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Tag: Un jour dans l’histoire de la lutte des classes
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Un jour dans l’histoire de la lutte des classes – Lucie Baud, pionnière de la lutte des ouvrières du textile
C’est à l’âge de 12 ans, en 1883, que Lucie Baud commence à travailler comme ouvrière dans un atelier de tissage mécanique à Vizille, une commune au Sud de Grenoble. 800 ouvrières y travaillaient de 12 à 14 heures par jour. Quelques années plus tard, elle part travailler dans une usine plus moderne où les salaires sont un peu meilleurs, mais les cadences plus infernales. Après avoir épousé, à l’âge de 20 ans, un homme plus âgé qu’elle, Lucie se retrouve veuve en 1901 avec deux petites filles.Par Guy Van Sinoy
En 1902, elle entre en contact avec des militants de la Bourse du Travail de Grenoble et créé avec leur aide un Syndicat des Ouvriers et Ouvrières en Soierie du canton de Vizille. En août 1904, elle est déléguée au 6e Congrès national ouvrier de l’Industrie textile qui se tient à Reims. Il faut imaginer ce que représentait à l’époque un tel voyage…
Au congrès, sur 54 délégués, Lucie est la seule femme. Aucune question sur le travail des femmes ne figure à l’ordre du jour alors qu’elles sont les plus mal payées et que, dans les ateliers où travaillent des centaines de jeunes femmes, elles subissent souvent le harcèlement sexuel de contremaîtres se comportant comme des coqs dans un poulailler. Lucie est secrétaire du Congrès et figure à ce titre à la tribune, mais elle n’a pas le droit à la parole ! Les organisateurs du congrès l’appellent ‘‘Notre Amie’’, ‘‘Citoyenne’’, mais aucun ne l’appelle ‘‘Camarade’’. Une amère expérience du long chemin sur lequel les femmes devront batailler inlassablement pour être considérées sur un pied d’égalité dans les organisations ouvrières.
En 1905 Lucie Baud donne sa pleine mesure dans la grève de trois mois menée à l’usine Duplan à Vizille. Le patron a rapporté d’Amérique un système nouveau permettant aux métiers à tisser de battre à la cadence de 300 coups par minute, contre 120 précédemment. Il veut réduire les salaires et licencier 60 % du personnel. Les ouvrières votent la grève à l’unanimité moins 2 voix. Lucie prend la tête de la lutte où elle est à la fois présidente du comité de grève, trésorière du comité de soutien (elle organise des collectes et une soupe communiste pour nourrir les grévistes), interlocutrice du patronat et oratrice de tous les meetings. A la manifestation du 1er Mai 1905 à Grenoble, elle parle à la tribune où elle est désormais considérée comme une ‘‘Camarade’’. Mais la grève est une impasse. Duplan décide de fermer l’usine et les ouvrières se dispersent.
Lucie déménage alors à Voiron, au Nord de Grenoble, une grande cité en plein essor. Elle y arrive en pleine période d’agitation ouvrière et retrouve facilement du travail. La grève éclate au printemps 1906 et devient générale à Voiron. Les patrons font venir des ouvrières d’Italie pour tenter de casser la grève. Le Premier Mai, la mobilisation ouvrière est générale dans la localité. Lucie participe activement au mouvement mais, nouvelle venue, elle n’y joue pas un rôle de premier plan. Un frein est mis à la réduction des salaires, mais dans l’immédiat 700 ouvrières, dont Lucie, sont licenciées.
En septembre 1906 Lucie fait une tentative de suicide. Elle expliquera ce geste par des soucis de famille, mais on ne peut que le rapprocher de la dépression qui suivit les grands moments d’intensité des grèves. En juin 1908 Lucie Baud raconta sa vie et ses combats dans un article du Mouvement socialiste, qui est un tableau précieux de la condition ouvrière féminisme dans la région au début du 20e siècle. Lucie Baud meurt le 7 mars 1913, veille de la journée internationale de lutte des femmes.
(1) Source : Le Maitron Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier.
