Tag: Renault

  • Splintex – il faudra tirer les leçons !

    Entretien avec Gustave Dache. Un point de vue de classe sur le conflit

    Pour rappel, le 2 janvier, les 840 ouvriers de l’usine verrière AGC Automotive (ex-Splintex) à Fleurus apprenaient que la direction de leur entreprise mettait en place un plan de restructuration incluant le licenciement de 284 personnes. Les ouvriers sont alors spontanément entrés en action. Cette grève, qui a duré plus de cent jours, a montré la détermination des travailleurs, mais aussi l’acharnement patronal, aidé par ses laquais que sont la justice, la police et les médias.

    Vincent Devaux

    Cette lutte, par sa durée, la détermination des grévistes et l’intransigeance patronale, a dépassé le cadre de l’entreprise elle-même. Cette grève pose également de nombreuses questions sur le rôle et la stratégie de l’appareil syndical ; comment n’a t’il pas été possible d’obtenir plus avec toute la détermination des grévistes ? L’outil de la grève générale régionale, mis en avant très tôt dans le conflit par Gustave Dache et par le MAS, et relayé par de nombreux ouvriers n’a jamais été utilisé. Au travers de cet entretien avec Gustave, nous voulons poser les premiers jalons de l’analyse du conflit, même s’il est certain que nous y reviendrons plus tard de manière plus approfondie. Nous devrons en effet tirer les leçons de cette grève afin d’apporter des perspectives claires aux prochaines luttes, des outils nécessaires au mouvement ouvrier pour la période à venir.

    Gustave Dache a été un acteur dans le déroulement du conflit. Il a donné dans cette lutte son temps et son énergie pour défendre les ouvriers de Splintex en s’appuyant notamment sur son expérience mais également sur les meilleures traditions du mouvement ouvrier. Par le passé, Gustave a participé activement à la grève de 60-61. A l’époque il était responsable sur le plan local (Gilly) régional et national des Jeunes Gardes Socialistes (JGS) et militant syndical en verrerie (Glaverbel). Par la suite délégué syndical Métal (notamment Caterpillar), Gustave a participé a d’autres conflits, notamment Clabecq.

    Une défaite

    V.D. : Doit-on parler d’une victoire ou d’une défaite?

    G.D. : On doit appeler les choses par leur nom, nous avons affaire à une défaite. Il n’y aurait même qu’un seul licenciement, ce serait une défaite. Maintenant on doit en tirer les conclusions et les responsabilités. Je sais que de plus en plus de responsables syndicaux ont tendance à faire passer une défaite pour une victoire, surtout quand ils sont mis en cause, mais cela n’empêche que nous devons regarder la réalité en face si nous voulons éviter que de semblables défaites ne se répètent à l’avenir. Dans le cas d’AGC-Fleurus, c’est une défaite pour tout le mouvement ouvrier. La combativité des travailleurs d’AGC n’est surtout pas à mettre en cause, au contraire. Elle est digne de la combativité que la classe ouvrière développe depuis de nombreuses années en Belgique, notamment au travers de conflits tels que Renault et Clabecq. Ce n’est pas du côté des travailleurs qu’il faut chercher les causes de cette défaite mais du côté des appareils syndicaux réformistes et des partis politiques dits ‘de gauche’.

    V.D. : Penses-tu que l’Interprofessionnelle a fait tout ce qu’elle devait faire?

    G.D. : Il faudrait d’abord poser la question : qu’est-ce qu’une interprofessionnelle ? A mon avis c’est pour concentrer toutes les forces des différentes centrales pour peser dans tous les conflits. Devant les multinationales, il y a longtemps que le temps du corporatisme est révolu. Ici à Splintex, le conflit à été verrouillé par la centrale générale avec la bienveillance de tout l’appareil syndical, au nom de l’autonomie des centrales, afin que le conflit reste localisé à Fleurus. Et cela malgré la volonté des travailleurs pour l’étendre.

    Grève interprofessionnelle de 24 heures à Charleroi

    V.D. : Alors qu’aurait dû faire l’Interprofessionnelle ?

    G.D. : Les conséquences que pouvait avoir l’issue du conflit sur l’ensemble de la classe ouvrière imposaient de mettre toutes les forces syndicales dans la balance afin de faire le contrepoids à une position patronale intransigeante. Cinq semaines avant la fin du conflit, j’avais proposé 24 heures de grèves à l’Interprofessionnelle à Charleroi afin de créer un rapport de force en faveur des travailleurs. Dans les jours qui ont suivi cette proposition, plusieurs travailleurs de Splintex l’ont également proposées dans les assemblées du personnel d’AGC-Fleurus. Là également, cette proposition a été ignorée par la délégation syndicale. Les 24 heures proposées n’étaient pas une fin en soi mais le début d’actions plus longues.

