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Tag: The Guardian
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En Bref…
Cette rubrique est destinée à mettre en avant différents faits, citations, vidéos ou petites nouvelles particulièrement frappantes. Ce samedi, différentes données concernant les ”99%” et les ”1%” sont mises à l’honneur.
Les inégalités aux Etats-Unis
L’économiste américain Paul Krugman a très clairement illustré à l’aide d’un graphique à quel point augmentent les inégalités aux USA, en comparant le développement des revenus des 1% les plus riches à ceux des autres 99%. Les 80% les plus pauvres ont vu leur situation s’empirer. Les 1% les plus riches n’ont fait que s’enrichir encore. Les deux tiers de l’augmentation des richesses sont allés vers les 0,1% les plus riches. La plupart des gens qui composent ce 0,1% sont à la tête de grandes entreprises et de grandes banques. Krugman parle d’une concentration croissante des richesses et des revenus.
Quel changement sous Obama?
Les banquiers de Wall Street ont gagné bien plus sous le mandat présidentiel d’Obama que sous celui de Bush. Sous la présidence de Bush, il y a eu des années de croissance sans précédent pour les salaires et les primes des plus riches. La crise de 2008 est ensuite arrivée mais, ces 2,5 dernières années, les profits et les salaires sont allés encore plus haut. Pourtant, Obama veut épargner, principalement sur le dos de la population. La promesse de ”changement” est restée confinée à de belles paroles, le seul changement que la population peut percevoir est un changement négatif. Pendant ce temps, les riches deviennent encore plus riches.
L’homme le plus riche de tous les temps vit aujourd’hui
Dans le journal britannique The Guardian, George Monbiot a écrit cette semaine que les 10% les plus pauvres de Grande-Bretagne ont perdu 12% de leurs revenus entre 1999 et 2009, alors que les 10% les plus riches ont vu les leurs augmenter de 37%. Monbiot affirme aussi que la personne la plus riche de tous les temps vit aujourd’hui, c’est Carlos Slim, . Par rapport à la quantité des forces de travail qu’il peut acheter dans son pays, il serait 14 fois plus riche que Crésus, l’homme le plus riche de l’histoire de l’empire romain et allié crucial de Jules César. Slim est neuf fois plus riche que Carnegie, le magnat de l’acier du 19e siècle, et quatre fois plus riche que Rockefeller, autre grand capitaliste américain du 19e siècle. Forbes estime la fortune de Slim à 63,3 milliards de dollars.
”La frontière de la faim commence ici”
”La frontière de la faim, qui se situait jadis au nord du Sahara, a gagné le sud de l’Espagne et du Portugal”. C’est ce que déclare un des travailleurs de la Banque alimentaire de Lisbonne (The Guardian, relayé par Courrier International) en commentant un chiffre, celui des 160.000 personnes qui ont bénéficié de l’aide de cette banque alimentaire l’an dernier. Ce nombre augmente d’année en année.
Roger Waters (Pink Floyd) concernant le mouvement “Occupy”
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Les crimes de guerre du gouvernement srilankais et le tardif rapport des Nations-Unies
Le rapport du groupe d’experts des Nations-Unies publié ce 25 avril après un délai considérable confirme l’analyse de Tamil Solidarity et d’autres organisations au sujet du massacre des Tamouls au Sri Lanka ces deux dernières années. Ce groupe d’experts avait été établi par le secrétaire général des Natons-Unies Ban Ki-Moon en juin 2010 afin de connaitre la situation au Sri Lanka.
Écrit par TU Senan, pour Tamil Solidarity
Le rapport confirme nos estimations selon lesquelles plus de 40 000 personnes ont été massacrées par l’armée srilankaise lors de la phase finale de la guerre qui s’est terminée en mai 2009. L’armée a constamment bombardé les hôpitaux, les écoles, les abris temporaires et les soi-disant “zones de cessez-le-feu”. L’ensemble des 400 000 réfugiés ont été ensuite déportés en masse vers des “camps de détention” sans aucune infrastructure. Toutes sortes de décès et abus scandaleux ont eu lieu au cours du transport et dans les camps. De nombreuses campagnes, y compris Tamil Solidarity et les médias tamouls, diffusent constamment de nouveaux rapports de ces horreurs.
Toutefois, il ne faut pas avoir la moindre illusion dans le fait que ce rapport de l’ONU n’apporte le moindre changement dans les conditions des victimes au Sri Lanka. Le lendemain de sa publication, le journal britannique The Guardian rapportait que le secrétaire général de l’ONU «ne désire lancer une enquête internationale que si le gouvernement srilankais est d’accord, ou si un “forum international” tel que le Conseil de sécurité des Nations-Unies appelle à une telle enquête». Il est évident pour de nombreuses personnes que le gouvernement srilankais ne permettra pas la moindre enquête internationale. En fait, la publication de ce rapport tardif a elle-même été retardée par les protestations du gouvernement srilankais. Le ministre srilankais des Affaires extérieures, GL Peiris, a qualifié ce rapport d’“absurde” et “sans fondement”.
Le président du Sri Lanka, Mahinda Rajapaksa, a appelé à une “démonstration de force” pour le Premier Mai, la journée internationale des travailleurs, pour «manifester contre l’injustice faite à notre pays» par ce rapport de l’ONU ! «Le Premier Mai ne devrait pas être confiné à exprimer la solidarité des travailleurs», disait Rajapaksa. Alors que le régime tente de récupérer à son compte la Fête du Travail pour ses propres intérêts chauvinistes, il accuse l’ONU d’être «récupérée par certains pays» ! Le gouvernement a aussi appelé tous les partis politiques du pays à exprimer leur opposition à ce rapport. Il cherche à détourner les critiques contre le gouvernement vers les “ennemis à l’étranger”.
En réponse à l’appel de Rajapaksa, le parti pseudo-marxiste qu’est le JVP (Janatha vimukthi peramuna – Front de libération populaire, un parti communautaire chauviniste pro-cingalais qui se prétend à tort “marxiste”) a attaqué les Nations-Unies pour leur ingérence dans les affaires internes du pays ! La véritable raison de l’opposition de ce parti au rapport de l’ONU provient du fait qu’il a soutenu le gouvernement pendant la guerre. Il a suivi le gouvernement dans chacun de ses pas tout au long de la guerre. Et il a été très rapide à appeler à ce que l’ex-général Sareth Fonseka, qui a dirigé la guerre, soit promu au rang de héros national.
Le JVP tente parfois de donner une image “mixte”. Il donne l’impression de se battre contre les attaques sur les droits démocratiques, de se battre pour les droits des réfugiés tamouls et pour la liberté des médias. Il fait cela uniquement pour conserver un certain soutien parmi les étudiants et certains travailleurs, qu’il mobilise sur base de revendications économiques et sociales “radicales”. Mais en mélangeant ces revendications avec le nationalisme cingalais bouddhiste, il pousse ces couches encore un peu plus vers le régime Rajapaksa. Cette méthode erronnée a été démontrée de manière très claire par l’ampleur de leurs pertes électorales. Un appel doit être fait envers tous ces étudiants et travailleurs qui cherchent une direction, afin qu’ils rompent avec le JVP et qu’ils rejoignent une véritable riposte.
Mais le JVP n’est pas le seul parti politique qui nie les affirmations des Nations-Unies. Certains membres du parti d’opposition capitaliste, l’UNP (Parti national uni), tels que P.E. Jayasuriya, déclarent encore que «Pas un civil tamoul innocent n’a été tué par l’armée durant la guerre, grâce à la bonne gestion du président Rajapaksa».
L’ironie étant (si on peut parler d’ironie dans le contexte du Sri Lanka) que Jayasuriya est également un membre de l’association internationale des droits de l’Homme ! Le vice-président de l’UNP, Karu Jayasuriya, a aussi proclamé que le parti se rangera du côté des forces de sécurité, apportant encore plus de soutien au gouvernement quant à cette question.
Le parti des moines bouddhistes fondamentalistes et racistes du JHU (Jathika hela urumaya – Parti du patrimoine national) fait “tout ce qu’il peut” pour soutenir le gouvernement. « Si Ban Ki-Moon et les Nations-Unies veulent mettre le président Rajapaksa sur la chaise électrique, il faudra alors qu’ils y mettent chacun de nous, les religieux en premier», disait le Vénérable Galagama Dhammaransi Thero, ajoutant que «Nous protégerons et bénirons toujours ce dirigeant courageux».
Pendant ce temps, la Commission de réconciliation et des leçons apprises (LLRC) mise en place par le gouvernement a déclaré qu’elle ne commentera pas ce rapport ni ne prendra la moindre action le concernant. La LLRC est une fausse commission mise en place par le président, et elle agit conformément à ses attentes.
Malgré la rhétorique anti-impérialiste utilisée par le gouvernement pour mobiliser le nationalisme cingalais, l’impérialisme occidental tout comme le régime srilankais sont bien conscients du caractère très limité des actions qui pourraient être entreprises à l’encontre du Sri Lanka.
L’hypocrisie des Nations-Unies
Malgré l’aveu du rapport lui-même selon lequel «au cours des dernières étapes de la guerre, les organes politiques des Nations-Unies ne sont pas parvenus à entreprendre la moindre action afin de prévenir la mort de civils», aucune “excuse” n’a été jusqu’ici faite par cette institution. À la place, l’ONU n’offre que l’inaction, encore et encore.
De nombreux appels à l’action ont été émis durant la guerre début 2009, afin d’arrêter la guerre et d’empêcher le massacre en masse de la population tamoulophone. Samedi 31 janvier 2009, 100 000 personnes ont défilé à Londres en opposition à cette boucherie. Des centaines de milliers de Tamouls et d’autres sont descendus dans les rues partout dans le monde. Après la guerre, ces mouvements ont continué à émettre des revendications en faveur de véritables mesures humanitaires. Dans le silence et l’inaction de l’ONU et des autres gouvernements, une horreur et un massacre sans nom ont eu lieu. Et les abus et tueries se poursuivent aujourd’hui même. Ceci ne sera pas oublié.
Avec ce rapport, les Nations-Unies tentent maintenant de se racheter quelque peu. Mais le fait reste que l’ONU n’a fait absolument aucune tentative pour empêcher la tuerie. Qui plus est, elle ne s’est même pas excusée pour avoir passé une résolution, à dix jours du début du massacre, qui consacrait l’innocence du gouvernement sri lankais. Cette résolution promulguée par le conseil des droits de l’Homme de l’ONU le 27 mai 2009 applaudissait la «conclusion des hostilités et la libération par leur gouvernement de dizaines de milliers de citoyens srilankais qui étaient tenus en ôtages contre leur volonté par les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE), de même que les efforts effectués par le gouvernement afin d’assurer la sécurité de tous les Sri Lankais et d’apporter une paix permanente aux pays».
Cette résolution du 27 mai 2009 ne contient pas la moindre critique du gouvernement srilankais. Celle-ci va même encore plus loin politiquement : «Nous réaffirmons le respect pour la souveraineté, l’intégrité territoriale et l’indépendance du Sri Lanka et pour son droit souverain à protéger ses citoyens et combattre le terrorisme».
En fait, la seule condamnation du rapport a été faite à l’encontre des LTTE pour avoir lancé «des attaques contre la population civile» et «utilisé des civils en tant que boucliers humains». Le récent rapport d’experts n’a pas dénoncé ni d’ailleurs fait la moindre référence à cette résolution. Il ne fait que demander au conseil des droits de l’Homme de “reconsidérer leur position” ! L’hypocrisie des Nations-Unies, comme l’a fait remarquer le professeur Noam Chomsky, «a été si profonde qu’elle en était étouffante».
On serait en droit d’espérer que ce rapport pourrait être considéré par tous les gouvernements et organes gouvernementaux comme une base minimale avant d’entamer toute relation avec le gouvernement srilankais, ou qu’il puisse servir de base à une enquête internationale quant aux crimes de guerre. Toutefois, nous ne constaterons sans doute aucune action de ce type.
Bien que l’ONU donne l’illusion d’agir en tant qu’organisation indépendante, il serait naïf d’imaginer que l’ONU entreprenne la moindre action qui aille à l’encontre des intérêts de ses constituants majeurs : les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Inde, la Chine et la Russie. Cet organe n’est pas indépendant d’aucune manière que ce soit. Il n’a pas non plus la moindre crédibilité dans le fait d’empêcher des massacres de se dérouler dans d’autres régions du monde. Les Nations-Unies n’ont pas empêché le massacre au Congo par exemple. Au Rwanda, les puissances mondiales ont observé sans broncher le génocide d’un million de gens en quelques mois.
Les Nations-Unis se placent systématiquement du côté des impérialistes. Lorsqu’elles ne le font pas, leurs actions sont bloquées par les grandes puissances qui peuvent exercer un pouvoir de véto sur leurs activités. Les masses opprimées n’ont aucune voix qui représentent leurs intérêts lors des prises de décision par l’ONU.
Le Conseil de sécurité de l’ONU est composé de pays tels que la Russie, la Chine et l’Inde, qui ont non seulement financé l’armée gouvernementale sri lankaise, mais continuent à la protéger. Après que le rapport ait été publié, le secrétaire d’État à la défense Gotabayah Rajapaksa a annoncé que le Sri Lanka «devra chercher la protection de la Russie et la Chine».
Les actions de ces gouvernements sont une extension de la manière dont ils traitent leur propre population. Ils n’accordent absolument aucun intérêt aux droits de l’Homme. Le rôle brutal de l’Inde au Cachemire et dans d’autre partis du pays est bien connu. Aucun gouvernement indien n’a jamais prêté la moindre attention à la décision des Nations-Unies d’organiser un référendum au Cachemire quant à son indépendance. Il existe beaucoup de documentation quant au massacre d’ethnies entières et de militants en leur faveur par le gouvernement indien au nom de la fameuse “opération green hunt” (récente campagne anti-terroriste lancée par l’État indien contre les milices naxalites organisées notamment par le Parti communiste d’Inde (maoïste) dans le “couloir rouge” formé par dix provinces – constituant ensemble 40% de la superficie de l’Inde – de l’est du pays –– NDT).
D’une même manière, le rôle du gouvernement russe en Tchétchénie et les maltraitances infligées par le gouvernement chinois à la population tibétaine et dans le reste de leurs pays sont tristement célèbres dans le monde entier. Ces États, qui méprisent les droits des masses de leur propre pays, n’ont pas le moindre scrupule à collaborer avec d’autres gouvernements qui commettent des crimes de guerre, tel que le régime Rajapaksa.
Les Nations-Unies et les intérêts impérialistes
Le gouvernement srilankais dépend de plus en plus du soutien de la Chine, de l’Inde, et des “États voyoux” tels que l’Arabie saoudite. Cet état de fait entre en conflit avec les intérêts de l’impérialisme occidental en Asie du sud. L’impérialisme occidental pourrait utiliser le rapport des Nations-Unies en tant que levier pour réétablir son influence dans la région.
Cependant, il y a une limite que l’Occident n’est pas prête à dépasser. Nous ne devrions pas sur-estimer le fait que ceci le mènera à défendre les intérêts des masses opprimées, ni à exiger le droit à l’auto-détermination ou toute autre solution politique.
Parmi la gauche traditionnelle en Inde, certains affirment que les rivalités inter-impérialistes peuvent être utilisées pour faire progresser les intérêts des opprimés. Cependant, sans une forte organisation indépendante des masses laborieuses et pauvres, une telle stratégie risque de faire tomber ceux qui désirent riposter dans le piège des impérialistes.
Nous avons vu comment les impérialistes se “liguent” bien souvent contre les intérêts des masses opprimées, malgré leurs différences. Les États indien et pakistanais, par exemple, ont mené ensemble campagne contre toute critique pouvant menacer le gouvernement srilankais. Bien que le Sri Lanka ne possède pas l’énorme manne pétrolière de la Libye – une des principales raisons derrière l’intervention de l’impérialisme occidental dans ce pays – sa position stratégique, y compris sa valeur aux yeux des ambitions régionales chinoises, le rend important pour les puissances occidentales. Les mesures mises en œuvre par les impérialistes au Moyen-Orient après que la vague révolutionnaire ait commencé à s’y répandre constituent à cet égard une bonne leçon.
La soi-disant “intervention humanitaire” en Libye n’est qu’une tentative de briser la vague révolutionnaire au Moyen-Orient, avec l’intention de regagner le contrôle sur les ressources naturelles. Kadhafi est pour eux un partenaire peu fiable, au contraire des régimes du Bahreïn et d’Arabie saoudite. Aucune action n’a été entreprise à l’encontre de ces régimes, malgré le fait que ces États ont utilisé la même violence meurtrière contre les manifestants pro-démocratie.
Le secrétaire aux affaires étrangères britannique, William Hague, en défendant sa visite en Syrie malgré les tueries qui y sont organisées contre les masses révoltées, a insisté sur le fait que son gouvernement est sur le point de conclure un “deal” avec le gouvernement syrien et le président Bashar al-Assad. Assad est considéré comme un “réformateur” potentiel. Ceci est en complète contradiction avec les intérêts des masses syriennes, qui exigent le renversement du régime Assad.
En outre, le rôle des puissances occidentales en Libye a été encore plus discrédité par leur rôle dans le massacre de millions de simples citoyens en Irak. Le rôle contradictoire des soi-disant “préoccupations humanitaires” dans la région démasque clairement les intérêts impérialistes des gouvernements occidentaux.
