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  • Un tsunami d’austérité déferle sur l’Europe

    Malgré l’opération de sauvetage financier de la Grèce, ses obligations d’Etat sont toujours considérées comme de la pure camelote par les agences de notation. Maintenant, il semble bien que ce soit au tour de l’Espagne et du Portugal et, ailleurs encore en Europe, la machine d’austérité est mise en marche. Ainsi, en Grande-Bretagne, le nouveau gouvernement conservateurs / libéraux-démocrates veut assainir 7 milliards d’euros en un an. En Allemagne, Angela Merkel veut assainir 80 milliards d’euros d’ici 2014. Ce tsunami d’austérité touche presque tous les pays européens, son arrivée chez nous n’est qu’une question de temps.

    Article basé sur une analyse de Robert Bechert, du CIO

    LA CRISE N’EST PAS FINIE

    L’Union Européenne et l’euro ont reçu de bonnes claques et les réunions de crise sont devenues la norme. Les contradictions internes à l’Union Européenne se sont également exprimées avec des tensions personnelles entre différents dirigeants européens, Sarkozy menaçant même un moment de quitter la zone euro. Beaucoup a été tenté pour éviter la faillite de la Grèce et relever l’euro mais, pour la première fois depuis son instauration en 1999, une discussion s’est ouvertement développée concernant la possibilité d’expulser des pays de la zone euro.

    Les classes dirigeantes n’ont pas seulement eu peur qu’une faillite grecque conduise à une nouvelle chute économique, elles craignaient également que d’autres pays soient ‘‘infectés’’ par les protestations ouvrières en Grèce. Une révolte en Grèce ou dans un autre pays pourrait initier une vague de protestations, et cette peur est à la base de la campagne de propagande internationale destinée à faire passer les Grecs pour des ‘‘paresseux’’ ainsi que des tentatives de monter les travailleurs des différents pays les uns contre les autres.

    Cette crainte des classes dirigeantes est justifiée. La crise commencée en 2007 est loin d’être terminée. La situation économique reste incertaine, même si certains pays ont connu une faible croissance. Les capitalistes n’ont aucune confiance en une relance et, si relance il y a, elle sera de toute façon limitée et sans création d’emplois. Le fait que la croissance économique d’avant la crise ait été stimulée par le crédit a pour conséquence que les dettes restent un élément important. Les grandes dettes des Etats instaurent une pression sur les gouvernements pour assainir les dépenses mais ces opérations d’austérité peuvent conduire à une nouvelle récession.

    SONGES EUROPÉENS ET MENSONGES

    Le secteur financier reste instable, ce qui renforce la position de faiblesse de l’euro envers le dollar. Ceci dit, tous les pays européens ne sont pas mécontents avec un euro faible qui stimule les exportations. Le paquet de sauvetage pour la Grèce était destiné à sauver l’euro, mais le Financial Times a de suite fait remarquer: ‘‘La crise de la zone euro se développe tellement vite que l’opération de sauvetage pourrait vite être dépassée (par les évènements, ndlr).’’

    Le “rêve européen” est sapé par la crise ainsi que par les tensions entre les différentes bourgeoisies nationales et leurs représentants politiques. Lors de l’introduction de l’euro il y a dix ans, nous avions déjà dit qu’une complète unification européenne était impossible sur base capitaliste. L’intégration européenne à laquelle nous avons assisté était exceptionnelle mais, en même temps, le capitalisme est essentiellement resté basé sur les Etats nationaux, avec des bourgeoisies nationales défendant leurs intérêts propres. Dans un contexte où tout se passait bien sur le plan économique, les classes capitalistes nationales pouvaient coopérer. Toutefois, la crise survenue, seuls comptent les intérêts nationaux.

    Si la crise dévoile les faiblesses de l’euro, elle n’est pas destinée à n’avoir d’effets qu’au niveau des marchés financiers. Les travailleurs sont directement menacés. Il nous faut comprendre cette crise et lui apporter une réponse. Les sommets de l’Union Européenne ne sont bons qu’à conclure de grands accords et à annoncer de grandes mesures, mais ces gesticulations cachent fort mal les contradictions internes à l’Union. La succession rapide d’annonces et de mesures sans grands effets illustre justement que ces gens-là n’ont aucune véritable solution.

    QUELLE RÉPONSE ?

    Les finances publiques gémissent dans presque tous les pays européens sous l’impact des opérations de sauvetage massives à destination des banques, de la baisse des revenus de l’impôt et des mesures destinées à adoucir les conséquences de la crise. En conséquence, le niveau de vie des travailleurs et les services publics sont sous pression. En Roumanie, par exemple, il est proposé une baisse de 25% des salaires en plus d’une baisse de 15% des pensions, qui sont déjà pitoyables. Cette vague d’austérité entraîne l’instabilité ou l’impopularité de nombreux gouvernements européens.

    Les travailleurs doivent résister contre chaque tentative de nous faire payer la crise. Jusqu’à présent, la Grèce a montré la voie avec des protestations de masse contre les assainissements du gouvernement social-démocrate. Au Portugal et en Espagne également, de grandes manifestations et des actions de grève se développent, là encore contre des assainissements budgétaires portés par des gouvernements soi-disant socialistes. En Allemagne, 45.000 personnes ont récemment défilé à Stuttgart et Berlin.

    Fait remarquable, beaucoup de ces actions ont été le résultat d’une grande pression de la base, sans initiative des dirigeants syndicaux nationaux. Dans la plupart des cas, les directions syndicales semblent ne vouloir que des actions symboliques, au lieu de préparer une lutte sérieuse pour défendre nos intérêts. Des mobilisations et des manifestations peuvent illustrer la force du mouvement ouvrier, mais elles peuvent aussi être utilisées pour faire baisser la pression et ainsi freiner le développement d’un mouvement combatif.

    Ces hésitations existent parce que beaucoup de dirigeants syndicaux sont eux-mêmes rentrés dans la logique de ce système ou ne voient pas d’alternative à opposer au capitalisme. Pire, dans de nombreux cas, les dirigeants syndicaux essaient même de coopérer avec les gouvernements pour appliquer les assainissements, comme c’est le cas en Irlande mais aussi aux Pays-Bas, où la direction syndicale a accepté une augmentation de l’âge d’accès à la pension jusqu’à 67 ans.

    RÉPONDRE À LA CONFUSION PAR UNE CLARTÉ SOCIALISTE

    Ce manque de mots d’ordres clairs ou de plan d’action est une expression partielle de l’affaiblissement de la conscience socialiste et de la disparition de certaines traditions du mouvement ouvrier suite à la chute du stalinisme en 1989. Même là où se développent de nouvelles formations de gauche (Die Linke en Allemagne ou le NPA en France), l’anticapitalisme n’est pas traduit en une vision claire concernant la manière de lutter contre le capitalisme pour le remplacer par une alternative socialiste. Cette confusion est très claire à la FGTB wallonne qui mène campagne sous le slogan ‘‘Le capitalisme nuit gravement à la santé’’, sans se détacher clairement du PS.

    Les défis pour le mouvement ouvrier sont gigantesques. Les attaques antisociales se combinent aux dangers du nationalisme et de la politique de diviser- pour-mieux-régner, ce qui peut avoir un certain impact sur la conscience des masses. Cela a sans doute été le cas avec la campagne massive des médias allemands contre les Grecs qui avaient besoin de ‘‘notre argent’’ parce qu’ils étaient ‘‘trop paresseux’’ pour travailler eux-mêmes. La politique de diviser- pour-mieux-régner s’exprime aussi dans des campagnes destinées à monter les travailleurs du secteur privé contre ceux du public ou encore les travailleurs autochtones contre les travailleurs immigrés. Tout est fait pour éviter que ne se développe une compréhension générale de la crise comme conséquence du système capitaliste.

    Nous devons nous opposer à la dictature et au chaos du marché, mais en même temps plaider pour une transformation socialiste de la société. Le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) défend la nécessité d’un plan d’action européen et a été, avec d’autres, à la base d’un appel de députés européens de la Gauche Unitaire Européenne pour une semaine européenne d’action de protestation et de solidarité fin juin. Nous devons lutter ensemble et avancer des revendications telles que la nationalisation des secteurs clés de l’économie sous contrôle et gestion démocratique des travailleurs afin d’aboutir à une planification socialiste de la production dans une fédération européenne socialiste démocratique.

  • Roumanie : Manifestations de masse contre le plan de l’UE et du FMI

    ‘‘Les dirigeants affament nos enfants’’ – les syndicats menacent d’une grève générale pour le 31 mai

    Ce 19 mai, des dizaines de milliers de travailleurs et de pensionnés ont manifesté dans les rues de la capitale roumaine, Bucarest, contre le massacre des salaires, des emplois et des services publics exigé par le Fonds Monétaire International (FMI) et par l’Union Européenne en tant que précondition pour un nouveau prêt au gouvernement roumain. Cela illustre une nouvelle vague de troubles et de protestations en Europe de l’Est, après la faillite complète du capitalisme et deux décennies de stagnation et de déclin.

    Par Olsson, Rättvisepartiet Socialisterna (CIO – Suède)

    La manifestation, forte de quelques 60.000 participants, était l’une des plus grandes qu’ait connu le pays depuis la lutte de masse qui a renversé la dictature stalinienne de Nicolae Ceausescu en 1989. Y ont pris part des travailleurs de l’automobile, des mineurs et des fonctionnaires, y compris plusieurs milliers de policiers, de même que des étudiants et des pensionnés.

    “C’est eux ou nous”

    La manifestation de masse a été marquée par une énorme colère contre le gouvernement et une détermination de se battre jusqu’à la chute du gouvernement. ‘‘Nous voulons la chute du gouvernement, sans quoi ils vont nous détruire. C’est eux ou nous’’, a confié un manifestant à l’agence Reuters. Il existe encore la compréhension que si ces coupes budgétaires devaient passer, elles seront à nouveau suivies de coupes encore plus brutales et de hausses des taxes. ‘‘Nous sommes conscients que le gouvernement ne va pas s’arrêter après ces mesures. Dans quelques mois, ils vont augmenter la TVA et la taxe sur le revenu’’, a déclaré un enseignant âgé de 64 ans.

    ‘‘A bas le gouvernement des menteurs !’’, ‘‘Vous avez bradé notre avenir’’, criaient les manifestants.

    ‘‘Les gens sont désespérés et nous encouragent à ne pas céder, nous sommes prêts à stopper l’économie la semaine prochaine afin de nous faire entendre du gouvernement’’, a clamé le président de Cartel Alfa, le syndicat du secteur public. Un autre président syndical a symboliquement déchiré l’accord de prêt du gouvernement et du FMI, et Marian Gruia, chef du syndicat de la police, a appeler les Roumains à s’unir, ‘‘Comme on l’a fait en 1989, lorsque nous avons renversé la dictature.’’

    L’atmosphère pendant la manifestation a forcé les dirigeants syndicaux à annoncer une grève générale pour le 31 mai, si le gouvernement ne se retire pas. S’il veut poursuivre ses plans, cette grève générale pourrait être la plus grande mobilisation de masse depuis 1989.

    Mouvements de protestation dans les ex-pays staliniens

    Le même jour, des dizaines de milliers d’étudiants ont manifesté à Ljubljana, brisant la façade du Parlement slovène. L’instabilité des régimes capitalistes dans la région peut être vue en Kirghizie, où une insurrection révolutionnaire a renversé le gouvernement en avril, en une seule journée. Les développements au Kazakhstan illustrent le potentiel de ces luttes où les travailleurs soulèvent les idées de nationalisation et de contrôle ouvrier durant leur contre-attaque.

