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Tag: Trotsky
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Dix classique du marxisme que tout marxiste devrait lire
Il n’y a pas de raccourci pour comprendre le marxisme dans toute sa complexité. Pour appliquer le marxisme aux luttes quotidiennes et aux processus actuels, il faut lire les classiques et étudier les événements historiques. Suivent ici dix textes classiques du marxisme que tout socialiste devrait lire afin de développer sa compréhension de la théorie marxiste.Par Stephen Jolly, Socialist Party (CIO-Australie)
1. Le manifeste du parti communiste (Karl Marx et Friedrich Engels, 1848)
Ecrit dans un langage étonnamment clair (il avait été commandé par la première organisation internationale de la classe des travailleurs, la Ligue des Communistes), le Manifeste du parti communiste est le plus célèbre des textes socialistes. Il analyse la nature du capitalisme ainsi que sa portée internationale. Il explique pourquoi la classe ouvrière est le moteur du changement social. La dernière partie est un peu datée, en ce qu’elle analyse différentes organisations de cette époque. Quoi qu’il en soit, la première moitié reste la plus claire explication de la nature aussi bien progressive que réactionnaire du capitalisme, ainsi que des pistes pour mener à son renversement
2. Le Capital (Karl Marx, 1867)
Le Capital est l’explication du système économique dans lequel nous vivons aujourd’hui. Il défend que le travail non payé de la classe des travailleurs est la source de la plus-value et du profit. Il explique partiellement les forces motrices du capitalisme et ses contradictions internes. Commencez par une explication basique de l’économie marxiste avant de vous attaquer à ce classique.
2. Que Faire ? (Lénine, 1902)
La meilleure explication de l’importance d’un parti centralisé afin de s’assurer qu’un changement social advienne. Cela inclut le besoin d’organisateurs permanents et d’une presse. Il explique l’importance de l’implication d’un tel parti dans les luttes avec le but de promouvoir les idées du socialisme.
4. Réforme or Révolution (Rosa Luxemburg, 1900)
Encore aujourd’hui, une des plus claires explication de pourquoi seul un renversement du capitalisme peut mener à une paix permanente ainsi qu’à un progrès économique et une augmentation rapide du niveau de vie moyen.
5. Bilan et perspectives (Léon Trotsky, 1906)
Il s’agit du livre où Trotsky à pour la première fois ébauché un d’un thème centraux du marxisme contemporain, la théorie de la révolution permanente. L’idée qu’après s’être renforcés, les pays capitalistes avancés ont imposé leur système tel quel aux pays sous-développés. Ils ont exploité les matières première, utilisés une main d’œuvre bon marché et ont ouvert de nouveaux marchés. Ils ont transformé les couches dirigeantes fraîchement vaincues d’Afrique et d’Asie en une classe capitaliste faible et accommodante. La direction qui s’opposera au colonialisme et à l’impérialisme dans le dit « Tiers-monde » viendra d’une petite classe ouvrière urbaine prenant la tête des paysans et non de l’élite dirigeante locale.Une future révolution dans ces pays combinerait les tâches inachevées de la révolution bourgeoise comme les réformes agraires avec les tâches du socialisme. Le Comité pour une Internationale Ouvrière a réactualisé cette théorie dans la période d’après la seconde guerre mondiale.
6. L’Etat et la révolution (Lénine, 1917)
Lénine explique le rôle de l’Etat (forces armées, police, justice, etc.) sous le capitalisme et dans l’ensemble des sociétés de classe. En fin de compte, l’Etat est constitué e corps d’hommes en arme pour protéger la classe dominante. Aucune classe révolutionnaire ne peut utiliser la machine d’Etat d’une classe qu’elle souhaite renverser – ce qui ne signifie pas que nous ne devons pas essayer de diviser cette machine sur une base de classe lorsque c’est possible. Les idées que Lénine développe dans l’Etat et la révolution furent essentielles au succès de la révolution russe, la première où des travailleurs prirent le pouvoir et construisirent leurs propres institutions étatiques pour construire une société nouvelle
7. L’histoire de la révolution russe (Léon Trotsky, 1930)
Tout simplement la meilleure explication du plus important événement de l’histoire mondiale, écrite par l’un de ses principaux dirigeants. Cette anatomie d’une révolution contient des leçons générales pour toutes les révolutions. Bernard Shaw en parlait comme un des meilleurs textes en prose qu’il aie lu.
8. La révolution trahie (Leon Trotsky, 1936)
L’explication définitive de pourquoi la révolution russe a dégénéré –il ne s’agissait pas d’un fait inévitable ou naturel mais du résultat d’une suite de défaites et d’erreurs politiques que combattit l’Opposition de gauche à l’intérieur du parti bolchevique. Il est vital de comprendre ce processus afin de s’assurer qu’il ne se répète pas dans les révolutions futures.
9. Comment vaincre le fascisme ? (Léon Trotsky, années ’30)
Une série d’articles esquissant la stratégie du front unique. Trotsky croyait que les partis communistes et sociaux-démocrates devaient s’engager à empêcher les fascistes de prendre le pouvoir. En proposant de travailler ensemble sur des questions pratiques afin d’arrêter la montée du parti nazi, les communistes auraient pu gagner à eux une grande partie des militants du parti social-démocrate, en mettant en évidence la pourriture de leur direction au cours de la lutte. A la place de cela, suivant l’avis de Staline, le part communiste traita les sociaux démocrates comme les petits frères du fascisme (les ‘sociaux-fascistes’), permettant à Hitler de diviser la gauche et d’arriver au pouvoir
10. Le programme de transition (Leon Trotsky, 1938)
Ecrit à la veille de la seconde guerre mondiale, il s’agit d’une tentative de développer un programme et des perspectives politiques pour la classe des travailleurs. Il s’agit de prendre en compte le niveau de conscience des masses et d’essayer de l’amener à un niveau supérieur. L’approche transitoire est le point central ici, plus que le détail des revendications de 1938 qui peuvent ne plus être pertinentes aujourd’’hui.
La fonction d’un programme de transition est de construire un pont entre les différentes luttes et la nécessité d’une transformation socialiste de la société. « Ce pont doit consister en un système de revendications transitoires, partant des conditions actuelles et de la conscience actuelle de larges couches de la classe ouvrière et conduisant invariablement à une seule et même conclusion : la conquête du pouvoir par le prolétariat. »
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75 ans après la mort de Léon Trotsky
Il y a septante-cinq ans, le grand révolutionnaire Léon Trotsky était assassiné par un agent de Staline, Ramon Mercader. Trotsky avait déjà échappé à un certain nombre d’attentat, mais le coup fatal lui a été porté avec un pic à glace le 20 août 1940. Il est mort le lendemain. C’est ainsi qu’est décédé le symbole de l’inflexible opposition au capitalisme et au stalinisme totalitaire. Le texte ci-dessous est issu de nos archives et est consacré à la bataille politique qui se cache derrière l’assassinat de Trotsky. -
Les éditions Marxisme.be éditent "La révolution trahie" de Trotsky
La Révolution Trahie de Léon Trotsky constitue la première analyse marxiste approfondie du stalinisme. L’ouvrage a été écrit en 1936 alors que Trotsky, expulsé d’Union soviétique en 1929, était déjà en exil depuis plusieurs années.Ce livre n’a toutefois rien d’un règlement de compte entre l’auteur et Staline, il s’agit d’une analyse des conditions objectives qui ont permis l’émergence et l’arrivée au pouvoir d’une bureaucratie réactionnaire dans ce qui fut le premier Etat ouvrier de l’Histoire.
Dès 1936, Trotsky prévenait du danger d’une restauration capitaliste dans le cas où aucune révolution politique ne parvenait à se développer en Union soviétique, sous l’influence d’évènements révolutionnaires dans le reste du monde, afin d’écarter la bureaucratie au profit de l’épanouissement d’une véritable démocratie des travailleurs.
Les édition Marxisme.be, qui éditent les publications du PSL, sont heureuses de pouvoir annoncer que ce livre sera disponible lors de la journée “Socialisme 2015” ce 28 mars, en français et néerlandais. Il s’agira d’ailleurs de la toute première publication de cet ouvrage majeur de Trotsky en néerlandais.
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Trotsky : Pourquoi Staline l’a-t-il emporté?
En 1917 se déroula la révolution qui porta pour la première fois dans l’histoire de l’Humanité les masses exploitées au pouvoir. Hélas, à cause de l’arriération de la jeune République Soviétique héritée de l’ancien régime tsariste et des destructions dues à la Première Guerre Mondiale et à la guerre civile, à cause aussi de l’isolement du premier Etat ouvrier suite à l’échec des révolutions dans les autres pays – et plus particulièrement en Allemagne – une bureaucratie a su émerger et usurper le pouvoir.
Staline a personnifié ce processus, tandis que Trotsky, proche collaborateur de Lénine et ancien dirigeant de l’insurrection d’Octobre et de l’Armée Rouge, a été la figure de proue de ceux qui étaient restés fidèles aux idéaux socialistes et qui, tout comme Trotsky lui-même en 1940, l’on bien souvent payé de leur vie.
Dans ce texte de 1935 qui répond aux questions de jeunes militants français, Trotsky, alors en exil, explique les raisons de la victoire de la bureaucratie sur l’opposition de gauche (nom pris par les militants communistes opposés à la dérive bureaucratiques et à l’abandon des idéaux socialistes et internationalistes par l’Union Soviétique).
Il explique aussi pourquoi il n’a pas utilisé son prestige dans l’Armée Rouge – qu’il avait lui-même mis en place et organisée pour faire face à la guerre civile – afin d’utiliser cette dernière contre la caste bureaucratique.
Derrière cette clarification d’un processus majeur lourd de conséquences pour l’évolution ultérieure des luttes à travers le monde se trouvent aussi la question du rôle de l’individu dans le cours historique ainsi qu’une réponse à la maxime « la fin justifie les moyens », deux thèmes qui n’ont rien perdu de leur actualité.
Pourquoi Staline l’a-t-il emporté ? – Trotsky
« Comment et pourquoi avez vous perdu le pouvoir ? », « comment Staline a-t-il pris en main l’appareil ? », « qu’est-ce qui fait la force de Staline ? ». La question des lois internes de la révolution et de la contre-révolution est posée partout et toujours d’une façon purement individuelle, comme s’il s’agissait d’une partie d’échec ou de quelque rencontre sportive, et non de conflits et de modifications profondes de caractère social. De nombreux pseudo-marxistes ne se distinguent en rien à ce sujet des démocrates vulgaires, qui se servent, en face de grandioses mouvements populaires, des critères de couloirs parlementaires.
Quiconque connaît tant soit peu l’histoire sait que toute révolution a provoqué après elle la contre-révolution qui, certes, n’a jamais rejeté la société complètement en arrière, au point de départ, dans le domaine de l’économie, mais a toujours enlevé au peuple une part considérable, parfois la part du lion, de ses conquêtes politiques. Et la première victime de la vague réactionnaire est, en général, cette couche de révolutionnaire qui s’est trouvée à la tête des masses dans la première période de la révolution, période offensive, « héroïque ». […]
Les marxistes savent que la conscience est déterminée, en fin de compte, par l’existence. Le rôle de la direction dans la révolution est énorme. Sans direction juste, le prolétariat ne peut vaincre. Mais même la meilleure direction n’est pas capable de provoquer la révolution, quand il n’y a pas pour elle de conditions objectives. Au nombre des plus grands mérites d’une direction prolétarienne, il faut compter la capacité de distinguer le moment où on peut attaquer et celui où il est nécessaire de reculer. Cette capacité constituait la principale force de Lénine. […]
Le succès ou l’insuccès de la lutte de l’opposition de gauche (1) contre la bureaucratie a dépendu, bien entendu, à tel ou tel degré, des qualités de la direction des deux camps en lutte. Mais avant de parler de ces qualités, il faut comprendre clairement le caractère des camps en lutte eux-mêmes ; car le meilleur dirigeant de l’un des camps peut se trouver ne rien valoir pour l’autre camp, et réciproquement. La question si courante et si naïve : « pourquoi Trotsky n’a-t-il pas utilisé en son temps l’appareil militaire contre Staline ? » témoigne le plus clairement du monde qu’on ne veut ou qu’on ne sait pas réfléchir aux causes historiques générales de la victoire de la bureaucratie soviétique sur l’avant-garde révolutionnaire du prolétariat…
Absolument indiscutable et d’une grande importance est le fait que la bureaucratie soviétique est devenue d’autant plus puissante que des coups plus durs se sont abattus sur la classe ouvrière mondiale (2). Les défaites des mouvements révolutionnaires en Europe et en Asie ont peu à peu miné la confiance des ouvriers soviétiques dans leur allié international. A l’intérieur du pays régnait toujours une misère aiguë (3). Les représentants les plus hardis et les plus dévoués de la classe ouvrière soit avaient péris dans la guerre civile, soit s’étaient élevés de quelques degrés plus hauts, et, dans leur majorité, avaient été assimilés dans les rangs de la bureaucratie, ayant perdu l’esprit révolutionnaire. Lassée par les terribles efforts des années révolutionnaires, privée de perspectives, empoisonnée d’amertume par une série de déceptions, la grande masse est tombée dans la passivité. Une réaction de ce genre s’est observée, comme nous l’avons déjà dit, après chaque révolution. […]
[…] L’appareil militaire […] était une fraction de tout l’appareil bureaucratique et, par ses qualités, ne se distinguait pas de lui. Il suffit de dire que, pendant les années de la guerre civile, l’Armée Rouge absorba des dizaines de milliers d’anciens officiers tsaristes (4).
[…] Ces cadres d’officiers et de fonctionnaires remplirent dans les premières années leur travail sous la pression et la surveillance directe des ouvriers avancés. Dans le feu de la lutte cruelle, il ne pouvait même pas être question d’une situation privilégiée pour les officiers : le mot même était rayé du vocabulaire. Mais après les victoires remportées et le passage à la situation de paix, précisément l’appareil militaire s’efforça de devenir la fraction la plus importante et privilégiée de tout l’appareil bureaucratique. S’appuyer sur les officiers pour prendre le pouvoir n’aurait pu être le fait que de celui qui était prêt à aller au devant des appétits de caste des officiers, c’est-à-dire leur assurer une situation supérieure, leur donner des grades, des décorations, en un mot à faire d’un seul coup ce que la bureaucratie stalinienne a fait progressivement au cours des dix ou douze années suivantes. Il n’y a aucun doute qu’accomplir un coup d’Etat militaire contre la fraction Zinoviev-Kaménev-Staline (5), etc., aurait pu se faire alors sans aucune peine et n’aurait même pas coûté d’effusion de sang ; mais le résultat d’un tel coup d’Etat aurait été une accélération des rythmes de cette même bureaucratisation et bonapartisation, contre lesquels l’opposition de gauche entrait en lutte.
La tâche des bolcheviques-léninistes, par son essence même, consistait non pas à s’appuyer sur la bureaucratie militaire contre celle du parti, mais à s’appuyer sur l’avant-garde prolétarienne et, par son intermédiaire, sur les masses populaires, et à maîtriser la bureaucratie dans son ensemble, à l’épurer des éléments étrangers, à assurer sur elle le contrôle vigilant des travailleurs et à replacer sa politique sur les rails de l’internationalisme révolutionnaire. Mais comme dans les années de guerre civile, de famine et d’épidémie, la source vivante de la force révolutionnaire des masses s’était tarie et que la bureaucratie avait terriblement grandit en nombre et en insolence, les révolutionnaires prolétariens se trouvèrent être la partie la plus faible. Sous le drapeau des bolcheviques-léninistes se rassemblèrent, certes, des dizaines de milliers des meilleurs combattants révolutionnaires, y compris des militaires. Les ouvriers avancés avaient pour l’opposition de la sympathie. Mais cette sympathie est restée passive : les masses ne croyaient plus que, par la lutte, elles pourraient modifier la situation. Cependant, la bureaucratie affirmait : « L’opposition veut la révolution internationale et s’apprête à nous entraîner dans une guerre révolutionnaire. Nous avons assez de secousses et de misères. Nous avons mérité le droit de nous reposer. Il ne nous faut plus de « révolutions permanentes ». Nous allons créer pour nous une société socialiste. Ouvriers et paysans, remettez vous en à nous, à vos chefs ! » Cette agitation nationale et conservatrice s’accompagna, pour le dire en passant, de calomnies enragées, parfois absolument réactionnaires (6), contre les internationalistes, rassembla étroitement la bureaucratie, tant militaire que d’Etat, et trouva un écho indiscutable dans les masses ouvrières et paysannes lassées et arriérées. Ainsi l’avant-garde bolchevique se trouva isolée et écrasée par morceau. C’est en cela que réside tout le secret de la victoire de la bureaucratie thermidorienne (7). […]
Cela signifie-t-il que la victoire de Staline était inévitable ? Cela signifie-t-il que la lutte de l’opposition de gauche (bolcheviques-léninistes) était sans espoirs ? C’est poser la question de façon abstraite, schématique, fataliste. Le développement de la lutte a montré, sans aucun doute, que remporter une pleine victoire en URSS, c’est-à-dire conquérir le pouvoir et cautériser l’ulcère de bureaucratisme, les bolcheviques-léninistes n’ont pu et ne pourront le faire sans soutien de la part de la révolution mondiale. Mais cela ne signifie nullement que leur lutte soit restée sans conséquence. Sans la critique hardie de l’opposition et sans l’effroi de la bureaucratie devant l’opposition, le cours de Staline-Boukharine (8) vers le Koulak (9) aurait inévitable abouti à la renaissance du capitalisme. Sous le fouet de l’opposition, la bureaucratie s’est trouvée contrainte de faire d’importants emprunts à notre plate-forme (10). Les léninistes n’ont pu sauver le régime soviétique des processus de dégénérescence et des difformités du pouvoir personnel. Mais ils l’ont sauvé de l’effondrement complet, en barrant la route à la restauration capitaliste. Les réformes progressives de la bureaucratie ont été les produits accessoires de la lutte révolutionnaire de l’opposition. C’est pour nous trop insuffisant. Mais c’est quelque chose. »
Ce texte est tiré de : Trotsky, Textes et débats, présentés par Jean-Jacques Marie, Librairie générale Française, Paris, 1984.
1) Opposition de gauche – bolcheviques-léninistes
On a tendance à séparer Lénine de la lutte contre la bureaucratie incarnée par le conflit entre Trotsky contre Staline et ses différents alliés successifs. Pourtant, la fin de la vie de Lénine est marquée par le combat commencé de concert avec Trotsky contre Staline, qu’il rencontrait à chaque fois qu’il voulait s’attarder sur un problème spécifique (constitution de l’URSS, monopole du commerce extérieur, affaire de Géorgie, transformation de l’inspection ouvrière et paysanne, recensement des fonctionnaires soviétiques,…).
