Tag: Belgique

  • Hongrie 1956 : quand les conseils ouvriers ont fait trembler la bureaucratie soviétique et la bourgeoisie du monde entier

    Cédric Gérôme

    Ce 23 octobre 2006, cela faisait exactement 50 ans que s’est déclenchée la révolution hongroise de 1956. Cet anniversaire, ainsi que les violentes émeutes qui l’ont accompagné, ont remis la Hongrie et le souvenir de la révolution au centre de l’actualité. L’ensemble de la presse et des politiciens se rejoignent tous pour saluer au passage « la première révolution dirigée contre la tyrannie communiste ». Contre la tyrannie ? Très certainement. Mais de là à faire l’amalgame stalinisme = communisme, il n’y a qu’un pas que la majorité des commentateurs bourgeois franchissent allègrement. Lors de la commémoration du soulèvement de 1956, organisé ce mardi en grande pompe par le gouvernement hongrois, José Manuel Barroso, président de la Commission Européenne, n’hésitait pas à dire que « les Hongrois, par leur sacrifice, ont préparé la réunification de l’Europe ». Les groupes d’extrême-droite hongrois, quant à eux, revendiquent la paternité de la « révolution contre les communistes, qui sont d’ailleurs toujours au pouvoir. » Face à cet amas d’hypocrisie et de confusion idéologique, il ne nous semble pas superflu de revenir sur les événements de ‘56, ses acteurs, son caractère et ses implications…

    Hongrie 1956 : quand les conseils ouvriers ont fait trembler la bureaucratie soviétique et la bourgeoisie du monde entier

    « Comment les dirigeants pourraient-ils savoir ce qui se passe ? Ils ne se mêlent jamais aux travailleurs et aux gens ordinaires, ils ne les rencontrent pas dans les bus, parce qu’ils ont tous leurs autos, ils ne les rencontrent pas dans les boutiques ou au marché, car ils ont leurs magasins spéciaux, ils ne les rencontrent pas dans les hôpitaux, car ils ont leurs sanas à eux. »

    « La honte n’est pas dans le fait de parler de ces magasins de luxe et de ces maisons entourées de barbelés. Elle est dans l’existence même de ces magasins et de ces villas. Supprimons les privilèges et on n’en parlera plus. » (Gyula Hajdu et Judith Mariássy, respectivement militant communiste et journaliste hongrois en 1956)

    1) La Hongrie au sortir de la guerre

    Après la deuxième guerre mondiale, les Partis Communistes et l’URSS avaient acquis une grande autorité suite à la résistance héroïque de la population russe contre l’invasion du pays par l’armée nazie. L’URSS sortit renforcée de la guerre : ayant repoussé l’armée allemande jusqu’aux frontières de l’Elbe, elle avait conquis la moitié d’un continent. La conférence de Yalta en février 1945 consacra cette nouvelle situation : les parties de l’Europe qui avaient été « libérées » par l’Armée Rouge resteraient sous la sphère d’influence russe.

    La fin de la seconde guerre mondiale était allée de pair avec une radicalisation des masses et des événements révolutionnaires dans toute une série de pays. En effet, les masses ne voulaient pas seulement en finir avec le fascisme ; elles voulaient aussi extirper la racine sociale et économique qui l’avait fait naître : le capitalisme. Dans la plupart des pays européens, la bourgeoisie devait faire face à des insurrections de masse. Mais s’il y avait bien un point sur lequel les Partis Communistes stalinisés et les capitalistes s’entendaient parfaitement, c’était sur le fait qu’une révolution ouvrière devait être évitée à tout prix. Dans les pays capitalistes, les PC –tout comme les partis sociaux-démocrates- usèrent de leur autorité pour venir en aide aux classes dominantes, en ordonnant aux partisans de rendre les armes et en participant à des gouvernements d’ « union nationale » avec les partis bourgeois (en France, en Italie, et en Belgique notamment). En vérité, il s’agissait bien là d’une contre-révolution, mais sous un visage « démocratique ». En France, pour ne citer qu’un seul exemple, les groupes de résistance, sous l’instruction des dirigeants staliniens, durent rendre leurs armes au prétendu « gouvernement de Libération Nationale ». Maurice Thorez, secrétaire général du PCF de l’époque, déclarait : « Les Milices Patriotiques ont très bien servi dans la lutte contre les nazis. Mais maintenant, la situation a changé. La sécurité publique doit être assurée par la police régulière. Les comités locaux de libération ne peuvent pas se substituer au pouvoir du gouvernement. »

    Dans les pays de l’Est (Roumanie, Bulgarie, Hongrie, Pologne, etc), si l’entrée de l’Armée Rouge avait souvent été perçue comme une libération, la bureaucratie du Kremlin était pourtant déterminée à maintenir la situation sous son contrôle et à empêcher que la classe ouvrière entre en mouvement de manière autonome. Petite anecdote illustrative : en Bulgarie, lorsque la machine militaire nazie s’effondra durant les mois d’automne 1944, les milices ouvrières, à Sofia puis dans d’autres villes, désarmèrent et arrêtèrent les fascistes, élirent des tribunaux populaires, organisèrent des manifestations de masse. Sentant le danger, le Haut Commandement russe ordonna tout de suite à ses troupes stationnées dans le pays : « Faites tout pour revenir à la discipline antérieure. Abolissez les comités et les conseils. Nous ne voulons plus voir un seul drapeau rouge dans la ville. »

    Après la guerre, dans des pays comme l’Italie ou l’Allemagne, la bourgeoisie avait sciemment maintenu dans l’appareil d’Etat du personnel politique ou militaire ayant occupé des fonctions importantes sous le fascisme ; les staliniens, quant à eux, firent exactement la même chose à l’Est. A cette époque, gagner les masses à un programme révolutionnaire n’aurait été que trop facile ; mais c’était là précisément ce que la bureaucratie stalinienne voulait éviter à tout prix. Dans les pays occupés par l’Armée Rouge, nombre de communistes et de travailleurs actifs dans la résistance seront liquidés, car jugés peu fiables. Qualifiés pendant la guerre de « braves combattants », ils devenaient à présent des « bandits », des « forces ennemies », voire même des « éléments pro-hitlériens », et étaient soumis en conséquence à la plus sévère répression. Plusieurs milliers d’entre eux seront torturés ou exécutés, pour la simple raison d’avoir voulu contester la toute-puissance de la bureaucratie. Pour mener à bien ce travail peu reluisant, les meilleurs alliés que les staliniens pouvaient trouver étaient…les vermines de l’ancien régime, convertis en « communistes » pour l’occasion. En Roumanie, le vice-Premier ministre du gouvernement nouvellement formé, un certain Tatarescu, avait par exemple dirigé en 1911 la répression contre un soulèvement dans les campagnes qui avait causé la mort de 11.000 paysans. En Bulgarie, le premier ministre, le Colonel Georgiev, et le ministre de la guerre, le Colonel Velchev, avaient tous deux été membres de la Ligue Militaire, une organisation fasciste sponsorisée par Mussolini. En Hongrie enfin, en décembre 1944, un gouvernement de « libération » fut formé ; son premier ministre était Bela Miklos, à savoir le tout premier Hongrois à avoir reçu personnellement des mains d’Hitler la plus grande décoration de l’ordre nazi !

    La population hongroise avait connu la défaite d’une première révolution en 1919. Ensuite elle dût subir les conséquences de cette défaite par l’instauration du régime fasciste de l’Amiral Horthy. Celui-ci liquida avec zèle les syndicats, tortura et massacra les communistes et les socialistes par milliers. Pendant la guerre, le pays fut occupé par les troupes nazies, accompagnées d’une nouvelle vague de terreur. Compte tenu de ces antécédents, il est clair que pour la population hongroise, le fait de constater qu’un régime qui portait sur son drapeau les acquis de la révolution russe d’octobre 1917 reconstruise l’appareil d’Etat avec les pires crapules de l’ancien régime n’en était que plus insupportable.

    Après la guerre, la Hongrie, comme tous les pays tombés sous l’égide de l’Armée Rouge, s’intégra au modèle économique russe et nationalisa son économie. A la fin de 1949, le processus de nationalisation de tous les principaux secteurs de l’économie hongroise était achevé. Bien évidemment, cela ne se faisait pas à l’initiative ni sous le contrôle des masses ouvrières : dès le début, celles-ci furent placés sous le joug d’une bureaucratie parasitaire calquée sur le modèle de l’URSS, qui disposait en outre d’une des polices secrètes les plus brutales de tout le bloc de l’Est, et s’accaparait, de par ses positions politiques, des privilèges exorbitants : en 1956, le salaire moyen d’un travailleur hongrois était de 1.000 forints par mois. Celui d’un membre de base de l’A.V.O. (=la police politique) était de 3.000 forints, tandis que le salaire d’un officier ou d’un bureaucrate de haut rang pouvait varier entre 9.000 et 16.000 forints par mois.

    Sur papier, beaucoup de travailleurs hongrois restaient encore membres du Parti Communiste. Cependant, cela était davantage lié au climat de terreur régnant tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du parti, plutôt qu’à des considérations politiques. Pour preuve, en octobre 1948, l’éditeur principal du « Szabad Nep » -le journal officiel du parti- se plaignait lui-même du fait que seuls 12% des membres du parti lisait le journal. Autre chiffre particulièrement révélateur de la répression politique qui sévissait en Hongrie à cette époque : entre 1948 et 1950, le PC hongrois expulsa de ses rangs pas moins de 483.000 membres !