L’idée selon laquelle les masses opprimées devraient d’une manière ou d’une autre accorder leur soutien à l’intervention de l’impérialisme occidental en Libye – censé empêcher le “massacre potentiel” – est absolument erronnée. Le régime égyptien, qui a lui aussi voté le soutien à la résolution de mai 2009 sur le Sri Lanka, a été balayé par le mouvement de masse historique du peuple égyptien. C’est un mouvement comme cela, avec une telle confiance en soi, qui pourrait mettre un terme définitif à des régimes tels que celui de Kadhafi.
L’intervention impérialiste est une autre raison pour laquelle la révolution, qui est partie de Tunisie pour se propager à l’Égypte puis à Benghazi, n’a jusqu’ici pas eu le même impact à Tripoli. Kadhafi a été capable de mobiliser un certain soutien, non pas basé sur la loyauté tribale, mais aussi sur l’antagonisme anti-impérialiste des masses. La seule chose qui peut prévenir le massacre et sauver la révolution est l’action des masses unies à Tripoli, une fois qu’elles auront assez de confiance pour se dresser contre Kadhafi. La soi-disant intervention humanitaire de l’impérialisme est tout sauf ça. Qui plus est, elle a déjà causé énormément de morts.
Le régime du Sri Lanka tente de même de se baser sur l’antagonisme anti-impérialiste qui vit parmi les masses. L’ex ambassadeur sri lankais aux Nations-Unies, Dayan Jayatilleka, a attaqué les puissances impérialistes occidentales lors de la onzième session spéciale à l’UNHCR en mai 2009, afin de s’attirer un soi-disant soutien “anti-impérialiste” : «Ces gens sont les mêmes qui ont certifié que l’Irak détenait des armes de destruction massive. Je ne leur ferais pas confiance pour acheter une voiture d’occasion, encore moins en ce qui concernerait de prétendus “crimes de guerre” !» Même ce fidèle laquais a été viré par le président un peu plus tard sous le prétexte d’avoir défendu la “régionalisation” dans un journal local. Le secrétaire à la défense Gotabhaya Rajapaksa a été encore plus loin dans son “analyse”, annonçant : «Ils sont jaloux, parce qu’eux n’ont pas été capables de vaincre le terrorisme comme nous l’avons fait». Un autre loyal serviteur du régime sri lankais, et prétendu expert mondial en terrorisme, le Professeur Rohan Gunaratna, fait remarquer que : «En Irak et en Afghanistan, où plus d’un million de civils ont été tués, il n’y a pas de comité d’experts qui conseillet au secrétaire général de l’ONU de mener une enquête sur les crimes de guerre».
Le régime utilise l’hypocrisie des Nations-Unies et de l’impérialisme à son avantage, tout comme le régime Kadhafi en Libye. Nous aussi, nous nous opposons fermement aux non-respect des droits de l’Homme et à leur exploitation par les puissances occidentales, mais nous devons aussi étaler au grand jour l’hypocrisie qui se trouve derrière la pseudo-rhétorique “anti-impérialiste” du régime srilankais.
Malgré sa rhétorique, le régime sri lankais est toujours aussi coopératif vis à vis des puissances impérialistes tant régionales qu’occidentales. Le débat autour des “droits de l’Homme” est en partie dû à la concurrence entre les puissances régionales, comme la Chine et l’Inde, et les puissances occidentales qui cherchent à établir des conditions favorables afin d’obtenir un avantage sur le plan économique. Le FMI et la Banque mondiale ont donné leur plein accord concernant les prêts au gouvernement srilankais, et ont érigé le Sri Lanka au rang de “paradis pour les investisseurs”. Le gouvernement srilankais mène en ce moment une politique brutale de privatisations, attaques sur les pensions et soi-disant réformes fiscales, telle que dictée par le FMI. La pseudo rhétorique anti-impérialiste du régime Rajapaksa et son exaltation du nationalisme cingalais ont également pour but de détourner l’attention des masses laborieuses et pauvres des attaques brutales menées par Rajapaksa sur leurs conditions de vie et sur les services.
En outre, nous ne verrons pas l’annualtion des prêts du FMI ou de la Banque mondiale sur base d’un scandale de “crimes de guerre”. Même après la fuite du rapport du comité d’experts de l’ONU dans les médias, les congressistes américains ont continués à voter en faveur d’un “renforcement des liens entre le Sri Lanka et les États-Unis”. Le nouveau vice-président de la commission Sri Lanka du Congrès américain, Chris Van Hollen, qui est aussi un Démocrate, et qui défend les coupes budgétaires d’Obama, appelle l’ensemble de ses collègues à soutenir cet appel. En d’autres termes, l’impact de ce rapport pour le sauvetage des masses opprimées sera en réalité extrêmement minimal.
Le secrétaire assistant américain Robert Blake, qui a visité le Sri Lanka après que le rapport de l’ONU ait été publié, a donné son soutien indéfectible au gouvernement. Il a félicité le “progrès positif” et a affirmé que la LLRC (Commission pour la réconciliation et les leçons apprises, qui est fort critiquée dans le rapport de l’ONU) joue un “rôle important”. Dans une déclaration publiée le 4 mai, M. Blake dit que «Lors de mes rencontres officielles aujourd’hui, j’ai assuré au gouvernement sri lankais du fait que les États-Unis s’engagent à un partenariat fort et à long terme avec le Sri Lanka, et que des rumeurs concernant notre soutien à un “changement de régime” n’ont pas le moindre fondement. J’ai exprimé notre soutien pour les efforts du gouvernement visant à relever le pays après cette guerre civile dévastatrice, et ai encouragé de nouveaux pas en direction de la réconciliation et d’un Sri Lanka paisible, démocratique et uni». Il y a une très brève mention du rapport des Nations-Unies, dans laquelle il affirme que ce rapport souligne l’importance d’une “solution politique capable de forger un Sri Lanka uni”, et l’importance du “dialogue avec les Nations-Unies” de la part du Sri Lanka ! Voilà bien le genre de comportement hypocrite auquel nous devons nous attendre de la part des puissances impérialistes !
L’attaque sur la diaspora, et l’absence de solution politique
Parmi les cinq raisons citées par le rapport de l’ONU en tant qu’“obstacles à la reconnaissance”, on retrouve le “rôle de la diaspora tamoule” : «Certains ont refusé d’admettre le rôle des LTTE dans le désastre humanitaire dans le Vanni (la région du Nord du Sri Lanka), ce qui crée un obstacle supplémentaire sur le chemin de la reconnaissance et de la paix durable».
Il ne fait aucun doute que les Tamouls de la diaspora ont été les plus virulents à crier contre le massacre qui a lieu au Sri Lanka, tandis que les gouvernements de tous les autres pays ont préféré gardé le silence.
Des centaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues pour y clamer leur dégout. L’inaction de la part des organes gouvernementaux occidentaux et internationaux a radicalisé un grand nombre de gens, surtout parmi les jeunes.
Il n’est pas exagéré de dire que les jeunes Tamouls de la diaspora sont plus politisés aujourd’hui que pendant les trente années qu’a duré la guerre civile. De nouvelles vagues de jeunes se sont impliquées dans des activités politiques. Cette politicisation a eu pour conséquence la création de toute une série d’organisations de jeunes.
Tamil Solidarity désire rassembler le plus grand nombre possible de ces jeunes afin de mener une riposte de principe contre le régime chauviniste sri lankais, et appelle à une lutte unie avec l’ensemble des masses opprimées.
Cette politicisation n’est certainement pas un résultat favorable ni pour l’impérialisme occidental, ni pour le régime srilankais. Ces gens préfèrent les “diplomates” qui restent contrôlables, ceux qui vont faire en sorte que la société reste passive dans leurs intérêts, non pas la jeunesse qui se rebelle de colère contre l’injustice. Pendant la guerre, les ministres et députés du gouvernement Labour au Royaume-Uni ont fait toutes sortes de promesses dans une tentative de racheter la jeunesse révoltée pour pouvoir la contrôler. Ils n’ont tenu aucune de leurs promesses.
Les establishments sentent un “danger” dans la direction que pourrait prendre ce mouvement des jeunes de la diaspora. Les jeunes tirent la conclusion assez correcte du fait que l’attaque sur les Tamouls opprimés fait partie d’une lutte contre l’ensemle des masses opprimées. De plus en plus de jeunes participent de manière active à la politique locale de leurs pays respectifs contre les injustices, contre le racisme, contre les attaques sur les minorités, contre le chômage des jeunes, et contre les attaques sur les services publics.
En outre, il y a aussi une insistance naissante pour plus de démocratie, la nécessité de travailler avec les syndicats, les organisations de gauche et d’autres mouvements qui mènent campagne pour les droits et contre l’oppression.
L’establishment veut saper ce processus. Il souhaite pacifier et faire dérailler cette colère, car il comprend que cette rage est de plus en plus dirigée contre lui. Et il veut pousser ces jeunes vers la droite du spectre politique.
Le fait d’accuser la diaspora de garder le silence sur les crimes supposés des LTTE est, à ce stade, une des manières par lesquelles ils veulent atteindre leurs buts. Ils cherchent à propager un total rejet des idées des LTTE par la diaspora, et s’attendent à sa coopération dans le cadre du “développement et de la réconciliation” pour un Sri Lanka uni.
De solides groupes militants tels que Tamil Solidarity, tout en s’opposant fermement au régime srilankais, ont toujours remis en cause les méthodes utilisées par les LTTE. Nous avons attentivement expliqué les raisons pour lesquelles les LTTE ont été vaincus. Un des principaux échecs des Tigres a été leur absence d’un appel à l’ensemble des masses en lutte dans le sud du Sri Lanka, dans le Tamil Nadu (la province tamoule du sud de l’Inde, qui compte 70 millions d’habitants, y compris plusieurs grandes villes telles que Chennai (anc. Madras) – à titre de comparaison, le Sri Lanka compte 20 millions d’habitants, dont 2 millions de Tamouls –– NDT) et dans le monde.
Nous avons aussi critiqué les LTTE en ce qui concerne les tueries internes, les attaques contre la population musulmane (il y a 1 million de musulmans au Sri Lanka –– NDT) , et l’exécution de civils au cours de la dernière phase de la guerre. La majorité de la couche active de la diaspora ne nie pas ces faits non plus.
Cette analyse est importante, pas seulement pour critiquer les LTTE, mais pour pouvoir avancer dans la lutte. Cela représente une étape cruciale dans la définition d’une stratégie pour la prochaine étape de la lutte. C’est là une chose complètement différente de l’agenda des Nations-Unies qui se cache derrière son attaque sur les LTTE.
L’idée que la diaspora désire d’une certaine manière promouvoir le terrorisme est entièrement fausse. Toutefois, confrontés à l’immense violence contre la population tamoulophone du Sri Lanka, la première réponse de la jeunesse tamoule ne sera pas dirigée contre la direction des LTTE, dont tous les membres ont été assassinés par le gouvernement du pays. Au lieu de ça, ils vont certainement concentrer leur colère sur le gouvernement criminel du Sri Lanka et sur l’establishment occidental qui garde toujours le silence.
Dire à la diaspora que son premier rôle est de dénoncer les LTTE, revient à paver la voie pour la coopération des Tamouls avec l’État srilankais. Une telle collaboration pourrait ne pas se faire avec le gouvernement actuel qui est directement responsable du génocide, mais pourrait être organisée avec de futurs gouvernements srilankais avec lesquels l’Occident espérera pouvoir faire de bonnes affaires. En même temps, il est important pour les Tamouls de la diaspora de se distancier des erreurs faites par les LTTE, afin de ne laisser aucun espace à des organes droitiers tels que les Nations-Unies pour attaquer les campagnes de la diaspora.
Il suffit d’une simple compréhension du rôle de l’impérialisme et de la manière de lui résister. Construire une organisation sérieuse et indépendante, qui se batte sans aucun compromis pour les droits de masses opprimées, est la clé pour mener la lutte plus en avant. Ceci devrait se faire sur base non seulement d’une opposition au gouvernement Rajapaksa et à ses laquais, mais aussi sur base d’une opposition à toute forme d’oppression. Une fine compréhension des diverses forces de classe en action dans la société est requise afin de bâtir un mouvement capable d’amener un changement fondamental.
Ce mouvement peut être construit en regroupant les militants progressistes, les syndicalistes et les socialistes. Mais ce ne sera pas une tâche facile, car de sérieux obstacles doivent être surmontés avant que la confiance des masses puisse être gagnée. La trahison de l’ancienne organisations des masses opprimées autrefois si puissante, le Lanka Sama Samaja Party (LSSP – Parti srilankais pour l’égalité sociale, ex-membre de la Quatrième internationale, et ancien parti ouvrier de masse, qui dispose aujourd’hui d’un siège au parlement srilankais dans le cadre d’une coalition avec le parti de Rajapaksa –– NDT), est toujours fraiche dans la conscience des masses ouvrières du Sri Lanka.
C’est la décision du LSSP de rejoindre le gouvernement de droite en 1964, puis de refuser le droit des minorités dans la constitution de 1972, qui a créé les conditions pour l’afaiblissement de la classe ouvrière et une hausse des tensions ethniques. La force de la classe ouvrière avait été constamment attaquée par les gouvernemens de droite qui se sont succédé. Aujourd’hui, l’épave de ce qui reste du LSSP se trouve maintenant au gouvernement, et joue le rôle de couvrir ses crimes de guerre.
De même, la trahison des partis tamouls ne sera pas oubliée non plus. En l’absence d’une véritable organisation de masse indépendante des travailleurs et des pauvers, des partis tels que le JVP se sont embourbés de plus en plus, en mêlant marxisme et rhétorique anti-establishment, avec chauvinisme et nationalisme cingalais et bouddhiste.
Sur une telle toile de fond, il pourrait sembler impossible de regagner la confiance des masses afin de construire un mouvement combatif. Cependant, la reconstruction d’un tel mouvement est la seule manière de mettre un terme à l’oppression, à l’exploitation et à la guerre. En outre, il existe de véritables forces dans le sud du pays qui se positionnent toujours fermement du côté des masses opprimées. Le Parti socialiste uni, par exemple, n’a jamais reculé dans sa lutte cohérente contre les divers et brutaux gouvernements srilankais. Il n’a jamais non plus hésité dans son soutien pour le droit à l’auto-détermination des masses tamoulophones. Pendant la guerre, les membres de l’USP ont risqué leurs vies et ont mené une campagne virulente afin de mettre un terme à la guerre, dont a notamment beaucoup parlé dans les médias du Tamil Nadu en Inde.
Nous devons rassembler nos forces dans une telle organisation, et renforcer notre riposte. Nous devons aussi lancer un appel à l’ensemble des masses opprimées de l’Inde, et en particulier au Tamil Nadu, afin qu’elles nous rejoignent.
Il serait stupide de placer le moindre espoir dans le gouvernement srilankais, ni dans toute autre puissance extérieure, pour nous fournir une solution. Les attaques contre les minorités au Sri Lanka n’ont jamais été aussi intenses, et le gouvernement actuel a complètement mis de côté tout effort envers une solution politique.
Le président a notamment déclaré que : «Il n’y a pas de minorités dans ce pays». Ni les Nations-Unies, ni aucune puissance étatique ne propose non plus la moindre solution politique. Pour de telles puissances, le droit à l’auto-détermination est hors de question.
Certains ont même émis l’idée comme quoi le fait de nous opposer à l’impérialisme pourrait nous faire perdre le soutien de la soi-disant “communauté internationale”, des gouvernements occidentaux. Mais, sur le long terme, les masses opprimées ne vont rien gagner du tout en s’alliant avec ces oppresseurs. Au contraire, elles ont beaucoup à perdre – le soutien de tous ceux qui se battent contre eux –, et ils ne faut pas leur faire confiance pour faire quoi que ce soit qui ne rentre pas dans le cadre des intérêts de leurs propres classes capitalistes.
Par exemple, le peuple tamoul ne peut pas appeler le parti conservateur britannique (Tory) un allié, sur base d’un quelconque discours sur les droits de l’Homme fait par un de ses députés. Ceci représenterait une trahison aux yeux des millions de travailleurs au Royaume-Uni, de toutes origines, qui sont confrontés à un véritable bombardement d’attaques constantes sur les emplois, sur les services publics (comme la santé ou l’éducation) et sur les allocations de la part du gouvernement de coalition Tory/libéral-démocrate.
En s’associant avec un tel parti anti-travailleurs, les Tamouls non seulement perdraient le soutien potentiel de ceux qui se battent contre ces coupes budgétaires, mais trahiraient également les masses tamoules en leur donnant un faux espoir dans ces politiciens.
En fait, l’approche pro-monde des affaires des Tories est totalement opposée au moindre soutien à toute forme de riposte par les pauvres et par les travailleurs. Leur intérêt est purement avec les patrons et les hommes d’affaires qui cherchent à cacher le massacre qui s’est produit au Sri Lanka, et au lieu de cela, à promouvoir la création de zones de libre échange dans le Nord. Ces zones seront des sites d’exploitation intensive de la jeunesse tamoulophone. Rajapaksa a déjà promis une “main d’œuvre bon marché” en tant que moyen de “réhabilitation” des ex-Tigres ! La question des alliances est donc cruciale. Nous devons nous allier avec ceux qui se battent réellement contre l’inégalité et contre l’exploitation.
Au milieu de la crise économique monidale et des pénuries alimentaires, la lutte contre les autres gouvernements qui appliquent des coupes similaires dans les emplois et dans les services publics s’est accrue en Europe et au-delà.
