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  • USA : Grandes Victoires électorales pour Socialist Alternative!

    D’énormes opportunités politiques se présentent pour la classe des travailleurs

    Deux candidats de Socialist Alternative ont provoqué une onde de choc historique aux Etats-Unis la nuit du 5 novembre dernier. Ces deux candidats – Kshama Sawant à Seattle et Ty Moore à Minneapolis – ont mené des campagnes ouvertement anticapitalistes et socialistes, les campagnes de ce type les plus soutenues depuis des décennies dans une métropole du pays. Kshama Sawant a obtenu le résultat provisoire de 47% et Ty Moore celui de 37%.

    Par Bryan Koulouris, Socialist Alternative (CIO-USA)

    Les résultats annoncés sont encore provisoires, d’autres bulletins doivent encore être dépouillés au cours de ces deux prochaines semaines. En ce moment, les deux courses se jouent au coude-à-coude. Ty Moore en est à 130 voix seulement de la victoire ! Kshama Sawant, quant à elle, n’a obtenu que 4% de moins que son adversaire alors que seuls 38% des bulletins ont été dépouillés, et le reste pourrait fortement pencher à sa faveur.

    Au final, qu’importe le résultat, les suffrages recueillis par ces candidats ouvertement marxistes illustrent clairement quel est l’espace politique présent aux Etats-Unis sur base de la colère ressentie à l’encontre de l’establishment capitaliste.

    Le désaveu de l’establishment politique est gigantesque aux Etats-Unis, en conséquence de la Grande Récession et de la faiblesse de la ‘‘reprise’’ économique. Cela a bien entendu alimenté les deux campagnes. Le Shutdown du gouvernement a aussi provoqué une rage populaire qui a permis aux campagnes de Socialist Alternative de toucher la corde sensible des gens ordinaires. Durant le Shutdown, le taux d’approbation du Congrès est tombé jusqu’au taux historiquement bas de 5% ! Dans un sondage de l’agence Gallup, 60% des sondés ont déclaré qu’il fallait un nouveau parti aux Etats-Unis, un pourcentage qui n’avait encore jamais été atteint. Seuls 26% des sondés ont déclaré que les partis Républicains et Démocrates faisaient bien leur travail, là aussi un taux record, mais vers le bas.

    Nombreux sont les Américain qui se sentent découragés et démoralisés par ce système électoral pro-Big Business. Ces campagnes ont cependant démontré que des candidats indépendants et des travailleurs ordinaires peuvent défier l’establishment sans toucher un centime du patronat ! Ty Moore a récolté plus d’argent que sa principale rivale soutenue par le patronat, et Kshama Sawant a récolté près de 110.000 dollars, là où son adversaire en a mobilisé 230.196.

    Les campagnes de Socialist Alternative ont clairement montré qu’il est possible pour des travailleurs et les jeunes de s’organiser et de lutter ensemble pour changer le monde. Sur base de ce momentum, Socialist Alternative veut se construire, appeler à effectuer une donation et à rejoindre l’organisation afin de développer de nouvelles campagnes en faveur des ‘‘99%’’, selon le terme popularisé par le mouvement Occupuy, à l’instar de la lutte pour l’instauration d’un salaire minimum de 15 dollars, pour le droit de se syndiquer sans risque de se faire licencier et pour s’en prendra aux super-riches afin de financer un programme de création d’emplois et de transports en commun écologiques, entre autres.

    Les deux partis capitalistes que sont le parti Républicain et le parti Démocrates verront encore leur base de soutien s’amoindrir au cours des mois à venir, puisque de nouvelles coupes budgétaires dans la sécurité sociale et d’autres programmes populaires sont envisagés pour les mois à venir. A l’approche des élections de mi-mandat de 2014, ces campagnes menées par Socialist Alternative ont illustré l’énorme ouverture qui existe pour la présentation des candidats indépendants de la classe des travailleurs. Des coalitions de dirigeants syndicaux combatifs, de socialistes, d’écologistes et de groupes de défense des droits civiques devraient être construites dans chaque ville du pays afin d’organiser des mouvements et de déposer des candidats indépendants des deux partis du capital aux élections.

    Ces résultats électoraux – à l’instar du processus révolutionnaire au Moyen Orient et en Afrique du Nord, des révoltes ouvrières du Wisconsin et le mouvement Occupy – ont rendu possible ce qui paraissait impossible. Ils introduisent un tout nouveau processus dans la société américaine. Non seulement ces campagnes donnent naissance à un nouveau et puissant mouvement socialiste aux Etats-Unis, mais elles servent aussi de modèle qui contribuera à l’inévitable ascension d’un nouveau parti qui luttera contre les ‘‘1%’’ les plus riches : un parti de masse de la classe des travailleurs.

    Développement de l’audience pour les idées du socialisme

    De nombreuses personnes à gauche disent que les idées socialistes ne peuvent pas remporter un soutien massif dans leur pays. Ces campagnes prouvent qu’ils ont faux sur toute la ligne. Les sondages du Pew Research Center montrent sans cesse qu’une majorité des jeunes et des personnes de couleur aux USA préfèrent maintenant le ‘‘socialisme’’ au ‘‘capitalisme’’. Evidemment, cette conscience est teintée de confusion, ce que revêt ce terme de ‘‘socialisme’’ est peu clair, mais cela illustre que les gens en ont marre de l’inégalité croissante, de l’augmentation insupportable du coût de la vie et du système capitaliste lui-même.

    C’est ce qui permet de comprendre pourquoi les adversaires de Kshama Sawant et de Ty Moore ont à peine eu recours au ‘‘red baiting’’, cette pratique éprouvée aux Etats-Unis consistant à lancer un flot incessant de calomnies à l’encontre des communistes ou des anarchistes. Richard Conlin, conseiller communal sortant à Seattle, a préféré faire des commentaires sexistes et anti-immigrés à peine voilés à l’encontre notre camarade Kshama Sawant. Quant à Alondra Cano, candidate à Minneapolis, elle a préféré compter sur le soutien de ses amis de l’establishment et de l’immobilier plutôt que de se risquer à s’aventurer dans une campagne négative.

    Les idées socialistes sont clairement de retour, et Socialist Alternative détient maintenant une position unique pour aider à construire un nouveau mouvement pour le socialisme. Ce mouvement doit être lancé par les socialistes eux-mêmes, les plus qualifiés pour lutter pour les besoins de la classe des travailleurs. Socialist Alternative s’est démarqué du reste de la gauche par sa capacité à entrer en dialogue avec des travailleurs politisés en utilisant un langage compréhensible et basé sur le concret. Parallèlement, nous avons expliqué avec honnêteté que les réformes dans cette société ne peuvent être maintenues que si le pouvoir est arraché des mains des grandes entreprises et qu’un nouveau système basé sur la propriété publique et démocratique des 500 plus grandes entreprises est établi, une société socialiste démocratique.

    Construire le mouvement

    La campagne de Ty Moore dans le Ward 9 (9e district) de Minneapolis a été lancée en parallèle de l’importante campagne d’Occupy Homes Minnesota. Ty Moore et Socialist Alternative ont contribué à la fondation de cette organisation qui a défendu avec succès des propriétaires de maison menacés d’expulsion par les grandes banques et la police. Le centre de la ‘‘Zone sans expulsion’’ d’Occupy Homes se situait dans le Ward 9, une communauté ouvrière diversifiée, et les campagnes de Ty Moore et d’Occupy Homes se sont mutuellement renforcées.

    De même, à Seattle, la campagne de Kshama Sawant a contribué à placer les ‘‘Fight for 15’’, un mouvement de grèves et de manifestations de travailleurs à bas salaires, au cœur du débat politique. Socalist Alternative a énergiquement aidé à construire cette campagne en aidant concrètement les travailleurs en grève et en contrant les arguments des opposants à l’augmentation du salaire minimum. Quand des organisations de travailleurs ont pris l’initiative de lutter pour augmenter le salaire minimum jusqu’au seuil des 15 dollars de l’heure dans la banlieue de SeaTac, la campagne de Kshama Sawant a soutenu l’initiative avec énergie, ce qui a contribué à son succès historique.

    Enfin, les deux candidats à la mairie de Seattle, qui avaient passé sous silence cette question du salaire minimum au début de leurs campagnes, ont fini par soutenir – vaguement – la proposition. Le succès qu’a rencontré Kshama Sawant dans la maîtrise du débat politique a conduit le Seattle Times, le journal le plus lu de Seattle, à déclarer avec même la tenue des élections que ‘‘le vainqueur est déjà la socialiste Kshama Sawant’’.

    Le mouvement des travailleurs

    Ces campagnes indépendantes de la classe des travailleurs sont des leçons importantes pour le mouvement des travailleurs, qui traverse actuellement une crise sérieuse. Le mouvement des travailleurs est sous l’assaut des grandes entreprises, et les républicains du Tea Party tentent d’en finir définitivement avec les syndicats. Les politiciens démocrates sont quant à eux souvent les pionniers des coupes budgétaires, des privatisations et des autres attaques antisyndicales. Dans cette situation, le mouvement des travailleurs a besoin de renouer avec ses traditions de lutte et de présenter davantage de candidats ouvriers indépendants.

    Au lieu de cela, la direction de ces mouvements soutient le plus souvent les démocrates, soit par peur des républicains, soit par habitude, soit parce que beaucoup des membres de cette direction mènent eux aussi une vie luxueuse bien plus proche de celle des politiciens que de celle de ceux qu’ils sont censés représenter.

    Les campagnes de Ty Moore et de Kshama Sawant ont toutefois montré que les travailleurs en ont plus que marre de la politique traditionnelle et que leur soutien peut être acquis par des campagnes crédibles et des revendications concrètes. Ty Moore a obtenu le soutien actif du syndicat SEIU (Service Employees International Union, soit Union Internationale des Employés des Services en français, il s’agit d’un syndicat nord-américain représentant 2,2 millions de travailleurs aux États-Unis, à Porto Rico et au Canada) qui a joué un rôle essentiel dans la campagne. Kshama Sawant a reçu le soutien de 6 syndicats locaux, et une majorité du King County Labor Council (conseil du travail du comté de King, où elle se présentait) a voté pour la soutenir, sans cependant obtenir la majorité suffisante pour un soutien officiel.

    Lors des mois et années à venir, les syndicalistes seront la cible d’attaques continues contre leurs droits et leurs conditions de vie. Dans cette bataille, nous aurons besoin de manifestations, de piquets, de grèves et d’actions directes pour nous défendre. Les travailleurs devront lutter pour obtenir le contrôle démocratique de leurs syndicats et élire des dirigeants qui veulent vraiment résister à l’assaut capitaliste. Ces batailles illustreront le besoin pour les travailleurs d’une représentation politique indépendante, et les campagnes de Ty Moore et de Khsama Sawant montrent que les syndicats peuvent présenter des candidatures très populaires, ce qui représente un pas en avant vers un nouveau parti des 99%.

    Prochaines étapes

    Nombres de ceux qui ont soutenu Ty Moore et Kshama Sawant sont en rupture avec le parti démocrate, mais ne sont pas encore prêts à la quitter définitivement. Socialist Alternative continuera à clamer au sein des mouvements pour la justice sociale et des diverses coalitions de lutte que le parti Démocrate représente fondamentalement un parti pro-capitaliste, et que la classe des travailleurs ne devrait en aucun cas le soutenir, pas même les candidats de son ‘‘aile gauche’’.

    Nous avons urgemment besoin d’un parti des travailleurs lié aux mouvements sociaux, aux syndicats de lutte, aux organisations communautaires, aux écologistes et aux socialistes. Un pas concret pour y parvenir serait de former des coalitions à travers tout le pays, liées entre elles à l’échelle nationale, afin de présenter 100 candidats indépendants des travailleurs pour les élections de mi-mandat de 2014. Les syndicats qui ont soutenu les campagnes de Ty Moore et de Kshama Sawant, comme beaucoup d’autres, devraient présenter des listes complètes de candidats aux élections de mi-mandat ainsi qu’aux élections nationales et locales.

    Le capitalisme américain est plongé dans une profonde crise économique et sociale. L’establishment politique est discrédité, et son système gouvernemental semble ruiné. Une énorme colère se développe contre l’inégalité, le racisme, le sexisme et l’homophobie. La destruction de l’environnement s’intensifie. La situation nécessite une alternative.

    Si les socialistes, les écologistes et les dirigeants syndicaux ne capitalisent pas sur cette ouverture, alors la droite le fera. Par exemple, un candidat libertarien (droite radicale) pour le siège de gouverneur de l’Etat de Virginie a remporté plus de 145.000 votes lors de ces élections. Pire encore, des rapports montrent que des groupes ouvertement d’extrême droite se développent.

    La situation actuelle exige une riposte urgente. Nous avons besoin de construire activement le mouvement pour le socialisme avec de plus larges coalitions des 99% pour contrer l’agenda des capitalistes. Les incroyables résultats électoraux de Ty Moore et de Kshama Sawant sont de brillants exemples qui montrent la voie à suivre.

  • Occupy souffle sa première bougie. Nous tenons l'allumette pour la suite !

    Ce lundi 17 septembre 2012, le mouvement Occupy souffle sa première bougie. Et si en cette période, il semble s’être justement éteint, il ne faut pas crier à la défaite et se laisser bercer par la nostalgie. Tout reste à faire ! Retour en arrière…

    Par Elodie (Liège)

    Apogée

    Le 17 septembre 2011 marque le début officiel du mouvement Occupy. Né au États-Unis, il a tout d’abord regroupé quelques centaines de jeunes, organisés en campement dans le Zucotti Park de New-York, autour de la constatation des inégalités économiques et sociales croissantes qui émanent du système capitaliste actuel. Très rapidement, ce mouvement s’est vu renforcé par l’adhésion de plusieurs milliers de personnes, jeunes et travailleurs. Le 17 septembre, une manifestation est organisée dans le quartier de Wall Street, véritable fleuron du capitalisme financier. Un millier de personnes y participent. Il ne faut pas attendre longtemps pour voir ce mouvement de protestation s’étendre et dépasser les frontières new-yorkaises. Seulement deux semaines plus tard, le 5 octobre, une seconde manifestation s’organise à Wall Street rassemblant cette fois 12000 personnes ! Le 9 octobre, l’occupation s’empare de 900 villes à travers le monde : Sydney, Chicago, Boston, Paris, Hong Kong, Madrid, Berlin pour n’en citer que quelques unes. Aucun continent n’est épargné ! A la date du 15 octobre, on dénombre des manifestations dans pas moins de 1500 villes de 82 pays. De ce mouvement colossal mondial émane un slogan : « We are the 99 % » !

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    Liège: MEETING des Etudiants de Gauche Actifs

    Un an après Occupy Wall Street

    • Un an après, où en est-on ?
    • Comment les ‘’99%’’ peuvent-ils lutter contre les ‘’1%’’ ?
    • Les mobilisations de masse peuvent-elles changer les choses ?
    • Quelle alternative aux partis de Wall Street ?
    • Comment renverser le système capitaliste ?
    • Par quelle alternative le remplacer ?

    Mardi 25 septembre, 19h00, Université de Liège, place du XX Août, Salle Wittert

    Page Facebook du meeting
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    Inégalités, précarisation, la logique capitaliste

    La crise économique de ces dernières années a révélé de façon encore plus manifeste les contradictions et les inégalités inhérentes au système capitaliste. Les 1% les plus riches de la population, qui détenaient déjà dans leur mains la plus grosse part de richesse mondiale avant la crise, ne cessent de voir leur capital augmenter. Le régime est différent pour les 99% restants de la population. La crise ne fait pas que des heureux. Elle a laissé une ardoise considérable qui doit être résorbée… L’austérité sous le vocable d’ « effort collectif » devient alors l’apanage des différents gouvernements à travers le monde pour la sortie de crise. Coupes budgétaires, licenciements, chômage, attaques sur les conditions et les droits sociaux, le « collectif » devient une notion relative, épargnant les mieux lotis véritables responsables de la crise. L’effort sera donc uniquement fourni par ceux qui luttaient déjà bien souvent pour leur survie économique. A la clé ? La promesse d’un futur heureux sous un capitalisme moral rendu possible grâce à un retour de l’intervention étatique et à la sacro-sainte régulation qui empêcherait toute réitération de la crise.

    Au début de celle-ci, la présence de l’État fut en effet rendu directement perceptible par les opérations de nationalisation de nombreuses institutions bancaires et financières à travers le monde. Mais le terme de « nationalisation » utilisé lors de ces opérations diffère bien de celui que nous entendons en tant que révolutionnaires socialistes. Sitôt renflouées par l’argent public, ces institutions furent aussitôt rendues au privée. La question de la dette publique et des plans d’austérité a vite remplacé celle de la nationalisation et de l’intervention étatique. C’est que l’économie de marché et le système capitaliste sont, de l’avis de nos politiciens traditionnels (qu’ils soient libéraux ou sociaux-démocrates !), les meilleurs qui soient. Seulement voila, si le slogan « there is no alternative » a pu trouvé auditoire pendant un certain temps, plus question pour la population et les travailleurs d’y recourir. Le système montre, de façon presque risible, ses contradictions par la montée des inégalités sociales et économiques. Les uns trinquent, les autres déboursent ! Les conditions qui ont donné un terreau à la crise, loin d’avoir été écartées et abolies, ont été renforcées. C’est à partir de cette constatation que s’est constitué le mouvement Occupy. Le mouvement des indignés espagnols mais surtout le processus révolutionnaire en Afrique du Nord et au Moyen-Orient qui s’étaient déroulés auparavant ont certainement ouvert la voie en illustrant qu’une mobilisation peut payer ! L’ensemble de ces mouvements de protestation ont eu pour mérite d’inaugurer un nouveau terrain idéologique. Non, Monsieur Fukuyama, le capitalisme n’est pas la fin de l’histoire ! Il ne faudra cependant pas se contenter de le regarder s’auto-décomposer, car le capitalisme s’est muni de nombreux moyens économiques et politiques pour survivre. Il faudra donner une impulsion à sa perte, une impulsion qui ne peut passer que par une mobilisation et surtout une organisation de masse !

