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Tag: Révolution
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Le régime chinois ébranlé par la plus grande vague de protestation depuis 1989. Comment poursuivre la lutte ?
A l’heure où nous écrivons ces lignes, la police se masse dans les villes chinoises afin d’éradiquer la toute récente vague de protestation. Les actions protestations se poursuivent dans les universités. Le week-end prochain pourrait voir de nouvelles manifestations de rue dans différentes villes du pays. Les manifestations qui ont balayé la Chine ces derniers jours représentent le défi le plus sérieux depuis trente ans pour la dictature du Parti communiste chinois (PCC) et son “empereur” Xi Jinping nouvellement couronné.
Par Li Yong et Vincent Kolo, chinaworker.info
Après trois ans de contrôles et de confinements étouffants d’une brutalité indescriptible dans le cadre de la politique de « Zéro Covid », la population a atteint un point de rupture. Si le « Zéro Covid » et l’incendie meurtrier de jeudi dernier au Xinjiang (dix personnes sont mortes et neuf autres ont été blessées dans un immeuble à Urumqi, capitale régionale du Xinjiang) ont servi d’éléments déclencheurs, la vague de protestation actuelle est bien plus qu’un mouvement « anti-confinement », aussi important soit-il.
Les manifestations étudiantes dans plus de 80 universités du pays ont défilé au cris de « la liberté ou la mort », un slogan de la lutte de 1989 dont la plupart des jeunes Chinois ignorent totalement l’existence. L’aspiration aux droits démocratiques et à la fin de la dictature ont rencontré l’indignation contre l’insistance insensée et non scientifique de la dictature à vouloir à tout prix tuer un virus impossible à tuer.
Au cours de la semaine écoulée, les taux quotidiens d’infection au Covid ont atteint le chiffre record de plus de 40.000. Bien que ce chiffre soit encore faible par rapport aux niveaux atteints dans de nombreux pays occidentaux au plus fort de la pandémie, la réponse du gouvernement consiste invariablement à multiplier les confinements, car il s’est mis dans une situation délicate en insistant sur la réussite de la politique de « Zéro Covid ».
La dictature a aveuglément suivi une stratégie perdante, renforcée par le rôle personnel de Xi Jinping : a) il a utilisé la politique du « Zéro Covid » comme une arme dans la lutte de pouvoir interne du PCC, en forçant les gouvernements régionaux à faire preuve de « loyauté », b) il a utilisé cette politique pour massivement renforcer les capacités de surveillance et de contrôle de la dictature.
La stratégie « Zéro Covid » de Xi a minimisé la vaccination et s’est concentrée sur des tests de masse intensifs, la recherche des contacts, la quarantaine et des confinements brutaux. Un million de Chinois – dont la famille de l’un des auteurs de cet article – se trouvent actuellement dans des centres de quarantaine (fancang), largement décrits comme étant pires que des prisons. Selon Nomura, institution qui fournit des mises à jour hebdomadaires, un nombre record de cinquante villes, représentant environ un quart de la population chinoise, sont actuellement soumises à une forme de confinement.
Le passage à la position de « coexistence avec le Covid » adoptée par la plupart des autres gouvernements pourrait submerger le secteur des soins de santé chinois, qui manque de ressources, et entraîner des centaines de milliers de décès. Une étude récente de l’agence Bloomberg Intelligence a montré que la Chine ne dispose que de quatre lits de soins intensifs pour 100.000 habitants, soit un taux bien inférieur à celui des pays développés. Un revirement de politique maintenant représenterait également une défaite personnelle humiliante pour Xi Jinping, car il s’agit de sa politique phare. Le dictateur se trouve donc dans un « zugzwang politique », comme l’a souligné la chroniqueuse de Bloomberg Clara Ferreira Marques, en utilisant un terme d’échecs qui signifie qu’un joueur est obligé de faire un mouvement, mais que chaque option aggrave la situation.
Les signes avant-coureurs
Les signes d’une explosion sociale à venir sont clairs. Le débrayage massif, en octobre, de milliers de travailleurs de la plus grande usine d’iPhone du monde (Foxconn) à Zhengzhou, a eu un effet énorme sur la conscience de masse, car ces scènes ont été largement diffusées sur les réseaux sociaux malgré tous les efforts des censeurs. La ville d’Urumqi, où la dernière vague de protestations sans précédent a commencé, est en confinement depuis une centaine de jours, accompagnée – comme dans presque tous les confinements – de pénuries de nourriture et de médicaments.
Les confinements ont donné lieu à une crise de santé mentale aux proportions inimaginables. En 2020 déjà, une enquête nationale a révélé que près de 35 % des personnes interrogées étaient confrontées à une détresse psychologique en raison de la pandémie. Cette année, le ministère de la santé a refusé de publier des statistiques concernant les suicides.
Bon nombre d’universités où ont maintenant éclaté des manifestations spontanées contre le confinement et le gouvernement ont connu plusieurs vagues de confinement, avec des étudiants bloqués pendant des semaines dans leurs dortoirs, se plaignant d’un manque de tout, y compris de produits sanitaires. Lorsque le coup d’envoi de la Coupe du monde de football au Qatar a été donné, l’effet en Chine a été choquant. La vue de foules immenses, sans masque ni restriction visible de Covid, a incité certains à se demander si la Chine se trouve sur la même planète.
Un camarade en Chine a décrit la situation comme suit : « D’après ce que je peux voir dans mon cercle social, à part quelques bureaucrates et jeunes fonctionnaires qui ne font aucun commentaire, presque tout le monde tient bon avec les manifestants – y compris l’habituelle « majorité silencieuse ». (…) Ce qui est remarquable dans cette tempête, c’est que le mécontentement à l’égard du régime de Xi est passé au premier plan, la population ne limitant plus sa colère aux fonctionnaires locaux ou à d’autres membres du cercle restreint du régime, mais à Xi lui-même. »
Dix morts à Urumqi
La colère accumulée de la population à l’égard de la politique du « zéro covid » a finalement explosé les 26 et 27 novembre, lorsque les gens se sont rassemblés dans tout le pays pour demander la levée du confinement – et ont même pris l’initiative de démonter et de détruire les clôtures et infrastructures de test – ont attaqué les agents de prévention de la pandémie et la police qui se trouvaient sur leur chemin. Le 27 novembre, les étudiants d’au moins 85 universités du pays avaient organisé des manifestations, dont le nombre variait de plusieurs dizaines à plusieurs centaines.
L’incident a été déclenché par un incendie survenu le 24 novembre dans un immeuble d’habitation d’un quartier ouïgour d’Urumqi, la capitale de la province du Xinjiang. Urumqi est une ville chinoise Han à 80 %. Cela a une grande signification quand on voit l’unité spontanée dont font preuve les Han et les Ouïgours, malgré des années de propagande vicieusement raciste du PCC contre les Ouïgours, considérés comme des « terroristes ».
Le feu lui-même n’était pas très important, mais les véhicules de pompiers n’ont pas pu arriver à temps pour l’éteindre en raison des barrières érigées pour faire respecter le confinement. On soupçonne que les victimes n’ont pas pu s’échapper parce que leurs portes et leurs issues de secours étaient verrouillées. Des vidéos montrant des personnes hurlant pour que leurs portes soient ouvertes ont été largement diffusées sur Internet avant d’être supprimées par la censure.
Dix personnes, toutes des Ouïghours, ont été tuées dans l’incendie, bien que certains rapports en ligne suggèrent que le nombre de morts soit plus élevé. Les responsables du PCC ont ensuite fui leur responsabilité en niant que les sorties étaient bloquées et en accusant les habitants de ne pas connaître les voies d’évacuation. Cela n’a fait qu’attiser la colère de la population et, cette nuit-là, un grand nombre de citoyens d’Urumqi, tant Han que Ouïgours, ont franchi les barrières de la pandémie et se sont dirigés vers les bureaux du gouvernement de la ville pour protester.
Les graines de la révolte ont été plantées dans le cœur de la population à la suite de catastrophes collatérales successives ayant entraîné des pertes de vies humaines. Il s’agit notamment de l’accident de bus dans la province de Guizhou qui a tué 27 passagers envoyés de force dans un centre de quarantaine éloigné, et d’innombrables tragédies de personnes décédées parce qu’on leur a refusé l’admission à l’hôpital sans un test PCR négatif.
Ces dernières semaines, des personnes et des travailleurs dans des villes comme Zhengzhou et Guangzhou ont franchi les barrières de la pandémie et affronté la police. À Chongqing, une vidéo de jeunes gens criant « la liberté ou la mort » devant les lignes de police a touché une corde sensible chez de nombreuses personnes. Les manifestations d’Urumqi ont déclenché une vague qui s’est propagée dans tout le pays en deux jours, enflammant la colère et le mécontentement qui se sont accumulés sous l’effet de la politique inhumaine du « zéro Covid », mais qui sont encore plus profonds. La politique de lutte contre la pandémie menée par Xi Jinping a également révélé à des millions de personnes la réalité d’une dictature étouffante et brutalement répressive. Elle a montré jusqu’où le régime est prêt à aller en matière de répression et de surveillance.
« A bas le parti communiste ! »
Dans la nuit du 26 novembre, les habitants de Shanghai ont brisé le cordon pandémique et ont défilé sur une rue dont le nom fait référence à la ville d’Urumqi, afin de rendre hommage aux victimes de l’incendie et d’exprimer leur colère. Quelques jours plus tard, la police a retiré toutes les plaques de cette rue dans le cadre de ses mesures visant à empêcher de nouvelles protestations. La foule à Shanghai s’est jointe aux chants « À bas le Parti communiste ! À bas Xi Jinping ! » Ils ont également bloqué physiquement des voitures de police et se sont battus pour libérer des manifestants qui avaient été arrêtés par la police. Les manifestations se sont poursuivies tout au long de la journée et de la soirée du 27 novembre, les gens exigeant la libération des manifestants arrêtés. En plus de Shanghai, de grandes manifestations ont éclaté à Pékin, Nanjing, Guangzhou, Chengdu, Wuhan et dans d’autres villes.
Jamais depuis 1989 la Chine n’avait connu un mouvement d’une telle ampleur nationale. Les protestations actuelles n’ont pas encore atteint ce niveau, mais nous verrons comment les choses évoluent. La crise économique et sociale de la Chine est à bien des égards plus grave qu’à l’époque. Les manifestations actuelles sont issues de nombreuses couches sociales : travailleurs migrants comme à Zhengzhou et Guangzhou, étudiants, minorités ethniques comme les Ouïgours, tandis que l’on trouve de nombreuses jeunes femmes en première ligne des manifestations. Il existe de nombreux éléments différents dans la conscience politique qui se développe aujourd’hui, mais celle-ci a déjà dépassé le stade du mouvement contre le confinement pour poser des revendications politiques en faveur de la démocratie, contre la répression, pour la fin de la dictature et pour la destitution de Xi Jinping.
À Urumqi, le gouvernement local a immédiatement fait volte-face après l’incendie en annonçant que le foyer de Covid dans la ville avait été « nettoyé » et que les contrôles étaient donc assouplis. Mais la population a continué à descendre dans la rue pour protester. De nombreux autres gouvernements ont adopté une position similaire, annonçant à la hâte la levée des mesures de confinement et procédant à quelques changements cosmétiques.
Il s’agit de la stratégie classique du PCC pour désamorcer les protestations, avec un mélange de « carotte », c’est-à-dire de concessions, suivie du « bâton » de la répression et des arrestations. Un scepticisme généralisé a été exprimé sur les réseaux sociaux, selon lequel, comme à Urumqi, le virus aurait instantanément et miraculeusement disparu. La dictature du PCC est tristement célèbre pour ses fausses promesses et fausses concessions. D’innombrables protestations environnementales ont été désamorcées en annonçant la fermeture des industries polluantes, alors que celles-ci ont vu leur activité être autorisée une fois l’agitation calmée. À Wukan, dans la province de Guangdong, les autorités du PCC ont promis des élections locales limitées pour désamorcer les mobilisations contre l’accaparement des terres et la corruption. Ces élections ont été truquées, puis la répression a commencé. De nombreux leaders de la contestation sont aujourd’hui en prison ou en exil. « Ils nous ont donné un chèque d’un million de dollars », a déclaré plus tard un militant de Wukan, « mais il n’a pas été honoré ».
