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Tag: Afrique
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Les micro-crédits : Un concept cynique du néolibéralisme
Incroyable ! Un « banquier » reçoit le prix Nobel de la Paix. Muhammad Yunus est le fondateur de la Grameen-Bank, dont le système de « micro-crédit » a entre-temps rencontré l’estime et l’imitation mondiale.
La Grameen-Bank est issue d’un projet pilote en 1983 au Bangladesh et a, d’après leurs sources, accordé des crédits à 6,6 millions de personnes jusqu’à présent, dont 97 % sont des femmes. Aux yeux des organisations gouvernementales et des ONG, ainsi que pour des gens de tendances politiques très variées, les micro-crédits sont aujourd’hui internationalement considérés comme la base essentielle de la lutte contre la pauvreté. Les discours critiques sont rares. La quadrature du cercle a-t-elle effectivement réussi ?
La Pauvreté : un phénomène de masse en pleine croissance
L’ONU a proclamé la décennie 1997-2006 « décennie pour la suppression de la pauvreté ». En effet, la pauvreté a grimpé. Il ne suffit pas de tirer des chiffres comme « de combien de dollars par jour dispose un homme ». Les chiffres de mortalité infantile, de malnutrition, d’accès à l’enseignement et aux soins de santé ou de la condition de la femme sont partiellement aussi parlants. Il est un fait que le nombre de famines a augmenté dans les deux dernières décennies. Internationalement, il y avait en moyenne 15 famines par an dans les années 80. A l’arrivée du nouveau millénaire, le nombre de famines avait grimpé à 30 par an. Au même moment, environ ¼ de la population mondiale n’avait pas d’accès à l’eau potable. Dans des parties de l’Afrique et de l’Asie du Sud-est, 40 à 50 % de tous les enfants souffrent de troubles dus à des carences alimentaires. Dans l’Europe de l’Est et les Etats de l’ex-URSS, les réductions et privatisations des soins de santé remettent à l’ordre du jour des maladies liées à la pauvreté comme la tuberculose.
L’aide au développement n’est pas dépourvue d’idéologie
Des conceptions de comment aider les pauvres, il y en eu et il y en a toujours beaucoup. Jamais elles ne sont dépourvues d’idéologie. Au contraire, elles suivent dans leur développement le courant dominant sur le plan politique et économique. Quand maintenant le micro-crédit est soutenu et dicté par des institutions comme l’ONU et la Banque Mondiale (BM), la méfiance s’avance.
Dans la politique économique, la doctrine s’est modifiée de façon déterminante depuis les années 80. Le néolibéralisme est le principe dominant tout et le « fun » du micro-crédit en est une expression. Cette évolution va de paire avec un rapport de force politique changé. Dans les années 60 et 70, les ex-Etats coloniaux s’avançaient sûrs d’eux : ils n’étaient pas encore tombés dans le piège de l’endettement, ils s’étaient débarrassés d’une grande partie de leurs seigneurs coloniaux, et avaient acquis une indépendance du moins formelle. Un système alternatif au capitalisme existait en Union Soviétique même s’il s’agissait alors d’une dictature bureaucratique plutôt que d’une démocratie socialiste. Aujourd’hui, la charge des dettes dans les Etats néocoloniaux est accablante, leur dépendance politique et économique est à nouveau grande, et leurs élites dominantes sont le plus souvent les marionnettes de différents Etats impérialistes.
Le micro-crédit et la politique agricole
La politique agricole est un thème international particulièrement brûlant et une source de conflits internationaux, par exemple entre les USA et l’UE, ou encore au sein même de l’UE. C’est pourquoi dans les institutions internationales, principalement l’Organisation mondiale du commerce (OMC), les questions agraires se trouvent au premier plan. La situation actuelle se résume, pour l’essentiel, par les points suivants :
- Les pays industrialisés disposent d’excédents agricoles dont ils se débarrassent volontiers en les écoulant dans le « Tiers-monde ».
- Internationalement, la production agricole est de plus en plus industrialisée. Cela conduit les petits paysans, tout particulièrement dans les pays pauvres, à la perte de leurs terres. Ils se retrouvent alors piégés dans un processus d’endettement que les semences à base d’OGM accélèrent.
- Les pays industrialisés exportent des produits agricoles vers le « Tiers-monde », qui de son côté est assigné aux importations. Il est contraint de se borner à une production strictement orientée vers l’exportation (café, thé, tabac, etc.).
- D’un côté, la production agricole des pays industrialisés est fortement subventionnée alors que, de l’autre, des contrats particuliers rédigés par l’OMC interdisent de subventionner les pays néocoloniaux.
La politique des institutions internationales – comme le Fond monétaire international (FMI), la BM et l’OMC – dans laquelle, par exemple, l’octroi de crédit a été lié à de considérables concessions, aggravent encore l’inégalité.
- Les subventions de biens de première nécessité ont été fortement réduites voire supprimées. Autrement dit, les prix des produits alimentaires de base et du chauffage ont grandement augmenté, ce qui a pour effet direct de couler rapidement le standard de vie de la population. Le mouvement révolutionnaire de 1998 en Indonésie a été maté grâce à un dictat semblable émanent du FMI.
- La production agricole a été réorientée vers l’exportation, le rendement ainsi constitué sert à rembourser les établissements de crédits. De cette façon, la population même n’est plus en mesure de subvenir à ses propres besoins alimentaires.
- Les Programmes d’Ajustements Structurels (PAS) signifient la réduction de subventions agricoles dans les pays plus pauvres. Sur le marché mondial, la production de ceux-ci ne peut pas rivaliser avec celle des Etats impérialistes (qui est elle-même fortement subventionnée).
Le résultat de cette politique est que, depuis 1995, il y a un accroissement de la sous-nutrition mondiale. Les micro-crédits opèrent également dans ce sens : les crédits sont octroyés, en Inde par exemple, surtout pour construire des petits commerces (magasins). Les gens pauvres sont retirés de l’agriculture au profit du secteur tertiaire (services), et même une partie d’entre eux est utilisée dans la nouvelle chaîne de distribution.
Il y a de graves conséquences : la dépendance augmente massivement. Tandis que l’agriculture propre ne rapporte que de faibles rendements, ces derniers pourraient cependant permettre d’accéder aux besoins essentiels propres, même sans gagne-pain. Mais via le processus d’abandon du secteur primaire au profit du tertiaire, cela est impossible.
Les effets secondaires de cette politique font le bonheur des multinationales : la terre est plus facile à racheter aux propriétaires fonciers, jusque-là autochtones, car ils sont endettés par les crédits. Du coup, la dépendance aux aliments issus de l’importation augmente.
Les micro-crédits et le secteur financier international
Un argument central pour le micro-crédit est qu’il permet l’accès à l’emprunt à des gens qui, de par leur situation incertaine, n’ont pas droit au crédit « normal ». Ici doit être posée la question suivante : pourquoi la pauvreté ainsi qu’une absence de capitaux chez certains existent-elles dans cette société ? La pauvreté dudit « Tiers-monde » est le résultat d’une exploitation abusive et longue de plusieurs siècles par des Etats impérialistes et colonialistes. Les pays du Tiers-monde ont été systématiquement pillés de leurs ressources naturelles, leurs populations ont été brutalement exploitées et opprimées, et toutes les violences possibles y ont été utilisées pour empêcher le moindre développement industriel indépendant. Les institutions internationales – ONU, FMI, BM, OMC, etc. – ne se sont pas contentées de ne rien faire pour aider ces pays en difficultés, elles ont profondément aggravé la situation déjà particulièrement pénible. Par l’action de la politique néolibérale mise en place depuis les années 80, les contradictions entre riches et pauvres n’ont cessé de s’accroître au sein des pays, de la même façon qu’entre les pays riches et pauvres. Jusque dans les années 70, un crédit ouvert par un ex-Etat colonial était respectivement détenu par son ex-Etat colonisateur. Dans les années, 80, les taux d’intérêt grimpèrent comme jamais auparavant. Ce fut le début du piège de la dette dans lequel se trouvent aujourd’hui enfoncés les pays néocoloniaux. En réalité, on assiste dans les années 80 à un bouleversement du courant capitaliste unique, à savoir que le Tiers-monde alimente en profits les consortiums du monde capitaliste. Par exemple, depuis 1995, la région subsaharienne transfère dans les pays industrialisés du Nord 1,5 milliard de plus qu’elle n’en reçoit. Dans les années 90, l’accès au crédit était fort difficile pour les pays pauvres, et cela a également mené à un manque non négligeable de capitaux. Depuis le passage au nouveau millénaire, cela a encore changé, en partie aussi avec le micro-crédit.
Une autre raison qui explique l’intérêt nouveau des institutions financières internationales pour les pays pauvres est la suraccumulation mondiale. Le capitalisme se trouve depuis les années 80 dans une dépression – il nécessite des profits toujours croissants. La concurrence internationale grandissant, il faut toujours réaliser des profits plus importants, ce qui a pour conséquence une surproduction massive et mondiale (de ce que les gens sont capables de consommer, pas de ce qu’ils ont réellement besoin). Investir de l’argent dans le domaine de la production rapporte de moins en moins de profits. Cela a pour effet de faire migrer les capitaux, en partie tout du moins, vers le domaine spéculatif. C’est ce qui s’exprime dans le boom du marché financier et par les innombrables nouveaux « produits » financiers liés au domaine spéculatif. Les micro-crédits représentent un nouveau marché financier, une nouvelle couche de clients est découverte, de nouvelles possibilités de placements s’ouvrent pour le capital international.
L’ONU a appelé 2005 l’année du micro-crédit avec comme but à atteindre 100 millions de gens clients du micro-crédit (ou plutôt endettés par le micro-crédit).
Les micro-crédits seront octroyés par les ONG, et par les établissements bancaires nationaux et internationaux. Depuis longtemps déjà, ce marché est conquis par les grandes banques telles – en Inde par exemple – la banque d’Etat Bank of India, ou la FTC – filiale de la BM –, ou le Fonds Soros au développement économique, ou encore le Response Ability Global Microfinance Fund, un fond appartenant à diverses banques suisses dont le Groupe Crédit Suisse fait partie. Beaucoup de grandes banques travaillent ici avec des filiales dont le nom provient du concept « Développement » ou de quelque chose de similaire pour clarifier des prétentions dites humanistes. C’est d’ailleurs également un excellent moyen de vendre à des investisseurs critiques des pays industrialisés – qui ne souhaitent pas voir leur argent profiter aux budgets de l’armement ou aux pollueurs – des formes de placement qui leur laisse la conscience tranquille (c’est en partie connu comme « Fonds éthique »). La coordination internationale est chapeautée par la BM.
L’Agence au développement autrichien (ADA), le Centre de compétence de collaboration au développement de l’Autriche orientale l’écrit de façon très directe : « Contrairement à ce qui était le cas il y quelques années, le micro-financement aujourd’hui ne peut plus être de la charité, mais doit être source de profits. »
Les OGN agissent souvent en tant qu’intermédiaire entre la banque et le « client », soit par conviction, soit par manque d’alternative, soit parce qu’elles sont le prolongement de la politique. Le rôle que joue les ONG – tout particulièrement dans les pays néocoloniaux – doit être considéré de façon critique, car il est fréquent qu’elles soient installées comme instrument pour imposer la représentation dominante (autrement dit : la représentation des dominants), et pour mener les potentielles résistances aux injustices sur des voies contrôlables.
Le risque pour les banques est comparativement faible : la mensualité d’un micro-crédit se trouve généralement à hauteur de 90 %, et puis surtout, parce que des aides financières d’Etat existent comme garanties (ce qui ne veut absolument rien dire sur les facilités ou les difficultés que rencontre le débiteur pour rembourser son crédit). En outre, une grande partie des frais engendrés par l’octroi de crédit est sous-traité. Cela veut dire que le conseil et la prise en charge, l’appréciation pour savoir qui a droit au crédit ou pas, le remboursement de dettes et la gestion contribution/remboursement est rempli par les ONG et plus spécifiquement par les preneurs de crédit (qui, pour la plupart, sont considérés comme des membres par la Grameen-Bank). Il s’agit ici d’un travail non rémunéré dont la prestation est une condition préliminaire à l’octroi d’un crédit.
Quand les crédits sont octroyés en euros plutôt qu’en dollars (il s’agit alors quasiment d’octrois de crédits étrangers), les preneurs de crédit – assis sur un siège ambivalent – portent seuls tous les risques de fluctuation monétaire.
C’est donc en tout point une excellente affaire qui, de plus, jouit d’une publicité gratuite par le fait qu’elle est associée à une image « humaniste ».
Mise en pratique d’une idéologie : plus de privé, moins de public
Depuis longtemps déjà, on sent un recul de la politique de développement de la part des Etats. En 1970, l’ONU s’est donnée pour objectif – depuis ce temps-là constamment – confirmé que les pays « riches » payent 0,7 % de leur PIB pour l’aide au développement. Après que les versements aient augmenté depuis le début des années 60, il a de nouveau chuté depuis cette époque. En ce temps-là, la valeur de ces contributions se situait en moyenne à 0,4 % du PIB ; en Allemagne, à environ 0,3 %. Egalement dans les pays néocoloniaux eux-mêmes, des mesures prises pour lutter contre la pauvreté – comme par exemple des subventions d’aliments de première nécessité – furent supprimées, en partie sous la pression du FMI et de la BM. La conception que mettre fin à la pauvreté par des versements des Etats riches (et non pas par les entreprises qui profitent de l’exploitation de ces pays) peut et doit être remis en cause, mais la chute des aides au développement reflète une fois de plus la tendance générale à la privatisation ; tendance que l’on appréhende complètement dans cette politique de sous-aide.
