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  • Des millions de Soudanais exigent la fin du régime du coup d’État. Pour la chute de la junte et la fin des compromis !


    Le coup d’État militaire perpétré par les généraux soudanais le 25 octobre a suscité une réponse furieuse des masses, portant la lutte entre la révolution et la contre-révolution initiée en décembre 2018 à son point le plus aigu à ce jour.

    Par Serge Jordan, Alternative socialiste internationale (ASI)

    Depuis les premières heures du coup d’État lundi dernier, des centaines de milliers de personnes sont descendues à plusieurs reprises dans les rues, ont érigé une multitude de barricades et de points de contrôle révolutionnaires à travers les villes et villages soudanais, et une grande vague de grèves ouvrières a balayé un secteur après l’autre. « Toutes les rues sont bloquées par les comités, et personne ne travaille en ce moment », a rapporté vendredi Satti, un partisan d’ASI à Khartoum. En l’état actuel des choses, la plupart des routes principales des quartiers de la capitale sont toujours barricadées. Alors que les forces du régime tentent d’enlever les barricades pour rouvrir les routes, les jeunes manifestants s’empressent de les reconstruire dès le départ de ces forces.

    Il est important de noter que le mouvement des travailleurs a apposé sa signature dès le premier jour du coup d’État, dans ce qui s’est apparenté à une grève générale nationale de facto.

    Après la prise du pouvoir par les militaires, le principal architecte du coup d’État, le général Abdel Fattah al-Burhan, a publié un décret dissolvant les syndicats et les associations professionnelles du pays. Cette décision montre clairement que derrière le “pouvoir civil”, c’est la révolution, la classe ouvrière et ses organisations qui sont dans la ligne de mire des généraux. Mais cette décision est restée essentiellement sur le papier, car de nombreux syndicats ont lancé des appels à la grève et les arrêts de travail se sont rapidement répandus dans tout le Soudan. Les professeurs d’université, les employés de banque, les médecins, les ingénieurs, les pharmaciens, les travailleurs du pétrole, les fonctionnaires, les pilotes et les employés d’aéroport, les cheminots et bien d’autres se sont mis en grève, rejoints par de nombreuses petites entreprises et de nombreux commerçants qui ont fermé leurs portes, entraînant un arrêt presque complet de la vie économique du pays.

    Ce déluge de protestations, de blocages de routes et de grèves a d’abord pris les putschistes largement par surprise. “Ils n’avaient pas prévu que les gens sortiraient et protesteraient”, a affirmé Jihad Mashamoun, un analyste politique soudanais. “Ils prévoyaient que le peuple serait simplement calme parce qu’il en avait assez de la crise économique”. Les femmes, qui craignent un énorme recul de leurs droits, ont été parmi celles qui ont été projetées en première ligne des mobilisations de la semaine dernière.

    Sentant la chaleur du mouvement de résistance que son putsch avait déclenché, al-Burhan a annoncé jeudi qu’il allait choisir un nouveau Premier ministre pour former et diriger un nouveau cabinet de transition, ajoutant qu’Abdallah Hamdok – le même Premier ministre que les militaires avaient déposé et arrêté lundi dernier – restait son candidat préféré pour le poste !

    Samedi, la campagne de désobéissance civile de masse a culminé avec la “Marche des millions”, à l’appel et à la mobilisation des comités de résistance basés dans les quartiers et de l’Association des professionnels soudanais (SPA). Selon les rapports, jusqu’à trois millions de personnes ont manifesté dans plus de 700 manifestations à travers le pays pour demander la chute du régime militaire, dans le cadre des plus grandes protestations jamais organisées contre le coup d’État. Interviewé sur le programme radio de VOA Africa depuis Khartoum, un manifestant a déclaré : “Je n’ai aucune idée de qui al Burhan va gouverner parce que ce pays, tout le monde est dehors, tout le monde est contre”. De nombreux rassemblements en solidarité avec les manifestants soudanais anti-coup d’État ont également eu lieu dans le monde entier, de Belfast à Beyrouth, de San Francisco à Sydney.

    Quel est l’enjeu ?

    Les chefs de l’armée se sont sentis acculés dans un coin et ont décidé d’agir pour plusieurs raisons. La perspective d’un contrôle civil accru sur le processus de transition les effrayait sans doute, car cela aurait renforcé la détermination du peuple soudanais à réclamer justice pour tous les crimes commis par les généraux et autres officiers de haut rang, tant sous la dictature d’Al Bashir que depuis son éviction.

    Mais le pouvoir politique et militaire de la junte est également étroitement lié à ses intérêts commerciaux : sous l’ancien régime, les généraux, l’appareil de renseignement et les seigneurs de guerre comme le célèbre Mohamed Hamdan Dagalo (“Hemedti”) à la tête des forces de soutien rapide (FSR, une excroissance de la milice Janjaweed qui a semé le massacre au Darfour dans le passé) ont bénéficié de leur monopole sur des secteurs clés de l’économie du pays. Ils gèrent un vaste réseau d’entreprises, de propriétés résidentielles, de terres agricoles et d’autres actifs valant des milliards de dollars.

    L’administration civile de M. Hamdok était prise entre le marteau et l’enclume – entre la pression de la rue, qui souhaitait que les richesses du pays reviennent à la population en plaçant les entreprises de l’armée sous la gestion de l’État, et la pression du FMI, qui souhaitait que ces entreprises soient retirées des mains des copains d’Al Bashir pour être vendues à des investisseurs étrangers. Tous deux, à leur manière, ont frappé au cœur des intérêts financiers de la junte militaire.

    ASI exige la nationalisation complète de toutes les entreprises et de tous les actifs qui sont entre les mains de l’état-major militaire, des forces de sécurité et des FSR, et qu’ils soient placés sous le contrôle et la gestion de comités de travailleurs démocratiquement élus – comme première étape vers l’établissement d’un plan de production démocratique.

    Au-delà de la neutralisation du pouvoir économique de la contre-révolution, de telles mesures donneraient la marge de manœuvre matérielle nécessaire pour commencer à s’attaquer aux problèmes profonds de la faim, de la pauvreté et du chômage qui touchent la majorité de la population et qui n’ont fait que s’aggraver depuis le renversement du tyran Al Bashir.

    Le caractère des dirigeants officiels

    Les dirigeants civils qui ont participé à la direction du pays avec les généraux depuis l’été 2019 ont plus qu’une part de responsabilité dans le désastre économique auquel sont confrontés les pauvres et les travailleurs soudanais, et dans le fait que le pouvoir des généraux souillés de sang est resté debout jusqu’à ce jour.

    En effet, ce n’est pas la première fois que le fouet violent de la contre-révolution provoque un puissant sursaut révolutionnaire de la base de la société. Début juin 2019, la tentative des généraux de tuer la révolution dans l’œuf par leur carnage contre le sit-in devant le commandement de l’armée dans le centre de Khartoum a été suivie d’une grève générale de trois jours, solide comme le roc, exigeant la chute du Conseil militaire, et d’une “Marche des millions” à la fin du même mois.

    Mais comme l’a dit un jour le leader de la révolution russe de 1917, Léon Trotsky, la victoire dans la révolution exige “la volonté de porter le coup décisif”. Au lieu de cela, l’approche alors conciliante de ces dirigeants civils a court-circuité l’énergie révolutionnaire des masses pour aboutir à un accord de partage du pouvoir qui a laissé les généraux meurtriers aux commandes – bien que paré d’une feuille de vigne civile. Alors que les activistes révolutionnaires soudanais s’y opposaient massivement, ce compromis pourri a été tragiquement soutenu par les dirigeants du SPA et du Parti communiste soudanais de l’époque, qui faisaient tous deux partie de la coalition des “Forces pour la liberté et le changement” (FFC) – une large alliance d’opposition comprenant un éventail de partis de droite, conservateurs et libéraux pro-capitalistes.

    Nombre de ces politiciens sont devenus ministres dans l’administration civile dirigée par Hamdok, qui a travaillé main dans la main avec le FMI pour imposer une batterie de mesures d’austérité destinées à faire payer la crise économique aux travailleurs et aux pauvres, entraînant le niveau de vie du peuple soudanais dans la direction même contre laquelle il s’était soulevé en décembre 2018.

    Il devrait donc être clair que les généraux ont pu mener à bien leur récent coup d’État en raison de la trahison antérieure de ces dirigeants civils et de leur indisposition à affronter les chefs militaires contre-révolutionnaires en premier lieu, et en raison de leur disposition favorable à accepter leurs politiques impopulaires et pro-capitalistes.

    Le groupe Liberté et Changement s’est révélé être un groupement disparate, bancal et indigne de confiance, dont les tentatives pour apaiser les généraux et les seigneurs de guerre meurtriers ont complètement échoué. Alors que la polarisation entre les ailes civiles et militaires du Conseil souverain s’est accentuée au cours des derniers mois, le FFC a connu, début octobre, une scission ouverte dans ses rangs, certains de ses composants (rebaptisés “FFC-Plate-forme fondatrice”, ou FFC-FP) se ralliant aux forces de l’ancien régime et soutenant le sit-in pro-militaire organisé près du palais présidentiel à Khartoum dans les semaines précédant le coup d’État des généraux. Ce groupe dissident comprend deux factions rebelles du Darfour. Des sources crédibles attestent de la complicité des chefs de ces factions dans le coup d’État. Tous deux auraient déplacé certaines de leurs forces du Darfour vers la capitale dans les jours qui ont précédé le coup d’État afin de faciliter la sale besogne d’Al Burhan, d’Hemedti et de leurs acolytes.

    Cet épisode devrait servir à rappeler une nouvelle fois que, pour faire aboutir leurs revendications révolutionnaires, les millions de travailleurs, de jeunes et de pauvres qui luttent pour un Soudan véritablement nouveau ne peuvent compter que sur leur pouvoir collectif. En construisant leur propre force politique – un parti révolutionnaire de masse organisé autour de leurs propres revendications de classe – ils pourront exploiter ce pouvoir de la manière la plus efficace, et empêcher que leur lutte héroïque soit à nouveau trompée, détournée et trahie.

    Ceci est également pertinent à la lumière des nouvelles manœuvres frénétiques de l’impérialisme pour vendre la lutte de masse une fois de plus.

    Le rôle de l’impérialisme

    L’administration de Joe Biden, la plupart des gouvernements occidentaux, l’Union européenne, les Nations unies et l’Union africaine se sont tous joints aux condamnations publiques du coup d’État. Depuis le renversement de l’ancien président Omar el Béchir en avril 2019, aucune de ces personnes n’a eu de mal à travailler en partenariat avec les brutes qui ont construit toute leur carrière et leur fortune en versant le sang du peuple soudanais pour autant que les apparences d’un gouvernement civil étaient sauvegardées.

    Un fil conducteur se dégage de toutes les déclarations récentes des gouvernements étrangers et des institutions internationales concernant le coup d’État au Soudan : ils ne souhaitent pas le renversement effectif de la junte militaire, mais un retour au statu quo d’avant le 25 octobre. “Il est temps de revenir aux arrangements constitutionnels légitimes”, a déclaré le secrétaire général des Nations unies, Antonio Gueterres, dans un tweet, comme si ces arrangements ne venaient pas de s’effondrer sous ses yeux. En d’autres termes, ces gens veulent imposer, par-dessus la tête des masses soudanaises, un nouvel accord de partage du pouvoir avec les mêmes généraux qui viennent d’orchestrer le coup d’État, vers lesquels sont émis des appels pathétiques à faire preuve de “retenue” et de “modération”.

    Les stratèges de l’impérialisme veulent préserver la poigne des militaires en tant que police d’assurance contre la révolution soudanaise ; mais ils craignent activement que le geste unilatéral d’al Burhan et de sa clique ne déclenche des explosions populaires plus graves, avec le risque d’inspirer la classe ouvrière et les travailleurs d’autres pays. C’est le véritable sens des paroles de l’envoyé spécial des États-Unis pour la Corne de l’Afrique, Jeffrey Feltman, qui a averti les militaires soudanais qu’ils allaient “découvrir qu’il n’est pas facile de rétablir un régime militaire au Soudan”. C’est également la raison pour laquelle Volker Perthes, le représentant spécial des Nations unies au Soudan, tente depuis plusieurs jours de bricoler à la hâte un nouveau compromis avec les bourreaux de Khartoum. Les options ont apparemment tourné autour de Hamdok – qui a lui-même exigé un retour à l’accord de partage du pouvoir antérieur au coup d’État – en nommant un “cabinet de technocrates”.

    Le peuple soudanais crie par millions son rejet de tout compromis, dialogue ou partenariat avec la junte militaire, mais qu’importe : les “médiateurs” de l’impérialisme veulent leur enfoncer un tel accord pourri dans la gorge. Et ce, malgré le fait évident que la mal nommée “transition démocratique”, basée sur la façade repeinte de la machine d’oppression et d’exploitation au cœur de la dictature d’Al Bashir, a lamentablement échoué à fournir quoi que ce soit d’autre qu’un retour à la même vieille pourriture.

    La révolution soudanaise, pour réaliser ses revendications de “liberté, paix et justice”, ne peut pas lier son destin à des forces (nationales ou internationales) qui ont montré qu’elles étaient prêtes à faire des compromis avec les généraux au cours des deux dernières années, et qui se préparent à recommencer. La revendication d’un “gouvernement civil” perdrait tout son sens si elle se traduisait par un nouvel accord avec les putschistes, ou par la réanimation d’un équipage de politiciens non élus utilisés comme la cinquième roue du chariot de la contre-révolution militaire. Ceux qui font campagne pour une refonte de ces politiques ne sont guidés que par des tentatives désespérées d’empêcher les masses révolutionnaires soudanaises de déterminer elles-mêmes leur propre destin.

    Les comités de résistance

    Dans ce contexte, il est remarquable que la plupart des grands médias, lorsqu’ils rendent compte des événements qui se déroulent au Soudan, omettent de mentionner les Comités de résistance en tant que principale arène d’organisation du soulèvement.

    Ironie du sort, la répression du régime militaire a contribué à propulser ces comités de résistance sur le devant de la scène. Satti explique que l’arrestation de la plupart des dirigeants des partis “civils” – ainsi que la véritable sape de leur autorité politique parmi les sections les plus avancées du mouvement – a fait que le centre de gravité de la direction de la lutte est tombé le plus naturellement sur les épaules de ces comités de base.

    Comme ce fut le cas en juin 2019, le fait qu’internet et les réseaux mobiles aient été coupés par la junte a également poussé les opposants au coup d’État à utiliser des méthodes de mobilisation plus “traditionnelles” pour contourner la communication numérique. Pour cela, le réseau des comités de résistance locaux existant dans de nombreuses villes et villages s’est avéré extrêmement pratique pour convoquer des réunions, rallier des voisins, planifier des manifestations, distribuer des tracts. “Les militants des comités ont développé leur façon de se contacter et d’atteindre la masse de la population”, a déclaré Satti. Ces canaux de communication innovants ont même donné lieu à des appels à la grève diffusés par les haut-parleurs des mosquées.

    Ces comités révolutionnaires ont assumé diverses autres fonctions, comme l’administration des premiers soins aux manifestants blessés ou l’organisation de l’approvisionnement en nourriture – une tâche indispensable à l’organisation du mouvement dans le contexte de pénurie de produits de base, de hausse des prix et de perturbation des réseaux de distribution résultant de l’impasse actuelle. “Les comités de résistance ne sont pas partout aussi bien organisés qu’à Khartoum, mais ils se sont implantés partout au Soudan : à Atbara, à Port Soudan…” explique Satti.

    Toute révolution donne naissance à des structures collectives auto-organisées représentant la volonté des exploités et des opprimés en lutte contre l’ordre ancien. De ce point de vue, le nouvel élan donné aux comités de résistance (apparus lors d’une vague de manifestations de rue contre le régime d’al Bashir en 2013, puis surgis à plus grande échelle suite à la “révolution de décembre” de 2018) est sans doute l’indication la plus avancée du caractère révolutionnaire de la situation actuelle.

    La répression

    L’un des défis concerne la manière dont le mouvement révolutionnaire doit affronter la violence du régime du coup d’État. Bien que partiellement frustré par l’ampleur des mobilisations jusqu’à présent, un barrage de répression s’est déjà abattu sur le mouvement. Les militaires ont été impliqués dans cette répression, mais une présence et une implication particulièrement importantes des paramilitaires des FSR ont été remarquées. Ces derniers se sont avérés être un bélier contre-révolutionnaire plus fiable pour la junte militaire que les troupes ordinaires.

    Une vaste campagne de détentions a frappé les manifestants, les activistes, les journalistes et les partisans du gouvernement civil renversé. Satti a expliqué qu’à l’approche de la “Marche des millions” de samedi, une vague d’arrestations ciblées de figures de proue des comités de résistance a également été entreprise, dans le but de décapiter la résistance anti-coup d’État. Alors que de nombreux activistes révolutionnaires et manifestants croupissent en prison, les dirigeants militaires ont également libéré récemment certains des piliers les plus honnis du régime d’Al Bashir, notamment l’ancien ministre des Affaires étrangères, certains responsables du renseignement et un religieux réactionnaire pro-Daech.

    Au cours de la semaine dernière, de nombreux cas de tirs à balles réelles, de meurtres et de tortures ont eu lieu. Samedi, plusieurs autres manifestants ont été tués, des centaines ont été blessés par balles, et certains services d’urgence d’hôpitaux auraient été pris d’assaut par des voyous des FSR pour empêcher les manifestants blessés de se faire soigner.

    Différents chiffres circulent quant au nombre exact de morts. Mais l’ampleur des atrocités est difficile à mesurer, même pour les militants sur le terrain, en raison de l’absence de rapports détaillés et de la fermeture des communications par Internet et par téléphone. Netblocks, qui surveille les coupures d’Internet dans le monde, a signalé qu’à l’exception d’une fenêtre de quatre heures, Internet a été coupé dans tout le pays depuis la prise du pouvoir par les militaires.

    Jusqu’à présent, la répression déclenchée contre le mouvement semble avoir surtout ajouté de l’huile sur le feu de la colère des masses. “Cela ne nous fera pas reculer, cela ne fait que renforcer notre détermination”, a commenté un manifestant à Khartoum, cité par Ahram.org. Toutefois, à moins que le mouvement révolutionnaire ne passe à l’offensive et n’élabore un plan pour démanteler la machinerie meurtrière aux mains des putschistes, ceux-ci n’hésiteront pas à la déchaîner à nouveau contre le mouvement, avec des conséquences potentiellement terribles.

    Les appels populaires pour que le soulèvement reste pacifique sont compréhensibles, car les Soudanais sont fatigués des guerres et des effusions de sang sans fin. Mais les bouchers à la tête de l’armée et des FSR ne renonceront jamais de leur propre chef à la violence contre-révolutionnaire. Ils ont montré à maintes reprises qu’ils sont prêts à utiliser la forme la plus extrême de violence pour défendre leur pouvoir et leurs profits. Une nouvelle effusion de sang ne peut être évitée que si les masses les désarment complètement.

    En attendant, la révolution ne peut pas se protéger contre un régime génocidaire en ayant les mains liées dans le dos. Pour se préparer aux futurs affrontements inévitables avec la contre-révolution, des comités d’autodéfense populaire disciplinés et organisés collectivement doivent être formés de toute urgence dans chaque quartier, lieu de travail et village.

    Les Comités de résistance existants, ainsi que le SPA et les syndicats combattifs, ont un rôle primordial à jouer dans la formation de cet ensemble.

    La neutralisation complète des loyalistes du régime nécessitera également de convaincre les soldats de base – dont beaucoup ont exprimé des sympathies pour la révolution dans le passé et souffrent directement de la profonde crise économique – de refuser d’être utilisés comme chiens de garde d’une élite oppressive et corrompue, et de rejoindre la lutte révolutionnaire en nombre significatif. L’appel lancé aux rangs de l’armée pour qu’ils s’organisent en comités de soldats révolutionnaires, sur la base d’un programme de revendications sociales résolues, contribuerait grandement à couper court aux manœuvres de la junte visant à riposter violemment au mouvement lorsque l’occasion se présentera.

    La lutte pour le pouvoir

    Il est important de rechercher activement la formation de comités d’auto-organisation révolutionnaires similaires dans toutes les entreprises, usines et lieux de travail, élus démocratiquement par les assemblées de travailleurs en grève. De cette façon, la classe ouvrière, en plus de décider de la poursuite des grèves comme de nombreux secteurs l’ont déjà fait, peut également se préparer à prendre le contrôle de la vie économique du pays des mains des patrons pro-régime et des hommes d’affaires corrompus.

    En s’étendant sur les lieux de travail et dans les casernes, et en s’unissant à l’échelle du pays tout entier, les comités de résistance pourraient devenir un centre sérieux d’autorité politique concurrent au pouvoir des généraux, déjouer les sales tours de l’impérialisme et de ses agents locaux, et leur disputer le pouvoir.

    Au lieu de la mascarade truquée qui serait le résultat inévitable des élections maintenant “promises” par al Burhan, des élections véritablement démocratiques pourraient être organisées sous le contrôle du peuple soudanais par l’intermédiaire de leurs comités, dans le but de convoquer une assemblée constituante révolutionnaire de représentants démocratiquement élus de toutes les régions du Soudan, directement responsables devant le mouvement de masse. Une voie serait alors tracée vers un gouvernement révolutionnaire des classes ouvrières, des paysans pauvres et de tous les peuples opprimés, qui ferait le procès de la junte militaire et la démettrait de toutes ses positions – au sein de l’État, des forces armées et de l’économie – et commencerait à reconstruire la société sur une base entièrement nouvelle.

    En répudiant totalement la dette, en expropriant les richesses de l’ancien régime et en planifiant l’économie en fonction des besoins sociaux, la révolution empiéterait de manière décisive sur les intérêts capitalistes dans le pays, et marcherait vers un Soudan socialiste libre sur une base volontaire. Cela garantirait également le soutien total des travailleurs et des masses opprimées de la région et du monde entier.

  • « Normalisation » Soudan / Israël : au lieu de la paix, l’extorsion impérialiste et l’oppression nationale

    Stop à l’extorsion impérialiste du peuple soudanais ! Stop à l’occupation et à l’oppression des Palestiniens ! Pour la solidarité internationale et la lutte commune de la classe ouvrière et des pauvres contre le système capitaliste qui perpétue la pauvreté, l’oppression et les conflits nationaux ! Luttons pour une alternative socialiste !

    Déclaration conjointe de “Socialist Struggle” (section d’Alternative Socialiste Internationale en Israël-Palestine) et des partisans d’ASI au Soudan // Vous pouvez également accéder à cette déclaration en arabe et en hébreu.

    Le vendredi 23 octobre, une déclaration commune au nom des gouvernements des États-Unis, du Soudan et d’Israël a commencé par des éloges cyniques sur la façon dont “après des décennies de vie sous une dictature brutale, le peuple soudanais prend enfin les choses en main”. Suite à la décision de Trump de retirer le Soudan de la liste américaine des “États qui parrainent le terrorisme”, les États-Unis et Israël “ont convenu de s’associer au Soudan dans son nouveau départ”, et le Soudan et Israël ont déclaré entamer une “normalisation” progressive de leurs relations, en commençant par le plan économique. Les nouveaux alliés promettent également de faire progresser la “l’abandon de la dette” et “l’amélioration de la sécurité alimentaire” pour le Soudan. La déclaration se termine par les félicitations des signataires des trois pays pour leur “approche audacieuse et visionnaire”, et en particulier l’approche pragmatique et unique de Trump pour mettre fin à un vieux conflit et construire un avenir de paix et d’opportunités pour tous les peuples de la région.

    En réalité, ces représentants impopulaires d’oligarchies corrompues et oppressives enveloppent leur nouvelle alliance officielle d’une propagande de “paix” visant à renforcer leurs positions et à surmonter l’opposition populaire à leurs gouvernements. Dans le contexte de la pandémie, de la récession mondiale et des conflits mondiaux et régionaux qui font rage, ce nouvel accord est le produit d’un chantage impérialiste pur et simple de la part des gouvernements capitalistes américain et israélien. Ils ont profité de la fragilité de la situation politique au Soudan et de l’état calamiteux de son économie pour satisfaire leurs propres intérêts géopolitiques – ainsi que du besoin de Trump de réaliser un nouveau coup de publicité à l’approche des prochaines élections présidentielles.