    La force de la mobilisation

    Le mouvement Occupy a eu le mérite de pointer du doigt les véritables responsables de la crise. Aux États-Unis, les politiciens de droite du Parti Républicain et du Tea Party, surfant sur la vague de la désillusion suite à la présence d’Obama et du Parti démocrate au gouvernement, n’avaient de cesse de s’en prendre au service public et aux syndicats comme initiateurs de la crise. Les démocrates n’opposaient pas une grande résistance face à ces déclarations et à cette logique. Un terrain idéologique de droite se démarquait au sein de l’ensemble du monde politique américain. Le gouverneur républicain du Wisconsin, Scott Walker avait d’ailleurs proposé une législation détériorant les conditions de travail des enseignants et d’autres fonctionnaires. Celle-ci fut adoptée dans plusieurs États républicains après que les dirigeants syndicaux aient démobilisé la lutte contre ces mesures.

    Le début du mouvement Occupy a marqué une rupture avec ces politiques réactionnaires. Plus question de s’en prendre au secteur public et aux syndicats. Il était temps de remettre les pendules à l’heure en s’attaquant aux véritables responsables de la crise désignés comme les banquiers de Wall Street et les actionnaires millionnaires. Ayant rejoint les constatations du mouvement, de nombreux militants syndicaux se sont organisés et ont initié des actions concrètes telles que la grève générale à Oakland (Californie) en novembre 2011. La ville portuaire avait alors décidé de fermer cinq écoles pour raisons budgétaires. La population est alors entré en lutte. Une première manifestation fut organisée le 25 octobre 2011. Celle-ci fut brutalement réprimée. Mais les travailleurs ne se sont pas laissé faire : une grève générale fut votée en assemblée. La première aux États-Unis depuis 1946 ! La ville, qui abrite le 5ème plus grand port américain, s’est vu bloquée par des milliers de citoyens.

    Cette action, qui ne fut pas la seule, a véritablement démontré aux participants la nécessité de s’organiser en tant que classe des travailleurs contre le système capitaliste. Face à la force de cette protestation et de ces mouvements qui trouvaient du soutien global au sein de la population américaine, les politiciens, et plus particulièrement les démocrates, furent contraints d’adapter leur discours en conséquence afin d’y insérer (en surface du moins) les revendications des « 99% ».

    La lacune de l’organisation

    Malgré son immense potentiel, le mouvement Occupy s’est laissé dépassé par ses faiblesses. La plus grande de celle-ci était la volonté de ce mouvement de s’établir comme « a-politique ». Aucune revendication concrète n’a pu alors émerger. De par cette lacune, peu sont les citoyens ayant participé activement au mouvement. Le soutien fut majoritairement passif. Cela est sans aucun doute dû à une absence de visée, de programme et par conséquent de plan d’action.

    La question du ras-le-bol était bien présente, mais celle de l’alternative à apporter à la société actuelle était beaucoup plus floue. Beaucoup se focalisaient sur le maintien des campements, y voyaient des embryons d’une société plus égalitaire. En plus de rester fortement éloigné de la question immédiate de l’emploi qui était la préoccupation majeure des travailleurs, ceux-ci ont rapidement été dispersés par les forces de l’ordre. Les actions et mobilisations du mouvement sont restés trop souvent dans le domaine du symbolique pour négliger les actions concrètes.

    Selon nous, un changement de société doit passer par une organisation politique de masse capable de porter et d’organiser un plan d’action concret favorable aux travailleurs et à la majorité de la population. Le problème est qu’actuellement, plus aucun parti traditionnel ne représente les intérêts des travailleurs et ne portent leur revendications. Il ne tient qu’à nous de nous réorganiser autour d’un véritable projet politique favorable à la majorité de la population qui puisse tendre vers une société véritablement égalitaire : une société socialiste !

    Si aujourd’hui le mouvement Occupy semble s’être éteint, son souvenir restera une étincelle dans la mémoire de la population et des travailleurs. Il a montré que le dégoût de cette société capitaliste inégalitaire et remplie de contradictions est partagé par un grand nombre de citoyens qui sont prêts à se mobiliser et cela à travers le monde. Ne laissons pas cette étincelle s’éteindre définitivement ! Donner à cette mobilisation une visée et un plan d’actions concret ! Il ne tient qu’à nous d’allumer le feu ! Contre le capitalisme ! Pour une société socialiste !

  • Etats-Unis : procédure de rappel au Wisconsin

    Il y a près d’un an et demi, la ‘‘bataille du Wisconsin’’ avait sonné le début du réveil de la classe ouvrière américaine. Les masses s’étaient alors soulevées avec énergie contre le gouverneur républicain Scott Walker et ses attaques contre les droits syndicaux. Ce 5 juin se déroule dans l’Etat un scrutin de rappel à l’encontre du gouverneur réactionnaire, une procédure inédite puisque seuls deux gouverneurs ont été ainsi destitués en deux siècles d’histoire.

    Le gouverneur Walker est arrivé au pouvoir en 2010, porté par la vague du Tea Party à l’occasion des élections de mi-mandat et sur fond de profonde défaite pour le Parti Démocrate. Directement, il s’en est pris aux retraites et à l’assurance-santé des fonctionnaires mais, surtout, afin de faire passer ces attaques antisociales et d’autres qu’il prévoyait, il a voulu affaiblir la réstance en lançant une véritable offensive contre les droits syndicaux et en particulier contre le droit de négociation par conventions collectives.

    C’est dans ce même Etat que sont nées les toutes premières conventions collectives de travail aux USA, dans le courant de l’année 1959. D’emblée, cette attaque a donc pris une dimension éminement symbolique, d’autant plus que cette offensive antisyndicale a débuté dans le contexte d’une autre, nationale celle-là, qui visait à détruire l’intervention du public dans l’économie. Ainsi, dans l’Etat de l’Ohio, le gouverneur Kasich a tenté de faire passer une loi autorisant les patrons à imposer leurs diktats dans le cas d’un conflit portant sur une convention collective. Une centaine de projets de loi visant à restreindre l’action syndicale ont été recencés à l’époque. Comme le disait le gouverneur Scott Walker, il s’agissait véritablement de ‘‘changer le cours de l’histoire’’.

    Mais, le 10 février, lorsque le gouverneur Walker a présenté sa loi de programme budgétaire pour l’année 2011, c’est un véritable soulèvement qui a débuté, un soulèvement qui a constitué un avant-goût de la révolte plus large initiée en septembre de la même année avec le mouvement ‘‘Occupy Wall Street’’. Son programme comprenait de grandes réductions d’impôts pour les riches (à hauteur de 142 millions de dollars), avec une diminution du budget de l’enseignement de 1 milliard d’euros, une diminution salariale de 8% pour les fonctionnaires et une diminution du budget de l’assurance-santé pour les plus défavorisés. La riposte a surpris par son ampleur et sa vitesse : des milliers et des milliers de manifestants défilaient dans les rues tous les jours, avec également l’occupation de bâtiments officiels, dont celui du siège du Parlement de l’Etat. Sur les banderoles, on pouvait notamment lire ‘‘Manifestons comme les Egyptiens’’, en référence à la révolution égyptienne du 25 janvier 2011. Le 12 mars 2011, 200.000 personnes avaient défilé dans les rues, soit pas moins d’un 25e de la population de l’Etat.

    Wall Street a deux partis, nous avons besoin du nôtre !

    Finalement, ses propositions ont fini par être adoptées après de nombreuses semaines de manifestations de masse. La force du nombre était clairement du côté de la population, mais le gouverneur avait pour lui l’avantage du temps et la faiblesse des directions syndicales, qui ont tout fait pour éviter d’avoir à organiser une grève générale. Les liens entretenus entre la direction syndicale et le parti démocrate sont tels qu’aujourd’hui, dans ce scrutin de rappel, le colistier du candidat démocrate contre le camp républicains est le dirigeant du syndicat des pompiers. Pour le camp démocrate, à l’époque, il fallait surtout éviter de favoriser le développement d’une trop grande polarisation sur des thèmes de classe, ce qui aurait exposé les démocrates à plus de critiques de la part des républicains, mais aurait aussi pu permettre de plus ouvertement encore démasquer le rôle du parti démocrate en tant que parti de Wall Street.

    Ce double jeu de la part du parti d’Obama peut encore se voir dans les sommes dépensées au cours de cette campagne pour le rappel du gouverneur Walker : les républicains ont dépensé trois fois plus d’argent qu’eux (17,8 millions de dollars). Ce n’est guère surprenant. Dans d’autres Etats, ce sont ces mêmes démocrates qui mènent la politique d’austérité, et Obama n’a pas désiré investir trop de moyens et transformer ce vote en une élection préfigurant les présidentielles.

    Les militants de la base ont recueilli 900.000 signature pour revendiquer l’application de cette procédure de rappel, sur une population de 5 millions d’habitants à peine ! C’est en soi une belle victoire, comme le serait le départ deWalker. Mais quelque soit l’issue du vote, ce travail militant aura été volé par l’un des deux partis de Wall Street. Aucune confiance ne peut être accordée aux démocrates. Entre eux et les républicains, il n’existe que des divergence concernant le rythme de l’austérité, pas sur sa logique elle-même.

    Nos camarades américain de Socialist Alternative font campagne autour du slogan ‘‘Wall Street a deux partis, nous avons besoin du nôtre’’. Cette nécessité d’un nouveau parti des travailleurs, un parti des 99%, est pleinement illustré dans cette ‘‘bataille du Wisconsin’’, où les liens entre les syndicats et le parti démocrate ont empêcher le mouvement de masse de balayer les lois scélérates de Walker et peuvent meintenant conduire au véritable vol de l’énergie militante qui a permis cette procédure de rappel.

  • Le mouvement Occupy remet les contradictions de classe sur le devant de la scène

    Interview d’un marxiste américain

    Aux USA, le mouvement Occupy est l’expression d’une polarisation accrue dans la société américaine. Ce mouvement est toujours en cours. Parmi de larges sections de la population, la colère est grande face au fossé croissant entre riches et pauvres. Ces 20 dernières années ont uniquement bénéficié au 1% le plus riche de la société, de même que la légère reprise économique. Nous avons discuté de cette situation avec Brett Hoven, un ancien travailleur de Ford à Minneapolis qui sera présent au week-end Socialisme 2012.

    Où en est le mouvement Occupy ?

    “Si la plupart des occupations ont pris fin suite à la répression policière, les protestations ne sont pas pour autant terminées. A la côte ouest, Occupy Oakland a lancé une action de blocage du port de cette ville en riposte à la violence policière et pour défendre les droits des travailleurs. Dans l’État de Washington (près de Seattle), plusieurs campagnes du mouvement Occupy dénoncent des pratiques antisyndicales. Ici, à Minneapolis, nous menons campagne contre les saisies immobilières et les expulsions quand les gens sont incapables de poursuivre le remboursement de leur prêt hypothécaire. Cette campagne se développe et a déjà plusieurs victoires derrière elle.

    Quel est l’impact du mouvement Occupy auprès des couches larges de la population ?

    Sans occupation physique, le mouvement n’est plus aussi visible que dans la seconde moitié de l’année 2011. Mais il reste présent et occupent toujours les discussions dans la rue. Les politiciens, les démocrates en particulier, se sont vus contraints d’adapter leur rhétorique et d’intégrer les ‘‘99%’’ dans leur campagne. Ces politiciens restent toutefois payés et soutenus par les grandes banques, les spéculateurs et les riches.

    La prise de conscience est croissante concernant le thème de la ‘‘lutte des classes’’. Un sondage réalisé par l’agence Pew en janvier a indiqué que 66% des Américains pensent qu’il y a un ‘‘conflit puissant’’ entre riches et pauvres. En 2009, un sondage similaire avait été réalisé, et cette opinion n’était partagée que par 47% des sondés. Ce n’est évidemment pas encore la même chose qu’une claire conscience de classe qui intègre la compréhension du rôle théorique et historique de la classe ouvrière pour changer de société, mais c’est un bon début. Une des principales conséquences du mouvement Occupy est peut-être le fait que le mouvement syndical semble trouver une nouvelle dynamique. C’est tout juste s’il avait auparavant réagi face à la crise économique. L’an dernier, nous avons vu réapparaître pour la première fois depuis longtemps la question de la grève générale. Cela fut tout d’abord le cas avec le mouvement au Wisconsin, mais les dirigeants syndicaux ont tout fait pour éviter de l’organiser. Ensuite, à Oakland, une grève générale a été appelée pour le 2 novembre. Il s’agissait plus d’une protestation massive que d’une réelle grève générale, mais c’est toutefois un évènement important. Cela a aussi indiqué que le mouvement Occupy (à l’initiative de l’appel) s’orientait vers la classe ouvrière, et cela peut faire une grande différence.

    Les discussions ont été animées concernant la manière dont le mouvement devait traiter ces dirigeants syndicaux qui ne souhaitent pas entrer en lutte afin de ne pas déranger l’administration Obama et les démocrates. Les choses sont encore loin d’être claires, mais il est très positif que le mouvement Occupy s’oriente vers un travail à destination de la base syndicale.

    Les élections présidentielles arrivent à grands pas, et cela domine toutes les informations qui nous proviennent des Etats-Unis. Quel est l’impact de cette riposte face à la crise sur les élections ?

    Malheureusement, le mouvement Occupy était à ses débuts très faible au niveau politique. Tout comme ce que l’on a pu constater avec les mouvements d’occupation dans d’autres pays, le mouvement était ‘‘apolitique’’ dans le sens où de nombreux militants refusaient de mettre en avant des revendications politiques concrètes. Concernant ces élections, certains disent que quelque soit le candidat élu, rien ne changera pour la population, et il est vrai qu’il n’existe que peu de différence entre les démocrates et les républicains. Mais si nous n’occupons pas le terrain politique, il est difficile de lutter contre leur système électoral et de briser le pouvoir des deux partis du capital.

    Les élections présidentielles constituent le plus grand spectacle politique de la société américaine. Le mouvement Occupy et le mouvement syndical devraient y avoir leur mot à dire. Cette opportunité devrait être saisie pour faire entendre la voix des millions de personnes insatisfaites de la politique des deux partis des riches. Le mouvement Occupy est tout à fait capable de présenter une alternative crédible. Sondage après sondage révèlent un soutien grandissant pour Occupy Wall Street, plus de soutien même que celui dont disposent démocrates et républicains. Le problème est qu’il n’existe pas de direction reconnue qui s’oriente vers cette option.

    Quel est le rôle des marxistes de Socialist Alternative dans ces mouvements ?

    Les militants de Socialist Alternative ont joué un rôle important en plusieurs endroits et ont été fort actifs dans le développement du mouvement Occupy. Nous défendons que le mouvement devienne plus concret en termes de revendications, et nous avons aussi argumenté en faveur d’un processus de prise de décision plus démocratique, pour que le mouvement s’oriente vers le mouvement des travailleurs et, enfin, pour formuler une claire alternative contre le système des deux partis et contre le capitalisme. La façon dont nous sommes intervenus différait d’une région à l’autre. Dans l’État de Washington, nous avons été très activement impliqués dans la lutte contre la direction d’une entreprise. À Minneapolis, l’accent a plus été porté sur la lutte contre les saisies immobilières et les expulsions. Nous avons convaincu un grand nombre de militants de mener campagne sur ce thème spécifique.

    À New York, nous avons joué un rôle de moindre importance en raison de la taille du mouvement. Là, nous avons davantage mis l’accent sur le débat politique et le renforcement de Socialist Alternative.

  • Révolution et contre-révolution en Afrique du Nord et au Moyen Orient : leçons des premières vagues de mouvements révolutionnaires

    Le Comité Exécutif International (CEI) du Comité pour une Internationale ouvrière (CIO) s’est réuni du 17 au 22 janvier 2011 en Belgique, avec plus de 33 pays représentés, d’Europe, Asie, Amérique Latine et Afrique. Daniel Waldron fait dans ce texte un rapport de la session consacrée aux mouvements révolutionnaires en Afrique du nord et au Moyen-Orient.

    Daniel Waldron, Socialist Party (CIO Irlande)

    L’onde de choc des mouvements révolutionnaires qui ont commencé en Tunisie en janvier 2011 s’est répercutée dans toute l’Afrique du Nord, le Moyen-Orient et à travers le monde. Cette vague de soulèvements a conduit au renversement de dictateurs dont certains dirigeaient leur État depuis des décennies, et a atteint presque tous les pays de la région. Les travailleurs et les jeunes du monde entier ont été inspirés par l’héroïsme et la détermination des masses et se sont identifiés à leur mouvement, du Wisconsin (aux Etats-Unis) au Nigéria. Un an après, le mouvement surnommé "Printemps Arabe" connaît une nouvelle phase.

    Cela a constitué la trame de l’excellente discussion, introduite par Niall Mulholland et conclue par Robert Bechert du Secrétariat International, que nous avons eu au Comité Exécutif International du Comité pour une Internationale Ouvrière. On a pu voir parmi les contributeurs des camarades de pays d’Afrique du Nord et Moyen-Orient, et également des camarades du CIO qui se sont rendus en Egypte au moment des événements révolutionnaires en 2011.

    Les représentants du capitalisme ont été pris de court par les mouvements révolutionnaires en Tunisie et en Égypte. Quelques mois à peine avant son renversement, le journal The Economist saluait encore Moubarak pour avoir apporté la "stabilité" dans la région. En d’autres termes, pour avoir agi en tant qu’agent fiable de l’impérialisme. Alors que Ben Ali avait déjà été renversé en Tunisie et que les masses égyptiennes avaient commencé leur révolte, ce torchon du capitalisme international clamait toujours qu’il ne tomberait pas. Mais il est bel et bien tombé. Les forces de l’impérialisme occidental n’étaient pas préparées et furent abasourdies alors que leurs alliés furent renversés, ne sachant rien faire d’autre que d’exprimer leur "soutien" tardif aux révoltes tout en essayant désespérément de garder le contrôle.