    Je ne pense pas comme le sous-entendent certains camarades que ces 24 heures de grèves soient « la panacée », mais l’histoire du mouvement ouvrier nous enseigne que les patrons ne comprennent qu’un seul langage, le langage de l’action. Et ces 24 heures devaient être considérées comme un début. Faire une manifestation à Fleurus pour AGC après trois mois de grèves comme une fin en soi avec des remerciements de circonstances donnait l’impression d’un enterrement de première classe.

    V.D. Peux-tu expliquer les conséquences de cette défaite ?

    G.D. Malgré certaines améliorations financières et les prépensions, tout le plan patronal est passé, avec toutes les conséquences pour ceux qui n’ont pas été licencié, par exemple le passage de trois à cinq pauses, les changements de postes. Maintenant il faut mettre en évidence que les ouvriers sont rentrés battu dans l’entreprise et affaiblis par la destruction d’une partie de la base la plus combative et d’une partie des membres de la délégation syndicale, qui doit maintenant continuer à travailler dans un climat difficile. D’autant plus qu’une paix sociale a été signée et doit être respectée et que le nombre de délégués syndicaux a été fortement réduit.

    PS: contre les travailleurs

    V.D. Qu’a fait le PS durant le conflit ?

    G.D. Le PS n’a surtout pas été du côté des travailleurs ; au contraire. Avec le comité d’alerte*, ils s’étaient réuni pour faire libérer le directeur afin qu’il négocie ; mais quand la direction refusait de négocier, le comité n’est pas intervenu pour la contraindre à négocier. Jean-Claude Van Cauwenberg (ministre-président du gouvernement wallon ndlr.) a considéré la grève de Splintex comme une tache noire pour la Wallonie. La ministre de l’emploi et du travail Freya Van Den Bosche a autorisé l’intervention des robocops. La ministre de la justice n’a pas dit un seul mot contre les astreintes. Après toutes ces prises de positions de la part des politiciens du PS on doit considérer qu’ils sont occupés à jouer le rôle de médecin au chevet du capitalisme malade.

    (* Un comité d’alerte dont le but était d’éviter tout conflit spontané été constitué sous l’initiative d’Elio Di Rupo, à l’époque où il était informateur pour la formation du gouvernement. Ce comité est composé du Ministre de l’Economie et de l’Emploi Wallon – J.C. Marcourt- et des représentants syndicaux et patronaux)

    V.D. Qu’elle a été l’attitude de la presse dans ce conflit ?

    G.D. La presse en général a toujours donné des informations tendancieuses, elle a comme d’habitude mis en avant des arguments patronaux, allant jusqu’à noircir les travailleurs. En plus elle a surtout mis en avant la menace de fermeture de l’entreprise et des conséquences que cela pouvait avoir pour une région déjà durement touchée.

    V.D. Alors cette menace de fermeture, était-elle réelle ?

    G.D. Dans touts les conflits importants, cette menace revient toujours, pour peser sur la détermination des travailleurs. Les appareils syndicaux sont vite impressionnés par cet argument qui n’est dans la plupart des cas qu’une menace. Car quand un patron veut fermer, il ne fait pas de menace, il ferme. A Renault, il n’y a pas eu de menaces, ils ont fermé. Si les travailleurs se laissaient impressionner par ces menaces de fermeture, il n’y aurait plus aucune lutte pour empêcher les pertes d’emplois et l’on retournerait cent ans en arrière. Les travailleurs sont toujours disposés à mener la lutte indépendamment de toute menace.

    Eléments pour un syndicalisme de combat

    V.D. Peux-tu donner des éléments pour un syndicalisme de combat ?

    G.D. Tout d’abord, la première chose à faire (dans un conflit ndlr.), c’est l’élection d’un large comité de grève, élu en assemblée générale. Avec comme seul objectif la victoire de la grève. Ce comité doit être composé des travailleurs les plus déterminés, les plus dévoués à leur classe. Il peut y avoir des délégués syndicaux mais ils doivent être très minoritaires.

