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  • Syrie : Le massacre de Houla augmente la crainte d’une véritable guerre civile

    Le meurtre de 108 personnes près de la ville syrienne de Houla a interpelé et choqué dans le monde entier. Le meurtre de 49 enfants, dont beaucoup ont été tués à bout portant, est particulièrement odieux. Les tensions sectaires alimentées par cet acte barbare font planer la terrible menace d’un glissement vers un conflit plus large et d’une véritable guerre civile. Comme toujours, les travailleurs et les pauvres en souffriront le plus. En lutte contre le régime brutal de Bachar El Assad, la classe ouvrière doit s’opposer au sectarisme et à l’intervention impérialiste

    Niall Mulholland, Comité pour une Internationale Ouvrière

    Depuis 15 mois maintenant, des manifestations massives ont lieu dans beaucoup d’endroits de Syrie contre le règne dictatorial de la famille Assad, qui dure depuis plus de 40 ans. A l’origine, ces protestations se sont déroulées dans le cadre des révolutions au Moyen Orient et en Afrique du Nord. Mais en l’absence d’un mouvement indépendant de la classe ouvrière dirigeant la lutte et avec de plus en plus d’intervention dans la région de la part de régimes réactionnaires tels que ceux du Qatar et d’Arabie Saoudite ainsi que l’ingérence impérialiste, le conflit syrien a de plus en plus adopté un caractère de guerre civile teinté de sectarisme.

    Les puissances occidentales, en particulier les USA, la Grande Bretagne et la France, ont été rapides à condamner les atrocités de Houla. Elles ont fait reporter tout le poids de la faute sur le régime syrien du président Bachar el-Assad, qui décline de son côté toute responsabilité. Il est certain que beaucoup de témoins et de survivants accusent les forces armées syriennes et les gangs de Shabiha (qui peut se traduire par ‘‘bandits’’), qui massacrent et enlèvent régulièrement les opposants. Les investigateurs de l’ONU ont dit qu’il y a des indices que les Shabiha aient accompli au moins une partie de la tuerie des 25 et 26 mai.

    Les accusations des puissances impérialistes sont toutefois profondément hypocrites et écœurantes. Des centaines de milliers de civils ont perdu la vie en Irak comme en Afghanistan du fait de l’invasion occidentale et de l’occupation. Dans le cadre de leur quête de pouvoir, d’influence et de contrôle des ressources, des attaques aériennes impérialistes de drones ont quotidiennement lieu au Pakistan, en Somalie et au Yémen. Le lendemain du massacre de Houla, une attaque de l’OTAN dans l’est de l’Afghanistan a déchiqueté les 8 membres d’une famille.

    Les puissances occidentales justifient l’utilisation de la force militaire en déclarant attaquer des cibles ‘‘terroristes’’, ce qui est une rhétorique similaire à celle de la dictature de Bachar el-Assad. Dans les deux cas, ces attaques au hasard, approuvées par l’Etat, équivalent à des exécutions sommaires et à de potentiels crimes de guerre.

    Environ 15.000 personnes sont mortes en Syrie, majoritairement des mains de l’armée Syrienne et des forces pro-Assad, depuis l’insurrection de mars 2011. Mais sous le mandat d’Obama, plus de 500 civils ont été tués par des attaques aériennes dans le seul Pakistan, dont 175 enfants.<p

    A couteaux tirés

    Les USA, appuyant l’opposition syrienne, et la Russie, soutenant le régime d’Assad, sont de plus en plus à couteaux tirés à mesure qu’empire la situation du pays. Cela se traduit par des conflits au Conseil de Sécurité des Nations Unies sur la manière de traiter la dossier syrien.

    La Russie et la Chine ont voté contre les résolutions anti-Assad soutenues par les USA, la Grande Bretagne et la France. Malgré cette rhétorique, les positions des USA et de la Russie n’ont rien à voir avec la situation critique du peuple Syrien. Elles sont liées aux intérêts de leurs classes dominantes respectives et à celles de leurs plus proches alliés.

