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Tag: Bruges
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Comment stopper les forces réactionnaires ?
De l’extrême-droite aux conservateurs populistes
La crise prolongée et sans issue du système capitaliste provoque une montée des formations et des idées d’extrême droite. Ceci n’est pas une coïncidence mais une conséquence logique d’une société qui précipite des millions de personnes dans la pauvreté et qui n’offre aucune perspective pour sortir de sa propre crise. Tant les milices fascistes d’Aube Dorée en Grèce que la montée des nationalistes et populistes réactionnaires de la N-VA en Belgique sont engendrées par les conséquences d’un système défaillant. Mais tous les éléments de la vague réactionnaire que nous voyons se former ne sont évidemment pas identiques. C’est pourquoi il est important de comprendre d’où proviennent ces formations réactionnaires, ce qu’elles représentent et comment elles peuvent être combattues.
par Jarmo (Anvers). Article paru dans l’édition de mars de Lutte Socialiste
Les conservateurs divisent pour régner
Actuellement, en Europe, on voit apparaître des idées conservatrices qui paraissent appartenir à un lointain passé. En Belgique, les nouvelles autorités de la ville d’Anvers ne laissent pas passer une semaine sans une nouvelle déclaration controversée. L’affaire autour des t-shirts arc-en-ciel, le fait que les sans-papiers séropositifs ne recevront plus d’inhibiteurs de sida à moins de signer une déclaration de retour volontaire, l’augmentation des frais d’inscription communaux de 17 à 250 euros pour les ressortissants extracommunautaires,… tout cela fait partie d’une même évolution. Il s’agit d’une aile conservatrice pure et dure qui lance des idées pour lesquelles elle pense avoir retrouvé un terrain fertile. Dans une période de crise économique, tout est fait pour faire payer la facture aux salariés et permettre aux vrais responsables de s’en tirer à bon compte. La responsabilité des fermetures des usines Ford à Genk et d’ArcelorMittal à Liège est mise sur le dos des travailleurs, qui coûtent trop chers, alors que les patrons insatiables qui sacrifient tout sur l’autel de la maximisation de leurs profits restent impunis.
De même, la crise grecque n’est due aux travailleurs grecs ‘‘paresseux‘‘ (lesquels travaillaient en moyenne davantage d’heures pour un salaire que la moyenne européenne, avant la crise, pour un salaire moindre) mais aux capitalistes grecs oisifs qui vendent le pays aux enchères et imposent une austérité meurtrière pour protéger leurs fortunes. Les partis traditionnels font vraiment tout pour éviter que les responsables ne soient pointés du doigt. Ils préfèrent attribuer les problèmes économiques aux masses d’Europe, lesquelles doivent en payer la facture.
Un tel climat politique est un terrain très fertile pour des forces conservatrices et réactionnaires. A la question ‘‘pourquoi notre niveau de vie se détériore à vue d’œil ?‘‘ ils ont une réponse facile : ce sont les immigrés, les chômeurs, les Wallons, les Grecs, les femmes, les LGBT,… qui nous prennent tous nos sous. La société est divisée en deux camps : celui des ‘‘gens qui travaillent beaucoup‘‘ et celui des ‘‘profiteurs‘‘. Ce n’est en fait qu’une méthode visant à dissimuler le véritable gouffre qui divise notre société : celui entre salariés et capital.
Du fait de l’absence d’une alternative de gauche, il est logique que le parti qui exprime ce raisonnement le plus clairement, qui n’est pas souillé par un passé politique pitoyable et bénéficie donc d’une image de chevalier blanc, soit le parti qui remporte les élections. En Belgique, la N-VA se nourrit du mécontentement éprouvé envers les partis traditionnels, tout comme le Vlaams Belang l’a fait avant elle. Mais la percée d’un nationalisme flamand moins grotesque que le néofascisme du Vlaams Belang ne signifie absolument pas que la lutte contre l’extrême droite est gagnée pour autant.
L’ambition politique la NVA est de chercher la confrontation ouverte avec le mouvement des travailleurs. La résistance sera d’envergure. Les mesures antisociales et répressives que le parti va mettre en place (l’austérité, la réduction des impôts, le maintien des intérêts notionnels, les sanctions administratives communales,…) risquent de rester en travers de la gorge d’une bonne partie de ses électeurs. Il est certain que le Vlaams Belang sera aux aguets. Le parti d’extrême-droite s’y prépare déjà en prenant une certaine distance avec son programme néolibéral d’antan pour retourner à une image plus ‘‘sociale‘‘ qui essaye de trouver la sympathie d’une couche de travailleurs qui en a marre de payer pour la crise.
Le danger des groupes extrémistes réactionnaires est également présent
Dans une telle situation il n’est pas étonnant que des groupes plus radicaux gagnent une confiance suffisante pour se montrer dans la rue. Le mois dernier, par exemple, un groupe néonazi a manifesté publiquement à Bruges contre la ‘‘violence de gauche‘‘. L’organisation étudiante nationaliste NSV trouve que le Vlaams Belang devrait ouvertement donner son soutien aux voyous grecs d’Aube Dorée. Bien que nous ne nous trouvions pas encore dans une situation similaire à celle de la Grèce, il est clair que la maladie que le capitalisme vit actuellement peut faire éclater les ulcères et les abcès les plus répugnants du système.
Par ailleurs, Aube Dorée doit son succès au fait qu’elle a su donner une réponse claire – bien que fausse – à la question de la responsabilité des problèmes économiques actuels : les immigrés et les étrangers. Cette réponse, couplée à une rhétorique anti-austérité (la formation ‘‘traditionnelle‘‘ d’extrême droite LAOS avait perdu son soutien électoral à cause de son rôle dans la mise en place de l’austérité) ont permis à Aube Dorée de réaliser une percée électorale.
Quand ils ne sont pas occupés à traquer les militants de gauche ou les immigrés dans la rue, ses membres organisent la distribution de nourriture aux pauvres et aux victimes de la crise. Mais ils en restent aux apparences et laisse bien tranquille le capitalisme grec. Chaque élu d’extrême-droit au Parlement a soutenu toutes les privatisations et on ne trouve nulle part d’appel au non-paiement de la dette du pays. Les perspectives d’Aube Dorée ne sont pas basées sur l’idée d’une confrontation avec les capitalistes grecs.
Le 7 mars, à Louvain, le NSV organise sa marche annuelle de la haine sous le thème : ‘‘En résistance contre l’Union Européenne soviétique.’’ Ces étudiants néofascistes essayent aussi de s’appuyer sur une partie croissante de la population qui est dégoûtée par l’austérité imposée aux travailleurs par l’Union Européenne. En faisant référence à l’UE comme étant un ‘soviet‘, le NSV clarifie son incompréhension de ce que signifie le socialisme.
L’Union Soviétique – laquelle était elle-même une caricature monstrueuse du socialisme – n’avait rien à voir avec l’Union Européenne sous sa forme actuelle. Le NSV dénonce uniquement ‘‘l’atteinte à la souveraineté des Etats membres‘‘ et non l’austérité sanguinaire que l’UE impose aux travailleurs dans les Etats membres. Après tout, ceci n’est pas exactement un thème susceptible d’éveiller l’indignation des néofascistes. Ce qui les intéresse plutôt, c’est de monter les travailleurs des divers Etats membres de l’UE les uns contre les autres, au bénéfice du capital. C’était d’ailleurs le programme réel du fascisme dans les années ’30, et cela reste le programme de ceux qui s’inspirent du fascisme aujourd’hui.
Une opposition de gauche est la meilleure réponse
Tant en Grèce qu’en Belgique – et n’importe où dans le monde où le populisme de droite ou l’extrême droite monte en puissance – la crise n’est pas l’unique responsable de la montée du conservatisme. L’absence de réponse claire de la gauche à la question de savoir qui doit payer pour la crise y est aussi pour quelque chose.
L’unique manière de combattre l’extrême droite est de lier cette lutte à la lutte contre le système qui produit ce genre de formations réactionnaires. C’est sur le terrain fertile du chômage et du manque de perspectives que le racisme, le sexisme, l’homophobie et toutes sortes d’autres idées ayant pour but de diviser la classe des travailleurs, peuvent prospérer comme une moisissure sur un corps pourri.
