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Tag: Un jour dans l’histoire de la lutte des classes
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La guerre d’Algérie (1/3) Les débuts de la lutte pour l’indépendance

Le 8 mai 1945, les jeunes et les travailleurs d’Algérie ont manifesté contre le fascisme et contre le colonialisme. La manifestation a subi à une répression sévère. La conquête de l’Algérie par la France commence en 1830 par une longue guerre colo¬niale meurtrière qui se termine en 1847. Au moment de la conquête, la population de l’Algérie n’est pas homogène. Les Berbères, qui ont leur propre langue (Amazigh) sont là depuis 3.000 ans et se sont regroupés principale¬ment dans les zones montagneuses (Kabylie, Aurès). Les Arabes arrivés au VIIIe siècle, ont importé l’Islam. Les Juifs séfarades sont arrivés à la fin du XVe siècle après avoir été chassés d’Espagne par les rois catholiques. Avant la conquête par la France ces différents peuples vivaient en bonne entende et dans une relative pauvreté.
Par Guy Van Sinoy
Colonie de peuplement
Une fois la conquête de l’Algérie achevée, les terres les plus fertiles sont volées aux musulmans et attribuées à des colons qui jouissent de tous les droits tandis que les colonisés sont redevables de tout, faisant d’eux non pas des « citoyens » mais des « sujets ». Les pauvres du bassin méditerranéen (Sud de la France, Andalousie, Sicile, Malte) émigrent vers Algérie en espérant améliorer leur sort. Ils seront ouvriers, artisans, employés, fonctionnaires. Leurs descendants nés en Algérie obtiendront d’office la nationalité française. En 1870 le décret Crémieux accorde aux Juifs d’Algérie la nationalité française, tandis que les musulmans ne peuvent accéder à la nationalité française que « sur demande ».
L’Étoile Nord-Africaine (ENA)
Pendant la Première Guerre Mondiale 25.000 soldats musulmans originaires d’Algérie meurent en France tandis que 119.000 musulmans algériens sont réquisitionnés pour remplacer en métropole la main-d’œuvre française. Les lendemains de guerre sont aussi une période où les aspirations de liberté émergent. En 1926, Messali Hadj fonde l’Étoile Nord-Africaine (ENA), un mouvement qui réclame l’indépendance de l’Algérie. A l’époque, l’ENA obtient le soutien du Parti communiste français (PCF). Accusé de « propagande subversive », l’ENA est dissoute par les autorités françaises en 1929. Elle comptait à l’époque 3.600 membres dont la moitié à Paris. Malgré la répression constante, les partisans de Messali tiennent 35 meetings durant l’été 1935.
Lorsque le PCF adhère au Front Populaire, il prend ses distances avec le combat décolonial. Ce tournant brutal du PCF aura de lourdes conséquences : le mouvement national algérien se développera désormais à l’écart du mouvement ouvrier.
Messali fonde en 1937 le Parti du Peuple Algérien (PPA). Il est alors tour à tour, emprisonné, assigné à résidence dans des villes de province, ce qui a pour effet de le couper en partie de ses partisans.
Deuxième Guerre Mondiale
Le régime de Vichy abroge la législation sociale et la législation du syndicalisme pour les musulmans. Le décret Crémieux, qui accordait la nationalité française au Juifs d’Algérie, est aboli.
En novembre 1942 l’armée américaine débarque en Afrique du Nord et place à la tête du territoire algérien un régime hostile à Vichy. 15 % des français d’Algérie et des musulmans (alors que la plupart de ceux-ci n’ont pas la qualité de citoyens) sont enrôlés pour aller combattre en Italie, puis en Provence.
8 mai 1945
Le 8 mai 1945, jour de la capitulation nazie, des manifestations se déroulent dans toute l’Algérie sous le mot d’ordre « A bas le fascisme et le colonialisme ! ». A Sétif, la police tire sur les manifestants algériens qui arboraient un drapeau algérien. Ceux-ci ripostent en s’attaquant aux policiers et aux Européens. Dans les campagnes les paysans se soulèvent. Il y aura une centaine de tués et autant de blessés chez les Européens.
Les représailles sont terribles : les villages sont bombardés par l’aviation et la marine qui tire depuis la côte. Il y aura plusieurs dizaines de milliers de victimes chez les Algériens. Le Parti communiste algérien et le PCF condamnent en termes très hostiles les nationalistes algériens. Dorénavant la rupture entre ces derniers et le mouvement ouvrier organisé est totale.
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Clabecq, 28 mars 1997. “Le plus beau jour de ma vie…”

Ce matin du 28 mars 1997, je suis à l’assemblée des travailleurs de Clabecq, dans la vieille usine. L’ambiance est tendue car beaucoup d’ouvriers ont cru qu’après la marche multicolore des 70.000, la situation serait débloquée pour sauver l’emploi. Le sentiment général est qu’il faut passer à l’action. La délégation a pris contact avec le cabinet du ministre de l’Intérieur Vande Lannote pour informer qu’on allait occuper symboliquement l’autoroute à Wauthier-Braine. Nous parcourons à pied les 6 km jusqu’à la bretelle d’autoroute. En chemin, on apprend que Vande Lanotte a donné un accord verbal.
Par Francine Dekoninck
Quand nous arrivons au pied de la bretelle, les gendarmes sortent des bois et nous attaquent. Les autopompes entrent en action. Les gendarmes pensaient sans doute que les travailleurs étaient venus les mains vides. Ce n’est pas le cas : quelques camions transportent du sable, des bâtons et quelques outils. Deux bulldozers tractopelles montés sur pneus accompagnent la manifestation. Ils s’interposent à l’avant et neutralisent les autopompes en brisant leur jet d’eau sous pression. Les pierres volent, les bâtons aussi, les gendarmes reculent, certains en pleine débandade. Quelques camions de gendarmerie sont renversés à coups de tractopelles. Cela dure une dizaine de minutes mais c’est du costaud.