À Londres, plus d’un demi-million de travailleurs ont défilé le 26 mars contre le gouvernement Con-Dem. Au Portugal et en Espagne, des centaines de milliers de gens ont manifesté pour les mêmes raisons. Des batailles de classe massives se déroulent en Grèce. Ces gouvernements, tout en attaquant les services publics, tentent aussi de fomenter le racisme et d’autres divisions dans ces pays. On voit la tentative de montrer du doigt les immigrants, sur base de la pression sur les services et les emplois limités, dans l’espoir d’en faire des boucs émissaires. Si le blâme pour les coupes budgétaires est dirigé à d’autres sections de la classe ouvrière et des pauvres, cela permet aux gouvernements de continuer leur politique au service des intérêts des riches et des grands patrons.
Il y a un processus similaire au Sri Lanka, où le gouvernement a tenté de détourner l’attention et de diviser l’opposition par le biais du nationalisme cingalais, afin de pouvoir mettre en place sa politique brutale.
Nous, les travailleurs, les minorités ethniques, les jeunes et les pauvres, portons le fardeau de ces attaques. En tant que minorités dans ces pays, les Tamouls sont aussi la cible du racisme et d’autres formes d’abus qui sont exacerbés par les partis de droite et les médias. Il nous faut répondre à ces attaques.
Que chacun sache que où que nous soyons, nous nous dresserons contre l’oppression sous toutes ses formes, et riposterons. Cette riposte sera encore plus renforcée si nous nous faisons cause commune avec les luttes qui se déroulent en ce moment à travers toute l’Europe.
Aucun droit ne peut être obtenu sans une lutte. Ainsi, le fait que les jeunes rejoignent les marches antiracistes et les manifestations de travailleurs au Royaume-Uni et en Belgique, est un développement significatif. Le fait que les Tamoulophones aient rejoint les action du Premier Mai à travers toute l’Europe est également un important pas en avant. Et c’est une telle solidarité et unité qui sème la panique dans le cœur des oppresseurs, au Sri Lanka comme ailleurs.
S’unir pour riposter
On peut comprendre que les Tamouls au Sri Lanka attendent contre tout espoir que le rapport de l’ONU puisse constituer un pas en avant dans le soutien à la lutte pour leurs droits.
On peut comprendre que certains pauvres tamouls au Sri Lanka espèrent qu’une “force extérieure” leur vienne en aide. Mais il est inutile de créer des illusions dans le seul but de fournir un réconfort temporaire. Cependant, Tamil Solidarity exigera des Nations-Unies qu’elles prennent au moins quelques mesures afin que soient mises en vigueur les recommendations détaillées dans ce rapport. Si l’ONU s’avère incapable d’entreprendre la moindre action sérieuse contre le gouvernement srilankais, son hypocrisie n’en sera que plus dévoilée.
Mais l’Alliance nationale tamoule (TNA) tente d’utiliser les attentes de la population tamoulophone pour se créer une base électorale. Elle fait cela en créant l’espoir que les Nations-Unies, voire l’Inde, peuvent apporter leur aide. Elle tente aussi de cacher le rôle crucial qu’a joué l’Inde dans la guerre. Il est important de rappeler que le gouvernement srilankais n’aurait pas pu gagner la guerre sans le soutien de l’Inde et de la Chine.
Le fait que le gouvernement indien refuse de faire la moindre critique à l’encontre du régime srilankais actuel, même après avoir accepté le fait qu’un massacre de masse se soit déroulé pendant la guerre, ne devrait pas nous surprendre. Il serait criminel de la part de la TNA de créer des illusions en faveur des mêmes forces qui ont joué un rôle dans le massacre de masse des Tamouls, et qui persévèrent en ce moment dans leur politique d’exploitation des victimes.
La TNA, tout en devenant de plus en plus “amicale” envers le régime meurtrier actuel, sous l’argument risible qu’elle n’a pas d’autre choix, refuse de chercher un allié parmi les forces qui continuent à se battre pour les droits de la population tamoulophone.
La TNA est clairement en train de suivre la voie déjà empruntée par son prédécesseur, le Front uni de libération des Tamouls (TULF), qui avait pour habitude de baratiner les Tamouls dans ses zones d’implantation afin de gagner des votes, en même temps qu’il était main dans la main avec les oppresseurs au parlement. C’est là une des raisons qui ont fini par pousser la jeunesse tamoule à prendre les armes.
Les jeunes et les militants du Sri Lanka doivent rompre avec ce genre de politique trompeuse. Ils doivent rejoindre les véritables combattants et militants dans leur pays. Il y a beaucoup à gagner pour les masses opprimées qui s’opposeront au gouvernement sur diverses plateformes, bien plus qu’en jouant le jeu des “négociations” qui ne mèneront à rien.
Il y a des journalistes, des militants et de véritables gens de gauche dans le pays qui continuent à se battre pour le droit à l’auto-détermination des masses tamoulophones. Depuis la fin de la guerre, ils se sont vus contraints de dénoncer la loi d’urgence et l’Acte de prévention du terrorisme.
Le gouvernement prétend avoir gagné la guerre contre le “terrorisme”, mais n’a pas abrogé ces lois draconiennes. Ces campagnes doivent être renforcées. Il faut aussi soutenir l’ensemble des forces qui se battent avec courage pour la liberté des médias et pour les droits démocratiques, et cela même au péril de leurs vies.
Plus important encore, nous devons nous opposer à la création des zones de libre échange promises par le régime aux gouvernements indien, chinois et occidentaux. Ces zones ne seront pas les centres de soi-disant “réhabilitation” tels que le régime cherche à les faire passer. Elles seront au contraire des centres d’exploitation intensive, où les victimes de la guerre et les ex-membres des LTTE seront forcés de travailler pour le plus bas salaire possible.
La reconstruction de syndicats puissants est urgemment requise en tant que meilleure opposition capable de s’opposer à ces conditions cruelles. De telles organisations ouvrières pourraient aussi remettre en question dans les faits les conditions inhumains et les bas salaires qui existent déjà à l’heure actuelle. La hausse rapide des prix de la nourriture, par exemple, constituera un autre “détonateur” pour un mouvement de masse contre le gouvernement, tout comme en Tunisie.
Les “négociations” et la “coopération” avec les oppresseurs ne rapporteront jamais le moindre résultat aux pauvres et aux opprimés. Pour défendre nos droits et en gagner de nouveaux, la tâche urgente est de construire des partis indépendants des travailleurs et des pauvres, et des syndicats puissants et démocratiques.
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Côte d’Ivoire : pas encore hourra
Il ne fait aucun doute que la capture de Laurent Gbagbo le 11 avril 2011 par les forces de Alassane Ouattara (énormément aidées par l’armée française) a apporté un immense soulagement à l’immense majorité des Ivoiriens, soumis à l’expérience traumatisante d’une nouvelle guerre civile après les élections de novembre 2010. Ces élections avaient produit deux “présidents”. Ouattara, un ancien premier ministre du dictateur Houphouët-Boigny, avait été déclaré vainqueur des élections par la commission électorale, et validé par les Nations-Unies.
Peluola Adewale, Democratic Socialist Movement (CIO-Nigéria)
Cependant, le président sortant Laurent Gbagbo avait rejeté le verdict en prétextant des irrégularités dans le nord du pays, et avait forcé le conseil constitutionnel – qu’on a dit dirigé par un de ses amis – à annuler les votes du Nord, ce qui avait mené à sa réélection. Les nations impérialistes occidentales et la CEDEAO ont quant à elles reconnu Ouattara en tant que vainqueur et ont imposé toutes sortes de sanctions à Gbagbo pour le contraindre à quitter, mais sans résultat. Cette impasse a mené à une grave crise de violences sectaires, qui a couté la vies à 1500 personnes et contraint un million de gens à l’exil. Gbagbo n’a pu être dégagé que par la force de l’armée française qui a bombardé son arsenal et son palais jusqu’à le forcer à sortir de son bunker, pour pouvoir être cueilli par les soldats de Ouattara.
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Tandis que la capture de Gbagbo a apporté un certain soulagement avec la fin de la guerre civile prolongée, les militants de la classe ouvrière et par le peuple ne devraient pas applaudir le rôle de l’impérialisme. Car c’est de la même manière que l’impérialisme a lâché sa puissance militaire contre le régime dictatorial et pro-capitaliste de Gbagbo, qu’il tentera de réprimer brutalement tout véritable mouvement ouvrier qui menacerait le règne et l’emprise du capitalisme et de l’impérialisme.
Malgré le prétexte selon lequel l’intervention de l’impérialisme, avec ses bombes et ses tanks était justifié par la nécessité de protéger les civils, sa mission avait pour véritable objectif ses propres intérêts égoïstes. Cette justification peut facilement être remise en question par les développements en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, où les impérialistes soutiennent militairement le mouvement contre la dictature de Mouammar Kadhafi qui avait lancé la terreur d’État pour réprimer l’opposition, alors qu’au même moment ils gardent le silence par rapport aux atrocités commises par les dirigeants pro-occidentaux du Bahreïn, de Syrie et du Yémen. L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, deux alliés majeurs de l’Occident, ont en effet envoyé des troupes et des tanks pour briser et tuer les opposants au Bahreïn, sans aucune condamnation de la part de l’Occident. Une différence importante entre la Libye et certains des autres pays de la région où se déroulent des révoltes de masse est que la Libye possède de grandes réserves de pétrole, les plus grandes d’Afrique, tandis que les autres ne possèdent que très peu de pétrole. En fait, certaines études ont révélé que les réserves du Yémen seront épuisées d’ici 2017, tandis que celles du Bahreïn ne pourraient encore durer que 10-15 ans. En plus, le contrôle et les immenses profits des multinationales pétrolières occidentales n’ont jamais été menacés dans ces pays.
Il faut cependant insister sur le fait que c’est le vide créé par l’absence d’un grand mouvement de la classe ouvrière capable d’arrêter la dégénérescence de la crise politique en guerre civile qui a été exploité par l’impérialisme français pour satisfaire ses propres intérêts. Les travailleurs ont prouvé avec des grèves et des protestations de masse contre les attaques néolibérales qu’ils ont organisées au cous des dernières années du régime Gbagbo qu’ils étaient capables de se dresser au-dessus des divisions ethniques et religieuses exploitées par l’élite capitaliste dirigeante, et de s’unir dans la lutte pour leurs intérêts communs et pour une meilleure vie.
Par conséquent, un mouvement centralisé de la classe ouvrière aurait pu mobiliser la masse des Ivoiriens, des travailleurs, des paysans et des artisans contre la xénophobie, contre l’ethnicisme et la guerre, et aurait pu les organiser en un grand mouvement politique capable d’arracher le pouvoir des mains des diverses factions de l’élite capitaliste dirigeante qui ont plongé le pays dans une abysse de crises économiques et politiques, mais aussi de contrer l’emprise de l’impérialisme sur l’économie. Si un tel mouvement avait existé, en opposition aux manœuvres et aux conflits des cliques rivales, il aurait donné aux travailleurs une plateforme à partir de laquelle créer leur propre alternative sous la forme d’une véritable assemblée des travailleurs – formée de représentants élus des ouvriers, employés, des paysans, des petits commerçants, des artisans et des groupes ethniques – qui aurait pu constituer un gouvernement transitoire qui aurait agi en faveur des intérêts des travailleurs et des pauvres et qui aurait organisé de nouvelles élections véritablement démocratiques, sans l’interférence des Nations-Unies, cette organisation pro-capitaliste.
Bien que Ouattara a gagné la guerre pour le poste de président de Côte d’Ivoire, il n’a pas gagné la paix. Il y a encore des quartiers à Abidjan et ailleurs dans le pays qui sont fermement sous le contrôle de jeunes armés qui se sont battus d’un côté ou de l’autre pendant la guerre. Les milices des “Jeunes Patriotes” pro-Gbagbo contrôlent Yopougon, tandis que les “Commandos invisibles” pro-Ouattara dirigent Abobo et d’autres quartiers du nord d’Abidjan. Ces deux groupes ont continué à se battre contre la nouvelle Force républicaine de Ouattara qui cherche à les désarmer et à reprendre le contrôle de ces zones. Les “Jeunes Patriotes” sont fâchés par l’arrestation de Gbagbo et ont le potentiel de former un nouveau groupe rebelle. Les 5000 personnes qui forment les “Commandos invisibles” qui se sont battus aux côtés des forces de Ouattara contre Gbagbo cherchent une reconnaissance et leur “part du butin” pour le rôle qu’ils ont joué. De fait, les “Commandos invisibles” étaient déjà entrés en conflit contre les forces de Gbagbo à Abidjan avant que les “Forces nouvelles” ne débarquent du Nord. Les “Forces nouvelles” sont constituées des anciens groupes rebelles qui contrôlent le nord du pays depuis 2002. Pendant ce temps, Ibrahim Coulibaly, le fameux chef des “Commandos invisibles” a été tué dans une fusillade avec les Forces républicaines. La question centrale reste cependant de savoir si la mort de Coulibaly (un ancien garde du corps de Ouattara) mettra un terme à une des principales menaces au retour de la paix dans le pays.
En plus des activités des milices armées qui sont nées de la guerre civile et de la prolifération des armes à feu dans le pays, il y a toujours le problème fondamental qui se trouve à la racine de la crise politique, c’est-à-dire la question nationale non résolue. Ce problème est toujours bien vivant. Le concept xénophobe d’“ivoirité” – le fait d’être un vrai Ivoirien – qui est un élément central dans la crise n’a pas disparu. Ce concept signifie que la plupart des Ivoiriens du nord du pays (duquel provient Ouattara) ne sont pas de “vrais Ivoiriens”, et ne peuvent donc diriger le pays. Ce prétexte a été utilisé dans le passé pour empêcher Ouattara (qui a pourtant été premier ministre auparavant) de se présenter aux élections.
Cette folie xénophobe n’a pas été inventée par Gbagbo, mais il l’a jugée utile pour pouvoir se maintenir au pouvoir. Elle a été créée par Henri Konan Bédié lors d’une précédente lutte pour le pouvoir avec Ouattara qui allait décider de qui succéderait à leur maitre à tous les deux, Houphouët-Boigny, après que celui-ci soit mort à la fin de 1993, après plus de trente ans au pouvoir. Cette lutte ne suivait aucune morale, elle avait uniquement pour but de savoir qui serait la personne qui pourrait manger l’argent des privatisations et des coupes dans les budgets publics. Avant la mort de Houphouët-Boigny, Bédié était président de l’Assemblée nationale, et Ouattara était premier ministre.
Ce concept diviseur a marginalisé la plupart des gens originaire du Nord, et qui partagent une culture similaire à celle des immigrants en provenance des pays voisins, comme le Burkina Faso, le Mali et le Niger. Il a ainsi été repris par la plupart des Ivoiriens, à une période au cours de laquelle commençait le déclin du pays qui avait autrefois l’économie la plus prospère de toute l’Afrique de l’Ouest. De la sorte, il était facile pour les élites dirigeantes d’accuser les immigrants (qui constituent 30% de la population) d’être responsables de la crise économique en réalité causée par le capitalisme.
En plus de l’“ivoirité”, Gbagbo a aussi beaucoup joué avec le sentiment anti-impérialiste afin de s’attirer une partie de la population, et ainsi s’accrocher au pouvoir. Cependant, malgré tous les beaux discours que Gbagbo déclame aujourd’hui contre l’impérialisme français, il n’a jamais représenté une menace pour les immenses intérêts économiques de l’élite dirigeante française. Pierre Haski a révélé dans le journal The Guardian que « Pendant les dix années de Gbagbo au pouvoir, les entreprises françaises ont reçu les plus gros contrats ; Total a gagné l’exploration pétrolière, Bolloré la gestion du port d’Abidjan, Bouygues les télécoms » (The Guardian de Londres, 5 janvier 2011). Qui plus est, il a dans les faits dirigé le pays sur base de l’agenda économique capitaliste néolibéral dicté par le FMI, dont il a signé le programme. Néanmoins, leur relation est devenue plus tendue après l’incident du bombardement de 2004, lorsque les forces françaises ont détruit la force aérienne de Côte d’Ivoire en réponse au bombardement d’une base militaire française qui se trouvait dans la zone tampon entre les rebelles et le gouvernement Gbagbo pour faire respecter le cessez-le-feu. C’était d’aillleurs les troupes françaises qui avaient aidé à repousser l’avancée des rebelles vers le Sud lorsqu’ils avaient semblé assez forts que pour pouvoir envahir tout le pays, et qui avaient aussi permis d’obtenir le cessez-le-feu de 2002. La France a apparemment agi de la sorte afin de maintenir ses intérêts, qui sont principalement localisés dans le Sud.
Ce n’est pas un secret que l’impérialisme occidental, et surtout la France, possède d’importants intérêts économiques en Côte d’Ivoire. La France a par exemple 500 entreprises qui dominent d’importants secteurs de l’économie. Le pays est le premier producteur mondial de cacao (qui sert à faire le chocolat), avec 40% de la production mondiale. C’est aussi un producteur majeur de café et de bois, et il y a aussi eu une hausse de la production de pétrole brut, de même que des gisements d’or et de diamants dans le Nord. De plus, dans un rapport de la Commission internationale d’enquête au sujet des plaintes de violations des droits de l’Homme en Côte d’Ivoire, réalisé entre le 19 septembre et le 15 octobre 2004, il était mentionné la découverte de champs de pétrole dont les réserves pourraient faire du pays le deuxième ou troisième producteur africain de pétrole brut. La Commission a aussi fait état de la découverte d’immenses gisements de gaz, dont les réserves sont suffisantes pour cent ans d’exploitation.