Les Etudiants de Gauche Actifs (EGA) et le PSL ont pour objectif de contribuer à la construction d’une alternative politique de gauche qui pointe du doigt les véritables responsables et propose un projet alternatif de société. Ce n’est que dans une société où règne un socialisme démocratique que les idées réactionnaires de tous poils pourront être jetées pour de bon dans la poubelle de l’histoire.
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De Rostock à Aube Dorée
La violence raciste est de retour, sans avoir jamais véritablement disparu
Vingt ans après les émeutes racistes de Rostock, en Allemagne, les images d’attaques physiques contre les immigrés et ceux qui n’ont pas la ‘‘bonne couleur’’ sont de retour. Le championnat d’Europe de foot ne restera pas dans les mémoires que pour le sport, mais également pour ces images de hooligans néonazis. En Grèce, le parti néonazi Aube Dorée a obtenu 6,9% des voix, ce qui a renforcé la confiance de ses militants, avec à la clé une augmentation de leurs faits de violence.
Article par Geert Cool
Rostock. Violence d’extrême droite et protestations de masse
En août, nous commémorerons le triste 20e anniversaire des émeutes racistes de Rostock, en ex-RDA. Du 22 au 26 août 1992, plusieurs centaines de militants d’extrême-droite avaient attaqué la ‘‘résidence des tournesols’’ où habitaient des demandeurs d’asile à coup de pierres et de cocktails Molotov. Tout ce temps durant, le voisinage et la police n’avaient pas réagi, ou à peine.
Début des années ’90, les néonazis ont pu compter sur un soutien croissant parmi la jeunesse qui, suite aux diverses mesures néolibérales, voyaient leur avenir s’assombrir terriblement. En ex-Allemagne de l’Est, la restauration du capitalisme signifiait qu’une infime élite s’enrichissait à grande vitesse tandis qu’une portion grandissante de la population était confrontée au chômage et à la misère. C’était un terrain fertile pour le développement du racisme et des partis d’extrême droite, qui ont pu électoralement croître et être plus actifs dans la rue.
Les évènements de Rostock ont choqué. Il s’agissait de la pire agression raciste connue en Allemagne depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Auparavant, c’est à peine s’il y avait des réactions suite aux actes de violence racistes, mais l’horreur de Rostock a tout changé. Des milliers de jeunes et de travailleurs sont descendus dans les rues pour participer à des mobilisations antiracistes. Dans toute l’Europe, les sections du Comité pour une Internationale Ouvrière ont réagi par une large campagne antiraciste qui s’est notamment exprimée par une manifestation internationale, à l’initiative de notre campagne antifasciste flamande Blokbuster, en octobre 1992. Environ 40.000 personnes ont participé à cette manifestation des ‘‘Jeunes contre le racisme en Europe’’ dans les rues de Bruxelles.
Dans le cadre de ces protestations antiracistes, nous avons constamment souligné la nécessité de se baser sur une mobilisation active contre l’extrême droite, sur le terrain, afin de ne pas lui laisser d’espace d’activité, tout en défendant un programme social capable de s’en prendre au terreau sur lequel ces idées nauséabondes se développent. Cette approche est résumée dans le slogan ‘‘des emplois, pas de racisme’’. Ces 20 dernières années, chaque grand rassemblement néonazi en Allemagne a eu à faire face à une riposte antifasciste active. D’autre part, le développement du parti de gauche ‘‘Die Linke’’ a rendu plus difficile aux partis d’extrême-droite de se construire en détournant la colère de la population contre la politique antisociale des partis traditionnels.
Le duo de la mobilisation et de l’alternative politique
Les dramatiques évènements de Rostock se sont déroulés au moment où l’ancien Vlaams Belang, le Vlaams Blok, connaissait sa percée électorale en Flandre. D’importants enseignements peuvent être tirés des débats et actions de cette époque.
Sur base de mobilisations de masse, il a été possible de stopper les pires excès de la violence raciste de l’extrême droite. En Belgique aussi il était nécessaire de se battre sur ce terrain. Ainsi, dans les années 1996-97, à Bruges, les antifascistes et d’autres ont dû faire face aux agressions physiques de l’extrême-droite. Les mobilisations de masse ont brisé leur confiance, car ils n’ont même pas pu trouver de soutien parmi les électeurs d’extrême-droite pour leur ligne politique violente.
La progression électorale de l’extrême-droite est instable. En Allemagne, plusieurs partis de la droite radicale ont en grande partie disparu de la scène politique en raison de l’existence de ‘‘Die Linke’’, vers où s’exprime l’opposition à la politique de l’establishment. Mais si la gauche échoue à livrer une opposition cohérente tout en défendant une alternative crédible face à la faillite du capitalisme, l’extrême-droite restera une menace.
Europe de l’Est : La violence n’a pas disparu
En Allemagne de l’Est, le nombre d’agression a diminué. Les statistiques officielles parlent de 750 cas de violence fasciste en Allemagne en 2010, soit 15% de moins qu’en 2009. C’est tout de même encore deux incidents par jour! Le terreau sur lequel la violence et le racisme peuvent se développer existe encore, tout comme c’est le cas en dans le reste de l’Europe de l’Est.
A l’occasion du championnat d’Europe de foot, les groupes de hooligans néonazis polonais et ukrainiens ont fait parler d’eux. Les joueurs de couleur ont été hués, ce qui n’est pas une surprise au vu d’images de précédents évènements durant lesquels ces hooligans effectuaient le salut nazi ou agressaient des immigrés. La violence néonazie frappe d’ailleurs également la communauté LGBT (Lesbiennes, Gays, Bisexuels et Transgenres). Dans cette région, il est quasiment impossible d’organiser une Gay Pride. En Russie, ‘‘promouvoir’’ l’homosexualité, c’est même s’exposer à des sanctions.
En raison de la mauvaise réputation des supporters polonais et ukrainien, certains ont défendu que le Championnat se déroule ailleurs. Faire l’Autruche ne fait pourtant jamais disparaître un problème. Ce championnat aurait pu être l’occasion d’un débat sur le racisme parmi les supporters. Dans ce débat, les arguments moralisateurs ne sont d’aucun secours : on ne combat pas le symptôme d’un système pourri en condamnant la pourriture avec de belles paroles. Une campagne antiraciste basée sur l’explication que le racisme sert avant tout l’élite pour diviser la population qu’elle exploite aurait trouvé un bon écho.
Avertissements de Grèce
La profonde crise qui a happé la Grèce a ouvert des possibilités au parti ‘‘Aube Dorée’’ qui, le 17 juin, a réalisé un score de 6,9% et obtenu 18 parlementaires (une perte de trois sièges comparativement aux élections de mai). Ce parti a vu son soutien quelque peu faiblir après le mois de mai en raison de déclarations abominables et suite à diverses agressions physiques. Le dirigeant du parti, Mihaloliakos Nikos, a nié l’existence de l’Holocauste face aux caméras tandis que son collègue le parlementaire Iliad Kasidiaris a frappé ses contradicteurs de gauche lors d’un débat télévisé. Au port de Patras, un groupe d’immigrés a été attaqué à coups de cocktails Molotov par Aube Dorée.
Malgré ces incidents, le soutient électoral d’Aube Dorée est resté relativement stable. Son noyau actif est en plein essors et dispose d’un grand soutien parmi la police malgré les menaces ouvertes à l’encontre des immigrés, des homosexuels et des militants de gauche. Juste avant les élections, le porte-parole d’Aube Dorée a déclaré : ‘‘Si Aube Dorée est au Parlement, nous allons nous en prendre aux hôpitaux et aux crèches pour foutre dehors les immigrés et leurs enfants afin de libérer la place pour les Grecs.’’ Ils ne remettent donc pas réellement en cause la logique d’austérité et préfèrent affronter les déficits budgétaires en privant les immigrés de leurs droits.
Ce danger doit être pris au sérieux. La large participation aux campagnes de Syriza ainsi que l’opposition active à la politique d’austérité doit être couplée à l’organisation de la défense du mouvement contre la violence d’extrême-droite. La gauche et les syndicalistes doivent constituer des comités antifascistes dans les quartiers et sur les lieux de travail afin de riposter contre la violence fasciste tout en participant à l’organisation de la lutte contre l’austérité.
Et chez nous, quel est le danger ?