Nous n’avons pas pu finalement occuper l’autoroute, mais nous rentrons fiers de nous à l’usine. Comme dans Astérix, où les Gaulois dérouillent les légions romaines, des ouvriers exhibent leurs trophées sur le chemin du retour : matraques, boucliers, casques arrachés aux gendarmes. Sur le chemin du retour, des habitants nous apportent du café, les enfants d’une école sont sortis pour nous applaudir: leur père ou un oncle travaille peut-être aux Forges.
Arrivés à l’usine, chacun fait sécher son pull sur des fils tendus devant un feu de palette. Je suis fourbue car j’ai marché plus de 10 km, mais c’est le plus beau jour de ma vie. Celui où les ouvriers de Clabecq ont flanqué une raclée aux gendarmes. A ce moment-là, personne ne sait encore que les images de cette bataille homérique vont faire le tour du monde sur toutes les chaînes télévisées…
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URSS : La grève de Novotcherkassk (1962)

Image du film “Chers camarades”, basé sur la grève de Novotcherkassk. Il était une fois dans l’histoire de la lutte des classes
Après la mort de Staline (1953), Nikita Khrouchtchev s’est imposé comme principale figure au sein de la direction du Parti Communiste d’Union soviétique (PCUS), après avoir éliminé son rival le plus dangereux, Béria, chef de la police politique.
Par Guy Van Sinoy
Les années qui ont suivi furent marquées par des révoltes ouvrières violemment réprimées dans plusieurs pays de l’Est :
- Berlin, juin 1953 : grève et révolte des ouvriers du bâtiment contre l’augmentation des cadences. Intervention des chars soviétiques ;
- Pologne, juin 1956: grèves de masse violemment réprimées (50 morts) ;
- Hongrie, octobre-novembre 1956, insurrection armée de milliers d’étudiants et d’ouvriers organisés en milices populaires. Le gouvernement hongrois fuit, les chars soviétiques interviennent (2.500 morts chez les insurgés, 700 chez les soldats russes).
« L’Union soviétique dépassera les États-Unis pour la production par habitant »
A la fin des années 1950, les soviétiques ont développé un programme spatial ambitieux qui les place devant les États-Unis dans la conquête de l’espace : premier satellite artificiel (Spoutnik) en octobre1957, premier homme dans l’espace (Gagarine) en avril 1961. Ces succès dans l’espace poussent Khrouchtchev à faire des pronostics ambitieux et complètement irréalistes.
En octobre 1961 il fait adopter par le 22e congrès un nouveau programme annonçant que l’Union soviétique entre dans la période de « l’édification de la société communiste où les sources de la richesse sociale couleront à flots ». Il annonce que d’ici dix ans « L’Union soviétique dépassera les États-Unis pour la production par habitant. ».Au même moment, les files d’attente s’allongent devant les magasins aux vitrines et aux rayonnages quasi vides. Une blague circule: des journalistes se rendent chez le célèbre cosmonaute Youri Gagarine pour l’interviewer. Il est absent mais ses enfants répondent: « Il est dans le Cosmos et reviendra dans 30 minutes ! ». Et maman ? « Elle est allée faire la queue à la boucherie, elle reviendra dans 4 ou 5 heures, peut-être plus ! » Car les magasins soviétiques sont incapables de fournir les produits alimentaires de base.
Novotcherkassk 1962
Khrouchtchev décide d’augmenter de 30 % le prix de la viande, de 19 % le prix du lait, du beurre et des œufs. L’annonce de ces mesures provoque l’inquiétude des responsables et la colère de la population. A l’usine de locomotives NEVZ de Novotcherkassk , cette colère se transforme en révolte. D’autant plus que la direction de l’usine a abaissé dans plusieurs ateliers le tarif des heures de travail.
Le 1er juin au matin une dizaine d’ouvriers du laminoir, qui ont reçu la veille un salaire diminué de 30 %, se rassemblent dans l’atelier et continuent à discuter au lieu de rejoindre leur poste de travail. Le directeur descend pour les sermonner. Les ouvriers de l’atelier décident de débrayer et actionnent la sirène de l’usine pour inviter les autres à les imiter. Ils confectionnent des pancartes en carton : « De la viande ! Du beurre ! Hausse des salaires ! ». Le slogan le plus populaire est sans conteste : « Khrouchtchev à la casserole ! »
Une délégation de NEVZ fait le tour des usines pour étendre le mouvement. Trois heures plus tard, 4.000 ouvriers sont regroupés devant les bureaux de l’administration. Le secrétaire local du parti fait venir un détachement de 200 miliciens que la foule balaie en un instant. En soirée des automitrailleuses et quelques blindés viennent libérer les dirigeants « otages » des grévistes. Le Kremlin est alerté. Inquiet, Khrouchtchev envoie sur place Mikoïan, un de ses adjoints.
Le lendemain matin 10.000 ouvriers manifestent portant des banderoles revendicatives et des portraits de Lénine. Des tanks leur barrent le chemin. La foule scande : « Place à la classe ouvrière ! ». Une délégation de grévistes, conduite par l’ouvrier Mokrooussov, se rend au siège du comité de ville où elle rencontre Mikoïan. Elle demande le retrait des troupes et l’annulation de la hausse des prix. Mikoïan déclare « ne rien pouvoir faire en ce qui concerne la hausse des prix. » Malgré son insuccès cette délégation a une portée considérable: pour la première fois l’appareil qui prétend représenter la classe ouvrière se retrouve directement face à elle.
Répression
Le responsable local du parti téléphone au Kremlin et demande à Khrouchtchev l’autorisation de disperser les manifestants. Un détachement de troupes spéciales du ministère de l’Intérieur arrive sur place. Armés de mitraillettes, les miliciens tirent dans la foule. Les blessés se comptent par dizaines. Il y a de nombreux morts. Combien ? Le chiffre est incertain car dans la nuit la police subtilise les cadavres et les enterre dans des endroits restés secrets.