    Le CIO n’a toutefois pas été surpris par les évènements bouleversants qui ont balayé la région. Dans les documents que nous avions adoptés suite à notre Congrès Mondial de décembre 2010, nous mettions en lumière la possibilité de mouvements convulsifs en Afrique du Nord et au Moyen Orient ; la région était telle une boîte d’allumettes, prête à s’embraser.

    Ben Ali – le premier domino d’une longue rangée

    Nous avions insisté sur le fait que sa population particulièrement jeune et appauvrie, opprimée par des régimes autoritaires incapables de leur offrir un meilleur avenir, pourrait être le déclencheur d’explosions sociales dans ce contexte de crise mondiale du capitalisme. Ces soulèvements n’ont pas été provoqués uniquement par une colère contre les dictatures ; ils étaient aussi le reflet du fait que les masses n’acceptaient plus l’existence misérable que le capitalisme est la seule à pouvoir leur apporter. Le dirigeant tunisien Ben Ali, représentant féru du capitalisme néolibéral, fut le premier de la liste à ressentir la force des mouvements de masse et à tomber.

    Ben Ali s’est fait dégager 28 jours après le suicide tragique par immolation du jeune vendeur de rue Mohamed Bouazizi. Le dictateur a rapidement été suivi par son ancien premier ministre, Ghannouchi. Une semaine plus tard, le règne trentenaire de Hosni Moubarak en Egypte s’est lui aussi effondré. Alors que les images des manifestations sauvagement attaquées par la police d’Etat encore fidèle à l’ancien régime étaient diffusées autour du monde, on aurait pu croire que le renversement de ces dictatures était en fait un processus assez simple et linéaire : les masses prenaient la rue et refusaient de la lâcher tant que leurs revendications contre la dictature ne seraient pas satisfaites. L’occupation de la place Tahrir au Caire, par exemple, est devenue un véritable symbole et a directement inspiré les mouvements Démocratie Réelle ou Occupy.

    Les manifestations massives et les occupations ont évidemment joué un rôle clé ; mais le facteur décisif dans le succès des révolutions égyptienne et tunisienne a été l’implication de la classe ouvrière organisée. Malgré le fait que les dirigeants de la confédération syndicale UGTT étaient fortement incorporés au régime de Ben Ali, un degré important d’action indépendante et d’opposition à la dictature existait localement et nationalement. La classe ouvrière égyptienne, la plus nombreuse de la région, a une vraie tradition de mouvements puissants et indépendants.

    Dans ces deux pays, des comités de travailleurs ont émergé dans les lieux de travail et les usines. Cette méthode d’auto-organisation s’est étendue aux places, aux villes et aux villages, donnant une cohésion au mouvement et lui apportant tant une base organisationnelle qu’une capacité à répondre efficacement aux attaques du régime. Par exemple, lorsque des gros bras pro-Moubarak armés ont essayé de reprendre la place Tahrir début février 2011, cela a déclenché une grève générale dans tout le pays, paralysant le régime, renforçant le mouvement, et qui a rapidement mené au départ de Moubarak.

    A l’inverse de l’Egypte et de la Tunisie, l’absence de mouvements massifs de la classe ouvrière a été une faiblesse des soulèvements révolutionnaires dans les autres pays ; et a notamment amené à des affrontements avec le régime qui se sont révélés beaucoup plus longs, compliqués et sanglants. En Libye, le mouvement contre le régime de Mouammar Kadhafi a commencé dans la ville de Benghazi. Au début, il avait l’allure d’un soulèvement populaire. Des comités du peuple émergeaient dans la ville. Pourtant, l’absence d’organisations indépendantes des travailleurs (torpillées par le régime brutal de Kadhafi) ont affaibli la capacité du mouvement à surmonter les profondes divisions ethniques et tribales existant dans le pays. Même si la révolte s’est étendue à Misrata et à d’autres villes, elle est restée relativement isolée et divisée.

    Le rôle de l’impérialisme en Libye

    Les forces de l’impérialisme se sont vite regroupées et ont utilisé le blocage de la révolution libyenne comme moyen pour intervenir afin de s’assurer qu’elle se développerait sans menace pour leurs intérêts dans la région. Kadhafi avait été inclus dans les petits papiers des pouvoirs occidentaux, en échange d’un accès aux ressources en pétrole du pays, mais l’impérialisme pouvait bien voir que sa capacité à apporter la "stabilité" à la région était à l’agonie. Ils s’unirent alors pour promouvoir une opposition pro capitaliste autour de Benghazi, comprenant de récents détracteurs du régime, sous la forme du Conseil National de Transition.

    Alors que les masses à Benghazi, dans la phase initiale de la révolution, étaient clairement opposées à une intervention impérialiste, le CNT a supplié les forces occidentales d’intervenir. Leurs médias, notamment par la voix d’Al Jazeera (messager du régime qatari pro impérialiste), ont mené une campagne de propagande pour exagérer la menace posée pas l’armée de Kadhafi et augmenter la popularité de l’intervention occidentale.

    Le CIO n’a pas succombé à la pression, comme tous les marxistes auraient dû l’analyser, mais a justement expliqué que l’impérialisme ne pouvait pas jouer de rôle progressiste dans la situation. Leur seul but était d’installer un régime clientéliste suffisamment fiable pour ne pas apporter une quelconque liberté ou améliorer le quotidien des masses libyennes. Seul un mouvement massif des travailleurs et des pauvres libyens pouvait apporter un véritable changement.

    Et ce que nous avions dit s’est révélé être juste. La campagne de bombardement qu’a mené l’OTAN a freiné le mouvement. Pire encore, de nombreux éléments de guerre civile se sont développés ; avec des caractéristiques raciales et tribales. Des atrocités ont été commises, tant d’un côté que de l’autre. Kadhafi a été destitué, au bonheur de beaucoup. Mais il a été remplacé par un « gouvernement » du CNT non représentatif. Les tensions ethniques dans le pays se sont aggravées, notamment avec l’émergence de milices tribales. Il se pourrait qu’on assiste à une partition sanglante du pays autour de conflits sur les ressources naturelles, à moins qu’une alternative basée sur les intérêts communs des travailleurs et des masses pauvres soit construite.

    La Syrie

    De manière similaire en Syrie, le mouvement contre le régime d’Assad a été freiné par l’absence d’organisations unifiées de la classe ouvrière et des pauvres. Non content de réprimer brutalement le mouvement (on reporte plus de 5000 tués par les forces de l’Etat et un usage répandu de la torture), Assad a invoqué des chimères de bain de sang sectaire pour décourager les minorités alawites et chrétiennes de s’engager dans le soulèvement.

    L’impérialisme occidental et les élites sunnites qu’ils sponsorisent dans la région aimeraient assister à la destitution d’Assad ; car cela affaiblirait l’influence et le pouvoir du régime Iranien. Cela a notamment été reflété dans l’appel fait à Assad pour qu’il se retire de la Ligue Arabe (d’habitude impuissante), mais aussi dans les sanctions économiques qui ont été prises et qui auraient coûté au régime deux milliards de dollar, selon les estimations. Comme en Égypte, une opposition pro-occidentale est en train d’être préparée pour prendre le pouvoir ; en l’occurrence sous la forme du Conseil National Syrien. Toutefois, le déclenchement de conflits sectaires une fois Assad tombé pourrait avoir de sérieuses conséquences pour les intérêts de l’impérialisme dans la région, et une forme de compromis avec Assad n’est pas à exclure.

    Les derniers mouvements des masses tunisienne et égyptienne les ont vues revenir sur la scène de l’Histoire dans une tentative de changer fondamentalement la société. Les emblèmes des dicatures qu’étaient Ben Ali et Moubarak, ainsi que tellement d’autres de leurs alliés, ont été balayés. Cependant, même si les anciens régimes ont été ébranlés jusque dans leurs fondements, ils n’ont pas encore été détruits. Les vieilles élites qui soutenaient ces régimes restent intactes dans leur large majorité, malgré la détermination des masses.

    En Tunisie, l’élite a offert Ben Ali et par la suite Ghannouchi en sacrifice pour pacifier les mouvements révolutionnaires et les empêcher de menacer la position même de la classe capitaliste. En Égypte, les dirigeants de l’armée, un des piliers de l’Etat, ont été incapables d’étouffer la révolte ; et sont de fait intervenus pour prendre le pouvoir « au nom du peuple ». Parmi de larges couches des masses révolutionnaires, il n’y avait que peu de confiance dans les intentions des élites et un véritable désir d’aller vers un changement complet de la société. Mais en l’absence d’un parti de masse de la classe ouvrière avec un programme clair pour une transformation révolutionnaire de la société, l’énergie des masses épuisées a été dissipée, et les classes dirigeantes furent en capacité de regagner un certain degré de contrôle.

    Malheureusement, la vague révolutionnaire n’a trouvé que des forces défaillantes dans la gauche socialiste. Les maoïstes de l’UGTT, dont l’influence est considérable, ont adopté une approche dite étapiste, clamant qu’un capitalisme libre et une démocratie bourgeoise devaient être développés avant que des revendications pour la classe ouvrière et le socialisme soient mises en avant. Ce qui ne correspondait en rien à l’attitude des travailleurs tunisiens, dont les revendications portaient sur de meilleurs salaires et conditions de travail, la nationalisation de l’énergie ; ainsi que des éléments de contrôle ouvrier. Plutôt que d’appeler à une coordination des conseils des travailleurs et des pauvres pour former la base d’un gouvernement révolutionnaire, les maoïstes ont filé le train à l’opposition libérale.

    La gauche en Égypte

    En Égypte, une majeure partie de la gauche se traînait aussi derrière le mouvement. Ils tendaient à suivre la direction imposée pas les Frères Musulmans et d’autres forces d’opposition pro capitaliste, dont certains dirigeants appelaient à la formation d’un « gouvernement de salut national » au lieu d’un gouvernement révolutionnaire qui représenterait les intérêts des masses. Mais les dirigeants des Frères Musulmans se sont continuellement dirigés contre la gauche.

    Les élections parlementaires dans les deux pays ont vu la victoire de forces religieuses de droite (Ennahda en Tunisie et les Frères Musulmans en Égypte). Le parti salafiste Al Nour en Égypte a aussi gagné des voix. Ce n’était en rien une issue inévitable. Au moins au début, Ennahda et les Frères Musulmans se sont tenus à l’écart des mouvements. Il y un an, Ennahda ne pesait que 4% dans les sondages et leurs slogans religieux ne rencontraient pas d’écho parmi les masses. La montée de ces forces reflète le vide politique énorme qui existe, et qui pourrait potentiellement être rempli par un parti de la classe ouvrière doté d’un programme pour un changement socialiste.

    Alors que les médias occidentaux agitaient le spectre de la menace de l’« Islam politique » pendant les soulèvements révolutionnaires, il est clair que ces forces ne représentent pas une menace mortelle face aux intérêts de l’impérialisme. D’ailleurs les deux partis ont adopté des positions pro-occidentales. Le régime qatari a joué un rôle direct dans la sélection du gouvernent Ennahda. Les Frères Musulmans ont annoncé qu’ils voulaient modeler la « nouvelle » Égypte comme le régime pro-capitaliste de l’AKP en Turquie.

    L’élection de ces gouvernements ne mettra pas fin au processus révolutionnaire engagé en Afrique du Nord. Au contraire, il est clair qu’on assiste à un renouveau des luttes de la classe ouvrière et des pauvres. La souffrance quotidienne des masses n’a fait que s’approfondir depuis la chute des dictateurs ; le coût de la vie et le chômage ayant augmenté. Les travailleurs et les jeunes n’accepteront pas calmement que la vie continue ainsi, dans la pauvreté, même avec de nouveaux dirigeants. Le sentiment que la révolution a été « volée », qu’il en faudrait une deuxième ou une troisième, grandit.

    La tentative de l’élite militaire égyptienne de contrôler les élections et la nouvelle Constitution afin qu’elle leur soit favorable a provoqué de gigantesques conflits avec les travailleurs et jeunes révolutionnaires. Malgré une répression massive avec des milliers d’arrestations, ils furent forcés de faire des concessions. Après les élections, il y a eu encore plus de conflits avec le régime pendant l’anniversaire de la révolte. Les illusions qui existaient dans le caractère « pro-populaire » des dirigeants de l’armée ont volé en éclats chez de plus en plus d’Egyptiens. L’organisation indépendante de la classe ouvrière et les actions dans les usines se développent.

    L’élection du nouveau gouvernement tunisien a été suivie de manifestations massives pour de meilleures conditions de vie. Une grève générale se prépare dans une importante région minière, où des éléments de pouvoir ouvrier existent aujourd’hui. Les travailleurs continuent de se battre obstinément pour des améliorations concrètes et immédiates dans la santé, l’éducation et toute une série d’autres domaines ; et ce malgré la forte désapprobation des dirigeants de l’UGTT.

    Le rapport de forces régional

    La vague révolutionnaire a terrorisé le régime d’Israël, menaçant de déstabiliser le rapport de forces régional, déjà fragile. Le mouvement des masses égyptiennes en particulier a posé la possibilité de développer des liens de solidarité avec le peuple palestinien – malgré l’approche conciliante des Frères Musulmans et de l’armée envers Israël. Netanyahou a tenté de soulever les questions nationalistes et la peur des masses arabes parmi la population juive pour essayer de dompter l’agitation qui régnait en Israël et de préparer la population à la possibilité d’excursions militaires pour défendre l’élite nationale. Mais en vain.

    Le mouvement des tentes qui a balayé Israël pendant l’été était une preuve remarquable de la capacité qu’ont les mouvements révolutionnaires à dépasser les divisions ethniques, religieuses, sectaires et nationales. Le mouvement a englobé une énorme proportion de la population et beaucoup de ceux qui se sont retrouvés directement impliqués ont naturellement connecté leur lutte avec celle des masses à travers la région. Alors que les dirigeants n’apportaient ni objectifs clairs ni stratégie, le mouvement exprimait le rage que les travailleurs et les jeunes juifs ressentent par rapport à la minuscule élite corrompue qui dirige le pays. Dans des endroits comme Haifa, le mouvement a eu beaucoup de soutien de la part des Palestiniens. Ceci montre la possibilité de construire un mouvement unifié des travailleurs à travers la région et de trouver une solution socialiste et démocratique à la question nationale.

    L’expérience de la première vague de mouvements révolutionnaires a augmenté la conscience politique des travailleurs et des jeunes en Égypte et en Tunisie et peut paver la route pour de nouveaux soulèvements. Cela donnerait une nouvelle vigueur aux mouvements en Syrie, au Yémen, en Iran et dans toute la région. De plus en plus de personnes tireront la conclusion que pour avoir un futur décent et une vraie démocratie, la classe ouvrière et les masses pauvres doivent prendre le pouvoir en leurs propres mains, rompre avec l’impérialisme et briser le système capitaliste lui-même. Si l’immense richesse et toutes les ressources de la région étaient reprises des mains des élites corrompues et parasitaires et planifiées démocratiquement par les travailleurs et les pauvres, les conditions de vie des masses pourrait être rapidement transformées.

    La construction de partis de travailleurs qui unifieraient les masses pauvres autour d’un programme pour un changement socialiste et révolutionnaire de la société est une nécessité urgente. Les forces du CIO et les marxistes dans la région travaillent à cet objectif ; et peuvent croître pendant la prochaine période de défis auxquels la classe ouvrière et les jeunes se trouveront confrontés.

  • Les révoltes mondiales contre ce système sans perspective suscitent la recherche d’une alternative (2)

    Révolution et contre-révolution

    46. Cela exige une habile dose de dialectique afin de commencer à comprendre cette crise. Les vieilles certitudes sont dépassées par les contradictions que se sont accumulées sous la surface depuis des années. Des contradictions apparentes ne sont, d’un autre côté, que leurs propres compléments dialectiques. Ce qui hier fonctionnait encore bien, est aujourd’hui totalement bloqué. Les impasses et les changements de rythme vertigineux des processus graduels, leur revirement soudain et brusques transformations, caractérisent la situation. Nous nous trouvons dans une période de révolution et de contre-révolution, dans laquelle l’être humain se débarrasse de sa vieille enveloppe qui ne suffit plus aux besoins, dans ce cas le capitalisme. Des siècles auparavant, les révolutions prenaient la forme de déménagements massifs de population et par la suite, de guerres religieuses. Malgré les passions religieuses avec lesquelles elles étaient couplées, à ce moment-là aussi les conditions matérielles étaient la force motrice derrière ces processus. Que ce soit maintenant au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, ou bien en Chine, aux États-Unis, au Chili ou en Europe méridionale, les mouvements qui se sont déroulés cette année et sont toujours en cours, sont un dérivé direct de la Grande Récession.

    47. De puissants groupes médiatiques, une oppression dictatoriale brutale et la mesquinerie religieuse ne pouvaient pas empêcher le fait que les conditions matérielles ont finalement poussé les masses à surgir sur la scène politique. Cela s’est produit contre toute attente de la part des dirigeants locaux et de leur large appareil policier, de l’impérialisme et aussi des militants locaux. Mohammad Bouazizi n’était certainement pas le premier jeune chômeur en Tunisie à s’être immolé en guise de protestation contre le manque de perspectives. Sa mort a été la goutte qui a fait déborder le vase. En fait, quelque chose couvait déjà sous la surface depuis le grand mouvement de grève dans les mines de Gafsa en 2008. À ce moment là, Ben Ali était encore parvenu à isoler et étouffer le mouvement. Cela avait aussi à voir avec les bonnes relations que les dirigeants de la fédération syndicale UGTT entretenaient depuis des années avec la dictature. Le RCD (Rassemblement constitutionnel démocratique, le parti de Ben Ali) n’a été que le 17 janvier expulsé de l’“Internationale socialiste”, trois jours après la démission de Ben Ali.

