Tag: Mai 68

  • “1968 – L’année qui n’en finit pas” (Paul Goossens)

    Ce livre est sorti au beau milieu de la tentative de la N-VA de revendiquer le mouvement ‘Leuven Vlaams’, 50 ans après les faits. L’auteur, Paul Goossens, fut à la tête du mouvement ‘Leuven Vlaams’ et plus tard rédacteur en chef du quotidien ‘De Morgen’. Il est le seul à recevoir un forum dans les médias flamands pour répondre à la N-VA. En décrivant le mouvement et le rôle que le Mouvement Flamand (dont la N-VA est l’héritière) n’a pas joué, Goossens va à l’encontre de la falsification historique de Bart De Wever.

    Par Anja Deschoemacker

    Goossens montre à quel point le slogan ‘‘Walen Buiten’’ (les Wallons dehors) – systématiquement utilisé dans la presse francophone pour décrire le mouvement ‘Leuven Vlaams’ – était celui de la première phase, non massive, de la lutte. Cette dernière était à ce moment-là dominée par les étudiants et les professeurs nationalistes flamands ‘‘folkloriques’’. Ce slogan a été mis de côté par le mouvement et activement combattu pour ne plus apparaître que sporadiquement dès 1967.

    Les conclusions du livre à propos de l’héritage de Mai 68 sont toutefois très limitées et – c’en est presque pénible – restent cantonnées au sein du cadre capitaliste. De plus, c’est un livre de type journalistique, pas un manifeste politique. L’écrivain est à son apogée lorsqu’il décrit avec animation comment, pour les étudiants, il était question de bien plus que d’exigences linguistiques, qu’il s’agissait, au contraire, d’une volonté de changement social profond. À ce sujet, un reportage de 2008 de la RTBF comprenant des interviews détaillés de Paul Goossens vaut également la peine. Malheureusement, la conclusion implicite semble être que cet appel au changement social était naïf et utopique.
    Tandis que Ludo Martens créait avec la majorité des dirigeants du SVB (syndicat étudiant) le parti Amada, un groupe maoïste sectaire qui deviendra plus tard le PTB, Paul Goossens s’est éloigné des idées socialistes qu’il considère comme appartenant à l’idéologie totalitaire du siècle dernier. Le socialisme se limite à ses yeux à l’Union soviétique stalinienne bureaucratisée ou à la Chine. Cela fait de lui un réformiste obstiné, avec toutes les limitations qui en découlent.

    Son évaluation du mouvement ‘Leuven Vlaams’ et de Mai 68 se limite donc à l’idée qu’il s’agissait d’un dernier soubresaut des Lumières. Il entretient l’illusion que la véritable ‘égalité, liberté et solidarité’ serait possible sans un changement fondamental de la société, sans une révolution socialiste. Paul Goossens ne le dit pas explicitement mais, en insérant Mai 68 dans le cadre des Lumières, il reste expressément dans le carcan du capitalisme. Il s’en tient à un combat pour un capitalisme démocratique. Nous pensons au contraire que la révolte massive des années 1960 qui a duré jusqu’au milieu des années 1970 faisait partie de la lutte pour le socialisme.

    C’est un mouvement qui diffère fondamentalement des vagues révolutionnaires précédentes (la Révolution russe, allemande ou espagnole, la grève générale insurrectionnelle de ‘60 -’61 en Belgique,…) en ce sens que les partis dominants de la classe ouvrière – aussi bien la social-démocratie que les partis communistes – n’avaient aucun contrôle sur le mouvement et s’y opposaient largement. La critique de ces partis par les étudiants en révolte fut donc vive, entre autres à propos de leur rôle dans le colonialisme et leur attachement aux États-Unis (dans le cas de la social-démocratie).

    L’absence totale d’orientation donnée par les organisations ouvrières établies (le PSB, les syndicats et le Mouvement ouvrier chrétien) participe à expliquer que les idées des militants étudiants allaient alors dans tous les sens. La manière spécifique dont la révolution coloniale s’est déroulée, le développement de la méthode de guérilla, la Révolution culturelle en Chine,… tous ces courants avaient un attrait pour les jeunes de gauche. Amada (qui deviendra plus tard le PTB) fut l’expression organisationnelle la plus importante de Mai ‘68 en Flandre, bien qu’Agalev (l’ancêtre de Groen) puisse également être considéré comme une pousse plus tardive du mouvement.

    Paul Goossens n’aborde pas la position des partis révolutionnaires de l’époque, aussi mal préparés que les étudiants et bercés d’illusions vis-à-vis de Tito, Mao et Castro. Ils avaient perdu leur orientation vers la classe ouvrière de leur propre pays. Cela ressort également de l’article du ‘Solidair’(1) dans lequel Herwig Lerouge, ayant fait partie du groupe d’origine autour de Ludo Martens et Paul Goossens à la tête du SVB, décrit le mouvement ‘Leuven Vlaams’. Le lecteur intéressé peut en savoir plus à ce sujet grâce au livre d’Eric Byl ‘‘Le PTB et le PSL, différences et points de rencontre possibles dans la construction d’une alternative politique.’’

    Beaucoup de remarques donc, mais l’ouvrage permet d’appréhender ce qui s’est passé à l’époque et de s’armer pour contrer les tentatives de récupérations des événements par la N-VA. Mais, pour des leçons plus poussées, il faut chercher ailleurs.

    (1) Solidair (version néerlandophone du magazine du PTB) : “Mei ’68 – De Commune van Leuven, Solidair, mai-juin 2018.

  • ‘‘1968 – De grands soirs en petits matins’’ (Ludivine Bantigny)

    Au lendemain de Mai 1968, une floraison inégalée de livres consacrés à l’explosion révolutionnaire qui venait de secouer la France a vu le jour. Inutile de dire que les ouvrages publiés étaient de qualité très inégale. Les 50 ans de Mai 68 donnent en ce moment lieu à une nouvelle floraison (quantitativement plus restreinte qu’en 1968) d’ouvrages consacrés à l’événement. Mais enfin, on ne peut pas tout lire. Et encore moins tout acheter !

    Par Guy Van Sinoy

    Un ouvrage récent qui éclaire Mai 68

    Le récent livre de l’historienne (Université de Rouen) Ludivine Bantigny mérite qu’on s’y arrête. Car il permet de comprendre les ressorts des luttes, des espoirs et des émotions portées par la France de Mai 68 (ouvriers, étudiants, lycéens, paysans, militants, mais aussi artistes, artisans, femmes et hommes).

    L’ouvrage s’attache au vif des événements, à leur diversité et à leurs pratiques, plus qu’aux discours des porte-parole souvent autoproclamés : les signes annonciateurs au cours de l’année 1967, les grèves et occupations, les conflits au sein et entre appareils syndicaux, les hésitations et le vacillement du pouvoir, les hôtesses de l’air qui manifestent pour revendiquer la suppression de leur mise à la retraite automatique et discriminatoire à l’âge de 40 ans.

    Grèves spontanées, occupations d’usines et subversion

    Cinquante ans après, les premières images qui viennent à l’esprit quand on évoque Mai 68 sont les barricades du Quartier latin et les batailles de rue entre étudiants et CRS. Mais à partir du 13 mai, c’est une autre paire de manches pour la bourgeoisie car la classe ouvrière entre en action et le pouvoir, médusé, doit subir l’action conjuguée des étudiants et des travailleurs entraînant dans leur révolte d’autres couches de la population (paysans, taxis, artistes, footballeurs, etc.) vers la plus grande grève générale que la France ait jamais connue.

    Les étudiants de Nanterre avaient inauguré la subversion en occupant les locaux universitaires et en affichant les portraits du Che ou de Hô Chi Minh. Mais les grèves avec occupation représentent la subversion dans les usines. Les 500 à 600 jeunes ouvriers de Renault Cléon après avoir parcouru les ateliers, drapeau rouge en tête, pour mettre toute l’usine à l’arrêt, montent ensuite occuper les bureaux de la direction. Ils ne se contenteront pas d’une augmentation de quelques centimes car c’est la question de l’autorité et du pouvoir dans l’usine qui est posée. De leur côté, les ouvriers de Sud-Aviation, près de Nantes, qui retiendront la direction dans les bureaux pendant près de deux semaines diront simplement que la direction est en « garde à vue ».

    Chez Massey-Fergusson l’entrée en grève s’accompagne d’un incendie volontaire : le feu est mis au fichier de renseignements établi par la direction. Chez Berliet, les ouvriers détachent de la façade, une à une, les lettres (BERLIET) qui composent le nom de l’entreprise pour les remplacer par le mot (LIBERTE).

    CGT et PCF : manœuvres pour arrêter la grève

    Les directions syndicales, et en particulier la CGT (majoritaire) vont voir d’un très mauvais œil cette éruption sociale qu’elles ne contrôlent pas. Les premiers jours passés, la CGT va encourager l’élargissement du mouvement de grève pour mieux l’accompagner, tenter de le contrôler et, à partir du mois de juin, tout faire pour l’arrêter.

    Les négociations de Grenelle (entre représentants du gouvernement, du patronat et des syndicats) destinées trouver un point de chute pour tenter de mettre un terme à la grève générale, débouchent sur un ‘‘protocole d’accord’’ (notamment 10% de hausse de salaire). Mais c’est un camouflet pour les négociateurs car les travailleurs de Renault Billancourt (la plus grande usine en 1968) le rejettent en assemblée générale le 27 mai. La grève continue !