    L’extorsion impérialiste du Soudan

    L’annonce de Trump sur le retrait du Soudan de la liste des “États qui parrainent le terrorisme” a été utilisée comme l’instrument ultime de cette opération de chantage. Cette décision est censée permettre au Soudan d’accéder pleinement aux prêts des agences financières internationales comme le FMI et la Banque mondiale. Il a été convenu en échange d’une compensation de 335 millions de dollars, par le gouvernement soudanais, aux familles des victimes américaines des attaques terroristes qui ont eu lieu dans les années 1990 sous la supervision du régime dictatorial d’Omar al-Bashir.

    Les travailleurs et les pauvres du Soudan ont souffert pendant de nombreuses années des sanctions américaines punitives en plus de la misère et de la tyrannie infligées par le régime d’Omar el-Béchir. Mais le gouvernement américain, bien sûr, n’offre aucune compensation pour les années de délabrement économique, ni pour le bombardement de l’usine a-Shifa en 1998. Pourtant, même l’accord de compensation n’a pas été suffisant pour l’administration Trump, qui a également posé comme condition l’établissement de relations officielles avec l’Etat israélien, révélant sans vergogne la manipulation de cette question pour imposer un accord par-dessus de la tête du peuple soudanais. Ce chantage ne cessera pas après cet accord de normalisation, car il implique des relations néocoloniales de soumission vis-à-vis de l’agenda des puissances impérialistes mondiales et régionales, les États-Unis et Israël, en plus de l’intervention en cours de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis.

    L’idée selon laquelle cet accord livrerait des avantages économiques substantiels aux travailleurs et aux pauvres soudanais n’est que poudre aux yeux. Ces arguments sont utilisés par la même élite politique et militaire qui a présidé à l’appauvrissement continuel de la société soudanaise au cours de l’année écoulée, marquée par une inflation record, un chômage en hausse, des pénuries croissantes de produits de base essentiels et une série de mesures anti-pauvres, telles que la suppression des subventions aux carburants. Ces politiques ont été encouragées par le FMI. Aujourd’hui, emprunter de l’argent sur les marchés internationaux ne fera qu’aggraver les problèmes, car cela est assorti de “conditions”. Malgré la suppression des sanctions internationales, le nouvel accord avec l’impérialisme américain facilitera l’exploitation économique du Soudan par les multinationales ainsi que l’extorsion financière par les spéculateurs étrangers.

    Nourrir les conflits régionaux et l’oppression

    Cette fausse paix de Trump ne représente qu’une couverture marketing pour des politiques visant à alimenter les conflits régionaux de ces dernières années par l’ingérence impérialiste, dont l’escalade délibérée du conflit avec l’Iran, le soutien à l’agression saoudienne et israélienne, et le lancement d’attaques contre les Palestiniens. Ce dernier point n’est même pas mentionné dans la déclaration conjointe signée par les dirigeants des Etats-Unis, d’Israël et du Soudan.

    Le nouvel ami des généraux soudanais, Netanyahu, a été le fer de lance d’innombrables attaques militaires contre la population de Gaza. Il porte la responsabilité du meurtre de manifestants et de civils palestiniens de tous âges. Il a poursuivi l’expansion des colonies israéliennes en Cisjordanie occupée et à Jérusalem-Est. Il est responsable de politiques racistes à l’encontre des citoyens arabo-palestiniens d’Israël. Nétanyahou n’a accepté que de “reporter” sa récente menace d’annexer officiellement de larges parties de la Cisjordanie à l’État israélien, tout en se vantant que son régime n’avait pas à faire de réelles concessions aux Palestiniens.

    Du côté soudanais, Al-Burhan est l’homme qui dirigeait le Conseil militaire l’année dernière lors du massacre de juin, lorsque des dizaines de manifestants révolutionnaires ont été impitoyablement assassinés, torturés et violés par les milices des Forces de soutien rapide (FRS), elles-mêmes héritières des Janjawids, tristement célèbres pour les crimes de génocide au Darfour (dans lesquels Al-Burhan lui-même était impliqué). Ces forces sont maintenant intégrées dans le “nouvel” appareil d’État prétendument “réformé”. Sous le régime d’al-Burhan et de ses partenaires civils au pouvoir, les FSR et d’autres mercenaires soudanais continuent également d’intervenir dans les guerres civiles du Yémen et de Libye, en accord avec les intérêts de l’Arabie saoudite et de ses alliés.

    Les “Accords d’Abraham” dirigés par Trump (une série d’accords de normalisation, à des degrés divers, entre le capitalisme israélien et les États arabes) sont conformes aux politiques réactionnaires de Trump, Netanyahu et des dirigeants arabes qui sapent la paix et les moyens de subsistance des masses pauvres et ouvrières du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. L’irruption soudaine de ce processus régional a suivi le “deal of the century” (accord du siècle) de Trump. Ce prétendu “plan de paix” visant à résoudre le conflit israélo-palestinien revient à renforcer l’occupation israélienne et à couvrir les mouvements officiels de “normalisation” entre Israël et les États arabes.

    Ces nouveaux accords représentent une nouvelle étape dans un long processus de convergence stratégique entre les régimes capitalistes pro-américains israéliens et arabes, notamment autour de la rivalité commune avec le régime iranien. Ce processus est impopulaire parmi les masses arabes, principalement en raison de la solidarité massive contre l’oppression des Palestiniens. Mais les crises profondes et l’instabilité régionale auxquelles les régimes arabes sont confrontés ont poussé deux monarchies du Golfe, et maintenant le Soudan en tant que “maillon faible”, à saisir cette opportunité politique en échange d’avantages économiques et militaires promis par les États-Unis et Israël.

    La contre-révolution piétine des millions de Palestiniens

    Ainsi, la prétendue condition préalable essentielle à la normalisation fixée par la soi-disant “Initiative de paix arabe” de 2002 – le retrait israélien de la Cisjordanie et de Gaza, et la création d’un État palestinien avec sa capitale à Jérusalem-Est – est révoquée. C’est à Khartoum que la Ligue arabe a déclaré, après l’occupation impérialiste lors de la guerre israélo-arabe de 1967, “pas de réconciliation, pas de reconnaissance, pas de négociation” avec Israël. Même cette rhétorique anti-impérialiste ne visait pas à répondre aux intérêts des masses opprimées de la région, et les dirigeants de la Ligue arabe eux-mêmes n’y ont même pas pleinement cru. Le sort des masses palestiniennes a finalement été cyniquement exploité par les régimes réactionnaires arabes pour détourner et canaliser le mécontentement des masses arabes. Aujourd’hui, même cette prétention est abandonnée.

    La propagande impérialiste présente la nouvelle donne comme faisant partie d’un processus progressiste réalisé par la révolution soudanaise. Ce changement d’alliance a toutefois débuté il y a longtemps, sous le règne d’Al-Bachir. Le bilan de l’intervention israélienne dans les guerres civiles soudanaises et, plus tard, les frappes aériennes militaires attribuées à Israël sur le sol soudanais, n’ont pas dérangé l’ancien régime d’al-Bashir lorsqu’il a précisé, dès janvier 2016, qu’il souhaitait une normalisation avec Israël. Cela s’est fait dans le contexte d’un changement d’alliance avec l’Iran pour s’aligner sur l’axe régional dirigé par les Saoudiens. Le régime a alors cherché à surmonter les sanctions impérialistes internationales et américaines, et à obtenir un meilleur accès aux armes et aux technologies de sécurité israéliennes, tout comme son homologue du Sud-Soudan. Le régime de Netanyahou, pour sa part, a fait pression pour le régime d’al-Bashir à Washington et ailleurs.

    Après le renversement d’Al-Bachir, les généraux soudanais qui ont détourné la révolution, soutenus par l’Arabie Saoudite et les UAE, ont continué à examiner une alliance officielle avec Israël, dans le cadre d’un accord plus large avec l’impérialisme américain. Ainsi, le général al-Burhan a rencontré Netanyahu en février dernier, avec la participation des UAE. Ce n’est que la crainte d’une opposition populaire de la part de la branche civile du gouvernement soudanais qui a bloqué le mouvement. Mais à la fin, ils ont capitulé.

    Le nouvel accord signifie que le gouvernement soudanais fermera les yeux sur l’occupation israélienne et les crimes commis contre la population palestinienne en échange de faveurs économiques et politiques discutables. Nous n’avons jamais eu d’illusions envers le gouvernement antidémocratique soudanais concernant sa participation à la solidarité vis-à-vis de la lutte du peuple palestinien contre l’occupation. Avec cet accord, la classe dirigeante soudanaise a ouvertement exposé son véritable rôle contre-révolutionnaire. Elle a ouvertement rejoint la contre-révolution régionale en tant qu’ennemie de la lutte de libération palestinienne et de la lutte des masses de toute la région.

    Le danger pour les demandeurs d’asile

    Le gouvernement capitaliste israélien fait maintenant pression pour un accord visant à transférer au Soudan 6.285 demandeurs d’asile qui ont fui le Soudan vers Israël. Nombre d’entre eux ont été persécutés et ont subi un génocide durant les années du règne d’Al-Bachir. Ils ont été victimes de racisme de la part du régime de droite israélien qui utilise la logique de “diviser pour régner” envers les communautés locales appauvries. Pendant plus d’une décennie, une seule (!) de leurs 4.500 demandes individuelles d’asile politique a été approuvée. Des milliers d’autres ont été contraints par le régime israélien de quitter le pays sous la pression des emprisonnements, de la persécution et de la pauvreté, prétendument “volontairement”. Beaucoup ont fini par retourner au Soudan. Certains y ont été torturés, assassinés ou ont trouvé la mort en essayant à nouveau de fuir le pays.

    Malgré l’accord de paix officiel déclaré en août et finalisé en octobre entre le gouvernement de transition du Soudan et le “Front révolutionnaire soudanais” (SRF), une guerre civile fait toujours rage dans la région du Darfour, des attaques meurtrières contre des civils ayant été enregistrées ces dernières semaines. Tout retour forcé des demandeurs d’asile, y compris des enfants nés et élevés dans la société israélienne, ne ferait qu’infliger de nouveaux traumatismes et mettre davantage de vies en danger.

    Pas de mandat pour les généraux soudanais

    Cet accord de normalisation avec Israël ne fait que souligner davantage le fait que le gouvernement “transitoire” de Hamdok au Soudan ne parle pas au nom de la majorité du peuple soudanais, qui rejette massivement une telle démarche. Le processus de “normalisation” doit se traduire à ce stade par des relations officielles de faible niveau entre les deux États précisément en raison du manque de soutien démocratique au Soudan. Selon l’”Arab Opinion Index” 2019-2020, seuls 13 % des Soudanais interrogés sont favorables à la normalisation des relations entre le Soudan et le régime d’occupation israélien. Quelques heures après l’annonce de l’accord, des protestations spontanées ont éclaté dans plusieurs localités du Soudan, et d’autres ont suivi depuis lors.

    Cet accord fait suite à l’annonce du gouvernement soudanais selon laquelle la normalisation était du ressort du “Conseil législatif” (qui n’a pas encore été mis en place) et que, par conséquent, il n’irait pas de l’avant, selon le porte-parole officiel du gouvernement. L’accord expose complètement les manœuvres du gouvernement et ses mensonges continuels aux masses soudanaises.

    La confusion et l’apparente volte-face dans la prise d’une telle décision illustrent également les tensions entre les deux ailes du conseil de souveraineté conjoint, et l’équilibre des pouvoirs entre elles. L’accord de partage du pouvoir signé l’année dernière entre le Conseil militaire et les “Forces de la Déclaration de liberté et de changement”, auquel les partisans d’Alternative Socialiste Internationale au Soudan se sont fermement opposés dès le début, était un accord permettant aux militaires contre-révolutionnaires, liés aux crimes et aux guerres de l’ancien régime, de participer directement au gouvernement, de prendre des décisions politiques et de maintenir leur emprise sur la façon dont le pays est dirigé après le renversement d’Al-Bachir.

    Le fait que la timide “résistance” au processus de normalisation initialement affichée par l’aile civile du gouvernement ait été si rapidement contournée permet de savoir clairement qui détient réellement le pouvoir dans le pays. Le Premier ministre Hamdok, qui n’a cessé d’insister sur le fait que les autorités de transition n’avaient pas le “mandat populaire” pour mener à bien une telle décision, a complètement capitulé devant les généraux.

    Le gouvernement de Hamdok lui-même n’a jamais reçu de “mandat populaire” pour commencer. Certains des dirigeants des “Forces de la liberté et du changement” ont rejeté la décision de normalisation, menaçant même de mettre fin à l’arrangement gouvernemental actuel si l’accord se concrétisait. À vrai dire, cette décision n’aurait jamais dû être prise au départ ! Alors qu’ils ont apporté leur soutien aux politiques pro-capitalistes du gouvernement pendant plus d’un an, ces dirigeants craignent maintenant, pour de bonnes raisons, la réaction de la rue. Ils craignent que cet accord pourri ne jette une allumette sur les flammes de la révolte contre ce même gouvernement de plus en plus impopulaire, qui doit faire face à une opposition et une colère croissantes dans les rues pour son incapacité à répondre aux aspirations et aux exigences de la révolution de décembre.

    L’alternative internationaliste et socialiste

    Toutes celles et ceux qui aspirent à s’attaquer aux difficultés économiques des masses et aux schismes et conflits nationaux, ethniques et religieux dans la région doivent s’opposer à la campagne de “paix” régionale frauduleuse menée par Trump et l’impérialisme américain. Qu’est-ce que ce processus “normalise” ? Les relations entre un camp des classes dominantes qui défend ses propres intérêts étroits alors qu’il repose sur l’extorsion impérialiste, nourrit les conflits régionaux et renforce l’oppression des masses palestiniennes.

    La diplomatie secrète antidémocratique, les intrigues impérialistes et les régimes oligarchiques corrompus constituent une menace quotidienne pour la vie, la santé, les revenus, le bien-être et l’avenir des masses dans toute la région. Aux alliances entre les oligarchies de la région devrait s’opposer la solidarité inter-communautaire et internationale des mouvements de la classe ouvrière, des opprimés et des jeunes de toute la région.

    Les socialistes se battent pour les intérêts de la classe ouvrière et des masses opprimées de toutes les nations, pour un bon niveau de vie, des droits démocratiques pleins et égaux et la paix. Nous sommes favorables à la poursuite de la révolution au Soudan sur la base des aspirations des masses à un changement réel. Nous appelons à s’opposer sans relâche à l’oppression des masses palestiniennes et à soutenir leurs aspirations démocratiques à la libération nationale de l’occupation militaire, du siège et de l’agression, des colonies de peuplement, de l’asservissement économique et de la suppression des droits par le capitalisme israélien. C’est aussi la seule façon pour les travailleurs et les pauvres israéliens – qui ont lutté face à la crise capitaliste actuelle – de trouver une issue à un conflit sanglant, pour le remplacer finalement par une paix véritable, sur base de droits égaux à l’existence, du droit à l’autodétermination, à la démocratie et à un niveau de vie élevé. En outre, nous sommes solidaires des demandeurs d’asile qui ont fui le Soudan et nous demandons la reconnaissance de leurs droits, y compris un retour au Soudan uniquement sur une base volontaire.

    La transformation globale et urgente de la vie de centaines de millions de personnes dans la région ne peut être réalisée sur la base du système d’exploitation en crise du capitalisme, des grands propriétaires et de l’impérialisme. Il appartient à la classe ouvrière et aux opprimés de la région de s’organiser en partis politiques indépendants de lutte autour d’une stratégie socialiste de sortie de la crise, du conflit et de la misère de masse du capitalisme. En tant que membre d’Alternative Socialiste Internationale, nous nous engageons à faire avancer la lutte pour renverser les oligarchies corrompues. Le contrôle de toutes les ressources naturelles, des banques et des principales méga-corporations locales et impérialistes doit être pris en main par le secteur public, pour permettre une transition vers le contrôle démocratique, la planification et l’exploitation des ressources, des richesses et des technologies au service de tous, plutôt que pour l’enrichissement et les luttes de pouvoir et les guerres des élites de la région.

  • 2019 : Un tournant décisif dans un processus de révolution et de contre-révolution

    Manifestation de masse au Chili. Photo : Wikimedia Commons

    2019 marque un tournant politique certain à l’échelle mondiale. Ces derniers mois, nous avons assisté au développement de luttes de masse et de grèves générales aux caractéristiques révolutionnaires dans le monde entier. Cette explosion massive provient de la colère accumulée à l’égard des dirigeants, de leur néolibéralisme et de l’absence de démocratie. Ces manifestations ont également mis en évidence certains éléments fondamentaux d’une lutte socialiste, notamment la force de la classe ouvrière et la nécessité de l’internationalisme.

    Par Per-Ake Westerlund

    Parallèlement, les gouvernements, les dictateurs et les généraux ont prouvé que la classe dirigeante ne se retirera pas volontairement du pouvoir. Dans plusieurs pays, les manifestants pacifiques et les jeunes militants ont été confrontés à la contre-révolution armée et à la répression brutale.

    A travers le monde, la plupart des gouvernements restent silencieux quant à cette violence de la contre-révolution, ou appellent simplement au “calme”. Les médias parlent d’”affrontements violents” entre les forces de l’Etat et les manifestants. Le fait est que cette “violence” provient partout des attaques lancées par les forces étatiques contre-révolutionnaires lourdement armées, alors que les manifestants ne cherchent qu’à se défendre. En Bolivie, plus de 30 personnes ont été tuées par les forces de l’État au cours des deux dernières semaines, dont huit lors d’un massacre à El Alto le 19 novembre.

    Pour l’impérialisme et les gouvernements, ces événements représentent une vive mise en garde contre les faiblesses de leur système mondial, le capitalisme. Cette vague de protestations de masse prend place dans un contexte de forte croissance des conflits inter-impérialistes et de ralentissement probable de l’économie mondiale, tandis que la crise climatique s’aggrave.

    Les mobilisations de masse continuent de se répandre, l’Iran et la Colombie étant les lieux les plus récents où elles ont éclaté, la semaine dernière. En Iran, à la suite d’une nouvelle hausse drastique des prix du carburant, des manifestations ont eu lieu dans plus d’une centaine de villes. Le fardeau économique que supportent les travailleurs et les pauvres a immédiatement été lié à la dictature théocratique. Le chef suprême, Khamenei, est apparu à la télévision pour condamner les manifestations et défendre que les revenus supplémentaires provenant du carburant étaient destinés aux plus pauvres. La manœuvre n’a fait qu’augmenter la colère et nous avons pu voir des photos de Khamenei être brûlées par les manifestants. En Colombie, la grève générale du 21 novembre, avec 250.000 manifestants, a été suivie par d’autres manifestations dans les jours qui ont suivi pour s’opposer aux privatisations et aux coupes budgétaires dans les pensions. L’État a répondu par un couvre-feu à Bogota et une forte présence policière.

    Les comparaisons avec 2011

    Divers commentateurs ont fait des comparaisons historiques avec les années 1848 et 1968, des années de luttes révolutionnaires et pré-révolutionnaires qui se sont étendues à de nombreux pays. Des comparaisons ont également été faites avec l’année 2011, lorsque le processus de révolution et de contre révolution en Afrique du Nord et au Moyen Orient a renversé Moubarak en Egypte et Ben Ali en Tunisie. Aujourd’hui, près de neuf 9 ans plus tard, la vague de protestations de masse a un caractère beaucoup plus mondial et comporte des revendications sociales plus explicites concernant l’emploi, l’eau, l’électricité, etc.

    Sur le plan politique, les masses ont également tiré la conclusion qu’un changement de régime ne suffit pas à lui seul. Au Soudan, les leçons de l’Egypte, où une nouvelle dictature a été instaurée avec Al-Sisi à sa tête, ont conduit les masses à poursuivre leurs mobilisations après qu’Al-Bashir ait été renversé.

    Par rapport à l’année 2011 et aux autres manifestations de ces dernières années, les luttes de 2019 durent beaucoup plus longtemps. Les manifestations en Haïti ont commencé en février et à Hong Kong en juin. La “révolution d’octobre” au Liban a forcé le Premier ministre Hariri à démissionner après deux semaines, mais elle se poursuit toujours. A la mi-novembre, les employés des banques étaient en grève pour une durée indéterminée, des routes étaient bloquées dans tout le pays et les bâtiments de l’Etat étaient assiégés par des manifestations. L’Algérie a connu des manifestations de masse tous les vendredis, même après que Bouteflika ait été contraint de démissionner, avec notamment pour slogan “Nouvelle Révolution”.

    Les jeunes et les femmes ont joué un rôle de premier plan dans de nombreux cas, sans aucun doute sous l’inspiration des grèves pour le climat de la jeunesse et du mouvement mondial pour l’émancipation des femmes. 7,6 millions de personnes ont participé aux grèves pour le climat en septembre dernier. La prise de conscience sur ce thème est croissante, de même qu’au sujet de la nécessité de construire un mouvement pour obtenir un changement radical de société. Les grèves et les mouvements féministes ont également un caractère international et recourent à l’arme de la grève.

    Là où la classe ouvrière est entrée en action de manière décisive avec des grèves générales et des vagues de grèves, le rapport de force a été très clair : la petite élite s’est retrouvée isolée face à la majorité des travailleurs et des pauvres. Cela a également souligné le rôle économique et collectif de la classe ouvrière, la seule force capable de réaliser une transformation socialiste de la société.

    De nombreuses questions s’entrecroisent dans ces mouvements ; les difficultés économiques et le manque de démocratie, l’oppression sexiste ou encore l’environnement. C’est ce qu’a très bien illustré le mouvement en Indonésie à la fin du mois de septembre. Des protestations étudiantes dans plus de 300 lieux d’études supérieures ont été déclenchées par une loi interdisant les rapports sexuels hors mariage, une loi dirigée contre les personnes LGBTQ+. Mais, immédiatement, les thèmes de la corruption et de la destruction des forêts tropicales ont été intégrés dans les mobilisations.

    “Amusantes et excitantes”

    Les “experts” bourgeois ont de grandes difficultés à expliquer ces mouvements. L’agence de presse Bloomberg souligne qu’il ne s’agit pas de protestations de la classe ouvrière, mais plutôt de “consommateurs” réagissant contre une hausse du coût du carburant, des taxes ou des frais de déplacement. Cela sous-estime totalement les fortes revendications politiques des mouvements. Il est toutefois à noter que, dans la plupart des pays, un mouvement des travailleurs fort, organisé et unifié reste encore à construire.

    La revue The Economist rejette l’idée que ces mobilisations puissent être liées au néolibéralisme et aux politiques appliquées par les gouvernements. Il défend qu’il est “inutile de rechercher un thème commun”, affirme que ces mobilisations sociales peuvent être “plus excitantes et encore plus amusantes que la vie quotidienne épuisante” et avertit que “la solidarité devient une mode”. Cela n’explique rien bien entendu. Pourquoi donc ces protestations de masse prennent-elles place précisément aujourd’hui ? Pourquoi ce genre de “plaisir” n’a-t-il pas toujours été si apprécié ?

    En tant que marxistes, nous devons considérer et analyser à la fois les dénominateurs communs, les forces et les faiblesses de ces mouvements ainsi que les différentes forces de la contre-révolution. Des particularités nationales sont bien entendu à l’oeuvre, mais il existe également de nombreuses caractéristiques communes.

    Que trouve-t-on derrière cette explosion de colère ?

    Il s’agit d’un tournant mondial créé par les profondes crises politiques et économiques que subit le capitalisme, par les impasses et le déclin auxquels ce système est confronté. Le Comité pour une Internationale Ouvrière (majoritaire) a déjà la question dans de nombreux débats et documents. La classe dirigeante s’appuie politiquement sur le populisme et le nationalisme de droite, dans un système économique de plus en plus parasitaire. La classe capitaliste ne dispose d’aucune issue.

    Contre qui ces manifestations de masse sont-elles dirigées ? Qu’est-ce qui se cache derrière la colère explosive ?

    1) On constate une haine extrême des gouvernements et des partis. Au Liban, le slogan dominant est “tout doit partir”. Contrairement au grand mouvement de 2005, cette revendication s’adresse désormais aussi au Hezbollah et à son leader, Nasrallah. En Irak, le mouvement veut interdire à tous les partis existants de se présenter aux prochaines élections, y compris le mouvement de Muqtada al-Sadr qui a su instrumentaliser les précédentes mobilisations sociales. Les étudiants de Bagdad ont arboré une banderole intitulée “Pas de politique, pas de partis, ceci est un réveil étudiant”. Au Chili, les gens crient dans la rue “Que tous les voleurs s’en aillent”. L’opposition aux gouvernements s’est également manifestée en République tchèque le week-end dernier, 300.000 personnes manifestant contre le président milliardaire.

