Tag: Wallonie

  • Pas de gouvernement de gauche en Wallonie. La faute au PTB ?

    Dans son interview du 6 août à la radio publique, le secrétaire général de la FGTB Wallonne Thierry Bodson a chargé le PTB et le CDH pour le retour aux affaires du MR dans les négociations wallonnes : ils ‘‘ont pensé à eux d’abord et pas aux gens d’abord’’. Le PTB porterait la responsabilité de l’échec de la formation d’un gouvernement de gauche en Wallonie comme le souhaitait la FGTB. Le PTB défend que l’absence de politique de rupture l’empêchait de participer. Thierry Bodson répond que le PTB aurait privilégié des calculs politiciens pour les prochaines élections au lieu de répondre aux demandes des jeunes, des travailleurs et des Gilets Jaunes qui ont manifesté. Cette idée rencontre un certain écho auprès de nombreux électeurs de gauche. Beaucoup d’autres estiment au contraire que le PTB a eu le courage de ne pas renoncer à son programme une fois aux portes du pouvoir.

    Par Boris (Bruxelles)

    La note remise au PS en Wallonie, ‘‘les lignes rouges du PTB’’, allait dans la bonne direction avec l’exigence de rompre avec les carcans austéritaires, le refus des partenariats publics-privés (PPP), la gratuité des TEC, la création de 40.000 logements sociaux, l’arrêt des exclusions du chômage, un pôle public de l’énergie et des investissements dans les services publics. Selon le PTB, les discussions avec le PS n’ont été qu’une mauvaise pièce de théâtre pour que le PS parvienne à justifier un futur accord avec le MR auprès de ses électeurs. Elio Di Rupo dément et y a répondu dans sa lettre envoyée à tous les membres du PS : ‘‘fin des partenariats publics-privés, davantage de logements publics, gratuité des TEC en Wallonie, (…), création d’un pôle public de production et de fourniture d’énergie, (…). Nous avons souligné ces convergences et la possibilité de former un noyau de propositions fortes constituant le cœur d’un futur accord de gouvernement. Les représentants du PTB n’ont rien voulu entendre.’’ Le PS est évidemment peu crédible à ce sujet après sa participation à toutes les politiques néolibérales passées. Aucune de ces propositions n’a d’ailleurs été reprise dans la note ‘‘coquelicot’’ commune avec ECOLO, une note où les services publics ‘‘ne sont pas cités une seule fois dans le texte’’ selon Thierry Bodson.

    Mais au lieu de quelques heures de discussions en coulisse, le PTB n’aurait-il pas mieux fait de prendre le temps, via des assemblées dans toutes les villes, d’impliquer le plus grand nombre possible de syndicalistes, de militants et d’électeurs dans un large débat public autour du programme et de la manière avec laquelle un gouvernement de gauche peut le réaliser ? Même en cas d’échec des négociations, cela aurait permis de préparer au mieux les mobilisations sociales à venir.

    La participation de syndicalistes au débat aurait même pu enrichir la note du PTB en y ajoutant, pour la fonction publique, les revendications d’un salaire minimum de 14€/h et la semaine de travail de 32h sans perte de salaire avec embauches compensatoires. Ces revendications figurent également dans le programme électoral du PS. Ne valait-il pas mieux en faire des conditions strictes pour un soutien de l’extérieur en faveur d’un gouvernement coquelicot tout en clarifiant que les élus PTB ne voteraient aucun budget d’austérité ?

    C’est vrai, nous ne devons pas nous bercer d’illusions sur les possibilités qu’un gouvernement minoritaire PS-ECOLO représente un véritable changement pour la vie des gens. Mais, si le PS avait accepté cette proposition, cela aurait pu aider à créer de l’enthousiasme pour développer la campagne de la FGTB ‘‘Fight for 14€’’ et la lutte pour remporter ce combat. Si au contraire le PS l’avait refusée, il aurait alors été évident aux yeux de tous que ce dernier choisissait délibérément de balancer par la fenêtre ses promesses électorales en matière de pouvoir d’achat une fois le scrutin passé.

    Le PTB a raison : un plan radical d’investissements publics répondant aux besoins sociaux nécessite de rompre les carcans budgétaires imposés par la Commission européenne et par le gouvernement fédéral. Beaucoup de gens ont été surpris que le PTB rompe les discussions pour un accord de gouvernement wallon sur cette question. Cela s’explique par le manque de préparation durant la campagne. Cette revendication figurait bien dans le programme du PTB, mais enfouie vers la fin de ses 252 pages et diluée parmi 840 autres revendications. Dans les tracts, la sortie des traités d’austérité européens était plutôt présentée comme un élément qui serait défendu par un député PTB dans l’enceinte du Parlement européen. Cela n’a d’ailleurs pas été mentionné par Raoul Hedebouw lorsqu’il énumérait les points de rupture du parti pour entrer en coalition avec le PS et ECOLO lors de ses meetings électoraux. Pendant les élections, seul le PSL a popularisé l’idée de briser les carcans budgétaires volontairement imposés autour de notre appel à voter en faveur du PTB.

    Le PTB émet aujourd’hui l’idée qu’un gouvernement de gauche en Wallonie ne saurait rompre avec ce carcan budgétaire s’il est soumis à un gouvernement de droite au Fédéral. Face à ce défi, un gouvernement de gauche en Wallonie devra prendre des initiatives audacieuses en vue de mobiliser le mouvement des travailleurs pour construire un rapport de force favorable tout en développant des liens solides avec le mouvement ouvrier en Flandre et à Bruxelles. Une telle approche préparerait le terrain pour un ‘‘gouvernement de la taxe des millionnaires’’ en Belgique, à condition de s’appuyer sur un programme de mesures socialistes.

  • Vers une recomposition du paysage politique en 2019

    Photo de Liesbeth

    Les résultats du sondage Dedicated Research, réalisé du 23 au 27 juin, ont été accueillis avec enthousiasme par de nombreux travailleurs et jeunes, y compris au camp d’été d’EGA et du PSL début juillet. Selon ce sondage, le PTB deviendrait le plus grand parti de Wallonie, progresserait fortement à Bruxelles et franchirait le seuil électoral en Flandre. Le PTB/PVDA deviendrait le plus grand groupe au Parlement fédéral avec 26 sièges, à pied d’égalité avec la N-VA. Cette recomposition du paysage politique pourra enflammer le parlement, orienter les débats politiques dans une direction différente et faire entendre la voix du mouvement des travailleurs bien au-delà du parlement.

    Par Eric Byl, édito de l’édition de septembre de Lutte Socialiste

    Ce n’était pas l’intention du MR quand il a commandé ce sondage. Il voulait mesurer l’impact électoral des scandales autour de Publifin et Samusocial, en espérant qu’il serait particulièrement mauvais pour le PS. C’est le cas, il plonge à 16%, la moitié de son résultat déjà médiocre de 2014. Mais ce n’est ni le MR (-2,6%) ni le CDH (-4,2%), dans les scandales jusqu’au cou, qui en bénéficient. Ecolo (+ 3,1%) et Défi vont de l’avant, mais c’est surtout le PTB et ses parlementaires au salaire d’un travailleur qui confirme et renforce la percée observée dans les sondages antérieurs.

    La fin de la stabilité

    Nous voyons ici encore que la conscience est habituellement en retard sur la réalité, qui ne progresse pas de manière linéaire mais par chocs, que l’histoire n’est pas le produit de l’évolution mais de la révolution en d’autres termes. L’époque où il était possible de masquer les contradictions de classe sur base de la croissance d’après-guerre est déjà loin. À cette époque, le parti interclassiste CVP pouvait encore se présenter comme l’architecte de la reconstruction, mais c’est devenu intenable au début des crises économiques en 1974-75 et cela explique les divisions politiques en Flandre. A la même période, la social-démocratie revendiquait la paternité de l’État-providence.

    Pendant longtemps, le PS semblait immunisé à la crise internationale de la social-démocratie. Il pouvait compter sur un réservoir de travailleurs combatifs qui étaient envoyés vers le PS par les dirigeants syndicaux et, en même temps, se profiler dans les gouvernements de coalition comme une opposition interne à la majorité flamande de droite. Il n’a pas été puni pour le clientélisme et l’enrichissement personnel, jusqu’à ce que Di Rupo dirige un gouvernement austéritaire et que le PTB, avec ses premiers élus, fournisse une alternative électorale à gauche.

    Ce sondage gêne également l’illusion développée par les dirigeants syndicaux selon laquelle le gouvernement Michel I serait presque automatiquement électoralement punis en 2019, après quoi la situation se ‘‘normaliserait’’ avec un gouvernement de centre-gauche. Au lieu de s’appuyer sur la force du mouvement des travailleurs, ils ont placé tous leurs espoirs dans leurs partenaires politiques traditionnels. Mais la N-VA prospère justement sur les frustrations créées par sa casse sociale. La repousser exige une force qui repose sur le mouvement unifié des travailleurs. Avec sa percée électorale, le PTB peut jouer un rôle important dans les deux régions du pays.

    Que Lutgen attendait son moment pour envoyer le cdH vers la droite, ce n’était pas vraiment une surprise. Le PS lui a offert cette opportunité sur un plateau d’argent. Avec la formation d’une majorité alternative de centre-droit en Wallonie, la reconduction du centre-droite au niveau fédéral est également plus palpable. C’est en soi une petite révolution que Michel ne doit pas à ses propres forces, mais à la faiblesse de l’opposition politique et sociale.

    Percée du PTB

    Mais, avec la progression du PTB, cette révolution est immédiatement éclipsée par une plus grande encore. Michel peut s’imaginer être premier ministre, peut prétendre que lui et son gouvernement ont créé des emplois et peut parler d’un printemps économique, tout cela est très fragile. La grande majorité de la population ne remarque rien, ou si peu, et croit que le gouvernement sert les riches et les classes moyennes supérieures. Le gouvernement a reporté l’équilibre budgétaire, mais il nous fera encore subir des économies considérables et une ‘‘réforme fiscale’’ favorable aux entreprises. Si à cela s’ajoute une nouvelle crise financière internationale, le ralentissement de la croissance européenne et, par conséquent, la baisse des exportations, ou encore une augmentation des taux d’intérêt sur la dette publique, cela causera des problèmes et le PTB pourrait encore accroitre son score électoral.

    Que le PTB mette en garde contre des attentes excessives est compréhensible. Mais une chance telle que celle-ci se présente rarement et si le PTB ne fait aucun effort pour la maximiser, l’élan peut passer. Les formules les plus réussies à l’étranger sont celles qui ont reposé sur des actions concrètes : Podemos en Espagne avec les Indignados, Sanders avec Occupy, Corbyn et Mélenchon avec des manifestations et meetings de masse. Ils ont généralement dû lutter contre la résistance des dirigeants syndicaux conservateurs qui ont soutenu Clinton, le PSOE espagnol et les adversaire de droite de Corbyn. Ce ne sera pas différent en Belgique.

    Chacun d’entre eux a opté, non pas sans opposition, pour une approche inclusive. La France Insoumise de Mélenchon a mis en place des groupes de soutien dans tout le pays, Podemos a participé à des listes de convergence de gauche aux élections locales, etc. Une approche tout aussi axée sur l’action et inclusive aidera le PTB à maximiser le potentiel présent. Le PSL a d’ailleurs soumis par écrit une proposition au PTB pour voir comment nous pouvons y aider, y compris en offrant des candidats au PTB pour les élections communales de 2018.

    Vers des majorités progressistes ?

    Il est vrai que le PTB n’est pas encore en mesure de ‘‘former un gouvernement qui entrera en collision avec les principes actuels de concurrence et de déséquilibre’’ et qui ‘‘à cette fin demandera le soutien actif de la population’’, comme l’écrit Peter Mertens. Mais si le PTB confirme les résultats des sondages en octobre 2018, la question de majorités progressistes au niveau local peut être rapidement posée. Elles pourraient servir de levier en faveur de l’idée d’un gouvernement majoritaire de gauche, un gouvernement des travailleurs, d’abord au niveau régional.

    Cela exige que ces majorités locales précisent qu’elles ont l’ambition d’appliquer une politique fondamentalement différente. L’introduction immédiate d’une semaine de 30 heures sans perte de salaire pour tous les employés communaux avec embauches compensatoires, le remplacement des contrats précaires par des statuts de fonctionnaire ou au moins des contrats à durée indéterminée, un programme massif d’investissements publics pour plus de logements sociaux, de qualité et énergétiquement neutres, et entre-temps assurer l’accueil pour tous les sans-abris ou ceux qui vivent dans la pauvreté, etc. Cela et bien d’autres mesures concrètes pourraient poser les bases d’une mobilisation massive de la population.

    Le PTB et les majorités progressistes entreront en collision avec la crise financière dans laquelle les gouvernements régionaux et le fédéral maintiennent les communes. La mobilisation et l’organisation autour d’une lutte pour exiger plus de moyens seront nécessaires, ainsi qu’une préparation politique via des discussions ouvertes et démocratiques, mais aussi la défense et la popularisation d’un programme qui rend possible de parvenir à la victoire. Des propositions et mesures concrètes sont indispensables, mais également un projet pour ce qu’il conviendra de faire si l’establishment essaie de se nous étouffer, un projet qui ne peut être que celui du véritable socialisme démocratique car sinon ‘‘les marges pour changer la politique’’ n’existe pas.

  • Crise politique francophone: aux travailleurs de faire entendre leur voix

    Lorsque, le 19 juin dernier, le président du cdH Benoît Lutgen a retiré sa confiance aux gouvernements bruxellois, wallon et de la fédération Wallonie-Bruxelles (ex-Communauté française), il a justifié son geste en dénonçant les écœurants scandales à répétition qui ont frappé le PS. L’hypocrisie avait de suite sauté aux yeux (le parti ‘‘humaniste’’ ayant lui aussi été mouillé), elle fut encore illustrée à la mi-août, quand le site Cumuleo dévoila que pas moins de six des sept ministres du nouveau gouvernement wallon MR-cdH avaient ‘‘oublié’’ de déclarer certains de leurs mandats, fonctions ou professions…

    Que la collaboration avec le PS dérangeait Lutgen, issu de l’aile droite du cdH, ce n’était un secret pour personne. Ajoutez à cela les sirènes d’une participation éventuelle à une potentielle reconduction du gouvernement Michel au fédéral après 2019 et la chute du parti dans les sondages et vous aurez les principales données derrière le coup de poker de Lutgen. Sauf que, à la fin du mois d’août, il apparaissait prématuré d’avoir annoncé des majorités alternatives à tous les niveaux. Un accord se faisait toujours attendre à la région bruxelloise et à la Fédération WB et les sondages laissaient penser que Lutgen & Co passaient essentiellement pour d’opportunistes aventuriers fauteur de trouble.