    Le 29 mai la CGT rassemble 90.000 manifestants à Paris aux cris de ‘‘Gouvernement populaire !’’ Il s’agit non seulement de poser la question du pouvoir, mais surtout de réaffirmer la puissance de la CGT et d’écarter toute tentative de mettre sur pied un comité central de grève susceptible de constituer une direction alternative de la lutte.

    Joies, pleurs, espoirs

    Mai 68, c’est aussi la joie de lutter. C’est le dessinateur Siné qui écrit le 11 mai : ‘‘Tout à coup, je ne me suis plus senti seul dans un monde hostile. J’étais avec mes frères, mes potes. On riait, on chantait, on gueulait «CRS-SS!». J’étais heureux, les yeux bourrés de gaz lacrymogènes, le costume détrempé par les autopompes, un lacet cassé, mon carnet de chèque perdu au cours d’une course avec les bandits de l’ordre à mes trousses.’’

    C’est cet ouvrier qui raconte le bonheur qu’il ressent : ‘‘Quand je vais dans une petite boîte qui n’a pas de syndicat et qui demande notre aide, qu’on les fait débrayer, puis qu’on voit les gars s’organiser, qu’ils mettent tout en œuvre, qu’ils créent un syndicat, un comité de grève, ben je t’assure, j’ai le cœur qui déborde de joie !’’

    C’est aussi cette ouvrière combative de chez Wonder , harcelée par les responsables locaux de la CGT qui l’exhortent de reprendre le travail, qui s’écrie: ‘‘Non, je ne rentrerai pas, je ne remettrai plus les pieds dans cette taule ! Rentrez-y vous allez voir quel bordel c’est. On est dégueulasses jusqu’à là, on est toutes noires… On n‘a même pas d’eau chaude pour se laver !’’

    Et ces deux étudiantes qui organisent le 6 juin dans la Sorbonne occupée un débat autour du thème ‘‘Les femmes et la révolution’’ et qui affichent :

    ‘‘Étudiant qui remets tout en question
    Les rapports de l’élève au maître ;
    As-tu pensé aussi à remettre en question
    Les rapports de l’homme et de la femme ?
    Étudiante qui participe à la révolution,
    Ne sois pas dupée une fois de plus,
    Ne suis pas seulement les autres,
    Définis tes propres revendications !’’

    Partager l’expérience, l’ambiance et les émotions

    L’objectif ce de livre n’est pas de nous ‘‘raconter’’ Mai 68, mais de nous faire partager l’expérience, l’ambiance et l’émotion de ce formidable mois de Mai qui nous fait rêver et nous convainc ‘‘qu’à la prochaine occasion on remettra ça, mais en mieux !’’

    1968, De grands soirs en petits matins, Ludivine Bantigny, (Ed du Seuil, Paris, 2018, 362 p., 25€).

  • Leuven Vlaams : Une révolte étudiante anti-autoritaire parachève l’émancipation flamande

    Kroon, Ron / Anefo – Collection Anefo. Archives nationales, Den Haag, n°2.24.01.05, 921-0003. (Prise à partir de Wikipedia)

    A l’occasion du cinquantenaire de Mai 68, nous trouvons intéressant de revenir sur la lutte étudiante de masse pour la scission linguistique de l’Université de Louvain. Aujourd’hui, 50 ans plus tard, la N-VA veut reprendre à son compte le ‘‘Leuven Vlaams’’. Si l’on considère l’affaire de Louvain uniquement comme la dernière mobilisation de masse pour l’émancipation flamande – sans faire de lien avec la vague de protestation mondiale de la jeunesse autour de ‘‘Mai 68’’ – on ne peut pas comprendre pourquoi cette prétention de la N-VA est si étrangère aux leaders étudiants de l’époque.

    Par Anja Deschoemacker

    A l’image de nombreux soixante-huitards, le journaliste progressiste Paul Goossens comporte une bonne dose de cynisme en lui, alimentée par la déception qui a suivi ce combat. Mais le leader du Studentenvakbond (scission de gauche du syndicat estudiantin catholique KVHV) reste l’un des derniers témoins qui a participé aux événements du Leuven Vlaams en première ligne. Et il a la justesse d’affirmer que la N-VA falsifie l’histoire du mouvement.

    Bart De Wever a déjà exprimé à plusieurs reprises son aversion pour le mouvement de mai 68. Il veut en liquider l’héritage qui se réduit, à ses yeux, à un ‘‘nihilisme identitaire’’ où ‘‘toute autorité et tradition’’ a été effacée ‘‘pour faire place à l’individu’’. (HLN, 24/02/2018).

    Il se garde bien de préciser que cet élément important de l’émancipation flamande, la fermeture de la section francophone élitiste francophone de l’université de Louvain, a précisément été obtenue par une lutte dirigée par de jeunes anticapitalistes tels que Ludo Martens, également connu comme le fondateur de ce qui est aujourd’hui le PTB, et Paul Goossens. Eux seuls – avec leurs idées anti-autoritaires caractéristiques de la génération de mai 68 – ont pu mobiliser le nombre nécessaire à la réalisation de cette revendication flamande.

    Ils l’ont fait en développant leur lutte en toute indépendance du mouvement flamand de l’époque et même à l’encontre de sa direction. Lorsque la lutte est entrée dans sa phase de masse en 1966, le slogan ‘‘Walen buiten’’ (les Wallons dehors) a disparu à l’arrière-plan pour être remplacé par ‘‘Leuven Vlaams’’ et ‘‘Bourgeois buiten’’ (les bourgeois dehors) ou même ‘‘Revolutie’’. Un personnage tel que Bart De Wever n’a rien à voir avec cette tradition, il est l’héritier de l’aile droite conservatrice de l’ancienne Volksunie, qui soutenait la revendication de la flamandisation de l’Université de Louvain, mais qui s’est révélée incapable de construire le mouvement pour y parvenir.

    Cette lutte réunissait tous les éléments nécessaires à un ‘‘mai 68’’ flamand :

    • La démocratisation de l’enseignement, pour des universités populaires, accessibles à tous. Ils n’ont d’ailleurs pas seulement revendiqué de disposer d’une université où les travailleurs flamands pourraient envoyer leurs enfants, mais aussi la création d’une université en Wallonie dont l’accès ne serait pas limité à la couche privilégiée des étudiants francophones de Louvain. Ils voulaient que ces universités fonctionnent démocratiquement, sans direction bureaucratique et élitiste. C’est tout l’inverse de la vision élitiste de l’enseignement de De Wever.
    • Le rejet de la morale dominante et du rôle réactionnaire de l’Église catholique. Le mouvement ne s’est vraiment développé qu’après le 13 mai 1966, quand les évêques ont signifié qu’ils ne voulaient pas entendre parler de scission de l’université. Les évêques voulaient protéger le CVP-PSC et mettre fin aux divisions croissantes au sein du parti. La résistance massive et soutenue des étudiants de Louvain a fait voler ce scénario en éclats : le gouvernement est tombé et les chrétiens-démocrates belges se sont scindés en deux ailes, flamande et francophone, en 1969.
    • La recherche d’un lien avec le mouvement ouvrier et une orientation politique qui, en dépit d’une très grande diversité, était clairement de gauche. Ce lien avec la classe ouvrière ne sera pas établi en Belgique en 68, contrairement à la France. La gauche politique, surtout le PS, ne s’intéressait pas à la révolte des étudiants, la direction syndicale était liée à ses partis. Les étudiants ont exprimé leur soutien à la résistance des travailleurs, mais n’ont pas réussi à susciter l’enthousiasme. Leurs revendications et slogans étaient peut-être anticapitalistes, mais ils n’avaient aucune approche transitoire, aucune idée de la manière dont ces idées pouvaient être réalisées. A Louvain, comme en France, la lutte a pris fin parce qu’aucune force politique de gauche n’était capable ou disposée à lui donner une direction politique.

    La direction du mouvement flamand de l’époque (la Volksunie, le parti dont la N-VA est issue) était horrifiée par cette résistance radicale à ‘‘toute autorité et tradition’’. Tout comme De Wever. Les nationalistes flamands revendiquent le Leuven Vlaams puisque de nombreux dirigeants d’origine ont disparu de la scène politique et/ou médiatique. Ici comme sur d’autres thèmes, De Wever l’historien veut contrôler l’histoire. A l’occasion du 50e anniversaire de mai 68, mettons également Leuven Vlaams sous les feux de la rampe et rendons justice au mouvement en contrant la falsification historique de De Wever.

  • 22 Mai 68 : Occupation du siège de la Fédération française de football

    Photo : ‘‘LE FOOTBALL AUX FOOTBALLEURS !’’ Banderole déployée sur la façade du siège de la Fédération française de football, le 22 mai 1968. Plus haut, une autre proclamait : ‘‘LA FÉDÉRATION PROPRIÉTÉ DES 600.000 FOOTBALLEURS’’

    Pour un autre football

    Il y a 50 ans jour pour jour, le 22 mai 1968, débutait l’occupation du siège de la Fédération française de football (FFF). Durant 6 jours, la FFF est devenue l’agora de discussion sur la manière dont le football devrait être géré et joué. Petit retour sur cet épisode méconnu qui exprime une nouvelle fois le caractère généralisé de ce mois de révolution, ainsi que la nécessité de penser autrement ce sport planétaire en proie, déjà à l’époque, à une crise existentielle.