    Il doit y avoir une assemblée journalière avec un rapport fait à l’ensemble des travailleurs réunis en assemblée générale, qui est la seule instance de décision. Le comité de grève, quand le conflit prend des proportions importantes et qu’il est clair que c’est une question de rapport de force, ne doit pas hésiter à lancer le mot d’ordre d’occupation de l’usine pour ainsi créer un rapport de force en faveur des travailleurs en grève.

  • Le gouvernement sauvé par les directions syndicales

    Le fait que le gouvernement fédéral ait pu imposer l’accord interprofessionnel sans trop de résistance lui enlève une grosse écharde du pied. Mais à présent vient le lourd dossier de la problématique des fins de carrière, les négociations dans les secteurs et évidemment le non-marchand qui continue à agir et à mobiliser pour obtenir ses revendications.

    Bart Vandersteene

    Le gouvernement n’est pas vraiment en bonne santé. Dans tous les sondages, les partis gouvernementaux reculent. Un avenir stable et durable est loin de leur être assuré…Mais pas de soucis, c’est dans le besoin qu’on reconnaît ses amis : la direction syndicale a sorti le grand jeu pour faire passer l’accord interprofessionnel et a ainsi pu dépanner le gouvernement.

    Verhofstadt n’avait pas encore fini sa conférence de presse -où il annonçait que le gouvernement allait appliquer intégralement l’accord interprofessionnel- que le patronat, avec le soutien de quelques ministres, annonçait déjà ses nouvelles attaques.

    Vande Lanotte a présenté un nouveau plan en douze points pour “impulser une nouvelle dynamique à l’Etat-social actif”. Enseignement, formation des travailleurs et transports publics, tels sont les thèmes à l’agenda du gouvernement pour la période à venir. L’essentiel de ce plan, c’est la “modernisation de la législation du travail”, à travers de nouvelles règles sur le travail intérimaire et la résorption du “handicap salarial” avec les pays voisins. Les salaires doivent donc baisser, les travailleurs être encore plus flexibles et leur sécurité revue à la baisse.

    La Fédération des Constructeurs d’Automobiles en Belgique a annonçé que, si les salaires dans le secteur ne baissaient pas de 10 à 12%, l’emploi, après 2010, ne pourra pas être garanti. Et ce malgré les profits monstrueux dans ce secteur en 2004: 3,55 milliards d’euros pour Renault, 716 millions pour Volkswagen. Les patrons veulent faire croire aux travailleurs que rien ne va plus. Pourtant, les entreprises américaines font leurs plus gros profits depuis 75 ans, tandis que les entreprises européennes réalisent les plus beaux chiffres depuis 25 ans. Les patrons et le gouvernement, ministres sociaux-démocrates en tête, chantent et rechantent sans cesse les mêmes refrains. La sécurité sociale: trop chère ; les salaires: trop hauts. On doit tous travailler plus et plus longtemps, etc. Il partent de l’idée que si on répète un mensonge 1000 fois et qu’il n’y a personne pour le contredire, la population va finir par l’avaler.

    On a besoin d’une représentation syndicale qui brise ces mensonges à chaque fois qu’ils montrent leur tête. Une représentation syndicale qui ne fonctionne pas dans la logique néolibérale et qui défende de façon résolue les intérêts des travailleurs. Une nouvelle génération de jeunes, avec le soutien de syndicalistes combatifs, va devoir se battre pour cela. Utilisons la Marche des Jeunes pour l’Emploi comme un premier pas dans cette direction.

  • Ford Genk: Les débrayages contraignent la direction à lâcher du lest

    Les travailleurs de Ford et les délégations syndicales ont obtenu une première victoire. Deux mois plus tôt que prévu la direction a promis sur papier de produire la nouvelle version du modèle Mondeo à Genk. De plus, le 15 novembre une autre décision importante sera prise: la direction de Ford décidera si le modèle Galaxy et le nouveau modèle cross-over seront produits à Genk.

    Eric Byl

    Si ces promesses se concrétisent il y aura, au moins jusqu’en 2012, du boulot pour 5 à 6.000 personnes. Dans la négative, seuls 3.000 à 3.500 postes de travail seront conservés. Naturellement cette victoire n’est que très conditionnelle. Par expérience nous savons que les promesses des capitalistes ne sont pas des garanties, même si elles sont mises sur papier. De plus, rien n’est clair sur le sort des 3.000 travailleurs considérés comme excédentaires et sur les 730 postes de travail déjà perdus chez les sous-traitants.