    48. Les 500 000 syndicalistes ne sont cependant pas restés insensibles avant l’explosion sociale qui s’est répandue à partir du 17 décembre à vitesse grand V de Sidi Bouzid à tout le reste du pays. Malgré le fait que la direction nationale ait menacé de poursuite judiciaire, les sections locales et régionales ont pris part aux protestations et ont souvent offert un cadre organisateur. En une semaine, les dissidents avaient gagné toutes les sections. Les protestations se faisaient de plus en plus bruyantes. Le régime a réagi avec une répression brutale, mais le mouvement avait surmonté sa peur. Cela a causé la division au sein de la clique dirigeante. Au final, même l’armée a dû être retirée de Tunis de sorte qu’elle ne soit pas contaminée. Les troupes de sécurité ont tenté de créer le chaos afin de discréditer le mouvement et de le diviser. Dans les quartiers, des comités de sécurité ont été établis en réponse à cela, et ensuite des comités pour le démantèlement du RCD, des comités pour le ravitaillement, etc. Les dirigeants d’entreprise se voyaient refuser l’accès à leur entreprise en raison de leurs liens avec le régime de Ben Ali.

    La révolution enfle

    49. Les marxistes décrivent une telle situation comme une situation de “double pouvoir”. Pour la bourgeoisie et l’impérialisme, il fallait supprimer le pouvoir de la rue et à nouveau canaliser le pouvoir vers ses institutions fiables. Pour le mouvement en Tunisie et pour le mouvement ouvrier international, il s’agit de ne plus laisser ce pouvoir s’échapper. De cela découle notre appel à élargir les comités, à les structurer de manière démocratique, et à les réunir sur les plans local, régional et national afin de poser la base pour une nouvelle société, avec une nouvelle constitution révolutionnaire. Un petit parti révolutionnaire de quelques dizaines de militants aurait pu changer le cours de l’Histoire avec un tel programme. Cela n’était hélas pas le cas. Les partis et groupes de gauche qui y étaient bien présents, ont choisi soit un soutien critique au gouvernement temporaire, soit d’orienter le mouvement vers les urnes et d’attribuer la question de la constitution à un comité pluraliste de “spécialistes”.

    50. Leur argument a été le classique « D’abord la démocratie, et puis on verra après pour le socialisme ». Il y a toujours bien une raison : pour ne pas défier l’impérialisme, pour conserver l’unité des démocrates, ou parce que les masses n’étaient pas prêtes. Cela reflète un manque de confiance dans le mouvement ouvrier et dans la capacité des masses. Ils ont laissé passer le moment. Les comités ont néanmoins été rapidement imités en Égypte et d’ailleurs aussi en Libye. En Égypte, est arrivée la construction de camps de tentes permanents qui fonctionnaient comme quartier général de la révolution. Cela a été un exercice en autogestion avec leurs propres équipes média, équipes communication, service d’ordre et même à un moment donné une prison improvisée. Ici il n’y avait aucune trace de la bestialité de la clique dirigeante. Ici il semblait clair que les soi-disant groupes de lynchage étaient l’oeuvre d’agents provocateurs du régime. Les coptes et musulmans égyptiens y travaillaient de manière fraternelle les uns avec les autres et se protégeaient les uns les autres pendant les services religieux. Ce n’est que par après que le vieux régime, via l’armée, a pu reprendre un peu plus de contrôle, que les tensions religieuses se sont à nouveau enflammées.

    51. C’était une caractéristique frappante du mouvement qu’il ait pu transcender les contradictions nationales, religieuses, tribales et ethniques avec un énorme sentiment de respect et de liberté. Ce sentiment pour le respect s’est également exprimé dans le rôle proéminent des femmes. Il y avait évidemment divers degrés, mais ce phénomène s’est produit dans toutes les révolutions, que ce soit en Tunisie, en Égypte mais aussi au Bahreïn, au Yémen, en Syrie et dans d’autres pays de la région. Dans chaque révolution, il y a des moments où les masses partent en confrontation directe avec l’élite dirigeante. La plupart prennent la forme d’une marche sur le parlement, le palais présidentiel, le ministère de la Défense, et autres institutions qui symbolisent le pouvoir dirigeant. Cela s’est passé à Tunis, au Caire, à Sana’a (Yémen), et à Manamah (Bahreïn). C’était ici que le manque d’un programme c’est exprimé de la manière la plus criante. Une fois arrivés sur place, les manifestants ne savaient en effet plus par quoi d’autre commencer. Ils restaient à trépigner sur place, puis finissaient par rentrer chez eux.

    52. Trépigner sur place, ce terme a parfois été pris de manière très littérale. L’occupation de la place Tahrir, de la place Parel (à Manamah), et de tant d’autres places symbolise ceci. On sentait par intuition qu’on ne pouvait pas simplement rester là. Les travailleurs occupaient leurs entreprises, les communautés avaient pris le contrôle de leur quartier, mais le moment de la prise du pouvoir, ils l’ont laissé filer. On a estimé la contribution des travailleurs sans doute importante, tout comme celle des mosquées ou des bloggers, mais la révolution, celle-ci appartenait au “peuple”. Le caractère de classe de la société n’avait pas assez pénétré. On s’est battu contre le chômage et la pauvreté, pour de meilleures conditions sociales, pour la liberté et pour la démocratie, mais on n’a pas encore compris que c’est contre l’organisation capitaliste de la société qu’il faut lutter si on veut tout cela. On a vu les travailleurs comme une partie de la population, pas encore comme avant-garde d’une nouvelle organisation de la société sur base de la propriété collective. Les travailleurs eux-mêmes ne se voyaient pas comme ça, parce qu’il n’y avait aucune organisation ouvrière, aucun syndicat et encore moins de partis qui puissent ou qui veuillent donner une expression à cela en termes de programme et d’organisation.

    53. Dans une telle situation, le vieux pouvoir, après avoir fourni les quelques sacrifices symboliques exigés, rétablit petit à petit son emprise. Les masses ont cependant développé une énorme énergie, ont surmonté leur peur, et sont devenues conscientes de leur propre force. En outre, les conditions matérielles vont continuer à les encourager à chaque fois à rentrer en action de nouveau. Une chance énorme a été perdue, mais la lutte n’est pas terminée. La prise du pouvoir n’est plus en ce moment en tête de liste à l’ordre du jour, mais la construction de syndicats, de partis ouvriers et surtout aussi de noyaux révolutionnaires, n’est pas seulement nécessaire, mais sera beaucoup mieux compris par la couche la plus consciente. De plus, une couche de militants va observer de manière beaucoup plus attentive les nuances qu’elle avait encore considérées comme peu importantes pour le mouvement.

    L’impérialisme reprend pied dans le pays

    54. L’impérialisme était encore en train de mener une guerre d’arrière-garde avec les partisans d’Al-Qaeda, lorsque les masses ont jeté par-dessus bord ses pantins dans la région et ont ainsi réalisé en quelques semaines ce qu’al-Qaeda n’a jamais pu faire. Il a perdu tout contrôle. Les masses dans la région étaient d’ailleurs très conscientes du fait que Moubarak, Ben Ali et autres dictateurs étaient maintenus en place par l’impérialisme. Il a fallu la brutalité du régime de Kadhafi en Libye pour que l’impérialisme puisse à nouveau prétendre jouer un rôle dans la région. Au début, les jeunes de Benghazi, qui avaient commencé la révolution, avaient laissé savoir à la presse internationale qu’ils ne souhaitaient aucune ingérence de la part de l’impérialisme. Bientôt apparaissaient cependant les drapeaux royalistes et des chefs rebelles autoproclamés, ex-laquais de Kadhafi, partaient rendre visite à l’Élysée.

    55. Kadhafi a sauté sur l’occasion pour semer le doute quant aux objectifs des rebelles. Cela lui a donné la possibilité d’infléchir le conflit social et politique en un conflit militaire, avec sa propre armée armée jusqu’aux dents. À l’est du pays, cela a fait croitre l’appel à un soutien militaire d’Occident, et les ex-laquais de Kadhafi ont vu leur chance pour pouvoir arracher l’initiative hors des mains de la jeunesse révolutionnaire. Cela a duré plus longtemps et couté plus cher que l’impérialisme avait prévu au départ. Il est loin d’être sûr qu’ils parviendront à stabiliser la situation. La Libye pourrait bien devenir le seul pays de la région dans lequel le fondamentalisme islamiste parvienne à accéder au pouvoir. Il y aura bien des courants qui ainsi justifieront leur soutien à Kadhafi. Ils affirmeront que l’entrée triomphale du “libérateur” Sarkozy, est une mise en scène. C’est d’ailleurs bien possible. Ils s’apercevraient cependant mieux que Sarkozy et l’impérialisme n’auraient pas pu prendre l’initiative sans la brutalité de Kadhafi.

    56. Le président syrien, Assad, a suivi dans les traces de Kadhafi. L’impérialisme ne va pas y intervenir aussi rapidement, à cause du danger de déstabiliser la région. Il est cependant certainement à la recherche d’une alternative à Assad, sans doute en préparation du résultat d’une probable guerre civile. Ici aussi un soutien, même critique, au régime brutal d’Assad, en guise de ce qui voudrait passer pour une rhétorique anti-impérialiste, serait une faute capitale pour la gauche et ne ferait que pousser les masses dans les bras de l’impérialisme. La manière dont l’impérialisme en revanche est déjà ouvertement en train de se partager le butin en Libye, même avant que Kadhafi ne soit renversé, illustre à nouveau le fait que le mouvement ouvrier international ne peut jamais donner la moindre confiance en l’impérialisme, et donc pas non plus ni à l’OTAN, ni à l’ONU, pour défendre ses propres intérêts. Dans nos textes, nous faisions allusion aux troupes révolutionnaires de Durruti en 1936, pendant la Révolution espagnole, afin d’illustrer ce qui aurait pu être entrepris dans une telle situation.

    Révolution permanente

    57. On ne peut pas être socialiste, si on n’est pas en même temps internationaliste. Les mouvements sociaux ont toujours eu une tendance à passer outre les frontières nationales. Le processus de mondialisation et les nouveaux médias ajoutent une dimension supplémentaire à cela. En Chine, le régime a pris des mesures pour étouffer dans l’oeuf toute contagion par le mouvement au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Au Chili aussi, mais avec beaucoup moins de succès. Même les travailleurs et jeunes américains grèvent désormais “like an Egyptian”, entre autres au Wisconsin. Ils construisent des campements en plein dans l’antre du lion, à Wall street, et n’ont plus peur de la répression. Les syndicats sont de plus en plus impliqués. Même les travailleurs et jeunes israéliens ont donné une claque à tous ceux qui pensaient que dans ce pays vivait une grande masse réactionnaire sioniste. Cela confirme notre thèse selon laquelle le fossé entre la bourgeoise sioniste et les travailleurs et jeunes israéliens s’approfondit. Pour les masses palestiniennes, voilà leur allié le plus important.

    58. Le centre du mouvement est clairement passé de l’Amérique latine au Moyen-Orient, à l’Afrique du Nord et surtout à l’Europe. L’Amérique latine a déjà servi dans les années ’80 de laboratoire pour le néolibéralisme. Cela y a mené à des mouvements de masse. Dans toute une série de pays, comme au Venezuela, en Bolivie, et en Équateur, sont arrivés au pouvoir des régimes dont les agissements n’ont pas été du gout de l’impérialisme. Ils se sont en général basés sur un populisme de gauche, ont pris tout une série de mesures sociales importantes, et malgré le fait qu’aucun d’entre eux n’ait complètement rompu avec le capitalisme, ils ont été une source d’inspiration pour de nombreux travailleurs partout dans le monde.

    Révolte en Europe

    59. Les recettes que la Banque mondiale et le Fonds monétaire international gardaient pour le “tiers monde”, ont été après la crise de 2008 appliquées pour la première fois dans un État-membre de l’UE, d’abord dans les nouveaux, puis dans les plus anciens. Comme cela était encore requis, cela a été le test ultime de la loyauté de la social-démocratie envers la politique néolibérale. Elle a réussit avec la plus grande distinction. La réaction du mouvement ouvrier ne s’est pas fait attendre. Il y a eu des manifestations et des grèves massives en protestation contre l’austérité illimitée dans presque chaque pays de l’Union européenne. Ce n’est pas la combativité qui manque. La stratégie des dirigeants syndicaux a cependant en général été un plaidoyer en faveur d’une austérité moins dure, d’une répartition plus équitable des pertes et d’une austérité qui n’entrave pas la croissance. Toute action a été aussi freinée et sabotée que possible. Malgré le fait que l’austérité touche tous les secteurs, les mouvements spontanés ont été isolés autant que possible. Aucune perspective n’a été offerte quant à une possibilité de victoire. C’est comme si on fait grève et manifeste, seulement pour confirmer que l’on n’est pas d’accord avec la politique d’austérité mise en oeuvre, mais sans mot d’ordre clair, sans parler d’une alternative.

    60. Ici et là les directions syndicales ont été obligées d’appeler à des grèves générales. Mais ce surtout des grèves appelées en vitesse et d’en haut qui, malgré la participation massive, sont peu ou pas du tout préparées, et qui ne sont pas orientées vers la construction d’un véritable rapport de force. En général ils servent tout au plus à laisser échapper de la vapeur. Dans ces mobilisations, les travailleurs sentent leur force potentielle, mais réalisent qu’il n’y a aucune stratégie derrière elles afin d’assurer une victoire. En Grèce, nous sommes entretemps à la 12ème journée de grève générale, mais le gouvernement n’a pas été ébranlé d’un millimètre. Cela mène à la frustration envers les dirigeants, qui sont désormais déjà aussi fortement haïs par leur base que les politiciens qui appliquent l’austérité. Certaines centrales qui adoptent une attitude plus combative, telle que la FIOM (Federazione Impiegati Operai Metallurgici – Fédération des ouvriers salariés métallurgistes), la centrale des métallos en Italie, membre de la CGIL (Confederazione Generale Italiana del Lavoro), ou bien quelques syndicats britanniques dans les services publics comme le PCS et le RMT (le Public and Commercial Services union et le National Union of Rail, Maritime and Transport Workers), peuvent cependant compter sur une approbation enthousiaste. Aux Pays-Bas, il n’est pas exclu que l’on voie une scission entre la FNV (Federatie Nederlandse Vakbeweging – Confédération syndicale néerlandaise) et ses deux plus grandes centrales, la FNVbondgenoten (centrale de l’industrie) et la Abvakabo (Algemene Bond van Ambtenaren / Katholieke Bond van Overheidspersoneel – Centrale générale des fonctionnaires / Centrale chrétienne du personnel étatique) sur base de la question des pensions. Nous pouvons nous attendre à ce que la lutte de classe dans la période à venir se répande également au sein des structures syndicales, avec l’expulsion des militants combatifs, mais aussi le remplacement des vieux dirigeants usés par de nouveaux représentants plus combatifs.

    61. Les attaques sont cependant si dures et si généralisées que de nombreux jeunes et aussi de nombreux travailleurs ne peuvent ou ne veulent pas attendre que les choses soient réglées à l’intérieur des syndicats. Certains ne croient tout simplement plus en le fait que les syndicats puissent encore un jour devenir un instrument de lutte, encore moins pour pouvoir obtenir un véritable changement. Il faut dire que les dirigeants ne font pas le moindre effort pour réfuter cette impression. On dirait bien qu’ils sont heureux d’être libérés de ce fardeau. Toute une série de jeunes et de travailleurs se reconnaissent dans le mouvement de la place Tahrir. Ils croient que les syndicats et les partis sont des instruments du siècle passé, qui par définition mènent à la bureaucratie, aux abus et à la corruption, et que maintenant une nouvelle période est arrivée, celle des réseaux et des nouveaux médias. Il faut bien dire que ces réseaux peuvent être exceptionnellement utiles aux syndicalistes aussi, afin de pouvoir briser la structure verticale bureaucratique au sein de leurs syndicats.

    62. Les nouvelles formations de gauches sont encore moins parvenues à apporter une réponse. Elles devraient se profiler en tant que partis de lutte qui formulent des propositions afin d’unifier tous les foyers de résistance et de contribuer à l’élaboration d’une stratégie qui puisse mener à une victoire. Au lieu de cela, ces nouvelles formations, dans le meilleur des cas, se contentent de courir derrière le mouvement. Elles voient la lutte sociale non pas comme un moyen de mobiliser de larges couches pour une alternative à la politique d’austérité, mais espèrent uniquement obtenir de bons scores électoraux sur base du mécontentement. C’est une grave erreur de calcul. Elles se profilent en tant qu’aile gauche de l’establishment politique, comme le Bloco de Esquerda au Portugal, qui ne va pas plus loin que la revendication de la renégociation de la dette, ou comme le PCP (Parti communiste portugais), qui ne dénonce que la répartition injuste de l’austérité. La plupart de ces nouvelles formations de gauche, comme Syriza en Grèce, le SP hollandais, ou Die Linke en Allemagne, viennent maintenant d’effectuer un virage à droite. Tandis que le monde se retrouve sens dessus-dessous, le NPA est hypnotisé par les prochaines élections présidentielles.

    63. En intervenant avec tact dans le mouvement des indignados et autres mouvements qui prennent place en-dehors des mouvements sociaux traditionnels, ces nouvelles formations de gauche pourraient convaincre ces jeunes du fait qu’il ne faut pas faire l’amalgame entre la légitime aversion envers les politiciens et les dirigeants syndicaux et la base syndicale, et de la manière dont fonctionnerait un parti démocratique de la classe ouvrière. Au lieu de cela, elles restent absentes, ou participent à titre individuel. Il y a pourtant besoin d’une coordination entre les différents mouvements de protestation et d’une orientation vers la seule classe qui puisse réaliser le changement de société, la classe ouvrière. Il n’y a pas de meilleur moment pour discuter et mobiliser autour de la seule revendication capable de mettre un terme à la casse sociale : la fin du remboursement de la dette aux banques. Ce n’est que par la nationalisation des secteurs-clés de l’économie, et en particulier du secteur de la finance, sous le contrôle démocratique du personnel, que la collectivité pourra mobiliser l’ensemble des forces productives dans la société et accorder un emploi et un salaire décent pour chacun.