    Par Stéphane Delcros

    L’explosion des contradictions sociétales et footballistiques

    Le début des années 60 a marqué un tournant dans le monde du football professionnel, engagé sur une voie qui allait aiguiser ses contradictions. Sous les coups de boutoir de la montée en puissance des intérêts financiers, un secteur fortuné est en train de se créer, déjà à l’époque, même si bien loin de la situation actuelle. La France, bien qu’en retard sur ces développements, connaissait la même tendance, doublée d’un archaïsme dans l’organisation du football professionnel et amateur.

    Comme un peu partout, la richesse arrivant n’était accessible qu’à une poignée de gens, principalement les dirigeants des grands clubs et fédérations. Les plus grandes stars de l’époque touchaient à peine plus que le salaire minimum. Et, surtout, les joueurs professionnels étaient privés de ‘liberté’. Le footballeur devait signer un ‘contrat à vie’ (jusqu’à ses 35 ans) avec son club. Celui-ci pouvait alors décider de tout, du transfert vers un autre club à la baisse unilatérale du salaire. Triple vainqueur de la Coupe d’Europe des clubs champions avec le Real Madrid, l’international français Raymond Kopa, l’une des grandes gloires de l’époque, assimilera en 1963 les joueurs pros à ‘‘des esclaves’’ ; il écopera pour la peine d’une suspension de 6 mois. D’autres mesures privatives existaient aussi : la pratique du football était à l’époque limitée à huit mois sur l’année (octobre-mai), et la ‘Licence B’ limitait fortement les transferts dans le football amateur, car elle interdisait à un joueur transféré de jouer dans l’équipe première de son nouveau club durant la première année de son transfert.

    Comme le souligne Mickaël Correia, dans Une histoire populaire du football (La découverte, 2018), certains acteurs du monde du football luttaient déjà depuis des années contre les instances autoritaires et leur politique, pour davantage de démocratie et de liberté. C’est le cas du magazine footballistique contestataire Le Miroir du football, affilié au Parti Communiste mais dont l’équipe de rédacteurs n’est pas membre et peut se permettre une certaine liberté.

    Rendre ‘le football aux footballeurs’

    Galvanisés par l’atmosphère révolutionnaire régnant alors, le 22 mai 1968, quelques dizaines de footballeurs amateurs emmenés par des journalistes du Miroir du football et son rédacteur en chef François Thébaud investissent pacifiquement le siège de la FFF à Paris. Deux joueurs professionnels les rejoindront : André Merelle et Michel Oriot, du Red Star FC (alors en Division 1 ; aujourd’hui tout frais champion de National, donc en Ligue 2 pour 2018-19).

    Le personnel est libéré, l’entrée est barricadée, un drapeau rouge et hissé et des banderoles déployés sur la façade. Un comité d’occupation est mis sur pieds et un tract-programme publié, dont l’introduction annonçait : ‘‘LE FOOTBALL AUX FOOTBALLEURS! Footballeurs appartenant à divers clubs de la région parisienne, nous avons décidé d’occuper aujourd’hui le siège de la Fédération Française de Football. Comme les ouvriers occupent leurs usines. Comme les étudiants occupent leurs facultés. POURQUOI ? Pour rendre aux 600.000 footballeurs français et à leurs millions d’amis ce qui leur appartient : le football dont les pontifes de la Fédération les ont expropriés pour servir leurs intérêts égoïstes de profiteurs du sport.’’

    Comme expliqué ci-dessus, c’est le manque de considération et l’appel à davantage de libertés pour les joueurs qui était surtout revendiqué par les contestataires, contre la mainmise des dirigeants servants leurs propres intérêts, ‘‘les pontifes’’. Cela, à côté d’autres sujets, comme le manque de terrains pour pratiquer le sport : en région parisienne, il existait alors en moyenne un terrain pour quatre clubs.

    Un espace de discussions sur le football et la société

    Durant les 6 jours d’occupation, les locaux du 60bis Avenue d’Iéna ont servis de véritable agora, imbriquée dans la contestation globale du mois de mai 1968. Tout le monde, lié ou pas au monde sportif, était invité à rejoindre le siège de la FFF. Ils ne seront pas très nombreux, vu l’ampleur de la contestation dans la société en ces jours de fin mai et l’éloignement géographique (le siège de la FFF se situait dans le 16ème arrondissement, quartier riche isolé de l’épicentre des évènements révolutionnaires). Mais des joueurs et des clubs d’un peu partout viendront prendre part à l’une ou l’autre journée d’occupation. L’ensemble des maux de la société et leurs conséquences sur la pratique du football pouvaient y être discutés, et des solutions proposées. C’était aussi un lieu de discussion sur les tactiques terrain, sur l’univers du et autour du football. Quelques journées riches d’échange, de celles qui font penser qu’en quelques jours, l’on vient de vivre dix années d’expérience.

    Il y sera largement discuté de la déformation du sport qu’insufflait alors l’introduction de capitaux, avec ‘rendement’ et ‘résultat’ comme objectif premier, loin devant l’idée du sport pour le beau jeu et le plaisir. Depuis quelques années, le jeu qualitatif et esthétique tourné vers l’offensive était remplacé par un jeu efficace assurant le résultat final, selon les désirs des sociétés commerciales et équipementiers.

    Les organes de presse traditionnels verront bien sûr d’un très mauvais œil cette occupation et ces revendications. Des journaux spécialisés L’Equipe et France Football, très conservateurs, qui désirent que le football reste ‘apolitique’, au journal du Parti Communiste L’Humanité, qui y verra, comme beaucoup d’évènements de ce mois révolutionnaire, une aventure de gauchistes sur un sujet secondaire.

    Un tournant pour l’organisation du football

    Cet épisode n’aura certes pas révolutionné le football. Mais s’il est aujourd’hui très peu évoqué (consciemment, bien sûr), il a tout de même constitué un tournant pour le football en France et ailleurs. Dans les mois qui suivirent, la ‘‘Licence B’’, la saison de huit mois et le ‘contrat à vie’ seront abrogés, et davantage de représentation au sein des instances dirigeantes. L’occupation de la FFF n’a bien sûr pas en soi réussi à imposer ces mesures ; c’est l’ensemble de l’évolution de la société née de la contestation qui le permettra. Mais ces quelques jours ont constitué le socle d’une certaine idée du football. Elles auront certainement joué aussi un rôle dans le déclenchement de grèves de footballeurs dans les années qui suive, comme celle de décembre 1972, à nouveau contre des mesures restrictives de la part de la FFF, restée largement autoritaire et partisane du culte de la victoire.

    Et par exemple, par la suite, de nombreux clubs de football vont se saisir des éléments de ce socle pour (ré-) inventer leur jeu. Des clubs fonctionnant en collectifs plus-ou-moins autogérés et pratiquant un jeu de mouvement, promouvant le style avant le résultat (1). Dans les années 70, en France, certains de ces clubs, et des joueurs, éducateurs et journalistes formèrent le Mouvement Football Progrès (MPF), qui mènera une partie de la fronde à venir contre la FFF.

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    En 1968, le vent de la révolution a soufflé bien davantage que seulement en France. Et dans les années qui suivront, c’est partout dans le monde que des initiatives comme celles-ci seront prises pour ‘un autre football’. C’est sans doute l’expérience de la ‘Démocratie corinthiane’ au Brésil qui est aujourd’hui la plus connue, parce qu’aussi la plus aboutie. Au début des années 80, en pleine dictature militaire, le SC Corinthians Paulista sera géré collectivement par ses joueurs, emmenés notamment par l’international brésilien Sócrates. Jusqu’à la chute de la dictature, ils multiplieront les actions de contestation contre cette dernière et les dirigeants de clubs à sa solde. Sur le terrain et aux entrainements, ce sont les footballeurs qui décidaient démocratiquement de tous les aspects : nomination des entraineurs, recrutements, préparation de matches,… devenant ainsi le symbole, au niveau du football, de ce qui pouvait être fait dans l’ensemble de la société.

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    Aujourd’hui ? Dénoncer les salaires mirobolants, défendre la pratique du football pour tous

    Aujourd’hui, il est vrai que de nombreux footballeurs ont accès à des salaires et primes mirobolantes, à des années-lumière des salaires moyens de travailleurs. Une telle situation est affligeante, et répugnante pour de nombreux footballeurs et supporters, ainsi que pour de nombreuses personnes qui se détournent du football en particulier pour cette raison. Même s’il est important de ne pas s’en prendre aux footballeurs concernés en tant que tel, il est absolument nécessaire de dénoncer cette dérive exponentielle, et de chercher des moyens pour changer ce système.