L’extrême-droite est actuellement dans une position plus défensive en Belgique, très certainement dans le cas du Vlaams Belang, mais le rapide retour du Front National sur le devant de la scène en France illustre que cela peut n’être que temporaire. Et tout progrès de l’extrême-droite aux élections renforce inévitablement, dans le pays-même et ailleurs, la confiance des néo-fascistes qui veulent aller plus loin pour imposer leur vision par la violence. Le groupuscule néonazi francophone Nation ne l’a pas caché dans son article consacré au succès d’Aube Dorée et intitulé ‘‘La radicalité, ça paie !’’
Si la colère contre les politiciens et leur politique antisociale ne s’exprime pas par une résistance active avec manifestations, campagnes de terrain, grèves,… ainsi qu’avec le développement d’un prolongement politique large et démocratique, alors la frustration peut être instrumentalisée par l’extrême-droite. L’austérité, c’est encore moins d’emplois, de logements sociaux, de services publics,… Répondre à cette situation signifie de lutter ensemble, que l’on soit ou non d’origine immigrée, pour arracher les moyens nécessaires des mains de l’establishment capitaliste.
C’est pourquoi nos campagnes antiracistes ne se limitent pas au rejet du racisme. L’infime minorité capitaliste à la tête de la société a besoin de diviser la majorité qu’elle exploite sur base de racisme, de sexisme, d’homophobie,… au besoin par la violence. Il nous faut une alternative au capitalisme, ce qui selon nous ne peut être que le socialisme démocratique, une économie où la satisfaction des besoins de tous seront centraux et non la soif de profits d’une élite de parasites.
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Remettre la gauche à l’ordre du jour
Ce samedi 29 octobre se déroulera à Gand, au Vooruit, la seconde Journée du socialisme, un événement organisé par la Table Ronde des Socialistes. Nous avons interrogé Bart Vandersteene, membre depuis la création de la direction nationale de la Table ronde, et également porte-parole du PSL.
LS : La première Journée du socialisme (le 20 mars 2010) a été un immense succès ; l’amphithéâtre du Vooruit était rempli à craquer. À cette date s’étaient réunis 750 socialistes pour discuter ensemble d’une interprétation neuve et actuelle du socialisme. Que pouvons-nous attendre de cette deuxième édition ?
Bart : « En termes de nombre de participants, nous ne pouvons pas mieux faire. L’an passé nous avons déjà atteint la capacité maximum. Il semble bien que cette année on sera forcé d’afficher “Complet” à l’entrée. Mais le plus important reste bien évidemment les aspects de contenu politique. L’objectif est de laisser plus d’espace aux discussions entre les orateurs et le public au sein des groupes de travail.
« D’un autre côté, le programme des sessions plénières va aussi montrer que, depuis la première Journée du socialisme, le monde n’est pas resté immobile. La crise du capitalisme s’est approfondie, les plans d’austérité sont, partout dans le monde, reçus par des protestations, et même le terme de “révolution” n’est plus un gros mot depuis que les masses en Tunisie et en Égypte ont “dégagé” leurs dictateurs respectifs. Une question importante est de savoir combien de temps la Belgique pourra encore rester une exception de calme relatif au milieu de cette tempête. »
LS : L’an passé, le bourgmestre de Gand, Daniel Termont, a pu ouvrir la journée. Cela n’a pas enthousiasmé tout le monde…
Bart : « Non, je n’en étais pas non plus partisan, mais une majorité du groupe de direction a trouvé que cette tactique était une bonne idée, pour le laisser parler en tant que bourgmestre de la ville où se déroulait la journée. Il y a adopté un discours comparativement radical, qu’il a bien vite jeté à la poubelle juste après. Il y a une gigantesque contradiction entre le discours d’un Termont lors d’une telle journée, et la pratique du SP.a qui se situe complètement dans la logique libérale et communautaire.
« En plus de cela, il était problématique que Termont soit le seul orateur en session plénière à être membre d’un parti politique. De ce fait il a pu dire tout ce qu’il voulait sans que quelqu’un puisse le contredire. C’était également un choix tactique : le groupe de direction ne voulait pas d’orateurs du PTB ou du PSL sur le podium, afin d’éviter que l’initiative ne soit perçue comme un énième bazar de la gauche radicale. »
LS : De quoi auront l’air les sessions plénières cette année ?
Bart : « On aura quelques personnalités syndicales, de même que des orateurs de la Table Ronde elle-même, dont Peter Mertens du PTB, et moi-même au nom du PSL. Il est clair que l’intention, en comparaison avec l’an passé, est de renforcer le contenu idéologique. C’est au final le défi de la journée toute entière : comment traduisons-nous les idées socialistes de sorte que de plus en plus de gens en voient l’intérêt ? Comment pouvons-nous convaincre les travailleurs et les jeunes qui vont entrer en action pour défendre leur niveau de vie qu’une alternative est possible à la logique capitaliste ? C’est ce défi que doivent relever tous les socialistes aujourd’hui. Le slogan de la journée n’a d’ailleurs pas été choisi par hasard: “Lutte, solidarité, socialisme”.
LS : Tu représentes aussi le PSL à bord du comité de direction national de Rood! (Rouge!). Comment ça se passe de ce côté-là ?
Bart : « L’annonce du départ du SP.a d’Erik De Bruyn et de la formation de Rood! comme initiative indépendante a été bien perçue auprès des socialistes, militants et syndicalistes. Mais c’est maintenant qu’arrive l’étape la plus difficile, celle d’organiser en une structure, en un mouvement politique, le grand potentiel qui existe sur le court terme. Et à ce moment-là, nous constatons que Rood! part d’une base relativement faible. SP.a-Rood avait un porte-parole connu, mais était faible sur le plan de l’organisation. Quoi qu’il en soit, nous attendons avec impatience les meetings de présentation prévus en septembre et en octobre, entre autres à Alost, Bruges et Louvain. À Gand, il y avait 80 personnes présentes lors de la première soirée de présentation. »
LS : Quel rôle va jouer le PSL dans Rood! ?
Bart : « Nous collaborons à Rood! parce que nous sommes convaincus qu’il existe un grand espace pour un parti de gauche large qui aille à l’encontre de la logique actuelle de soi-disant libre marché, ou plutôt de dictature du capital. Avec le PSL, nous avons un programme et une méthode clairement définis qui sont selon nous nécessaires pour parvenir à une société socialiste. Mais il y a une couche plus large qui, bien que pas entièrement d’accord avec nous, désire s’unir avec d’autres en un seul mouvement politique dans lequel différentes idées et courants peuvent être présents. Le PSL veut jouer un rôle et désire humblement mettre son expérience politique et sa capacité d’organisation à disposition de Rood! pour contribuer à la construction d’une organisation énergique. »
Site de Rood! : www.roodlinks.be Site de la Journée du socialisme : www.dagvanhetsocialisme.be
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C’était il y a tout juste 50 ans : le 4 janvier 1961 : Le poison du fédéralisme
Le pays reste toujours paralysé par la grève générale, de nouvelles manifestations ont lieu à Bruxelles. Les gendarmes, en nombre, chargent les grévistes sabre au clair et un gréviste est grièvement blessé. Un important dispositif de gendarmes est venu en renfort pour garder la zone neutre et le Parlement.
Cet article, ainsi que les autres rapports quotidiens sur la ”Grève du Siècle”, sont basés sur le livre de Gustave Dache ”La grève générale insurrectionnelle et révolutionnaire de l’hiver 60-61”
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– – Rubrique "60-61" de ce site
– 21 décembre
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Malgré les nombreuses mesures de répression de la gendarmerie, la lutte n’a pas pu être arrêtée, et elle se poursuit. La lutte des grévistes contre le gouvernement et l’Etat bourgeois a pour effet de galvaniser la volonté de la classe ouvrière dans son ensemble. Depuis le 20 décembre 1960, la grève générale n’a pas cessé de prendre de l’ampleur dans tout le pays. En Flandre, les débrayages se multiplient de jour en jour. Cette extension de la grève en Flandre est toujours accompagnée de manifestations de plus en plus nombreuses.
Les luttes se développent et on constate une accentuation du caractère aigu de la grève générale partout dans le pays. Progressivement, le conflit prend la tournure d’un mouvement insurrectionnel. Les grévistes sont de plus en plus nombreux à participer aux différentes manifestations, la grève générale est toujours efficace, le potentiel économique du pays est toujours paralysé après 16 jours de grève.