Ainsi, pendant que d’un côté on assiste à un recul des mesures étatiques, on a de l’autre côté une énorme propagande en faveur du micro-crédit. Dans les années 70, on savait que « la faim n’est pas un hasard » et la responsabilité du colonialisme et de l’impérialisme envers la pauvreté était bien connue. En ce temps-là, beaucoup d’Etats anciennement coloniaux menaient une politique autarcique, autrement dit, ils essayaient de cultiver et de produirent eux-mêmes leurs biens de façon à se rendre indépendant des importations étrangères (ce qui pris fin à l’époque de la concurrence internationale croissante des pays impérialistes, notamment à cause de l’action de l’OMC). Il faut également déceler un changement de paradigme dans la compréhension de la responsabilité envers la pauvreté. Les micro-crédits créent justement l’illusion que, maintenant, chacune et chacun aurait la possibilité de se libérer de la pauvreté. « Chacun de sa chance est l’artisan. » est sans cesse répété par la propagande du micro-crédit. Dans cette maxime, il faut surtout comprendre : qui reste pauvre en dépit de ces magnifiques possibilités, celui-là est coupable.
Dans l’explication du micro-crédit de 1997, on remarque que les micro-crédits seraient la victoire du pragmatisme sur l’idéologie. Il serait plus juste de dire que les micro-crédits sont le changement d’une idéologie pour une autre.
La position de Muhammad Yunus, détenteur du prix Nobel, correspond bien à ce changement d’idéologie. Par exemple, il se positionne contre la suppression de la dette du Tiers-monde et pense que « les hommes grandissent grâce aux défis et non par des remèdes de soulagement ». En cela, il néglige complètement que vivre au Bangladesh – pour ne citer qu’un exemple – est déjà en soi un défit au quotidien, et qu’il ne s’agit là en rien de cadeaux, mais tout simplement de mettre fin à l’exploitation.
Qu’apportent les micro-crédits aux pauvres ?
Après toute cette critique, on pourrait malgré tout noter que les micro-crédits aident les pauvres, qu’il s’agit de procédés win-win et que par conséquent, banques et entreprises en profitent au même titre que les pauvres. Mais la réalité est toute autre. Aucune étude approfondie n’a été menée sur l’effet des micro-crédits. A ce sujet, il existe toute une série d’exemples individuels d’ordre sentimental et complètement vides de consistance comme des femmes auxquelles un micro-crédit a permis de garder une vache et de renforcer leur confiance en elles. Pourquoi ces études n’ont-elles pas été menées ? En soi, c’est déjà une question pertinente : pourquoi un projet semblable et de si grande ampleur n’est-il pas pesé globalement afin d’en tirer un bilan ? Il y a de la part de critiques une série d’enquêtes et d’exemples qui démontrent les conséquences négatives des micro-crédits.
Les micro-crédits ont dans leur règlement de très hauts taux d’intérêts. La Grameen-Bank exige des crédits à ouvrir une rente d’au moins 20 %, mais il existe aussi des taux d’intérêts qui vont jusqu’à 40 %. Ces valeurs sont certes moins élevées que chez les prêteurs d’argent privés là-bas, mais elles sont plus hautes que les plus grand crédit dans les banques d’Etat, par exemple. Les taux exorbitants sont légitimés avec de lourdes dépenses administratives pour accorder les crédits et pour gagner des « clients ». Toutefois, ces coûts et prestations sont sous-traités ; ils sont pris en charge en grande partie par les emprunteurs mêmes. Et les grandes banques n’investissent dans un secteur que si ce dernier promet des profits.
Par le changement d’une économie agricole – qui permettait une certaine indépendance – au secteur des services, la dépendance des emprunteurs s’est accrue, car ils sentent souvent venir le cercle vicieux.
L’endettement des emprunteurs monte, de façon individuelle ou par l’intermédiaire d’associations d’entraide. Celles-ci constituent la structure de base pour les établissements de crédits et leurs octrois. Les gens qui en font partie n’ont généralement aucune expérience des « grandes » quantités d’argent (or, comme ils sont tous détenteurs de micro-crédits, ils ont encore plus à payer ensemble qu’individuellement). De plus, une grande partie des crédits sont utilisés pour des dépenses immédiates dans des situations de besoin, en cas de mauvaise récolte, de mort d’un membre, etc., ce qui ne correspond pas à des revenus mais à de nouvelles dettes à venir. Et là où des crédits sont risqués pour investir, il y a – comme le montre une étude en Inde du Sud – une pression des banques pour investir dans des magasins (les femmes, par exemple, qui préfèreraient investir dans des vaches sont « convaincues » d’investir dans un magasin). Ces magasins sont rarement rentables, ce qui est logique car : qui va y aller pour faire ses courses ? La population locale n’a pas d’argent ; s’il y avait une demande de tels magasins, il y en aurait déjà depuis longtemps. Mais les banques – qui poussent les gens à investir en masse dans des affaires non rentables – se fichent éperdument de savoir d’où puisse venir l’argent pour rembourser le crédit. Souvent les banques conseillent à leurs clients de faire des emprunts comme s’il s’agissait d’épargne (que pourrait-on gagner sans s’endetter). Andrah Pradesh, qui est fréquemment présentée comme « l’histoire à succès des micro-crédits », est également l’Etat fédéré d’Inde qui connaît le plus grand nombre de décès pour cause d’endettement.
Il n’y a pas de micro-crédit pour les plus pauvres des pauvres. A cause de critères de sélection qui devrait indiquer une certaine « capacité de crédit » (donc, la chance de pouvoir rembourser le crédit), tous ceux qui, par exemple, sont incapable de travailler, restent des demandeurs de crédit exclus.
L’argument peut-être le plus fréquent en faveur du micro-crédit est qu’il permet aux femmes des sociétés fortement patriarcales de renforcer leur indépendance. En effet, dans la majeure partie des cas, ce sont les femmes qui sont préférées ou seules comme clientes de micro-crédits. Souvent des associations d’entraide sont mises sur pied ou, en réalité, instrumentalisées. La rencontre de femme dans des groupes, l’échange d’expérience, etc. est naturellement positif pour l’assurance personnelle (il est d’ailleurs étrange que ces structures n’aient pas été créés de toute façon avant le micro-crédit). Mais plus les crédits amènent dans les centres la préoccupation de leur exécution et de leur prise en charge, plus les autres thèmes (violence familiale, place de la femme dans la société) sont mis à l’arrière plan. Souvent, les associations d’entraide sont également utilisées par l’Etat ou par les établissements de crédit (par exemple la Grameen-Bank) pour imposer leurs conceptions au regard des plannings familiaux, d’hygiène, etc. Même quand ces conceptions peuvent être positive (par exemple, ne boire que de l’eau qui a été portée à ébullition), elles s’expriment de façon très paternaliste. Dans les associations d’entraide, on doit également rapporter des évolutions négatives quand les projets ne remportent pas le succès économique et que le remboursement des dettes mène aux conflits dans le groupe. Ce qui est particulièrement négatif, c’est que – dû au fait que ce sont avant tout les femmes qui reçoivent les crédits, mais que les structures familiales ne changent pas – ce sont avant tout les femmes qui tombent dans le piège de la dette. La femme prend un crédit, l’homme l’utilise, mais pas pour payer des choses que lui-même ne payerait pas (l’argent pour les études des enfants, par exemple), et la femme doit ensuite rembourser le crédit en prenant un travail supplémentaire ou en renonçant davantage à ses propres besoins.
Quelques remarques pour terminer
Les micro-crédits sont une affaire où des millions – si pas des milliards – de dollars sont en jeu. Les institutions à qui cette charge est confiée sont très différentes. Chaque critique ne peut pas s’appliquer à chacune d’entre elles. Il est indubitable qu’il existe aussi des expériences positives avec des preneurs de crédit qui ont réussi à améliorer leur vie.
Mais il est primordial de noter que les micro-crédits ne sont en rien une solution à la faim et à la pauvreté. Le mensonge colossal du capitalisme – que chacun peut, de « plongeur », devenir millionnaire – ne deviendra pas subitement une vérité à force d’être répété. Le Bangladesh est volontiers utilisé comme exemple maternel pour illustrer le « succès » du micro-crédit. La population du Bangladesh souffre entre autres d’une eau potable contaminée par l’arsenic et de fréquentes inondations (qui par suites du réchauffement de la planète a été encore davantage aggravé). A ces deux problèmes, il n’y a pas de solution individuelle.
Au 19e siècle aussi, il y avait l’espoir – grâce à des associations de production et de consommation – d’ériger quasiment des « îlots sociaux » dans le capitalisme. La tentative d’Hugo Chávez au Venezuela de construire une forme d’économie parallèle et juste va également dans ce sens.
Mais en définitive, tous ces débuts ont échoué dès qu’il s’agissait de supprimer aux gens la pauvreté, l’exploitation et la faim. A partir du moment où la distribution équitable des richesses n’est pas naturelle, ces problèmes ne sont pas non plus solvables par des réponses individuelles. Et justement, les micro-crédits agissent dans le sens d’une individualisation ; les questions par exemple d’une résistance aux prix exorbitants des semences ou à la distribution inéquitable de la terre ne sont pas posées. La faim et la pauvreté sont la conséquence d’un ordre économique dans lequel les profits sont le point de rotation et d’attraction. Le capitalisme a besoin de chômage et de pauvreté pour pouvoir réaliser ses profits. Un capitalisme social – tout particulièrement pour l’ensemble des hommes dans le monde – est une utopie qui contredit les besoins et les mécanismes du système.
Il est nécessaire, ici et maintenant, de lutter contre la pauvreté et la faim, mais une suppression de ces fléaux de l’humanité n’est possible qu’avec une suppression du capitalisme.
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Ecole d’été du CIO: Une alternative au capitalisme est nécessaire et possible !
Plus de 300 membres du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO, l’organisation internationale dont le MAS/LSP fait partie) venus essentiellement d’Europe mais aussi d’Amérique, d’Asie et d’Afrique se sont rassemblés début août pour une semaine de discussions et d’analyses politiques.
Els Deschoemacker
Un grand thème de discussion cette année a été la possibilité d’une nouvelle crise économique dans la foulée de la crise boursière de cet été et les conséquences qu’une telle crise aurait pour le capitalisme mondial. L’autre fait marquant a été la radicalisation de la lutte pour le socialisme en Amérique Latine qui peut jouer un rôle d’exemple pour les travailleurs partout dans le monde.
Cette lutte se développe à un moment où capitalisme connaît des problèmes grandissants, sur le plan économique et politique. Les interventions impérialistes en Irak ou en Afghanistan ont mené à la misère et à l’instabilité sans apporter de victoires pour l’impérialisme. Parallèlement, des alliés-clés pour l’impérialisme américain connaissent des problèmes aigus et une instabilité croissante. C’est notamment le cas pour la Turquie et le Pakistan.
En Europe, le mécontentement envers la politique néolibérale augmente. Là où des formations crédibles de gauche existent, elles ont obtenu des scores électoraux parfois très importants comme aux Pays-Bas ou en Allemagne. Là où il n’y a pas de telles forces crédibles, la droite a gagné du terrain dans les élections et les gouvernements. Cela peut mener à des confrontations sociales et politiques plus dures dans lesquelles la nécessité d’un nouveau parti des travailleurs apparaitra plus clairement et prendra une grande importante.
Pendant cette école d’été, nous avons eu des discussions plénières avec tous les participants mais également des commissions plus réduites permettant d’’avoir des discussions moins formelles. Ces commissions ont porté entre autres sur le rôle de la religion, notre travail jeune, le racisme et l’immigration, la position des femmes dans la société, notre travail en Afrique, la situation dans les pays de l’Europe de l’Est,…
L’école d’été s’est clôturée avec des rapports vivants des activités des sections du CIO partout dans le monde. L’année dernière, nous avons consolidé les premières bases de la construction d’une nouvelle section au Venezuela, nous commençons également à construire en Bolivie ou en Italie ert nous avons une série d’opportunités dans d’autres pays.
Dans la construction de nos sections nationales, nous sommes souvent confrontés à l’absence de partis politiques qui soient préparés à répondre au mécontentement existant dans la société et à lui offrir une réponse politique claire de rupture avec le capitalisme. La confusion idéologique qui a suivi la chute du stalinisme n’a certainement pas totalement disparu, malgré la croissance de la résistance active contre le néolibéralisme.
Le manque de clarté sur les possibilités d’une alternative au système peut freiner le développement d’une résistance active et des mouvements de lutte contre les attaques auxquelles nous sommes confrontés.
La croissance économique des dernières années était surtout basée sur une super-exploitation des travailleurs et sur une croissance du fossé entre riches et pauvres. Cette croissance économique a laissé un peu de marge de manoeuvre aux gouvernements.
Mais une crise peut mettre fin à ces marges de manoeuvre et amener patronat et gouvernement à lancer des attaques beaucoup plus dures. Cellesci pourront mener à une résistance, pour autant qu’il y ait des perspectives pour la construction des mouvements de lutte collective. Sinon la méfiance passive et la débrouille individuelle continueront à dominer.
Le CIO a construit des points de support partout dans le monde. Nous avons gagné une certaine autorité et du respect avec nos campagnes et nos interventions. Les possibilités pour la construction d’une alternative socialiste peuvent croître dans la prochaine période avec une ouverture plus grande pour des critiques anticapitalistes.
Nous devons nous préparer à des changements rapides et fondamentaux dans la conscience de larges couches de la population. En même temps nous devons continuer à mener des actions et à diffuser nos idées parmi ceux qui sont déjà maintenant ouverts à la discussion sur une alternative socialiste.
N’hésitez pas à rejoindre le MAS et donc aussi notre organisation internationale, le CIO. Ensemble avec vous, nous voulons lutter pour un monde plus juste, un monde socialiste !
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Perspectives pour la lutte des classes en République « Populaire » de Chine
Lors de notre dernière école d’été s’est tenue une large discussion sur la Chine. Dans quelle direction s’engage ce colosse d’Asie ? La Chine a-t-elle les moyens de sortir l’économie mondiale de ses crises ? Quelle sont les conditions de vie dans ce pays qui soi-disant construit le « socialisme » ? C’est à ces questions – et à bien d’autres, comme celle de la pollution – que nous nous sommes intéressés. Voici un résumé des différentes contributions.