En 1923, Lénine paralysé, Staline s’est allié à Zinoviev et Kamenev contre Trotsky. La politique de la troïka ainsi créée à la direction du Parti Communiste s’est caractérisée par l’empirisme et le laisser aller. Mais dès octobre 1923, l’opposition de gauche a engagé le combat, c’est-à-dire Trotsky et, dans un premier temps, 46 militants du Parti Communiste connus et respectés de longue date en Russie et dans le mouvement ouvrier international. La base de leur combat était la lutte pour la démocratie interne et la planification (voir au point 10). Le terme de bolchevique-léninistes fait référence à la fidélités aux principes fondateurs du bolchevisme, principes rapidement foulé au pied par Staline et les bureaucrates alors qu’ils transformaient Lénine en un guide infaillible et quasi-divin. Le terme « trotskiste » a en fait été inventé par l’appareil bureaucratique comme une arme dans les mains de ceux qui accusaient Trotsky de vouloir détruire le parti en s’opposant à la « parole sacrée » de Lénine détournée par leurs soins.
2) « des coups plus durs se sont abattus sur la classe ouvrière mondiale »
Pour les révolutionnaires russes, la révolution ne pouvait arriver à établir le socialisme qu’avec l’aide de la classe ouvrière des pays capitalistes plus développés. Lénine considérait par exemple qu’il fallait aider la révolution en Allemagne, pays à la classe ouvrière la plus nombreuse et la plus organisée, jusqu’à sacrifier le régime soviétique en Russie si la situation l’exigeait. Cependant, si la Révolution russe a bien engendré une vague révolutionnaire aux nombreuses répercussions, partout les masses ont échoué à renverser le régime capitaliste.
En Allemagne, c’est cette crise révolutionnaire qui a mis fin à la guerre impérialiste et au IIe Reich. Mais, bien que cette période révolutionnaire a continué jusqu’en 1923, l’insurrection échoua en janvier 1919 et les dirigeants les plus capables du jeune Parti Communiste allemand, Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg, ont été ensuite assassinés. Quelques semaines plus tard, les républiques ouvrières de Bavière et de Hongrie ont également succombé dans un bain de sang. En France faute de direction révolutionnaire, le mouvement des masses a échoué à établir le socialisme, de même qu’en Italie où la désillusion et la démoralisation a ouvert la voie au fascisme. La stabilisation momentanée du capitalisme qui a suivit a cruellement isolé la jeune république des soviets et a favorisé l’accession au pouvoir de la bureaucratie.
Quand sont ensuite arrivés de nouvelles opportunités pour les révolutionnaires sur le plan international, la bureaucratie avait déjà la mainmise sur l’Internationale Communiste.
Ainsi, quand la montée de la révolution chinoise est arrivée en 1926, la politique de soumission à la bourgeoisie nationale et au Kouomintang de Tchang Kaï-Chek dictée par Moscou a eu pour effet de livrer les communistes au massacre. En mars 1927, quand Tchang-Kaï-Chek est arrivé devant la ville de Shangaï soulevée, le mot d’ordre de l’Internationale Communiste sclérosée était alors de déposer les armes et de laisser entrer les nationalistes. Ces derniers ont ainsi eu toute la liberté d’exécuter par millier les communiste et les ouvriers désarmés…
3) « A l’intérieur du pays régnait toujours une misère aiguë. »
En 1920, alors que la guerre civile devait encore durer jusqu’à l’été 1922, l’industrie russe ne produisait plus en moyenne que 20% de sa production d’avant-guerre, et seulement 13% en terme de valeur. A titre d’exemple, la production d’acier était tombée à 2,4% de ce qu’elle représentait en 1914, tandis que 60% des locomotives avaient été détruites et que 63% des voies ferrées étaient devenues inutilisables. (Pierre Broué, Le parti bolchevique, Les éditions de minuit, Paris, 1971).
La misère qui découlait de ces traces laissées par la guerre impérialiste de 14-18 puis par la guerre civile entre monarchistes appuyés par les puissances impérialistes et révolutionnaires a mis longtemps à se résorber.
4) « Durant la guerre civile, l’Armée Rouge absorba des dizaines de milliers d’anciens officiers tsaristes. »
La dislocation de l’Etat tsariste et la poursuite de la participation de la Russie à la Première Guerre Mondiale entre le mois de février (où le tsarisme s’est effondré) et l’insurrection d’Octobre par les différents gouvernements provisoires avaient totalement détruit l’armée russe. Arrivés au pouvoir, les soviets durent reconstruire à partir de rien une nouvelle armée capable de défendre les acquis de la Révolution face aux restes des troupes tsaristes aidés financièrement et militairement par différentes puissances étrangères (Etats-Unis, France, Angleterre, Allemagne, Japon…).
C’est à Trotsky qu’a alors été confiée la tâche de construire l’Armée Rouge. Face à l’inexpérience des bolcheviques concernant la stratégie militaire, Trotsty a préconisé d’enrôler les anciens officiers tsaristes désireux de rallier le nouveau régime. Approximativement 35.000 d’entre eux ont accepté au cours de la guerre civile. Ces « spécialistes militaires » ont été un temps encadrés par des commissaires politiques qui avaient la tâche de s’assurer que ces officiers ne profitent pas de leur situation et respectent les ordres du gouvernement soviétique.
5) Fraction Zinoviev-Kaménev-Staline
Comme expliqué dans le premier point, Zinoviev et Kamenev, dirigeants bolcheviques de premier plan et de longue date, se sont alliés à Staline dès la paralysie de Lénine pour lutter contre Trotsky. Son combat contre la bureaucratisation du parti et de l’Etat les effrayait tout autant que sa défenses des idées de l’internationalisme, à un moment où ils ne voulaient entendre parler que de stabilisation du régime. Finalement, cette fraction volera en éclat quand la situation du pays et du parti forcera Zinoviev et Kamenev à reconnaître, temporairement, leurs erreurs. Ils capituleront ensuite devant Staline, mais seront tous deux exécutés lors du premier procès de Moscou en 1936.
6) Calomnies enragées
Faute de pouvoir l’emporter par une honnête lutte d’idées et de positions, les détracteurs de l’opposition de gauche n’ont pas lésiné sur les moyens douteux en détournant et en exagérant la portée de passages des œuvres de Lénine consacrés à des polémiques engagées avec Trotsky il y avait plus de vingt années, en détournant malhonnêtement des propos tenus par Trotsky, en limitant le rôle qu’il avait tenu lors des journées d’Octobre et durant la guerre civile, ou encore en limitant ou en refusant tout simplement à Trotsky de faire valoir son droit de réponse dans la presse de l’Union Soviétique.
Parallèlement, Lénine a été transformé en saint infaillible – son corps placé dans un monstrueux mausolée – et ces citations, tirées hors de leurs contextes, étaient devenues autant de dogmes destinés à justifier les positions de la bureaucratie. La calomnie, selon l’expression que Trotsky a utilisée dans son autobiographie, « prit des apparences d’éruption volcanique […] elle pesait sur les conscience et d’une façon encore plus accablante sur les volontés » tant était grande son ampleur et sa violence. Mais à travers Trotsky, c’était le régime interne même du parti qui était visé et un régime de pure dictature sur le parti a alors été instauré. Ces méthodes et manœuvres devaient par la suite devenir autant de caractéristiques permanentes du régime stalinien, pendant et après la mort du « petit père des peuples ».
7) « bureaucratie thermidorienne » :
Il s’agit là d’une référence à la Révolution française, que les marxistes avaient particulièrement étudiée, notamment pour y étudier les lois du flux et du reflux révolutionnaire.
« Thermidor » était un mois du nouveau calendrier révolutionnaire français. Les journées des 9 et 10 thermidor de l’an II (c’est-à-dire les 27 et 28 juillet 1794) avaient ouvert, après le renversement de Robespierre, Saint-Just et des montagnards, une période de réaction qui devait déboucher sur l’empire napoléonien.
8) Staline-Boukharine
En 1926, l’économie ainsi que le régime interne du parti étaient dans un état tel que Kamenev et Zinoviev ont été forcés de reconnaître leurs erreurs. Ils se sont alors rapproché de l’opposition de gauche pour former ensemble l’opposition unifiée. Staline a alors eu comme principal soutien celui de Boukharine, « l’idéologue du parti », dont le mot d’ordre était : « Nous devons dire aux paysans, à tous les paysans, qu’ils doivent s’enrichir ». Mais ce n’est qu’une minorité de paysan qui s’est enrichie au détriment de la majorité… Peu à peu politiquement éliminé à partir de 1929 quand Staline a opéré le virage de la collectivisation et de la planification, Boukharine a ensuite été exécuté suite au deuxième procès de Moscou en 1938.
9) Koulak
Terme utilisé pour qualifier les paysans riches de Russie, dès avant la révolution. Ses caractéristiques sont la possession d’une exploitation pour laquelle il emploie une main d’œuvre salariée, de chevaux de trait dont il peut louer une partie aux paysans moins aisés et de moyens mécaniques (comme un moulin, par exemple).
10) « la bureaucratie s’est trouvée contrainte de faire d’importants emprunts à notre plate-forme »
Dès 1923, devant la crise dite « des ciseaux », c’est-à-dire le fossé grandissant entre les prix croissants des biens industriels et la diminution des prix des denrées agricoles, Trotsky avait mis en avant la nécessité de la planification afin de lancer l’industrie lourde. A ce moment, la Russie était encore engagée dans la nouvelle politique économique (NEP), qui avait succédé au communisme de guerre en 1921 et avait réintroduit certaines caractéristiques du « marché libre » pour laisser un temps souffler la paysannerie après les dures années de guerre. Mais cette politique devait obligatoirement n’être que momentanée, car elle permettait au capitalisme de retrouver une base en Russie grâce au koulaks et au « nepmen » (trafiquants, commerçants et intermédiaires, tous avides de profiter de leurs avantages au maximum, car ils ne savent pas de quoi sera fait le lendemain de la NEP). Une vague de grève avait d’ailleurs déferlé en Russie cette année-là.
Finalement, en 1926, 60% du blé commercialisable se trouvait entre les mains de 6% des paysans (Jean-Jaques Marie, Le trotskysme, Flammarion, Paris, 1970). L’opposition liquidée, la bureaucratie s’est attaquée à la paysannerie riche en collectivisant les terres et en enclenchant le premier plan quinquennal. Mais bien trop tard… Tout le temps perdu depuis 1923 aurait permit de réaliser la collectivisation et la planification en douceur, sur base de coopération volontaire des masses. En 1929, la situation n’a plus permit que l’urgence, et Staline a « sauvé » l’économie planifiée (et surtout à ses yeux les intérêts des bureaucrates dont la protection des intérêts était la base de son pouvoir) au prix d’une coercition immonde et sanglante.
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Trotsky à propos de Jean Jaurès (1915)
Texte issu de Marxists.org, les archives internet marxistes
Un an a passé depuis la mort du plus grand homme de la Troisième République. Le torrent furieux des événements qui ont suivi immédiatement cette mort n’a pas pu submerger la mémoire de Jaurès et n’a réussi que partiellement à détourner de lui l’attention. Il y a maintenant dans la vie politique française un grand vide. Les nouveaux chefs du prolétariat, répondant au caractère de la nouvelle période révolutionnaire, ne sont pas encore apparus. Les anciens ne font que rappeler plus vivement que Jaurès n’est plus…
La guerre a rejeté à l’arrière-plan, non seulement des figures individuelles, mais une époque toute entière : celle pendant laquelle a grandi et s’est formée la génération dirigeante actuelle. Cette époque, qui appartient déjà au passé, attire l’esprit par le perfectionnement de sa civilisation, le développement ininterrompu de sa technique, de la science, des organisations ouvrières, et paraît en même temps mesquine dans le conservatisme de sa vie politique, dans les méthodes réformistes de sa lutte des classes.
A la guerre franco-allemande et à la Commune de Paris a succédé une période de pays armée et de réaction politique où l’Europe, abstraction faite de la Russie, ne connut ni la guerre ni la révolution. Alors que le capital se développait puissamment, débordant les cadres des états nationaux, déferlant sur tous les pays et s’assujettissant les colonies, la classe ouvrière, elle construisait ses syndicats et ses partis socialistes. Néanmoins, toute la lutte du prolétariat durant cette époque était imprégnée de l’esprit de réformisme, d’adaptation au régime de l’industrie nationale et à l’état national. Après l’expérience de la Commune de Paris, le prolétariat européen ne posa pas une seule fois pratiquement, c’est à dire révolutionnairement, la question de la conquête du pouvoir politique.
Ce caractère pacifique de l’époque laissa son empreinte sur toute une génération de chefs prolétariens imbus d’une méfiance sans borne envers la lutte révolutionnaire directe des masses. Lorsque éclata la guerre et que l’Etat national entra en campagne avec toutes ses forces, il n’eut pas de peine à mettre à genoux la majorité des chefs ” socialistes “. De la sorte l’époque de la IIème Internationale se termina par la faillite irrémédiable des partis socialistes officiels. Ces partis subsistent encore, c’est vrai, comme monuments de l’époque passée, soutenus par l’inertie et l’ignorance et… les efforts des gouvernements. Mais l’esprit du socialisme prolétarien les a quittés et ils sont voués à la ruine. Les masses ouvrières qui durant des dizaines d’années, ont absorbé des idées socialistes, acquièrent maintenant seulement, dans les terribles épreuves de la guerre, la trempe révolutionnaire. Nous entrons dans une période de bouleversement révolutionnaires sans précédent. La masse fera surgir en son sein de nouvelles organisations et de nouveaux chefs se mettront à sa tête.
Deux des plus grands représentants de la II° Internationale ont quitté la scène avant l’ère des tempêtes et des ébranlements : ce sont Bebel et Jaurès. Bebel est mort à la limite de l’âge, après avoir dit ce qu’il avait à dire. Jaurès a été tué dans sa 55° année, en plein épanouissement de son énergie créatrice. Pacifiste et adversaire irréductible de la politique de la diplomatie russe, Jaurès lutta jusqu’à la dernière minute contre l’intervention de la France dans la guerre. Dans certains milieux on considérait que la ” guerre de revanche ” ne pourrait s’ouvrir la voie que sur le cadavre de Jaurès. Et en juillet 1914, Jaurès fut tué à la table d’un café par un obscur réactionnaire du nom de Villain. Qui a armé le bras de Villain ? Les impérialistes français seulement ? Et ne pourrait-on, en cherchant bien, découvrir également dans cet attentat la main de la diplomatie russe ? C’est là la question qui s’est posée fréquemment dans les milieux socialistes. Lorsque la révolution européenne s’occupera de la liquidation de la guerre, elle nous dévoilera entre autres le mystère de la mort de Jaurès [1]…
Jaurès naquit le 3 septembre 1859 à Castres, dans ce Languedoc qui a donné à la France des hommes éminents comme Guizot, Auguste Comte, La Fayette, La Pérouse, Rivarol et beaucoup d’autres. Un mélange de races multiples, dit un biographe de Jaurès, Rappoport, a mis son heureuse empreinte sur le génie de cette région qui, au Moyen-Age déjà, était le berceau des hérésies et de la libre pensée.
La famille de Jaurès appartenait à la moyenne bourgeoisie et devait mener pour l’existence une lutte de tous les instants. Jaurès lui-même eut besoin de l’aide d’un protecteur pour achever ses études universitaires. En 1881, à sa sortie de l’Ecole Normale Supérieure, il est nommé professeur au lycée de jeunes filles d’Albi et, en 1883, passe à l’Université de Toulouse où il enseigne jusqu’en 1885, année où il est élu député. Il n’avait que 26 ans. Il se donne alors tout entier à la lutte politique et sa vie se confond avec celle de la Troisième République.
Jaurès débuta au Parlement sur les questions d’instruction publique. ” La Justice “, alors organe du radical Clémenceau, qualifia de ” magnifique ” le premier discours de Jaurès et souhaita à la Chambre d’entendre fréquemment ” une parole aussi éloquente et aussi nourrie d’idées “. Dans la suite, Jaurès eut maintes fois à appliquer cette éloquence contre Clémenceau lui-même.
A cette première époque de sa vie, Jaurès ne connaissait le socialisme que théoriquement et très imparfaitement. Mais son activité le rapprochait de plus en plus du parti ouvrier. Le vide idéologique et la dépravation des partis bourgeois le repoussaient invinciblement.
En 1893, Jaurès adhère définitivement au mouvement socialiste et occupe presque aussitôt une des premières places dans le socialisme européen. En même temps, il devient la figure la plus éminente de la vie politique de la France.
En 1894, il assume la défense de son très peu recommandable ami Gérault-Richard déféré aux tribunaux pour outrage au Président de la République dans l’article ” A bas Casimir ! “. Dans son plaidoyer, tout entier subordonné à un but politique et dirigé contre Casimir Périer, il dévoile cette force terrible d’un sentiment agissant qui a nom la haine. Avec des mots vengeurs il flagella le président lui-même et les usuriers ses aïeux, qui trahissaient la bourgeoisie, une dynastie pour l’autre, la monarchie pour la république, tout le monde en bloc et chacun en particulier et ne restaient fidèles qu’à eux-mêmes.
” Monsieur Jaurès “, lui dit le président du tribunal, ” vous allez trop loin…vous assimilez la maison Périer à une maison publique. ”
Jaurès : ” Pas du tout, je la mets au-dessous. ”
Gérault-Richard fut acquitté. Quelques jours plus tard, Casimir Périer donnait sa démission. Du coup Jaurès grandit de plusieurs coudées dans l’opinion publique : tous sentirent la force effrayante de ce tribun.
Dans l’affaire Dreyfus, Jaurès se révéla dans toute sa puissance. Il eut au début, comme d’ailleurs dans tous les cas sociaux critiques, une période de doutes et de faiblesses où il était accessible aux influences de droite et de gauche. Sous l’influence de Guesde et de Vaillant qui considéraient l’affaire Dreyfus comme une querelle de coteries capitalistes à laquelle le prolétariat devait rester indifférent, Jaurès hésitait à s’occuper de l’affaire. L’exemple courageux de Zola le tira de son indécision, l’enthousiasma, l’entraîna. Une fois en mouvement, Jaurès alla jusqu’au bout, il aimait dire de lui : ago quod ago [je fais ce que je fais].
Pour Jaurès l’affaire Dreyfus résumait et dramatisait la lutte contre le cléricalisme, la réaction, le népotisme parlementaire, la haine de race, l’aveuglement militariste, les intrigues sourdes de l’état-major, la servilité des juges, toutes les bassesses que peut mettre en action le puissant parti de la réaction pour arriver à ses fins.
De tout le poids de sa colère, Jaurès accabla l’antidreyfusard Méline, qui vient précisément de remonter à la surface avec un portefeuille dans le ” grand ” ministère Briand : ” Savez-vous, dit-il, de quoi nous périssons ? Je vais vous le dire sous ma propre responsabilité : nous mourons tous, depuis l’ouverture de cette affaire, des demi-mesures, des silences, des équivoques, du mensonge, de la lâcheté. Oui : des équivoques et de la lâcheté. ”
” Il ne parlait plus, dit Reinach, il tonnait, le visage enflammé, les mains tendus vers les ministres, qui protestaient, et la droite, qui hurlait. ” C’était là le véritable Jaurès.
