglais les commentaires nationalistes, racistes et sexistes arrogants des médias contrôlés par l’État et des réseaux sociaux. Cette campagne reflète l’état d’esprit d’une couche de Chinois dégoûtée par la propagande frauduleuse du PCC.
La Doctrine Truman
Pour Poutine et le capitalisme russe, la guerre en Ukraine peut être classée au même rang que la décision désastreuse de l’impérialisme américain d’envahir l’Irak en 2003. Les États-Unis, sous la direction de Bush, ont complètement sous-estimé le bourbier ethno-politique dans lequel ils s’engouffraient. Poutine a tout sous-estimé, des capacités militaires de la Russie à la force de la résistance ukrainienne (il dénonce les enseignements de Lénine sur la question nationale et paie le prix de cette ignorance), en passant par la situation mondiale et l’ampleur de la réaction de l’impérialisme occidental. Xi Jinping, en liant si étroitement et publiquement son régime à celui de Poutine, a exposé la Chine au risque d’isolement diplomatique et à des coûts économiques potentiellement dévastateurs sous la forme d’un découplage accéléré avec l’Occident. Cela peut se produire indépendamment du fait que la Chine soit officiellement visée par des sanctions en raison de sa position pro-russe.
Alternative Socialiste Internationale (ASI) a expliqué que la guerre en Ukraine a tout changé. Le Financial Times, qui élabore des stratégies pour le compte du capitalisme occidental, décrit ce moment comme “un point de pivot géopolitique”, et exhorte Washington à proclamer une nouvelle version de la doctrine Truman de 1947 (qui divisait les pays en “pour” ou “contre” l’impérialisme américain). À court terme, l’invasion de la Russie a renforcé les gouvernements capitalistes occidentaux qui se lancent dans la militarisation en profitant de l’effet du choc sur la population et dans des interventions étatiques sans précédent sur les marchés financiers (les sanctions contre la Russie). Elles réussissent beaucoup mieux à déguiser leurs politiques comme étant une ligne de défense de la “démocratie” contre l’”autocratie”.
La nouvelle guerre froide entre les États-Unis et la Chine, qui se développe depuis plusieurs années, a donc connu un “grand bond en avant” depuis le début de l’invasion russe. Une démondialisation économique plus rapide est désormais inévitable. L’invasion russe a, du moins à court terme, apaisé les divisions internes du camp occidental, entre l’UE d’une part et le bloc de l’anglosphère dirigé par les États-Unis d’autre part. L’ancien premier ministre japonais Shinzo Abe a demandé que des armes nucléaires américaines soient stationnées au Japon, tandis que l’Allemagne est subitement devenue la troisième plus grande dépense militaire du monde. D’un seul coup, la guerre en Ukraine a balayé les restes de l’ordre mondial d’après 1945.
Le capitalisme du désastre
Un tel niveau de cohésion occidentale est précisément ce que cherchait à éviter la diplomatie chinoise depuis l’époque d’Obama et de Trump. La guerre de Poutine a donc énormément facilité la stratégie de Biden de construire une coalition impérialiste “démocratique” pour coincer la Chine et la Russie. Le soutien de facto de Xi à l’invasion russe a permis à l’impérialisme américain de mener beaucoup plus facilement une guerre par procuration contre la Chine, sa principale cible à long terme, sous le couvert du conflit avec la Russie. La nature et l’ampleur des sanctions occidentales contre la Russie sont un élément crucial de cette guerre par procuration.
La forte escalade du conflit avec la Russie est indissociable du conflit entre les États-Unis et la Chine. Biden a fait pression pour une alliance plus forte avec l’Europe, notamment par le biais de l’OTAN, en revenant sur la politique isolationniste de Trump connue sous le nom “America First”. L’objectif est d’isoler la Chine dans la politique internationale et d’accroître la pression sur elle dans les zones contestées de l’Indo-Pacifique, comme la mer de Chine méridionale et Taïwan. À long terme, l’Asie est stratégiquement plus importante pour l’impérialisme américain que l’Ukraine et l’Europe de l’Est. La guerre d’Ukraine est une répétition des conflits mondiaux qui se développeront à l’avenir.
Nous nous opposons à l’invasion de la Russie et aux programmes impérialistes de Poutine d’un côté, mais aussi à l’OTAN et à l’impérialisme américain de l’autre. Le sort horrible du peuple ukrainien est un avertissement des horreurs qui attendent l’humanité sous le signe du “capitalisme du désastre”. Celui-ci soulève maintenant le spectre des conflits militaires entre puissances nucléaires en plus de la crise climatique et des pandémies mortelles. Nous soulignons l’importance des manifestations héroïques contre la guerre qui ont eu lieu en Russie ainsi que la nécessité d’un internationalisme reposant sur la classe ouvrière, tout d’abord en solidarité avec les masses ukrainiennes, mais en reliant cela à la nécessité de combattre le militarisme et les politiques anti-ouvrières de tous les gouvernements capitalistes.
Les actions et déclarations de toutes les puissances impérialistes sont cyniques et malhonnêtes. Poutine nie de manière flagrante le droit de l’Ukraine à exister en tant qu’État-nation. Wang Yi déclare au monde que la Chine “préconise fermement le respect et la sauvegarde de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de tous les pays”, mais les médias chinois ne diffusent que les comptes rendus russes du conflit et refusent d’utiliser le mot “invasion”. Biden aux Etats-Unis, Johnson au Royaume-Uni et Scholz en Allemagne ne sont pas motivés par le moindre souci du sort du peuple ukrainien, mais par la volonté d’extraire un maximum de bénéfices géopolitiques des problèmes de Poutine. Des années de manœuvres politiques de la part des États-Unis et de l’OTAN, avec le gouvernement capitaliste de droite ukrainien comme pion utile, ont contribué à semer les graines de la guerre. Aujourd’hui, l’OTAN est prête à “se battre jusqu’au dernier ukrainien”, applaudissant le courage de sa résistance, mais cherchant à localiser et à contenir le conflit – comme le montre la saga des avions de chasse polonais “non désirés”.
La Chine en tant que superpuissance
Il s’agit de la crise internationale la plus grave pour le régime du PCC depuis l’effondrement de l’Union soviétique et des dictatures staliniennes en Europe de l’Est il y a trente ans. C’est la première fois que la Chine devient la deuxième superpuissance, défiant de près les Etats-Unis en tant que puissance impérialiste avec des sphères d’intérêt mondiales, des entreprises gigantesques et des investissements énormes à défendre. En 1992, la Chine ne figurait même pas parmi les dix premières économies mondiales. Elle était un spectateur discret qui se concentrait sur ses propres problèmes internes (achever la restauration du capitalisme après avoir écrasé la révolte de masse de 1989). Aujourd’hui, en tant que deuxième économie mondiale, la Chine est bien plus intégrée au système financier et commercial mondial que la Russie, onzième économie mondiale. Pour le capitalisme chinois, la menace d’être exclu des marchés occidentaux par des sanctions est bien plus grande que pour la Russie.
Nous nous opposons aux sanctions, qui sont un outil du capital financier dans les États capitalistes les plus puissants et peuvent être utilisées contre les travailleurs et la lutte socialiste à l’avenir. A Hong Kong et au Xinjiang, ASI s’est opposée aux sanctions occidentales en prévenant qu’elles n’arrêteraient pas la répression de l’Etat chinois mais qu’elles affaibliraient et démobiliseraient plutôt la lutte de masse. Les sanctions contre la Russie sont incommensurablement plus puissantes, mais notre opposition n’est pas basée sur l’intensité des sanctions, mais plutôt sur la classe qui exerce ce pouvoir et les objectifs qu’elle vise à atteindre.
Une croissance du PIB de 5,5 % ?
Pendant que l’Ukraine brûle, la Chine risque d’enregistrer des pertes économiques massives, même si les acrobaties diplomatiques du PCC (soutenir la paix en paroles tout en protégeant Poutine dans les faits) parviennent à la protéger des sanctions américaines et occidentales. La Chine est le plus grand importateur de pétrole au monde, avec 70 % de ses importations de pétrole et 40 % de ses importations de gaz. Alors que le prix du pétrole a déjà augmenté de 60 % en 2021, il a augmenté de 11 % depuis que l’armée russe est entrée en Ukraine. L’augmentation de l’utilisation du charbon et la destruction encore plus rapide du climat en seront les conséquences.
Le ministre chinois de l’agriculture a averti en mars que la récolte de blé de cette année “pourrait être la pire de l’histoire” en raison des fortes pluies. Le pays devra augmenter ses importations d’environ 50 %, les prix mondiaux du blé ayant bondi de 50 % pour atteindre des sommets depuis l’invasion. À elles deux, la Russie et l’Ukraine représentent un quart des exportations mondiales de blé, mais les sanctions et la guerre ont coupé cet approvisionnement des marchés mondiaux. La flambée des prix alimentaires mondiaux menace de provoquer une famine de masse et des “émeutes de la faim” dans de nombreux pays en développement.
Mais c’est la menace de sanctions secondaires – être entraîné dans le réseau de sanctions dirigé par les États-Unis qui a été tissé autour de la Russie – qui pourrait potentiellement porter un coup sévère à l’économie chinoise à un moment où la croissance intérieure faiblit sérieusement. Lors de l’Assemblée nationale populaire du 5 mars, le gouvernement a annoncé un objectif de 5,5 % du PIB pour 2022, soit l’objectif le plus bas depuis près de trois décennies. La plupart des économistes doutent que cet objectif puisse être atteint. Le FMI et d’autres organismes prévoient une croissance de 4,8 % cette année, mais pour le gouvernement, adopter un chiffre inférieur à 5 % aurait été un aveu de défaite, avec des conséquences réelles.
Même sans les dangereuses ramifications économiques découlant de la guerre, l’économie chinoise était confrontée à de graves problèmes : l’effondrement au ralenti du secteur immobilier, la hausse du chômage, le coma des consommateurs et la perturbation des chaînes d’approvisionnement résultant des fermetures de villes imposées pour contrer la propagation d’Omicron. Le régime de Xi s’est engagé à poursuivre sa politique de “dynamique zéro Covid”, en dépit de l’échec de cette méthode à Hong Kong. Hong Kong compte désormais plus d’un million de personnes contaminées par le Covid. Le taux de mortalité par habitant y est le plus élevé de tous les pays touchés par la pandémie. La banque Morgan Stanley prévoit une croissance nulle au premier trimestre en raison d’Omicron. Le principal moteur de la croissance économique chinoise, le marché immobilier, se contracte depuis six mois (tant en termes de prix que de volumes de ventes), malgré un revirement du gouvernement qui a assoupli le contrôle du crédit, assoupli la politique monétaire et abandonné le projet de taxe foncière que Xi avait défendu.