Enlèvement et trafic d’enfants esclaves : un élément révélateur de la situation en Chine
Tout récemment, l’implication du Parti « Communiste » Chinois dans le trafic d’esclaves en Chine a pu être prouvée. La nouvelle de cette exploitation immonde ainsi que le soutien avéré du gouvernement à ces pratiques a été un choc pour la population : des enfants enlevés travaillaient 18 heures par jour et depuis des années (l’un d’entre eux a été exploité ainsi durant 7 ans avant de réussir à s’échapper). A côté des enlèvements, on trouve aussi des enfants vendus par des parents désespérés par leur situation économique. Comment cela a-t-il pu être possible – et surtout pendant aussi longtemps ? Dans une des briqueteries liée à ce scandale, un enfant a expliqué que le propriétaire possédait en réalité toute la ville. Quand la police passait, ils ne faisaient que discuter avant de s’en aller. En fait, cette affaire révèle l’ampleur de la corruption qui sévit en Chine ainsi que la manière dont le régime choisit ses priorités.
Un des responsables du gouvernement a ainsi déclaré : « Il s’agit d’un conflit entre le travail et le capital, nous ne pouvons pas intervenir ». Un autre responsable du PCC a lui déclaré : « Ce n’est pas notre faute si vos enfants sont kidnappés, vous n’avez qu’à mieux vous en occuper ». Le gouvernement a toutefois été contraint d’autoriser la divulgation de ces informations, qui ont défilé sans arrêt durant une semaine sur la chaîne officielle.
Alors que l’on parle sans cesse du boom économique chinois, cette situation est une réalité pour des centaines de milliers de Chinois, particulièrement dans les régions rurales beaucoup plus pauvres.
Des conditions de travail qu’apprécient les multinationales…
Pour régler cette situation catastrophique, la bourgeoisie a ses solutions. Le ministre du commerce de Suède a par exemple déclaré « Au plus nous commercerons avec la Chine, au plus celle-ci évoluera vers la démocratie ». Cette déclaration est révélatrice de la manière dont les profits des entreprises passent avant toute autre chose dans le système capitaliste. Car les moindres coûts de la Chine sont le résultat d’une exploitation sans précédent : salaires de misère, horaires insoutenables, punitions corporelles, retenues sur salaires,… Mais, à cela, les entreprises étrangères ont leurs réponses. Ainsi, quand H&M est critiquée pour l’exploitation d’enfants en Chine, l’entreprise rétorque : « Ce n’est pas nous, ce sont les sous-traitants ».
De fait, la Chine développe un labyrinthe de sous-traitants derrière lesquels se cachent les multinationales (comme cela se fait aussi ailleurs, au Bangladesh notamment). Ainsi, alors que les multinationales ont – sous la pression des consommateurs – adopté des clauses éthiques, il ne s’agit en réalité que d’une gigantesque escroquerie destinée à gagner la confiance du marché. Les multinationales disent aussi envoyer régulièrement des inspecteurs vérifier s’il n’y a pas d’enfants au travail ou d’autres abus. Mais tout comme cela se faisait au 19e siècle, les entreprises sont prévenues à l’avance de leur arrivée. L’utilisation de différentes cartes de pointages a aussi été instauré : l’une n’excède pas les huit heures tandis que l’autre compte encore quatre ou cinq heures de plus. Il y a même un système de salaires officiels et officieux, les travailleurs rendant le « surplus » à la sortie. On estime en fait que 60% des entreprises en Chine ne respectent pas la législation.
Même si une loi est récemment passée instaurant un nouveau salaire minimum, il est très difficile de vérifier l’étendue de son application. Comme la plupart des lois chinoises, celle-ci est plus une ligne de conduite à respecter (ou non) plutôt qu’une véritable loi contraignante. Le plus bas salaire minimum dans une province est de 25 euros par mois, tandis que le bas salaire le plus haut en Chine est de seulement 85 euros par mois. Quant à la couverture sociale, seul un dixième des travailleurs possède une couverture sociale.
Il y a actuellement quelques 600.000 entreprises étrangères en Chine. En fait, pour tenir le coup face aux concurrents, c’est devenu presque une obligation de s’implanter dans ce pays. L’économie chinoise est ainsi devenue celle qui se développe le plus au monde avec une croissance économique pour cette année de 12%, un record depuis 1995 (ce chiffre est à nuancer, la Chine a déjà connu des croissances beaucoup plus impressionnantes). Il semblerait même que la Chine ait dépassé l’Allemagne sur le plan économique, lui raflant la troisième place dans l’économie mondiale. On peut aujourd’hui comparer l’économie chinoise à une gigantesque locomotive lancée à toute allure et que personne ne sait comment arrêter. La Chine a par exemple construit plus de voitures que les USA l’an dernier alors que la production était quasiment inexistante il y a 10 ans. Selon le Financial Times, sur les 100 plus grandes entreprises au monde, 7 sont françaises, 3 italiennes, 6 japonaises, et 6 chinoises. De même, depuis la privatisation des 4 grandes banques chinoises, 3 d’entre elles sont déjà bien installées dans le top 10 des plus grandes banques du monde tandis que la dernière vient d’y faire sont apparition. Mais bien que le marché intérieur se développe un peu, la Chine est incapable de fournir un milliard de nouveaux consommateurs, contrairement aux désirs de l’Organisation Mondiale du Commerce dont la Chine est membre depuis maintenant 6 ans…
Une croissance économique au détriment des travailleurs et de leur environnement
La Chine est l’un des plus grands pollueurs mondiaux. En 2006, elle a émis 8% de gaz carbonique en plus que les USA. D’ici 2020, en terme de production de gaz toxiques (tous confondus), la Chine sera un 2e Etats-Unis. Le gouvernement chinois n’a en fait plus aucun contrôle sur son économie, qui est devenue un jouet aux mains du marché mondial. De plus, le pouvoir central a du mal à se faire respecter par les pouvoirs régionaux. Donc, et ce malgré les déclarations fracassantes du régime, l’évolution prend la forme d’un recul sur la question environnementale. C’est ainsi qu’au bas mot 750.000 personnes meurent chaque année en Chine à cause de la pollution, principalement celle de l’air. L’indice de pollution de l’air à Pékin est deux fois supérieur à celui relevé à Mexico ou à Los Angeles. Pour les enfants, on calculé que cela revenait à fumer 40 cigarettes par jour. Cette situation est similaire dans les deux-tiers des villes chinoises dont l’air est de très mauvaise qualité. Mais le gouvernement ne ménage bien entendu pas ses efforts pour ne pas ébruiter ces informations de crainte de susciter des troubles : il y a déjà eu des centaines de milliers d’actions de protestation concernant uniquement la thématique de l’environnement ces dernières années. Quelques- unes ont même réussi à obtenir des effets positifs. Les slogans utilisés lors de ces actions sont du genre : « Nous ne voulons pas de PIB, nous voulons une vie ».
Services publics et acquis en déclin
Il y a aujourd’hui plus de voitures à Pékin qu’à Londres et 1.000 voitures supplémentaires arrivent chaque jour. Le sous-investissement dans les transports en commun, lui, est tout aussi flagrant. A titre de comparaison, on trouve dans une ville comme Shanghai moins de la moitié des transports en commun qui existent dans une ville d’un pays capitaliste développé. Dans 1/3 de la Chine, il n’existe d’ailleurs aucun subside gouvernemental pour les transports en commun alors que, malgré les privatisations, de tels subsides existent encore dans les villes des pays capitalistes.
Le système de soins de santé a lui aussi beaucoup souffert alors qu’il était un modèle et un exemple dans le monde néo-colonial il y a trente ans. L’espérance de vie de la population était même passée de 39 ans en 1949 à 70 ans en 1969. Mais aujourd’hui, plus de 400 millions de Chinois n’ont pas les moyens de faire appel à un véritable médecin et plus de la moitié des malades n’ont accès à aucun traitement quel qu’il soit. Dans un pays ou plus de 70% de la population rurale n’a pas accès à des sanitaires… Et si les hôpitaux sont encore propriété d’Etat, ils ne reçoivent aucun subside et doivent fonctionner seuls et donc adopter une attitude commerciale pour s’en sortir. Tomber malade est devenu un véritable cauchemar.
Dans certaines villes, le personnel porte même un gilet pare-balles en prévention de la colère des familles ou des patients mécontents. Un hôpital a par exemple été rasé par 2.000 personnes en réaction à la mort d’un enfant pauvre qui n’avait reçu aucun soin à l’hôpital. Pourtant, un cinquième des réserves en liquidités de l’Etat suffiraient à résoudre le problème des soins de santé. Mais la Chine est obligée d’utiliser cet argent pour investir dans les obligations américaines pour éviter l’inflation. Voilà une absurdité des plus ridicules : l’argent existe, mais on ne peut pas l’utiliser.
Une situation pareille est d’autant plus infâme qu’elle côtoie des écoles d’élite à 300.000 euros par an où les cours de golf sont obligatoires, pour les enfants de la bureaucratie « communiste » et de la classe capitaliste naissante.
Un gouvernement à la fois impuissant et complice
Les luttes entre les régions et le centre sont millénaires en Chine, mais il faut aujourd’hui y ajouter les conflits avec – et entre – les mafias, les relations avec les entreprises et les Etats capitalistes, les querelles au sein de la bureaucratie,… En fait, restaurer l’autorité du gouvernement central de manière administrative est impossible. La seule solution serait de faire appel aux masses, un peu comme lors de la révolution culturelle, mais le régime a bien trop peur, à juste titre, de perdre le contrôle du mouvement.
La classe ouvrière représente aujourd’hui en Chine 256 millions de personnes. Mais à cause de la répression, elle ne peut développer son propre mouvement. Celle-ci existait déjà du temps de Mao, mais les acquis sociaux en limitaient relativement les effets. En fait, sous la pression de la base, Mao a été forcé d’aller plus loin que ce qu’il imaginait au départ. Malgré tout, une grève démarre toutes les cinq minutes en Chine. Malheureusement, la grande majorité de ces grèves sont spontanées et sans aucune coordination. Dans cette situation, la plupart ne durent au mieux que deux jours. Les syndicats autonomes sont bien sûr interdits en Chine, ce qui représente un avantage et un attrait énorme pour les entreprises étrangères. Ainsi, 480 des 500 plus grandes entreprises au monde possèdent des usines en Chine. L’exemple récent de la ville d’Erlangmaio nous donne une idée de l’autre facette de la médaille. Cette ville de la province centrale de Sichuan est isolée par la police et le gouvernement suite à une grève de deux semaines déclenchée par plus de 3.000 travailleurs du ciment. L’accès au téléphone, à internet et au GSM a même été coupé. Le pouvoir en place a eu la possibilité de faire disparaître une ville entière du système de communication !
La part de l’économie aux mains de l’Etat diminue sans cesse. Plus de la moitié des entreprises nationales ont disparu : on est passé de 100 millions à 48 millions. La privatisation s’effectue peu à peu, tranche par tranche. A l’origine, c’est sous le « règne » de Deng Xiaoping que se sont développées les enclaves capitalistes au sein de l’économie planifiée. Petit à petit, le reste du pays a suivi. C’est d’ailleurs sur base de ces enclaves qu’a été brisée la règle des huit heures, l’un des acquis de la révolution chinoise.
Entre 1997 et 1999 seulement, 30 millions de travailleurs ont été licenciés, suite aux privatisations et à la crise financière asiatique de 1997. Mais alors que la Chine connaît actuellement une croissance énorme, les problèmes demeurent et même empirent, et les réactions se développent. Il y a eu de véritables explosions de rage ces 15 dernières années, et le nombre d’« incidents de masse » (selon la terminologie gouvernementale) est passé de 9.300 en 1990 à 87.000 en 2005. Il semblerait que ce chiffre ait ensuite un peu baissé, mais il est terriblement difficile de savoir exactement ce qui se déroule là-bas, le gouvernement faisant tout son possible pour masquer l’ampleur de la contestation, agissant ainsi dans ce domaine de la même manière qu’avec les données sur l’environnement. Toutefois, l’ampleur de ces actions a elle aussi augmenté et il n’est pas rare qu’elles impliquent des dizaines de millier de personnes. Les protestations se basent principalement sur des revendications liées aux salaires et conditions de travail, à l’écologie et enfin aux expropriations. En fait, la moitié des conflits en zone rurales sont dus à des questions liées à la terre. L’abolition des taxes sur les produits agricoles fait partie des petites mesures destinées à calmer le jeu autrement qu’en utilisant uniquement la répression.
En 2008, les Jeux Olympiques se dérouleront en Chine et on peut faire un parallèle avec la Corée du Sud où s’étaient tenus les jeux en 1998. Cet événement avait mené à l’époque à des protestations massives contre le régime militaire en place. Le même potentiel existe actuellement en Chine et pourrait devenir un point de cristallisation du mécontentement.
En fait, même parmi la classe moyenne – qui vit mieux qu’il y a 10 ans – le sentiment que la société ne va pas dans la bonne direction s’est répandu. L’ampleur du mécontentement ouvre la voie au développement de sectes religieuses diverses ainsi qu’au Kuomintang, l’ancien parti bourgeois nationaliste qui s’est réfugié avec ses dirigeants à Taiwan après la victoire de Mao en 1949. Ce parti réactionnaire a reconstruit des cellules clandestines en Chine. Peut être le PCC sera-t-il amené à créer lui-même sa propre opposition en se scindant pour servir de soupape de pression.
De fait l’orientation actuelle du Parti Communiste Chinois est étrange. On a ainsi pu lire récemment dans le China Daily, organe du PCC, un article fustigeant le processus qui se développe en ce moment en Amérique Latine : « Quand certains régimes en Amérique Latine imposent de force plus de justice sociale, cela augmente la dette et crée des désordres économiques ».
Où va la Chine ?
La Chine se dirige de plus en plus vers le capitalisme et un retour au stalinisme est devenu impossible, même s’il subsiste encore des ruines et des vestiges de cette tradition. Le processus de restauration du capitalisme est avancé et organisé par l’Etat. Cela peut paraître contradictoire au premier abord mais la bourgeoisie naissante n’a pas intérêt à essayer de modifier de suite ce processus, faute de disposer d‘un autre moyen de maintenir la cohésion du pays et de contenir l’agitation sociale. Il n’y a plus rien dans cet Etat corrompu qui puisse lutter contre la place grandissante laissée au capitalisme dans le pays. Comme Trotsky l’a expliqué : « Des restes d’anciens régimes ne sont pas des facteurs dominants en général, même si l’on doit les prendre en compte ». La Chine combine aujourd’hui le pire du stalinisme et du capitalisme sans élément positif ni de l’un, ni de l’autre. Et ce phénomène se répand, en Afrique notamment, à travers les entreprises chinoises.