    Néanmoins il est significatif qu’une multinationale comme Ford soit contrainte à faire des concessions. Sans le blocage pendant trois semaines des pièces importantes et des véhicules produits, Ford n’aurait jamais reculé. La multinationale ne l’admettra pas volontiers, mais le blocage de la production de la Ford Transit à Southampton (Grande-bretagne) faute de pièces en provenance de Genk et la perspective qu’il en aille de même en Turquie ont été décisifs.

    Voilà une première bonne réponse aux “bons conseils” des politiciens qui affirmaient qu’on ne peut rien faire contre une multinationale et qui conseillaient aux travailleurs de ne pas mettre en danger les 6.000 emplois restants par des actions trop musclées. Il savaient pourtant, comme tout le monde à l’entreprise, que les contrats avec les sous-traitants n’étaient valables que jusqu’en 2006 et que sans lutte c’était la fin de Ford Genk après 2006.

    Deux poids, deux mesures

    Celui qui ne paie pas ses factures recevra en général la visite d’un huissier. Si l’on ne paie pas sa voiture ou sa maison, on risque de voir ses biens saisis. Si on est chômeur, on est considéré, après quelque temps, comme un “profiteur social” à sanctionner. Si on n’a pas de papiers? On est considéré comme illégal, on peut être incarcéré et expulsé. Par contre si vous êtes patron et que vous ne respectez ni la convention ni d’autres accords, et que vous privez des milliers de familles de leur revenu, vos biens ne seront pas saisis, vous ne recevrez pas d’amende, vous ne serez pas incarcéré ni expulsé, mais le gouvernement vous offrira en prime une baisse des charges sociales.

    La réponse du gouvernement Verhofstadt face au non respect par Ford des promesses d’investissement est: “Il faut rendre le travail en équipe plus attractif”. Bref, Verhofstadt veut puiser dans les caisses de l’État pour donner aux entreprises, comme Ford, qui détruisent la santé des travailleurs en organisant le travail en équipes. Après cela on accusera les travailleurs de surconsommation médicale pour tenir le rythme de travail.

    Selon Verhofstadt, Ford a une bonne raison de ne pas tenir ses promesses: les coûts salariaux “trop élevés”. Il faut donc les baisser en diminuant les charges salariales. En tenant le même raisonnement, Verhofstadt a-t-il déjà considéré que beaucoup de gens trouvent que leur loyer est trop élevé et que donc une baisse des loyers s’impose?

    Au parlement, une opposition digne de ce nom aurait déjà attaqué le double langage de Verhofstadt. Mais on n’a rien vu de tout cela. Bien que le coût salarial dans une entreprise comme Ford ne représente que 7% des coûts totaux, l’opposition s’est jointe à la majorité pour entonner le refrain de la baisse des charges salariales. Cette rengaine revient sans cesse, alors que le chômage continue de progresser… malgré les baisses répétées des charges salariales.

    Lobbying et manoeuvres politiciennes

    Comme c’est dans le cas lors de toute restructuration importante, on a assisté chez Ford à des manoeuvres politiciennes. Cela n’a encore jamais sauvé une entreprise, mais tout comme à Renault et à la Sabena, l’appareil syndical à placé le lobbying politique au centre de sa stratégie. Une équipe ministérielle a spécialement été constituée pour traîner de ministère en ministère les délégations syndicales. Elles ont même rencontré le ministre-président de la Région flamande Bart Somers.

    Le soutien des politiciens s’est limité à faire de la figuration à la manifestation de soutien à Genk. Un concert gratuit de “solidarité avec les travailleurs” a été organisé par le candidat VLD, Herman Schuurmans, son collègue Chokri Mahassine, candidat SP.a, et sponsorisé par des multinationales “amies” telles que Coca-Cola, Maes Pils et Pizza Hut.

    Ceux qui ont assisté à ce concert à l’issue de la manif du 18/10 se sont probablement demandé ce que cette kermesse au boudin avait à voir avec la lutte des travailleurs de Ford. N’était-ce pas plutôt une campagne publicitaire pour les partis au gouvernement? Il n’est pas surprenant que beaucoup de travailleurs grommelaient: “Nous n’avons pas besoin de musique, mais d’un emploi.”