Le PCC n’a pas prévu ni planifié la guerre de Poutine. Les raisons exactes pour lesquelles le régime de Xi a perdu si complètement le cap à un moment aussi crucial de la guerre froide sino-américaine en disent long sur les faiblesses et les contradictions internes du régime. Avec la première épidémie de Wuhan, la révolte de masse de Hong Kong en 2019, la guerre commerciale de Trump en 2018, Xi a été pris au dépourvu à chaque fois. À la lumière de ce qui s’est passé depuis, le communiqué conjoint de 5 000 mots du 4 février annonçant un partenariat stratégique “sans limites” amélioré avec la Russie – “plus qu’une alliance” selon les mots de Xi – est revenu le mordre. C’est le dirigeant chinois, et non Poutine, qui a pris l’initiative de ce nouvel accord, principalement pour renforcer son autorité sur la scène des Jeux olympiques d’hiver de Pékin, largement boudés ou boycottés par les dirigeants du monde entier (seuls 21 y ont participé, contre 68 en 2008). Pour Xi, dont l’objectif principal est d’étendre son pouvoir lors du 20e congrès qui se tiendra dans le courant de l’année, les Jeux olympiques sont l’équivalent d’un meeting électoral dans une démocratie bourgeoise – tout en feux d’artifice et en patriotisme.
“Comme deux frères”
“Il est significatif que les hauts dirigeants aient métaphorisé le partenariat stratégique des deux nations comme étant ‘dos à dos’ – ce qui signifie que les deux pays, comme deux frères, laissent l’un à l’autre le soin de défendre son dos…”, a commenté le Global Times, lié au PCC (13 février). Cette rhétorique n’a pas bien vieilli. Les diplomates chinois tentent désormais d’esquiver et de louvoyer pour éviter d’être frappés par des sanctions occidentales en tant que “complices” de Poutine. L’accord du 4 février n’apporte pas grand-chose de neuf – il s’agit d’une reformulation et d’une extension des accords énergétiques et technologiques existants entre les deux pays. L’objectif était surtout d’envoyer un message : un front commun contre les États-Unis. Mais alors que Poutine était sur le point de lancer la plus grande guerre européenne depuis 80 ans, la décision de Xi était spectaculairement inopportune.
Xi a fait le pari que son régime profiterait des tensions militaires en Europe, ce qui obligerait l’administration de Biden à se détourner de l’Indo-Pacifique et de la Chine. Comme Poutine, Xi a probablement calculé que les divisions entre l’impérialisme américain et l’UE, en particulier l’Allemagne, s’accentueraient. En outre, montrant que les deux dictateurs ne sont pas “frères” et que leur alliance est en fait une alliance de convenance tactique, Xi a vu des avantages dans la dépendance accrue de la Russie vis-à-vis de la Chine en tant que partenaire dominant, un renversement de situation par rapport à la guerre froide des années 1950, lorsque, en tant que dictature stalinienne, la Chine était très largement le partenaire junior de l’Union soviétique. Si la diplomatie agressive et les menaces de Poutine à l’encontre de l’Ukraine avaient réussi, ne rencontrant que des protestations de la part du capitalisme occidental (comme ce fut le cas avec la répression de Xi à Hong Kong), cela aurait stimulé les visées du PCC sur Taïwan.
Pour ces raisons, que Xi ait été pleinement conscient ou non des plans d’invasion de l’Ukraine, il a peut-être savouré une situation dans laquelle la Chine regardait Poutine créer des problèmes pour l’Occident. Toutefois, le 24 février, tous ces avantages supposés se sont transformés en inconvénients.
Xi risque de devenir le dirigeant chinois qui a “perdu l’Europe”. Les tentatives de diplomatie commerciale et d’éloge de la “souveraineté” de l’Europe pour séparer l’UE, et surtout l’Allemagne, fortement dépendante de l’économie chinoise, de la stratégie anti-chinoise de Biden, ont été une caractéristique clé de la diplomatie chinoise. Celle-ci a connu de sérieux revers l’année dernière (l’effondrement de l’Accord global sur les investissements entre l’Union européenne et la Chine, ACI), les sanctions contre le Xinjiang, la retraite d’Angela Merkel, l’”incident lituanien”), mais la guerre en Ukraine et la relation de la Chine avec Poutine pourraient devenir le clou final du cercueil. L’impérialisme américain y travaille bien sûr activement, avec beaucoup plus de succès dans l’ombre de la guerre.
Les divisions impérialistes
L’appel de Biden à Xi Jinping le 18 mars a été en partie mis en scène pour les oreilles européennes, les deux présidents adaptant leurs remarques à Bruxelles et surtout à Berlin. Biden a mis en garde contre les “conséquences” si la Chine fournit une aide militaire à la Russie ou l’aide à contourner les sanctions occidentales, affirmant disposer de rapports de renseignement à cet effet. Les États-Unis fixent donc effectivement une “ligne rouge” pour la Chine et augmentent la pression sur l’Europe pour qu’elle la soutienne. Les graves effets des sanctions en Russie rendent cette menace très réelle pour Pékin.
L’UE est déjà divisée sur le renforcement des sanctions contre la Russie. Un diplomate européen a déclaré au Times que trois camps se sont formés. Il y a les “sanctionnistes” purs et durs, comme la Pologne et les États baltes, qui sont les plus proches de la guerre et les plus exposés au risque d’escalade militaire. Ils sont favorables à des sanctions encore plus sévères, telles qu’une interdiction totale des exportations énergétiques russes. Il y a les “contras” de l’aile opposée, l’Allemagne soutenue par l’Italie, la Hongrie, la Grèce et la Bulgarie, qui résistent à des sanctions plus sévères. Et puis il y a les autres.
Ces divisions internes correspondent en grande partie aux divisions antérieures sur la Chine – la Hongrie d’Orban est dans le camp pro-chinois, tout comme l’Allemagne traditionnellement (la Chine a représenté 38 % des ventes des constructeurs automobiles allemands en 2021), tandis que sur l’aile opposée, la Lituanie s’est engagée dans une bataille “David contre Goliath” avec la Chine qui s’est transformée l’année dernière en une crise commerciale plus large de l’UE. La guerre en Ukraine a profondément entamé l’initiative “Belt and Road” de Xi (les « Nouvelles routes de la soie »). Comme pour les sanctions et les autres effets de la guerre, les dommages pourraient être permanents et durer longtemps après la fin de la guerre. L’Ukraine est un pays clé des Nouvelles routes de la soie, tout comme la Russie bien sûr. La Pologne, la Hongrie, la Roumanie et la Slovaquie sont des membres de cette initiative qui soutiennent l’Ukraine, tandis que le Belarus, membre des Nouvelles routes de la soie, est du côté de la Russie dans cette guerre. Quelle ironie que le PCC ait présenté cette initiative comme une force de “paix et de coopération”.
Cela va obliger Pékin à réévaluer en profondeur l’ensemble du projet, qui rencontrait déjà d’importants problèmes en raison de la crise de la dette croissante dans de nombreux pays partenaires. En Europe de l’Est, des milliards de dollars d’investissements chinois sont désormais en péril en raison de la guerre de Poutine, avec près de 3 milliards de dollars de projets de construction rien qu’en Ukraine. Le groupe 17+1 des pays d’Europe de l’Est, un forum pour les investissements chinois, pourrait également voler en éclats. La Lituanie a quitté le groupe l’année dernière, et les puissances occidentales dominantes au sein de l’UE ont toujours considéré le groupe 17+1 comme un empiètement chinois dans leur “arrière-cour”. Cela pourrait conduire à un retour en arrière plus puissant contre la Chine et à une pression sur les petites “pièces d’échecs” nationales pour qu’elles coupent leurs liens avec l’initiative des Nouvelles routes de la soie.
Taïwan et l’Ukraine
L’avenir de Taïwan est lié au conflit ukrainien, mais pas de la manière envisagée à l’origine par Xi Jinping. La diplomatie chinoise a toujours insisté sur le fait que l’Ukraine et Taïwan n’étaient “pas les mêmes”, se concentrant sur les questions de légalité et de “souveraineté”, qui, comme l’a démontré Poutine, ne sont en fin de compte pas une barrière contre un régime capitaliste affamé. Taïwan n’est pas un “pays” dit le PCC, tout en étant en désaccord avec Poutine sur le fait que l’Ukraine mérite cette distinction.
Notre attitude repose sur des considérations bien plus fondamentales : la conscience nationale (qui s’applique clairement tant en Ukraine qu’à Taïwan), les aspirations démocratiques, la peur d’un régime autoritaire et d’une agression militaire. Dans le système du capitalisme et de l’impérialisme, les masses des deux pays sont malheureusement piégées entre des puissances plus grandes dont les agendas excluent la réalisation d’une véritable paix ou d’une véritable démocratie.
Xi Jinping a peut-être cru que le conflit ukrainien renforcerait sa position dans le détroit de Taïwan en détournant les ressources militaires américaines vers l’Europe et en exerçant une pression accrue sur le Japon par le biais de son alliance avec la Russie. Il espérait peut-être qu’en cas de victoire rapide et convaincante de la Russie, l’Occident serait démasqué comme un tigre de papier. Cela ne s’est pas produit. C’est plutôt l’inverse qui se produit et la stratégie de Xi visant à la “réunification” avec Taïwan semble plus problématique que jamais. Cela ne signifie toutefois pas qu’une guerre contre Taïwan ou une attaque chinoise est exclue à long terme, comme certains l’imaginent à tort. Ces derniers comprennent le petit groupe qui a quitté ASI à Taïwan l’année dernière, qui considère aujourd’hui la menace d’une action militaire chinoise comme un “bluff” et, à partir de cette conclusion naïve, ne voient plus la nécessité de lier la lutte pour l’indépendance au socialisme.