Il n’y a aucun espoir d’amélioration de la vie de la majorité des Ivoiriens sur base de l’alternative offerte à présent dans la personne de Ouattara, le champion de l’impérialisme. Il ne faut pas être prophète pour conclure que l’ancien premier ministre de Houphouët-Boigny, qui est plus tard devenu vice-directeur du FMI, va diriger le pays selon les dictats de l’impérialisme mondial. John Campbell, l’ancien ambassadeur américain au Nigéria, qui fait maintenant partie du Conseil des relations extérieures, une institution pro-impérialiste, a quelque peu renforcé ce point en disant que : « Ouattara a certainement l’expertise technique requise pour gérer l’économie ». Pour l’impérialisme, une meilleure gestion de l’économie signifie gérer l’économie selon ses propres dictats.
Déjà la Côte d’Ivoire a été reprise dans le programme des pays pauvres très endettés (PPTE) de la Banque mondiale et du FMI, qui fait partie d’une procédure visant à effacer une partie de la dette dans laquelle le pays a été plongé par le gouvernement pro-impérialiste et caricatural de Houphouët-Boigny. Cela veut dire que le pays a dû rembourser sa dette et mettre en route une politique économique dure d’ajustements structurels (un programme capitaliste néolibéral) telle que définie par le FMI et par la Banque mondiale afin de pouvoir faire partie de cette initiative. Il ne fait aucun doute que Ouattara, en vieux cheval de guerre de l’impérialisme, n’hésitera pas le moins du monde à lancer de telles attaques néolibérales sur les travailleurs. Rappelons-nous seulement qu’il a aidé Houphouët-Boigny à imposer et à mettre en œuvre les mesures d’austérité et le programme d’ajustement structurel du début des années 90. Pour lui, le néolibéralisme, qui a déjà prouvé être extrêmement dévastateur pour le développement, est un remède à des maux économiques. Toutefois, depuis mars 2009 la Côte d’Ivoire a rempli les conditions pour faire partie du programme des PPTE, ce qui signifie que Gbagbo n’a pas trop mal travaillé du point de vue de la Banque mondiale et du FMI en mettant en place les attaques néolibérales demandées par ces institutions. Le FMI a félicité Gbagbo pour ce résultat, et lui a demandé d’accélérer les dernières “réformes” nécessaires pour terminer le plan PPTE. Il ne fait aucun doute que Ouattara, en sa qualité de véritable agent du FMI, fera encore mieux que Gbagbo de leur point de vue.
Les travailleurs et les pauvres de Côte d’Ivoire vont réaliser que leur niveau de vie ne va pas réellement s’améliorer sous le gouvernement Ouattara (s’il n’empire pas), et que ce gouvernement ne parviendra pas non plus à garantir une paix durable. C’est pourquoi les dirigeants syndicaux radicaux, les militants de gauche et les socialistes devraient immédiatement entamer le processus de construire un mouvement ouvrier uni, qui rassemble tous les travailleurs, tous les paysans et tous les pauvres, de toutes les ethnies et de toutes les religions, contre la xénophobie, contre la violence sectaire, et contre les attaques néolibérales antipauvres, et qui revendique de meilleures conditions pour les travailleurs en ce qui concerne l’éducation, les soins de santé, le logement, et des emplois décents. Ce mouvement devrait aussi exister en tant qu’alternative politique ouvrière qui se batte sur base de la résistance aux programmes capitalistes néolibéraux et pour une alternative socialiste dans la lutte pour le pouvoir politique.
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Wikileaks: Le masque de l’impérialisme est tombé…
Ces derniers mois, Wikileaks a publié un grand nombre d’informations de l’administration américaine classées secrètes. Ces informations ont démasqué beaucoup de choses, notamment les milliers de morts civils tombés au cours de la guerre “pour la liberté” en Afghanistan. Des troupes spéciales sont impliquées dans des exécutions et le nombre d’attaques des Talibans augmente.
Par Jente, Anvers
En Irak, au moins 15.000 civils sont morts, bien plus que ce que reconnaissaient officiellement les USA. Des centaines de documents parlent de tortures infligées par les troupes de sécurité irakiennes ou encore des entreprises privées qui achètent des armes et les utilisent contre les civils. Sur le plan diplomatique également, les valeurs démocratiques ne sont pas centrales, entre bombardements secrets au Yémen ou au Pakistan et négociations avec des dictateurs arabes contre d’autres dictateurs.
Les fuites ont commencé avec Bradley Manning, qui a servi en Irak en tant qu’analyste militaire de l’armée américaine à partir de la fin de l’année 2009. Il s’est bien vite aperçu qu’il était un des maillons d’une politique visant à réprimer toute forme de critique à l’encontre du régime irakien. Il devait découvrir des critiques, après quoi les dissidents étaient recherchés et remis aux autorités irakiennes par l’armée américaine. Ils ont ensuite probablement été torturés. Quand il a protesté auprès de ses supérieurs, ces derniers lui ont répondu de simplement poursuivre son travail, ce qui l’a poussé à envoyer des informations à Wikileaks. Ces informations ont ensuite été relayées dans Le Monde, El Pais, The Guardian, New York Times, Der Spiegel, et sur le site de Wikileaks, déchaînant de très vives réactions.
La réaction de l’establishment ne portait pas tellement sur le contenu des informations, mais plutôt sur la manière dont elles ont été dévoilées. La réaction ne s’est pas fait attendre, et une campagne a directement commencé contre Wikileaks et sa figure de proue, Julian Assange, accusé d’agression sexuelle en Suède, sujet d’un mandat d’arrêt international et actuellement en liberté surveillée au Royaume-Uni.
Les protestations face aux attaques contre Wikileaks se limitent hélas souvent à la personne de Julian Assange. Bradley Manning est entre-temps en cellule d’isolement depuis déjà sept mois et risque de prendre pour 80 ans de prison, voire même la peine de mort! Les protestations contre ces possibles verdicts sont notamment soutenues par la militante anti-guerre Cindy Sheehan et par Socialist Alternative (section du CIO aux USA).
Sans mobilisations, les boucs-émissaires payeront cher d’avoir fait tomber le masque de l’impérialisme, dont le caractère sanglant est maintenant encore plus fortement révélé au grand jour.
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[DOSSIER] Côte d’Ivoire: Des tensions croissantes
Les élections présidentielles conduisent le pays au bord d’une guerre civile totale et aggravent la crise du capitalisme
Le fait que les élections du 28 novembre en Côte d’Ivoire ait produit deux Présidents – Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo – n’est pas une surprise, bien que les travailleurs s’étaient attendu à ce que ces élections leur apportent le retour à la paix. Le pays a été divisé en deux depuis la tentative de coup d’État de 2002 et la rébellion qui s’en est suivi, chaque moitié ayant son propre gouvernement de facto.
Peluola Adewale, Democratic Socialist Movement (CIO – Nigeria)
Le Nord est contrôlé par les rebelles des Forces nouvelles (FN), tandis que le Sud est sous contrôle de Gbagbo, avec le soutien de l’armée régulière et de la milice des jeunes. Par conséquent, sur cette base et avec le sentiment d’ethnocentrisme qui a caractérisé la politique ivoirienne au cours des deux dernières décennies, il est naturel que quel que soit le vainqueur officiel, le résultat des élections serait âprement contesté par le perdant.
La commission électorale a déclaré gagnant Ouattara, un nordiste et ancien Premier Ministre sous feu Félix Houphouët-Boigny, tandis qu’à peine quelques heures plus tard, la Cour constitutionnelle – dont on dit qu’elle est dirigée par un important allié de Gbagbo – a annulé certains votes dans le Nord en parlant de fraude électorale et a décerné la victoire à Gbagbo. Selon les observateurs internationaux, bien qu’il y ait eu quelques cas d’irrégularités à travers le pays, les élections ont été globalement libres et transparentes, et la victoire revient à Ouattara. De son côté, la mission des Nations-Unies qui, selon les termes de l’accord de paix qui a enclenché le processus électoral, est mandatée pour certifier la bonne conduite et le résultat des élections, a donné son aval à Ouattara. Les deux candidats ont tous deux affirmé être Président et ont nommé leur propre cabinet, tandis que la crise post-électorale a déjà pris la vie de 173 personnes et poussé 20 000 personnes, essentiellement des femmes et des enfants, à se réfugier dans des camps au Libéria. Il y a aussi l’allégation selon les Nations-Unies de l’existence de deux fosses communes remplies des corps des victimes des partisans de Gbagbo. Ceci a été nié par le camp Gbagbo.
La “communauté internationale”
La “communauté internationale”, qui est l’euphémisme pour désigner l’impérialisme occidental (la France, ancienne puissance coloniale et qui a de très importants intérêts économiques en Côte d’Ivoire, assistée par l’Union africaine et par la CEDEAO, communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest), exerce une pression continue sur Gbagbo pour qu’il accepte le verdict de la commission électorale et qu’il quitte le fauteuil du Président. Les États-Unis et l’Union européenne ont interdit de séjour Gbagbo et ses proches et ont gelé leurs avoirs sur leur territoire. La Banque mondiale et la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest ont gelé son financement pour tenter d’affaiblir son emprise sur le pouvoir. De fait, les dirigeants des pays de la CEDEAO, dont la plupart sont voisins immédiats de la Côte d’Ivoire, ont menacé de recourir à la “force légitime” au cas où Gbagbo refuserait de quitter le pouvoir. Une telle intervention n’a pas non plus été exclue du côté des gouvernements américain et britannique. Quelques jours avant que la CEDEAO n’annonce la possibilité d’employer la force, William Fitzgerald (adjoint-assistant au Secrétaire d’État américain aux Affaires étrangères) y avait fait allusion. « Y a-t-il une option de déstabilisation et d’envoi d’une force de stabilisation ? Bien entendu, toutes les options sont ouvertes, mais probablement pas une force américaine. Ce pourrait être une force africaine » (Bloomberg, 21 décembre 2010).
Toutefois, la soi-disant préoccupation de la “communauté internationale” pour des élections démocratiques est une hypocrisie. Qui a haussé le ton face à la fraude flagrante lors des élections parlementaires en Égypte ? Ou même par rapport aux élections truquées au Nigéria en 2007. L’impérialisme ne crie à la fraude électorale que lorsque c’est le “mauvais” candidat qui l’emporte, ou lorsqu’il craint que la fraude ne provoque une révolte populaire.
L’“ivoirité”
Jusqu’ici, Gbagbo a refusé de bouger et reste imperturbable face à toutes les pressions et menaces. Il a continué à stimuler le sentiment nationaliste contre le “complot international” qui vise à le chasser. Il a trouvé un public auprès de toute une section de la population ivoirienne qui a depuis longtemps adhéré au principe de l’“ivoirité” – le fait d’être un “vrai” ivoirien –, un concept qui a été introduit et grossi par les différentes sections de l’élite qui se sont succédé au pouvoir depuis 1993 en tant qu’outil pour se maintenir en place et continuer le pillage du pays en dépit des rigueurs socio-économiques. Cette frénésie xénophobe n’a pas été inventée par Gbagbo, mais il l’a trouvée utile pour préserver son pouvoir. Ce concept avait tout d’abord été créé de toute pièces par Henri Konan Bédié dans une précédente lutte pour le pouvoir avec Ouattara afin de savoir lequel des deux allait succéder à leur maitre à tous les deux, Houphouët-Boigny, après sa mort fin 1993 après plus de trois décennies au pouvoir. Avant la mort de Houphouët-Boigny, Bédié avait été Président de l’Assemblée nationale et Ouattara, Premier Ministre.
Selon la politique de l’“ivoirité” prônée par Bédié, toute personne dont les deux parents n’étaient pas ivoiriens, n’était pas éligible pour un quelconque poste politique et ne pouvait bénéficier de certains droits sociaux, tels qu’accéder à la propriété terrienne. Ce concept diviseur a marginalisé la plupart de la population d’origine nordiste, qui sont des mêmes ethnies que les immigrants économiques en provenance de pays voisins, comme le Burkina Faso, le Mali ou le Niger. Il a touché un nerf sensible chez la plupart des Ivoiriens, dans une période où le déclin de ce qui était l’économie la plus prospère de toute l’Afrique de l’Ouest avait atteint un point critique. Par conséquent, il était facile pour les élites dirigeantes de faire des immigrés – qui constituent environ 30% de la population – les boucs-émissaires des souffrances économiques infligées par la crise capitaliste.
Les “Jeunes Patriotes”
En plus de l’armée, Gbagbo a à sa disposition une milice de jeunes connue sous le nom de “Jeunes Patriotes”, qui sont principalement des jeunes chômeurs mobilisés par l’“ivoirité” et un nationalisme malsain, et qu’il déploie sans hésiter contre toute menace à son pouvoir. Selon la Banque mondiale, plus de 4 millions de jeunes hommes sur un total de 20 millions sont sans emploi. Ceci constitue un véritable réservoir d’outils politiques pour l’élite égocentrique au pouvoir. Les “Jeunes Patriotes” dont le dirigeant, Charles Blé Goudé, est un Ministre du cabinet de Gbagbo, ont joué un rôle central dans les attaques sur la population française et blanche en 2004, après que l’armée française ait détruit l’ensemble de la Force aérienne de Côte d’Ivoire en réplique au bombardement d’une base française dans le Nord, qui avait couté la vie à neuf soldats français et à un Américain. Ils sont aussi contre l’afflux de Nordistes et d’immigrés qui fournissent une main d’œuvre à bon marché et prennent les quelques emplois disponibles à la place des autochtones dans le Sud, surtout à Abidjan. Tout comme en 2002, les Jeunes Patriotes ont été impliqués dans les attaques sur des Nordistes depuis l’éclatement de la crise post-électorale.
Les “Jeunes Patriotes” se présentent comme anti-néocolonialistes, surtout contre les Français, qui contrôlent fermement l’économie ivoirienne (la plupart des entreprises du pays et des ports appartiennent à des Français), et qui chercheraient à renverser Gbagbo afin de maintenir le pays dans son état d’État vassal. Toutefois, les pogroms sur les Nordistes et les immigrés les révèlent comme de pantins utilisés pour perpétrer des attaques xénophobes et ethniques.
Gbagbo et l’impérialisme français
Gbagbo n’a jamais été le premier choix de l’impérialisme français pour la direction de son principal avant-poste en Afrique. Avec son passé radical, Gbagbo était au centre des actions de protestation contre la “démocratie” du parti unique de Houphouët-Boigny. Celui-ci dirigeait le pays en tant que son fief personnel et en a fait une mine d’or pour les exploiteurs les chercheurs de fortune français. Le régime de Houphouët-Boigny bénéficiait d’un soutien sans faille de la part de l’impérialisme occidental, puisqu’il était bon pour leurs intérêts économiques, et aussi en tant qu’instrument contre les dirigeants radicaux et pro-Moscou en Afrique en cette période de Guerre froide. On a par exemple rapporté que Houphouët-Boigny a joué un rôle central dans le renversement de Kwamé Nkrumah au Ghana et de Thomas Sankara au Burkina Faso. Après la légalisation des partis d’opposition, Gbagbo était le seul leader de l’opposition qui était assez courageux que pour se dresser et contester les toutes premières élections présidentielles de Côte d’Ivoire en 1990 contre le monstre politique qu’était Houphouët-Boigny. Dix ans plus tard, Gbagbo a été porté au pouvoir par une insurrection de masse qui a renversé le dictateur militaire de l’époque, Robert Guei, qui avait refusé de reconnaitre sa défaite aux élections présidentielles de 2000, que tout le monde estimait avoir été remportées par Gbagbo.
À ce moment-là, devant le soutien populaire, l’impérialisme français n’avait pas d’autre choix que de s’accommoder de Gbagbo, laissant de côté leur appel à de nouvelles élections à cause de la décision de la Cour suprême d’exclure la candidature de Ouattara parce qu’il n’était pas ivoirien. Mais Gbagbo n’était pas une menace pour les immenses intérêts économiques de l’élite dirigeante française. Toutefois, malgré toutes les déclarations anti-françaises énoncées aujourd’hui par Gbagbo, Pierre Haski révèle dans le Guardian de Londres que « Tout au long des dix ans qu’a passé Gbagbo au pouvoir, les entreprises françaises ont eu tous les plus gros contrats : Total pour l’exploration pétrolière, Bolloré pour la gestion du port d’Abidjan, Bouygues pour les télécoms » (The Guardian de Londres, 5 janvier 2011). Par ailleurs, il a de fait dirigé le pays sur base d’un agenda capitaliste néolibéral, et il a signé en 2001 un programme d’encadrement qui soumet l’économie aux dictats du FMI. Néanmoins, la relation entre les capitalistes français et Gbagbo est devenue plus tendue à la suite de l’incident du bombardement de 2004, qui a également renforcé les soupçons du camp Gbagbo comme quoi la France était impliquée dans la rébellion nordiste qui a éclaté en 2002. Toutefois, ce sont les forces françaises qui ont aidé à repousser l’avancée des rebelles vers le Sud lorsqu’elles ont semblé assez fortes que pour envahir tout le pays, et qui ont facilité le cessez-le-feu de 2002. La France s’est apparemment vue forcée de faire cela afin de garantir la sécurité de ses entreprises, principalement situées dans le Sud.