    Les promesses non-tenues, selon lesquelles le capitalisme allait développer ces pays entraînent à présent une vague de rage et de colère. Beaucoup de confusion vit dans la conscience des masses des travailleurs, et de la population laborieuse en général, sur la question de savoir comment sortir de la misère du capitalisme. Mais l’expérience de l’inaptitude du stalinisme, puis la faillite complète du capitalisme, pousse maintenant les travailleurs et les jeunes à tirer des conclusions politiques qui vont dans le sens du socialisme.

    Plans d’austérité pour la Roumanie

    Le plan de coupes budgétaires qui est proposé, et qui est sans doute le plus draconien jamais proposé par aucun gouvernement européen jusqu’ici, inclut une coupe de 25% des salaires dans le public, une coupe de 15% dans les pensions, de 15% pour les allocations sociales ; la réduction des allocations familiales de 15%, et des coupes pour le personnel des entreprises d’Etat. Si le gouvernement triomphe, les coupes sont censées débuter le mois prochain – ce qui est loin d’être certain après l’action de hier et la proposition d’une grève générale pour le 31 mai.

    De plus, ce plan réduira le nombre de fonctionnaires d’un nombre compris entre 80.000 et 150.000 d’ici 2011, ce qui signifie par exemple que 15.000 enseignants perdraient leur emploi. Le secteur public est le plus grand employeur du pays, employant 1,3 millions de personnes.

    La Roumanie est le pays le plus pauvre de l’UE ; le salaire moyen n’y dépasse pas 350€, et la pension minimale est d’à peine 80€ par mois. De nombreux travailleurs gagnent beaucoup moins que le salaire moyen officiel.

    ‘‘Nos salaires sont trop bas. Ils n’étaient déjà pas bons avant, mais avec ces coupes, on ne voit rien de bon pour le futur’’, a dit à l’agence Associated Press Valentina Voina, une infirmière âgée de 33 ans qui gagne 900 lei (260€) par mois, et qui participait à la manifestation.

    Les nouvelles coupes budgétaires menacent la population de tomber dans la misère et la décrépitude. ‘‘Nous vivons dans un pays dont les dirigeants affament les enfants, affament leurs parents, et condamnent les pensionnés à la mort’’, disait un des calicots à la manifestation.

    Même avant que le nouveau plan d’austérité ne coupe les salaires des fonctionnaires, les bonus ont été gelés et nombre d’entre eux ont été forcés à partir sans recevoir leur salaire, au moment où le secteur public a été ‘‘dégraissé’’.

    En automne de l’an passé, les mesures d’austérité du gouvernement, inspirées par le FMI et l’UE, ont provoqué toute une série de manifestations de masse et de grèves impliquant jusqu’à 800.000 personnes début octobre. Confronté à la menace d’une grève générale, le gouvernement a chuté. Mais une nouvelle coalition, comprenant en gros les mêmes ministres que la précédente, a été formée peu avant Noël.

    C’est ce gouvernement faible qui désire maintenant instaurer de bien pires attaques que celles prévues par le gouvernement précédent qui a été forcé de démissionner en automne 2009.

    Pour une réponse socialiste face au déclin économique

    Le soi-disant ‘‘marché’’ a déjà commencé à compter sur la chute du gouvernement. ‘‘Les commentateurs et les investisseurs (les spéculateurs) craignent apparemment que le gouvernement perde son sang-froid et cède face aux manifestants. Un peu plus tôt ce mois-ci, une mise aux enchères de la dette du gouvernement a échoué à attirer assez d’attention.’’ (BBC, ce 20 mai)

    Au fur et à mesure que le temps passe, l’économie roumaine s’enfonce de plus en plus bas et l’Etat n’a même pas l’argent pour les dépenses courantes.

    Les syndicats et les autres mouvements sociaux doivent maintenant poursuivre la lutte pour renverser le gouvernement et le FMI, et débattre et mener campagne pour la construction d’une alternative ouvrière, sous la forme d’un véritable parti socialiste de masse.

  • Elections européennes de 2009 – Tour d’horizon

    Peu ou pas de confiance dans les gouvernements, mais pas de veritable alternative socialiste

    Ces élections européennes ont donné un instantané de l’atmosphère anxieuse et de la méfiance, ou même de l’hostilité, éprouvée face aux gouvernements. Dans certains pays, comme la Grande-Bretagne, la Grèce, l’Irlande et la Hongrie, les partis au pouvoir ont subi de dramatiques revers. Mais généralement, à quelques exceptions près, cette situation n’a pas bénéficié aux forces de gauche ou même aux verts. Le mécontentement est surtout illustré par une faible participation et un soutien accru pour les nationalistes de droite ou les formations d’extrême-droite.

    Par Robert Bechert, Comité pour une Intenationale Ouvrière

    L’Europe s’enlise dans une profonde récession, la pire depuis les années ‘30. Juste avant les élections, la Banque Centrale Européenne avait d’ailleurs encore revu à la baisse ses prévisions de croissance pour les 16 pays de la zone euro : une chute de 5.1% pour 2009.

    Voilà le contexte derrière la fonte du soutien de la plupart des partis au pouvoir et la recherche, parmi les électeurs, d’une alternative. Même le faible taux de participation illustre ce rejet des partis établis, au côté d’un rejet de l’Union Européenne et de la parfaite compréhension que le soi-disant Parlement européen est impuissant.

    Mais alors que les nationalistes de droite et l’extrême-droite ont pu capter une bonne partie des voix, la victoire de Joe Higgins, le candidat du Socialist Party (CIO-Irlande), qui a remporté un des sièges d’eurodéputé de Dublin, montre de quelle manière il est possible de construire un soutien conscient de la base profondément enraciné parmi la classe ouvrière, établissant ainsi une tradition de lutte revendiquant des politiques réellement socialistes. Malheureusement, cela ne constitue pas l’expérience générale de ces élections. Seul le Bloc de Gauche au Portugal et le Mouvement des peuples contre l’UE au Danemark, quoique sur base d’un programme politique plus faible, ont remporté des succès significatifs.

    Dès le début de cette crise, il a été absolument clair qu’elle était due au marché capitaliste lui-même. À aucune moment il n’a été possible pour la classe capitaliste de blâmer la classe ouvrière, les syndicats ou le ‘socialisme’. On se serait donc attendu à ce que cela débouche un soutien pour les partis qui se sont opposés au capitalisme, ou qui au moins ont offert une vision différente de la société.

    Nous avons déjà connu des protestations à une large échelle, avec des manifestations et des journées de grève générale ou nationale, dans une série de pays européens. En France, plus particulièrement, elles ont pris le caractère d’une marée croissante d’opposition à toute tentative des capitalistes et des gouvernements de faire payer la crise aux travailleurs et à la classe moyenne. Mais d’autres pays encore, comme la Belgique, la Grèce et le Portugal, ont également connu des actions significatives.

    Cependant, presque tous les dirigeants syndicaux à travers l’Europe n’ont en rien cherché à construire un mouvement plus large sur base de ces premiers pas. Au lieu de cela, les protestations ont été réduites à des actions isolées, employées souvent tout simplement pour laisser sortir la colère, et la pression, ou encore, comme avec certaines manifestations de la Confédération Européenne des Syndicats de ce mois de mai, pour tenter de soutenir les partis sociaux-démocrates.

    L’absence d’alternative pour les travailleurs ouvre la voie à la droite

    Ce frein sur les luttes s’explique par le fait que dans la grande majorité des pays de l’Union Européenne, il n’y a actuellement aucun grand parti ou parti de masse essayant de construire une opposition sérieuse face aux effets de cette crise. Ce fait n’est pas fortuit. Le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO – CWI) a expliqué depuis le début des années ‘90 que la plupart des pays n’ont plus aucun parti de masse ou de parti significatif qui s’oppose au capitalisme. C’est là le résultat d’une combinaison faite de l’offensive idéologique des capitalistes qui a suivi l’effondrement de l’Union soviétique et de la transformation de la plupart des anciens partis ouvriers bourgeois (des partis avec une base de classe ouvrière et une direction pro-capitaliste) en partis complètement capitalistes.

    C’est ce qui a jusqu’ici sauvé les capitalistes et qui a fait qu’il n’y a pas encore eu de d’opposition active à une large échelle contre le capitalisme lui-même en conséquence de la crise. Dans beaucoup de pays européens, les travailleurs, la jeunesse et des sections de la classe moyenne ont clamé : "Nous ne payerons pas votre crise". Cet appel est un bon point de départ pour construire une résistance contre les pertes d’emploi, la baisse du niveau de vie et les coupes dans les budgets sociaux. Mais ce n’est seulement qu’un commencement.

    Cette crise du capitalisme pose clairement la question de l’opposition au système capitaliste lui-même et de la lutte pour une alternative socialiste. Actuellement toutefois, mis à part le CIO, il y a en Europe très peu de forces présentes dans le mouvement des travailleurs qui lient activement la lutte contre l’impact de la crise et la construction d’un soutien pour une société socialiste. Cette lacune a ouvert la voie aux succès électoraux de la droite.

    Dans un certain nombre de pays, mais pas en Belgique, les partis de centre-droit ont gagné, ou ont moins souffert que d’autres partis. Souvent, comme dans le cas de Sarkozy en France, c’était aussi le résultat d’un changement de tactique, avec des critiques contre les excès du capitalisme ou, dans le cas d’Angela Merkel en Allemagne, sous l’effet d’une extension massive des fonds du gouvernement pour le chômage partiel afin de limiter les pertes d’emploi.

    Gains pour l’extrême droite

    Mais à travers l’Union Européenne, des partis plus à droite ont progressé, en pourcentage si ce n’est en nombre de suffrage. L’immigration est devenue une question clé, des partis de droite exploitant les craintes des travailleurs envers les immigrés, qu’ils soient issus de l’intérieur ou de l’extérieur de l’UE, vis-à-vis de l’emploi ou des services publics. Le racisme, l’hostilité contre les musulmans, les gitans et, en Autriche, un antisémitisme semi-voilé, ont été des éléments significatifs dans ces élections. De plus, il n’y avait souvent que les partis d’extrême-droite pour exprimer la colère populaire ressentie contre l’UE elle-même, son essence antidémocratique et la domination des grandes puissances européennes.

    En surface, cette élection semble illustrer une droitisation de l’Europe, et même un déplacement vers l’extrême-droite dans quelques pays. L’exemple le plus saisissant est constitué par les 769.000 voix (17%) remportées par le PVV d’extrême-droite aux Pays Bas, pour sa toute première participation aux élections européennes. Il s’agit maintenant du second parti du Pays. Mais les nationalistes de droite et les partis d’extrême-droite ont également obtenu des gains significatifs en Grande-Bretagne, en Finlande, en Grèce, en Hongrie, en Italie, en Roumanie et dans d’autres pays encore.

    En Allemagne toutefois, où Die Linke, en dépit de ses faiblesses, est encore regardé comme l’adversaire principal des attaques contre le niveau de vie des travailleurs, les suffrages de l’extrême-droite ont à peine changé, malgré quelques augmentations dans certaines élections locales qui ont eu lieu simultanément.