La piètre exécution de l’invasion de Poutine à ce jour, et les lourdes pertes russes possibles, devraient servir d’avertissement aux partisans de la ligne dure de l’Armée populaire de libération (APL) : une attaque contre Taïwan pourrait mal tourner. L’armée russe est bien plus aguerrie que celle de la Chine, et une invasion terrestre en Ukraine est un projet plus simple qu’une attaque amphibie sur Taïwan, qui, selon les experts militaires, serait au moins aussi difficile que le débarquement de 1944 en Normandie. Xi Jinping ne se risquera pas à la guerre s’il n’est pas sûr de la victoire, car une défaite militaire pourrait sonner le glas de son régime. Mais Poutine était également confiant. C’est pourquoi la guerre en Ukraine va provoquer des doutes et une réévaluation stratégique majeure dans les cercles militaires chinois.
Si le plan de Poutine consiste à occuper l’Ukraine, un objectif qui semble de moins en moins réaliste aujourd’hui, les États-Unis et l’OTAN réagiront probablement en finançant une insurrection ukrainienne de droite. Cela pourrait, sur plusieurs années et au prix d’un coût humain dévastateur, réussir à affaiblir la détermination de Moscou, mais aussi tendre à couper et à faire dérailler une véritable lutte de masse. Ce scénario poserait également des questions gênantes aux faucons taïwanais du PCC. Même en supposant que l’APL puisse organiser une invasion réussie de Taïwan, le contrôle d’une île dont la grande majorité des 23 millions d’habitants ne veulent pas être gouvernés par Pékin conduirait à terme à l’épuisement et à la désintégration de la force d’occupation.
La croissance du nationalisme
La croissance du nationalisme des deux côtés du détroit de Taïwan rend la situation encore plus volatile. Les craintes accrues à Taïwan que l’agression de Poutine n’incite son “meilleur ami” Xi à attaquer l’île ont renforcé le soutien au gouvernement DDP de Tsai-Ing Wen et à sa doctrine de militarisation pro-américaine.
Un sondage d’opinion réalisé en mars par la Taiwan International Strategic Study Society a révélé que 70,2 % des Taïwanais sont “prêts à faire la guerre” pour défendre l’île contre la Chine, contre seulement 40,3 % dans un sondage réalisé en décembre. Comme d’autres gouvernements, le DDP utilise la crise pour fabriquer de l’”unité nationale” afin d’étouffer la lutte des classes, et pour faire pression en faveur d’accords commerciaux plus pro-capitalistes avec les États-Unis et le Japon en échange de leur “protection”. Tsai pousse également à l’augmentation des dépenses d’armement et à l’extension du service militaire obligatoire.
Du côté chinois, le nationalisme vociférant en ligne s’accompagne d’un culte de Poutine et d’un soutien à la Russie, ce qui a été cultivé par le PCC pendant des années, mais risque désormais de devenir incontrôlable. Sur les réseaux sociaux, les nationalistes, dont certains sont proches du fascisme, sont devenus si stridents et confiants que leur venin n’est plus seulement dirigé contre les homosexuels, les féministes, les “séparatistes” taïwanais et les Hongkongais, mais même contre d’anciens nationalistes de premier plan du PCC, comme ce fut le cas de l’ancien rédacteur en chef du Global Times, Hu Xijin, qui a quitté son poste l’année dernière. La gestion de ces pressions nationalistes devient de plus en plus compliquée pour Pékin, qui risque de perdre toute “marge de manœuvre” et la capacité de mener une politique étrangère plus pragmatique en cas de besoin.
Pour la classe ouvrière d’Asie, d’Europe et du monde entier, la guerre en Ukraine ouvre la porte à une période encore plus dangereuse et tumultueuse de désordre capitaliste. Pour mettre fin à cette guerre et aux guerres futures, la classe ouvrière doit régler ses comptes avec le capitalisme et l’impérialisme. Manifester et s’organiser contre la guerre est un bon début, mais ce n’est pas suffisant en soi. La situation exige plus que des appels et des pressions sur les gouvernements pour qu’ils changent leurs politiques. Elle exige que la classe ouvrière surmonte son manque d’organisation, son manque de voix, son manque de pouvoir. La tâche de reconstruire un puissant mouvement socialiste des travailleurs contre le capitalisme et le militarisme est plus urgente que jamais.
-
Nouvelle guerre froide & boycott des Jeux olympiques d’hiver de Pékin

Pourquoi le Comité international olympique (CIO) est-il si étroitement allié à la dictature chinoise ? C’est une question que de plus en plus de personnes se posent à la suite de la disparition de la joueuse de tennis Peng Shuai qui est à l’origine du débat mondial actuel concernant le boycott des Jeux olympiques en février.
Par des reporters d’ASI, Alternative Socialiste Internationale
La joueuse de tennis Peng Shuai a disparu depuis le 2 novembre, suite à sa publication en ligne accusant Zhang Gaoli, haut dirigeant du PCC (le parti soi-disant communiste), d’agression sexuelle. Ce message a été effacé en moins de 30 minutes. Depuis lors, Peng n’a pas été en mesure de contacter ses amis ou de répondre aux appels inquiets de groupes tels que la Women’s Tennis Association.
Le 21 novembre, le président du CIO, Thomas Bach, a annoncé qu’il avait parlé à Peng dans une interview vidéo et qu’elle allait “bien”. Ni la vidéo ni une transcription n’ont été publiées par le CIO. L’interview de Thomas Bach a été largement condamnée pour avoir été mise en scène en collaboration avec le régime chinois dans le but de désamorcer la crise internationale de légitimité qui entoure les Jeux olympiques d’hiver de Pékin, qui s’ouvriront le 4 février.
Le CIO n’a jamais eu de problème à collaborer avec des régimes de droite, racistes et autoritaires, de l’Allemagne nazie des années 1930 à la Corée du Sud sous régime militaire des années 1980. C’est également le cas en Chine aujourd’hui, où les syndicats et les grèves sont interdits et où la classe ouvrière se voit refuser le droit de s’organiser par une répression brutale. La répression policière du régime chinois au Xinjiang et à Hong Kong ont attiré l’attention du monde entier sur son rôle, mais ces exemples ne sont pas exceptionnels. Comme l’a signalé le site Web d’ASI consacré à la Chine, le Xinjiang est un terrain d’entraînement pour les techniques de répression de plus en plus utilisées dans toute la Chine.
Le CIO ne cesse de répéter qu’il faut « laisser la politique en dehors du sport », mais cette institution antidémocratique et corrompue suit un programme nettement politique visant à générer des superprofits pour ses sponsors capitalistes. Elle se moque totalement des préoccupations en matière de démocratie et de droits humains.
C’est dans ce contexte que s’inscrit le débat mondial actuel sur le boycott des Jeux olympiques en février prochain. Cette question est soulevée par des forces différentes et contradictoires. On trouve d’une part les appels au boycott lancés par des groupes de défense des droits humains et des militants impliqués dans la lutte contre la répression des musulmans ouïghours au Xinjiang et la destruction des droits démocratiques à Hong Kong. D’autre part, il y a les gouvernements capitalistes comme l’administration Biden aux Etats-Unis, dont les motivations pour un boycott ne sont pas du tout liées à la défense des droits démocratiques, mais servent plutôt ses intérêts impérialistes pour construire une coalition mondiale contre le capitalisme chinois et l’empêcher de défier ou de détrôner la puissance américaine.
Un boycott diplomatique
Joe Biden et plusieurs alliés des États-Unis ont maintenant lancé l’idée d’un « boycott diplomatique » des Jeux de Pékin. La plupart des observateurs se frottent les yeux à cette idée. Quel en est l’intérêt ? Comme l’a même fait remarquer un porte-parole du ministère chinois des affaires étrangères : « personne ne se soucie de la présence de vos diplomates ». Avec un geste aussi vide de sens, pourquoi pas un boycott musical (pas de chant) ou un boycott humoristique (pas de blagues) ?
À l’heure où nous écrivons ces lignes, les pays membres de l’alliance de renseignement “Five eyes” (États-Unis, Royaume-Uni, Australie, Canada et Nouvelle-Zélande) ont annoncé qu’ils rejoindraient ce “boycott diplomatique”. L’objectif de ce geste extrêmement limité est de permettre aux gouvernements concernés de prétendre qu’ils prennent position, tout en ne mettant pas en péril les énormes profits que les Jeux vont générer pour leurs propres multinationales et médias de masse. Ils ont également choisi cette stratégie pour éviter un retour de flamme en matière de relations publiques et le risque qu’une véritable campagne de boycott échoue en ne bénéficiant pas d’un soutien international significatif au niveau des gouvernements.
Compte tenu des preuves de plus en plus évidentes de l’horrible répression à l’encontre de la population locale majoritairement musulmane du Xinjiang ainsi que de l’offensive contre les syndicats, les partis d’opposition et la liberté de réunion à Hong Kong, nombreux sont celles et ceux qui comprendront les appels au boycott, c’est-à-dire non pas l’appel hypocrite à un boycott “diplomatique”, mais un retrait total du soutien aux Jeux.
Selon un sondage d’opinion publié dans le journal canadien Toronto Star, 56 % des Canadiens sont favorables à un boycott total. Cette opinion est clairement influencée par l’emprisonnement par la Chine des citoyens canadiens Michael Spavor et Michael Kovrig pendant près de trois ans en représailles à la détention (en résidence surveillée dans son propre manoir de Vancouver) de l’héritière de Huawei, Meng Wanzhou. Tous ont été libérés en septembre. Le sondage canadien révèle un mécontentement généralisé à l’égard du “boycott diplomatique” mené par Biden, considéré comme un geste vide et inadéquat. Un sondage américain réalisé par Morning Consult montre que 24% des sondés sont favorables à un boycott total et 31% à un boycott diplomatique tandis que seulement 12% s’opposent à un boycott.
La question reflète des courants contradictoires. Les gouvernements capitalistes occidentaux exploitent la question, tout en se méfiant des pertes économiques d’un véritable boycott, pour redorer leur blason “démocratique” dans le cadre de la nouvelle guerre froide visant à faire pression sur Pékin. Mais d’autre part, beaucoup de personnes ordinaires, tout particulièrement les victimes directes de la répression du PCC, soutiennent un boycott pour des raisons authentiques, en croyant que cela pourrait exercer une pression sur le régime chinois afin qu’il change ses méthodes. Malheureusement, ce point de vue sous-estime le type de pression et de lutte nécessaire pour y parvenir. Il est impossible de passer à côté de la solidarité active avec les travailleuses et travailleurs chinois pour les assister dans l’organisation de la lutte pour leurs droits.