C’est une base militaire française qui avait été conservée en tant que composante de la zone tampon dans le Nord après l’accord de cessez-le-feu qui a été bombardée par les forces ivoiriennes en 2004, et qui ont plus tard avoué que c’était une erreur. Auparavant, Houphouët-Boigny avait signé un pacte de défense en 1961 qui avait réduit la Côte d’Ivoire au statut d’avant-poste militaire de la France et qui avait permis le maintien de la présence française, avec le 43ème bataillon d’infanterie marine stationné à Port-Bouet dans les quartiers sud d’Abidjan.
Crise politique – Prétexte pour de nouvelles attaques sur les travailleurs
Il ne fait aucun doute que la crise politique causée par la guerre civile a eu des conséquences désastreuses sur l’économie et sur la vie de la population, en particulier dans le Nord, où l’accès aux services sociaux tels que l’éducation, les soins de santé et l’électricité a disparu. La crise a par contre fourni un prétexte à Gbagbo pour lancer des attaques sur la population des travailleurs et des paysans, tout en assurant à l’élite dirigeant autour de Gbagbo qu’elle puisse manger tant qu’elle le désirait. La seule exception à ce pillage du pays par Gbagbo a été les ressources du nord du pays, comme l’or et les diamants, qui servent de vache à lait pour les rebelles. Même si il y a eu un embargo international sur les ventes de diamants, il y a des débouchés par la contrebande. Les exportations de cacao et d’autres produits agricoles comme le café, qui proviennent surtout du Sud, n’ont pas été fondamentalement touchées. De plus, les revenus de l’exportation du pétrole ont fortement augmenté lors de la période du boum mondial du pétrole, et n’ont diminué que l’année passée à cause de la récession économique mondiale. De fait, au cours de cette période, le revenu du pétrole, dont l’extraction offshore n’est pas menacée par la rébellion ni par la crise, a surpassé celui du cacao. Il y a eu des cas et des rapports largement publiés de scandales financiers impliquant des hauts cadres du gouvernement, surtout concernant le revenu du cacao. Comme c’est le cas dans la plupart des pays africains, il n’y a pas eu d’audit indépendant des secteurs du cacao et du pétrole.
La politique économique du gouvernement est conçue pour huiler la machine du gouvernement et les privilèges pour ses fonctionnaires, tandis que le peuple fait la file pour recevoir les miettes. Comme de grosses quantités sont destinées aux poches des membres du gouvernement, les services sociaux et les conditions de vie des travailleurs se sont détériorées non seulement dans le Nord mais aussi dans le Sud à cause du manque de financement et des attaques néolibérales. Les dépenses publiques dans les soins de santé en terme de pourcentage du PIB sont les troisièmes plus basses de toute l’Afrique sub-saharienne. Le gouvernement a aussi pressé le revenu des cultivateurs de cacao pour accroitre son revenu. Selon les chiffres de la Banque mondiale de 2008, les cultivateurs ivoiriens ne reçoivent que 40% du prix du cacao sur le marché mondial, alors qu’au Ghana ils en reçoivent 65%, et au Nigéria 85%. Une énorme proportion de paysans ivoiriens vivent dans la misère, malgré le fait que ce sont eux qui sont la colonne vertébrale de l’économie du pays. Ils sont contraints de faire travailler des enfants afin de réduire les frais de production du cacao et de pouvoir tirer un quelconque bénéfice de leurs ventes.
Riposte de la classe ouvrière
Bien entendu, il y a eu des ripostes contre les attaques, avec des grèves des travailleurs de différents secteurs comme la santé, l’éducation et les gouvernements locaux, surtout entre novembre et décembre 2009. Toutes ces grèves ont rencontré la répression du gouvernement, avec l’arrestation et la détention des militants ouvriers, dont certains ont été trainés en justice et ont été condamnés. Dans le secteur privé aussi les travailleurs ne sont pas restés sans rien faire. Les dockers et les routiers sont partis en grève en 2009. Des milliers de dockers ont bravé les mesures de répression de leurs employeurs privés qui avaient appelé la police armée, et ont tenu leur action pendant deux semaines, du 2 au 17 juin. Il y a eu aussi toutes sortes de manifestations de masse contre les hausses du prix officiel du carburant et la hausse des prix de l’alimentation en 2008. Les paysans sont partis en grève en 2004 et 2006 pour demander leur part du revenu du cacao.
Il est clair que les différentes sections de la population laborieuse sont prêtes à la lutte pour un meilleur sort que celui que leur réservent les élites répressives et kleptomanes. Yacouba Fandio, chauffeur de taxi à Abidjan, a par exemple dit à l’IRIN (l’agence de presse des Nations-Unies) qu’il était intéressé à participer à des actions de protestation, mais ne l’avait pas fait jusque là. « À chaque fois, on entend qu’une manifestation va être organisée contre le cout de la vie, mais elle est annulée au dernier moment. La prochaine fois qu’on dit qu’il va y avoir manif, il y aura tellement de gens qu’ils vont bien finir par devoir écouter » (IRIN, 31 mars 2008). Malheureusement, il n’existe pas de fédération syndicale viable qui puisse rassembler la colère de tous les travailleurs et des pauvres pour organiser une grève générale et des manifestations de masse.
Le chouchou de l’impérialisme
Toutefois, il n’y a aucun espoir d’un meilleur futur pour les Ivoiriens ordinaires sur base de l’alternative que représente Ouattara, le champion de l’impérialisme. Pas besoin d’une boule de cristal pour tirer la conclusion que l’ancien Premier Ministre de Houphouët-Boigny, qui est ensuite passé vice-directeur à la gestion du FMI, va diriger le pays en obéissant à l’impérialisme au doigt et à l’œil.
La Côte d’Ivoire a déjà été listée parmi l’initiative de la Banque mondiale et du FMI des pays pauvres très endettés (PPTE), en tant qu’étape préliminaire pour bénéficier d’une remise d’un allègement du fardeau de la dette dans laquelle elle a été plongée par l’archétype de dictateur africain pro-impérialiste qu’était Houphouët-Boigny. Ceci signifie que pour recevoir cette remise de dette, le pays doit mettre en œuvre des politiques économique d’austérité dure et d’ajustements structurels, soit un programme capitaliste néolibéral, selon les termes qui lui sont dictés par le FMI et la Banque mondiale. Il ne fait aucun doute que Ouattara accomplira ces attaques néolibérales sans ciller, quel qu’en soit le cout pour la population laborieuse. Ouattara est un vieux cheval de l’impérialisme. Il faut se rappeler que c’était lui qui avait été mandaté par Houphouët-Boigny pour imposer et appliquer les mesures d’austérité et le programme d’ajustement structurel au début des années ’90. Pour lui, le néolibéralisme qui a prouvé être le fléau du développement est en réalité un remède économique. Toutefois, la Côte d’Ivoire avait atteint le point de décision du PPTE en mars 2009, ce qui signifie que Gbagbo ne s’en est pas trop mal tiré non plus en terme d’application des attaques néolibérales dictées par la Banque mondiale et le FMI. Le FMI a félicité Gbagbo pour son travail et lui a demandé d’accélérer les “réformes” en direction du point d’achèvement de PPTE. Il ne fait qu’aucun doute que Ouattara, en véritable agent bleu du FMI, fera mieux que Gbagbo à cet égard.
Ce n’est un secret pour personne que l’impérialisme occidental, et en particulier la France, a d’important intérêts économiques en Côte d’Ivoire. La France y a par exemple environ 500 entreprises qui dominent d’importants secteurs de l’économie. Le pays est le plus grand producteur de cacao au monde, pour 40% de la production mondiale. Il est aussi un producteur majeur de café et de bois, en plus de l’augmentation de sa production de pétrole. Il y a des dépôts d’or et de diamants dans le Nord. Il y a aussi un rapport de la Commission d’enquête internationale qui parle de la découverte de gisements pétroliers dont les réserves pourraient faire de la Côte d’Ivoire le deuxième ou troisième plus grand producteur de pétrole africain, en plus d’immenses gisements de gaz, assez pour une centaine d’années d’exploitation.
Afin de pouvoir reprendre la pleine exploitation de l’économie et des ressources du pays, cela va dans les intérêts de l’impérialisme de mettre une terme à la guerre civile actuelle. Selon ses calculs, cela pourrait être effectué par Ouattara qui bénéficie d’un soutien de masse dans le Nord dont il est originaire, et soutenu par les rebelles dont il a nommé Premier Ministre le dirigeant Guillaume Soro. Il est également apprécié par certaines sections dans le Sud. Il n’est pas impossible que Ouattara ait reçu d’importants votes de la part des Baoulés, le plus grand groupe ethnique du pays (et duquel était originaire Houphouët-Boigny), puisque l’ex-Président Bédié leur a demandé de voter pour lui. Bédié, qui est arrivé troisième au premier tour, a tiré la plupart de ses voix des Baoulés, qui sont pour la plupart cultivateurs de cacao, et qui avaient des comptes à régler avec Gbagbo sur base de la baisse constante de leur part du revenu du cacao, et de son opposition historique à Houphouët-Boigny. Ouattara leur a promis que s’il était élu Président, Bédié serait son “patron”, et qu’il installerait tout de suite son gouvernement à Yamoussoukro, qui jusqu’ici n’est que la capitale nominale (Abidjan restant la capitale de facto), et qui était la ville natale de Houphouët-Boigny.
Le spectre de la guerre
Jusqu’ici, la pression de l’impérialisme occidental et de son pion – la CEDEAO – n’a fourni aucune solution. Il n’est pas impossible que la CEDEAO, sous l’injonction de l’impérialisme occidental, mette à exécution sa menace d’utiliser la force pour chasser Gbagbo du pouvoir au cas où les moyens diplomatiques venaient à échouer. Ceci ramènera certainement le spectre du conflit ethnique entre Ivoiriens, et mettrait en danger les vies et les biens de millions d’Africains provenant d’autres pays qui seraient brutalement assaillis par les partisans de Gbagbo. L’explosion d’une guerre civile pourrait déclencher des troubles sociaux et des tensions dans des pays comme le Burkina Faso, dont environ 3 millions de nationaux travaillent en Côte d’Ivoire. Déjà, les Nigérians vivant en Côte d’Ivoire ont prévenu le gouvernement de Goodluck Jonathan des conséquences de l’intervention militaire qui se prépare. De plus, la Côte d’Ivoire n’est pas le Sirra Leone, où l’ECOMOG a pu facilement intervenir pour chasser du pouvoir un putschiste. L’armée ivoirienne, jusqu’ici loyale à Gbagbo, est une véritable force, tandis que les fervents sentiments nationalistes qui vivent parmi toute une couche de la population faciliteraient à Gbagbo la mobilisation d’un grand nombre de jeunes, dont certains sont déjà organisés au sein des “Jeunes Patriotes”, afin de prendre les armes contre l’occupation et les forces étrangères. La popularité de Gbagbo parmi certaines sections de la population dans le Sud, par exemple, s’est accrue après les attaques françaises de 2004.
Les organisations ouvrières, socialistes et pro-peuple au Nigéria et dans d’autres pays d’Afrique de l’Ouest doivent commencer à se lever et à organiser des actions de masse contre le projet d’interférence militaire dans la crise ivoirienne, tout en appelant de la manière la plus claire qu’il soit à l’unité de classe des travailleurs et des pauvres de Côte d’Ivoire quels que soient leur appartenance ethnique, leur religion ou leur nationalité.
Même un départ “volontaire” de Gbagbo n’est pas une garantie pour la restauration d’une paix durable. En effet, c’est une impasse sans issue visible. L’option du partage du pouvoir avec un “gouvernement d’unité nationale” comme on l’a vu dans des circonstances similaires au Kénya ou au Zimbabwé a jusqu’ici été exclue par la “communauté internationale”. La dégénération en une guerre civile ouverte, avec une implication active de forces étrangères, régulières comme mercenaires, semble être la prochaine phase de la crise. Ceci reviendra à un plongeon en enfer du type de celui qu’on a vu en Afrique centrale pour la population, qui a déjà été la plus touchée par des années d’attaques néolibérales et de crise politique.
Mouvement uni des travailleurs et assemblée du peuple démocratiquement élue
Seule l’unité et l’organisation des travailleurs peut mettre un terme à cette horreur. Les grèves et les actions de masse que les travailleurs ont menées contre les attaques néolibérales au cours des dernières années ont prouvé qu’ils peuvent se dresser au-delà des divisions religieuses et ethniques qui sont exploitées par l’élite capitaliste égoïste au pouvoir, et qu’ils peuvent s’unir pour lutter pour leurs intérêts à tous, pour une vie meilleure. Le problème est qu’il semble qu’il n’y a pas de mouvement central des travailleurs qui puissent mobiliser la masse des Ivoiriens, des ouvriers, des paysans et des artisans contre la xénophobie, l’ethnicisme et la guerre, et qui puisse les organiser en un grand mouvement politique capable d’arracher le pouvoir à toutes les factions d’élites capitalistes qui ont plongé le pays dans cette abysse de crises économiques et sociales. Par conséquent, il est grand temps de construire un authentique mouvement de masse des travailleurs, qui puisse également contester l’emprise du capitalisme sur l’économie.
Les dirigeants syndicaux radicaux, les militants de gauche et les socialistes doivent immédiatement appeler à une conférence pour la construction d’un mouvement unifié des travailleurs qui unisse les ouvriers, les paysans et les pauvres de toutes ethnies et de toutes les religions contre la xénophobie, l’ivoirité et la guerre ethnique, et qui mobilise une résistance de masse contre tous les conflits ethniques et sectaires, et aussi contre la possible intervention militaire qui est en train d’être considérée par la CEDEAO. Un tel mouvement pourrait être la base pour la formation d’un parti des travailleurs, armé d’un programme socialiste. En opposition aux manœuvres et aux luttes des cliques rivales, les travailleurs ont besoin de leur propre alternative : la création d’une assemblée véritablement populaire – formée de représentants élus des ouvriers, des paysans, des petits commerçants, des artisans et des nationalités ethniques – qui pourrait former un gouvernement intérimaire qui agirait dans les intérêts des travailleurs et des pauvres. Un tel gouvernement serait capable d’organiser de nouvelles élections libres, sans interférence de l’agence pro-capitaliste que sont les Nations-Unies, dans lesquelles un parti des travailleurs pourrait mener campagne sur base de la résistance contre les programmes capitalistes néolibéraux et pour une alternative socialiste.
Les ouvriers, les paysans et les pauvres doivent réaliser que l’“ivoirité” et la xénophobie sont des produits de la crise du capitalisme qui a ravagé le pays depuis les années ’90, et qui a continué à s’accroitre avec l’aggravation des problèmes socio-économiques causée par la politique néolibérale antipauvres qui est soutenue par toutes les factions de l’élite dirigeante qui entrent à présent en guerre. Quel que soit le vainqueur de cette guerre, Gbagbo ou Ouattara, les travailleurs et les pauvres de Côte d’Ivoire vont rapidement réaliser que leur niveau de vie ne va pas s’améliorer, s’il n’empire pas. Ceci va définitivement approfondir le mécontentement social et pourrait ouvrir la porte à une lutte de masse et à la recherche d’une alternative qui puisse relever la conscience en faveur d’une alternative socialiste pour le pays.
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Nigéria : Les élections générales de 2011 seront-elles différentes de la farce de 2007 ?
Le problème clé est : quel choix nous offre-t-on ? Que défendent les différents partis ? Et, l’un d’entre eux représente-t-il les intérêts de la classe ouvrière, des pauvres et de tous ceux qui s’opposent à la classe capitaliste corrompue ?
Democratic Socialist Movement (CIO-Nigéria)
Le professeur Attahiru Jega, président de la Commission électorale indépendante nationale, et le président Goodluck Jonathan ont, à plusieurs reprises, juré que les élections générales de 2011 seront bel et bien libres de tout incident. Même les pays capitalistes avancés, les principaux bénéficiaires du système capitaliste au Nigéria et dans d’autres pays sous-développés, expriment leurs sentiments selon lesquels le reste du monde serait heureux d’assister à des élections transparentes et paisibles en 2011. Lors de ses premières interventions devant les médias, le nouvel ambassadeur américain au Nigéria, M. Terence McCulley, a résumé son point de vue et celui des pays impérialistes lorsqu’il a déclaré : ‘‘J’espère que le processus de 2011 sera meilleur et respectera la volonté du peuple nigérian.’’ Par conséquent, nous posons la grande question : les élections générales de 2011 au Nigéria seront-elles plus “transparentes” et “respecteront-elles la volonté du peuple nigérian” mieux que la grande farce qui a été connue sous le nom d’“élections générales” de 2007 ?
Les commentateurs bourgeois voudraient pouvoir répondre immédiatement à cette question avec une note d’optimisme. Ils se dépêcheront de mettre en avant le passé radical du président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) actuel, largement perçu comme un militant respectable, en tant qu’ancien président du syndicat du personnel académique des universités (Academic Staff Union of Universities – ASUU), un syndicat de gauche, et qui ne va certainement pas permettre que qui que ce soit utilise la CENI pour manipuler ou truquer les élections. Au contraire de l’ancien président Obasanjo, qui avait ouvertement déclaré que les élections fédérales de 2007 seraient une affaire de “vie ou de mort”, le président Jonathan a, au cours de ses divers discours et visites auprès des gouvernements régionaux à travers le pays, répété à de nombreuses reprises sa promesse selon laquelle le gouvernement va assurer des élections libres et honnêtes en 2011, où chaque vote comptera. Hélas, si l’on prend en compte de manière scientifique l’ensemble des principaux facteurs, logistiques et politiques, qui détermineront la nature de ces élections, le peuple nigérian devrait s’attendre à ce que la période postélectorale soit faite d’une continuation de la détérioration de son mode de vie et d’attaques encore plus grandes sur ses droits démocratiques, quel que soit le parti ou la coalition qui sortira vainqueur de ce processus, que ce soit au niveau fédéral ou au niveau des régions.