    2) Cette haine repose sur des décennies de néolibéralisme et de baisse des conditions de vie ainsi que sur l’absence de perspectives d’avenir. Le Fonds monétaire international (FMI) conseille de continuer à appliquer les recettes néolibérales en réduisant les subventions publiques, ce qui fut précisément à l’origine des révoltes au Soudan et en Équateur. Au Liban, 50 % des dépenses de l’État sont consacrées au remboursement de la dette. De nouvelles mesures d’austérité ont également constitué l’élément déclencheur en Haïti, au Chili, en Iran, en Ouganda et dans d’autres pays. Ce n’est qu’une question de temps avant que cela n’atteigne d’autres pays, le Nigeria par exemple. Tout cela est lié à l’extrême augmentation des inégalités, Hong Kong et le Chili en étant des exemples clés.

    Les grèves et les manifestations

    Les luttes présentent de nombreuses caractéristiques communes et importantes.

    1) Dans de nombreux pays, tout a commencé avec d’énormes manifestations pacifiques. Deux millions de personnes ont manifesté à Hong Kong en juin (sur une population totale de 7,3 millions d’habitants), de même que plus d’un million au Chili et au Liban ou encore plusieurs centaines de milliers sur la place Tahrir à Bagdad. Dans la plupart des cas, ces protestations ne se sont pas limitées aux capitales ou aux grandes villes, mais se sont étendues à des pays entiers.

    2) Les grèves générales ont été décisives pour renverser des régimes ou les faire vaciller. L’année 2019 a débuté avec une grande grève générale en Inde (150 millions) et s’est poursuivie en Tunisie, au Brésil et en Argentine. Cet automne, des grèves générales ont eu lieu en Équateur, au Chili (par deux fois), au Liban, en Catalogne et en Colombie. Des grèves à l’échelle d’une ville ont également eu lieu à Rome et à Milan. L’Irak a connu de grandes grèves des enseignants, des dockers, des médecins, etc. Les bâtiments du gouvernement ont été occupés (à l’instar de la banque centrale du Liban à Beyrouth) ou incendiés dans de nombreuses villes irakiennes. Des routes ont été bloquées en Irak et au Liban, comme au Pérou, où les populations autochtones luttent pour stopper les projets miniers qui menacent l’environnement. La méthode des barrages routiers a également été utilisée par les Gilets Jaunes en France.

    3) De nouvelles méthodes sont nées de la lutte tandis que les traits d’une nouvelle société étaient esquissés. A Bagdad, la place Tahrir a repris la tradition née de l’occupation de la place du même nom en Egypte en 2011. Une grande tente y sert d’hôpital, des transports gratuits sont organisés autour de l’occupation et un journal est même édité quotidiennement. Des assemblées populaires ont vu le jour en Équateur et des assemblées locales ont également émergé au Chili. Au Liban, les étudiants ont quitté les universités pour aller enseigner dans les villes. A Hong Kong, les jeunes ont inventé un certain nombre de méthodes à utiliser dans les affrontements de rue, pour faire face aux gaz lacrymogènes et à la répression.

    4) La division sectaire a été surmontée par la lutte menée en commun, une caractéristique typique des luttes révolutionnaires. Au Liban, les musulmans chiites et sunnites luttent aux côtés des chrétiens. En Irak, les chiites et les sunnites se battent également ensemble, même si les mobilisations concernent encore surtout les régions chiites du pays. En Amérique latine, les organisations indigènes jouent un rôle de premier plan en Équateur, au Pérou et au Chili de même que dans la résistance au coup d’État en Bolivie.

    5) L’internationalisme est présent de manière évidente dans ces mouvements. Des déclarations de solidarité ont été envoyées d’Irak vers les manifestations en Iran. En Argentine, une grande manifestation a eu lieu à Buenos Aires contre le coup d’Etat en Bolivie.

    De premières victoires

    Les mouvements ont remporté des victoires conséquentes et obtenus des concessions sérieuses. Des dictateurs de longue date ont été renversés au Soudan et en Algérie, le gouvernement équatorien a fui la capitale, des ministres ont démissionné au Liban, au Chili et en Irak. Au Chili, le président Pinera a d’abord affirmé que le pays était “en guerre” contre les protestations, puis a dû “s’excuser” et retirer toutes les mesures qui ont déclenché le mouvement. De même, en France, Macron a été contraint de revenir sur le prix du carburant et d’augmenter le salaire minimum en réponse aux protestations des Gilets jaunes. Dans la plupart des cas, ces reculs de la part des autorités n’ont pas empêché les protestations de se poursuivre.

    Hong Kong 

    La lutte à Hong Kong se distingue des autres à bien des égards. Nous disposons de camarades sur le terrain qui peuvent nous livrer des analyses et des informations de première main. Cette lutte a été marquée par l’incroyable détermination et le courage de la jeunesse. Le fait que Hong Kong soit gouverné depuis Pékin signifie que les reculs et concessions que les gouvernements d’autres pays ont effectués ne sont pas à l’ordre du jour à Pékin.

    En août, les camarades du CIO (majoritaire) ont averti de l’instauration d’un “état d’urgence rampant”. À la mi-novembre, cela a changé lorsque Xi Jinping a donné de nouvelles directives : les protestations devaient cesser. Le régime espérait épuiser le mouvement et recourir ensuite à la répression (comme cela avait été le cas avec le mouvement des Parapluies en 2014). Mais, au lieu de cela, le mouvement de protestation a créé une nouvelle crise majeure pour le pouvoir de Xi.

    La répression a atteint un nouveau niveau, avec des scènes de guerre les lundi 18 et mardi 19 novembre lorsque les policiers menaçaient de tirer à balles réelles et que les étudiants retranchés dans les campus universitaires tentaient de se défendre avec des cocktails Molotov et des arcs à flèches. Mardi matin, une offensive de la police a utilisé plus de 1.500 bombes lacrymogènes. Les étudiants de l’université PolyTech ont été contraints de se rendre à la police. Plus d’un millier de jeunes ont été arrêtés. Ils risquent dix ans de prison.

    Le soutien populaire impressionnant qui existe pour la lutte de la jeunesse a pris la forme de manifestations de solidarité mais il a également été illustré par la cuisante défaite subie par les partis pro-gouvernementaux lors des élections locales des districts de Hong Kong le dimanche 24 novembre.

    La lutte impressionnante menée à Hong Kong doit se poursuivre. Les tâches auxquelles le mouvement fait face sont l’organisation démocratique du mouvement, l’organisation d’une véritable grève générale et, chose décisive, l’extension du combat à la Chine continentale. La tactique des étudiants ” Sois comme l’eau” – sans forme et sans dirigeants – a donné quelques avantages dans les luttes de rue et a permis aux jeunes de contrecarrer le rôle de blocage des libéraux pan-démocrates. Mais cette approche s’est révélée incapable de porter la lutte au nouveau stade aujourd’hui nécessaire. La faiblesse des syndicats et l’absence de grève sur une longue période représentent des éléments compliquant. Politiquement, cela peut donner lieu à des illusions dans la “communauté internationale” et en particulier dans l’impérialisme américain et Trump. Cela permet également de continuer à croire en une “solution propre à Hong Kong” distincte du reste de la Chine.

    Les complications de cette période

    Au cours des débats et de la scission qui ont eu lieu au sein du Comité pour une Internationale Ouvrière cette année, la discussion sur la conscience des masses a joué un rôle important. La direction de notre ancienne section espagnole, qui a quitté notre internationale en avril, a sous-estimé les problèmes du faible niveau de conscience socialiste tandis que le groupe qui est parti en juillet a surestimé ce problème. Ce dernier groupe a donc préféré se réfugier dans l’attente d’un mouvement “authentique” au lieu de vouloir intervenir dans les mouvements actuels. Comprendre le rôle décisif que joue la classe ouvrière organisée ne signifie pas d’ignorer d’autres mouvements sociaux importants.

    La conscience peut progresser par bonds à partir de l’expérience acquise dans les luttes. C’est un processus qui a déjà commencé. Mais, dans l’ensemble, il manque aux luttes de masse d’aujourd’hui l’organisation et la direction nécessaires pour élaborer une stratégie de transformation socialiste de la société. Aucun parti des travailleurs ou de gauche capable de remplir cette tâche ne s’est développé jusqu’à présent. Les nouvelles formations de gauche ont été volatiles et politiquement faibles, comme l’illustre encore le récent exemple de Podemos qui a rejoint le gouvernement dirigé par le PSOE (social-démocrate) dans l’Etat espagnol.

    Comparer la situation actuelle avec l’année 1968 souligne à quel point le mouvement des travailleurs – partis ouvriers et syndicats – a reculé en termes de base militante active. Cela signifie cependant également que les partis communistes staliniens et la social-démocratie disposent de moins de possibilités de bloquer et de dévier les luttes qu’à l’époque.

    La contre-révolution

    Il a également été démontré cet automne que la classe capitaliste n’hésite pas à recourir à la répression contre-révolutionnaire la plus brutale pour se maintenir au pouvoir. Elle préfère opérer via d’autres moyens, plus pacifiques, mais elle est prête à recourir à la violence si nécessaire.

    • En Bolivie, un coup d’État militaire a eu lieu avec le soutien de l’impérialisme américain et du gouvernement brésilien dirigé par Bolsonaro. La nouvelle “présidente” Anez a été “élue” par moins d’un tiers du Parlement. Les gouvernements européens ont exprimé leur “compréhension” vis-à-vis de ce coup d’Etat.
    • Plus de 300 personnes ont été tuées et 15.000 blessées en Irak au cours du mois dernier.
    • 285 personnes ont reçu une balle dans les yeux au Chili. En France, au printemps, 40 personnes ont été éborgnées de la sorte.
    • En Guinée, en Afrique de l’Ouest, 5 personnes ont été tuées et 38 autres blessées lors de manifestations contre le président Alpha Conde qui se présente pour un troisième mandat. Les mobilisations se poursuivent.

    Le risque d’une répression majeure par une intervention de l’armée chinoise à Hong Kong demeure, même si le danger d’un massacre similaire à celui de la place Tiananmen en 1989 ne s’est pas encore concrétisé. Par ailleurs, le risque d’un retour du sectarisme communautaire au Liban ou en Irak constitue un réel danger.

    La classe dirigeante veut aussi désarmer les mobilisations et les faire dérailler en abusant des élections ou des négociations. En Argentine, ce fut clairement le cas récemment. Les candidats péronistes, Fernandez et Fernandez-Kirchner, ont remporté les élections. L’objectif principal des masses était d’évincer Macri, l’ancien grand espoir du capitalisme en Amérique latine dont la présidence a été marquée par l’arrivée d’une nouvelle crise financière profonde. Le nouveau gouvernement péroniste ne bénéficiera cependant pas de répit puisqu’il continuera à mettre en œuvre les politiques du FMI.

    Au Soudan, les dirigeants officiels des mobilisations ont signé un accord sur le partage du pouvoir avec l’armée en passant par dessus la tête des masses. Le pouvoir réel a été laissé au général Hemeti. Aujourd’hui, les mobilisations se développent contre cet accord et contre le pouvoir des généraux.

    Au Chili, l’une des principales revendications du mouvement était l’adoption d’une nouvelle constitution, puisque l’actuelle date de 1980 et de la dictature de Pinochet. Mais la revendication d’une assemblée constituante révolutionnaire de représentants démocratiquement élus sur les lieux de travail et dans les quartiers ouvriers est tout le contraire d’une assemblée comprenant le président Pinera et les partis de droite.

    La classe dirigeante dispose de mille et une manières de bloquer le développement d’une révolution. En 2011, le CIO avait mis en garde contre les illusions selon lesquelles un simple “changement de régime” pouvait mettre fin aux luttes. L’Etat, les capitalistes et l’impérialisme ont été sauvegardés et ont ouvert la voie à la contre-révolution.

    Cependant, les défaites ne durent pas aussi longtemps que dans les années 1930 ou 1970. Les manifestations de masse en Iran ont été écrasées en 2009 et de nouveau en 2017, mais elles sont à nouveau de retour. La même chose s’est produite en Irak, au Zimbabwe et au Soudan. De récentes nouvelles protestations sociales démontrent également que la situation n’est pas stable en Egypte.

    Défier le pouvoir

    Les grèves générales indéfinies et les mouvements de masse à caractère révolutionnaire soulèvent la question du pouvoir. Quelle classe sociale devrait diriger la société ?

    Pendant longtemps, dans de nombreux pays, nous appelions à une grève de 24 ou 48 heures au lieu d’une grève générale. L’idée était de préparer la classe ouvrière de cette manière, de lui permettre de sentir sa force et sa supériorité, de commencer à s’organiser et à prendre conscience de ses ennemis, de choisir des dirigeants adéquats.

    La plupart des luttes actuelles sont des luttes globales qui défient immédiatement le pouvoir de la classe capitaliste. La contre-révolution se prépare elle-même pour de telles luttes. Mais, jusqu’à présent, recourir à ses méthodes habituelles ne s’est pas fait sans problèmes.

    Comparer la situation actuelle avec la première révolution russe en 1905 est également important. La classe ouvrière avait alors démontré quelle était sa force force tandis que le pouvoir de l’Etat tsariste était suspendu dans les airs. Une confrontation finale était inévitable.

    Les libéraux et les menchéviks ont accusé les soviets (conseils, en russe) et en particulier les bolchéviks de trop parler d’insurrection armée. Lénine répondit : “La guerre civile est imposée à la population par le gouvernement lui-même”. Trotsky, dans sa défense devant le tribunal qui l’a inculpé après la révolution de 1905, a déclaré quant à lui : “préparer l’inévitable insurrection (…) signifiait pour nous d’abord et avant tout, d’éclairer le peuple, de lui expliquer que le conflit ouvert était inévitable, que tout ce qui lui avait été donné lui serait repris, que seule la force pouvait défendre ses droits, que des organisations puissantes de la classe ouvrière étaient nécessaires, que l’ennemi devait être combattu, qu’il fallait continuer jusqu’au bout, que la lutte ne pouvait se faire autrement”.

    En 1905, la contre-révolution a pu prendre le dessus en raison du manque d’organisation et d’expérience des masses en dépit de la constitution de conseils ouvriers, les soviets, ainsi qu’à cause de la faiblesse de la lutte dans les campagnes. En décembre, après une grève générale de 150.000 personnes à Moscou, la contre-révolution l’a emporté.

    L’expérience acquise durant les événements de 1905 ont toutefois posé les bases de la victoire de la révolution en 1917. La situation actuelle ne laisse pas de place à de longues périodes de réaction sans lutte. La Bolivie d’aujourd’hui ne connaîtra pas le genre de période de contre-révolution qui a suivi la défaite de 1905. L’avenir y est toujours en jeu et, dans le passé, la contre-révolution a déjà été vaincue en Bolivie.

    Nous verrons sans aucun doute d’autres pays et régions s’intégrer dans cette tendance aux mouvements de masse. Son impact sur la conscience globale des masses sera une meilleure compréhension que la lutte est la seule manière d’obtenir des changements. La recherche d’une alternative au capitalisme et à la répression sera le terreau du développement des idées anticapitalistes et socialistes. La faiblesse de la gauche et de l’organisation des travailleurs signifie toutefois que ce processus sera long, avec des bonds en avant et des reculs.

    La leçon générale, cependant, est la même qu’en 1905 ou en 1968 : il s’agit toujours de la nécessité pour la classe ouvrière de prendre le pouvoir afin de soutenir les concessions qu’un mouvement de masse peut arracher et pour parvenir à un changement fondamental de société.

  • L’Afrique du Nord et les processus révolutionnaires en Algérie et au Soudan

    Résolution adoptée au Comité exécutif international du CIO d’août 2019

    En avril de cette année, le renversement de deux dictateurs de longue date par les soulèvements révolutionnaires en Algérie et au Soudan a stupéfié la plupart des universitaires et commentateurs bourgeois, mais cela a confirmé l’analyse faite par le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) il y a huit ans. Nous expliquions alors que les révolutions initiées en Tunisie et en Egypte n’étaient pas seulement une parenthèse ou un “printemps” éphémère, mais plutôt les premières salves d’un processus long et complexe de révolution et de contre-révolution dans la région.

    Ces mouvements sont d’autant plus importants qu’un certain nombre de pays qui ont été secoués par des mouvements de masse lors de la première vague révolutionnaire en 2010-2011 ont depuis souffert de contre-révolutions brutales et de guerres dévastatrices. La contre-révolution n’a pas réussi à éliminer de manière décisive le spectre de nouveaux soulèvements populaires, ni à garantir la durabilité et la stabilité de l’ordre régional.

    La contre-révolution

    L’Egypte est gouvernée par une dictature encore plus impitoyable que celle renversée en 2011. Jamais dans son histoire moderne le pays n’a connu une répression telle que celle menée sous le règne d’Abdel Fattah al-Sisi. En avril, le régime a organisé un référendum par étapes sur des amendements constitutionnels radicaux visant à éliminer certains des derniers vestiges des acquis démocratiques de la révolution égyptienne. Ils suppriment la limite de deux mandats à la présidence, permettant à Sisi de rester au pouvoir jusqu’en 2030, et lui donnent également le contrôle total du pouvoir judiciaire, tout en élargissant le rôle de l’armée dans les affaires politiques du pays.

    Au cours de la période récente, les gouvernements occidentaux ont serré les rangs avec le régime autocratique du Caire. L’Union européenne loue Sisi comme un allié dans ses efforts pour empêcher les réfugiés d’atteindre les côtes européennes. Reflétant les perspectives à court terme des grands milieux d’affaires, l’agence de notation Moody a revalorisé le statut de l’Egypte à “stable”  en avril, commentant que “la rentabilité [du pays] restera forte”. Les chiffres officiels font également état du taux de croissance économique le plus élevé depuis une décennie (5,5 %).

    Cependant, dans des conditions où la dette extérieure a été multipliée par cinq au cours de la dernière moitié de la décennie et alors que la dette publique a plus que doublé au cours de la même période ; où 60% de la population vit dans la pauvreté et souffre du poids de l’inflation galopante et des réductions de subventions ; la stabilité souhaitée par les puissances impérialistes et les rêves de Sisi de devenir président à vie pourraient se révéler de courte durée. Plus tôt cette année, un groupe d’anciens ministres et de membres de l’intelligentsia égyptienne a écrit une lettre ouverte dans laquelle ils déclaraient : “Il suffit d’errer dans les rues du Caire pour se rendre compte de l’ampleur de la rage et de la tension internes qui pourraient dégénérer en une explosion sociale incontrôlable à tout moment”. Cela témoigne de ce qui se trame sous la surface.

    En plus de réprimer violemment la résistance des travailleurs égyptiens et de l’opposition locale en général, le régime de Sisi joue un rôle actif dans les conspirations contre-révolutionnaires dans la région. Quelques jours seulement après la destitution du président soudanais Omar el-Béchir, des délégations d’Égypte, d’Arabie saoudite et des Émirats Arabes Unis (EAU) se sont précipitées au Soudan et ont eu de nombreux entretiens avec la junte militaire soudanaise. En Libye, le régime de Sisi a fourni un soutien politique, militaire et de renseignement actif aux troupes du futur dictateur militaire libyen et admirateur de Sisi, Khalifa Haftar.

    La Libye est aux prises avec une nouvelle guerre civile qui s’intensifie et qui fait grossir les rangs des personnes déplacées et des réfugiés. Près de 100 000 personnes ont déjà été déplacées par l’offensive lancée sur Tripoli par Haftar et son “Armée Nationale Libyenne” (ANL), et ce nombre augmente chaque jour.

    Haftar espérait une victoire rapide et en douceur dans sa marche sur la capitale. Ces espoirs ont clairement tourné court. Sa prétention d’éradiquer les islamistes armés et son positionnement en tant que champion de la laïcité sont contredits par le fait que sa propre ANL est une alliance fragile composée d’un nombre important de miliciens salafistes, d’anciens officiers de l’armée de Kadhafi et de combattants de différentes tribus avec lesquels Haftar a conclu des accords. Elle pourrait devenir le théâtre de graves dissensions si l’impasse militaire actuelle se poursuit.

    L’issue de cette bataille dépendra également de l’attitude des puissances impérialistes et des différentes puissances régionales impliquées. L’émergence d’une nouvelle guerre en Libye riche en pétrole contient en effet un élément fort de “guerre par procuration”, car elle se déroule sur fond de lutte de pouvoir pour l’influence entre Paris, Rome et, surtout, les principaux acteurs régionaux. La vacuité et l’impuissance de l’ONU et de la soi-disant “communauté internationale” sont à nouveau mises en évidence, car les puissances régionales et mondiales soutiennent chacune des deux parties et alimentent directement le conflit en leur fournissant armes et munitions de pointe.

    Certains pays semblent prêts à jouer dans les deux camps, attendant de voir de quel côté l’équilibre basculera. Si Moscou a toujours semblé favoriser Haftar, elle a noué des contacts avec tous les principaux acteurs sur le terrain. Trump a salué le rôle de Haftar, soutenu par l’Arabie saoudite, l’Égypte et les Émirats Arabes Unis, dans ” la lutte contre le terrorisme et la sécurisation des ressources pétrolières de la Libye “, mais le secrétaire d’État Mike Pompeo a condamné les actions de Haftar, et les représentants du gouvernement basé à Tripoli, soutenu par la Turquie et le Qatar, continuent à soutenir que les États-Unis se tiennent à ses côtés en tant que gouvernement légitime de la Libye.

    Les hésitations et les contradictions de l’administration américaine reflètent son caractère marqué par la crise, mais aussi la diminution de son poids et de son influence géopolitique dans la région, où elle a été reléguée au second rang, au profit des acteurs régionaux mais aussi d’une politique impérialiste plus affirmée de la Russie comme de la Chine.

    La Chine et la Russie ont identifié l’Afrique du Nord comme une arène importante pour faire avancer leurs intérêts commerciaux et de sécurité. La Chine a choisi des ports d’Afrique du Nord comme éléments essentiels de sa « Belt and Road Initiative », la « nouvelle route de la soie ». Elle a également manifesté son intérêt à s’implanter dans le port tunisien de Bizerte et sur la côte méditerranéenne du Maroc.

    Il est important de noter que tant l’Algérie que le Soudan ont connu une augmentation substantielle de leurs échanges commerciaux et de leurs investissements avec la Chine au cours des deux dernières décennies. Les deux pays exportent de l’énergie vers la Chine, l’Algérie à elle seule ayant vu ses exportations vers la Chine multipliées par 60 entre 2000 et 2017. La Chine est le principal partenaire économique de l’Algérie et a investi des milliards de dollars dans des projets portuaires et d’infrastructure dans le pays. Le Soudan est également le principal bénéficiaire de l’aide étrangère de la Chine. En outre, les deux pays comptent parmi les plus gros acheteurs d’armes chinoises dans la région.

    Nouvelles explosions sociales imminentes

    Alors que certains pays subissent de plein fouet les effets de la contre-révolution et de la guerre, de puissants mouvements ouvriers vibrent dans d’autres régions d’Afrique du Nord et d’Afrique Arabe. Les mouvements révolutionnaires en cours au Soudan et en Algérie démontrent incontestablement que, quelle que soit la quantité de sang versé par les classes dirigeantes, elles ne seront pas capables d’éradiquer les lois de la lutte de classe, qui trouvera toujours un moyen de s’exprimer.

    Les tentatives des régimes algérien et soudanais d’utiliser l’état catastrophique du Moyen-Orient comme moyen de dissuasion contre la révolution dans leur propre pays n’ont pas produit les effets escomptés. Lorsque les dirigeants algériens ont brandit l’épouvantail syrien pour faire sortir les gens de la rue, affirmant que les manifestations en Syrie avaient conduit à une décennie de guerre, les manifestants algériens ont simplement répondu avec le slogan : “L’Algérie n’est pas la Syrie”.

    Cela ne veut pas dire que la violente contre-révolution qui a eu lieu au cours des deux dernières années n’a eu aucun effet sur la conscience et sur la dynamique de la lutte dans la région, bien sûr. Mais nous devons en souligner les limites, dans le contexte de toute la région qui bouillonne de colère et de désespoir. “Vous ne pouvez pas nous tuer, nous sommes déjà morts”, tel était le slogan chanté par de jeunes manifestants algériens lors d’un mouvement de protestation de masse dans la région de Kabylie en 2001, face à des balles réelles de la police. Des manifestants soudanais chantent aujourd’hui : “La balle ne tue pas. Ce qui tue, c’est le silence”. Cela résume à peu près l’état d’esprit qui prévaut parmi des millions de personnes dans la région, en particulier les jeunes et les groupes les plus pauvres.