    Panique généralisée

    Pas de quoi pavoiser au PS pour autant. Les sondages se suivent et confirment la chute de l’ancien géant, jusqu’à le reléguer en Wallonie en troisième position avec 16% derrière le MR et… le PTB. La colère gronde et a été illustrée par un sondage iVOX réalisé pour Sudpresse, dévoilé le 24 août. Ainsi, pour 2019 : ‘‘(…) c’est à des alliances de gauche que les électeurs PS appellent massivement, en ce compris avec… le PTB. (…) 57,5 % soutiennent une alliance avec Ecolo et 44 % avec le PTB. Toute union avec le MR est massivement rejetée. Mais une réconciliation avec le cdH l’est tout autant.’’

    Peu avant, Elio Di Rupo avait fait la une de la presse en essayant de se parer d’habits de gauche avec la sortie de son livre Nouvelles conquêtes mais le sondage susmentionné était sans appel : un tiers des électeurs du PS ne lui font tout simplement plus confiance, la moitié d’entre eux déclare vouloir modifier son vote s’il se maintient à la tête du parti et 35% assurent qu’ils ne voteront tout simplement plus pour le PS… L’avantage de ces propositions est toutefois qu’elles aideront à populariser certaines revendications essentielles pour répondre à la situation dramatique dans laquelle se trouve une certaine couche de la population.

    Le petit frère du fédéral

    L’Union Wallonne des entreprises (UEW), l’Union des classes moyennes (UCM) et la Confédération de la construction wallonne (CCW) n’ont pas masqué leur joie. Olivier Chastel leur a fait écho en expliquant ‘‘Notre priorité absolue c’est l’emploi’’, sur base de la promotion des flexi-jobs (lisez : précaires), du travail de nuit et autres e-commerce. Il n’a pas fallu longtemps pour que transparaissent dans les médias des appels à ‘‘modérer la taxation des entreprises’’, à limiter les dépenses des communes, ainsi qu’à instaurer un service minimum dans les transports en commun.

    Parmi la base syndicale et auprès d’une large couche de la population, l’inquiétude prévaut face à ce gouvernement régional qui promet les mêmes recettes indigestes qu’au fédéral. Elle doit devenir résistance. Dans celle-ci, le PTB pourrait jouer un rôle moteur. D’énormes possibilités s’ouvrent pour les travailleurs et la jeunesse pour autant qu’ils soient réunis et organisés autour d’une alternative politique combative large, ouverte et démocratique. Celle-ci devra activement mobiliser dans les quartiers, sur les lieux de travail et ailleurs afin de renforcer les syndicalistes les plus audacieux et désireux de ne laisser aucun répit aux partisans de l’austérité, d’où que viennent ces derniers. Le PSL soutiendra toute initiative allant dans cette direction.

  • Crise politique: Vers des gouvernements de droite en Wallonie et à Bruxelles?

    L’Élysette, le siège de la présidence du Gouvernement wallon. Photo: Flickr, Myben.be

    Benoit Lutgen, président du Cdh, a sonné le glas des coalitions avec le PS en Wallonie, à Bruxelles et en Fédération Wallonie-Bruxelles, ouvrant ainsi la voie pour la constitution de gouvernements de droite dans les entités fédérées avec le MR. Pour y parvenir, ils devront en payer le prix afin d’embarquer à bord Défi, incontournable à Bruxelles, et éventuellement Ecolo.

    Edito, par Boris (Bruxelles)

    Les nombreuses affaires Publifin, Kazakhgate, Samusocial,… ont remis à l’avant plan ce secret de polichinelle : les politiciens du PS, MR et CDH sont rongés par le carriérisme et la cupidité. L’avalanche de révélations ne semble plus s’arrêter. L’affaire du Samusocial à Bruxelles-Ville, où des mandataires PS se servent dans les caisses destinées aux plus démunis, a provoqué un profond dégoût. L’instrumentalisation de ce sentiment par le CDH pour tirer la prise des gouvernements des entités fédérées est d’une hypocrisie crasse, ce parti étant lui-même mouillé dans plusieurs affaires. Mais avec des sondages toujours plus mauvais faisant poindre la menace d’une 5e place en Wallonie et d’une 6e à Bruxelles, il fallait probablement faire quelque chose pour tenter de sauver la peau du CDH.

    La bourgeoisification de la social-démocratie et son adhésion à la logique de casse sociale néolibérale ont favorisé l’arrivée de politiciens qui veulent se remplir les poches à la hauteur des cadres de haut vol du privé même dans des anciens partis ouvriers. A la différence des scandales qui ont frappé le PS de plain fouet au milieu des années 90 (INUSOP, Agusta,…) et au milieu des années 2000 (La Carolo), cette fois-ci, la grande récession de 2008 est passée par là. Elle a ouvert un processus de crise profonde pour la social-démocratie à travers l’Europe. En Grèce, en France, aux Pays-bas,… les partis-frères du PS ont été dépassés sur leur gauche. Chez nous, le PS avait encore pu tenir le coup auparavant, grâce à l’absence d’un concurrent de la gauche conséquente et en parvenant à se présenter comme une sorte d’opposition à l’intérieur des gouvernements nécessaire pour adoucir les mesures de casse sociale. Mais, depuis, il y a eu le gouvernement Di Rupo en charge d’éponger les dettes privées sur le dos de la collectivité, qui a ouvert la voie à un gouvernement thatchérien au fédéral.

    Après les révélations du scandale Publifin, le PTB est passé pour la première fois devant le PS dans un sondage en Wallonie, laissant présager une prochaine percée électorale historique. Ce climat de scandales à répétition a donné tout son sens à la pratique d’élus rémunérés à hauteur du salaire moyen des travailleurs. Des élus exigent forcément des rémunérations correspondantes à la classe sociale qu’ils défendent. Mais la crise de la social-démocratie ne fait pas sentir ses effets qu’à gauche, tel que nous avons pu le voir avec l’émergence de La République en marche ! d’Emmanuel Macron en France, dont tente de s’inspirer Lutgen.

    Dans les rangs patronaux, la crise politique en Wallonie et à Bruxelles est considérée comme une opportunité de renforcer le gouvernement Michel. Ainsi, pour l’Union Wallonne des Entreprises : ‘‘Cela rétablirait une certaine symétrie. Et ce serait a priori une bonne chose, car les mesures que prend le fédéral pour réduire le coût du travail et son projet de réforme de l’impôt des sociétés sont d’une grande importance pour les entreprises.’’ Au sein du MR, certain ironisent aujourd’hui sur le terme de ‘‘gouvernement kamikaze’’ qui avait été collé au gouvernement fédéral à ses débuts. Pourtant, à l’automne 2014, le mouvement de grèves l’avait bel et bien mis à genou. Mais l’occasion de lui porter le coup de grâce a été manquée.

    S’en remettre à l’espoir que les élections de 2019 puissent délivrer un tout autre gouvernement est une illusion. Le gouvernement Michel reste fragile, mais sa plus grande force est la faiblesse de son opposition, avec en premier lieu un PS discrédité. Aujourd’hui, l’idée d’une opposition PS-CDH via les entités fédérées a volé en éclat. Cela conforte la possibilité de l’arrivée du CDH au fédéral après les élections de 2019 en cas de besoin pour reconduire un nouveau gouvernement de droite dure. L’avertissement est sérieux pour le mouvement des travailleurs. Nous avons besoin de mesures concernant la transparence de la vie publique mais elles ne sont en soi pas suffisantes. Il nous faut également, et surtout, un programme de lutte pour construire un rapport de force favorable aux travailleurs et à leurs familles. Mais aussi des élus qui vivent d’un salaire similaire au nôtre pour défendre un tel programme de changement social. C’est dans cette optique que le PSL, malgré ses forces modestes, tend la main au PTB pour l’aider à saisir au maximum les opportunités actuellement présentes.

  • Wallonie : Le gouvernement Magnette-Prévot entame le sale boulot

    Les majorités commencent à être élaborées dans tout le pays et, avec la constitution de ces gouvernements, les lignes politiques commencent à se dessiner. Si les coalitions peuvent sembler très diverses de Flandre en Wallonie en passant par Bruxelles et le Fédéral, il se trouve néanmoins un point commun majeur : l’application de la politique d’austérité !

    Dans les pages du Soir, Paul Magnette avait fièrement déclaré en pleine campagne électorale que le gouvernement Di Rupo avait fait le « Dirty Work » (le sale boulot). Et, en effet, la politique menée a représenté plus de vingt milliards d’euros d’économies ! La majeure partie de cette somme a été trouvée via des coupes budgétaires qui ont touché travailleurs et allocataires sociaux. Et il y a encore eu l’imposition par le gouvernement Di Rupo d’une norme salariale synonyme de blocage des salaires hors indexation pour deux ans. Magnette, Prévot & Co veulent maintenant eux aussi faire le « sale boulot » au niveau régional.

    800 millions d’euros à trouver… au moins

    C’est en effet la somme qu’il faudra trouver pour les années 2015 et 2016. Rien n’indique que les choses seront amenées à être différentes par la suite. Le président de l’Union Wallonne des Entreprises (UWE), Jean-François Héris, avait donné le ton une fois les élections passées : « Nous avons une législature de 5 ans. Il faut en profiter. On doit faire des économies pour dégager des moyens que l’on injectera dans l’économie, dans l’enseignement. Jusqu’à présent, austérité, c’est resté un vilain mot. On parle de rigueur, de ‘recette belge’. Il faut mettre plus de tonus là-dedans. On doit oser parler d’austérité. » Paul Magnette lui avait répondu que « L’austérité serait une erreur parce qu’elle aggraverait la crise mais le contexte budgétaire ne sera pas simple. Il faudra trouver des marges partout où cela n’atteindra pas les citoyens et la création d’emplois ». Mais une fois à l’épreuve des faits, force est de constater que toute cette joute oratoire ne concernant que l’utilisation des termes…

    La Région doit intégrer de nouvelles compétences transférées par le fédéral dans le cadre de l’application de la 6e Réforme d’Etat, mais sans que les budgets correspondants n’aient été transmis ! A côté de cela, certains « investissements » notamment liés aux Partenariats-Public-Privé (PPP) doivent maintenant être considérées comme des dépenses selon les nouvelles normes comptables européennes (cela représenterait 500 millions d’euros de dépenses supplémentaires dans les 3 ou 4 prochaines années).

    La Déclaration de Politique Régionale (DPR) stipule notamment qu’un fonctionnaire sur cinq partant en pension seulement serait remplacé de 2015 à 2016, un sur trois ensuite de 2017 à 2019. Qui prétendra sérieusement que cela « n’atteindra pas les citoyens et la création d’emplois » ? Quant aux mesures pour l’emploi, l’engagement des jeunes peu qualifiés sera encouragé par un taux de cotisations sociales de 0%. Un beau cadeau pour le patronat, qui servira de plus à monter encore plus les différentes catégories de travailleurs les unes contre les autres.

    Comme l’a déclaré l’un des deux députés régionaux du PTB, l’ancien sidérurgiste Frédéric Gillot, le menu du gouvernement wallon : « C’est l’austérité en entrée, en plat principal et en dessert. C’est pour ça que la DPR me reste en travers de la gorge. C’est la soupe aux cailloux. Un menu indigeste. » Nous ne pouvons que nous retrouver sur ce constat. Et les nouvelles ne seront pas meilleures concernant la Fédération Wallonie-Bruxelles, comme l’ont déjà laissé entendre les lourdes menaces qui pèsent sur l’enseignement.

    Ne nous laissons pas endormir par de belles paroles !

    La coalition wallonne « progressiste » fera tout pour dire que ce gouvernement est radicalement différent des autorités fédérale ou flamande afin de tenter d’amoindrir la résistance sociale contre ses mesures. Il est vrai que le gouvernement flamand est officiellement ancré à droite, mais la suppression de la gratuité des transports en commun pour les plus de 65 ans en Flandre est par exemple une idée soufflée par la précédente législature wallonne (la mesure est entrée en vigueur en 2013 pour les TEC), la coalition prétendument progressiste de l’Olivier !

    Les mesures d’austérité vont arriver de toutes parts : du fédéral, des Régions, de la Fédération Wallonie-Bruxelles et des communes. Nous ne devons pas laisser la force du mouvement des travailleurs être divisée, nous devons riposter tous ensemble ! Et en plus des diverses mesures que prendront les autorités néolibérales, n’oublions pas que les négociations pour le prochain Accord Interprofessionnel se profilent à l’horizon !

    Le jour-même des élections, le secrétaire fédéral de la FGTB Jean-François Tamellini avait lancé un appel pour un « vaste mouvement social » sur les réseaux sociaux. Il déclarait notamment : « Ce ne sont pas les politiques ou les gouvernements qui nous permettront de sortir de la dictature de la finance et de l’exploitation capitaliste. Ceux-là continueront simplement à discuter du poids des chaînes. SI LA VOLONTÉ EST DE BRISER LES CHAÎNES, CE N’EST QU’EN ORGANISANT UN VASTE MOUVEMENT SOCIAL QUE NOUS Y PARVIENDRONS! » De son côté également, le PSL n’a cessé de défendre durant toute la période de la campagne électorale la nécessité de construire un large front de résistance contre l’austérité, à tous les niveaux de pouvoir. Nous devons organiser la lutte pour défendre nos conquêtes sociales et en obtenir d’autres. De nombreuses organisations politiques, syndicales et associatives veulent résister contre la logique capitaliste qui nous est imposée, elles doivent œuvrer à l’émergence d’une lutte conséquente menée en commun sur le terrain, avec un bon plan d’action audacieux et allant crescendo, qui lie campagnes de sensibilisation et mobilisation vers une succession d’action jusqu’à la grève générale, et même plusieurs si besoin est.

    Une autre logique est possible, et nécessaire. Suffisamment de richesses existent aujourd’hui pour en finir avec la pauvreté, le manque d’emplois, le manque de logements sociaux, le manque de moyens pour l’enseignement, les soins de santé, etc. Mais alors que nous n’avons jamais créé autant de richesses, il n’est question que d’appauvrissement et d’efforts pour la majorité de la population : ce qui est créé par la force et la sueur des travailleurs ne sert qu’à satisfaire la soif de profit des capitalistes. Nous devons riposter contre les attaques antisociales, c’est vrai, mais ce combat ne pourra véritablement rencontrer la victoire que s’il est lié à la lutte pour une autre société, une société où les secteurs-clés de l’économie seront démocratiquement gérés par les travailleurs, une société socialiste.

  • [DOSSIER] Pour un relais politique des luttes des travailleurs!

    27 avril. Meeting à Charleroi pour une alternative à la gauche du PS et d’Ecolo

    “Construisons ensemble une alternative de gauche à la crise capitaliste.” Voilà le thème d’un important meeting à Charleroi ce 27 avril, à la suite du discours osé que fit Daniel Piron, secrétaire général de la FGTB Charleroi Sud-Hainaut, le premier mai dernier. Durant ce discours, il constatait que le PS et Ecolo ne représentent plus les intérêts de la population et lançait un appel à ‘‘un rassemblement à gauche du PS et d’Ecolo afin de redonner espoir et dignité au monde du travail.’’ Le meeting de Charleroi est une initiative commune de la FGTB Charleroi Sud-Hainaut, de la CNE Hainaut et de plus ou moins tous les partis et groupes conséquemment de gauche.