(2) En 2018, Gérard Mordillât a réalisé un télé-film, Mélancolie ouvrière, inspiré du livre de Michèle Perrot (2012) consacré à la vie de Lucie Baud. -
Italie 1919-1920 (2e partie) : Les occupations de terres

L’image ci-dessus est tirée du film photo de Bernardo Bertolucci ‘‘1900‘‘. 1919, au moment où la colère contre la vie chère explose dans les villes, un autre incendie social embrase les campagnes : les occupations de terres. Pendant la guerre, le président du Conseil avait promis : ‘‘Après la victoire, l’Italie accomplira un grand geste de justice sociale : elle donnera la terre aux paysans avec tout ce qui en fait partie’’. Les soldats démobilisés rapportent au plus profond des campagnes l’espoir de vivre mieux et surtout d’avoir enfin la terre.
Par Guy Van Sinoy – Accéder à la première partie
Le mouvement va entraîner différentes catégories de paysans : les métayers locataires de la terre qu’ils cultivent, les journaliers qui revendiquent de meilleurs contrats, les paysans sans terre ni travail qui exigent des terres. En mars 1919, dans le Latium (région autour de Rome), ils commencent à occuper des terres que les grands propriétaires laissent en friche par manque de volonté d’investir, ce qui est intolérable pour tous les paysans dans la misère. Des centaines d’hommes et de femmes, portant leurs outils de travail et arborant des calicots, forment des cortèges précédés d’une fanfare. Ils parcourent les villes avant d’occuper les terres en friche.
En juin, le mouvement s’étend aux ligues paysannes catholiques qui occupent à leur tour les terres, ce que le journal catholique Il Popolo romano dénonce comme étant «un authentique acte bolchevique». En août, le mouvement s’étend au Sud du pays (Pouilles, Calabre, Sicile). Dans le Latium, des dizaines de ligues et de coopératives rouges affiliées au syndicat CGL(1) organisent le 24 août les occupations dans 40 communes. 25.000 hectares sont ainsi occupés, pour certains déjà ensemencés, ce qui suscite une vive émotion parmi les grands propriétaires.
Fin 1919 et au printemps 1920, la lutte s’intensifie. En Émilie (Parme, Modène, Bologne), des paysans organisent des piquets et bloquent les routes. Les ligues paysannes organisent un boycott des propriétaires récalcitrants qui ne parviennent plus à acheter le nécessaire pour faire fonctionner leur exploitation. En janvier 1920, un projet de décret gouvernemental prévoit des peines renforcées contre les occupations. Pourtant le mouvement se poursuit. Dans les Pouilles, les paysans occupent cette fois des terres cultivées, coupent les fils du télégraphe, font sauter des ponts, désarment les carabiniers et résistent à la troupe qui tue deux d’entre eux.
Dans le Nord du pays, 180.000 métayers et journaliers se croisent les bras afin d’imposer de meilleurs contrats collectifs. Les seuls symptômes de vie dans les champs et les rizières sont les équipes de plusieurs dizaines de ‘‘cyclistes rouges’’ qui assurent la liaison entre les grévistes et repèrent les jaunes (les non-grévistes) au travail.
L’extension spontanée du mouvement paysan et sa profondeur indiquaient un énorme potentiel révolutionnaire, en posant la question de l’expropriation des grands propriétaires. Cela aurait pu devenir un allié déterminant pour les travailleurs de villes. Mais il n’existait à ce moment-là aucune force politique capable de rassembler cette énergie, de la centraliser et de l’orienter vers un changement radical de société.
Dans le prochain numéro : Les occupations d’usines. La première partie ‘‘La lutte contre la vie chère’’ est parue dans Lutte Socialiste n°244.
(1) CGL : Confederazione Generale del Lavoro (Confédération Générale du Travail).
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Un jour dans l’histoire de la lutte des classes – 1919-1920 : Deux années rouges en Italie

Il y a 100 ans, l’Italie a connu une vague de luttes spontanées de très grande ampleur. L’Italie était alors un pays avec de grandes propriétés terriennes aux mains des aristocrates. La masse des 55 % de la population active travaillait la terre et était composée de journaliers agricoles, de propriétaires de très petites parcelles et de métayers (locataires de la terre qu’ils cultivaient). Malgré des journées de travail de 14 heures, la masse des paysans vivait dans la misère. Entre 1876 et 1914 plus 8 millions d’Italiens ont émigré vers l’Europe du Nord ou l’Amérique.