    Bien sûr, cette humeur peut et va prendre des expressions désespérées dans certains cas, en particulier si elle n’est pas politiquement canalisée dans une alternative claire. La Tunisie, un pays que les commentateurs bourgeois continuent de distinguer comme le modèle de réussite du “Printemps arabe”, a vu tripler les cas d’auto-immolation depuis la révolution de 2011, et a été une source importante de recrues pour les groupes jihadistes dans la région. La prolifération des armes, résultant du déchirement de la Libye par la guerre, et la persistance d’un important lumpenprolétariat urbain et rural signifient également que le danger de nouveaux attentats terroristes et leur instrumentalisation par les États de la région pour favoriser la répression continueront probablement à faire partie du paysage politique, comme l’ont encore montré les attentats-suicide à l’explosif à Tunis en juin et la prolongation ultérieure de l’état d’urgence.

    Le capitalisme et l’impérialisme détruisent les conditions de vie des gens, leurs emplois et leur environnement, tout en plongeant la région dans de nouveaux conflits armés. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que plus de la moitié des jeunes dans une grande partie du monde arabe souhaitent quitter leur pays d’origine, selon le Big BBC News Arabic Survey 2018/19. Ce nombre a augmenté de plus de 10 % chez les 18-29 ans depuis 2016. L’enquête indique que 70% des jeunes marocains envisageaient de quitter leur pays.

    En dépit de ces facteurs, le nouveau ralentissement économique mondial qui se profile à l’horizon, combiné aux politiques de “l’Europe forteresse”, conduira également de nouvelles couches de travailleurs et de jeunes à la conclusion que les fléaux du système doivent être combattus sur leur propre terrain et qu’une transformation globale de la société est nécessaire. En bref, les conditions entretenues par le capitalisme entraînent inévitablement de nouvelles explosions sociales et des bouleversements révolutionnaires de masse.

    Ceux-ci ne se développeront cependant pas en ligne droite, particulièrement face à la faiblesse générale du “facteur subjectif”, l’existence de partis révolutionnaires de masse capables de conduire ces mouvements à l’assaut du capitalisme et de mener des politiques socialistes. Les événements dramatiques de la dernière décennie sont un rappel puissant que, sans la construction de tels partis, de nouvelles catastrophes seront en réserve pour les masses dans la région.

    Crise et stagnation économique

    Pas plus qu’ailleurs, le capitalisme en Afrique du Nord n’est capable de développer les forces productives. Ceci est typiquement illustré par le chômage de masse qui prévaut en tant que caractéristique chronique dans la région, en particulier chez les jeunes. Le FMI prévoit une croissance annuelle de 1,3% pour la région MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord) en 2019, ce qui ne serait même pas suffisant pour absorber les 2,8 millions de jeunes supplémentaires qui entrent sur le marché du travail chaque année. Dans l’Arab Youth Survey 2019, la plus grande enquête d’opinion des jeunes dans le monde arabe, 56% citent le coût de la vie comme le principal obstacle auquel la région est confrontée ; 45% citent le chômage. Cela représente une énorme bombe à retardement sociale.

    Le corollaire de cette situation est l’existence d’une économie informelle extrêmement lourde. Dans le nord-est du Maroc, 70% de l’économie dépend du secteur informel. La mort, en janvier 2018, de deux jeunes hommes qui extrayaient du charbon de mines abandonnées dans la ville appauvrie de Jerada, dans l’est du pays, a mis cette réalité en évidence en déclenchant des manifestations explosives pendant plusieurs mois.

    Depuis ce qui est appelé le “Printemps arabe”, les gouvernements régionaux ont renforcé leurs fortifications frontalières et leurs systèmes de surveillance. Cela a souvent aggravé la situation économique de villes frontalières déjà en difficulté, car l’économie de contrebande n’est pas seulement une source de profits pour les douaniers, les politiciens corrompus et les réseaux mafieux de contrebande ; elle est également devenue partie intégrante du tissu social des communautés locales.

    Les villes frontalières algériennes, marocaines et tunisiennes ont été en proie à des manifestations intermittentes contre les atteintes à leurs moyens de subsistance qui en ont résulté. Dans ces zones marginalisées, la revendication d’options économiques alternatives par la création d’emplois décents et bien rémunérés et d’un vaste programme de construction et de rénovation des infrastructures, financé par l’Etat et coordonné démocratiquement par les populations locales et les organisations de travailleurs, est essentielle.

    Au cours des dernières décennies, la part de la population rurale dans la population totale de l’Afrique du Nord a considérablement diminué. Des dizaines de millions de personnes ont quitté la campagne pour la ville. Les personnes vivant dans les villes des pays du Maghreb représentaient 20% en 1950 ; elles étaient 45% en 1970, 62% en 1980, et devraient être autour de 70% en 20La destruction endémique des petites propriétés agricoles privées, la concentration de la propriété foncière et le manque d’infrastructures dans les campagnes ont poussé un grand nombre de ruraux pauvres à émigrer vers les villes, aggravant le chômage et gonflant les rangs des pauvres des villes engagés dans une lutte désespérée pour leur subsistance quotidienne, peu susceptibles de jamais trouver un emploi stable et bien rémunéré dans une économie capitaliste.

    En raison de ces caractéristiques, les jeunes chômeurs et les citadins pauvres sont enclins à jouer un rôle important dans les périodes de luttes de masse. N’étant pas attachés à des emplois formels, ils ont une liberté d’action plus immédiate et ont encore moins à perdre, et peuvent donc entrer en action avant la classe ouvrière organisée. Ceux qui ont un emploi informel ou qui sont au chômage n’ont encore qu’une influence limitée pour entreprendre des luttes victorieuses. Construire des directions militantes prêtes à mener une lutte globale sur la base de revendications unifiant ces couches avec le mouvement ouvrier est vital. Sinon, certaines parties de ces couches opprimées peuvent devenir la proie de la réaction.

    Des divisions entre ces couches sociales et la classe ouvrière salariée peuvent également apparaître. C’est dans le contexte de l’apathie de la bureaucratie syndicale, par exemple, que nous avons vu en Tunisie des chômeurs faire des sit-in bloquant des sites de production pour demander des emplois, parfois sans s’adresser aux travailleurs des entreprises qui pourraient considérer ces actions comme une menace pour leur propre emploi. Dans le contexte du chômage de masse, ces divisions seront exploitées par la classe dirigeante, par exemple en présentant les travailleurs en grève comme une “couche privilégiée” qui menace la création d’emplois et la relance de l’économie.

    De tels écarts ne peuvent être comblés qu’en reconstruisant des organisations de travailleurs fortes et en récupérant les syndicats pour les transformer en instruments de lutte pleinement démocratiques et combatifs, en s’efforçant d’unir les travailleurs, les jeunes sans emploi et tous les pauvres par des campagnes de masse (pour des emplois financés publiquement et pour partager le travail sans perte de salaire, pour un logement décent et abordable, des services publics, etc).

    Les jeunes, qui constituent l’essentiel de la population de toute la région, sont confrontés à un avenir sombre. Cependant, ces conditions façonnent aussi les perspectives radicales d’une nouvelle génération de militants révolutionnaires. Cette génération a été le moteur de tous les mouvements de masse dans la région. En Algérie, le traumatisme de la ” décennie noire ” – le conflit sanglant entre l’armée et les fondamentalistes du Front Islamique du Salut (FIS) et ses ramifications après le coup d’Etat de janvier 1992 -, a longtemps été exploité par l’élite dirigeante et, combiné à de nombreux acquis sociaux, a permis à cette dernière de résister à la tempête 2010-2011. Mais il s’est aujourd’hui largement estompé à mesure qu’une nouvelle génération plus confiante se lève, moins affectée par les défaites du passé.

    Depuis 2011, le FMI a accru la pression sur les gouvernements d’Afrique du Nord pour qu’ils suivent à la lettre ses programmes d’austérité. Ces gouvernements ont reçu l’ordre des créanciers internationaux de continuer à réduire les subventions, de réduire les effectifs du secteur public, de poursuivre les programmes de privatisation et de resserrer la politique budgétaire. Cela a ouvert la voie à l’aggravation des inégalités, aggravant la situation économique, ce qui a amené les conflits de classe à des niveaux révolutionnaires il y a un peu moins d’une décennie.

    Bien sûr, la crise économique ne fournit pas un aller simple pour la révolution. Mais il est clair que la situation économique est un facteur sous-jacent crucial qui explique l’énorme colère qui règne au sein de vastes secteurs de la population. Ces dernières années, les protestations dans tous les pays ont souvent porté sur la question du chômage, de la marginalisation économique et de l’augmentation du coût de la vie. Il ne fait aucun doute qu’une nouvelle récession mondiale aggraverait considérablement ces problèmes.

    Cela dit, les facteurs économiques ne sont pas le seul moyen potentiel de provoquer des mouvements de masse, et ils ne représentent pas non plus une explication complète en eux-mêmes de ceux qui ont eu lieu. La nature répressive de l’État dans la région, par exemple, et le mépris quotidien, le harcèlement et l’impunité dont font preuve les forces corrompues de l’État, ajoutent au mélange explosif.

    Les structures de pouvoir de l’Afrique du Nord sont basées sur un enchevêtrement complexe entre le pouvoir politique et économique de la classe dirigeante – comme l’illustre la monarchie régnante au Maroc, qui a construit un empire commercial tentaculaire sur l’économie du pays. Dans des pays comme l’Egypte, le Soudan et l’Algérie, l’armée est plus qu’une composante vitale de l’Etat bourgeois ; ses hauts gradés détiennent également un énorme pouvoir économique. Cela signifie que toute revendication économique peut rapidement prendre un caractère politique, et vice versa.

    Ces caractéristiques – faiblesse et dépendance économiques, régimes autoritaires – sont le résultat de la position de l’Afrique du Nord dans le système capitaliste mondial. L’impérialisme et le capitalisme ont produit un développement inégal et combiné, dans lequel la majorité des pays sont dominés et subordonnés aux grandes puissances. Les régimes d’Afrique du Nord tentent d’équilibrer et de satisfaire les différentes puissances qui, en retour, soutiennent leur règne brutal. Au cours des dernières décennies, les attaques néolibérales contre les conditions de vie, exigées par le FMI, ont souligné le caractère international de la crise dans la région. Il en va de même pour la course aux armements et les guerres menées avec les puissances impérialistes impliquées.

    Prolétarisation des couches intermédiaires

    Cette année u Maroc, des dizaines de milliers d’enseignants employés dans le cadre de contrats occasionnels ont participé de grèves répétées et parfois prolongées, exigeant leur intégration dans le système éducatif national avec leurs collègues et la fin de la privatisation des écoles publiques.

    En fait, les enseignants se sont avérés être parmi les secteurs les plus militants de la classe ouvrière, à l’avant-garde d’importantes batailles de classe en Tunisie, au Maroc, en Algérie et au Soudan. Dans les quatre pays, ils ont été impliqués dans des actions de grève et des protestations plus dures ces dernières années, réclamant de meilleurs salaires et de meilleures conditions, mais aussi des revendications politiques audacieuses. En Algérie par exemple, les enseignants ont joué un rôle de premier plan dans le mouvement de masse qui a renversé Bouteflika, six syndicats indépendants d’enseignants et de travailleurs de l’éducation appelant leurs membres à se mettre en grève le 13 mars pour rejoindre la lutte et demander à Bouteflika de partir. Au Soudan, les enseignants, mais aussi les médecins, ont joué un rôle clé dans le soulèvement contre Al Bashir.  

    Cela reflète un phénomène social plus large. Les commentateurs dominants ont souvent fait valoir que la classe moyenne était l’élément moteur du mouvement révolutionnaire dans ce qu’ils appellent le “Printemps arabe”, comme ils le font aujourd’hui, en particulier par rapport au Soudan. Mais ce qui est souvent appelé la classe moyenne libérale ou les “couches moyennes” (enseignants, médecins, avocats, journalistes…) connaissent, pour la plupart, des conditions qui s’apparentent de plus en plus à un nouveau prolétariat. Avant d’organiser les récentes manifestations, l’Association Professionnelle Soudanaise (SPA, qui regroupe les syndicats pour la plupart professionnels et qui a joué un rôle mobilisateur important dans la révolution) a attiré l’attention du public pour la première fois avec une étude sur le salaire minimum des professionnels soudanais, les trouvant tous sous le seuil de pauvreté, dans certains cas à moins de 50 dollars par mois.

    Une partie de ces couches se considère encore comme une ” élite éduquée ” au-dessus du reste de la classe ouvrière. C’est certainement le cas pour la direction du SPA au Soudan, qui a essayé de trouver une ” troisième voie ” inexistante entre la mobilisation révolutionnaire indépendante de la classe ouvrière et des masses pauvres d’une part, et les négociations avec les généraux contre-révolutionnaires d’autre part. En cela, ils reflètent typiquement les oscillations politiques de la classe moyenne à une époque où les contradictions de classe s’accentuent.

    Pourtant, la crise économique, des décennies de politiques néolibérales sauvages et la forte dépréciation des monnaies locales ont durement frappé les couches moyennes, brisant aux yeux de beaucoup le mirage de faire partie de la classe moyenne – et c’est précisément l’une des raisons pour lesquelles elles se rebellent contre l’ordre existant. Cela en a poussé beaucoup à adopter les méthodes de lutte de la classe ouvrière et à incorporer le mouvement syndical.

    Tunisie

    Les mouvements ouvriers organisés dans tous les pays du Maghreb ont commencé l’année par des grèves dans le secteur public. En Tunisie, cela s’est traduit par une grève générale de 24 heures dans la fonction publique et le secteur public le 17 janvier. Alors que les principales revendications officielles de la grève portaient sur les augmentations salariales et les plans de privatisation du gouvernement, la grève avait un caractère profondément politique, avec des slogans adoptant clairement une attitude conflictuelle contre le gouvernement du pays et le FMI.

    Le système politique actuel de la Tunisie présente les caractéristiques d’un régime démocratique bourgeois, mais extrêmement instable, plutôt qu’un régime consolidé. Comme nous l’avons déjà expliqué, cette prétendue “anomalie tunisienne” n’est possible que grâce au rôle influent de l’UGTT (Union Générale Tunisienne du Travail), qui a agi comme un puissant contrepoids à la restauration d’une dictature.

    Une lecture mécanique de cette situation conclurait qu’il s’agit d’une épine dans le pied de la théorie de Trotsky sur la révolution permanente. En réalité, la Tunisie est en pleine mutation et la parenthèse révolutionnaire ouverte en janvier 2011 n’est pas fermée.

    En 1930, Trotsky écrivit “Une lettre sur la révolution italienne”, dans laquelle il explique qu’après la chute du régime fasciste de Mussolini, l’Italie pourrait redevenir une “république démocratique”. Mais il a poursuivi en expliquant que ce ne serait pas ” le fruit d’une révolution bourgeoise, mais l’avortement d’une révolution prolétarienne insuffisamment mûrie. En cas de crise révolutionnaire profonde et de batailles de masse au cours desquelles l’avant-garde prolétarienne n’aura pas été en mesure de prendre le pouvoir, il se peut que la bourgeoisie rétablisse son pouvoir sur des bases démocratiques”.

    Un processus similaire est en cours en Tunisie aujourd’hui – la direction de l’UGTT jouant un rôle similaire pour aider la classe dirigeante à consolider sa contre-révolution bourgeoise comme l’ont fait les dirigeants du Parti Communiste Italien après la guerre – avec la différence importante qu’il n’existe aucune base économique proche de la reprise économique de l’après guerre pour aider la classe dirigeante tunisienne à construire une démocratie bourgeoise stable. 

    Cela se manifeste clairement par l’état de crise politique prolongé et ininterrompu auquel la Tunisie est confrontée depuis huit ans, avec déjà dix gouvernements depuis la chute de Ben Ali, une arène politique très fragmentée, des scissions régulières dans les rangs des principaux partis bourgeois et la formation constante de nouveaux partis, dans un contexte de désaffection populaire de masse envers tout le pouvoir politique.

    Malheureusement, cette situation n’a pas épargné la gauche tunisienne. En mai, neuf députés de la coalition de gauche ” Front Populaire ” ont remis leur démission du bloc parlementaire de la coalition, ce qui a ouvert la voie à une crise interne qui menaçait le Front populaire depuis longtemps. Cette crise résulte de ses trahisons politiques passées et de sa stagnation actuelle, aggravées par une culture interne de plus en plus bureaucratique et les luttes de pouvoir sans principes entre ses principales composantes stalinienne et maoïste, à l’approche des élections présidentielles de novembre.

    Révolutions au Soudan et en Algérie

    La classe ouvrière et les syndicats

    Les soulèvements qui ont secoué l’Algérie et le Soudan, tout en n’ayant pas connu jusqu’ici les mêmes répliques internationales qu’en 2011, ont de profondes implications pour l’ensemble de la région. Le fait que les deux pays soient à la croisée des chemins entre l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne accentue ce point. Ce n’est pas un hasard si, cette année déjà, au moins dix gouvernements africains ont eu recours à des coupures d’Internet et à des coupures des réseaux sociaux, la plupart d’entre eux pour tenter d’étouffer la contestation. Les régimes voisins sont sans doute nerveux. En avril, trois jours seulement après la démission de Bouteflika, la Cour d’appel marocaine a confirmé les peines de prison allant jusqu’à 20 ans prononcées contre des dizaines de militants et dirigeants du mouvement de protestation ” Hirak ” en 2016-2017 dans la région nord du Rif.

    Les mouvements au Soudan et en Algérie représentent la continuité révolutionnaire de ce qui s’est passé il y a 8 ans, tout en ayant développé leurs propres traits originaux. Il est important de noter qu’ils ont également absorbé certaines des leçons tirées des expériences révolutionnaires du passé récent.

    C’est particulièrement le cas en ce qui concerne la défaite des masses en Egypte. La différence entre la réaction largement festive des masses révolutionnaires égyptiennes au renversement de Moubarak et la réaction des mouvements soudanais et algériens au renversement de leur dictateur était notable. Dans ce dernier cas, le niveau de défiance à l’égard de l’armée se situait dès le début à un niveau comparativement différent, et des slogans rejetant explicitement un scénario égyptien étaient affichés. Un slogan populaire chanté lors du sit-in à Khartoum était “Soit la victoire, soit l’Egypte”. Un autre, entendu en Algérie, est : “L’Algérie est in-Sisi-ble.” Cela montre que l’expérience du coup d’Etat militaire égyptien a pénétré la conscience populaire internationale – en particulier dans des pays comme le Soudan et l’Algérie, avec leur histoire de coups d’Etat militaires et où l’armée occupe un rôle clé dans la machine étatique.

    Les mouvements en Algérie et au Soudan ont également réaffirmé l’énorme pouvoir potentiel de la classe ouvrière. Bien que numériquement petite, la classe ouvrière soudanaise a une riche tradition de lutte, ayant connu trois révolutions depuis 1964. Ce n’est pas un hasard si le berceau du mouvement au Soudan se trouvait à Atbara, une ville industrielle du nord-est du Soudan qui a été le berceau du mouvement syndical du pays et un ancien bastion du Parti communiste.

    La classe ouvrière algérienne occupe pour sa part une position stratégique, comme l’une des plus fortes de la région et du continent africain dans son ensemble. Le pays est le troisième fournisseur de gaz naturel en Europe et un grand producteur de pétrole.

    En Algérie, le déroulement de deux grèves générales successives a accéléré les scissions et les défections au sein du régime et a contribué à forcer la classe dirigeante à finalement abandonner Bouteflika. Début mars, le soutien exprimé au mouvement par les sections locales de l’UGTA (Union Générale des Travailleurs Algériens) dans les bastions ouvriers historiques de Rouiba et de Reghaïa, dans les grandes banlieues industrielles d’Alger (où l’on trouve la plus grande concentration industrielle du pays), a marqué un tournant décisif, annonçant l’entrée de la classe ouvrière comme force sociale dans ce mouvement.

    On pourrait dire que l’implication de la classe ouvrière a été plus spectaculaire à la veille du renversement de Bouteflika que depuis. C’est ce qui a poussé le Financial Times à se rassurer en déclarant à la mi-juin que “les manifestations de rue, qui attirent chaque vendredi des centaines de milliers de personnes de tous horizons, ont évité les appels à la grève générale ou à l’occupation permanente des places publiques, ce qui serait perçu comme des escalades”. Pourtant, il est clair que l’expérience des vagues de grèves de masse du mois de mars restera gravée dans l’esprit de chaque travailleur algérien et devrait revenir à l’ordre du jour dans un avenir proche.

    La chute d’Al Bashir et de Bouteflika a également initié un processus de réappropriation des syndicats par la classe ouvrière. Elle a pris des formes et des profondeurs diverses dans les deux pays, mais va généralement dans la même direction : des tentatives pour développer des structures syndicales de base démocratiquement contrôlées par la base.

    Les syndicalistes algériens et les dirigeants des principales fédérations régionales de l’UGTA ont organisé des rassemblements pour exiger la démission immédiate du secrétaire général de l’UGTA, Sidi Said, ardent défenseur de l’ancien régime. Parmi les slogans, il y a ” tout pour reconquérir l’UGTA pour la lutte des classes. Tout pour chasser le régime et les oligarques de l’UGTA. Tout pour dégager Sidi Saïd et de sa clique”. Sous la pression, Sidi Said a été contraint d’annoncer qu’il ne serait pas candidat à sa succession au 13e congrès de la fédération les 21 et 22 juin, un congrès qui avait été initialement annoncé pour janvier 2020.

    Cependant, bien que moins publiquement compromis, le nouveau secrétaire général de l’UGTA est un produit de la même clique bureaucratique, et le congrès est resté une affaire contrôlée par la bureaucratie et hautement protégée visant à assurer “un changement dans la continuité” et à tenir les “fauteurs de troubles” à distance. La lutte pour purger le syndicat des bureaucrates corrompus et favorables au régime reste à l’ordre du jour et devrait être couronnée par la demande d’un congrès spécial où seuls les délégués dûment et démocratiquement mandatés par la base décideraient de l’avenir du syndicat.

    Bien que l’UGTA ait conservé d’importants bastions régionaux et sectoriels, son soutien a été considérablement érodé par des décennies de trahisons et l’étroite collaboration de ses dirigeants avec l’État et les patrons. Dans ce contexte, plusieurs ” syndicats autonomes ” ont vu le jour ces dernières années et ont gagné une certaine influence, en particulier dans les secteurs publics tels que la santé et l’éducation. L’année dernière, ces syndicats ont convergé vers une Confédération des Syndicats Autonomes (CSA) qui représente environ quatre millions de travailleurs. C’est pourquoi la nécessaire réappropriation de l’UGTA par sa base devrait être combinée avec des propositions de front commun orientées vers ces syndicats autonomes, afin de construire l’unité d’action des travailleurs.

    Au Soudan, la situation est quelque peu différente, car le mouvement syndical y a souffert de méthodes beaucoup plus brutales de répression d’Etat. Dans les années 1990, les syndicats ont été purgés comme jamais auparavant, leurs membres emprisonnés et torturés en masse, et des sanctions draconiennes ont été imposées aux travailleurs en grève. L’Union Générale des Travailleurs Soudanais officielle est devenue complètement soumise au pouvoir en place. La SPA elle-même a dû fonctionner clandestinement pendant la plus grande partie de sa courte existence.

    Mais une indication de la ténacité des traditions syndicales est que depuis la chute d’Al Bashir, des tentatives de ressusciter des syndicats qui avaient été détruits par son régime ont été entreprises, avec certains de leurs anciens membres, avec une nouvelle couche de jeunes travailleurs, s’organisant pour les reconstruire. Ce fut le cas des cheminots d’Atbara, des dockers de Port Soudan, des travailleurs de la Banque Centrale du Soudan, des journalistes qui ont formé un ” Comité pour la Restauration de l’Union des Journalistes Soudanais “, etc. En outre, les travailleurs ont aussi, dans certains cas, pris le contrôle des syndicats officiels en chassant les dirigeants qui avaient collaboré avec l’ancien régime. Sous la pression, un gel a même été imposé aux syndicats affiliés au régime par la junte militaire après la destitution de Bachir. Au moment où le premier plan de grève a été mis en place, le Conseil militaire de transition (TMC) a annulé le gel, permettant à ces syndicats collaborateurs de reprendre leurs activités pour tenter de faire obstacle au développement de syndicats indépendants.