    A cette manif du 18 octobre, des délégations des partis “démocratiques” s’étaient faites remarquer parmi les nombreuses délégations d’entreprises comme Opel et VW. Avec tant de soutien politique on s’attendrait à plus qu’une déclaration d’impuissance. Cette “impuissance” feinte est un rideau de fumée pour cacher la complicité des partis traditionnels dans les restructurations qui tournent en drames sociaux. Nous ne connaissons évidemment pas tout ce qui se dit dans l’antichambre du pouvoir. Mais il n’est pas exclus que le gouvernement ait été mis au courant, depuis des mois, de la restructuration chez Ford, et n’ait rien dit, comme cela a été le cas pour Renault et la Sabena. La Sûreté de l’État a déclaré qu’elle savait depuis juin que des choses se préparaient chez Ford.

    De la société industrielle à l’économie de la connaissance?

    Dès l’annonce de la restructuration chez Ford, la machine de propagande bourgeoise s’est mise en marche. Des “spécialistes” zélés tels les professeurs Blampain et De Grauwe, ou Hilde Houben-Bertrand (gouverneur du Limbourg) ont claironné que l’ère industrielle en Belgique était révolue et qu’il fallait passer à la “société des services et de la connaissance.”

    Yves Desmet, rédacteur en chef du Morgen et zélé trafiquant d’opium du peuple, résume ainsi: “Il y 40 ans la Flandre était agraire, alors a commencé le cycle industriel qui est maintenant en train de se terminer. A l’époque de la mondialisation un glissement des activités industrielles vers des pays à bas salaires est inévitable. On peut freiner cette évolution mais pas l’empêcher. Conclusion: la lutte pour défendre ces emplois n’a aucun sens. Nous ferions mieux d’investir dans des secteurs d’avenir où nous sommes encore compétitifs avec le reste du monde”.

    Les Desmet, Blampain, De Grauwe… semblent ignorer que le secteur de la recherche, “orienté vers le futur,” à perdu 15.000 emplois l’an dernier. Cette “tendance” s’est prolongée en 2003 avec 22.000 emplois perdus. C’est logique. Quelle entreprise voudrait séparer à moyen terme sa recherche et sa production? Si on ne peut pas garder la production en Belgique, les services et la recherche suivront. Desmet & Co ne doivent pas se faire des illusions: le 21eme siècle n’est plus l’époque coloniale, les pays à bas salaires ont de plus en plus de travailleurs qualifiés. Bientôt Desmet, Blampain et co seront peut-être aussi superflus, pour autant qu’ils ne l’aient pas toujours été.

    Ce que Blampain, De Grauwe et Desmet clament est fortement exagéré. Leurs thèses sont basées sur l’évolution du passé. La délocalisation de secteurs entiers, surtout des secteurs intensifs en main-d’oeuvre, vers des pays à bas salaires a été la règle pendant des dizaines d’années. L’industrie du textile en a le plus souffert.

    Désindustrialisation et délocalisation

    La croissance du marché mondial et la division mondiale du travail ont surtout pesé sur l’industrie lourde. En sera-t-il ainsi au cours des prochaines années?

    La science et la technique ont été développées à un tel niveau que dans tous les secteurs les demandes de capitaux – pour développer de nouvelles machines de plus en plus performantes – sont telles que les coûts salariaux ne représentent plus qu’une faible partie des coûts de production. La présence d’un marché, d’une bonne infrastructure et la stabilité politique deviennent plus importants.

    La mondialisation n’est pas seulement un phénomène économique. C’est d’abord un régime politique – de flexibilité terrible, de libéralisation des anciens services, de démantèlement des contrats de travail, etc. – que les pouvoirs impérialistes veulent imposer au reste du monde. L’essentiel en est que tous les obstacles au marché doivent être éliminés, et cela “dans l’intérêt de tout le monde”. Verhofstadt à expliqué cette fable quand il prétendait qu’il ne fallait pas moins, mais plus de marché libéré de toute contrainte, afin de combattre la pauvreté dans le monde.

    En période de récession économique les obstacles au commerce et les mesures protectionnistes vont se multiplier. Mais en même temps il sera de plus en plus important d’avoir une présence industrielle dans chaque région cruciale du monde. Et l’Europe reste potentiellement le plus grand marché du monde.

    Après la loi Renault, une loi Ford?

    On avance un tas d’arguments pour ne pas construire un rapport de forces. La fermeture de Renault a accouché de la loi Renault qui “oblige” les capitalistes à annoncer d’avance quand ils veulent jeter les travailleurs sur le pavé. Entre-temps l’ancien parlementaire Ecolo, Vincent Decroly, a déposé en mars dernier, en collaboration avec le groupe de travail Démocratie économique d’Attac, une proposition de loi plus sévère. Le MAS ne rejette pas une telle loi, mais il ne faut pas avoir d’illusions. Non seulement parce que les lois peuvent être contournées par les patrons, mais aussi parce qu’elles reflètent inévitablement un rapport de forces à un moment donné. En général ce genre de loi est vidée de son contenu au moment où change le rapport de forces. Decroly et Attac devraient en être conscients.