Il est extrêmement difficile de pronostiquer ce qui peut arriver. Si la croissance économique continue au rythme actuel pendant quelques années encore (ce qui est le scénario le moins probable), la classe capitaliste naissante va entrer de plus en plus en conflit avec la bureaucratie. Mais si une crise économique se développe au niveau mondial (sur base des rapports entre la production chinoise et la consommation américaine), alors elle touchera également la Chine et renforcera l’élément bureaucratique au sein de la société. Ce ne serait finalement qu’une déformation de la tendance au protectionnisme que l’on trouverait alors ailleurs. Mais la bureaucratie sera incapable de contrôler éternellement le développement de la situation. Le processus actuel n’est pas un choix de sa part, elle est obligée de continuer sur cette voie qu’elle ne maîtrise que fort partiellement.
La question fondamentale n’est cependant pas de savoir si la Chine est déjà capitaliste ou pas et, si non, quand elle le sera. La question cruciale est de savoir comment les masses vont réagir face aux changements. Cependant, sans connaître exactement le niveau de conscience des masses, répondre à cette question est difficile. Dans un premier temps, c’est probablement un Etat démocratique bourgeois que réclameront les masses qui s’éveillent et la réaction de l’Etat et des différentes tendances et niveau de la bureaucratie à ce moment seront déterminants. Sans compter que le problème des nationalités gagne en importance et qu’il n’est pas impossible de voir des sécessions se produire.
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Plus que des Rois et des Reines… La vision marxiste de l’Histoire
Naomi Byron
On nous fait croire que le capitalisme est la meilleure manière d’organiser la société, que le socialisme est impossible. On nous fait croire que l’Histoire est faite par des personnalités remarquables comme les rois, les reines et les politiciens, et que les travailleurs n’ont pas le pouvoir de changer la société.
Certains veulent même nous faire croire qu’il n’existe aucun moyen de comprendre comment se développe la société : les adeptes du post-modernisme, une théorie qui a gagné en popularité dans les années ‘90, affirment qu’il n’y a pas de lois générales qui gouvernent le développement de la société. Ce texte démontre que rien de tout cela n’est vrai.
Pourquoi étudier l’Histoire ?
Le capitalisme, le système sous lequel nous vivons aujourd’hui, est inégal et antidémocratique. Pourquoi ? Parce que le capitalisme est une société de classes basée sur l’exploitation de la classe des travailleurs (la majorité de la population) par la classe des capitalistes (une petite minorité de la population) qui possède et contrôle les industries et les institutions financières et qui domine les gouvernements et les institutions politiques.
On nous fait croire que le capitalisme est la meilleure manière d’organiser la société, que le socialisme est impossible. On nous fait croire que l’Histoire est faite par des personnalités remarquables comme les rois, les reines et les politiciens, et que les travailleurs n’ont pas le pouvoir de changer la société.
Certains veulent même nous faire croire qu’il n’existe aucun moyen de comprendre comment se développe la société : les adeptes du post-modernisme, une théorie qui a gagné en popularité dans les années ‘90, croient qu’il n’y a pas de lois générales qui gouvernent le développement de la société.
Rien de tout cela n’est vrai. La théorie du matérialisme historique, développée par Marx et Engels, apporte un cadre d’analyse de la société humaine et des lois de son développement. Cette théorie explique que les sociétés de classes n’ont pas toujours existé, que les premières sociétés humaines n’étaient pas divisées en classes et qu’elles étaient basées sur la coopération et non sur l’exploitation.
Ce texte a pour but de montrer comment les dirigeants d’aujourd’hui essayent de faire accepter à la population l’idée qu’il n’y a aucune alternative au capitalisme, mais aussi comment la réalité de la vie force la population à chercher une alternative et à expliquer les batailles d’idée que cela engendre. Plus important encore, elle explique les raisons pour lesquelles nous, la classe des travailleurs, avons le pouvoir de renverser le système capitaliste, tous ensemble, et de créer une société qui abolisse l’exploitation de classe, une société qui combine la démocratie, l’égalité et la liberté existant dans les premières sociétés avec les avantages des développements économiques, scientifiques et technologiques modernes : une société socialiste.
1. La société humaine est basée sur des forces matérielles
Matérialisme contre idéalisme
Marx et Engels ont élaboré leur étude de la manière dont se développe la société humaine à travers une lutte acharnée contre les philosophes « idéalistes ».
Beaucoup de gens pensent que le socialisme est « idéaliste », que c’est une bonne idée mais que c’est irréalisable (ce que Marx et Engels appelait l’« utopisme »). Au contraire, les idées du socialisme et du marxisme sont réalistes et très praticables car elles sont basées sur l’analyse du monde réel et de son fonctionnement.
Contrairement à la manière dont la plupart des gens comprennent ce mot aujourd’hui, l’« idéalisme » désignait à l’origine un courant de la pensée philosophique. Les idéalistes pensaient que les idées viennent en premier et que la réalité matérielle arrive à l’existence en résultat de ces idées. Un idéaliste (en philosophie) dirait que les changements dans la réalité matérielle sont provoqués par les idées et non par des forces matérielles et que les idées ont une existence indépendante – et même sans relation – avec la réalité matérielle.
Tout en reconnaissant que les idées jouent un rôle important dans le changement social, les marxistes sont matérialistes (ici aussi dans le sens philosophique du terme). Pour un matérialiste, la société humaine et l’histoire est modelée par des forces économiques et sociales matérielles – des choses et des processus bien réels – et les idées sont le reflet de cette réalité matérielle dans la conscience humaine.
Les marxistes pensent que la société humaine est basée sur des forces matérielles. En d’autres mots, pour que n’importe quelle société humaine puisse exister, les humains doivent produire les biens de première nécessité qui leur permettent de survivre : la nourriture, un abri, de l’eau,… Ce sont des éléments matériels sans lesquelles nous mourrions. Mais la manière dont nous interagissons pour produire ces biens indispensables – qui sont les gens qui ont le contrôle sur les produits issus du travail et comment utilisent-ils ceux-ci ? – détermine le type de société dans laquelle nous vivons.
Au commencement : l’évolution
Sans certains facteurs physiques, la société humaine telle que nous la connaissons ne se serait jamais développée : le vaste cerveau humain, l’appareil phonatoire (la langue, le palais, les dents, les cordes vocales) et les pouces opposables.
Le développement et la croissance du cerveau et de l’appareil phonatoire sont apparus à cause de la manière dont les humains ont évolué en interaction avec leur environnement. Les premiers humains étaient moins bien adaptés à leur environnement que beaucoup d’espèces. Ils ont compensé ce handicap en travaillant ensemble dans de larges groupes et en développant des outils.
La croissance de la taille physique du cerveau humain (qui est beaucoup plus grand que celui de n’importe quel autre animal quand on les compare en tenant compte des poids de leurs corps respectifs), est à la fois le résultat du développement de l’intelligence humaine (provoqué par le besoin de coopérer et de fabriquer des outils) et la cause d’une nouvelle croissance. Avec une plus grande quantité de cerveau disponible à l’utilisation, les premiers humains ont eu plus de potentiel pour développer encore plus leur intelligence.
Le fait d’avoir des pouces opposables nous permet de tenir, de fabriquer et d’utiliser des outils. Sans la belle habileté de manipulation que ceux-ci rendent possible, les premiers humains n’auraient pas été capables de développer et d’utiliser les outils sophistiqués qui leur ont permis de survivre et de prospérer dans un environnement changeant.
Sans la large gamme de sons que l’appareil phonatoire nous permet de produire, les sociétés primitives n’auraient jamais pu développer les langages complexes qui ont permis de communiquer des idées et de coopérer sur une large échelle.
En résumé, le développement de nouvelles capacités de faire face à la lutte pour la survie a provoqué des changements physiques. A leur tour, ces changements physiques ont ouvert de nouvelles possibilités pour le développement du langage, de la fabrication d’outils et des capacités mentales (comme la pensée abstraite). Et ces deux processus ont continué de se développer et de se renforcer l’un l’autre.
Les sociétés de chasseurs-cueilleurs / le communisme primitif
On nous a enseigné que les sociétés de classes ont toujours existé, que l’exploitation de classe est un aspect naturel et inévitable de la société humaine. Mais ce n’est pas vrai.
Les premières sociétés humaines étaient des sociétés sans classe basées sur la coopération et le consensus et ne connaissant pas l’exploitation ou l’oppression systématique d’un quelconque groupe sur un autre.
Ce type de société, habituellement appelée société de chasseurs-cueilleurs, n’a pas été un bref interlude dans l’exploitation et l’oppression que nous connaissons dans les sociétés de classe. Cela a été la seule façon dont les sociétés ont été organisée pendant plus de 100.000 ans, jusqu’à ce que des sociétés de classes commencent à se développer il y a environ 10.000 ans. Même aujourd’hui, il existe encore quelques régions dans le monde où des sociétés de chasseurs-cueilleurs existent encore (quoique ce ne sera peut-être plus le cas pour longtemps, car elles sont toutes sous la pression d’une absorption dans l’économie capitaliste mondiale). Pourquoi les sociétés de chasseurs-cueilleurs fonctionnaient-elles si différemment de la société actuelle ? La réponse tient à la manière dont la production des biens indispensables était organisée.
Pour tenter de subvenir à leurs besoins, ces groupes combinaient, d’une part, la chasse d’animaux sauvages et la récupération de charognes et, d’autre part, la cueillette de plantes sauvages. Ils étaient à la merci de leur environnement et ne pouvaient stocker de grosses quantités de nourriture sur le long terme, en particulier parce qu’ils voyageaient généralement sur de longues distances à la recherche de nourriture, et ce pendant parfois plusieurs saisons.
Chacun était intégré à la production des biens de première nécessité (nourriture, abri,…) car autrement tout le monde serait mort de faim. Il n’existait aucun espace dans lequel une élite aurait pu se développer en organisant l’exploitation du travail des autres.
Il y avait souvent des différences dans le travail que faisaient les gens. Par exemple, dans beaucoup de sociétés de chasseurs-cueilleurs, les femmes semblent avoir consacré plus de temps à la garde des enfants tandis que les hommes se consacraient plus à la chasse, bien que cette division élémentaire du travail était très flexible et n’existait pas partout.
Cependant, ces différences, là où elles existaient, étaient dues à des raisons pratiques et ne menaient à aucun jugement de valeur sur le statut de chaque type de travail ou des gens qui l’accomplissaient (comme c’est le cas aujourd’hui). C’est seulement quand la société s’est divisée en classes que la garde des enfants et les autres travaux associés aux femmes ont perdu leur valeur et que l’oppression systématique de la femme a commencé.
Les sociétés de chasseurs-cueilleurs avaient tendance à vivre en petits groupes (la taille de ceux-ci dépendant des ressources dont ils disposaient) qui étaient liés à d’autres petits groupes vivant dans la même région. Les études sur les sociétés de chasseurs-cueilleurs réalisées au siècle dernier montrent que, dans de nombreux cas, celles-ci avaient développé des systèmes complexes de partage des ressources au sein des groupes et entre ceux-ci pour avoir une sorte d’assurance contre les famines et les conflits.
Dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs, si un groupe se porte bien, il est dans son intérêt à long terme de partager les fruits de ses succès avec d’autres groupes. S’il dispose d’un surplus de nourriture qu’il ne peut pas manger ou conserver, il en donne une partie à d’autres groupes, sachant que les autres feraient pareil s’ils se retrouvaient dans la même situation.
Ceci représente non seulement une aide pour ces groupes quand la nourriture se fait rare, mais aussi un moyen de réduire les conflits entre eux. Quand chacun dépend de chacun, il est dans l’intérêt de tous d’éviter les conflits.
Marx et Engels ont décrit ces sociétés de chasseurs-cueilleurs sous le nom de « communisme primitif » parce que la manière dont les biens essentiels étaient produits et distribués dans ces sociétés – leur « mode de production » – produisait en retour une méthode démocratique et coopérative de prise de décision. La citation ci-dessous décrit comment ce processus se déroulait entre des groupes de Boshimans parlant la langue G/wi dans la réserve du Kalahari central du Bostwana à fin des années ‘50 et au début des années ‘60: « Le consensus est atteint au terme d’un processus d’examen des divers scénarios d’action possibles conduisant au rejet de tous sauf un. C’est un processus d’élimination successive de propositions jusqu’à ce qu’il n’en subsiste plus qu’une qui ne rencontre plus d’opposition significative. Celle-ci est alors adoptée par le groupe. Le fait que ce soit le groupe dans son ensemble qui décide est à la fois nécessaire et suffisant pour légitimer ce qui est décidé et pour rendre la décision contraignante pour tous ceux qu’elle concerne ou qu’elle affecte. » (Political process in G/wi bands by George Silberbauer (extrait de Politics and history in band societies, edited by Eleanor Leacock and Richard Lee, published by Cambridge University Press, 1982))
On nous dit souvent que l’égoïsme, la brutalité et la guerre que nous voyons dans le monde aujourd’hui font partie de la nature humaine, que les humains ne sont pas conçus pour coopérer et vivre en égaux. Mais l’existence de sociétés de « communisme primitif » partout dans le monde pendant une période de temps aussi longue prouve que ce n’est pas le cas.
La nature humaine a des possibilités quasi-illimitées. La vie dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs n’était certainement pas parfaite. Il devait y avoir des privations et des désaccords entre individus. Mais la manière dont ces sociétés étaient organisées aidait à mettre en évidence les aspects les plus coopératifs et les plus positifs de la nature humaine tout en rejetant au second plan des aspects plus négatifs comme l’égoïsme et la cupidité. Tout comme la société de chasseurs-cueilleurs l’a fait hier, une société socialiste serait capable demain de faire ressortir le meilleur dans la nature humaine
La révolution néolithique…
Il y a à peu près 10.000 ans, deux découvertes ont commencé à révolutionner la façon dont les sociétés humaines s’organisaient : la culture de plantes (l’agriculture) et la domestication d’animaux.