    Les comités

    Bien que largement sous-rapporté, le développement des comités révolutionnaires locaux (les ” comités de résistance “) semble avoir pris au Soudan un caractère de grande portée, peut-être plus qu’en Egypte et en Tunisie en 2011. Cela s’explique en partie par le fait que la formation des premiers comités de résistance au Soudan remonte déjà à 2013, lorsque le pays a connu une recrudescence des protestations contre le régime ; ces comités sont réapparus à une échelle plus large et plus organisée cette fois, et ont inclus la création de comités de grève dans un certain nombre de lieux de travail. Le régime est très conscient du danger de cette évolution, ce qui explique pourquoi les dirigeants des comités de résistance des quartiers de Khartoum ont été tués dans des assassinats ciblés par les milices du régime.

    Le fait qu’Internet ait été presque entièrement coupé par le TMC à partir de début juin a contribué à mettre le rôle de ce réseau de comités locaux de résistance sur le devant de la scène, car les manifestants ont été contraints de trouver un moyen de contrer la fermeture des télécommunications et d’Internet de la junte et ont utilisé ces comités pour rassembler leurs voisins, organiser des réunions communautaires, appeler à des manifestations, distribuer des tracts imprimés pour remplacer la communication numérique, etc.

    Bien que cela puisse changer, sous cet angle important, le caractère révolutionnaire du mouvement a été beaucoup plus prononcé au Soudan qu’en Algérie. En Algérie, si des comités de lutte sont apparus dans certains cas, et si des “comités autonomes” ont été mis en place par des étudiants dans la plupart des facultés universitaires, ce processus semble beaucoup plus inégal et moins avancé – même comparé au mouvement de masse en Kabylie en 2001, lorsque les masses ont créé des comités se substituant clairement aux structures étatiques officielles.

    Violence étatique et contre-révolutionnaire

    Dans ce dernier cas, ainsi qu’au Soudan aujourd’hui, la répression meurtrière de l’État a également incité les gens à créer des comités de défense pour se protéger. Pourtant, en Algérie, la violence de l’État a jusqu’à présent été largement contenue.

    Le seul fait que les généraux algériens, connus pour leurs méthodes brutales, semblent réticents à recourir à la violence contre les manifestants en dit long sur le volcan social sur lequel ils sont assis, et sur la peur d’allumer quelque chose de beaucoup plus grand. Les militaires ont jusqu’à présent hésité à mener une répression sanglante, craignant que cela ne fasse qu’intensifier la lutte contre le régime actuel. Les chiffres des manifestations hebdomadaires du vendredi ont diminué en juin, mais la situation reste extrêmement volatile et toute tentative de contenir le mouvement à grande échelle l’enflammerait immédiatement. Lahouari Addi, sociologue algérien à l’Institut d’études politiques de Lyon, a également mis en lumière une autre raison importante de la retenue du commandement militaire : “parce qu’ils ne sont pas sûrs que leurs troupes leur seront loyales”.

    Bien entendu, cela ne va pas de soi. Jusqu’à présent, le régime a opté pour une forme de répression plus ciblée et plus préventive pour faire une démonstration de force en vue d’une réaction plus large. Il s’agit notamment de l’arrestation d’un certain nombre de militants, dont la plus importante est Louisa Hanoune, secrétaire générale du Parti des Travailleurs (PT), qui a été arrêté le 9 mai, accusée de “conspiration contre l’autorité de l’Etat”. Tout en ayant un passé militant et toujours qualifiée de “trotskiste” par la presse, Hanoune est connue pour ses liens étroits avec la famille de Bouteflika. Après les premières manifestations en février, elle s’est ridiculisée en affirmant que les slogans du mouvement n’étaient “pas contre Bouteflika”. Son arrestation semble avoir autant à voir avec les règlements de comptes entre factions rivales au sein du régime qu’avec ses critiques modérées du gouvernement actuel.

    Au Soudan, l’exposition des divisions de classe au sein de l’armée et la rébellion des rangs inférieurs ont joué un rôle très important dans les soulèvements révolutionnaires de 1964 et 1985. La sympathie instinctive pour la lutte révolutionnaire activement exprimée par de nombreux soldats de base et officiers subalternes a également été l’une des motivations qui ont poussé l’état-major général à se débarrasser d’Omar Al Bashir en avril, dans l’espoir de garder le contrôle sur ses propres troupes. C’est pourquoi des appels audacieux de classe aux rangs de l’armée, ainsi que la constitution de forces de défense populaires et ouvrières sous contrôle démocratique, devraient être un aspect clé de notre approche pour désarmer et vaincre la réaction. En se rangeant du côté du peuple, les soldats risquent bien sûr d’être traduits en cour martiale et sévèrement punis. Cela signifie qu’un véritable clivage entre les rangs de l’armée et leurs officiers réactionnaires ne peut se concrétiser qu’en proposant un programme politique et social audacieux capable de donner confiance aux soldats que la révolution peut gagner, et de les inciter à une action décisive.

    Les traditions de mutinerie au sein de l’armée soudanaise sont l’une des principales raisons pour lesquelles le régime d’Al Bashir avait soutenu les services de sécurité de l’État et incorporé des groupes paramilitaires pour construire un appareil d’État souple en cas de contestation révolutionnaire de son pouvoir. Son régime a supervisé une expansion massive des services de renseignement et des milices diverses.

    En 2014, l’UE a lancé le “processus de Khartoum”, dont une partie consiste à externaliser la police des frontières vers les États de la région pour arrêter les flux migratoires entre la Corne de l’Afrique et la mer Méditerranée. Il s’agit de former et de financer des gardes-côtes libyens qui rassemblent les migrants en mer et les renvoient dans les conditions brutales des camps de prisonniers libyens où ils sont victimes de la faim, de la torture, de viols et d’esclavage. Il s’agit également de fournir au gouvernement soudanais des millions d’euros qui ont été acheminés aux paramilitaires des ” Forces de soutien rapide ” (FSR), ramifications des brutales milices janjawides impliquées dans les atrocités massives pendant le conflit du Darfour, qui ont ainsi été chargées de resserrer l’étau sur les migrants et réfugiés africains tentant de fuir vers l’Europe. En d’autres termes, l’UE a un rôle direct dans le soutien et la professionnalisation des milices qui ont participé au massacre contre-révolutionnaire du 3 juin.

    Le massacre de Khartoum du 3 juin a marqué un tournant contre-révolutionnaire au Soudan. Comme l’a bien dit un commentateur, cette semaine-là, “le Darfour était venu à Khartoum”. Il ne fait aucun doute que derrière cette attaque meurtrière se cachait la crainte, non seulement chez la classe dirigeante nationale, mais aussi chez les despotes régionaux soutenus par le TMC (en particulier les monarques en Arabie Saoudite et aux Émirats Arabes Unis, ainsi que le régime égyptien) d’un mouvement qui était devenu une source d’inspiration pour des millions de personnes dans la région. Ils ont encouragé les dirigeants de Khartoum à s’attaquer au cœur de ce mouvement, poussés par leur désir de mettre fin aux tentations révolutionnaires qui pourraient se développer dans leur propre territoire.

    L’appréciation tactique de ce stratagème était plutôt tempérée dans les capitales et ambassades occidentales. Dans une déclaration publique inhabituelle, le département d’État américain a révélé que son sous-secrétaire d’État avait téléphoné au vice-ministre saoudien de la défense pour lui demander d’utiliser son influence saoudienne afin de calmer le carnage au Soudan. Bien que la Russie ait adopté une position belligérante, faisant écho à la justification du massacre par les FSR, la soi-disant “troïka” (Etats-Unis, Grande-Bretagne et Norvège) et l’Union africaine, via la médiation éthiopienne, ont depuis redoublé d’efforts pour tenter de contenir les “excès” du Conseil Militaire et pousser l’opposition à accepter un accord de partage du pouvoir avec lui.

    Il est clair que certaines ailes de la classe dirigeante, en particulier à l’ouest, sont conscientes et inquiètes qu’une nouvelle déstabilisation du pays pourrait entraîner de nouvelles vagues de réfugiés frappant à leurs portes ; mais plus immédiatement, qu’une répression sanglante et prématurée du mouvement pourrait provoquer une nouvelle escalade révolutionnaire.

    Et ils ont raison. En effet, le massacre du 3 juin n’a pas eu le même effet d’entraînement sur la révolution que le massacre de la place Rabia-El-Adaouïa par l’armée égyptienne en août 2013, par exemple, qui a ouvert la voie à une période de répression soutenue par le régime nouvellement instauré de Sisi. Comme Marx l’a expliqué, une révolution a besoin de temps en temps du fouet de la contre-révolution. C’est ce qui s’est passé au Soudan début juin : la réponse de la classe ouvrière au carnage s’est accompagnée d’une grève générale nationale qui a duré 3 jours. Les niveaux impressionnants d’adhésion à la grève dans tous les secteurs, malgré les menaces ouvertes des dirigeants du TMC, ont témoigné de l’humeur militante et de la détermination des travailleurs.

    La SPA – stratégie et tactique

    Pendant la grève, la SPA a encouragé les manifestants à construire des barricades sur les routes principales et les rues secondaires, mais au lieu de les surveiller, elle leur a conseillé à tort de fuir immédiatement. “Barricader et se retirer”, disaient-ils dans leurs messages. “Évitez les frictions avec les forces Janjawides.”

    Cette tactique laisse les gens isolés les uns des autres, surtout quand Internet est coupé. Cela compromet la possibilité de débattre collectivement de la manière de résister et de combattre le régime, et de montrer la force du mouvement et empêche l’échange d’expériences et le renforcement de la confiance des gens dans les manifestations de masse, les piquets de grève et les assemblées sur les lieux de travail et dans les quartiers. Les gens sont laissés à la merci des milices et des forces de l’État qui se voient confier le contrôle de l’espace public, et les masses restent sans préparation pour affronter et vaincre leur assaut. Depuis lors, les manifestants ont instinctivement réagi contre cette approche, en organisant des marches et des manifestations nocturnes, afin de reconquérir les rues.

    La grève générale aurait pu durer plus longtemps si ses dirigeants, ne sachant pas quoi en faire, ne l’avaient pas annulée après trois jours, sans avoir obligé le Conseil Militaire à céder. Les dirigeants de la SPA avaient d’abord appelé à une grève générale politique ouverte et à une désobéissance civile de masse afin de ” faire tomber le régime militaire comme seule mesure restante ” pour sauver la révolution. Ils avaient également déclaré avant la grève qu’il n’y aurait plus de négociations avec le TMC. Au lieu de cela, ils ont décidé de montrer leur “bonne volonté” au TMC et aux médiateurs éthiopiens venus dans le pays pour encourager un accord sur un gouvernement de transition, en annulant la grève et en retournant directement à la table des négociations.

    C’est la logique inéluctable d’essayer de maintenir un bloc politique uni au sein de la coalition de l’opposition, les ” Forces de la Déclaration de Liberté et de Changement ” (FDCF). Le SPA représente le noyau activiste du FDCF, mais ce dernier est une alliance interclasses impliquant des partis pro-capitalistes tels que le Parti Oumma, qui agit depuis le début ouvertement comme un frein paralysant à la lutte révolutionnaire. Ce parti, qui inspire beaucoup de méfiance à cause de ses alliances régulières avec l’ancien régime, s’est publiquement opposé à la première grève générale le 10 juin et a tweeté le tout premier jour de la deuxième grève générale : “Ce n’est pas bien de continuer une désobéissance civile sans limite dans le temps.”

    Le dimanche 30 juin, les masses se sont à nouveau montrées prêtes pour un affrontement révolutionnaire, lançant une nouvelle et imposante contre-offensive, la ” Million’s March “, qui a abouti à ce qui fut probablement la plus grande manifestation de rue de l’histoire soudanaise pour exiger la fin du régime militaire.

    Au milieu de ces pics successifs d’action de masse, les dirigeants de la SPA auraient pu lancer un appel aux comités de résistance, aux comités de grève et à d’autres organisations de base pour qu’ils s’unissent aux niveaux local, régional et national, dans le but de fédérer une assemblée nationale de délégués révolutionnaires qui aurait pu former un gouvernement de travailleurs et des masses révolutionnaires, déposer le Conseil Militaire et se partager le pouvoir.

    Au lieu de cela, les politiques de collaboration de classe du FDCF, auxquelles les dirigeants de la SPA ont lié leur destin, les ont conduits à la conclusion d’un accord formel de partage du pouvoir avec le Conseil militaire le 4 juillet. Cet accord a institué un ” conseil souverain ” composé de 11 personnes, cinq militaires, cinq civils et une autre présentée comme un civil (en réalité, un officier militaire à la retraite). La junte est également chargée de nommer l’un des siens à la tête du conseil pour les 21 premiers mois suivant sa formation. Cela signifie que la majorité des membres du Conseil sera loyale à la TMC, et qu’on ne touche pas à son emprise effective sur les principaux leviers du pouvoir et les milices terroristes.

    Nul doute que cet accord servira à désorienter et à démobiliser les masses, et que la junte reprendra sa répression contre le mouvement révolutionnaire sous prétexte de rétablir “l’ordre”. Un tel accord avec les bourreaux de la révolution est une trahison ouverte des masses révolutionnaires et a semé la confusion dans les rues. Après huit mois de lutte acharnée, et en l’absence d’une alternative perceptible, des éléments de lassitude existent et une partie des masses a vu dans cet accord le seul moyen réaliste de “maîtriser” le TMC. Cependant, l’euphorie supposée décrite par les médias après l’annonce de l’accord était plutôt calme et limitée, et les illusions actuelles seront très probablement éphémères.

    La conclusion de ce pacte a été accueillie avec amertume et colère par les sections les plus avancées des travailleurs et des jeunes militants révolutionnaires. Il a également mis en évidence graphiquement les contradictions de classe au sein du FDCF. Notre agitation devrait donc mettre un accent renouvelé sur la nécessité de rompre avec toutes les forces et tous les éléments politiques de la FDCF qui reposent sur cet accord pourri, et prêts à faire des compromis avec les généraux bouchers. Nous devrions utiliser cet exemple tragique pour souligner la nécessité de dirigeants responsables et d’un parti de masse indépendant qui soient sans réserve du côté de la lutte révolutionnaire menée par les travailleurs et les masses opprimées. Les forces pour construire un tel parti peuvent émerger du processus d’accentuation de la différenciation politique qui résultera inévitablement de l’accord récent.

    En effet, aucun partage de pouvoir pacifique n’est possible entre la révolution et la contre-révolution. L’arrangement actuel n’empêchera pas que les intérêts des millions de travailleurs, de jeunes, de femmes et de pauvres qui luttent pour un Soudan libéré de la dictature et de la pauvreté soient mis sur la voie d’une nouvelle collision avec les intérêts des généraux assassins et des chefs de guerre à la tête du TCM.

    Les ” Leçons d’Espagne ” de Trotsky restent une lecture extrêmement précieuse pour éduquer les nouvelles générations sur ces questions programmatiques clés. Il y expliquait que “le mot “républicain”, comme le mot “démocrate”, est un charlatanisme délibéré qui sert à dissimuler les contradictions de classe”. Remplacez ” républicain ” par ” civil “, et c’est aussi pertinent aujourd’hui qu’à l’époque. La revendication d’un gouvernement civil a toujours été utilisée par les forces bourgeoises locales et les puissances impérialistes pour défendre un gouvernement qui protège la continuation et les intérêts du capitalisme au Soudan.

    Cependant, il est également vital d’apprécier les différents niveaux de conscience des masses sur ces questions dans les processus révolutionnaires actuels au Soudan et en Algérie. Cette demande est comprise différemment pour les larges couches de la population des deux pays qui ont repris ce slogan, dont beaucoup n’ont connu que la domination militaire. Comme le nouveau conseil souverain au Soudan n’a même pas une façade entièrement civile, il est probable que la demande d’un ” gouvernement civil ” continuera d’avoir un large écho pendant un certain temps et sera perçue par beaucoup comme un moyen de faire comprendre la nécessité de faire tomber la junte militaire. Il est donc important d’articuler habilement notre revendication d’un gouvernement ouvrier et paysan pauvre, non pas en s’attaquant de front à la revendication d’un gouvernement civil, mais en soulignant les intérêts de classe opposés qui se cachent derrière ce slogan.

    Tout gouvernement de coalition pro-capitaliste, quelle que soit sa composition civile ou semi-civile formelle, sera extrêmement instable, naviguant entre les aspirations réveillées mais insatisfaites de millions de Soudanais, l’appui d’appareils militaires et de sécurité bien établis et une situation économique catastrophique, avec des dettes énormes et une inflation rampante. L’ambassadeur de Grande-Bretagne à Khartoum a déclaré à juste titre que “si la volonté du peuple soudanais n’est pas respectée, alors je pense que nous retournerons au soulèvement populaire”. Mais si la classe ouvrière et les masses populaires soudanaises ne prennent pas le pouvoir en main, des ailes de l’élite dirigeante seront tentées de résoudre la crise à leur manière, en coupant court à la longue période d’instabilité par le recours à un coup d’Etat, ou “nouveau 3 juin”, peut-être à une plus grande échelle.

    La possibilité pour la classe dirigeante de jouer la carte de l’islamisme, en utilisant l’islam politique de droite pour tromper le mouvement révolutionnaire et protéger les intérêts du capital, comme elle l’a fait pendant un temps en Tunisie et en Egypte, semble plus limitée. L’islam politique est en déclin tant au Soudan qu’en Algérie. Au Soudan, les Frères Musulmans ne sont pas une force d’opposition importante ; ils ont partagé le pouvoir avec Al-Bashir depuis son coup d’Etat en 1989. L’une des principales caractéristiques du soulèvement soudanais est son opposition ouverte au pouvoir des militaires et de leurs alliés fondamentalistes. Les masses soudanaises ont crié des slogans accusant les islamistes d’être responsables de la tyrannie du régime.

    En Algérie, l’expérience de la décennie noire a rendu la population profondément méfiante à l’égard des deux. Le MSP, branche algérienne des Frères Musulmans, a pour sa part collaboré avec l’armée et soutenu Bouteflika depuis sa première prise de pouvoir en 1999 jusqu’en 2012. La plupart des manifestants rejettent les tentatives des fondamentalistes de détourner le mouvement aussi fermement que la prétention des généraux d’en faire autant. Les manifestants en Algérie ont même expulsé certaines personnalités islamistes de leurs manifestations.

    A cela s’ajoute le fait remarquable que les femmes ont joué un rôle de première ligne dans ces luttes de masse dès le premier jour. Les femmes ont joué un rôle majeur dans l’histoire révolutionnaire de l’Algérie et renouvellent ces traditions, mettant en avant leurs propres revendications et s’organisant activement dans le mouvement plus large. Au Soudan, au cours de la répression du 3 juin et des jours suivants, des viols et des agressions sexuelles contre des militantes et des manifestantes ont été perpétrés par des agents de sécurité et des milices pour briser l’esprit révolutionnaire des femmes. Un manifestant a été cité par la BBC : “La [milice] sait que s’ils brisent les femmes, ils brisent la révolution.”

    Le climat actuel n’est donc pas très propice à l’agenda politique préconisé par les fondamentalistes islamiques. Cela dit, la stagnation et les revers du processus révolutionnaire, combinés aux sentiments de frustration populaire qu’ils peuvent engendrer, pourraient créer un terrain plus fertile pour ces forces réactionnaires dans l’avenir. Le TMC lui-même a essayé de monter des groupes salafistes contre l’opposition en accusant cette dernière d’être largement contrôlée par des “figures athées anti-charia”. A cela s’ajoutent les manœuvres contre-révolutionnaires proactives et l’argent acheminé par les Etats du Golfe Wahhabites.

    Jeux régionaux

    La nouvelle situation créée par l’éviction d’Al Bashir au Soudan se déroule dans un contexte d’intensification de la lutte internationale pour l’influence dans la région. Une rivalité entre l’Arabie saoudite et les Émirats Arabes Unis, d’une part, et le Qatar, la Turquie et l’Iran, d’autre part, a gagné la Corne de l’Afrique. Le Soudan est devenu un champ de bataille clé de cette rivalité.

    Entre 2000 et 2017, les États du Golfe ont investi 13 milliards de dollars dans la Corne de l’Afrique, principalement au Soudan et en Éthiopie. En décembre dernier, des représentants de Djibouti, du Soudan et de la Somalie se sont réunis à Riyad pour discuter de la création d’une nouvelle alliance de sécurité pour la mer Rouge. Les Émirats Arabes Unis ont une base militaire en Érythrée depuis 2015 et en construisent une autre au Somaliland. Le régime saoudien prévoit également d’en construire une à Djibouti.

    La Turquie a également fait des incursions dans la région, encourageant des relations étroites avec le gouvernement somalien, y établissant des installations militaires et obtenant des contrats pour les entreprises turques, qui gèrent désormais les ports et aéroports de la capitale. Le régime turc a conclu divers accords commerciaux et militaires avec le régime d’Al Bashir en 2017, notamment un accord pour la remise de l’île soudanaise de Suakin à l’Etat turc, afin d’établir une présence militaire sur la mer Rouge.

    Le renversement d’Al Bashir a ouvert une nouvelle situation, permettant un certain remaniement des cartes, l’axe saoudien devançant la Turquie et développant un ascendant sur les dirigeants militaires actuels à Khartoum. Les chefs du Conseil militaire ont déclaré que l’île de Suakin est une ” partie inséparable ” du Soudan, se sont engagés à soutenir le régime saoudien contre toute menace émanant de l’Iran et à continuer de déployer des troupes soudanaises au Yémen pour aider les Saoudiens dans leur guerre contre les Houthis.

    La coalition saoudienne-émiratienne a utilisé des soldats soudanais pour externaliser sa guerre contre le Yémen, réduisant ainsi le nombre de morts saoudiennes et atténuant ainsi la dissension interne. Cependant, le fait que les masses soudanaises revendiquent de rapatrier les troupes soudanaises du champ de bataille yéménite dans le contexte de leur lutte révolutionnaire, montre combien l’action de masse de la classe ouvrière dans un pays peut aider à renverser les tendances réactionnaires au niveau régional. Bien sûr, la façon dont cela peut être se faire dépend du programme et de la direction qui guidera ces luttes. Pourtant, il ne fait aucun doute que la poursuite de la guerre au Yémen et de l’envoi de Soudanais pauvres pour servir de chair à canon aux intérêts de l’élite saoudienne alimenteront la rage révolutionnaire contre le ” nouveau ” régime à Khartoum.

    Question nationale

    Comme nous l’avons vu dans nos rangs par le passé, les termes “printemps arabe” et “révolution arabe” doivent être traités avec prudence. C’est d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit des mouvements révolutionnaires en Algérie et au Soudan, pays où d’importantes minorités de la population ne sont pas arabes et où existent des questions nationales sensibles. Un programme marxiste pour résoudre la question nationale, reliant la lutte contre l’oppression nationale à un programme de classe, est crucial pour surmonter les tentatives de la classe dirigeante d’exploiter et d’approfondir les divisions nationales.

    Le Soudan n’a jamais été une nation intégrée ; comme la plupart des pays africains, c’est un cadeau empoisonné hérité des politiques de “diviser pour mieux régner» de l’impérialisme occidental. Les 43 millions d’habitants du territoire actuel du Soudan sont composés à 70 % d’Arabes, les 30 % restants étant des groupes ethniques arabisés de Bejas, de Coptes, de Nubiens et d’autres peuples. Il y a aussi près de 600 tribus au Soudan qui parlent plus de 400 dialectes et langues. Les divisions raciales et tribales, en particulier entre les Arabes ethniques qui vivent le long du Nil et les Africains à la peau plus foncée qui constituent la majorité dans les régions périphériques, ont été pleinement exploitées par le régime d’Al Bashir pour consolider son pouvoir.

    Cependant, lorsqu’en février, Al Bashir a tenté d’attribuer les manifestations à de prétendus étudiants terroristes du Darfour, la tactique s’est retournée contre eux de manière spectaculaire, de nombreux manifestants ayant repris le slogan : “Oh, raciste arrogant, nous sommes tous du Darfour”. Cela met en évidence l’une des caractéristiques uniques de ce mouvement par rapport aux luttes révolutionnaires passées au Soudan : qu’il se soit propagé à tout le pays. Les révolutions de 1964 et 1985 se sont principalement limitées à la capitale et aux villes du Nord, avec une forte division entre le centre et les périphéries ; il s’agit cette fois-ci d’un mouvement “national”, qui a naturellement englobé tous les coins du pays, unissant en action les travailleurs et les pauvres quelle que soit leur origine ethnique.