Une autre période électorale dominée par le chaos et les intérêts personnels
À moins d’un amendement de la constitution de 1999, de nouveaux gouvernements doivent être élus aux niveaux fédéral et régionaux avant le 29 mai 2011. Ceci signifie donc que la CENI doit faire tout ce qui est en son pouvoir afin d’organiser les élections générales partout dans le pays avant la fin avril 2011. Au moment où nous écrivons, la CENI a provisoirement décidé que le mois de janvier sera utilisé pour commencer à établir le nouveau registre des électeurs, la condition minimale pour la tenue d’élections démocratiques, surtout étant donné que beaucoup de questions se posent quant à la crédibilité et à l’exactitude du registre des électeurs actuel, qui a été compilé par la CENI dirigée par le très douteux Professeur Maurice Iwu. Cela signifie que la CENI n’aura qu’environ deux à trois mois pour rédiger le nouveau registre des électeurs qui reprendrait au moins 80 millions de Nigérians sur une population estimée à 140 millions. Jusqu’à présent, on attend toujours que soient rédigés le Décret électoral et l’amendement constitutionnel qui doivent servir de base légale à ces élections ! Et si on prend aussi en compte que la période d’après les élections sera comme d’habitude dominée par les disputes et plaintes de tous les candidats, et le processus qui est requis pour résoudre tout ce bazar par la voie légale, alors il semblera clair à tout élément conscient de la jeunesse et de la classe ouvrière que les élections de 2011 ne seront rien d’autre qu’un grand vacarme, un autre tour de magouilles et de chamailleries !
Mais pour les masses laborieuses du Nigéria, l’enjeu va au-delà d’un registre électoral crédible pour une élection démocratique. Le véritable enjeu est : quel choix avons-nous ? Que défendent tous ces différents partis, et y a-t-il l’entre eux qui représente les intérêts de la classe ouvrière, des pauvres, et de tous ceux qui s’opposent à la classe dirigeante corrompue ?
Que ce soit le PDP actuellement au pouvoir, ou que ce soit un des grands partis d’opposition, tous, sans exception, défendent une politique anti-pauvres dans tous leurs programmes et mesures économiques.
Au lieu de se pencher sur un programme et sur des mesures qui puissent mettre à contribution les immenses richesses naturelles et humaines que possède le Nigéria, afin de garantir des conditions de vie décentes pour tout un chacun, tous ces partis qui nous dirigent, au fédéral comme dans les régions, se bousculent pour proposer et mettre en œuvre des mesures anti-pauvres qui ne vont faire qu’empirer les conditions de vie du peuple nigérian partout dans le pays. C’est pourquoi tous les PDP, ANPP, ACN, APGA et même le gouvernement de l’Etat d’Ondo qui est le seul à être contrôlé par le Labour se font les champions de mesures capitalistes pro-riches de privatisation, dérégulation, commercialisation, etc. À présent, dans tout le pays, quel que soit le parti politique au pouvoir, l’Etat ou les conditions des infrastructures de base telles que les routes, l’électricité, l’eau, ou des services sociaux indispensables telles que le logement, la santé ou l’éducation n’ont jamais été pires. Malgré cette situation déplorable, tous les partis dirigeants sont bien décidés à poursuivre la mise en œuvre d’une politique qui ne fera que remplir encore plus les poches des éléments capitalistes et des grandes corporations.
C’est pourquoi tous ces grands partis prônent religieusement le concept du “partenariat public privé” en tant que meilleure solution pour développer l’économie et l’industrie ruinées du Nigéria. Selon ce concept douteux, le manque honteux de bonnes routes carrossables est censé être compensé par des profiteurs privés qui seront autorisés à construire des routes puis à prélever des péages afin de récupérer leur investissement. Mis à part le fait que sur base de l’expérience concrète, cette approche a déjà montré qu’elle ne peut s’appliquer qu’à certaines routes potentiellement bien profitables, le cout réel de cette politique pour la société est impossible à chiffrer. Selon l’idéologie pro-riches et pro-capitaliste qui prévaut aujourd’hui et qui est embrassée par tous les partis dirigeants, chaque aspect essentiel de la vie, comme le logement, la santé, l’éducation, les offres d’emploi, les routes, les voies aériennes et fluviales, est une marchandise qui ne devrait être accessible qu’à ceux qui ont l’argent de se la payer.
C’est la raison centrale pour laquelle tous les partis au pouvoir partout dans le pays se sont mis d’accord sur le fait que l’éducation, la santé, l’électricité, l’eau, etc. doivent être entièrement privatisés au bénéfice des marchands de profits.
Il était donc aisé de prévoir que les grands partis bourgeois et leurs apprentis égoïstes ne se sont focalisés que sur des questions de division, telles que la “régionalisation”, le “caractère fédéral”, les embrouilles “Nord-Sud” ou “chrétiens-musulmans” et toutes sortes d’autres histoires qui n’ont rien à voir avec le vrai problème, à savoir comment apporter des conditions de vie décentes aux masses de la population, qu’elles habitent dans le riche delta du Niger, ou dans le reste du Nigéria.
On constate malheureusement que la morale pro-riche et pro-capitaliste qui constitue désormais la base de la politique des partis dirigeants en ce qui concerne l’économie ou la société a été maintenant ouvertement ancrée dans les affaires politiques et dans le processus électoral. À présent, le Décret électoral tout comme la direction de tous les partis politiques au pouvoir ont prescrit d’immenses sommes, appelées “frais de nomination”, pour quiconque désire se présenter en tant que candidat. Dans les faits, ceci signifie que seuls de gros richards et/ou les personnes sponsorisées par ces mêmes sacs à pognon peuvent espérer jouer un rôle quelconque dans les élections à venir. Il suffit donc de faire remarquer qu’une campagne électorale où seuls peuvent se présenter les plus riches personnes au sein des divers partis, ne pourra jamais être appelée “transparente” ni ne reflétera la “volonté” des Nigérians dans leur masse. En outre, la véritable raison pour laquelle de nombreux candidats à la candidature se disaient prêts à payer eux-mêmes leur “frais de nomination” est qu’ils espèrent bien pouvoir rembourser ces couts électoraux en mangeant l’argent public si jamais ils parvenaient à être élus. Par conséquent, les masses ordinaires doivent affronter bien en face le fait que ces élections ont déjà été truquées à leur détriment, bien avant que la campagne électorale à proprement parler n’ait même commencé.
Une méga-coalition des partis d’opposition peut-elle changer les choses ?
Certains prétendent que seule une grande coalition de tous les partis d’opposition parviendra à reprendre le pouvoir au PDP et ainsi à mettre un terme à la putréfaction qui domine à présent l’ensemble du paysage économique et politique de notre pays. Hélas, cette proposition qui semble de prime abord attractive ne peut se réaliser que si les soi-disant partis d’opposition ont un programme et une manière d’être qui soient fondamentalement différentes du détestable PDP qu’ils cherchent à remplacer. À présent, il y a beaucoup de bruit au sujet des grands partis d’opposition qui sont en train de s’associer afin de présenter une alternative unie et coordonnée face au PDP.
Il faut cependant noter que ceci n’est pas quelque chose de nouveau dans la politique du Nigéria. Au cours des premières et deuxièmes Républiques, les partis d’opposition ont formé ce qu’on a appelé la Grande Alliance Progressive Unie (United Progressive Grand Alliance – UPGA) et l’Alliance des Partis Progressistes (Progressive Parties Alliance – PPA). Sous le régime civil actuel, il y a eu des discussions quant à l’éventuelle formation d’une méga-coalition des partis d’opposition afin de chasser le PDP du pouvoir. Toutefois, dans la mesure où la plupart des éléments de cette soi-disant opposition sont toujours impossibles à différencier du parti qu’ils désirent remplacer, ce phénomène réduit du coup leur opposition aux simples calculs égoïstes qui leur permettront d’être ceux qui hériteront ensuite de la responsabilité de l’injuste ordre économique et politique existant. De la sorte, tous ces partis d’opposition n’ont jamais été capables de mettre sur pied une véritable plate-forme d’opposition contre le parti au pouvoir.
Par conséquent, tout comme dans la période précédente, le désir actuel de former une méga-opposition contre le PDP lors des élections de 2011 peut au final être sacrifié sur l’autel des ambitions personnelles de tous ces individus qui souhaitent devenir présidents, gouverneurs, sénateurs, etc. et surtout maintenant, étant donné l’énormité scandaleuse des salaires et des dotations de responsables politiques, en plus de tous les privilèges et opportunités de piller les ressources et l’argent public que tous ces postes octroient.
Y a-t-il un espoir pour les masses ?
Sur base de la configuration politique du moment, les élections générales de 2011 ne seront comme d’habitude rien de plus qu’une compétition pour le pouvoir politique de la part de différentes sections de l’élite de bandits capitalistes au pouvoir. Malgré les promesses de Jega et de Jonathan d’organiser des élections libres et démocratiques, le résultat des élections, dans la situation actuelle, sera certainement à l’avantage des riches et de ceux qui contrôlent aujourd’hui le pouvoir politique en utilisant une combinaison d’argent et d’appareils d’État.
Seuls un véritable programme ouvrier, avec la perspective d’utiliser les ressources humaines et naturelles du pays de manière planifiée et démocratique pourra fournir une plateforme politique réellement capable de susciter le soutien enthousiaste et les sacrifices héroïques de la part des masses populaires, et pourra triompher des politiciens capitalistes égoïstes et de tous les partis politiques au pouvoir lors des élections de 2011. Malheureusement, la grande majorité des dirigeants syndicaux et du Labour Party formé par le Congrès du travail nigérian (Nigeria Labour Congress – NLC) ne sont pas en ce moment en train de réfléchir ou de travailler à une telle alternative politique et économique pour la classe ouvrière. Au lieu de s’efforcer à bâtir le Labour Party en tant que voix politique des masses laborieuses, ses principaux dirigeants font tout ce qui est possible pour en faire tout bêtement un autre parti bourgeois.
Le Labour Party ne dispose pas d’un programme économique et politique clair qui soit radicalement différent de celui des grands partis capitalistes tels que le PDP, l’ANPP, l’ACN, etc. Dans l’état de Ondo, qui est le seul à être gouverné par le parti, on professe la même politique néolibérale, pro-capitaliste de privatisation et de dérégulation des secteurs-clés de l’économie. Aujourd’hui, afin d’espérer devenir président ou gouverneur sous le régime PDP au pouvoir, les candidats doivent payer à leur parti la somme non remboursable respectivement de 10 millions et de 5 millions de naïras (50 000 € et 25 000 €). Ce qui est très embarrassant, c’est que c’est la direction du Labour Party qui a été la première à mettre en place cette mesure honteuse, et que le PDP n’a en fait fait que copier le Labour. Donc, plutôt que d’avoir un Labour Party qui se développe en tant que plate-forme pour la classe ouvrière et pour les masses opprimées en général, il est en train de rapidement devenir un autre parti bourgeois, un phénomène qui pourrait rendre le parti incapable de décoller pour de bon, sans parler de véritablement servir les intérêts politiques et économiques des masses populaires lors des élections à venir.
Les principaux dirigeants syndicaux n’ont malheureusement pas offert une véritable alternative ouvrière face à la pourriture politique et économique du capitalisme. Politiquement, ceci est causé par leur perspective qui s’efforce de faire du mouvement ouvrier un arbitre cherchant à obtenir des élections libres et démocratiques entre les différentes couches de bandits capitalistes ! Au lieu de chercher à construire un parti politique ouvrier indépendant avec pour but de former un gouvernement ddes travailleurs et des pauvres, qui ferait passer les secteurs-clés de l’économie entre les mains du public, via leur contrôle et leur gestion démocratiques par des comités élus de travailleurs, de paysans et de jeunes, en tant que base pour garantir les besoins politiques et économiques de tout un chacun, et non pas seulement des quelques éléments capitalistes et des classes moyennes, comme c’est aujourd’hui la règle – au lieu de faire cela donc, la plupart des dirigeants Labour actuels conservent la perspective erronée selon laquelle les véritables intérêts des masses laborieuses peuvent être obtenues sans devoir renverser ce système injuste.
Par exemple, d’importants dirigeants du NLC et de la Confédération syndicale (Trade Union Congress – TUC) croient réellement qu’une oasis économique, capable de pourvoir aux besoins économiques des travailleurs, peut être créée à travers des projets économiques directs de la part des syndicats. Voilà l’impression qui est créée par des dirigeants centraux des deux fédérations syndicales qui existent en ce moment, tandis qu’ils sont en train de négocier des prêts valant des milliards de naïras afin de mettre sur pied des services de transport gérés par les syndicats.<^>Le Président-général de la TUC, Peter Esele, a récemment tenté de fournir un genre de justification théorique pour ce qui n’est rien de plus qu’une tentative d’effectivement intégrer le mouvement ouvrier dans le ccapitalisme, en défendant le fait que les besoins de la classe ouvrière doivent être satisfaits par la création d’entreprises sans but lucratif et “pro-labour” dans le cadre global de l’économie capitaliste ! Écoutez-le plutôt : « Je n’appartiens pas à l’école de pensée selon laquelle le Labour devrait être neutre, parce que je crois que c’est par la participation que nous pourrons pousser le pays dans la direction vers laquelle il doit aller. Le Labour ne doit pas être neutre ; nous devons avoir une position sur tous les enjeux, et une manière dont on peut faire cela, est qu’il nous faut des muscles financiers. Donc, si nous nous asseyons tous dans une pièce et perdons notre temps à nous critiquer, et non pas afin d’offrir des solutions ni d’apporter de nouvelles idées, je ne pense pas que je veux appartenir à un tel mouvement » (The Guardian du 5 novembre 2010).
Oui, nous autres membres du DSM sommes entièrement d’accord avec Esele sur lee fait que « Le Labour ne doit pas être neutre et doit avoir une position sur chaque enjeu », que ce soit un enjeu économique ou politique, et qui a le potentiel de susciter l’intérêt des travailleurs, positivement ou négativement. C’est pourquoi, depuis notre fondation, nous avons toujours défendu le contrôle public sur les secteurs-clés de l’économie, y compris les banques, et leur contrôle et gestion démocratique par les travailleurs et par les couches populaires. Cependant, cette stratégie révolutionnaire doit être radicalement différente de la conception de Esele qui désire apporter des « muscles financiers » aux syndicats, un phénomène qui ne ferait qu’accentuer l’étranglement bureaucratique du mouvement syndical, avec le développement de syndicats qui se reposent en grosse partie sur le business et non sur les cotisations de leurs membres, ce qui sape le pouvoir des travailleurs de la base à exercer un contrôle sur leurs dirigeants.
Les défis à relever par les masses
Sur la base de tout ce que nous venons d’expliquer, les travailleurs et les pauvres ne peuvent s’attendre après les élections de 2011 qu’à un approfondissement de leurs souffrances et de l’oppression. Toutefois, les capitalistes et les exploiteurs ne doivent pas trop se réjouir de la faiblesse politique des dirigeants syndicaux et du Labour Party qui en ce moment tend à renforcer l’idée fausse qu’il n’y a pas d’alternative à la putréfaction capitaliste actuelle et à l’échec complet des politiciens capitalistes. Mais il ne faut pas non plus oublier ni sous-estimer le bon côté de la situation politique actuelle.
Malgré le manque d’une direction générale et cohérente de la part des hauts dirigeants syndicaux, il y a une nouvelle tradition de lutte et de résistance qui se développe parmi les sections de la classe ouvrière. Le personnel enseignant de toutes les universités de la zone sud-est sont en ce moment en grève à durée indéterminée depuis des mois dans certaines zones pour de meilleures conditions de travail et plus de moyens pour l’éducation. Depuis quelque temps, les syndicats du secteur de l’électricité mènent de l’agitation contre la privatisation de la Compagnie énergétique du Nigéria (Power Holding Company of Nigeria – PHCN) et pour un financement adéquat du secteur. Les travailleurs de la santé dans de nombreux états de la fédération sont soit en grève, soit en train de mener une agitation féroce pour plus de financement des hôpitaux publics et pour de meilleures conditions de service pour toutes les couches du personnel. Bien que l’Histoire ne se répète jamais de la même manière, il ne faut pas oublier que seulement deux mois après la farce des “élections” de 2007, il y a eu une grève générale massive et largement sooutenue qui n’a malheureusement pas permis de satisfaire aux revendications parce que les dirigeants syndicaux ont signé un compromis boiteux.
Ce qui manque par contre, et c’est regrettable, est une lutte et une campagne unies impliquant les travailleurs du public comme du privé, aux niveau fédéral comme régional, et une direction nationale cohérente au sein des syndicats et sous la forme d’un véritable parti ouvrier qui puisse donner à cette résistance ouvrière non-coordonnée la vision et la force appropriées. Quoiqu’il en soit, la direction du NLC et de la TUC ont accepté d’organiser une grève d’avertissement de trois jours du mercredi 10 novembre au vendredi 12 novembre 2010, quant au refus du gouvernement du président Jonathan de faire appliquer le salaire minimum pourtant ridicule de 18 000 naïras (85€) par mois qui a été négocié avec les représentants du gouvernement aux niveaux fédéral et régional.