Ces deux innovations, connues sous le nom de révolution néolithique, ont, pour la toute première fois, permis aux humains d’exercer un certain contrôle sur leur environnement. La productivité du travail a augmenté considérablement : les humains n’avaient plus besoin de se déplacer pour trouver de la nourriture aux différents moments de l’année, ils pouvaient cultiver et stocker leurs propres réserves de nourriture. De ce fait, ils n’étaient plus entièrement dépendants des conditions naturelles.
Ces changements ont mené à l’établissement de campements plus permanents, où les réserves de nourriture pouvaient être stockées et où on pouvait à la fois s’occuper des cultures et des animaux et les défendre contre des attaques. La quantité de nourriture disponible a augmenté considérablement, en même temps que la population humaine dans les sociétés néolithiques se développait rapidement.
Pour la première fois, la société humaine était capable de produire un surplus permanent (c’est-à-dire une quantité de nourriture et de biens dépassant ce qui est nécessaire à la survie), ce qui a permis à une partie de la société d’être délivrée du travail quotidien qui consiste à produire les biens de base, sans mettre en péril la survie du groupe.
Une partie de la société a ainsi pu se consacrer bien davantage à des tâches spécifiques et spécialisées, qui allaient de la pratique de rituels dont on pensait qu’ils apportaient de la nourriture et de la chance au groupe, jusqu’à la fabrication d’outils et au développement de nouvelles techniques comme la fonte du métal et la cuisson de la poterie.
Tout ceci a conduit à des méthodes plus productives d’utilisation du travail humain, comme par exemple l’utilisation d’outils en métal dans l’agriculture.
A mesure qu’augmentait la productivité du travail et que se complexifiaient certaines sociétés, une couche d’administrateurs s’est développée. Le premier système d’écriture connu dans le monde, par exemple, a été développé par les Sumériens peu avant 3.000 avant JC.
Le développement de la société sumérienne, qui a émergé entre les fleuves Tigre et Euphrate, non loin de l’actuelle ville de Bagdad, s’est fait sur base de l’irrigation. La création par les habitants de systèmes de canaux pour acheminer l’eau de pluie et l’eau des fleuves vers les champs ou les cultures a eu pour effet d’augmenter massivement le rendement des cultures. Mais, tant pour organiser le travail de creusage des canaux d’irrigation nécessaire à l’entretien d’une population nombreuse et en expansion que pour assurer une distribution efficace de l’eau, la société sumérienne avait besoin d’administrateurs.
La première écriture sumérienne a pris la forme de symboles, gravés dans des tablettes d’argile pour enregistrer de simples transactions (par exemple un nombre de moutons ou une quantité de céréales). Mais, en quelques centaines d’années, à mesure que les tâches des administrateurs se développaient et se complexifiaient, ces symboles primitifs ont été transformés en un système d’écriture reconnue et comprise par tous les administrateurs sumériens (les compétences de lecture et d’écriture étaient un privilège jalousement gardé).
…et la naissance de la société de classe
Les « spécialistes » et les administrateurs qui ont été libérés du travail de production de biens de première nécessité ont joué un rôle extrêmement progressif dans la mesure où ils ont contribué à développer les forces productives.
Cependant, beaucoup de ces « spécialistes » et de leurs descendants se sont peu à peu accrochés à leurs positions en s’appuyant sur l’accumulation de richesses réalisée, le statut privilégié et la tradition.
Dans beaucoup de régions, ils ont commencé à devenir une élite dirigeante, une nouvelle classe avec des intérêts différents de ceux des autres dans la société. Ils ont essayé d’établir des lois afin de protéger leur position privilégiée. Parmi ces nouvelles élites, celles qui ont le mieux réussi ont créé des groupes spécialisés de serviteurs/guerriers qu’elles payaient pour renforcer leur domination au sein de la société ainsi que pour protéger celle-ci d’attaques de l’extérieur.
Tout cela ne s’est pas passé sans résistance. Il semble que, dans certains groupes, les tentatives d’une classe dirigeante émergente pour consolider son pouvoir ont été bloquées et qu’une organisation collective à été réétablie. Cependant ces groupes tendaient à être plus faibles que les sociétés dirigées par une classe dominante où les forces productives avaient été davantage développées. En conséquence, à moins qu’ils soient géographiquement isolées d’autres sociétés plus développées, les groupes de chasseurs-cueilleurs dirigés collectivement ont généralement été absorbées par celles-ci, le plus souvent suite à des défaites lors de guerres et à leur réduction en esclavage.
Le développement de la société humaine est basé sur le développement des forces productives
Le développement d’outils, de machines ou de techniques qui accroissent la productivité du travail humain – comme la charrue tirée par un cheval, l’irrigation ou la production industrielle – accroissent également :
– la taille de la population qu’une société peut supporter,
– la spécialisation ou la division du travail qui est possible au sein de la société.Il a existé beaucoup de manières différentes d’organiser la production dans la société, ce qui a conduit à beaucoup de formes différentes de sociétés de classe. Voici quelques exemples de trois des types de sociétés de classes les mieux connus – l’esclavagisme, le féodalisme et le capitalisme – qui montrent comment la manière dont la production est organisée a modelé chaque société.
L’esclavagisme : les anciennes sociétés esclavagistes – comme l’Egypte, la Grèce et la Rome antiques – étaient basées sur l’exploitation du travail d’esclaves à une échelle de masse. De grandes villes où vivaient de riches propriétaires étaient entretenues par d’énormes quantités d’esclaves (essentiellement capturés lors des guerres) qui travaillaient la terre et produisaient la plupart des biens – comme les huiles, le vin, les poteries et les bijoux – qui rendaient les sociétés esclavagistes si riches.
Le féodalisme : les sociétés européennes du Moyen-Age reposaient sur une économie à base paysanne dans laquelle les paysans contrôlaient ce qu’ils produisaient sur leur « propre » lopin de terre mais étaient obligés de donner une partie des fruits de leur labeur au seigneur féodal qui possédait ou contrôlait la terre sur laquelle ils vivaient. Ce surplus accaparé par le seigneur pouvait prendre des formes très diverses : le paysan travaillait un certain nombre de jours sur les terres du seigneur, ou donnait à celui-ci une certaine proportion de la production de l’année ou encore lui payait une rente en argent.
L’aristocratie de propriétaires terriens était la classe dirigeante sous le féodalisme. Bien que l’Etat était souvent organisé autour de la royauté, la famille royale provenait généralement de l’aristocratie et défendait ses intérêts.
Le capitalisme : le système économique qui domine le monde aujourd’hui est basé sur la propriété privée des moyens de production (l’industrie manufacturière, les matières premières, les diverses ressources nécessaires à l’industrie et, aujourd’hui, même les graines nécessaires à la production de nourriture !) et l’exploitation du travail de la classe des travailleurs salariés.
Ces travailleurs, qui ne possèdent ni terre ni richesse substantielle transmise par héritage, ne disposent par eux-mêmes d’aucun moyen de subsistance et sont donc forcés de vendre leur force de travail pour survivre. Les capitalistes achètent celle-ci ; ensuite ils récupèrent leur argent et réalisent des profits en vendant des biens essentiels et d’autres produits à la classe des travailleurs et aux autres classes de la société.
La lutte des idées dans la société reflète la lutte des classes
Les idées ne sont en aucune manière neutres ou « au-dessus » de la société. Dans une société de classe, les idées de la classe dirigeante dominent à cause de la domination économique, politique et légale de cette classe (ou, en d’autres termes, de la somme d’argent, de pouvoir et de contrainte dont elle dispose).
L’idéologie (le système d’idées) de toute classe dirigeante reflète ses intérêts matériels. Par exemple, les monarchies féodales de nombreux pays à travers le monde ont défendu leur pouvoir et leurs privilèges en faisant appel aux idées et aux institutions religieuses. En Angleterre et en France, l’Eglise a soutenu le « droit divin » de la monarchie féodale à diriger, en affirmant que les hommes et femmes ordinaires n’avaient pas le droit de remettre en question un monarque qui avait été choisi par Dieu.
Des idées qui sont considérées comme « de bon sens » sont souvent en réalité le produit d’un type particulier de société de classe. Au 4e siècle avant notre ère, le philosophe Platon défendait l’idée que ce qui se passait dans la nature était déterminé par les idées et pas par des forces matérielles. Il croyait en conséquence que les expériences pratiques n’étaient pas indispensables pour développer une compréhension de la manière dont fonctionne les processus naturels : ceux-ci pouvaient être déchiffrés par la pensée.
Sa vision était conditionnée par le type de société dans lequel il vivait, la Grèce antique, qui était une société esclavagiste dans laquelle le travail physique était considéré comme avilissant et inutile pour l’élite. Il a fallu bien plus d’un millier d’années pour que les conceptions erronées de Platon soient abandonnées et pour que l’importance des méthodes scientifiques de mesure et d’expérimentation soit reconnue.
Bien que les idées de la classe dirigeante soient dominantes, elles sont constamment remises en cause par d’autres idées. Cette lutte d’idées reflète la lutte entre les classes sociales dans la société. L’opposition à l’idéologie dominante de la classe dirigeante est le reflet des intérêts matériels des autres classes.
Gouvernement, système légal et idéologie
Le gouvernement, le système légal et l’idéologie de n’importe quelle société sont appelés la « superstructure ». Celle-ci se développe sur la base économique de la société. La forme que prend la superstructure dans une société est déterminée avant tout par les rapports économiques sur lesquels est basée cette société.
Cependant, cela ne signifie pas que le système économique détermine tout dans une société. Les traditions locales et la manière dont la société s’est développée jusque là influencent aussi le système politique et légal. Par exemple, beaucoup de sociétés capitalistes ont encore une monarchie qui est en réalité une institution féodale et pré-capitaliste. Les républiques et les monarchies, les démocraties parlementaires, les dictatures militaires et les régimes fascistes sont autant de systèmes de gouvernement utilisés par la classe capitaliste.
Dans l’Europe d’aujourd’hui, les lois sont essentiellement faites et mises en œuvre par des représentants de la classe dirigeante capitaliste. D’autres classes, comme la classe des travailleurs et les classes moyennes, font bien entendu aussi entendre leur voix, mais la manière dont est constitué le système légal protège les intérêts de la classe dirigeante. Ainsi de nombreux délits contre la propriété privée (comme les vols, les cambriolages,…) sont considérés comme des délits plus sérieux que ceux contre les personnes (les agressions, les coups et blessures, les viols et même les meurtres dans certains cas).
Cela conduit à des situations étranges, comme en Grande-Bretagne où la majorité des femmes emprisonnées le sont pour des « crimes » liés à la pauvreté comme des vols de nourriture ou l’incapacité de payer des amendes, tandis que les compagnies privées qui gèrent les chemins de fer ne sont pas poursuivies lorsque des gens meurent dans des accidents de train provoqués par une chasse au profit passant avant la sécurité.
Dans le monde global dominé par les monopoles où nous vivons aujourd’hui, il est légal pour une société multinationale de breveter des plantes existantes, comme les variétés de riz qui ont été cultivées depuis des centaines d’années, et de faire payer les agriculteurs partout dans le monde pour avoir le « droit » de cultiver ces plantes.
L’idéologie change lorsque les conditions matérielles changent
Les affirmations suivantes expriment des idées qui sont largement répandues chez nous aujourd’hui. La comparaison avec des idées qui étaient largement répandues à la fin du 19e siècle est frappante.
Aujourd’hui : Les hommes sont plus forts que les femmes. La cupidité fait partie de la nature humaine; une société égalitaire ne peut donc pas exister. Le racisme existera toujours.
Au 19e siècle : Les hommes sont supérieurs aux femmes tant du point de vue physique que du point de vue intellectuel. Les Blancs sont supérieurs aux Noirs. La Belgique aide les Congolais en leur apportant la civilisation.
Ces deux séries d’affirmations reflètent l’idéologie de la classe dirigeante qui affirme que la division et la cupidité sont naturelles et nécessaires. Mais les changements dans les conditions matérielles du capitalisme pendant les cent dernières années ont obligé les commentateurs à modifier la manière dont ils expriment leur idéologie.
A la fin du 19e siècle, les femmes étaient considérées sur le plan légal comme étant la propriété de leur mari ou pères et n’avaient aucun droit en matière de succession, de vote ou d’études universitaires.
En 1884-1885, les puissances européennes se sont rencontrées lors d’une conférence à Berlin pour se partager l’Afrique. A la fin du 19e siècle, grâce à leur puissance économique et navale, la Grande-Bretagne dirigeait un Empire qui couvrait un tiers de la surface de la planète. La France possédait, elle aussi, un vaste empire colonial et la Belgique elle-même s’était appropriée en Afrique des colonies qui représentaient cent fois sa propre superficie. Ces empires fournissaient des matières premières et des minerais pour l’industrie de la « mère-patrie » et un énorme marché pour l’industrie de celle-ci. La classe dirigeante essayait de justifier son colonialisme (qui dans beaucoup de cas prenait avant tout la forme d’une occupation militaire) en diffusant des idées ouvertement racistes dans toutes les couches de la société.
Au cours du 20e siècle, des mouvements de masse pour l’indépendance brisèrent les empires coloniaux et la Grande-Bretagne (sans parler de la France et de la Belgique) fut remplacée par les Etats-Unis en tant que puissance économique mondiale dominante.
En même temps, les luttes pour les droits des femmes combinées au besoin croissant d’ouvrières dans l’industrie ainsi qu’à la confiance et au pouvoir que leur nouvelle position sur le marché de l’emploi leur donnaient, ont permis aux femmes d’acquérir beaucoup de droits qu’elles n’avaient pas au 19e siècle.
Ce sont ces changements matériels qui ont obligé les commentateurs capitalistes à adapter la façon dont ils présentent leur idéologie.