    64. Les mouvements en-dehors des structures officielles sont très explosifs, mais ils ont aussi la tendance à rapidement s’éteindre. Les énormes contradictions et les attaques continues de la part de la bourgeoisie engendrent cependant toujours plus de nouveaux foyers. Il y a des similitudes avec le mouvement antimondialisation du début de ce millénaire. C’était surtout un mouvement contre la répartition inéquitable, mais de manière abstraite, la partie officielle du mouvement oeuvrait surtout à des issues afin de tempérer le “capitalisme sauvage”. Les dirigeants syndicaux ont soutenu, tout comme les ONG, tandis que les travailleurs étaient plutôt observateurs que participants actifs. La crise économique est maintenant présente de manière bien plus proéminente. Le mouvement exprime des questions qui portent sur le système lui-même. Ce n’est plus seulement une protestation, mais aussi un appel au changement. Les travailleurs ne sont plus observateurs, mais participants actifs. Les dirigeants syndicaux, les ONG et les universitaires ne jouent clairement plus le même rôle central. Cela concerne maintenant nos emplois, nos salaires, nos vies. La volonté de changement et la composition sociale du mouvement mène également à la recherche d’une alternative. C’est la caractéristique la plus importante.

    65. Il est clair que les jeunes et les travailleurs adoptent de manière intuitive une position internationaliste. La crise frappe partout. Il n’y a aucune solution possible dans le cadre d’un seul pays. Même si le CIO n’a pas partout les quantités numériques que nous avions au milieu des années ’80, notre poids relatif à l’intérieur du mouvement ouvrier organisé est aujourd’hui plus fort qu’à ce moment-là. Nous avons des militants dans la plupart, si pas dans tous les pays où les travailleurs et les jeunes sont en mouvement, certainement en Europe. Dans un certain nombre de pays, nous jouons un rôle important, quelquefois décisif au sein des syndicats ou dans les mouvements étudiants. Nous avons la chance de disposer d’une série de figures publiques saillantes, aussi de parlementaires, y compris dans le Parlement européen. Nous devons saisir cela afin de recadrer notre lutte à l’intérieur de celle pour une fédération socialiste des États d’Europe.

    66. La faiblesse de la gauche peut mener à des actes de désespoir tels que les émeutes au Royaume-Uni, que la droite ne se prive pas d’utiliser pour susciter un soutien social en faveur de plus de répression. Le populisme de droite va utiliser la défaillance de la gauche et le plaidoyer pour une austérité plus douce pour se projeter en tant que soi-disant barrage contre la casse du bien-être de la population autochtone travailleuse. La période à venir va cependant faire pencher le pendule plus à gauche. Le mouvement que nous avons vu jusqu’à présent n’est qu’un signe avant-coureur de nouvelles explosions de masses, dans lesquelles le mouvement ouvrier va se réarmer politiquement et organisationnellement. Même une poignée de socialistes de lutte tenaces et bien préparés peut jouer un rôle déterminant dans cela. La faillite de l’Argentine en 2001 a mené à des mouvements de masse. En 18 mois, il y a eu 8 grèves générales. Puis on suivi des occupations d’entreprise. Les jeunes chômeurs, les piqueteros, construisaient chaque jour des barricades dans les rues. Les classes moyennes qui voyaient leurs économies s’évaporer sont descendues en masse dans les rues avec des pots et des casseroles, les carcerolazos, comme on les a appelés. Le 19 décembre 2001, des masses de chômeurs et de travailleurs précaires ont attaqué les supermarchés pour satisfaire leur faim. Le gouvernement a appelé à l’état d’urgence. Un jour plus tard, a eu lieu une confrontation de dizaines de milliers de manifestants avec la police. Il y a eu des dizaines de morts, et des centaines de blessés. En deux semaines, se sont succédé cinq présidents.

    67. Hélas, il manquait un parti révolutionnaire avec une alternative socialiste. Lorsque le mouvement social s’est terminé dans une impasse, beaucoup de gens se sont concentrés sur le terrain électoral. Luis Zamora, un ex-trotskiste avec un soutien de masse, n’aurait pas gagné les élections, mais a pu avoir utilisé son influence dans les élections pour mobiliser des milliers de travailleurs et de jeunes et avoir fait un début avec la construction d’un parti ouvrier socialiste. Zamora a hélas décidé de ne pas participer et s’est mis de côté dans cette lutte. Le contexte international dans lequel ce mouvement a pris place était cependant du point de vue de la bourgeoisie bien plus stable qu’aujourd’hui. De la même manière, nous pouvons nous attendre dans les années à venir à des mouvements explosifs qui peuvent prendre toute une série de formes possibles et de plus, auront un bien plus grand effet international. De temps à autre, ce mouvement se traduira plutôt sur le plan électoral, comme avec l’élection des cinq parlementaires de l’Alliance de gauche unie en Irlande. Pour nous, la lutte ne s’arrête pas là, mais il s’agit d’employer ce terrain aussi au maximum et d’utiliser les positions conquises en tant que tribune pour renforcer la lutte sociale.

  • Les révoltes mondiales contre ce système sans perspective suscitent la recherche d’une alternative (1)

    1. L’été dernier, l’illusion selon laquelle le capitalisme mondial allait parvenir à s’extraire du pétrin dans lequel il se trouve depuis 2008 a de nouveau volé en éclats. On était parvenu à changer la Grande Dépression en une Grande Récession. C’est pourquoi on avait ouvert les robinets à argent, les dettes privées avaient été transférées aux gouvernements et les stimulants de masse avaient sauté. Depuis lors, une question cruciale tient en suspens les économistes et les politiciens : à partir de quand les déficits budgétaires peuvent-ils être purgés, sans pour autant de nouveau rejeter l’économie dans la récession ?

    2. Bonne question ! Au lieu de redémarrer au turbo sur les starting-blocks, l’économie mondiale continue à cahoter. Cela suscite des tensions, qui deviennent difficiles à cacher même avec diplomatie. Ces derniers 18 mois, les États-Unis et la FED ont continué à arroser l’économie avec leur pompe à pognon. C’est entre autres comme cela que le déficit budgétaire des États-Unis va atteindre cette année un nouveau record de 1.645 milliards $. Dans le meilleur des cas, cela pourra redescendre en-dessous de 1.000 milliards $ à partir de 2013. En même temps, le bilan de la FED, l’autorité monétaire destinée à lubrifier l’économie, a grimpé de 1.000 milliards $ avant la crise du crédit, à 3.000 milliards $ en juillet de cette année.

    3. Le gouvernement chinois a encore une fois surpassé l’américain. En pourcentage du PIB, les stimuli chinois dépassent de moitié les américains. Grâce à ses banques sous contrôle d’État, 3000 milliards $, soit 60% du PIB, sont passés au crédit. Cela n’a pu se faire que par la nature hybride de l’État chinois. Même si cela fait bien longtemps déjà que la demi-caste, demiclasse dirigeante a décidé de passer à une économie de marché, elle dispose encore toujours de leviers qui lui permettent de mobiliser les forces productives d’une manière dont les autres économies purement de marché ne peuvent que rêver. Le régime a ainsi pu neutraliser l’effet de la grande récession sur son économie et dans la foulée soutenir l’économie américaine afin d’éviter d’être entrainé en chute libre avec elle.

    4. La Chine a accumulé 3.200 milliards $ en réserve au cours de ces dernières décennies, 66% en dollars, 26% en euro. Elle aimerait bien diversifier ce trésor. Un peu partout dans le monde, les détenteurs de capitaux sont très conscients de cela. C’est pourquoi la Chine se trouve sous pression. Le moindre signe qu’elle commence à vendre ses réserves en dollars causera une fuite subite, chacun cherchant à se débarrasser de ses dollars, conduisant à une implosion de cette devise, et à une baisse subite de la valeur de ses réserves. Mais sur un plus long terme, le fait de garder ces réserves en dollars pourrait s’avérer encore plus grave.

    5. L’économie chinoise est bien la deuxième au monde par sa taille, mais avec 1.250 millions d’habitants, la consommation des particuliers est sous celle de l’Allemagne, avec ses 82 millions d’habitants. La Chine a exporté près de 1.600 milliards $ en 2010. La dépendance envers le marché américain est énorme. Le surplus commercial (c.à.d, les exportations moins les importations) avec les États-Unis en 2010 était de 273 milliards $, plus que le surplus commercial total, qui est lui de 183 milliards $. Face au surplus commercial avec les États-Unis, il y a il est vrai un déficit commercial avec les pays fournisseurs de matières premières et de mains d’oeuvre encore meilleur marché dans la plupart des pays d’Asie, d’Amérique latine et d’Afrique. La Chine a donc tout intérêt à ce que l’économie américaine continue à tenir le coup.

    La Chine – nouvelle superpuissance mondiale ?

    6. Les mesures prises par le gouvernement chinois ont assuré une poursuite de la croissance dans toute une série de pays, dont par exemple le Brésil et l’Australie, mais cela n’est pas sans risque. Le Brésil présente à nouveau des signes d’économie coloniale qui produit essentiellement des matières premières et des produits semi-finis et en échange ouvre son marché aux produits manufacturés chinois. On y voit même un processus de désindustrialisation. Avec l’immense hausse de la productivité en Chine, en moyenne de 9,6% entre 2005-2009, cela a fait croître l’illusion que la Chine est sur le point de détrôner les États-Unis en tant que principale puissance mondiale. Tout comme les États-Unis après la Deuxième Guerre mondiale avaient chassé de cette position le Royaume-Uni.

    7. Cela est cependant peu probable. Aussi bien le Royaume-Uni que les États-Unis disposaient durant toute leur phase ascendante des techniques de production les plus modernes. C’était leur efficience de production qui déterminait les limites scientifiques et technologiques du reste du monde. Tous deux ont connu leur période de gloire dans une période d’expansion économique. Les Etats-Unis – après que ses plus importants concurrents aient été aplatis sous les bombardements, l’Amérique latine leur étant tombée dans les mains comme un fruit bien mûr – ont pu imposer leurs termes commerciaux et leur monnaie au reste du monde capitaliste, et ont développé une économie de guerre, sans pour autant avoir à subir les désavantages de la guerre. Voilà quelles ont été les conditions par lesquelles les techniques de production qui étaient déjà connues avant la Deuxième Guerre mondiale, mais qui se heurtaient auparavant aux limites du marché, ont pu être appliquées pour la première fois à une échelle de masse.

    8. Déjà en 1950, les États-Unis étaient beaucoup plus productifs que leurs concurrents. La productivité de l’Allemagne et de la France n’atteignait même pas la moitié de la productivité américaine. L’Union Soviétique n’en atteignait à peine que le tiers, et le Japon un cinquième. Les seuls qui atteignaient des résultats comparables étaient l’Australie, le Canada et… le Venezuela. Le Royaume-Uni était alors déjà un bon quart moins productif, juste un peu mieux que l’Argentine, mais derrière Hong Kong. Dans les années ’60 et ’70, la productivité aux États-Unis ne s’est cependant accrue que de moins de +3%, alors qu’elle s’accroissait de +5% dans les quinze pays de l’Union Européenne et de +8% au Japon. Comment cela se fait-il ? Selon la FED, à New York (Current Issues v13, n8), parce que lorsque la quantité de capital placée par travailleur est basse, le capital est relativement productif. Il a alors un haut produit marginal (la quantité par laquelle la production s’accroit pour chaque nouveau travailleur engagé) et contribue visiblement à la croissance de la productivité.

    9. Ce phénomène a déjà été expliqué par Marx. Il a fait remarquer le changement dans la composition organique du capital. Avec la composition organique, on détermine le rapport entre capital “vivant et variable” et capital “mort et constant”. Le capital vivant est consacré aux heures de travail de la main d’oeuvre et fournit une plus-value. Le capital mort est consacré aux bâtiments, aux matières premières, aux machines, et transmet sa valeur à celle du produit final, mais sans y ajouter de plus-value. La concurrence force les capitalistes à au moins suivre les techniques les plus modernes, et donc à investir de plus en plus dans du capital mort, aux dépens du capital vivant. L’effet clairement contradictoire de cela est le fait que le taux de profit – le profit réalisé par unité de capital investie – a une tendance à baisser. Les marxistes appellent cela “la loi de la baisse tendancielle du taux de profit”.

    10. Comme seconde raison pour expliquer la faible croissance de la productivité aux USA dans els années ’60 et ’70, la FED explique que des pays connaissant une degré moindre de technologie et de techniques de production, qui attirent des investissements étrangers et autres joint-ventures, pouvaient facilement copier les USA. On appelle cela la “loi de l’avancée en tant que frein” ou, pour employer une terminologie plus multilatérale et plus marxiste, la “loi du développement inégal et combiné”. Cela explique la croissance plus rapide de la productivité au Japon après la Deuxième Guerre mondiale, mais aussi pourquoi un pays qui se coupe du monde extérieur est au final condamné à stagner et à rester en arrière. La Corée du Nord ou l’Albanie d’Enver Hoxha, de véritables caricatures d’autarcie, en sont des témoins flagrants.

    11. La rapide hausse de la productivité au Japon et dans l’Union européenne a cependant cessé au début des années ’90. Selon la FED, cela s’est produit en Europe à cause de la “rigidité du produit et du travail”. Selon nous, cela s’est produit parce que le mouvement ouvrier en Europe est mieux parvenu qu’aux États- Unis à résister contre les tentatives du patronat de rehausser le taux d’exploitation. Pour le Japon, la FED explique qu’au fur et à mesure que la productivité d’un pays atteint son summum, le produit marginal baisse, et il devient plus difficile de copier, et de ce fait la hausse de la productivité devient plus difficile à réaliser. Nous ajouterions ceci : à moins qu’il ne survienne une situation exceptionnelle. La destruction massive de l’infrastructure et des moyens de production pendant la Deuxième Guerre mondiale constituait une telle situation exceptionnelle.

    12. Les États-Unis ont connu leur période de gloire durant l’âge d’or des années ’50 et ’60. À ce moment, la croissance économique était tirée par l’État social, avec la hausse des salaires, la baisse du temps de travail, l’apparition de véritables allocations sociales, de services publics et d’un système d’impôt progressif. L’économie chinoise est au second rang si on compare sa taille pour tout le pays mais, en termes de richesse par habitant, elle se trouve à la 95e place. Le pays connait une énorme croissance de la productivité de par les raisons définies ci-dessus, auxquelles il faut ajouter son infrastructure, son niveau d’enseignement et sa centralisation, tout cela hérité de son économie planifiée. Pourtant, la productivité par travailleur en 2005 n’y était que de 15% supérieure à ce qu’elle est aux États-Unis. La Chine devrait surmonter cela, alors que nous sommes en plein milieu d’une période de contraction économique.

    Les déséquilibres de l’économie chinoise

    13. Tout comme pour le Japon en son temps, la croissance économique chinoise est essentiellement poussée par les investissements. Au début, cela permet une croissance fébrile mais, après un certain temps, cela devient un frein. Entre 2000 et 2010, les investissements se sont accrus chaque année en moyenne de 13,3%, mais la consommation des particuliers n’a cru que de 7,8%. Cela signifie un transfert de la consommation vers les investissements. La baisse des salaires, l’expansion du crédit et un cours de change sous-évalué ont tous contribué à cela. La part de la consommation dans le PIB au cours de cette période est passée de 46% à 34%, tandis que celle des investissements passait de 34% à 46%. Pour 1% de croissance du PIB, il fallait encore dans les années ’90 une croissance du capital de 3,7%, en 2000, ce 1% de croissance exigeait par contre une hausse des investissements de 4,25%. On voit donc que la rentabilité de l’investissement diminue.

    14. C’est pourquoi Wen Jiabao, le premier ministre chinois, a déclaré l’économie ‘‘instable, déséquilibrée, non-coordonnée et au final, non-durable’’. On craint que ‘‘ne soient piégés les revenus moyens.’’ C’est le phénomène où un pays ne parvient plus à croître à partir du moment où il a atteint un niveau bien défini. L’incapacité à livrer l’accès aux couches moyennes pour la majorité de la population est un de ces symptômes. Les bas salaires et la répartition inégale sont il est vrai la source de la croissance des investissements. En fait, la croissance devrait être plus basée sur la consommation des particuliers. La croissance des investissements devrait être inférieure à celle du PIB. Dans les années ’80, le Japon a tenté de soutenir la croissance avec le crédit d’investissement, sans effet : cela a conduit à une explosion du crédit. Dans les années ’90, la correction est arrivée, avec les conséquences catastrophiques que l’on connait.

    15. Plus encore qu’à l’époque au Japon, les investissements en Chine sont basés sur du crédit. Sans un soutien artificiel, une grande partie ne serait pas rentable. Le moindre affaiblissement de la croissance à 7% ferait s’écrouler les investissements à 15% du PIB. Toute tentative de réorienter les moyens vers les ménages causerait une encore plus grande baisse des investissements. De ce fait, on voit que les investissements deviennent une source de stagnation, au lieu d’être un moteur pour la croissance. La Chine a maintenant un PIB par habitant comparable à celui du Japon en 1950 (juste après la guerre et juste avant le début de sa phase de croissance rapide longue de 25 ans). On dit que le PIB par habitant de la Chine pourrait atteindre 70% de celui des États-Unis en 2035, comme l’a fait le Japon en 1975 – à ce moment, l’économie chinoise serait plus grande que celle des États-Unis et de l’Europe ensemble. Bien que la taille de la population chinoise offre une échelle et des possibilités supplémentaires pour la répartition du travail, il y a aussi d’importants inconvénients qui y sont liés, le gigantesque besoin en matières premières n’est pas des moindres.