Dans une grève générale d’une telle ampleur, il y a toujours des variations sur le front des mouvements de la lutte, mais le plus important à mettre en évidence, c’est que la volonté de la grande majorité des grévistes à poursuivre le combat reste intacte ; ils attendent avec maintenant beaucoup plus d’impatience que les directions ouvrières décrètent les mots d’ordre qu’ils réclament. Pendant ce temps, les députés du PSB restent cantonnés au sein du Parlement.
Le Comité de Coordination des régionales Wallonnes de la FGTB réuni ce 4 janvier 1961, toujours sous la présidence d’André Renard, publie une résolution dont voici un extrait : (Le Comité) «S’indigne du comportement des soi disant forces de l’ ordre, qui se transforment en forces provocatrices dans certaines régions de Wallonie, qui se livrent à des excès que réprouve l’ ensemble de la population ; Souligne le caractère sérieux et de froide détermination qui animait tous les participants ; Félicite les travailleurs qui ; tant à Bruxelles qu’ en pays flamand, sont, eux aussi, descendus dans la rue pour clamer, comme les travailleurs de Wallonie, leur opposition irréductible à la loi unique, objectif unique de l’action engagée.»
On peut constater que le ton a changé au sein du comité de la FGTB wallonne, c’est ce qui a fait dire à « La Cité » du 3 janvier «que la position d’André Renard au sein des fédérations Wallonnes tendrait à s’affaiblir, et que le comité de Coordination des régionales wallonnes aurait perdu de sa cohésion.» C’est l’introduction de la revendication du fédéralisme qui pose problème.
Quinze mille manifestants occupent pendant tout l’après-midi le centre de Bruxelles. Georges Debunne, secrétaire national de la CGSP, veut prendre la parole du balcon du local socialiste pour inviter les manifestants à se disperser. La Cité rapporte que : «des huées et des cris viennent l’interrompre, les manifestants réclament la “Marche sur Bruxelles”, “Au Parlement”, “De l’action aujourd’hui”». Quand Debunne redemande aux manifestants de se disperser, ce sont de nouvelles huées. Il insiste, on l’entend péniblement déclarer que les manifestants ne doivent pas donner l’impression qu’ils ne s’entendent pas avec leurs dirigeants, et leur fixe rendez-vous à demain 10h00 à la maison du Peuple. Cela suscite de nouvelles huées.
Une colonne de manifestants de la Jeune Garde Socialiste et d’étudiants continue seule et marche sur la Sabena, attaquant les autobus qui roulent encore et en chantant l’Internationale. A l’issue de la dislocation de la manifestation, c’est un groupe de quelques deux cents jeunes qui se regroupe et tente de gagner la zone neutre. Sur leur passage ils lapident un tram qui roulait malgré les consignes de grève, les vitres de la Sabena sont à nouveau brisées. Aux abords de la zone neutre, de violents heurts éclatent avec les gendarmes, nombreux à défendre la zone. Plusieurs arrestations sont opérées. Le gouvernement a pris des mesures de sécurité supplémentaires. Des renforts de gendarmerie ont pris position, toutes les grilles sont fermées. Le lendemain, le journal lié au PSB Le Peuple condamne sévèrement «le déchaînement d’une bande d’écervelés, de blousons noirs, qui par leur action après la manifestation, ont fait régner « pendant une demi-heure une atmosphère d’émeute.» Les dirigeants réformistes du PSB se désolidarisent donc publiquement de l’action des jeunes !
La fédération bruxelloise des Jeunes Gardes Socialistes publie une mise au point qui donne une idée du fossé existant entre les grévistes de la base et les dirigeants socialistes. En voici le texte : «Depuis quelques jours, on assiste à un lâchage systématique de certains actes commis par les grévistes manifestants à Bruxelles. Ce sont les journaux ouvriers qui dénoncent : «Actions de blousons noirs et de gamins». Ces gamins sont au même titre que les autres des travailleurs en grève. Il leur a souvent fallu plus de courage que leurs aînés pour participer à celle-ci. Hier les jeunesses communistes, aujourd’hui les étudiants socialistes et communistes dénoncent également les «irresponsables» Où sont les irresponsables ? Ce ne sont pas nécessairement ceux qui cassent des vitrines, arrêtent des autobus ; ceux-là sont généralement des grévistes excédés de tourner en rond depuis plus de dix jours, qui cherchent désespérément d’autres formes d’action. Mais ceux qui, les jours passés, clamaient « au Parlement » et qui criaient à la provocation sont des irresponsables… La Jeune Garde Socialiste, en tant qu’organisation ouvrière – bien que n’ayant pas donné de consignes de violence – se refuse à assimiler à des provocateurs ou à des gamins les centaines de jeunes grévistes qui sont passés à l’action directe. Ces actes de violence sont l’expression du désir des jeunes ouvriers de briser un régime qui leur refuse toute perspective d’avenir.»
Quelle va maintenant être l’attitude des dirigeants qui prétendent se battre sur des positions de classe, coincés qu’ils sont entre le marteau de l’avant-garde ouvrière qui commence à s’organiser dans l’action, et l’enclume des directions traditionnelles enlisées dans la discussion parlementaire et les marchandages de sommet ?
Pour la tendance Renard de la FGTB, qui s’est toujours piquée de diriger l’avant-garde, il est urgent de trouver une solution qui préserve cette apparence, tout en évitant à ses dirigeants de prendre vraiment la tête d’une offensive révolutionnaire contre la bourgeoisie. Cette solution, André Renard et ses amis croient l’avoir trouvée avec le nouvel objectif du fédéralisme wallon. Abandonnant délibérément le terrain de la lutte de classe, sur lequel, c’était imminent, les ouvriers révolutionnaires allaient les obliger à passer à l’attaque, les dirigeants syndicalistes de la FGTB wallonne effectuent un repli en règle. Ils tentent désormais de canaliser l’action vers les objectifs plus sentimentaux et plus passionnels de l’autonomie wallonne, ce qui n’a plus rien à voir avec les objectifs révolutionnaires que la classe ouvrière s’était fixée dès le début de la grève générale.
Le but de l’opération «fédéralisme» lancé par André Renard n’en est pas moins de donner le change à la classe ouvrière, frustrée par ses dirigeants quant aux objectifs de sa grève générale. Il s’agit de faire diversion, dans la phase la plus critique de la guerre de classe dans laquelle se débat le prolétariat belge. Dans la région flamande, la grève est moins ample qu’ailleurs, et aussi plus difficile, nous l’avons déjà dit. Le patronat, le gouvernement et les forces de répression exercent une pression plus forte sur les militants ouvriers. Dans ces circonstances, la revendication du fédéralisme des dirigeants syndicaux de la FGTB wallonne ne peut que précipiter la retraite des travailleurs flamands.
Mais au moment où André Renard lance sa campagne pour l’autonomie wallonne, il y a encore des dizaines de milliers de travailleurs flamands en grève ; non seulement dans les grandes cités ouvrières flamandes de Gand et d’Anvers, mais aussi dans les petites villes comme Bruges, Courtrai, Denaix, Alost, Furnes, Menin, où les grévistes mènent un combat plus héroïque encore, car plus difficile. Dans ces conditions, les responsables wallons de la FGTB, parfaitement au courant de cette situation, se doivent d’aider leurs camarades flamands à poursuivre la lutte, en envoyant des délégations de grévistes aux manifestations et avec prise de parole dans leurs meetings. Mais ce n’est évidemment pas le but des bureaucrates syndicaux de la FGTB wallonne. Bien que les travailleurs flamands de la base réclament la venue d’André Renard, celui-ci ne daigne pas se déplacer, soit disant par respect pour les sommets de l’appareil réformiste de la FGTB flamande.
On ne saurait donc être trop sévère pour la campagne pour le fédéralisme du mouvement Renardiste, une vulgaire manœuvre de division, un coup de poignard dans le dos des travailleurs flamands.