    Mais l’immense majorité des footballeurs, y compris professionnels, n’a pas accès à cet imposant magot. Le syndicat international de footballeurs FIFPro a ainsi publié fin 2016 son ‘Rapport mondial sur l’emploi 2016’(2). Dans cette enquête inédite réalisée auprès de 14.000 joueurs professionnels de 54 pays et 87 ligues, il est rapporté que les footballeurs super-riches (720.000 dollars par an) ne représentent que 2% de la profession. Le salaire mensuel net moyen dans le monde se situe entre 1.000 et 2.000 dollars. Et 45% des footballeurs gagnent moins de 1.000 dollars par mois, 21% gagnent moins de 300 dollars. L’enquête dévoile aussi que 41% des footballeurs disent avoir reçu leur salaire avec un retard au cours des deux dernières saisons. Ne jamais se fier à la partie émergée de l’iceberg…

    Une grande partie du football professionnel souffre donc. Lorsque des subsides publics sont investis, c’est le plus souvent en faveur des plus grands clubs, ceux-là même qui attirent (aussi) les plus gros sponsors privés et le magot des droits de diffusion par les chaines télévisées. La situation que vivent de nombreux clubs est parfois intenable. Les faillites emportent avec elles sont lot de joueurs, d’employés, de bénévoles et de supporters. La crise économique est bien sûr passée par là, et avec elle la politique d’austérité brutale qui diminue voire supprime de nombreux subsides et font réfléchir à deux fois les éventuels sponsors privés avant d’investir dans un club petit ou moyen. La concurrence avec les plus hauts budgets est alors impossible. Et la situation est bien sûr encore plus compliquée dans le football amateur. Beaucoup de clubs, ici aussi, ne disposent même pas de l’argent suffisant pour acheter un défibrillateur…

    Revendiquons notre sport !

    Le culte de la victoire, celui du résultat avant le style, dénoncé par les occupants de Mai 68 n’a pas disparu ; les problèmes que rencontrent la plupart des joueurs de football non plus. Le monde du football est davantage encore devenu le reflet amplifié des maux liés à la société capitaliste qui organise nos vies.

    Il ne sert pas à grand-chose d’être nostalgique du ‘football d’avant’ ; ce n’est pas le paradis du football qui existait avant les années ’60. Il est par contre important de se battre contre la tendance actuelle, et pour un vrai football ‘moderne’, qui nous appartienne à nous, footballeurs, supporters, bénévoles et employés des clubs et du secteur. Pour que ceux qui connaissent et vivent ces problèmes décident de ce qui est nécessaire pour la pratique de leur sport.

    Mais le football n’existe pas en tant qu’entité isolée dans la société, comme l’ont bien souligné les occupants de la FFF en Mai 68. Tenter de changer la manière dont le sport est organisé et son orientation future ne se fait pas seulement entre pratiquants et fans. On sait comment, dans cette société, la moindre avancée progressiste peut vite être supprimée par les élites si la socle économique et idéologique de la société n’est pas lui-même modifié. C’est l’ensemble de la société qui doit être changée : mettre à bas ce système capitaliste qui transforme tout en produit et qui introduit l’individualisme comme règle de vie là où ce sont les gestions et décisions collectives qui sont les plus à même de répondre aux besoins de tous.

    Notes
    (1) A propos de l’expérience du Stade Lamballais, lire : ‘‘Lamballe au centre’’, So foot, Mai 2018, p86-89.
    (2) Le Rapport mondial sur l’emploi 2016, 29 novembre 2016, https://www.fifpro.org/actualites/la-plus-grande-enquete-jamais-menee-sur-le-football/fr/
    (+) Pour en savoir plus sur ce sujet, lire : Les enragés du football, Faouzi Mahjoub, Alain Leiblang, François-René Simon, Calmann-Lévy, 2008.
    (+) Sur ce sujet et beaucoup d’autres, lire l’excellent : Une histoire populaire du football, Mickaël Correia, La Découverte, 2018.

  • Mai 1968 en France : un mois de révolution

    En France, le programme pro-patronal d’Emmanuel Macron provoque aujourd’hui des manifestations massives d’étudiants et de travailleurs. Les événements survenus il y a cinquante ans reviennent inévitablement en mémoire. Les nouvelles générations seront-elles capables de remplir la tâche de changer la société française en une société socialiste ?

    Dossier de Clare Doyle

    Il n’est pas exagéré de dire que la situation qui s’est développée au mois de mai 1968 en France a rendu très réelle la perspective d’une révolution socialiste dans un pays européen industriellement développé. La victoire de la classe ouvrière française aurait pu entrainer l’effondrement des gouvernements capitalistes de toute l’Europe à la manière de dominos. En Belgique aussi se sont fait ressentir les effets de la lutte des classes faisant rage en France.

    Comment tout a commencé

    Après la Seconde Guerre mondiale, la production industrielle a rapidement augmenté en France, en Italie et ailleurs en Europe. Mais les travailleurs vivaient dans des bidonvilles et gagnaient des salaires qui ne leur permettaient pas d’acheter les autos, les machines à laver, les réfrigérateurs et les cuisinières qu’ils produisaient. En France, la Ve République instaurée par le général de Gaulle en 1958 reposait sur un ‘‘État fort’’ qui avait – et a toujours – le pouvoir bonapartiste de dissoudre le Parlement lorsque le président l’estime nécessaire et de faire descendre les troupes dans la rue.

    Parmi les étudiants, la colère grondait face aux salles de cours surpeuplées, aux logements étudiants non-mixtes, à la guerre du Vietnam et à l’apartheid en Afrique du Sud. Les universités vivaient au rythme des sit-in et des débats tenus jours et nuits. Actions et manifestations déferlaient dans les rues, brutalement réprimées par les forces de l’État, dont les CRS si détestés. Des campus universitaires ont été fermés et certains dirigeants étudiants traduits en justice et emprisonnés. Des centaines de personnes ont été arrêtées et des milliers blessées par la répression violente.

    L’élite dirigeante, particulièrement le gouvernement, était divisé quant à savoir s’il fallait poursuivre la répression ou au contraire accorder quelques concessions. C’est là une caractéristique typique du développement de toute situation révolutionnaire. À Paris, au début du mois de mai, les concessions ont enhardi les étudiants. Le nombre de manifestations allait croissant, de même que celui des blessés, avec un soutien toujours plus large.

    Les syndicats ont alors commencé à organiser des manifestations de solidarité à l’extérieur de la capitale. Dans des centaines de lycées, les élèves se sont mis en grève et ont occupé leurs écoles. De jeunes travailleurs ont commencé à rejoindre les batailles de rue : ‘‘S’ils se permettent de faire ça aux fils et aux filles du ‘‘sommet’’ de la société, que nous feront ils quand nous descendrons dans les rues avec nos propres revendications ?’’ Les slogans commençaient à ouvertement réclamer la démission de de Gaulle : ‘‘Hé, Charlie, dix ans, c’est assez !’’

    Au début, les dirigeants du Parti communiste français (PCF) ont condamné les étudiants, ces ‘‘anarchistes’’, ‘‘trotskystes’’ et ‘‘maoïstes’’ ‘‘jouant à la révolution’’. Mais la pression exercée par la base en faveur d’actions de solidarité avec les étudiants a forcé la CGT (la fédération syndicale dirigée par le PCF) ainsi que la CFDT plus ‘‘modérée’’ et la Fédération de l’Éducation nationale (FEN) à appeler à une grève générale de 24 heures le lundi 13 mai.

    L’escalade

    Ce jour-là, il y eut plus de cinq millions de grévistes. Un million de personnes ont manifesté à Paris et des dizaines de milliers dans d’autres villes. Les dirigeants syndicaux espéraient que les choses se calment ensuite et que les travailleurs s’inclinent une nouvelle fois sous le joug de l’exploitation capitaliste. Ce fut le seul appel officiel à la grève tout au long de ce ‘‘mois de révolution’’ qui, à son apogée, a atteint les 10 millions de grévistes.

    Quelques ouvriers de l’usine Sud-Aviation à Nantes, influencés par les trotskystes du courant ‘‘lambertiste’’, ont décidé de rester en grève et d’occuper leur usine. Ce sont eux qui ont lancé le mouvement. Usines automobiles, chantiers navals, hôpitaux, mines, dépôts, bureaux de poste, magasins, théâtres, écoles,… sont partis en grève les uns à la suite des autres et ont été occupés. Les travailleurs agricoles ont lancé des sit-in tandis que leurs syndicats lançaient un appel pour une manifestation nationale le 24 mai.

    Le 18 mai, le pays était presque totalement paralysé. L’organisation fasciste Occident ne parvenait quant à elle pas à réunir plus de 2.000 personnes pour une manifestation visant à briser la grève !

    Le lundi 20, six millions de grévistes occupaient leurs lieux de travail à l’aide de comités de grève et de rotations pour assurer la garde et l’entretien des machines et de l’équipement. Dans certains cas, des patrons furent enfermés dans leurs bureaux. Partout, on hissait des drapeaux rouges et l’Internationale était chantée. À l’extérieur de certaines usines, les effigies des patrons étaient suspendues à des gibets !

    Avocats, architectes, fonctionnaires, enseignants, employés de banque, des grands magasins, des centrales nucléaires,… tous étaient impliqués. Même les danseuses des Folies Bergères ont rejoint le mouvement en dénonçant leurs conditions de travail et en exprimant leur désir d’une vie différente ! Le festival de Cannes a été interrompu, les travailleurs de la radio et de la télévision d’État ont pris le contrôle des programmes et des informations et même les footballeurs professionnels sont entrés en grève. Les ports étaient paralysés. Dans la marine et la police, la mutinerie couvait.

    Au Conseil national du patronat français (CNPF, l’ancêtre du Medef), les employés ont occupé la salle du conseil d’administration. Les comités de grève étaient animés de débats intenses sur le fonctionnement d’une autre société, souvent en termes de démocratie socialiste ou communiste. Le principal parti ouvrier de l’époque, le Parti communiste pro-stalinien, craquelait de toutes parts en tentant de maintenir sa ligne politique selon laquelle il ne s’agissait en rien d’une grève politique.