    Par Eric Byl


    Meeting pour une alternative à la gauche du PS et d’ECOLO Samedi 27 avril de 13h30 à 17h30 à la Géode, rue de l’Ancre – 6000 CHARLEROI (en voiture : sortie ‘expo’ sur le ring de Charleroi, en train, descendre à ‘Charleroi-Sud’) Plus d’infos


    Le discours de Daniel Piron n’était pas le fruit d’une irritation personnelle irréfléchie mais au contraire le résultat d’une réflexion parvenue à maturité avec toutes les centrales de la régionale, sur base de discussions avec les militants. Parmi ces derniers, l’appel fut d’ailleurs bien reçu. Mais il a donné des frissons aux appareils du PS et d’Ecolo et probablement aussi à certaines parties des syndicats. Les medias, lesquels ignorent normalement de telles déclarations, ont bien été forcés de la commenter. Après tout, Piron représente une régionale de la FGTB forte de 110.000 membres et d’une grande tradition syndicale. Dans les milieux de droite et patronaux, où le dédain s’est mêlé à l’espoir qu’il ne s’agisse que d’un phénomène passager, il serait surprenant qu’aucun œil attentif n’ait été rivé sur l’initiative.

    Les secrétaires de cette régionale de la FGTB auraient pu choisir une voie plus facile. Comme tellement d’autres, ils auraient pu hausser les épaules et attendre que quelqu’un d’autre ose faire le pas. Il y a toujours une raison pour dire qu’il est soit trop tôt, soit trop tard, ou encore que les gens ne sont pas encore prêts, que les autres régionales ne suivent pas, que ce sont les politiques qui doivent prendre l’initiative, etc. Au lieu de cela, ils ont agi selon les habitudes de leurs meilleurs militants. Passer à l’action, cela comporte toujours un risque. Le patron cherche-t-il la provocation ? La base suivra-t-elle ? Les autres syndicats seront-ils de la partie ? Ne court-on pas le risque de s’exposer et d’être vulnérable aux représailles? Ces considérations sont légitimes et ne doivent pas être traitées à la légère. Mais celui qui n’entreprend jamais rien a perdu d’avance.

    S’ensuivit alors une période de plusieurs mois durant laquelle le terrain a été tâté, notamment en donnant des interviews et en participant à des débats. Finalement, à partir du mois de janvier, une réunion a rassemblé les représentants des partis réellement de gauche afin d’évaluer leurs réactions et de considérer leurs propositions. Dès le début, les secrétaires ont été clairs : ils ne voulaient rien précipiter, ils ne désiraient pas une répétition de Gauche Unie (3) ou mettre pression sur qui que ce soit, mais ils espéraient obtenir un consensus. D’un autre côté, ils indiquèrent bien l’urgence du projet. Jouer gros jeu, ça, ils l’avaient déjà fait le premier mai 2012. Le prochain pas devait être posé en tenant compte des difficultés et des sensibilités diverses, tout en répondant à l’urgence.

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    PSL et PTB+

    Le PSL ne veut pas diminuer les mérites du PTB. Aux dernières élections communales, ce parti a obtenu 53 élus. Ce résultat a été préparé avec un engagement militant maintenu des années durant, une implantation importante dans les quartiers et les entreprises et une stratégie médiatique intelligente. Le PTB est la composante de la gauche conséquente la plus visible. Mais un facteur important dans la croissance du PTB, au niveau de ses membres et de son électorat, est constitué par le changement de cap de 2008, vers plus d’ouverture. C’est pour cela que le PTB a pu toucher une fraction du public pour une formation de gauche conséquente.

    De nombreux nouveaux membres et encore plus de nouveaux électeurs du PTB ont notamment déterminé leur choix grâce à ces signes visibles de plus d’ouverture, non pas pour en finir avec, mais justement pour encourager ce développement et l’approfondir. A côté du PTB, il existe de nombreux militants organisés et non-organisés qui disposent aussi d’une implantation importante. Le pas logique suivant est donc de les impliquer et d’utiliser leur potentiel de manière maximale. Le PSL comprend bien la prudence du PTB, sa peur de rentrer dans une aventure et sa volonté absolue de ne pas risquer son nom, mais laisser ce potentiel de côté pourrait bien avoir un effet contraire. Le PSL a déjà précédemment suggéré au PTB et aux autres partis et groupes de la gauche conséquente d’élaborer ensemble un projet pilote. Nous restons prêts à réfléchir ensemble à ce sujet.

    C’est ainsi que nous en sommes finalement arrivés à ce meeting, où la question d’un relai politique sera présentée sans autres détours à plusieurs centaines de militants. Des militants d’autres syndicats et d’autres centrales et régionales qui ont peut-être encore des doutes pourront venir sentir l’atmosphère avant de risquer le plongeon. Les partis et groupes véritablement de gauche pourront non seulement y échanger leurs opinions mais avant tout venir évaluer comment la base syndicale réagit. Finalement, et c’est le pourquoi de cette date du 27 avril, la base peut être posée afin que cette question cruciale soit clairement présente parmi les militants lors des innombrables activités du premier mai.

    Le mouvement ouvrier belge a fortement souffert des innombrables mécanismes de ‘diviser pour régner’ que la bourgeoisie a intégrés dans notre système, surtout sur base linguistique et religieuse. Heureusement, chez les secrétaires de la régionale, aucune illusion régionaliste n’était perceptible. Les militants flamands sont plus que bienvenus, non pas en tant que spectateurs mais comme des alliés indispensables. Si l’initiative arrive à s’étendre d’avantage, ce sera une donnée à prendre en considération. De surcroit, le syndicat chrétien des employés (la CNE) prendra place à la tribune à côté de la FGTB Charleroi Sud-Hainaut. Les déclarations de son secrétaire général Félipe van Keirsbilck connaissent un soutien considérable parmi sa base, bien que la CNE (170.000 membres) reconnaisse que la discussion n’est pas encore à un stade aussi avancé parmi ses membres qu’au sein de la régionale FGTB.

    Cela explique pourquoi une mobilisation interne de quelques centaines de militants a été décidée au lieu d’une large mobilisation publique avec d’innombrables tracts dans les entreprises et en rue. Espérons que cela soit pour une autre fois. Bien entendu, les opposants à cet appel vont exagérer ses faiblesses. Sous le titre ‘‘Menaces à gauche pour le PS et Ecolo’’, l’hebdomadaire Le Vif signala que ‘‘Piron et les siens sont confrontés à un problème d’envergure: leur isolement dans le syndicat socialiste.’’ Subtilement, on remarque que la CNE exclu de faire un appel direct pour une liste en 2014. Félipe van Keirsbilck est cité : ‘‘Nos règlements nous interdisent d’avoir des amis politiques’’. Mais van Keirsbilck ajoute tout de même que les élus qui prochainement vont signer le pacte budgétaire européen ‘‘n’auront pas notre confiance en 2014. Dans l’isoloir, cela va déjà éliminer pas mal de candidats.’’

    L’appel de Piron n’est pas le premier du genre. L’attitude loyale de la social-démocratie et des verts face à la casse sociale ne date pas d’hier. La résistance contre le Plan Global en 1993 avait déjà conduit à Gauches Unies. En 1994, à Anvers, le Mouvement pour le Renouveau Social est né. Pour les élections européennes de 1999, Roberto D’Orazio (de la lutte de Clabecq) avait rassemblé la gauche radicale sur une liste européenne sous le nom de ‘Debout!’. Mais tout cela est arrivé après la chute du Mur de Berlin et du stalinisme, qu’on présentait alors erronément comme étant du ‘‘socialisme’’, et dans une période de croissance économique dans les pays occidentaux. L’illusion selon laquelle le capitalisme allait en fin de compte assurer la prospérité de tous existait encore. Nous savons ce qu’il en est aujourd’hui.

    Depuis, le PSL a participé à presque chaque tentative de parvenir à un nouveau rassemblement de gauche large, inclusif et pluraliste. Les plus récents ? Le Comité pour une Autre Politique (CAP, né après la lutte contre le Pacte des Générations), Rood avec l’ancien candidat-président du SP.a Erik De Bruyn, le Front de Gauche à Charleroi et La Louvière, le Front des Gauches puis Gauches Communes à Bruxelles, ainsi que VEGA à Liège. Était-ce une faute ? Nous ne le pensons pas, nous avons appris énormément de ces expériences et nous n’avons jamais arrêté la construction du PSL en parallèle.

    Mais une idée a beau être correcte, il faut des événements concrets pour qu’elle soit reprise par des couches plus larges de la société. La conscience a de toute façon un retard sur les conditions matérielles pour alors, sur base d’événements concrets, les rattraper par bonds. Pensons aux révolutions au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Nous pensons que ce n’est pas une coïncidence quelques années après le début de la plus grande crise du capitalisme depuis les années ’30 une régionale importante de la FGTB et une centrale importante de la CSC mettent si explicitement la nécessité d’une nouvelle formation de gauche à l’agenda.

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    Qu’un long chemin soit encore devant nous, personne ne le nie, et certainement pas ceux qui ont pris l’initiative. La question d’une liste commune en 2014 n’est d’ailleurs pas à l’ordre du jour. Mais il y a bien une raison qui explique pourquoi Le Vif s’est senti obligé d’écrire à ce sujet et pourquoi les autres medias ne peuvent eux non plus pas tout simplement ignorer l’initiative: qu’une régionale entière de la FGTB et qu’une centrale de la CSC qui réunissent ensemble 280.000 membres s’expriment explicitement pour une alternative de gauche, c’est une première absolue. Ça ne va pas disparaitre comme ça, c’est une expression de l’écart croissant entre la base syndicale et leurs partenaires politiques traditionnels, un écart qui ne va que s’agrandir dans les mois et années à venir.

    Quatre questions auxquelles répondre :

    Qu’arrivera-t-il si aucune alternative large de gauche n’est lancée ?

    Dans son discours du premier mai 2012, Daniel Piron remarquait que la formule magique ‘‘ce serait pire sans nous’’ fait offense à l’intelligence des syndicalistes. Il citait Jean-Claude Van Cauwenberghe (PS) qui, durant le conflit Splintex, qualifiait les grévistes de ‘‘tache noire sur la carte de la Wallonie.’’ Longtemps, le PS a su se dissimuler derrière une ‘‘Flandre de droite’’ et se profiler comme opposition au sein du gouvernement. C’est bel et bien fini. En tant que Premier Ministre, Di Rupo a introduit le plan d’austérité le plus dur jamais mis en œuvre en Belgique. Est-ce la fin du ‘‘moindre mal’’ ? Bien des travailleurs continueront de voter PS avec une pince à linge sur le nez faute d’une alternative suffisamment développée. Nous ne devons pas chercher bien loin pour nous faire une idée du scenario auquel la Wallonie et Bruxelles peuvent s’attendre si aucune alternative large de gauche n’arrive. Bien plus rapidement que son parti-frère francophone, le SPa flamand s’est défait de son passé “socialiste” et de sa base traditionnelle. De ses maisons du peuple, de sa riche vie associative, de ses meetings fortement fréquentés et de ses cellules jeunes critiques, il ne reste presque plus rien. Durant les conflits sociaux, les travailleurs aperçoivent généralement le SPa de l’autre côté des barricades.

    Cependant, à chaque élection, l’appareil de l’ABVV (l’aile flamande de la FGTB) envoie ses militants voter pour ce parti. La Ministre de l’Emploi SPa Monica De Coninck a remercié l’ABVV en ces termes : ‘‘Aussitôt qu’on négocie un accord interprofessionnel, il y a toujours quelque chose qu’ils ne peuvent accepter.’’ (4) Bruno Tobback, Président du SPa, a déclaré que : ‘‘L’ABVV n’a aucune culture pour expliquer les choses difficiles. Vous ne pouvez pas demander le maintien de l’Index et en même temps vous attendre à ce qu’il reste une marge pour une augmentation des salaires.’’ (5) ‘‘Avec les autres, ce serait pire’’, c’est un argument usé jusqu’à la corde.

    Faute d’une alternative sérieuse, les militants regardent de plus en plus vers l’opposition la plus visible, même si celle-ci est populiste et économiquement de droite comme l’est la N-VA. En 2010, seuls 32% des membres de l’ABVV ont voté pour le SPa contre 22% pour la N-VA et 19% pour le Vlaams Belang! Pour l’ACV (l’aile flamande de la CSC), ce n’est pas mieux: 27% ont voté CD&V, 31% N-VA et 13,5% Vlaams Belang. (6)

    Un parti syndical ?

    Le professeur Jan Blommaert (université de Gand) écrivait en mars : ‘‘Pourquoi pas un parti syndical ?’’ (7) ‘‘Un parti de la Solidarité, de l’Action Sociale, ferait battre bien des cœurs, y compris dans l’isoloir… Il mettrait les thèmes socioéconomiques à l’agenda, pas dans la marge des débats mais bien au centre. (…) L’idée d’un parti syndical provient des milieux syndicaux eux-mêmes. (…) Plus j’y pense, plus logique et plus important cela me parait. Si les syndicats prennent leur rôle historique au sérieux, tout comme leurs origines, alors ils doivent poser ce pas en avant maintenant. Dans une crise aussi profonde et avec de telles répercussions, ils ne peuvent éviter la question du pouvoir.’’

    Pour lui, il va de soi que l’initiative parte des syndicats. La place nous a manqué pour publier ici l’intégralité de l’appel pour le 27 avril (voir Construisons ensemble une alternative de gauche à la crise capitaliste) Ce texte répète le constat du 1er mai 2012 en confirmant son actualité et en affirmant également : ‘‘Il nous faut mettre ce système capitaliste aux oubliettes de l’histoire. Ce système ne peut être réformé. Il doit disparaître. Mais se contenter de l’affirmer du haut de cette tribune ne suffit pas. Faut-il encore nous en donner les moyens et le relais politique pour concrétiser notre objectif.’’ S’il faut compter sur le sommet syndical pour ça, alors nous avons encore un long calvaire devant nous.

    Anticapitaliste ?

    Le PSL est d’accord avec l’appel. Nous défendons une économie basée sur la solidarité et non sur la concurrence. Cela exige la nationalisation des secteurs clés de l’économie, du secteur financier, du transport, de l’énergie ainsi que l’enseignement et les soins de santé. Mais aussi des entreprises menacées de fermeture ou de restructuration comme Ford, ArcellorMittal, Caterpillar, MLMK, etc. Non pas avec des chefs d’entreprise comme Didier Bellens ou Johnny Thys, mais sous le contrôle des travailleurs et de la collectivité. Il sera alors possible de planifier l’économie de manière véritablement démocratique en fonction de nos besoins et non plus des profits d’une poignée de capitalistes dont les fortunes disparaissent sous les tropiques.