    Les commentateurs capitalistes peuvent partiellement décrire les résultats électoraux comme un décalage vers la droite parce que les ‘socialistes officiels’, qui ont souvent enregistré des pertes, étaient les anciennes partis ouvriers. Ces formations ont appliqué les politiques néolibérales et sont de plus en plus vues comme asssez similaires au centre-droit. Là où ces partis sont au pouvoir, comme en Autriche, en Grande-Bretagne, en Allemagne et en Espagne, ils ont enregistré des pertes. Dans les trois premiers de ces pays, les resultats ont été des baisses record, malgré le fait qu’en Allemagne, le SPD a essayé d’adopter une image légèrement plus ‘amicale’ envers les travailleurs. Dans d’autres pays, où ces partis sont dans l’opposition, les sociaux-démocrates ont gagné, sous l’étiquette du ‘moindre mal’. Ainsi, en Suède, ils ont réussi à obtenir 24.6% et même 36.6% en Grèce. Toutefois, en France, le Parti Socialiste a souffert des souvenirs qu’il a laissé derrière lui après son passage au pouvoir. Avec 16.48%, il n’est plus que 0.20% avant les verts (Europe-Ecologie).

    Dans trois pays, les principaux partis de droite au gouvenrement sont arrivé en tête des votes. En France, Sarkozy parle d’un succès de 28% des voix, ignorant cependant que 72% des électeurs se sont opposés à lui et que l’abstention a atteint des records. En Allemagne, le CDU d’Angela Merkel a reçu 1.343.000 voix de moins qu’en 2004, mais reste n°1. Le gouvernement polonais a reçu le taux le plus élevé, 44%, mais comme seulement 24% des gens se sont déplacés pour voter, cela ne représente qu’un soutien actif de moins de 12% de l’électorat…

    Très peu de gouvernements ont maintenu leur soutien. Le gouvernement italien en fait partie, avec 45% des voix. Le nouveau PdL de Berlusconi a peu gagné comparé à il y a cinq ans, et a perdu quand on regarde les élections générales d’avril 2008, mais la ligue du Nord, d’extrême-droite, a doublé ses voix à plus de 10%. L’Italie illustre bien le thème de cette élection : la faiblesse ou l’absence d’une véritable alternative socialiste, malgré la crise économique capitaliste qui fait rage.

    La force de Berlusconi est fondamentalement basée sur la déception éprouvée avec les gouvernements de centre-gauche, comme récemment la coalition Olivier, et sur l’échec du PRC (Parti de la refondation communiste). Fondé en 1991, le PRC avait précédemment reçu un soutien important, pas simplement du point de vue électoral mais aussi dans les lieux de travail et dans la société, mais cela a été gaspillé quand les dirigeants du PRC ont rejoint les gouvernements capitalistes au lieu de combattre pour gagner du soutien en faveur de politiques socialistes. En conséquence, le PRC est proche de l’extinction. Comparé à 2004, le suffrage ‘communiste’ est tombé de 2.757.000 voix à 1.032.000 (soit de 8.47% à 3.37%), alors que le suffrage ‘gauche/vert’ (une opposition très douce…) est tombé de 1.467.000 voix à 955.000 (soit de 4.51% à 3.12%). Mais un bloc de gauche significatif existe toujours en Italie. Le RPC lui-même, en alliance avec les Communistes Italiens et la Gauche Européenne, a gagné 1.032.000 voix alors que les Travailleurs Communistes en ont remporté 166.000. Ce soutien constitue toujours une base puissante pour un parti basé sur les idées véritables du marxisme en Italie.

    Des gains pour la gauche dans quelques pays

    A contre-courant de ce contexte général, la victoire du Socialist Party (CIO-Irlande) de Joe Higgins en Irlande a été un contraste marqué face à ce qui s’est produit dans le reste de l’Europe. Le SP a gagné 50.510 voix de préférence à Dublin (12.4%), plus DU double de ses 23.218 voix de 2004. C’était un vote conscient pour le SP basé sur son programme. Le SP était en concurrence avec les parti travailliste irlandais? dans l’opposition, dont la première voix de préférence à Dublin a également monté de 54.344 à 83.741 et avec le Sinn Fein dont le soutien au député sortant est tombé de 60.395 à 47.928 voix.

    Le résultat de Joe est seulement comparable au Bloc de Gauche au Portugal, qui a plus que doublé ses voix pour en atteindre 381.000 (10.7%), rattrapant tout juste le CDU, l’alliance menée par le Parti Communiste et ses 379.500 voix. Le "Mouvement des peuples contre l’UE", au Danemark, a augmenté ses voix de 97.986 à 168.035 (7.18%).

    Nouvelles formations de gauche

    Depuis le début des années ’90, le CIO a expliqué que la transformation des anciens partis sociaux-démocrates et ‘communistes’ faisait que, en même temps que la construction des forces en défense du socialisme véritable, il fallait argumenter que des étapes seraient nécessaires par la construction de partis indépendants de la classe ouvrière. De tels partis indépendants pour les travailleurs pourraient fournir à la fois un point de ralliement pour s’opposer à l’offensive capitaliste et un endroit où les idées socialistes pourraient être discutées.

    Ces dernières années, nous avons assisté à différentes tentatives de construire de nouveaux partis de gauche. Ces élections européennes ont d’ailleurs connu le passage d’une étape importante en Grande-Bretagne quand le principal syndicat des transports a lancé une initiative électorale, "No2EU, Yes to Democracy", à laquelle ont notamment participé le Socialist Party (CIO-Angleterre et Pays de Galles) et le Parti Communiste de Grande-Bretagne (PCGB). Cette liste a remporté 1% des suffrages.

    Mais plusieurs de ces nouvelles formations n’ont pas combiné une activité sérieuse et les revendications politiques claires nécessaires pour construire de vraies forces durables. C’est une véritable lutte que de construire de nouveaux partis, en particulier quand l’habitude de voter pour les anciens partis ouvriers existe toujours et quand joue l’effet du ‘moindre mal’ ou le fait que quelques petites concessions peuvent être gagnées. Toutefois, la combinaison de certains événements, d’expérience et de nouvelles activités pour ces partis peut élargir la base pour l’établissement d’une nouvelle force significative, ce que Dublin a illustré.

    Mais, de façon générale, les nouveaux partis de gauche n’ont pas connu de résultat dramatique. Les mauvais résultats peuvent s’expliquer en partie par le fait que beaucoup ont viré vers la droite, en refusant de faire campagne comme des socialistes et en ne présentant pas leur programme et leurs revendications de façon claire et déterminée.

    En Allemagne, Die Linke, en comparaison avec l’ancien PDS en 2004, a gagné 390.000 voix et a reçu un pourcentage de 7.5%, mais ce chiffre est autour de la moitié de ce qu’il avait dans les sondages d’opinion, et sous son objectif de "10 + X %". De même, en Grèce, l’alliance de gauche Syriza a obtenu 4.7%, comparé à 4.16% en 2004, mais des sondages d’opinion avaient parlé de 18% en 2008.

    Malheureusement, une situation semblable s’est développée avec le Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) en France, qui a reçu 4.8% des voix, chiffre qu’il faut comparer aux 9% des sondages lors du lancement de la formation en janvier 2009. Une force clé derrière le NPA est l’ancienne LCR, et les suffrages du NPA sont une augmentation par rapport aux 2.56% gagnés en 2004 en alliance avec LO (LO a remporté 1.2% dans ces élections). Mais ces 4.8% sont une déception comparés aux 4.25% que le porte-parole du NPA, Olivier Besancenot, avaient gagné pour la LCR aux élections présidentielles de 2002, élections auxquelles LO avait reçu 5.72%.

    Une partie des ‘anciennes’ nouvelles formations stagne, comme le Socialistische Partij aux Pays Bas, dans ce cas-ci partiellement en raison du mouvement vers la droite de la direction du parti, avec une opposition de type nationaliste face à l’UE et une participation aux coalitions gouvernementales locales avec des partis capitalistes. De tels développements peuvent handicaper l’avenir de ces nouvelles formations, soit en termes d’effondrement, comme cela semble se produire avec le PRC en Italie, soit en termes de transformation en petits partis avec peu de perspective de se développer en tant que forces de masse.

    Dans quelques pays, la faiblesse de ces nouveaux partis a donné un espace pour le développement de partis ‘verts’, particulièrement en France, où Europe-Ecologie a gagné 16.2%, mais également en Grande-Bretagne, aux Pays Bas et dans la région francophone de Belgique. Les 7.1% gagnés par le parti pirate en Suède, un parti contre la surveillance d’Etat et pour le téléchargment libre d’internet, est une indication de l’atmosphère anti-éstablishment, particulièrement parmi les jeunes.

    Des opportunité à venir pour les véritables socialistes

    De façon générale, ces élections donnent une indication de l’instabilité qui se développe en Europe. La victoire du Socialist Party à Dublin et le doublement des voix du Bloc de Gauche au Portugal, avec ailleurs des augmentations plus modestes de voix à gauche, donnent une idée du potentiel qui est actuellement présent. Le résultat du SP à Dublin prouve qu’il est possible de gagner du soutien pour des idées socialistes même lorsque beaucoup de travailleurs et de jeunes votent pour le ‘moindre mal’, tandis que le résultat du Bloc de Gauche montre ce qui est possible quand un ‘moindre mal’, le Parti Socialiste Portugais dans ce cas-ci, est au pouvoir et applique des politiques capitalistes.

    Beaucoup de travailleurs européens, de jeunes et de membres de la classe moyenne craignent pour leur avenir et espèrent que cette crise économique sera bientôt terminée. Malheureusement, ce ne sera pas le cas.

    Au fur et à mesure qu’il sera compris qu’un retour des hauts taux de croissance économique n’arrivera pas, que le chômage de masse demeurera et que les capitalistes exigeront d’autres coupes dans les budgets sociaux et le niveau de vie de la majorité, la nécessité de lutter commencera à être comprise. Cela donnera l’opportunité à l’établissement de forces significatives capables de lutter pour le socialisme. Mais ce ne sera pas automatique. Cela exigera un programme clair et une stratégie consciente. Les voix pour l’extrême-droite lors de ces élections sont un avertissement : les forces réactionnaires peuvent gagner du soutien sur base de l’agitation sociale faute d’alternative pour les travailleurs.


    Le Comité pour une Internationale Ouvrière, CIO

    Cette évaluation a été rédigée par le CIO.

    Le capitalisme est un système mondial et il doit être combattu à la même échelle. C’est pourquoi le Parti Socialiste de Lutte fait partie d’une organisation marxiste internationale: le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO), un parti mondial actif sur tous les continents. Notre lutte en Belgique s’inscrit dans le cadre d’une lutte des travailleurs du monde entier pour un société socialiste car si la révolution socialiste éclate sur le plan national, elle se termine sur l’arène internationale. La démocratie ouvrière et la planification socialiste de la production ne peuvent se limiter à un seul pays. C’est d’ailleurs l’isolement de la Russie soviétique qui a conduit à sa dégénérescence à partir de 1924.

  • Le textile rayé de la carte en Flandre

    Le secteur textile est en train de disparaître en Flandre, envoyant des milliers de travailleurs au chômage. Doit-on simplement accepter ces fermetures et se contenter de négocier de « bons » accords sociaux ? Ou une vraie lutte pour sauver les emplois est-elle possible ?

    Par Benoit (Gand)

    En Belgique, l’industrie textile est un secteur industriel actuellement en grande difficulté. Au premier trimestre 2007, il avait déjà connu une baisse de production de 8 % en moyenne. Ces dernières semaines, plus de 2.000 travailleurs de ce secteur ont été licenciés. En même temps, les directions ont annoncé la délocalisation de certaines productions. L’entreprise Bekaert Textiles, par exemple, a l’intention de produire ses tissus à matelas à moindre coût (lire : à de moins bonnes conditions de travail et de salaire) en Turquie et en Tchéquie.