    2) La rupture

    Le bureaucratisme stalinien constituait un système de gouvernement et de direction économique de moins en moins adapté aux nécessités de son temps, et de plus en plus en contradiction avec la situation réelle, tant en URSS que dans les pays dits « satellitaires » d’Europe de l’Est. L’annonce de la mort de Staline par le Kremlin en mars 1953 fut perçue comme un signal par les populations ouvrières du bloc de l’Est et ouvrit une période de résistance dans ces pays contre les méthodes de terreur et de despotisme qui devenaient chaque jour plus intolérables. En juin de la même année, les travailleurs de Plzen, un des principaux centres industriels de Tchécoslovaquie, démarrèrent spontanément une manifestation de masse demandant une plus grande participation de leur part aux décisions dans les usines et sur les lieux de travail, la démission du gouvernement ainsi que la tenue d’élections libres. Deux semaines plus tard, le 17 juin 1953, les travailleurs de Berlin-Est se rebellaient à leur tour par des manifestations et des grèves, mouvement qui culminera dans une grève générale se répandant comme une traînée de poudre dans toute l’Allemagne de l’Est. Il sera réprimé sans ménagement par les troupes russes, au prix de 270 morts.

    Les dirigeants de l’URSS comme des pays « satellitaires » commençaient à s’inquiéter. Il fallait trouver les moyens de calmer les esprits, les voix de plus en plus nombreuses qui s’élevaient contre le régime d’oppression politique imposé à la population. Effrayée par la possibilité d’explosions plus importantes encore, la bureaucratie décida d’adopter un « cours nouveau » : une certaine relaxation politique consistant en réformes et concessions venues d’en-haut (=initiées par la bureaucratie elle-même) afin d’éviter une révolution d’en-bas (=une révolution politique initiée par la classe ouvrière). Ainsi, en Hongrie, les tribunaux de police spéciaux furent abolis, beaucoup de prisonniers politiques furent libérés, il fut permis de critiquer plus ouvertement la politique du gouvernement. Sur le plan économique, on accorda plus d’importance à la production de biens de consommation et moins à l’industrie lourde. Dans les campagnes, on mit un frein aux méthodes de collectivisation forcée. Cependant, cela ne fit qu’ouvrir l’appétit aux travailleurs et aux paysans ; car ce que ceux-ci désiraient en définitive, c’était chasser pour de bon la clique dirigeante du pouvoir.

    Historiquement, l’année 1956 fut incontestablement une année cruciale dans la crise du stalinisme. Car si 1956 fut l’année de la révolution hongroise, cette dernière n’était elle-même qu’une composante d’une crise générale traversée par les régimes staliniens. La révolution de 1956 marquait un point tournant : elle indiquait la fin d’une époque et le début d’une ère nouvelle. Précurseur d’autres mouvements contre la bureaucratie stalinienne, tels que le Printemps de Prague de 1968, elle était la première véritable révolution dirigée contre ceux-là même qui continuaient à se proclamer les héritiers de la révolution russe de 1917. Or, comme Trotsky l’avait expliqué déjà 20ans auparavant, ceux qui se trouvaient au Kremlin n’étaient plus les héritiers de la révolution, mais bien ses fossoyeurs.

    Déjà, en février 1956, au 20ème congrès du PC russe, et trois ans après la mort de Staline, Nikita Kroutchev, premier secrétaire du parti, avait lancé une véritable bombe politique dans le mouvement communiste mondial en exposant son fameux « rapport secret », qui détruisait le mythe du « Petit Père des Peuples » et dévoilait publiquement la terreur de masse, les crimes abominables et la répression politique menée méthodiquement par le régime de Staline pendant des années. Auparavant, ne pas avoir la photo de Staline chez soi était considéré comme un acte de défiance au régime. A présent, on transformait en diable celui qui avait été mystifié des années durant comme un dieu vivant ! Les raisons de ce revirement peuvent en être trouvées dans cet extrait d’un article de la « Pravda » -organe de presse du PC russe- : « Le culte de la personnalité est un abcès superficiel sur l’organe parfaitement sain du parti. » Il s’agissait de donner l’illusion que maintenant que le « Petit Père des Peuples » avait trépassé, tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes.

    Mais les travailleurs n’étaient pas dupes. En outre, il est difficile de continuer à pratiquer une religion à partir du moment où l’on a détruit son dieu. Car si Kroutchev et ses supporters tendaient à rompre avec les aspects les plus tyranniques du stalinisme, ils étaient bien incapables, de par leur propre position, à s’attaquer à la racine même de cette tyrannie : c’est pourquoi Kroutchev se verra obligé d’écraser dans le sang la révolution hongroise en utilisant les mêmes méthodes que celles qu’il avait dénoncées quelques mois plus tôt.

    3) L’explosion

    De juin à octobre 1956, un mouvement important des travailleurs polonais oblige la bureaucratie polonaise à faire d’importantes concessions. Des postes dans le parti sont attribués à des anti-staliniens et fin octobre, le poste de 1er secrétaire du parti est attribué à Gomulka, un vieux communiste relativement populaire qui avait été jeté en prison par Staline. Si Gomulka restait un homme de l’appareil, sa nomination à la tête du parti était malgré tout perçue comme une victoire importante. Un responsable haut-placé du régime commente ces événements en affirmant qu’ « il faut voir ces incidents comme un signal alarmant marquant un point de rupture sérieux entre le parti et de larges couches de la classe ouvrière. » Toutefois, en Pologne, la bureaucratie sera capable de maintenir le mouvement sous contrôle. Mais en Hongrie …

    En Hongrie, depuis quelques mois, l’agitation s’était accentuée, essentiellement parmi les intellectuels et dans la jeunesse, autour du cercle « Petöfi », formé fin ‘55 par l’organisation officielle des jeunesses communistes (DISZ). Celle-ci prend des positions de plus en plus virulentes par rapport au régime : « Il est temps d’en finir avec cet Etat de gendarmes et de bureaucrates » est le type de déclarations que l’on peut lire dans leurs publications. La « déstalinisation » leur permet à présent d’exprimer au grand jour ce qu’ils pensaient depuis longtemps tout bas.

    A partir de septembre et de début octobre, les travailleurs commencent à leur tour à s’activer. En octobre, lorsque les travailleurs et les jeunes apprennent la nouvelle de ce qui s’est passé en Pologne, il se sentent pousser des ailes. Le 21 octobre, les étudiants de l’Université Polytechnique de Budapest tiennent une assemblée, où ils réclament la liberté de la presse, de parole, d’opinion, la suppression du régime du parti unique, l’abolition de la peine de mort, l’abolition des cours obligatoires de « marxisme ». Ils menacent d’appuyer leur programme par des manifestations de rue s’ils n’obtiennent pas satisfaction. Le 22 octobre, le cercle Petöfi lance pour le lendemain le mot d’ordre d’une grande manifestation publique en solidarité avec leurs frères polonais.

    L’interdiction initiale de la manifestation, plusieurs fois répétée à la radio, puis la décision soudaine de l’autoriser, produisent un effet de choc. La population tout entière a pu constater les hésitations des dirigeants, et elle voit la décision finale des autorités comme une capitulation devant la force potentielle du mouvement. La manifestation est un succès, rassemble plusieurs dizaines de milliers de personnes. En tête, des jeunes portent d’immenses portraits de Lénine. On peut lire des slogans tels que « nous ne nous arrêterons pas en chemin : liquidons le stalinisme », « indépendance et liberté » etc. Vers 18h, les bureaux et les usines se vident, et les ouvriers et employés qui sortent du boulot rejoignent les étudiants. Le mouvement gagne en ampleur, les transports publics s’arrêtent de fonctionner ; on dénombre bientôt plus de 300.000 manifestants dans les rues de Budapest.

    Un groupe de plusieurs centaines de personnes issues de la foule décident de se rendre à la Place où se dresse une statue géante en bronze de Staline et la déboulonnent. Une délégation de 16 personnes se rend à l’immeuble où est localisé le centre de radio de Budapest, afin de tenter de diffuser leur appel sur les ondes. Comme la délégation tarde à sortir de l’immeuble, la foule s’impatiente. C’est dans la confusion générale qu’éclatent les premiers coups de feu dans la foule, tirés par des membres de l’A.V.O. Il y a trois morts. Ensuite, les premiers tanks et camions arrivent en renfort. Cette échauffourée met le feu aux poudres : la révolution hongroise a commencé.

    4) La force des travailleurs en action

    Les travailleurs commencent à s’armer pour riposter : certains s’emparent d’armes dans les armureries, d’autres se rendent vers les casernes. Comme à Barcelone en 1936, certains soldats leur ouvrent les portes, leur lancent des fusils et des mitraillettes par les fenêtres, ou amènent carrément dans la rue des camions chargés d’armes et de munitions et les distribuent à la population. Beaucoup rejoignent les rangs des manifestants. Dès le 24 au soir, il n’y aura pratiquement plus aucune unité de l’armée hongroise qui obéisse au gouvernement. Seule la police politique combat les insurgés. Des barricades commencent à se dresser ; dans certains quartiers de Budapest, même des enfants apportent leurs jouets pour aider à la construction des barricades.