Chez ces derniers, la colère est grande. De surcroît, ils subissent la pression idéologique de la bourgeoisie flamande sur le thème national, pression qui se fait plus lourde au fur et à mesure que la propagande «wallingante» s’accentue. L’amertume et la colère sont grandes chez les militants ouvriers qui ne désarment pas pour autant. D’ailleurs, la presse ouvrière flamande titre que : «Les travailleurs flamands préfèrent se soumettre à une Wallonie rouge qu’à une Flandre noire.» On ne répètera jamais assez que c’est l’extraordinaire instinct de classe des travailleurs wallons qui a empêché les bureaucrates de détourner le mouvement vers la régionalisation dès le début, malgré les tentatives de l’appareil qui créait, dès le 23 décembre 1960, le « Comité de Coordination des Régionales wallonnes de la FGTB ». De même, on ne dira jamais assez non plus que l’abandon de la lutte à l’échelle nationale, préméditée par André Renard, ainsi que l’introduction de la revendication du fédéralisme ont été fatals au succès du mouvement de grève générale.
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C’était il y a tout juste 50 ans: le 3 janvier 1961, André Renard se prononce contre la Marche sur Bruxelles
Le journal de Charleroi titre ce 3 janvier 1961 : «La grève s’ est encore étendue dans certaines régions flamandes.» C’est un démenti concret face aux idées fédéralistes de Renard et du PSB. Ce mardi 3 janvier, la Chambre reprend ses travaux, les députés doivent continuer l’ examen de la Loi Unique. Pendant ce temps, d’importantes manifestations de masse ont lieu avec succès dans toutes les régions du pays.
Cet article, ainsi que les autres rapports quotidiens sur la ”Grève du Siècle”, sont basés sur le livre de Gustave Dache ”La grève générale insurrectionnelle et révolutionnaire de l’hiver 60-61”
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– – Rubrique "60-61" de ce site
– 21 décembre
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Le quotidien Le Peuple titre : «200.000 manifestants sont descendus dans la rue.» Des manifestations sont organisées à Anvers où, une nouvelle fois, des incidents violents éclatent entre grévistes et gendarmes qui cherchent la provocation, à Gand, à Grammont, à Bruges, à Ninove, à Tournai, à Nivelle, à Namur, à Waremme, à Mons où les locaux d’ un journal chrétien sont mis à sac, à Bruxelles, à Charleroi et dans toute la région Liégeoise. Les incidents d’Anvers font une vingtaine de blessés.
Les journaux sont unanimes pour affirmer, comme le journal « Le Soir », que les : «manifestants sont nettement plus nombreux que les jours précédents.» Il est clair pour tout le monde que l’ampleur du mouvement ne laisse encore aucune possibilité aux dirigeants socialistes pour tenter un compromis. Lors de ces manifestations, des bagarres éclatent en plusieurs endroits, surtout entre des groupes de jeunes manifestants et les gendarmes à cheval qui chargent une nouvelle fois les grévistes sabre au clair, en faisant de nombreux blessés.
Pendant ce temps, les parlementaires socialistes et communistes n’ont aucune intention d’abandonner le Parlement. Celui-ci, y compris pour les députés wallons, doit se révéler une excellente planche de salut au cas où la situation s’ aggraverait encore davantage. Des rumeurs persistantes courent selon lesquelles Louis Major, le secrétaire général de la FGTB, aurait pris contact avec les dirigeants chrétiens pour tenter de trouver un terrain de négociations, rumeurs que Major dément.
Dans la région liégeoise, les grévistes répondent avec enthousiasme à l’ appel de leurs dirigeants, mais ceux-ci ont bien pris soin de les disperser. Ils sont 10.000 à Liège, 800 à Herstal, 15.000 à Yvoz–Ramet, 8.000 à Grivegnée, 3.000 à Fléron, 5.000 à Grâce-Berleur, 1.000 à Nessonvaux, 3.000 à Comblain, 5.000 à Waremme. Ils sont plus de 50.000 à manifester dans la région.
Ce jour-là, André Renard prend la parole à plusieurs endroits. Parlant aux grévistes d’Yvoz-Ramet, il se voit réclamer de toutes parts la marche sur Bruxelles. Brutalement, il s’ y oppose et met tout le poids de son crédit de réformiste de gauche dans la balance. Il déclare : «A Bruxelles, et après ? Il faut penser qu’il y a certains moyens qu’on n’ utilise pas deux fois.» A Grivegnée, Renard précise : «Nous n’ irons pas à Bruxelles. Nous ne voulons pas de morts sur les routes : la dernière fois nous étions 40.000 pour marcher sur Bruxelles. Cette fois, si nous n’ étions pas 50.000, ce serait un échec.»
C’ est à Yvoz-Ramet qu’André Renard prend très nettement position pour la revendication du fédéralisme, d’après l’édition du journal Le Soir du 4 janvier 1961, il déclare en introduction : «Le peuple Wallon est mûr pour la bataille. Nous ne voulons plus que les cléricaux flamands nous imposent la loi. Le corps électoral socialiste représente 60 % des électeurs en Wallonie. Si demain le fédéralisme était instauré, nous pourrions avoir un gouvernement du peuple et pour le peuple. On veut punir les Wallons parce qu’ils sont socialistes.»
Et comme il faut bien soigner son image, comme il faut bien se montrer ferme pour ne pas décevoir complètement les grévistes, Renard radicalise alors son discours en disant (toujours selon « Le Soir ») : «Vous n’ avez jusqu’à présent donné aucun signe de lassitude, mais le moment est venu de faire plus encore. Nous avons pensé à utiliser l’ arme ultime et, pour ce faire, nous avons pris toutes nos responsabilités. Je vous annonce que le comité de grève a pris la décision de principe d’ abandonner l’ outil (vibrantes ovations). Nous sommes conscients de ce que cela représente, mais nous le voulons. L’ ordre en sera donné en temps voulu. Nous n’ accepterons pas de mettre un genou à terre. Notre cause est juste, nous voulons la gagner.» Et Renard s’ écrie : «Êtes-vous pour l’abandon de l’ outil ?» Un immense «oui» monte de la foule. «Le comité des grèves» dont Renard parle n’est autre chose que le comité de coordination des bureaucrates syndicaux wallons, sans qu’aucune représentation de la base ne soit présente en son sein.
Mais, dans la soirée de ce même mardi 3 janvier, une auto disposant d’un puissant haut-parleur de la FGTB de Liège diffuse dans les rues d’ Ougrée et de Seraing un appel aux ouvriers en vue de maintenir l’ entretien des hauts fourneaux. Renard menacera jusqu’au bout d’ abandonner l’ outil, mais il se gardera bien de mettre sa menace à exécution. Le fait que la FGTB de Liège, « fief » de Renard, ait lancé des directives en contradiction avec son discours démontre complètement la manoeuvre bureaucratique : aux ouvriers qui veulent marcher sur Bruxelles, Renard oppose l’abandon de l’outil ; aux patrons des hauts fourneaux, il assure qu’ il n’a nullement l’intention de passer aux actes.
La tendance fédéraliste s’affirme petit à petit au sein des organisations syndicales en grève ; des affiches et des drapeaux avec le coq wallon font leur apparition, mais l’immense majorité des travailleurs wallons, flamands et bruxellois ne sont évidemment pas d’accord avec cette orientation fédéraliste qui est l’oeuvre exclusive de la tendance Renard. Les travailleurs n’ ont d’ ailleurs pas été consultés sur cette nouvelle orientation et, en plus, ils n’ont donné aucun mandat en ce sens.
La lutte qui s’ était progressivement dirigée contre le régime capitaliste lui-même est remplacée, par les partisans du fédéralisme, par la lutte contre l’Etat unitaire mais sans toucher aux fondements du capitalisme afin de trouver une issue honorable. Le journal La Cité du 9 janvier 1961 ne s’ y trompera pas en disant : «Les leaders de la grève doivent renoncer à l’épreuve de force et chercher une porte de sortie honorable.» Il est certain que les leaders du mouvement de grève, bien qu’ayant cherché une sortie honorable, n’ont par contre jamais envisagé une seule minute la moindre épreuve de force.
Les travailleurs considèrent cette proposition de fédéralisme comme une déviation de la grève générale et comme une fuite en avant. Les travailleurs flamands et Bruxellois ne peuvent voir cette évolution que d’ un fort mauvais oeil. Cette confusion voulue par Renard et par la quasi totalité de l’ appareil de la FGTB wallonne met les grévistes mal à l’ aise ; ils voient dans cette orientation une démobilisation, une rupture de l’ unité de front entre les travailleurs flamands, bruxellois et wallons.