Le lendemain, les ouvriers ne reprennent pas le travail. Vers 9 heures, 500 ouvriers se regroupent devant le commissariat central pour exiger la libération des manifestants arrêtés la veille. Le responsable local du PCUS intervient à la radio et dénonce l’action des « hooligans, ivrognes et provocateurs » qui ont entraîné derrière eux « quelques ouvriers peu conscients ».
Sept condamnés à mort
La bureaucratie se venge brutalement de la peur que la grève a provoquée en elle. 14 ouvriers sont traînés en justice. Le tribunal traite les accusés comme des criminels de droit commun. Leurs avocats, commis d’office, accablent les accusés auxquels le tribunal interdit de parler. A l’issue du procès, 7 ouvriers (dont Mokrooussov) sont condamnés à mort. 7 autres sont condamnés à des peines de 10 à 15 ans de camp ou de prison.
Novotcherkassk est pour Khrouchtchev le début de la fin car ces événements deviennent l’une des raisons qui vont pousser l’appareil du parti à se débarrasser du dirigeant devenu le plus impopulaire.
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Les premiers pas du mouvement communiste en Chine

Chen Duxiu Au cours de cet été 2021, les médias ont évoqué le 100e anniversaire de la fondation du Parti communiste chinois. Mais à part la date de fondation du parti (28 juillet 1921), le lieu (une petite maison située dans la concession française de Shanghai) et une référence à la Longue Marche (1934-1935) emmenée par Mao Zedong, rien de significatif n’a été publié. Il est vrai qu’en Europe on connaît en général très peu l’histoire de la Chine, son passé lointain et les bouleversements révolutionnaires qui ont ébranlé ce pays au 20e siècle. Impossible, dans le cadre d’un court article, de retracer le cours de tous ces événements en une fois. Aussi, la suite paraîtra dans le prochain numéro de ce journal.
Par Guy Van Sinoy, texte paru en 2 partie dans le mensuel Lutte Socialiste (édition de septembre et octobre 2021)
1911: l’empire chinois tombe en miettes
L’empire chinois remontait à 20 siècles avant J-C(1). Au 19e siècle, la Chine faisait l’objet de la convoitise des puissances impérialistes. La Grande-Bretagne mène de 1839 à 1842 une guerre pour ouvrir la Chine au trafic de l’opium produit en Inde. Ensuite une coalition impérialiste (Grande-Bretagne, France, États-Unis) mène une deuxième guerre de l’opium, de 1856 à 1860. Ces expéditions militaires impérialistes visaient à dépouiller le pays et arracher des concessions territoriales. D’autre part, plus de 1.500 seigneurs de la guerre, grands et petits, se battaient les uns contre les autres, district contre district, en empochant les impôts avec des années d’avance.
En octobre 1911 à Wuhan, le cœur économique de la Chine centrale, quatre bataillons de l’armée menés par de jeunes officiers républicains, qui s’opposaient depuis des années à la dynastie Quing, occupent l’arsenal, attaquent le palais et forcent le gouverneur à fuir. En moins d’un mois, la plus grande partie de la Chine méridionale passe du côté de la révolution. L’empire s’écroule comme un château de cartes. Puyi, dernier empereur de la dynastie Quing, abdique le 10 octobre 1911 et un gouvernement provisoire, présidé par Sun Yat-sen, est formé à Nankin, la capitale.
En 1912 Sun Yat-sen fonde un parti nationaliste bourgeois, le Kuomintang (Parti national du Peuple). La bourgeoisie chinoise prônait la réunification du pays, l’unification du marché national et l’élimination de tous les obstacles, comme l’avait fait la bourgeoisie en Europe au cours des siècles de son ascension. Malgré sa volonté de débarrasser le pays des vestiges féodaux, la bourgeoisie chinoise redoutait la montée en puissance de la classe ouvrière.
La lutte de classes secoue le pays
La situation misérable du prolétariat chinois rappelait, en pire, la situation de la classe ouvrière anglaise décrite par Engels en 1844. Les grèves éclatent le plus souvent spontanément pour des motifs économiques et pour l’amélioration des conditions de travail. Des grèves de masse marquent la période 1922-1923. En janvier 1922 120.000 marins de Hongkong font grève pendant 56 jours pour améliorer les salaires. Les armateurs étrangers doivent céder. En octobre, 50.000 mineurs à Kailan (une mine gérée par la Chine et la Grande-Bretagne) cessent le travail pendant 25 jours pour arracher une hausse de salaire. La répression est souvent brutale. Lors de la grève générale des cheminots en 1923, Lin Xiangqian, secrétaire du syndicat, est décapité au sabre pour avoir refusé d’appeler à la reprise du travail.
23 juillet 1921: fondation du PC chinoisA son congrès de fondation le Parti communiste chinois est une organisation très petite : quelques dizaines de membres! Il a comme figures de proue Li Dazaho et Chen Duxiu, un intellectuel prestigieux qui est élu Secrétaire général. Mao Zedong, bien que présent au congrès, n’a eu aucune part active dans les débats. A partir de son expérience en Indonésie, l’envoyé du Komintern, Maring (2), propose, contre l’avis de Chen Duxiu, que le PCC soutienne le Kuomintang. Au début des années 1920, le Kuomintang est désorganisé et Sun Yat-sen demande à Moscou(3), qui répond favorablement, à renforcer son organisation.
En 1923 le PC chinois compte 420 membres. Il entre dans le Kuomintang qui, de son côté, a 50.000 membres ! Sun Yat-sen meurt en mars 1925. Tchang-Kaï-Chek, un militaire de carrière, manœuvre pour prendre la direction du Kuomintang…
Shanghai, 1927: l’écrasement de la révolution chinoise (2e partie)
Dans le numéro de septembre 2021 j’ai brièvement fait le portrait de la Chine au début du XXe siècle : pays semi-colonial avec une économie où les masses paysannes étaient exploitées par de grands propriétaires terriens. La dynastie Qing, liée à l’aristocratie terrienne, vivait repliée sur la Cité interdite en déléguant le pouvoir en province à des gouverneurs locaux et cédait aux grandes puissances impérialistes des « concessions » territoriales où se concentraient les industries.