    Les batailles de rue durent toute la nuit. A une heure du matin déjà, la plupart des grosses artères de la ville sont occupés par des travailleurs armés. Vers 8h du matin, le gouvernement hongrois annonce qu’il a fait appel à l’aide militaire russe pour écraser ce qu’il appelle « des petites bandes de contre-révolutionnaires armés qui pillent la ville. » Les bureaucrates du Kremlin et leurs agents de l’appareil hongrois sont décidés à conserver à tout prix le contrôle de la situation, quitte à noyer dans le sang la révolution naissante. Cette décision ne fait que renforcer la détermination des révolutionnaires et radicalise encore davantage le mouvement. Le premier conseil de travailleurs et d’étudiants est formé à Budapest.

    Les chars russes commencent à entrer dans la ville dans la matinée du 24 octobre. Au début, certains soldats russes envoyés pour écraser l’insurrection ne savent même pas qu’ils sont en Hongrie : on leur a raconté qu’ils ont été envoyés à Berlin pour « combattre des fascistes allemands appuyés par des troupes occidentales. »

    Les combats de rue se prolongent pendant plusieurs jours. Rapidement, les quartiers prolétariens deviennent les bastions de l’insurrection. Un correspondant de « The Observer » explique: « Ce sont les étudiants qui ont commencé l’insurrection, mais, quand elle s’est développée, ils n’avaient ni le nombre ni la capacité de se battre aussi durement que les jeunes ouvriers. ».

    Dès l’annonce de l’envoi de troupes russes, la grève générale insurrectionnelle est déclarée ; elle se répand rapidement dans tout le pays. Elle se traduit immédiatement par la constitution de centaines de comités et conseils ouvriers qui s’arrogent le pouvoir. Avant le 1er novembre, dans tout le pays, dans toutes les localités, se sont constitués, par les travailleurs et dans le feu de la grève générale, ces conseils qui assurent le maintien de l’ordre, la lutte contre les troupes russes et contre celles de l’A.V.O. par des milices d’ouvriers et d’étudiants armés ; ils dissolvent les organismes du PC, épurent les administrations qu’ils ont soumises à leur autorité, assurent le ravitaillement de la capitale en lutte.

    Un journal aussi réactionnaire que « La Libre Belgique » publiait le lundi 23 octobre l’interview d’un certain Nicolas Bardos, docteur en sciences-économiques, qui a fui la Hongrie en 1956. Celui-ci relate : « A la sortie d’une pause de nuit, je suis tombé dans la rue sur une manifestation où ouvriers et employés étaient accompagnés d’étudiants derrière un drapeau troué. Deux jours plus tard, je me suis rendu compte de la décomposition de l’Etat. Tout s’est arrêté et réorganisé très vite. Des conseils ouvriers se sont mis en place… ». Ces conseils renouent spontanément avec les formes d’organisation caractéristiques de la démocratie ouvrière : ils sont élus par la base, avec des délégués révocables à tout moment et responsables devant leurs mandats. Leurs revendications politiques diffèrent, mais tous comprennent : l’abolition de l’A.V.O., le retrait des troupes russes, la liberté d’expression pour tous les partis politiques, l’indépendance des syndicats, l’amnistie générale pour les insurgés emprisonnés, mais aussi et surtout la gestion par les travailleurs eux-mêmes des entreprises et des usines.

    Ce dernier point apporte un démenti flagrant à la version prétendant que cette révolution était dirigée contre le « communisme » en général. Le 2 novembre 1956, un article paraît dans « Le Figaro » affirmant ceci : « Les militants hongrois sont soucieux de restaurer une démocratie à l’occidentale, respectueuse des lois du capitalisme. » Cette affirmation est pourtant contredite par les militants révolutionnaires eux-mêmes. La fédération de la jeunesse proclame fièrement : « Nous ne rendrons pas la terre aux gros propriétaires fonciers ni les usines aux capitalistes » ! Dans le même registre, le Conseil Ouvrier Central de Budapest déclare : « Nous défendrons nos usines et nos terres contre la restauration capitaliste et féodale, et ce jusqu’à la mort s’il le faut. » Certes, dans l’atmosphère générale, des réactionnaires ont pu s’infiltrer et pointer le bout de leur nez. Pas plus. Un seul journal réactionnaire a paru. Il n’a publié qu’un seul numéro, car les ouvriers ont refusé de l’imprimer dès le lendemain. Cela n’a pas empêché les journaux bourgeois en Occident de parler de « floraison de journaux anti-communistes ».

    5) Les chars russes

    Au fur et à mesure que les soldats russes restent sur place, ils comprennent de mieux en mieux pourquoi on les a envoyés : ils n’ont pas vu de troupes occidentales, ils n’ont pas vu de fascistes ni de contre-révolutionnaires ; ils ont surtout vu tout un peuple dressé, ouvriers, étudiants, soldats. Certains soldats russes doivent être désarmés et renvoyés vers la Russie, du fait qu’ils refusent d’appliquer les ordres. D’autres fraternisent avec les révolutionnaires et rejoignent carrément le camp des insurgés. Dès le second jour de l’insurrection, un correspondant anglais signale que certains équipages de tanks ont arraché de leur drapeau l’emblème soviétique et qu’ils se battent aux côtés des révolutionnaires hongrois « sous le drapeau rouge du communisme ».

    L’utilisation de l’armée russe à des fins répressives devient de plus en plus difficile. Après un premier repli stratégique pour s’assurer des troupes plus fraîches et plus sûres, le 4 novembre, le Kremlin lance une seconde intervention, armée de 150.000 hommes et de 6.000 tanks pour en finir avec la révolution. Une bonne partie des nouvelles troupes viennent d’Asie soviétique, dans l’espoir que la barrière linguistique puisse empêcher la fraternisation des soldats avec les révolutionnaires hongrois.

    Pendant quatre jours, Budapest est sous le feu des bombardements. Le bilan de la deuxième intervention soviétique à Budapest est lourd : entre 25.000 et 50.000 morts hongrois, et 720 morts du côté des soldats russes. La répression par les troupes de l’A.V.O., qui « nettoient » les rues après le passage des tanks, est extrêmement féroce : des révolutionnaires attrapés dans les combats de rue sont parfois pendus par groupes sur les ponts du Danube ; des pancartes sont accrochées sur leurs cadavres expliquant : « Voilà comment nous traitons les contre-révolutionnaires ». Tout cela se fait bien entendu dans l’indifférence totale des soi-disant « démocraties » occidentales. Le secrétaire d’Etat des USA affirme dans un speech à Washington : « D’un point de vue de la loi internationale sur la violation des traités, je ne pense pas que nous puissions dire que cette intervention est illégale ». Ce positionnement de l’impérialisme américain permet d’apprécier à sa juste valeur l’ «hommage » rendu aux insurgés de ’56 par George W.Bush lors de sa visite en Hongrie en juillet dernier !

    Les combats durent pendant huit jours dans tout le pays. Si l’intervention des chars russes leur a assénés un sérieux coup, les travailleurs ne sont pourtant pas encore complètement battus. Une semaine après le déclenchement de la seconde intervention russe, la majorité des conseils ouvriers sont encore debout. Une nouvelle grève générale, assez bien suivie, aura même encore lieu les 11 et 12 décembre ! Pourtant, le répit obtenue par la réaction à travers cette deuxième intervention militaire–nettement plus efficace que la première-, combinée au manque d’un parti ouvrier révolutionnaire avec une stratégie claire visant à destituer la bureaucratie de ses fonctions, permet à la terreur contre-révolutionnaire de déclencher une offensive sans précédent. Le 20 novembre, les derniers foyers de résistance commencent à s’éteindre. Début décembre, le gouvernement lance la police contre les dirigeants des conseils ouvriers ; plus d’une centaine d’entre eux sont arrêtés dans la nuit du 6 décembre. Sous les coups de la répression, les conseils ouvriers nés de la révolution disparaissent les uns après les autres. La révolution hongroise recule.

    Le 26 décembre 1956, la force des conseils ouvriers hante encore la bureaucratie. Un ministre hongrois, un certain Gyorgy Marosan, déclare que « si nécessaire, le gouvernement exécutera 10.000 personnes pour prouver que c’est lui le vrai gouvernement, et non plus les conseils ouvriers. »

    Le 5 janvier 1957, en visite à Budapest, Kroutchev, rassuré, affirme qu’ « en Hongrie, tout est maintenant rentré dans l’ordre. »

    Le 13 janvier de la même année, la radio diffuse une annonce officielle déclarant qu’ « en raison de la persistance d’activités contre –révolutionnaires dans l’industrie, les Tribunaux ont désormais le pouvoir d’imposer la peine de mort à quiconque perpétuera la moindre action contre le gouvernement. » Cela implique le simple fait de prononcer le mot « grève » ou de distribuer un tract.

    6) Conclusion

    La version que la bourgeoisie présente de ces événements est sans ambiguïté : le peuple hongrois a démontré sa haine du communisme et sa volonté de revenir au bon vieux paradis capitaliste. Pour des raisons quelque peu différentes, la version des staliniens s’en rapproche étrangement : les révolutionnaires sont sans vergogne qualifiés par la bureaucratie de « contre-révolutionnaires », de « fascistes », d’ « agents de la Gestapo ». Dans un cas comme dans l’autre, les insurgés sont présentés comme des éléments pro-capitalistes. Or il n’en est rien : tout le développement de la révolution hongroise dément une telle analyse.