Quant au Parti Communiste, il manifeste également son désaccord en demandant aux travailleurs de «repousser toute tentative de fixer des objectifs autres que celui de la grève», c’ est à dire le retrait pur et simple de la Loi Unique. Le communiqué du PC «regrette que certains chefs syndicaux se soient tus quand aux formes que devait prendre le combat dans les prochains jours.» Mais le PC, en tant que parti politique, ne donnera pas non plus de mot d’ ordre de combat, restant sourd, tout comme les dirigeants socialistes, à la revendication très populaire de la Marche sur Bruxelles.
Comme consigne, ce 3 janvier, le journal du Parti Communiste, Le drapeau rouge, titre : «Les députés PSC et libéraux discréditent la démocratie en ne tenant pas compte de la volonté des travailleurs. Il faut organiser au plus tôt une journée de délégations ouvrières massives au parlement pour obtenir le retrait pur et simple de la loi unique». Pour les staliniens, il ne s’ agit pas de lancer le mot d’ ordre de la marche sur Bruxelles, mais simplement d’ envoyer des «délégations au Parlement» ce qui n’ est évidemment pas la même chose. Toujours et partout, les bureaucrates réformistes et staliniens expliquent aux masses ouvrières que la lutte révolutionnaire est impossible, avec des arguments semblables à ceux utilisés par Renard. Mais tous ces bureaucrates, y compris Renard et Major, sont effrayés par les implications révolutionnaires de la grève générale.
Lors des journées précédentes, les soldats et les gendarmes supplétifs avaient de la sympathie pour le mouvement de grève générale. Des soldats avaient d’ ailleurs fait savoir qu’ils n’ avaient pas de balles, certains gendarmes supplétifs avaient prêté leurs bons offices pour rétablir des liaisons entre les piquets de grève. Dans le conflit de 1950, il y avait eu une désagrégation de l’appareil répressif de l’ Etat bourgeois. Qu’aurait bien pu faire Eyskens dans pareille situation avec ses 18.000 gendarmes face à la montée de milliers et de milliers de grévistes sur Bruxelles ? Certes, il y aurait eu des affrontements mais, finalement, les travailleurs auraient certainement eu le dessus. Et alors aurait été posée la question du pouvoir. Si on considère que l’ armée et la gendarmerie se trouvera du côté de la bourgeoisie dans toutes les situations, alors il faut renoncer non seulement à la grève générale mais aussi au socialisme. Car, dans ces conditions, le régime capitaliste est éternel et il faut alors renoncer définitivement à toute lutte.
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C’était il y a tout juste 50 ans: le 28 décembre
A Gand, de nouveaux heurts violents éclatent entre grévistes et gendarmes. Suite à ces violentes bagarres, la régionale FGTB ne peut plus rester sans réaction et décrète d’ urgence la grève générale régionale. La grève générale connait donc encore une fois une nouvelle extension et un durcissement dans les centres industriels flamands. Dans la périphérie d’ Anvers, plusieurs entreprises débrayent sur-le-champ, les travailleurs chrétiens suivent le mouvement de grève. Une grande manifestation est prévue pour le 29 décembre après-midi à Anvers.
Cet article, ainsi que les prochains rapports quotidiens sur la ”Grève du Siècle”, sont basés sur le livre de Gustave Dache ”La grève générale insurrectionnelle et révolutionnaire de l’hiver 60-61”
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– 21 décembre
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De nombreuses manifestations ont encore lieu dans le pays ; à Quaregnon, dans le Borinage, 20.000 grévistes à Mons, à Charleroi, à Bruxelles, où des autobus qui roulaient ont été lapidés, les vitres des banques cassées, dans la région de Liège c’ est la même situation, partout dans le pays l’ action des piquets de grève se durcit et se renforce, plusieurs arrestations ont encore été opérées.
La situation évolue vers une poussée de fièvre, surtout du côté d’ Anvers et de Gand mais aussi dans d’ autres régions flamandes, notamment à Courtrai, Ypres, Alost, Bruges, Tongres et Tirlemont. Les travailleurs veulent passer à l’ attaque, mais leurs organisations ouvrières le leur interdisent. C’est pourquoi, à partir de ce 28 décembre, on va voir les grévistes se réunir quotidiennement dans des manifestations monstres, crier, piétiner pendant des heures puis se disperser sans qu’aucune organisation ne veuille prendre sur elle la responsabilité d’ un mot d’ ordre national offensif.
Ceux qui connaissent un tant soit peut l’ histoire des luttes du mouvement ouvrier international savent qu’il ne faut en aucun cas attendre des réformistes ou des staliniens des mots d’ ordre à caractère offensif. Par contre les travailleurs en grève étaient en droit d’ attendre des consignes offensives de la part des dirigeants de La Gauche, qui disaient se placer dans la perspective de la révolution socialiste. Mais voilà, de ce côté là, rien non plus. Ils sont restés à la remorque des réformistes et des staliniens. Le mouvement en cours est bel et bien une grève à objectif révolutionnaire et qui exige de ce fait des mots d’ordre et des consignes appropriés.
Certains journaux de droite ne s’ y sont d’ ailleurs pas trompés et n’ ont pas manqué de souligner la gravité de la situation, qui empire de jour en jour. Les grèves entraînent un durcissement général, des incidents graves se produisent un peu partout dans le pays et risquent de dégénérer si le gouvernement s’ entête. Toutefois celui-ci reste sur ses positions. Il durcit même ses mesures de répression, tente par tous les moyens à sa disposition (radio, TV , journaux, communiqués,…) d’inciter les grévistes à reprendre le travail, mais il n’ en est rien, bien au contraire. Les grévistes sont décidés à aller jusqu’au bout, c’est l’épreuve de force.
Treize mille grévistes paralysent Bruxelles pendant trois heures. Les trams ne roulent plus. Les grévistes scandent : « Eyskens au poteau », « Les Wallons à Bruxelles », « Les banquiers doivent payer ». Plus de 8.000 métallos défilent à Herstal. Plus de 20.000 manifestants au Pays Noir. A La Louvière, plus de 15.000 manifestants se réunissent avec un grand calicot : « Camarades ! Marchons sur Bruxelles ».
Dans le grand port flamand, l’ ensemble des réparateurs de navires et de chantiers navals sont en grève. Dix mille grévistes à la Bell-téléphone, Cockerill-Hoboken est bloquée. Les ouvriers du pétrole sont eux aussi en grève. Les ports d’ Ostende et de Gand sont également totalement paralysés. Les briqueteries de Rupel son arrêtées, 1.800 mineurs du Limbourg sont en grève.
Avec cette énumération des mouvements de grève générale en Flandre, on peut mesurer le caractère criminel de l’attitude d’André Renard lorsque, en pleine grève générale, il revendique le fédéralisme wallon. Là aussi les dirigeants de La Gauche devaient réagir énergiquement en s’ opposant à Renard et sa revendication, dans un contexte de grève générale visant le renversement du gouvernement et de l’Etat bourgeois. Mais là aussi, on peut constater un silence complice et la capitulation complète face à la politique réformiste de Renard.
La grève prend toujours de l’extension, de même que l’appel pour une Marche sur Bruxelles et une confrontation directe avec le pouvoir dans la capitale.
A Bruges, la grève se durcit après les incidents survenus à Gand, où les grévistes ont subi une véritable agression. En réponse à cette même agression, la FGTB d’ Anvers décrète la grève générale. Un acte de sabotage très significatif est commis sur la ligne Gand-Adenkerke, où des blocs de béton sont posés sur les voies, comme sur les routes. La centrale des mineurs du Limbourg communique que la grève est totale dans le charbonnage. Le comité exécutif reçoit de France et d’Italie des encouragements de solidarité. Certains ont prétendu que la Flandre n’ avait pas embrayé à la grève générale alors que même des centrales ouvrières de l’étranger ont apporté leur soutien total aux mineurs flamands. S’ils n’ avaient pas embrayé dans la grève générale, ce genre de soutien n’aurait pas été possible.