Dans cette vague de protestations, les Chinois Han et les Ouïgours ont fait preuve de solidarité et ont surmonté les tactiques de division du PCC. On a pu voir à Urumqi des scènes réconfortantes où des Han ont été applaudis et embrassés par des Ouïgours passant par-là alors qu’ils déployaient des banderoles dans les rues pour pleurer les victimes de l’incendie de jeudi. Certains commentateurs des médias en Chine ont décrit cette situation comme étant sans précédent depuis l’incident du 5 juillet (émeutes interethniques et pogroms meurtriers) au Xinjiang en 2009.
Quelles revendications ?
Sur les campus universitaires, de nombreux étudiants ont manifesté leur solidarité. À l’université Tsinghua de Pékin, le 27 novembre, des centaines d’étudiants ont brandi des feuilles de papier vierges en signe de protestation, en scandant « démocratie, État de droit, liberté d’expression » et « Vive le prolétariat », tout en chantant l’Internationale.
Contrairement aux manifestations précédentes, la vague actuelle montre une évolution vers une opposition plus explicite à la dictature, les rares slogans directs contre le PCC et Xi Jinping étant largement repris. Là encore, c’est la première fois depuis 1989. L’incident du pont Sitong en octobre, au cours duquel un manifestant isolé, Peng Lifa, a accroché des bannières dans le centre de Pékin avec des slogans contre la dictature, a clairement influencé bon nombre des revendications qui sont soulevées aujourd’hui. Si la protestation d’une seule personne n’aurait pas un tel impact dans la plupart des pays, en Chine, où toutes les organisations indépendantes, la politique et les droits démocratiques sont interdits, l’effet a été électrisant.
Dans notre déclaration sur la manifestation du pont Sitong (« New Tank Man protest gets huge response », chinaworker.info, 17 octobre), nous avons reconnu cet impact et fait l’éloge de nombreux slogans de la bannière, tout en expliquant qu’il ne s’agissait pas d’un programme suffisamment complet ou clair pour construire un mouvement de contestation du pouvoir du PCC. Certaines des demandes – soutenant la « réforme » – renforcent malheureusement l’illusion que la dictature, ou certaines de ses factions d’élite, sont capables de se réformer et d’offrir des concessions démocratiques.
Le PCC a montré à maintes reprises que ce postulat était faux. La promesse faite un jour par le PCC d’autoriser des droits démocratiques limités à Hong Kong a été retirée et brisée. Si le PCC n’a pas pu tolérer une forme de « démocratie » bourgeoise mutilée et limitée dans l’entité relativement séparée de Hong Kong, il ne peut certainement pas la tolérer en Chine.
Les marxistes et chinaworker.info ont montré dans leurs articles qu’aucun système autocratique dans l’histoire n’a jamais été « réformé » pour disparaître. Les luttes de masse, le plus souvent menées par une vague de grève et des interventions décisives du mouvement ouvrier, ont toujours été les ingrédients clés d’un mouvement réussi pour vaincre un régime dictatorial et gagner des droits démocratiques. La défaite puis la répression du mouvement de Hong Kong en 2019, malgré les efforts héroïques de son peuple, montre qu’il n’y a aucune possibilité de réforme, aucune rencontre à mi-chemin, avec une dictature qui, par nature, doit garder le contrôle total.
La colère de masse contre la politique du « Zéro Covid », qui s’identifie personnellement à Xi Jinping, a encore alimenté l’atmosphère contre la dictature. L’éclatement des manifestations est sans aucun doute une humiliation et un sérieux revers pour Xi, qui vient d’entamer son troisième mandat. Au moment du couronnement de Xi, lors du 20e Congrès du PCC, nous avions prédit que « quel que soit le résultat, il ne changera pas fondamentalement les perspectives du régime du PCC, qui se dirige vers la plus grande des tempêtes » (chinaworker.info, Xi Jinping’s 20th Congress caps five years of political disasters, 17 octobre).
Il existe de nombreuses similitudes entre la situation actuelle en Chine et le soulèvement iranien. Dans les deux cas, un incident brutal a déclenché un mouvement de protestation à l’échelle nationale, dans lequel les revendications politiques contre l’ensemble du régime ont commencé à être mises en avant. L’unité impressionnante entre les différents groupes ethniques surmontant instinctivement la propagande raciste et nationaliste vicieuse a également été mise en évidence. De même, à Hong Kong, en 2019, le mouvement de masse a éclaté sur la question d’une nouvelle loi sur l’extradition, mais en quelques semaines, cette question a été dépassée, car les vagues successives de manifestations de rue ont concentré leurs demandes sur les droits démocratiques et la fin de la répression d’État.
Les leçons de Hong Kong
Les manifestations d’aujourd’hui en Chine se caractérisent par les nombreuses expressions publiques de regret : « Nous aurions dû soutenir Hong Kong ». Cela montre que le processus de prise de conscience commence à se mettre en place. Pour que la lutte en Chine aille de l’avant, il y a des leçons cruciales à tirer de ce qui a causé la défaite du mouvement de Hong Kong. Le mouvement ne manquait pas d’effectifs ni de militantisme. Mais il manquait d’organisations de masse, en particulier d’organisations de travailleurs, pour soutenir la lutte malgré les nombreux revirements inattendus, les attaques du gouvernement et la désinformation. Il était isolé dans une seule ville et ne pouvait donc pas espérer vaincre la dictature du PCC en restant seul. La domination de l’idéologie libérale au sein de la lutte de Hong Kong, la stratégie de compromis en faillite des partis d’opposition pan-démocratiques, ainsi que la mentalité de repli sur soi encore plus extrême des localistes de Hong Kong, sont devenues une entrave auto-infligée.
Une philosophie anti-organisation, reposant uniquement sur la spontanéité et les plateformes en ligne, a également entravé la lutte de Hong Kong, car face à un État impitoyable disposant d’énormes ressources, la planification, la stratégie, le développement d’un programme clair, la compréhension d’une société et d’un système de gouvernement alternatifs sont tous nécessaires. Et cela nécessite une organisation : des syndicats de travailleurs et d’étudiants, des comités de lutte à la base et, de manière critique, un parti de la classe ouvrière avec un programme clair de droits démocratiques et de socialisme.
Ce dernier montrerait que la dictature du PCC est inextricablement liée au capitalisme chinois. C’est la plus grande entreprise industrielle et financière du monde, avec sa propre armée et ses propres forces de police. Les illusions sur la démocratie capitaliste, qui remplissent habituellement et peut-être inévitablement un espace dans chaque lutte anti-autoritaire, doivent être contrées par des avertissements clairs – comme nous l’avons fait pendant la lutte de Hong Kong – que la seule façon de gagner des droits démocratiques est de rompre de manière décisive avec le capitalisme, le système sur lequel repose la dictature du PCC.
Xi Jinping, comme d’habitude, a disparu de la scène face à une crise majeure, mais nous ne pouvons pas sous-estimer la détermination et la férocité de la répression de sang-froid du PCC. Le PCC n’acceptera pas à la légère les revendications des masses, même les demandes partielles de changement de la politique de lutte contre la pandémie, de peur que cela ne remonte leur moral et ne provoque une réaction en chaîne qui conduira à davantage de luttes de masse. Le PCC acceptera encore moins des réformes démocratiques même limitées qui, dans le contexte de la Chine, de sa taille et de ses profonds problèmes sociaux et économiques, feraient voler en éclats la dictature.
La force sociale clé en Chine comme partout ailleurs est la classe ouvrière, qui est déjà un facteur significatif dans les protestations, mais qui ne dispose d’aucune organisation d’aucune sorte, pas même de syndicats pour lutter pour ses conditions de travail. La classe ouvrière, en s’organisant d’abord sur le lieu de production et ensuite dans la société en général, est la force motrice naturelle et en fait la seule force motrice cohérente d’un mouvement réussi contre la répression, la dictature et le capitalisme.
Pour se placer à la tête de la vague de protestation actuelle, les travailleurs doivent lancer l’appel à un mouvement de grève, en appelant également les étudiants à faire de même. Une grève générale serait l’arme la plus puissante contre la dictature de Xi, si elle était liée à une organisation par le biais de comités de grève, de nouveaux syndicats indépendants et d’un nouveau parti ouvrier du socialisme démocratique.
Nous appelons à :
- Une solidarité active avec la révolte de masse en Chine : développons plus d’actions de protestation.
- La fin des confinements et la fin de la folie du « Zéro Covid ».
- L’escalade du mouvement dans des grèves étudiantes et ouvrières.
- L’investissement de ressources massives pour développer et équiper le secteur de la santé, intensifier le programme de vaccination et mettre fin immédiatement à l’interdiction des vaccins à ARNm.
- Faire passer les produits pharmaceutiques et les sociétés Covid super-profitable en propriété publique démocratique sans compensation et que leurs ressources soient allouées au développement d’un système public de soins de santé.
- L’augmentation des salaires et du salaire minimum, avec nationalisation de toute entreprise refusant de payer ses travailleurs.
- La construction d’un système de protection sociale fort, l’allocation de pensions décentes, l’instauration d’une assurance médicale et d’une assurance chômage pour toutes et tous.
- Des droits démocratiques immédiats et complets : liberté d’expression, liberté de presse, fermeture de structures de censure, liberté de réunion, droit de grève, droit d’organisation.
- La construction de syndicats indépendants et démocratiques de travailleurs et d’étudiants.
- La création de comités clandestins pour coordonner la lutte de masse et élaborer les stratégies qui s’imposent. Les réseaux sociaux doivent être utilisés tout en reconnaissant leurs limites : une véritable organisation est nécessaire comme l’illustre la défaite à Hong Kong d’un mouvement purement spontané.
- La libération des prisonniers politiques.
- L’abolition de la loi sur la sécurité nationale, l’abolition des camps de prisonniers et les pleins droits démocratiques pour Hong Kong, le Tibet et le Xinjiang, y compris le droit à l’autodétermination.
- L’unité dans la lutte de la classe ouvrière en Chine, à Hong Kong, au Xinjiang et à Taiwan contre le nationalisme et le capitalisme.
- Aucune illusion ne doit être entretenue concernant les capacités du régime à se réformer. A bas Xi Jinping et la dictature ! A bas la répression d’Etat ! Dissolution de la police secrète !
- Pour une assemblée populaire révolutionnaire élue au suffrage universel, avec un mandat pour introduire de véritables politiques socialistes afin de confisquer la richesse des milliardaires et des capitalistes rouges.
- Pour le socialisme international. Pas de guerre froide mais une guerre de classe contre les capitalistes de l’Est et de l’Ouest !
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Peter Taaffe : “Un monde prêt pour la révolution”
Le weekend dernier s’est tenu le Congrès national du Socialist Party (section du CIO en Angleterre et au Pays de Galles). Une des discussions lors de cet événement fut consacrée à la situation mondiale, en commençant par une introduction de Peter Taaffe, secrétaire général du Socialist Party. La vidéo de cette prise de parole est disponible ci-dessous, en anglais uniquement.
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Venezuela : Analyse des évènements du 12 février
Par Gabriela Sanchez, Socialismo Revolucionario (CIO-Venezuela)
Ce 12 février, trois personnes ont été tuées à Caracas (deux partisans de droite et un partisan du gouvernement), tandis que des douzaines d’autres ont été blessées et arrêtées au cours de manifestations qui ont pris place dans tout le Venezuela afin de célébrer la ‘‘Journée de la Jeunesse’’, qui se déroule tous les ans.
Beaucoup d’images ont émergé ces derniers jours semblant démontrer la responsabilité des agents de la SEBIN (les Services Secrets Bolivariens) dans la mort de ces 3 manifestants. Les rumeurs abondent concernant l’infiltration d’agents provocateurs. Après le 12 février, les manifestations ont été quotidiennes, tant de la part de la droite que de la part du gouvernement. S’il est normal qu’il y ait des défilés séparés des partisans du gouvernement et de l’opposition de droite, la violence générée, essentiellement par l’aile droite réactionnaire, marque pourtant une nouvelle phase cruciale dans le processus bolivarien.
Maduro a qualifié ces manifestations de coup d’Etat rampant et nombreux sont ceux qui, à gauche, ont comparé ces événements à ceux du coup d’Etat intenté contre Chavez en 2002. Un mandat d’arrêt a été délivré contre Leopoldo Lopez (un dirigeant de la droite réactionnaire impliqué dans le coup d’Etat de 2002). D’un autre côté, l’aile droite a essayé de présenter cette lutte comme un combat pour la ‘‘libération’’ d’une ‘‘dictature’’ responsable de tous les maux du monde dont l’inflation, le crime et la corruption.