Le pouvoir des idées vient des forces matérielles qu’elles représentent
Marx et Engels n’ont pas inventé l’idée de socialisme : elle existait déjà depuis longtemps. Des mouvements comme les Diggers, qui avaient lutté pour mettre fin à la propriété privée de la terre durant la Guerre civile anglaise au 17e siècle, avaient mis en avant des idées socialistes de base bien avant eux. Cependant, les premiers mouvements socialistes étaient avant tout utopiques : ils mettaient en avant l’idée d’une société meilleure mais sans avoir une véritable compréhension de comment on pouvait y arriver.
La contribution de Marx et d’Engels a été de montrer que les idées socialistes ont une base scientifique et objective et de les mettre en contexte en expliquant comment la société humaine s’était développée. Ils ont été capable de développer une idéologie approfondie pour le socialisme : le marxisme.
La puissance des idées socialistes et marxistes provient du fait qu’elles reflètent et expliquent avec précision les conditions matérielles que la classe des travailleurs connaît sous le capitalisme :
- L’aliénation, l’exploitation et l’oppression de la classe des travailleurs
- La nature collective du travail de la classe des travailleurs
- La contradiction entre l’énorme pouvoir productif du capitalisme et son incapacité à développer les forces productives pour le bien de tous ou à fournir suffisamment de biens de première nécessité pour satisfaire les besoins de chacun ( comme on le voit aujourd’hui dans le fossé entre les riches et les pauvres, qui a atteint un niveau historique).
Tant que ces conditions matérielles existent, les gens seront obligés de chercher une alternative socialiste. Pourtant, la popularité du socialisme ne sera pas suffisante pour liquider le capitalisme et le remplacer par une forme socialiste d’organisation de la société.
2. Changer le cours de l’Histoire
Le changement révolutionnaire – Comment se développe la société
Au fil du temps, les contradictions inscrites dans les structures économiques, politiques et légales de chaque société de classe s’aiguisent. Elles finissent par devenir un blocage pesant sur les forces productives (la productivité du travail humain) freinant leur développement. La vieille classe dirigeante essaie désespérément de bloquer tout changement afin de défendre son pouvoir et ses privilèges.
Dans cette situation, la seule voie qui permette à la société d’aller de l’avant est d’écarter cette vieille classe dirigeante du pouvoir et d’installer à sa place une nouvelle organisation de la société. Cela signifie une révolution.
En Angleterre et en France, la classe capitaliste a conquis le pouvoir politique par une révolution – même si elle préfère parfois qu’on n’en parle pas trop ! La Guerre Civile anglaise au milieu du 17e siècle – où les parlementaires emmenés par Cromwell affrontèrent les monarchistes sur le champ de bataille – tout comme la Révolution française à la fin du 18e siècle – où les insurrections urbaines se combinèrent avec des affrontements militaires entre la République naissante et la noblesse exilée – furent de véritables guerres entre deux classes en opposition frontale – l’aristocratie féodale et la monarchie contre la classe capitaliste montante – qui mobilisaient toutes deux leurs partisans.
Le système féodal en Europe occidentale avait en réalité commencé à atteindre ses limites de développement beaucoup plus tôt. Les améliorations apportées aux méthodes agricoles ainsi que le défrichement de forêts destiné à fournir davantage de terres pour l’agriculture avaient énormément amélioré la productivité agricole mais ne pouvaient guère aller au-delà dans un système féodal reposant sur de petites parcelles paysannes.
L’épidémie de peste noire au milieu du 14e siècle provoqua la mort de près de 40% de la population européenne. La raréfaction de la main d’œuvre qui en découla dans les campagnes finit par donner à la paysannerie plus de pouvoir dans leur lutte permanente avec les seigneurs féodaux qui furent obligés de leur concéder de meilleures conditions de travail et des loyers moins élevés pour les terres qu’ils occupaient. Les pauvres sans terre – qui étaient obligés de travailler pour d’autres afin de survivre – purent obtenir de meilleurs salaires tant à la campagne que dans les villes.
Pendant que la classe féodale déclinait, l’embryon d’une nouvelle classe commençait à se former dans les villes et les bourgs. Encouragés par la croissance du commerce sur une longue distance, artisans et marchands se réunissaient à l’occasion des marchés dans les villes pour vendre leurs produits. Les artisans trouvèrent aussi localement des acheteurs pour leurs productions, particulièrement parmi les seigneurs féodaux et les paysans les plus fortunés.
Les villes ayant acquis dans la plus grande partie de l’Europe occidentale une relative liberté les mettant à l’abri du contrôle direct des seigneurs féodaux, les artisans et les riches marchands y formèrent bientôt des guildes et des corporations pour protéger leurs intérêts.
Ces processus – la croissance de la production de biens à vendre sur les marchés et la crise grandissante du pouvoir féodal à la campagne – se renforcèrent mutuellement. Les guildes et les corporations commencèrent à introduire les rapports capitalistes en employant une armée de plus en plus grande de travailleurs salariés.
Mais le pouvoir économique de cette classe capitaliste embryonnaire avait beau continuer à croître, le gouvernement et le système légal défendaient toujours les intérêts de l’aristocratie féodale. En Angleterre, la lutte pour le pouvoir politique entre la noblesse et la bourgeoisie capitaliste montante fut réglée par une guerre civile. Les bourgeois entraînèrent derrière eux dans leur lutte les sections les plus opprimées de la population. Ils renversèrent la monarchie, installèrent comme autorité politique suprême un parlement (dominé à ce moment par les représentants de la nouvelle classe capitaliste) et établirent un système légal qui défendait leurs intérêts de classe. Néanmoins, des revers dans la lutte obligèrent ensuite la bourgeoisie à passer un compromis partiel avec l’aristocratie, impliquant notamment la restauration de la monarchie, mais sans que sa domination économique soit remise en cause.
Moins d’un siècle et demi plus tard, la bourgeoisie française, économiquement et idéologiquement plus solide, fut capable de garder le contrôle d’un processus révolutionnaire tumultueux et d’imposer après quelques années un système politique qui écartait définitivement la noblesse du pouvoir.
Cependant, les sociétés humaines ne se développent pas en ligne droite – en sautant d’un type de société à un autre et en progressant constamment. La société peut aussi reculer.
Que se passe-t-il quand les révolutions échouent?
Malheureusement, les révolutions contre l’ordre existant ne réussissent pas toujours. Si des révolutions contre un mode de production dépassé et sa classe dirigeante échouent encore et encore, le système déclinant continuera à sombrer et le niveau de développement de la société peut être rejeté en arrière pour des centaines d’années.
Les anciennes sociétés esclavagistes de l’Egypte, de la Grèce et de Rome ont été très loin dans le développement de la science, de la technologie et de la littérature. Cet essor culturel était rendu possible parce que ces sociétés étaient basées sur l’exploitation d’immenses armées d’esclaves. A un moment, ces empires puissants ont commencé à être confrontés aux limites de l’esclavagisme (et dans le cas de l’Empire Romain, aux limites d’une expansion territoriale constante).
Un exemple montrant comment les limites de l’esclavagisme ont freiné la société est le fait que les progrès scientifiques et les inventions produites par la société esclavagiste n’ont pas toujours été utilisées pour augmenter l’efficacité du travail humain. Ainsi, les anciens Egyptiens avaient compris tous les principes nécessaires à la construction de la machine à vapeur tandis que les Romains avaient inventé la roue hydraulique.
Cependant, aucune de ces inventions n’a été utilisée de façon systématique ou généralisée ; elles n’ont été utilisées que pour produire des jouets pour amuser les riches et les puissants. Ceci s’explique par le fait que le système économique de l’esclavagisme, où le travail de l’esclave coûtait trois fois rien et était facile à se procurer, n’incitait pas à répandre une nouvelle technologie qui aurait pu amener à un développement considérable de la productivité du travail humain et faire avancer fortement la société.
Au lieu d’être renversées et remplacées par une forme de société plus progressive, les anciennes économies esclavagistes ont commencé à se désagréger jusqu’à ce que, divisées et affaiblies, elles soient conquises par des envahisseurs étrangers. L’effondrement de l’Empire Romain a provoqué un recul important dans une grande partie de l’Europe Occidentale, un recul qui allait durer des siècles avant que celle-ci puisse se développer à nouveau.
Le capitalisme
Les réalisations du capitalisme, en termes de développement des forces productives, sont immenses. La mécanisation du processus de production, l’électrification, le développement des chemins de fer, un réseau routier étendu et des véhicules motorisés, l’invention d’ordinateurs et le développement d’une communication virtuellement instantanée aux quatre coins du monde ont transformé le commerce et permis la production de biens et de richesses en des quantités auparavant inimaginables.
Mais ces avancées ont eu un lourd prix. L’expansion du travail salarié et du « libre marché » ont permis une exploitation encore plus intensive de la classe des travailleurs. Les capitalistes possèdent et contrôlent les outils, les usines et les matières premières (les moyens de production). Les travailleurs eux, n’ayant pas de terres ou de source de revenus indépendante, sont donc obligés de vendre leur travail aux capitalistes pour survivre.
Les capitalistes, qui sont en compétition les uns avec les autres, essayent de comprimer les salaires de leur main-d’œuvre afin d’augmenter leurs profits. La menace du chômage – et des demandeurs d’emploi qui seraient prêts à travailler pour un salaire plus bas – est utilisée comme un bâton afin de les faire accepter aux travailleurs des conditions de travail et des salaires plus mauvais.
Dans les premiers temps du capitalisme (c’est-à-dire au début de la révolution industrielle en Angleterre), les conditions de vie et de travail des masses étaient pires que celles qu’avait connue la majorité de la population sous le féodalisme. C’est seulement avec le développement de la lutte des classes, et notamment la création des syndicats, que les travailleurs et les chômeurs ont commencé à améliorer leur situation.
Les énormes richesses et la puissance qu’elles rendent possibles ont été monopolisés par la classe capitaliste et utilisées pour faire encore plus d’argent en exploitant le travail de la classe des travailleurs. Les premiers pays capitalistes (comme l’Angleterre, la France et la Belgique) ont utilisé leur puissance économique et militaire pour créer des empires en s’emparant d’immenses territoires à l’étranger où les ressources naturelles et le travail de la population indigène ont été exploités impitoyablement pour maximaliser les richesses, le pouvoir et le prestige de la classe dirigeante impériale.
La classe des travailleurs – « fossoyeurs » du capitalisme
Marx et Engels ont montré que le capitalisme n’était que la forme la plus récente d’une société d’exploitation de classes. Ils ont aussi expliqué qu’en se développant, le capitalisme semait aussi les graines de sa propre destruction. Le rôle central que la classe des travailleurs en pleine expansion a joué dans le processus de production a ainsi produit une classe qui non seulement peut mettre en cause le rôle des capitalistes, mais qui est aussi capable de créer une société nouvelle et plus progressiste.
D’un point de vue historique, la réalisation la plus importante du capitalisme a été de développer les forces productives jusqu’à un niveau où une société socialiste est possible. Sans les bases matérielles pour éradiquer la faim, la pauvreté et l’analphabétisme partout dans le monde, une société socialiste est impossible.
Le capitalisme a réalisé cette base matérielle. Comme le disent les Nations Unies : « On estime que le coût supplémentaire pour réaliser et maintenir l’accès universel à l’éducation de base pour tous, les soins de santé de base pour tous, les soins de santé en matière de gynécologie et d’obstétrique pour toutes les femmes, une alimentation appropriée pour tous et l’accès à l’eau potable et à des installations sanitaires pour tous, est grosso modo de 40 milliards de dollars par an… Ceci représente moins de 4 % de l’ensemble de la fortune des 225 personnes les plus riches. » (Rapport du Développement Humain des Nations Unies, 1997).
Pourtant, sous le capitalisme, même cette redistribution relativement mineure ne verra jamais le jour. La propriété privée de l’industrie, des transports et des communications freine les forces productives. L’économie moderne mondialisée essaie continuellement de dépasser les limites du capitalisme, comme les frontières nationales ou l’incapacité dans laquelle se trouvent les travailleurs de racheter les produits qu’ils ont produit parce qu’ils ne sont pas payés à la valeur réelle de leur travail. Mais régulièrement, ces limites plongent le système dans des crises.
La nature parasitaire du capitalisme moderne se révèle à travers le développement massif de la spéculation financière, en opposition à l’investissement dans l’industrie. Les systèmes de communications incroyables qui ont été développés pourraient permettre à une société socialiste de planifier démocratiquement une économie moderne de façon détaillée afin de faire face aux besoins de la population. Mais sous le système capitaliste, ces systèmes de communications sont monopolisés par les plus grandes multinationales qui s’en servent pour s’assurer qu’ils pressent chaque goutte de profit tant de leurs travailleurs que des consommateurs.
Le rôle des individus dans l’Histoire
Une révolution n’est pas quelque chose qu’un individu ou une organisation peut faire apparaître d’un coup de baguette magique. C’est un processus qui se développe lorsque les contradictions à l’intérieur d’une société de classes ont atteint un seuil critique : lorsque les masses, qui sentent qu’elles ne peuvent plus supporter plus longtemps leur oppression se soulèvent pour défier la domination de la classe dirigeante alors au pouvoir. (Pour en savoir plus sur ce qui se passe lors d’une révolution, un autre texte se trouvera bientôt sur ce site : Changer le Monde – Le rôle d’un parti révolutionnaire )
Les marxistes rejettent l’idée, défendue par des historiens du courant dominant, que des individus dotés de fortes personnalités sont à eux seuls responsables des avancées de l’Histoire. Attribuer des événements historiques majeurs aux ambitions ou aux fortes convictions personnelles d’un individu donne une vision mystifiante l’Histoire au lieu d’aider à l’expliquer. Cependant, tandis que nous sommes convaincus, en tant que marxistes, que les révolutions sont faites par les masses, nous comprenons aussi que dans un mouvement de masse ou une révolution – et en particulier à certains moments critiques – l’intervention de certains individus peut faire la différence entre la réussite ou l’échec du mouvement.