En 1899, Jaurès réussit à proclamer l’unité du parti socialiste. Mais cette unité fut éphémère. La participation de Millerand au ministère, conséquence logique de la politique du Bloc des Gauches, détruisit l’unité et, en 1900-1901, le socialisme français se scinda de nouveau en deux partis. Jaurès prit la tête de celui d’où était sorti Millerand. Au fond, par ses conceptions, Jaurès était et restait un réformiste. Mais il possédait une étonnante faculté d’adaptation et en particulier d’adaptation aux tendances révolutionnaires du moment. C’est ce qu’il montra dans la suite à maintes reprises.
Jaurès était entré dans le parti, homme mûr, avec une philosophie idéaliste entièrement formée… Cela ne l’empêcha pas de courber son cou puissant (Jaurès était d’une complexion athlétique) sous le joug de la discipline organique et il eut maintes fois l’occasion de démontrer qu’il savait non seulement commander mais aussi se soumettre. A son retour du Congrès International d’Amsterdam qui avait condamné la politique de dissolution du parti ouvrier dans le Bloc de Gauches et la participation des socialistes au ministère, Jaurès rompit ouvertement avec la politique du Bloc. Le président du Conseil, l’anticlérical Combes, prévint Jaurès que la rupture de la coalition l’obligerait à quitter la scène. Cela n’arrêta pas Jaurès. Combes donna sa démission. L’unité du parti, où se fondirent jauressistes et guesdistes, était assurée. Depuis lors, la vie de Jaurès se confond avec celle du parti unifié, dont il avait pris la direction.
Le meurtre de Jaurès n’a pas été le fait du hasard. Il a été le dernier chaînon d’une fumeuse campagne de haine, de mensonges et de calomnies que menaient contre lui ses ennemis de toutes nuances. On pourrait composer une bibliothèque entière des attaques et des calomnies dirigées contre Jaurès. ” Le Temps ” publiait chaque jour un et parfois deux articles contre le tribun. Mais on devait se borner à attaquer ses idées et ses méthodes d’action : comme personnalité il était presque invulnérable, même en France, où l’insinuation personnelle est une des armes les plus puissantes de la lutte politique. Pourtant on parla à mots couverts de la force de corruption de l’or allemand… Jaurès mourut pauvre. Le 2 août 1914, ” Le Temps ” fut obligé de reconnaître ” l’honnêteté absolue ” de son ennemi terrassé.
J’ai visité en 1915, le café désormais célèbre du Croissant situé à deux pas de ” l’Humanité “. C’est un café parisien typique : plancher sale avec de la sciure de bois, banquettes de cuir, chaises usées, tables de marbre, plafond bas, vins et plats spéciaux, en un mot ce que l’on ne rencontre qu’à Paris. On m’a indiqué un petit canapé près de la fenêtre : c’est là qu’a été tué d’un coup de revolver le plus génial des fils de la France actuelle.
Famille bourgeoise, université, députation, mariage bourgeois, fille que la mère mène à la communion, rédaction du journal, direction d’un parti parlementaire : c’est dans ce cadre extérieur qui n’a rien d’héroïque que s’est écoulée une vie d’une tension extraordinaire, d’une passion exceptionnelle.
On a maintes fois appelé Jaurès le dictateur du socialisme français, parfois même, la droite l’a appelé le dictateur de la République. Il est incontestable que Jaurès a joué dans le socialisme français un rôle incomparable. Mais dans sa ” dictature ” il n’y avait rien de tyrannique. Il dominait sans effort : homme de grande envergure, esprit puissant, tempérament génial, travailleur exceptionnel, orateur à la voix merveilleuse, Jaurès, par la force des choses, occupait la première place, à une si grande distance de ses rivaux qu’il ne pouvait éprouver le besoin de concilier sa position par les intrigues et les machinations où Pierre Renaudel, le ” chef ” actuel du social-patriotisme, était passé maître.
Nature large, Jaurès avait une répulsion physique pour tout sectarisme. Après quelques oscillations il découvrait le point qui lui semblait décisif pour le moment donné. Entre ce point de départ pratique et ses constructions idéalistes, il disposait sans effort sur soi-même, les points de vue qui complétaient ou restreignaient son point de vue personnel, conciliait les nuances opposées, fondait les arguments contradictoires dans une unité qui était loin d’être irréprochable. C’est pourquoi il dominait non seulement les assemblées populaires et parlementaires, où sa passion extraordinaire maîtrisait l’auditoire, mais encore les congrès du parti où il dissolvait les oppositions de tendances dans des perspectives vagues et des formules souples. Au fond, il était un éclectique, mais un éclectique de génie.
” Notre devoir est haut et clair : toujours propager l’idée toujours exciter et organiser les énergies, toujours espérer, toujours lutter jusqu’à la victoire finale… ” Tout Jaurès est dans cette lutte dynamique. Son énergie créatrice bouillonne dans toutes les directions, excite et organise les énergies, les pousse à la lutte.
Comme l’a bien dit Rappoport, la magnanimité et la bonté émanaient de Jaurès. Mais il possédait en même temps, au degré suprême, le talent de la colère concentrée, non pas de la colère qui aveugle, obscurcit le cerveau et mène aux convulsions politiques, mais de la colère qui tend la volonté et lui inspire les caractéristiques les plus justes, les épithètes les plus expressives qui frappent directement au but. On a vu plus haut sa caractéristique des Périer. Il faudrait relire tous ses discours et articles contre les héros ténébreux de l’affaire Dreyfus. Voici ce qu’il disait de l’un d’eux, le moins responsable : ” Après s’être essayé dans l’histoire de la littérature à des constructions vides, à des systèmes fragiles et inconsistants, M Brunetière a trouvé enfin asile sous les voûtes lourdes de l’Eglise ; il cherche maintenant à voiler sa banqueroute personnelle en proclamant la faillite de la science et de la liberté. Après avoir vainement essayer de tirer de ses profondeurs quelque chose qui ressemble à une pensée, il glorifie l’autorité avec une sorte de magnifique humiliation ; maintenant qu’il a perdu, aux yeux des générations nouvelles, tout le crédit dont il a abusé un certain moment, grâce à son aptitude aux généralisations vides, il veut tuer la pensée libre qui lui échappe. ” Malheur à celui sur qui s’abattait sa lourde main !…
Entré au parlement en 1885 Jaurès y siégea sur les bancs de la gauche modérée. Mais son passage au socialisme ne fut pas une catastrophe ni un saut. Sa ” modération ” primitive recelait d’immenses réserves d’humanisme social agissant qui, dans la suite, se développa naturellement en socialisme. D’autre part, son socialisme ne prenait jamais un caractère de classe nettement accusé et ne rompait jamais avec les principes humanitaires et les conceptions du droit naturel si profondément imprimées dans la pensée politique française de l’époque de la grande révolution.
En 1889 Jaurès demande aux députés : ” Le génie de la Révolution française est-il donc épuisé ? Est-il possible que vous ne puissiez trouver dans les idées de la Révolution une réponse à toutes les questions qui se posent actuellement, à tous les problèmes qui se dressent devant vous ? La Révolution n’a-t-elle pas conservé sa vertu immortelle, ne peut-elle pas donner une réponse à toutes les difficultés sans cesse renouvelées parmi lesquelles nous passons notre chemin ? ” L’idéalisme du démocrate, on le voit, n’est encore nullement touché par la critique matérialiste. Plus tard Jaurès s’assimilera une grande partie du marxisme. Mais le fond démocratique de sa pensée subsistera jusqu’au bout.
Jaurès entra dans l’arène politique à l’époque la plus sombre de la Troisième République qui n’avait alors qu’une quinzaine d’années d’existence et qui, dépourvue de traditions solides, avait contre elle des ennemis puissants. Lutter pour la République, pour sa conservation, pour son ” épuration “, ce fut là l’idée fondamentale de Jaurès, celle qui inspira toute son action. Il cherchait pour la République une base sociale plus large, il voulait mener la République au peuple pour organiser par elle ce dernier et faire en fin de compte de l’Etat républicain l’instrument de l’économie socialiste. Le socialisme pour Jaurès démocrate était le seul moyen sûr de consolider la République et le seul moyen possible de la parachever. Il ne concevait pas la contradiction entre la politique bourgeoise et le socialisme, contradiction qui reflète la rupture historique entre le prolétariat et la bourgeoisie démocratique. Dans son aspiration infatigable à la synthèse idéaliste, Jaurès était, à sa première époque, un démocrate prêt à adopter le socialisme ; à sa dernière époque, un socialiste qui se sentait responsable de toute la démocratie.
Si Jaurès a donné au journal qu’il a créé le nom de ” l’Humanité “, ce n’est pas là l’effet du hasard. Le socialisme n’était pas pour lui l’expression théorique de la lutte des classes du prolétariat. Au contraire, le prolétariat restait à ses yeux une force historique au service du droit, de la liberté et de l’humanité. Au-dessus du prolétariat il réservait une grande place à l’idée de ” l’humanité ” en soi, qui chez les déclamateurs français ordinaires n’est qu’une phrase vide, mais dans laquelle il mettait, lui, un idéalisme sincère et agissant.
En politique Jaurès alliait une extrême acuité d’abstraction idéaliste à une forte intuition de la réalité. C’est ce qu’on peut constater dans toute son activité. L’idée matérielle de la Justice et du Bien va chez lui de pair avec une appréciation empirique des réalités même secondaires. En dépit de son optimisme moral, Jaurès comprenait parfaitement les circonstances et les hommes et savait très bien utiliser les unes et les autres. Il y avait en lui beaucoup de bon sens. On l’a appelé à maintes reprises le paysan madré. Mais par le fait seul de l’envergure de Jaurès, son bon sens était étranger à la vulgarité. Et ce qui est le principal, ce bon sens était mis au service de ” l’idée “.
Jaurès était un idéologue, un héraut de l’idée telle que l’a définie Alfred Fouillée lorsqu’il parle des ” idées-forces ” de l’histoire. Napoléon n’avait que du mépris pour les ” idéologues ” (le mot est de lui). Pourtant il était lui-même l’idéologue du nouveau militarisme. L’idéologue ne se borne pas à s’adapter à la réalité, il en tire ” l’idée ” et il la pousse jusqu’aux extrêmes conséquences. Aux époques favorables cela lui donne des succès que ne pourrait jamais obtenir le praticien vulgaire ; mais cela lui prépare aussi des chutes vertigineuses lorsque les conditions objectives se retournent contre lui.
Le ” doctrinaire ” se fige dans la théorie dont il tue l’esprit. Le ” praticien-opportuniste ” s’assimile des procédés déterminés du métier politique ; mais qu’il survienne un bouleversement inopiné et il se trouve dans la situation d’un manœuvre que l’adaptation d’une machine rend inutile. ” L’idéologue ” de grande envergure n’est impuissant qu’au moment où l’histoire le désarme idéologiquement, mais même alors il est parfois capable de se réarmer rapidement, de s’emparer de l’idée de la nouvelle époque et de continuer à jouer un rôle de premier plan.
Jaurès est un idéologue. Il dégageait de la situation politique l’idée qu’elle comportait et, dans son service de cette idée, ne s’arrêtait jamais à mi-chemin. Ainsi, à l’époque de l’affaire Dreyfus, il poussa à ses dernières conséquences l’idée de la collaboration avec la bourgeoisie de gauche et soutint avec passion Millerand, politicien empirique vulgaire qui n’a jamais rien eu et qui n’a rien de l’idéologue, de son courage et de son envolée. Dans cette voie, Jaurès ne pouvait que s’acculer lui-même à une impasse politique – ce qu’il fit avec l’aveuglement volontaire et désintéressé d’un idéologue prêt à fermer les yeux sur les faits pour ne pas renoncer à l’idée-force.
Avec une passion idéologique sincère, Jaurès combattit le danger de la guerre européenne. Dans cette lutte comme dans toutes celles qu’il mena, il appliqua parfois les méthodes qui étaient en contradiction profonde avec le caractère de classe de son parti et qui semblaient à beaucoup de ses camarades pour le moins risquées. Il espérait beaucoup en lui-même, en sa force personnelle, en son ingéniosité, en sa faculté d’improvisateur ; dans les couloirs du Parlement il apostrophait ministres et diplomates et, avec un optimisme exagéré sur son influence, les accablait du poids de son argumentation. Mais les conversations et les influences de coulisse ne découlaient nullement de la nature de Jaurès qui ne les érigeait pas en système, car il était un idéologue politique et non un doctrinaire de l’opportunisme. Il était prêt à mettre avec une égale passion au service de l’idée qui le possédait, les moyens les plus opportunistes et les plus révolutionnaires, et si cette idée répondait au caractère de l’époque, il était capable comme pas un d’en obtenir des résultats splendides. Mais il allait également au devant des catastrophes. Comme Napoléon, il pouvait dans sa politique avoir des Austerlitz et des Waterloo.
La guerre mondiale devait mettre Jaurès face à face avec des questions qui divisèrent le socialisme européen en deux camps ennemis. Quelle position eut-il occupé ? Indubitablement, la position patriotique. Mais il ne se serait jamais résigné à l’abaissement qu’a subi le parti socialiste français sous la direction de Guesde, Renaudel, Sembat et Thomas… Et nous avons entièrement le droit de croire qu’au moment de la révolution future, le grand tribun eût déterminé, choisi sans erreur sa place et développé ses forces jusqu’au bout.
Un morceau de plomb a soustrait Jaurès à la plus grande des épreuves politiques.
Jaurès était l’incarnation de la force personnelle. Le moral en lui correspondait parfaitement au physique : l’élégance et la grâce en elles-mêmes lui étaient étrangères ; par contre ses discours et ses actes avaient cette beauté supérieure qui distingue les manifestations de la force créatrice sûre d’elle-même. Si l’on considère la limpidité et la recherche de la forme comme les traits typiques de l’esprit français, Jaurès peut paraître peu caractéristique de la France. En réalité il était Français au plus haut degré. Parallèlement aux Voltaire, aux Boileau, aux Anatole France en littérature, aux héros de la Gironde ou aux Viviani et Deschanel actuels en politique, la France a produit des Rabelais, des Balzac, des Zola, des Mirabeau, des Danton et des Jaurès. C’est là une race d’hommes d’une puissante musculature physique et morale, d’une intrépidité sans égale, d’une force de passion supérieure, d’une volonté concentrée. C’est là un type athlétique. Il suffisait d’entendre la voix tonnante de Jaurès et de voir son large visage éclairé d’un reflet intérieur, son nez impérieux, son cou de taureau inaccessible au joug pour se dire : voilà un homme.
La force principale de Jaurès orateur était la même que celle de Jaurès politicien : la passion tendue extériorisée, la volonté d’action. Pour Jaurès l’art oratoire n’a pas de valeur intrinsèque, il n’est pas un orateur, il est plus que cela : l’art de la parole pour lui n’est pas une fin mais un moyen. C’est pourquoi, orateur le plus puissant de son temps, et peut-être de tous les temps, il est ” au-dessus ” de l’art oratoire, il est toujours supérieur à son discours comme l’artisan l’est à son outil…
Zola était un artiste – il avait débuté par l’impossibilité morale du naturalisme – et soudain il se révéla par le coup de tonnerre de sa lettre ” J’accuse “. Sa nature recelait une puissante force morale qui trouva son expression dans son œuvre gigantesque, mais qui était en réalité plus large que l’art : c’était une force humaine détruisant et construisant. Il en était de même de Jaurès. Son art oratoire, sa politique, avec toutes ses conventions inévitables, dévoilaient une personnalité royale avec une musculature morale véritable, une volonté acharnée de lutte et de victoire. Il ne montait pas à la tribune pour y présenter les visions qui l’obsédaient ou pour donner l’expression la plus parfaite à une chaîne d’idée, mais pour rassembler les volontés dispersées dans l’unité d’un but : son discours agit simultanément sur l’intelligence, le sentiment esthétique et la volonté, mais toutes ces forces de son génie oratoire, politique, humain, sont subordonnées à sa force principale : la volonté d’action.
J’ai entendu Jaurès aux assemblées populaires de Paris, aux Congrès internationaux, aux commissions des Congrès. Et toujours je croyais l’entendre pour la première fois. En lui aucune routine : se cherchant , se trouvant lui-même, toujours et inlassablement mobilisant à nouveau les forces multiples de son esprit, il se renouvelait sans cesse et ne se répétait jamais. Sa force puissante, naturelle, s’alliait à une douceur rayonnante qui était comme un reflet de la plus haute culture morale. Il renversait les rochers, tonnait, ébranlait mais ne s’étourdissait jamais lui-même, était toujours sur ses gardes, saisissait admirablement l’écho qu’il provoquait dans l’assemblée, parait les objections, balayant quelquefois impitoyablement tel un ouragan, toute résistance sur son chemin, parfois écartant tous les obstacles avec magnanimité et douceur comme un maître, un frère aîné. Ainsi le marteau-pilon gigantesque réduit en poussière un bloc énorme ou enfonce avec précision un bouchon dans une bouteille sans la briser.
Paul Lafargue, marxiste et adversaire de Jaurès, l’appelait un diable fait homme. Cette force diabolique, ou pour mieux dire ” divine “, s’imposait à tous, amis ou ennemis. Et fréquemment, fascinés et admiratifs comme devant un grandiose phénomène de la nature, ses adversaires écoutaient suspendus à ses lèvres le torrent de son discours qui roulait irrésistible, éveillant les énergies, entraînant et subjuguant les volontés.
Il y a trois ans, ce génie, rare présent de la nature à l’humanité, a péri avant d’avoir donné toute sa mesure. Peut-être la fin de Jaurès était-elle nécessaire à l’esthétique de sa physionomie ? Les grands hommes savent disparaître à temps. Sentant la mort, Tolstoï prit un bâton, s’enfuit de la société qu’il reniait et s’en fut mourir en pèlerin dans un village obscur. Lafargue, épicurien doublé d’un stoïcien, vécut dans une atmosphère de paix et de méditation jusqu’à 70 ans, décida que c’en était assez et prit du poison. Jaurès, athlète de l’idée, tomba sur l’arène en combattant le plus terrible fléau de l’humanité et du genre humain : la guerre. Et il restera dans la mémoire de la postérité comme le précurseur, le prototype de l’homme supérieur qui doit naître des souffrances et des chutes, des espoirs et de la lutte.
Notes
[1] Trotsky pensait que Villain avait été l’instrument de “services”, probablement tsaristes. Rien n’a été définitivement prouvé, dans un sens ou dans l’autre. Villain sera quant à lui abattu par des miliciens ouvriers aux Baléares où il s’était fixé lors de l’engagement de la guerre d’Espagne.
[2] Sur Jaurès voir aussi l’article de Trotsky dans la “Kievskaya Mysl” en janvier 1909.
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L'assassinat de Trotsky
Le révolutionnaire russe Léon Trotsky a été assassiné en 1940, un assassinat orchestré par le dictateur Staline. Les motivations de Staline n’étaient pas de l’ordre des rivalités personnelles : la bureaucratie soviétique qui avait pris le pouvoir en Russie avait besoin d’écraser la Quatrième Internationale qui, avec Trotsky, continuait à lutter pour l’internationalisme et la démocratie des travailleurs.