    Ces fermetures s’expliquent par le recul des ventes dans des pays qui sont les débouchés les plus importants du textile belge : 15% en Grande-Bretagne (notamment à cause de la position très faible de la livre sterling face à l’euro) et même 30% en Espagne. De plus, il est probable que ces deux pays entrent bientôt officiellement en récession. Une baisse des investissements ou de la consommation là-bas aura également des répercussions ici sur la demande de main d’œuvre dans le secteur textile. La suite logique est une spirale négative de baisse des salaires et du pouvoir d’achat ainsi qu’une augmentation du chômage.

    « Comme au chantier naval Boelwerf et pour les mines, on laisse purement et simplement tout tomber »

    Face à la vague de licenciements de ces dernières semaines, les politiciens n’avaient visiblement pas de solution à apporter ; ils n’en ont donc rien dit. Et pourtant, c’est toute une région qui est sinistrée. La fermeture de Domo, à Zwijnaarde, a signifié la perte d’emplois pour 91 ouvriers et 47 employés. Chez Uco, à Gand, 393 personnes ont perdu leur boulot ; la production déménage en Roumanie. Chez Beaulieu, à Wielsbeke et à Ninove, 387 emplois ont volé à la trappe. Une semaine plus tard, Bekaert Textiles, à Waregem, a fermé à son tour : 281 emplois disparus. Et ce n’est pas encore fini.

    Lors de la journée d’action pour le pouvoir d’achat, les travailleurs du textile ont manifesté à Gand. Dans les discours, l’accent a été mis sur l’obtention de bons accords sociaux, mais aucune proposition claire n’est venue pour éviter les fermetures. Pourtant, le MAS pense que c’est possible en se servant des bénéfices engrangés ces dernières années pour maintenir l’emploi et mettre la production sous le contrôle des travailleurs eux-mêmes. Pour une perte de plus de 2.000 emplois, seuls 158 travailleurs devraient être recasés ? Que fait-on des années d’expérience des autres travailleurs ? Où doivent-ils aller ?

    Quel chemin suivre ?

    Les faillites placent les travailleurs dans une position délicate parce qu’il serait soi-disant impossible de continuer à faire tourner l’entreprise. Mais si l’on considère les bénéfices de Bekaert par exemple, on obtient une tout autre image. Début août, cette entreprise a annoncé une augmentation du bénéfice net de 73% en 2007 pour atteindre 126 millions d’euros. Avec cette somme, des tas d’emplois peuvent être créés en plus des emplois existants. Pourtant, les licenciements ont été « justifiés » parce qu’il n’y avait pas assez de bénéfices.

    Il existe pourtant des exemples de lutte réussie pour le maintien des emplois dans des entreprises condamnées. Ainsi, les Forges de Clabecq, une entreprise métallurgique du Brabant wallon, a été sauvée après une longue lutte acharnée à la fin des années ’90. Cette lutte, animée par une délégation syndicale très combative, s’est maintenue jusqu’à la reprise par le groupe Duferco.

    Comme le disait Roberto D’Orazio, le délégué principal FGTB, « Cela fait des années que l’on essaye de convaincre les travailleurs de ce pays que les fermetures sont inévitables. Le système mène sans interruption une campagne consciente et programmée de démoralisation. Le message est simple : regardez autour de vous, la résistance des travailleurs est un coup d’épée dans l’eau. Mais à Clabecq, cela s’est passé autrement. Dans nos esprits, il n’y avait pas de place pour l’exclusion, le chômage, la privation et l’injustice. Et finalement, notre combat a connu un une issue positive: le redémarrage de l’usine… »

  • Roumanie : Grève et victoire à l’usine Dacia !

    Des milliers de travailleurs de l’usine Dacia Renault sont partis en grève pour une augmentation de 60% de leur salaire. Après 3 semaines de lutte, ils ont réussi à obtenir environ 40% d’augmentation. Dans le quotidien « Adevarul », un journaliste a annoncé la fin du mythe des travailleurs roumains bon marché.

    Le syndicat local a déclaré que plus de 80% des 13.000 travailleurs de l‘usine Dacia de Pitest (ville du sud de la Roumanie) avaient participé à la grève. La principale revendication des travailleurs, qui gagnaient environ 285 euro par mois, était une augmentation salariale de 60%. « Nous travaillons le même nombre d’heures qu’en France mais nous sommes payés des cacahuètes », rapporte un travailleur. Le syndicat a déclaré qu’il était temps « de se battre pour les salaires comme en France ».

    Renault, le fabricant automobile français, a créé l’usine Dacia en 1999 et y produit depuis lors la Logan, la voirure la moins chère de sa gamme. Évidemment, même si l’augmentation de 60% avait été obtenue, les travailleurs auraient toujours gagné moins que leurs homologues français (qui gagnent en moyenne 2.200 euros brut par mois). Néanmoins, la revendication « de se battre pour les salaires comme en France » est très importante car c’est une tentative de surmonter les divisions entre travailleurs de différents pays. L’un des principaux slogans aux piquets tenu par les grévistes était «Unitate» (unité).

    La direction de Renault a réagi de manière très agressive en essayant d’obtenir l’interdiction de la grève par voie légale. Dans une lettre ouverte au journal « Evenimentul Zilei », le directeur général de Dacia, François Fourmont, a même menacé les travailleurs en grève de fermer l’entreprise. Fourmont a déclaré à propos des revendications salariales que « ces revendications peuvent mettre en péril le futur de l’usine, il faut prendre en compte le fait que d’ici à 2010 des usines Renault au Maroc, en Inde et en Russie seront opérationnelles et capables de produire la Dacia ».

    La menace de délocaliser la production dans un pays avec des conditions salariales plus faibles est une menace que les travailleurs d’Europe de l’Ouest connaissent bien. Durant ces derniers mois, des grandes entreprises (Ford, Nokia,…) ont délocalisé une partie de leur production en Roumanie ou ont menacé de le faire. Aux travailleurs à travers l’Europe de reprendre l’exemple de Dacia…

  • Allemagne: progression du nouveau parti de gauche

    Les médias parlent d’un « virage à gauche » en Allemagne. Si des élections nationales avaient lieu aujourd’hui, Die Linke, le nouveau parti de gauche dirigé par Oskar Lafontaine (qui fut président du SPD, le PS allemand), récolterait entre 11 et 14 % des voix. Lors des élections régionales en Hesse et en Basse-Saxe, Die Linke a franchi le seuil électoral de 5% pour la première fois dans des régions de l’Allemagne de l’Ouest.

    Tanja Niemeier

    Mécontentement social

    Le terreau fertile pour cette montée électorale de la gauche est le mécontentement social qui grandit dans de larges couches de la population. Seuls 15% de la population jugent que les chiffres de croissance économique se reflètent dans leur portefeuille. De nombreux scandales provoqués par la corruption et la fraude fiscale perpétrées par les topmanagers et les super-riches ont éclaté ces derniers mois. Les dernières enquêtes de la brigade financière ont révélé que 700 « citoyens éminemment fortunés » ont placé 3,4 milliards d’euros sur des comptes en noir au Liechtenstein. En revanche, les chômeurs qui ont été durement attaqués ces dernières années, ne disposent plus aujourd’hui en moyenne que d’un budget moyen de 4,35 euros par jour pour leur alimentation, une somme qui ne permet pas d’assurer les 2.300 calories nécessaires.

    Atmosphère combative

    Le fossé entre les profits record et le démantèlement du pouvoir d’achat et des acquis sociaux n’est plus considéré comme inévitable. Les conducteurs de train et leur syndicat indépendant GDL ont réussi récemment à obtenir une victoire après des actions de grève : 11% d’augmentation salariale, une réduction de travail d’une heure par semaine et une prime unique. Les salaires des cheminots allemands sont relativement bas par rapport au niveau européen, mais cette victoire a une grande valeur symbolique. Elle démontre qu’une lutte menée de manière sérieuse peut donner des résultats.

    Les luttes de ces dernières années étaient surtout défensives et les directions syndicales y mettaient fin en concluant souvent des « compromis » vides de contenu pour les salariés. Aujourd’hui, les machinistes ont mis fin à cela. Les autres vont suivre. Dans les services publics et le secteur métallurgique, les travailleurs revendiquent une augmentation salariale de 8%. Dans certaines régions, cette revendication était même symboliquement de 9,4%, le même pourcentage que celui de l’augmentation que se sont accordées les parlementaires… Des actions ont déjà été lancées dans divers secteurs, comme à Stuttgart où les vendeuses de H&M ont mené une grève pendant dix semaines.

    Virage à gauche

    Les travailleurs allemands ont gagné une plus grande confiance en eux mais cela ne suffit pas pour mettre fin au démantèlement social. Le fabricant de GSM Nokia a annoncé la fin de la production à Bochum pour la transférer en Roumanie où les salaires sont seulement de 300 euros par mois. Les 2.300 salariés et les 1.000 temporaires sont menacés d’être jetés à la rue. Avant, Nokia avait reçu 80 millions d’euros de soutien gouvernemental. Les politiciens des partis traditionnels ont appelé au boycott de Nokia. Mais même les commentateurs bourgeois ont posé la question : en quoi Motorola ou Siemens valent-ils mieux, eux qui récemment ont supprimé des postes en masse?

    Dans un contexte de profits record pour les entreprises, les travailleurs revendiquent un morceau du gâteau et les actions offensives jouissent d’un soutien large de la part de la population. Le « virage à gauche » dans la société allemande est bien réel, tant au niveau de la combativité qu’au niveau électoral. Die Linke bénéficie de ce climat mais sa direction semble plus intéressée à participer au pouvoir avec le SPD et les Verts qu’à préparer l’extension des luttes. Pourtant ce n’est pas en participant à des coalitions néolibérales qu’on obtiendra de vraies victoires mais plutôt en liant les combats quotidiens à une perspective de transformation socialiste de la société.

  • Kosova. Une indépendance sous la supervision de l’Europe. Un dangereux mirage ?

    La déclaration d’indépendance provoque des divisions au sein de l’Union Européenne ainsi que de la violence aux frontières du Kosovo. Pendant que l’ethnie albanaise kosovare faisait la fête avec des feux d’artifice dans les rues de Pristina, la capitale du Kosovo, les nationalistes serbes irrités arrosaient de pierres l’ambassade américaine à Belgrade. Ces deux événements étaient des réactions suscitées par la déclaration d’indépendance vis-à-vis de la Serbie du parlement kosovare le 17 février dernier.

    Article de Dave Carr, publié en anglais le 20 février.

    Le Kosova (ou Kosovo, comme les Serbes l’appellent) est le septième Etat indépendant à être formé depuis la dissolution de l’ancienne fédération de Yougoslavie en 1991. Mais, bien que 90% des kosovares appartiennent à l’ethnie albanaise, il existe au Kosova une importante minorité serbe d’un peu plus de 5% de la population, principalement concentrée dans une enclave, au nord, et qui reste fermement opposée à la séparation de la Serbie.

    Bien que la Serbie ait déclaré qu’elle ne lancerait pas une guerre pour empêcher la sécession, la violence ayant pour cible les troupes de l’OTAN de la part de certains membres de la minorité serbe peut s’intensifier dans l’enclave tout en menaçant de s’étendre à un conflit plus large dans la région.