Certains dirigeants de droite ont déclaré que les manifestations étaient des mobilisations ‘‘populaires’’ représentant la majorité des Vénézuéliens. Quelques groupes de gauche ont même dit que ces manifestations sont représentatives du ‘‘mécontentement’’ général et légitime qui existe parmi toutes les couches de la société. L’un de ces groupes a même été jusqu’à appeler à la constitution d’un front uni des diverses couches concernées dans un combat pour un gouvernement des travailleurs, sans prendre en compte le fait que les raisons pour lesquelles se mobilisent chacune des classes sont complètement différentes.
Ces dernières années, il y a eu des centaines de manifestations, sur les questions du logement, du crime, ou pour l’obtention de contrats de travail collectifs par exemple. Nous avons également connu des occupations d’usine ainsi que des appels lancés par des travailleurs au gouvernement pour nationaliser les usines et en donner le contrôle et la gestion aux travailleurs eux-mêmes. Beaucoup de ces actions ont été rapportées sur notre site et sur ceux du Comité pour une Internationale Ouvrière. Mais ces manifestations et les objectifs visés par les participants de ces mobilisations diffèrent nettement de ceux des évènements du 12 février.
Parmi la gauche, tant au Venezuela que dans le reste du monde, les avis divergent quant à la position que doivent adopter les révolutionnaires et de la marche à suivre concernant la menace de la droite.
Un autre coup d’Etat?
Le 16 février, dans un discours à la nation, Maduro a affirmé que la droite comprend actuellement deux camps, l’un cachant son soutien aux récentes manifestations et essayant de se présenter comme démocratique alors que l’autre soutient ouvertement l’idée d’un coup d’Etat appuyé par les USA contre le gouvernement. Même si aucune illusion ne doit être entretenue concernant le rôle de l’impérialisme américain, d’importantes différences existent entre ce qui se déroule actuellement et ce qu’il s’est produit en 2002, en particulier au sujet de la droite et de ses partisans ainsi que des militaires.
La droite a mis des années à se regrouper après des années de défaites et l’échec du coup d’Etat et du sabotage économique. Ce n’est qu’en 2012 qu’elle a été capable de ‘‘s’unir’’ pour présenter un candidat commun aux élections présidentielles, Capriles Radonski, contre Chavez. Les dirigeants de droite ont changé de tactique et ont commencé à instrumentaliser les thèmes qui touchent la classe des travailleurs et les pauvres auxquels le gouvernement ne répond pas, comme le logement, le crime et l’aggravation de la situation économique.
Même si la droite a perdu les élections, elle a tout de même obtenu plus de 6 millions de voix et elle a déclaré qu’elle continuerait à se battre ‘‘démocratiquement’’ pour tous les Vénézuéliens. Les élections présidentielles suivantes, en avril 2013, ont livré un résultat où la différence entre Capriles et Maduro n’était que de 200.000 votes. Ce suffrage a été contesté par la droite et les tactiques employées ont commencé à diverger en son sein. On trouve d’un côté Capriles le ‘‘démocrate’’ et Leopoldo Lopez et Maria Carolina Machado, plus réactionnaires, de l’autre.
Cette division est devenue plus claire au cours de ces derniers mois et Lopez et Machado ont appelé à participer à différentes manifestations, le pont culminant ayant été atteint le 12 février au cours de cette manifestation appelée ‘‘la Sortie’’ (c’est-à-dire la sortie du régime). Même des partisans de la droite ont écrit dans les journaux que ces méthodes allaient aboutir à une nouvelle chute du soutien pour la droite et qu’il fallait tirer les leçons du coup d’Etat de 2002 et de ses conséquences.
La droite plus modérée a cherché à se distancier des manifestations menées par un petit groupe d’étudiants ayant visé les bureaux du gouvernement ainsi que des bâtiments et propriétés publics. De manière très ironique, ces étudiants nantis ont choisi de mener leurs actions dans leur propre quartier, en dérangeant ainsi leur propre classe sociale plus que quiconque. Par la suite, nombreux ont été ceux qui ont déclaré qu’il s’agissait de l’œuvre d’agents infiltrés, mais étant donné que ces manifestations ont eu lieu 5 soirs d’affilée, il serait naïf de croire que les ‘‘infiltrés’’ auraient pu continuer à organiser ainsi leurs actions à un tel niveau.
Mais même les manifestations quotidiennes de centaines d’étudiants sur la place principale d’Altamira (une banlieue de Caracas habitée par la classe moyenne supérieure) n’ont pas bénéficié du soutien de la majorité des habitants. Quant au défilé du dimanche pour la ‘‘paix’’ et la libération d’étudiants emprisonnés, à l’instigation de la droite, si elle a pu attirer des milliers de personnes, le soutien au secteur le plus réactionnaire était très limité, contrairement aux manifestations massives organisées par la droite à la veille du coup d’Etat de 2002. En ce temps-là, une manifestation organisée Place d’Altamira était systématiquement massive.
Bien entendu, les événements peuvent rapidement changer une situation et nous devons en être conscients. L’arrestation de Lopez et la répression des petites manifestations étudiantes nocturnes peuvent conduire de plus larges couches de la droite à soutenir des mesures plus réactionnaires. De prochaines actions et manifestations de plus grande ampleur sont de l’ordre du possible, mais elles resteront le plus probablement cantonnées aux mêmes quartiers déjà gouvernés par la droite.
L’autre différence majeure avec le coup d’Etat de 2002 est le rôle joué par les militaires. En 2002, la droite bénéficiait encore du soutien d’une partie de l’armée mais, depuis lors, le chavisme a consolidé son soutien de diverses manières. En ce moment, l’armée soutient le gouvernement dans sa grande majorité et il est probable qu’aucune défection ne soit tolérée au sein des forces armées.
Manifestation, mécontentement et classe sociale
Ce n’est pas un secret, le mécontentement est important au sein de la société vénézuélienne au sujet de bon nombre de questions parmi lesquelles l’économie, le crime et le logement pour ne citer que celles-là. Nous trouvons cette colère on ne peut plus légitime, mais il existe une différence très marquée entre la manière dont ces sujets sont perçus par les différentes classes sociales dans la société ainsi qu’entre leurs revendications. L’impact de la crise économique que vit le pays, par exemple, a un énorme impact sur la classe des travailleurs et les pauvres, bien plus que sur la classe moyenne et la bourgeoisie.
Comme en tout temps de crise capitaliste, la classe ouvrière et les pauvres sont les plus touchés. Aujourd’hui, la majorité des Vénézuéliens lutte pour être capable de joindre les deux bouts. Le salaire minimum mensuel, même s’il augmente chaque année, n’est toujours pas à hauteur du taux d’inflation (officiellement de 56% en 2013 contre une augmentation du salaire minimum de 45%). Cette inflation affecte tout, du papier toilette aux uniformes scolaires, et est en réalité beaucoup plus élevée concernant les biens de première nécessité et la nourriture, qui ne sont pas régulés par l’Etat, qui régule à peu près tout sauf les produits de base.
Même si les réformes impulsées par en-bas sous Chavez ont été progressistes et ont conduit à une gigantesque chute de la pauvreté dans le pays, le chavisme a échoué à rompre avec le capitalisme. Les réformes sont donc très vulnérables, en particulier dans un pays reposant presqu’uniquement sur l’exportation de pétrole. Les effets de la crise mondiale se sont durement faits ressentir lorsque le cours du pétrole a plongé de 50%. Nous avons alors assisté à des coupes budgétaires dans le financement de plusieurs réformes qui avaient été acquises de haute lutte. Il est évident que les coupes budgétaires dans les missions sociales et la santé ont plus gravement frappé les plus pauvres. Aujourd’hui, ces derniers font la queue dès l’aurore, jour après jour, pour avoir accès aux soins de santé gratuits alors que, dans les quartiers riches de la capitale, un service vétérinaire itinérant gratuit va soigner les animaux domestiques des riches grâce au financement du gouvernement, ancré à droite.
Les étudiants pauvres n’ont la plupart du temps pas assez de professeurs pour leur donner cours dans toutes les matières et les places manquent dans les universités publiques. Ce sont les adolescentes des barrios et des régions rurales qui ont le plus de probabilité de tomber enceintes et donc de laisser tomber l’école : le Venezuela a le plus fort taux d’adolescentes enceintes en Amérique Latine. Elles ont aussi le plus de chances de vivre dans des logements insalubres.
La classe ouvrière et les pauvres constituent la majorité des Vénézuéliens et, malgré un important déclin du soutien au gouvernement, cette majorité sait qu’un retour de la droite ne va pas améliorer leur situation.
Le processus bolivarien a laissé ses traces, et la classe des travailleurs est bien consciente qu’un retour de la droite ne changera rien à toutes ces questions. Beaucoup de gens sont bien conscients que ce qu’il faut, c’est une réelle révolution. Même si la définition de ce que représentent le socialisme et la révolution reste confuse parmi les masses, ces aspirations restent profondément présentes. Ce qu’il manque, c’est une organisation capable de les développer en revendications.
Les couches les plus avancées de la classe ouvrière protestent avec raison contre la bureaucratie, la corruption, les éléments contre-révolutionnaires au sein du gouvernement ainsi que contre la répression des grèves et des droits des travailleurs entre autres contradictions inhérentes au chavisme. Même si les revendications spécifiques peuvent varier en fonction du lieu de travail et du degré de combativité, la plupart des travailleurs s’accorderaient avec la revendication du contrôle ouvrier et de la gestion ouvrière, avec la construction d’une réelle représentation de la classe des travailleurs ainsi qu’avec la défense des droits syndicaux, du droit de s’organiser et de faire grève. La minorité qui a manifesté ces dernières semaines ne partage très clairement pas ces revendications, elle ne partage pas les mêmes intérêts, elle ne fait pas face aux même difficultés quotidiennes.
Les images d’étudiants manifestant et de nombre de leurs actions pourraient facilement être prises pour des images de jeunes en Grèce, en Espagne et dans beaucoup de pays qui luttent contre la féroce austérité capitaliste. Mais les étudiants au Venezuela ne subissent pas un chômage de 60%, ne connaissent pas de gigantesques coupes budgétaires dans l’enseignement et ne sont pas confrontés une vie misérable. Ces étudiants font partie des privilégiés de la société vénézuélienne. Ils étudient dans les meilleures écoles et universités privées, conduisent des voitures ou des motos de luxe et, pas toujours mais très souvent, ont la possibilité de partir en vacances à l’étranger.
Le Venezuela est l’un des pays les plus violents au monde et la droite a raison de dire qu’il faut s’y attaquer. Les travailleurs le disent eux aussi. Mais aborder la question de la criminalité nécessite de se confronter aux inégalités inhérentes au capitalisme. La criminalité ne sera pas résolue sous un gouvernement de droite qui refusera de s’en prendre aux racines du mal.
Aucune forme de coup d’État ne sera soutenue par la majorité des Vénézuéliens ni ne sera tolérée par eux. La menace de la droite fera descendre les pauvres et la classe des travailleurs dans la rue pour soutenir le gouvernement s’il n’existe aucune autre alternative. Pour les révolutionnaires, la question-clé est de savoir comment intervenir pour mettre en avant un programme combatif orienté vers le socialisme, sans laisser se laisser emporter par un soutien sans critique au chavisme ou par des revendications de paix entre les classes, une idée vide de sens.
Les rassemblements pour la paix
La droite tout comme le gouvernement ont manifesté pour ‘‘la paix’’ après les événements du 12 février. Maduro a publiquement invité Capriles à le rencontrer pour parler des manifestations et pour trouver ensemble une issue à la crise. Cette approche basée sur une réconciliation avec la droite n’est pas une nouveauté pour le chavisme.
A la suite des tumultueux événements de 2002, Chavez avait appelé la population à rentrer chez elle. Plutôt que d’appeler à la constitution de comités sous l’impulsion des travailleurs et des autres couches de la société pour enquêter sur le coup d’Etat, il a déclaré que tous les Vénézuéliens avaient besoin de travailler ensemble et d’oublier ! Les événements qui ont suivi le coup et la pression de la base ont poussé le chavisme à se radicaliser en différents moments, mais des tentatives de lier alliance avec des couches de la bourgeoisie on systématiquement été faites.