    Cela étant dit, si la lutte révolutionnaire n’est pas menée à la victoire et n’aboutit pas à terme à une restructuration fondamentale de la société selon les lignes socialistes impliquant le droit à l’autodétermination pour toutes les nationalités opprimées (comme les peuples des Monts Nouba et du Darfour), les divisions de longue date, notamment le danger de guerre ethnique, peuvent refaire surface.

    En Algérie, l’éruption spectaculaire des masses s’est également produite à une échelle géographique étendue, avec un essor dans les 48 wilayas (départements) du pays. Le mouvement est particulièrement mobilisé dans la région de la Kabylie, où les griefs économiques et sociaux se mêlent à une forte identité amazighe (berbère) forgée par des décennies de tentatives du régime algérien pour supprimer les droits linguistiques et culturels de la minorité amazighe, en imposant une politique d’arabisation et la marginalisation économique. La reconnaissance de la langue amazighe comme langue nationale et officielle est un développement récent (2016), qui ne s’est faite que sous une pression énorme des masses.

    La possibilité que cette question refasse surface, en partie sous l’impulsion des provocations chauvines de la clique militaire d’Alger, a été récemment démontrée par les attaques du chef d’état-major de l’armée Gaïd Salah contre la proéminence du drapeau amazigh dans les manifestations de rue. Après avoir annoncé le 19 juin que seuls les drapeaux nationaux seraient autorisés, des dizaines de manifestants portant des drapeaux amazighs ont été arrêtés par la police.

    Le régime algérien s’est efforcé au fil des années de se cacher continuellement derrière une certaine façade ” progressiste “. Par exemple, il soutient rhétoriquement la cause des peuples sahraouis et palestiniens, et a adopté une approche prudente sur les interventions étrangères en Libye, en Syrie et au Yémen. Il a également refusé l’installation de centres de transit pour les migrants à l’intérieur du pays. Cependant, ce n’est qu’un côté de la médaille. Si l’Algérie n’est pas encore devenue un valet complet de l’impérialisme, elle est de connivence avec l’impérialisme sur de nombreux fronts. Le régime a signé un ” partenariat exceptionnel ” avec l’impérialisme français, avec lequel il a collaboré dans son intervention militaire au Mali. En février, l’armée algérienne a participé, au Burkina Faso puis en Mauritanie, à des manœuvres militaires de grande envergure placées sous la supervision de l’Africom. Ces contradictions dans la politique étrangère d’un régime traditionnellement orienté vers le soi-disant “non-alignement” ne peuvent que s’accentuer dans la période à venir, une période de concurrence inter-impérialiste accrue au niveau régional et de réveil politique de masse au niveau national.

    Des contradictions similaires persistent dans l’économie algérienne. Les secteurs de l’énergie et des mines restent majoritairement étatiques, à la consternation de l’aile néo-néolibérale du régime et des entreprises occidentales qui veulent accélérer les réformes du marché libre. Ces dernières années, le gouvernement algérien a freiné une grande partie de la libéralisation de l’économie promise, arrêté la privatisation des industries publiques et maintenu la “loi sur l’investissement” – qui stipule que les entreprises nationales qui s’associent à des partenaires étrangers doivent détenir la majorité des actions. Ces questions continueront d’alimenter les tensions entre les factions rivales de la classe dirigeante, d’autant plus dans le contexte d’un mouvement ouvrier plus affirmé, et du détrônement de la figure politique principale qui jouait le rôle “d’arbitre” de ces tensions.

    Droits démocratiques et lutte pour le socialisme

    Sur les traces des traditions bonapartistes algériennes, le général Ahmed Gaïd Salah tente de se faire passer pour le nouvel homme providentiel. Pour tenter de conquérir la population, il a jeté en prison certains des principaux oligarques et amis de Bouteflika et a lancé des enquêtes anti-corruption. Pour affirmer son autorité, il s’est appuyé sur l’application de l’article 102 de la Constitution, qui sacrifie le Président mais maintient la Constitution hyper-présidentielle actuelle, le gouvernement, le conseil constitutionnel, les deux chambres du Parlement et toutes les institutions de l’ancien régime.

    L’élection présidentielle initialement prévue par le régime pour le 4 juillet a été annulée, en raison de leur rejet massif dans les rues, et alors que de plus en plus de maires et de magistrats, sous la pression croissante de la base, annonçaient leur refus de les organiser. Dans un tel contexte, l’appel rassembleur en faveur d’élections libres à une assemblée constitutionnelle révolutionnaire nationale, supervisée par des comités locaux devant être formés dans toutes les communautés pour assurer le caractère démocratique et non corrompu du vote, revêt une pertinence particulière.

    Alors que les masses sortent d’un régime autoritaire, les marxistes devraient accorder l’importance qui leur revient à la défense et à la lutte pour tous les droits démocratiques, tels que la liberté de réunion, la liberté de la presse, le droit d’organisation et de grève, la libération des détenus politiques, etc. Mais, bien sûr, ils ne devraient pas être isolés, mais faire partie d’un programme global de changement socialiste. En outre, nous devons souligner que la classe ouvrière et le peuple révolutionnaire ne peuvent avoir confiance qu’en leurs propres forces pour conquérir et maintenir ces droits. Par exemple, c’est la lutte de masse en Algérie qui a permis la reconquête du droit de manifester dans tout le pays, notamment dans la capitale Alger, où cela était interdit par le régime depuis 2001.

    Le PST (Parti Socialiste des Travailleurs) en Algérie, qui fait partie du Secrétariat Unifié, plaide en faveur d’un ” gouvernement provisoire pour défendre la souveraineté nationale “. Le Parti communiste soudanais prône une ” autorité transitoire démocratique et civile “. Ces slogans suggèrent qu’un stade démocratique stable peut être assuré sans renverser le capitalisme ; ils ne délimitent pas le contenu de classe du gouvernement pour lequel les masses révolutionnaires doivent se battre. Ce sont deux variantes de l’ancienne théorie menchévique, adoptée plus tard par les staliniens, selon laquelle les étapes démocratiques et socialistes de la révolution sont deux chapitres historiques distinctement indépendants, nourrissant la dangereuse illusion qu’une forme viable de régime démocratique favorable aux masses peut être obtenue sans remettre en question les relations bourgeoises de propriété.

    En pratique, cette théorie a ouvert la voie à des alliances politiques traîtresses et à des collaborations gouvernementales avec des ennemis pro-capitalistes, se drapant d’un masque progressiste pour mieux tromper les masses et mettre fin à leur lutte. Ces politiques ont irrémédiablement entraîné des défaites catastrophiques pour la classe ouvrière dans les révolutions, de la Chine en 1925-27 à l’Iran dans les années 1980. Elles constituent une partie centrale de l’explication de la faiblesse de la gauche aujourd’hui dans une grande partie du Moyen-Orient et de l’Afrique.

    Le Parti communiste soudanais (SCP), qui avait autrefois exercé une influence politique considérable en tant que l’un des plus grands partis communistes du continent, a été historiquement décimé à la suite de cette politique désastreuse des ” étapes “, se mettant toujours à la remorque de ce qui était présenté comme les sections ” progressistes ” de la bourgeoisie nationale, plutôt que de poursuivre une politique de classe indépendante pour unir les masses derrière des objectifs socialistes.

    Malheureusement, les dirigeants actuels du SCP ne semblent pas avoir tiré de leçons de leur propre histoire. Dans un communiqué publié début juin, le parti a ouvertement admis : “Nous devons nous soumettre aux souhaits de la majorité de nos partenaires du FDCF et avons accepté de nous asseoir avec le TMC pour négocier un transfert de pouvoir basé sur des modalités de partage du pouvoir avec le TMC. Pour notre part, nous avons vu qu’un changement de position aussi drastique serait coûteux, ne répondant pas aux aspirations de millions de personnes de notre peuple à un véritable changement, et surtout, nous avons du endurer le fort mécontentement visible de certains de nos loyaux membres, amis et sympathisants. Cependant, comme nous étions régis par les termes et les règles du FDCF, nous avons choisi d’agir de manière pragmatique et de prendre la position qui assure l’unité de l’opposition sous la direction du FDCF.”

    C’est dans la même logique que s’inscrit le slogan d’un ” gouvernement des compétences nationales ” défendu par le Front Populaire en Tunisie en 2013. Elle a abouti à la conclusion d’un accord programmatique entre le Front populaire et “Nidaa Tounes”, c’est-à-dire le principal parti politique représentant l’ancien régime dictatorial et les forces pro-restauration, sous prétexte de construire un front “civil” contre les islamistes de droite d’Ennahda. Le Front populaire ne s’est jamais vraiment remis de cette terrible trahison et a gaspillé une formidable opportunité révolutionnaire qui avait objectivement posé la question du pouvoir de la classe ouvrière en Tunisie durant l’été de cette année-là.

    Pour remporter des victoires dans la lutte révolutionnaire de masse et jeter les bases pour en finir avec de la misère, de la crise, de l’exploitation et de l’oppression actuelles, une transformation socialiste de la société est nécessaire. Trotsky a expliqué dans la théorie de la révolution permanente comment toutes les tâches de la révolution démocratique bourgeoise – la question nationale, la terre, les droits démocratiques, la “modernisation” – sont liées à la lutte contre le capitalisme et l’impérialisme.

    Alors que les magnifiques soulèvements révolutionnaires en Algérie et au Soudan ont montré une fois de plus l’héroïsme révolutionnaire dont sont capables les travailleurs, les femmes et les jeunes, les directions des forces politiques actuelles de la gauche organisée ne sont malheureusement pas à la hauteur des tâches historiques posées par ces mouvements. Cela ne fait que souligner l’importance pour le CIO de renouveler ses efforts pour aider à la construction de forces marxistes révolutionnaires dans ces pays et dans toute la région.

  • Soudan : La contre-révolution lève la tête, le peuple résiste héroïquement

    Le lundi 3 juin, avant l’aube, le régime militaire soudanais et ses chiens de garde ont brutalement dispersé le sit-in qui, depuis le 6 avril, campait devant le quartier général militaire de la capitale soudanaise, Khartoum, et qui avait servi de point central au soulèvement qui a fait tomber le dictateur Omar al-Bashir.

    Par Serge Jordan

    Ce mouvement contre-révolutionnaire a été mené par les forces de sécurité et un ensemble de milices réactionnaires, en particulier les « Forces de Soutien Rapide » (RSF). Ces troupes paramilitaires violentes ont été officiellement créées en 2013 pour devenir la garde prétorienne d’Al-Bashir. Elles sont issues de la milice tribale Janjaweed, qui s’est bâtie une réputation via des massacres, des viols, des pillages et d’innombrables autres atrocités commises pendant la guerre au Darfour il y a plus d’une décennie.

    En important ces méthodes directement au cœur de la capitale, les miliciens des RSF se sont livrés à un carnage meurtrier à travers la ville, en incendiant les tentes au sit-in, en violant des femmes, en rasant les têtes des manifestants, en les fouettant, en poursuivant et en frappant des civils désarmés dans les rues, en tirant à balles réelles dans les salles d’hôpital, en pillant les magasins,… Des violences similaires, bien que de moindre ampleur, se sont produites à Port Soudan, Sinar, Atbara et dans de nombreux autres endroits. Les images vidéo diffusées sur les médias sociaux témoignent de la persistance de la violence utilisée par les RSF à Khartoum et dans d’autres villes.

    Le Comité des Médecins Soudanais a estimé le nombre provisoire de morts à plus d’une centaine de personnes, ce à qui s’ajoute des centaines de blessés. Il est toutefois probable que le chiffre réel de la répression sanglante de lundi soit beaucoup plus élevé. Une source de renseignement crédible ayant des liens avec l’appareil de sécurité a rapporté à un journaliste soudanais que « certaines personnes ont été battues à mort et jetées dans le Nil, d’autres ont été abattues et jetées dans le Nil et d’autres ont été tuées à la machette et jetées dans le Nil. C’était un massacre. » Depuis lors, environ 40 corps de manifestants ont été retirés du fleuve.

    La peur de la révolution

    Par cette répression barbare, la junte militaire qui a usurpé le pouvoir après la chute d’Al-Bachir a tenté de semer la terreur parmi les masses et de porter un coup sérieux à la lutte révolutionnaire qui secoue le pays depuis décembre 2018. Le recours au viol, par exemple, vise à écraser l’esprit de résistance des nombreuses femmes soudanaises qui ont été en première ligne des mobilisations révolutionnaires et qui ont joué un rôle clé en surmontant les humiliations que l’ancien régime leur avait infligées.

    Avant la répression de lundi, le chef du « Conseil militaire de transition » (TMC), le général Abdel Fattah al-Burhan, et son adjoint, le général Mohamed Hamdan Dagalo, chef des RSF, ont visité Le Caire, Riyad et Abu Dhabi, probablement pour recevoir le feu vert, l’assistance et les conseils d’al-Sisi, le boucher de la révolution égyptienne, et des monarques réactionnaires du Golfe. Ces régimes sont les principaux partisans régionaux du TMC. Tous rêvent de rétablir une dictature impitoyable à Khartoum qui pourrait noyer la révolution soudanaise dans le sang, mettre fin aux tentations révolutionnaires qui pourraient faire tâche d’huile, et permettre au Soudan de continuer de fournir de la chair à canon pour la guerre au Yémen.

    Le moment choisi pour ces événements dramatiques n’est en effet pas fortuit. La lutte révolutionnaire des masses soudanaises a atteint la semaine dernière une nouvelle dimension avec une grève générale de deux jours qui a mis le pays à l’arrêt complet.

    Le succès de cette grève, qui a montré l’énorme puissance potentielle de la classe ouvrière, a clairement effrayé les généraux et les classes possédantes à travers la région. Entre autres choses, la révolution a donné un nouvel élan à l’activité indépendante de la classe ouvrière, avec la reconstruction de syndicats indépendants précédemment détruits par le régime d’Al-Bashir. Les travailleurs ont commencé à montrer qu’ils représentent une force sociale sérieuse avec laquelle compter, et qu’ils peuvent menacer tout l’édifice sur lequel le pouvoir politique et économique de la junte est érigé.

    Malheureusement, il y a eu un manque de direction décisive quant à ce qu’il convenait de faire après les deux jours de grève générale, laquelle avait mis le pouvoir des généraux en question. Immédiatement après la fin de la grève générale, les dirigeants militaires ont lancé une contre-offensive, en décidant de s’attaquer à l’expression la plus iconique et la plus vivante de la révolution. Les dirigeants du TMC ont déclaré que le sit-in était devenu une menace pour « la sécurité du pays » et devait cesser. Les médias pro-régime se sont lancés dans une frénésie pour dénoncer le sit-in pacifique comme un nid de trafiquants de drogue, de débauche et de petit banditisme, afin de justifier sa dispersion et le massacre qui a suivi.

    Les restes de l’ancien régime et leurs soutiens internationaux ont méticuleusement planifié leur opération. Les bureaux d’Al Jazeera à Khartoum ont été fermés le 31 mai, et ses journalistes ont été interdits de reportage au Soudan. Afin de limiter la couverture des événements, Internet a ensuite été fermé dans tout le pays lundi et n’a pas été rétabli depuis. Des unités de l’armée régulière ont été consignées dans leurs casernes et beaucoup d’entre elles ont été dépouillées de leurs armes afin de ne pas entraver le sale boulot des mercenaires du RSF. Par la suite, on a rapporté des scènes de soldats en sanglots impuissants pendant que le carnage se déroulait.

    Cela contraste avec les larmes de crocodile versées par les gouvernements occidentaux, lesquelles ne peuvent compenser leur hypocrisie stupéfiante. Au fil des années, l’Union Européenne a injecté des millions d’euros dans les RSF afin de freiner la migration du Soudan vers l’Europe. La Maison-Blanche et de nombreux gouvernements européens ont soutenu et fourni au régime saoudien les armes qui ont été utilisées pour abattre les manifestants et autres civils innocents dans les rues du Soudan.

    Plus aucune négociation avec les généraux assoiffés de sang

    Les leçons politiques de ce qui s’est passé doivent être pleinement tirées, pour s’assurer que le sang des martyrs du 3 juin et des jours suivants n’ait pas été versé en vain. Avant cet épisode, le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) et ses partisans au Soudan n’avaient cessé de s’opposer à l’illusion de conclure un compromis avec les généraux de l’ancien régime, qui s’étaient emparés du pouvoir par la force dans le seul but de couper la voie au flot révolutionnaire.

    Une déclaration de ‘Socialist Alternative Sudan’ du 23 mai expliquait : « Pourquoi une révolution qui s’est débarrassée d’Al Bashir par la sueur, les larmes et le sang de notre peuple finirait-elle par négocier un accord de partage du pouvoir avec une partie de l’appareil oppresseur qui l’a protégé et a bénéficié de son pouvoir pendant si longtemps ? Les dirigeants militaires n’ont aucunement l’intention de renoncer au pouvoir, et ils ne quitteront pas la scène à moins d’y être contraints par la force de l’action révolutionnaire de masse – le seul langage qu’ils comprennent. »

    Début avril, la première réaction de la rue à l’annonce de la création du TMC a été le slogan : « La révolution vient de commencer », montrant que beaucoup de gens n’étaient pas prêts non plus à tomber dans le piège tendu par les auteurs du coup d’Etat militaire. Malheureusement, ce ne fut pas tant le cas des dirigeants qui parlent en leur nom, organisés au sein des Forces pour la Déclaration de la Liberté et du Changement (FDFC), qui ont accepté de négocier avec les généraux d’Al Bashir.

    Le FDFC est une large alliance d’opposition dont la colonne vertébrale est l’Association Professionnelle Soudanaise (SPA, un réseau de syndicats professionnels qui jouit d’une autorité importante parmi les travailleurs et les militants de base pour son rôle organisateur dans le mouvement) mais qui comprend également des partis d’opposition de droite intégrés à l’élite soudanaise bourgeoise, comme le Parti National Umma et le Parti du Congrès soudanais.

    Ces partis ont une longue tradition de concessions et d’ouvertures au régime d’Al-Bashir ; ils n’ont jamais eu confiance dans le mouvement de masse, mais ont voulu l’exploiter afin d’accéder à des carrières politiques lucratives dans une future administration capitaliste. Les dirigeants du parti Umma ont ouvertement rejeté l’appel à la grève générale de la semaine dernière. Maintenant, ils se sont prononcés en faveur de la dernière manœuvre politique du TMC, à savoir l’annonce d’élections dans un délai de neuf mois. Des élections qui se tiendraient dans les conditions actuelles, sous le contrôle de la clique militaire et sécuritaire, ne seraient pourtant évidemment rien d’autre qu’une mascarade autoritaire.

    En essayant d’assurer de manière pragmatique l’unité de l’opposition sous la direction du FDFC, les dirigeants du SPA ont lié leurs mains à une stratégie sans issue, en essayant de concilier les exigences du mouvement révolutionnaire et les ambitions cyniques des dirigeants militaires contre-révolutionnaires. Tous les partisans du SPA devraient exiger que le SPA rompt avec toutes les forces et dirigeants pro-capitalistes qui se montrent disposés à conclure un accord avec les bouchers militaires sur le dos du mouvement révolutionnaire.

    Les négociateurs du FDFC pensaient pouvoir apaiser la junte corrompue et brutale, et convaincre cette dernière d’adopter une position plus « raisonnable » en partageant le pouvoir dans un organe souverain hybride, composé de représentants militaires et civils. Plusieurs semaines ont été perdues en négociations stériles avec le TMC, ce qui a semé la confusion dans le mouvement et mis en colère de nombreux militants. Comme beaucoup de manifestants le savent bien, les généraux se sont assis à la table des négociations non pas pour abandonner généreusement leur pouvoir, mais pour gagner du temps, tromper l’opposition avec de vagues promesses et attendre la bonne occasion de recourir à la violence contre les masses dans les rues.

    Mercredi, le général Burhan a prononcé un discours télévisé dans lequel il a déclaré que le TMC était disposé à reprendre les négociations. Cet appel a été lancé alors que ses hommes de main tiraient, battaient et tuaient dans les rues, et quelques heures avant que les forces de sécurité n’arrêtent un homme politique important de l’opposition, Yasir Arman, chef du Mouvement populaire de libération du Soudan (SPLMN). Les porte-parole du FDFC ont, à juste titre, déclaré qu’ils cesseraient tout contact politique avec le Conseil militaire et suspendaient les négociations, estimant que « la junte n’est plus un interlocuteur valable pour négocier avec le peuple soudanais ». Mais elle ne l’a jamais été auparavant ! Dès le début, sous la pression énorme du mouvement de masse, le TMC n’était rien d’autre que le centre névralgique de la contre-révolution, composée de criminels de guerre notoires et de partisans corrompus de l’ancien régime, qui cherchaient à détourner une révolution qui représentait une menace directe pour leur régime brutal et leur système exploiteur. De leur point de vue, la destitution d’Al-Bashir et d’autres hauts fonctionnaires n’est intervenue que pour tenter de préserver les fondements essentiels de l’ancienne machine d’État et sauvegarder leurs propres positions, dont ils dégagent des privilèges et bénéfices économiques importants.

    Une résistance héroïque

    Malgré l’ampleur de la violence du régime, les manifestants chassés du site lundi devant le ministère de la Défense ont fait preuve d’une résistance héroïque, continuant à manifester, érigeant des barricades dans les rues de Khartoum et d’Omdurman, la ville voisine. Dans les quartiers de la capitale, les gens se sont déversés dans les rues pour protester contre les actions de la junte, barricadant les rues, brûlant des pneus, bloquant les ponts. Mardi, des vidéos ont été diffusées sur les médias sociaux montrant des habitants en train de faire la prière l’Aïd al-Fitr derrière leurs barricades.

    Selon un partisan du CIO vivant à Khartoum, des manifestants ont barricadé la plupart des routes de la ville à partir du mercredi 5 juin, bien que certaines barricades aient depuis été enlevées par la force. De féroces combats de rue opposent régulièrement des jeunes en colère aux patrouilles de la RSF qui rôdent et terrorisent les masses ; des coups de feu continuent d’être entendus et d’autres tueries ont lieu. Mardi soir, les forces de sécurité ont tenté de démanteler le sit-in de Port-Soudan devant la 101e division d’infanterie sans y arriver, tandis que les travailleurs de Port-Soudan ont poursuivi leurs grèves et leurs actes de désobéissance civile. Les manifestants ont fermé la plupart des routes principales et un certain nombre de quartiers à l’aide de barrages routiers et d’incendies de pneus.

    Mardi, mercredi et jeudi, des marches de colère, des manifestations de masse et des barrages routiers ont également éclaté dans diverses parties du pays à mesure que l’ampleur des massacres à Khartoum devenait claire. Mercredi, des manifestations de masse ont éclaté à Zalingei dans le Darfour central, à El Geneina dans le Darfour occidental et à Nyala dans le Darfour-Sud, bravant gaz lacrymogènes et balles réelles et scandant des slogans demandant la chute de la junte militaire.

    Des sections de la classe ouvrière ont stoppé le travail pour protester contre les actions de la junte militaire, comme l’ont fait les ouvriers des champs pétroliers du Kordofan occidental. Lundi, les vols intérieurs et extérieurs se sont arrêtés à l’aéroport international de Khartoum, coïncidant avec l’annonce par l’Association soudanaise des pilotes d’une désobéissance civile totale, sans aucune exception pour aucun vol. En réaction, les milices du régime ont forcé les grévistes à travailler sous la menace. Les travailleurs des aéroports en grève ont été visités à leur domicile et forcés d’aller travailler sous la menace d’armes à feu. Un homme qui a refusé a été abattu devant sa famille.

    La menace d’une contre-révolution aussi brutale doit être contrée par une action collective massive et organisée et par l’autodéfense des masses révolutionnaires. Alors que les milices répandent la terreur, le viol et le massacre, l’organisation de la défense physique de la révolution est devenue une question de vie ou de mort. Des comités de défense devraient être mis en place dans tous les lieux de travail, les communautés et les quartiers, et établir des liens entre eux pour coordonner leur action et centraliser toutes les armes qu’ils peuvent trouver, y compris des armes de fortune.

    Les divisions de classe au sein des forces armées et les sympathies révolutionnaires qui prévalent encore parmi de nombreux soldats du rang devraient également être concrétisées sans délai. Après tout, la mutinerie latente dans les rangs inférieurs de l’armée a été l’une des principales raisons qui ont poussé la junte à se débarrasser d’Omar Al Bashir. Le SPA et les comités révolutionnaires devraient lancer des appels publics aux soldats de base et aux officiers subalternes pour qu’ils refusent tout ordre venant du conseil militaire, se rebellent contre leurs commandants, élisent démocratiquement leurs propres comités et se joignent au peuple révolutionnaire pour les aider à traquer et désarmer toutes les milices, arrêter et juger tous ceux qui ont tué, violé et torturé.