    En 1956, le programme qu’exprimaient des millions de travailleurs de Hongrie à travers les résolutions de leurs conseils et comités, reprenait dans les grandes lignes le programme tracé vingt ans plus tôt dans « La révolution trahie » par Trotsky, où celui-ci prônait pour la Russie une révolution politique contre la caste bureaucratique au pouvoir, comme seule issue afin d’empêcher un retour au capitalisme qui renverrait l’Etat ouvrier des décennies en arrière.

    Trotsky disait : « L’économie planifiée a besoin de démocratie comme l’homme a besoin d’oxygène pour respirer ». Les travailleurs ne refusaient pas la production socialisée ; ce qu’ils refusaient, c’était que cette dernière se fasse au-dessus de leurs têtes. Ils se battaient pour le véritable socialisme, c’est-à-dire un socialisme démocratique. C’est pour cette raison que la victoire des conseils ouvriers était apparue comme un péril mortel à la bureaucratie de l’URSS. De plus, son exemple était un danger direct pour toute la hiérarchie de bureaucrates de que l’on appelait hypocritement les « démocraties populaires ». Mao, Tito, et tous les autres, sans exception, supportèrent sans hésiter la ligne suivie par Moscou. Le Parti Communiste Chinois alla même jusqu’à reprocher aux Russes de ne pas avoir réagi assez vigoureusement pour écraser la révolution hongroise. Dans les pays occidentaux, les PC estimaient que l’intervention soviétique était inévitable et nécessaire si l’on voulait « sauver le socialisme » : il leur en coûtera des dizaines de milliers de membres, le PC anglais perdant plus du quart de ses effectifs.

    Malheureusement, les travailleurs hongrois se sont lancés dans la révolution sans disposer d’une direction révolutionnaire permettant de faire aboutir le mouvement jusqu’à sa conclusion : là était le gage d’une possible victoire. Il est regrettable que certains commentateurs de gauche tirent des conclusions complètement opposées. C’est le cas de Thomas Feixa, journaliste au « Monde Diplomatique », qui écrit : « La grève générale et la création de conseils autonomes opérant sur la base d’une démocratie directe bat en brèche la formule du parti révolutionnaire défendue par Lénine et Trotsky, celle d’une organisation autoritaire et centralisatrice qui réserve les décisions à une élite savante et restreinte. » La contradiction qui est ici posée entre les conseils ouvriers d’un côté, et le parti révolutionnaire de l’autre, n’a pas de sens. Les conseils ouvriers existaient également en Russie : les soviets, qui permettaient précisément que les décisions ne soient pas « réservées à une élite savante et restreinte », mais impliquaient au contraire la masse de la population dans les prises de décision. Que les soviets aient finalement perdu leur substance et furent sapés par la montée d’une bureaucratie totalitaire qui a fini par gangréner tous les rouages de l’appareil d’Etat, c’est une autre histoire que nous n’avons pas l’espace d’aborder ici. Mais une chose est certaine : la victoire des soviets russes a été permise parce qu’ils disposaient d’une direction révolutionnaire à leur tête, représentée par le Parti Bolchévik. Si l’héroïsme des travailleurs hongrois avait pu être complété par l’existence d’un parti tel celui des Bolchéviks en 1917, le dénouement de la révolution hongroise aurait été tout autre, et la face du monde en aurait peut-être été changée.

    Andy Anderson, auteur anglais d’un livre appelé « Hungary ‘56 », explique quant à lui : « Les travailleurs hongrois ont instinctivement, spontanément, créé leurs propres organes, embryon de la société qu’ils voulaient, et n’ont pas eu besoin d’une quelconque forme organisationnelle distincte pour les diriger ; c’était ça leur force. » Encore une fois, ce qui constituait la faiblesse principale du mouvement –sa spontanéité- est ici transformée en son contraire, et présentée comme sa force principale. Il est d’ailleurs assez révélateur de constater qu’aucun de ces deux auteurs n’aborde la question de savoir pourquoi la révolution hongroise a échoué. Elle a échoué car il manquait aux travailleurs hongrois la direction capable de coordonner leur action, de construire un soutien solide dans les populations ouvrières des autres pays de l’Est par une stratégie consciente visant à étendre la révolution à l’extérieur et ainsi desserrer l’étau qui pesait sur les révolutionnaires hongrois, de déjouer les pièges de la bureaucratie et, surtout, de balayer définitivement celle-ci du pouvoir. C’est bien à cause de cela que les conseils ouvriers sont restés en Hongrie à l’état d’ « embryons de la nouvelle société » et ne sont jamais devenus des organes de pouvoir effectifs.

    Sources :

    • « La révolution hongroise des conseils ouvriers », Pierre Broué.
    • « Hungary ‘56 », Andy Anderson
    • « Le Monde Diplomatique » (octobre 2006)
    • « La Libre Belgique » (23 et 24 octobre 2006)
  • Le Mouvement pour une Alternative Socialiste / Linkse Socialistische Partij a 5 ans

    Il y a 5 ans, le Militant / Militant Links a changé son nom en Mouvement pour une Alternative Socialiste / Linkse Socialistische Partij. L’orientation en Flandre essentiellement, voulait répondre au vide politique dû au virage à droite du SP.a, qui défendait ouvertement les intérêts du patronat. Du côté francophone ce vide existait aussi, mais dans une moindre mesure. Etant donné que nos forces du côté francophone étaient moins grandes, le nom de Mouvement pour une Alternative Socialiste a été choisi.

    Els Deschoemacker

    La volonté était de dépasser l’image d’un “groupe d’action” liée au nom ‘Militant’. Ce nom était adapté à la période suivant la chute du Mur de Berlin, alors que les idées socialistes étaient en position défensive. Toutes les organisations de gauche ont dû durant cette période essayer de préserver leurs forces et de trouver un soutien parmi la petite minorité de ceux qui s’opposaient encore au système.

    Nous voulions nous donner un profil clairement socialiste. Durant ces 5 dernières années, notre organisation a bien renforcé ses rangs: nous avons doublé le nombre de nos membres et triplé celui de nos sections et la balance entre néerlandophones et francophones est plus équilibrée avec un tiers des membres qui sont francophones. Le MAS/LSP a des sections dans 18 villes en Flandres, ainsi qu’à Bruxelles et en Wallonie (avec parfois plusieurs sections par ville).

    Mais cette évolution n’est pas uniquement quantitative, elle est également qualitative : ces 5 dernières années, notre organisation est devenue plus active sur le terrain syndical. Avec notre intervention dans le mouvement contre le Pacte des Générations et le lancement du Comité pour Une Autre Politique, il devient désormais difficile de continuer à dire que le MAS/LSP est un groupe d’étudiants…

    Les contradictions entre riches et pauvres comme conséquence de la globalisation néolibérale devraient mener à une remontée des luttes et au développement d’une conscience de classe liée à celles-ci. La nécessité d’un programme socialiste et d’un parti des travailleurs apparaîtra plus clairement dans les actions.

    Nous allons faire de notre mieux pour construire un nouveau parti des travailleurs en Belgique. Nous n’avons pas l’intention de nous taire sur la nécessité d’un changement socialiste de la société. Nous allons continuer à faire le lien entre des revendications concernant la vie quotidienne et la nécessité d’une alternative socialiste.

    Nous sommes d’avis qu’il n’existe pas d’autres alternatives. Le socialisme n’est pas une utopie ou une théorie sans conséquences pratiques. C’est une réponse concrète aux problèmes avec lesquels les travailleurs et leurs familles sont confrontés dans la vie de tout les jours.

  • La création d’un nouveau parti des travailleurs signifie-t-elle la fin du MAS?

    Si le 28 octobre le processus vers un nouveau parti de gauche est lancé avec notre participation active, allons-nous mettre en même temps la clé du local du MAS sous le paillasson et arrêter de construire notre organisation ? Ce numéro d’Alternative Socialiste sera-t-il le dernier? Notre réponse est claire et nette: pas du tout ! Mais pourquoi ? Et comment allons-nous mener deux projets de front ?

    Cédric Gérôme

    Comme le disait Marx, la classe ouvrière n’est vraiment consciente d’être une classe que lorsqu’elle combat sur le plan politique de façon indépendante. A l’heure actuelle, pour se défendre, les travailleurs ont besoin d’un instrument politique qui puisse leur servir de porte-voix en les unifiant au-delà de leurs origines, de leur âge, de leur sexe, de leur culture, de leur expérience et de leur conscience politique – ce que nous appelons un nouveau parti des travailleurs.

    Cependant, les exemples du passé tout comme l’histoire récente nous démontrent que l’existence de tels partis ne nous protège pas pour autant des nombreux dangers qui se dressent sur le chemin de la lutte. C’est pourquoi, si nous comprenons la nécessité d’unir différents courants et individus contre la politique néo-libérale, nous ne sommes pas prêts à sacrifier notre parti révolutionnaire sur l’autel de l’unité au nom du vieil adage « oublions nos divergences, nous sommes quand même tous de gauche»…

    Des expériences amères, mais riches en leçons

    Entre 1871 et 1914, la classe ouvrière allemande avait construit un des partis les plus puissants du monde, le Parti Social-Démocrate (SPD). Celui-ci pouvait compter, en 1912, sur 4,3 millions d’électeurs et plus d’un million de membres ! Pourtant, lorsque la première guerre mondiale a éclaté, la grande majorité des dirigeants de la social-démocratie allemande se sont mis à ramper à plat ventre devant le militarisme national et ont cautionné, par le vote des crédits de guerre, l’envoi de centaines de milliers de travailleurs dans la boucherie des tranchées. Le vernis socialiste de la direction du SPD a craqué en quelques jours sous les coups de canons de la guerre impérialiste et a fait place à l’opportunisme dans sa plus cruelle expression.