Le même jour, le praesidium élargi de l’action commune socialiste déclare d’ailleurs dans un communiqué que «Il constate que la grève est totale en Wallonie et qu’elle s’ amplifie chaque jour de façon massive tant en Flandre que dans la région bruxelloise.»
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C’était il y a tout juste 50 ans: Le samedi 24 décembre : Un Noël de combat
‘‘Les grèves continent à faire tâche d’huile même en Flandre’’ peut on lire dans titre l’Indépendance du 24 décembre 1960. Et ‘‘quelques actes de sabotages ont été commis sur les lignes du chemin de fer’’. Encore une fois, le constat est que la grève générale s’amplifie, elle atteint même les endroits les plus reculés de Flandre.
Cet article, ainsi que les prochains rapports quotidiens sur la ”Grève du Siècle”, sont basés sur le livre de Gustave Dache ”La grève générale insurrectionnelle et révolutionnaire de l’hiver 60-61”
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– 21 décembre 1960
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Au Limbourg, les débrayages se succèdent et se renforcent, à Anvers, à Furnes, à Dixmude et à Louvain, où les grévistes ont bloqué le trafic ferroviaire, il en va de même. A la gare de Bruges, seulement trois trains ont quitté la gare. Les postiers sont dans la rue, le courrier n’est plus distribué. 15.000 travailleurs manifestent dans les rues de Gand. Les grévistes se rendent en nombre au local de la CSC pour réclamer un mot d’ordre de grève.
Les militaires stationnés en Allemagne en permission en Belgique doivent rejoindre leur unité par leurs propres moyens. Face aux nouvelles intensifications de la grève générale, la réponse du gouvernement est faite de manœuvres d’intimidations. Partout dans le pays, pour un oui, pour un non, des dizaines et des dizaines de grévistes sont arrêtés et incarcérés.
La position de la CSC nationale contre la grève ainsi que le refus de la FGTB nationale de lancer le mot d’ordre de grève générale ont pour conséquence d’instaurer la division d’une partie des travailleurs, dans ces circonstances toutes particulières où faire le jaune est dédouané par la direction nationale de la CSC. Les grévistes recourent de plus en plus à certains actes de sabotage, dont le principal objectif est d’empêcher les jaunes de se rendre au travail. La responsabilité de ces actes de sabotage commis par les grévistes incombe entièrement aux directions nationales de la CSC et de la FGTB.
Etant donné que la grève générale progresse toujours partout dans le pays, le gouvernement se prépare à l’affrontement et à la répression contre les grévistes. Plusieurs mesures sont prises telles que le renforcement de la surveillance des passages à niveau, des ponts de chemin de fer et des gares par les gendarmes et la troupe. Des concentrations de forces de répressions sont placées dans les grands centres où la grève est totale. Mais les forces de gendarmeries et la troupe ne peuvent se déplacer que très lentement : les routes sont parsemées de clous, les rues sont dépavées, des barricades avec des bois et des poteaux de signalisations sont mêmes installés à certains endroits stratégiques.
Le pouvoir bourgeois est paralysé, des gendarmes supplétifs ont été rappelés, les soldats ne peuvent en aucun cas être mis en contact avec les grévistes. A Liège, la police saisit un tract destiné aux soldats. Le journal « La Wallonie », dont André Renard est le directeur, est également saisi pour avoir publié l’appel aux soldats dont voici le texte :
‘‘Soldats, la classe ouvrière belge est entrée dans une lutte décisive pour son droit à l’existence. Le gouvernement va utiliser la troupe, aux côtés de la gendarmerie, pour tenter de briser les grèves et de réprimer le mouvement social en cours.
‘‘Nous vous demandons de comprendre et de faire votre devoir. Si on vous commande de travailler à la place des ouvriers dans des entreprises ou des services immobilisés par la grève, croisez-vous les bras!
‘‘Si l’ on vous met en face de grévistes ou de manifestants, souvenez-vous qu’ ils sont vos parents, vos frères, vos amis. Fraternisez avec eux. Vous êtes mobilisés pour défendre le pays, et non pour l’ étrangler. Ne craignez rien. Tout le mouvement ouvrier socialiste est là pour vous défendre.
‘‘Soldats, ne soyez pas traîtres à votre classe. Nous comptons sur vous. L’Action Commune’’
En plus des saisies, des perquisitions ont lieu le dimanche matin au domicile de plusieurs militants socialistes et syndicalistes FGTB, dont André Renard lui-même, ainsi que dans la plupart des locaux du PSB et de la FGTB. A la suite de ces perquisitions, une information est ouverte par le Parquet pour : ‘‘excitation de militaires à la désobéissance.’’
Dans cette phase de la grève générale, l’appel aux soldats est le slogan le plus dangereux pour le pouvoir bourgeois. Celui-ci le sait mieux que quiconque. C’est aussi la démonstration claire qu’elle n’est pas absolument sûre de ses troupes et que la situation peut lui échapper à tout moment face à l’attraction que la grève générale exerce sur l’armée et sur la population. Cet important mot d’ordre n’est venu ni du PC, ni de La Gauche, mais de la tendance Renard.
La bourgeoisie belge garde le souvenir de la désagrégation de son appareil répressif mobilisé contre les grévistes en 1950 et de nombreuses précautions sont prises, la discipline a été renforcée. Cependant, en bien des endroits, des tentatives de fraternisation ont lieu entre les grévistes et la troupe, les grévistes rentrent en contact avec les soldats.
Ce samedi 24 décembre, c’est la nuit d’un Noël de combat, dans les quartiers ouvriers, aux portes des usines, les piquets de grève sont à leur poste de combat. Les grévistes FGTB et CSC sont au coude à coude. On chante l’Internationale, la Marseillaise, le Chant des Partisans,…
Le centre de Bruxelles capitale est en état de siège. Des convois militaires prennent position, des patrouilles circulent l’arme au poing. L’E tat n’a pas trop de toute sa police et de toute son armée pour tenter de faire croire qu’il est resté maître de la situation. Le gouvernement comptait sur une démobilisation des mouvements de grève, mais c’est bien le contraire qui se passe. Les travailleurs chrétiens participent même toujours plus nombreux à la grève.
Les éditoriaux de la presse de droite qui soutiennent le gouvernement font tous preuve d’inquiétude et de désarroi : ils ont compris que c’est le régime lui-même qui est en danger. La Libre Belgique appelle le gouvernement à la solution de force : ‘‘Le gouvernement semble avoir commencé à comprendre qu’il ne pouvait tout de même pas tolérer qu’une infecte anarchie d’origine communiste continue à s’installer dans le pays et qu’ il est totalement inadmissible que les dirigeants des syndicats socialistes se substituent aux autorités régulières pour contrôler la circulation dans les rues, le travail dans les ateliers, l’ ouverture et la fermeture dans les magasins. Il convient de mettre fin immédiatement à cette anarchie. C’est un domaine où toute capitulation de l’autorité est un crime contre la nation. Tout de même l’ordre est indivisible. Toute reculade en entraîne d’autres.’’
L’effroi de la bourgeoisie est porté à son comble par l’ordre ouvrier qui s’établit spontanément partout dans le pays. Les grévistes sont maîtres de la rue… Au cours de sa montée, aucune force réactionnaire n’est capable d’arrêter la lutte.
Du côté des journaux ouvriers, Le Drapeau Rouge, l’organe du Parti Communiste, publiera le 26 décembre un long éditorial qui affirme: ‘‘La grève est puissante, puissante par ses objectifs, qui mettent en cause toute la politique des monopoles, et, par conséquent, du moins sous certains aspects, le régime lui-même. Il est bien certain que M. Eyskens aurait déjà abandonné une partie qu’ il sait perdue d’ avance pour lui et pour ses associés, si les banques, la Cour et Malines (où réside Van Roy) ne pesaient pas de tout leur poids sur ses épaules pour le clouer à son inconfortable siège ministériel. Si le mouvement se développait sans entraves, on pourrait prévoir que, ce prochain mercredi, la Chambre serait convoquée d’ urgence pour s’ entendre dire sans doute que le gouvernement abandonne son projet de loi de malheur, et s’ en va.’’