Par Guy Van Sinoy, article tiré de l’édition de septembre de Lutte Socialiste
En 1915, l’Italie entre en guerre contre l’Autriche. Composée en grande partie de paysans, l’armée italienne, mal équipée, subit de graves revers. Près de 650.000 soldats italiens perdent la vie.
La lutte contre la vie chère
Au lendemain de la guerre, le coût de la vie a quasiment triplé ! L’agriculture arriérée ne peut nourrir toute la population et oblige à importer du blé d’Amérique. La première riposte des travailleurs prend la forme de grèves pour l’ajustement des salaires au coût de la vie : 22.000 grévistes en janvier 1919, 400.000 au milieu de l’année ! Dans les quartiers populaires, des cortèges regroupent des centaines de manifestants qui s’en prennent aux boutiques des commerçants. En juin 1919, de tels cortèges se forment dans le Nord du pays (Gênes, Milan, Bologne, Pise). Les manifestants pillent de façon organisée les magasins puis réquisitionnent automobiles et camions pour emporter à la Bourse du travail (1) les marchandises saisies dans les magasins. Là, des Commissions de contrôle sont chargées de les revendre à prix réduits.
A partir du mois de juillet, le mouvement s’étend au Sud (Palerme, Messine, Naples, Tarente). Les responsables syndicaux (la CGL), complètement dépassés, en appellent au calme et se contentent d’exhorter les ouvriers à ne pas se laisser entraîner dans des actions ‘‘promises à l’échec’’. A Milan, le dirigeant socialiste Turati recommande la modération : ‘‘Ne faites pas de bêtises !’’
Les carabiniers abattent des dizaines de manifestants mais, rapidement, ils doivent se résigner à ne plus protéger que les établissements publics car leurs effectifs sont limités. Le pouvoir hésite à utiliser l’armée contre les manifestants car elle est composée de nombreux paysans et à plusieurs endroits, l’affrontement entre soldats et manifestants se transforme en fraternisation. Dans de nombreuses manifestations, on entend : ‘‘Vive les Soviets !’’ et ‘‘Vive Lénine !’’ Le Parti Communiste d’Italie sera fondé en janvier 1921.
(A suivre… Prochainement : L’occupation des terres.)
(1) Bourse du travail : en France et en Italie, bâtiment de la maison des syndicats.
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Un jour dans l’histoire de la lutte des classes – Mamadou Addi Bâ, résistant guinéen antinazi

Né en 1913 en Guinée, Mamadou Addi Bâ arrive en France en 1937 où il travaille comme domestique. En novembre 1939 il s’engage comme tirailleur volontaire dans une division d’infanterie coloniale qui livre en mai 1940 de violents combats dans les Ardennes. Après une résistance héroïque et de nombreuses pertes, son bataillon se rend. Fait prisonnier, Mamadou Addi Bâ est transféré dans les Vosges. Il s’évade avec quelques camarades, récupère des armes abandonnées par l’armée française et se cache dans les forêts. Parlant très bien le français, il prend contact avec le maire et l’institutrice du village de Tollaincourt, qui accueillent les évadés. Le maire, héberge Addi Bâ et l’emploie comme commis agricole.
Par Guy Van Sinoy
Dès le mois d’octobre 1940, le maire met le groupe des évadés en contact avec un groupe de résistants. Quelques dizaines de tirailleurs sont évacués clandestinement vers la Suisse au début de l’année 1941, tandis que Mamadou Addi Bâ participe à la constitution du premier maquis des Vosges en compagnie de 80 jeunes réfractaires au Service du Travail Obligatoire (vers l’Allemagne).
Le 13 juillet 1943 le camp des maquisards est attaqué par l’armée allemande. Deux jours plus tard Mamadou Addi Bâ, surnommé par la Gestapo ‘‘Der schwarze Terrorist’’, est arrêté dans une ferme et blessé. Sans être soigné il est emmené à la prison d’Épinal. Il est torturé à plusieurs reprises, mais se tait, sauvant la vie de ses camarades. Il est fusillé le 18 décembre 1943 à Épinal.
Aujourd’hui dans quelques villages des Vosges l’une ou l’autre rue porte son nom.
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Retrouvez sur la toile la biographie de Mamadou Addi Bâ évoquée dans une vidéo par Lilian Thuram, ancien footballeur professionnel (Monaco, Parme, Juventus, Barcelone, Équipe de France), et infatigable militant antiraciste.