    Les appels lancés par le SPA en faveur d’une « désobéissance civile totale, de la fermeture de toutes les rues, ponts et ports principaux et d’une grève politique ouverte sur tous les lieux de travail et les installations, dans les secteurs public et privé » vont dans le bon sens. Alors que les appels à cette « grève globale » ont été lancés pour qu’elle débute dès dimanche, certains signes montrent qu’elle se développe déjà – bien qu’il soit difficile d’en évaluer l’ampleur avec les vacances de l’Eid. En tout cas, les masses n’ont pas le luxe d’attendre. Une action immédiate et décisive est nécessaire pour vaincre le déchaînement actuel de la contre-révolution. Barricades dans les rues, actions de grève avec des groupes de défense de travailleurs pour protéger les lieux de travail, occupations d’endroits stratégiques et infrastructures, sont le moyen de paralyser l’offensive actuelle de la junte réactionnaire, de ses milices et des forces de sécurité, et de commencer une contre-offensive révolutionnaire décidée.

    A bas le TMC – le pouvoir aux travailleurs et au peuple révolutionnaire !

    Au cours de la lutte révolutionnaire, un vaste processus d’organisation populaire a pris forme dans les communautés locales et sur les lieux de travail, dans les quartiers et lors des sit-in, développant dans les faits une situation de « double pouvoir » : défiant l’ancienne machine étatique dirigée par les généraux et les restes des anciens régimes, ont émergé les embryons d’une nouvelle société, sous la forme de divers comités révolutionnaires locaux. Avec ces comités locaux comme unité de base, un nouveau pouvoir d’Etat révolutionnaire pourrait être construit, qui pourrait donner défier la clique militaire dans le TMC et ses diverses annexes. Les comités de quartier, de grève etc, s’ils étaient généralisés, pourraient élire des représentants à des conseils locaux, régionaux et nationaux, et se battre pour le pouvoir politique au nom de la révolution.

    Pour qu’une telle lutte mobilise les énergies et le soutien les plus larges, il faut qu’elle inscrive sous sa bannière non seulement les revendications pour une véritable démocratie au Soudan, mais aussi les questions sociales et économiques brûlantes qui soumettent continuellement les masses à la souffrance quotidienne : la lutte pour le pain, l’emploi, des salaires décents, le logement, la terre, l’accès à l’éducation et aux soins, les transports,… Si cela est défendu de façon cohérente, un tel programme pourrait même contribuer à briser les rangs de certains des jeunes les plus opprimés et les plus sous-classés qui sont enrôlés dans les milices du régime et qui sont actuellement utilisés pour réprimer le mouvement.

    Mais ces exigences ne pourront finalement être satisfaites que si les secteurs-clés de l’économie sont retirés des mains de l’élite militaire corrompue et de la classe capitaliste nationale et étrangère, qui les siphonnent pour leur propre enrichissement. Comme l’a commenté ‘The Economist’ le 27 avril, « La junte a beaucoup à perdre. On estime que 65 à 70 % des dépenses de l’État sont consacrées à la sécurité, contre seulement 5 % pour la santé publique et l’éducation. Les familles liées aux secteurs militaires et de sécurité dirigent les entreprises qui dominent l’économie soudanaise. » Ces entreprises devraient appartenir au secteur public, être planifiées et gérées démocratiquement par les travailleurs et les masses révolutionnaires.

    Un gouvernement de travailleurs et de paysans pauvres, mettant en œuvre des politiques socialistes, mettrait fin au pillage de l’économie et à l’océan de misère qu’il entraîne, et désarmerait la contre-révolution tant politiquement que militairement. En appelant les travailleurs, les pauvres et les opprimés d’Afrique et du Moyen-Orient à se joindre à la lutte contre le capitalisme et la dictature, un tel gouvernement serait une énorme source d’inspiration pour les millions de personnes qui, dans le monde entier, suivent avec inquiétude la bataille en cours entre révolution et contre-révolution au Soudan.

    Actuellement, l’avenir de la révolution soudanaise est très incertain. Le vide politique hérité de l’absence d’un parti de masse, qui pourrait unir les travailleurs et le peuple révolutionnaire derrière un programme clair et montrer une voie décisive, pèse lourd sur le mouvement. Les informations faisant état de tensions et d’affrontements entre les Forces armées soudanaises et les RSF indiquent que la situation pourrait devenir très chaotique, des éléments d’une guerre civile prenant forme ou même la possibilité d’un « coup d’État dans le coup d’État », voire des affrontements plus sérieux entre diverses factions armées et milices en lutte pour le pouvoir. Cependant, le mouvement révolutionnaire n’a pas prononcé ses derniers mots, et il est du devoir de tous les socialistes, syndicalistes et militants de gauche du monde entier de soutenir cette lutte par tous les moyens possibles pour la mener à bien.

    Socialist Alternative Sudan exige :

    • La mobilisation immédiate pour la défense de la révolution soudanaise – pour une grève générale à l’échelle du pays contre le Conseil militaire.
    • L’autodéfense massive et démocratiquement organisée de la révolution : mise sur pied de comités de grève et de protection dans tous les lieux de travail, les rues et les quartiers – dissolution et désarmement des RSF et de toutes les milices du régime.
    • La défense de tous les droits démocratiques, la libération de tous les prisonniers politiques et des personnes arrêtées ces derniers jours.
    • La chute du régime militaire, l’arrestation des dirigeants du TMC – pour un gouvernement ouvrier et des pauvres basé sur des comités populaires.
    • Le droit du peuple soudanais de décider de son propre avenir – non à l’ingérence et à l’intervention des puissances internationales et régionales dans les affaires du Soudan.
    • La suppression des budgets militaires et de sécurité – pour un programme d’investissements publics massifs dans l’infrastructure, la santé, l’emploi et l’éducation.
    • La nationalisation sous contrôle ouvrier de toutes les entreprises et biens appartenant aux affairistes liés à l’ancien régime, aux hauts militaires et responsables sécuritaires.
    • La solidarité des travailleurs internationaux avec la révolution soudanaise – aucune confiance dans l’Union africaine, l’Union Européenne et les autres organes et gouvernements impérialistes.
    • A bas le capitalisme, l’exploitation et la guerre. Retour immédiat de toutes les troupes soudanaises du Yémen.
    • Pour un Soudan libre, démocratique et socialiste, reconnaissant le droit à l’autodétermination pour toutes les nationalités et groupes ethniques opprimés.
  • Soudan : Aucun compromis avec l’ancien régime – la révolution doit continuer !

    Quatre mois de lutte de masse dans les rues, avec un flot incessant de manifestations, de grèves, d’occupations et de sit-in, ont abouti à la destitution du dictateur Omar el-Béchir il y a un mois. Depuis lors, la poursuite d’un sit-in de masse devant le quartier général du Commandement général de l’armée soudanaise à Khartoum et des occupations de moindre envergure devant le quartier général de l’armée dans d’autres États résument la bataille en cours entre les forces vives de la révolution soudanaise et le “Conseil militaire transitoire” (TMC) qui s’est approprié le pouvoir politique au nom de la vielle garde et de la classe dirigeante.

    Par des partisans du Comité pour une Internationale Ouvrière au Soudan

    Des changements au sein des syndicats

    La révolution a conquis un certain nombre de choses. La plus importante d’entre elles est la formation, par la lutte, d’une organisation syndicale unifiée qui réunit diverses catégories professionnelles et les travailleurs du secteur public.

    C’est le cas, par exemple, de l’Union démocratique des avocats, qui a apporté un soutien juridique aux révolutionnaires et s’est présentée devant tous les tribunaux d’exception qui ont décidé de casser les manifestations. Elle se bat actuellement pour obtenir la reconnaissance officielle de son existence. C’est aussi le cas du Comité central soudanais des médecins, présent lors de toutes les manifestations et qui organise l’installation de cliniques médicales dans le sit-in. Il a également pris en charge le décompte statistique des morts durant les cinq mois précédents. D’autres secteurs organisés au sein d’organes syndicaux similaires indépendants des syndicats officiels se sont réunis pour constituer ce qu’on appelle l’Association soudanaise des professionnels (SPA), la principale organisation syndicale qui a organisé nombre des manifestations et a également lancé la “Déclaration sur la liberté et le changement”.

    Pourtant, tout en ayant joué un rôle très important dans l’organisation des manifestations, les dirigeants du SPA n’expriment pas clairement par quoi le régime actuel devrait être remplacé. Ils oscillent entre la pression de la rue, qui exige le départ du Conseil militaire transitoire, et leurs propres illusions envers un atterrissage en douceur de l’ancien régime dictatorial et envers leur capacité à convaincre les généraux d’accepter un compromis.

    Diverses organisations luttent également dans les entreprises et sur les lieux de travail pour soustraire les syndicats officiels à l’influence de l’ancien régime. A travers les restes du syndicat de la Kanana Sugar Company – la plus grande entreprise sucrière du pays, située dans l’État du Nil Blanc -, des centaines de travailleurs ont arrêté leur travail et organisé un sit-in devant la garnison militaire de Kenana pour satisfaire leurs revendications contre la corruption et les traitements injustes. Lors d’une assemblée générale du syndicat, les syndicalistes associés au système ont été chassés ; le syndicat a été restructuré de manière plus démocratique et le directeur corrompu du personnel de l’entreprise, responsable du licenciement de près de deux mille travailleurs il y a quelques années, a été expulsé.

    Plusieurs autres secteurs de la classe ouvrière ont commencé à entrer en action, comme les travailleurs temporaires de Port Soudan, les travailleurs pétroliers du Kordofan occidental, les techniciens de laboratoire de l’État de la mer Rouge. Ces actions ne visent pas seulement à exiger un changement radical dans les conditions de travail des travailleurs, mais souvent aussi à s’en prendre aux politiques répressives de l’ancien régime sur les lieux de travail en exigeant la réintégration de travailleurs licenciés pour leur opposition au régime, le renvoi des responsables “syndicaux” qui ont collaboré avec la dictature, etc.

    Les comités de quartier

    Le 11 mai, un “séminaire” sur la situation politique actuelle au Soudan a été organisé par un comité de quartier dans l’un des districts de Khartoum. Pareil événement était encore impensable il y a peu. L’initiative transpirait d’un sentiment révolutionnaire. Jusqu’à présent, le succès des sit-in est le fruit du travail continu d’une multitude de comités de base similaire répartis dans de nombreuses villes et villages à travers le pays.

    Une déclaration du SPA il y a quelques semaines suggérait de changer le nom de ces “Comités de résistance” pour qu’ils deviennent des “Comités de résistance et de changement”. Cela signifie que ces comités seraient chargés non seulement de la résistance à l’ancien régime, mais aussi du “changement”, c’est-à-dire de la construction d’un nouvel Etat et de la construction de ses fondations démocratiques. Il existe déjà des exemples de comités impliqués dans la gestion des affaires locales.

    Il est toutefois important que ces comités ne soient pas simplement utilisés comme un appendice auxiliaire à un arrangement politique conclu au sommet par les dirigeants du SPA. Ce comités doivent être considérés un outil par lequel les masses peuvent s’organiser afin de transformer la société et imposer leur propre volonté révolutionnaire. Pour que ce processus de création de comités prenne tout son sens, Soclialist Alternative Sudan défend qu’ils doivent reposer sur l’élection systématique des délégués et sur la possibilité de les révoquer. Les comités doivent également étendre leur influence jusqu’aux lieux de travail, à l’administration publique, dans les grands domaines agricoles, etc. Coordonnées à tous les niveaux, les comités pourraient constituer la base d’un gouvernement révolutionnaire indépendant composé de représentants des travailleurs et des masses pauvres, ce qui pourrait balayer le régime actuel une bonne fois pour toutes.

    Le discrédit des politiques d’islamisation

    Au Soudan, le régime de Bachir avait militarisé le discours religieux. Les émotions de la population majoritairement musulmane ont été exploitées à des fins personnelles et partisanes totalement étrangères aux croyances de la population. Récemment, un certain nombre de chefs religieux ont été chargés de tenter d’apaiser les manifestations. Mais ces derniers se sont constamment retrouvés défiés et repoussés par les gens. Toutes les tentatives visant à attiser la passion religieuse ont été contrecarrées et exposées comme des manœuvres. De nombreux cheikhs ont été expulsés des mosquées en raison de leur soutien au régime ou de leurs tentatives de diabolisation du mouvement révolutionnaire. Sur les marchés et dans les lieux publics, les gens prennent pour cible tous les symboles de l’ancien régime.

    Depuis son accession au pouvoir en 1989, le régime poursuivait une politique dite de “stabilisation” consistant à exploiter les institutions publiques dans leur propre intérêt en recrutant et en promouvant tous ceux qui appartiennent au Mouvement islamique. En retour, tous les employés qui ne faisaient pas partie du Mouvement islamique ont été retirés des institutions et mis à la retraite. Ainsi, toutes les institutions publiques ont été purgées et placées sous le contrôle direct du régime.

    Dernièrement, des voix se sont élevées pour exiger que toutes les institutions et entreprises publiques soient retirées du contrôle des collaborateurs de l’ancien régime. Les laisser à leurs positions permettrait à la contre-révolution de provoquer le chaos dans l’Etat après avoir réorganisé ses rangs.

    L’élite soudanaise tente l’apaisement

    Depuis l’indépendance du Soudan, l’histoire a été témoin de plusieurs soulèvements révolutionnaires avortés. Les élites dirigeantes capitalistes ont coopéré avec les militaires pour enrayer tout changement démocratique et social et défendre leurs profits et leurs intérêts au détriment de tout développement véritable pour les travailleurs et les pauvres. C’est ce même scénario que veulent suivre le Conseil militaire qui désire garder le pouvoir entre ses mains, mais aussi des dirigeants de l’alliance de l’opposition, les “Forces pour la liberté et le changement”, qui veulent faire des concessions et à trouver un accord au sommet qui assurerait la fin de la lutte révolutionnaire ‘‘par le bas’’.

    Depuis le premier coup d’État du matin du 11 avril jusqu’à aujourd’hui, la question du transfert du pouvoir à un gouvernement civil n’a pas été résolue. Cela s’explique par les limites programmatiques et stratégiques du comité de négociation, par son manque de confiance envers le mouvement de la rue et par la soumission, les tergiversations et les concessions continues des ‘‘Forces pour la liberté et le changement’’. Cela a déjà provoqué plusieurs différends au sein de cette alliance.

    Le conseil militaire tente de gagner du temps pour préserver son emprise sur le pouvoir et s’engage dans un certain nombre d’autres manœuvres (comme de siéger au côté des partis et autres forces politiques qui faisaient partie du gouvernement précédent jusqu’à la chute du régime dans un “gouvernement de réconciliation”). De leur côté, les ‘‘Forces pour la liberté et le changement’’ continuent à s’assoir avec le conseil militaire à la table des négociations pour parvenir à un partage du pouvoir. Cela est source de confusion dans le mouvement. Cela offre également à l’ancien régime et ses cadres plus de temps pour se réorganiser et d’essayer d’entamer la cohésion de la rue.

    Le 14 mai, les usurpateurs militaires ont annoncé un accord avec l’opposition pour une période de transition de trois ans vers une administration civile. Au même moment, les forces avec lesquelles les dirigeants du SPA négociaient tiraient à balles réelles dans les rues, ce qui a tué plus de 10 manifestants les 14 et 15 mai ! Cela illustre de manière évidente que cet arrangement est un compromis pourri. Il s’agit d’une nouvelle manœuvre de la vielle garde militaire pour conserver le pouvoir et briser le mouvement qui doit être catégoriquement rejetée.

    En tout état de cause, un “gouvernement civil”, s’il voit le jour, n’offrirait aucun salut aux millions de Soudanais pauvres, travailleurs, femmes et jeunes qui luttent pour un changement révolutionnaire. Le salut viendra d’une rupture définitive avec le capitalisme, un système basé sur l’exploitation de la majorité du peuple par une petite élite qui ne gère l’économie qu’à son propre profit. C’est pourquoi il est important de construire une organisation de masse des travailleurs et des jeunes indépendante du pouvoir et capable de s’opposer fermement à toute conciliation avec des forces pro-capitalistes.

    Nous soutenons la tenue d’élections libres et démocratiques, mais la réalisation de toutes les revendications démocratiques de la révolution ne peut être réalisée en restant dans les limites du capitalisme. Nous appelons à la formation d’une assemblée constituante révolutionnaire, élue dans tous les secteurs de la société, pour planifier l’avenir du Soudan.

    Le chef du conseil militaire parle d’”achever le soulèvement et la révolution bénie”. Mais ces personnes n’ont aucun mandat ni aucune légitimité pour parler au nom de la révolution… à laquelle elles se sont d’ailleurs opposées de toutes leurs forces !

    La destitution de Bachir ne s’est pas faite par la négociation, mais par le pouvoir irrésistible de l’action de masse. C’est pourquoi Socialist Alternative Sudan exige la suspension immédiate des négociations avec le conseil militaire et défend la poursuite de la révolution dans le but que les masses elles-mêmes prennent le pouvoir !

    Les négociations avec le conseil militaire retarderont ce processus et pourront même le tuer. C’est pourquoi nous nous opposons à toute entente avec le conseil militaire. Au lieu de cela, le SPA devrait appeler à une nouvelle campagne de désobéissance civile de masse comprenant des actions de grève généralisées, pour se débarrasser une fois pour toutes de la junte militaire.

    Dix jours seulement après le renversement de Bachir, face à l’intransigeance du conseil militaire et à l’impasse dans laquelle se trouvaient les négociations, les forces de “Liberté et changement” étaient revenues vers les sit-in en annonçant avoir suspendu toute négociation avec le conseil militaire. L’arrivée d’un grand convoi transportant des milliers de révolutionnaires d’Atbara – la première ville qui a allumé le feu de la révolution en décembre de l’année dernière – jusqu’au lieu du sit-in dans la capitale avait redonné un élan au camp de la révolution. Le conseil militaire a été contraint de reculer et a même publié un communiqué de presse admettant que les forces du SPA étaient la seule force représentant la rue !

    Le 2 mai, des centaines de milliers de personnes ont à nouveau manifesté pour exiger la démission du conseil militaire. Mais au lieu d’utiliser cette dynamique pour que le mouvement aille de l’avant, les dirigeants de l’opposition ont pris peur et se sont précipités pour négocier avec les principaux représentants de la contre-révolution.

    Les ambitions militaires et l’”État profond”

    Les Forces de soutien rapide, des forces armées à l’histoire sombre (une force paramilitaire soudanaise sous le commandement du National Intelligence and Security Service, NdT), ont profité de leur nouvelle position acquise lors du coup d’État pour imposer leur pouvoir et saisir toutes les entreprises qui appartenaient à des parties de l’ancien régime.

    Les journaux ont beaucoup parlé de la remise des entreprises privées de l’ancien régime aux mains de l’armée, prétendument pour tenter de récupérer les fonds pillés dans le pays. Ces entreprises feront-elles partie du Trésor public ou seront-elles finalement rachetées par les Forces de soutien rapide ? Nous pourrions assister à Khartoum à un scénario similaire à celui de l’armée de Sisi en Égypte, où de gros pans de l’économie passent des mains des magnats de l’ancien régime au sommet de l’armée : d’une clique de gangsters pro-capitalistes à une autre. Pendant ce temps, la situation de misère et de chômage massif est restée pratiquement la même pour la population égyptienne.

    Pour éviter cela, Socialist Alternative Sudan défend que tous les actifs, les entreprises et les fonds qui appartenaient auparavant aux escrocs du régime soient ouverts à un audit public, immédiatement nationalisés et gérés démocratiquement par les comités élus des travailleurs et du peuple révolutionnaire. De telles mesures devraient être étendues à toutes les propriétés et entreprises qui menacent de fermeture, de licenciement ou de délocalisation, et être considérées comme les “premières salves” de la chute du capitalisme au Soudan. Faire face au sort des masses exige des mesures socialistes radicales.

    L’armée est aujourd’hui divisée en au moins deux factions : l’armée avec toutes ses forces officielles, puis les Forces de soutien rapide sous la direction de Hamidi. Celle-ci est une faction militaire plus proche d’une force tribale que d’une armée nationale. Elle est responsable de divers crimes commis au Darfour. Au départ, il s’agissait d’une milice tribale soutenue par le gouvernement précédent avec des armes et des fonds pour lutter pour la guerre au Darfour. Cette milice a bénéficié de la guerre et de l’argent qui lui a été versé pour accroître ses effectifs. Elle dispose également d’une importante source de revenus économiques, à commencer par une mine d’or prise de force (ou par un accord avec l’ancien régime – ce n’est pas clair) ainsi que d’un généreux financement des Etats du Golfe pour participer à la guerre au Yémen. Il faut ajouter à cela les fonds de l’Union européenne qui sont versés directement à ces forces, en dehors du Trésor public, pour stopper les migrants à la frontière.

    Ces derniers jours, un certain nombre de scénarios ont fait allusion aux activités contre-révolutionnaires réelles de “l’État profond”. L’approvisionnement en eau et en électricité a été interrompu pendant de longues périodes, et bien que le “soutien” soit arrivé des États du Golfe, il y a eu une pénurie de combustible avec des files d’attente pouvant atteindre une journée entière. La chaîne de télévision soudanaise, la chaîne nationale, a diffusé toutes sortes de rumeurs et de fausses nouvelles contre le sit-in, même après le coup. La violence et les fusillades déclenchées ces dernières nuits sur les manifestants lors du sit-in à Khartoum, qui ont fait des dizaines de morts et de blessés, sont aussi largement considérées comme le fait de bataillons fantômes composés de partisans du régime évincé. Cela prouve que la guerre avec l’ancien régime fait toujours rage et que la contre-révolution est à son apogée.

    Pour Socialist Alternative Sudan, les travailleurs et les masses révolutionnaires doivent entreprendre la dissolution et le désarmement systématique de toutes les milices réactionnaires, organiser la défense du mouvement et la protection et la sécurité des quartiers, tout cela au travers de leurs comités. Nous appelons également les rangs de l’armée qui sympathisent avec le mouvement à élire leurs propres comités et à s’associer aux comités ouvriers et de quartier. Ils devraient se débarrasser des officiers corrompus et réactionnaires et joindre leurs forces à la lutte révolutionnaire.

    Des intérêts régionaux

    Les journaux des pays impérialistes ont brouillé l’image de la situation réelle sur le terrain et donné l’impression que la révolution était réussie et terminée. Au même moment, le scénario du vol de la révolution était tissé dans les coulisses. Avec la junte militaire, une contre-révolution a été préparée avec le soutien des pays impérialistes et leurs alliés du Golfe, en plus de l’État dit profond et de toutes les forces ayant un intérêt commun à vaincre la révolution. Certaines informations ont révélé que le chef adjoint de la sécurité nationale s’était rendu en Égypte quelques jours avant le coup d’État lors d’une visite secrète pour y consulter les dirigeants du Golfe afin de planifier le processus d’isolement de Bachir – ce qui illustre clairement la relation des pays voisins comme l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis, par le biais de l’Égypte dans ce cas-ci. Taha Osman, l’ancien vice-président du Soudan, a fui le Soudan pour l’Arabie saoudite après avoir annoncé sa tentative de renverser Bachir avec le soutien des régimes saoudien et émirati.

    Outre la politique étrangère déséquilibrée du régime de Bachir, son soutien au terrorisme et ses alliances fondées sur des intérêts politiques à court terme, c’est le statut géopolitique du Soudan comme point d’entrée en Afrique et ses relations avec les pays arabes qui ont incité de nombreux pays régionaux à intervenir dans le processus de changement de régime.

    Dès les premiers jours du coup d’État, les régimes saoudien et émirati ont offert leur soutien militaire afin de préserver la survie de la junte militaire au pouvoir. Ils s’attendaient à ce que les intérêts de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis au Yémen soient protégés par le maintien des forces militaires soudanaises qui y combattent. Cela contraste fortement avec les exigences des révolutionnaires et des militants de la rue, qui souhaitaient le retour immédiat des troupes du Yémen, et ce sera l’une des premières mesures adoptées par un nouveau gouvernement post-Bashir.