Ce n’est pas non plus une coïncidence si les premiers gouvernements à s’engager dans un boycott diplomatique font partie des “Five Eyes”. Trois de ces pays – les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie – ont récemment formé l’alliance AUKUS, afin de fournir une capacité militaire à l’alliance de renseignement des “Five Eyes”. Bien que le gouvernement japonais envisage actuellement de soutenir le boycott diplomatique, d’autres gouvernements, notamment le français, s’y opposent. Cela reflète les tensions et les priorités divergentes des grandes puissances occidentales. Le gouvernement français panse encore ses plaies au sujet d’AUKUS, qui a coûté à Paris un contrat de 66 milliards de dollars pour des sous-marins. En regardant de plus près, on ne peut que constater que pour tous ces gouvernements, la “démocratie” et la “question du Xinjiang” ne sont qu’un paravent pour servir les intérêts des grandes puissances.
Aucun des gouvernements engagés dans le soi-disant boycott n’est lui-même innocent de la répression des minorités et de l’intervention militaire dans d’autres pays. Les crimes historiques contre la population indigène au Canada et en Australie, le traitement des réfugiés au Royaume-Uni et en Australie, le maintien de l’ordre raciste aux États-Unis ainsi que les guerres lancées par l’impérialisme occidental en Irak, en Syrie et ailleurs indiquent clairement que ces gouvernements violent les droits humains de façon répétée. Toute véritable campagne contre la répression de l’État chinois doit prendre soin de se tenir complètement à l’écart de ces gouvernements et de leur hypocrisie.
Le Comité international olympique s’oppose au boycott
Il n’est pas surprenant que le chef du CIO, Thomas Bach, s’oppose à tout boycott. Lors d’une réunion du comité exécutif du CIO, il a déclaré : “Si nous commencions à prendre des positions politiques dans un sens ou dans l’autre, nous n’amènerions jamais les 206 comités olympiques nationaux aux Jeux olympiques. (…) Ce serait la politisation des Jeux olympiques et cela, je le pense encore, pourrait être la fin des Jeux olympiques comme cela fut le cas pour les anciens Jeux olympiques.”
Sans entrer dans l’affirmation de Bach sur la politisation des Jeux antiques (des recherches récentes tendent à démontrer qu’ils ont probablement pris fin en raison de leur coût financier), toute l’histoire des Jeux olympiques modernes a été marquée par la politisation, qui plus est en faveur de régimes autoritaires de droite et des intérêts des grandes entreprises au détriment des travailleurs.
Ce fait est souligné par la politique adoptée par les présidents du CIO, parmi lesquels le baron de Coubertin (1896-1925), qui s’opposait aux sports féminins en les qualifiant de “peu pratiques, inintéressants, inesthétiques, et nous n’avons pas peur d’ajouter : incorrect” ; le comte de Baillet-Latour (1925-1942) qui s’est retrouvé aux côtés d’Adolf Hitler et de Rudolf Hess lors de l’ouverture des jeux de 1936 ; l’industriel suédois antisémite Sigfrid Edström (1942-52) qui a écrit que “aux États-Unis, le jour pourrait venir où il faudra arrêter les Juifs” ; Avery Brundage (1952-72), un antisémite qui admirait l’Allemagne hitlérienne et admirait l’autoritarisme de Staline même s’il pensait que “le communisme était un mal devant lequel tous les autres maux étaient insignifiants” ; et, bien sûr, Juan Samaranch (1980-2001), membre espagnol de la Phalange (fasciste) qui avait occupé de nombreux postes importants dans le gouvernement du dictateur Franco. Bach a été précédé par un autre aristocrate, Jacques Comte Rogge (2001-2013), qui avait conclu un accord secret avec le gouvernement chinois pour permettre la censure des reportages de la presse lors des JO de Pékin en 2008.
Compte tenu de la tradition misogyne et réactionnaire de ses prédécesseurs, il n’est pas surprenant que l’actuel président du CIO, Thomas Bach, semble être complice du PCC pour couvrir les accusations portées contre son ami Zhang Gaoli, que Peng Shuai a accusé d’agression sexuelle. Le groupe de défense des athlètes “Global athlete” a accusé le CIO de faire preuve d’une “odieuse indifférence à l’égard des violences sexuelles et du bien-être des athlètes féminines”.
Le CIO a beau affirmer que les Jeux ne sont pas “politisés”, il ne s’oppose pourtant pas à ce qu’ils soient utilisés par des régimes de droite autoritaires pour asseoir leur autorité… Il y a eu les tristement célèbres Jeux de Berlin en 1936. Ceux de 1968 au Mexique ont eu lieu quelques jours seulement après un massacre d’étudiants de gauche par l’armée mexicaine. L’un des chants des étudiants était : “¡No queremos olimpiadas, queremos revolución !” (Nous ne voulons pas des Jeux olympiques, nous voulons la révolution !). Deux athlètes américains, partisans du mouvement pour les droits civiques, Tommie Smith et John Carlos, ont été expulsés de ces Jeux après avoir fait le salut du “Black Power”. Le régime militaire de Corée du Sud s’est vu attribuer les jeux de 1988 en 1981, un an après avoir massacré plus de 2.000 manifestants pro-démocratie lors du “soulèvement de Gwangju” en 1980. Pour le régime, l’organisation des Jeux servait à redorer son image dans le monde.
Les Jeux de Moscou de 1980 suivaient directement l’invasion soviétique de l’Afghanistan. Malgré le boycott, la bureaucratie stalinienne les a utilisés pour renforcer son soutien dans le pays. Le fait que la campagne de boycott menée par les États-Unis en 1980 ne visait pas vraiment à protéger les droits du peuple afghan, mais plutôt à positionner la puissance américaine est clairement démontré par les actions américaines au cours des quatre décennies qui ont suivi, y compris le retrait chaotique d’Afghanistan de cette année qui a ouvert la voie au retour des talibans.
Les Jeux olympiques d’hiver de 2014 à Sotchi ont contribué à renforcer la position du régime russe réactionnaire et de plus en plus autoritaire. Le prestige du régime ayant été renforcé par ce qui était alors les Jeux les plus chers de tous les temps, deux jours avant la cérémonie de clôture, Poutine a donné l’ordre secret de lancer la prise de contrôle de la Crimée.
Les Jeux olympiques représentent le pire aspect du sport moderne
Le CIO présente le mouvement olympique comme un mouvement où chacun dispose d’une chance égale. Mais tout est corrompu par l’argent. La majorité des athlètes sont issus d’écoles d’élite. Environ un tiers des athlètes de l’équipe britannique de 2012, 2016 et 2021, par exemple, provenaient d’écoles privées, alors que 93 % des enfants britanniques fréquentent des écoles publiques. Les coupes budgétaires dans la fourniture d’installations sportives publiques et le recours croissant au sponsoring commercial aggravent encore cette situation.
Les sites des jeux sont en fait décidés par celles et ceux qui offrent les plus gros pots-de-vin. Les allégations de corruption au sommet du CIO ont fini par déboucher sur un scandale public après le choix de Salt Lake City pour les Jeux d’hiver de 2002. Malgré de nouvelles règles, d’autres allégations ont été formulées après que Londres a remporté la compétition en 2012. Les critères utilisés pour prendre les décisions ne sont pas liés à ce qui est le plus avantageux pour le développement du sport, mais à des considérations liées au monde des affaires, au sponsoring et aux droits de diffusion offerts par le vainqueur.
Une fois les sites sélectionnés, le recours au travail des enfants et à l’esclavage, souvent accompagné de la super-exploitation des migrants, a été signalé pour la construction des sites russes, anglais, brésiliens, japonais et chinois.
Les gouvernements prétendent que les Jeux sont bénéfiques à l’économie. L’expérience concrète démontre le contraire. Des personnes ont été chassées de chez elles pour faire place à des stades. Selon une estimation, 1,25 million de personnes ont été déplacées de chez elles pour les Jeux de Pékin en 2008, 720.000 pour l’événement de Séoul en 1988. Les retombées des Jeux d’Athènes et, plus récemment, des Jeux de Rio, comprennent des dettes énormes, des stades géants aujourd’hui inutilisés et une augmentation spectaculaire des inégalités. Comme l’a fait remarquer un commentateur après les Jeux de Rio : “l’inégalité a été exacerbée dans une ville déjà tristement célèbre pour son inégalité”.
Le sponsoring sportif
Les entreprises aussi prétendent qu’elles ne font pas de politique ! Coca-Cola a utilisé exactement cette excuse lorsque, malgré le boycott américain, elle a sponsorisé les Jeux de Moscou. Aujourd’hui, nous constatons la même situation avec les sponsors officiels des Jeux de Pékin.
Parmi ces sponsors, on trouve Alibaba qui, selon le New York Times, a développé et commercialisé un logiciel de reconnaissance faciale et de surveillance configuré pour détecter les visages ouïghours et ceux d’autres minorités ethniques en Chine. AirBnB a été accusé de coopérer avec des paramilitaires de l’État chinois impliqués dans la répression des Ouïghours.
Parmi ces entreprises figure Samsung, impliquée dans le recours au travail des enfants, le démantèlement de syndicats, la corruption, la prostitution et le soutien à des groupes d’extrême droite. Ensuite, il y a ATOS, fabricant de systèmes de “gestion des combats” et de systèmes de surveillance. Le parrainage des Jeux paralympiques par ATOS a particulièrement indigné les défenseurs des droits des personnes handicapées, car sa gestion du programme de “capacité de travail” du gouvernement britannique a privé des milliers de personnes d’allocations d’invalidité. Il n’est pas surprenant qu’aucune des sociétés qui parrainent les jeux d’hiver de Pékin ne soutienne l’appel au boycott. Elles perdront trop de bénéfices.
Les boycotts précédents ont-ils fonctionné ?