    Nous défendrons également notre programme dans un relai politique qui reste à concrétiser. Mais si, temporairement, nous ne pouvons pas convaincre tout le monde, cela ne nous arrêtera pas pour prendre part à une initiative moins explicitement ‘‘anticapitaliste’’ ou ‘‘socialiste révolutionnaire’’, pourvu qu’une austérité au dépend des travailleurs et des allocataires sociaux ne soit tolérée et que le rétablissement complet de l’index et la revalorisation des allocations fasse partie du programme, pourvu que l’on mette en avant une réduction générale du temps de travail sans perte de salaire pour combattre le chômage, pourvu que la défense des services publics soit dans le programme.

    Selon les politiciens actuels, les idées ne se réalisent qu’en prenant part au gouvernement. C’est faux, historiquement et dans les faits. Tous nos grands acquis sociaux ont été le fruit de la construction d’un rapport de force à travers la lutte. Une véritable alternative de gauche ne chercherait pas d’alliés parmi des partenaires de coalition de droite qui l’entrainerait dans une politique d’austérité, mais bien dans les entreprises et dans la rue. Nous devons rompre avec cette politique de coalitions d’austérité et construire au contraire un parti de lutte.

    Indépendance syndicale ?

    Nous comprenons les militants syndicaux qui défendent l’indépendance syndicale. Aujourd’hui, nos dirigeants syndicaux sont généralement une courroie de transmission pour leurs ‘‘amis politiques’’. Mais ce sont bien des dirigeants syndicaux, surtout ceux de gauche, qui se retrouvent aujourd’hui dans une situation extraordinaire en offrant des facilités (organisationnellement, financièrement et surtout en engageant leurs délégués) pour donner forme à une telle initiative. Pourquoi ne pas s’engager en se mettant eux-mêmes au premier rang ?

    Nous ne devons pas être dupes. Durant la formation syndicale de nos nouveaux militants, nous expliquons qu’il y a trois choses qui n’existent pas dans notre société de classe: l’objectivité, la neutralité et l’indépendance. L’indépendance de classe ne compte d’ailleurs pas pour les chefs syndicaux de droite quand il s’agit de faire cause commune avec ceux qui sont au premier rang pour mener la casse sociale. Ne laissons pas notre indépendance syndicale être un obstacle pour mettre sur pied une réelle alternative à la gauche du PS et d’Ecolo. Avec les délégués de gauche, les secrétaires et présidents de gauche dans n’importe quelle centrale ou syndicat ont également à prendre leurs responsabilités.

    Pour éviter qu’une véritable alternative de gauche ne prenne le même chemin que les partenaires politiques traditionnels, nous avons avant tout besoin de démocratie, aussi bien au sein de cette alternative de gauche que dans les syndicats eux-mêmes. Cela signifie entre autres qu’un élu doit prendre ses responsabilités et à la rigueur être révoqué et remplacé. Cela signifie aussi que cet élu, tout comme les milliers de délégués et militants dans les entreprises, ne puisse pas gagner d’avantage que la moyenne de ceux qu’il ou elle représente. Comment peut-on après tout représenter des employés si on possède un niveau de vie qui ne ressemble en rien aux conditions dans lesquelles ils vivent et travaillent ?


    Notes :

    1. http://jeunesfgtbcharleroi.wordpress.com/2012/05/03/discours-de-daniel-piron-secretaire-regional-de-la-fgtb-charleroi-1er-mai-2012/
    2. PTB-PVDA, Rood, Mouvement de Gauche, Front de Gauche Charleroi, Parti Communiste, Parti Humaniste, LCT, LCR-SAP, PSL-LSP
    3. Voir cadre .
    4. Humo 19 février 2013
    5. Het Nieuwblad 21 février 2013
    6. Sur base d’une étude électorale à la KUL en 2010
    7. https://jmeblommaert.wordpress.com/2013/03/19/waarom-geen-vakbondspartij/
  • Les révoltes mondiales contre ce système sans perspective suscitent la recherche d’une alternative (3)

    La Belgique – un pays riche

    68. Nous avons montré dans la partie internationale de ce texte la façon dont la crise a accru les divisions parmi la bourgeoisie, au point qu’elle en arrive à une impasse. Ses diverses factions sont en désaccord sur plusieurs choses, mais surtout sur la question de savoir s’il faut mettre tout de suite le couteau sur la gorge des travailleurs ou s’il ne vaut mieux pas le faire graduellement, afin de ne pas causer de réaction incontrôlée. La bourgeoisie belge s’est heurtée plusieurs fois au mouvement ouvrier belge par le passé. La classe ouvrière belge est une des plus productives au monde, qui combine de plus le degré d’organisation du mouvement ouvrier d’Europe du Nord, à la spontanéité de l’Europe du Sud. De ce fait, elle est l’un des mouvements ouvriers les plus effrayants au monde. Les leçons que la bourgeoisie a tiré de cela est qu’elle ferait mieux d’éviter les confrontations directes, en concluant des accords avec les dirigeants d’au moins un des deux syndicats.

    69. Cela a plutôt bien fonctionné pour la bourgeoisie belge. Depuis la Deuxième Guerre mondiale, les travailleurs belges ont gagné en termes de productivité, passant du dessous au top cinq mondial. Cette position est tenue depuis déjà trente années. À côté de la position géographique de notre pays, de son infrastructure, et de son niveau d’éducation (et en particulier la connaissance des langues), le fait qu’il s’agit d’une porte d’accès pour l’Europe, que les institutions européennes opèrent à partir de Bruxelles, et le régime fiscal extrêmement favorable pour les multinationales expliquent la productivité des travailleurs belges (c’est-à-dire, la quantité de bénéfice obtenue pour chaque euro payé en salaire, NDT) et la force d’attraction de la Belgique pour les investissements étrangers. Notre pays fait déjà depuis des années partie des destinations privilégiées pour les investissements étrangers directs. L’an dernier, il s’agissait de 62 milliards de dollars, ce qui place notre pays à la quatrième position mondiale. Seuls les USA (228 milliards de dollars), la Chine (106 milliards de dollars) et Hongkong (69 milliards de dollars) ont fait mieux.

    70. Une partie de ces investissements doit être nuancée parce qu’ils sont liés à la fonction de port de transit de notre pays. De là, le haut montant d’investissements directs de l’étranger sortants (38 milliards de dollars), soit le dixième plus élevé au monde. Et puis, il y a encore la déduction des intérêts notionnels, qui rend très intéressant pour les entreprises d’artificiellement gonfler leur base de capital afin d’utiliser cette déduction de façon maximale. En 2010, la Flandre était la destination de 68% des investissements étrangers en Belgique, Bruxelles de 13%, et la Wallonie de 19%. En Flandre, la moitié de ces investissements seraient constitués de ce qu’on appelle les “greenfields”, de vrais nouveaux investissements et non pas l’élargissement de projets existants, des participations ou rachats. Ce nombre serait encore plus grand si on le prenait à l’échelle de toute la Belgique.

    71. Ces bonnes prestations ont fait de la Belgique un pays riche. La fortune financière des familles est de 931 milliards d’euros, à peu près 270% du PIB. Après avoir retiré les dettes (surtout des emprunts hypothécaires), il reste en tout 732 milliards d’euros en net, soit 210% du PIB – de loin le chiffre le plus élevé de toute l’Europe. Dans la zone euro, ce chiffre est en moyenne de 128%. Les 10% des revenus les plus élevés en Belgique représentent 30% de tous les revenus du travail, mais 53% de la fortune financière et même 32% de la “fortune financière à valeur de marché” (obligations, actions, fonds d’investissement, soit tout ce qui n’est pas cash, dépôts, bons de caisse et investissements dans les sociétés d’assurance et fonds de pension). Ces hautes fortunes sont à peine imposées. Selon l’agence “PricewaterhouseCoopers”, le revenu d’un investissement de 5 millions d’euros – une moitié en actions, l’autre moitié en obligations –, est en Belgique imposé de 15%, aux Pays-Bas de 26%, en Allemagne et en Grande-Bretagne de 30% et en France de 37%.

    72. Les entreprises payent elles aussi de moins en moins d’impôts dans notre pays. La CSC a démontré que le taux d’impôt réel pour les entreprises a été raboté de moitié en dix ans : de 19,9% en 2001 à 11,8% en 2009, principalement par la déduction des intérêts notionnels. En 2009, les entreprises avaient réalisé un profit avant impôt de 94 milliards d’euros. Elles ont payé 11 milliards d’euros d’impôts d’entreprise. Au tarif de 2001, l’Etat aurait eu 7,6 milliards d’euros supplémentaire et au tarif légal de 33,99% il aurait été question de 21 milliards d’euros supplémentaires. Parce que la déduction des intérêts notionnels peut être transmise durant 7 ans, les grandes entreprises ont un surplus déductible cumulé de 12,6 milliards d’euros. Si elles utilisent cela, le gouvernement rate encore 4 milliards d’euros. Ici aussi, la règle est que les plus riches s’en vont avec les plus grandes pièces. En 2009, 17,3 milliards d’euros d’intérêts notionnels ont été accordés, dont seul 925 millions d’euros, 5% du total, a été attribué aux PME. En moyenne, ces dernières payent un impôt réel de 21%.

    73. Tout cela vient en plus de la fraude fiscale, qui est de 30 milliards d’euros par an. Les grands dossiers de fraude débouchent systématiquement sur un cul-desac. Ça a été le cas pour la KBC, ce l’est maintenant pour Beaulieu. Il n’en ira pas autrement pour la fraude récemment dévoilée dans le secteur diamantaire. D’où vient alors cette thèse selon laquelle la Belgique a un taux d’impôts très élevé ? Des 150 milliards d’euros d’impôt que l’État encaisse, seuls 2,5 milliards sont issus des fortunes, et 10 milliards des impôts sur les sociétés. Notre salaire indirect, les contributions sociales ou la parafiscalité indirecte donnent 50 milliards d’euros. Les impôts indirects (surtout la TVA), rapportent encore 44 milliards et l’impôt sur les personnes physique une somme comparable. En bref : la pression fiscale est haute, mais pas pour les fortunes ni pour les entreprises.

    D’où provient la dette de l’État ?

    74. Dans la période d’après-guerre, les patrons belges étaient prêts à céder aux revendications pour de meilleurs salaires et une plus grande protection sociale. Les profits étaient élevés, la productivité montait rapidement et le mouvement ouvrier avait fait sentir plusieurs fois qu’il n’allait pas se laisser faire. La bourgeoisie belge n’a jamais excellé sur le terrain du renouvèlement de ses outils de production. Quand les secteurs traditionnels sont passés en crise, elle a préféré les voies plus sûres et depuis longtemps utilisées du capital financier, c’est-à-dire vivre de ses rentes. Elle a laissé au gouvernement la construction de l’infrastructure nécessaire et aux syndicats la livraison de la main d’oeuvre par lesquelles étaient attirées les multinationales. Pour la classe moyenne flamande, c’était l’opportunité de promotion sociale par excellence. Quelques-uns sont devenus fournisseurs pour les multinationales, d’autres devenaient managers. De temps en temps, cette classe moyenne se pose en tant que bourgeoisie, mais elle ne s’est jamais libérée de son mélange de jalousie et de flatterie envers la véritable grande bourgeoisie, ni de sa haine pour le mouvement ouvrier.

    75. Quand la crise est arrivée dans notre pays en ’75, au début, la bourgeoisie n’osait pas la confrontation avec le mouvement ouvrier. La perte de 250.000 emplois dans l’industrie a été compensée par la création de 350.000 emplois à l’État. Mais cela ne devait rien rapporter à l’État : ainsi, il était interdit à La Poste d’offrir des produits d’épargne à ses clients parce que cela faisait trop concurrence aux banques. Les secteurs en difficulté ont été restructurés aux frais de la collectivité, tandis que les parties intéressantes étaient vendues au plus offrant pour une bouchée de pain. La nationalisation des pertes et la privatisation des profits n’est vraiment pas quelque chose de nouveau qui aurait été inventé pour Dexia. En poussant la facture vers l’État, les chrétiens-démocrates et les sociaux-démocrates (essentiellement), cherchaient à éviter une confrontation entre patrons et travailleurs. Qui plus est, les politiciens se présentaient de plus en plus en tant que représentants de leur propre groupe linguistique et revendiquaient avec la fameuse politique du “moule-à-gaufre” (c’est-à-dire, que chaque investissement dans une région oblige à faire le même investissement dans l’autre) des compensations à chaque fois qu’ils pensaient que leur communauté avait moins reçu que l’autre. Tous les partis ont participé à cette politique, sauf les verts qui n’existaient pas encore.

    76. Ceci explique le haut degré d’endettement de l’État belge. Pour la bourgeoisie belge traditionnelle, cette dette n’était au début pas un très grand problème. Au contraire, la dette du gouvernement belge était un bon investissement. En ce temps-là, 90% de la dette de l’État se trouvait encore entre les mains d’investisseurs institutionnels belges. Avec l’introduction de l’euro, ce chiffre a diminué de plus de moitié. À ce moment-là, on partait encore de l’idée que la dette allait diminuer une fois l’économie relancée. Mais cela ne s’est pas passé comme ça. Les dettes ont bientôt atteint 100% du PIB, et on a commencé à craindre un effet “boule de neige”, par lequel il fallait faire de nouveaux emprunts uniquement pour payer les intérêts des emprunts précédents. Il fallait arrêter de “vivre audessus de ses moyens”. On a d’abord essayé de faire passer cela avec des coalitions de droite reprenant libéraux et chrétiens-démocrates, mais cela a conduit à une résistance du mouvement ouvrier, avec le dirigeant de la CSC Houthuys qui à un certain moment s’est mis à crier que Verhofstadt (qu’il qualifiait de “gamin”) lui rendait impossible la tâche de continuer à contrôler sa base. Après une crise gouvernementale longue de 148 jours (qui était à ce moment la plus longue de notre histoire), la bourgeoisie est revenue à sa vieille tactique éprouvée : arriver à un deal avec les dirigeants syndicaux.