L’élection de Maduro en avril dernier n’a pas donné lieu à des meetings de masse des travailleurs et des pauvres afin de discuter de la manière d’organiser le changement de société. Maduro a par contre convoqué une réunion avec le chef de la famille Mendoza, une des familles les plus riches et puissantes du pays. En résumé, l’entreprise familiale Polar a reçu l’assurance de pouvoir continuer à s’enrichir sans entraves du gouvernement, sa production et l’importation de nourriture qui s’effectue par son intermédiaire recevant même l’aide du gouvernement. Polar a également reçu la gestion de diverses grandes usines précédemment expropriées.Les rassemblements ‘‘pour la paix’’ sont des moyens pour le gouvernement de chercher du soutien parmi toutes les couches de la société et d’éviter d’être poussé à des actions plus radicales. A certains moments, comme nous l’avons déjà vu au cours du processus bolivarien, le gouvernement va réagir à la pression par en-bas. Cette pression n’a cependant pas encore permis la nationalisation de l’économie dans son ensemble, le secteur bancaire par exemple, et encore moins l’implantation d’une économie planifiée.
Quelles perspectives ?
Les perspectives sont aujourd’hui très ouvertes. La situation actuelle est en mouvement et la façon dont les choses vont se jouer dépend de nombreux facteurs. La répression d’Etat contre les manifestations pourrait conduire à une augmentation du soutien de l’aile droite et à un sentiment plus favorable pour des actions radicales de sa part. Au lendemain du 12 février, Maduro a déclaré que toute manifestation qui n’avait pas reçu d’autorisation était illégale et que l’Etat s’en occuperait. Nous devons nous opposer à toute mesure du gouvernement pour restreindre le droit à manifester, car ces mesures peuvent être utilisées contre les travailleurs et les pauvres, ce qui a d’ailleurs déjà été le cas.
Le retour de la droite serait une défaite pour les socialistes du monde entier. Ce dont nous avons besoin pour y faire barrage, c’est d’un mouvement de masse de la classe des travailleurs et des pauvres, unis sous un programme de lutte pour le socialisme. Un tel mouvement peut gagner à sa cause une partie de la classe moyenne, qui joue aussi un rôle historiquement important dans la révolution.
Un appel à un front uni de la gauche comme première étape en cette direction ne pourrait pas être plus approprié qu’aujourd’hui. Un front de gauche lierait ensemble les revendications des travailleurs et des pauvres et devrait, par la discussion et le débat démocratique au niveau national, développer un programme destiné à aboutir à changement révolutionnaire de société.
Un tel programme devrait se baser sur la rupture avec le système capitaliste et pour une économie démocratiquement planifiée, avec la nationalisation totale du secteur bancaire et des secteurs-clés de l’économie, sous contrôle et gestion démocratiques des travailleurs. Le pouvoir devrait être donné aux conseils locaux et au peuple organisé en leur sein, avec l’élection de dirigeants élus, révocables à tous moments et ne bénéficiant d’aucun privilège, avec notamment un salaire équivalent à celui d’un travailleur qualifié.
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Tunisie: trois ans après la chute de Ben Ali, la révolution continue
Il y a trois ans, le 14 Janvier 2011, un nouveau chapitre s’ouvrait sur la scène politique mondiale. Le renversement du dictateur Ben Ali en Tunisie, balayé par un mouvement révolutionnaire, a marqué le déclenchement et la source d’inspiration pour l’explosion de mouvements de masse à travers le monde, et pour une transformation complète du paysage politique du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord.
Serge Jordan, Comité pour une Internationale Ouvrière
Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis. Les classes dirigeantes des pays impérialistes -prises par surprise lorsque la vague révolutionnaire en Tunisie fit tomber un de leurs allié-clé- s’accrochent maintenant désespérément à ce pays, leur dernier espoir d’un modèle soi-disant « présentable » d’une prétendue « transition démocratique », et cela dans une région marquée par un chaos sans précédent, touchée par des vagues de violence, par l’instabilité politique chronique, et par une augmentation des divisions sectaires.
Pour les masses tunisiennes cependant, les perspectives enthousiastes d’une victoire révolutionnaire rapide et facile qui conduirait à un changement structurel dans leur vie, ont depuis longtemps été remplacées par un regain des difficultés, et de la colère qui les accompagnent.
Si la plupart des médias internationaux font l’éloge de ce qu’ils appellent souvent le « modèle tunisien » du Printemps arabe, l’idée d’une telle « success story » résiste difficilement à une analyse sérieuse.
Il est vrai que par rapport à des pays comme l’Egypte, la Syrie, le Yémen ou la Libye, la Tunisie apparaît beaucoup plus «stable». Ceci est largement dû à l’existence d’un mouvement syndical fort et structuré, grâce à la puissante et emblématique UGTT, l’Union Générale Tunisienne du Travail.
Dans une certaine mesure , la vigilance et les actions des travailleurs ont agi comme une sorte de «glue» pour unir les classes opprimées, et comme un contrepoids afin d’empêcher la société de valser dans le type de chaos et de violence –qu’elle provienne des forces de l’État ou de groupes religieux sectaires- que nous avons pu voir s’épanouir ailleurs.
Un pays en crise
Toutefois, il ne s’agit ici que d’un côté de la médaille. En dépit d’être relativement plus «stable», la Tunisie traverse en effet une crise sociale et politique sans précédent, et ne correspond pas vraiment à l’image idyllique que certains essaient de dépeindre.
Tant que la classe ouvrière ne prend pas le contrôle effectif du fonctionnement de la société, et que l’économie continue d’être pillée pour les bénéfices de quelques multinationales et de riches familles tunisiennes, tous les ingrédients sont là pour que l’instabilité se perpétue et, selon toute probabilité, qu’elle augmente dans la période à venir.
Le chômage continue d’augmenter, les prix des produits de base ont explosé, les infrastructures dans les régions intérieures manquent toujours désespérément, les pratiques de la police faites de corruption, de torture et de violence arbitraire sont loin d’être éteintes, l’extrémisme religieux et les groupes djihadistes réactionnaires ont pris une dangereuse importance, 24,7% de la population vit officiellement avec moins de 2 dollars par jour (chiffre très probablement sous-estimé ), et une couche croissante de Tunisiens n’arrive même plus répondre à ses besoins alimentaires de base.
Alors que le pays continue de fonctionner pour les intérêts d’une petite élite dirigeante, la grande majorité de la population est confrontée à des conditions socio- économiques qui sont pires, à bien des égards, que sous la dictature précédente. Pas étonnant dans une telle situation que dans un sondage récent, mené par la firme de recherche tunisienne ‘3C Etudes’, 35,2% des Tunisiens regrettent la chute du régime de Ben Ali.
La répression judiciaire et les menaces contre les militants syndicaux et politiques ont aussi subi un coup d’accélérateur dans les derniers mois. L’interview que nous publions également, celle d’Abdelhak Laabidi, militant syndical actif dans le secteur de la santé à Béja, en est un nouvel exemple frappant. En ce jour du 28 janvier a lieu son procès au tribunal de Béja, et un appel a été émis pour manifester massivement devant le tribunal. Le CIO soutient pleinement cet appel, car nous estimons que la mobilisation et la solidarité, y compris au-delà des frontières, reste les meilleures armes dans les mains du mouvement ouvrier et syndical pour faire face à ce type de harcèlement et de répression.
Ennahda : testée, et rejetée
Deux ans d’expérience du règne du parti islamiste de droite Ennahda ont fourni aux masses un baromètre clair afin d’évaluer dans quelle mesure ce parti était disposer à satisfaire leurs exigences. Et le résultat est consternant: sous bien des aspects, la société a fait un bond en arrière, la vie est plus difficile, et la colère populaire transpire par tous les pores.
Le projet de « renaissance islamique » promis par Ennahda a été exposé comme un échec lamentable pour faire face aux revendications les plus élémentaires de la majorité de la population tunisienne.
Il y a trois ans, des millions de jeunes, de chômeurs, de travailleurs étaient descendus dans la rue au péril de leur vie pour en finir avec la dictature de Ben Ali, au coût de plus de 300 morts. Ils exigeaient « emplois, liberté, dignité nationale», « du pain et de l’eau, mais pas Ben Ali », etc. La vérité peu reluisante pour Ennahda est que pendant ces journées, le parti islamiste était absolument invisible dans la rue.
À l’époque, les masses réclamaient du pain, des emplois décents, la fin de la pauvreté et de l’exploitation du travail, la fin de la marginalisation sociale des régions de l’intérieur du pays; elles exigeaient des services publics et des infrastructures dignes de ce nom; elles réclamaient la liberté d’expression et la fin de la violence d’État – toutes des notions qui se sont révélées complètement étrangères à la politique menée par Ennahda, une politique pro-capitaliste dans son contenu, violente et répressive dans sa forme politique.
Agitation sociale
La nouvelle année à peine commencée a déjà fourni une nouvelle série d’exemples pour illustrer ce dernier point. Au début du mois de janvier, le gouvernement dirigé par Ennahda a annoncé de nouveaux prélèvements fiscaux, y compris une nouvelle taxe sur le transport, dans le cadre du budget 2014.
Derrière le gouvernement se cache le FMI et d’autres bailleurs de fonds internationaux, lesquels réclament des mesures d’austérité drastiques, y compris la réduction des subventions d’Etat sur des produits de première nécessité- mesures que le gouvernement, assis sur un chaudron social bouillant, ne s’était pas encore senti suffisamment en force et en confiance que pour mettre en œuvre concrètement.
La propagande officielle a notamment consisté à expliquer les raisons du déficit budgétaire actuel comme étant le résultat de la hausse des salaires des travailleurs du secteur public au cours des dernières années. Le caractère ridicule et scandaleux de ce type d’argument peut être aisément mis en lumière quand on sait qu’une clique de 70 milliardaires tunisiens possède un patrimoine équivalant à 37 fois le budget actuel de l’Etat tunisien.
Néanmoins, pensant qu’il pouvait tromper les masses en surfant sur l’effet l’annonce de l’accord récent formellement conclu à la mi-décembre avec l’opposition sur l’idée d’un cabinet de « technocrates », le gouvernement sortant a décidé de faire passer ces « mesures impopulaires » si chères à la grande bourgeoisie.
La réponse du peuple tunisien ne s’est pas fait attendre: immédiatement après les hausses de taxes annoncées, des manifestations quotidiennes ont balayé le pays du Nord au Sud. Les manifestants, révoltés par la nouvelle augmentation d’impôts, ont attaqué des bâtiments gouvernementaux, pris d’assaut les postes de police, bloqué les routes, et saccagé les bâtiments locaux du parti au pouvoir.
Les protestations et les grèves ont commencé les 7 et 8 janvier dans les villes du centre et du sud, en particulier Kasserine, Thala et Gafsa, parmi les plus pauvres du pays. A Kasserine, une grève générale prit place le 8, jour qui coïncidait avec le troisième anniversaire de la mort du premier martyr de la ville par la police de Ben Ali. La grève avait réussi à fermer tous les commerces et les institutions publiques de la région. De violents affrontements ont également eu lieu entre la police et des habitants dans les quartiers populaires de la ville.
En outre, le mardi 7, les magistrats tunisiens ont entamé une grève de trois jours, orientée contre les tentatives du gouvernement de domestiquer le système judiciaire. La grève a été suivie dans tous les tribunaux du pays.
Plusieurs bâtiments et postes de police furent pris d’assaut et même incendiés, comme à Feriana et Maknassy, dans le gouvernorat de Sidi Bouzid, tandis que de nombreux barrages routiers ont été érigés à travers le pays. Le jeudi 9, de violentes manifestations ont éclaté dans la ville de Tataouine, dans le Sud du pays. Les manifestants ont brûlé des véhicules de police, attaqué le poste de police, brûlé le siège régional du parti au pouvoir, et même attaqué le bureau régional de l’emploi.
Finalement, les manifestations ont gagné la capitale, Tunis. Le 10 janvier, des manifestations de masse eurent lieu à l’extérieur des bâtiments des finances publiques, et de violents affrontements entre des jeunes et les forces de l’État éclatèrent dans la banlieue pauvre d’Ettadamen.
Le rôle de l’UGTT
Au-delà de la taxe en question, qui a agi comme un déclencheur, un grand nombre de manifestants étaient de jeunes chômeurs, exprimant leur colère contre la situation générale du pays.
Souvent, durant les trois dernières années, la jeunesse a été une étincelle importante dans l’éruption des mouvements sociaux, l’emploi des jeunes ayant été à l’épicentre des motivations initiales ayant alimenté le feu de la révolution tunisienne.
Cependant, comme le CIO l’a souligné à plus d’une reprises, le mouvement ouvrier organisé, surtout considérant le poids lourd représenté par la fédération syndicale l’UGTT, occupe en Tunisie une position stratégique dans l’économie et la société, que de nombreux travailleurs à l’échelle internationale envieraient sans doute. Cette position particulière du mouvement syndical tunisien a le potentiel de donner une portée qualitativement différente, ainsi qu’un caractère plus organisé, et plus massif aussi, aux mouvements sociaux. Forte de son million de membres, et de ses 150 bureaux à travers tout le pays, l’UGTT offre une base organisationnelle puissante pour mettre la classe ouvrière au cœur d’une stratégie visant à s’emparer du pouvoir politique.