C’est là un premier pas dans la bonne direction, qui s’était long fait attendre. Nous, membres du DSM, avons toujours défendu l’idée que seule des actions de masse et non pas des “tactiques de relations industrielles” peuvent forcer les élites dirigeantes de tous les différents partis politiques à mettre en application des mesures capables d’améliorer le mode de vie de la population. Force est pourtant de constater que la direction du mouvement ouvrier n’apparait pas encore vouloir accepter le fait que la lutte de masse est une nécessité et non pas un outil pour “effrayer” ou “intimider” la classe dirigeante. Écoutons John Odah, le secrétaire général du NLC : « Nous soupçonnons le président Jonathan d’être en train de faire pression sur les gouverneurs d’état pour qu’ils n’appliquent pas le nouveau salaire minimum national. Le président Jonathan a un rendez-vous avec l’Histoire. Il peut soit se placer du côté des travailleurs opprimés et voir son nom être inscrit en lettres d’or dans les cœurs des Nigérians, soit se ranger du côté des gouverneurs et rater l’occasion en or d’être adulé par les travailleurs nigérians » (The Nation du 7 novembre 2010).
Plutôt qu’une perspective futile, qui cherche apparemment à liguer une section des brigands capitalistes contre l’autre, le DSM appelle de tous ses vœux à des mobilisations et à des luttes de masse y compris des manifestations et des grèves, là et quand elles sont nécessaires, avec une attention particulière sur la construction d’un parti politique ouvrier de masse qui puisse arracher le pouvoir de manière permanente aux pillards capitalistes et sur cette base commencer l’édification d’une société socialiste véritablement démocratique, dans laquelle les ressources de la société seront véritablement utilisées pour pourvoir aux besoins de tous et non pas d’une infime minorité, comme c’est le cas dans l’injuste désordre capitaliste actuel.
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Problèmes rencontrés dans la construction de nouveaux partis des travailleurs
Théorie
Dans cet article, notre camarade Peter Taaffe analyse quelques leçons à tirer de l’histoire en ce qui concerne la formation d’organisations de masse pour les travailleurs. Il revient à ce titre plus particulièrement sur les expériences récentes accumulées en Italie et en Allemagne ainsi que lors des derniers développements qu’a connu la situation au Brésil.
Une question centrale pour le mouvement ouvrier à travers le monde – et peut-être d’ailleurs la plus cruciale à ce stade – est celle de l’absence dans la plupart des pays d’une voix politique indépendante sous forme parti(s) des travailleurs de masse.
L’effondrement du mur de Berlin et des odieux régimes staliniens a également signifié la liquidation des économies planifiées. Il s’agissait d’un important tournant historique, avec des conséquences majeures pour la classe ouvrière et, plus particulièrement, pour sa conscience. Coïncidant avec le long boom économique des années ‘90 et la pression sans relâche du capitalisme néo-libéral, ce processus a décomposé les bases de la social-démocratie et des partis « communistes ». Les formations que Lénine et Trotsky caractérisaient encore comme des « partis ouvriers bourgeois » (ouvriers à leur base, bourgeois à leur direction) ont assisté à la disparition de leur base ouvrière pour devenir des formations purement bourgeoises. En conséquence, pour la première fois depuis des générations – plus de 100 années dans le cas de la Grande-Bretagne – la classe ouvrière est sans plate-forme politique de masse.
Mais ce n’est pas la première fois dans l’histoire que des marxistes sont confrontés à une telle situation. Ni Marx ni Engels n’ont cru que le mouvement ouvrier gagnerait une conscience de classe indépendante ou une conscience socialiste uniquement par l’agitation, la propagande ou même leurs puissantes idées théoriques. L’expérience serait le plus grand professeur de la classe ouvrière, argumentait Marx, en combinaison avec les idées du socialisme scientifique (le marxisme). C’est pour cette raison que Marx, sans jamais diluer son propre trésor théorique, a tâché de lier ensemble dans l’action les forces dispersées de la classe ouvrière à travers, par exemple, l’établissement de la…
…Première Internationale
Les marxistes ont travaillé conjointement avec des syndicalistes anglais et même des anarchistes au sein de l’Internationale. Marx a toujours procédé à partir du niveau existant d’organisation et de conscience de la classe ouvrière, cherchant par sa propre intervention inestimable à l’élever à un plan supérieur. La Première Internationale a accompli cette tâche colossale mais, à la suite de la défaite de la Commune de Paris ainsi que des tentatives de sabotage et finalement la scission des anarchistes emmenés par Bakounine, la Première Internationale avait épuisé sa mission historique et a été dissoute. Cette expérience, cependant, a été essentielle en préparant le terrain pour la Deuxième Internationale, avec le développement des partis de masse, l’acceptation du socialisme, etc…
Engels & le Labour Party
Engels a adopté une approche similaire à celle de Marx dans la dernière partie du dix-neuvième siècle, en Grande-Bretagne par exemple, pendant la « longue hibernation » de la classe ouvrière. Il a patiemment propagé l’idée d’un « parti des travailleurs indépendant », en opposition au sectarisme des forces socialistes et même « marxistes » de ce temps. Il ne s’est par exemple pas basé sur la Social Democratic Federation (Fédération Social-Démocrate) qui avait formellement adhéré au « socialisme scientifique » et comprenait à un moment plus de 10.000 membres, mais qui avait aussi adopté une attitude ultimatiste et sectaire envers d’autres forces et en particulier envers l’idée de rassemblement pour créer un parti indépendant de la classe ouvrière. Aucun théoricien dans le mouvement ouvrier n’égalait à ce moment Engels, historiquement le second derrière Marx lui-même, mais il insistait sur le fait qu’étant donné le niveau de conscience et d’organisation politique de la classe ouvrière britannique à cette époque, un tel pas en avant vaudrait des douzaines de programmes. Il s’agissait d’une reconnaissance du fait – illustré plus tard par le développement du Labour Party (le parti travailliste) comme parti de masse – qu’une « pure » et immaculée organisation marxiste en Grande-Bretagne avec des racines dans les masses ne pourrait se développer sans que la masse de la classe ouvrière ne passe d’abord par l’expérience de son propre parti indépendant.
Lénine a adopté la même attitude face au Labour Party qui était né depuis, même si ce dernier n’avait pas adopté une orientation socialiste à sa fondation. Il disait que même si le Labour Party « ne reconnaissait pas la lutte des classes, la lutte de classe reconnaîtrait certainement le Labour Party ». Son analyse a elle aussi été confirmée par le virage à gauche avec des traits révolutionnaires prononcés qu’a connu la Grande-Bretagne après la Révolution russe. Cela s’est notamment exprimé à l’intérieur du Labour Party par l’adoption de l’aspiration au socialisme à travers la célèbre « clause quatre », liquidée par « l’entriste bourgeois » Tony Blair en 1995.
Depuis lors, le processus de dégénération politique du « New Labour » a été inéluctable et immuable. Et cela en dépit des minces espoirs de ceux qui comme Tony Benn habitent un avant-poste réformiste de gauche isolé au milieu de l’océan néo-libéral du New labour. Cette dégénération n’a pas seulement eu des conséquences idéologiques, mais a également affecté matériellement les luttes de la classe ouvrière. La bourgeoisie a pu utiliser avec succès l’effondrement du stalinisme pour mener une contre-révolution idéologique à travers le monde entier dont les plus grands effets se sont fait sentir aux sommets de la social-démocratie et de l’aile droite syndicale. Leur enthousiasme à embrasser l’économie de marché a renforcé la capacité de la bourgeoisie à vendre son programme néolibéral, accompagné par le leitmotiv de Thatcher, « There is no alternative / Il n’y a pas d’alternative ». À la différence des années ’80, où cette idée était rejetée, elle est maintenant renforcée par les dirigeants ex-sociaux-démocrates et par l’aile droite syndicale.
La seule alternative
Quand les « partis ouvriers bourgeois » étaient réformistes, la classe dirigeante était au moins forcée de regarder derrière son épaule. Ces partis étaient dans une certaine mesure un « contrôle », ne fut-ce que partiel, pour empêcher la bourgeoisie d’aller « trop loin ». Un regard sur l’Allemagne d’aujourd’hui renforce ce point. L’apparition du « Die Linke » d’Oskar Lafontaine, même avec toutes les insuffisances de ce parti, a néanmoins exercé un effet sur les sociaux-démocrates du SPD. Emmêlé dans une coalition bourgeoise avec les démocrates-chrétiens d’Angela Merkel, le SPD a connu une baisse dramatique de son soutien, électoralement ainsi qu’en terme d’adhésions. Parallèlement, Die Linke a bénéficié de la perte de soutien du SPD et se tient actuellement à environ 12% dans les sondages d’opinion. En retour, cette situation a contraint les sociaux-démocrates à s’opposer à certaines « réformes », telles que l’attaque brutale contre les chômeurs, alors qu’ils en avaient accepté le principe dans la précédente coalition et le précédent gouvernement de Schröder, lui-même du SPD.
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‘Pour la Grande-Bretagne’, c’est-à-dire pour les riches et les patrons, au détriment des pauvres et des travailleurs…
En Grande-Bretagne, Gordon Brown utilise à sa sauce la vieille affirmation de Thatcher en déclarant aux directions syndicales « quelle est votre alternative au New Labour ? ». Les élections – avec les trois principaux partis qui dans les faits ne se distinguent pas – sont maintenant pratiquement une farce en Grande-Bretagne. Le système électoral britannique combiné à l’absence de réel choix signifie que les résultats des prochaines élections, comme Polly Toynbee (du quotidien The Guardian) l’a précisé, seront déterminés par les votes « marginaux ». Finalement, seuls les 20.000 électeurs « flottants » décideront du résultat.
Ceci va de pair avec la domination d’une caste bureaucratique de droite ossifiée au sommet des syndicats, comme Prentis (secrétaire général du syndicat Unison, le plus grand syndicat professionnel de Grande Bretagne) et d’autres, qui agit en tant que véritable frein sur chaque action efficace, tel que l’a encore démontré le récent conflit postal. Mais le mécontentement colossal de la base montre que cette situation ne pourra continuer sans arriver à un conflit, dans les usines ou politiquement. Sans compétition sérieuse de la part de la gauche, y compris de la gauche syndicale, Gordon Brown continuera à traiter les syndicats et en particulier leur direction avec le plus grand mépris avec l’assurance que le New Labour est la seule alternative.
La classe ouvrière française – actuellement engagée dans une lutte épique contre le gouvernement Sarkozy qui est décidé à casser ses droits et conditions de vie – fait face à un dilemme semblable. Durant les 15 dernières années, chaque fois que la bourgeoisie française a cherché à affronter la classe ouvrière de telle manière, cela s’est terminé par sa défaite partielle. Mais étant donné la perception négative qu’a la bourgeoisie française de sa position face à ses concurrents capitalistes européens et internationalement, les capitalistes français sont « cette fois » décidés à ne pas laisser passer de concessions à la classe ouvrière. Dans ce cadre, l’absence d’un pôle d’attraction de masse sous la forme d’un parti de masse est assurément un facteur qui affaiblit la lutte.
Sarkozy a ainsi pu gagner les dernières élections avec une campagne menée contre son propre gouvernement, qui, selon lui, présidait une « société bloquée ». Cette stratégie n’a pu être payante que grâce à l’absence de challenger face à lui avec Ségolène Royal et son Parti Socialiste maintenant complètement bourgeois. Déjà en 1995, quand les travailleurs français avaient remporté une victoire contre la bourgeoisie et le « plan Juppé », l’absence d’une alternative politique pour les masses était palpable. Les capitalistes auraient alors pu être poussés dehors, mais faute d’un gouvernement et d’un parti politique de masse capable de l’avancer, toutes les conclusions nécessaires de cette lutte n’ont pas été tirées.
Leçons du Brésil
Cette situation n’existe pas au Brésil, en raison de la formation du parti du socialisme et de la liberté (P-SoL), créé en 2004 comme résultat de la révolte suscitée par le virage à droite du gouvernement de Lula après son élection en 2002. La formation de ce parti et son évolution par la suite est une donnée d’importance pour le Brésil lui-même, mais elle comprend également bien des leçons pour les travailleurs et le mouvement de la gauche internationalement. La création du P-SoL est le produit du dégoût ressenti par les travailleurs, en particulier dans le secteur public, à cause de la rapide trahison de Lula et de son gouvernement placé sous la direction du PT (Parti des Travailleurs) qui s’est exprimée dans l’acceptation des attaques contre les masses demandées par le capitalisme brésilien.
Auparavant, des couches de la gauche brésilienne, et parmi elles même certaines qui avaient des antécédents trotskistes, avaient entretenus quelques espoirs que Lula aurait installé un gouvernement de « gauche » une fois arrivé au pouvoir. Pourtant, avant même les élections, Lula lui-même avait clairement capitulé face au « consensus de Washington » du néo-libéralisme (acceptation des principes de privatisation, de travail précaire et de soumission au capital étranger). Son évolution à droite avait été illustrée par les nombreux éloges qu’il avait reçu de la part des chauds partisans et prêcheurs du néo-libéralisme « social-démocrate ». Ainsi, alors que Blair et Mandelson (l’un des principaux architectes de la transformation du Labour Party en New Labour et proche collaborateur de Tony Blair) avaient précédemment fortement attaqué le PT et Lula, ce dernier n’a ensuite reçu que des félicitations de leur part. Pour reprendre ses propres paroles, Lula s’est avéré être « une paire de mains sûre » pour le capitalisme et l’impérialisme brésilien. L’attaque menée contre les fonctionnaires, cependant, a provoqué une opposition au sein du PT, exprimée avec force par un certain nombre de ses parlementaires, tels que Heloísa Helena, Baba et Luciano Genro. Avec un autre parlementaire, ils ont tous été sommairement expulsés par Lula à cause de leur opposition à son programme de « réforme des pensions ».
Cette trahison avait un sens aigu, compte tenu du fait que Lula – à la différence de Blair – est à l’origine issu des profondeurs de la classe ouvrière brésilienne. Le P-SoL a quant à lui rassemblé des sections significatives de la gauche brésilienne militante et combative. À sa conférence de fondation en 2004, ce nouveau parti s’est clairement affirmé socialiste et à gauche, avec la plupart des participants provenant d’un passé trotskiste.
Le trotskisme possède de fortes et profondes racines en Amérique Latine, particulièrement au Brésil et en Argentine. Cette tradition s’est principalement reflétée dans deux tendances, celle du Secrétariat Unifié de la Quatrième Internationale (USFI, United Secretariat of the Fourth International) d’Ernest Mandel et celle des organisations morénistes, menée par Nahuel Moreno. Le morénisme et son organisation internationale, Liga Internacional de los Trabajadores (LIT – la Ligue Internationale des Travailleurs) ont représenté une réaction face à Ernest Mandel et sa politique qui a combiné des éléments ultra-gauches à un moment donné (avec un soutien désastreux à des mouvements de guérilla urbaine) avec de l’opportunisme, élément qui a d’ailleurs plus tard mené l’USFI à connaître la rupture au Brésil. Certains de ses adhérents ou anciens adhérents ont participé au gouvernement de Lula comme ministres.
On trouve dans la tradition moréniste d’excellents militants qui ont fait de grands sacrifices pour la cause des travailleurs, certains y ont même laissé leurs vies. Cela a particulièrement été le cas en Argentine et au Brésil. Dans le même temps, l’opposition de Moreno à l’opportunisme de Mandel s’est crûment exprimée. Moreno lui-même l’a illustré et a commis de sérieuses erreurs d’un caractère ultra-gauche, comme le démontre sa surestimation du MAS (nom du parti moréniste à cette époque) dans l’Argentine des années ‘80. Bien que le MAS se soit en Argentine développé pour devenir une force considérable, Moreno a surestimé sa capacité à « prendre le pouvoir ». Après sa mort, ses héritiers ont commis beaucoup d’erreurs, la plus importante concernant l’analyse de l’effondrement du stalinisme. Ils ont ainsi présenté cet évènement unilatéralement de manière « progressiste ». La bourgeoisie avait internationalement adopté une attitude similaire, résumée par le Wall Street Journal qui a déclaré dans un éditorial au nom du capitalisme « nous avons gagné ».
En résultat de cette analyse, le courant moréniste a connu différentes ruptures qui ont donné lieu à la création de différents organismes et « Internationales » en concurrence féroce les unes contre les autres pour gagner le soutien d’une base de plus en plus réduite d’anciens militants morénistes. Une fois confrontée à l’opposition, plutôt que de débattre et de discuter des idées – comme c’est la tradition au sein du Comité pour une Internationale Ouvrière – la méthode de la direction est caractérisée par les expulsions arbitraires, à la façon du SWP britannique, ou encore tout simplement par des « invitations à partir ».
Récents succès
En dépit de tout cela, la plupart des initiateurs du P-SoL étaient issus du PT et d’un passé trotskiste. Lors des élections présidentielles de 2006, Heloísa Helena (qui provient de la tradition d’Ernest Mandel) a récolté presque sept millions de voix comme candidate du P-SoL et comme alternative de gauche au gouvernement de gauche « traditionnel » de Lula. Ce succès spectaculaire d’un parti très jeune – une plus grande réussite, par exemple, que celle obtenue par le PT à l’occasion de sa première participation aux élections nationales en 1982 – a été une justification complète des positions de ceux qui, à l’instar de Socialismo Revolucionário (SR, section brésilienne du Comité pour une Internationale Ouvrière) et des autres sections du CIO, ont de façon conséquente argumenté en faveur de la création d’un nouveau parti de masse. En conséquence, Socialismo Revolucionário a été l’un des pionniers du P-SoL – en prêtant ses ressources et ses bureaux au nouveau parti dans la première période de son histoire – et a également eu une présence à l’Exécutif National de ce parti. Le plus important a été que le P-SoL a entériné le droit de plate-forme et de tendance, ce qui lui a assuré d’être un parti extrêmement démocratique.