Le Kuomintang (KMT)
Un parti nationaliste et républicain (Kuomintang), fondé en 1905 par Sun Yat-Sen, un intellectuel occidentalisé, portait les aspirations des couches intermédiaires de la société. Le KMT prit la tête d’un soulèvement initié par le corps des officiers et la république fut proclamée en 1911. Le Nord de la Chine resta aux mains des seigneurs de la guerre tandis que l’influence du KMT s’étendait dans les villes du Sud où se concentraient les industries : Canton, Shanghai, Hongkong, Wuhan.
Le Komintern, le PCC et le KMT
À sa fondation, en 1921, le Parti communiste chinois (PCC) ne comptait que quelques dizaines de membres. Sous les recommandations des envoyés du Komintern, les membres du PCC durent s’affilier individuellement au KMT pour tenter de l’orienter. À la mort de Sun Yat-sen, en 1925, Tchang Kaï-chek, un officier de carrière, prit la tête du KMT. Le PCC était alors devenu un parti de masse et comptait 60.000 membres. L’aile droite du KMT prit peur et, avec l’accord de Tchang Kaï-chek, décida de combattre les communistes.
Après l’échec de la révolution allemande en 1923, les responsables du Komintern portaient leurs espoirs révolutionnaires sur la Chine afin de briser l’isolement de la Russie soviétique. À Moscou, Staline et Boukharine soutenaient la participation du PCC au KMT, dans le cadre de la pseudo théorie du « bloc des quatre classes » (bourgeoisie nationale, petite bourgeoisie, prolétariat, paysannerie). Alertés par le suivisme du PCC à l’égard du KMT, Trotsky et Zinoviev tiraient la sonnette d’alarme et recommandaient au PCC de rompre avec le KMT.
Canton 1926, Shanghai 1927
À Canton en 1926, la quasi-totalité du pouvoir était aux mains du comité de grève qui, depuis juin 1925, organisait les travailleurs et disposait de milices armées. Le 20 mars 1926, Tchang Kaï-chek proclama la loi martiale, fit désarmer les piquets de grève, arrêta les communistes qui dirigeaient la grève. Le PCC, paralysé par les consignes du Komintern, ne réagit pas.
Shanghai regroupait alors la moitié des ouvriers d’usine du pays. Tchang Kaï-chek, appuyé par les seigneurs de la guerre, prit alors contact avec les puissances impérialistes pour obtenir leur soutien. Le 12 avril 1927 les troupes de Tchang Kaï-chek attaquèrent les syndicats et toutes les organisations ouvrières de la ville. Des milliers de communistes furent exécutés (fusillés, décapités, ou encore brûlés vifs dans les chaudières des locomotives). Cet épisode tragique de la lutte de classes marqua la fin de l’influence de masse du PCC dans la classe ouvrière chinoise. La révolution chinoise qui aura lieu des décennies plus tard sous la direction de Mao Tsé-toung, s’appuiera sur les campagnes.
Après coup, l’Exécutif du Komintern a rendu Chen Du-xiu, secrétaire du PCC, responsable de la défaite. Écarté de la direction, puis exclu, Chen Du-xiu se rallie à Trotsky et à l’opposition de gauche. Condamné à 13 ans de prison par le KMT en 1932, il meurt en prison. Peng Shu-zhi, bras droit de Chen Du-xiu, avait proposé à plusieurs reprises de rompre avec KMT. Exclu de la direction, puis du PCC, avec Chen Du-xiu, il rallie l’opposition de gauche puis, en exil, la 4e Internationale où il restera politiquement actif jusqu’à sa mort en 1983.
Notes :
1) Ainsi, l’armée des guerriers en terre cuite enterrée à Xian, remonte à l’empire Quin (220 ans avant J-C), une époque antérieure à l’empire romain.
2) Maring était le pseudonyme de Henk Sneevliet, un militant communiste néerlandais qui avait lutté contre le colonialisme en Indonésie de 1913 à 1918.
3) Le 28 août 1921, Sun Yat-sen écrit à un responsable bolchevik : « Je suis extrêmement intéressé par votre œuvre, en particulier par l’organisation de vos soviets, de votre armée, de votre éducation. Avec mes meilleurs vœux pour vous-même, pour mon ami Lénine et pour tous ceux qui ont tant œuvre pour la cause de la liberté humaine. » (Lénine, Œuvres, tome 45, p. 747)Pour en savoir plus…
– L’envol du communisme en Chine (mémoires de Peng Shuzhi), Ed. NRF, Paris, 1983, 488p.
– Origines et défaite de l’internationalisme en Chine 1919-1927, Anthologie, Ed. Science marxiste, Montreuil-sous-Bois, 2021, 560p.
– Histoire de l’Internationale communiste 1919-1943, Pierre Broué, Fayard, Paris ; 1997, 1120 p. -
Sur les océans et dans les ports… La section maritime du Komintern (1923-1943)
Il était une fois dans l’histoire de la lutte de classePubliée aux États-Unis en 1941 sous le titre Out of The Night(1) l’autobiographie de Jan Valtin (pseudonyme de Richard Krebs), un marin communiste allemand actif sur tous les océans et dans la plupart des ports (Hawaï, la Californie, la Chine, la Malaisie, l’Europe occidentale, la Russie) devient vite un best-seller.
Par Guy Van Sinoy
Né en Allemagne en 1904 l’auteur, dont le père était inspecteur maritime en Extrême-Orient, suit sa famille de port en port. « A 14 ans, outre ma propre langue, je parlais assez bien le chinois le malais ; je me débrouillais en suédois, en anglais et en italien ». Revenu en Allemagne pendant la Première Guerre mondiale, Valtin rejoint le parti communiste à 16 ans et participe à l’insurrection de Hambourg en 1923. Sa vie va désormais se conjuguer étroitement avec l’incendie révolutionnaire qui s’est propagé dans le monde entier au cours des années vingt et trente. Devenu marin, il sillonne les océans, le plus souvent comme passager clandestin, et organise des noyaux communistes dans la plupart des ports sur tous les continents. Ce travail politique visant à jeter les bases d’une Internationale des marins et des dockers se fait dans le cadre de l’Internationale syndicale rouge (Profintern).