Néanmoins, ceci ne veut pas dire que des individus peuvent, de quelle que manière que ce soit, remplacer des mouvements de masse ou une implication de masse dans une révolution. Des gens qui peuvent aider à orienter des mouvements de masse dans la bonne direction ne tombent pas tout cuits du ciel. Ils sont formés et préparés par la période économique et politique dans laquelle ils ont vécu, et particulièrement par les luttes de classes et les mouvements de masse auxquels ils ont participé. De cette façon, l’expérience et les leçons des mouvements du passé sont absorbées et assimilées par ces individus et réintroduites par ceux-ci dans le mouvement afin d’en assurer le succès.
La différence entre la révolution socialiste et toutes les autres révolutions antérieures
Une révolution socialiste doit être menée par la classe des travailleurs. Les révolutions contre les formes précédentes de sociétés de classes ont chaque fois été menées par une classe minoritaire qui exploitait la colère des masses dans sa lutte pour conquérir le pouvoir politique pour elle-même (par exemple les révolutions capitalistes contre la classe dirigeante féodale).
Aujourd’hui, dans beaucoup de pays, la classe des travailleurs représente la majorité de la population. Afin de se libérer elle-même de l’oppression et de l’exploitation, la classe des travailleurs doit abolir complètement la société de classes. La révolution socialiste est la première révolution dans l’histoire de l’humanité qui a le pouvoir de mettre un terme à l’exploitation de classe. C’est aussi la première révolution qui est menée par une classe qui est devenue entièrement consciente du rôle historique qu’elle doit affronter.
Cette conscience n’existe pas encore à l’heure actuelle. L’expérience que les gens ont du système capitaliste les pousse vers des conclusions socialistes de façon différente et à des moments différents. Encourager le développement d’une conscience de classe et d’idées socialistes est l’une des tâches d’un parti révolutionnaire, qui peut rassembler différents secteurs de la classe des travailleurs et de la classe moyenne radicalisée en les unissant dans un combat commun.
La fin de la société de classes
Une société socialiste abolirait les classes sociales, permettant à la gestion collective et vraiment démocratique de la société de réapparaître pour la première fois dans l’Histoire depuis les sociétés de chasseurs-cueilleurs. Mais ceci se ferait sur une base matérielle beaucoup plus élevée : au lieu de vivre à un niveau de subsistance quotidienne, en étant entièrement dépendant de l’environnement local, la société serait basée sur des forces productives qui sont à même de procurer plus qu’assez pour satisfaire les besoin de chacun.
Dans la période de transition entre le capitalisme et le socialisme, c’est-à-dire après une révolution socialiste réussie, l’Etat sera dirigé par la classe des travailleurs (et aussi par la paysannerie pauvre et les masses de sans-terre dans les nombreux pays où ils existent). Mais même cette forme d’Etat – bien qu’il s’agirait d’un Etat basé sur la démocratie des travailleurs plutôt que sur l’exploitation de classe – finira par disparaître lorsque le socialisme, puis une véritable société communiste seront réalisés.
La base matérielle de l’Etat est la suppression d’une classe (en l’occurrence les capitalistes) par une autre (en l’occurrence les travailleurs, soutenus par d’autres classes opprimées comme la paysannerie et les pauvres sans-terre). A mesure que se développe une société sans classe, disparaît peu à peu la base matérielle pour toute organisation étatique se dressant au-dessus de la population. Les tâches nécessaires que l’Etat accomplit dans une société de classes – la planification, l’administration,… – seront organisées et exécutées par la population dans son ensemble selon ses propres décisions démocratiques.
« Socialisme ou barbarie »
Si une révolution échoue à renverser le capitalisme, les conséquences peuvent être gravissimes. Le fascisme et la dictature sont des « solutions » auxquelles la classe capitaliste a souvent recours pour « maintenir l’ordre » après une révolution qui a échoué. Mais si, sur le long terme, aucune révolution ne réussit à établir une société socialiste, même ces perspectives horribles se révèleraient insignifiantes comparées à la désintégration du capitalisme au niveau mondial.
Car, tout au long de l’Histoire, le potentiel de destruction de l’humanité s’est accru en même temps que se développaient les forces productives. Au fur et à mesure que de nouvelles formes de sociétés de classes émergeaient, l’exploitation des classes opprimées en leur sein s’est intensifiée. L’augmentation de la productivité et de la technologie ont permis à la fois une exploitation et un contrôle des masses de plus en plus complet et la mise en œuvre d’armes de destruction massive de plus en plus puissantes et épouvantables.
Les armes nucléaires détenues par des gouvernements partout dans le monde pourraient détruire des centaines de fois la planète. La destruction de l’environnement par l’industrie capitaliste va de pair avec la propriété privée et le profit. Comme le système capitaliste titube de crise en crise, l’instabilité croissante qu’il crée augmente le nombre de guerres et de conflits et épuise les ressources naturelles avec de moins en moins de considération pour les générations futures.
A moins qu’une série de révolutions socialistes de par le monde réussisse à mettre fin au capitalisme, la désintégration d’une société disposant d’une telle force de destruction terrifiante pourrait être un désastre sans précédent dans l’histoire de l’humanité.
Une société socialiste ne libérerait pas seulement les forces productives des limites du capitalisme, elle ne libérerait pas seulement les humains de l’esclavage salarié et de l’aliénation par le travail sous le capitalisme : elle assurerait aussi que la production et la technologie soient utilisées à des fins constructives et pas à des fins destructives.
Quelques définitions en bref
- Réalité matérielle : les choses et les processus dans le monde réel qui peuvent être touchés ou mesurés
- Mode de production : la manière dont est organisée la production des produits de première nécessité et des autres biens
- Forces productives : la productivité du travail humain (la quantité de biens produite par une quantité fixée de travail humain) qui est développée et augmentée à l’aide de la technologies, des connaissances scientifiques et des manières plus efficaces d’organiser le travail humain
- Idéologie : système d’idées
- Progressiste : qui contribue à faire progresser la société en aidant au développement des forces productives
Terminologie
Note de l’auteur : Marx et Engels ont classifié les premiers types de sociétés de classes en barbarie et la montée des anciens empires esclavagistes d’Egypte, de Grèce et de Rome en civilisation. Aujourd’hui, ces termes semblent démodés et teintés par leur association avec l’idéologie de l’impérialisme. J’ai donc utilisé dans cette brochure des termes plus spécifiques qui sont apparus dans les études modernes, respectivement société néolithique et société esclavagiste.
Note du traducteur :Des passages du texte ont été réécrits pour remplacer des exemples typiquement britanniques par des exemples de valeur plus générale. D’autre part, à la place du terme de classe ouvrière, qui semble réduire la classe aux seuls ouvriers, j’ai préféré employer le terme de classe des travailleurs qui permet d’inclure de manière plus large le grand nombre de salariés (ouvriers, employés, fonctionnaires, enseignants,…) qui sont aujourd’hui victimes de l’exploitation dans le cadre du capitalisme moderne.
Liste de lecture
- L’idéologie allemande (première partie) – Marx et Engels
- Le Manifeste du Parti Communiste – Marx et Engels
- De la préhistoire à l’Histoire – Gordon Childe
- L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat – Engels
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Cameroun: Non à la dictature ! Non au RDPC !
Récemment, le RDPC, le parti du président du Cameroun, a convoqué une réunion à Liège. Mis au courant grâce à l’un de nos camarades camerounais, plusieurs membres du Mouvement pour une Alternative Socialiste se sont rendus à cette réunion pour protester contre la dictature et contre l’implantation d’une cellule locale du RDPC en région liégeoise.
Dictature et corruption sur le dos du peuple
La situation au Cameroun, comme d’ailleurs partout en Afrique, est particulièrement préoccupante. Depuis la fin des années ’60, le pouvoir est exercé par un seul parti, l’Union Nationale Camerounaise, devenue en 1985 le Rassemblement « Démocratique » du Peuple Camerounais. Il aura fallu attendre 1991 et de nombreuses révoltes et émeutes contre la dictature pour qu’un multipartisme de façade soit instauré.
Cependant, lors des élections de 1992, le président Paul Biya, au pouvoir depuis 1982, a réussi à se maintenir à la tête du pays en truquant les élections, comme il le fait toujours d’ailleurs. Son pouvoir est exorbitant. Entre autres :
- il est le président du parti majoritaire absolu au parlement, et chef du gouvernement,
- il nomme, récompense ou punit les magistrats,
- en tant que chef suprême des forces armées, il gère directement la police et la gendarmerie,
- il nomme les emplois civils et militaires,
- il nomme le conseil constitutionnel, la cour des comptes, ceux qui vérifient le bon déroulement des élections,…
Il faut ajouter à cela le contrôle des journaux, des radios, de la télévision…
Les études de l’ONG Transparency International font ressortir que cette dictature a deux fois été le N°1 mondial en terme de corruption (en 1999 et 2000). En 2006, le Cameroun n’était « plus » que 25e sur 163 pays… Le journal “The African Independent” a par exemple dénoncé le fait que l’ancien directeur des impôts aurait acheté son poste de ministre des finances pour 2 milliards de francs CFA (un peu plus de 3 millions d’euros). En 2004, plus de 50% des ménages camerounais ont reconnu avoir versé au moins un pot-de-vin.
Toujours d’après Transparency International, en 2005, chaque ménage camerounais aurait dépensé environ 102.500 francs CFA (156 euros) en moyenne en pot-de-vin. Cela représenterait de un tiers à un cinquième des revenus des ménages les moins aisés. Selon Christol Georges Manon, président de l’Observatoire de lutte contre la corruption au Cameroun, 40% des recettes enregistrées chaque année ne servent pas le développement pour cause de corruption. La dictature a bien tenter de donner le change, mais comme le dit un avocat camerounais: « les poissons ne peuvent pas voter un budget pour l’achat des hameçons »…
Les multinationales et entreprises occidentales ne sont pas étrangères à ce processus. Le parquet de Paris a par exemple ouvert un enquête contre Total pour soupçons de corruption dans l’exploitation et la commercialisation de pétrole au Cameroun.
Les violations des droits de l’homme sont monnaie courante dans ce pays où la peine de mort est toujours d’actualité. En 2005, un exemple a particulièrement ému l’opinion internationale, celui d’une dizaine de gays camerounais emprisonnés à cause de leur orientation sexuelle différente. L’homosexualité est en effet considérée comme une infraction… Des idées que l’ont pourrait retrouver sans aucune difficulté au Front National par exemple. Il est vrai que Chantal Biya, la femme du président, est en excellents termes avec Jany Le Pen, et a d’ailleurs souhaité bonne chance à Jean-Marie Le Pen pour les élections…
Une réunion fort révélatrice…
Alors que la réunion à Liège devait commencer à 17h00, la délégation officielle n’est arrivée que sur le coup de 21h00…
Nous avons mis à profit ce long temps d’attente pour discuter avec la cinquantaine de Camerounais qui s’était déplacée. La majorité des présents étaient là pour demander des comptes aux représentants du pouvoir en place, chose qu’ils ne peuvent pas faire au pays sous peine d’emprisonnement dans des conditions extrêmements pénibles. Nous avons été très bien reçu avec nos pancartes « Non à la dictature, non au RDPC » et « Non à la Répression Dictatoriale du Peuple Camerounais », comme en témoigne la diffusion de notre mensuel, l’Alternative Socialiste, parmi la communauté camerounaise présente. Les messages de solidarité ont fusé des deux côtés, sous quelques regards un peu plus sombres…
Quand enfin la délégation officielle est arrivée, nous sommes également rentrés, silencieux, mais en brandissant toujours fièrement nos pancartes. Une discussion vive et animée s’est engagée et la police a été appelée, sous les protestations d’une partie des participants. Le temps que nous soyons jetés dehors, nous avons toutefois pu voir comment était orientée la discussion de la tribune.
L’orateur a pris la parole sans un mot d’excuse pour les 4 heures de retard, avant qu’un Camerounais indigné ne lui fasse la remarque. Pour beaucoup, c’était assez révélateur de la manière dont les choses se passent au Cameroun : on traite la population comme autant de chiens galeux, aucune raison de s’excuser de quoi que ce soit… Ensuite, les personnes présentes ont pu voter pour la seule et unique liste de responsables de la section locale qui était constituée, selon les remarques ironiques de notre camarade, majoritairement d’étudiants qui voient dans ces fonctions une manne d’argent pour faire face au coût des études qu’ils ont entrepris en Belgique.
C’est à ce moment que la police est arrivée, avec le responsable du local, bien désolé de se rendre compte un peu tard qu’il avait loué la salle à un parti dictatorial.
Quel droit avons-nous de critiquer ?
Comme nous l’ont fait remarqué certains, la Belgique est mal placée pour donner des leçons sur beaucoup de points (Charleroi, entre autres exemples, a désormais une renommée internationale…). Cependant, nous ne nous définissons pas comme des moralisateurs attachés à la Belgique, mais comme des activistes politiques attachés au sort des travailleurs, quelles que soient leurs nationalités. C’est-à-dire contre les Etats, belges ou camerounais, qui ne servent qu’à préserver l’ordre établi et l’exploitation.
S’il est vrai que la situation est bien différente en Belgique, il faut aussi voir d’où cela vient. Et là, il faut constater que la richesse d’un pays ne veut pas dire nécessairement la richesse d’une population et qu’elle se construit souvent sur le dos d’autres pays. Que dire de la colonisation du Congo par exemple ? On parle peu en Belgique de l’exploitation gigantesque qui a assassiné plusieurs millions de Congolais uniquement sous Léopold II.
Vis-à-vis du Cameroun, l’activité de certaines entreprises belges, sous le silence complice de nos dirigeants, révèle un cynisme extraordinaire. Une étude réalisée au Cameroun précise par exemple que la Belgique est le deuxième pays exportateur de poulets congelés vers le Cameroun. Ces exportations sont un véritable drame pour toute l’Afrique de l’Ouest qui voit ces arrivages de Belgique ou d’ailleurs inonder les marchés locaux à des prix 2 ou 3 fois moins chers. Conséquence : la pauvreté augmente de façon gigantesque en parallèle avec les problèmes de santé de la population.