    Les USA, la Grande Bretagne et la France ont clairement affirmé qu’ils veulent la fin du régime d’Assad. Depuis longtemps, ils le considèrent comme un obstacle à leurs intérêts impérialistes dans la région. Ils veulent à sa place un gouvernement docile et pro-occidental. Suite aux révolutions de l’année dernière qui ont renversé deux alliés cruciaux de l’occident dans la région – Ben Ali en Tunisie et Moubarak en Egypte – les puissances impérialistes sont déterminées à s’assurer que la révolte populaire en Syrie ne dépasse pas des barrières de ‘‘l’acceptables’’ (c’est-à-dire vers une position d’indépendance de classe) et qu’elle reste à l’avantage des impérialistes.

    Les USA instrumentalisent l’échec du ‘‘plan de paix’’ de Kofi Annan (émissaire conjoint de l’Organisation des Nations unies et la Ligue arabe sur la crise en Syrie ) pour menacer d’entrer en action ‘‘en dehors du plan Annan’’ et de l’autorité du Conseil de Sécurité des Nations Unies, avec le soutien des plus proches alliés dans le conflit Syrien ; la Grande Bretagne et la France. Cela rappelle l’infâme coalition militaire menée par George Bush et Tony Blair qui a envahi l’Irak en toute illégalité.

    D’un autre côté, la Russie considère le régime d’Assad comme un allié crucial dans la région, un allié qui lui offre un accès à un port de Méditerranée. Le ministre russe des affaires étrangères a ainsi indiqué qu’il pourrait être préparé à mettre en œuvre ce qu’il appelle la ‘‘solution Yéménite’’, c’est-à-dire qu’Assad soit renversé alors que la plupart de la structure de son régime resterait en place. Cette solution est calquée sur un plan de la Ligue Arabe au Yémen, où le président Ali Abdullah Saleh a perdu le pouvoir en février 2012, après des mois de manifestations massives.

    Le Kremlin est cependant fermement opposé à toute intervention militaire occidentale, en particulier après l’expérience amère du conflit libyen l’an dernier. La Russie soutenait une résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU basée sur la constitution d’une zone d’exclusion aérienne, une ‘‘no-fly-zone’’. Mais les puissances occidentales ont utilisé cette résolution pour permettre une intervention armée de l’OTAN en Lybie, déviant la révolution de sa trajectoire, renversant le régime du Colonel Kadhafi et, selon leurs propres termes, installant un régime pro-occidental.

    L’OTAN

    Bachar el-Assad ne semble pas prêt de perdre le pouvoir ou d’être placé devant le risque imminent d’un coup d’Etat. Alors que la Syrie est frappée par des sanctions économiques, une part significatrice de la population dont beaucoup d’hommes d’affaires sunnites, n’ont pas encore catégoriquement rompu leurs liens avec le régime. Damas parie aussi sur le fait que l’Ouest serait incapable de mener une intervention militaire directe du type libyen.

    Le ministre des affaire étrangères britannique, William Hague, a récemment menacé qu’aucune option ne puisse être écartée dans le traitement de Bachar el-Assad, laissant entendre la possibilité d’une action militaire occidentale. Mais l’attaque de l’OTAN contre la Lybie l’an dernier ne peut pas tout simplement être répétée en Syrie, un pays qui possède une population beaucoup plus élevée et dont les forces d’Etat sont, selon les experts militaires, plus puissantes, mieux entrainées et mieux équipées.

    Assad a à sa disposition une armée de 250.000 personnes, en plus de 300.000 réservistes actifs. L’an dernier, l’OTAN a été capable d’envoyer des milliers de missions aériennes et de missiles sur la Lybie sans rencontrer de réelle résistance. Mais la Syrie possède plus de 80 avions de chasse, 240 batteries anti-aériennes et plus de 4000 missiles sol-air dans leur système de défense aérien. Les stratèges militaires occidentaux admettent qu’une invasion du pays demanderait un effort monumental. Leurs troupes seraient irréductiblement embourbées dans de larges zones urbaines hostiles.

    Quant aux diverses propositions visant à aider la population et à affaiblir le régime Syrien sans offensive militaire directe (‘‘corridor humanitaire’’, ‘‘zone d’exclusion aérienne’’,…), elles exigent tout de même des opérations militaires offensives.