Figure de l’ombre et du secret, Jan Valtin appartient à cette avant-garde “rouge” qui tentait sans relâche de mener les masses ouvrières sur le chemin de l’insurrection armée. Obéissant, malgré ses doutes, aux consignes de son Parti, il finira comme ses camarades par admettre que l’ennemi principal, en Allemagne, est d’abord la social-démocratie. Entre mille révélations passionnantes, ce livre dévoile aussi tout ce que l’accession de Hitler au pouvoir doit aux stratégies dictées par Moscou.
Mais la Gestapo arrête Valtin en 1933 et l’envoie, comme des milliers de communistes et de socialistes, dans les premiers camps de concentration. Son fils est enrôlé de force dans les Jeunesses hitlériennes. Après des années de tortures, Valtin échappe à l’enfer en faisant mine(2) de jouer l’agent double au sein de son organisation.
Bientôt pourchassé par les tueurs de la Guépéou comme par ceux de la Gestapo, il s’exile aux États-Unis et, sans rien renier de ses combats antérieurs, rédige d’un trait ce livre témoignage à couper le souffle. Son livre est un puissant témoignage de l’immense courage et de l’esprit d’abnégation de toute une génération de militants ouvriers face au nazisme. Il est aussi une des premières dénonciations « grand public » des crimes du stalinisme.
1) L’édition française du livre est parue sous le titre Sans Patrie ni Frontières (Actes Sud, 13,70€)
2) Valtin fera mine d’adhérer au nazisme, sur les instruction de son supérieur communiste Ernst Wollweber. De 1953 à 1957, Wollweber deviendra, en République Démocratique Allemande, le responsable de la police politique (Stasi). -
Il était une fois dans l’histoire de la lutte de classe – Déportée au goulag, puis livrée par Staline à la Gestapo
L’histoire tragique de Margarete Buber-Neumann
Par Guy Van Sinoy
Voici l’histoire tragique de communistes allemands tombés dans les griffes de Staline. En 1926, à 25 ans, Margarete Thüring adhère au Parti Communiste d’Allemagne (KPD). Elle épouse Rafaël Buber dont elle aura deux enfants mais le couple divorcera peu après en 1929. Elle devient ensuite la compagne de Heinz Neumann, un jeune et brillant cadre du KPD à qui l’internationale confie des tâches importantes (Chine, Espagne). En 1932 Neuman, député et membre du Bureau politique, entre en violente opposition avec le président du KPD, Ernst Thälmann, sur la question du plébiscite « rouge-brun » (un vote commun des nazis et des communistes contre les socialistes en Prusse). Neumann est mis à l’écart et rappelé à Moscou en 1935. Arrêté à Moscou par le NKVD1 en avril 1937, il disparaît pour toujours, vraisemblablement assassiné.En juin 1938, Margarete est arrêtée à son tour par le NKVD. Lors d’un simulacre de procès, elle est accusée d’activités contre-révolutionnaires et est condamnée à cinq ans de prison dans un camp de travail et déportée au goulag de Karaganda, au Kazakhstan où elle passe deux ans dans des conditions atroces.
En août 1938 est signé le pacte germano-soviétique, un pacte de non-agression entre Hitler et Staline. Dans le cadre de ce pacte, les communistes allemands réfugiés en URSS sont livrés à Hitler en 1940. C’est ainsi qu’après deux années de goulag Margarete Buber-Neumann est remise à la Gestapo qui l’interne au camp de concentration de Ravensbrück, au nord de Berlin. Elle va y passer cinq ans et se liera d’amitié avec des résistantes déportées : l’ethnologue française Germaine Tillon et la journaliste tchèque Milena Jesenska qui mourra en 1944 et dont Margarete écrira la biographie.
En avril 1945, confrontée à l’avancée de l’Armée rouge, la direction du camp libère un grand nombre de détenues. Margarete entreprend alors un long périple à pied à travers l’Allemagne pour éviter l’armée soviétique et rejoindre sa famille en Bavière.
Œuvres de Margarete Buber-Neumann (Ed. Du Seuil, Témoignages)
– Déportée en Sibérie, prisonnière de Staline et d’Hitler
– Déportée à Ravensbrück, prisonnière de Staline et d’Hitler
– Milena -
Il était une fois dans l’histoire de la lutte des classes : 1982 : la lutte des travailleuses de Bekaert-Cockerill

L’histoire de la lutte des classes n’est pas un long fleuve tranquille jalonné de victoires. Il y a aussi pas mal de défaites et elles sont souvent dures à avaler. Cela a été le cas en 1982 chez Bekaert-Cockerill, une usine métallurgique à Fontaine-L’Évêque, près de Charleroi.
Par Guy Van Sinoy
Le 18 août 1982, 275 travailleurs et travailleuses de Bekaert partent en grève pendant 9 semaines pour sauver l’emploi et l’outil à Fontaine-L’Évêque. En octobre, une réunion de conciliation aboutit à une convention quasiment imposée sous la menace de fermeture du siège. La direction propose 3 options:
- soit le passage à 36 heures pour tous avec perte de salaire ;
- soit le licenciement de 13 personnes ;
- soit le passage au temps partiel pour les femmes « non chefs de ménage ».
La troisième option est adoptée par 120 pour, 60 contre (dont toutes les femmes) et 40 abstentions.