    77. Cette tactique éprouvée a donné les résultats espérés. La réduction de la dette de l’État, de son point culminant de 134% du PIB en 1993, à son point le plus bas (provisoirement), de 84,2% du PIB en 2007, est aujourd’hui considérée comme un modèle au niveau international. Avec le Plan global, on nous a imposé de “vivre selon nos moyens”. Le taux de pauvreté officiel est grimpé de 6% à 15%, la partie des salaires dans le revenu national a diminué de 10%, les investissements dans les soins de santé, les logements sociaux, l’enseignement, l’infrastructure, etc., ont été postposés. Mais ce n’était pas tout le monde qui devait assainir. Les profits des entreprises battaient chaque année de nouveaux records sur lesquels elles étaient toujours moins imposées. On entend parfois dire que la Belgique est pays de “citoyens riches avec un État pauvre” : ce n’est pas vrai. Quelques citoyens sont ultra-riches, mais la plupart ne peuvent que rêver de la fortune financière moyenne, valant officiellement la somme de 85.000 euros, dont devrait disposer chaque Belge en moyenne. De moins en moins de familles ouvrières se sentent impliquées quand on dit que “nous” vivons au-dessus de nos moyens. Ils ont jeté l’argent par les fenêtres

    78. C’est cependant là-dessus que les politiciens se disputent depuis déjà des années : de quelle manière imposer aux travailleurs et à leurs familles de se serrer la ceinture après des années de haut niveau de vie ? De temps en temps, nos politiciens chuchotent aux oreilles des institutions internationales de pseudo conseils à donner “pour notre pays”. Nous en connaissons le contenu : nos salaires sont trop hauts, nous devons travailler plus longtemps, les chômeurs doivent être activés, les dépenses de l’État doivent être diminuées. Tous les politiciens sont d’accord – avec des nuances certes, mais sans plus. La dette de l’État a recommencé à monter depuis la crise du crédit internationale en 2007. Le gouvernement a dû intervenir pour sauver les véritables grands dépensiers : les banques et les spéculateurs. Ceux-ci ont utilisé notre épargne comme garantie pour, grâce à plusieurs leviers, augmenter leurs comptes jusqu’à un montant valant plusieurs fois le PIB du pays. Quand cela a mal tourné, le gouvernement a dû mettre 25 milliards d’euros et donner des garanties pour 80 milliards d’euros. 20

    79. Selon Leterme et les autres politiciens, cela ne va rien coûter aux contribuables : pour ces 25 milliards d’euros, ont a reçu des actions BNP-Paribas et pour les garanties, un dédommagement a été donné. Ces actions sont néanmoins cotées à une fraction du prix auquel le gouvernement les a achetées, et cela va prendre beaucoup de temps pour qu’elles retournent à leur ancien niveau – si toutefois cela peut encore se produire. Entretemps, il faut construire des écoles, soigner des malades et construire des routes. Avec quoi ? Le gouvernement devrait en plus emprunter de l’argent et payer des intérêts. Il est vrai qu’il existe un dédommagement pour les garanties mais, si les choses tournent mal, c’est au gouvernement de payer les couts. Le fait que tout cela pouvait bien mal tourner est illustré par Dexia. Selon Paul De Grauwe, cette banque avait dégénéré en un simple hedgefund qui se contentait de faire de l’arbitrage – ce qui dans ce cas, signifiait jouer entre l’intérêt à long terme et celui à court terme. Dexia maximalisait le risque pour obtenir un rendement aussi haut que possible. 80. Les banques n’ont-elles donc rien appris de la dernière crise ? Le retour des bonus et des salaires variables présageait le pire. Aux USA et au Royaume- Uni, des pas ont été faits afin de séparer les fonctions traditionnelles d’une banque et les activités “business”, mais pas en Europe. Le fait que les actionnaires principaux de Dexia sont le Holding communal, la Caisse des dépôts et des consignations (CDC) et le holding coopératif Arco rend tout cela encore plus scandaleux. Le Holding communal a été mis sur pied en 1996 avec comme actionnaires les communes et les autorités provinciales. Arco a 800.000 actionnaires particuliers, avec pour actionnaire de référence les organisations sociales liées au Mouvement ouvrier chrétien. La CDC française est l’ancienne Caisse des pensions d’État, qui a été utilisée pour stabiliser et maintenir entre des mains françaises l’actionnariat des entreprises. Le conseil d’administration de Dexia était bourré de politiciens. Ceux qui pensaient que l’État et une association coopérative seraient plus éthiques en tant que banquiers et prendraient moins de risques sousestimaient la mesure dans laquelle tous ces gens se sont idéologiquement entièrement ralliés à la pensée néolibérale. À l’occasion de l’opération du sauvetage de Dexia – sans doute une nationalisation temporaire dont le coût sera d’environ 4 milliards plus des garanties pour 54 milliards d’euros (15% du PIB !) –, Moody’s a annoncé son intention de diminuer la note de la Belgique. Aucun cout ?

    Une peau de banane communautaire

    81. Les tendances qui existent à l’échelle internationale existent aussi en Belgique. Mais ici, cela prend une couleur communautaire : assainir d’abord au niveau fédéral, ou au niveau régional ? Le capitalisme belge se base traditionnellement sur un compromis historique entre bourgeoisie, État, et dirigeants syndicaux. L’État fournit l’infrastructure, comme par exemple un climat favorable aux investissements, et achète la paix sociale si nécessaire. La bourgeoisie investit dans l’augmentation de la productivité et est récompensée avec un régime fiscal favorable. Les travailleurs reçoivent un salaire brut raisonnable avec des prévisions sociales relativement bonnes. A côté des couts, cela demande des impôts relativement élevés, essentiellement prélevés sur le Travail, d’ailleurs. Pour le travailleur, c’est un coût que l’on sait supporter si cela donne de bonnes prévisions sociales. Pour les classes moyennes, par contre, c’est une source de grande frustration. Elles n’ont pas la productivité des grandes entreprises, mais payent quand même de haut salaires bruts, et elles ne peuvent pas profiter des mêmes mesures de régime fiscal favorable.

    82. La marge économique et la possibilité qu’a l’État de jouer son rôle dans le compromis se rétrécissent déjà depuis la crise de ’74-’75. Pour la bourgeoisie, ce n’est pas un drame. Elle dispose des moyens nécessaires pour utiliser de façon maximale les opportunités qui surviennent avec la crise. Pendant la crise des secteurs industriels traditionnels, elle n’a pas seulement mis les pertes sur le dos du gouvernement mais, avec le développement de holdings, elle a aussi trouvé le moyen de distribuer son capital entre différent secteurs. Ce que quelques uns interprètent comme la disparition de la bourgeoisie belge, n’est rien d’autre que la nouvelle stratégie anticrise de cette bourgeoisie, par laquelle elle distribue son capital également sur le plan international, surtout chez ses partenaires commerciaux les plus importants. Au cours des neuf premiers mois de 2011, il y a déjà eu pour 20 milliards d’euros de rachats et de fusions dans les entreprises belges – il ne s’agit là que des transactions dont le prix est connu, en réalité cette somme est encore plus grande. Dans les quinze plus grandes transactions, il y en avait onze où l’acheteur était belge, bien qu’il y en avait aussi un certain nombre où tant l’acheteur que le vendeur étaient belges.

    83. Pour les travailleurs, ça a été un drame. De plus en plus de gens ont dû faire appel aux allocations sociales. Les allocations de chômage, de pensions et d’invalidité ont souvent été démantelées tranche par tranche – en concertation avec les syndicats – afin de “répondre à la demande croissante”. Pour les classes moyennes, ça a aussi été un drame, parce qu’elles ne disposaient ni d’une batterie de spécialistes fiscaux, ni des capitaux nécessaires. Le compromis historique et les partis qui le représentaient, surtout le CVP, ont commencé à perdre des plumes. Chez les travailleurs, surtout en Flandre, on en avait assez de toujours être prévenus de la volonté d’austérité, premièrement du “danger bleu”, puis du Vlaams Belang, puis de la NVA, alors que les partis liés aux syndicats, le CD&V et le SP.a, n’arrêtaient pas d’assainir durant toute cette période. Pendant sa participation au gouvernement, Groen n’est pas non plus apparu comme voulant se battre contre la politique d’austérité. Le “populisme” était le reproche principal fait à ceux qui voulaient répondre aux véritables aspirations de la population. Parce que les directions syndicales continuaient à coller aux partis qui appliquaient les mesures d’assainissement, et que par conséquent, le mouvement ouvrier n’offrait ni alternative, ni perspective, beaucoup de travailleurs ont commencé à voter “merde”, à se détourner des partis traditionnels, et à devenir réceptifs aux ragots des populistes de droite.

    84. Chez les couches moyennes, les frustrations étaient encore plus grandes. Les perspectives de promotion sociales semblaient se fermer, les avantages fiscaux de la bourgeoisie et la haute productivité devenaient inatteignables. Aucune des deux classes principales n’offrait une issue : ni la bourgeoisie, ni le mouvement ouvrier. La classe moyenne a été laissée à elle-même et a commencé à tirer sur le gouvernement, qui voulait bien encaisser des impôts élevés, mais qui n’offrait rien en récompense. Puis elle s’est retournée sur les “profiteurs”, qui voulaient bien recevoir les avantages de la protection sociale, mais qui ne voulaient pas y contribuer en travaillant. Puis sur les immigrés, qui minent les moyens de notre système social, et enfin sur les transferts financiers de la Flandre vers la Wallonie. Les partis traditionnels ont participé à ce petit jeu, avec leur mythe du “flamand travailleur”. Pour eux, l’idée derrière tout ça était de diviser et d’affaiblir les travailleurs. Pas un parti, pas un politicien, pas un dirigeant syndical ne donnait de réponse à cela. De cette manière, on a creusé le lit pour un parti de la classe moyenne, basé sur un nationalisme flamand de droite radicale.

    85. Le CD&V n’a pas compris quel monstre de Frankenstein il a fait sortir du placard lorsqu’il a joué la carte flamande de l’opposition, dans le but d’obtenir des profits électoraux. La NV-A a vu son opportunité se profiler. De Wever savait que le CD&V faisait trop partie de l’establishment et était trop lié à la CSC que pour pouvoir continuer à jouer cette carte flamande. Il savait que ce parti allait devoir lâcher cette ligne à un certain moment. L’heure avait sonné pour la N-VA, sur base d’un nationalisme flamand libéral et de droite. Ça fait déjà des années que l’opinion publique en Flandre est principalement formée par cette couche moyenne, faute de réponse du mouvement ouvrier. Celle-ci s’est accrochée à des dossiers symboliques représentant de la meilleure manière l’essence même de leur point de vue. Elle est ainsi bien décidée à ne pas se faire mettre à genoux. Concernant le district électoral de BHV, cette classe moyenne flamande veut une politique d’asile et de migration plus stricte, mais son point le plus important est la question socio-économique. Elle pense pouvoir introduire elle-même en Flandre les assainissements qu’elle ne parvient pas à imposer au niveau fédéral. La classe moyenne flamande est aujourd’hui devenue assez forte que pour pouvoir bloquer le compromis “à la belge” traditionnel, dans lequel il n’y a plus rien pour elle. C’est cela qui a conduit le pays à une impasse politique qui a duré quatre années, et dont la fin n’a commencé à se pointer à l’horizon que lorsque son représentant politique le plus important, la N-VA, a finalement été mis de côté. 86. En Flandre, on répand le mythe selon lequel les politiciens en Wallonie et à Bruxelles ne veulent pas appliquer l’austérité. Pourtant, sur les 8890 chômeurs qui ont vu leurs allocations suspendues durant les six premiers mois de 2011, 5.224 étaient wallons, 2.196 étaient flamands, et 1470 bruxellois. Mais il est vrai que la tendance dominante de l’opinion en Wallonie et à Bruxelles est qu’il faut au moins donner l’impression qu’on assainit de façon équilibrée. Cela s’est exprimé dans la note de Di Rupo (http://www.socialisme.be/psl /archives/2011/07/06/note.html). Il y a là tout un nombre de mesures antisociales orientées contre les chômeurs, lesquels vont avoir plus difficilement accès à leurs allocations ; les régions recevraient même un bonus pour chaque suspension. Les chômeurs vont retomber beaucoup plus rapidement sur le minimum absolu, comparable au revenu minimum d’insertion. Les pensionnés recevront un bonus s’ils continuent de travailler après 65 ans. D’ailleurs, quand on voit le montant actuel des pensions, on se rend compte que la plupart n’auront tout simplement pas le choix. Les prépensions vont être encore plus découragées. Dans les services publics, les pensions des nouveaux arrivés seront calculées sur base des dix dernières années, au lieu des cinq dernières années. Dans les soins de santé, la norme de croissance est limitée à 2% au lieu de 4,5%. En échange de tout ça, Di Rupo veut maintenir l’index et l’âge des pensions à 65 ans.

    87. La note Di Rupo représente un “tsunami fiscal”, clament les organisations patronales et les libéraux, NVA en tête. C’est ainsi qu’ils qualifient la proposition d’un impôt temporaire de 0,5% sur les fortunes supérieures à 1,25 million d’euros après déduction de la partie destinée au logement ou à l’activité professionnelle. Sans cadastre de fortune ni abolition du secret bancaire, cette mesure est par ailleurs inapplicable. En plus de cela, il y a le plafonnement de la déduction de l’intérêt notionnel, à 3% au lieu de 3,42%, et surtout, l’abolition de la possibilité de transférer à l’année suivante la partie de la déduction qu’on ne prend pas à une année donnée. Les PME pourraient par contre déduire un demi-pourcent supplémentaire. Le fait que l’exonération fiscale sur les comptes d’épargne soit calculée selon la déclaration d’impôts est une mesure superflue, tout comme d’ailleurs l’augmentation du précompte mobilier sur l’intérêt de 15 à 20%, qui va aussi et surtout toucher les petits épargnants. Tout ceci va être instrumentalisé pour miner la légitimité de l’ensemble des mesures. Un impôt sur les plus-values de 25% sur la vente des effets entre une et huit années après achat, et surtout de 50% pour la vente avant une année, vise les profits des investissements spéculatifs, mais la mesure est minée si l’on accepte le fait que les moinsvalues sont calculées sur la somme des plus-values imposables.

    88. Tout cela n’est donc pas grand chose. C’est insuffisant que pour pouvoir faire avaler les mesures antisociales aux syndicats. Mais comparé à ce que revendique la majorité de droite des politiciens flamands, c’est énorme. En Wallonie et à Bruxelles, ils n’ont que le MR pour tenir pareille position. Il y a quelques années, certains pensaient encore que c’en était fini avec le PS, que le MR allait prendre la première place, que Reynders allait devenir le tout premier Premier ministre francophone depuis Van den Boeynants en ’79, qu’une coalition orange-bleue était en préparation, que BHV ne serait jamais scindé sans élargissement de Bruxelles, et que contrairement au cartel CD&V – N-VA, le MR – formé en 1993 par la fusion du PRL, du FDF et du MCC – ne pouvait plus être séparé après toutes ces années, ou encore qu’une scission de la Belgique était à l’ordre du jour pour au tout au plus les cinq années à venir (c’était en 2007), et qu’on allait tous un jour d’une manière ou d’une autre se réveiller dans une confédération. C’est toujours bien de revenir en arrière sur les vieux arguments pour pouvoir les comparer avec ce qui s’est réellement produit.