Par Lynn Walsh, Socialist party (CIO-Angleterre et Pays de Galles)
Le 20 août 1940, Léon Trotsky a été frappé d’un coup mortel de pic à glace à la tête par Ramon Mercader, un agent envoyé au Mexique par la police secrète de Staline (le GPU) afin d’y assassiner le révolutionnaire exilé. Ce dernier devait décéder le lendemain.
L’assassinat de Trotsky n’était pas un acte de méchanceté de la part de Staline, il s’agissait de l’aboutissement de la terreur systématique et sanglante dirigée contre toute une génération de dirigeants bolcheviques, ainsi que contre les jeunes révolutionnaires d’une deuxième génération prête à défendre les véritables idées du marxisme contre le régime bureaucratique et répressif en développement sous Staline. Au moment où le GPU a atteint Trotsky en 1940, ses agents avaient déjà assassiné – ou poussé au suicide, ou condamné aux camps de travail – de nombreux membres de la famille de Trotsky et la plupart de ses plus proches amis et collaborateurs ainsi qu’un nombre incalculable de dirigeants et sympathisants de l’Opposition de Gauche Internationale.
Plus de septante années après les faits, une grande partie des médias et des académiciens s’évertuent à présenter l’assassinat de Trotsky comme la conclusion d’un conflit personnel entre Trotsky et Staline, tout comme cela avait été fait en 1940. Cette ‘‘histoire’’ est basée sur une rivalité croissante entre deux chefs ambitieux qui se disputent le pouvoir, l’un étant aussi mauvais que l’autre d’un point de vue bourgeois. La critique la plus acide est régulièrement réservée à l’idée ‘‘romantique’’ de Trotsky de la ‘‘révolution permanente’’, potentiellement bien plus dangereuse que la notion bureaucratique ‘‘pragmatique’’ de Staline de la construction du ‘‘socialisme dans un seul pays’’. Si certaines questions posées par Trotsky à l’époque émergent parfois de ces commentaires, de manière apparemment légitime, il ne s’agit généralement que d’une manière de finalement rabaisser son rôle.
Pourquoi, si Trotsky était l’un des principaux dirigeants du parti bolchevik et le chef de l’Armée Rouge, a-t-il permis à Staline de concentrer le pouvoir entre ses mains? Pourquoi Trotsky n’a-t-il pas lui-même pris le pouvoir? On dit parfois que Trotsky était ”trop doctrinaire”, qu’il s’est laissé ”avoir” par Staline. Le corollaire est de suggérer que Staline était plus ”pragmatique” et un leaders plus ”astucieux” et ”énergique”.
Trotsky lui-même a été confronté à ces questions et y a répondu sur base de son analyse de la dégénérescence politique de l’Etat ouvrier soviétique. De toute évidence, d’un point de vue marxiste, il est tout à fait superficiel de présenter le conflit qui s’est développé après 1923 comme étant une lutte personnelle entre dirigeants rivaux. Staline et Trotsky, chacun à leur manière, ont personnifié des forces sociales et politiques contradictoires, Trotsky de façon consciente et Staline inconsciemment. Trotsky s’est opposé à Staline avec des moyens politiques, Staline a combattu Trotsky et ses partisans avec un terrorisme parrainé par l’État. “Staline mène une lutte sur un plan totalement différent du nôtre”, écrivait Trotsky : ”Il cherche à détruire non pas les idées de l’adversaire, mais son crâne.” Il s’agissait là d’une terrifiante prémonition.
Le triomphe de la bureaucratie
Analysant le rôle de Staline, dans son Journal d’exil écrit en 1935, Trotsky écrivait: ”Étant donné le déclin prolongé de la révolution mondiale, la victoire de la bureaucratie, et par conséquent de Staline, était déterminée d’avance. Le résultat que les badauds et les sots attribuent à la force personnelle de Staline, ou tout au moins à son extraordinaire habileté, était profondément enraciné dans la dynamique des forces historiques. Staline n’a été que l’expression à demi inconsciente du chapitre deux de la révolution, son lendemain d’ivresse.” (Trotsky, Journal d’Exil, p38)
Ni Trotsky, ni aucun des dirigeants bolcheviks de 1917 n’avaient imaginé que la classe ouvrière de Russie pourrait construire une société socialiste en étant isolée dans un pays économiquement arriéré et culturellement primitif. Ils étaient convaincus que les travailleurs devaient prendre le pouvoir afin de mener à bien les tâches en grande partie inachevées de la révolution démocratique-bourgeoise, mais en allant de l’avant vers les tâches impératives de la révolution socialiste. Ils ne pouvaient procéder qu’en collaboration avec la classe ouvrière des pays capitalistes plus développés – parce que, en comparaison du capitalisme, le socialisme exige un niveau de production et un matériel culturel plus élevés.
La défaite de la révolution allemande en 1923 – à laquelle ont contribué les erreurs de la direction de Staline-Boukharine – a renforcé l’isolement de l’Etat soviétique, et la retraite forcée de la Nouvelle Politique Economique (NEP) a accéléré la cristallisation d’une caste bureaucratique qui a de plus en plus mis en avant la défense de son confort et de son désir de tranquillité et de privilèges au détriment des intérêts de la révolution internationale.
La couche dirigeante de la bureaucratie a rapidement trouvé que Staline était la ”chair de sa chair”. Reflétant les intérêts de la bureaucratie, Staline a engagé une lutte contre le ”trotskysme” – un épouvantail idéologique qu’il a inventé pour déformer et stigmatiser les véritables idées du marxisme et de Lénine défendues par Trotsky et l’Opposition de Gauche.
La bureaucratie craignait que le programme de l’Opposition de Gauche pour la restauration de la démocratie ouvrière puisse trouver un écho auprès d’une nouvelle couche de jeunes travailleurs et donner un nouvel élan à la lutte contre la dégénérescence bureaucratique, c’est ce qui a motivé la purge sanglante de Staline contre l’Opposition. Ses idées étaient ”une source d’extraordinaires appréhensions pour Staline : ce sauvage a peur des idées, connaissant leur force explosive et sachant sa faiblesse devant elles.” (Journal d’Exil, p66)
Répondre à l’avance à l’idée erronée selon laquelle le conflit était en quelque sorte le résultat ”d’incompréhension” ou du refus de compromis, Trotsky a raconté comment, alors qu’il était exilé à Alma-Ata en 1928, un ingénieur ”sympathisant”, probablement “envoyé subrepticement sentir mon pouls”, lui a demandé s’il ne pensait pas qu’il était possible d’aller vers une certaine réconciliation avec Staline. “Je lui répondis en substance que de réconciliation il ne pouvait être question pour le moment : non pas parce que je ne la voulais pas, mais parce que Staline ne pouvait pas se réconcilier, il était forcé d’aller jusqu’au bout dans la voie où l’avait engagé la bureaucratie. – Et par quoi cela peut-il finir ? – Par du sang, répondis-je : pas d’autre fin possible pour Staline. – Mon visiteur eut un haut-le-corps, il n’attendait manifestement pas pareille réponse, et ne tarda pas à se retirer.” (Journal d’Exil, p39)
Trotsky commença une lutte au sein du Parti communiste russe en 1923. Dans une série d’articles (publiés sous le titre de ”Cours Nouveau”), il a commencé à mettre en garde contre le danger d’une réaction post-révolutionnaire. L’isolement de la révolution dans un pays arriéré avait conduit à la croissance naissante d’une bureaucratie dans le parti bolchevique et dans l’Etat. Trotsky a commencé à protester contre le comportement arbitraire de la bureaucratie du parti cristallisée sous Staline. Peu de temps avant sa mort en 1924, Lénine avait convenu avec Trotsky de constituer un bloc au sein du parti pour lutter contre la bureaucratie.
Quand Trotsky et un groupe d’oppositionnels de gauche ont commencé leur lutte pour un renouveau de la démocratie ouvrière, le bureau politique a été obligé de promettre le rétablissement de la liberté d’expression et la liberté de critique au sein du Parti communiste. Mais Staline et ses associés ont fait en sorte que cela reste lettre morte.
Quatre ans plus tard – le 7 novembre 1927, le dixième anniversaire de la révolution d’Octobre – Trotsky était contraint de quitter le Kremlin et de se réfugier chez des amis oppositionnels. Une semaine plus tard, Trotsky et Zinoviev, le premier président de l’Internationale Communiste étaient exclus du parti. Le lendemain, le camarade opposant et ami de Trotsky Adolph Joffe s’est suicidé pour protester contre l’action dictatoriale de la direction de Staline. Il fut l’un des premiers compagnons de Trotsky à être conduit à la mort ou à être directement assassiné par le régime de Staline qui, par la répression systématique et impitoyable de ses adversaires, a créé un fleuve de sang entre la véritable démocratie ouvrière et sa propre bureaucratie par des méthodes totalitaires.
En janvier 1928 Trotsky (qui avait déjà été deux fois exilé sous le régime tsariste) a été contraint à son dernier exil. Il fut d’abord déporté à Alma-Ata, au Kazakhstan, près de la frontière chinoise et, à partir de là, il a été expulsé en Turquie, où il a élu domicile sur l’île de Prinkipo, sur la mer de Marmara, près d’Istanbul.
Afin de tenter de paralyser le travail littéraire et politique de Trotsky, Staline a frappé son petit ”appareil” constitué de cinq ou six proches collaborateurs : ”Glazman poussé au suicide, Boutov mort dans une geôle de la Guépéou, Bloumkine fusillé, Sermouks et Poznanski en déportation. Staline ne prévoyait pas que je pourrais sans ” secrétariat ” mener un travail systématique de publiciste qui, à son tour, pourrait contribuer à la formation d’un nouvel ” appareil “. Même de très intelligents bureaucrates se distinguent, à certains égards, par une incroyable courte vue !” (Journal d’Exil, p40) Tous ces révolutionnaires avaient joué un rôle important, en particulier en tant que membres du secrétariat militaire ou à bord du train blindé de Trotsky pendant la guerre civile russe.
En exil : construire l’Opposition de gauche Internationale
Mais si Staline a par la suite consacré une si grande partie des ressources de sa police secrète (connue sous différents noms : Tchéka, Guépéou, NKVD, MVD et KGB) à la planification de l’assassinat de Trotsky, pourquoi avait-il permis à son adversaire d’être tout simplement exilé en premier lieu?
Dans une lettre ouverte au Politburo en janvier 1932, Trotsky avait publiquement averti que Staline préparait un attentat contre sa vie. “La question des représailles terroristes contre l’auteur de cette lettre”, écrit-il, ”a été posée il y a longtemps : en 1924-1925, lors d’une réunion, Staline en a pesé les avantages et les inconvénients. Les avantages étaient évidents et clairs. La principale considération en sa défaveur était qu’il y avait trop de jeunes trotskystes désintéressés qui pouvaient répondre par des actions contre-terroristes”. (Trotsky’s Writings, 1932, p19) Trotsky avait été informé de ces discussions par Zinoviev et Kamenev, qui avaient brièvement formé un une ”troïka dirigeante” avec Staline pour ensuite entrer – temporairement – en opposition contre Staline.
Trotsky poursuivit : ”Staline en est venu à la conclusion qu’avoir exilé Trotsky hors d’Union soviétique avait été une erreur… contrairement à ses attentes, il s’est avéré que les idées ont un pouvoir qui leur est propre, même sans appareil et sans ressources. La L’Internationale Communiste est une structure grandiose qui a été laissée comme une coquille vide, à la fois théoriquement et politiquement. L’avenir du marxisme révolutionnaire, c’est-à-dire du léninisme, est dorénavant indissolublement lié aux cadres internationaux de l’Opposition de Gauche. Aucune montagne de falsification ne peut changer cela. Les ouvrages de base de l’Opposition ont été, sont ou seront publiés dans toutes les langues. Des cadres de l’opposition, qui ne sont pas encore très nombreux mais néanmoins indomptables, se trouvent dans tous les pays. Staline comprend parfaitement le grave danger que représentent l’incompatibilité idéologique et la croissance persistante de l’Opposition de Gauche Internationale pour lui, pour sa fausse ”autorité”, pour sa toute-puissance bonapartiste.” (Trotsky’s Writings, 1932, P19-20)
Dans les premiers temps de son exil turc, Trotsky écrivit sa monumentale Histoire de la Révolution russe et son autobiographie Ma Vie. Grâce à une abondante correspondance avec les opposants d’autres pays et en particulier à travers le Bulletin de l’Opposition (publié à partir de l’automne 1929), Trotsky a commencé à rassembler le noyau d’une Opposition internationale de bolcheviks authentiques. Mais la perspective de Trotsky selon laquelle Staline allait utiliser le GPU pour tenter de détruire tout ce travail a été rapidement été confirmée.
Vers la fin de son exil turc, Trotsky a subi un coup cruel lorsque sa fille, Zinaida, malade et démoralisée, a été poussée au suicide à Berlin. Son mari, Platon Volkov, un jeune militant de l’Opposition, avait été arrêté et a disparu à jamais. La première femme de Trotsky, Alexandra Sokolovskaya, celle qui lui avait fait découvrir les idées socialistes et le marxisme, a été envoyée dans un camp de concentration où elle est décédée. Plus tard, le fils de Trotsky, Sergei, un scientifique qui ne défendait aucune position politique, a été arrêté sur base d’une accusation montée de toutes pièces ”d’empoisonnement de travailleurs.” Plus tard, Trotsky a appris qu’il était mort en prison. Parallèlement à sa peur maladive des idées ”dans la politique de répression de Staline, le mobile de vengeance personnelle a toujours été un facteur d’importance.” (Journal d’Exil, p66)
Dès le début, d’ailleurs, le GPU a commencé à infiltrer la maison de Trotsky et les groupes de l’Opposition de Gauche. La suspicion a entouré un certain nombre de personnes qui sont apparues dans les organisations de l’Opposition en Europe ou qui sont venues à Prinkipo visiter Trotsky ou l’aider dans son travail. Jakob Frank de Lituanie, par exemple, a travaillé à Prinkipo pour un temps, mais s’est plus tard rallié au stalinisme. Il y avait aussi le cas de Mill (Paul Okun, ou Obin) qui a également rallié les staliniens, laissant Trotsky et ses collaborateurs incertain quant à savoir s’il s’agissait juste d’un renégat ou d’une taupe du GPU.
Pourquoi ces personnes ont-elles été acceptées comme véritables collaborateurs? Lors d’un commentaire public concernant la trahison de Mill, Trotsky a souligné que ”L’Opposition de Gauche est placée devant des conditions extrêmement difficiles d’un point de vue organisationnel. Aucun parti révolutionnaire dans le passé n’a travaillé sous une telle persécution. Outre la répression de la police capitaliste de tous les pays, l’Opposition est exposée aux coups de la bureaucratie stalinienne qui ne recule devant rien (…) C’est bien sûr la section russe qui connait les temps les plus durs (…) Mais trouver un bolchevique-léniniste russe à l’étranger, même pour des fonctions purement techniques, est une tâche extrêmement difficile. C’est ce qui explique le fait que Mill ait pu pendant un certain temps pénétrer dans le secrétariat administratif de l’Opposition de Gauche. Il était nécessaire d’avoir une personne qui connaissait le russe et pouvait mener à bien des tâches de secrétariat. Mill avait à un moment donné été membre du parti officiel et, en ce sens, il pouvait revendiquer une certaine confiance.” (Writings, 1932, p237)
Rétrospectivement, il était clair que l’absence de contrôles de sécurité adéquats allait avoir des conséquences tragiques. Mais les ressources de l’Opposition étaient extrêmement limitées, et Trotsky avait compris qu’une phobie de l’infiltration et une suspicion exagérée de tous ceux qui offraient un soutien pouvait être contre-productif. Avec sa vision optimiste et positive du caractère humain, Trotsky était d’ailleurs opposé au fait de soumettre des individus à des recherches et des enquêtes sur leurs vies.
Sedov assassiné à Paris
Trotsky était désireux d’échapper à l’isolement de Prinkipo et de trouver une base plus proche du centre des événements européens. Mais les démocraties capitalistes étaient loin d’être disposées à accorder à Trotsky le droit démocratique d’asile. Finalement, en 1933, Trotsky a été admis en France. Cependant, l’aggravation de la tension politique, et en particulier la croissance de la droite nationaliste et fasciste, a bientôt conduit le gouvernement Daladier à ordonner son expulsion. Pratiquement tous les gouvernements européens avaient déjà refusé de lui accorder asile. Trotsky a vécu, comme il l’écrit, sur “une planète sans visa”. Expulsé en 1935, Trotsky a trouvé refuge pendant une courte période en Norvège, où il a écrit La Révolution trahie en 1936.
Peu après son arrivée en Norvège, le premier grand procès de Moscou a explosé à la face du monde. Staline a exercé une pression intense sur le gouvernement norvégien pour empêché Trotsky de répondre et de réfuter les accusations ignobles lancées contre lui à partir de Moscou. Pour éviter cet emprisonnement virtuel, Trotsky a été obligé de trouver un nouveau refuge, et il s’empressa d’accepter une offre d’asile du gouvernement Cardenas au Mexique. En route, Trotsky a rappelé sa lettre ouverte au bureau politique du Parti Communiste russe dans laquelle il avait prédit l’arrivée d’une campagne mondiale de diffamation bureaucratique de Staline et de tentatives d’assassinats.
La purge qui a eu lieu en Russie ne s’est pas limitée à une poignée de vieux bolcheviks ou d’oppositionnels de gauche. Pour chaque dirigeant apparu dans un simulacre de procès-spectacle, des centaines ou des milliers de personnes ont été emprisonnées en silence, envoyées à une mort certaine dans les camps de prisonniers dans l’Arctique, ou sommairement exécutées dans les caves de leur prison. Au moins huit millions de personnes ont été arrêtées dans le cadre de ces purges et de cinq à six millions d’entre eux ont été pourrir, la plupart du temps jusqu’à la mort, dans les camps. Sans aucun doute, ce sont les partisans de l’Opposition de Gauche, les partisans des idées de Trotsky, qui ont supporté la plus lourde répression.
Les purges menées en Russie étaient également directement liées à l’intervention contre-révolutionnaire de Staline dans la révolution ayant éclaté en Espagne à l’été 1936. Par l’intermédiaire de la direction bureaucratique du Parti communiste espagnol contrôlé par Moscou, de l’appareil de conseillers militaires soviétiques et d’agents du GPU, Staline a étendu sa terreur aux anarchistes, aux militants de gauche et en particulier aux trotskistes d’Espagne qui résistaient à ses politiques.
Pendant ce temps, la police secrète de Staline a aussi intensifié son action destinée à détruire le centre de l’Opposition de Gauche Internationale basé à Paris sous la direction du fils de Trotsky, Léon Sedov.