Ainsi pour les dirigeants du Parti Communiste stalinien, cette grève met en cause le régime lui-même, mais ce n’est pas pour eux le régime qu’il faut abattre, mais plutôt la seule personne du premier ministre G. Eyskens. Pour les dirigeants du PC, il ne s’agit pas de se battre comme les grévistes contre les banques, les monopoles, la Cour ou le Cardinal qui interviennent pour entraver le mouvement de grève. D’ ailleurs, pour la direction du PC, les grèves doivent se dérouler dans ‘‘l’ordre, le calme et la discipline’’ – comme le préconise la bureaucratie de la FGTB. Arrêter les frais : après une semaine de grève générale, c’est le désir de toute la droite du pays ; mais aussi et surtout des directions réformistes du PSB et de la FGTB qui, depuis le début, se posent la question : où cette grève générale va-t-elle nous conduire, qu’allons-nous encore bien pouvoir faire pour empêcher qu’elle ne débouche sur un affrontement révolutionnaire, alors que nous n’avons déjà pas réussi à empêcher le déclenchement de celle-ci ?
Le journal La Gauche, organe de la tendance de gauche du PSB, titre le 24 décembre: ‘‘Tous dans la grève, jusqu’au retrait pur et simple du projet capitaliste de la loi unique’’ Jusque-là rien à redire. C’est un objectif correct, voulu par l’écrasante majorité des grévistes, mais il est limité. La Gauche le comprend très bien, et c’ est pourquoi elle poursuit en ajoutant ‘‘A sa place, les travailleurs imposeront des solutions socialistes.’’
Mais là où cela se complique, c’est quand il fait référence au programme des ‘‘réformes de structures’’, qui n’est d’ ailleurs autre que le programme officiel du PSB et de la FGTB. Les ‘‘réformes de structures’’ sont certes des mesures de fond (comme le service national de soins de santé, la nationalisation de l’énergie, la planification de l’économie), mais la réalisation de ces mesures ne ferait qu’aligner le capitalisme belge sur certains autres capitalismes voisins plus évolués que lui et qui ont déjà réalisé une partie ou l’ensemble de ces réformes, tout en étant toujours sous le joug du régime capitaliste d’ exploitation effrénée. Par exemple, le service national de santé existe en Angleterre.
Les capitalistes anglais ont cédé cette réforme en vue d’apaiser, avec la complicité des dirigeants travaillistes, les objectifs socialistes révolutionnaires du prolétariat britannique. De même, les capitalistes français, craignant de tout perdre, avaient dû accepter la nationalisation de l’énergie en 1945 pour contenir, avec l’aide des staliniens et des réformistes, la montée révolutionnaire des masses afin qu’elle reste dans le cadre de l’ordre bourgeois.
En fait, ces revendications ne peuvent être considérées comme « socialistes » que dans la mesure où les travailleurs imposent par leur action le contrôle ouvrier sur les nationalisations, contrôle réalisé par les travailleurs eux-mêmes, par le biais de comités élus et sous contrôle de la base ouvrière.
Ce n’est pas par hasard que dans le programme de La Gauche, aucune référence ne soit faite au contrôle ouvrier, qui se place au-delà de ce que la bourgeoisie peut accepter sous la pression de la grève générale tout en préservant son système de profit. Le programme de La Gauche se situe non pas dans la perspective révolutionnaire, mais bien dans le cadre d’ une politique réformiste de pression exercée sur la classe dominante qui ne va donc pas au-delà de ce que la bourgeoisie peut accepter, comme ce fut le cas en Angleterre et en France notamment.
En évitant de mettre le contrôle ouvrier comme condition indispensable à la nationalisation de l’énergie ainsi que l’expropriation sans rachat ni indemnité, les dirigeants de La Gauche se refusent à poser le problème du renversement de l’ E tat bourgeois. De ce fait, ils vident le mot d’ordre de la nationalisation de tout son contenu révolutionnaire, et transforment une revendication transitoire en un mot d’ordre réformiste.
Il suffisait de parcourir la Belgique durant la grève générale pour constater à quel point les travailleurs étaient conscients du « complot » des banques, de la S.G.B. (l’ancienne Société Générale) contre leur niveau de vie. Il n’était pas trop tôt non plus, loin de là, pour lancer aussi le mot d’ordre transitoire de l’expropriation des banques privées. Une telle agitation aurait très exactement répondu à la portée révolutionnaire de la grève générale, mais La Gauche y a substitué des mots d’ordre lamentables par leur timidité, en se plaçant derrière les appareils réformistes. L’étude approfondie de la collection de La Gauche durant cette période est riche en enseignements sur la politique défendue par la tendance Mandel, dirigeant de La Gauche. Nous y voyons s’affirmer le caractère profondément capitulard, réformistes et liquidationniste, totalement étranger au marxisme, qui explique les positions prises durant cette grève générale par les représentants de La Gauche de Mandel.
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Colloque “Grande Grève” à l’Université de Liège
Durant trois jours, l’ULG a accueilli un colloque consacré à la grève générale de l’hiver 60-61. Il a été clôturé hier par une table ronde qui a réuni des témoins de l’époque, et notamment Gustave Dache qui, une fois encore, a fait sensation. Sur la quarantaine de participants, une quinzaine sont d’ailleurs repartis avec un exemplaire de son livre "La grève générale insurrectionnelle et révolutionnaire de l’hiver 1960-61".
Il a notamment beaucoup été question du fédéralisme et d’André Renard. Gustave Dache a expliqué que, durant la grève, le mouvement s’est retrouvé devant un choix : la confrontation directe avec le régime capitaliste ou la retraite. Mais pour cette dernière option, il fallait un prétexte capable de sauver la face à une partie au moins de l’appareil syndical. C’est dans ce cadre qu’il faut considérer l’appel au fédéralisme lancé par André Renard, un appel qui fut fatal à la grève générale.
Quand, le 31 décembre 1960, le Comité de coordination des régionales wallonnes de la FGTB a publié un communiqué déclarant que la grève était essentiellement localisée en Wallonie, il s’agissait d’un mensonge. Alors que, partout, les travailleurs réclamaient des actions plus dures, le Comité a répondu en semblant prétendre que seule la Wallonie luttait.
Le 3 janvier, André Renard a déclaré "Le peuple Wallon est mûr pour la bataille. Nous ne voulons plus que les cléricaux flamands nous imposent la loi. Le corps électoral socialiste représente 60 % des électeurs en Wallonie. Si demain le fédéralisme était instauré, nous pourrions avoir un gouvernement du peuple et pour le peuple." (Le Soir du 4 janvier 1961) Le 5 janvier paraissait le premier numéro de l’hebdomadaire dirigé par André Renard, Combat. Son slogan de première page était :"La Wallonie en a assez."
Peu à peu, et sans consultation de la base, c’est ce mot d’ordre, une rupture de l’unité de front entre les travailleurs du pays, qui a été diffusé par l’appareil syndical. A ce moment, des dizaines de milliers de travailleurs flamands étaient encore en grève à Gand et Anvers, mais aussi dans des villes plus petites comme Bruges, Courtrai, Alost, Furnes,… Finalement, faute de mots d’ordre et de perspective, le mouvement s’est essoufflé. La grève s’est terminée le 23 janvier 1961.
Si ce sujet vous intéresse, nous vous conseillons bien entendu de commander le livre de Gustave, mais aussi de venir participer aux meetings et présentations de ce livre dans votre région (Plus d’informations)
De gauche à droite: Jean Louvet (militant wallon et dramaturge (Le train du bon Dieu, 1962 ; L’An I, 1963, etc.), fondateur, suite à la Grève, du Théâtre prolétarien de La Louvière), Jacques Hoyaux (militant wallon, ancien ministre, sénateur honoraire et président d’honneur de l’Institut Jules Destrée), Gustave Dache (à l’époque ouvrier de la base, membre de la FGT B et président des Jeunes gardes socialistes de la Fédération de Charleroi, membre du Bureau national des Jeunes gardes socialistes, ainsi que militant de la IVe Internationale), Philippe Walkowiak (animateur du débat, RTBF), Georges Dobbeleer (à l’époque membre des Jeunes gardes socialistes et militant de la IVe Internationale), Valmy Féaux (à l’époque militant socialiste et assistant à l’Institut de sociologie de l’ULB. Ancien ministre et gouverneur de la Province du Brabant wallon). Louis Van Geyt, ancien président du PCB-KPB, n’a pas pu venir et avait envoyé un texte qui a été lu durant le débat.