    Le 19 février, des Serbes masqués ont incendié des postes frontières qui séparent la Serbie du Kosova. Plus tard, les forces de l’OTAN ont fermé les routes menant aux points de contrôle des frontières.

    En outre, le même jour, près d’un millier d’hommes – dont certains sont suspectés d’appartenir au ministère serbe de la police intérieure – ont parcouru le nord du Kosova, où la plupart des serbes kosovares vivent, augmentant ainsi la crainte que le nord soit divisé en deux le long de la rivière Ibar.

    Depuis la guerre menée par l’OTAN contre la Serbie en 1999 (précédée de trois ans de guerre civile et de conflits ethniques entre le régime nationaliste serbe de Slobodan Milosevic et l’armée de libération du Kosova – UÇK – soutenue par la population albanaise, l’ethnie majoritaire), le Kosova a été administré par les Nations Unies, tandis que les troupes de l’OTAN maintiennent l’ordre.

    Les entretiens finaux sur le statut du Kosova ont commencé en 2006, mais ils n’ont pas permis d’aboutir à un accord entre la Serbie et le Kosova, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France indiquant toutefois qu’ils reconnaitraient un Kosova indépendant. En novembre 2007, les élections parlementaires ont permis à Hashim Thaci, ancien commandant de l’UÇK, de devenir premier ministre, suivi, trois mois plus tard, par la déclaration d’indépendance coordonnée par les puissances occidentales.

    Mais la déclaration d’indépendance a des répercussions politiques, non seulement en Serbie – dont le gouvernement a appelé à un rassemblement de masse pour protester tout en menaçant d’appliquer des sanctions économiques et diplomatiques – mais également dans le monde entier.

    La Russie et la Chine se sont énergiquement opposées à l’indépendance kosovare. La Russie a même essayé, sans succès, de faire voter par le Conseil de sécurité de l’ONU une résolution affirmant que la déclaration d’indépendance du Kosova est « nulle et vide ».

    La Russie a des liens historiques avec la Serbie et veut éviter de voir une nouvelle érosion de son influence déjà amoindrie dans les Balkans, surtout pour un Etat pro-américain. Elle craint également que la déclaration d’indépendance du Kosova puisse représenter un précédent pour les mouvements sécessionnistes de certains territoires de la Fédération russe.

    La Russie a tout particulièrement peur que le Kosova stimule les séparatistes de Tchétchénie, contre lesquels la Russie a mené deux guerres sanglantes.

    Le Président russe Vladimir Poutine a notamment menacé, en représailles, de reconnaitre les régions dissidentes de la pro-occidentale Géorgie : l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie, soutenues par la Russie. Il est également possible que les Serbes de l’ancienne République yougoslave de Bosnie-Herzégovine puissent réclamer un référendum sur l’option séparatiste.

    L’Union européenne, qui envoie 2.000 policiers et fonctionnaires administratifs pour surveiller la transition du Kosova vers l’indépendance, est divisée au sujet de la reconnaissance : la Chypre, la Grèce, la Roumanie, la Slovaquie et l’Espagne s’y sont opposés, déclarant que cela stimulerait les mouvements séparatistes.

    Cependant, avec le chômage et la pauvreté de masse qui sévit au Kosova, les puissances impérialistes occidentales craignent que, sans accorder une certaine indépendance, une révolte ou une guerre civile ne se développe contre le contrôle du pays par l’étranger. Elles préfèrent donc donner plus de pouvoir à leurs vassaux de l’élite politique du Kosova tout en gardant dans leurs mains le contrôle final. Le « nouveau Kosova » n’est pas un véritable Etat souverain indépendant, mais un « semi-protectorat » des puissances occidentales.

    L’Union Européenne va diriger le territoire tel l’Occident l’a déjà fait, tout comme pour la Bosnie, au cours de ces 10 dernières années, y compris en donnant un pouvoir gigantesque à « Bureau Civil International » qui aura le pouvoir d’abroger des lois et de démettre des fonctionnaires kosovares (Guardian, Londres, 20 février 2008). Le Kosova est d’une importance géostratégique essentielle pour l’impérialisme, en particulier dans le cadre de l’opposition face à la Russie. Les Etats-Unis ont déjà une importante base militaire dans le territoire.

    L’Alternative socialiste

    Sur base capitaliste, le sous-développement du Kosova, l’exploitation et la domination par des sociétés multinationales et des élites albanaises corrompues, l’extrême pauvreté et le chômage ne peuvent être surmontés. Un Kosova capitaliste indépendant ne pourrait développer ni une industrie nationale forte, ni une réelle démocratie, ni une vraie indépendance.

    Pour que le Kosova puisse devenir démocratique et économiquement viable, une transformation socialiste de la société est nécessaire, basée sur la propriété publique des secteurs primordiaux de l’économie sous le contrôle et la gestion des travailleurs. Une planification économique démocratique serait également nécessaire afin de satisfaire les besoins de la société.

    Un Kosova socialiste indépendant garantirait tous les droits, notamment linguistiques et culturels, des minorités. Cela peut également impliquer l’autonomie pour la minorité serbe, si celle-ci le réclame.

    C’est seulement sur cette base que les craintes des minorités d’être opprimées dans un Kosova indépendant à dominance albanaise peuvent être surmontées et qu’une vraie unité puisse être réalisée.

    Ce serait un signal clair aux classes ouvrières des autres pays des Balkans qu’un Kosova socialiste indépendant veut surmonter le nationalisme dans cette région et cherche la coopération des peuples des Balkans.

    Un appel devrait être lancé aux masses des travailleurs et des paysans des populations de l’ex-Yougoslavie et de l’Albanie pour emprunter un chemin socialiste et pour mettre sur pied une fédération volontaire, démocratique et socialiste des pays des Balkans.


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  • Hongrie 1956 : quand les conseils ouvriers ont fait trembler la bureaucratie soviétique et la bourgeoisie du monde entier

    Cédric Gérôme

    Ce 23 octobre 2006, cela faisait exactement 50 ans que s’est déclenchée la révolution hongroise de 1956. Cet anniversaire, ainsi que les violentes émeutes qui l’ont accompagné, ont remis la Hongrie et le souvenir de la révolution au centre de l’actualité. L’ensemble de la presse et des politiciens se rejoignent tous pour saluer au passage « la première révolution dirigée contre la tyrannie communiste ». Contre la tyrannie ? Très certainement. Mais de là à faire l’amalgame stalinisme = communisme, il n’y a qu’un pas que la majorité des commentateurs bourgeois franchissent allègrement. Lors de la commémoration du soulèvement de 1956, organisé ce mardi en grande pompe par le gouvernement hongrois, José Manuel Barroso, président de la Commission Européenne, n’hésitait pas à dire que « les Hongrois, par leur sacrifice, ont préparé la réunification de l’Europe ». Les groupes d’extrême-droite hongrois, quant à eux, revendiquent la paternité de la « révolution contre les communistes, qui sont d’ailleurs toujours au pouvoir. » Face à cet amas d’hypocrisie et de confusion idéologique, il ne nous semble pas superflu de revenir sur les événements de ‘56, ses acteurs, son caractère et ses implications…

    Hongrie 1956 : quand les conseils ouvriers ont fait trembler la bureaucratie soviétique et la bourgeoisie du monde entier

    « Comment les dirigeants pourraient-ils savoir ce qui se passe ? Ils ne se mêlent jamais aux travailleurs et aux gens ordinaires, ils ne les rencontrent pas dans les bus, parce qu’ils ont tous leurs autos, ils ne les rencontrent pas dans les boutiques ou au marché, car ils ont leurs magasins spéciaux, ils ne les rencontrent pas dans les hôpitaux, car ils ont leurs sanas à eux. »

    « La honte n’est pas dans le fait de parler de ces magasins de luxe et de ces maisons entourées de barbelés. Elle est dans l’existence même de ces magasins et de ces villas. Supprimons les privilèges et on n’en parlera plus. » (Gyula Hajdu et Judith Mariássy, respectivement militant communiste et journaliste hongrois en 1956)

    1) La Hongrie au sortir de la guerre

    Après la deuxième guerre mondiale, les Partis Communistes et l’URSS avaient acquis une grande autorité suite à la résistance héroïque de la population russe contre l’invasion du pays par l’armée nazie. L’URSS sortit renforcée de la guerre : ayant repoussé l’armée allemande jusqu’aux frontières de l’Elbe, elle avait conquis la moitié d’un continent. La conférence de Yalta en février 1945 consacra cette nouvelle situation : les parties de l’Europe qui avaient été « libérées » par l’Armée Rouge resteraient sous la sphère d’influence russe.

    La fin de la seconde guerre mondiale était allée de pair avec une radicalisation des masses et des événements révolutionnaires dans toute une série de pays. En effet, les masses ne voulaient pas seulement en finir avec le fascisme ; elles voulaient aussi extirper la racine sociale et économique qui l’avait fait naître : le capitalisme. Dans la plupart des pays européens, la bourgeoisie devait faire face à des insurrections de masse. Mais s’il y avait bien un point sur lequel les Partis Communistes stalinisés et les capitalistes s’entendaient parfaitement, c’était sur le fait qu’une révolution ouvrière devait être évitée à tout prix. Dans les pays capitalistes, les PC –tout comme les partis sociaux-démocrates- usèrent de leur autorité pour venir en aide aux classes dominantes, en ordonnant aux partisans de rendre les armes et en participant à des gouvernements d’ « union nationale » avec les partis bourgeois (en France, en Italie, et en Belgique notamment). En vérité, il s’agissait bien là d’une contre-révolution, mais sous un visage « démocratique ». En France, pour ne citer qu’un seul exemple, les groupes de résistance, sous l’instruction des dirigeants staliniens, durent rendre leurs armes au prétendu « gouvernement de Libération Nationale ». Maurice Thorez, secrétaire général du PCF de l’époque, déclarait : « Les Milices Patriotiques ont très bien servi dans la lutte contre les nazis. Mais maintenant, la situation a changé. La sécurité publique doit être assurée par la police régulière. Les comités locaux de libération ne peuvent pas se substituer au pouvoir du gouvernement. »

    Dans les pays de l’Est (Roumanie, Bulgarie, Hongrie, Pologne, etc), si l’entrée de l’Armée Rouge avait souvent été perçue comme une libération, la bureaucratie du Kremlin était pourtant déterminée à maintenir la situation sous son contrôle et à empêcher que la classe ouvrière entre en mouvement de manière autonome. Petite anecdote illustrative : en Bulgarie, lorsque la machine militaire nazie s’effondra durant les mois d’automne 1944, les milices ouvrières, à Sofia puis dans d’autres villes, désarmèrent et arrêtèrent les fascistes, élirent des tribunaux populaires, organisèrent des manifestations de masse. Sentant le danger, le Haut Commandement russe ordonna tout de suite à ses troupes stationnées dans le pays : « Faites tout pour revenir à la discipline antérieure. Abolissez les comités et les conseils. Nous ne voulons plus voir un seul drapeau rouge dans la ville. »

    Après la guerre, dans des pays comme l’Italie ou l’Allemagne, la bourgeoisie avait sciemment maintenu dans l’appareil d’Etat du personnel politique ou militaire ayant occupé des fonctions importantes sous le fascisme ; les staliniens, quant à eux, firent exactement la même chose à l’Est. A cette époque, gagner les masses à un programme révolutionnaire n’aurait été que trop facile ; mais c’était là précisément ce que la bureaucratie stalinienne voulait éviter à tout prix. Dans les pays occupés par l’Armée Rouge, nombre de communistes et de travailleurs actifs dans la résistance seront liquidés, car jugés peu fiables. Qualifiés pendant la guerre de « braves combattants », ils devenaient à présent des « bandits », des « forces ennemies », voire même des « éléments pro-hitlériens », et étaient soumis en conséquence à la plus sévère répression. Plusieurs milliers d’entre eux seront torturés ou exécutés, pour la simple raison d’avoir voulu contester la toute-puissance de la bureaucratie. Pour mener à bien ce travail peu reluisant, les meilleurs alliés que les staliniens pouvaient trouver étaient…les vermines de l’ancien régime, convertis en « communistes » pour l’occasion. En Roumanie, le vice-Premier ministre du gouvernement nouvellement formé, un certain Tatarescu, avait par exemple dirigé en 1911 la répression contre un soulèvement dans les campagnes qui avait causé la mort de 11.000 paysans. En Bulgarie, le premier ministre, le Colonel Georgiev, et le ministre de la guerre, le Colonel Velchev, avaient tous deux été membres de la Ligue Militaire, une organisation fasciste sponsorisée par Mussolini. En Hongrie enfin, en décembre 1944, un gouvernement de « libération » fut formé ; son premier ministre était Bela Miklos, à savoir le tout premier Hongrois à avoir reçu personnellement des mains d’Hitler la plus grande décoration de l’ordre nazi !