Sedov a été indispensable à Trotsky pour son travail de publiciste, dans la préparation et la distribution des Bulletins de l’Opposition et pour garder contacts avec les groupes d’oppositionnels à l’étranger. Mais Sedov avait également livré une contribution exceptionnelle et indépendante au travail de l’Opposition. Au début de l’année 1938, il est tombé malade, on suspectait une appendicite. Sur les conseils d’un homme qui était devenu son plus proche collaborateur, ”Etienne”, Sedov est entré en clinique – un hôpital qui par la suite s’est avéré être totalement infiltré par des émigrés russes ”blancs” (partisans de l’ancien régime tsariste) et des Russes ayant des penchants staliniens. Sedov a semblé se remettre de l’opération, mais est mort peu de temps après avec des symptômes extrêmement mystérieux. Un médecin a suggéré un empoisonnement, et une enquête plus approfondie a laissé entendre que sa maladie avait en premier lieu été produite par un empoisonnement sophistiqué et pratiquement indétectable.
Trotsky a écrit un hommage émouvant à son fils décédé : Léon Sedov – le fils – l’ami – le militant. Il a rendu hommage au rôle de Sedov dans la lutte pour la défense des idées du marxisme authentique contre leur perversion stalinienne. Mais il a aussi donné quelques indications sur ce que cela signifiait personnellement. “II était une part, la part jeune de nous deux.”, écrivait Trotsky, parlant en son nom et pour Natalia : ”Pour cent raisons, nos pensées et nos sentiments allaient chaque jour vers lui, à Paris. Avec notre garçon est mort tout ce qui demeurait en nous de jeune.”
Par la suite il a été révélé que Léon Sedov avait été trahi par ”Etienne”, un agent du GPU beaucoup plus insidieux et impitoyable que les espions et les provocateurs précédents qui s’étaient infiltrés dans le cercle de Trotsky. Etienne a ensuite été démasqué comme étant Mark Zborowski, révélé dans les années ’50 comme une figure clé du réseau d’espionnage du GPU aux USA. Zborowski avait déjà un long fleuve de duplicité et de sang derrière lui. Zborowski a par la suite avoué qu’il avait surveillé Rudolf Klement, (le secrétaire de Trotsky assassiné à Paris en 1938), Erwin Wolf (un partisan de Trotsky assassiné en Espagne en juillet 1937) et Ignace Reiss (un agent de premier plan du GPU qui a tourné le dos à la machine de terreur stalinienne, a déclaré son soutien à la Quatrième Internationale et a été assassiné en Suisse en septembre 1937).
Zborowski a eu des contacts avec les agents des forces spéciales du GPU en Espagne qui étaient responsables de l’assassinat d’Erwin Wolf – et qui comprenaient dans leurs rangs l’infâme colonel Eitingon. C’est cet homme, sous de nombreux pseudonymes, qui devait ensuite diriger les tentatives d’assassinat contre Trotsky au Mexique, en collaboration avec son associée au GPU et maitresse, Caridad Mercader, ainsi que son fils, Ramon Mercader, l’agent qui a finalement assassiné Trotsky.
L’assaut du 24 mai
Trotsky, Natalia Sedova et une poignée de proches collaborateurs sont arrivés au Mexique en janvier 1937. Le gouvernement du général Lazaro Cardenas a été le seul au monde à accorder asile à Trotsky dans les dernières années de sa vie. En contraste marqué avec la manière dont il avait été reçu ailleurs, Trotsky y a reçu un accueil officiel flamboyant et alla vivre à Coyoacan, dans la banlieue de Mexico, dans une maison prêtée par son ami et partisan politique, le peintre mexicain Diego Rivera.
L’arrivée de Trotsky a toutefois coïncidé avec un deuxième procès-spectacle de Moscou, suivi de peu par un troisième procès, encore plus grotesque. ”Nous avons écouté la radio”, raconte Natalia, ” ouvert le courrier et les journaux de Moscou, et nous avons ressenti jaillir la folie, l’absurdité, l’indignation, la fraude et le sang, cela nous affluait de toutes parts, ici au Mexique comme en Norvège.” (Vie et mort de Léon Trotsky, p212). Encore une fois Trotsky a exposé les contradictions internes de ces procès et réfuté les prétendues ”preuves” contre lui et ses partisans dans une série d’articles.
Une ”contre-procès” a par ailleurs été organisé, sous la présidence du philosophe libéral américain John Dewey. Cette commission a totalement exonéré Trotsky des accusations lancées contre lui. Trotsky a averti que le but de ces essais était de justifier une nouvelle vague de terreur – qui serait dirigée contre tous ceux qui ont représenté la moindre menace pour la direction dictatoriale de Staline, que ce soient des opposants actifs, de potentiels rivaux bureaucratiques ou des complices devenus tout simplement embarrassants. Trotsky était bien conscient que la peine de mort prononcée contre lui était loin d’être une condamnation qui resterait sans effet.
A partir du moment de son arrivée, le Parti communiste mexicain, dont les dirigeants suivaient loyalement la ligne de Moscou, a commencé à faire de l’agitation pour que des restrictions frappent Trotsky, pour l’empêcher de répondre aux accusations portées contre lui lors de ces procès-spectacles, et finalement pour provoquer son expulsion du pays. Les journaux et les revues du Parti communiste et de la fédération syndicale contrôlée par le parti Communiste (CTM) ont déversé un flot d’injures et d’accusations calomnieuses en déclarant que Trotsky complotait contre le gouvernement Cardenas en collaboration avec des éléments fascistes et réactionnaires. Trotsky était bien conscient que la presse stalinienne utilisait la langue de ceux qui décident non par la voie de votes mais par celle des mitrailleuses.
Au milieu de la nuit, le 24 mai 1940, une première attaque directe contre la vie de Trotsky a eu lieu. Un groupe d’hommes armés a pénétré dans la maison de Trotsky, a mitraillé les chambres et a tenté de détruire les archives de Trotsky en provoquant le maximum de dégâts possible. Trotsky et Natalia ont échappé de justesse à la mort en se couchant sur le sol sous le lit. Leur petit-fils, Seva, a été légèrement blessé par une balle. Par la suite, ils ont constaté que les assaillants avaient été enlevé Robert Sheldon Harte, l’un des secrétaires-gardes de Trotsky, qui avait apparemment été trompé par un membre du raid qu’il connaissait et en qui il avait confiance. Son corps a été retrouvé enterré dans une fosse.
Toutes les preuves orientaient l’enquête vers les staliniens mexicains et, derrière eux, le GPU. Grâce à une analyse détaillée de la presse stalinienne des semaines ayant précédé le raid, Trotsky a clairement montré qu’ils préparaient une tentative de meurtre. La police mexicaine a très vite arrêté certains complices mineurs des bandits, et les preuves ont incriminé un des principaux membres du Parti communiste mexicain. L’enquête a conduit jusqu’à David Alfaro Siqueiros qui, comme Diego Rivera, était un peintre bien connu. Mais contrairement à Rivera, il était un membre éminent du Parti Communiste du Mexique. Siqueiros avait aussi été en Espagne et était suspecté d’entretenir des liens avec le GPU depuis longtemps. Malgré les tentatives scandaleuses qui ont essayé de dépeindre cette attauque comme étant l’oeuvre de Trotsky afin de discréditer le PC et le gouvernement Cardenas, la police a finalement arrêté les meneurs, y compris Siqueiros. Toutefois, en raison de pressions exercées par le Parti Communiste et la centrale syndicale CTM, ils ont été libérés en mars 1941 pour ”manque de pièces à conviction” !
Siqueiros n’a pas nié son rôle dans cette agression. En fait, il s’en vantait ouvertement. Mais la direction du Parti communiste, clairement embarrassée non pas tant par la tentative elle-même, mais par la façon dont elle avait été bâclée, a tenté de se dissocier du raid, rejetant la faute sur un gang ”d’éléments incontrôlables” et ”d’agents provocateurs”.
La presse stalinienne a tantôt présenté Siqueiros comme un héros, tantôt comme un ”fou ou un demi-fou”, parfois même comme un agent à la solde de Trotsky! La presse stalinienne a même affirmé que Trotsky devait être expulsé suite à cet événement, car l’attaque n’était qu’un acte de provocation dirigé contre le Parti communiste et contre l’état mexicain.
Trente-huit ans plus tard, cependant, un membre dirigeant du Parti Communiste mexicain a admis la vérité. Dans ses mémoires, Mon Témoignage, publiées par la maison d’édition du Parti Communiste mexicain en 1978, Valentin Campa, un vétéran du parti, a catégoriquement contredit les démentis officiels de la participation du parti et a révélé divers détails sur la préparation de cet attentat contre la vie de Trotsky.
Campa raconte notamment comment, à l’automne 1938, il a, avec Raphael Carrillo (membre du comité central du PC), été convoqué par Herman Laborde (secrétaire général du parti) et a été informé d’une “affaire extrêmement confidentielle et délicate”. Laborde leur a dit qu’il avait reçu la visite d’un délégué de l’Internationale Communiste (en réalité, un représentant du GPU) qui l’avait informé de la ”décision d’éliminer Trotsky” et avait demandé leur coopération “pour mener à bien cette élimination”. Après une ”analyse vigoureuse”, cependant, Campa déclare avoir rejeté la proposition: “Nous avons conclu … que Trotsky était fini politiquement, que son influence était presque nulle, d’ailleurs on nous l’avait dit assez souvent à travers le monde. Les conséquences de son élimination feraient beaucoup de tort au Parti communiste mexicain et au mouvement révolutionnaire du Mexique et à l’ensemble du mouvement communiste international. Nous avons donc conclu que proposer l’élimination de Trotsky était clairement une grave erreur.” Mais Laborde et Campa ont été accusés ”d’opportunisme sectaire” pour leur opposition au projet et d’être ”mous concernant Trotsky”. Ils ont été chassés du parti.
La campagne pour préparer le Parti Communiste mexicain à l’assassinat de Trotsky a été réalisée par le biais d’un certain nombre de dirigeants staliniens déjà expérimentés dans l’exécution impitoyable des ordres de Moscou : Siqueiros lui-même, qui avait joué un rôle actif en Espagne, était probablement un agent du GPU depuis 1928. Vittoria Codovila, un stalinien argentin qui avait opéré en Espagne sous la direction d’Eitingon, avait été probablement impliqué dans la torture et le meurtre du dirigeant du POUM (Parti Ouvrier d’Unification Marxiste) Andreas Nin. Pedro Checa, dirigeant du Parti communiste espagnol en exil au Mexique, avait reçu son pseudonyme de la police secrète soviétique, la Tchéka. Carlos Contreras, alias Vittorio Vidali, avait été actif dans les forces spéciales du GPU en Espagne sous le pseudonyme de “Général Carlos”. Le colonel Eitingon avait coordonné leurs efforts.
Stalin pépare un nouvel essai
Après l’échec de la tentative de Siqueiros, Campa écrit ”une autre alternative a été mise en pratique. Raymond Mercader, sous le pseudonyme de Jacques Mornard, a assassiné Trotsky dans la soirée du 20 août 1940.”
Trotsky se considérait en sursis. “Notre joyeux sentiment de salut”, écrivait Natalia, “a été freiné par la perspective d’une nouvelle attaque et de la nécessité de s’y préparer.” (Natalia, Father and son) Les défenses de la maison de Trotsky ont été renforcées et de nouvelles précautions ont été prises. Mais malheureusement – tragiquement – aucun efforts n’a été fait pour enquêter de manière plus approfondie sur l’homme qui s’est avéré être l’assassin, malgré les soupçons que plusieurs membres de la famille avaient déjà eu sur ce personnage étrange.
Trotsky s’est opposé à quelques-unes des mesures de sécurité supplémentaires suggérées par ses secrétaire et gardes : contre le fait qu’un garde soit à ses côtés à tout moment, par exemple. “Il est impossible de consacrer sa vie uniquement à l’auto-défense”, a écrit Natalia, ”car dans ce cas, la vie perd toute sa valeur”. Néanmoins, compte tenu de la nature vitale et indispensable du travail de Trotsky et de l’inévitabilité d’une attaque contre sa vie, il ne fait aucun doute qu’il y avait de graves lacunes dans sa sécurité et que des mesures plus strictes auraient dû être mises en œuvre. Peu de temps avant l’enlèvement de Sheldon Harte, par exemple, Trotsky l’avait vu autoriser des ouvriers passer librement dans et hors de la cour. Trotsky s’est plaint de cette négligence et a ajouté – ironie du sort, ce n’était que quelques semaines avant la mort tragique de Harte – “vous pourriez être la première victime de votre propre négligence.”
Mercader a rencontré Trotsky pour la première fois quelques jours après le raid de Siqueiros. Mais les préparatifs pour cet assassinat datait de plus longtemps. Grâce à Zborowski et à d’autres agents du GPU qui avaient infiltré les partisans de Trotsky aux États-Unis, Mercader a été introduit en France auprès de Sylvia Ageloff, une jeune trotskyste américaine qui est par la suite allée travailler pour Trotsky à Coyoacan. L’agent du GPU a réussi à séduire Sylvia Ageloff et à en faire la complice involontaire de son crime.
Mercader avait une couverture élaborée, même si elle a suscité beaucoup de soupçons. Elle a malheureusement assez bien servi son but. Mercader avait rejoint le Parti communiste en Espagne, et était devenu militant actif dans la période de 1933 à 1936, quand le parti était déjà stalinisé. Probablement grâce à sa mère, Caridad Mercader, qui était un agent du GPU et était associée à Eitingon, Ramon Mercader est entré au service du GPU. Après la défaite de la République espagnole – aidée par le sabotage stalinien de la révolution espagnole – Mercader s’est rendu à Moscou, où il a été préparée à son futur rôle. Après avoir rencontré Ageloff à Paris en 1938, il l’a plus tard accompagnée au Mexique en janvier 1940 et s’est progressivement introduit dans les bonnes grâces de la famille de Trotsky.
Après cela, Mornard/Mercader a organisé une rencontre avec Trotsky, sous prétexte de discuter d’un article qu’il avait écrit – que Trotsky considérait comme sans intérêt au point que cela en devenait gênant. La première réunion était en fait très clairement une ”répétition générale” pour l’assassinat qui devait suivre.
Il s’est ensuite à nouveau rendu dans cette maison le 20 août. Malgré les réticences des gardes de Natalia et de Trotsky, Mornard/Mercader a de nouveau autorisé à voir Trotsky seul – “trois ou quatre minutes se sont écoulées”, rapporte Natalia. ”J’étais dans la chambre d’à côté. Il y a eu un cri perçant, horrible (…) Lev Davidovich est apparu, appuyé contre le cadre de porte. Son visage était couvert de sang, ses yeux bleus étincelants sans lunettes et ses bras pendant à son côté. (…) Mornard avait frappé Trotsky d’un coup fatal porté à l’arrière de la tête à l’aide d’un pic à glace dissimulé dans son imperméable. Mais le coup n’avait pas immédiatement été mortel.””Trotsky a crié très longuement, infiniment longuement,” comme l’a précisé Mercader lui-même et s’est courageusement jeté sur son assassin, ce qui a empêché d’autres coups de survenir.
“Le médecin a déclaré que la blessure n’était pas très grave”, a dit Natalia. “Lev Davidovich écouta sans émotion, comme on le ferait d’un message classique de confort. Attirant l’attention sur son cœur, il dit: ”Je sens … ici … que c’est la fin … cette fois … ils ont réussi.” (Vie et mort de Léon Trotsky, P268) Trotsky a été transporté à l’hôpital, a été opéré et a survécu pendant plus d’une journée pour finalement mourir à l’âge de 62 ans le 21 août 1940.
Mercader semble avoir espéré disposer d’un traitement similaire à celui de Siqueiros et pouvoir bénéficier d’une peine légère. Mais il a été condamné à 20 ans de prison, qu’il a effectivement faites. Cependant, même après que son identité ait été fermement établies avec ses empreintes digitales et d’autres preuves, il a refusé d’admettre qui il était ou qui lui avait ordonné d’assassiner Trotsky. Le crime a été quasiment universellement attribué à Staline et au GPU, mais les staliniens ont nié toute responsabilité. Cependant, la mère de Mercader, qui s’était enfuie du Mexique avec Eitingon, a été présentée à Staline et décorée ainsi que son fils. Mercader lui-même a été honoré lors de son retour à l’Est après sa libération. En dépit de son silence, toute une série de preuves sont arrivées, notamment à partir du témoignage d’espions russes traduits en justice aux Etats-Unis, de celui de certains des meilleurs agents du GPU qui ont fait défection vers les pays occidentaux ou encore hors des mémoires de dirigeants staliniens eux-mêmes. Mercader faisait clairement partie de la machine de terreur secrète de Staline.
En fin de compte, Staline a réussi à tuer l’homme qui – aux côtés de Lénine – était sans aucun doute le plus grand dirigeant révolutionnaire de l’histoire. Mais, comme Natalia Sedova l’a écrit par la suite: “Tout au long de sa vie héroïque et magnifique, Lev Davidovich a cru en l’émancipation de l’humanité. Au cours des dernières années de sa vie, sa foi ne s’est pas affaiblie, au contraire, elle était devenue plus mature, plus ferme que jamais. L’humanité s’émancipera de toute oppression et triomphera des exploitations de toutes sortes.” (How it happened, novembre 1940)
L’héritage de Trotsky
De nombreuses tentatives ont été faites de présenter Trotsky comme un personnage tragique, comme si sa perspective d’une révolution socialiste dans les pays capitalistes développés et d’une révolution politique en Union soviétique était ”noble”, mais désespérément idéaliste. C’est le point de vue sous-entendus par Isaac Deutscher dans le troisième volume de sa biographie ”Trotsky, le prophète désarmé”, dans laquelle il dénigre les efforts de Trotsky pour réorganiser et ré-armer une nouvelle direction marxiste internationale avec la création de la Quatrième Internationale en 1938, rejetant le travail tenace et minutieux de Trotsky comme futile.
Toute la vie de Trotsky et son œuvre après la révolution russe victorieuse a été indissolublement liée à la lutte révolutionnaire de la classe ouvrière internationale, dans une première période de retraite, puis de défaites catastrophiques. Pour la simple raison que Trotsky a joué un rôle de premier plan dans la révolution d’Octobre, le reflux de la révolution l’a contraint à l’exil et à l’isolement politique. Mais alors que les sceptiques avaient abandonné les perspectives marxistes et fait la paix avec le stalinisme ou le capitalisme – ou les deux – Trotsky, et la petite poignée qui est restée attachée aux idées de l’Opposition de Gauche, ont lutté pour ré-armer une nouvelle génération de dirigeants révolutionnaires pour l’avenir du mouvement de la classe ouvrière.
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Ce dimanche à Charleroi : formation sur l'histoire du trotskisme en Belgique
Après le processus révolutionnaire en Afrique du Nord et au Moyen Orient, le prochain dimanche de formation “Marx avait raison” organisé par le district de Hainaut-Namur du PSL sera consacré à l’histoire du trotskisme en Belgique et à l’histoire du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO, l’internationale dont le PSL est la section belge). A l’heure du retour des luttes de masse sur le devant de la scène, la question de la direction la plus adéquate à construire pour renforcer les luttes des travailleurs et les conduire au socialisme est d’une importance cruciale, et c’est avant tout de cela dont il sera question lors de cette journée de discussion.