    Dans son livre ‘Classe, parti et direction’, Trotsky a expliqué : « Il faut un grand choc historique pour révéler de façon aiguë la contradiction qui existe entre la direction et la classe. Mais, quand bien même l’ancienne direction a révélé sa propre corruption interne, la classe ne peut pas improviser immédiatement une direction nouvelle, surtout si elle n’a pas hérité de la période précédente des cadres révolutionnaires solides capables de mettre à profit l’écroulement de l’ancien parti dirigeant (…) Dans les moments cruciaux de tournants historiques, la direction politique peut devenir un facteur aussi décisif que l’est celui du commandant en chef aux moments critiques de la guerre. »

    Les nouvelles formations et le rôle des marxistes aujourd’hui

    L’exemple ci-dessus peut sembler complètement dépassé. Pourtant, la tâche consistant à différencier, sur les plans tant politique et idéologique qu’organisationnel, les forces du marxisme révolutionnaire vis-à-vis des autres courants est une tâche tout aussi indispensable aujourd’hui qu’elle ne l’était au début du siècle dernier. L’absence – ou la faiblesse – d’une aile révolutionnaire structurée au sein des nouvelles formations de gauche qui ont vu le jour dans différents pays ces dernières années ont à chaque fois entraîné une orientation rapide vers les compromis douteux et la capitulation plus ou moins larvée devant la politique du patronat.

    Des expériences telle celle de « Rifondazione Comunista » en Italie remettent cette leçon en lumière. La création de RC en 1991 avait suscité un enthousiasme certain, tant parmi les anciens membres du Parti Communiste Italien déçus par le tournant vers la droite initié par la direction de ce dernier, que parmi la jeunesse radicalisée et les nombreux militants de tous horizons. Six ans après sa création, ce parti était devenu un petit parti de masse, rassemblant dans ses rangs plus de 130.000 adhérents. Depuis lors, nombre de membres ont pourtant perdu leur enthousiasme initial, voire déchiré leur carte de membre, surtout à cause du ralliement des dirigeants de RC à la coalition « de gauche » autour de Romano Prodi, alors que celle-ci s’apprête ouvertement à mener une nouvelle vague de politique néo-libérale.

    Soustraire les travailleurs à l’influence de telles dérives ne peut se faire que si le parti révolutionnaire participe aux côtés des travailleurs dans leur lutte quotidienne, drapeau déployé. De l’expérience de RC et de bien d’autres encore, nous tirons la conclusion que si la naissance d’un nouveau parti des travailleurs en Belgique peut être un grand pas en avant, celle-ci ne procure en soi aucune garantie sur son évolution future.

    Le rôle des révolutionnaires marxistes ne doit donc pas se limiter à aider à construire ce parti et à se laisser « emporter par le courant », mais bien à construire, renforcer et défendre consciemment le programme révolutionnaire en son sein. Cela n’a pour nous rien à voir avec l’idée d’établir une « pureté doctrinale» au sein de cette formation ; c’est simplement se donner les moyens de résoudre au mieux des questions vitales pour son évolution future.

    Combiner en un même processus l’action politique commune et la construction du parti révolutionnaire : telle est la double tâche à laquelle s’attellera le MAS dans la prochaine période.

  • Pour un nouveau parti des travailleurs. Mais… Quel type de parti et avec quel programme?

    Pour un nouveau parti des travailleurs. Mais…

    Le 28 octobre se déroulera la conférence nationale du Comité pour une Autre Politique, première occasion sérieuse en Belgique pour préparer le lancement d’un nouvelle formation large qui peut et doit avoir pour ambition de réunir des milliers, et peut-être des dizaines de milliers, de salariés, de chômeurs, de jeunes et de seniors, belges ou immigrés afin d’engager la lutte contre la politique néolibérale.

    Peter Delsing

    Qu’est-ce qu’un nouveau parti des travailleurs?

    Dans le passé, une couche importante de salariés a longtemps considéré les partis socialistes comme des instruments capables d’améliorer leurs conditions de vie. Le système de sécurité sociale, avec le droit à l’allocation de chômage, les pensions, les soins de santé,… a été considéré comme le résultat de l’action de ces partis, même si c’était principalement les luttes des salariés qui avaient obligé les patrons à faire ces concessions.

    La direction des partis socialistes est bien sûr depuis longtemps principalement dans les mains des carriéristes – un siège bien payé au parlement : oui ; une lutte active pour une autre société : non – mais des dizaines de milliers de salariés partout en Belgique, et des centaines dans chaque ville ou commune, continuaient à s’engager pour une politique favorable aux travailleurs à travers ces partis.

    Voilà pourquoi le groupe qui a donné naissance au MAS était jusqu’au début des années ‘90 actif au sein du SP.a et du PS. Nous ne voulions pas nous mettre en dehors du mouvement et des organisations traditionnelles de masse. Nous voulions entrer en dialogue avec des couches plus larges de salariés sur ce que signifie concrètement une société socialiste et sur les moyens à employer pour transformer la société.

    Depuis la participation du SP.a et du PS aux gouvernements de casse sociale, à partir de 1987, cette situation a complètement changé. Et, depuis le début des années ’90, après l’effondrement des régimes staliniens en URSS et en Europe de l’Est, les dirigeants des PS se sont totalement ralliés au marché et au néolibéralisme triomphants.

    Les salariés ont donc pris leurs distances avec ces partis. lls ont été remplacés par de plus en plus de hauts diplômés et d’‘intellectuels’, pour qui, faire carrière était le premier souci et qui ont complètement pris en main l’appareil du parti. Et le Vlaams Belang, puis le Front National, des partis pourtant dirigés contre les travailleurs et qui soutiennent entièrement le capitalisme, ont commencé à obtenir des scores électoraux de plus en plus élevés dans les anciens ‘bastions rouges’.

    Aujourd’hui, il n’existe plus de grand parti pour les travailleurs et la jeunesse. Il n’y a plus que des machines électorales. Il y a un an, lors les grèves contre le Pacte des Générations, le clivage s’est encore approfondi entre la base syndicale et les partis qui relayaient traditionnellement une partie des revendications syndicales. C’est particulièrement net en Flandre où le SP.a a évolué très vite et très loin vers le libéralisme tandis que le CD&V est tout aussi à droite que les libéraux et presqu’aussi nationaliste que le VB. Du côté francophone, même si le PS et le CDH ne vont pas aussi loin dans cette direction, la tendance générale est pourtant la même.

    Le MAS a répété depuis 1995 que les remous dans la base syndicale mettraient inévitablement la question d’un nouveau parti à l’ordre du jour. Car nous – syndicalistes, travailleurs, locataires, étudiants,… – avons tous besoin d’un endroit où nous pouvons discuter des luttes, échanger les expériences, élaborer nos stratégies d’action, préparer notre programme,… en toute indépendance face aux patrons, à leurs partis et à leur presse.

    Sans organisation pour nous défendre et sans parti pour nous représenter, nous sommes simplement du matériel pour l’exploitation capitaliste. De la même manière que les travailleurs au 19e siècle ont compris que les syndicats n’étaient pas suffisants pour se défendre contre la classe dominante, les travailleurs et leurs familles doivent comprendre aujourd’hui qu’ils ont à nouveau besoin de leur propre parti.

    S’orienter vers des couches plus larges

    Le MAS pense qu’un tel parti ne peut pas être la simple addition des organisations existantes de l’extrême-gauche et que son programme ne doit être ni à tout prix ‘anticapitaliste’ dès sa naissance ni imposé d’en haut, sans avoir pris le temps de mener des discussions suffisantes avec des couches plus larges de salariés et de jeunes.

    La base pour un nouveau parti est, aujourd’hui, la résistance contre la politique néolibérale. Etre contre la casse de la sécurité sociale, de nos salaires et de nos contrats, contre la casse des services publics et les privatisations, contre les divisions sur base de la langue, de la région, de la nationalité ou du sexe est une base suffisante pour rassembler les organisations de gauche et des couches plus larges de travailleurs et de jeunes. Un programme minimum peut alors être élaboré sur lequel tout le monde peut se retrouver.

    Une élaboration plus complète du programme devra être le résultat de discussions avec ces couches nouvelles de travailleurs et de jeunes qui peuvent devenir actifs dans cette nouvelle formation.

    Pourquoi un programme est-il si important?

    Cette nouvelle initiative servira donc d’abord à exprimer haut et fort ce que nous refusons. Mais ce n’est pas suffisant. Nous devrons aussi élaborer une alternative positive, un programme réel avec des revendications concrètes. Cela ne sera possible que si Une Autre Politique se base sur la démocratie interne la plus large en respectant les différentes identités politiques présentes.

    Dans les nouvelles couches qui entrent en action et qui ont peu d’expérience avec des organisations syndicales et politiques, la crainte que surgissent des ‘divisions’ dans un nouveau parti peut se développer très vite. Mais les travailleurs et les jeunes peuvent comprendre qu’un programme minimum n’est pas suffisant et qu’en chaque lutte – même pour nos intérêts les plus directs – se pose la nécessité d’une analyse plus élaborée de la société. Pourquoi le capitalisme est-il en crise ? Quelle est l’alternative ? Comment la faire triompher ?