    Le vendredi 24, 10 millions de personnes étaient en grève, soit plus de la moitié de la force de travail du pays. De violentes batailles faisaient rage dans les rues de Paris où des barricades avaient été érigées pour la première fois depuis les combats de la Libération contre l’occupation fasciste.

    Le 25 mai, des pourparlers tripartites ont débuté entre le gouvernement, les patrons et les dirigeants syndicaux. Après trois jours et trois nuits de pourparlers, un très généreux paquet de réformes sociales fut conclu (les accords de Grenelle), portant sur les salaires, les vacances, le temps de travail, etc. Les réformes proposées – produits d’événements révolutionnaires – étaient pourtant insuffisantes pour étancher la soif des millions de travailleurs qui occupaient leur lieu de travail. Le lendemain, dans les gigantesques usines automobiles et ailleurs, lorsque les dirigeants syndicaux ont présenté l’accord, il a été rejeté sans cérémonie. Les travailleurs voulaient tout autre chose, quelque chose qui n’avait encore été articulé par aucun des dirigeants ‘‘traditionnels’’.

    Et maintenant ?

    Le 27 mai, 50.000 personnes ont rempli le stade Charléty à l’occasion d’un rassemblement organisé par la gauche non communiste pour discuter d’une alternative politique au gaullisme et au capitalisme. La CGT avait appelé à une manifestation le 29 mai et un demi-million de grévistes défilèrent dans la capitale ce jour-là. Au même moment, De Gaulle faisait ses valises pour s’envoler hors du pays, expliquant à l’ambassadeur américain que l’avenir ‘‘dépend maintenant de Dieu’’.

    Mais les dirigeants ouvriers n’avaient aucun programme visant à prendre le pouvoir qui gisait pourtant au sol, dans la rue. Ceux qui avaient une idée des tâches nécessaires à accomplir ne disposaient pas d’une voix suffisamment forte. Les travailleurs attendaient des ‘‘communistes’’ qu’ils annoncent un programme alternatif. En vain. Plus tard, les dirigeants du PCF diront que l’État était trop fort. Mais l’État était en pleine désintégration.

    Une situation révolutionnaire

    Une situation classique de double pouvoir existait – une situation révolutionnaire avec la couche dirigeante en lambeaux, la classe moyenne du côté de la classe ouvrière et adoptant ses méthodes de lutte (occupations, manifestations) et la classe ouvrière en mouvement et prête à se battre jusqu’au bout. Les travailleurs des pays voisins comme la Belgique avaient déjà manifesté leur solidarité tant en paroles qu’en actes, en refusant notamment de reprendre du travail des ouvriers français en grève (impression de documents gouvernementaux, transport de marchandises à l’intérieur ou à l’extérieur du pays, etc.).

    Qu’est-ce qu’une direction révolutionnaire disposant d’une assise de masse aurait bien pu faire pour mener la révolution à son terme ? L’idée de relier entre eux les comités de grève aux niveaux local, régional et national afin de constituer un gouvernement alternatif a bien été avancée, mais par des personnes à la voix trop faible et sans avoir de base au sein du mouvement ouvrier.

    Jusque-là, les trotskystes de la Quatrième Internationale, dont s’était politiquement séparé le groupe Militant (qui lança plus tard le Comité pour une Internationale Ouvrière, dont le PSL/LSP est la section belge), faisaient montre de pessimisme face à la classe ouvrière européenne, y compris française, arguant en 1965 qu’elle ne passerait pas à l’action avant au moins 20 ans ! En France, ils s’étaient concentrés sur le mouvement étudiant et sur la révolte contre la domination coloniale. Lorsque l’un de leurs dirigeants, Ernest Mandel, a défendu son point de vue à Londres en 1968 lors d’un meeting public un mois à peine avant l’explosion de mai, il a été interpellé par le rédacteur en chef du journal Militant, Peter Taaffe, qui a au contraire défendu que la classe ouvrière conservait sa capacité de révolte et pouvait assez rapidement confronter le capitalisme français. Mandel a repoussé l’idée, mais la classe ouvrière française lui a répondu à sa manière peu après… Il ne faudra pas longtemps avant que les ouvriers français se mettent à nouveau en mouvement avec leurs traditions révolutionnaires !

    La situation était plus que mûre pour une prise de pouvoir révolutionnaire à l’époque, avec notamment des exemples de comités de grève mixtes composés d’ouvriers, d’étudiants et de petits agriculteurs qui prenaient le relais des anciennes forces de l’État.

    À Nantes, berceau de Sud-Aviation, là où la grève a tout d’abord pris son envol, un tel comité s’est constitué très tôt. Il a pris le contrôle de la région Loire Atlantique sur tous les aspects de la société : la production, la distribution et l’échange. De petits agriculteurs apportaient leur production aux villes à des prix plus bas, la police a été remplacée par des patrouilles de quartier composées d’étudiants et de travailleurs tandis que les autres secteurs étaient invités à faire de même.

    Si des organes représentatifs similaires s’étaient développés dans chaque région et que des délégués y avaient été élus pour un conseil national, ces comités de lutte seraient devenus des organes du pouvoir des travailleurs. Tout comme en Russie en octobre 1917, une direction révolutionnaire dans laquelle les masses avaient confiance aurait pris toutes les mesures nécessaires pour amener les forces étatiques existantes du côté d’un gouvernement socialiste. Elle aurait lancé un appel aux travailleurs de tous les autres pays pour qu’ils fassent de même et paralysent la possibilité d’une intervention militaire de l’étranger.

    Mais les dirigeants des grandes fédérations syndicales et du PCF étaient les derniers à vouloir d’une révolution victorieuse. Si les travailleurs pouvaient prendre le pouvoir dans une économie industrielle développée, ils savaient que cela aurait inspiré les travailleurs d’Union soviétique à se débarrasser de leur bureaucratie parasitaire pour reconstruire une véritable démocratie ouvrière. La Guerre froide aurait fondu comme neige au soleil ! Ces dirigeants ont littéralement trahi la révolution.

    La fin

    Ils ont exhorté les travailleurs à retourner au travail, mais un plus grand nombre d’entre eux se sont joints à la grève, cherchant un moyen de changer la société à jamais. Aucune issue n’a été donnée par les forces politiques qu’ils connaissaient. De Gaulle a ainsi pu revenir en France et convoquer des élections anticipées en mobilisant les forces de la réaction dans la rue. La police et l’armée sont intervenues contre les grévistes et les organisations de gauche. Des centaines d’ouvriers ont été licenciés ; certaines organisations de gauche ont été mises hors la loi.

    Les gaullistes ont remporté les élections législatives de juin tandis que le PCF perdait des voix. Son slogan ne parlait pas d’une nouvelle société socialiste, mais de ‘‘la loi et l’ordre’’. Pourtant, moins d’un an plus tard, De Gaulle disparaissait de la scène, remplacé par Georges Pompidou, ancien banquier chez Rothschild, tout comme Macron.

    Les gains initiaux des accords de Grenelle ont été sapés par l’inflation et la poursuite de l’exploitation capitaliste en général. Mais les syndicats se sont renforcés et le Parti socialiste est né trois ans plus tard. Il est arrivé au pouvoir en 1981 en remportant 55 % des voix.

    Sans appliquer un programme complet de nationalisations sous contrôle et gestion démocratiques des travailleurs, un gouvernement ‘‘socialiste’’ introduisant des réformes sociales finit toujours par devoir mettre en œuvre une politique en faveur de la classe capitaliste. C’est la grande leçon de l’époque de Mitterrand et de la présidence de François Hollande et de son Parti ‘‘socialiste’’ sorti si affaibli des élections de l’an dernier.

    Néanmoins, la plus grande grève générale de l’Histoire, celle de mai 1968 en France, peut inspirer à une nouvelle génération la confiance qu’une société véritablement socialiste peut être obtenue, non seulement dans un pays, mais dans le monde entier.

    LIVRE : Mai 68, un mois de révolution

    Mai-Juin 1968. Répression policière brutale des manifestations étudiantes. En l’espace de quelques jours, dix millions de travailleurs français se mettent en grève. Les usines sont occupées, les drapeaux rouges brandis, et l’Internationale est chantée dans les rues de Paris. Même les forces armées sont infectées par l’esprit révolutionnaire. L’avenir du capitalisme français ne tient plus qu’à un fil. Des comités d’action ouvriers et étudiants discutent constamment sur la poursuite du mouvement ; pourtant, après quelques semaines les grèves se terminent et l’‘ordre’ est restauré.

    Dans ‘Un Mois de Révolution’ (publié pour la première fois en Mai 1988), Clare Doyle analyse les cause de cette puissante explosion de la colère des travailleurs et des étudiants, ainsi que les raisons de son incapacité à avoir pu en finir avec le capitalisme. Elle explique que la classe ouvrière française avait le pouvoir à portée de la main. Avec une direction révolutionnaire clairvoyante, le capitalisme aurait pu être aboli, et un véritable gouvernement socialiste aurait pu voir le jour. L’histoire aurait ainsi pris un tout autre cours.

    Dans une nouvelle introduction, l’auteur revient également sur les luttes de classes en France et internationalement dans la période post-68. Alors que se développe aujourd’hui une colère grandissante contre le capitalisme et l’impérialisme, et qu’une nouvelle génération de jeunes et de travailleurs sont à la recherche d’une alternative, les événements décrits dans ‘Un Mois de Révolution’ peuvent servir de source inspiratrice, démontrant comment une révolution socialiste peut éclater au plein coeur de l’Europe, comme d’ailleurs dans n’importe quel coin du globe.