Pourtant, à d’innombrables reprises, les travailleurs ont été bloqués dans leur route par les manœuvres de sa direction nationale, dont la réticence à mener une lutte soutenue contre les gouvernements pro-capitalistes qui se sont succédé depuis la chute de Ben Ali a été une caractéristique constante de la situation des trois dernières années.
Depuis l’été dernier, le secrétaire général de l’UGTT Houcine Abassi et son équipe ont offert la médiation du syndicat pour résoudre la crise politique que traverse le pays ; cela non pas en poussant les revendications révolutionnaires dans la rue et en encourageant les travailleurs et les pauvres à construire leur lutte pour s’emparer du pouvoir, mais bien plutôt en essayant d’asseoir à la même table les différentes ailes politiques de la classe capitaliste, et de négocier un accord qui leur convienne à tous.
Comme Abdelhak Laabidi le déclare dans son interview : « L’UGTT est l’organisation qui détient le plus grand pouvoir dans le pays, celui des travailleurs. Tout gouvernement devrait être amené à craindre cette organisation ; malheureusement, la bureaucratie n’arrête pas de lancer des bouées de sauvetage à ces gouvernements dont tout le monde a vu les échecs répétés dans tous les domaines, qu’ils soient social, politique (étrangère et intérieure), sécurité etc. Comment peux-t-on poser la question de l’entente nationale avec des partis qui sont concrètement entrain de paupériser les travailleurs et les couches le plus démunies? »
Malgré la présence, dans certaines régions et localités, de dirigeants syndicaux combatifs, et malgré un nombre infini de mouvements de grève, souvent solides, prenant place régulièrement au niveau local, régional et sectoriel, la bureaucratie nationale de l’UGTT a fait littéralement tout en son pouvoir pour empêcher la lutte de s’engager sur la voie d’un affrontement généralisé avec le régime au pouvoir, ainsi qu’avec les intérêts de l’élite capitaliste. Le contraire est le cas: la bureaucratie syndicale a en réalité systématiquement fourni ses services afin de sauver le système à chaque fois que celui-ci était sur le point d’être menacé par les masses.
Les couches urbaines paupérisées, et la question des émeutes
Ceci a conduit à l’approfondissement de la frustration chez les travailleurs et les militants syndicalistes de base, mais aussi parmi toute une couche de jeunes et des couches urbaines paupérisées -dont beaucoup tentent désespérément de survivre au quotidien via toutes sortes d’activités informelles.
Désespérées et de plus en plus souvent aliénées par un syndicat qui ne semble pas donner la moindre perspective pour faire avancer la lutte révolutionnaire, certains de ces couches ont pu être plus aisément tentées d’emprunter la voie des émeutes afin d’exprimer leur rage, une rage bien légitime, mais bien souvent sans direction. Parfois, de petits criminels locaux ont également profité de l’état de confusion pour commencer à piller des magasins ou des propriétés, qu’elles soient publiques ou privées.
Ce phénomène a été encore observé dans le cycle des récentes mobilisations de janvier. Les raisons en sont d’abord le rôle traître jouée par la direction de l’UGTT, qui a échoué à plusieurs reprises à offrir une perspective de construire un mouvement de masse soutenu et ambitieux: un mouvement qui prenne sérieusement en considération les griefs des jeunes chômeurs et des plus démunis, et qui mobilise pleinement et efficacement la « cavalerie lourde », à savoir la classe ouvrière en tant que telle, lorsque la situation l’exige de la manière la plus pressante.
D’autre part, bien que nous comprenons parfaitement les raisons de ces émeutes, ces dernières contribuent malheureusement souvent à pousser les larges masses hors de la rue, à fournir des munitions à la propagande de l’État pour « rentrer dans le tas » et diviser le mouvement, et en plus, à dégrader encore plus les quartiers pauvres qui souffrent déjà cruellement du manque d’investissements publics.
Le gouvernement recule
Néanmoins, en dépit de ces complications, l’explosion de masse de la fureur populaire en janvier fut suffisante pour que le gouvernement tremble sur ses bases. Pressé par le risque de perdre le contrôle de la situation, le jeudi 9, à la suite d’une réunion d’urgence du cabinet ministériel, le Premier ministre sortant Ali Laarayedh annonça lors d’une conférence de presse que tous les nouvelles taxes imposées par le nouveau budget 2014 seraient suspendues jusqu’à nouvel ordre.
Ce recul du gouvernement montre que la pression du FMI et Cie pour mener l’austérité d’une part, et la colère de masse dans la société d’autre part, n’offriront que très peu de marge de manœuvre à n’importe quel gouvernement capitaliste pour « naviguer calmement » dans les mois qui viennent. De nouvelles confrontations sociales et de nouveaux troubles politiques sont aussi inévitables que la nuit succède au jour.
Dans le même temps, le mouvement de protestation de janvier a forcé la démission du gouvernement. Bien que cette démission faisait officiellement partie d’un accord déjà conclu à la fin de l’année dernière, il n’y avait pas de calendrier précis ni de garantie claire que cela se fasse pour de bon ; dans ce sens, il n’y a pas de doute que la démission concrète et immédiate d’Ennahda a été précipitée par la pression du mouvement populaire.
« A la surprise des sceptiques laïcs, Ennahda a tenu parole », commentait récemment le magazine ‘The Economist’ sur le fait que le parti a finalement décidé de démissionner. Pourtant, ce « départ volontaire » » n’a rien à voir avec le fait que les islamistes d’Ennahda aient « tenu leur parole », mais tout à voir avec le rejet massif de ce parti dans la rue, et avec la peur des classes dirigeantes quant à de nouvelles flambées révolutionnaires si Ennahda reste au pouvoir trop longtemps.
Ce dernier point, les dirigeants et les stratèges les plus intelligents d’Ennahda avaient sérieusement commencé à le comprendre. C’est la principale raison pour laquelle le CIO avait déjà affirmé depuis des mois que, depuis l’assassinat de Mohamed Brahim en août dernier (voir notre article), la fin du règne d’Ennahda n’était plus une question de «si» mais plutôt de «quand».
Un gouvernement « indépendant » ?
La démission du gouvernement de Laarayedh a consisté dans le passage du pouvoir à un nouveau gouvernement de soi-disant « technocrates indépendants». Ce changement est pompeusement présenté comme clôturant le chapitre de la crise politique ouverte par l’assassinat de Mohamed Brahmi.
Pourtant, si la fin du règne d’Ennahda pourrait apporter temporairement une certaine accalmie dans la lutte de classes, et un effet de soulagement parmi certaines couches de la population, cette accalmie, selon toute vraisemblance, sera de très courte durée.
Le nouveau Premier ministre en charge n’est rien d’autre que l’ancien ministre de l’Industrie, Mehdi Jomaa. L’idée qu’un gouvernement dirigé par un membre de la coalition sortante -et dont l’essentiel de la carrière fut passée dans une position dirigeante et lucrative au service de la multinationale française Total- peut être étiqueté comme «indépendant» est tout à fait risible.
L’essence de ce gouvernement est de répondre aux exigences de la classe dirigeante, qui cherche à reconstruire un gouvernement soi-disant plus «consensuel», nettoyé des figures les plus controversées et les plus embarrassantes, afin de faire avaler plus facilement aux masses la pilule de l’austérité à venir.
Le rôle des masses dans la révolution, et la nouvelle Constitution
Peu de gens, parmi les commentateurs et les politiciens pro-capitalistes, sont prêts à admettre le rôle crucial joué par les masses tunisiennes dans le cours des évènements des trois dernières années.
En effet, les grèves et protestations de masse de la part des travailleurs, de la jeunesse et des masses populaires ont non seulement évincé Ben Ali du pouvoir en Janvier 2011, mais ont également été le facteur déterminant dans le cours de tous les événements politiques d’importance depuis lors. Toute analyse qui omettrait de tenir compte, en particulier, de la force et de l’influence unique du mouvement syndical tunisien peut difficilement expliquer quoi que ce soit de ce qui se passe dans le pays.
Par exemple, dimanche dernier, la nouvelle Constitution a été adoptée par une écrasante majorité des membres de l’Assemblée Constituante. Cette constitution est présentée comme très «avancée», du moins comparativement au reste du monde arabe (adoptant en théorie l’égalité des sexes, ne mentionnant pas la charia comme principale source du droit, etc.)
Un grand nombre de commentateurs et de journalistes expliquent cela par le fait qu’Ennahda a soi-disant une politique plus « conciliante », mois « jusqu’au-boutiste » que ses homologues des Frères Musulmans dans d’autres pays tels que l’Egypte. Mais peu se réfèrent aux traditions séculaires et féministes encore importantes qui existent en Tunisie, en raison du rôle historique joué par l’UGTT sur ces questions, et à la résistance prévisible qu’Ennahda rencontrerait sur son chemin si elle visait à s’attaquer pour de bon à ces acquis (comme l’interdiction de la polygamie, l’égalité d’accès au divorce, etc). Ces éléments sont pourtant essentiels afin d’expliquer la raison pour laquelle les islamistes ont été contraints à plus de «pragmatisme» dans leur projet d’islamisation de la société.
Ceci dit, il n’y a pas de quoi se réjouir de cette nouvelle constitution pour autant. Sur la question des droits des femmes, dire qu’il y a encore un long chemin à parcourir vers l’égalité des sexes est un euphémisme. Par exemple, alors que 70 % des hommes en Tunisie sont classés comme faisant partie de la population active, le chiffre n’est que de 27 % pour les femmes. Un article publié l’an dernier sur notre site (voir ici) évoquait toutes les menaces et les défis que rencontrent les femmes en Tunisie, que tout article formel dans une Constitution ne sera pas en mesure d’adresser sans qu’une lutte sérieuse ne soit menée sur le terrain pour transformer fondamentalement la manière dont la société fonctionne.
De nombreux commentateurs insistent sur le fait qu’avoir une nouvelle constitution est, en soi, la satisfaction d’une revendication importante de la révolution. Mais la constitution elle-même n’a jamais représenté qu’une parmi de nombreuses revendications révolutionnaires, dont les revendications économiques et sociales constituaient clairement le cœur.
De surcroit, la revendication d’une Assemblée constituante pour rédiger une nouvelle Constitution telle qu’elle avait été soulevée initialement, avait, dans l’esprit de beaucoup de travailleurs et de jeunes révolutionnaires, un caractère complètement différent de celle qui a été érigée. En effet, l’élite politique, dans l’Assemblée et au gouvernement, et le texte constitutionnel qu’elle a produit, n’ont pas même commencé à effleurer la question de la transformation sociale et économique à laquelle la majorité de la population aspirait. Au contraire, les politiques continuellement menées jusqu’à présent n’ont fait qu’empirer les choses pour les ‘99 %’ de la population tunisienne. Ce n’est certainement pas la nouvelle Constitution qui va, par magie, y changer quelque chose.
Pour finir, d’un point de vue politique , comment peut-on parler de «démocratie» quand des accords gouvernementaux sont ficelés derrière les rideaux, sans que les masses aient leur mot à dire et un contrôle sur quoi que ce soit ; quand les ministres et les membres de l’Assemblée Constituante vivent de salaires et de privilèges scandaleusement élevés alors que de larges pans de la population rencontrent au quotidien des difficultés financières croissantes ; et quand les instruments de répression, y compris de vieilles lois dictatoriales utilisées sous Ben Ali, sont resservies aux quatre coins du pays pour museler ceux et celles qui résistent ?
Pour une politique socialiste, au service des pauvres et des travailleurs
Pour résumer, malgré la propagande en cours, les exigences et revendications de la révolution tunisienne n’ont absolument pas abouties, que du contraire. Cela ne peut d’ailleurs pas se faire dans le carcan d’une économie capitaliste, où la richesse produite est siphonnée pour les profits de quelques-uns.
Un autre modèle de société, une société démocratique et socialiste, portée et construite par les travailleurs, mettrait fin à la spoliation et au gaspillage capitaliste, et utiliserait les ressources disponibles afin d’élever considérablement les capacités de la société à pouvoir répondre aux besoins de la population.