    89. Encore un peu de patience : le gouvernement n’est pas encore là, et un obstacle peut encore arriver. Mais entretemps, le prix d’un échec devient tellement grand qu’il faudrait déjà bien déconner avant de pouvoir stopper la formation de ce gouvernement. Quand cela arrivera, ce sera une tripartite classique, éventuellement combinée aux verts. Ce gouvernement sera dirigé par Di Rupo, et pas par Reynders. Celui-ci a perdu sa dernière chance avec l’annonce du départ de Leterme vers l’OCDE. Postposer la réforme de l’État et élargir les compétences du gouvernement en affaires courantes est dès lors devenu impossible. BHV va être scissionné – pas immédiatement, pas totalement sans compensation, mais sans élargissement de Bruxelles. Le PS reste le parti politique dominant en Wallonie ; la scission du MR n’est certainement pas comparable à celle du cartel CD&V – N-VA, mais la pratique a maintenant prouvé que la scission de vieilles formations est possible. Sur une base capitaliste, il est impossible de garder la Belgique unie sur le long terme. Toute “scission de velours” est cependant exclue tant qu’il n’y a pas de majorité claire en sa faveur ni dans le mouvement ouvrier ni dans la bourgeoisie.

    90. La 6e réforme de l’État qui est annoncée est importante – extrêmement importante même, selon Wilfried Martens. Elle fait suite à la plus longue crise politique de l’histoire belge, mais elle n’est pas pour autant copernicienne. Nous ne nous sommes pas encore réveillés dans une confédération. On a fini par trouver un compromis typiquement “à la belge”, où les deux communautés linguistiques peuvent présenter le bilan comme si elles avaient obtenu quelque chose. Cette fois-ci, cela a duré beaucoup plus longtemps que par le passé, presque 500 jours – et cela, après qu’il ait déjà fallu 194 jours en 2007 pour former un gouvernement. Ces longs délais proviennent du manque de moyens pour huiler ces réformes d’État pour les rendre plus faciles à avaler, comme c’était le cas habituellement auparavant. Bref, les Flamands peuvent être fiers d’avoir scissionné la circonscription électorale de BHV avec un minimum de compensations ; les francophones quant à eux peuvent parler du fait que dans les six communes à facilité, on peut maintenant voter pour des listes bruxelloises. En cas de non-nomination, les bourgmestres peuvent aller en appel devant la réunion générale bilingue du conseil d’État, ce que Damien Thierry du FDF appellent la “roulette russe”. Bien qu’elle puisse temporairement aider à supporter le poids écrasant de la surenchère communautaire, cette 6e réforme d’État ne va elle non plus pas conduire à une paix communautaire définitive. Au contraire, le développement des négociations et l’accord final contiennent déjà de nombreux ingrédients pour de nouvelles explosions communautaires.

    91. Les inconditionnels du communautaire vont utiliser les frustrations au maximum dans le but d’augmenter les tensions. Par exemple, le fait qu’avec le transfert de la politique du marché de l’emploi, seul 90% du budget est transféré. En Flandre, les 461 millions d’euros prévus pour le refinancement de Bruxelles seront présentés comme un chèque en blanc qui fera que les besoins sociaux en Flandre manqueront des moyens nécessaires. La phase de transition de la nouvelle loi de financement, qui compense Bruxelles et la Wallonie pour leur arriération durant les 10 prochaines années, se traduira par un transfert des moyens flamands vers la Wallonie et Bruxelles. A Bruxelles, le FDF va expliquer le manque de moyens dans l’enseignement, le logement social et l’emploi comme étant une concession de trop à la Flandre. Le FDF va probablement aussi essayer de donner une traduction communautaire au manque de moyens en Wallonie. Libéré de sa volonté d’être acceptable pour l’establishment, le FDF peut mettre sur pied ses propres mobilisations dans la périphérie – contre la circulaire Peeters per exemple, ou à l’occasion de la nomination d’un bourgmestre, ou encore pour revendiquer des moyens pour le social. Il n’est pas non plus exclu que le FDF essaye de présenter des listes francophones – probablement sous le nom de UDF (Union des francophones) – dans la circonscription de Louvain, ce qui, du côté flamand, sera perçu comme étant une provocation.

    92. Le FDF va-t-il devenir la N-VA francophone ? Il l’aimerait bien, mais ce n’est vraiment pas probable. À côté d’un sentiment national belge, il vit effectivement quelque chose comme un sentiment d’ensemble parmi les francophones, tant en Wallonie qu’à Bruxelles, mais il n’existe pas de nationalisme francophone comme il existe un nationalisme flamand. Nous devons d’ailleurs ajouter que ce sentiment national flamand ne se traduit généralement pas en un sentiment anti-belge. Chaque nouveau sondage confirme cela. Même après quatre ans de débats communautaires, il n’y a toujours que 22% des Flamands qui se prononcent résolument pour l’indépendance ; 75% sont contre la disparition de la Belgique, et 42% des Flamands se prononcent résolumment contre l’indépendance. La N-VA se base surtout sur les frustrations de la classe moyenne qui se sent freinée dans son aspiration à la promotion sociale. Son programme est libéral, de droite et flamingant mais, temporairement, la N-VA a réussi à tourner à son avantage électoral le manque d’alternative offert par le mouvement ouvrier. Il n’est pas exclu que le FDF puisse, avec une rhétorique anti-austérité, attirer à lui une partie des travailleurs. Après 18 années de participation au MR – et même à l’aile droite du MR –, cela ne sera pas tout de suite crédible. De plus, le poids social des couches moyennes en Wallonie (et, dans une moindre mesure, à Bruxelles) et dans la périphérie n’est pas comparable à celui qu’elles ont en Flandre.

  • De l’intérêt de la crise politique pour le mouvement ouvrier – Un regard réellement socialiste sur la crise politique persistante

    La tentative de conciliation de Vande Lanotte était qualifiée de tantième ”négociation de la dernière chance”. A nouveau, aucun accord n’a été obtenu, mais il apparaissait en même temps qu’il ne s’agissait pas de ”la dernière chance” non plus. Les négociations continuent sous la direction de Vande Lanotte, avec De Wever et Di Rupo, et de nouveaux pourparlers ”cruciaux” vont suivre. Le gouvernement en affaires courantes sous la direction d’Yves Leterme a entretemps reçu du Roi la demande d’élaborer un budget pour 2011 avec un déficit plus bas que prévu.

    Texte d’Anja Deschoemacker au nom du Bureau Exécutif du PSL

    L’homme et la femme de la rue ne savent plus que penser. La dépression, le cynisme et surtout le défaitisme sont aux prises avec le fou rire, bien que ce soit un rire jaune. Entretemps, les institutions internationales, y compris les institutions de crédit, commencent en avoir assez. Les journaux sont remplis d’articles consacrés à la menace issue des marchés financiers. Selon le bureau de recherche du marché CMA, le risque d’une faillite de la Belgique a considérablement monté au cours du dernier trimestre, jusqu’à atteindre 17,9% (site web du quotidien flamand De Tijd, 10 janvier 2011). Avec cela, notre pays occupe aujourd’hui la 16e place des pays à risque, contre la 53e il y a neuf mois.

    Cela doit être fortement nuancé. Même si la crise politique et l’absence d’un gouvernement stable attire évidemment l’attention et peut donner des idées aux spéculateurs, il est insensé de mettre la Belgique au même niveau que la Roumanie, comme fait le CMA. Ceci étant dit, il est évidemment correct de dire que le taux d’intérêt croissant que la Belgique doit payer sur ses emprunts coûte une masse d’argent, certainement au vu du fait que les intérêts que paie notre pays sur sa dette d’Etat représentent aujourd’hui déjà à peu près 11% du PIB.

    Si ces éléments sont actuellement très fortement mis en avant dans les médias et si les dangers sont encore souvent exagérés, c’est surtout afin de mettre pression sur les partis impliqués dans les négociations pour enfin conclure un accord et former un gouvernement. Si la NVA ne peut pas y être poussé, même pas quand la crise financière frappe à nouveau, cela constituera la donnée devant servir pour gouverner sans la NVA, car la NVA ne veut pas gouverner et ”nous ne pouvons pas entretemps voir sombrer le pays”.

    Au vu du fait que la Flandre – et donc aussi la Belgique – risque de devenir ingouvernable si les partis traditionnels perdent encore du soutien électoral et que la NVA l’emporte encore, la pression des marchés financiers et des institutions internationales va devoir être très grande avant que le CD&V ne soit prêt. Ce parti qui a durablement été le plus grand parti du pays, le meneur de jeu ultime, est aujourd’hui dans une situation où son existence même est menacée. C’est l’explication principale de son comportement capricieux.

    Le CD&V dit “non, sauf si” – ou était-ce quand même ” oui, mais”?

    Après la déclaration de Wouter Beke selon laquelle le CD&V ne voulait pas se mettre autour de la table avec les sept partis sur base de la note de Vande Lanotte, sauf si des adaptations fondamentales sur des points essentiels étaient préalablement adoptés, la confusion a totalement éclaté. Le bureau du CD&V aurait décidé de dire ”oui, mais” (selon Torfs et Eyskens), mais le G4 du parti (Kris Peeters, Yves Leterme, Steven Vanackere et Wouter Beke) aurait modifié cette décision après que des contacts aient eu lieu avec la NVA pour dire ”non, sauf si”. Wouter Beke a clairement été surpris des réactions et surtout de la décision de Vande Lanotte de démissioner. C’est du poker à haut niveau…

    Et en première vue, cela semble avoir marché. Vande Lanotte peut maintenant quand même continuer à négocier, bien qu’accompagné de deux ”belles mère”: De Wever et Di Rupo. Qu’il n’y ait maintenant aucune garantie que ce triumvirat ne parvienne à quelque chose, pour le dire le plus doucement que possible, peut être clair au vu des premières réactions. Tant la NVA que le CD&V voudraient maintenant emprunter un chemin où moins de thèmes seraient discutés, mais où les réformes concernant ces sujets seraient plus profondes. Le socio-économique est évident mais, pour la NVA, cela signifie par exemple de revendiquer la scission de toute la politique du marché de l’emploi. Les réactions du CDH, du PS et d’Ecolo ont clairement été ”non!” Le CD&V s’oppose d’ailleurs lui aussi à une scission de la sécurité sociale et de l’Onem, ce parti est aussi sous pression de l’ACW (le Mouvement Ouvrier Chrétien en Flandre) et de l’ACV (la CSC en Flandre) qui s’y opposent également.

    Le CD&V et la NVA veulent plus de responsabilisation des gouvernements régionaux et des adaptations dans la note sur Bruxelles, où joue surtout la veille contradiction entre régions et communautés. L’existence de ces deux structures est une exemple typique de ce qu’on appelle le compromis belge : les communautés ont étés créés sur demande de la Flandre qui voulait mener une politique culturelle propre (la Communauté Germanophone utilisant ce développement pour pouvoir elle aussi disposer de compétences communautaires), les régions ont étés créés sur demande de la Wallonie pour pouvoir mener sa propre politique économique. Les deux s’imbriquent et entraînent une structure d’Etat très compliquée.

    Pour les politiciens flamands, les communautés sont les plus importantes. C’est pour cela que les politiciens et les journalistes flamands parlent tout le temps de deux ”Etats régionaux” et que des propositions reviennent pour que Bruxelles soit gérée à partir de la Flandre et de la Wallonie. Ils nient donc que la création d’une Région de Bruxelles a créé une nouvelle réalité qu’on ne peut pas simplement éviter et que l’application d’un Bruxelles géré par les communautés peut conduire dans la capitale à de grandes différences, et même à une politique de séparation. Ils laissent aussi de côté le fait qu’à peu près la moitié de la population bruxelloise ne se considère comme faisant partie ni d’une communauté, ni de l’autre.

    Pour les politiciens francophones, les régions sont la structure de référence, de manière à ce que deux régions (la Wallonie et Bruxelles) se retrouvent face à la Flandre, ce qui renforce évidemment leur position. Ils refusent le développement de ”sous-nationalités” à Bruxelles, ce avec quoi le PSL est d’accord, mais ils passent à côté de la réalité historique que les Flamands ont dû se battre pour avoir, par exemple, le droit à un enseignement néerlandophone, car les compromis qui étaient conclus à ce sujet avant la création des communautés n’ont jamais été réellement appliqués et la politique visant à repousser le néerlandais et à privilégier le français continuaient tout simplement.

    Maintenant que des nouveaux compromis doivent être conclus, ces vielles contradictions continuent à jouer parce que les compromis du passé n’ont pas résolu l’affaire, mais l’ont seulement temporairement ”concilié”.

    Est-ce que ça va finir un jour?

    Les partis francophones ont évidemment tous négativement réagi face au refus du CD&V et de la NVA de se remettre autour de la table à sept. Car eux aussi veulent des adaptations à la note de Vande Lanotte, mais en direction inverse. Ecolo a déclaré être d’accord pour continuer de négocier autour de cette note, avec des amendements, mais le PS et le CDH ont attendu jusqu’aux déclarations du CD&V et de la NVA pour laisser entendre un ”oui, mais”. Le découragement monte : est-ce qu’un accord finira par arriver un jour ?

    Dans sa première déclaration après l’échec de la note Vande Lanotte, Elio Di Rupo a créé une ouverture envers le MR. Cette ouverture a été de suite refermée – les propositions du MR de travailler sur base de l’article 35 de la constitution et de commencer à discuter sur ce que nous voulons encore faire ensemble à partir d’une feuille blanche n’ont pas aidé Reynders à se réimposer – mais c’était un manœuvre tactique importante. En fait, Di Rupo disait ainsi que le PS n’est pas seulement préparé à fonctionner avec la NVA dans un gouvernement qui est de centre-gauche pour le reste, mais également au sein d’un gouvernement de centre-droit. La NVA a fait savoir auparavant qu’elle préférait impliquer les libéraux afin de pouvoir mener une politique sociale (plus) à droite.

    La NVA a aussi laissé savoir qu’elle était en faveur d’une augmentation des compétences pour le gouvernement sortant et être préparée à donner un soutien de tolérance à plusieurs mesures budgétaires, entre autres autour du dossier du droit d’asile et de l’immigration, ce qu’ils avaient déjà proposé à Leterme en octobre. Il est donc clair que pour la NVA, un gouvernement de (centre) droit est un objectif important, un objectif qu’on ne sait pas obtenir sans les partis libéraux comme tant les sociaux-démocrates que les chrétiens-démocrates, et dans une moindre mesure les verts, sont gagnés à l’idée d’une politique d’austérité socialement emballée et accompagnée au lieu d’une thérapie de choc qui conduirait sans doute à une lutte du mouvement ouvrier. Mais il est très clair qu’avec le MR, il serait encore beaucoup plus difficile d’arriver à un accord autour du dossier symbolique par excellence – la scission de Bruxelles-Hal-Vilvorde – au vu des intérêts électoraux du MR/FDF dans la périphérie de Bruxelles. Si Vande Lanotte échoue à nouveau, une tentative de formation d’un gouvernement de centre-droit sans les verts et avec les libéraux n’est pas exclue.