    16. La création d’argent avec laquelle le gouvernement chinois a tenté de repoussé la crise en 2009 et 2010 n’a pas réduit sa dépendance face aux exportations et aux investissements. Sur le marché de l’immobilier, il y a énormément de spéculation, dont l’argent est financé par des prêts. Cela a causé une énorme hausse des prix. La bulle immobilière a entrainé avec elle du capital spéculatif. Les investisseurs courent, il est vrai, le risque d’une réévaluation du yuan par rapport au dollar. Les hausses salariales sont compensées par la hausse des prix à la consommation. Le taux d’inflation “alarmant” provient apparemment de la croissance rapide du crédit et de la monnaie et de la hausse du prix du pétrole, des matières premières et des denrées alimentaires ; cela est renforcé par les spéculateurs qui attendent que la demande augmente. L’exportation massive de produits chinois fait en sorte qu’il y a un afflux massif de devises étrangères. Les entreprises tout comme les particuliers peuvent facilement prêter de l’argent, comme le robinet à crédit a été coupé sur injonction des autorités. Mais tandis que le gouvernement national coupe le robinet à crédit, celuici reste grand ouvert auprès des autorités locales.

    Guerre des devises et commerciale

    17. L’Occident trouve que le dernier plan quinquennal s’attaque insuffisamment aux problèmes structurels. On doit faire quelque chose pour résoudre la dépendance aux exportations et le fossé entre riches et pauvres. L’Occident a peur d’un affaiblissement de la croissance. Nouriel Roubini avertit d’un danger de crash. Mais leurs remarques ne sont certainement pas désintéressées. Ils espèrent gagner en compétitivité en forçant la Chine à réévaluer sa monnaie. Ils veulent aussi gagner l’accès à quelques miettes du marché intérieur chinois, mais celui-ci doit d’abord être mis sur pied. Pour la Chine, ils défendent par conséquent ce que partout ils combattent à tout prix : de meilleurs salaires et une sécurité sociale. Mais l’idée que la Chine puisse subitement gonfler sa consommation sans toucher aux intérêts des détenteurs de capitaux privés est une illusion. L’économie chinoise est une économie de marché libre dans la mesure où une hausse significative des salaires ou une réévaluation comparable du yuan provoquerait une chute du niveau d’investissements, et avec elle, de la croissance économique.

    18. Les gouvernements américains et européens demandent à la Chine ce qu’eux-mêmes ne peuvent pas se permettre. À première vue, c’est plutôt agréable. Dans la pratique, il s’agit d’une manoeuvre audacieuse. Ainsi, l’assouplissement quantitatif dont a fait usage la FED avait comme prévu affaibli le dollar au milieu de l’an passé. Cela a incité les spéculateurs à s’adonner au “carry trade”, c.à.d. à emprunter des dollars à un taux quasi nul pour les placer dans des pays avec un taux plus élevé. L’investisseur encaisse la différence de taux, sans même y engager son propre argent. L’affluence d’investissements a poussé la valeur des devises des pays receveurs, au détriment de leur compétitivité. Le premier à utiliser le terme de “guerre monétaire” a été le ministre des finances brésilien Guido Mantega, mais il exprimait ainsi ce à quoi beaucoup d’autres gens pensaient déjà. Le Brésil demande à l’OMC de prendre des sanctions contre les pays qui laissent filer trop bas leur taux de change. Il y a aussi le dumping. La Chine menace d’une guerre commerciale si les États-Unis décident de placer des taxes à l’importation sur les produits chinois.

    États-Unis : la politique anticyclique échoue

    19. Les États-Unis sont désespérément à la recherche de quelqu’un qui puisse reprendre une partie de leurs problèmes. De là viennent la pression sur la Chine pour qu’elle réévalue sa monnaie, la guerre monétaire à peine voilée, et le plaidoyer en faveur d’une politique monétaire plus conviviale en Europe. Depuis la catastrophe qu’a été le passage du “war-president” George W Bush avec ses cadeaux fiscaux aux riches, l’idée dominante est à présent de lutter contre la crise par une politique anticyclique. Ce courant est représenté par le président Obama, son ministre des Finances Timothy Geithner, et le président de la FED Bernanke. Tout comme leurs opposants, ils trouvent que l’État doit remettre de l’ordre dans ses dépenses, mais pas d’une manière qui risque d’hypothéquer la croissance. Ils craignent que des économies drastiques ne rejettent à nouveau l’économie dans la récession, voire la dépression. En plus de cela, ils souhaitent une participation de la part des riches, pour éviter des réticences de la part de la population face au plan d’austérité. Le gourou de la Bourse Warren Buffet affirme publiquement vouloir payer plus d’impôts.

    20. Cette politique s’est composée des stimuli de 800 milliards $ au début 2009, et de deux opérations d’assouplissement quantitatif par la FED, pour un total de 1850 milliards $. Entretemps, on a lancé le QE 1.5, avec lequel des remboursements libérés sont consacrés à des prêts d’États supplémentaires. La FED a également décidé de bétonner le taux nul jusqu’à 2013. Au final, elle a vendu pour 400 milliards $ de bons d’État à court terme (jusque 3 ans) et a acheté pour un montant semblable en bons d’État à long terme (de 6 à 30 ans). Rien ne semble cependant fonctionner. La consommation des particuliers n’a pas repris parce que les ménages tentent maintenant de rembourser leurs dettes, parce que le chômage sape le pouvoir d’achat, et parce que les autorités locales économisent sur les services et sur le personnel. Malgré des taux très bas, les entreprises américaines continuent à simplement stocker leur argent, pour un montant de 1,84 milliards de dollars, et préfèrent racheter leurs propres actions plutôt que d’investir.

    21. L’absence de résultat sape la crédibilité du gouvernement. Cela renforce la confiance des opposants, qui avaient pourtant pris un fameux coup avec la disparition de Bush. Cela a fait changer de camp ceux qui hésitaient. Au sein de la FED, Bernanke doit de plus en plus compter avec l’opposition, mais il ne doit pas se présenter à des élections. Obama et ses Démocrates n’ont pas ce luxe. Au niveau des Etats et au niveau plus local, des économies copieuses sont déjà bien avancées, même là où des Démocrates sont au pouvoir. Le mouvement Tea Party a sauté sur le mécontentement pour se présenter en tant que défenseur de l’Américain travailleur. Pour les Républicains, ces radicaux de droite étaient des partenaires bienvenus qui les ont aidés à obtenir la majorité à la Chambre basse en 2010.

    Le fouet de la contre-révolution

    22. Mais ce soutien pourrait bien s’avérer être un cadeau empoisonné. Le rôle des partisans du Tea Party dans l’attaque brutale contre les conditions de travail et les droits des travailleurs, entre autres au Wisconsin, a provoqué une réaction de masse. Pour les jeunes et les travailleurs, cela a été un moment décisif. Cela, en plus de son empressement à laisser les États-Unis faire défaut sur leurs paiements (pendant le débat sur le plafond légal de la dette), a endommagé le soutien populaire du Tea Party. Cela pourrait être décisif pour les élections présidentielles de 2012. Trouver un équilibre entre l’establishment des Républicains et les activistes qui exigent un plus grand rôle avec le Tea Party, devient de plus en plus difficile. Un Républicain modéré a officiellement une plus grande chance de récupérer des votes démocrates. Mais c’est surtout les dangers liés au fouet de la contre-révolution, qui font que l’establishment se réunit catégoriquement derrière la candidature de Mitt Romney. Il n’est pas exclu que ce “Grand Old Party” se dirige vers une scission après les élections présidentielles, et que le système des deux partis ne se rompe en premier lieu sur son flanc droit.

    23. Cela ne signifie pas pour autant qu’Obama a déjà gagné. Pour relever le plafond de la dette, on prévoit des économies pour 2.500 milliards $ au cours des dix prochaines années. Pas un mot sur plus d’impôts pour les riches. Le nombre de pauvres a augmenté l’an passé jusqu’à 46,2 millions, le nombre le plus élevé en 52 ans. 15% des Américains sont pauvres, le plus haut chiffre depuis ’93 : 10% des Blancs, 12% des Asiatiques, 26% des Hispaniques et 27% des Noirs. 50 millions d’Américains sont non-assurés, 48 millions des personnes entre 18 et 64 ans sont sans travail. Le revenu médian des ménages est retombé à son niveau de 1996. Le revenu médian personnel d’un travailleur adulte masculin, rapporté en dollars de 2010, était l’an passé inférieur à celui de 1973. Entre 1980 et 2009, le revenu des 20% les plus riches s’est accru de 55%, celui des 20% les plus pauvres a baissé de 4%. En 2007, 23,7% du revenu national allait aux 1% les plus riches, soit la même proportion que ce qui avait été atteint en 1929, juste avant la Grande Dépression.

    24. À chaque fois que l’on espère que l’économie a été sauvée et que l’on pense alors à débrancher la mise sous perfusion par la FED, apparait l’une ou l’autre statistique qui envoie tout valser. En août, pas un seul job n’a été créé. Les chiffres parus en juillet ont dû être fortement revus à la baisse. Immédiatement est réapparue l’angoisse que l’économie allait droit vers une nouvelle récession. Obama a lancé un nouveau plan d’emploi pour 447 milliards $, dont 240 milliards pour la réduction de moitié des impôts sur salaire, une mesure essentiellement destinée à soutenir les PME. De l’argent a été libéré pour des investissements dans des autoroutes, des chemins de fer et des écoles, et des moyens ont également été prévus pour tempérer le nombre de licenciements d’enseignants dans les écoles d’État. Pour réduire le chômage officiel de 9,1% à 5% en 5 ans, il faudrait cependant créer tous les mois 300.000 nouveaux emplois. Depuis le début de 2010, cela n’a été que 100.000 en moyenne, mais cela aussi s’est fortement réduit ces derniers temps.

    25. Ce plan ne suffira pas à remettre sur pied l’économie américaine pour une croissance durable. Il n’est qu’une répétition du plan précédent, en mode mineur. Avec de la chance, cela pourrait de nouveau tirer la croissance de l’emploi, jusqu’à la fin de ce plan. Le problème fondamental n’est toutefois pas un manque de moyens pour investir. Les entreprises ont tous les moyens qu’il leur faut. Elles ne croient cependant pas que l’investissement dans la production pourra rapporter suffisamment. Bon nombre d’entreprises reçoivent aujourd’hui bien plus de profits de par leurs transactions financières que de leur production. De plus, il n’est plus garanti qu’il existe encore un marché pour pouvoir absorber la production. Avec le développement actuel de la science et de la technique, les innovations nécessitent des années de recherche pour un rendement qui doit être réalisé dans un délai de plus en plus court. À peine un produit est-il développé qu’avec les possibilités actuelles il suffit tout au plus de quelques années pour saturer le marché mondial.

    26. Entretemps, l’État américain accumule les dettes. Tôt ou tard, il faudra bien les payer. Jusqu’à récemment, on considérait que cela était une donnée sûre. L’impasse dans le débat autour du plafond de la dette a cependant semé le doute. Qui aurait pensé que les politiciens aller amener les États-Unis au bord d’un défaut de paiement afin d’obtenir gain de cause dans la discussion budgétaire ? L’agence de notation Standard & Poors a décidé pour la première fois dans l’Histoire de baisser la garantie sur crédit de l’État américain. Elle a pris cette décision au lendemain d’un rapport avec une faute de calcul de pas moins de 2.000 milliards $. En plus, les marchés s’en foutaient de cette notation. La demande en bons du Trésor américain n’a pas descendu, de sorte que les États-Unis peuvent prêter au même taux que l’Allemagne. Cela ne va encourager la FED à faire de la lutte contre l’inflation une priorité. Au contraire, un peu d’inflation serait plus que bienvenu afin d’éponger la montagne de dettes. Le seul problème à cela est la difficulté de doser l’inflation.

    Zone euro : priorité à l’austérité

    27. La visite du ministre des finances américain Timothy Geithner au sommet européen de Wrocław n’a pas été extrêmement bien reçue. Geithner était là pour avertir l’Europe. Il aura remis en mémoire le glissement incontrôlable de Lehman Brothers jusqu’à la faillite, pour convaincre l’UE d’abandonner les spéculations sur la banqueroute de l’État grec. Il y a aussi plaidé en faveur d’un large élargissement du fonds de stabilité européen, qu’il fallait selon lui quadrupler. Les dirigeants des États-Unis craignent une nouvelle crise de l’économie mondiale, cette fois avec d’encore plus grandes conséquences que pendant la Grande Récession, déjà aussi parce que les Banques centrales et les États au cours de la précédente récession ont déjà épuisé toutes leurs munitions. Il y a apparemment plaidé en faveur d’une injection ferme et résolue de moyens afin de tuer dans l’oeuf la crise de la dette.

    28. Pour l’Europe, cela est cependant encore plus difficile que l’assainissement du budget aux États-Unis ou que la rehausse de la consommation des particuliers en Chine. Les politiciens européens sont également partagés quant à la manière de combattre la crise au mieux. Aux États-Unis domine pour le moment la tendance qui veut mettre la priorité sur la croissance plutôt que sur l’austérité. Mais il ne faut pas s’étonner que les rapports de force en Europe soient tout à fait opposés. La tendance qui veut donner la priorité à l’austérité “afin de soutenir la croissance de manière structurelle” y est dominante. Ce n’est guère surprenant. La zone euro est une union monétaire, mais pas une union fiscale ni politique. Elle consiste en 17 pays qui ont tous leur propre bourgeoisie, leur propre gouvernement et leurs propres intérêts. À qui rapporte le fait que la priorité soit mise sur la croissance ? Aux récipiendaires directs. Et à qui est-ce que ça rapporte qu’on ait des économies d’abord, avant les dépenses ? Les payeurs nets. Ces derniers sont les pays les plus forts, qui sont dominants dans la détermination de la politique de la zone euro et de la BCE.

    29. Le PSL et le CIO ont toujours été d’avis que l’unification européenne n’est pas possible sur une base capitaliste. Nous sommes également depuis longtemps convaincus du fait qu’une récession économique mettrait une croix sur le projet d’une monnaie unique européenne, même avant que l’euro n’arrive en existence. Les unions monétaires ne sont pas quelque chose de nouveau. Les pays insulaires autour de l’Australie utilisent le dollar australien et il existe encore quelques anciennes unions monétaires coloniales, telles que le franc CFA. D’autres unions monétaires ont existé par le passé sur une base volontaire entre des États plus ou moins comparables. L’Union monétaire scandinave par exemple, qui a duré de 1873 à 1914. Ou l’Union latine, à partir de 1865 entre la Belgique, la France, la Suisse et l’Italie, qui a ensuite été rejointe par l’Espagne et la Grèce, et enfin par la Roumanie, la Bulgarie, la Serbie, Saint-Marin et le Venezuela (entre autres). Cette union a tenu jusqu’en 1914, bien qu’elle n’ait été officiellement dissoute qu’en 1927. Nous pensions cependant que la conjoncture économique, cette fois, exclurait complètement l’idée d’une nouvelle union monétaire. Nous nous sommes trompés. Nous restons néanmoins convaincus que la crise va à un moment donné faire éclater la zone euro, mais pas au point d’avant l’introduction de l’euro.

    30. Les bourgeoisies nationales d’Europe n’ont jamais eu l’intention, ni avec l’Union européenne, ni avec la zone euro, d’unifier les peuples d’Europe par la paix. Cela n’a jamais été que de la rhétorique, derrière laquelle était caché la signification réelle, c’est-à-dire la création de leviers pour la maximalisation du profit et de la casse sociale. C’est évident, la réalité de la division du travail croissante et le besoin de devenir plus fort dans la concurrence avec d’autres blocs commerciaux aura joué, mais jamais jusqu’au point où cela irait au prix des intérêts nationaux particuliers. Le traité de Nice et plus encore celui de Lisbonne ont en tant que but de faire de l’Europe la région la plus compétitive au monde. C’était sans doute l’intention de laisser converger petit à petit les économies nationales, même si les normes de Maastricht et le pacte de stabilité qui ont été institués à cette fin ont été abusivement utilisés par les politiciens nationaux pour rejeter sur eux la responsabilité de la politique nationale. La plupart des pays n’ont jamais atteint les conditions requises par les normes de Maastricht, encore moins du pacte de stabilité, et la Belgique non plus.

    31. Jusqu’à avant la crise de la dette, les économistes étaient convaincus que la convergence était un fait. Ils voyaient les caractères communs superficiels, mais pas les contradictions croissantes sous la surface. Ils voyaient surtout ce qu’ils voulaient voir. En 2006, Marc De Vos, de l’agence Itinera, écrivait dans une carte blanche dans De Tijd : « L’Irlande nous apprend qu’une relative inégalité de revenu est le prix à payer pour une expansion économique rapide, dont néanmoins tout le monde, y compris les pauvres en termes absolus, s’enrichit ». De Vos ne raconterai plus aujourd’hui de telles sornettes de la même manière, mais en ce temps-là, il était complètement aveuglé par l’expansion économique. Dans notre réponse dans les textes de notre Congrès de 2006, nous indiquions déjà une contradiction que lui-même n’allait découvrir que quelques années plus tard : « … le symptôme spécifique par lequel l’Irlande depuis des années a connu un taux d’intérêt réel négatif. Le taux d’intérêt est il est vrai défini par la Banque centrale européenne et se trouve depuis des années sous les chiffres de l’inflation irlandaise. Le crédit extrêmement bon marché est indirectement financé par un grand afflux de capital étranger ». À cela, nous ajoutions : « Une profonde récession sur le plan mondial fera cependant éclater l’économie artificiellement gonflée de l’Irlande (du Sud) ».