Dimanche 11 août, accueil à partir de 10h et fin prévue pour 17h. Un repas est prévu à petit prix.
Le matin, nous aurons deux invités pour aborder l’histoire du trotskysme en Belgique : Eric Byl (membre du Bureau Exécutif du PSL) et Gustave Dache (vétéran syndicaliste et trotskiste de Charleroi, également auteur du livre ‘‘La grève générale insurrectionnelle et révolutionnaire de l’hiver 60-61’’). L’après-midi, vers 14h, François Bliki nous parlera de l’histoire de notre internationale, le Comité pour une Internationale Ouvrière. François fut à la base de la création de la section belge du CIO et en fut le premier membre.
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Le PSL a étudié depuis longtemps l’histoire des trotskistes belges. Ce courant commence dans notre pays au sein du Parti Communiste. En 1932, par l’intermédiaire des Chevaliers du Travail, les trotskistes sont à la base d’une grande grève des mineurs. En 1936, ils gagnent la majorité de l’aile gauche du POB, l’Action Socialiste Révolutionnaire.
Aller à contre-courant fut le quotidien du trotskisme, contre toutes les manœuvres bureaucratiques, les tentatives de corruption, les menaces physiques et même l’assassinat de ses cadres. Les conditions difficiles dans lesquelles il a du évoluer aurait pu mener à sa disparition définitive. Cela ne s’est pas produit.
Lorsque nous avons rencontré Gustave Dache aux alentours de 1996, il avait déjà 42 ans d’activités trotskystes derrière lui. Il a commencé à travailler à 13 ans, en 1949, dans les verreries de Lodelinsart et, 5 ans plus tard, il a rejoint le courant trotskyste. Il ne fait plus partie d’une organisation depuis longtemps, mais est resté trotskyste. Aujourd’hui, Gustave n’est pas membre du PSL, mais il est heureux que le travail politique de sa vie puisse servir à la formation de nouveaux militants trotskystes. C’est notamment dans ce cadre qu’il a écrit son livre “La grève générale insurrectionnelle et révolutionnaire de l’hiver 1960/61”, dont la seconde édition sera disponible au week-end.
Gustave n’a malheureusement pas connu Léon Lesoil, mais il a pu rencontrer les anciens militants trotskistes qui l’avaient précédé et qui ont toujours loué Lesoil. En collaboration avec Eric Byl, membre du Bureau Exécutif du PSL, Gustave parlera de l’histoire du trotskysme belge, dans l’espoir que les générations futures puissent tirer toutes les leçons de ce riche patrimoine.
Toutes les formations auront lieu au local du PSL de Charleroi. Contactez-nous pour vous inscrire et connaître l’adresse exacte. Responsable : benjamin.dusaussois@gmail.com.
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Les éditions Marxisme.be rééditent "Ma vie" de Trotsky
Après le livre de Gustave Dache consacré à la grève générale de 60-61 : ‘‘La grève générale révolutionnaire et insurrectionnelle de l’hiver 60-61’’, les éditions Marxisme.be publient une nouvelle édition de l’autobiographie du révolutionnaire russe Léon Trotsky, ‘‘Ma Vie’’. Voici ci-dessous la préface de cette édition.
Il vous est possible de commander ce livre via redaction@socialisme.be ou en téléphonant au n°02/345.61.81 (658 pages, 20 euros).
Par Nicolas Croes
”Le trotskisme n’est pas un nouveau mouvement, une nouvelle doctrine, mais la restauration, la renaissance du marxisme véritable tel qu’il a été exposé et appliqué au cours de la révolution russe et des premiers jours de l’Internationale communiste” James Cannon (1942)
Ce n’est aucunement un hasard si les éditions marxisme.be ont choisi de rééditer cette autobiographie en ce moment, en pleine crise du système capitaliste, au beau milieu d’effroyables turbulences économiques et sociales. A travers le monde, des millions de personnes sont brutalement envoyées rejoindre la masse de ceux pour qui l’avenir n’est qu’incertitudes. Jamais autant de richesses n’ont pourtant été disponibles sur cette terre. Les ressources nécessaires pour assurer à chacun une vie décente dans une société qui vise à l’épanouissement de tous sont bel et bien là, à portée de main, mais elles sont accaparées par une petite élite bien décidée à préserver ses privilèges, qu’importe le moyen. Cette avidité prédatrice gâche l’énergie créatrice de milliards de personnes par le chômage, la misère, un travail sans cesse plus aliénant et des conditions de vie en constantes dégradations partout sur le globe. Cette spirale négative ne semble pas pouvoir toucher de fond.
Toutefois, malgré cette immonde opulence et une concentration de richesses véritablement inouïe, le pessimisme règne en maître parmi les élites dirigeantes. Face à ce système dangereusement à la dérive, leur inébranlable confiance d’autrefois est devenue anxiété. Aucune solution au sein de ce système ne semble capable de restaurer la croissance économique d’antan et de surmonter les contradictions internes du capitalisme, de plus en plus explosives. Voilà le contexte dans lequel l’establishment capitaliste a assisté, avec un effroi gigantesque, au grand retour des révolutions et des luttes de masse, particulièrement à partir de l’année 2011.
Pour toutes les élites, la chute de Ben Ali en Tunisie et celle de Moubarak en Egypte a constitué un effrayant avertissement, renforcé par les luttes de masse qui se sont développées bien au-delà de la région du Moyen Orient et de l’Afrique du Nord par la suite. Malgré le frein constitué par des directions syndicales gagnées à la logique du ‘‘libre’’ marché, le chemin de la lutte s’est imposé aux masses en balayant du même coup toutes les thèses portant sur la fin de l’ère des révolutions. Que sont maintenant devenus ces contes qui qualifiaient de dépassé le rôle des syndicats, l’avenir appartenant aux ONG ? Ils se sont évanouis face à la spectaculaire réapparition du vieux spectre de la lutte des classes. Quant à cette jeunesse considérée comme égoïste et ‘‘matérialiste’’, elle a su donner une idée de l’étendue de la solidarité et de la détermination dont elle est capable au travers, notamment, du mouvement des Indignés et Occupy Wall Street ou encore en s’impliquant activement dans l’organisation des grèves générales qui ont commencé à secouer tous les continents.
Cette véritable guerre de classe a bien entendu son prolongement sur le terrain idéologique. Les élites capitalistes peuvent encore bien s’accommoder de changements au sommet du système, comme en Tunisie et en Egypte, pour autant que le système économique actuel soit préservé. Il leur est primordial de défendre l’idée que ce système reste le seul viable malgré les problèmes qu’il rencontre et suscite. Toute idée d’une alternative face au capitalisme nécessite donc d’être combattue pour finir réduite à néant ou au moins suffisamment déformée et caricaturée.
C’est dans cette optique que se déroule une lutte qui a pour champ de bataille le passé et l’héritage des luttes du mouvement des travailleurs. Ainsi présente-t-on le plus souvent la sanglante caricature de socialisme qu’est le stalinisme comme découlant directement du marxisme, ou en tout cas du bolchévisme. Ce mythe qui associe étroitement l’image de Lénine à celle de Staline réduit Trotsky au niveau d’un simple apprenti dictateur, un triste personnage jaloux d’avoir perdu une lutte personnelle pour succéder à Lénine. Cette fable s’effondre cependant très facilement à l’étude des faits historiques, et c’est pourquoi il importe pour les partisans du capitalisme – débridés ou ‘‘domestiqués’’ – de les passer sous silence ou de les déformer. La présente autobiographie de Trotsky est donc avant tout à considérer comme une des armes destinée à restaurer la vérité.
C’est comme cela que nous la voyons aujourd’hui, et il n’en a d’ailleurs jamais été autrement. A l’époque de sa rédaction, elle avait déjà pour tâche d’être une arme forgée contre Staline, contre la contre-révolution bureaucratique et sa monstrueuse machine de falsification. La bureaucratie soviétique, pour assoir son pouvoir usurpé aux masses, avait besoin de se présenter comme l’héritière de la Révolution d’Octobre. Des moyens colossaux ont donc été dégagés pour réduire au silence la moindre voix dissonante, sous le flot de la propagande et par les armes, à coups de purges et de meurtres de masse. Trotsky lui-même en fut victime en 1940, tout comme une bonne partie de ses meilleurs collaborateurs. Mais ses idées et ses analyses, elles, sont toujours vivantes aujourd’hui.
A l’époque tout comme aujourd’hui, la crainte de voir la recherche d’une alternative s’orienter vers le marxisme révolutionnaire a constitué la principale motivation de nombreux textes consacrés à Trotsky. Bien peu de personnages à travers l’histoire ont été sujet d’autant de calomnies et de mensonges. Durant des décennies, le mouvement des travailleurs a été inondé de textes sur Trotsky écrits sous la direction des dirigeants de Moscou. La plupart sont maintenant introuvables, sauf dans la poussière des étagères des bouquinistes, et c’est heureux, mais s’ils restent pour les historiens d’importants témoignages sur la falsification. Maintenant que le stalinisme et la protection qu’il représentait se sont effondrés en Russie, s’y référer autrement équivaut à se couvrir de ridicule pour un chercheur.
Récemment pourtant, l’écrivain britannique Robert Service a publié une biographie de Trotsky dont les nombreuses contradictions sont basées sur les mensonges précédemment propagés par le stalinisme. Mais cette publication là non plus n’est aucunement un hasard, elle a un objectif bien précis. Le lecteur qui découvre Trotsky aujourd’hui peut être surpris de constater qu’un homme décédé il y a plus de 70 ans continue de déchaîner les passions à ce point. Il en comprendra toutefois aisément les raisons à la lecture des pages qui suivent. La théorie de la ‘‘révolution permanente’’ de Trotsky, par exemple, garde toute sa pertinence au regard du processus révolutionnaire à l’œuvre au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Du fond du XXe siècle, elle clame qu’une seconde révolution est nécessaire pour réellement concrétiser les aspirations démocratiques des masses en renversant le régime capitaliste. Les lignes de Trotsky consacrées à la révolution russe semblent constituer un manuel offert aux révolutionnaires des places Tahrir et à l’encre à peine sèche.
‘‘Ma Vie’’ est le premier livre de Trotsky écrit en exil, suite à son expulsion hors d’Union Soviétique. De ce fait, une bonne partie de son travail politique n’est pas abordée, il manque encore une bonne décennie d’activités politiques. Durant ces années-là, Trotsky a fait l’expérience d’une ‘‘planète sans visa’’, selon ses propres termes, un monde où les divers gouvernements refusaient les un après les autres d’accueillir le grand révolutionnaire jusqu’à ce que le Mexique lui ouvre ses portes en 1936. C’est là qu’il sera assassiné en 1940 par le stalinien Ramon Mercader.
Ces années sont pourtant cruciales dans l’apport théorique et pratique de Trotsky au marxisme, et nous encourageons le lecteur à s’y intéresser. Toute cette période est marquée par la lutte contre le fascisme et l’arrivée d’Hitler au pouvoir en 1933 et l’approche de Trotsky à ce sujet reste une précieuse contribution pour la lutte contre l’extrême-droite au 21 siècle. Les années ’30, c’est encore la révolution espagnole, les grandes grèves de 1936 en France, la fondation de la Quatrième Internationale, le Pacte Hitler-Staline et l’arrivée de la seconde guerre mondiale. Ce sont aussi les années qui ont suivi le grand crash de 1929 et au cours desquelles Trotsky a observé avant bien d’autres la montée des Etats-Unis. Sur tous ces thèmes et bien d’autres, les analyses de Trotsky restent marquantes et profondément ancrées dans les questions que se posent tous ceux qui veulent changer le monde.
Durant tout ce temps aussi, la vie de Trotsky était en sursis, et il le savait fort bien. Pour la bureaucratie soviétique, et Staline à sa tête, noyer dans le sang la vieille garde bolchévique était une priorité absolue. Les années ’30 sont en Russie des années de répression féroce qui voient les témoins de la Révolution d’Octobre et les défenseurs des principes du marxisme authentique groupés dans l’opposition de gauche traqués, expulsés du parti, exilés en Sibérie, puis enfin exécutés ou laissés à pourrir dans les camps de travail. Le plus vieil et redoutable adversaire du ‘‘chacal du Kremlin’’ (comme l’appelait Trotsky lui-même) était cependant toujours vivant, libre de parler et de poursuivre son effort porté à la fois contre le capitalisme et la caste bureaucratique à la tête de l’Union Soviétique.
A l’approche de la seconde guerre mondiale, alors que Trotsky était plongé dans la rédaction d’une monumentale biographie de Staline qui devait rester inachevée, l’impératif de supprimer le dernier à porter encore sur ses épaules le véritable héritage de la révolution russe et son expérience devint des plus pressant. Cette triste tâche fut accomplie le 21 août 1941 par un agent du Kremlin infiltré parmi les proches de Trotsky. En récompense de ce meurtre politique, il sera fait Héros de l’Union Soviétique et chevalier de l’Ordre de Lénine à sa libération au début des années ‘60.
A travers ‘‘Ma Vie’’, le lecteur découvrira un Trotsky vivant la révolution non pas à travers une liste de dogmes, comme l’image en a été propagée par les staliniens et les sociaux-démocrates, mais à l’aide d’une grille d’analyse marxiste destinée à décrypter les évènements neufs sur base des leçons des anciens pour en anticiper les conséquences et ainsi pouvoir adapter le travail des révolutionnaires. Nombreux seront ceux qui s’étonneront de découvrir un personnage ne cherchant ni à dissimuler ses mésestimations passées ni à les justifier mais qui, au contraire, veut faire partager toute son expérience, y compris celle acquise au cours de ce qu’il a par la suite considéré comme des erreurs.
Ainsi, Trotsky n’a formellement rejoint les bolchéviques qu’en juillet 1917, et n’a donc que tardivement rejoint Lénine sur la conception du parti révolutionnaire, ce dernier rejoignant Trotsky sur la conception des tâches de la révolution socialiste. Par la suite, il a systématiquement défendu avec acharnement la conception léniniste du parti révolutionnaire alors que certains le pressaient de s’en distinguer au même titre que du stalinisme.
En préface à son Histoire de la révolution russe, dont nous conseillons vigoureusement la lecture, Trotsky a notamment écrit : ‘‘Sans organisation dirigeante, l’énergie des masses se volatiliserait comme de la vapeur non enfermée dans un cylindre à piston. Cependant le mouvement ne vient pas du cylindre ni du piston mais de la vapeur.’’ C’est cette tâche qui est la plus urgente actuellement, celle de construire le meilleur piston pour canaliser l’extraordinaire énergie des masses en lutte contre le capitalisme.
A ce titre, nous invitons le lecteur à tirer les leçons que Trotsky a lui-même tirées de son expérience militante et à non seulement chercher à approfondir sa compréhension de ce que le marxisme révolutionnaire signifie aujourd’hui, mais aussi et surtout à considérer de participer à la construction de ce ‘‘piston’’.
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THEORIE : Quelle réponse face à la crise? Léon Trotsky à propos du plan De Man
Nous publions ici une critique écrite par le révolutionnaire Léon Trotsky concernant le plan du travail de Henri De Man, qui a concerné notre pays dans les années ’30. “Le plan De Man” visait à sortir l’industrie de la crise tout en restant dans le cadre du capitalisme. Les mesures de ce plan allaient assez loin, avec entre autres la proposition de nationaliser une grande partie de l’économie (et notamment le secteur du crédit) et avec une plus grande régulation des banques. Le plan De Man a disparu de la scène suite à la polarisation qui a précédé la Seconde Guerre Mondiale – De Man finissant même par rejoindre le camp de l’occupant – mais les questions qu’il soulevait restent d’actualité. En 1934, Trotsky avait écrit une lettre aux marxistes belges pour leur conseiller une approche face à ce plan.
Ce texte est tiré du site www.marxists.org
Camarades,
Inutile de vous dire que, ces derniers jours, j’ai étudié avec la plus grande attention les journaux, revues, procès-verbaux et lettre que vous avez envoyés [1]. Grâce à un excellent choix de matériel, j’ai pu en relativement peu de temps être informé sur l’ensemble de la question et sur l’essentiel des divergences qui se sont dans notre organisation. Le caractère strictement principiel de votre discussion, dénuée de toute outrance personnelle, donne l’impression la plus favorable quant à l’état d’esprit et son niveau moral et politique. Il me reste à souhaiter de tout cœur que cet état d’esprit soit non seulement préservé et renforcé dans la section belge, mais qu’il en arrive à prévaloir dans nos sections sans exception.
Les remarques que je souhaite faire sur la question en discussion elle-même ne peuvent prétendre être complètes. Je suis éloigné du théâtre de l’action. Des facteurs aussi importants que l’état d’esprit des masses ne peuvent être appréhendés à travers seulement des rapports de presse et des documents ; il faut prendre le pouls des réunions ouvrières, ce qui est, hélas, hors de ma portée. Cependant, dans la mesure où il s’agit de faire des suggestions sur le terrain des principes, la position d’un observateur de l’extérieur peut avoir peut-être certains avantages, puisqu’elle lui permet de se dégager des détails et de se concentrer sur l’essentiel.
Je dois en venir maintenant au sujet lui-même.
D’abord – et je considère que c’est la question centrale – je ne vois aucune raison pour que vous retiriez votre mot d’ordre « Le parti ouvrier belge au pouvoir ! » [2]. Quand nous avons pour la première fois lancé ce mot d’ordre, nous avions pleine conscience du caractère de la social-démocratie belge, qui ne veut pas se battre et ne sait pas se battre, et qui, pendant plusieurs décennies, a joué le rôle d’un frein de la bourgeoisie sur la locomotive prolétarienne, qui a peur du pouvoir en dehors d’une coalition, car elle a besoin d’alliés bourgeois pour pouvoir refuser les revendications des ouvriers.
Nous savons tout cela. Mais nous savons également que non seulement le régime capitaliste dans son ensemble, mais aussi son appareil parlementaire d’Etat, sont entrés dans une période de crise aiguë qui porte en elle la possibilité de modifications (relativement) rapides de l’état d’esprit des masses, comme celle d’une succession rapide de combinaisons parlementaires et gouvernementales. Si l’on prend en considération le fait que la social-démocratie belge, avec les syndicats réformistes, domine totalement le prolétariat, que la section belge du Comintern est tout à fait insignifiante [3] et l’aile révolutionnaire très faible, il devient clair que l’ensemble de la situation politique doit suggérer au prolétariat l’idée d’un gouvernement social-démocrate.