    Un programme élaboré ne peut se réaliser que sur base d’expériences communes et de nombreuses discussions démocratiques. Ceci ne peut se faire si l’identité politique des individus et des groupes qui participent n’est pas respectée. Selon nous, cela implique le droit pour ces divers groupes de présenter leurs idées et de travailler avec leurs propres outils (journaux, sites,…) en toute liberté à l’intérieur du nouveau parti. Sans démocratie interne, sans libre expression pour les groupes et les indépendants, un nouveau parti ne peut pas devenir un parti de masse avec des membres activement impliqués.

    La question du programme est aussi importante pour une autre raison. Dès le début, une nouvelle formation se trouvera devant le choix d’accepter de travailler à l’intérieur des limites du capitalisme ou de lutter pour en finir avec ce système. L’expérience nous montre que des “nouveaux partis des travailleurs” – le Linkspartei en Allemagne, le SP aux Pays Bas, refondation Communiste en Italie – peuvent perdre très vite leur attraction ou leurs membres actifs, s’ils s’adaptent à la politique néolibérale, s’ils ne choisissent pas un vrai programme socialiste.

    Qu’est-ce qu’un programme socialiste?

    Le MAS ne veut pas imposer son programme complet comme condition pour collaborer à l’intérieur d’un nouveau parti des travailleurs. Mais nous pensons que, sur toutes les questions politiques brûlantes – l’insécurité de l’emploi, le chômage, la sécurité sociale, le racisme et la guerre -, seul un programme socialiste peut vraiment offrir une solution. La société doit être fondamentalement changée.

    Prenons le chômage. Depuis les années ’70, ce problème n’a fait que s’aggraver. Les périodes de croissance n’ont pas réussi à réduire fondamentalement le chômage. Une politique socialiste défendrait une solution collective – une diminution du temps de travail sans perte de salaire et avec embauche compensatoire – plutôt que la répression et la culpabilisation des chômeurs. Mais, devant chacune de nos tentatives pour conserver ou améliorer notre niveau de vie, se dresse le mur du profit et de la propriété privée capitaliste. Il est nécessaire que la communauté dispose de la richesse, ce qui ne peut s’effectuer que par l’intermédiaire de la construction d’un mouvement de masse visant à collectiviser les entreprises, les machines, les administrations,… et à les mettre sous le contrôle direct des travailleurs et des usagers.

    L’économie de marché a dépassé depuis longtemps sa date de péremption. Seule une économie collectivisée et planifiée sur base des besoins et de la volonté démocratique des travailleurs peut donner à l’humanité la chance de faire un pas décisif en avant. C’est donc à ce programme-là que nous essayerons de gagner le nouveau parti.

  • Les préparatifs de la réforme de l'Etat de 2007

    Les préparatifs de la réforme de l’Etat de 2007

    Les Flamands ont jadis mené un juste combat contre leur oppression au sein de la Belgique francophone. Le mouvement ouvrier socialiste n’y ayant accordé que peu d’attention, la voie était ouverte au mouvement ouvrier chrétien. Cette faute historique a aussi poussé le sommet du Mouvement flamand à rallier les rangs de la droite et, finalement, de l’extrême droite.

    Anja Deschoemacker

    La Flandre est aujourd’hui la région la plus riche du pays. Le mouvement flamand ne lutte plus pour une quelconque libération. Bien au contraire, il prône la manière forte pour imposer aux autres sa propre culture. Les socialistes – ceux dignes de ce nom! – ne peuvent en aucun cas soutenir ce revanchisme flamand; ils doivent aussi lutter contre ce chantage flamand qui vise à contraindre la Wallonie à mener une politique encore plus antisociale.

    Ce que les Flamands font eux-mêmes, le font-ils mieux?

    Le budget flamand se porte bien: il ne cesse d’engranger des surplus d’année en année, ce qui n’est possible qu’en imposant un taux de productivité élevé aux travailleurs flamands d’une part, en limitant drastiquement les dépenses sociales d’autre part. Dans cette Flandre qu’on décrit volontiers comme "riche" de part et d’autre de la frontière linguistique – pour s’en vanter au nord, pour la blâmer et la jalouser en même temps au sud – une maison de repos sur cinq n’a pas d’attestation de sécurité d’incendie, des centaines de bâtiments scolaires attendent depuis des années des travaux de restauration indispensables, les handicapés se morfondent sur des listes d’attente interminables pour avoir accès à des structures adaptées, …

    Dans cette Flandre "riche", le fossé entre riches et pauvres ne cesse de s’élargir. Sur le site officiel de la Communauté flamande, on peut lire que quelque 13% des Flamands sont confrontés à un risque de pauvreté et que 7% végètent dans une situation de pauvreté de longue durée.

    Wallonie: des réformes de structures au Plan Marshall

    La régionalisation n’a pas davantage apporté quelque chose de bon aux travailleurs et à leurs familles en Wallonie. Du couple fédéralisme /réformes de structures (le programme de la FGTB en 1956) que défendait le mouvement wallon lorsqu’il était à son apogée sous la direction d’André Renard, il n’est vite resté que le seul fédéralisme. Depuis lors, le PS n’a cessé d’en faire son cheval de bataille. La régionalisation n’a pas pu contrer la désindustrialisation, ni le chômage et la pauvreté qui l’accompagnent.

    Aujourd’hui, le Plan Marshall néolibéral est sur les rails. Certains en Wallonie proposent même de faire baisser les salaires plus fortement qu’en Flandre. Si le PS y fait encore obstacle, il ne propose lui-même comme solution que la " modernisation " du marché du travail.

    Par "modernisation" il faut entendre dégraissage de l’emploi dans les services publics et flexibilité accrue du marché du travail par la multiplication d’emplois précaires (à temps partiel, à durée déterminée) et à bas salaires.

    Fin 2005, 8.700 personnes avaient été engagées en Wallonie via les chèques-services et ce chiffre ne cesse d’augmenter.

    Bruxelles: capitale de l’Europe et de la pauvreté

    Avec 21% de chômage (35% chez les jeunes), Bruxelles est comparable à certaines régions d’Europe de l’Est. Près des deux-tiers des chômeurs complets indemnisés sont sous-qualifiés. En septembre 2005, 69% des chômeurs étaient au chômage depuis au moins un an et 48% depuis au moins deux ans. Près de 30% des enfants bruxellois grandissent dans une famille privée de tout revenu du travail. Et tout ça n’empêche pas la politique bruxelloise d’être dominée par le rififi communautaire.

    Il faut l’unité du mouvement ouvrier en Belgique

    Le MAS/LSP ne veut pas maintenir à tout prix l’unité de la Belgique, mais l’unité des travailleurs est une nécessité absolue pour maintenir et étendre les acquis du passé.

    Les secteurs où la fédéralisation a déjà mené à l’éclatement de l’action syndicale, comme l’enseignement, ont vu se succéder les régressions et les défaites. La scission de la Centrale des Métallos de la FGTB ne présage rien de bon pour les travailleurs du secteur. Cette scission a été imposée sans tenir compte – ou si peu – de l’opinion des militants de base.Nous exigeons la fin de toutes les vexations et de toutes les mesures qui éloignent les communautés l’une de l’autre.

    • Stop aux vexations et aux mesquineries – des Francophones comme des Flamands – envers l’autre communauté à Bruxelles et dans la périphérie, mais également en Wallonie envers les Germanophones.
    • Nous exigeons l’accès de tous les services dans les diverses langues nationales là où les différentes communautés vivent ensemble et où le besoin s’en fait sentir. Nous dénonçons aussi bien les tentatives d’affaiblir le bilinguisme des services à Bruxelles au détriment des Flamands que les innombrables atteintes aux droits des francophones (et des Flamands du fait de certaines majorités francophones) dans la périphérie. Nous revendiquons des facilités pour les germanophones dans l’enseignement supérieur de la Province de Liège, mais aussi que les Francophones vivant en Communauté germanophone puissent suivre l’enseignement en français dans les infrastructures scolaires existantes.
    • Les employeurs n’ont pas à imposer des exigences linguistiques s’ils ne mettent pas la main au portefeuille. Il faut rémunérer le bilinguisme, voire le plurilinguisme, dans l’entreprise par des hausses de salaire. Si les employeurs veulent du personnel bilingue ou plurilingue, ils doivent organiser à leurs frais des cours de langue pendant les heures de travail. Les pouvoirs publics doivent organiser des cours de langue gratuits pour les chômeurs qui le souhaitent et leur accorder un salaire d’étude qui couvre le surcroît de dépenses (transport, crêche,…) que ces cours entraînent.
    • A Bruxelles, il faut mettre en oeuvre, en concertation étroite avec les habitants, un programme d’ampleur de construction de logements sociaux et de rénovation urbaine pour donner la possibilité à tous ceux qui le souhaitent de continuer à habiter dans la Région.
    • Pas de scission de Bruxelles-Hal-Vilvorde, pas d’élargissement des limites de Bruxelles sans garantie d’accès au travail et aux services pour tous dans sa propre langue.
    • Pour mettre en oeuvre un tel programme, il faudra dégager beaucoup plus de moyens, ce qu’aucun parti n’est prêt à faire ni d’un côté ni de l’autre. Lutter pour plus de moyens, cela signifie s’en prendre aux bénéfices de l’élite pour augmenter les salaires, les dépenses sociales, l’offre de services publics et, en fin de compte, nationaliser les secteurs clés de l’économie pour que toutes les richesses reviennent entre les mains de ceux qui les ont produites.
    • Pour y arriver, les travailleurs et leurs familles doivent construire leur propre parti, soucieux des intérêts de tous les travailleurs, indépendant de la classe dominante qui se livre au petit jeu de diviser pour mieux régner et en rupture avec tous ces partis montés sur leurs ergots communautaires.
  • Leterme suscite de nouveaux remous communautaires

    Question nationale

    Yves Leterme voulait se faire remarquer et il a réussi. Ses propos dans Libération ont fait couler des litres d’encre dans tous les journaux. Les préparatifs de la réforme de l’Etat ont bel et bien commencé.