Seules les ouvrières sont touchées par la réduction obligatoire de leur temps de travail. Elles s’informent auprès de la Maison des Femmes de La Louvière et comprennent qu’il s’agit d’une discrimination interdite par la loi de 1978 sur l’égalité de traitement entre hommes et femmes. Elles refusent cette discrimination et demandent aux délégués syndicaux (tous des hommes) de reprendre la négociation pour rediscuter de la mesure prise. Elles proposent comme alternative que « le recours au temps partiel soit remplacé par un chômage à temps partiel réparti entre tous et toutes, les postes de travail devant être attribués sans discrimination de sexe. »
Le 2 novembre, avant toute discussion sur le temps partiel, les ouvrières reçoivent leur préavis pour être réembauchées à temps partiel. Elles repartent en grève. La conciliation demandée a lieu le 22 novembre, mais les travailleuses ne sont pas admises à la table de négociation. Le temps partiel est supprimé mais 13 femmes sont licenciées définitivement. Pour le patronat l’objectif est atteint : sa proposition de licencier 13 personnes (la 2e option) est remplie. Il s’avère que les délégués syndicaux ont transformé la demande de la direction de licencier 13 personnes (10 hommes et 3 femmes) en licenciement de 13 femmes puisqu’elles refusaient le temps partiel. La grève des femmes n’est plus soutenue syndicalement et elles reprennent le travail le 29 novembre.
Les ouvrières licenciées continuent alors le combat sur le terrain juridique et politique et rencontrent un large soutien dans l’opinion publique(1). Elles portent plainte contre Bekaert auprès de l’inspection des lois sociales pour non-respect de la loi de 1978, mais en septembre 1983 l’auditorat du travail renonce à poursuivre pénalement l’entreprise. Sous la pression de leurs commissions féminines nationales, FGTB et CSC prennent en charge la défense des travailleuses pour licenciement abusif. Les 13 licenciées introduisent une deuxième plainte devant le tribunal du travail de Charleroi pour non-respect de la loi sur l’égalité de traitement. Le juge retiendra le licenciement abusif mais pas la discrimination.
Le Comité de liaison des femmes soutient les 13 de Bekaert dans leur lutte, organise une conférence de presse le 1er décembre et annonce une plainte contre le gouvernement belge auprès du Commissaire européen responsable des Affaires sociales. Mais après explication et justification du Ministre de l’Emploi et du Travail, le dossier sera clos.
Cet épisode de la lutte des classes représente une défaite cruelle des ouvrières de Bekaert-Cockerill qui ont été maltraîtées en tant qu’ouvrières et en tant que femmes avec le silence coupable de leur délégation syndicale et des secrétaires syndicaux FGTB et CSC.
1) La RTBf a consacré une émission de 50 minutes au combat des femmes de Bekaert. Voir : https://www.sonuma.be/archive/a-suivre-du-11021983
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1983, la grève générale des services publics
Du lundi 12 au vendredi 23 septembre 1983, la Belgique a connu la plus importante grève des services publics depuis la grève générale 60-61. Le 31 juillet, le gouvernement Martens V (chrétien-libéral) décidait une série de nouvelles mesures d’austérité pour le personnel des services publics(1) : blocage des salaires en 1984 et 1985, personnel engagé à 4/5 temps dans les ministères et parastataux, taxation du pécule de vacances à 12 % (au lieu de 7%), prime de fin d’année supprimée, hausse de la cotisation à la sécurité sociale,…Par Guy Van Sinoy
Les cheminots, locomotives de la lutte
Vendredi 9 septembre au matin, la grève commence spontanément chez les conducteurs à Charleroi-Sud. Endéans la demi-heure toute une série de non-roulants suivent le mouvement. L’arrêt de travail se répand comme une traînée de poudre : Huy, Liège, Quévy, Bruxelles, Namur, St-Ghislain, Ottignies, Verviers, Welkenraedt, Arlon, Ostende, Courtrai. Il faut dire que le ras-le-bol est généralisé chez les cheminots qui ont déjà perdu 6.000 emplois en 1982 et 1983. De plus, le ministre des Communications Herman De Croo, menace les primes de productivité des cheminots.
La grève fait tache d’huile dans les autres secteurs
Face à la détermination de la base, la direction de la CGSP Cheminots et de la CSC Cheminots décident le lundi 12 de couvrir toute action jusqu’au vendredi 16 à 22 h. Le Bureau national de la CGSP appelle ses affiliés (tous secteurs) à passer à l’action dès le jeudi 15 septembre. Le 13 septembre, alors que la direction de la SNCB communique que le trafic ferroviaire est quasi nul, des postiers débrayent spontanément à Liège, Namur, Gand, Ath, Charleroi, Bruxelles et le front commun syndical Postes appelle à la grève du jeudi 15 au samedi 17. A partir du jeudi 15, la grève se généralise à tous les secteurs à travers le pays.
Comment expliquer cette dynamique de lutte ?D’abord parce que les cheminots sont révoltés par la violence des attaques qu’ils subissent de la part du gouvernement qui n’a même pas envisagé de négocier. Ensuite parce que les cheminots ont une longue tradition de lutte en front commun. Comme la paralysie du réseau ferroviaire à partir du lundi 12 va perturber le travail de 1.700.000 navetteurs cela permet l’espoir d’une vraie grève générale interprofessionnelle. Enfin parce que même si Jef Houthuys (CSC) et André Vandenbroucke (FGTB), responsables interprofessionnels nationaux, ont déclaré accepter « l’effort de modération »(2), ils n’ont pas la possibilité de s’opposer frontalement à la grève du rail.
La grève se généralise et s’étend timidement au secteur privé
Mercredi 14 septembre deux divisions de Cockerill-Sambre à Liège ainsi que les travailleurs des ACEC à Herstal débrayent en solidarité avec le personnel des services publics. Le jeudi 15, à l’appel du front commun syndical la grève est générale dans les services publics, à l’exception la CCSP(3) et des centrales syndicales chrétiennes dans l’enseignement libre. Le président du Parti socialiste, Guy Spitaels, réclame la convocation d’urgence du parlement et demande le départ du gouvernement Martens-Gol.
Vendredi 16 la grève gagne encore en extension, notamment en Flandre. Toutes les institutions publiques de crédit(4) sont en grève, en front commun syndical. Les cheminots du Centre votent la grève au finish, avec AG tous les 3 jours.