    La pression sur la NVA augmente aussi dans les médias flamands, et il est clair que ce parti constitue un obstacle sérieux pour parvenir à la formation d’un gouvernement. Mais est-ce qu’il y a la possibilité d’arriver à un accord, avec ou sans la NVA ? Les commentaires dans les médias sur les contradictions de la note de Vande Lanotte montrent qu’il s’agit des même qu’il y a trois ans : la responsabilisation des gouvernements régionaux et la place des Communautés à Bruxelles face à celle de la Région.

    Dans le passé, ces contradictions ont toujours été – temporairement – conciliées dans les structures belges sur base de compromis où chaque côté recevait partiellement ce qu’il voulait en échange de concessions de l’autre côté. Cette tradition de compromis – pas seulement sur la question nationale et la langue, mais aussi en conciliant les contradictions entre travail et capital et celles entre les piliers catholiques et laïque – fait que la politique en Belgique est fortement caractérisée par le pragmatisme.

    En Belgique, tous les commentateurs disent unanimement : ”la politique c’est l’art de faire des compromis”. Les coalitions sont ici la forme gouvernementale traditionnelle. Participer aux coalitions était déjà l’objectif du Parti Ouvrier Belge avant la Première Guerre Mondiale (sur le plan communal), et toutes les forces flamingantes ou régionalistes wallonnes ou bruxelloises ont dans le passé été prises dans des coalitions, une récompense pour leur volonté de compromis.

    Maintenant, il semble que la NVA ne veut pas s’inscrire dans ce processus, ou du moins veulent ils visiblement en faire monter le prix tellement haut que ce ne soit plus acceptable du côté francophone. Mais nous ne devons pas nous tromper : pour la bourgeoisie aussi, par la voix de ses organisations comme la FEB, nombre de revendications de la NVA sont inacceptables. Le dernier rapport du FMI également appelle bien à la responsabilisation des gouvernements régionaux, mais appelle également à éviter que la concurrence entre les régions ne fasse des dégâts à l’unité du marché de l’emploi. Comme le rédacteur en chef du magazine Knack l’écrivait il y a des mois, la Belgique fonctionne pour le patronat comme la vache à lait parfaite, il ne veut en aucun cas s’en débarrasser. A la table des négociations, le PS n’est pas seulement le représentant de la Communauté francophone, mais aussi celui de ces cercles du Grand Capital.

    La NVA reçoit un soutien pour son refus de rentrer dans ce jeu: une rupture avec cette politique des coulisses. Les études du comportement électoral illustrent toutefois que de grandes parties de l’électorat gagné par la NVA n’a rien à voir avec le programme de ce parti, on vote pour la NVA après avoir déjà conclu qu’on ne doit rien attendre des autres partis si ce n’est plus de la même chose. Plus de la même chose, c’est encore quelques décennies de modération salariale, une politique menée ces trente dernières années et qui conduit à ce qu’aujourd’hui, une famille a besoin de deux salaires afin de maintenir le niveau de vie de vie qui pouvait dans le temps être assuré par un salaire. Encore quelques décennies de sous-financement de toute l’infrastructure et de tous les services publics, avec comme résultat des crevasses dans les routes, des retards dans les transports publics, les listes d’attente dans chaque secteur des soins,… Encore quelques décennies d’augmentation de la pauvreté (de 6% dans les années ’80 à 15% aujourd’hui), de sous-emploi et de chômage, d’insécurité sur l’avenir,…

    Mais avec la NVA, tout ça ne s’arrêtera pas, bien au contraire. Le parti peut bien se poser idéologiquement comme parti conservateur et non pas libéral, ses revendications socio-économiques sont par contre ultralibérales. Il semble totalement échapper à la NVA que c’est cette politique libérale qui a conduit à la crise mondiale actuelle. Ou est-ce que la NVA pense que le néolibéralisme mène partout à un bain de sang social et à l’appauvrissement, mais que par une ou autre magie la population flamande peut être sauvée ? Il semble aussi échapper à la NVA que leur idée que l’Europe se développera vers une sorte d’Etat national pour les régions européennes – dans laquelle peut pacifiquement s’évaporer la Belgique et la Flandre pacifiquement et presque automatiquement devenir indépendante – a toujours été utopique et qu’avec la crise financière-économique, la direction que prend aujourd’hui l’Union Européenne est plutôt une direction qui disperse les pays européens plutôt que de les rassembler pour la construction d’une véritable fédération européenne.

    Ce qui échappe aussi à la NVA, c’est le fait que ”la Flandre” est tout sauf unanime – même si les partis flamands le sont – sur la nécessité d’un démantèlement des dépenses sociales et des services publics. En 2008, les fonctionnaires flamands ont protesté contre la diminution de leur pouvoir d’achat et, maintenant, ces mêmes fonctionnaires devraient accepter sans lutter qu’on mette fondamentalement un terme à leurs pensions?

    Si la NVA n’est pas préparée à avaler un accord qui satisfait la bourgeoisie – une réforme d’Etat répartissant l’austérité sur différents niveaux – ce parti ne va pas prendre place au gouvernement. Si ce n’est vraiment pas possible autrement, elle serait éventuellement reprise mais seulement le temps nécessaire pour lui brûler les ailes au gouvernement. A côté de ce chemin, il ne reste à la bourgeoisie que la stratégie de pourrissement, où la NVA est brûlée justement en la gardant hors du pouvoir, si nécessaire avec le prix d’encore quelques années de crise politique et, entre autres, des élections se suivant rapidement.

    Un accord est donc possible si De Wever peut imposer un compromis à son parti et si les “pragmatiques” l’emportent sur les ”romantiques flamands”. Si ce n’est pas le cas, le feuilleton va sans doute encore continuer quelque temps pour alors inévitablement conduire à un certain moment à des élections. La pression externe – de la part de l’Europe, des institutions internationales, la menace des marchés financiers,… – va sans doute être nécessaire pour forcer tous les partis à un accord (et pour en même temps donner l’excuse au fait que cet accord sera sans doute en-dessous du seuil minimum aujourd’hui mis en avant par les partis concernés).

    La Belgique a-t-elle encore un avenir ?

    Comme cela a déjà été dit, dans le passé, des compromis ont été conclus conduisant à chaque fois à une période de pacification. Ces compromis étaient possibles sur base de l’énorme richesse produite par la classe ouvrière belge et qui créait la possibilité d’acheter un accord. Les partis régionalistes ou nationalistes flamands ont toujours obtenu des concessions partielles, et on s’assurait en même temps que toutes sortes de verrous étaient instaurés pour éviter la désintégration du pays. L’attribution de plus de pouvoir et de poids des structures belges vers la Flandre en pleine floraison économique et vers la Wallonie frappée de désindustrialisation, s’accompagnait de doubles majorités et d’autres mesures de protection pour les minorités nationales comme les mesures de conflits d’intérêt et la procédure de la sonnette d’alarme. La pleine reconnaissance du bilinguisme à Bruxelles s’est accompagnée d’une Région bruxelloise, qui constitue aujourd’hui la pierre d’achoppement la plus importante contre la désintégration du pays. L’élite flamande ne sait unilatéralement proclamer l’indépendance que si elle accepte la perte de Bruxelles, ce qui n’est pas en train de se faire immédiatement, qu’importe à quoi peuvent bien rêver nombre de membres de la NVA.

    De l’autre côté, il est aussi clair qu’il devient toujours plus difficile de conclure des compromis. Ces trente dernières années, une partie de plus en plus grande de la richesse est allée vers les couches les plus riches de la population, les capitalistes. Les presque 90% de la population qui vivent de salaires et d’allocations ne reçoivent aujourd’hui même plus la moitié des revenus qui sont produits avec le travail de la classe ouvrière en Belgique. Les salaires et les allocations ont été de plus en plus vidées pour faire à nouveau monter les profits, mais les revenus de l’Etat – impôts et sécurité sociale – ont aussi été toujours plus écrémés. Aujourd’hui, l’Etat fédéral n’est plus dans la position d’acheter n’importe quoi. La question actuelle n’est pas de savoir si on sait parvenir à atteindre une situation ”gagnant-gagnant”, et même pas ”gagner un peu, perdre un peu”, mais à un équilibre sur ce qui est perdu, et donc à une situation ”perdant-perdant”. Cela explique la difficulté.

    Mais le plus probable à ce moment est que – finalement – un compromis soit trouvé. Un compromis bancal qui ne va pas conduire à la stabilité – seulement à plus de coupes dans les dépenses sociales et les services publics, alors que les manques y sont déjà grands. Un compromis donc, dont on peut dire avec certitude qu’il ne va qu’encore augmenter les tensions.

    Et le mouvement ouvrier?

    Il était là et il regardait… Par manque de parti des travailleurs, les intérêts de la classe ouvrière n’entrent pas en ligne de compte dans ces négociations et ne vont certainement pas être à la base d’un accord. Qu’importe ce que dit le PS, ils ont déjà prouvé plus que suffisamment au cours des trente dernières années qu’ils sont préparés à faire tout ce que la bourgeoisie demande. Bien que le PS reste plus à l’arrière-plan et se cache derrière les partis flamands qui ont toujours livré le dirigeant du gouvernement, il est tout comme le SP.a à la base du vol du siècle (passé) : vider presque tous les acquis d’après-guerre du mouvement ouvrier petit à petit, avec une tactique du salami.

    La NVA n’agit clairement pas dans l’intérêt de la classe ouvrière en Flandre, Bart De Wever a rendu cela très clair très tôt dans les négociations, quand il a appelé le Voka – qui a toujours été une des organisations patronales la plus extrême sur le plan des revendications ultralibérales – ”mon patron”. S’il y avait un réel parti des travailleurs en Flandre, qui mène réellement la lutte pour les intérêts des travailleurs flamands, il serait déjà rapidement clair que le Voka – et la NVA avec lui – ne représente qu’une petite minorité de la population flamande, cette minorité qui veut faire travailler pour elle la majorité au coût le plus bas possible. Par manque d’un parti des travailleurs qui réagit aux attaques des partis bourgeois et petit-bourgeois en prenant en main la lutte de classe pour la classe ouvrière, et qui y donne une direction, un climat peut être créé où les intérêts des patrons flamands peuvent être représentés comme les ”intérêts de la Flandre”.

    Il n’y a pas de short-cut. La bourgeoisie n’est pas capable de concilier définitivement et complètement la question nationale en Belgique, la seule chose qu’elle a à offrir est encore quelques exercices d’improvisation et d’équilibre avec comme objectif final de maintenir son système et ses privilèges. Une conciliation réelle de contradictions nationales ne peut se faire que si les moyens sont mis à disposition pour garantir à chacun en Belgique une vie et un avenir décent. Des emplois à plein temps et bien payé pour tout le monde, assez de logements abordables et de qualité, un enseignement de qualité et accessible pour offrir un avenir à nos enfants, des services publics et une sécurité sociale avec assez de financement pour couvrir les besoins,… sont des revendications qui doivent nécessairement être remplis, sans aucune discrimination, pour mener à une fin aux tensions. Un développement harmonieux de l’économie belge avec comme but de satisfaire les besoins de la grande majorité de la population et d’en finir avec les pénuries sur le plan social (et donc en finir aussi avec les luttes pour savoir qui peut disposer de ce qui reste comme moyens) devrait mettre fin au chômage colossal et au manque de perspectives qui règnent dans nombre de régions wallonnes, mais certainement aussi à Bruxelles et dans des villes comme Anvers et Gand, où de grandes parties de la jeunesse ouvrière n’a aucune perspective pour l’avenir, sauf le chômage et la pauvreté. Il ne faut pas attendre ce développement harmonieux de la bourgeoisie. Le capital ne va que là où il y a beaucoup de profit à faire à court terme.

    Tant que ces énormes moyens produits par la classe ouvrière en Belgique disparaissent dans les poches des grandes entreprises et de ceux qui sont déjà super-riches, ni une Belgique unifiée ni une Flandre indépendante ne sait fonctionner. Ces moyens sont nécessaires pour qu’une société réussisse, que ce soit à l’intérieur de la Belgique ou – si une majorité de la population le souhaite, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui – dans le cadre d’une fédération de régions indépendantes. Le PSL ne résiste pas à la disparition de l’Etat belge comme nous le connaissons, mais au fait que la rupture se base sur la destruction totale des acquis du mouvement ouvrier belge (comme la NVA le propose en réalité). Ces moyens sont en d’autres mots nécessaires aussi bien pour une scission pacifique et harmonieuse du pays, si cela était désiré, que pour une réparation de l’harmonie dans le ”vivre ensemble” en Belgique.

    Le mouvement ouvrier doit prendre en mains ses affaires. Sur le plan syndical, nous ne pouvons pas nous faire imposer un mauvais accord interprofessionnel parce ”mieux n’est pas réalisable”. Rien, sauf l’appauvrissement, n’est réalisable. Si l’économie repart en chute, stagne ou se relance temporairement et partiellement, si des luttes ne prennent pas place, les patrons vont de nouveau s’en aller avec les profits et les travailleurs vont en payer le coût. Mais aussi sur le plan politique, nous devons de nouveau pouvoir mener la lutte si nous voulons obtenir le maximum sur le plan syndical. Le choix pour le soi-disant moindre mal sous la forme d’encore un fois voter pour les partis existants qui prétendent encore de temps en temps agir dans les intérêts de la classe ouvrière (mais qui ces dernières décennies ne le font plus en actes) a conduit dans le passé au démantèlement social, à une capitulation relative du mouvement ouvrier devant les revendications des patrons. Dans l’avenir cela ne serait pas différent, sauf en pire.

    Avec ce vote pour le moindre mal, le mouvement ouvrier prend une position passive, ce qui signifie qu’elle subit tout simplement le processus actuel de réforme d’Etat – qui est en fait la préparation du plan d’austérité drastique qu’on va essayer de nous imposer. Les directions syndicales ont déjà plusieurs fois appelé avec les organisations patronales à un accord sur la réforme d’Etat et la formation d’un gouvernement, qu’importe le gouvernement. Mais nous ne voulons pas de n’importe quel gouvernement, nous ne voulons pas avoir un gouvernement simplement pour avoir un gouvernement.

    Pour pouvoir sortir de ce scénario, les militants syndicaux doivent augmenter la lutte contre toutes tentatives du patronat de nous faire payer la crise. Nous devons sur le plan syndical refuser un mauvais accord interprofessionnel et mener la lutte pour une augmentation du salaire brut, contre les contrats précaires et pour assez de moyens pour la création d’emplois décents. Sur le plan politique, nous devons nous préparer à agir contre n’importe quel gouvernement quand il veut nous présenter la facture. Dans la lutte pour nos intérêts, les idées et les forces peuvent grandir pour arriver, pour la deuxième fois dans l’histoire, à la création d’un véritable parti des travailleurs. Un vrai parti des travailleurs peut élaborer une solution définitive à la question nationale en Belgique: une démocratie conséquente, qui tient compte des droits sociaux et culturels de tous les groupes de la population, basée sur une économie planifiée démocratiquement élaborée et qui développe tout la territoire de la Belgique sur le plan social et économique, c’est une condition cruciale. Ce n’est possible que si la bourgeoisie est privée de son pouvoir dans la société.