Un gouvernement véritablement révolutionnaire, contrairement à ceux qui ont été au pouvoir depuis la chute de Ben Ali, mettrait en œuvre des moyens radicaux pour s’attaquer aux problèmes de la pauvreté, de la corruption et de la faim dans le pays. Il mobiliserait en masse les travailleurs, les jeunes, les pauvres des villes et des zones rurales, afin de construire le soutien le plus large possible pour une politique se confrontant directement au système capitaliste, aux intérêts des grands patrons et des propriétaires terriens, et à leur État.
Pour commencer, il ferait peu de cas de la dette à payer aux créanciers internationaux, en refusant tout simplement de l’honorer. Il imposerait un contrôle de l’Etat sur le commerce extérieur, et nationaliserait les grands conglomérats privés sous le contrôle démocratique des travailleurs.<p<
Construire la riposte, dès à présent
Une lutte de masse, indépendante des partis de la bourgeoisie, sera nécessaire pour imposer un tel gouvernement. Une lutte qui devra être bien organisée et structurée à tous les niveaux pour être pleinement efficace.
Dans l’immédiat, des comités d’action anti-austérité pourraient par exemple être mis en place dans les quartiers populaires, sur les lieux de travail, sur les campus universitaires et dans les lycées, pour se préparer à la nouvelle vague d’austérité qui s’annonce.
Des discussions larges devraient être organisées sans plus tarder dans les cellules locales de l’UGTT et de l’UGET (le syndicat étudiant) à travers le pays, pour essayer de coordonner la riposte des masses. Une grève générale préventive de 24H à travers le pays serait un bon début pour ramener la balle dans le camp du mouvement ouvrier, et afin de donner un avertissement fort au nouveau gouvernement que la moindre mesure d’austérité sera répondue par une résistance farouche et sans concession.
Bien sûr, comme l’expérience de l’an dernier l’a amplement démontrée, une telle grève, laissée sans lendemain, serait un coup dans l’eau. Elle ne prendrait du sens que si elle s’inscrit dans un agenda ambitieux visant à l’escalade des mobilisations : à savoir renforcer chaque action de grève et de désobéissance civile par de nouvelles actions plus ambitieuses, plus organisées et plus massives encore, avec des revendications non seulement défensives mais aussi offensives, s’attaquant directement au diktat de la classes capitaliste.
Afin d’éviter de voir la lutte être une fois de plus détournée par la bureaucratie syndicale et politique, construire des structures de lutte révolutionnaire contrôlées par les masses elles-mêmes, et englobant le nombre le plus large possible de gens qui veulent s’impliquer dans le mouvement, est une tâche absolument vitale. Des comités populaires et d’action, comités révolutionnaires, comités de quartier ou quelqu’en soit le nom, ce type de structures collectives doivent aider à organiser le mouvement par la base et pour la base.
De telles structures, connectées via un système de délégation à l’échelle locale, régionale, et nationale, poserait la base pour préparer les travailleurs, les masses populaires et les jeunes à se substituer pour de bon au pouvoir des capitalistes et de leur Etat, et à construire une société qui réponde à leurs aspirations.
La gauche tunisienne et le mouvement présent
Malheureusement , les dirigeants des principaux partis qui se disent «socialiste», «marxiste» ou «communiste» en Tunisie ont, pour leur plus grande part, abandonné la défense d’un tel programme socialiste, ayant décidé plutôt de courir après des accords sans scrupules et sans principes avec des partis politiques qui défendent un agenda néo-libéral.
Les dirigeants de la coalition du « Front populaire », en particulier, en concluant honteusement l’an dernier un accord politique avec les forces liées à l’ancien régime, au travers du « Front de Salut National », portent une lourde responsabilité quant à la crise que traverse à présent la gauche organisée.
En décembre dernier, de nouveau, la direction du Front populaire, après avoir rencontré l’ambassadeur américain, a réaffirmé son soutien à la mise en place d’un gouvernement « technocratique ». Au cours des derniers jours, les dirigeants du Front se sont contentés de contester le choix du ministre de l’Intérieur du nouveau gouvernement Jomaa, sans pour autant rejeter en principe ce qui n’est pourtant rien d’autre que la nouvelle formule gouvernementale imposée par la classe dirigeante afin d’appliquer ses politiques viscéralement anti-ouvrières.
Les partisans du CIO en Tunisie essaient d’encourager les discussions avec d’autres militants de gauche sur la nécessité de la construction d’une nouvelle alternative politique de masse, qui puisse véritablement représenter la classe ouvrière et les pauvres, et rester fidèles à leurs aspirations au changement révolutionnaire.
Beaucoup, dans les rangs de la gauche, parmi les membres de base du Front populaire, dans les mouvements sociaux et ailleurs, s’interrogent sérieusement sur l’orientation et le programme appliqués par les dirigeants de la gauche politique ces dernières années: en essence, servir de couverture de gauche aux plans de la classe dirigeante visant à mettre fin au processus révolutionnaire. De la même manière, beaucoup au niveau de la base de l’UGTT, et à certains niveaux intermédiaires du syndicat dans une certaine mesure, sont très critiques vis-à-vis des politiques menées par la direction centrale du syndicat.
En conséquence, de nombreux réalignements politiques ont lieu dans les partis de gauche tunisiens, à la suite de l’expérience révolutionnaire récente. Le FOVP (« Force Ouvrière pour la Victoire du Peuple », mentionné dans l’interview), résultat d’une scission au sein de la LGO (« Ligue de la Gauche Ouvrière », aujourd’hui section tunisienne du Secrétariat Unifié de la Quatrième Internationale) est l’une parmi plusieurs expressions politiques de ce processus.
La mise en place d’une plate-forme large, ouverte à tous les militants et les groupes qui refusent des accords politiques avec les partis pro-capitalistes, et qui veulent construire la lutte selon des lignes de classe claires, serait un pas en avant bienvenu, afin de reconstruire l’instrument politique révolutionnaire dont les travailleurs et les masses pauvres en Tunisie ont désespérément besoin pour la réussite de leur révolution inachevée.
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[INTERVIEW] Abdelhak Laabidi, syndicaliste et militant politique tunisien
Il y a trois ans, le 14 Janvier 2011, un nouveau chapitre s’ouvrait sur la scène politique mondiale. Le renversement du dictateur Ben Ali en Tunisie, balayé par un mouvement révolutionnaire, a marqué le déclenchement et la source d’inspiration pour l’explosion de mouvements de masse à travers le monde, et pour une transformation complète du paysage politique du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. En accompagnement de l’interview ci-dessous, nous vous invitons à lire l’article suivant : “Tunisie: trois ans apres la chute de Ben Ali, la revolution continue”.
Abdelhak Laabidi, peux-tu te présenter ?
Je m’appelle Abdelhak Laabidi , marié et père de 3 enfants , militant politique et fervent défenseur des droit de l’homme ; syndicaliste et actuellement secrétaire général de l’UGTT à Béja (secteur de la santé), et militant dans le parti FOVP (Force Ouvrière pour la Victoire du Peuple).
Comment et quand as-tu commencé à militer?
Depuis le début, j’étais présent dans chaque manifestation, mais tout cela sans une appartenance claire à un parti politique. Cela a commencé au sein du mouvement lycéen ; d’ailleurs, ma première arrestation fut en 1976, à l’âge de 16 ans, suite à la manifestation contre la visite de Anouar Essadet en Israël.
La première action que j’ai organisée personnellement fut sous la casquette syndicaliste à Béja, en 2006: une action devant le siège local de l’UGTT. Il y a eu une marche depuis l’hôpital jusqu’au siège de l’UGTT, habillés en blouse blanche. L’itinéraire de cette marche passait devant le tribunal, la commune, la mairie, plusieurs lycées ; c’était une première dans cette ville. Mais suite à cette action, j’ai été trahi par le secrétaire général de l’époque : on m’a délesté de la couverture syndicale et pour punition de m’être insurgé, j’ai été chassé de chez moi.
Tout comme plusieurs habitants de Béja, ma maison appartenait anciennement aux colons français ; après que ces derniers aient quitté la Tunisie, les Tunisiens ont pu gagner leurs maisons. Cependant il n’y a que moi qui fut viré de chez moi de la sorte, et cela d’une manière des plus barbare: cela s’est passé en plein hiver (et l’hiver de Beja est très rude), mes enfants étaient en pleine semaine d’examen et comble de l’histoire, ma maison a été transformée en un local du RCD ! Vous voyez la symbolique des choses … Suite à cela, ma mère est morte après 4 mois, et j’étais totalement délaissé par sa famille et par tous les partis de gauche de Béja. C’était une période difficile pour moi.
On sait que dernièrement tu as été agressé. Peux-tu nous parler de cela?
Le 14 janvier, je me suis dis que la Tunisie allait vivre une ère nouvelle, pleine de liberté et toutes ces bonnes choses. C’était pour moi, si je peux m’exprimer ainsi, mon « orgasme politique ». Dans la réalité je vois clairement que strictement rien n’a changé, et je vis toujours dans un bain constant de harcèlement, qu’il soit judiciaire ou physique.
Pour mettre l’histoire dans son contexte, il faut savoir que dernièrement je me suis présenté aux élections régionales de l’UGTT, et cela a déplu à certains, qui veulent injecter les pions du parti islamiste Ennahda à ce poste. Pour m’en dissuader, chaque jour ils me provoquent et lancent des sous-entendus. En passant devant un café, des personnes crient « il faut égorger les mécréants et tuer les militants de gauche », et plein de provocations de ce genre. En voyant que je ne cédais pas aux provocations et que je les ignorais, ils se sont dits: s’il ne vient pas à nous, nous viendrons à lui. C’est aussi simple que ca.
Le samedi 21 décembre à 10h 30 du matin, en sortant de chez moi j’ai été agressé par surprise et passé à tabac par deux personnes. J’ai eu pour séquelle une hémorragie interne dans mon œil ; c’est par chance que je n’ai pas été aveuglé. J’ai aussi eu quelques cotes fêlées et des contusions un peu partout sur mon corps. Heureusement qu’au moment de l’attaque mon fils m’a entendu l’appeler, du coup ils se sont enfuis en le voyant. Je pense qu’ils voulaient me battre à mort ; mais je pardonne en quelque sorte à ceux qui m’ont attaqué car je sais que ce n’est pas leur faute, en premier lieu c’est la pauvreté qui est le réel fautif. Pour une poignée de dinars en effet, ces gens sont capables du pire, c’est pourquoi ils sont la cible des « fascistes »: à la place de leurs offrir un travail décent pour subvenir à leurs besoins, ils préfèrent faire d’eux leurs sbires et hommes de main.
Quoiqu’il en soit, cette attaque me rendra plus fort, car c’est ceux qui dérangent qui sont visés. Ce fut le cas pour les martyrs Chokri Belaid et Mohamed Brahmi ; bien sûr, je ne veux pas me comparer à eux, car qu’est ce que vaut mon agression comparé à leur assassinat ? Mais quelque part je sais que je suis sur la bonne voie car je suis entrain de déranger, comme ils l’ont fait en leur temps.
Mis à part cette agression, l’histoire se répète : je suis aussi souvent mis en examen que je l’ai été avant le 14 janvier (via tribunaux, poste de police, etc ).
Après la mort de Mohamed Toujeni, agent des forces de sécurité originaire de Beja, le peuple de Beja, suite à son enterrement le 23 octobre, s’est révolté contre Ennahda et sa politique ; le local d’Ennahdha a été incendié. Le 6 février, j’ai été convoqué par la police, et l’agent qui prenait mes dires était lui-même convaincu de mon innocence (car il y avait des photos, des vidéos de surveillance et je n’étais même pas présent dans cette manif-là !)
Ils ont aussi essayé de m’attaquer dans mon intimité en tentant de s’en prendre à mon « nid familial ». Après le 14 janvier, j’avais repris de force ma maison, et ils ont essayé de me la reprendre avec les mêmes moyens que ceux de Ben Ali et de sa police ; il y a eu un procès dont j’ai retardé le jugement le 17 novembre – motif : « reprise par la force » d’un lieu pour lequel il y a eu jugement, vol, et incendie d’archives. On m’a viré de force, alors j’ai repris ma maison de force en l’occupant ; et l’archive que je suis accusé d’avoir brulé, c’est une archive du RCD et de leur activité ; cela s’est pourtant passé ainsi dans tous les locaux du RCD dans toute la Tunisie.
Mais je ne céderais pas, coûte que coûte je serai toujours présent à défendre la cause des travailleurs par le billet du syndicalisme, et des pauvres et des délaissés par le billet du parti dans lequel je milite, le FOVP, pour ces causes que la Troïka au pouvoir a trahies dès le début en laissant la situation sociale et politique s’engouffrer de plus en plus.