Le P-SoL, cependant, comme Die Linke en Allemagne, n’a pas été créé dans une période d’intensification de la lutte des classes, particulièrement sous forme de conflit dans les usines, comme cela avait été par exemple le cas pour la création du PT dans les années ’80 ou pour le COSATU, la fédération syndicale d’Afrique du Sud, qui s’était déclarée socialiste et « révolutionnaire » dans sa première phase d’existence. Cette situation a eu des conséquences sur le P-SoL, qui était – et est resté – un petit parti de masse de la classe ouvrière. Les nouveaux partis de masse formés au lendemain de la Révolution russe étaient issus de scissions survenues dans les vielles organisations de la classe ouvrière (la social-démocratie) et avaient emporté la grande majorité des travailleurs actifs de ces vieux partis. Mais même alors, la social-démocratie, largement vidée de ses membres, a continué à recevoir le soutien des travailleurs inactifs. Parfois, c’est même la majorité des travailleurs qui sont restés accrochés à ces vieilles organisations suite à une inertie historique ainsi qu’à l’absence de compréhension de la nécessité de nouveaux partis révolutionnaires. Cela demandait, comme Lénine et Trotsky l’ont argumenté, que ces nouveaux Partis Communistes adoptent une tactique de « front unique » pour enrichir et influencer les actions des travailleurs toujours sous la bannière de la social-démocratie.
Ces nouvelles formations, les Partis Communistes, s’étaient toutefois développées dans une période de révolution et étaient généralement assez grandes, avec une base active et des racines enfoncées au sein même de la classe ouvrière. Ce n’est pas le cas de Die Linke en Allemagne, qui est surtout en ce moment un phénomène électoral. Seuls quelques travailleurs et jeunes ont été disposés à rentrer dans ses rangs, et ce peu d’enthousiasme a été particulièrement visible à Berlin et en Allemagne de l’Est. Dans ces régions, Die Linke est regardé avec beaucoup de suspicion en raison des connections de ce parti avec le stalinisme et du fait que les coalitions gouvernementales à Berlin, en particulier, et ailleurs attaquent les conditions de vie de la classe ouvrière. Le P-SoL, à ses débuts, a connu une situation différente. S’il est vrai qu’un certain nombre d’organisations trotskistes étaient présentes, c’était aussi le cas d’une couche importante de travailleurs, d’ « indépendants », etc.
Au même moment, le gouvernement de Lula a constamment plus repoussé sa base à mesure que s’est accentué son virage à droite. Renan Calheiros, membre du PT et ancien président du Sénat Brésilien, a été forcé de démissionner en raison d’un scandale de corruption. Il est, entre autres, accusé d’avoir assuré le salaire d’une ancienne journaliste avec qui il avait eu une liaison et une petite fille de 3 ans. Le Brésil est « habitué » à la corruption, qui est endémique dans les partis bourgeois. Mais la saga des méfaits de Renan a été le « scandale de trop ». La pression populaire a finalement forcé la main à Lula et Renan a été éjecté de ses fonctions.
Le gouvernement Lula a été marqué par des accusations de corruption depuis mai 2005. Bien qu’ayant causé des dégâts sérieux au début, la corruption est tellement habituelle et « intégrée » dans la vie politique brésilienne que les brésiliens « ne s’attendaient à rien de mieux de la part de leurs politiciens ». Selon une estimation, environ 30% des membres du Congrès font l’objet de procédures judiciaires. En fait, beaucoup d’entre eux quittent leurs fonctions pour ainsi éviter les poursuites et les tribunaux ! La corruption est estimée par une étude à ce sujet à 0.5% du PIB (produit intérieur brut). Oui, il a eu un moment où le PT a été perçu comme un parti « différent », avec une vision socialiste d’une nouvelle société. Mais maintenant, tout comme les ex-sociaux-démocrates et les partis ex-« communistes » en Europe et ailleurs, le PT, après avoir accepté le capitalisme, a embrassé la « philosophie » qui y est associée.
La bourgeoisie brésilienne s’est ralliée au gouvernement de Lula parce qu’il « fait son job » en défendant les profits du capitalisme. Le crédit et la demande domestique explosent alors que des millions de Brésiliens pauvres deviennent des « consommateurs pour la première fois » (selon le « Financial Times »). Ce qui arrive quand la base de l’économie américaine s’effondre et a des répercussions sur la Chine, un énorme marché pour les produits du Brésil, est un autre problème. Même un léger ralentissement du taux de croissance de l’économie brésilienne sera une catastrophe pour les millions de personnes, particulièrement des pauvres, qui ont placé leur confiance dans le gouvernement de Lula pour détruire le cauchemar que forme la vie quotidienne de millions de Brésiliens. L’agriculture, le secteur des services et même l’industrie ont ressenti la croissance économique du pays à la suite de la croissance économique mondiale. De plus, les dépenses dans la consommation ont augmenté, avec l’aide d’une certaine augmentation du salaire minimum et des avantages pour les plus pauvres ainsi que d’une injection de crédit dans l’économie (dont la taille a doublé depuis 2003 pour atteindre aujourd’hui environ 35% du PIB). Un ralentissement ou une récession économique mondiale aurait un effet dévastateur sur les millions de personnes dont les espoirs ont été suscités par la récente croissance économique et par la création d’emplois, bien que très mal payés.
Le gouvernement clame que plus de 1.2 million d’emplois ont été créés dans les douze mois qui ont précédé juillet 2007. Cela a signifié que certaines des sections les plus faibles de la population et même des sections de la classe ouvrière ont bénéficié du gouvernement Lula. En conséquence, le soutien électoral fondamental du gouvernement ne s’est pas encore évaporé. La bourgeoisie tolère Lula comme la « meilleure option » tandis que les pauvres et la classe ouvrière n’ont pas encore dans leur grande majorité retiré leur soutien au gouvernement. Toutefois, la classe moyenne ressent plus intensément la crise de l’infrastructure, en particulier dans l’industrie aéronautique et s’oppose en majorité au gouvernement. La situation économique, sociale et politique est par conséquent fortement volatile.
Pour aller plus loin de sa base limitée, bien qu’importante, de 6% de l’électorat, le P-SoL devrait se positionner de manière à attirer dans ses rangs les « réserves lourdes » de la classe ouvrière qui demeurent toujours derrière Lula et le PT à titre d’essai. Ils briseront ces amarres dès que le Brésil sera affecté par la vague économique et sociale orageuses qui arrive. Mais ce n’est pas dit que ces derniers passeront au P-SoL si ce parti n’adopte pas les politiques, la stratégie et la tactique nécessaire pour les attirer.
Le piège électoral
Le développement de Rifondazione Comunista (PRC) en Italie contient beaucoup de leçons et d’avertissements pour le P-SoL et le Brésil. La création du PRC a représenté un pas en avant gigantesque pour la classe ouvrière italienne mais, à ses début, il n’a entraîné avec lui que la plupart des couches les plus avancées et militantes. Le parti, en particulier sous la direction de Bertinotti, n’a pas sérieusement miné la base des Démocrates de Gauche (DS – la majeure partie de l’ancien parti communiste italien) même alors que ces derniers se déplaçaient vers la droite. Une des raisons qui explique ce phénomène est la position contradictoire du PRC, en particulier son enthousiasme électoraliste qui s’est fait aux dépens d’une dynamique de politique de lutte des classes. D’ailleurs, au lieu de poursuivre une politique d’intransigeance de classe face au capitalisme, la direction du PRC a glissé dans le marais de la collaboration de classes sous forme de coalition. Même avant qu’un « bloc national » ne se forme au niveau local et dans les villes, le PRC a partagé localement le pouvoir avec les partis bourgeois. Ceci a inévitablement conduit aux attaques contre les travailleurs et les syndicats à un niveau local et le PRC a été considéré comme responsable aux yeux des travailleurs.
De cette étape à une coalition formelle avec les partis bourgeois autour de Prodi au niveau national, il n’y avait pas un grand pas à faire. Il ne s’agissait au début que d’un soutien « extérieur » du PRC au gouvernement « olivier » de 1996. Sans même l’effet des « avantages » des postes ministériels et des piéges qui y sont liés, le PRC s’est odieusement associé aux attaques de ce gouvernement contre la classe ouvrière et les syndicats. C’est cette politique qui a pavé la voie au retour de Berlusconi. Maintenant, Rifondazione Comunista a franchi une étape supplémentaire en rejoignant formellement la coalition de Prodi qui, comme Lula au Brésil, attaque les pensions, l’éducation et tous les acquis passés de la classe ouvrière italienne. Sous la direction de Bertinotti en tant que « président » de la chambre italienne des députés, le PRC va perdre sa peau de parti spécifiquement pour les travailleurs pour devenir une des composantes de la « chose rouge » (selon le terme utilisé par la presse pour parler de la nouvelle formation regroupant principalement le PRC, les verts et une scission des Démocrates de Gauche), qui est un masque servant à cacher la création d’un autre parti libéral et capitaliste.
Ce processus n’est pas encore complètement arrivé à son terme au sein du PRC, mais c’est un avertissement d’ampleur au P-SoL et à tous les nouvelles organisations de la classe ouvrière. Sans politiques claires et indépendante des formations bourgeoisies (et sans coalition avec les forces bourgeoises), ces nouvelles formations, plutôt que d’être autant de chrysalides à partir desquelles peuvent émerger des pôles d’attraction pour les masses, pourraient être étouffées dès leur naissance. Le P-SoL n’a jusqu’ici pas atteint cette étape. Cependant, les énormes pressions de la société bourgeoise pour « se conformer » – c’est-à-dire élever le profil électoral aux dépens de l’intervention dans la lutte des classes, en particulier la lutte dans les usines et les mouvements sociaux en général – ont eu un certain effet sur la direction du P-SoL.
Virage à droite
Heloisa Helena adopte des positions moins radicales…
[/box]Cela s’est reflété lors des élections présidentielles, en particulier par la voix de la candidate Heloisa Helena, par la minimisation des politiques radicales dans le but d’aller au devant d’un maximum de voix. Elle s’est également prononcée contre l’avortement, mais s’est alors heurtée à la majorité des membres du P-SoL. Heloísa Helena a d’ailleurs rencontré l’opposition implacable de la majorité des délégués au récent Congrès du P-SoL. Mais un groupe constitué autour d’elle, en particulier certains membres du parlement comme Luciana Genro, qui vient de Rio Grande Del Sul, ont cherché à pousser le P-SoL vers une politique plus « pragmatique », ce qui constitue une orientation droitière. Cette position a été renforcée par de récents réfugiés issus du PT qui ont maintenant rejoints les rangs du P-SoL.
Ensemble, ils ont avec succès décalé la direction du P-SoL vers une orientation plus à droite qui, en retour, a provoqué une opposition gauche, dans laquelle est impliquée Socialismo Revolucionário. Cette opposition a reçu juste en dessous d’un quart des voix au Congrès du P-SoL. Socialismo Revolucionário cherche à dépasser ce chiffre en forgeant un front unique des organisations les plus conséquentes de la gauche, à travers l’établissement d’un « bloc des quatre » dans le P-SoL. Ce bloc a impliqué Socialismo Revolucionário ainsi que d’autres groupes partout dans l’ensemble du Brésil, tous issus du trotskisme.
Quelques parallèles historiques peuvent être faits avec ce développement. Après la victoire d’Hitler en 1933, sans que le Parti Communiste allemand n’ait entreprepris de résistance sérieuse, une crise profonde de confiance a traversé les « Internationales » existantes (la deuxième, social-démocrates, et la troisième, qui avait dégénéré des positions communistes vers le stalinisme). Trotsky a alors proclamé la nécessité de la création d’une nouvelle, la Quatrième Internationale. En conséquence arriva la formation d’un « bloc de quatre » partis, décrit par Trotsky comme étant « particulièrement important ». Ces quatre partis étaient l’Opposition de Gauche Internationale trotskiste, le Parti Ouvrier Socialiste allemand (SAP), et deux partis de gauche hollandais, le Parti Socialiste Révolutionnaire (RSP) et le Parti Socialiste Indépendant (OSP). Ensemble, ils ont signé une déclaration pour une « nouvelle internationale » suivant les principes de base de Marx et de Lénine.
Ce « bloc des quatre » s’était donné des objectifs plus grandioses que l’actuel « bloc des quatre » dans le P-SoL, mais la logique est finalement identique : comment maximiser le potentiel pour la gauche dans le mouvement de la classe ouvrière. L’ancien bloc des années ‘30 n’a été jamais été consolidé en une nouvelle formation permanente en raison des contradictions politiques entre les dirigeants des partis non-trotskistes. Dans le cas du P-SoL, les organisations sont beaucoup plus proches politiquement, avec toutes les chances, si une clarté politique arrive à être obtenue, de forger une force politique cohérente au sein du P-SoL.
Le P-SoL illustre, tout comme les expériences issues du PRC en Italie, que le succès continu et la croissance de l’influence ainsi que du nombre de membres d’un parti n’est pas automatiquement garantie si un nouveau parti se déplace vers la droite. Cependant, la gauche est plus claire et a plus de potentiel dans le P-SoL que dans le PRC italien. Il faut en voir la raison dans les organisations trotskistes qui, dès la fondation du PRC, ont poursuivi une politique fondamentalement fausse. La section italienne du Secrétariat Unifié de la Quatrième Internationale, sous la direction du défunt Livio Maitan, ne se différenciait pas de Bertinotti – elle a été durant longtemps membre de la même « fraction » et n’a par conséquent pas gagné de forces substantielles. D’autres organisations ont adopté une position ultra-gauche ou un rôle purement militant, un rôle de commentateur.
Le « bloc des quatre » brésilien
L’opposition de gauche organisée dans le P-SoL est beaucoup plus forte politiquement. Le front unique des organisations, le « bloc des quatre », inclut des camarades d’Alternativa Revolucionária Socialista (Alternative Socialiste Révolutionnaire – ARS), en particulier présent à Belem, dans le nord du Brésil. Une autre organisation présente à São Paulo est le CLS (Liberté Socialiste Collective), composé de travailleurs qui ont une tradition de lutte à São Paulo et à Minas Gerais, un Etat très important, où le CLS a une base importante dans les mouvements sociaux, en particulier le mouvement des paysans sans terre et parmi les imprimeurs. Deux autres organisations participent encore à ce bloc. Il est à espérer que ce « bloc des quatre » sera consolidé par une série de meetings et d’activités publiques qui pourraient alors attirer d’autres groupes dissidents du P-SoL.
En même temps, un processus de regroupement des marxistes-trotskistes suit son cours. À son récent congrès, auquel ont participé des représentants des groupes qui travaillent dans le « bloc des quatre », Socialismo Revolucionário, avec ces camarades, s’est fixé la tâche de construire une force marxiste numériquement plus forte et bien plus influente. Étant donné qu’à ce stade, le P-SoL est relativement vide de nouvelles couches de la classe ouvrière, cette tâche ne pourra pas seulement se faire en concentrant principalement les activités à l’intérieur de ce parti. La bataille au niveau des usines est aussi cruciale, si pas plus, en ce moment. Mais le P-SoL n’a pas encore épuisé son potentiel. L’effondrement du « Lulaïsme » et du PT aura comme conséquence que des couches plus importantes placeront leurs espoirs dans le P-SoL. Une des raisons qui justifie l’appel pour un nouveau parti de masse des travailleurs est que cela offre l’opportunité à la classe ouvrière et à la gauche de rassembler des forces jusqu’ici dispersées.
De tels nouveaux partis sont une arène pour la discussion, le débat et l’élaboration de politiques capables de garantir le succès de la classe ouvrière à l’avenir. L’existence d’une épine dorsale viable de marxiste-trotskistes dans un tel parti est essentielle à son succès. Sans cela, ces partis, y compris le P-SoL, peuvent stagner, voir même diminuer et disparaître, même si ils ont connu initialement des succès. Cela semble toutefois peu probable au Brésil, étant donné l’influence du marxisme dans le P-SoL.
La tâche des marxistes au Brésil, qui sera ardemment suivie par les marxistes du monde entier, est d’intervenir dans les processus qui se déroulent dans le P-SoL pour l’éloigner du réformisme et des nuances de centrisme – c’est-à-dire une phraséologie révolutionnaire qui couvre des positions réformistes – en rassemblant les meilleures forces à la gauche du P-SoL. La première étape vers cet objectif est la création d’une organisation trotskiste puissante, avec de claires perspectives, tactiques, stratégie et organisation. Le capitalisme entre en crise, mais cela ne signifie pas que la gauche va automatiquement l’emporter. Pour que cela se réalise, il faut créer de nouveaux partis de masse des travailleurs. Les développements au sein du P-SoL seront vivement observés et étudiés par les marxistes du monde entier pour y apprendre les leçons utiles aux développements semblables ailleurs.
Pour en savoir plus
- Un nouveau parti de gauche en Allemagne : Die Linke : un nouveau parti contre le capitalisme ?
- France : Pour une campagne de lancement d’un nouveau parti, maintenant !
- Belgique : 71% des Belges désapprouvent les politiciens : Un nouveau parti des travailleurs est nécessaire !
- Belgique : SP.a et PS : la faillite du réformisme
- Rubrique « Nouveau Parti des Travailleurs » sur socialisme.be