    Chaque ère protégée devraient très certainement être sécurisés avec des troupes au sol, qu’il faudrait ensuite défendre contre des attaques, ce qui exigerait l’envoi de forces aériennes. Les stratèges britanniques de la défense admettent qu’une action militaire quelconque contre la Syrie ‘‘conduirait presqu’inévitablement à une guerre civile encore plus aigüe et sanglante.’’

    De plus, la composition complexe de la Syrie (une majorité sunnite avec des minorités chrétienne, alaouite, druze, chiite, kurde et autres) entraîne le risque de voir l’intervention militaire occidentale déclencher une véritable explosion dans la région, sur bases de divisions ethniques et sectaires.

    Même sans une intervention occidentale directe, la Syrie continue de glisser vers une guerre civile ‘‘à la libanaise’’. L’implication directe des régimes locaux de droite et des puissances mondiales qui soutiennent soit l’opposition, soit le régime, encourage cela.

    Les puissances sunnites réactionnaires de la région, avec à leur tête l’Arabie Saoudite et le Qatar, utilisent la crise syrienne pour appuyer leur position contre les régimes chiites. Avec le soutien des USA et d’Israël, les régimes sunnites s’opposent à l’Iran, le plus important allié de la Syrie dans la région.

    Il apparait que la Turquie, l’Arabie Saoudite, le Qatar et les autres Etats du Golfe, chacun suivant son plan, acheminent des fonds et des armes à l’opposition Syrienne, avec le soutien tacite des USA. Une base de passage à la frontière existe même depuis la Turquie. Les forces d’opposition armée disent avoir tué 80 soldats syriens le weekend du début du mois de juin. En même temps, un commandant en chef des Gardiens de la Révolution en Iran a récemment admis que les forces iraniennes opèrent dans le pays pour soutenir Assad.

    Patrick Cockburn, le journaliste vétéran du Moyen-Orient, a écrit que les rebelles armés ‘‘pourraient probablement commencer une campagne de bombardement et d’assassinats sélectifs sur Damas’’ (Independent, dimanche 03/06/12). Le régime d’Assad riposterait en ayant recours à des ‘‘sanctions collectives’’ encore plus sauvages. Damas serait ‘‘ victime de la même sorte de haine, de peur et de destruction qui ont ébranlé Beyrouth, Bagdad et Belfast au cours de ces 50 dernières années.’’

    Le sectarisme s’approfondit. La minorité chrétienne craint de subir le même sort que les chrétiens d’Irak, ‘‘ethniquement purgés’’ après l’invasion américaine de 2003. Le régime d’Assad exploite et alimente cette peur pour se garder une base de soutien dans la minorité chrétienne, ainsi que chez les Alaouites, les Druzes et les Kurdes. Les USA, la Grande Bretagne, la France et l’Arabie Saoudite et leurs alliés sunnites dans la région ont utilisé sans scrupules la carte du sectarisme pour défendre un changement de régime à Damas et pour leur campagne contre l’Iran et ses alliés. Tout cela a des conséquences potentiellement très dangereuses pour les peuples des Etats frontaliers et dans toute la région.

    Le conflit Syrien s’est déjà déployé au Liban frontalier, où le régime d’Assad a le soutien du Hezbollah, qui fait partie de la coalition gouvernementale. Le conflit entre les sunnites et les alaouites pro-Assad dans la ville de Tripoli au Nord du Liban a fait 15 morts en un weekend. Ces dernières semaines, le conflit s’est dangereusement exporté à Beyrouth, faisant craindre la ré-irruption d’un conflit sectaire généralisé au Liban.

    La classe ouvrière de Syrie et de la région doit fermement rejeter toute forme de sectarisme et toute intervention ou interférence impérialiste.

    Intervention

    L’insurrection de mars 2011 en Syrie a commencé par un mouvement authentiquement populaire contre la police d’Etat d’Assad, l’érosion des aides sociales, les degrés élevés de pauvreté et de chômages et le règne de l’élite riche et corrompue.

    En l’absence d’un mouvement ouvrier fort et unifié avec un programme de classe indépendant, les courageuses manifestations massives semblent avoir été occultées et dépassées par des groupes d’oppositions armés et hargneux. Alors que beaucoup de Syriens restent engagés pour un changement révolutionnaire et résistent à la provocation sectaire, de plus en plus de dirigeants de ces forces sont influencés par les régimes réactionnaires de la région et par l’impérialisme.