    A propos de l’auteur

    Clare Doyle est membre du Secrétariat International du Comité pour une Internationale Ouvrière – une organisation socialiste présente dans 40 pays sur les cinq continents. Elle s’est rendue en France en diverses occasions, y compris en 1968. Son travail l’a amené à voyager dans une série de pays et à vivre pour un temps en Russie. Clare Doyle a écrit beaucoup d’articles et de brochures, et demeure une socialiste active et convaincue. ? Commandez ce livre

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  • [INTERVIEW] MAI 68, un mois de révolution. Quelles leçons en tirer aujourd’hui ?

    Les commémorations des grandes luttes ouvrières du passé sont toujours l’occasion pour la classe dominante de revisiter les événements à sa façon. C’était le cas l’an dernier avec le centenaire de la Révolution russe. Cette année, c’est le cinquantième anniversaire de Mai ’68. Les dossiers, articles et émissions spéciales ne vont pas manquer. Au travers des médias aux mains des capitalistes, l’objectif sera de réduire la plus grande grève générale française à un événement folklorique d’étudiants utopistes. Le PSL organisera une série de meetings / débats en avril et en mai pour tirer les leçons d’un mois révolutionnaire en plein cœur de l’Europe.

    Ce sera notamment le cas le 25 avril à Bruxelles, à l’ULB. Nous y inviterons notamment Christian Dehon, un membre du PSL qui était présent à Paris au cours des premières journées de Mai ‘68 et Guy Van Sinoy, qui a assisté à la mobilisation étudiante à l’ULB où il était étudiant. En leur compagnie, nous avons discuté des éléments les plus importants et fondamentaux de Mai ‘68 pour les jeunes et les travailleurs en lutte contre un système en crise et aux inégalités plus profondes que jamais.

    Propos recueillis par Nicolas M. (Bruxelles)

    L’année 1968 est celle d’une révolte étudiante et ouvrière en France. Mais pas seulement…

    Christian : ‘‘L’année 1968 a effectivement eu une réelle dimension mondiale qui ne se résume pas à la Sorbonne. La contestation est alors beaucoup plus large, notamment sur le front de la lutte contre la guerre. Les premières manifestations à Paris prennent d’ailleurs place dans le cadre de la lutte contre la guerre du Vietnam sous le slogan ‘‘A bas l’impérialisme US’’.’’

    Guy : ‘‘La guerre était présente tous les jours au journal TV grâce aux nombreux photographes et correspondants de presse envoyés sur place. Les innombrables crimes commis par l’armée US (bombardements massifs avec utilisation fréquente de napalm, de bombes à fragmentation et de défoliants chimiques, les massacres de civils par les GI’s) soulevaient l’indignation. Quotidiennement c’était l’image d’une superpuissance moderne massacrant un peuple pauvre luttant pour son indépendance.’’

    On peut aussi parler, entre autres, de la lutte pour les droits civiques aux USA. Martin Luther King est d’ailleurs assassiné le 4 avril 1968. En France, comment le mouvement étudiant se met-il en branle début mai ?

    Guy : ‘‘A cette époque, le nombre d’étudiants augmente. Le capitalisme a besoin de cadres et une partie des enfants du baby-boom de l’après-guerre arrive aux études. Mais les infrastructures universitaires ne suivent pas : les logements manquent, de même que les places dans les auditoires et les restaurants universitaires.’’

    Christian : ‘‘Le mouvement va aussi reposer sur des revendications exigeant un enseignement moins élitiste et ouvert à tous. Les difficultés que connaissent aujourd’hui les étudiants: coûts des études, ingérence des multinationales dans l’enseignement, c’est précisément cela qui était combattu en 1968.’’

    Guy : ‘‘Le contenu des cours est aussi critiqué. Se développe alors la prise de conscience que l’université reproduit les valeurs bourgeoises, les idées du mouvement ouvrier ne sont pas du tout reprises. Par exemple, je me souviens d’un cours, à l’époque, sur la Théorie générale de l’Etat où le prof n’évoquait même pas l’ouvrage de Lénine L’Etat et la révolution.’’

    Christian : ‘‘En mai, j’ai saisi l’occasion d’un congé au travail pour rejoindre Paris. Après une première occupation à Nanterre, les étudiants ont subi la répression de la police et des autorités de l’université. Mais la solidarité se renforce parmi les étudiants, qui vont ensuite affronter les CRS pour exiger la libération de leurs camarades. Les slogans se radicalisent et ciblent plus largement la société.’’

    Guy : ‘‘Après la nuit des barricades, le 10 mai, le premier ministre Pompidou accèdera aux revendications des étudiants : réouverture de la Sorbonne, départ des forces de l’ordre et libération des étudiants condamnés et emprisonnés. Le mouvement étudiant a ainsi démontré la capacité d’un rapport de forces pour faire reculer le pouvoir.’’

    Le mouvement ouvrier entre alors en scène.

    Christian : ‘‘Sur place, j’ai expérimenté une ambiance que je n’avais jamais connue. A côté des scènes d’émeutes dans les rues et de la violence de la répression, il y avait beaucoup de débats dans la ville, on discutait largement des événements.’’

    Guy : ‘‘Le lundi 13 mai, bon gré malgré, les syndicats, (CGT et CFDT) sont contraints d’organiser une manifestation de protestation contre la violente répression policière des manifestations étudiantes. Il faut dire que 6 ans auparavant, les CRS avaient chargé une manifestation contre la guerre d’Algérie et fait 9 morts. Le 14 mai, la grève avec occupation démarre spontanément dans un chapelet d’usines. Le 13 mai 1968, c’était aussi l’anniversaire de l’arrivée au pouvoir de Gaulle, imposée par les généraux pendant la guerre Algérie. Durant son mandat, il avait pris une série de mesures contre les travailleurs, notamment les ordonnances sur la sécurité sociale. A l’époque, on travaillait 46 h en moyenne et, dans certaines usines, jusque 54 h. Les salaires avaient été bloqués. Des revendications ouvrières mijotaient depuis lors. Mais il ne faut pas perdre de vue que la CGT a organisé en fait la manif et la grève pour éviter de perdre le contrôle d’un mouvement qu’elle sentait partir. Certainement pas pour lancer la grève générale. Une fois cette dernière lancée, elle a couru après pour essayer de l’arrêter.’’

    Christian : ‘‘Le mouvement grandit à une vitesse incroyable : le 16 mai, 50 usines sont occupées. Le 17 mai, il y a 200.00 grévistes. Le 18, ils sont 2 millions. Ils seront jusqu’à 10 millions le 22 mai. Même le Festival de Cannes sera arrêté par le jury en solidarité avec les grèves !’’

    Guy : ‘‘A l’époque, le Parti communiste français (PCF), c’est 350.000 membres et la CGT 1,4 million. Leur direction jouera pourtant un rôle de frein. Dans un premier temps, Georges Marchais attaque ‘‘de faux révolutionnaires à démasquer’’. Il dénonce de manière chauvine ‘‘l’anarchiste allemand Cohn-Bendit’’ influencé par le philosophe ‘‘allemand Marcuse qui enseigne aux Etats-Unis’’.’’

    En parallèle en Belgique comment le mouvement se déroule ?

    Guy : ‘‘Après la nuit des barricades, quelques centaines d’étudiants se rassemblent en Assemblée Libre à l’ULB le 13 mai. Rentrés de Paris où ils étaient allés en délégation (tant que les trains roulaient encore), les étudiants bruxellois témoignent d’un Quartier latin en état de siège. L’auditorium Janson de l’ULB est occupé. Au moment où la grève culmine en France, l’Assemblée Libre au Janson, qui regroupe 1.500 personnes, décide d’occuper les bâtiments centraux, le Conseil d’administration (CA), composé de représentants du patronat à l’époque, fuit par les fenêtres. Le standard téléphonique de l’ULB est occupé, les tracts sont imprimés sur le papier à en-tête du recteur, les murs recouverts d’affiches.

    ‘‘Les autorités belges craignent de faire intervenir la police comme en France de peur de lancer le même type de mouvement. Mais en Belgique la classe ouvrière ne débraye pas, marquée notamment par les lois antigrèves votées par le Parti socialiste après la grève générale de l’hiver 60-61. Certains militants ouvriers viendront parler à l’université mais, généralement, les étudiants restent isolés. En Belgique aussi, le mouvement étudiant commence à remettre en en cause le contenu des cours. Le noyau à l’ULB se politise très vite dans le mouvement, et moi-même par la même occasion.’’

    Christian : ‘‘A l’époque par exemple, les cités universitaires où logent les étudiants ne sont pas mixtes. A l’ULB, les étudiantes vont occuper la cité des garçons et, le 1er juin, le CA change le règlement des cités universitaires en légalisant une situation de fait, c’est une leçon importante de toute cette période : le rapport de forces peut tout changer.’’

    Guy : ‘‘Les références à Mai ‘68 vont généralement souligner la révolte étudiante et gommer au maximum la grève générale qui en est en fait l’élément le plus fondamental. Ce mois révolutionnaire va illustrer qu’une révolution est possible dans un pays capitaliste avancé.