Nous avons auparavant estimé que la réalisation d’un tel gouvernement constituerait incontestablement un pas en avant. Non bien entendu dans le sens que le gouvernement des Vandervelde, De Man et compagnie serait capable de jouer quelque rôle positif que ce soit dans le remplacement du capitalisme par le socialisme, mais dans ce sens que, dans les conditions données, l’expérience d’un gouvernement social-démocrate serait d’une importance positive pour le développement révolutionnaire du prolétariat. Le mot d’ordre de gouvernement social-démocrate est ainsi calculé non pour quelque conjoncture exceptionnelle, mais pour une période politique plus ou moins longue. Nous ne pourrions abandonner ce mot d’ordre que si la social-démocratie – avant son arrivée au pouvoir – commençait à s’affaiblir considérablement, à perdre son influence au profit d’un parti révolutionnaire ; mais aujourd’hui, hélas, une telle perspective est purement théorique. Ni la situation politique générale, ni le rapport des forces à l’intérieur du prolétariat ne permettent de retirer le mot d’ordre du « pouvoir à la social-démocratie ».
Le plan de De Man, emphatiquement appelé le « Plan du Travail » (il serait plus juste de l’appeler « Plan pour abuser les travailleurs »), ne peut certainement pas nous conduire à abandonner le mot d’ordre politique central de cette période. Le « Plan du Travail » sera un instrument nouveau – ou rénové – du conservatisme bourgeois-démocratique (ou même semi-démocratique). Mais toute l’affaire réside en ce que l’extrême acuité de la situation, l’imminence des dangers qui menacent l’existence de la social-démocratie elle-même, la forcent, contre sa propre volonté, à s’emparer de cette arme à double tranchant, aussi peu sûre qu’elle soit du point de vue du conservatisme démocratique.
L’équilibre dynamique du capitalisme est à jamais détruit ; celui du système parlementaire est en train de craquer et de crouler. Et finalement – c’est un maillon de la même chaîne – l’équilibre conservateur du réformisme, forcé de dénoncer publiquement le régime bourgeois pour pouvoir le sauver, commence à être ébranlé. Une telle situation est riche de grandes possibilités révolutionnaires – ainsi que de dangers. Nous ne devons pas retirer le mot d’ordre « le pouvoir à la social-démocratie », mais, au contraire, lui donner un caractère d’autant plus militant et tranchant.
Entre nous, il n’est pas nécessaire de dire que ce mot d’ordre ne doit pas comporter une ombre d’hypocrisie, de faux-semblant, d’atténuation des contradictions, de diplomatie, de confiance, prétendue ou réelle. Que les social-démocrates de gauche se servent du beurre et du miel, dans l’esprit de Spaak [4]. Nous utiliserons, comme avant, le vinaigre et le poivre.
Dans le matériel qui m’a été envoyé est exprimée l’idée que les masses ouvrières sont absolument indifférentes au « Plan du Travail » et, de façon générale, sont en état de dépression, et que, dans ces conditions, le mot d’ordre du « pouvoir aux social-démocrates » ne peut qu’engendrer des illusions et provoquer ultérieurement la déception. Incapable, d’ici, de me faire une idée claire de l’état d’esprit des différentes couches et groupes du prolétariat belge, j’admets pleinement cependant la possibilité d’un certain épuisement nerveux et d’une certaine passivité des ouvriers. Mais, tout d’abord, cet état d’esprit n’est pas définitif ; il est sans doute plus proche de l’expectative que du désespoir. Aucun d’entre nous ne pense, bien entendu, que le prolétariat belge soit déjà incapable de lutter dans les années qui viennent. Il y a, à l’intérieur du prolétariat, de nombreux courants d’amertume, de haine et de ressentiment, et ils cherchent une issue. Pour échapper à la ruine, la social-démocratie a besoin d’un certain mouvement des ouvriers. Elle doit faire peur à la bourgeoisie pour la rendre plus agréable. Elle est certainement mortellement effrayée à l’idée que ce mouvement puisse lui passer par-dessus la tête. Mais, avec l’insignifiance absolue du Comintern, la faiblesse des groupes révolutionnaires, et sous l’impression toute fraîche de l’expérience allemande, la social‑démocratie attend le danger immédiat, non de la gauche, mais de la droite. Sans ces préconditions, le mot d’ordre du « pouvoir à la social-démocratie » n’aurait pas de sens.
Aucun d’entre nous n’a jamais douté que le « plan » De Man et l’agitation de la social-démocratie autour de lui sèmeraient des illusions et provoqueraient des déceptions. Mais la social-démocratie, avec son influence sur le prolétariat et son plan, avec son congrès de Noël et son agitation, sont des faits objectifs : nous ne pouvons ni les supprimer, ni passer par-dessus. Notre tâche est double : d’abord, expliquer aux ouvriers d’avant-garde la signification politique du « plan », c’est-à-dire dévoiler les manœuvres de la social-démocratie à toutes les étapes ; deuxièmement, démontrer en pratique à des cercles ouvriers, plus larges si possible, que, dans la mesure où la bourgeoisie essaie de placer des obstacles à la réalisation du plan, nous combattons la main dans la main avec les ouvriers pour les aider à faire cette expérience.
Nous partageons les difficultés de la lutte, mais pas les illusions. Notre critique des illusions ne doit pas cependant accroître la passivité des ouvriers et leur fournir une justification pseudo-théorique, mais, au contraire, les pousser en avant [5]. Dans ces conditions, l’inévitable déception, à cause du « Plan du Travail », ne signifiera pas l’accroissement de la passivité, mais au contraire le passage des ouvriers vers la voie révolutionnaire.
Je consacrerai dans les prochains jours un article particulier au « plan » lui-même. Du fait de l’urgence de cette lettre, je suis contraint de me limiter ici à quelques mots sur ce sujet. D’abord je considère qu’il est faux de lier le « plan » à la politique économique du fascisme [6]. Dans la mesure où le fascisme met en avant – avant la prise du pouvoir – le mot d’ordre de nationalisation en tant que moyen de lutter contre le « super-capitalisme », il ne fait que piller la phraséologie du programme socialiste. Il y a dans le plan De Man – avec le caractère bourgeois de la social-démocratie – un programme de capitalisme d’État que la social-démocratie elle-même fait passer pour le début du socialisme, et qui peut réellement devenir le début du socialisme, en dépit de, et contre l’opposition de la social-démocratie.
Dans les limites du programme économique (« Plan du Travail »), nous devons, à mon avis, mettre en avant les trois points suivants :
- Sur le rachat. Si l’on prend la question d’un point de vue abstrait, la révolution socialiste n’exclut aucune espèce de rachat de la propriété capitaliste. A une époque, Marx exprimait l’idée qu’il serait bon de « rembourser cette bande » (les capitalistes). Avant la guerre mondiale, c’était encore plus ou moins possible. Mais, si l’on prend en considération l’actuel bouleversement du système économique national et mondial et la paupérisation des masses, on voit que l’indemnisation constitue une opération ruineuse qui ferait porter au régime dès le début un fardeau absolument intolérable. On peut et on doit montrer ce fait à tous les ouvriers, chiffres en main.
- En même temps que l’expropriation sans indemnité, nous devons mettre en avant le mot d’ordre du contrôle ouvrier. Quoi qu’en dise De Man, nationalisation et contrôle ouvrier ne s’excluent pas du tout l’un l’autre. Même si le gouvernement était tout à fait à gauche et animé des meilleures intentions, nous serions pour le contrôle des ouvriers sur l’industrie et le commerce ; nous ne voulons pas d’une administration bureaucratique de l’industrie nationalisée ; nous exigeons la participation directe des ouvriers eux-mêmes au contrôle et à l’administration par les comités d’entreprise, les syndicats, etc. C’est seulement de cette façon que l’on peut poser les fondations de la dictature prolétarienne dans l’économie.
- Le « plan » ne dit rien sur la propriété terrienne en tant que telle. Là, il nous faut un mot d’ordre adapté aux ouvriers agricoles et aux paysans les plus pauvres. J’essaierai de traiter à part de cette question.
Il faut maintenant en venir au côté politique du « plan ». Deux questions sont naturellement au premier plan ici : 1) la méthode de lutte pour la réalisation du « plan » (en particulier la question de la légalité et de l’illégalité), et 2) l’attitude vis-à-vis de la petite bourgeoisie des villes et des villages.
Dans son discours programmatique publié dans l’organe des syndicats, De Man repousse catégoriquement la lutte révolutionnaire (grève générale et insurrection). Peut-on attendre autre chose de ces gens ? Quelles que soient les réserves individuelles ou les modifications destinées surtout à consoler les jobards de gauche, la position officielle du parti demeure celle du crétinisme parlementaire. C’est selon cette ligne qu’il nous faut diriger les coups principaux de notre critique – non seulement contre le parti dans son ensemble, mais aussi contre son aile gauche. Cet aspect de la question de la méthode de la lutte pour les nationalisations est souligné avec une égale précision et de façon juste par les deux parties dans notre discussion, aussi n’ai-je pas besoin de la traiter plus longuement.
Je voudrais seulement soulever un « petit » point. Ces gens-là peuvent-ils sérieusement penser à la lutte révolutionnaire quand au fond du cœur ils sont des… monarchistes ? C’est une grosse erreur de penser que le pouvoir du roi en Belgique est une fiction. D’abord cette fiction coûte de l’argent et il faudrait s’en débarrasser, ne fût-ce que pour des raisons économiques. Mais ce n’est pas l’aspect principal de la question. En temps de crise sociale, les fantômes prennent souvent chair et sang. Le rôle qu’a joué en Allemagne sous nos yeux Hindenburg [7], le palefrenier de Hitler, peut très bien être joué par le roi des Belges, imitant en cela l’exemple de son collègue italien. Une série de gestes du roi des Belges [8] au cours de la dernière période indique clairement cette voie. Qui veut lutter contre le fascisme doit commencer par lutter pour la liquidation de la monarchie. Nous ne permettrons pas à la social-démocratie, sur cette question, de se cacher derrière toutes sortes de trucs et de réserves.
Poser les questions de stratégie et de tactique de façon révolutionnaire ne signifie cependant absolument pas que notre critique ne devrait pas aussi suivre la social-démocratie jusque dans son refuge parlementaire. De nouvelles élections ne doivent avoir lieu qu’en 1936 ; jusqu’à ce moment, l’alliance des réactionnaires capitalistes et de la faim peut briser plus de trois fois le cou de la classe ouvrière. Nous devons poser la question de la façon la plus abrupte aux ouvriers social-démocrates. Il n’existe qu’un moyen d’accélérer la tenue de nouvelles élections : rendre impossible le fonctionnement du parlement actuel par une opposition résolue qui se traduise par l’obstruction parlementaire. Vandervelde, De Man et compagnie doivent être cloués au pilori, non seulement parce qu’ils ne développent pas la lutte révolutionnaire extraparlementaire, mais aussi parce que leur activité parlementaire ne sert absolument pas à préparer et à rapprocher la réalisation de leur propre « Plan du Travail ». Il faut arriver à faire clairement comprendre les contradictions et l’hypocrisie dans ce domaine à l’ouvrier social-démocrate moyen qui ne s’est pas encore élevé jusqu’à la compréhension des méthodes de la révolution prolétarienne.
La question de l’attitude vis-à-vis des classes intermédiaires n’est pas d’une importance moindre. Ce serait de la folie que d’accuser les réformistes de se situer dans la « voie du fascisme » parce qu’ils cherchent à gagner la petite bourgeoisie [9]. C’est là l’une des conditions essentielles pour le succès total de la révolution prolétarienne. Mais, comme dit Molière, il y a fagots et fagots. Un marchand ambulant ou un petit paysan sont des petits-bourgeois, mais un professeur, un fonctionnaire officiel portant un insigne distinctif, un mécanicien moyen, sont aussi des petits-bourgeois. Il nous faut choisir entre eux. Le parlementarisme capitaliste – et il n’en existe pas d’autre – conduit à MM. les Juristes, les Fonctionnaires, les Journalistes, apparaissant comme les représentants patentés des artisans, des marchands ambulants, des petits employés et des paysans semi-prolétarisés qui souffrent tous de la faim. Et le capital financier mène par le bout du nez ou se contente de corrompre les parlementaires de ce milieu des juristes, des fonctionnaires et des journalistes petits-bourgeois.
Quand Vandervelde, De Man et compagnie parlent d’attirer la petite-bourgeoisie au « plan », ils pensent non aux masses, mais à leurs « représentants » patentés, c’est-à-dire aux agents corrompus du capital financier. Quand nous parlons de gagner la petite bourgeoisie, nous pensons à la libération des masses exploitées et submergées vis-à-vis de leurs représentants politiques occupés à « faire de la diplomatie ». Face à la situation désespérée des masses petites-bourgeoises de la population, les anciens partis petits-bourgeois (démocrates, catholiques et autres) éclatent sous toutes les coutures. Le fascisme l’a compris. Il n’a pas cherché et ne cherche aucune alliance avec les « dirigeants » faillis de la petite-bourgeoisie, mais arrache les masses à leur influence, c’est-à-dire qu’il réalise à sa façon et dans les intérêts de la réaction le travail même que les bolcheviks ont accompli en Russie dans les intérêts de la révolution. C’est précisément de cette façon que la question se présente également en Belgique. Les partis petits-bourgeois, ou les flancs petits-bourgeois des grands partis capitalistes sont voués à disparaître avec le parlementarisme qui constitue pour eux l’étape nécessaire. Toute la question est de savoir qui conduira les masses petites-bourgeoises opprimées et déçues, le prolétariat sous une direction révolutionnaire ou l’agence fasciste du capital financier.
De la même façon que De Man ne veut pas de lutte révolutionnaire du prolétariat et craint une politique d’opposition courageuse au parlement qui pourrait conduire à une lutte révolutionnaire, de même il ne veut pas, il craint, une lutte véritable pour les masses petites-bourgeoises. Il comprend très bien que, dans leurs profondeurs, sont dissimulées des réserves de protestation, d’amertume et de haine qui pourraient bien se transformer en passions révolutionnaires et en dangereux « excès », c’est-à-dire en révolution. Au lieu de cela, ce que De Man recherche, ce sont des alliés au parlement, des démocrates défraîchis, des catholiques, des parents de droite dont il a besoin comme rempart contre des excès révolutionnaires possibles de la part du prolétariat. Nous devons savoir comment éclairer cet aspect de la question pour les ouvriers réformistes à travers l’expérience quotidienne des faits. Pour une union révolutionnaire étroite du prolétariat avec les masses petites-bourgeoises opprimées de la ville et du village, mais contre une coalition gouvernementale avec les représentants politiques de la petite bourgeoisie qui la trahissent !
Quelques camarades expriment l’opinion que le fait même que la social-démocratie présente son « Plan du Travail » doit secouer les classes intermédiaires et, avec la passivité du prolétariat, faciliter le travail du fascisme. Bien sûr, si le prolétariat ne se bat pas, le fascisme vaincra. Mais ce n’est pas du « plan » que ce danger découle, mais de l’importance de l’influence de la social-démocratie et de la faiblesse du parti révolutionnaire. La longue participation de la social-démocratie allemande au gouvernement bourgeois [10] a pavé la voie à Hitler. L’abstention purement passive de Blum de toute participation au gouvernement [11] créera également les prémisses d’une croissance du fascisme. Finalement, l’annonce de l’attaque contre le capital financier sans une lutte révolutionnaire de masse correspondante accélérera inévitablement le travail du fascisme belge. Ce n’est donc pas du « plan » qu’il s’agit ; mais du rôle traître joué par la social-démocratie et du rôle fatal de l’Internationale Communiste. Dans la mesure où la situation générale, et en particulier le destin de la social-démocratie allemande, impose à sa petite sœur de Belgique une politique de « nationalisation », ce fait, avec les dangers anciens, ouvre de nouvelles possibilités révolutionnaires. Ce serait la pire erreur que de ne pas les voir. Nous devons apprendre à battre l’ennemi avec ses propres armes [12].
On ne peut utiliser les conditions nouvelles qu’à condition de continuer à dresser les ouvriers contre le danger fasciste. Pour pouvoir réaliser quelque plan que ce soit, il faut que les organisations ouvrières se maintiennent et se renforcent. Il faut donc d’abord les défendre contre les bandes fascistes. Ce serait la pire stupidité que d’espérer qu’un gouvernement démocratique, même conduit par la social-démocratie, pourrait protéger du fascisme les ouvriers, par un décret qui interdirait aux fascistes de s’organiser , de s’armer, etc. Aucune mesure de police ne servira à rien si les ouvriers eux-mêmes n’apprennent pas à s’occuper des fascistes. L’organisation de la défense prolétarienne, la création de la milice ouvrière, est la première tâche et elle ne peut être reportée. Quiconque ne soutient pas ce mot d’ordre et ne le réalise pas en pratique ne mérite pas le nom de révolutionnaire prolétarien.
Il reste seulement à dire quelques mots de la gauche de la social-démocratie [13]. Sur ce sujet moins que tout autre, je ne veux rien dire de définitif, parce que j’ai été jusqu’à maintenant incapable de suivre l’évolution de leur groupe. Mais ce que j’ai lu ces derniers jours (une série d’articles de Spaak, son discours au congrès du parti, etc.) ne m’a pas fait bonne impression.
Quand Spaak cherche à caractériser la relation réciproque entre lutte légale et illégale, il cite… Otto Bauer comme une autorité, c’est-à-dire un théoricien d’une impuissance tant légale qu’illégale. « Dis-moi qui sont tes maîtres, et je te dirai qui tu es. » Mais laissons le domaine de la théorie et tournons‑nous plutôt vers les questions politiques réelles.
Spaak a pris le « plan » de De Man comme base de la campagne et l’a voté sans aucune réserve. On peut dire que Spaak ne voulait pas fournir à Vandervelde et compagnie l’occasion d’aller jusqu’à la scission, c’est-à-dire d’exclure du parti l’aile gauche, faible et encore inorganisée ; Spaak a reculé plutôt que de sauter. Peut-être étaient-ce là ses intentions, mais, en politique, ce n’est pas d’après les intentions qu’on juge, mais d’après les actions. L’attitude prudente de Spaak à la conférence, son engagement de lutter avec une totale détermination pour l’application du « plan », ses déclarations sur la discipline auraient pu être compris en eux-mêmes en considération de la position de la gauche dans le parti. Mais Spaak est allé plus loin : il a exprimé sa confiance morale en Vandervelde et sa solidarité politique avec De Man non seulement sur les objectifs abstraits du « plan », mais aussi en ce qui concerne les méthodes concrètes de lutte.
Les paroles de Spaak dans le sens : « Nous ne pouvons exiger que les dirigeants du parti nous disent publiquement quel est leur plan d’action, les forces, etc. » avaient un caractère particulièrement inadmissible. Pourquoi ne pouvons-nous pas ? Pour des raisons confidentielles ? Mais, même si Vandervelde et De Man ont des affaires confidentielles, ce n’est pas avec les ouvriers révolutionnaires contre la bourgeoisie, mais avec les politiciens bourgeois contre les ouvriers. Et personne ne demande que les affaires confidentielles soient publiées au congrès ! Il est nécessaire de donner le plan général de mobilisation des ouvriers et la perspective de la lutte. Par sa déclaration, Spaak a effectivement aidé Vandervelde et De Man à se dérober devant la question qui concernait les questions de stratégie les plus importantes. On peut légitimement dire qu’il existe des secrets partagés entre les dirigeants de l’opposition et ceux de la majorité, contre les ouvriers révolutionnaires [14]. Le fait que Spaak a également entraîné les Jeunes Gardes socialistes [15] dans la voie de la confiance centriste ne fait qu’aggraver sa culpabilité.