    Anja Deschoemacker

    Selon Leterme (président du CD&V et de la région flamande), les francophones n’ont pas les capacités intellectuelles pour apprendre le néerlandais, mais aussi que ne subsistent de la Belgique que le roi, la bière et le football. De plus, il a menacé les francophones d’abolir les mécanismes qui les protègent comme la parité linguistique au sein du gouvernement fédéral et la procédure de la sonnette d’alarme s’ils remettaient en cause la frontière linguistique. Di Rupo a surenchéri en mettant sur la table les mécanismes de protection des Flamands de Bruxelles et en revendiquant l’alternance linguistique du poste de Premier Ministre.

    Chacun sait ainsi à qui il doit s’en prendre: à l’autre communauté. Est-ce le cas? Mais avant d’aller plus loin: les francophones refusent-ils d’apprendre le néerlandais?

    Les faits sont les suivants. A Bruxelles, les enfants néerlandophones sont une minorité dans l’enseignement maternel et secondaire. Un quart des jeunes scolarisés vont dans une école néerlandophone. Du côté francophone, quelque 150 écoles primaires et secondaires donnent une partie des cours dans une autre langue que le français. 4 le font en allemand, 29 en anglais et… 115 en néerlandais ! En dépit de sondages qui révèlent qu’une majorité de Bruxellois souhaitent un enseignement bilingue, les politiciens bruxellois flamands s’y opposent. En Flandre, l’enseignement en immersion est interdit et la connaissance du français recule dans la jeunesse. La réduction des moyens pour l’enseignement n’y est pas étrangère.

    L’attitude des travailleurs et de leurs familles envers les langues dépend étroitement des exigences du marché du travail. D’après le président de la FEB Jean-Claude Daoust: "L’unilinguisme se paye cash sur le marché du travail. On ne lit même pas les CV des candidats unilingues". C’est ainsi que la grande majorité des Bruxellois flamands se sont francisés dans le passé.

    De même aujourd’hui, le taux élevé du chômage en Wallonie et à Bruxelles (avec une grande majorité de chômeurs francophones unilingues) donne lieu à un redoublement d’efforts pour devenir bilingue. Le succès des chèques-langues en témoigne.

    Questions/réponses

    Les écarts économiques entre la Flandre et la Wallonie doivent-ils mener à la scission de la Belgique?

    La Belgique existe depuis près de 200 ans. Pourtant, elle a toujours connu de grandes disparités régionales. Depuis le début du 20e siècle, des voix pour plus d’autonomie régionale se sont exprimées des deux côtés. Seules les deux guerres ont donné lieu à l’expression d’un fort nationalisme belge. Mais il n’y a eu à aucun moment dans l’histoire, ni en Flandre ni en Wallonie, une situation où une majorité de la population s’est prononcée pour la séparation. La plupart des mouvements nationalistes s’en sont toujours tenus à un programme de réformes dans le cadre belge. La bourgeoisie préfèrerait certes un espace linguistique homogène qui est plus propice au développement économique, mais elle préfère encore davantage les grands ensembles cohérents à l’émiettement territorial.

    De plus, une scission de la Belgique pourrait donner lieu à un effet domino que les bourgeoisies européennes, c’est le moins qu’on puisse dire, ne souhaitent pas. Et que faire de Bruxelles qui sera revendiquée par la Flandre comme par la Wallonie?

    L’unanimité politique flamande reflète-t-elle un fort nationalisme flamand et une volonté de régionalisation accrue parmi la population flamande?

    C’est l’impression que l’on a lorsqu’on écoute n’importe quel politicien flamand. Mais alors, comment expliquer que les "sans opinion" l’emportent dans les sondages sur la scission de BHV réalisés en Flandre? Tout comme en Wallonie d’ailleurs. La Flandre et la Wallonie convergent en effet dans le peu d’intérêt que semblent porter leurs populations à la politique communautaire. Dans les sondages sur les dossiers prioritaires à l’approche des élections, ce sont des thèmes comme l’emploi, les soins de santé, la sécurité,… qui sont cités. On ne trouve jamais dans le top 10 " plus de compétences pour les régions et/ou les communautés ", pas plus en Flandre qu’en Wallonie ou à Bruxelles. Dans un sondage réalisé au plus fort de la crise autour de BHV, 84% des Flamands et 92% des Wallons prônaient le maintien de la Belgique.

    Qui dit quoi?

    • En mars 1999, tous les députés du Parlement flamand (sauf ceux du Vlaams Blok) ont voté les résolutions suivantes: maîtrise totale par la Flandre des soins de santé, de la politique des familles, de la coopération au développement, des télécommunications, de la recherche scientifique et technologique ; autonomie fiscale et financière accrue ; autonomie constitutive illimitée; transfert de l’exploitation et de l’infrastructure ferroviaires; solidarité objective et transparente avec les autres entités fédérées ; homogénéité des paquets de compétences en matière de police et de justice. Leterme fait d’une percée dans ce qui précède, avec la scission de l’arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde, un préalable à l’entrée du CD&V dans un gouvernement fédéral; Vande Lanotte fait de la régionalisation du marché du travail un préalable à la participation du SP.a.
    • Le front francophone est jusqu’ici un front défensif. La plupart des politiciens francophones opposent à la revendication de scission de BHV celle du maintien et de l’ancrage des facilités, voire l’extension des limites de la Région de Bruxelles-Capitale.
    • Les politiciens bruxellois refusent d’être le dindon de la farce. Ils revendiquent surtout plus d’argent pour Bruxelles.
    • Il ressort de plusieurs enquêtes que les petits patrons flamands, regroupés au sein du Voka et d’Unizo, se prononcent en grande majorité pour la régionalisation du marché du travail.
    • La FEB en revanche, qui représente les grandes entreprises, se prononce contre la régionalisation du marché du travail. Pour Jean-Claude Daoust (De Standaard 1/9): "Chez Unizo, il s’agit surtout de petites entreprises dont le terrain d’action est souvent très local, circonscrit à la Flandre (…). Elles ignorent les entraves à la libre entreprise que pose une double ou une triple législation".
    • La FGTB et la CSC se sont prononcées contre une extension de la régionalisation. Le président de la CSC, Luc Cortebeeck, a dit dans Le Soir (11/9) que la régionalisation du marché du travail n’apporterait rien aux travailleurs flamands et causerait des dégâts au tissu socio-économique.
  • Tirlemont: 200 manifestants contre la violence raciste

    Le 2 septembre, environ 200 personnes manifestaient à Tirlemont à la suite d’une nouvelle attaque raciste contre un tzigane, Peter Danyi. D’origine slovaque, il avait été attaqué par une bande de skinheads néo-nazis.

    Ken Von der Crone

    La manifestation avait été organisée dans de très brefs délais tant la colère était grande après l’agression, mais elle a été d’une ampleur relativement grande pour une petite ville comme Tirlemont.

    Après la manifestation, les orateurs clamaient qu’il faut également s’opposer au climat raciste renforcé par la politique anti-sociale. La politique locale de la coalition CD&V-VLD et la propagande du Vlaams Belang ont une grande responsabilité dans la violence. Le maire Eddy Poffé (VLD) a fait plusieurs remarques négatives sur la communauté gitane à Tirlemont et a essayé de minimaliser la violence. Les tziganes, discriminés dans leur propre pays, sont aussi en Belgique victimes du racisme.

    Le MAS/LSP n’a pas une attitude moraliste envers le racisme, mais veut combattre ses racines en s’opposant à la politique antisociale qui sème misère et division.

    Le MAS/LSP était présent à la manif pour défendre la nécessité d’une alternative politique.

  • Blood & Honour. Chez nous aussi, les néonazis violents sont une menace!

    Ces dernières années, le MAS/LSP et Blokbuster ont plusieurs fois dénoncé le danger que représente des groupuscules néonazis comme Blood & Honour. Un des groupes qui se réfère à Blood & Honour, connu sous le nom de Sang-Terre-Honneur-Fidélité – BBET selon les initiales de ces mots en néerlandais- a été démantelé pour possession illégale d’armes et pour avoir envisagé des attentats. La quantité d’armes qui a été retrouvée est impressionnante: quelque 400 fusils et pistolets, des détonateurs pour mines, des masques à gaz, une bombe artisanale et des lettres prévues pour revendiquer la responsabilité de futures actions.