    ‘‘Fin mai, De Gaule disparaît en Allemagne pour s’assurer le soutien de l’armée. Avec le vide du pouvoir qu’il laisse pendant quelques jours, un moment révolutionnaire se concrétise, la bourgeoisie est apeurée et ne réussit pas à imposer ses instruments politiques : elle vacille.

    ‘‘Ce qui manque alors, c’est une structure de double pouvoir. Des comités de grève existent, bien sûr, dans quelques usines, mais il manque une structuration nationale de ces comités. Bien entendu, le PCF et la CGT y sont opposés. Par la suite, la dissolution de l’Assemblée Nationale et les élections seront saisies par le PCF pour en finir avec les grèves sous prétexte qu’on ne peut organiser le vote sous le régime de grève générale.

    ‘‘La grande leçon de Mai 68 est que la révolution est possible dans les pays capitalistes avancés, malgré toutes les sottises que journalistes ou sociologues écrivent sur le prétendu ‘‘embourgeoisement’’ du prolétariat. Le capitalisme, de par son fonctionnement, génère tellement d’oppressions et d’exploitation que tôt ou tard la marmite finit par exploser. Reste aux révolutionnaires à saisir cet instant pour l’orienter vers le renversement de la société bourgeoise.’’

    Christian : ‘‘Mai ‘68 a illustré la force de la classe ouvrière, mais aussi le fait que sans direction politique claire pour faire avancer le mouvement vers ses conclusions, les occasions disparaissent et la contre révolution s’organise. Mai ‘68 a lancé une génération de rebelles, l’essai révolutionnaire n’a pas été transformé, mais les conditions pour de nouveaux soulèvements sont présents aujourd’hui.

    ‘‘Assurons-nous de construire ensemble l’organisation politique nécessaire pour balayer le système capitaliste et organiser la réorganisation de la société par la prise du pouvoir par les travailleurs !’’

    MEETINGS :  Mai 68 les leçons d’un mois de révolution pour aujourd’hui

    ULB

    Les Etudiants de Gauche Actifs, le Parti Socialiste de Lutte et la campagne ROSA organisent, à l’occasion du cinquantenaire des événements de mai 68, un grand meeting à l’ULB : Mai 68 en France et en Belgique, les leçons d’un mois de révolution pour aujourd’hui.

    Plusieurs orateurs y prendront la parole. Christian Dehon, membre du PSL était présent à Paris en mai 1968 et Guy Van Sinoy, militant FGTB, a participé en tant qu’étudiant à l’occupation de l’ULB pendant 47 jours en mai 1968. A leur côté, Anja Deschoemacker, auteur d’un livre sur la question nationale en Belgique, reviendra quant à elle sur le mouvement en Flandres à cette époque et notamment à Leuven. Brune Goguillon, militante de la campagne ROSA à Bruxelles discutera des questions relatives aux acquis de la libération sexuelle qui prirent place dans le cadre des luttes de masses en 68, à la lumière de la remontée internationale des luttes féministes ou encore du #Metoo aujourd’hui. Pour les Etudiants de Gauche Actifs, Julien Englebert poursuivra notamment avec les nécessaires questions que nous voulons nous poser : quelles leçons pour les luttes actuelles, pour les défis auxquels font face les jeunes et les travailleurs face au système capitaliste en crise, à l’explosion des inégalités. Quelles conclusions pouvons-nous sortir de mai 68 pour la gauche, le mouvement ouvrier et ses organisations telles la France Insoumise.

    Bienvenu à toutes et tous le mercredi 25 avril à l’ULB, auditoire H1301 à 19h30.

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    UMons

    Les Étudiants de Gauche Actifs – Mons et la section montoise du Parti Socialiste de Lutte organisent, à l’occasion du cinquantenaire des événements de mai 68, un meeting à l’UMons : Mai 68 en France et en Belgique, les leçons d’un mois de révolution pour aujourd’hui.

    Avec
    • Guy Van Sinoy, militant FGTB. Il reviendra sur l’occupation de l’ULB pendant 47 jours en mai 1968 auquel il a participé en tant qu’étudiant.
    • Benjamin Dusaussois, responsable des Etudiants de Gauche Actifs – Mons. Il poursuivra notamment avec les leçons que l’on peut tirer de mai 68 pour les luttes actuelles, pour les défis auxquels font face les jeunes et les travailleurs face au système capitaliste en crise, à l’exploitation et aux inégalités.

    Mardi 8 mai 18h30, Auditoire hotyat (1er étage), 17 place Waroqué.

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  • Mai 68 les leçons d’un mois de révolution pour aujourd’hui

    Les Etudiants de Gauche Actifs, le Parti Socialiste de Lutte et la campagne ROSA organisent, à l’occasion du cinquantenaire des événements de mai 68, un grand meeting à l’ULB : Mai 68 en France et en Belgique, les leçons d’un mois de révolution pour aujourd’hui.

    Plusieurs orateurs y prendront la parole.

    • Christian Dehon, membre du PSL était présent à Paris en mai 1968
    • Guy Van Sinoy, militant FGTB, a participé en tant qu’étudiant à l’occupation de l’ULB pendant 47 jours en mai 1968.
    • Anja Deschoemacker, auteur d’un livre sur la question nationale en Belgique, reviendra quant à elle sur le mouvement en Flandres à cette époque et notamment à Leuven.
    • Brune Goguillon, militante de la campagne ROSA à Bruxelles discutera des questions relatives aux acquis de la libération sexuelle qui prirent place dans le cadre des luttes de masses en 68, à la lumière de la remontée internationale des luttes féministes ou encore du #Metoo aujourd’hui.
    • Julien Englebert, des Etudiants de Gauche Actifs, poursuivra notamment avec les nécessaires questions que nous voulons nous poser : quelles leçons pour les luttes actuelles, pour les défis auxquels font face les jeunes et les travailleurs face au système capitaliste en crise, à l’explosion des inégalités. Quelles conclusions pouvons-nous sortir de mai 68 pour la gauche, le mouvement ouvrier et ses organisations telles la France Insoumise.

    Bienvenu à toutes et tous le mercredi 25 avril à l’ULB, auditoire H1301 à 19h30.

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  • [50 ans après Mai ‘68] Les droits des femmes ont été imposés par les luttes ouvrières

    En mai de cette année, nous commémorons les 50 ans de Mai ‘68, lorsque la résistance étudiante et la répression ont provoqué une grève générale à laquelle ont participé 10 millions de travailleurs français. Les étudiants se sont battus pour la démocratisation de l’enseignement, les travailleurs ont réclamé leur part de l’accroissement de richesses. Au cours de ce combat se sont épanouies diverses idées concernant la manière dont les choses pourraient être différentes, non seulement au sujet de la société mais aussi de la façon dont les gens interagissent entre eux. Certaines de ces idées ont depuis lors été connues sous le nom de ‘‘révolution sexuelle’’. La plupart des journalistes confinent Mai ‘68 à cet aspect, mais la révolution sexuelle et la révolte de masse des travailleurs et des jeunes contre le capitalisme sont inextricablement liées.

    Par Anja Deschoemacker

    La carte blanche de Catherine Deneuve & Co a également réduit Mai ‘68 à ce point, en défendant la ‘‘liberté sexuelle’’ contre un nouveau ‘‘puritanisme’’ qui s’élèverait au sein du mouvement féministe sous la forme du hashtag #MeToo. Elles se sont trompées d’ennemi : le ‘‘réveil éthique’’ contre les idées de Mai ‘68 ne vient pas du mouvement féministe, mais de figures telles que Trump, Poutine, Erdogan et… Bart De Wever, qui a ouvertement exprimé son aversion pour Mai ‘68 à l’occasion du 40ème anniversaire de l’événement. Tous aspirent à un retour aux valeurs telles que l’autorité parentale (des parents sur les enfants, de l’homme sur la femme), ce qu’ils considèrent comme ‘‘l’éthique du travail’’ (faire ce que veut le patron sans protester), l’autorité de l’État, ‘‘l’ordre public’’ et les ‘‘valeurs familiales’’… Ils suivent ainsi fidèlement les traces de Margaret Thatcher.

    La révolution sexuelle de Mai ’68 : conquêtes et limites

    En 1968, la France n’était pas isolée. Une grande partie du monde connaissait une résistance de masse contre le capitalisme : de la part du mouvement ouvrier réclamant sa part des richesses produites, des femmes, des personnes LGBTQI+, en faveur des droits civiques et de la libération sociale, contre les guerres impérialistes ou encore contre la colonisation et pour l’indépendance.

    Ces mouvements ont laissé une empreinte durable sur la société. Dans la plupart des pays développés, cela a conduit à la reconnaissance du droit à l’avortement ainsi qu’à des modifications législatives qui ont facilité le divorce. Ces changements législatifs – qui n’ont vu le jour qu’au cours des années 1980 et 1990 en Belgique en raison de la résistance du parti social-chrétien flamand CVP alors dominant (l’ancêtre du CD&V actuel) – traduisaient un changement dans la vision de la société envers les valeurs et normes traditionnelles. En général, les idées dominantes dans la société sont celles de la classe dominante, propagées par l’éducation et les médias. Seule une lutte de classe de masse généralisée peut faire en sorte que les idées des masses opprimées outrepassent les normes et valeurs traditionnelles.

    Le mouvement de masse dans des pays comme la France, mais aussi les Etats-Unis, avait mis en branle de larges couches de la société. La solidarité croissante entre les différents mouvements a poussé à l’arrière-plan les idées dominantes de division (sexisme, racisme, homophobie) dans un contexte de marché du travail tendu, qui permettait de repousser toute discrimination. Les femmes quittaient leur foyer pour travailler tandis que la migration était encouragée.