    32. Aujourd’hui, tout le monde reconnait que les contradictions n’ont pas diminué, mais plutôt augmenté. Avec la politique du bas taux d’intérêt qu’ont exigé de la BCE les pays à la plus forte économie, d’énormes bulles immobilières et paradis fiscaux ont été créés dans la périphérie, ce qui ailleurs a été utilisé pour casser les acquis sociaux et mettre sur pied des secteurs à bas salaires. Le fait que cette bulle se viderait à un moment donné, cela fait des années que les socialistes le prédisent. Les spreads, la différence de coûts que doivent payer les Etats nationaux pour pouvoir emprunter, n’ont jamais été aussi grands. Dans Le Soir, le professeur d’économie Paul De Grauwe (KUL) expliquait qu’il s’était trompé. Au sujet d’un pays qui adhérait à une union monétaire, il dit : « Nous avions toujours pensé que ce pays devenait plus fort, mais non ! » L’Espagne a un plus petit déficit budgétaire et une plus petite dette que le Royaume-Uni, mais ce dernier peut financer sa dette à 2,52% sur dix ans, tandis que l’Espagne doit le faire pour deux fois ce prix. Cela vient, selon De Grauwe, du faite que la Banque centrale britannique peut si besoin est imprimer de l’argent elle-même afin de satisfaire à ses obligations, mais l’Espagne dépend pour cela de la BCE.

    Tragédie grecque

    33. Les pays en-dehors de la zone euro peuvent stimuler l’exportation par la dévaluation de leur propre monnaie. Qui se trouve dans la zone euro est condamné à la “dévaluation interne”, un terme à la mode pour dire “casse sociale”. Il n’y a entre temps plus un seul pays de la zone euro qui n’est pas en train d’assainir. Les uns parce qu’ils ont dû faire appel à l’aide de la “troïka” de la Commission européenne, de la BCE et du FMI, les autres pour pouvoir éviter d’avoir à faire un tel appel. Les plans d’austérité dure doivent diminuer les déficits budgétaires et améliorer la compétitivité, mais ça ne marche pas. Ils sapent au contraire le pouvoir d’achat par la baisse des salaires, les attaques sur toutes les allocations sociales, la hausse du chômage et dans la plupart des pays une hausse des impôts directs sur les biens de consommation. Cela touche à son tour la petite bourgeoisie, les entreprises de distribution et les entreprises qui sont orientées vers le marché interne de chaque pays. Les véritables investisseurs sont découragés d’investir, les spéculateurs qui espèrent des rachats d’entreprises (d’État) sont encouragés. Avec la vente urgente des entreprises d’État, on perd des revenus annuels fixes en échange d’une cacahouète. Les revenus des impôts se ratatinent, et les dépenses sociales augmentent, car de plus en plus de gens y font appel.

    34. Les pays qui sont mis sous curatelle de la troïka partent directement dans une spirale de croissance négative. Dans le deuxième trimestre de 2011, l’économe grecque s’est contractée de 6,9% par rapport à l’année précédente. Le déficit budgétaire va apparaitre de 8,5% au-dessus de l’objectif de la troïka. À quoi d’autre peut-on s’attendre ? Le revenu moyen des ménages a été diminué de moitié l’an passé. Le pays menace à tout moment de faillite. Lorsque la Grèce a reçu le premier paquet de sauvetage de 110 milliards d’euro qui lui avait été promis, c’était afin d’éviter le défaut de payement sur le prêt d’État de 8 milliards d’euro devant être payé le 19 mai 2010. C’était le plus grand paquet jamais vu. Entretemps, le taux d’intérêt auquel cet emprunt a été mis à disposition de la Grèce a été diminué, et le délai de payement a été doublé. Néanmoins la Grèce a dû être soutenue une bonne année plus tard avec la promesse d’un nouveau paquet.

    35. Cette fois, il s’agit de 109 milliards d’euros. À compléter avec une contribution théorique du secteur financier via un échange d’obligations volontaire par lequel les détenteurs d’obligations grecques devraient accepter une “tonte” de 21%, d’une valeur totale de 37 milliards d’euro. Pour les banques, c’est une bonne affaire, mais pour l’État grec, cela ne va pas énormément arranges son problème de dette. Ses obligations sont il est vrai déjà maintenant échangées sur le marché secondaire à moins de 50% de leur valeur nominale. Et même avant que ce nouveau plan soit accepté par les parlements nationaux des pays de la zone euro, la Grèce est cependant de nouveau au bord du défaut de paiement. Les analystes supposent que la question n’est plus de savoir si la Grèce va vers la faillite, mais de savoir à partir de quand elle le sera.

    36. Lorsque cela se produira, les conséquences en seront catastrophiques. L’État ne pourra plus prêter ses prêts et allocations, ou alors de manière extrêmement réduite. Les factures ne seront plus payées, ou alors pas avant de longs délais. Par le non-paiement (complet ou partiel) des dettes, le pays se verra dépourvu de liquidités. Le secteur financier entrera en faillite, tout comme de nombreuses entreprises. Les pensions, aussi bien celles des pensionnés actuels que celles des futurs pensionnés, seront fortement minées. Les investisseurs tenteront de quitter le pays. Les épargnants tenteront de récupérer leur argent. Il y aura un raid sur les banques. Des troubles sociaux, mais certainement aussi des pillages seront à l’ordre du jour. Lorsque l’Argentine a fait faillite en 2001, des dizaines de gens sont morts dans des émeutes, l’état d’urgence a été instauré et la situation n’a finalement pu se stabiliser qu’après que la monnaie soit tombée à 25% sous sa valeur.

    37. Pour quelques économistes, c’est là le seul scénario possible, et il vaut peut-être mieux le commencer tout de suite parce que le cout social et économique n’en sera autrement que plus grand. Nouriel Roubini plaide en faveur d’une faillite et d’un départ de la zone euro, dans l’espoir qu’une forte dévaluation rétablisse la compétitivité à terme. Remonter le temps n’est cependant pas sans un certain cout. Quitter la zone euro est différent que de ne jamais y avoir adhéré. Qui va financer les dettes si la Grèce introduit sa propre monnaie ? Maintenant elles s’élèvent déjà à 142% du PIB. Ces dettes sont surtout en euro. Si la drachme est réintroduite, et qu’on a comme on s’y attend une dévaluation de 60% par rapport à l’euro, la dette sera soudainement équivalente à 230% du PIB. Il faudra alors des mesures encore plus drastiques afin d’éviter un raid sur les banques et imposer des contrôles de capital. Les entreprises avec des prêts dans le pays entreront en faillite. Les produits importés deviendront plus chers et le niveau de vie des familles sera encore plus réduit. Sur une base capitaliste, il n’y aura à ça non plus aucune réponse.

    38. Certains plaident en faveur d’une reconversion des obligations nationales en obligations européennes, dans l’espoir de décourager les spéculateurs. L’idée est de répartir le risque en empaquetant ensemble les bonnes et les mauvaises obligations d’État, un peu comme ce qui avait été fait avec les hypothèques foireuses. On craint cependant le célèbre dégât moral, par lequel la pression en faveur d’une discipline budgétaire diminue et le nombre de mauvaises obligations d’État après un certain temps entraine avec elles les bonnes vers le bas. Au lieu de répartir en tant que tel le risque jusqu’à ce qu’il n’en reste plus, cela détériorerait au contraire les bons emprunts, comme on l’a vu en 2008 avec les subprimes. D’autres espèrent pouvoir limiter cela en transformant seulement 60% de ces dettes d’État en obligations européennes. Mais cela aussi ne résoudrait rien du tout, car les spéculateurs continueraient à spéculer en pourcentage au-dessus de 60%. Les pays les plus forts de la zone euro s’opposent à l’introduction d’obligations européennes. Pour reprendre les mots de Karel Lannoo dans Knack : les obligations européennes sont le point de conclusion d’une union fiscale et politique, pas le point de départ.

    Payer ou se séparer

    39. Paul de Grauwe, selon ses propres mots, dit ne rien comprendre. « Nous disposons des moyens », dit-il, « la BCE peut imprimer de l’argent autant qu’elle veut ». Cela ne causera pas d’inflation, ajoute-t-il. Mais les pays forts de la zone euro ne sont pas prêts à cela. À part le fait qu’ils abandonneraient également ainsi le contrôle sur la politique monétaire, joue à nouveau le fait que cela enlèverait la pression pour remettre de l’ordre dans les budgets. Le problème le plus important est cependant réellement le danger de l’inflation. Il est vrai que le simple fait d’imprimer de l’argent ne mènera pas immédiatement à une forte inflation. Après tout, l’inflation se produit du fait que la quantité d’argent en circulation grandit plus vite que la quantité de biens et de services disponibles. Cette quantité n’est pas seulement définie par la quantité d’argent dans la société, mais aussi par la rapidité avec laquelle cette quantité d’argent change de propriétaire. Quand l’argent est retenu par les épargnants, les investisseurs en actions comme au début de ce siècle lorsque a eu lieu le phénomène de l’inflation du prix des actifs, ou quand les entreprises qui l’entassent sans le dépenser, alors cet argent ne va pas vers l’économie réelle et n’a aucun ou quasi aucun effet sur l’inflation.

    40. Une comparaison avec le mouvement actuel du prix du pétrole, et de manière plus large de toutes les denrées énergétiques, clarifie cependant ce que l’effet pourrait être d’une création large d’argent par la BCE. À chaque fois que la croissance économique stagne, le prix du pétrole diminue, par lequel il existe un espace pour respirer. Mais dès que l’économie repart à la hausse, le prix du pétrole remonte à nouveau, par lequel la croissance est entravée. Le même peut se produire avec une trop grande hausse de la quantité d’argent. À chaque fois que l’économie stagne, le danger de l’inflation laisse la place à un danger de déflation, mais aussitôt que l’économie repart et que l’argent recommence à rouler, une trop grande quantité d’argent peut mener à une explosion d’inflation. La Chine a maintenant déjà à se battre contre une inflation galopante. Les politiciens allemands gardent encore toujours un traumatisme dû au souvenir de l’hyperinflation pendant la république de Weimar. En outre, le souvenir plus réaliste de la stagflation des années ’70 est encore plus frais dans la conscience.

    41. Le lecteur critique peut interjeter que la création d’argent aux États-Unis n’a tout de même pas mené à une inflation hors de contrôle. Nous avons déjà attiré l’attention sur le fait que les États-Unis, en opposition à la zone euro, sont un État-nation avec une bourgeoisie nationale qui non seulement dispose de sa propre monnaie, mais aussi d’une unité politique et fiscale. En outre, les réserves en dollars existent déjà et elles sont réparties à travers le monde entier. Une création d’argent comparable dans la zone euro est facilement une de trop, aussi pour la Chine ou d’autres pays avec d’importantes réserves de valeurs. En 2012, la zone euro doit refinancer 1700 milliards d’euro, dont un quart par la France, 23% par l’Italie, 19% par l’Allemagne et 20% par l’Espagne, la Grèce, l’Irlande et le Portugal tous ensemble. Selon la Deutsche Bank, la Chine pourrait investir pour un montant de 175 milliards d’euro dans des titres de dette européens, soit “une goutte d’eau sur une assiette chaude”.

    42. Le 21 juin, il a été décidé d’élargir la disponibilité du fond de stabilité européen. La hausse espérée des moyens pour le fonds d’urgence est cependant demeurée lettre morte. Juste fin septembre, le parlement allemand a voté l’élargissement déjà décidé auparavant de sa contribution pour les garanties du fonds de stabilité européenne. Ainsi, le fonds dispose maintenant finalement des 440 milliards d’euro annoncés depuis janvier. Pour faire face à une faillite grecque, voire à une infection à d’autres pays européens, cela est largement insuffisant. La Chine et les États-Unis appellent à un élargissement du fonds à 2000 milliards d’euro. Cela illustre le fait qu’ils prennent au sérieux une faillite de la Grèce et ne croient pas en l’illusion que l’on peut placer la Grèce en quarantaine. Malgré la position “unique” de la Grèce, qui a déjà reçu pour 250 milliards d’euro, la crise de la dette des États s’est étendue à l’Irlande, qui a reçu un prêt d’urgence de 86 milliards d’euro, et au Portugal, avec un prêt de 78 milliards d’euro. L’Espagne qui a elle seule autant de dettes (637 mld €) que l’Irlande (148 mld €), la Grèce (328 mld €) et le Portugal (161 mld €) réunis, tente désespérément de rester à flot avec l’aide de la BCE. Si l’Italie, avec une dette (1842 mld €) trois fois plus grande que celle de l’Espagne, venait à glisser, alors même quadrupler le fonds d’urgence ne suffira plus. Comment vont-ils faire accepter cela aux 17 parlements de la zone euro ?

    43. Il y a la menace d’une nouvelle crise bancaire. Les banques françaises sont pour plus de 600 milliards d’euro exposées aux PIIGS, les banques allemandes, britanniques et américaines pour chacun de ces pays, pour environ 500 milliards d’euro. La base du capital des banques européennes a été renforcée après la crise de 2008, mais pas de la manière dont cela a été fait aux États-Unis. La plupart n’avaient pas calculé qu’elles allaient devoir renoncer à leurs obligations d’État grecques. Si demain cependant aussi les obligations espagnoles et italiennes doivent être annulées, le fait que le fonds d’urgence puisse désormais être utilisé pour recapitaliser les banques aussi sera un maigre réconfort. Les bourgeoisies européennes se sont mises dans une situation à la “catch 22”. Abandonner l’euro serait une énorme saignée pour les entreprises qui sans nul doute présenteront la facture aux travailleurs et à leurs familles. Cela serait un énorme coup porté au prestige des bourgeoisies européennes et cela mettrait fin à la collaboration qui a eu lieu après la Deuxième Guerre mondiale. Cela saperait en outre la position à l’export des pays les plus forts de la zone euro. Mais le cout du maintien de la zone euro continue à augmenter, et la question est à partir de quand ce prix sera-t-il trop grand ?

    44. En fait, il existe déjà depuis quelques mois un très grand consensus sur le fait que la politique de la dévaluation interne ne fonctionne pas, mais qu’il n’y a pas d’alternative. En conséquence, on continue contre tout meilleur jugement dans la même politique. La plus jeune réalisation a été le vote au Parlement européen du fameux “sixpack”. Officiellement, cela est la réponse à la crise économique, mais on abuse de cette occasion pour institutionnaliser la politique de l’orthodoxie néolibérale. Les États-membres doivent dorénavant présenter leur budget aux institutions européennes avant de pouvoir les faire valider par leurs parlements nationaux. On peut imposer des entraves budgétaires et des plafonds de dette sont infranchissables. Qui les enfreint peut être sanctionné. En même temps, on discute cependant d’un détour pour pouvoir élargir le fonds d’urgence. Comme si on n’avait pas déjà fait assez de dégâts avec toutes ces manipulations financières, on veut y placer un effet de levier. La BCE prêterait des sommes d’argent illimitées à quiconque veut acheter les obligations d’État des pays faibles de la zone euro, avec les 440 milliards d’euro du fonds d’urgence en tant que garantie. De cette manière, on peut garantir pour quatre ou cinq fois plus d’euro en obligations d’État, et on espère contrer la spéculation contre les obligations d’Italie ou d’Espagne.

    45. On peut bien se demander à quoi ils sont occupés. En fait, ils continuent simplement à faire la même merde jusqu’à ce que la séparation inévitable et douloureuse ne se présente. C’est logique : sur base du capitalisme, il n’y a pas d’issue. Le problème fondamental est il est vrai que le marché capitaliste sous-utilise et contrecarre les capacités scientifiques et techniques. Nous devons libérer l’économie de la chasse au profit et la mettre au service de la société et de son cadre de vie et de travail, par la mise en propriété collective libre des secteurs-clés de l’économie et de la science, et par la planification démocratique. Le gouvernement qui fait cela, se ferait vraisemblablement jeter de la zone euro à coups de pieds au cul. Ce ne serait pas une autarcie délibérément choisie. Les jeunes et les travailleurs partout en Europe comprendraient bien vite que la bourgeoisie tente par là de les isoler de la seule alternative possible. Cela aurait l’effet exactement opposé.

  • Occupy Oakland : De l’occupation à la grève

    La question de la manière dont le mouvement Occupy va se développer est importante tant pour les 99% que pour les 1% et Occupy Oakland a illustré la meilleure manière d’aller de l’avant. L’avenir du mouvement aura des conséquences pour tout le monde et, comme le disait l’historien et militant américain Howard Zinn: ‘‘Il n’est pas possible d’être neutre sur un train en mouvement.’’

    Par Jente (Anvers), article tiré de l’édition de décembre-janvier de Lutte Socialiste (n°167)

    Une des revendications parmi les plus fréquentes du mouvement Occupy concerne l’accès à l’enseignement et quand, une journée à peine après une répression massive et brutale du mouvement Occupy, la ville d’Oakland (Californie) a décidé de fermer cinq écoles pour raisons budgétaires, les enseignants ont de suite rejoint le mouvement. Rester à l’écart n’était pas une option, cela aurait tout simplement signifié d’accepter les pertes d’emplois sans broncher.

    L’enseignement est aussi un thème important pour les vétérans de guerre. Ces derniers sont sensés obtenir des bourses d’étude, mais il est en réalité très difficile de pouvoir en bénéficier. Il leur est également difficile de trouver un emploi : le taux de chômage parmi les anciens soldats a augmenté pour dépasser les 30%. Leur risque de devenir sans-abris est deux fois plus élevé. Cela permet de comprendre pourquoi les vétérans rejoignent le mouvement Occupy et pourquoi ils ont joué un rôle dans le mouvement de masse qui s’est développé au Wisconsin il y a quelques mois.