Les Jeux de Pékin de 2008 ont été précédés d’une répression brutale au Tibet. Pourtant, la « communauté internationale » n’a pas soutenu l’appel au boycott des Jeux, malgré la sympathie généralisée des gens ordinaires pour cette proposition. Le président Bush figurait parmi les dirigeants du monde qui ont accueilli ces Jeux, tout comme les dirigeants de l’Australie, de la France et du Japon, ce qui montre à quel point les relations mondiales ont changé. À cette époque, la dictature chinoise était accueillie partout dans le monde occidental avec des tapis rouges, tandis que les “droits humains” étaient un sujet tabou, le capitalisme occidental ne pouvant tout simplement pas signer suffisamment d’accords avec Pékin.
Dans les décennies qui ont suivi la révolution russe, les bolcheviks n’ont pas participé aux Jeux olympiques. Ils préféraient une culture physique coopérative plutôt que de participer à ce qui était une approche capitaliste et élitiste du sport. L’Union soviétique n’a commencé à participer qu’en 1952, après que la bureaucratie stalinienne se soit complètement consolidée. Les Jeux olympiques sont alors devenus une arène où se jouait la guerre froide. En 1936, une “Olympiade du peuple” alternative était prévue à Barcelone en guise de protestation contre les Jeux olympiques nazis de Berlin. Cette “Olympiade du peuple” n’a jamais eu lieu en raison du déclenchement de la guerre civile espagnole.
Le boycott des Jeux olympiques de Moscou en 1980 n’a pas eu pour effet de forcer l’Union soviétique à quitter l’Afghanistan, mais il a permis à la bureaucratie soviétique de présenter les Jeux comme une grande victoire, malgré le boycott, car les athlètes soviétiques avaient remporté un nombre record de médailles.
Avec la nouvelle période de néolibéralisme qui s’est ouverte dans les années 1980, les Jeux olympiques ont eux aussi été néolibéralisés – devenant encore plus commerciaux et élitistes.
Aujourd’hui, lorsque la question du boycott des jeux de Pékin est soulevée, nous adoptons une attitude compréhensive à l’égard de cette idée lorsqu’elle est soulevée par des travailleurs et des jeunes du monde entier qui cherchent sincèrement des moyens de protester contre la répression d’État en Chine. Mais nous mettons également en garde contre toute illusion à l’égard du CIO – qui devrait être la première cible de toute campagne de boycott – et nous mettons surtout en garde contre toute illusion à l’égard des gouvernements capitalistes qui exploitent cette question pour leurs propres intérêts. De même, lorsque différents groupes d’activistes soulèvent cette question, nous faisons la distinction entre les véritables campagnes indépendantes et celles qui sont financées ou sponsorisées par diverses autorités impliquées dans la nouvelle guerre froide.
Les boycotts peuvent-ils fonctionner ?
Un boycott international du régime raciste d’apartheid sud-africain a été lancé en 1959. Il impliquait le boycott d’événements sportifs et universitaires, avec le soutien des Nations unies et des gouvernements. Mais les grandes entreprises ont continué à commercer avec le pays. Ce qui a changé, c’est que la classe ouvrière sud-africaine s’est héroïquement soulevée et organisée. 1,5 million de personnes ont participé à la grève du 1er mai 1986, de nouveaux syndicats ont vu le jour et se sont unis pour former une force puissante, gagnant la solidarité des travailleurs d’autres pays. Cela a marqué le début de l’effondrement du régime d’apartheid.
Plus récemment, lorsque les grandes entreprises du football ont tenté de créer une “super ligue” européenne, un soulèvement des supporters a anéanti l’idée en quelques jours.
Que défendent les marxistes ?
Les socialistes condamnent la répression à grande échelle du régime chinois et soutiennent les droits démocratiques complets et immédiats qui ne peuvent être obtenus que par une lutte de masse, par la classe ouvrière et les pauvres.
Nous mettons en garde contre toute confiance dans les boycotts organisés par les gouvernements capitalistes et les institutions capitalistes qui sont utilisés pour tromper le public, soit par une posture théâtrale mais vide (“boycott diplomatique”), soit en cachant leurs intentions réelles qui sont de plus en plus liées à l’évolution de la guerre froide entre les Etats-Unis et la Chine.
Nous sommes opposés à la commercialisation du sport et à son utilisation pour promouvoir des régimes autoritaires de droite, comme nous le verrons à nouveau avec la Coupe du monde de football de l’année prochaine au Qatar. Les grandes entreprises devraient être chassées du sport et remplacées par une grande expansion des installations sportives publiques et des programmes fournis à toutes et tous sous le contrôle démocratique des athlètes et des fans.
L’unité de la classe ouvrière et la solidarité internationale liées à des politiques démocratiques et socialistes révolutionnaires sont la clé pour renverser les dictatures. Le capitalisme en tant que système mondial est une menace pour tous nos droits démocratiques et seul un mouvement ouvrier indépendant de tous les gouvernements et agences capitalistes peut le combattre avec succès.
-
Guerre froide USA-Chine : Deux géants capitalistes sur la sellette

L’augmentation des tensions commerciales, diplomatiques et même militaires entre les États-Unis et la Chine montre que nous sommes entrés dans un monde différent. Pour la première fois depuis la guerre froide contre l’ancienne Union soviétique, l’impérialisme américain se sent fondamentalement menacé par un puissant challenger. Contrairement à ce que certains pensent – y compris à gauche – le capital américain n’est pas à couteaux tirés avec la Chine « communiste », mais avec le capitalisme chinois dirigé par le parti « communiste » chinois.
Par Peter (Leuven)
Depuis les années 1980, la Chine est passée d’une économie bureaucratiquement planifiée à un pays majoritairement capitaliste. En 2020, la Chine comptait plus de nouveaux milliardaires en dollars que les États-Unis. La production privée à but lucratif est devenue dominante. Les marxistes parlent plutôt de capitalisme d’État, en raison de la plus grande interférence de l’État dans l’économie. Cette situation est différente de celle lors de la précédente guerre froide : l’Union soviétique avait un système social différent, à savoir une économie planifiée, bien que soumise à un régime bureaucratique.
Des tensions croissantes, également avec Biden
Les tensions accrues entre la Chine et les États-Unis ne sont pas simplement le fait de l’administration Trump. Celle-ci avait bien augmenté les taxes sur les produits chinois et fermé les consulats en Chine. Son administration parlait d’une lutte entre « la liberté et la tyrannie ». Mais il ne s’agissait que d’un nouvel exemple d’hypocrisie capitaliste, comme le démontre largement la coopération historique et actuelle de l’impérialisme américain avec les dictatures du monde entier, telles que l’Arabie saoudite.
Avec Joe Biden, le conflit avec la Chine capitaliste d’État se poursuit. Il s’agit d’une lutte fondamentale entre deux groupes de capitalistes qui se disputent l’hégémonie sur le monde. Le régime de Pékin était même plus favorable à Trump car il estimait que celui-ci serait plus enclin à conclure des accords. Le capitalisme chinois – avec le vernis trompeur du Parti « communiste » – est un rival de la bourgeoisie américaine, de ses multinationales et de son État en termes de technologie, d’intelligence artificielle, de réseaux 5G et de suprématie militaire.
La flotte chinoise compte aujourd’hui plus de navires que la flotte américaine. La Chine se dote également d’une plus grande capacité nucléaire : de la « dissuasion stratégique », selon les termes de Xi Jinping. Parallèlement à sa puissance économique croissante, la Chine affirme des revendications plus impérialistes sur les îles de la mer de Chine méridionale et sur sa frontière avec l’Inde. En septembre, les États-Unis, ainsi que l’Australie et le Royaume-Uni, ont créé AUKUS, une alliance qui fournira à l’Australie des sous-marins à propulsion nucléaire. Les États-Unis ont également livré des équipements militaires d’une valeur de 20 milliards de dollars à leur allié indien en 2020. Les impérialismes américain et chinois forgent mutuellement des alliances stratégiques, politiques et économiques dans la lutte pour le contrôle de la région.
Taïwan est à ce titre un facteur important. Après que le régime de Xi ait soumis Hong Kong à une loi sur la sécurité nationale qui l’aligne de plus en plus sur le régime autoritaire de la Chine continentale, l’attention se porte sur Taïwan. Officiellement, celle-ci fait partie de la Chine, mais une invasion entraînerait des tensions extrêmement dangereuses avec le Japon et les États-Unis. D’autre part, le régime chinois n’acceptera jamais un Taïwan « indépendant » pour des raisons stratégiques et de prestige.
Via l’initiative « Belt and Road », les nouvelles routes de la soie, le régime chinois a rendu les gouvernements d’Afrique, entre autres, dépendants des prêts chinois. Cela sécurise ainsi l’accès aux matières premières et aux nouveaux marchés en construisant des ports et des infrastructures. L’impérialisme chinois tente de se présenter comme une alternative au capital occidental.
Le régime chinois n’est pas « progressiste », que ce soit dans sa politique étrangère ou sur son territoire. Au cours des dernières décennies, il a de plus en plus affaibli son propre État-providence issu de l’ancienne économie planifiée. Il a créé un régime dictatorial sophistiqué et brutal grâce à des technologies de pointe et n’a aucun problème avec les attaques contre les féministes, les personnes LGBTQI+ ou même simplement des « hommes à l’apparence féminine » afin de détourner l’attention de la crise économique et sociale.
Les causes sociales des tensions militaires
Depuis les années 1970, le capitalisme occidental traverse une crise prolongée de surcapacité, de baisse du pouvoir d’achat, de bulles spéculatives, d’endettement croissant,… La Chine s’est profilée dans ce marché mondial comme l’usine la moins chère du monde et a lancé une bouée de sauvetage au capitalisme occidental. Les deux grandes économies sont devenues structurellement imbriquées et ont relié l’ensemble de l’économie mondiale dans une chaîne de production complexe. La fragilité de cette situation est apparue clairement l’an dernier : des usines se sont arrêtées, des livraisons n’ont pu être effectuées à cause des grains de sable dans les rouages de la machine. Tel un sombre nuage, le conflit actuel entre les États-Unis et la Chine menace l’ensemble de l’économie mondiale.
Une crise de la dette se développe également en Chine. La croissance économique a été maintenue par un flux ininterrompu d’argent frais dans les banques contrôlées par l’État. Parallèlement, le coût de l’éducation, des soins de santé et du logement est devenu si élevé que les familles ont reporté la naissance de leurs enfants. La dette des ménages chinois a augmenté de 4.600 milliards de dollars entre 2015 et 2019. Au cours de la prochaine décennie, le nombre de femmes âgées de 22 à 35 ans en Chine diminuera de 30 %. Même après la levée de l’interdiction d’avoir plus d’un enfant, le taux de natalité est en chute libre puisqu’élever un enfant revient trop cher et que les services sociaux ont été amoindris.