    Mais le mouvement s’est arrêté à mi-parcours, en grande partie à cause d’un manque de leadership de la part des sociaux-démocrates et des communistes staliniens. Mai ‘68 disposait d’un énorme potentiel pour renverser le système, avec une classe ouvrière numériquement, mais aussi culturellement, immensément plus forte que la classe ouvrière russe en 1917. Ce qui a manqué, c’est une direction révolutionnaire capable de mener le mouvement jusqu’à sa conclusion logique et d’éviter ainsi que cette énorme énergie ne s’évapore pour ne laisser que des ombres sous forme de lois progressistes tandis que le système à la base de toute discrimination, oppression et exploitation continuait d’exister. Cela a permis aux capitalistes d’adapter leur système et de défendre leurs intérêts dans de nouvelles circonstances.

    Par exemple, la nouvelle liberté des femmes travaillant à l’extérieur a été instrumentalisée pour permettre de poser les premiers pas dans la création d’emplois mal payés, en particulier le travail à temps partiel. Les vagues généralisées de résistance de la classe ouvrière n’ont pas pu contrarier la pression qui s’est exercée sur les salaires de chacun entre le milieu des années 1970 et aujourd’hui, deux salaires étant dorénavant nécessaires pour maintenir une famille à un niveau de vie équivalent à ce que permettait précédemment un seul salaire. De plus, les économies budgétaires continuelles ont réduit les services publics qui permettaient aux femmes de travailler à l’extérieur du foyer à un tel point qu’un grand nombre de femmes se voient aujourd’hui forcées de travailler à temps partiel pour concilier vie familiale et vie professionnelle. Le travail à temps partiel, certainement au vu de la réduction des allocations de chômage, ne constitue toutefois pas une base suffisante pour se construire une vie indépendante et décente au regard de l’actuelle cherté de la vie.

    De la même manière, l’émancipation sexuelle des femmes a été déviée pour profiter à des secteurs très rentables comme la pornographie et la prostitution, la publicité et les industries textile et cosmétique. La disparition relative du tabou sexuel a permis de commercialiser le corps féminin à une échelle que nous n’avions jamais connue auparavant. La pornographie et la prostitution existent depuis la première société de classe de l’antiquité, mais la commercialisation du corps féminin n’a jamais été aussi omniprésente qu’aujourd’hui.

    Que faire ?

    Pour répondre au sexisme qui sévit dans la société, devrions-nous pour autant remettre en cause la libération sexuelle et revenir à un schéma traditionnel, comme le préconisent Bart De Wever et d’autres ? En aucun cas. Combattre le harcèlement sexuel n’a rien à voir avec la négation de la liberté sexuelle, comme le prétendent les auteurs de la tribune favorable à la ‘‘liberté d’importuner’’ autour de Catherine Deneuve. La liberté signifie également de dire ‘‘non’’ aux sollicitations et de très nombreuses travailleuses n’ont pas cette opportunité si elles veulent conserver leur emploi. D’autre part, de nombreuses travailleuses sont également en position de faiblesse dans leur famille en raison de leur revenu plus faible, qui induit une dépendance vis-à-vis de leur conjoint. Nous exigeons le droit de dire non et de pouvoir réellement le faire. Cela nécessite d’aller plus loin dans le chemin de la libération sexuelle.

    Ce chemin vers la libération sexuelle suit, comme ce fut le cas en Mai ‘68, celui de la lutte des classes. Le mouvement des femmes à lui seul n’aurait jamais réussi à provoquer un tel changement sans la résistance sociale généralisée de tous les opprimés et tout particulièrement du mouvement des travailleurs. Celles qui veulent mettre fin au harcèlement sexiste sur leur lieu de travail doivent lutter contre les bas salaires et les contrats précaires – de même que contre le démantèlement de la sécurité sociale, qui n’offre plus aux chômeurs qu’une maigre allocation de survie – qui les rendent impuissantes face à ce phénomène. La meilleure façon de mener cette bataille est de s’impliquer dans un syndicat et, avec ses collègues masculins, de constituer un front contre les patrons et contre la politique austéritaire des autorités. Seul le mouvement des travailleurs dispose d’une force suffisante pour faire vaciller les gouvernements de droite et mettre fin à leur politique antisociale.

    Mener un combat rigoureux contre le harcèlement, le sexisme et l’oppression des femmes dans la société ne signifie pas que les femmes doivent combattre les hommes, cela implique au contraire un soulèvement général de tous les opprimés contre les actuels détenteurs du pouvoir. Ce ne sont pas ‘‘les hommes’’ qui sont coupables des bas salaires, de la cherté de la vie, du chômage, du manque de services publics, des coupes dans la sécurité sociale et de toutes ces conditions matérielles qui expliquent que, 50 ans après Mai ’68, les femmes doivent encore se battre pour accéder à une véritable émancipation. De même, ‘‘les hommes’’ ne sont pas non plus coupables de la commercialisation du corps féminin. La majorité des hommes de la société n’ont rien à voir avec les décisions qui impactent la majorité des femmes.

    Bien entendu, les syndicats ne sont pas à l’abri du sexisme, du racisme, de l’homophobie et d’autres formes de discrimination. Les militants de gauche doivent se battre en faveur d’un programme de revendications combatif et offensif ainsi que pour un travail syndical démocratique impliquant le plus grand nombre de travailleurs possible sur leur lieu de travail. Une partie de ce programme combatif consiste à intensifier la lutte dans les secteurs où le degré de syndicalisation est très faible et où les femmes, mais aussi d’autres groupes discriminés tels que les jeunes et les migrants, sont surreprésentés. En Grande-Bretagne, la première grève du personnel de McDonald’s a été une victoire, tandis qu’aux États-Unis, les actions visant à augmenter les salaires du personnel des grandes chaînes de supermarchés ont joué un rôle important dans l’émergence du mouvement en faveur d’un salaire minimum de 15 dollars de l’heure.

    En même temps qu’ils se battent pour ces revendications directes sur le lieu de travail, les militants doivent lutter contre toutes les idées capables de diviser les travailleurs et lutter pour que les syndicats défendent tous les travailleurs, sans distinction de genre ou d’orientation sexuelle, quel que soit leur âge, quelle que soit leur origine nationale, qu’ils aient des papiers ou non.

    Ce n’est qu’ainsi que l’on pourra construire une force comparable à celle de Mai ‘68 et la pousser plus loin. Pour cette étape, outre les syndicats, il faut aussi un instrument politique capable de mener la lutte dans ce domaine, un parti des travailleurs féroce qui, à travers la défense d’un programme socialiste, soit apte à unir les masses et à mettre un terme une fois pour toutes au capitalisme et à toutes les formes d’oppression et de discrimination qu’il génère et entretient au quotidien.

    Quelques dates clés :

    • 1908. Le 8 mars 1908, une grève des femmes a pris place dans le secteur textile de New York. Elles exigeaient ‘‘du pain, mais aussi des roses’’, c’est-à-dire non seulement de quoi pouvoir survivre, mais aussi de quoi pouvoir jouir des plaisirs de la vie.
    • 1911. La socialiste allemande Clara Zetkin proposa, lors d’une conférence socialiste des femmes à Copenhague, de faire du 8 mars une journée internationale des femmes : une journée de lutte pour l’égalité des droits.
    • 1917. À Saint-Pétersbourg, en Russie, une grève commença lors de la Journée internationale des femmes. Ce fut le début de la Révolution russe de février, qui mit fin à la dictature tsariste. Le mouvement révolutionnaire russe a renforcé la lutte pour le droit de vote des femmes à travers le monde.
    • 1919. Après la Première Guerre mondiale, avec la radicalisation générale provoquée par l’aversion pour la guerre et sous l’influence de la révolution russe, des concessions ont été obtenues. En Belgique, le suffrage universel masculin fut instauré, de même que la journée des 8 heures, la reconnaissance des syndicats et l’augmentation du salaire minimum. Les femmes ne pouvaient pas voter aux législatives (sauf les veuves de guerre), mais bien aux communales.
    • 1948. Après la Seconde Guerre mondiale, un mouvement massif des travailleurs a imposé la mise en place de la sécurité sociale. Parallèlement, le droit de vote des femmes a été acquis et appliqué pour la première fois en 1949.
    • 1966. Les ouvrières de la FN-Herstal ont fait grève sous la revendication ‘‘à travail égal, salaire égal’’. C’est jusqu’à ce jour la plus importante grève des femmes en Belgique. Des augmentations salariales ont été arrachées.
    • 1973. L’interdiction de la distribution et de la publicité pour les contraceptifs fut abolie. Trois ans plus tard, en 1976, l’égalité juridique entre hommes et femmes au sein du mariage est entrée en vigueur.
    • 1990. Légalisation conditionnelle de l’avortement en Belgique.
    • 2017. Le 8 mars, des grèves des femmes ont pris place dans une trentaine de pays et de nombreuses actions ont été menées pour remettre le combat pour l’émancipation des femmes et contre le sexisme à l’ordre du jour. Le 8 mars fait son retour comme journée de lutte. Pour la première fois depuis longtemps en Belgique, une manifestation combattive réunit plusieurs centaines de personnes à Gand avec la Marche contre le sexisme.
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