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    • Comment les 99% de la population peuvent-ils prendre le contrôle de la société ?
    • #Occupy Wall Street : quand l’Amérique s’indigne !
    • Etats-Unis : Quel avenir pour le mouvement ‘Occupy’ ?
    • USA : Non à la dictature de Wall Street !
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      La manifestation d’Occupy Oakland du 25 octobre a été très brutalement réprimée, afin de tenter de stopper les actions par l’intimidation et la violence, sous prétextes de faits isolés alimentés par la désinformation. Les 1% ont tout intérêt à stopper le mouvement. En s’opposant au pouvoir de ces 1%, le mouvement s’oppose à leur soif de profit, cette avidité étant le socle sur lequel ce système est construit.

      L’assemblée générale qui a suivi ces faits a riposté en votant massivement pour un appel lancé aux syndicats pour une grève générale à Oakland, la première aux Etats-Unis depuis 1946, grève générale qui s’était d’ailleurs tenue… à Oakland. Avec le soutien de différents syndicats, plus de 20.000 manifestants se sont rassemblés à l’endroit où la manifestation de 1946 avait commencé. Le cinquième port des Etats-Unis a ensuite été bloqué par les milliers de personnes qui occupaient les rues.

      Conséquence du résultat enthousiasmant de cette action de masse : de nombreux participants sont désormais convaincus de la nécessité de développer consciemment la lutte comme une véritable lutte de classe contre le capitalisme, basée sur la force de la classe des travailleurs. Il est crucial de suivre partout l’exemple d’Oakland et de s’orienter vers la base du mouvement organisé des travailleurs. Il est alors possible de lutter pour une alternative au capitalisme, le socialisme démocratique.

      Personne ne peut rester à l’écart de cette lutte. Comme le disait en son temps la révolutionnaire allemande Rosa Luxemburg, le choix face à nous est limité à ‘‘socialisme ou barbarie’’.

  • #Occupy Wall Street : quand l’Amérique s’indigne !

    Depuis le 17 septembre, jeunes, travailleurs et militants occupent une place à deux pas de la bourse de Wall Sreet, contre la dictature des banques et des patrons, sous le slogan: ‘‘nous sommes les 99 % qui ne tolèrent plus l’avidité et la corruption des 1 % restant’’. Les références du mouvement étaient claires dès les origines : les mouvements de masse en Espagne, en Grèce, en Tunisie et en Egypte. Le 24 septembre, une première manifestation a eu lieu, d’un millier de personnes, rapidement réprimée par les forces de l’ordre. Mais cette tentative de clouer le bec au mouvement a été un cuisant échec et a en réalité mis le feu aux poudres !

    Par Olivier (Liege), article tiré de l’édition de novembre de Lutte Socialiste

    Très vite, tandis que de plus en plus de gens s’intéressaient à #Occupy Wall Street, les ‘‘#Occupy’’ se sont répandus dans tout le pays (#Occupy Chicago, #Occupy Madison,…) et des milliers d’Américains ont rejoint le mouvement. Très vite aussi, les syndicats ont apporté leur soutien et ont marché côte-à-côte avec ‘‘Indignés de Wall Street’’ et d’ailleurs.

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    Cela faisait déjà longtemps que la colère se développait au sein de la population. Pendant longtemps, il semblait que seule la droite extrêmement réactionnaire du Tea Party en était l’illustration. Mais, début de cette année, un mouvement de masse a pris place au Wisconsin contre des attaques sur les droits syndicaux et contre l’austérité, illustrant à la fois que la ‘‘lune de miel’’ d’Obama avec la population était terminée, et que la colère contre la politique pro-capitaliste commençait à chercher une expression. La rapidité avec laquelle #Occupy Wall Street a fait des émules en est une nouvelle illustration.

    Comme en Espagne, ce mouvement a pris par surprise les directions syndicales, dont le manque de volonté d’organiser la lutte est responsable de l’échec des protestations véritablement massives du Wisconsin, et les politiciens. Certains ont eu des réactions frôlant le ridicule, comme le candidat aux primaires du Parti Républicain Herman Cain qui a déclaré : ‘‘Cessez d’accuser Wall Street ou les grosses banques, si vous n’avez pas de travail et que vous n’êtes pas riche, c’est de votre faute.’’ Mais d’autres tentent de récupérer le mouvement, comme le président Obama qui dit soutenir le mouvement ou comme différentes personnalités du Parti Démocrate qui ont été jusqu’à se montrer à quelques manifestations ! Mais les Démocrates et les Républicains ne sont que les deux facettes d’une même médaille, celle du soutien au monde de la finance et à Wall Street.

    De nombreux défis

    A côté du défi de la récupération par des personnalités pro-capitalistes, le mouvement a face à lui de nombreux obstacles à surmonter. Pour l’instant, dans les diverses villes américaines, la répression n’a fait que renforcer la détermination des militants et attirer l’attention de couches plus larges de la population. Il faut maintenant s’assurer que ces couches larges s’impliquent activement et réellement dans la lutte et, pour cela, adopter des revendications claires concernant l’emploi, les expulsions de logement, la défense des services publics comme l’enseignement ou les soins de santé,… Les assemblées populaires sont des endroits extraordinaires pour discuter de ces revendications et pour organiser la lutte en dépassant les freins que peut représenter la bureaucratie syndicale.

    En de nombreux endroits, notamment à New York, les syndicats ont rejoint le mouvement à des degrés divers. Cette orientation vers le mouvement organisé des travailleurs doit être favorisée et amplifiée. Le rejet des directions syndicales peut se comprendre, mais la base veut bouger et lutter.

    De nombreux militants se réfèrent à l’Égypte et à la Tunisie en disant que ce sont les occupations de places qui ont fait fuir les dictateurs, mais les choses sont un peu plus complexes. L’élément déterminant a été l’implication de la classe ouvrière. Ce n’est pas un hasard si le jour où Moubarak et Ben Ali sont tombés étaient des journées de grève générale en Egypte et en Tunisie.

    Les occupations doivent s’étendre à travers le pays, y compris vers les écoles, les lieux de travail et les collectivités. En organisant des manifestations de masse le week-end contre les coupes dans les services sociaux et en défendant un programme basé sur la création d’emplois, la fin des guerres, des coupes massives dans le budget militaire, pour la défense des droits syndicaux et des droits démocratiques,… il est possible d’impliquer des couches très larges de gens qui ne sont pas encore impliqués dans l’activité politique.

    Nos camarades de Socialist Alternative (section du CIO aux USA) proposent également de construire une semaine d’action nationale du 16 au 23 novembre (lors d’une réunion du Congrès destinée à discuter de coupes budgétaires) comme étape vers l’organisation d’actions plus larges. Ils défendent aussi que le mouvement propose ses propres candidats en 2012, anticapitalistes et issus de la classe ouvrière, afin de s’opposer aux politiques des deux partis de Wall Street et comme une étape vers la constitution d’un nouveau parti des 99%, un parti des travailleurs de masse. C’est la seule manière d’assurer que le mouvement ne soit pas récupéré tout en lui assurant un écho plus puissant encore.

  • Etats-Unis : Quel avenir pour le mouvement ‘Occupy’ ?

    Quelle devrait être la prochaine étape à franchir pour le mouvement?

    Cet article a été initialement publié le 28 octobre dernier sur le site de Socialist Alternative, les partisans du Comité pour une Internationale Ouvrière aux USA. Depuis lors, un sondage d’opinion a montré que 59% des sondés étaient entièrement ou fortement en accord avec les revendications d’Occupy Wall Street (Financial Times, Londres, 31 Octobre, 2011)

    Ty Moore, Socialist Alternative (CIO-USA)

    ‘‘Nous sommes en train de gagner. Bien sûr, nous n’avons pas pris les institutions gouvernementales en main, ni même n’avons gagné de réformes concrètes ou à venir avec des institutions solides pour défendre nos acquis. Nous ne sommes même pas près d’en finir avec la lutte ou avec la création du monde dans lequel nous voulons vivre. Mais – aux côtés des révolutionnaires à travers le monde – nous avons contribué à libérer le potentiel caché et endormi de millions de personnes, prêtes à croire à nouveau qu’il existe une alternative’’, a expliqué Yotam Marom, un des principaux organisateurs de l’occupation de Wall Street (Alternet.org, 13 Octobre, 2011).

    ‘‘Notre mouvement est composé de gens qui luttent pour des emplois, des écoles, l’allégement de leur dette, des logements équitables et pour de bons soins de santé. Nous résistons à la destruction écologique, à l’impérialisme, au racisme, au patriarcat et au capitalisme. Et cela, nous le faisons tous de façon participative, démocratique, féroce et inébranlable.’’

    En quelques semaines, le mouvement ‘Occupy’ a changé la face de la politique américaine. Bien plus de 100 villes connaissent actuellement des occupations, et des militants prévoient des occupations ou des actions de solidarité dans plus de 1.000 autres. Des centaines de milliers de personnes ont participé aux manifestations. Des millions de travailleurs se sont clairement identifiés à ces fameux ‘99%’ qui s’opposent au 1%, et ont été inspirés par la position audacieuse adoptée contre Wall Street et le système politique contrôlé par les entreprises.

    Dès les premiers jours du mouvement, les membres de Socialist Alternative ont énergiquement aidé à organiser les occupations dans les villes où ils étaient présents, en faisant des propositions concrètes pour des actions de sensibilisation, etc. Nous avons ajouté nos voix aux cris proclamant ‘‘qu’un autre monde est possible", en soulignant fortement le fait que cela exigeait une transformation de la société vers le socialisme démocratique.

    Aujourd’hui, aux côtés de nombreux autres dans le mouvement, nous sommes aux prises avec cette question cruciale : que faire maintenant ?

    Quelle prochaine étape?

    Premièrement, nous devons reconnaître que, tout d’un coup, nous sommes devenus une force avec laquelle il faut compter. L’establishment politique et médiatique a tout d’abord tenté d’ignorer les occupations, puis de les discréditer, et ensuite de physiquement les réprimer. Mais maintenant, chaque institution de la classe dirigeante, de la campagne présidentielle d’Obama au Tea Party, essaye de réorienter sa stratégie politique pour répondre à cette explosion sociale.

    Notre succès pour briser le black-out des médias et pour gagner un large soutien pour notre mouvement a également attiré l’attention du Parti Démocrate. Avec le début la campagne présidentielle, les Démocrates courtisent le mouvement. Obama nous a offert de belles paroles, tout en quémandant en même temps des millions de dollars de Wall Street pour sa campagne. Nous devons être bien clairs : le Parti Démocrate n’est pas l’ami des mouvements sociaux. Ils ne nous tendent la main que pour s’attirer le mouvement et pour canaliser nos énergies vers leur campagne électorale pro-capitaliste.

    Nos amis sont ailleurs, avec les autres mouvements sociaux, et plus particulièrement le mouvement ouvrier. Le mouvement d’occupation doit construire des liens plus étroits avec les luttes sociales et économiques. Nous devons relier les étudiants sur les campus universitaires aux préoccupations des travailleurs et des pauvres qui souffrent tous de cette récession économique dévastatrice.

    Le 15 octobre dernier, la journée d’action internationale a attiré plus de 25.000 manifestants à Manhattan, et un nombre encore plus grand à travers l’Europe. Maintenant, Adbusters – le magazine qui a lancé l’appel d’Occupy Wall Street – propose des protestations mondiales le 29 octobre pour revendiquer une "taxe Robin des bois" sur les transactions financières. [Cet article a été publié le 28 octobre, NDLR]

    De tels appels pour une action coordonnée autour de points de revendication clairs et précis vont dans la bonne direction. Mais, tandis que la ‘‘taxe Robin des Bois’’ peut être une idée populaire chez les militants. Mais pour attirer les travailleurs et les jeunes – dont la colère s’ancre profondément dans les coupes budgétaires, le chômage, l’endettement des étudiants, les saisies de logements, les soins de santé, etc. – et parvenir à avoir des protestations beaucoup plus grandes, le mouvement doit se positionner clairement contre l’austérité brutale en cours d’élaboration au Congrès

    En fait, le Congrès et Barack Obama nous donnent involontairement un point de ralliement idéal à destination d’unifier le mouvement Occupy et d’approfondir le soutien actif que nous avons dans les diverses communautés des travailleurs les plus touchés par les coupes d’austérité.

    Après des années de compressions budgétaires sévères au niveau de l’Etat et au niveau local, désormais, le Congrès et Barack Obama se préparent à des coupes historiques dans la sécurité sociale fédérale. Le 23 novembre, un ‘Super Comité’ bipartite décidera du sort de centaines de milliards de dollars pour les programmes sociaux dont dépendent les personnes âgées, les malades, les pauvres, les étudiants, les travailleurs, les femmes, etc. La sécurité sociale, les soins de santé, le financement de l’éducation et d’autres programmes vitaux sont en pleine ligne de mire.

    Occupy Congress!

    Ces coupes budgétaires historiques exigées par les grandes banques et les grands actionnaires constituent la plus grande menace face à nous et face à la classe ouvrière américaine. Si l’ensemble du mouvement Occupy – y compris les syndicats – s’opposent résolument à ces attaques impopulaires et recourent aux tactiques d’action de masse et de mobilisations dans les communautés de travailleurs, il est possible de réduire considérablement l’impact de ces attaques, voire même de les vaincre. Imaginez ce que cela donnerait si, à travers le pays, des assemblées générales Occupy appellent les syndicats du secteur public et les groupes d’étudiants à organiser une action coordonnée de grève nationale contre les coupes, comme les assemblées l’ont fait en Grèce ! Même si de nombreux dirigeants syndicaux ont déjà refusé d’aller plus loin, le niveau de colère est tel que les travailleurs du rang, dans de nombreux secteurs, pourrait organiser elle-même les masses, comme les enseignants du Wisconsin l’ont fait le printemps dernier.

    Imaginez ce que cela donnerait si le mouvement Occupy lancerait un appel à ‘‘Occuper le Congrès’’, à occuper les bureaux locaux des membres du Congrès à moins qu’ils ne signent un engagement à voter contre toutes les coupes proposées, en combinaison de manifestations, de pétitions, de meetings, d’actions,…

    Il y a déjà une semaine d’action ‘‘Jobs Not Cuts’’ (Des emplois, pas de coupes) pour la semaine du 16 au 23 novembre, qui a reçu le soutien de personnalités telles que Noam Chomsky, mais aussi de syndicats, d’organisations locales, de Socialist Alternative et d’autres (voir JobsNotCutsProtest.org) Nous encourageons les assemblées générales Occupy à entériner ces actions et à orienter le mouvement vers une opposition active à ces coupes.

    Soutenir cette campagne n’aura pas pour seul avantage de faire le lien entre le mouvement Occupy et la lutte, plus large, contre les coupes, cela aura l’avantage supplémentaire d’exposer davantage au grand jour le rôle du Parti Démocrate dans la promotion de ces coupes budgétaires. Ainsi, il sera plus difficile pour les Démocrates de tenter de récupérer l’énergie du mouvement pour sauver leurs candidats aux élections de 2012. Il sera important de miser sur l’énergie de cette lutte anti-coupes pour aller vers la présentation d’une réelle alternative pour les électeurs en 2012, en présentant des candidats anti-coupes indépendants, dans le cadre de la construction d’un nouveau parti politique pour et par les 99%.

    Afin de maintenir notre élan, nous devons apprendre à nous adapter rapidement. Nous avons déjà changé le paysage politique de telle manière que le simple fait de répéter les tactiques et les slogans qui ont donné naissance aux occupations ne sera pas suffisant pour soutenir le développement du mouvement. Des millions de personnes se tournent vers nous afin de fournir un moyen concret d’aller de l’avant, de montrer un chemin vers un changement réel.

    Exiger des réformes des institutions capitalistes ne signifie pas de mettre de côté les aspirations radicales du mouvement Occupy. En fait, notre tâche est d’expliquer que les réformes véritables sont toujours les produits de la lutte des masses, menaçant le pouvoir de la classe dirigeante. Nous avons déjà fait peur aux élites politiques et aux géants du capital. Si nous pouvons continuer à élargir notre influence, à coordonner nos actions et nos revendications et à fournir une stratégie claire pour toutes les couches de la société américaine prêtes à entrer dans la lutte, le sentiment que nous sommes «gagnant» va prendre chair et d’os.

    • Il faut étendre les occupations à travers le pays et vers les écoles et les collectivités. Nous avons besoin d’une campagne de masse pour mobiliser les couches larges de travailleurs, de jeunes et la base syndicale et les impliquer dans la lutte.
    • Organisons des manifestations de masse le week-end qui appèlent au retrait de toute coupe dans les services sociaux, à l’élaboration d’un programme massif de création d’emplois, à l’imposition de taxes sur les super-riches et le Grand Capital, à la fin des guerres, à des coupes massives dans le budget militaire et pour la défense des droits syndicaux et des droits démocratiques.
    • Construisons activement la mobilisation et la semaine d’action nationale du 16 au 23 novembre pour combattre le Super Comité du Congrès qui prévoit des coupes dans les services sociaux à hauteur de 1.500 milliards de dollars. Non aux pertes d’emploi !
    • ‘‘Occupy Congress’’: occupons massivement les bureaux locaux des membres du Congrès jusqu’à ce qu’ils ne signent un engagement à voter contre toutes les coupes antisociales proposées, avec également des manifestations, des pétitions, des meetings, des actions,…
    • Préparons-nous à proposer des candidats anticapitalistes issus de la classe ouvrière en 2012 pour s’opposer aux politiques des deux partis de Wall Street, en tant que première étape pour la constitution d’un nouveau parti des 99%, un parti des travailleurs de masse.
    • Non à la dictature de Wall Street! Plaçons les grandes banques qui dominent l’économie américaine sous propriété publique et gérons démocratiquement par l’élection de représentants des travailleurs et de la population. Des compensations pourraient être accordées aux petits investisseurs sur base de besoins prouvés, pas aux millionnaires.
    • Construisons le mouvement pour qu’il soit capable de remplacer ce système capitaliste pourri par le socialisme démocratique, pour créer une nouvelle société basée sur les besoins humains.
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