Le gouvernement manœuvre, les directions syndicales temporisent, la grève continue
Les négociations entre gouvernement et syndicats, commencées le 16, durent tout le week-end. Pour le gouvernement, il s’agit de lâcher du lest pour affaiblir et désamorcer la grève. Mais le lundi 19, la CGSP et la CCSP rejettent le texte gouvernemental et appellent à continuer la grève « jusqu’au mardi 20 au moins ». Il est clair que plus on monte dans l’appareil syndical des services publics plus l’attitude est tiède à l’égard de la grève.
Le mardi 20, la CCSP d’Anvers décide de rejoindre la grève, ce qui se fait sentir directement au niveau du port. La grève s’élargit à d’autres services publics : les communaux à Liège, l’aéroport de Zaventem, les pilotes maritimes du port d’Anvers, les douaniers de la frontière belgo-allemande, l’enseignement en Flandre, l’enseignement libre dans quelques localités en Wallonie. Le Bureau de la FGTB décide de convoquer son comité national élargi pour le… vendredi 23 (c’est-à-dire deux semaines après le début de la grève!).
Le début de la fin
Alors que de nouvelles couches rejoignent le mouvement de grève (le personnel communal à Hasselt) et que des actions de solidarité éclatent dans le privé (ACEC et Glaverbel à Charleroi, le pétrole et la pétrochimie à Anvers), la Centrale chrétienne des services publics accepte, par 66 voix contre 14, le pré-accord gouvernemental et décide d’arrêter les actions de grève dès le 22 au soir. Le syndicat libéral fait de même. La CGSP rejette le pré-accord à Liège, Charleroi, Anvers, le Centre, Huy. Le bureau de la CGSP Postes rejette le pré-accord à l’unanimité.
Vendredi 23, alors que le quotidien Het Volk(5) titre « Un compromis raisonnable » et que la gendarmerie casse les piquets, surtout en Flandre, le Comité national élargi de la FGTB ne parvient pas à réunir 2/3 des voix pour décider de 48 heures de grève. Des cheminots envahissent la salle en chantant L’Internationale. Puis c’est au tour du Comité national de la CGSP d’accepter l’accord et de suspendre la grève.
Entre un appareil syndical CSC ouvertement complice du gouvernement et une direction FGTB paralysée et incapable de diriger la lutte, les travailleurs des services publics viennent de subir une défaite qui pèsera quelques années plus tard lors de la privatisation, secteur par secteur, de branches importantes des services publics.
Notes
1) A l’époque, les services publics comportaient de nombreux secteurs depuis lors démantelés : Régie des télégraphes et téléphones, Régie des Postes, Régie des Transports maritimes (malle Ostende-Douvres), Régie des Voies aériennes, Sabena, SNCV, SMAP, Crédit communal, CGER, Société nationale de Crédit à l’Industrie, Crédit agricole.
2) Le Soir, 8 septembre 1983.
3) CCSP : Centrale chrétienne des services publics
4) Banque nationale, CGER, Crédit communal, Société nationale d’Investissement, Commission bancaire.
5) Het Volk, journal quotidien du Mouvement ouvrier chrétien en Flandre -
Il était une fois dans l’histoire de la lutte de classes – La grève des sardinières de Douarnenez

Grève des sardinières, le 20 novembre 1924. Photo : Wikipédia Au lendemain de la Première Guerre mondiale, la Bretagne est une région peu industrialisée, pauvre et catholique. L’agriculture reste traditionnelle et nourrit avant tout les familles paysannes qui comptent beaucoup d’enfants. Au domicile, la langue usuelle est le breton. Les enfants n’apprennent le français qu’en entrant à l’école primaire.
Par Guy Van Sinoy, article tiré de l’édition de novembre de Lutte Socialiste
A Douarnenez, un port du Finistère, on pêche essentiellement la sardine : 21 usines de conserves produisent annuellement 40 millions de boîtes de sardines. Les matelots partent pêcher le soir à bord de chaloupes et rentrent le matin. Les femmes sont sardinières : elles nettoient et préparent les sardines avant leur mise en conserve. Elles attendent longtemps le retour des chaloupes en espérant pouvoir traiter les tonnes de sardines achetées par les usiniers. Leur travail est précaire car il dépend des résultats de la pêche. Si celle-ci est abondante, elle est vendue à bas prix aux usiniers. Les sardinières font alors de longues heures supplémentaires pour tout mettre en boîte : jusque 70 heures de travail d’affilée et sans primes !
Mais si la pêche est maigre, les patrons pêcheurs vendent leur pêche aux grossistes qui l’écoulent dans le commerce. Dans ce cas, les sardinières sont sans travail. Leurs heures d’attente ne sont pas payées. Les matelots touchent une part de la vente de la pêche. On voit donc qu’une grève des sardinières risque vite de dresser les matelots contre la grève.
Deux militants communistes hors du commun
Deux militants communistes exceptionnels vont jouer un rôle important dans la grève qui s’annonce : Charles Tillon(1), responsable local de la CGTU, et Daniel Le Flanchec, un communiste libertaire qui vient d’être élu maire de la ville en octobre 1924. Le mouvement de grève commence à l’usine Carnaud où les soudeurs et les manœuvres arrêtent le travail. Le maire court à l’usine soutenir les grévistes. Mais les ouvriers de Carnaud estiment qu’ils ne pourront pas gagner seuls et ils décident d’aller discuter avec les sardinières de toutes les usines pour les inciter à la grève. La grève s’étend comme une traînée de poudre : des milliers de sardinières se mettent en grève pendant plusieurs semaines. Le comité de grève reçoit le soutien de la municipalité. La grève est terrible car elle est unanime. Elle devient un enjeu national et de nombreux responsables (ministres, députés communistes, viennent sur place).
L’attentat
Les patrons conserveurs engagent alors des tueurs pour abattre ceux qu’ils considèrent comme « meneurs ». Le jour de l’An, Le Flanchec est abattu en public. Transporté d’urgence à l’hôpital, le maire en réchappe. Mais la colère des grévistes est à son comble. Les renforts de police envoyés sur place ont fort à faire pour protéger les demeures des patrons.