    Geert Cool

    2003. Ancien dirigeant du VMO, Bert Eriksson, parlait sur une réunion de Blood&Honour pour fêter l’anniversaire de Adolf Hitler

    Les faits ne sont pas récents

    Ce n’est pas un hasard si la répression contre BBET est arrivée à ce moment. En période électorale, les politiciens traditionnels et la police ont pu utiliser cette action dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et pour se profiler en même temps contre l’extrême-droite. Tout a été soigneusement préparé pour attirer une attention maximale sur les perquisitions aux domiciles des partisans du BBET. Le jeudi 7 septembre, des fouilles ont été faites, notamment dans quelques casernes. Mais les deux jours précédents, des journalistes interviewaient déjà Blokbuster sur le BBET…

    Nous ne sommes en rien surpris par la découverte d’armes. En 2004 déjà, nous avions publié une photo du suspect principal, Thomas Boutens, qui, dans la caserne de Leopoldsburg, s’était fait photographier avec des pistolets en visant l’objectif. Nous savions que les cercles du BBET disposaient d’armes et que ceux-ci, avec d’autres groupes néonazis, représentaient une menace. Cela était donc déjà connu en 2004!

    Récemment par contre, une augmentation des transactions d’armes au BBET a été signalée, motif officiel de l’intervention de la police. Après l’interdiction du BBET en Allemagne, beaucoup d’armes ont probablement été transférées en Belgique.

    D’après la tradition du VMO

    La présence d’armes chez des figures d’extrême-droite n’est ni étonnante, ni nouvelle. Fin des années ’70, début ’80, le VMO (Vlaamse Militanten Orde- Ordre Flamand Militant) allait encore plus loin. Le VMO ne se limitait pas à la possession d’un arsenal et à l’organisation de camps d’entraînement militaires, mais se servait de ces armes. L’interdiction du VMO est survenue après une série d’attaques et d’actions violentes: destruction d’un bistrot pour immigrés à St Nicolas, attaque à main armée contre un café de gauche à Bruges, tentative d’occupation violente du Halletoren à Bruges et bien d’autres encore.

    En 1983, l’interdiction du VMO était devenue inévitable. Plusieurs personnes condamnées à l’époque siègent aujourd’hui au parlement pour le Vlaams Blok/Belang. Philip Dewinter et Frank Vanhecke ont été formés politiquement dans les camps du VMO par le leader brugeois du VMO Roger Spinnewyn. Ce dernier a été condamné plusieurs fois pour port d’armes mais s’est présenté le 8 octobre sur la liste du VB à Zedelgem. Le leader national du VMO, Bert Eriksson a systématiquement déclaré qu’il était fidèle au ‘führer’ et au nazisme. Lors de son enterrement, le parlementaire et ancien militant du VMO Pieter Huybrechts était présent. Quand Eriksson a été incarcéré au début des années ’80 pour son engagement au sein du VMO, il s’était fait représenter par Filip Dewinter à la commémoration du collaborateur nazi Cyriel Verschaeve.

    Le VB contraint de se distancer

    Le VB a peu de choix et doit se distancer de Blood & Honour. Ce parti se rend bien compte que la majorité de ses électeurs n’adhère pas aux methodes et aux opinions de tels groupes. Mais ce n’est que quand les faits deviennent publics que la distance est prise. En 2004, Frida Foubert du VB à Waasmunster a été éjectée de son parti après avoir révélé que Blood&Honour avait organisé un meeting dans une salle qu’elle gérait. Dès que l’attention médiatique s’est affaiblie, Francis Van den Eynde l’a réintégrée…

    Selon l’ancien vice-président du VB, Roeland Raes, le parti ne se distance pas de tous les groupes radicaux mais seulement de ceux sur lesquels le VB n’exerce aucune influence. Dans le quotidien De Standaard il avait déclaré: "Dans les années ’70, il existait moins de tabous pour tenir des propos plus radicaux ou pour faire référence aux années ‘30 et ‘40. Les mesures contre nous à l’époque étaient moins prononcées et moins déterminées."

    La raison pour laquelle le VB est devenu prudent n’a rien à voir avec un changement de cap. Selon Raes, "le VB a dû traverser un tas de processus. L’objectif était de nous museler. Voilà pourquoi nous sommes devenus plus prudents et pourquoi nous ne nous engageons pas dans l’aventurisme aveugle de ces gens-là." Lors de son procès sur ses propos négationistes, Raes a été, et sera à l’avenir, défendu par l’avocat qui représente actuellement quelques membres du BBET.

    Il faut une réponse politique!

    Blood&Honour est évidemment un groupe dangereux. Suite à l’interdiction de cette organisation en Allemagne, des armes y ont aussi été retrouvées. En Europe de l’Est, les néonazis connaissent une ascension sans précédent.

    Face à la violence de groupes tels que le BBET, c’est d’une réponse politique dont nous avons besoin. Condamner la violence ne suffit pas en soi, nous devons aussi nous opposer au climat politique qui renforce le racisme.

    Les partis traditionnels défendent une politique néolibérale qui reproche aux victimes de la politique d’être eux-mêmes responsables de leur situation: les chômeurs seraient responsables du chômage, les pauvres de la pauvreté, les immigrés de l’immigration,… Cela crée un terreau pour une rhétorique ouvertement raciste, comme celle du VB. Qui plus est, en l’absence d’une alternative politique sérieuse pour les travailleurs et leurs familles, le VB peut croître sur base de l’opposition à la politique des partis traditionnels.

    Pour assurer qu’il n’y ait pas de climat où l’on accentue ce qui nous divise au lieu de favoriser ce qui rassemble les salariés et leurs familles, il faut une alternative politique. Une autre politique.

  • Décret Simonet = Restriction de l'accès à l'éducation

    Le décret " non-résidents" de Simonet, ministre de l’enseignement supérieur, a fait sa rentrée pour la première fois. Ce décret a pour vocation de réduire fortement le nombre d’étudiants non résidents en Belgique (presque 2000 étudiants sur 3.600 restent sans place), sous prétexte que ce n’est pas aux belges que revient le financement de leurs études. En réalité, la portée de ce décret est bien plus large.

    Un étudiant français EGA

    Premièrement ces écoles n’ont jamais refusé les étudiants belges. Par contre si elles commencent à refuser les autres, le nombre global d’étudiants va diminuer et à terme le budget pour ces établissements aussi, ce qui signifie la dégradation de la qualité de l’enseignement : des postes vont être supprimés, des cours seront regroupés et les filières proposeront à terme moins de choix …

    Ensuite c’est bien sûr une attaque frontale qui vise l’accessibilité à l’enseignement. Nous devons tous lutter ensemble pour un enseignement supérieur gratuit et de qualité en Belgique comme en France et non pour l’application de Bologne en pensant que cette politique est surtout basée sur la mobilité des étudiants.

    Sous couvert d’ " harmonisation " ou d’ "uniformisation ", Bologne vise à appliquer les lois de libre marché à l’enseignement comme c’est le cas pour tous les services publiques. Si, en théorie, Bologne permet aux étudiants de se déplacer plus facilement, en pratique, ça l’est surtout pour une élite privilégiée qui pourra se payer des études sans cesse plus chères. Ce décret est un nouveau pas vers la privatisation et la commercialisation de l’enseignement qui doit devenir rentable. La ministre restreint l’accès aux étudiants non résidents en premier lieu afin de diviser pour mieux regner.

    Avec Bologne c’est bien l’accès à l’enseignement supérieur pour tous les étudiants qui sera progressivement sapé.

  • Pour un enseignement de qualité et gratuit !

    Autrefois, dans les années ’80, les dépenses de l’Etat étaient organisées différemment. Ainsi, 7% du PIB* était destiné à l’enseignement. De nos jours, progrès oblige, on est passé à 5,4%… et avec ça on devrait se taire !?!

    Damien, Liège

    Les plus optimistes diront que « pourtant, le gouvernement n’est pas de mauvaise volonté… la preuve : ils accordent une aide de 50 Euros pour une année d’étude d’un enfant de primaire et 75 Euros pour un élève de secondaire». Toutefois, ce n’est qu’un leurre et une opération de charme juste avant les élections.

    Une aide partielle et insuffisante en comparaison aux frais scolaires (environ 4 fois plus que la somme accordée, rien que pour le mois de septembre)… Alors l’aide de l’Etat… c’est bien gentil, mais à la limite du risible. En-dehors des frais scolaires…

    Dans l’école même, les conditions de travail et d’étude ne sont pas toujours excellentes (surpopulation dans les classes, manque de professeurs, insalubrité,…). La solution apportée par notre ministre, Mme Arena, est un financement des écoles par des fonds issus du secteur privé.

    Le montant du prêt atteindra le milliard d’Euros au taux le plus élevé (9%). Toutefois, ne vous inquiétez pas, vous ne sentirez presque pas la pilule passer, c’est remboursé sur une durée de vingt-sept ans… (oui oui, toi qui lis ces lignes, tu participeras aussi au remboursement…)

    Seules 10 à 15% des écoles seront ainsi «refinancées» et pas nécessairement les écoles les plus défavorisées. Les entreprises auront des droits sur les écoles rénovées tant que l’Etat ne les aura pas remboursés…

    Il n’est pas nécessaire de rappeler que pour construire un avenir, il faut un minimum de connaissances, de savoirfaire… Or cela découle de l’enseignement.

    Donc selon la logique actuelle, avoir une perspective d’avenir nécessite des moyens financiers. Nous, nous voulons un enseignement gratuit et de qualité !!! Afin de permettre à chacun d’accéder à ses chances d’avenir et empêcher l’élitisme scolaire de se développer davantage.

    *note: (= production totale des biens et des services de la Belgique pour une année)

0
    0
    Your Cart
    Your cart is emptyReturn to Shop