Peux-tu nous présenter le FOVP ?
Le FOVP est un parti de la gauche radicale, issu d’un schisme de la LGO joint par d’autres militants; ce sont des militants qui ont refusé la ligne directive de la direction du Front Populaire, laquelle s’est associée avec Nidaa Tounes et Ennahda pour s’assoir autour d’une table en vue d’une soi-disant « entente nationale ». Je ne comprends pas comment le Front Populaire peut tendre la main à la droite, qu’elle soit barbue ou en costume cravate. Comment pourrais-je m’assoir à la même table que les ex-RCDistes, qui levaient leur bâton bien haut pour me frapper ? Comment, d’autre part, m’assoir à la même table qu’un parti historiquement sanguinaire ? Est-ce cela une « ligne révolutionnaire » ?
C’est ce qui nous a poussé à quitter la LGO et le Front Populaire, pour un nouveau parti qui est le FOVP, lequel a une ligne révolutionnaire claire, avec en priorité le militantisme pour les causes des plus démunis, des travailleurs, de l’égalité des sexes, des droits de l’homme, de la liberté, liberté d’expression, un pouvoir judiciaire réellement indépendant etc. ; et bien sûr, essayer d’améliorer la conscience de classe, car à cause notamment de la baisse du pouvoir d’achat et de la hausse vertigineuse des prix, on entend des personnes dire que si Ben Ali était resté au pouvoir ça serait mieux. Il faut essayer de sauver cette révolution pour qu’on la revoie s’émuler à l’échelle internationale. Ceci est dans les mains du peuple tunisien, il faut que la révolution aboutisse coûte que coûte ; cette marche sera fatigante et pleine d’embuches, mais espérons qu’elle aboutira ! D’ailleurs, la force populaire a le potentiel de défaire n’importe quelle force réactionnaire.
Et que pense du rôle de l’UGTT dans tout cela?
L’UGTT est l’organisation qui détient le plus grand pouvoir dans le pays, celui des travailleurs.
Tout gouvernement devrait être amené à craindre cette organisation, malheureusement la bureaucratie n’arrête pas de lancer des bouées de sauvetage à ces gouvernements dont tout le monde a vu les échecs répétés dans tous les domaines, qu’ils soient social, politique (étrangère et intérieure), sécurité etc.
Comment peux-t-on poser la question de l’entente nationale avec des partis qui sont concrètement entrain de paupériser les travailleurs et les couches le plus démunies? La bureaucratie syndicale a encore une fois trahi la cause, et devra assumer cela historiquement.
Comme elle devra assumer, elle et la direction du Front Populaire, de ne pas avoir oser prendre le pouvoir quand il s’offrait à eux (cela avait pourtant été le souhait du peuple le jour de l’enterrement de Chokri Belaid), et de le donner réellement aux travailleurs et à la population, en créant des comités régionaux et en instaurant l’autogestion, et en multipliant cela à une large échelle.
Y a-t-il des actions du FOVP qui auront lieu à court terme ?
Le 6 juin, j’ai organisé à Beja la 17éme commémoration de la mort de Cheikh Imam Issa (=chanteur égyptien révolutionnaire) et on a rendu un hommage au poète Ahmed Najm, parolier du Cheikh Imam au centre culturel de Béja; le FOVP donne beaucoup d’importance à la culture. Pour nous, la musique révolutionnaire et les textes peuvent être un outil important pour élever la conscience de classe du peuple tunisien.
Le 28 de ce mois aura lieu mon procès au tribunal de Beja, et le FOVP lance un appel à manifester massivement devant le tribunal.
On a vu que trois syndicalistes ont été malmenés, chacun d’une manière différente en l’espace de deux semaines ; tu as été agressé et passé à tabac, ensuite il y a eu l’arrestation de Abdeslam El Hidouri à Sidi Bouzid, puis des personnes sont entrées de force chez Adnen Hajji en faisant croire à un cambriolage, et on a agressé sa femme en voyant qu’il n’était pas chez lui ; que penses-tu de tout cela ?
Je pense que la guerre contre les syndicalistes a commencé le jour de la commémoration de l’assassinat du martyr Farhat Hached. Ce jour-là, le 4 décembre 2012, plusieurs syndicalistes ont été attaqués par la milice d’Ennahda ; ils ont essayé de nous faire peur par cette action, mais voyant que les syndicalistes de base n’arrêtent pas de militer, de lancer des actions, des grèves, etc., ils essaient de nous faire taire un par un! Il faut s’organiser, frapper ensemble au cœur de leurs faiblesses, avec des grèves régionales et sectorielles, et puis générale. Car contre ce parti fasciste, il faut être solidaire pour se protéger les un les autres, et pour frapper ensemble.
Un mot pour conclure ?
Je veux que les slogans criés spontanément par le peuple tunisien soient exaucés par n’importe quels moyens ; les deux principaux slogans sont: « al chaab yourid isakat al nidham » (=le peuple veut la chute du système) et « al chaab yourid al thawra men jaddid » (le peuple veut une autre révolution).
Je veux cela pour que mes enfants et la génération à venir n’aient pas à vivre ce qu’on a vécu, et puissent vivre des jours meilleurs et que les Hommes redeviennent des Hommes et la terre un jardin.
Merci.
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Crise politique en Tunisie : des manoeuvres contre-révolutionnaires en cours
Interview d’Hidouri Abdessalem, chercheur en philosophie, membre du bureau syndical régional de Sidi Bouzid pour l’enseignement secondaire

A l’heure ou cette interview est publiée, la crise politique en Tunisie traverse son énième épisode. L’ampleur et la profondeur de la colère populaire contre le régime de la ‘Troika’, marquée par l’éruption quasi volcanique de protestations dans tout le pays à la suite de deux assassinats politiques de dirigeants de gauche cette année (l’un, celui de Chokri Belaid, en février, l’autre, de Mohamed Brahmi, fin juillet) constituent la toile de fond et la raison fondamentale de cette crise.
Image ci-contre : “La révolution continue!”
Les pourparlers qui se tenaient entre les partis gouvernementaux et ceux de l’opposition, appelés «l’initiative de dialogue national » viennent d’être suspendus ce lundi. En bref, «l’initiative de dialogue national » n’est rien d’autre qu’une tentative des classes dirigeantes de négocier un arrangement « par le haut » qui puisse apporter une solution à la crise politique tout en évitant que « ceux d’en-bas », à savoir les travailleurs et syndicalistes, la jeunesse révolutionnaire, les chômeurs, les pauvres, ne s’en mêlent un peu trop.
En effet, lorsque les voix provenant de l’establishment, des grandes puissances et des médias traditionnels s’alarment des dangers d’un « vide politique » prolongé en Tunisie, ce n’est pas en premier lieu la montée de la violence djihadiste qu’ils ont en tête; leur principale crainte est que l’exaspération des masses explose à nouveau sur le devant de la scène.
Le « dialogue national » vise à préparer une retraite ordonnée et négociée pour le pouvoir Nahdaoui, et la mise en place d’un gouvernement soi-disant «indépendant» et « apolitique ». Les discussions ont, officiellement du moins, buté sur le choix du nouveau Premier Ministre, discussions qui exposent à elles seules le caractère contre-révolutionnaire des manœuvres en cours. En effet, les différents noms qui ont circulé pour diriger un futur gouvernement sont tous soit des vétérans séniles de l’ancien régime, soit des néolibéraux pur jus.
Bien sûr, tout cela n’a rien ni d’indépendant ni d’apolitique. De nouvelles attaques sur les travailleurs et les pauvres sont en cours de préparation, poussées entre autres par le FMI et les autres créanciers de la Tunisie; pour ce faire, les puissances impérialistes et les grands patrons tunisiens plaident pour un gouvernement suffisamment fort que pour être en mesure de maintenir les masses sous contrôle et leur faire payer la crise. C’est ainsi qu’il y a quelques jours, le gouverneur de la Banque centrale a déclaré que la Tunisie « a besoin d’un gouvernement de commandos pour sortir le pays de la crise».
L’UGTT est de loin la force la plus organisée du pays. Aucun arrangement politique quelque peu durable ne peut être réglé selon les intérêts de la classe capitaliste sans au moins l’accord tacite de sa direction. Pour les travailleurs et les couches populaires cependant, le nœud gordien du problème réside précisément dans le fait que la direction de la centrale syndicale, au lieu de mobiliser cette force pour imposer un gouvernement ouvrier et populaire, pris en charge par un réseau national de comités de base démocratiquement organisés à tous les niveaux, se révèle être un partenaire très coopératif pour la classe dirigeante et les pays impérialistes, dans les tentatives de ces derniers d’imposer un gouvernement non élu au service du grand capital. Tant et si bien qu’elle joue honteusement le rôle moteur dans l’organisation et la médiation de ce « dialogue national ».
Les dirigeants syndicaux, au lieu de mobiliser sérieusement leurs troupes, ont mis tous leurs efforts à tenter de démêler un accord derrière les rideaux entre les principaux agents de la contre-révolution. Tout cela couronné par l’approbation et la participation directe, dans ces pourparlers, des dirigeants du Front Populaire, malgré l’opposition manifeste d’une large couche de ses propres militants et sympathisants.
Cette stratégie, comme l’explique Abdessalem dans l’interview qui suit, est une impasse complète, les dirigeants de la gauche et du syndicat délivrant de fait les intérêts de leurs militants sur l’autel des plans cyniques de leurs pires ennemis. Trotsky disait que dans une période de crise profonde du système capitaliste, les directions réformistes « commencent à ressembler à l’homme qui s’accroche désespérément à la rampe, cependant qu’un escalier roulant l’emporte rapidement vers le bas. »
Cette métaphore résume assez bien le tableau tunisien aujourd’hui. Le pays est au bord d’une crise d’une ampleur sans précédent. Le 30 octobre, deux tentatives d’attentats-suicide ont été évitées dans des zones touristiques. Une semaine avant, dans la région centrale de Sidi Bouzid, au moins 9 membres des forces de sécurité ont été tués dans de violents affrontements avec des salafistes armés.
En réaction, la section locale de l’UGTT appela à une grève générale régionale dans le gouvernorat de Sidi Bouzid, mot d’ordre rapidement suivi dans la région voisine de Kasserine, afin de protester contre ces tueries. Ce genre de réflexes indiquent où résident les forces sociales qui peuvent offrir une solution viable et autour de laquelle une véritable alternative politique peut et doit être construite à la misère et la violence croissantes du système actuel.
Comme le mentionne Abdesslem, il existe aujourd’hui en Tunisie un paradoxe: « les vraies fabricateurs du processus révolutionnaire sont en-dehors de la scène politique ». Le CIO partage largement ce constat. C’est pourquoi il y a une urgence à reconstruire, à l’échelle du pays, une force politique de masse au service de ces « fabricateurs », indépendante des partis pro-capitalistes, et armé d’un programme socialiste clair visant à mettre les principales ressources du pays dans les mains des travailleurs et de la population.
Il fut un temps où tel était le but affiché du programme de l’UGTT. Lors de son congrès de 1949, l’UGTT demandait ainsi “le retour à la nation des mines, des transports, du gaz, de l’eau, de l’électricité, des salines, des banques, des recherches pétrolières, de la cimenterie, des grands domaines et leur gestion sous une forme qui assure la participation ouvrière.” La réactualisation d’un tel programme, combiné avec des mots d’ordre d’action précis, pourraient revigorer la lutte de masses et transformer radicalement la situation.
Les militants, au sein du Front Populaire et de l’UGTT, qui veulent poursuivre la révolution et refusent les manœuvres actuelles -et ils sont nombreux- devraient à nos yeux exiger le retrait immédiat et définitif de leurs dirigeants du dialogue national, et demander à ce que ces derniers rendent des comptes auprès de leur base pour la stratégie désastreuse qu’ils ont suivie. Au travers de discussions démocratiques, les leçons des erreurs, présentes et passées, doivent être tirées, menant à un processus de clarification et de ré-organisation à gauche, sur le type de programme, de stratégie et de tactiques nécessaires pour mener à bien la révolution.
Les militants du CIO en Tunisie sont ouvert à discuter et collaborer avec tous ceux et toutes celles qui partagent ces considérations. Car c’est seulement par ce biais que l’ «outil » et le « programme » révolutionnaires nécessaires, qu’Abdesslem évoque à la fin de l’interview, pourront être forgés en vue des futures batailles.