Victoire !
L’affaire prend tellement de l’ampleur que les patrons usiniers sont contraints de céder. Le salaire des sardinières passe de 8 francs par jour (pour 10 heures) à 12 francs (pour 8 heures) soit une augmentation de 30 %. Dorénavant les heures d’attente seront payées et les heures supplémentaires seront majorées de 50 %.
De ceci, retenons l’essentiel. Cette lutte menée par des femmes, des ouvrières dans un petit port du bout de la Bretagne, c’est aussi, au-delà de la hausse de salaire, la conquête d’une dignité. Et s’il vous arrive de temps à autre d’ouvrir une boîte de sardines, ayez une pensée pour les sardinières de Douarnenez !
1) En 1921, alors qu’il était mécanicien sur un navire de guerre français en mer Noire, Charles Tillon avait animé une révolte de l’équipage pour s’opposer aux manœuvres de la flotte française qui soutenait les Blancs lors de la guerre civile en Russie. Condamné à 5 ans de bagne militaire, puis libéré à la suite d’une campagne de solidarité, il était devenu un animateur de la CGTU (La branche communiste du syndicat de 1921 à1936).
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Contre le colonialisme : le Congrès des Peuples de l’Orient (1920)
Un jour dans l’histoire de la lutte des classesIl y a 100 ans, du 31 août au 7 septembre 1920, s’est tenu à Bakou (Azerbaïdjan), le Congrès des Peuples de l’Orient qui a rassemblé plus de 2.000 délégués des peuples d’Asie(1). Ce congrès, consacré pour l’essentiel à la lutte contre le colonialisme et la domination impérialiste, a été initié par l’Internationale (3e Internationale).
Par Guy Van Sinoy
Le deuxième congrès de la 3e Internationale venait à peine de se tenir (août 1920) et avait notamment imposé aux partis politiques souhaitant rejoindre ses rangs ‘‘de soutenir, non en paroles mais en fait, tout mouvement d’émancipation dans les colonies, de nourrir au cœur des travailleurs du pays des sentiments véritablement fraternels vis-à-vis de la population laborieuse des colonies et des peuples opprimés, d’entretenir parmi les troupes une agitation continue contre toute oppression des peuples coloniaux.’’
Dès l’ouverture du congrès, Zinoviev, envoyé de la 3e Internationale, exposa clairement l’enjeu : ‘‘Nous voulons en finir avec la domination du capital dans le monde entier. Nous sommes convaincus que nous ne pourrons abolir définitivement l’exploitation de l’homme par l’homme, que si nous allumons l’incendie révolutionnaire non seulement en Europe et en Amérique mais dans le monde entier, si nous sommes suivis par cette portion de l’humanité qui peuple l’Asie et l’Afrique.’’
Organiser un tel congrès réunissant près de 2.000 délégués parlant une multitude de langues différentes n’était pas une mince affaire, surtout qu’à l’époque il n’existait aucune installation moderne de traduction. Pour diriger le congrès on précéda à l’élection d’un bureau de 32 membres (16 communistes et 16 non-communistes) tous originaires de pays dominés. Chacun intervenait dans sa propre langue, le discours était traduit simultanément vers le russe, et ensuite la traduction russe était à son tour traduite vers les autres langues par des militants répartis dans les différents coins de la salle où les groupes de langue étaient rassemblés.
Sur les 2,000 délégués, il n’y a que 55 femmes. La déléguée Naciye Hanim présenta le point de vue des femmes : ‘‘La lutte des femmes communistes de l’Orient sera encore plus dure, parce qu’elles auront à combattre, en plus, le despotisme de l’homme. Voici en abrégé nos principales revendications :
– Complète égalité des droits ;
– Droit pour la femme à recevoir l’instruction générale ou professionnelle dans toutes les écoles ;
– Égalité des droits de l’homme et de la femme dans le mariage. Abolition de la polygamie ;
– Admission sans réserve des femmes à tous les emplois administratifs et à toutes les fonctions législatives ;
– Organisation dans toutes les villes et villages de comité de protection des droits de la femme ;
La question du voile doit être placée au dernier plan des priorités.’’John Reed(2), délégué du Parti communiste américain parla en ces termes : ‘‘L’Amérique du Nord, est habitée par dix millions de Noirs. Bien que citoyens américains, égaux en droits, les gens de couleur n’ont ni droits politiques, ni droits civils. Afin de donner un dérivatif aux revendications des ouvriers américains, leurs exploiteurs les incitent à persécuter les Noirs, provoquant ainsi sciemment une guerre de races.’’ Il clôturait en soulignant la nécessité de la lutte collective.
A la fin du congrès, Zinoviev déclara avec enthousiasme : ‘‘Il y a 70 ans, Karl Marx jetait un cri d’appel : ‘‘Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !’’ Nous, ses disciples, ses continuateurs, nous devons compléter cette devise et dire ; ‘‘Prolétaires de tous les pays, opprimés du monde entier, unissez-vous !’
Il n’y aura pas de deuxième Congrès des peuples de l’Orient car après la mort de Lénine, Staline s’opposera à toute perspective de révolution mondiale. Zinoviev sera arrêté, jugé lors d’un procès truqué et fusillé en 1936…1. Entre autres : Arabes, Arméniens, Chinois, Coréens, Géorgiens, Hindous, Ingouches, Israélites, Japonais, Koumyks, Kirghiz, Kurdes, Ossètes, Persans, Russes, Tadjiks, Tchétchènes, Turcomans, Turcs, Uzbeks.
2. John Reed, journaliste américain auteur du récit sur la Révolution russe 10 jours qui ébranlèrent le monde. Devenu militant communiste, il participe au Congrès de Bakou. Après le congrès, de retour à Moscou, il meurt du typhus le 20 octobre 1920, à l’âge de 33 ans. Les bolcheviks organisent des funérailles officielles et il est enterré sur la Place Rouge, dans la nécropole du mur du Kremlin, comme les révolutionnaires de 1917 dont il avait décrit le combat.