  • Après une fermeture… Quelle reconversion?

    un témoignage d’André Fontaine, ouvrier chez Renault Vilvorde pendant 25 ans, licencié lors de la fermeture en 1997

    Pour faire avaler plus facilement la fermeture, Renault avait organisé un certain show. D’abord en installant dans les locaux de l’usine de Vilvorde un show-room avec des fauteuils, des téléphones et des piles de journaux à la disposition des travailleurs cherchant un nouvel emploi. De nombreux panneaux reprenaient des offres d’emplois… mais beaucoup d’annonces étaient périmées.

    Renault s’était aussi engagé à reprendre sur le site de Vilvorde 400 travailleurs (au départ c’était même 1.500!): 200 la première année, 100 la suivante, puis encore 100. A l’heure actuelle il n’y en a jamais eu 400. Ces travailleurs font de petits travaux annexes: petits travaux de tôlerie, montage d’échappements ou de pneus sur jantes. Ils ont subi une diminution de salaire, plus de flexibilité et perdu leurs primes.

    Enfin, il y avait la promesse d’aider les travailleurs à retrouver un emploi grâce à une formation. Il faut essayer d’imaginer le choc psychologique subi par des travailleurs occupés chez Renault depuis de nombreuses années et qui doivent tout d’un coup apprendre un nouveau métier. Dans quelle branche? Quel métier? Avec quel salaire? Dans quelles conditions? La plupart n’étaient pas préparés à cela.

    La sélection s’est faite sur base du dossier au service du personnel. Avec un certain arbitraire. Je ne dis pas que n’importe qui peut faire n’importe quoi. Mais ce n’est pas, par exemple, parce qu’on a été soudeur pendant des années que l’on n’est pas capable de faire autre chose. Ensuite certains ont été écartés de certaines formations en raison de critères physiques ou psychologiques. Certains ont été tout de suite orientés, sans la moindre formation, vers des emplois mal payés (plongeurs dans l’Horeca, par exemple) afin de les faire vite disparaître des statistiques et de "prouver" ainsi qu’on pouvait rapidement trouver un autre emploi.

    Avant d’entrer chez Renault, j’avais travaillé comme photograveur dans les arts graphiques. J’ai donc demandé à suivre une formation d’infographiste (mise en page sur ordinateur). J’ai passé une sélection. Puis on nous a envoyés suivre pendant quatre mois une formation dans le privé. Du côté francophone, nous étions une trentaine. On nous a alors dit que cela coûtait trop cher et on nous a incité à poursuivre cette formation au FOREm. Nous avons donc été dispersés: chacun a dû aller s’inscrire au FOREm près de son lieu de domicile. Certains, découragés, ont abandonné. Je me suis en fin de compte retrouvé le seul à poursuivre cette formation pendant deux ans.

    Aux cours organisés par le FOREm, j’ai été étonné de constater que j’étais le seul demandeur d’emploi. Les autres étaient des infographistes qui avaient un emploi et qui étaient envoyés au FOREm par leur employeur pour parfaire, à moindre frais, leur formation sur l’un ou l’autre point. Et en fait le programme de formation était organisé en fonction de leurs besoins. J’ai trouvé cela choquant. Ces travailleurs ont bien sûr droit à des compléments de formation mais leur employeur a les moyens de s’adresser à une firme privée. Le FOREm devrait s’adresser en priorité aux sans emplois. D’autant plus que la formation est aussi financée avec l’argent des chômeurs qui paient des impôts.

    Il était prévu, en fin de formation, de faire un stage de trois mois en entreprise. Mais le FOREm m’a signifié que j’étais trop âgé (plus de 50 ans), que le marché était saturé et que cela n’avait plus de sens de continuer ma formation. Je suppose que depuis le début ils avaient quand même dû lire ma date de naissance dans mon dossier!

    J’ai tenté en vain de terminer les cours à l’ORBEm (Bruxelles) mais le transfert de mon dossier du FOREm vers l’ORBEm (j’habite dans le Brabant wallon) a été refusé. On m’a donc traîné en longueur pendant des années pour finalement me laisser sur une voie de garage.

    Propos recueillis par Guy Van Sinoy

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