    Un tel parti des travailleurs ne va pas tomber du ciel, mais va se développer sur base de la lutte et des leçons tirées de cette lutte par les masses des travailleurs, comme ça c’est passé dans le temps avec le vieux parti ouvrier, aujourd’hui bourgeoisifié. Une fois qu’une lutte plus massive et maintenue commence pour maintenir des conditions de vie décentes dans cette crise de longue durée du capitalisme, les délégués et militants des mouvements sociaux vont tirer des conclusions plus profondes. L’histoire nous montre que ce processus, une fois commencé, peut développer très vite, certainement s’il y a une minorité consciente sous la forme d’un parti socialiste révolutionnaire capable de développer ses racines dans le mouvement ouvrier dans ce processus.

    Il n’y a donc pas de raccourci. Dans la période qui vient, il y aura sans doute une continuation de la crise politique, pendant laquelle le pays est géré par le gouvernement en affaires courantes, en fait un gouvernement technique qui n’en a pas le nom. Si un gouvernement avec la NVA est formé, il va être de courte durée, le tantième gouvernement de combat à l’intérieur. Si les négociations ne peuvent plus être tirées dans le temps, nous pouvons avoir à faire à des élections dans les mois prochains, bien que cette perspective diminue à mesure que la menace des marchés financiers augmente.

    A un certain moment un compromis devra être trouvé, qui consistera à ce que la grande majorité de la population – les travailleurs et leurs familles, les gens qui vivent d’allocations, les petits indépendants – paye la facture de la crise capitaliste. Ce compromis va, comme toujours, être de double sens et donner vie à de nouvelles contradictions et tensions. Bien qu’aujourd’hui les forces ne sont pas là pour imposer la désintégration de la Belgique, le maintien de la Belgique sur base capitaliste va de plus en plus être miné jusqu’à ce que cela devienne intenable à un certain moment. La faute dans le raisonnement de beaucoup de flamingants contents de ce processus n’est pas que ce processus ne se passerait pas, mais réside dans l’illusion que cela pourrait se passer pacifiquement et avec des négociations.

  • La Flandre vire-t-elle à droite ?

    En Flandre, ce qui est officiellement considéré comme étant de ‘gauche’ (le SP.a et Groen) n’obtient plus qu’à peine 20% des suffrages aux élections. Différents commentateurs concluent alors, un peu vite, que le Flamand est de droite, conservateur et flamingant.

    Ils partent de l’idée qu’un soutien électoral pour un parti implique un soutien à son programme. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce n’est pas le cas des 13% d’électeurs de la N-VA qui disent vouloir revenir à une Belgique unitaire… Des études ont démontré que pour les élections de 2009, les thèmes importants qui ont déterminé le vote des électeurs flamands étaient la crise financière (32%), la sécurité sociale (23%) et le chômage (11%). Seuls 8% estimaient que la réforme d’Etat constituait le thème le plus crucial. Côté francophone, les mêmes thèmes sont mis en avant : crise financière (32%), sécurité sociale (14%) et chômage (14%). Et même parmi les électeurs de la NVA, seuls 27% avaient pour priorité la réforme d’Etat (c’est à peine 6% de l’électorat du Vlaams Belang et de la Lijst Dedecker). Dans les différentes parties du pays, les principales inquiétudes des couches larges de la population sont donc similaires.

    Après trente années de politique d’austérité, l’autorité des institutions capitalistes est minée, y compris celle de ses instruments politiques. Cela entraîne une recherche d’alternatives et une plus grande instabilité électorale.

    En Flandre, il y a eu la percée du VLD (les libéraux), puis du Vlaams Belang, des verts de Groen à certains moments aussi, et puis la Lijst-Dedecker (LDD). En 2004, l’extrême-droite du Vlaams Belang était encore à 24% et maintenant, elle est sous la barre des 10% dans les sondages. Quant à la LDD, elle n’arriverait même pas aujourd’hui à dépasser le seuil électoral pour avoir des élus. Mais dans les sondages de début 2009, c’était encore le deuxième parti de Flandre avec 16,6%. A ce moment, la N-VA était à peine au-dessus du seuil électoral.

    Il est vrai que les partis soi-disant de “gauche” entrent à peine en ligne de compte, ce qui provient surtout du fait que le SP.a et Groen n’ont pas vraiment une approche combattive et de gauche. Ils suivent aujourd’hui les positions de De Wever et de la N-VA, pourquoi dès lors ne pas voter pour l’original ? Où la gauche officielle fait-elle encore différence ? De quand date leur dernier spasme idéologique qui n’était pas de nature néolibérale ? La gauche officielle n’est plus à gauche, et cela ouvre la voie à la droite.

    La différence qui existe entre la Flandre, la Wallonie et Bruxelles n’est pas due à des différences ‘‘culturelles’’ avec une ‘‘droitisation’’ en Flandre. La Flandre ne se distingue pas vraiment par une montée de la droite mais par la faiblesse de la gauche. Les médias jouent évidemment là-dessus, ce qui fait qu’un point de vue de droite néolibéral devient la norme. Il s’agit surtout d’un développement au sommet de la société. Parmi les couches larges, on se fait un sang d’encre à cause de la crise, de la sécurité sociale et du chômage. Et là, la droite n’a aucune réponse.


    (1) Chiffres de “De stemmen van het volk. Een analyse van het kiesgedag in Vlaanderen en Wallonië op 7 juni 2009”. Par Kris Deschouwer, Pascal Delwit, Marc Hooghe, Stefaan Walgrave

  • Cette crise politique finira-t-elle un jour ?

    Un moment, il semblait bien que cela allait réussir. Les deux vainqueurs des élections – PS et N-VA – avaient ‘‘compris’’ qu’ils étaient condamnés l’un à l’autre et qu’un compromis devait être trouvé. Entretemps, la montagne a accouché d’une souris, les déclarations venimeuses s’échangent à nouveau dans la presse et toutes sortes d’alternatives possibles (et impossibles) sont passées au cribles. Du côté francophone, on parle du fameux ‘‘Plan B’’ (qui est bien plus un exercice intellectuel qu’un ‘‘plan’’) tandis que du côté flamand, la N-VA continue d’imaginer un gouvernement avec les libéraux, histoire ne pas être le seul parti de droite dans un gouvernement qui serait dit de ‘‘centre-gauche’’. L’impasse paraît être totale.

    Par Anja Deschoemacker, article tiré de l’édition d’octobre de Lutte Socialiste

    La majorité de la population dans la tourmente

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    A propos de la crise communautaire, quelques articles

    La Question Nationale en Belgique: Une réponse des travailleurs est nécessaire

    En novembre 2005, le PSL (qui s’appelait encore alors le Mouvement pour une Alternative Socialiste) avait consacré une Conférence Nationale à la question communautaire. Depuis lors, plusieurs évènements ont confirmé l’analyse qui y avait été faite et qui est à la base de cette brochure. A travers différents chapitres abordant le marxisme et la question nationale, l’histoire de la Belgique et le développement de la question nationale, etc., nous arrivons à un programme consacré à cette question et basé sur la nécessité de l’unité des travailleurs contre la politique de "diviser pour mieux régner" de la classe dirigeante.

    • Préface
    • Le marxisme et la question nationale
    • Un mot sur l’historiographie belge
    • Développement de la question nationale en Belgique
    • La question nationale à Bruxelles
    • La Communauté germanophone
    • Les réformes d’Etats
    • Quel est le programme défendu par PSL/LSP ?

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    Depuis le milieu des années 1970, l’économie est aux prises avec des caractéristiques de dépression. Les illusions crées dans la période de croissance d’après-guerre (chaque génération vivrait mieux que la précédente,…) se sont effondrées et tous les éléments conduisant à des divisions ont commencé à prendre de l’ampleur. Concernant la question communautaire, cela a surtout signifié que les tensions ne pouvaient plus être achetées en jetant à l’un protagoniste où l’autre un os savoureux. D’une période de quasi plein-emploi fin des années ’60, où la norme était un emploi à temps plein avec un contrat fixe, nous sommes arrivés à une période de chômage structurel, où constamment plus d’emplois ne sont qu’à temps partiel et temporaires. Le professeur Pacolet du HIVA (Institut supérieur du Travail, de l’université catholique de Louvain) a déjà prouvé qu’entre le milieu des années ’70 et aujourd’hui, strictement aucun emploi n’a été créé si le calcul est effectué en équivalents temps plein.

    Des partis traditionnels en perte d’autorité

    La classe dirigeante et ses instruments politiques n’ont apporté aucune réponse face à cette situation. Dans les années ’80, on a demandé à la population de se serrer la ceinture et de d’attendre patiemment la sortie du tunnel. Mais à chaque fois, le bout du tunnel s’est révélé n’être qu’un bref intermède avant de replonger à nouveau dans un autre tunnel.

    Les partis traditionnels ont été impliqués jusqu’au cou dans l’organisation de la casse sociale et la responsabilité ne tombe pas seulement sur les épaules des partis de droite et de centre-droit (libéraux et chrétiens-démocrates) mais aussi, et dans une large mesure, par la famille social-démocrate, même si le PS s’est bien mieux caché derrière ‘‘la droite’’ ou ‘‘les partis flamands’’.

    Dans une telle situation, où les deux classes fondamentales de la société n’offrent aucune issue (la bourgeoisie et la classe des travailleurs) et où tous les instruments traditionnels de la bourgeoisie sont discrédités, la voie est libre pour la montée de partis populistes offrant des ‘‘solutions’’ semblant plus évidentes en jouant sur toutes les divisions possibles et imaginables. Dans les années ’80, le Vlaams Belang a commencé à percer en jouant la carte du racisme, qui pouvait croître sur base de la concurrence toujours plus grande pour les emplois, les logements sociaux,…

    Aujourd’hui, en Flandre, c’est la N-VA qui réussit le mieux à attirer les votes anti-establishment. Leur histoire à eux, c’est que ‘‘les flamands’’ seraient bien mieux s’ils ne devaient pas ‘‘payer pour la Wallonie et Bruxelles’’. Le programme de la N-VA ne défend cependant que les intérêts des petits patrons flamands, qui souhaitent contribuer encore moins qu’aujourd’hui à la sécurité sociale et aux impôts.

    Est-ce qu’on peut encore sortir de l’impasse?

    Dès le début de la Belgique, des différences existaient entre la Flandre, la Wallonie et Bruxelles. La discrimination fait partie intégrante de notre histoire nationale, aussi avec la petite communauté germanophone. Les modifications des relations de force entre régions ont régulièrement conduit à des crises nationales. La montée de la Flandre a été récupérée dans l’Etat belge par le développement d’un système de division de pouvoir, systématiquement adapté et affiné avec une nouvelle réforme d’Etat. Nous sommes de nouveau devant une telle adaptation. Mais la marge de manœuvre budgétaire, extrêmement réduite après plus de trente années de dépression et de politique néolibérale, rend cet exercice encore plus difficile à réaliser.

    Le PS ou la N-VA vont-ils réussir à réaliser une réforme d’Etat et à constituer un gouvernement ? La question est en fait celle-ci : la bourgeoisie belge réussira-t-elle encore une fois à trouver un nouvel équilibre ? Cela dépend de la volonté de la N-VA à servir la bourgeoisie belge avec à la clé des carrières, de hautes fonctions et encore plus de pouvoir pour les autorités locales. D’un côté, nous avons tendance à répondre par l’affirmative au vu du caractère de droite de la N-VA. La dernière chose qu’elle souhaite, c’est la mobilisation de ce ‘‘peuple flamand’’ qui risque bien, une fois mobilisé, de rester mobilisé pour de plus hauts salaires et de meilleures conditions de vie et de travail, pour des allocations sociales plus élevées et pour une meilleure sécurité sociale, pour des services publics de bonne qualité et pour toutes sortes d’autres revendications qui vivent parmi la classe ouvrière flamande (et qu’elle a en commun avec ses collègues bruxellois, wallons, germanophones ou encore français, allemands,…).

    D’un autre côté, le parti de De Wever reste un projectile sans tête chercheuse. Mais si la N-VA refuse de conclure un accord, la riposte de la bourgeoisie va arriver de toutes parts. Finis donc les bons articles dans la presse ou les invitations pour des émissions comme ‘‘De Slimste Mens’’ (une émission télévisée dans laquelle Bart De Wever a fait sensation), finies les tentatives de charme. Mais le problème est que la bourgeoisie, en Flandre, ne dispose plus d’instruments capables de récupérer les votes qui quitteraient la N-VA. Le risque serait grand de voir le Vlaams Belang en reprendre une bonne partie, malgré leurs problèmes rencontrés ces dernières années.

    La seule manière de sortir de l’impasse est qu’une des deux classes fondamentales composant la société offre une issue: soit par la création d’un nouveau parti des travailleurs apte à canaliser la force de la classe ouvrière, soit parce que la bourgeoisie réussit à faire payer la crise au reste de la population et à donner le coup de grâce à ce qui reste de ‘‘l’Etat providence’’.

    Et maintenant on fait quoi?

    Le nombre de discriminations au sein de la structure belge grandit sans cesse, tout comme les harcèlements envers les minorités nationales (ex. les minorités francophones et néerlandophones dans les communes à facilités). C’est la base matérielle – avec les partis traditionnels séparés, l’enseignement séparé, les médias séparés,… – pour la résurgence de sentiments nationalistes. Ainsi, le climat est tendu dans tout un nombre de communes à Hal-Vilvorde.

    La bourgeoisie ne veut pas la scission de la Belgique, mais elle ne dispose plus d’instrument en Flandre pour essayer de stopper la montée électorale des forces petite-bourgeoises et flamingantes. A long terme, il est exclu que la Belgique reste unifiée sous le capitalisme, un système où un développement socio-économique harmonieux de toutes les régions n’est pas possible. Mais la scission de la Belgique n’offrirait aucune solution pour les problèmes de la majorité de la population, seule la chute du système capitaliste pourrait le faire.

    Le PSL pense qu’à court terme, le scénario le plus probable est toujours la formation d’un gouvernement ‘calque’ (reproduisant les coalitions régionales), où le PS aurait la tâche de brider la N-VA et de lui brûler les ailes au pouvoir. D’un autre côté, il y a toujours plus d’éléments qui semblent démontrer que la N-VA ne se laisse pas entraîner dans ce jeu. Dans ce cas, l’attente risque d’être longue et la pression d’une nouvelle crise financière, les pressions économiques internationales,… causeraient bien des dégâts à la N-VA et forcerait à parvenir d’urgence à un gouvernement d’unité nationale.

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