    La population hongroise avait connu la défaite d’une première révolution en 1919. Ensuite elle dût subir les conséquences de cette défaite par l’instauration du régime fasciste de l’Amiral Horthy. Celui-ci liquida avec zèle les syndicats, tortura et massacra les communistes et les socialistes par milliers. Pendant la guerre, le pays fut occupé par les troupes nazies, accompagnées d’une nouvelle vague de terreur. Compte tenu de ces antécédents, il est clair que pour la population hongroise, le fait de constater qu’un régime qui portait sur son drapeau les acquis de la révolution russe d’octobre 1917 reconstruise l’appareil d’Etat avec les pires crapules de l’ancien régime n’en était que plus insupportable.

    Après la guerre, la Hongrie, comme tous les pays tombés sous l’égide de l’Armée Rouge, s’intégra au modèle économique russe et nationalisa son économie. A la fin de 1949, le processus de nationalisation de tous les principaux secteurs de l’économie hongroise était achevé. Bien évidemment, cela ne se faisait pas à l’initiative ni sous le contrôle des masses ouvrières : dès le début, celles-ci furent placés sous le joug d’une bureaucratie parasitaire calquée sur le modèle de l’URSS, qui disposait en outre d’une des polices secrètes les plus brutales de tout le bloc de l’Est, et s’accaparait, de par ses positions politiques, des privilèges exorbitants : en 1956, le salaire moyen d’un travailleur hongrois était de 1.000 forints par mois. Celui d’un membre de base de l’A.V.O. (=la police politique) était de 3.000 forints, tandis que le salaire d’un officier ou d’un bureaucrate de haut rang pouvait varier entre 9.000 et 16.000 forints par mois.

    Sur papier, beaucoup de travailleurs hongrois restaient encore membres du Parti Communiste. Cependant, cela était davantage lié au climat de terreur régnant tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du parti, plutôt qu’à des considérations politiques. Pour preuve, en octobre 1948, l’éditeur principal du « Szabad Nep » -le journal officiel du parti- se plaignait lui-même du fait que seuls 12% des membres du parti lisait le journal. Autre chiffre particulièrement révélateur de la répression politique qui sévissait en Hongrie à cette époque : entre 1948 et 1950, le PC hongrois expulsa de ses rangs pas moins de 483.000 membres !

    2) La rupture

    Le bureaucratisme stalinien constituait un système de gouvernement et de direction économique de moins en moins adapté aux nécessités de son temps, et de plus en plus en contradiction avec la situation réelle, tant en URSS que dans les pays dits « satellitaires » d’Europe de l’Est. L’annonce de la mort de Staline par le Kremlin en mars 1953 fut perçue comme un signal par les populations ouvrières du bloc de l’Est et ouvrit une période de résistance dans ces pays contre les méthodes de terreur et de despotisme qui devenaient chaque jour plus intolérables. En juin de la même année, les travailleurs de Plzen, un des principaux centres industriels de Tchécoslovaquie, démarrèrent spontanément une manifestation de masse demandant une plus grande participation de leur part aux décisions dans les usines et sur les lieux de travail, la démission du gouvernement ainsi que la tenue d’élections libres. Deux semaines plus tard, le 17 juin 1953, les travailleurs de Berlin-Est se rebellaient à leur tour par des manifestations et des grèves, mouvement qui culminera dans une grève générale se répandant comme une traînée de poudre dans toute l’Allemagne de l’Est. Il sera réprimé sans ménagement par les troupes russes, au prix de 270 morts.

    Les dirigeants de l’URSS comme des pays « satellitaires » commençaient à s’inquiéter. Il fallait trouver les moyens de calmer les esprits, les voix de plus en plus nombreuses qui s’élevaient contre le régime d’oppression politique imposé à la population. Effrayée par la possibilité d’explosions plus importantes encore, la bureaucratie décida d’adopter un « cours nouveau » : une certaine relaxation politique consistant en réformes et concessions venues d’en-haut (=initiées par la bureaucratie elle-même) afin d’éviter une révolution d’en-bas (=une révolution politique initiée par la classe ouvrière). Ainsi, en Hongrie, les tribunaux de police spéciaux furent abolis, beaucoup de prisonniers politiques furent libérés, il fut permis de critiquer plus ouvertement la politique du gouvernement. Sur le plan économique, on accorda plus d’importance à la production de biens de consommation et moins à l’industrie lourde. Dans les campagnes, on mit un frein aux méthodes de collectivisation forcée. Cependant, cela ne fit qu’ouvrir l’appétit aux travailleurs et aux paysans ; car ce que ceux-ci désiraient en définitive, c’était chasser pour de bon la clique dirigeante du pouvoir.

    Historiquement, l’année 1956 fut incontestablement une année cruciale dans la crise du stalinisme. Car si 1956 fut l’année de la révolution hongroise, cette dernière n’était elle-même qu’une composante d’une crise générale traversée par les régimes staliniens. La révolution de 1956 marquait un point tournant : elle indiquait la fin d’une époque et le début d’une ère nouvelle. Précurseur d’autres mouvements contre la bureaucratie stalinienne, tels que le Printemps de Prague de 1968, elle était la première véritable révolution dirigée contre ceux-là même qui continuaient à se proclamer les héritiers de la révolution russe de 1917. Or, comme Trotsky l’avait expliqué déjà 20ans auparavant, ceux qui se trouvaient au Kremlin n’étaient plus les héritiers de la révolution, mais bien ses fossoyeurs.

    Déjà, en février 1956, au 20ème congrès du PC russe, et trois ans après la mort de Staline, Nikita Kroutchev, premier secrétaire du parti, avait lancé une véritable bombe politique dans le mouvement communiste mondial en exposant son fameux « rapport secret », qui détruisait le mythe du « Petit Père des Peuples » et dévoilait publiquement la terreur de masse, les crimes abominables et la répression politique menée méthodiquement par le régime de Staline pendant des années. Auparavant, ne pas avoir la photo de Staline chez soi était considéré comme un acte de défiance au régime. A présent, on transformait en diable celui qui avait été mystifié des années durant comme un dieu vivant ! Les raisons de ce revirement peuvent en être trouvées dans cet extrait d’un article de la « Pravda » -organe de presse du PC russe- : « Le culte de la personnalité est un abcès superficiel sur l’organe parfaitement sain du parti. » Il s’agissait de donner l’illusion que maintenant que le « Petit Père des Peuples » avait trépassé, tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes.

    Mais les travailleurs n’étaient pas dupes. En outre, il est difficile de continuer à pratiquer une religion à partir du moment où l’on a détruit son dieu. Car si Kroutchev et ses supporters tendaient à rompre avec les aspects les plus tyranniques du stalinisme, ils étaient bien incapables, de par leur propre position, à s’attaquer à la racine même de cette tyrannie : c’est pourquoi Kroutchev se verra obligé d’écraser dans le sang la révolution hongroise en utilisant les mêmes méthodes que celles qu’il avait dénoncées quelques mois plus tôt.

    3) L’explosion

    De juin à octobre 1956, un mouvement important des travailleurs polonais oblige la bureaucratie polonaise à faire d’importantes concessions. Des postes dans le parti sont attribués à des anti-staliniens et fin octobre, le poste de 1er secrétaire du parti est attribué à Gomulka, un vieux communiste relativement populaire qui avait été jeté en prison par Staline. Si Gomulka restait un homme de l’appareil, sa nomination à la tête du parti était malgré tout perçue comme une victoire importante. Un responsable haut-placé du régime commente ces événements en affirmant qu’ « il faut voir ces incidents comme un signal alarmant marquant un point de rupture sérieux entre le parti et de larges couches de la classe ouvrière. » Toutefois, en Pologne, la bureaucratie sera capable de maintenir le mouvement sous contrôle. Mais en Hongrie …

    En Hongrie, depuis quelques mois, l’agitation s’était accentuée, essentiellement parmi les intellectuels et dans la jeunesse, autour du cercle « Petöfi », formé fin ‘55 par l’organisation officielle des jeunesses communistes (DISZ). Celle-ci prend des positions de plus en plus virulentes par rapport au régime : « Il est temps d’en finir avec cet Etat de gendarmes et de bureaucrates » est le type de déclarations que l’on peut lire dans leurs publications. La « déstalinisation » leur permet à présent d’exprimer au grand jour ce qu’ils pensaient depuis longtemps tout bas.

    A partir de septembre et de début octobre, les travailleurs commencent à leur tour à s’activer. En octobre, lorsque les travailleurs et les jeunes apprennent la nouvelle de ce qui s’est passé en Pologne, il se sentent pousser des ailes. Le 21 octobre, les étudiants de l’Université Polytechnique de Budapest tiennent une assemblée, où ils réclament la liberté de la presse, de parole, d’opinion, la suppression du régime du parti unique, l’abolition de la peine de mort, l’abolition des cours obligatoires de « marxisme ». Ils menacent d’appuyer leur programme par des manifestations de rue s’ils n’obtiennent pas satisfaction. Le 22 octobre, le cercle Petöfi lance pour le lendemain le mot d’ordre d’une grande manifestation publique en solidarité avec leurs frères polonais.

    L’interdiction initiale de la manifestation, plusieurs fois répétée à la radio, puis la décision soudaine de l’autoriser, produisent un effet de choc. La population tout entière a pu constater les hésitations des dirigeants, et elle voit la décision finale des autorités comme une capitulation devant la force potentielle du mouvement. La manifestation est un succès, rassemble plusieurs dizaines de milliers de personnes. En tête, des jeunes portent d’immenses portraits de Lénine. On peut lire des slogans tels que « nous ne nous arrêterons pas en chemin : liquidons le stalinisme », « indépendance et liberté » etc. Vers 18h, les bureaux et les usines se vident, et les ouvriers et employés qui sortent du boulot rejoignent les étudiants. Le mouvement gagne en ampleur, les transports publics s’arrêtent de fonctionner ; on dénombre bientôt plus de 300.000 manifestants dans les rues de Budapest.