Autre exemple, chez nous cette fois : une jetée a été construite à Nieuport – avec l’aval des autorités flamandes – en azobé, un bois en provenance du Cameroun. Problème : il ne s’agit pas de bois certifié, c’est-à-dire que la coupe a été faite de manière illégale et dans une région à la biodiversité exceptionnelle où vivent des populations subsistant directement de la forêt. Ces abattages illégaux auraient déjà fait perdre 75 millions d’euros de taxe au Cameroun. Il faut dire que la population n’aurait de toute façon pas trop vu la couleur de ces taxes et que la corruption du pays encourage ce genre de pratiques… Le relatif bien-être que nous avons dans les pays dits développés se fait en partie sur le dos de l’exploitation des populations du Tiers-Monde. Cela rend-t-il nos gouvernements moins odieux ?
Contre cette logique de profit qui mène la planète à la catastrophe, nous opposons la lutte et la solidarité des travailleurs pour une autre société, une société socialiste.
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Réchauffement climatique: et s’il était déjà trop tard?
Un capitalisme écologique est-il possible?
Les grands développements industriels sous le capitalisme se sont appuyés sur l’exploitation de ressources énergétiques non renouvelables, principalement le charbon et le pétrole, libérant quantité de gaz -dont le CO2- qui provoquent ce qui est appelé “réchauffement climatique”.
Vincent Devaux
Les conséquences des émissions de CO2 et autres gaz à effet de serre sont connues depuis des dizaines d’années. Ainsi aux USA, en 1979, le rapport Charney (du nom du météorologue du M.I.T.), commandé par le gouvernement, concluait déjà "Si les émissions de dioxyde de carbone continuent d’augmenter, le groupe d’étude ne voit aucune raison de douter que des changements climatiques en résulteront, et aucune raison de penser que ces changements seront négligeables" (1). Ce même rapport prévoyait l’augmentation de la température moyenne de la surface du globe… mais le capitalisme raisonne à court terme.
Aujourd’hui on ne peut que constater à quel point ces experts et beaucoup d’autres avaient raison. Il est désormais admis par la grande majorité de la communauté scientifique – et même des politiciens – que le réchauffement climatique est la conséquence des activités de l’être humain et qu’il va entraîner de grands changements capables de remettre en question le bien-être de centaines de millions de personnes.
Les effets de ce réchauffement sont multiples – réchauffement de l’atmosphère, réchauffement et acidification des océans, fonte des glaces maritimes, retrait des glaciers – et les scientifiques s’affrontent désormais pour donner une estimation de la gravité des effets et de leurs conséquences "secondaires". Dans les milieux scientifiques, on parle beaucoup de ‘rétroaction positive’, ce qui signifie que les conséquences négatives du réchauffement provoquent elles-mêmes d’autres aggravations; un peu comme en économie, les intérêts d’une dette importante amplifient la dette elle-même (l’effet "boule de neige"). Et comme le CO2 persiste des dizaines d’années dans l’atmosphère, le pire est à venir.
Les conséquences directes pour l’homme sont d’ores et déjà importantes: modifications de la biodiversité, augmentation de maladies comme le paludisme et le choléra, famines, inondations, vagues de chaleur et de sécheresse, avancées de la désertification. Selon les perspectives de l’ONU et le récent Rapport Stern, il pourrait y avoir 50 millions de "réfugiés environnementaux" en 2010 et 200 millions en 2050 (2).
Une prise de conscience?
Si on suit l’actualité, on pourrait croire que les politiciens prennent désormais le problème à bras le corps (ils pourraient même le penser eux-mêmes). Le docu-film d’Al Gore, La vérité qui dérange, fait le tour du monde depuis le mois d’octobre. Du 6 au 17 novembre s’est tenue à Nairobi, capitale du Kenya, la 12e Conférence mondiale sur le réchauffement climatique et quelques jours plus tôt est sorti le Rapport Stern (3), du nom de l’ancien économiste de la Banque Mondiale, analysant en termes financiers les conséquences du réchauffement. Stern a évalué l’impact de celui-ci à 5.500 milliards d’euros d’ici 2050 et prédit que le réchauffement aura un impact comparable à celui des guerres mondiales ou à la crise économique de 1929.
Toutes ces initiatives, si elles ont le point commun positif de populariser la problématique, ont également un point commun plus inquiétant: elles n’apportent pas de solutions à la hauteur du problème.
Ainsi le Protocole de Kyoto, censé réduire l’émission de CO2 au niveau international, n’a, malgré ses objectifs limités, été ratifié ni par les USA qui sont le plus grand pollueur de la planète (4), ni par l’Australie. Le Canada – qui a augmenté ses rejets de CO2 de 30 % – parle de se désengager, la Russie ne doit le respect des normes qu’à l’effondrement de son économie après 1991. Beaucoup de pays occidentaux continuent à polluer plus qu’autorisé par Kyoto en "rachetant" des volumes de CO2 aux pays moins industrialisés.
Les pays les plus pauvres attendent des mécanismes de solidarité de financement des pays riches qui n’arrivent pas (le cas de l’Afrique est flagrant). Les solutions – d’inspiration néo-libérale et néo-coloniale – comme les "quotas de CO2" et les "puits de carbone" sont douteuses et contre-productives. Ainsi le système consistant à faire payer par les pays industrialisés le financement de "plantations industrielles" dans les pays du Sud comme puits de carbone retarde la prise de décisions pour réduire l’émission de CO2 dans ces pays industrialisés; de plus, on ne fait qu’exporter le problème du rejet massif de carbone puisqu’un jour ou l’autre, le carbone accumulé dans ces végétaux sera libéré.
Le nucléaire proposé comme alternative…
Le protocole de Kyoto est désormais aussi utilisé comme prétexte pour justifier la construction de nouvelles centrales nucléaires, comme "seule alternative crédible au pétrole". Marc Verwilghen, ministre de l’énergie, s’appuie en cela sur le rapport de la commission "Energie 2030", commandé par ses soins sur les besoins énergétiques en Belgique. Ce rapport estime que "la Belgique devrait (…) garder l’option nucléaire ouverte et reconsidérer la fermeture des centrales" (5). Ce type de solution serait du goût du président de la Fédération des patrons d’industrie technologique Agoria et du groupe Umicore, Thomas Leysen, à la recherche d’énergie soit-disant bon marché. Ce n’est pourtant là qu’une manière d’échapper à bon compte à la vraie question qui est celle de financer la recherche et le développement d’énergies renouvelables. Car si on ne met actuellement pas de moyens conséquents permettant d’améliorer leur efficacité et ainsi d’assurer leur généralisation, c’est parce que beaucoup de ces moyens partent vers la recherche nucléaire, en dépit notamment des dangers que représentent les déchets nucléaires pour les générations futures.
Au cours des 20 dernières années, les Etats membres de l’OCDE ont versé 160 milliards de dollars de subventions au secteur nucléaire rien que pour la recherche et le développement, et il faut à cela ajouter le coût du traitement des déchets et la sécurité. De plus, le projet de fusion nucléaire ne serait fonctionnel au plus tôt que dans…50 ans. De nombreuses questions seraient aujourd’hui résolues si l’argent consacré au nucléaire avait été utilisé en vue d’une politique durable pour développer des énergies respectueuses du cadre de vie des gens. Mais une telle orientation paraît douteuse dans la société de marché.
Hypocrisie et "solutions" à court terme
Celui qui apparaît actuellement sur les écrans comme le porte-drapeau de la cause environnementale – Al Gore – est à l’image des limites du système: n’avait-il pas – lorsqu’il était le vice-président de Clinton dans les années ’90 – autorisé le déversement de dioxine dans les océans, et conclut l’ALENA (6) qui définit les réglementations sur l’environnement comme des "distorsions de marché" illégales relevant des tribunaux (7)? Pourrait-il appliquer un programme environnemental radical en étant élu avec l’argent du secteur pétrolier? Pour paraphraser le théoricien socialiste allemand Engels (8), parlant du problème de l’hygiène dans les villes industrielles au siècle dernier, et qui vaut également aujourd’hui sur la question de l’énergie: la bourgeoisie n’a qu’une méthode pour résoudre la question de l’environnement à sa manière, c’est de la résoudre de manière que la solution engendre toujours à nouveau la question… La réponse de la bourgeoisie aux problèmes dans le mode de production capitaliste ne les élimine pas mais se contente de… les déplacer!
Tant qu’une société permettra que les grandes orientations énergétiques soient aux mains d’actionnaires ne pensant qu’en termes de profits immédiats, dans un système basé sur la concurrence à outrance, nous perdrons du temps et nous aggraverons la situation. Les solutions doivent être trouvées afin de résoudre les problèmes environnementaux ET les problèmes sociaux et non pas les uns aux dépens des autres.
Un processus transformant radicalement la manière d’utiliser l’énergie ne peut émerger que par la prise du contrôle de la société par les travailleurs conscients des problèmes, au travers de mouvements de luttes sociales et environnementales de plus en plus larges. Et cela en remettant le secteur énergétique, y compris les connaissances et des brevets en matière d’énergie durable, sous le contrôle des travailleurs.
Ces mouvements vont s’amplifier de plus en plus et ils ne seront pas en reste dans les pays du Sud qui sont confrontés de manière plus aiguë au problème. Notre tâche est d’aller vers ces mouvements et d’y intervenir en défendant une solution socialiste. Cela implique de tisser des liens entre les mouvements environnementaux et les mouvements sociaux et de cristalliser ces luttes au sein de larges partis des travailleurs reprenant les revendications environnementales et se donnant les moyens d’abolir le mode de production capitaliste.
- Courrier International Hors série " Trop Chaud ": d’après un article de The New Yorker " Dans l’arctique en plein dégel ".
- Le Soir, 18-19/11/06, " Une vague de réfugiés environnementaux "
- http://www.hm-treasury.gov.uk/independent_reviews/stern_review_economics_climate_change/stern_review_report.cfm
- Avec 5 % de la population mondiale, les USA rejettent 25 % du total mondial de CO2
- Le Soir, " Le nucléaire resurgit ", jeudi 16 novembre 2006
- Accord de Libre-Echange Nord Américain, conclu entre les USA, le Canada et le Mexique
- Courrier International Hors série " Trop Chaud ": d’après un article de The Independant , juin 2006
- La Question du logement, Friedrich Engels
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Mars 2007. Pourquoi manifester contre le NSV?
Ce 8 Mars, le NSV (mouvement étudiant nationaliste) a l’intention de manifester à Anvers. Cette organisation a toujours entretenu des liens avec le Vlaams Belang et a été, pour des figures de premier plan du VB telles que Filip Dewinter, une sorte d’école. Il n’y a nul hasard au fait que ce dernier soit president du ‘’comité de protection” pour le trentième anniversaire du NSV.
Christophe
Blokbuster a pu entrer dans quelques archives internes des albums photo digitaux des membres du NSV. Ci-dessus les membres du NSV ont rangé les bouteilles de bières vides en forme de croix gammée…
Radicaux
Les rapports entre VB et NSV sont intentionellement un peu cachés, le NSV peut ainsi laisser apparaître son côté “radical”, tant au niveau du contenu de leur discours que de leurs méthodes.
En 1997, le NSV-Gand a édité un texte ouvertement raciste déclarant : “un nègre qui a grandi dans la jungle de l’Afrique, qui tire ses oreilles jusqu’au sol, qui enduit ses cheveux avec de la merde de vache(…) peut s’entraîner pour apprendre nos habitudes de blancs, mais sur le point intellectuel, il ne sera jamais capable de s’adapter à notre standard intellectuel car son cerveau est entre autre plus petit.”
Il y a quelques mois, un vent favorable nous a déposé un colis de photos internes du NSV qui illustrent magistralement ce que sont leurs rituels estudiantins: bavarder sous la croix celtique, beugler des chants sortis d’un recueil de slogans pro-apartheid, et ranger les bouteilles vides en faisant une croix gamée. Ce n’est pas flamingant, mais fasciste!
Nul hasard non plus à la présence de membre du groupuscule Blood &Honour aux activités du NSV comme à leurs manifestations. Le president du NSV de Hasselt n’a pas caché et a raconté de manière enthousiaste sa presence aux concerts organisés par Blood& Honour.
Le 28 septembre, le NSV a montré une fois de plus ses méthodes à Anvers, lors du Studay (événement de la rentrée académique). Notre camarade Nikei de Pooter a été attaqué par un petit groupe de NSViens. Après l’avoir jeté au sol, des menaces ont fusé: « Nous viendrons te chercher chez toi» et « casse-toi». La police est intervenue, sans toutefois les arrêter.
Manif anti-NSV
Le NSV commet chaque année une manifestation dans une ville étudiante, cette année-ci à Anvers. Au moment de rédiger cet article, la date n’est pas encore certaine, mais cela sera normalement le 8 mars.
A chaque fois, il y a également une contre-manifestation. Non pas pour arriver à une confrontation directe, mais pour veiller à ce que le NSV ne se répande avec sa violence raciste dans la ville.
Le cortège du NSV ne comprend qu’un petit groupe de batailleurs et de néo-nazis. En manifestant contre eux, nous démontrons dans la pratique leur isolement dans la société, contrairement à ce que les résultats électoraux de leur parti-père peuvent insinuer.
Tout ce qui nous divise, nous affaiblit!
Le message du NSV est de mettre la pauvreté et les autres problèmes sociaux sur le dos des immigrés à la place du système. Nous voulons utiliser la manifestation et la mobilisation contre le NSV pour discuter des véritables causes de la violence raciste, de la lutte contre le VB mais aussi de la lutte contre cette société qui n’a aucune perspective à offrir pour l’écrasante majorité de la population.
A Anvers aussi il sera nécessaire de construire une opposition de gauche contre la politique antisociale de la ville, en s’unissant contre la pauvreté, le chômage et la crise du logement. Il faut l’unité des jeunes et des travailleurs, abstraction faite de leur provenance, au sein d’une alternative aux partis traditionnels et au VB. Ce sera le message central de la manifestation anti-NSV.
Le succès de cette manifestation ne peut s’obtenir que par une campagne de mobilisation résolue à l’intérieur de laquelle tu peux toi aussi jouer un grand rôle : en aidant à la diffusion du matériel, en engageant des discussions sur la lutte contre l’extrême-droite et, surtout, en participant à la manifestation!