En outre, le secteur de l’immobilier est entré en eaux troubles avec la menace de faillite du géant de la construction Evergrande. Cette crise peut s’étendre au reste du secteur et menace l’ensemble de l’économie chinoise. Le régime craint des débordements sociaux massifs. C’est également la raison sous-jacente des attaques contre certains capitalistes et de la réglementation dans un certain nombre de secteurs.
Cette guerre froide oppose, d’une part, l’ancienne puissance impérialiste classique mais déclinante des États-Unis et, d’autre part, la nouvelle puissance mondiale émergente, la Chine, qui a été en mesure de construire sa position de force sur base d’une économie planifiée. Mais au cours des dernières décennies, sous le contrôle du PCC, cette économie a été transformée en une brutale machine de capitalisme d’État dictatoriale. Prendre parti dans ce conflit revient à choisir entre la peste ou le choléra. La classe ouvrière, ni en Chine, ni aux États-Unis et ni dans le monde entier, n’a aucun intérêt dans ce conflit.
Les mobilisations se développent contre la crise du logement
À Amsterdam, le 12 septembre, 15.000 personnes ont manifesté contre la pénurie de logements abordables dans le pays en conséquence de la spéculation et de la loi du marché.
Face à la réduction du nombre de logements sociaux, le marché a fait grimper les prix. Les propriétaires spéculent sur le logement et achètent des propriétés facilement commercialisables pour les revendre plus cher. Des loyers plus élevés font également augmenter la valeur de vente.
Un appartement dans une ville aux Pays-Bas peut facilement coûter 1.000 euros par mois. De nombreuses personnes consacrent plus de 40 % de leur revenu au logement. Après la manifestation réussie du 12 septembre à Amsterdam, une autre suivra le 17 octobre.
Cette lutte est payante, nous l’avons déjà vu en Suède. Un mouvement de protestation crescendo, dans lequel notre organisation sœur Rättvisepartiet Socialisterna a joué un rôle important, a conduit à la chute du gouvernement et au retrait de la décision de laisser les loyers au marché.
À Berlin, l’expropriation de grandes sociétés de logement privées telles que Deutsche Wonen, qui possède pas moins de 113.000 appartements à Berlin, fait l’objet d’une campagne depuis des années. En même temps que les élections parlementaires, un référendum a été organisé à ce sujet à Berlin, mais la nationalisation elle-même doit être effectuée par le prochain gouvernement.
La résistance contre la soif de profit de la mafia du béton et des propriétaires est nécessaire. Elle ne peut qu’être renforcée par la revendication d’un plan massif d’investissement public dans le logement social pour assurer des logements sociaux durables, de qualité et abordables en nombre suffisant pour faire baisser les prix de tous les loyers.
-
Le régime chinois face à un dilemme après l’effondrement d’Evergrande

Evergrande, la société immobilière chinoise, manque une échéance de paiement après l’autre. Si elle s’effondre, les conséquences pourraient être énormes pour l’économie chinoise, son régime autoritaire et le capitalisme mondial. Nous nous en avons discuté avec Vincent Kolo, de chinaworker.info.
Le nom d’Evergrande est soudainement apparu dans l’actualité. Qu’est-ce qu’Evergrande ? Comment cette société est-elle devenue si importante ?
VK : Evergrande est le deuxième plus grand promoteur immobilier de Chine. C’est une énorme entreprise à l’agonie qui se dirige vers la faillite. Evergrande a construit environ 12 millions de logements, soit l’équivalent de la moitié du parc immobilier total du Royaume-Uni.
Une partie de la crise en cours est due au fait que l’entreprise compte actuellement 1,6 million de logements inachevés. Beaucoup de promoteurs immobiliers en Chine utilisent un modèle commercial basé sur la prévente : les gens achètent leur nouvelle maison avant même que la première pelletée de terre n’ait été creusée. Aujourd’hui, ils paniquent car ils ont déjà payé, mais si l’entreprise s’effondre, ils n’obtiendront pas leurs nouvelles maisons.
La dette d’Evergrande s’élève à 300 milliards de dollars, ce qui équivaut, par exemple, à la dette nationale de l’Irlande. Fin septembre, elle a commencé à faire défaut sur ses dettes libellées en dollars sur le marché obligataire international. Mais elle n’a effectivement pas payé ses dettes en Chine depuis mars de cette année. Elle a payé ses créanciers, ses fournisseurs, les entreprises de construction avec lesquelles elle a passé des contrats, sous la forme de reconnaissances de dette d’une valeur totale de 100 milliards de dollars supplémentaires. Peut-être que pas mal de cela ne sera jamais payé.
La crainte est que l’entreprise se dirige vers l’effondrement. Si cela se produit et qu’il n’y a pas de sauvetage de la part du gouvernement chinois, cela pourrait déclencher un effondrement du secteur immobilier chinois. Cela pourrait ensuite se propager aux banques, qui sont très exposées au marché immobilier. Et il y aurait alors une crise financière en Chine avec toutes les ramifications économiques et politiques que cela implique.
Certains comparent Evergrande à Lehman Brothers : est-ce une bonne comparaison ?
VK : Je pense que l’on peut dire oui et non.
Il est clair qu’Evergrande n’est pas une banque d’investissement comme l’était Lehman Brothers. Le système financier chinois n’est pas le même que celui des États-Unis ou de l’Union européenne. Il est dominé par les banques, et les banques, dans la plupart des cas, appartiennent à l’État. Le système bancaire est protégé par le contrôle des changes, la monnaie n’est pas librement échangeable, elle est protégée par le contrôle des capitaux, ce qui signifie qu’ils ont une plus grande résistance aux turbulences financières que les capitalistes occidentaux.
Cela signifie-t-il que le système est à l’épreuve des balles, qu’il ne peut y avoir de crise financière en Chine ? La réponse à cette question est “non”, mais il est moins probable qu’une crise se déroule de la même manière que dans une économie capitaliste occidentale.
Lorsque les commentateurs pro-capitalistes disent “ce n’est pas un nouveau Lehman Brothers”, dans un sens, ils ont bien sûr raison. Mais tout d’abord, le risque d’une crise bancaire en Chine existe bel et bien, c’est pourquoi le régime de Xi a imposé des contrôles de capitaux d’une sévérité sans précédent, à la fois en interne et vers l’extérieur. L’interdiction des crypto-monnaies et la répression de l’année dernière à l’encontre de Ant Group [la société de fintech détenue par Alibaba de Jack Ma] en sont des exemples. Même les transactions entre provinces sont désormais plus difficiles.
Deuxièmement, Lehman Brothers n’a pas provoqué la grande récession de 2008-2009. Mais son effondrement a constitué un tournant, qui a accéléré de manière spectaculaire le cours des événements. La crise, dont les racines se trouvent dans la nature même du capitalisme, était déjà en cours. Si le gouvernement Bush était intervenu pour sauver Lehman Brothers, la crise n’aurait pas été évitée, elle aurait simplement pris une autre forme.
Evergrande est un symptôme de quelque chose de beaucoup plus grand.
Jusqu’en 2008, il semblait que les bulles immobilières aux États-Unis et en Chine avaient gonflé en parallèle, mais après 2008, la bulle américaine a éclaté, tandis que celle de la Chine a continué de croître.
VK : 2008 a constitué un tournant. Depuis lors, aucun des problèmes fondamentaux à l’origine de la crise mondiale n’a été résolu. La dette a explosé à l’échelle mondiale, avec deux bulles d’endettement sans précédent qui se sont développées aux deux pôles de la guerre froide. Aux États-Unis, le crédit bon marché et les taux d’intérêt nuls ont permis à la capitalisation des marchés boursiers de passer de 140 % du PIB avant 2008 à 200 % aujourd’hui.
Mais l’explosion la plus rapide de toutes les grandes économies a été celle de la Chine, où le marché boursier est un facteur secondaire. Ici, le marché immobilier a été décisif. La valeur marchande de l’ensemble des biens immobiliers des villes chinoises équivaut désormais à cinq fois le PIB du pays. À titre de comparaison, la valeur marchande de l’ensemble des biens immobiliers aux États-Unis en 2020 représentait environ deux fois le PIB. En Chine, la proportion est complètement hors normes.
La Chine, dont la population est environ quatre fois plus importante que celle des États-Unis, construit chaque année dix fois plus de maisons. Bien que cela puisse sembler une bonne chose, beaucoup de gens ordinaires n’ont pas les moyens de les acheter. Quatre des cinq villes aux logements les plus chers se trouvent en Chine. L’ensemble du marché du logement a été privatisé depuis 1998, il y a très peu de logements sociaux. Le taux d’accession à la propriété sur le marché immobilier est de 93 %, bien plus élevé qu’aux États-Unis et en Europe. Mais alors que de très nombreuses personnes n’ont pas les moyens d’acheter de nouvelles maisons, les riches, les fonctionnaires et les couches les plus aisées de la classe moyenne spéculent sur l’immobilier. Il en résulte un énorme problème de logements vides. En 2017, 20 % des logements urbains étaient vacants. Cela représente une utilisation incroyablement gaspilleuse et improductive du capital, et le régime estime qu’il doit intervenir pour stopper cette évolution.
L’autre facteur en Chine est que la population est ségréguée via le système du “hukou” (enregistrement du logement). Ce système divise la population entre ceux qui ont le droit de vivre dans les villes et ceux qui sont enregistrés pour vivre dans les zones rurales. Même si la Chine est aujourd’hui largement urbanisée, la majorité de la population est toujours considérée comme rurale. Les villes aussi sont classées par niveaux. Les villes les plus riches – Shanghai et Pékin – se trouvent dans le “Tier 1”. Les personnes possédant un hukou “rural” ne sont jamais autorisées à résider de façon permanente dans ces villes.