    Un groupe de plusieurs centaines de personnes issues de la foule décident de se rendre à la Place où se dresse une statue géante en bronze de Staline et la déboulonnent. Une délégation de 16 personnes se rend à l’immeuble où est localisé le centre de radio de Budapest, afin de tenter de diffuser leur appel sur les ondes. Comme la délégation tarde à sortir de l’immeuble, la foule s’impatiente. C’est dans la confusion générale qu’éclatent les premiers coups de feu dans la foule, tirés par des membres de l’A.V.O. Il y a trois morts. Ensuite, les premiers tanks et camions arrivent en renfort. Cette échauffourée met le feu aux poudres : la révolution hongroise a commencé.

    4) La force des travailleurs en action

    Les travailleurs commencent à s’armer pour riposter : certains s’emparent d’armes dans les armureries, d’autres se rendent vers les casernes. Comme à Barcelone en 1936, certains soldats leur ouvrent les portes, leur lancent des fusils et des mitraillettes par les fenêtres, ou amènent carrément dans la rue des camions chargés d’armes et de munitions et les distribuent à la population. Beaucoup rejoignent les rangs des manifestants. Dès le 24 au soir, il n’y aura pratiquement plus aucune unité de l’armée hongroise qui obéisse au gouvernement. Seule la police politique combat les insurgés. Des barricades commencent à se dresser ; dans certains quartiers de Budapest, même des enfants apportent leurs jouets pour aider à la construction des barricades.

    Les batailles de rue durent toute la nuit. A une heure du matin déjà, la plupart des grosses artères de la ville sont occupés par des travailleurs armés. Vers 8h du matin, le gouvernement hongrois annonce qu’il a fait appel à l’aide militaire russe pour écraser ce qu’il appelle « des petites bandes de contre-révolutionnaires armés qui pillent la ville. » Les bureaucrates du Kremlin et leurs agents de l’appareil hongrois sont décidés à conserver à tout prix le contrôle de la situation, quitte à noyer dans le sang la révolution naissante. Cette décision ne fait que renforcer la détermination des révolutionnaires et radicalise encore davantage le mouvement. Le premier conseil de travailleurs et d’étudiants est formé à Budapest.

    Les chars russes commencent à entrer dans la ville dans la matinée du 24 octobre. Au début, certains soldats russes envoyés pour écraser l’insurrection ne savent même pas qu’ils sont en Hongrie : on leur a raconté qu’ils ont été envoyés à Berlin pour « combattre des fascistes allemands appuyés par des troupes occidentales. »

    Les combats de rue se prolongent pendant plusieurs jours. Rapidement, les quartiers prolétariens deviennent les bastions de l’insurrection. Un correspondant de « The Observer » explique: « Ce sont les étudiants qui ont commencé l’insurrection, mais, quand elle s’est développée, ils n’avaient ni le nombre ni la capacité de se battre aussi durement que les jeunes ouvriers. ».

    Dès l’annonce de l’envoi de troupes russes, la grève générale insurrectionnelle est déclarée ; elle se répand rapidement dans tout le pays. Elle se traduit immédiatement par la constitution de centaines de comités et conseils ouvriers qui s’arrogent le pouvoir. Avant le 1er novembre, dans tout le pays, dans toutes les localités, se sont constitués, par les travailleurs et dans le feu de la grève générale, ces conseils qui assurent le maintien de l’ordre, la lutte contre les troupes russes et contre celles de l’A.V.O. par des milices d’ouvriers et d’étudiants armés ; ils dissolvent les organismes du PC, épurent les administrations qu’ils ont soumises à leur autorité, assurent le ravitaillement de la capitale en lutte.

    Un journal aussi réactionnaire que « La Libre Belgique » publiait le lundi 23 octobre l’interview d’un certain Nicolas Bardos, docteur en sciences-économiques, qui a fui la Hongrie en 1956. Celui-ci relate : « A la sortie d’une pause de nuit, je suis tombé dans la rue sur une manifestation où ouvriers et employés étaient accompagnés d’étudiants derrière un drapeau troué. Deux jours plus tard, je me suis rendu compte de la décomposition de l’Etat. Tout s’est arrêté et réorganisé très vite. Des conseils ouvriers se sont mis en place… ». Ces conseils renouent spontanément avec les formes d’organisation caractéristiques de la démocratie ouvrière : ils sont élus par la base, avec des délégués révocables à tout moment et responsables devant leurs mandats. Leurs revendications politiques diffèrent, mais tous comprennent : l’abolition de l’A.V.O., le retrait des troupes russes, la liberté d’expression pour tous les partis politiques, l’indépendance des syndicats, l’amnistie générale pour les insurgés emprisonnés, mais aussi et surtout la gestion par les travailleurs eux-mêmes des entreprises et des usines.

    Ce dernier point apporte un démenti flagrant à la version prétendant que cette révolution était dirigée contre le « communisme » en général. Le 2 novembre 1956, un article paraît dans « Le Figaro » affirmant ceci : « Les militants hongrois sont soucieux de restaurer une démocratie à l’occidentale, respectueuse des lois du capitalisme. » Cette affirmation est pourtant contredite par les militants révolutionnaires eux-mêmes. La fédération de la jeunesse proclame fièrement : « Nous ne rendrons pas la terre aux gros propriétaires fonciers ni les usines aux capitalistes » ! Dans le même registre, le Conseil Ouvrier Central de Budapest déclare : « Nous défendrons nos usines et nos terres contre la restauration capitaliste et féodale, et ce jusqu’à la mort s’il le faut. » Certes, dans l’atmosphère générale, des réactionnaires ont pu s’infiltrer et pointer le bout de leur nez. Pas plus. Un seul journal réactionnaire a paru. Il n’a publié qu’un seul numéro, car les ouvriers ont refusé de l’imprimer dès le lendemain. Cela n’a pas empêché les journaux bourgeois en Occident de parler de « floraison de journaux anti-communistes ».

    5) Les chars russes

    Au fur et à mesure que les soldats russes restent sur place, ils comprennent de mieux en mieux pourquoi on les a envoyés : ils n’ont pas vu de troupes occidentales, ils n’ont pas vu de fascistes ni de contre-révolutionnaires ; ils ont surtout vu tout un peuple dressé, ouvriers, étudiants, soldats. Certains soldats russes doivent être désarmés et renvoyés vers la Russie, du fait qu’ils refusent d’appliquer les ordres. D’autres fraternisent avec les révolutionnaires et rejoignent carrément le camp des insurgés. Dès le second jour de l’insurrection, un correspondant anglais signale que certains équipages de tanks ont arraché de leur drapeau l’emblème soviétique et qu’ils se battent aux côtés des révolutionnaires hongrois « sous le drapeau rouge du communisme ».

    L’utilisation de l’armée russe à des fins répressives devient de plus en plus difficile. Après un premier repli stratégique pour s’assurer des troupes plus fraîches et plus sûres, le 4 novembre, le Kremlin lance une seconde intervention, armée de 150.000 hommes et de 6.000 tanks pour en finir avec la révolution. Une bonne partie des nouvelles troupes viennent d’Asie soviétique, dans l’espoir que la barrière linguistique puisse empêcher la fraternisation des soldats avec les révolutionnaires hongrois.

    Pendant quatre jours, Budapest est sous le feu des bombardements. Le bilan de la deuxième intervention soviétique à Budapest est lourd : entre 25.000 et 50.000 morts hongrois, et 720 morts du côté des soldats russes. La répression par les troupes de l’A.V.O., qui « nettoient » les rues après le passage des tanks, est extrêmement féroce : des révolutionnaires attrapés dans les combats de rue sont parfois pendus par groupes sur les ponts du Danube ; des pancartes sont accrochées sur leurs cadavres expliquant : « Voilà comment nous traitons les contre-révolutionnaires ». Tout cela se fait bien entendu dans l’indifférence totale des soi-disant « démocraties » occidentales. Le secrétaire d’Etat des USA affirme dans un speech à Washington : « D’un point de vue de la loi internationale sur la violation des traités, je ne pense pas que nous puissions dire que cette intervention est illégale ». Ce positionnement de l’impérialisme américain permet d’apprécier à sa juste valeur l’ «hommage » rendu aux insurgés de ’56 par George W.Bush lors de sa visite en Hongrie en juillet dernier !

    Les combats durent pendant huit jours dans tout le pays. Si l’intervention des chars russes leur a assénés un sérieux coup, les travailleurs ne sont pourtant pas encore complètement battus. Une semaine après le déclenchement de la seconde intervention russe, la majorité des conseils ouvriers sont encore debout. Une nouvelle grève générale, assez bien suivie, aura même encore lieu les 11 et 12 décembre ! Pourtant, le répit obtenue par la réaction à travers cette deuxième intervention militaire–nettement plus efficace que la première-, combinée au manque d’un parti ouvrier révolutionnaire avec une stratégie claire visant à destituer la bureaucratie de ses fonctions, permet à la terreur contre-révolutionnaire de déclencher une offensive sans précédent. Le 20 novembre, les derniers foyers de résistance commencent à s’éteindre. Début décembre, le gouvernement lance la police contre les dirigeants des conseils ouvriers ; plus d’une centaine d’entre eux sont arrêtés dans la nuit du 6 décembre. Sous les coups de la répression, les conseils ouvriers nés de la révolution disparaissent les uns après les autres. La révolution hongroise recule.

    Le 26 décembre 1956, la force des conseils ouvriers hante encore la bureaucratie. Un ministre hongrois, un certain Gyorgy Marosan, déclare que « si nécessaire, le gouvernement exécutera 10.000 personnes pour prouver que c’est lui le vrai gouvernement, et non plus les conseils ouvriers. »

    Le 5 janvier 1957, en visite à Budapest, Kroutchev, rassuré, affirme qu’ « en Hongrie, tout est maintenant rentré dans l’ordre. »

    Le 13 janvier de la même année, la radio diffuse une annonce officielle déclarant qu’ « en raison de la persistance d’activités contre –révolutionnaires dans l’industrie, les Tribunaux ont désormais le pouvoir d’imposer la peine de mort à quiconque perpétuera la moindre action contre le gouvernement. » Cela implique le simple fait de prononcer le mot « grève » ou de distribuer un tract.

    6) Conclusion

    La version que la bourgeoisie présente de ces événements est sans ambiguïté : le peuple hongrois a démontré sa haine du communisme et sa volonté de revenir au bon vieux paradis capitaliste. Pour des raisons quelque peu différentes, la version des staliniens s’en rapproche étrangement : les révolutionnaires sont sans vergogne qualifiés par la bureaucratie de « contre-révolutionnaires », de « fascistes », d’ « agents de la Gestapo ». Dans un cas comme dans l’autre, les insurgés sont présentés comme des éléments pro-capitalistes. Or il n’en est rien : tout le développement de la révolution hongroise dément une telle analyse.

    En 1956, le programme qu’exprimaient des millions de travailleurs de Hongrie à travers les résolutions de leurs conseils et comités, reprenait dans les grandes lignes le programme tracé vingt ans plus tôt dans « La révolution trahie » par Trotsky, où celui-ci prônait pour la Russie une révolution politique contre la caste bureaucratique au pouvoir, comme seule issue afin d’empêcher un retour au capitalisme qui renverrait l’Etat ouvrier des décennies en arrière.