Depuis l’assassinat de Mohamed Brahmi, une vague de mobilisations sans précédent contre le régime d’Ennahda a secoué la Tunisie. Quel bilan tires-tu de ces mobilisations?
Les mobilisations contre le régime d’Ennahda, provoquées par l’assassinat de Mohamed Brahmi, et de Chokri Belaid avant lui, expriment plus largement une reprise du processus révolutionnaire visant à la chute du gouvernement de la ‘Troïka’ et à la chute du système.
Mais devant l’absence d’un programme clair et d’un groupe révolutionnaire suffisamment influent, ces mobilisations ont été manipulées par la bureaucratie nationale de l’UGTT, par les partis politiques libéraux et par la direction opportuniste des partis de gauche, dans le but de dépasser la crise par l’outil du « dialogue national », sans pousser ces mobilisations vers leurs véritables objectifs: la chute du système.
Au nom de l’unité dans la lutte contre les islamistes, la direction de la coalition de gauche du Front Populaire a rejoint Nidaa Tounes (un parti dans lequel se sont réfugiées beaucoup de forces du vieil appareil d’Etat et de l’ancien régime), ainsi que d’autres forces politiques, dans l’alliance du ‘Front de Salut National’. Que penses-tu de cette alliance et quelles conséquences a-t-elle sur la lutte de masses?
La scène politique actuelle en Tunisie est caractérisée par une sorte de tripolarisation: le pôle des réactionnaires islamistes avec Ennahda et ses alliés, le pôle des libéraux de l’ancien régime (avec à sa tête le parti Nidaa Tounes, regroupées sous la direction de Caid Essebsi), et en contrepartie à ces deux pôles, le Front Populaire et l’UGTT.
A l’époque de l’assassinat de Chokri Belaid, la situation a changé : les forces dites « démocratiques » et « modernistes » se sont regroupées contre la violence et le terrorisme (dans un « Congrès de Salut ») : cette étape a marqué le début de l’impasse politique pour le Front Populaire, car la direction de celui-ci a commencé à faire alliance avec les ennemis de la classe ouvrière et des opprimés, associés à l’ancien régime de Ben Ali.
Ces derniers sont en compromis indirect avec les islamistes aux niveaux des choix politiques et économiques du pays.
En conséquence, la lutte de masse a été manipulée et freinée par la direction du Front Populaire et de l’UGTT, suivant le rythme du « dialogue national » et des intérêts de ses différents partis et de leurs agendas politiques.
Fin juillet, il avait été rapporté que dans le gouvernorat de Sidi Bouzid, des formes de contre-pouvoirs locaux s’étaient mis sur pied, reprenant la gestion des affaires locales des mains des Nahdaouis. Qu’en est-il aujourd’hui?
On peut dire que dans les régions intérieures, il y a une sorte de vide politique au niveau des services, de l’administration et de la sécurité. Dans les moments révolutionnaires, les mobilisations lèvent le slogan de l’autogestion, et à sidi Bouzid, nous avons essayé de construire un contre-pouvoir à travers les communautés régionales et locales.
Mais face à la répression de la police, ainsi que du manque d’appui et de relais de ce genre d’initiatives à l’échelle nationale, on n’a pas pu dégager pour de bon le gouverneur régional de Sidi Bouzid.
Depuis le début, la position de la direction nationale de l’UGTT a été de s’opposer au double-pouvoir, car ce dernier obstrue le «dialogue » et le « compromis » avec le régime, vers lequel cette direction pousse à tout prix.
Peux-tu expliquer ce qui s’est passé le 23 octobre et dans les jours qui ont suivi?
Le 23 octobre, selon la Troïka, est la date de la réussite de la transition démocratique (une fête politique), mais selon les autres partis et pour la majorité de la population tunisienne, c’est la date de l’échec. D’où les protestations massives qui ont repris de plus belle contre Ennahda ainsi que contre les terroristes.
Mais une fois encore, les mobilisations du 23 et du 24 contre la Troïka ont été manipulées par les partis politiques en place pour améliorer leurs positions dans le dialogue national, et non pas pour la chute du système et du gouvernement.
Quelle est selon toi la réalité du danger salafiste/djihadiste dans la situation actuelle? Quels sont les rapports de ces groupes avec le parti au pouvoir? Comment expliques-tu la montée de la violence dans la dernière période, et comment les révolutionnaires peuvent–ils face à cette situation?
Quand on parle politiquement du pole islamiste, on parle d’un réseau d’horizon mondial, articulé avec certaines grandes puissances et avec les intérêts du capitalisme mondial, donc je crois qu’il est difficile de distinguer entre les djihadistes et Ennahda, ou même avec le parti salafiste ‘Ettahrir’.
On peut considérer les salafistes comme les milices du gouvernent actuel, qui pratiquent la violence avec des mots d’ordre venus d’Ennahda, contre les militants, contre les syndicalistes…Leur objectif c’est de rester au pouvoir à l’aide de ces milices.
Devant cette situation, je crois que les forces révolutionnaires doivent s’organiser de nouveau, pour continuer le processus dans les régions internes. Devant l’absence des outils et des moyens, cette tâche sera difficile, mais pas impossible.
Quels sont à tes yeux les forces et les limites du rôle joué par l’UGTT dans la crise actuelle?
D’une part la direction de l’UGTT a joué un rôle de secours pour tous les gouvernements transitoires depuis le 14 janvier 2011 jusqu’au 23 octobre 2013, entre autres à travers l’initiative du dialogue national. Actuellement elle fait le compromis avec les patrons (l’UTICA). D’autre part, les militants syndicalistes de base essaient de continuer le processus révolutionnaire.
Quelles sont à ton avis les initiatives à entreprendre à présent pour la poursuite et le succès du mouvement révolutionnaire en Tunisie?
Ce qui se passe en Tunisie et dans le monde arabe est un processus révolutionnaire continu, avec un horizon nationaliste et socialiste contre le capitalisme et le sionisme, mais actuellement on parle dans le processus d’un paradoxe: les « vrais fabricateurs » du processus révolutionnaire sont en-dehors de la scène politique, et les forces contre-révolutionnaires s’attellent au détournement du processus, donc nous sommes face à une révolution trahie.
Les initiatives à entreprendre à présent pour la poursuite et le succès du mouvement révolutionnaire en Tunisie, c’est de continuer le processus avec des garanties concernant l’outil, le programme et le parti révolutionnaire. Sur le plan pratique il faut construire des comités locaux et régionaux pour la lutte.
Quelles leçons/conseils donnerais-tu aux militants socialistes, syndicalistes, révolutionnaires en lutte contre le capitalisme dans d’autres pays?
Les leçons et les conseils qu’on peut tirer du processus révolutionnaire selon mon point de vue c’est:
- De viser le pouvoir dès le début du processus et lutter sur la base de tâches révolutionnaires bien précises. Car beaucoup des forces de gauches et de jeunes révolutionnaires et syndicalistes n’ont pas visé le pouvoir à Tunis, mais ont cru pouvoir pousser vers la réforme du système.
- De s’unifier en tant que forces révolutionnaires contre nos ennemis, et de créer des groupes de lutte avec des moyens qui dépassent la théorie vers la pratique, c’est-à-dire agir sur le terrain jour et nuit.
- De transformer le conflit avec les ennemis dans les mass media, pour créer une opinion publique contre les ennemis
- De trouver un réseau de lutte capable de soutenir les protestations qui dépasse l’horizon national, vers l’international.
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Grèce : un potentiel révolutionnaire, mais un danger contre-révolutionnaire
Ripostons contre la violence fasciste par la mobilisation des masses !
Le 17 septembre, le rappeur et militant de gauche grec Pavlos Fyssas a été tué par des néonazis. L’un des auteurs est membre d’Aube Dorée, cette force d’extrême-droite qui n’a fait que progresser dans les sondages au cours de ces derniers mois et qui se caractérise par une extrême violence raciste et fasciste. Ce meurtre a provoqué une résistance antifasciste massive. Pour peu qu’elle cherche à se saisir du potentiel encore plus grand d’opposition à la politique d’austérité et au système capitaliste (le terreau du développement de l’extrême-droite), de gigantesques pas en avant pourraient alors être faits avec le mouvement des travailleurs. Sans cette approche, le danger néofasciste restera présent.
Article tiré de l’édition d’octobre de Lutte Socialiste
Un potentiel intact pour la lutte ouvrière
Si on en doutait encore, à la mi-septembre, la grève des enseignants a illustré à quel point le potentiel reste grand pour la lutte organisée des travailleurs. Les syndicats avaient préparé une grève de cinq jours à partir du 16 septembre. Dès le premier jour, 90% des enseignants suivaient le mouvement et des manifestations ont eu lieu avec une présence de 30.000 personnes à Athènes et 10.000 à Thessalonique. Enseignants et étudiants ont été rejoints par le personnel d’autres services publics, assurant que l’ampleur des manifestations dépasse toutes les attentes.
Durant le déroulement de cette grève, la Fédération des syndicats des services publics (ADEDY) avait appelé à une grève générale de 48 heures. Cet appel a lui aussi donné lieu à des manifestations de grande envergure, le 18 septembre. La direction syndicale aurait préféré ne rien faire, mais la pression de la base était trop forte, et a poussé à l’action.
La fin de la crise n’est pas encore en vue, seuls pointent à l’horizon encore plus d’austérité et de chômage. La troïka (UE, BCE et FMI) préconise ainsi de réduire de moitié le personnel hospitalier actuel (80.000 travailleurs) en faisant passer le nombre d’hôpitaux du pays de 140 à 80. Et ce carnage social qui s’ajoute aux précédents n’est pas destiné à être le dernier. Les sommets syndicaux ne peuvent pas poursuivre indéfiniment leurs tentatives de freiner ou de stopper les actions, le combat à livrer est bien trop important et sans cesse plus nécessaire.
Le danger de la violence fasciste
La pression des actions du mouvement ouvrier a forcé les néonazis d’Aube Dorée à regarder ce qu’ils pouvaient faire pour consolider leur croissance, et ils savent très bien que chaque cas de violence suscite un intérêt massif. Les militants ont d’abord été préparés à passer à la violence, et ils n’hésitent également pas à la mettre en pratique.
Cela explique pourquoi les groupes de partisans d’Aube Dorée sont de plus audacieux dans leur recours à la violence. Tout d’abord, environ 50 néonazis ont pris pour cible un groupe de 30 militants du KKE (le Parti communiste grec) qui distribuaient des tracts. Neuf membres du KKE se sont retrouvés à l’hôpital. Comme le KKE a toujours refusé de mener une campagne antifasciste sérieuse, il n’y a pas eu de riposte dans l’immédiat, ce qui n’a fait que renforcer la confiance des néonazis. Quelques jours plus tard, cette confiance a conduit au meurtre de Pavlos Fyssas, dans le quartier de Keratsini du Pirée, près d’Athènes. La direction du parti néonazi tente toutefois de se distancer des faits.
Cette violence meurtrière a entraîné d’importantes manifestations antifascistes. Ces derniers mois, un certain nombre de comités antifascistes ont aussi été construits. Malheureusement, ils doivent la plupart du temps travailler sans le soutien ni la participation des principaux partis de gauche, le KKE et Syriza (coalition de la gauche radicale). Syriza a toutefois décidé de s’impliquer dans la résistance antifasciste, mais les mots d’ordre clairs destinés à traduire concrètement ces bonnes intentions se font toujours attendre.
Une réponse du mouvement des travailleurs est nécessaire !
Les manifestations antifascistes massives, l’important soutien aux grèves et aux manifestations syndicales ainsi que le soutien électoral actuel pour les forces de gauche sont autant d’expressions de l’énorme potentiel existant pour le mouvement des travailleurs. Il reste maintenant à clairement saisir ce potentiel pour mener une lutte efficace contre la dictature des marchés et la politique de la troïka orientée vers le renversement du gouvernement et du système capitaliste lui-même. C’est la seule manière d’en finir avec le danger fasciste.
Une grève générale indéterminée est l’arme la plus puissante dont dispose le mouvement ouvrier. Mais cette arme ne doit pas être utilisée à la légère. Sans planification ni préparation adéquate sur les lieux de travail et dans les quartiers, cela peut même ralentir le développement de la lutte.
Un plan d’action peut être élaboré avec une succession de grèves allant crescendo, destinée à construire la participation la plus large et massive possible. Ainsi, une grève générale illimitée jusqu’à la chute du gouvernement disposerait de bases fermes et pourrait poser la question d’une transformation socialiste de la société. Pour cela, il ne faut pas compter sur les sommets syndicaux actuels, mais sur l’organisation des travailleurs du rang.