Evergrande se concentre davantage sur les villes les plus pauvres, celles que l’on appelle en Chine les “Tier 3” et “Tier 4”, qui ne sont généralement pas visitées par les journalistes du Financial Times ou du Washington Post. C’est là que vivent les gens de la classe ouvrière ordinaire et c’est là que la crise immobilière se fait le plus sentir. Cela s’explique en partie par le fait que des capitaux ont été investis dans le développement immobilier alors que la plupart des villes chinoises ne connaissent plus de croissance. Cette situation est liée à la crise démographique, un problème majeur pour la dictature chinoise, car la population diminue. Un chiffre qui replace toute la crise d’Evergrande dans son contexte est que les trois quarts des villes chinoises sont en train de rétrécir. Alors pourquoi construire de plus en plus d’énormes projets immobiliers ?
Comment analyser l’évolution de la crise du marché immobilier ?
VK : La bulle immobilière en Chine a atteint ses limites. Elle est en train d’éclater. La façon dont le processus va se dérouler n’est pas tout à fait claire, il pourrait y avoir différentes trajectoires. Mais ce que nous pouvons dire avec certitude, c’est qu’Evergrande marque un tournant.
Le marché immobilier a été crucial pour la croissance de l’économie, il représente 29 % du PIB en Chine. Aujourd’hui, il est probable que l’ensemble du secteur soit plongé dans la crise. Evergrande est la plus grande, la plus sensationnelle des entreprises en crise, mais il y a d’autres entreprises du secteur immobilier qui ne remboursent pas leurs dettes, qui sont surendettées et qui vont probablement s’effondrer au cours de la prochaine période. La crise est bien plus importante que celle d’Evergrande. Cela signifie que le marché immobilier ne peut plus être le principal moteur de croissance de l’économie chinoise.
La guerre froide entre les impérialismes américain et chinois intensifie la pression exercée sur le régime de Xi Jinping pour qu’il “modernise” l’économie. Mais l’environnement international est désormais complètement différent, la démondialisation faisant son œuvre. La Chine est contrôlée et bloquée, notamment par le capitalisme américain, dans de plus en plus de domaines. Le régime chinois a donc décidé de prendre le taureau par les cornes en s’attaquant à l’effet de levier excessif dans le secteur immobilier, qui représente une énorme ponction sur les ressources.
Xi Jinping essaye de sevrer l’économie de son gaspillage, de sa spéculation, de sa dépendance à l’égard du surinvestissement et du surendettement et, l’année dernière, il a imposé les “trois lignes rouges” au secteur immobilier. Seules les entreprises répondant à ces critères, à savoir le rapport entre le passif et l’actif, la dette nette et les fonds propres, et les liquidités et les emprunts à court terme, seraient autorisées à accéder au marché du crédit. Evergrande n’a pas respecté les trois lignes rouges et a donc été privé de capitaux provenant de sources normales et a opté pour une “économie de reconnaissance de dettes”. De plus en plus de promoteurs immobiliers font maintenant la même chose qu’Evergrande : ils vendent les maisons avant même qu’elles ne soient construites et utilisent l’argent pour rembourser leurs dettes.
La question est de savoir si, face à l’escalade de ce processus destructeur et douloureux, le gouvernement garde son sang-froid ou s’il abandonne sa ligne dure, de peur que la bulle immobilière ne devienne incontrôlable et ne fasse s’effondrer toute l’économie.
Les experts financiers s’inquiètent des effets de l’effondrement d’Evergrande sur les banquiers, les investisseurs et autres. Mais qu’en est-il des gens ordinaires ? L’effondrement affectera-t-il les personnes à la recherche d’un logement ? Qu’en est-il de ceux qui travaillent directement ou indirectement pour Evergrande ?
VK : La majorité des travailleurs en Chine, à l’exception peut-être de quelques personnes appartenant à l’aristocratie du travail, je suppose qu’on pourrait l’appeler ainsi, ont été exclus de ce processus, n’achetant pas ces maisons. L’effet que cela aura sur la classe ouvrière sera donc contradictoire. Si le marché de l’immobilier s’effondre, et que les prix commencent à chuter, cela pourrait être populaire parmi une partie de la population.
Mais pour ceux qui ont acheté des biens immobiliers, ce qui inclut certains cols blancs urbains, qui ont investi non seulement leurs propres économies mais aussi celles de leurs parents et de leurs proches pour acheter un endroit où vivre, l’effondrement des prix de l’immobilier serait une catastrophe. Ils seront confrontés à des fonds propres négatifs, comme cela s’est produit aux États-Unis, en Irlande, en Espagne et ailleurs après 2008. C’est un signal d’alarme pour le régime chinois car si cela commence à se produire dans tout le pays, vous avez les germes d’un mécontentement social massif.
Quant aux travailleurs d’Evergrande, il s’agit principalement du personnel de vente, des gestionnaires, des planificateurs et des comptables, mais pas des constructeurs. L’entreprise emploie environ 160.000 personnes effrayées de perdre leur emploi. Le travail de construction proprement dit est sous-traité à des entreprises qui emploient principalement des travailleurs migrants sous contrat temporaire, travaillant pour de bas salaires dans des conditions très brutales. Lorsque le travail est terminé, ils sont au chômage, puis vont ailleurs. Si Evergrande tombe, trois à quatre millions d’emplois sont menacés dans la construction et dans les chaînes d’approvisionnement de l’entreprise. Et avec une dizaine d’autres “Evergrande” plus petits menacés, les effets sur l’emploi et sur l’économie en général pourraient être graves.
Selon certaines informations, des manifestations ont déjà eu lieu en Chine à ce sujet. Sont-elles généralisées ?
VK : Il y a des protestations depuis plusieurs mois, avec beaucoup de gens qui réclament le remboursement de leur argent, surtout des ouvriers de la construction, parfois des patrons de la construction qui n’ont pas été payés, donc ne paient pas non plus leurs ouvriers. Plus de 80.000 employés d’Evergrande ont “prêté” de l’argent à l’entreprise – environ 15,5 milliards de dollars selon un responsable d’Evergrande – car les responsables ont escroqué la main-d’œuvre pour qu’elle achète des produits dits de gestion de patrimoine, en promettant des taux d’intérêt très attractifs pour aider l’entreprise à sortir de son marasme financier. Ces personnes ne sont pas des spéculateurs, dont on pourrait dire “ça les arrange”, mais souvent des gens désespérés qui veulent sauver leur emploi ou gagner un peu d’intérêt pour leur vie future. Il y a eu le cas d’une femme atteinte d’un cancer qui essayait de réunir des fonds pour son traitement.
Dans plusieurs villes, des personnes se sont rassemblées devant les bureaux des entreprises, très en colère, pour demander à être remboursées. La plupart sont des employés d’Evergrande. À ce stade, la colère n’est pas dirigée contre Xi Jinping, ni contre le PCC (le parti soi-disant communiste), mais contre Evergrande. Mais elle peut se transformer en une colère plus générale si le gouvernement n’intervient pas pour organiser une sorte de renflouement.
Alors comment pensez-vous que Xi Jinping va gérer cette crise ?
VK : Publiquement, le gouvernement ne dit rien. C’est incroyable. Les médias du monde entier parlent beaucoup d’Evergrande, mais vous ne lirez rien à ce sujet en Chine. Cependant, le gouvernement essaie d’utiliser cette crise pour faire pression sur les autres sociétés immobilières afin qu’elles réduisent leur endettement. Mais c’est une sorte de jeu de la poule mouillée : à quel moment vont-ils abandonner cette approche musclée s’il y a un risque d’effondrement de l’ensemble du secteur immobilier ?
Je pense qu’ils utiliseront un mélange de mesures. L’approche du PCC sera de nier officiellement qu’il sauve Evergrande, mais au niveau local et régional, il y aura différents types d’interventions et de renflouements de certaines entités pour éviter que cela n’aille trop loin et limiter les retombées sociales. Tout d’abord, pour ceux qui ont acheté les 1,6 million de propriétés inachevées et qui risquent de ne pas les obtenir, différentes entreprises d’État et gouvernements locaux interviendront pour achever la construction ou reprendre des actifs clés comme dans le cas du stade de football de Guangzhou [propriété d’Evergrande comme l’équipe, Guangzhou FC], afin que cela ne devienne pas une source de mécontentement social. Certains détenteurs nationaux de produits de gestion de patrimoine pourraient être partiellement indemnisés. Mais je pense que les spéculateurs internationaux seront laissés en plan. Ils n’obtiendront rien en retour.
À mon avis, Evergrande elle-même ne sera pas sauvée. Le plan consiste donc à utiliser cette situation pour donner une leçon aux autres, pour établir une discipline et un contrôle sur le secteur immobilier. Mais la question est de savoir s’ils y parviendront. C’est une entreprise très, très compliquée et dangereuse. Par sa nature même, vous ne pouvez pas contrôler une bulle. Il y a donc beaucoup de risques pour le régime chinois quant à la façon dont cela peut se dérouler.
Evergrande a été critiqué pour avoir suivi le “modèle mondial” du capitalisme chinois – une croissance fulgurante alimentée par la dette. Ce modèle est-il en train d’échouer ?
VK : Le “go global model” fait plutôt référence à des champions nationaux tels que Huawei, qui a été poussé à réussir sur le marché mondial, du moins jusqu’à ce qu’il soit bloqué par Trump puis Biden. Aujourd’hui, Huawei est une entreprise en détresse.
Evergrande n’a pas été particulièrement active sur les marchés internationaux, mais son modèle est très largement alimenté par la dette. Depuis de nombreuses années, la Chine se dirige vers un scénario à la japonaise. Une bulle immobilière remplie de dettes s’est effondrée en 1989. À l’époque, les biens immobiliers situés autour du palais impérial de Tokyo valaient plus que l’ensemble de l’État de Californie – c’est du moins ce que l’on disait souvent. Cette bulle a éclaté et le capitalisme japonais ne s’en est jamais vraiment remis. Il a souffert de plus de deux décennies de stagnation et l’année dernière, l’économie avait la même taille qu’en 1995. Cela pourrait maintenant être la perspective de l’économie chinoise.Bien sûr, ce ne sera pas exactement la même chose, mais ce sera beaucoup plus alarmant si cela se produit en Chine, car le Japon avait un coussin de protection sociale beaucoup plus solide que la Chine.
En raison du “hukou”, les populations rurales sont exclues du système d’allocations de chômage, tandis que seule une partie de la population urbaine bénéficie d’un certain niveau d’aide. La grande majorité de la population n’est absolument pas assurée. Ainsi, le type de crise qui s’est produit au Japon, ou dans le capitalisme occidental en 2008, ne se produira pas. Au contraire, toute crise dans le contexte chinois, avec des niveaux de vie si bas et l’absence de tout filet de sécurité sociale, sera plus prolongée, plus longue. C’est une perspective pour l’agitation révolutionnaire qui se développe en Chine.