    Cependant, avec la marge étroite dont disposait le conseil militaire pour continuer à gouverner en naviguant entre les pressions de la rue et la pression internationale, l’Union africaine n’ayant donné que deux semaines au conseil militaire pour transférer le pouvoir à un gouvernement civil, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont exploité leur influence par l’Égypte. Cela a accru la colère de la rue et révélé pleinement les intérêts de ces pays, enracinés dans ceux du Conseil militaire. Les manifestants ont organisé deux veillées devant l’ambassade égyptienne pour exprimer le rejet total de l’ingérence égyptienne dans les affaires soudanaises.

    Socialist Alternative Sudan s’oppose à toute forme d’ingérence impérialiste et régionale dans le processus révolutionnaire qui a lieu au Soudan. Nous soutenons la fin de la guerre barbare au Yémen, nous sommes solidaires des luttes des travailleurs et des peuples opprimés dans le monde et nous appelons tous les travailleurs et les jeunes de la région et de la communauté internationale à soutenir la révolution soudanaise en cours et à lutter pour un monde démocratique et socialiste.

     

  • Soudan : Non au règne des généraux !

    Photo : Wikimedia Commons

    Après 30 ans de dictature au Soudan, des manifestations de masse historiques ont abouti à la chute du président Omar Al-Bashir lors d’une “révolution de palais” des généraux. Par la suite, un “conseil militaire de transition” a été mis en place, le ministre de la Défense Amhed Awad Ibn Auf étant nommé à la présidence.

    Par un correspondant du Comité pour une Internationale Ouvrière

    Ce dernier fait partie de l’ancien régime et est un général brutal recherché par la Cour pénale internationale pour génocide au Darfour. Mais les protestations se sont poursuivies, les manifestants chantant : “Révolutionnaires, nous continuerons notre chemin !”

    Un jour plus tard, Auf a été contraint de démissionner pour être remplacé par un général soi-disant “moins controversé”, Abdel-Fattah Burhan. Cela n’a pas satisfait les masses, qui réclament la fin du règne des militaires.

    Les masses soudanaises ont évincé trois “chefs” de l’ancien régime en autant de jours, et les manifestations de masse se poursuivent toujours. Des milliers de manifestants dansent et chantent “liberté !” Les manifestants veulent un “nouveau Soudan”. Mais la question clé à laquelle ils sont confrontés est de savoir comment cela est possible. Quelle force dans la société soudanaise peut y parvenir ? Quel type de nouveau Soudan voulons-nous créer ?

    Un ‘printemps arabe’

    Ce sont là des questions qui se posent dans de nombreuses régions d’Afrique. Une semaine auparavant, nous avons assisté à la chute de Bouteflika en Algérie. Les régimes de la région craignent un nouveau “printemps arabe”, une nouvelle vague de soulèvements révolutionnaires.

    Il s’agit d’un moment critique de la révolution en cours au Soudan et il est vital de discuter de son orientation. Burhan se présente comme l’un de ceux qui sont allés à la rencontre des manifestants et les ont écoutés. Les militaires espèrent clairement créer l’illusion qu’ils veulent un “dialogue” avec les manifestants. Les manifestants savent qu’en réalité, le régime essaie de se sauver lui-même. Ils déclarent qu’ils continueront à manifester jusqu’à ce qu’ils aient mis en place un “gouvernement civil”.

    Les premières interactions entre les manifestants et l’armée ont été faites avec des sous-officiers et des soldats venus les protéger de la brutalité des services nationaux de renseignement et de sécurité. A aucun moment les masses n’ont eu l’illusion que le contrôle militaire du pays serait la meilleure option.

    Le régime est paniqué et divisé, mais il est également déterminé à conserver le pouvoir. La période d’état d’urgence de trois mois et celle de transition de deux ans qui ont été annoncées constituent une tentative de gagner du temps. Le régime sait que les masses ne peuvent pas occuper les places pour
    toujours.

    Un officier supérieur de l’armée a déclaré à la télévision d’Etat : “notre responsabilité principale est de maintenir l’ordre public” et “nous n’aurons aucune tolérance pour les méfaits commis dans n’importe quel coin du pays”. Le danger d’une répression brutale du mouvement est toujours sérieux.

    En ce moment, le pouvoir potentiel git dans la rue, aux mains des masses. Mais un mouvement de masse dans les rues ne prendra pas le pouvoir à lui seul. Si les travailleurs et les jeunes ne prennent pas les mesures qui s’imposent pour prendre le pouvoir et le consolider entre leurs mains, ils le perdront.

    Les travailleurs et les pauvres du Soudan ont dû faire face à des conditions de vie de plus en plus difficiles. Avec un taux d’inflation d’environ 70%, des centaines de personnes font la queue pour le carburant et la nourriture. Dans les villes, les gens souffrent de surpeuplement, de logements insalubres, de violence et de criminalité. Les gens disent que “les gouvernements ont volé notre argent et se sont enfuis”.

    Des manifestations de masse ont commencé le 19 décembre pour protester contre le triplement du prix du pain du jour au lendemain. A partir d’Atbara, lieu historique où est né le mouvement syndical soudanais, les protestations se sont étendues au cours des jours suivants à d’autres régions, dont la capitale Khartoum. Les élèves ont protesté contre l’augmentation du coût des repas scolaires. Les manifestants ont incendié les bureaux du parti du Congrès national au pouvoir. Des sièges locaux du gouvernement local ont été attaqués, de même que les bureaux des services de sécurité. Des imams pro-régime auraient été retirés des mosquées dans certaines régions.

    Le 27 décembre, les médecins et le personnel médical ont déclenché une grève générale, à laquelle se sont joints des journalistes. Les protestations se sont intensifiées le 6 avril, lorsque, en réponse à un appel à la grève générale, des milliers de personnes ont commencé un sit-in devant le ministère de la Défense à Khartoum.

    Le mouvement de masse s’est rapidement renforcé. C’est cette force qui permet aujourd’hui d’obtenir des revendications impensables dans le passé, y compris la libération de prisonniers politiques en résultat des manifestations devant les prisons.

    Les travailleurs et les jeunes ont fait preuve d’un courage héroïque face à un régime brutal qui procède à des arrestations, des tortures et des assassinats ; un régime où vous pouvez perdre votre emploi en faisant grève. Faisant preuve d’un grand esprit de défi, les jeunes ont contourné la fermeture des médias sociaux. Selon une association de médecins soudanais, 26 personnes sont mortes et plus de 150 blessées depuis le début du sit-in, après de nombreux décès déjà survenus au cours des mois précédents. Signe supplémentaire du potentiel révolutionnaire, des soldats figurent parmi les morts, tués en protégeant les manifestants.

    Les manifestants sont très conscients du ‘‘printemps arabe’’ de 2011 et disent consciemment que ce mouvement n’est pas le même – en d’autres termes, ils sont conscients qu’après ces puissantes révolutions, des éléments des anciens régimes sont revenus au pouvoir, et ils ne veulent pas que cela arrive au Soudan.

    Il est essentiel d’en tirer les leçons. Le ‘‘printemps arabe’’ n’a pas, à ce stade, conduit les travailleurs et les pauvres à prendre le pouvoir, en raison de l’absence d’un parti de masse de la classe des travailleurs disposant d’une direction révolutionnaire et luttant pour la prise du pouvoir sur base d’un programme d’indépendance de classe.

    Le principal groupe d’opposition au Soudan est l’Association professionnelle soudanaise (SPA), qui regroupe les syndicats, l’Union des femmes et d’autres groupes. La SPA a fait preuve d’une résistance courageuse et formule des revendications démocratiques fondamentales en déclarant qu’ils continueront à se battre jusqu’à la victoire. Ils disent : “Nos efforts pour nous débarrasser du régime se poursuivront jusqu’à ce que l’héritage de la tyrannie soit liquidé et que ses dirigeants soient traduits en justice.”

    Mais pour y parvenir, ils doivent aller plus loin que leur actuelle “Déclaration de liberté et de changement” signée le 1er janvier par une longue liste d’organisations et de groupes d’opposition, parmi lesquels des partis capitalistes. La déclaration appelle au remplacement de Bachir par un gouvernement national de transition de quatre ans, composé de “personnes qualifiées sur la base de leurs compétences et de leur bonne réputation, représentant divers groupes soudanais et bénéficiant du consensus de la majorité”, pour gouverner jusqu’à ce qu’une structure démocratique solide soit établie et des élections tenues.

    Quelles revendications ?

    Bien qu’elle comprenne de nombreuses revendications positives – la fin de la guerre civile, du déclin économique, des discriminations et de l’oppression des femmes, et la garantie de l’accès aux soins de santé, à l’éducation, au logement et au bien-être social et environnemental – cette déclaration ne fait pas de distinction entre les différents intérêts de classe. Il est important d’adopter une position de classe, car le seul fait d’appeler à des élections démocratiques ne suffira pas pour satisfaire ces revendications.

    Qui se présentera aux élections et avec quel programme ? Le danger demeure que le parti au pouvoir, le Parti du Congrès national, se regroupe pour revenir au pouvoir si l’occasion et le temps lui sont donnés.

    Nous ne devons entretenir aucune illusion envers les partis et dirigeants capitalistes. Ils affirment vouloir la démocratie, ils n’iront pas un pas plus loin. Tout nouveau gouvernement capitaliste serait confronté aux mêmes pressions que le régime de Bachir. En fin de compte, cela signifierait simplement de remplacer un groupe d’exploiteurs par un autre.

    Le Soudan est confronté à une crise économique majeure. Le déclencheur immédiat de ce soulèvement a été la suppression des subventions de l’État sur la farine, ce qui a entraîné une multiplication par trois du prix du pain, suite à la pression du FMI. Le Soudan a une dette extérieure de 55 milliards de dollars et des pressions seront exercées pour son remboursement. Que ferait différemment un nouveau gouvernement sans être prêt à tenir tête aux puissances capitalistes et tant que les principales parties de l’économie sont laissées entre les mains des profiteurs ?

    Que feraient les paramilitaires qui terrorisent le pays et menacent de déclencher une guerre civile ? Que feront-ils face aux divisions religieuses dans le pays, avec des groupes sectaires soutenus par des puissances régionales prêts à les exploiter dans leur propre intérêt ? Que feraient-ils au sujet du partage de la richesse pétrolière du Sud-Soudan ?

    Ce n’est pas un hasard si le gouvernement américain a déclaré que le gouvernement soudanais devait “faire preuve de retenue et laisser la place à la participation civile au sein du gouvernement”. Le porte-parole du département d’État a dit aux journalistes : “Le peuple soudanais devrait déterminer qui le dirige… et le peuple soudanais a été clair et exige une transition dirigée par des civils.” De même, l’UE et le Royaume-Uni ont exhorté l’armée à passer rapidement le pouvoir à des représentants civils.

    Les puissances occidentales veulent un régime coopératif qui remboursera les dettes, empêchera tout développement ultérieur de la révolution et réduira les chances que les soulèvements se propagent dans la région. Les travailleurs trouveront bientôt un nouveau gouvernement capitaliste qui réprimera d’autres actions de masse pour des prix plus bas ou des emplois et des salaires décents. C’est comme cela que les choses se sont passées en Tunisie et en Egypte.

    La seule façon d’unir la classe ouvrière et les pauvres à travers le pays et de concrétiser les aspirations pour un niveau de vie décent, des emplois et des logements, une véritable démocratie, la liberté de pratiquer leur religion et ainsi de suite, c’est que les travailleurs, les jeunes et les pauvres prennent le pouvoir.

    Les organisations ouvrières doivent d’urgence créer un parti ouvrier de masse et lutter pour un gouvernement reposant sur la classe ouvrière.

    Les manifestations et les sit-in dans le centre de Khartoum ont été puissants, mais les syndicats devraient maintenant lancer un appel à la grève, mener la bataille sur les lieux de travail, et poser la question du contrôle des usines et des moyens de production. Il est essentiel de lutter pour reconstruire les syndicats et destituer les dirigeants qui ont soutenu le régime.

    Dans certaines régions, comme Atbera, des comités d’action ont été mis sur pied. Dans ce campement, les étapes de base de l’organisation ont commencé, avec des comités destiné à nourrir les gens, assurer la sécurité et contrôler le trafic. Même une clinique a été construite. Mais cela doit être mieux organisé, sur une base politique.

    Ces comités devraient inclure les syndicats locaux, les travailleurs et les autres forces de la révolution en vue de continuer la lutte jusqu’à ce que toutes les revendications soient réalisées. Reliés entre eux, du niveau local au national, les comités des travailleurs peuvent constituer la base d’une structure étatique alternative pour s’emparer du pouvoir.

    Programme

    Le programme est essentiel. Pour obtenir des prix abordables pour la nourriture et le carburant, des augmentations de salaire et une semaine de travail plus courte, il est nécessaire de lutter pour la nationalisation des grandes industries et des terres des grands propriétaires terriens, sous contrôle et gestion démocratiques de la classe ouvrière.

    Un plan socialiste pourrait commencer à investir dans la création d’emplois, le logement décent, les soins de santé et l’éducation. Sur cette base, un gouvernement ouvrier pourrait appeler les mouvements de masse de la région à prendre des mesures similaires et à s’unir dans une coopération économique étroite, y compris avec le Sud-Soudan.

    C’est pourquoi nous plaidons pour la création d’un Soudan socialiste démocratique, car c’est le seul moyen pour les masses de réaliser leur espoir de créer le nouveau Soudan qu’elles souhaitent.

    Un Etat démocratique des travailleurs et des pauvres serait également en mesure de garantir les droits religieux et nationaux, ainsi qu’une véritable justice pour les anciens oppresseurs. Par exemple, le conseil militaire de transition a annoncé qu’il n’enverrait pas Al-Bashir devant la Cour pénale internationale, mais qu’il le jugerait au Soudan.

    C’est parce qu’ils sont en réalité tous coupables des mêmes crimes de guerre. Mais un système de justice démocratique géré par et dans l’intérêt des travailleurs et des pauvres au Soudan serait véritablement en mesure de juger les criminels de guerre et d’administrer la justice.

  • Crise soudanaise. Le gouvernement trébuche, se reprend et lance de nouvelles attaques !

    Photo : Mario

    Après les faits, il est peut-être facile de présenter comme un fait-divers la crise soudanaise qui menaçait cet hiver de désintégrer le gouvernement Michel. En réalité, elle est née de la tension permanente enracinée dans ce gouvernement dès sa formation.

    Par Els Deschoemacker

    Dès le début, cette coalition suédoise exceptionnelle a été qualifiée de gouvernement kamikaze. Elle semble néanmoins avoir maintenant de bonnes chances d’être réélue. Comment est-ce possible ? Les obstacles sur son chemin étaient pourtant innombrables.

    Initialement, la coalition a été mise sur pied pour enrayer la progression de la N-VA en la tirant dans le bain. Il s’agissait d’un jeu dangereux, l’équivalent politique de danser sur une corde raide, et pas seulement pour la N-VA. Jusqu’où serait-elle prête à aller pour gouverner ? Pour ses partenaires, ce n’était pas non plus sans risques : comment éviter d’être brûlés par cette collaboration ?

    Cela explique l’attitude ambiguë des partenaires de la coalition qui, bien qu’ils aient voulu saisir l’occasion de pousser leurs réformes le plus loin possible, désiraient surtout contrer la montée en puissance d’un facteur politique incontrôlable.

    La N-VA a systématiquement utilisé sa position pour appliquer son programme d’inspiration thatchérienne. Ses partenaires ont suivi. En critiquant parfois la forme, mais en soutenant systématiquement ce gouvernement et son train de mesures antisociales. Devenus complices, toute opposition de leur part est extrêmement hypocrite.

    Ce n’est pas tant la N-VA qui perd des plumes dans les sondages, ce sont ses partenaires de coalition, tout particulièrement le CD&V. Cette prétendue facette sociale du gouvernement n’a strictement rien obtenu qui peut être qualifié de social, même de loin.

    Seul le mouvement ouvrier aurait pu construire un véritable contrepoids. Mais au lieu de dégager le gouvernement par la grève en 2014, ses dirigeants ont choisi de suivre leurs ‘‘relais politiques’’ (le CD&V, le PS et le SP.a) à l’intérieur et à l’extérieur du gouvernement. Leur intention n’était pas de placer les travailleurs au pouvoir mais d’espérer un capitalisme plus modéré, moins provocateur, en mettant un terme aux forces de droite qui voulaient provoquer une contre-révolution antisociale.

    C’est une des leçons les plus importantes du mouvement de 2014, que le sommet de la N-VA a compris : les dirigeants syndicaux osent aboyer, mais ils ne mordent pas. Ils veulent montrer leur force potentielle, mais ne l’utilise pas.

    Cela revenait à dire à la N-VA de continuer sur sa lancée. Avec des chocs, bien entendu, puisqu’il lui fallait briser des tabous en matière de protection sociale et de droits humains. En ce qui concerne les droits des réfugiés, par exemple, les limites ont été repoussées jusqu’à un point considéré impensable auparavant.

    Charles Michel estime ce gouvernement visionnaire, un véritable gouvernement réformateur. Mais il passera le plus probablement à la postérité comme celui d’une bande de menteurs qui n’ont pas peur de tromper le peuple et le parlement. S’il a été question de progrès, ce n’est qu’au bénéfice des grandes entreprises et de l’élite. Les inégalités sociales se creusent. La précarité explose. Nombre de contrats de travail ne permettent qu’à peine de vivre. Il faut parfois un deuxième voire un troisième emploi pour compléter un salaire trop peu élevé.

    Il y a assez de raisons pour que l’opposition offre une alternative, mais elle trempe dans le même bain. Elle critique la ‘‘communication’’ du gouvernement avec un ton sévère, mais le contenu de leurs déclarations n’offre aucune solution pour des emplois décents, des logements abordables, de bons soins de santé, etc. Pieds et poings liés aux limites du capitalisme, elle est tout autant les jouets des forces du marché international que les partis actuellement au pouvoir.

    Les seuls à faire entendre un autre son de cloche au Parlement, ce sont les élus du PTB. Presque tous les sondages prévoient d’ailleurs une nouvelle percée du parti. Une partie de la classe des travailleurs rompt avec le néolibéralisme et perd sa confiance dans les partis traditionnels.

    Il n’y a toutefois pas de raccourci possible. Le PTB devra abandonner son pragmatisme électoral et se concentrer sur l’organisation et la mobilisation des masses de travailleurs et de jeunes autour d’un programme de rupture anticapitaliste.

  • Soudan. Protestations grandissantes contre la dictature

    Beaucoup de choses ont été dites et écrites sur le Soudan mais, on ne mentionne qu’à peine la résistance croissante qui s’y développe contre le régime. Ces dernières semaines, plusieurs actions et manifestations ont eu lieu contre le nouveau cadre budgétaire, ce qui a poussé le gouvernement d’Al-Beshir à durement réprimer la population.

    Par Thomas (Anvers), article tiré de l’édition de février de Lutte Socialiste

    Le budget de 2018 n’a pas été présenté avant la toute fin de l’an dernier. Sans surprise, son contenu était désastreux pour la majorité de la population. Les subventions qui permettent de baisser les prix des denrées de base et de l’énergie devraient être progressivement supprimées. Malgré la fin de la guerre, 20 milliards de livres soudanaises sont réservés à l’armée et à la sécurité, contre 8 milliards seulement pour l’enseignement et les soins de santé. Dans un pays où le peuple aspire à enfin connaitre des améliorations de ses conditions de vie, ce budget est une insulte.

    Nombreux sont ceux à avoir estimé que leur sort sortirait amélioré de la suppression des sanctions économiques des États-Unis et de la fin de la guerre. Les subventions des autorités pour le carburant avaient déjà été diminuées en 2012. Sous injonction du Fonds monétaire international (FMI), ce processus doit être renforcé et élargi à d’autres produits. D’autre part, le régime n’hésite pas à recourir à l’imposition d’amende de façon totalement arbitraire pour remplir ses caisses en fin d’année, particulièrement dès lors qu’il s’agit des tenues des femmes, sanctionnées pour ‘‘trouble de l’ordre public’’. Le problème est considérable: dans la seule région de la capitale, Khartoum, il y a eu 40.000 amendes pour ‘‘trouble de l’ordre public’’ en 2017.

    Le gouvernement essaie d’améliorer sa position sur la scène internationale en louvoyant entre les grandes puissances. Al-Beshir s’est ainsi rendu à Moscou et a reçu le président turc, à qui l’on avait promis la gestion d’une ville portuaire sur la mer Rouge. D’autre part, les tensions entre le pays et l’Égypte ainsi que l’Arabie saoudite sont grandissantes. Le rôle brutal de l’Arabie saoudite dans la guerre au Yémen a déjà provoqué des troubles au Soudan.

    Le président Al-Beshir entend rester à la tête du pays avec un troisième mandat en 2020, même si cela nécessite de changer la Constitution. L’énorme appareil répressif du régime tente d’écraser toute opposition ou acte de résistance. Les manifestations qui ont eu lieu au début de cette année, malgré les circonstances difficiles, ont déjà fait plusieurs morts. Les dissidents et militants syndicaux sont détenus sans procès. Les journaux critiques ont été fermés.

    C’est avec ce régime que Theo Francken veut travailler pour identifier les réfugiés soudanais et les renvoyer là-bas. Nous défendons le fait d’assister les travailleurs et les pauvres en lutte contre la dictature d’Al-Beshir. La petite organisation-sœur que nous avons au Soudan défend la lutte indépendante des travailleurs et des pauvres pour un changement socialiste de société. Une bonne organisation de la résistance et un programme de changement réel sont nécessaires. Notre solidarité à l’égard de la lutte au Soudan peut contribuer à la renforcer.

     

  • ULB. Action de solidarité et débat contre la répression au Soudan

    Ce jeudi 8 février, des militants des Etudiants de gauche Actifs et de la Coordination des sans-papiers ont mené campagne à l’ULB pour dénoncer la répression qui frappe les mobilisations sociales en cours au Soudan.

    Depuis le 8 janvier, les pauvres et les travailleurs sont descendus en masse dans les rues pour dénoncer un budget 2018 qui prévoit de nombreuses mesures d’austérité, parmi lesquelles la suppression de divers subsides pour les denrées alimentaires ou l’essence. Le régime a réagi comme à son habitude, en arrêtant manifestants, activistes, opposants et journalistes critiques. Un mois après le début de ces mobilisations, les personnes présentes à l’ULB entendaient exprimer leur solidarité avec les masses en lutte pour prendre en main leur destinée.

    Il était également question de célébrer la libération de Mohamed Diaeldin Mohamed Satti, un activiste de 21 ans lié au Comité pour une Internationale Ouvrière détenu deux semaines durant par le régime. Il a pu être libéré il y a quelques jours en raison d’une intense campagne de solidarité. Le combat doit dorénavant ce poursuivre, pour la libération de tous les prisonniers politiques, pour la chute du régime dictatorial soudanais et pour l’instauration d’une société débarrassée de l’élite capitaliste corrompue !

    Le sujet a bien entendu une résonance particulière en Belgique, puisque le gouvernement fédéral a collaboré avec le régime soudanais dans le cadre de sa cruelle politique d’asile.

    Comment poursuivre la lutte ?

    A la suite de cette petite action, un débat a eu lieu dans les locaux de l’ULB à l’initiative des Etudiants de Gauche Actifs. La discussion politique fut très riche. La présence des militants de la Coordination des sans-papiers et leur contribution ont été des éléments véritablement déterminant pour la réussite du débat. La nécessité d’unifier les luttes contre toute la politique du gouvernement et la compréhension que ce dernier utilise le dossier de la migration pour diviser la population et mieux faire passer sa politique d’austérité ont été deux éléments particulièrement frappants dans la discussion.

    Les orateurs ont, dès leur introduction, accentué la nécessité de mettre en cause le type de société dans laquelle nous vivons, le capitalisme. Pourquoi donc laisser 82% des richesses produites aux mains du pourcent le plus riche quand le reste de l’humanité voit ses conditions de vie se détériorer ? Pour certains des plus précaires, comme c’est le cas pour nos camarades sans-papiers, cela se traduit par la clandestinité, la surexploitation et la répression féroce. Arracher les moyens de production des mains des capitalistes, et donc leur pouvoir, constitue une conclusion importante de ce débat. Tant concernant la lutte sociale en Belgique que celle qui se mène au Soudan et ailleurs.

    Les Etudiants de Gauche Actifs et la Coordination des sans-papiers entendent faire vivre la mobilisation pour la manifestation du 25 février sur le campus. Nous avons décidé de nous retrouver dans les jours qui viennent sur l’ULB pour mener cette campagne de concert.

    ULB. Action de solidarité et débat contre la répression au Soudan

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