La fédération de Bruxelles a présenté au congrès une résolution « de gauche » sur la lutte constitutionnelle et révolutionnaire. Cette résolution était très faible, avec un caractère légaliste et non pas politique : elle a été écrite par un juriste, non par un révolutionnaire (« Si la bourgeoisie devait violer la Constitution, alors, nous aussi… »). Au lieu de poser avec sérieux la question de la préparation de la lutte révolutionnaire, la résolution « de gauche » brandit contre la direction une menace littéraire. Mais qu’est-ce qui s’est passé au congrès ? Après les déclarations les plus stupides de De Man, lequel, comme on le sait, considère la lutte révolutionnaire comme un mythe nuisible, la fédération de Bruxelles a humblement retiré sa résolution. Des gens qui se contentent si facilement de phrases vides et mensongères ne peuvent être considérés comme des révolutionnaires sérieux. Leur punition n’a pas tardé. Le lendemain même, Le Peuple commentait la résolution du congrès en disant que le parti se maintiendrait strictement dans les limites constitutionnelles, c’est-dire qu’il « lutterait » dans les limites que lui fixe le capital financier avec l’aide du roi, des juges et de la police. L’organe de la gauche, Action socialiste, versait pour de bon des larmes amères : quoi, hier, hier seulement, « tous » étaient unanimes vis-à-vis de la résolution de Bruxelles, pourquoi donc aujourd’hui ?… Lamentations ridicules ! « Hier » les gauches se sont fait rouler pour obtenir qu’ils retirent leur résolution. Et, « aujourd’hui », les vieux renards bureaucratiques expérimentés donnent à la malheureuse opposition une petite tape sur le nez. Bien fait ! C’est toujours ainsi que ces questions se règlent. Mais ce ne sont là que les bourgeons et les fruits viendront plus tard.
Il est arrivé plus d’une fois que l’opposition social-démocrate développe une critique très à gauche aussi longtemps que cela ne l’engage à rien. Mais, quand arrivent les heures décisives (mouvement gréviste de masse, menace de guerre, danger de renversement du gouvernement, etc.), l’opposition abaisse tout de suite son drapeau, ouvre aux dirigeants discrédités du parti un crédit nouveau de confiance, prouvant ainsi qu’elle n’est elle-même que la chair de la chair du réformisme. L’opposition socialiste de Belgique est en train de passer à travers sa première épreuve sérieuse. Nous sommes obligés de dire qu’elle l’a complètement ratée. Il nous faut suivre attentivement et sans idées préconçues ses pas ultérieurs, sans exagérer nos critiques, sans nous perdre nous-mêmes dans des bavardages sur le « social-fascisme », mais sans nous faire non plus aucune illusion sur les réelles capacités théoriques et de combattants de ce groupe. Pour aider les meilleurs éléments de l’opposition de gauche à avancer, il faut dire ce qui est.
Je me hâte de terminer cette lettre pour que vous l’ayez avant la conférence du 14 janvier [16] ; c’est pourquoi elle est incomplète avec peut-être une insuffisance d’exposé systématique. En conclusion, je me permets d’exprimer ma conviction, du fond du cœur, que votre discussion se terminera par une décision harmonieuse qui assurera la complète unité dans l’action. L’ensemble de la situation prédétermine une croissance sérieuse de votre organisation au cours de la prochaine période. Si les dirigeants de l’opposition social-démocrate devaient capituler complètement, la direction de l’aile révolutionnaire du prolétariat reposerait intégralement sur vous. Si au contraire la gauche du parti réformiste devait avancer aux côtés du marxisme, vous trouveriez en elle un allié militant et un pont vers les masses. Avec une politique claire et unanime, votre succès est tout à fait certain. Vive la section belge des bolcheviks-léninistes !
Notes
[1] Le tournant de la social-démocratie belge que constituait l’adoption du « Plan du Travail » avait fait apparaître des désaccords au sein de la section belge. Le 11 décembre 1933, Vereeken avait rédigé un article sur le « plan » et la « capitulation » de la gauche dirigée par P. H. Spaak qui avait été refusé par le comité fédéral de Charleroi. La direction de la section belge avait fait parvenir à Trotsky tous les documents de la discussion qui s’était engagée à ce moment-là.
[2] L’article de Vereeken refusé par la direction belge se terminait ainsi : « Dans les premières phases d’une bataille de classes telle qu’une grève générale de masse, banquiers, industriels et politiciens bourgeois seront poussés à faire appel à la social-démocratie qui reste malgré tout « la plus grande force organisée de ce pays ». Un gouvernement « socialiste » aurait pour tâche d’arrêter l’élan des forces prolétariennes déchaînées. »
[3] Le parti communiste de Belgique était particulièrement faible.
[4] Paul Henri SPaak (1899-1972), avocat, membre du parti ouvrier belge, dirigeait depuis 1932 l’hebdomadaire Action socialiste, qui rassemblait les partisans d’une gauche encore très confuse, caractérisée par un attachement à l’unité et le refus de la collaboration de classes, et qui rassemblait autant de sympathisants de l’I.C. que de socialistes critiques. Spaak avait apporté son soutien au « plan » présenté par De Man.
[5] Trotsky prend ici en compte le fait que les masses ouvrières influencées par le P.O.B. attendent effectivement des résultats du « plan » De Man. Le texte de Vereeken disait que « les objectifs du plan » étaient de réaliser « l’impuissance des masses à s’opposer réellement au fascisme » et de « saper la base sur laquelle se développe un mouvement de gauche au sein du P.O.B. qui s’orienterait de plus en plus vers des conceptions révolutionnaires ». Son point de départ était : « Tout cela est dicté au réformisme par les besoins de sa propre conservation. »
[6] Vereeken pensait en effet qu’il y avait un lien entre le programme fasciste et le « plan » De Man. Le temps et l’évolution ultérieure du personnage l’ont d’ailleurs confirmé dans cette opinion (Cf. La Guépéou dans le mouvement trotskiste, pp. 116-122).
[7] Le président Hindenburg avait été élu en 1925, puis réélu au second tour contre Hitler en 1932. C’est lui qui, après avoir nommé Hitler chancelier, devait avaliser toutes ses décisions sans résistance.
[8] Il s’agit du roi ALBERT I° (1875-1934), qui avait cherché en 1914 à incarner la « résistance nationale » du peuple belge et avait été surnommé le « roi-chevalier ». Il jouait incontestablement dans la vie politique belge un rôle plus important que celui que prévoyait la Constitution et imposait souvent ses vues aux chefs des partis.
[9] Vereeken écrivait que « toute aide au réformisme dans sa manœuvre criminelle » (le « plan ») aboutirait à « désarmer encore le prolétariat devant le fascisme ».
[10] Le parti social-démocrate allemand avait participé sous la république de Weimar à bien des coalitions gouvernementales, y compris les « grandes » avec les partis de la droite bourgeoise. Dans les derniers temps il avait pratiqué la politique dite de « tolérance » des gouvernements de centre-droit.
[11] C’est au congrès de la S.F.I.O. de 1933 que Léon Blum avait fait prévaloir contre la droite « néo-socialiste » la position de la « non-participation » aux gouvernements à direction radicale, laquelle n’impliquait pas pour autant une lutte réelle des socialistes contre les conséquences sociales de la crise.
[12] C’est là sans aucun doute l’idée centrale de ce texte, et du projet de Trotsky d’utiliser le plan De Man contre ses auteurs : sur ce point, la divergence avec Vereeken est totale.
[13] L’aile gauche de la social-démocratie était avant tout représentée par Spaak et l’Action socialiste, mais aussi par les Jeunes Gardes socialistes. Vereeken considérait le ralliement de Spaak au « plan » De Man comme une trahison.
[14] Il semble que, sur ce point au moins, Trotsky était plus proche de Vereeken que de ceux qui s’opposaient à lui dans la section belge. On lit en effet dans le procès-verbal de sa direction en date du 20 décembre 1933 : « Les camarades constatent que, d’après les documents, rien ne justifie l’accusation de G. Vereeken qui affirmait… que Spaak ne préconisait plus la lutte révolutionnaire pour s’emparer du pouvoir et qu’il trompait les travailleurs en leur faisant croire, comme les chefs traîtres du P.O.B., que le “Plan De Man” pourrait être réalisé par les moyens constitutionnels » (archives Vereeken).
[15] Les Jeunes Gardes socialistes étaient l’organisation de jeunesse du P.O.B., en principe « autonome » depuis 1926. Elle avait triplé ses effectifs en deux ans, atteignant 25 000 membres en 1933, sous la direction d’un militant de la « gauche », son secrétaire général Fernand Godefroid.
[16] A l’assemblée générale du 14 janvier, les critiques de Vereeken ne furent pas retenues. On peut trouver dans cette discussion les origines de la crise qui mènera quelques mois plus tard à une scission en Belgique.
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Critique : La tragédie de la Révolution chinoise, de Harold Isaacs
La Révolution chinoise de 1925-27 a représenté un des plus splendides et des plus gigantesques mouvements de l’Histoire humaine.
Reléguées au rang de bêtes de somme, les masses chinoises – dirigées par la magnifique classe ouvrière chinoise – se sont rassemblées par millions dans les zones urbaines de Shanghai, du Guangdong, du Wuhan, etc. et ont ébranlé les fondations du féodalisme et des capitalismes chinois et impérialistes dans leur quête de libération et d’une société nouvelle. Jouissant d’une position encore plus favorable que celle qui existait en Russie en Octobre 1917, une révolution victorieuse était entièrement possible…
Par Peter Taaffe, secrétaire général du Socialist Party (CIO-Angleterre et Pays de Galles)
Cependant, un obstacle majeur se dressait sur la voie du triomphe de la révolution, sous la forme des positions erronées recommandées par Staline et par son cercle à l’époque à la tête de l’Internationale Communiste. Ceux-ci étaient en faveur d’une alliance de la classe ouvrière et de la paysannerie exploitée avec la petite-bourgeoise et les soi-disant ‘‘capitalistes nationaux’’ pour former un ‘‘bloc de quatre classes’’ en Chine.
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La tragédie de la Révolution chinoise, par Harold IsaacsCe livre a également un intérêt à l’heure actuelle, parce que les problèmes de l’inachèvement de la révolution capitaliste-démocratique – à laquelle ont été confrontés les travailleurs et paysans chinois – sont toujours des obstacles colossaux sur la voie vers une réelle libération dans ces parties du monde qui comprennent deux tiers de l’Humanité. Nous encourageons par conséquent nos lecteurs à l’acheter et à en débattre, dans le but, espérons-le, de comprendre ce qui va se produire dans le monde néocolonial.
Ce livre n’a plus édité en français depuis la fin des années ’60, mais vous pouvez accéder ici à la version en lign en anglais, sur marxists.org.
[/box]C’était là la même politique complètement erronée qu’avaient jadis prônés les Menchéviques en Russie, transférée sur le sol chinois. Le livre d’Isaacs démontre brillamment que cette politique a représenté une ‘‘tragédie’’ pour la révolution. Ceci a été depuis lors sans cesse disputé par les apologistes de Staline et du stalinisme. Mais Isaacs leur répond, avec une abondance de faits et de descriptions, que la marche des masses sape complètement leurs arguments et renforce les siens et ceux du révolutionnaire Léon Trotsky, qui avait commenté ces évènements à l’époque.
Mais ce livre est encore bien plus que ça et dépeint à grands coups de plume extrêmement habile le magnifique panorama constitué par l’héroïsme, l’autosacrifice et la détermination de changer le monde affichés par les travailleurs et paysans chinois horriblement exploités.
Cette édition a en outre l’avantage d’apparaître telle qu’elle était parue dans sa version originale, avec une introduction très éclairante de Léon Trotsky, plus tard expurgée de la version ‘‘allégée’’. Au fur et à mesure qu’Isaacs a viré à droite après la mort de Trotsky, il n’a plus permis que la publication de cette version ‘‘allégée’’. Celle-ci était toujours utile et, malgré le changement d’opinion de l’auteur, justifiait toujours l’analyse de la révolution faite par Léon Trotsky.
Mais elle n’était pas aussi efficace que cette version complètement restaurée. Trotsky lui-même avait fait remarquer que ‘‘Le livre d’Isaacs représente une œuvre scientifique du début à la fin. Il est basé sur une étude consciencieuse d’un très grand nombre de sources originales et de matériel additionnel.’’
Il faut ajouter que Trotsky a discuté avec le jeune Isaacs, qui avait 28 ans lorsqu’il a écrit ce livre, et l’a relu ligne après ligne avant sa publication. Malgré qu’Isaacs ait plus tard renié ses idées trotskystes et marxistes, et les idées de Trotsky lui-même, ce livre est néanmoins une démonstration brillante des idées de Trotsky, en particulier concernant la question cruciale de la théorie de la révolution permanente appliquée à la Chine.
Cette théorie consiste à dire que la révolution démocratique-bourgeoise dans ce qui est aujourd’hui le monde néocolonial (réforme agraire approfondie et purge de la société de toutes les relations féodales et semi-féodales, solution de la question nationale, démocratie, élection d’un parlement, etc.) n’est possible que si la classe ouvrière devient la force dirigeante d’une telle révolution. Elle-même n’étant capable de diriger la révolution jusqu’à sa conclusion victorieuse que si elle conduit la paysannerie – et en particulier ses couches inférieures – dans la lutte.
Développement inégal
Le chapitre d’ouverture ‘‘Les Graines de la révolte’’ est un petit chef d’œuvre littéraire qui décrit, à travers la vie des masses chinoises, la loi du ‘‘développement inégal et combiné’’, dont l’essence fait partie intégrante de la théorie de la révolution permanente de Trotsky.
Il commence ainsi: ‘‘A travers les villes et les villages, et sur les terres fatiguées de vastes vallées fluviales qui s’étendent de la mer jusqu’au cœur de l’Asie, ces contradictions et contrastes se multiplient. Ils incarnent la lutte de près d’un demi-milliard de gens pour l’existence et la survie.’’
Il est regrettable que l’auteur se soit plus tard distancé de sa position marxiste-trotskyste. Son fils, Arnold Isaacs, dans sa nouvelle introduction, tente d’en expliquer les raisons. Il concède que son père était entièrement d’accord avec Trotsky lorsqu’il a écrit le livre, mais poursuit en déclarant que ‘‘Sa position sur les convictions sous-jacentes de Trotsky est tout autre chose’’.
Pourtant, le fils d’Isaacs concède que le livre a été écrit par le jeune Isaacs en tant que ‘‘révolutionnaire’’, comme Trotsky l’a noté d’un air approbateur dans son préface, mais que ‘‘son opinion a assez vite changé’’. Treize ans plus tard, toutefois, dans une nouvelle édition allégée – qui ne donnait pas la pleine envergure du livre actuel – ‘‘il n’était plus d’accord avec les principes léninistes fondamentaux que Trotsky avait maintenu jusqu’à sa mort en 1940’’ (Préface par Arnold R. Isaacs).
Le revirement d’Isaacs est expliqué par le fait qu’il n’était pas d’accord avec ‘‘le principe selon lequel une dictature du prolétariat dirigée par un seul parti révolutionnaire devrait exercer un pouvoir exclusif dans un Etat révolutionnaire.’’ C’est une conclusion plutôt erronée, cette position étant faussement attribuée aux trotskystes et aussi aux marxistes actuels.
Un Etat-parti unique en Russie, exerçant la ‘‘dictature du prolétariat’’ (terme qui avait un sens assez différent à l’époque qu’il n’en a aujourd’hui, dans le sens que cela signifiait en réalité la démocratie ouvrière) n’a pas découlé des idées de Trotsky, mais de la situation critique et des difficultés de la Révolution russe.
Comme Trotsky et nous-mêmes l’avons expliqué à de nombreuses reprises, seul un parti fut au départ interdit par les Bolchéviks, celui des Cent Noirs d’extrême-droite. Tous les autres partis – Menchéviks, Socialistes-Révolutionnaires, anarchistes, libéraux, etc. – purent continuer leurs activités tant qu’ils exerçaient leur opposition aux bolchéviks de manière pacifique et démocratique. Ils n’ont été réprimés qu’après que nombre d’entre eux aient recouru à l’insurrection armée contre les Bolchéviks – comme le firent les Socialistes-Révolutionnaires en 1918 – ou qu’ils aient soutenus différents généraux tsaristes ou blancs – comme les Menchéviks.
Plus tard, certains membres de ces partis ont en réalité adhéré à la victoire d’Octobre 1917, mais leurs partis dans leur ensemble se trouvaient au départ de l’autre côté des barricades. Isaacs, comme l’explique son fils dans l’introduction, a par la suite cherché à argumenter le fait que ‘‘l’expérience soviétique nous a enseigné que la contradiction entre l’autoritarisme et le socialisme démocratique est totale. Le monopole du parti unique sur la vie politique, se développant en une oligarchie bureaucratique, est un résultat qui découle clairement de certains fondements du bolchévisme.’’
C’est de nouveau le conte familier selon lequel le stalinisme, l’autoritarisme, a tiré son origine dans le bolchévisme et dans ses méthodes. En réalité, le stalinisme a dû se consolider en détruisant tous les éléments du bolchévisme.
Le bolchévisme
Le parti bolchévique de Lénine était le parti de masse le plus démocratique de l’Histoire. Le stalinisme a dû annihiler ce parti dans un fleuve de sang au cours des terribles purges des années 30. C’est de l’isolement de la Révolution russe qu’a découlé le régime du parti unique, et non des objectifs initiaux du bolchévisme.
L’espoir était que, après la guerre civile, la démocratie des soviets puisse être restaurée. Au lieu de cela, l’isolation de la révolution a mené à la cristallisation d’une caste bureaucratique qui est parvenue, 73 ans après la révolution, à restaurer le capitalisme en Russie.
Ces enjeux, dans tous les cas, ne sont pas la clé de ce livre, celui-ci traitant de la puissante Révolution chinoise des années 1925-27. Les sources principales de ce mouvement prenaient racine – tout comme pour la Révolution russe elle-même, dont se sont inspirées les masses chinoises – dans l’incapacité du capitalisme à faire progresser la société.
Nous recommandons à tous ceux qui sont capables d’acheter ce livre, seuls ou en commun avec d’autres camarades, de le faire. Le fait de lire ce livre permettra en particulier à la jeune génération de pleinement comprendre le caractère de la Révolution de 1925-27.
Cela leur permettra également de voir que les forces impliquées dans la révolution de 1944-49, menée par l’Armée Rouge de Máo Zédōng étaient entièrement différentes de celles qui étaient présentes en 1925-27, qui était une révolution ouvrière classique, laquelle a dirigé la masse de la nation chinoise dans la lutte pour changer la société.