Certaines personnes de gauche au niveau international affirment que le régime du PCC peut contrôler la crise grâce à son système supérieur de contrôle de l’État. Êtes-vous d’accord avec cela ?
VK : Le système fonctionne différemment mais il est toujours soumis aux lois économiques de la gravité. Le régime chinois a évité la crise qui a frappé le reste du monde en 2008 précisément en encourageant des entreprises comme Evergrande. Elles ont permis à d’énormes quantités de crédit d’affluer sur le marché immobilier, augmentant la demande de toutes les matières premières grâce au boom de la construction, et alimentant l’économie sur la base de la dette. De cette façon, la Chine a apparemment traversé la crise, entraînant avec elle des économies comme l’Australie. Mais elle y est parvenue en modifiant complètement son modèle de croissance.
Aujourd’hui, elle en paie le prix. Le fait que Xi Jinping se trouve dans cette situation et soit prêt à prendre ces risques montre à quel point la situation est désespérée. Les sections de la gauche qui ont des illusions sur le régime du PCC, et qui pensent qu’il peut éviter une crise, font une erreur fondamentale dans leur évaluation. La seule autre option dont dispose le PCC est de rouvrir le robinet du crédit et de gonfler encore plus la bulle, pour la faire éclater plus tard. Même avec ce capitalisme guidé, ils ne peuvent pas indéfiniment éviter une crise, les contradictions finiront par se refléter.
Quelle que soit la décision prise au sujet d’Evergrande, comment cela affectera-t-il la promesse déclarée du PCC de promouvoir la “prospérité commune” ?
VK : Le slogan clé du Parti communiste chinois, la “prospérité commune”, est un slogan vide qui n’a absolument rien à voir avec le socialisme. Si vous revenez 100 ans en arrière, “prospérité commune” était le slogan du Kuomintang de Sun Yat-sen. C’est vague, c’est vide. Mais le gouvernement peut sentir la pression explosive qui se développe dans la société à cause de l’écart de richesse, et le PCC en est responsable. Ses attaques contre le secteur capitaliste privé ne se traduiront pas d’elles-mêmes par une amélioration des salaires et des conditions de travail des travailleurs, surtout sous une dictature qui interdit les syndicats.
Il est étonnant que certaines sections de la gauche internationale pensent que le régime chinois est socialiste, que cet énorme secteur privé, spéculatif et capitaliste [le marché immobilier] qui représente 29 % du PIB s’est développé sans que le PCC n’en soit responsable d’une manière ou d’une autre.
Le propriétaire et président d’Evergrande, Xu Jiayin, est membre du Parti communiste depuis 35 ans, il est membre du Comité consultatif politique du peuple chinois (CCPPC), l’organe jumeau du soi-disant parlement – le Congrès national du peuple. En 2012, l’année où Xi Jinping a été nommé “leader suprême”, Xu Jiayin a assisté à une session de la CCPPC en portant une ceinture “Hermès” en or très chère. Cela a fait le tour des médias sociaux. Il a été deux fois l’homme le plus riche de Chine. Toute sa carrière professionnelle a été liée à l’élite du PCC.
De nombreux contrats d’Evergrande ont été financés par les gouvernements locaux, qui tirent la moitié de leurs revenus de la vente de terrains. La vente des terres les plus lucratives a procuré des revenus corrompus aux élites du PCC dans tout le pays. Ainsi, si la bulle éclate, les vagues se répercuteront sur l’ensemble des gouvernements locaux. Ils ressentent déjà les effets de la forte baisse des ventes de terrains.
Xu Jiayin lui-même ne sera certainement plus un milliardaire, il pourrait bien finir en prison à cause de ce qui est en train d’être révélé sur Evergrande. Ce que ses patrons ont fait est effrayant, ils ont construit un énorme système de Ponzi, basé sur la tromperie des gens pour que la fraude continue. Les régimes capitalistes autoritaires comme celui de Xi Jinping peuvent de temps en temps montrer l’exemple, poursuivre les hommes d’affaires et même les abattre, mais cela ne change pas la base capitaliste de l’économie.
Le secrétaire d’État américain Antony Blinken a appelé Pékin à “agir de manière responsable” dans ses relations avec Evergrande, probablement en raison d’informations selon lesquelles tout sauvetage par le gouvernement chinois privilégierait les intérêts nationaux par rapport à ceux des détenteurs d’obligations étrangers. Comment cela s’inscrit-il dans le cadre des tensions croissantes entre la Chine et les États-Unis ?
VK : Le problème d’Evergrande n’est pas seulement celui de la Chine. Si Evergrande marque un tournant, le début d’une crise généralisée dans le secteur immobilier chinois, cela aura des répercussions mondiales.
Blinken tente de faire pression sur le régime chinois pour qu’il préserve les intérêts des fonds spéculatifs et des spéculateurs de Wall Street, qui ont acheté ces obligations de pacotille. D’ailleurs, les banques occidentales, telles que la banque britannique HSBC et la banque suisse UBS, continuent d’acheter ces titres, même s’ils n’ont aucune valeur, parce qu’elles calculent qu’il pourrait encore y avoir un gain. Je pense que le régime chinois ne leur accordera que peu d’importance. Sa priorité est d’éviter les troubles intérieurs.
Mais c’est un problème pour les États-Unis. Il est intéressant de constater un certain changement de ton de la part de certains analystes internationaux pro-capitalistes. Depuis le début de la guerre froide actuelle, l’accent a été mis sur “la Chine devient trop puissante”, “la Chine est une menace parce qu’elle est si forte”. Aujourd’hui, on trouve de plus en plus d’articles affirmant que “la Chine est peut-être plus faible que nous le pensions”. La Chine peut être une menace non pas parce qu’elle “dépasse les États-Unis”, mais parce que son économie entre dans une crise grave. Cela affectera l’ensemble du capitalisme mondial.
Depuis la grande récession de 2008, la Chine a représenté environ 28 % de la croissance mondiale. Tout le monde sait que le charbon d’Australie, le fer du Brésil et les matières premières d’Afrique et d’Amérique latine ont été aspirés sur le marché chinois à des prix élevés précisément parce que des entreprises comme Evergrande construisaient toutes ces maisons. La part de la Chine dans les mises en chantier mondiales est actuellement de 32 %.
En 2020, Kenneth Rogoff, de Harvard, et Yuanchen Yang, de l’université de Tsinghua, ont affirmé qu’”une chute de 20 % de l’activité immobilière pourrait entraîner une baisse de 5 à 10 % du PIB, même sans l’amplification d’une crise bancaire, ni la prise en compte de l’importance de l’immobilier comme garantie”. Le scénario qu’ils esquissent n’est pas farfelu. En août de cette année, on a constaté une chute de 20 % en glissement annuel des ventes de logements. En septembre, elle est passée à 30 %. Si ce marché continue à s’effondrer de la sorte, cela se traduira par de graves problèmes non seulement pour la Chine, mais aussi pour l’ensemble de l’économie mondiale, sans oublier les craintes d’une forte baisse des prix des métaux.
En ce qui concerne les États-Unis, ils se sont préparés à cette guerre froide à long terme en partant du principe que la Chine les défie, mais ils pourraient être confrontés à un scénario différent consistant à limiter les dégâts causés par une Chine en crise profonde.
Comment les socialistes feraient-ils face à cette situation ?
VK : Quelle serait une véritable politique socialiste ? Le PCC n’est pas un parti socialiste mais un parti capitaliste et autoritaire de milliardaires comme Xu Jiayin, et d’ailleurs Xi Jinping lui-même et sa famille, qui sont également extrêmement riches. S’ils devaient mettre en œuvre des politiques socialistes, ils provoqueraient leur propre chute.
Les politiques socialistes impliqueraient la nationalisation des sociétés immobilières en Chine – certaines sont déjà détenues par l’État, d’autres, comme Evergrande, sont privées. Mais la nationalisation nécessite une planification démocratique par la main-d’œuvre, par les représentants des résidents et par les syndicats, qui n’existent pas en Chine. La propriété publique et la planification démocratique sont la clé.
Si un cinquième des appartements urbains sont vides, alors un gouvernement ouvrier les confisquerait, ne versant une compensation que dans les rares cas où un individu peut prouver qu’il souffre d’une réelle détresse financière. Cela signifierait que des millions d’unités de logement seraient instantanément disponibles pour le logement social, louées à des loyers bas plutôt que vendues, avec une réorganisation totale du marché du logement vers le logement social et locatif, loin du marché exclusif et coûteux des appartements à vendre.
Bien entendu, si le secteur immobilier est un élément crucial de l’économie chinoise, il ne serait pas possible de le planifier de manière isolée. Cela nécessiterait la transformation socialiste de l’économie au sens large, y compris du système financier. De cette manière, toutes les dettes pourront être annulées et les ressources utilisées pour répondre aux besoins des gens ordinaires.
Une mesure clé serait de se débarrasser du système du hukou. S’il était aboli demain, les gouvernements locaux chinois ne disposeraient pas de l’infrastructure sociale nécessaire pour y faire face. La majorité des cols bleus vivant dans les grandes villes ont des hukous ruraux. Comme ils ne peuvent pas posséder leur propre maison, il arrive souvent que deux ou trois familles vivent dans des pièces sordides et exiguës. Les administrations municipales n’ont pas les moyens de fournir les soins de santé, les indemnités de chômage et les pensions nécessaires. Pour abolir le hukou, il faut donc une révision complète et révolutionnaire de l’ensemble du système financier gouvernemental.
Toutes ces questions sont liées les unes aux autres. Il n’y a pas de syndicats en Chine, alors comment développer les mécanismes de planification, afin d’éviter tous les problèmes qui se posent actuellement. La seule façon d’y parvenir est de placer toutes les décisions économiques sous le contrôle démocratique de la classe ouvrière, ce qui implique l’auto-organisation des travailleurs dans des partis démocratiques, des organisations de travailleurs et, surtout, des syndicats. Tout cela nécessite une lutte révolutionnaire, en d’autres termes un programme révolutionnaire, pour des droits démocratiques complets et immédiats et le renversement de la dictature.