    Trotsky disait : « L’économie planifiée a besoin de démocratie comme l’homme a besoin d’oxygène pour respirer ». Les travailleurs ne refusaient pas la production socialisée ; ce qu’ils refusaient, c’était que cette dernière se fasse au-dessus de leurs têtes. Ils se battaient pour le véritable socialisme, c’est-à-dire un socialisme démocratique. C’est pour cette raison que la victoire des conseils ouvriers était apparue comme un péril mortel à la bureaucratie de l’URSS. De plus, son exemple était un danger direct pour toute la hiérarchie de bureaucrates de que l’on appelait hypocritement les « démocraties populaires ». Mao, Tito, et tous les autres, sans exception, supportèrent sans hésiter la ligne suivie par Moscou. Le Parti Communiste Chinois alla même jusqu’à reprocher aux Russes de ne pas avoir réagi assez vigoureusement pour écraser la révolution hongroise. Dans les pays occidentaux, les PC estimaient que l’intervention soviétique était inévitable et nécessaire si l’on voulait « sauver le socialisme » : il leur en coûtera des dizaines de milliers de membres, le PC anglais perdant plus du quart de ses effectifs.

    Malheureusement, les travailleurs hongrois se sont lancés dans la révolution sans disposer d’une direction révolutionnaire permettant de faire aboutir le mouvement jusqu’à sa conclusion : là était le gage d’une possible victoire. Il est regrettable que certains commentateurs de gauche tirent des conclusions complètement opposées. C’est le cas de Thomas Feixa, journaliste au « Monde Diplomatique », qui écrit : « La grève générale et la création de conseils autonomes opérant sur la base d’une démocratie directe bat en brèche la formule du parti révolutionnaire défendue par Lénine et Trotsky, celle d’une organisation autoritaire et centralisatrice qui réserve les décisions à une élite savante et restreinte. » La contradiction qui est ici posée entre les conseils ouvriers d’un côté, et le parti révolutionnaire de l’autre, n’a pas de sens. Les conseils ouvriers existaient également en Russie : les soviets, qui permettaient précisément que les décisions ne soient pas « réservées à une élite savante et restreinte », mais impliquaient au contraire la masse de la population dans les prises de décision. Que les soviets aient finalement perdu leur substance et furent sapés par la montée d’une bureaucratie totalitaire qui a fini par gangréner tous les rouages de l’appareil d’Etat, c’est une autre histoire que nous n’avons pas l’espace d’aborder ici. Mais une chose est certaine : la victoire des soviets russes a été permise parce qu’ils disposaient d’une direction révolutionnaire à leur tête, représentée par le Parti Bolchévik. Si l’héroïsme des travailleurs hongrois avait pu être complété par l’existence d’un parti tel celui des Bolchéviks en 1917, le dénouement de la révolution hongroise aurait été tout autre, et la face du monde en aurait peut-être été changée.

    Andy Anderson, auteur anglais d’un livre appelé « Hungary ‘56 », explique quant à lui : « Les travailleurs hongrois ont instinctivement, spontanément, créé leurs propres organes, embryon de la société qu’ils voulaient, et n’ont pas eu besoin d’une quelconque forme organisationnelle distincte pour les diriger ; c’était ça leur force. » Encore une fois, ce qui constituait la faiblesse principale du mouvement –sa spontanéité- est ici transformée en son contraire, et présentée comme sa force principale. Il est d’ailleurs assez révélateur de constater qu’aucun de ces deux auteurs n’aborde la question de savoir pourquoi la révolution hongroise a échoué. Elle a échoué car il manquait aux travailleurs hongrois la direction capable de coordonner leur action, de construire un soutien solide dans les populations ouvrières des autres pays de l’Est par une stratégie consciente visant à étendre la révolution à l’extérieur et ainsi desserrer l’étau qui pesait sur les révolutionnaires hongrois, de déjouer les pièges de la bureaucratie et, surtout, de balayer définitivement celle-ci du pouvoir. C’est bien à cause de cela que les conseils ouvriers sont restés en Hongrie à l’état d’ « embryons de la nouvelle société » et ne sont jamais devenus des organes de pouvoir effectifs.

    Sources :

    • « La révolution hongroise des conseils ouvriers », Pierre Broué.
    • « Hungary ‘56 », Andy Anderson
    • « Le Monde Diplomatique » (octobre 2006)
    • « La Libre Belgique » (23 et 24 octobre 2006)
  • 25,000 mineurs de charbon partent en grève contre des salaires et des conditions de travail atroces

    Kazakhstan

    Les mineurs du « Département Charbon » de « Mittal Steel Temirtau », une succursale de la multinationale « Arcelor Mittal » au Kazakshtan, sont partis en grève ce 25 septembre 2006. Les travailleurs demandent une hausse salariale (leur salaire actuel est de 250-300 dollars par mois), la baisse de l’âge de la retraite (avec payement à l’heure), entre autres revendications. La grève a débuté après la mort de 41 mineurs, due à l’usure de leur équipement de minage, et à cause du manque de conditions de travail décentes.

    (Pour plus d’informations, voir : sur le site http://kazakhstan.socialism.ru/solidarity/2006/shahtersky_bunt.html (il y a une traduction électronique vers l’anglais))

    Chaque jour, une assemblée générale des mineurs a lieu dans l’hôtel de ville de Shakhtinsk (à 45km de la ville de Karaganda). Les mineurs sont déterminés à aller jusqu’au bout avec leurs revendications.

    La grève a quand même commencé, malgré le « conseil » du syndicat officiel (qui s’appelle « Korgau ») aux mineurs de ne pas entreprendre d’action. Maintenant, les mineurs tentetn de recréer de nouvelles structures par en-bas. Socialist Resistance (CWI Kazakhstan) soutient pleinement les mineurs, et appelle à la formation de syndicats démocratiques et combatifs, et à la nationalisation des mines et de l’industrie métallurgique au Kazakhstan.

    Ceci est la première grève des mineurs à une telle ampleur, depuis les troubles de 1989. En ce moment, 25 000 mineurs ont cessé le travail. La grève est aussi soutenue par les travailleurs de l’industrie métallurgique de Karaganda, qui ont leurs propres batailles à mener. Ces travailleurs ont tenu une assemblée générale le 30 septembre, dans la ville de Temirtau, pour demander une hausse salariale de 40%.

    Besoin d’un soutien moral et politique

    Les mineurs ont entrepris une action courageuse, et découvrent en ce moment leur pouvoir, mais ils ont besoin d’un soutien moral et politique rapide. Les dirigeants des syndicats officiels, accompagnés des autorités locales et régionales, tentent de diviser les travailleurs. Une surveillance permanente des grévistes a été organisée. Les médias de masse, qui appartiennent au gouvernement, déversent sans discontinuer des flots de mensonges et d’insultes au sujet des ouvriers.

    Nous appelons à l’envoi de lettres de solidarité à Pavel Shumkin, le dirigeant « officieux » des mineurs en grève, qui s’est rendu célèbre par son action lors des grèves de 1989.

    Vous pouvez contacter Pavel Shumkin à l’adresse suivante :

    Loboda St., 13, Apt. 49, 100000, Karaganda, Republic of Kazakhstan

    Tel ++7 3212 41 36 04, mobile ++7 705 574 75 91

    e-mail : pshumkin@yandex.ru

    Nous vous serions gré d’envoyer des copies de ces mails à « Socialist Resistance (Kazakhstan) » par e-mail: kri-ainur@mail.ru and ainur1917@yandex.ru

    Un fonds de solidarité a été établi pour les grévistes. Vous trouverez plus d’informations à ce sujet sur www.kazakhstan.socialism.ru

    Nous vous demandons aussi de contacter les syndicats dans d’autres usines appartenant à « Arcelor Mittal », dans 16 pays à travers le monde. Cela inclut les usines de Tchéquie, du Canada, et des USA. La politique de conditions de travail brutales et de paye misérable qui est promue par Arcelor Mittal est aussi pratiquée par l’entreprise « Krivorozhstal », en Ukraine et Roumanie.

    Une situation explosive se développe dans les mines du Kazakhstan. Une vague de grèves, avec l’apparition de nouveaux syndicats combatifs, pourrait parcourir le pays tout entier, en particulier si cette lutte des mineurs devait être victorieuse. Tous les socialistes, les syndicats et les activistes, où qu’ils soient, doivent soutenir les mineurs du Kazakhstan. Ce n’est que par la solidarité et la lutte commune que nous pourront défendre nos droits, et remporter de véritables victoires !

  • NON à l’Europe des privatisations, de la flexibilité, des bas salaires,…

    Constitution Européenne

    L’élite politique et économique a subi, malgré l’énorme campagne médiatique, une lourde défaite avec le référendum sur la Constitution Européenne en France et aux Pays-Bas. Cette défaite est venue de la résistance des travailleurs et des jeunes.

    Geert Cool

    Le vote contre l’Union Européenne (UE) était un vote contre la politique néo-libérale des différents gouvernements européens. L’UE s’est faite, les dernières années, une mauvaise réputation . Le Pacte de Maastricht, mis en place début des années 90, nous a également valu un strict plan d’austérité. Le lancement de l’euro a conduit, dans beaucoup de pays, à une augmentation des prix. La discussion au sujet des attaques sur les salaires et les conditions des travailleurs ont été habituellement couplés à l’Europe et à la nécessité d’une libre concurrence. Les libéralisations et les privatisations sont “mise en place par l’Europe”.

    La méfiance et la résistance envers la politique actuelle sont en croissance. Ce n’est pas une « réaction mesquine  de personnes qui réagissent de manière conservatrice contre un grand pas en avant  de l’Eu-rope ». C’est un rejet des attaques incessantes des gouvernements et du patronat dans tous les pays européens. Partout est inscrit à l’agenda la mise en place de diminutions réelles de salaire, de diminutions du coût du travail, d’élargissement de la flexibilité, de limitations des allocations de pensions, de suppressions d’allocations de chômage,…

    Ce que l’UE veut obtenir apparaît, entre-autre, par la pression exercée pour la libéralisation complète du secteur public. La directive dite « Bolkenstein », que certains ont rebaptisé en « Directive Frankenstein », a comme orientation d’ouvrir complètement le secteur public au marché. Avec une telle directive, il sera possible qu’une entreprise dans un pays à bas salaires emploie des travailleurs dans un autre pays de l’UE aux conditions de travail et de salaire les plus mauvaises possibles. C’est une attaque directe sur les salaires et sur la sécurité sociale. Cela est formalisé au travers de la Constitution Européenne (article II-147), ce qui n’est pas surprenant dans une UE qui veut devenir la zone économique la plus concurrentielle au niveau mondial.

    Le vote « Non », aussi bien en France qu’aux Pays-Bas, est un rejet de cette politique. Cela cause une crise pour l’establishment européen. Tant les dirigeants poli-tiques que le patronat y ont vu le renforcement de la confiance en soi des travailleurs pour entrer en résistance contre la politique actuelle. Un rejet de la Constitution Européenne ne va pas stopper la politique néo-libérale. Avec les futurs développement de la crise économique, la bourgeoisie veut assurer ses gains en toute sécurité en arrachant l’argent des travailleurs, des bénéficiaires d’allocations, des pensionnés,…Que cette politique soit repoussée en France comme aux Pays-Bas montre que la bourgeoisie ne pourra pas mener ses plans sans résistance.

    L’Europe en pratique

    En avril un entrepreneur français connu a proposé à neuf de ses licenciés de déménager pour travailler dans une entreprise en Rou-manie pour 110 euro bruts par mois. « Un salaire de 110 euro n’est peut-être pas beaucoup en France, en Roumanie c’est assez », déclarait l’employeur. Les bas salaires et les mauvaises conditions de travail en Europe orientale sont utilisés pour faire des économies sur notre dos.

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