    Les combattants islamistes de la province irakienne d’Anbar, de Lybie et d’ailleurs ont rejoint l’opposition armée libyenne. Une attaque à la voiture piégée à Damas qui a tué un nombre de personnes record en mai dernier est largement reproché aux combattants de l’opposition liés à Al-Qaeda.

    Le Conseil National Syrien (CNS), un groupe d’opposition exilé, demande une résolution du Conseil de Sécurité des Nations Unies autorisant l’usage de la force contre Assad, ce qui paverait la voie à une intervention armée, à l’instar de la Lybie.

    Alors qu’une grande partie du peuple libyen est dans une situation désespérée et que certains peuvent sincèrement espérer une intervention militaire extérieure, les évènements en Lybie illustrent que l’implication de l’OTAN ne conduit ni à la paix, ni à la stabilité. Le nombre de morts a connu une percée après que l’OTAN ait commencé ses attaques aériennes sur la Lybie, se multipliant par 10 ou 15 selon les estimations. Le pays, ruiné par la guerre, est maintenant dominé par des centaines de milices en concurrence qui dirigeants des fiefs.

    Environ 150 personnes sont mortes dans un conflit tribal dans le sud de la Lybie en mars, et le weekend dernier, une milice a temporairement pris le contrôle du principal aéroport du pays. La supposée administration centrale du pays (le Conseil National de Transition, non-élu et imposé par l’Occident) a sa propre milice, le Conseil Suprême de Sécurité, fort de 70.000 hommes. Les dirigeants de l’opposition bourgeoise et pro-impérialiste en Syrie cherchent sans doute à être mis au pouvoir d’une manière similaire par le pouvoir militaire occidental.

    Révolutions

    Cependant, la menace d’une intervention impérialiste en Syrie et l’implication de plus en plus forte des régimes réactionnaires Saoudiens et Qataris n’ont aucune raison de soutenir le régime d’Assad. Pour les socialistes, l’alternative a été clairement montrée lors des révolutions de l’année dernière en Tunisie et en Egypte, ainsi qu’aux débuts de la révolte syrienne en 2011.

    Elles ont illustré que c’est le mouvement massif et unifié des la classe ouvrière et des jeunes qui est capable de renverser les despotes et leurs régimes pour engager la lutte pour un changement réel aux niveaux politique et social. La reprise du mouvement révolutionnaire en Egypte, suite à l’issue injuste du procès de Moubarak et de ses sbires, souligne que ce n’est que par un approfondissement de l’action de masse du fait de la classe ouvrière et des jeunes qu’il peut y avoir un véritable changement.

    Les travailleurs de Syrie, quelle que soit leur appartenance ethnique ou religieuse, ont le droit de se défendre eux-mêmes contre la machine d’Etat d’Assad et contre toutes les milices sectaires. Les véritables socialistes, basés sur les traditions du marxisme révolutionnaire, appellent à la constitution immédiate de comités de défense indépendants, démocratiquement élus et contrôlés par les travailleurs, pour défendre les manifestations, les quartiers et les lieux de travail.

    Cela doit être lié à une nouvelle initiative de la classe ouvrière en Syrie, construisant des comités d’action dans toutes les communautés et les lieux de travail, en tant que base pour un mouvement indépendant des travailleurs.

    L’une de ses tâches serait d’enquêter indépendamment sur les responsables de la tuerie de Houla et de tous les autres massacres et assassinats sectaires. Cela montrerait aussi le rôle du régime d’Assad et de ses milices, ainsi que celui des puissances voisines et impérialistes.

    Comme partout, les Nations Unies sont incapables, à cause de leur asservissement aux principales puissances mondiales, d’empêcher les atrocités contre les civils ou de résoudre les conflits armés dans l’intérêt de la classe ouvrière.

    Suite au massacre de Houla, les grèves de ‘‘deuil’’ ont éclaté dans certains endroits de la Syrie. Les manifestations contre Assad continuent dans certaines villes, dont à Damas. Il est crucial que de telles manifestations prennent un caractère anti-sectaire et pro-classe ouvrière. Un mouvement de la classe ouvrière en Syrie développerait les manifestations de travailleurs, les occupations de lieux de travail et les grèves, dont des grèves générales, pour rompre avec le sectarisme et lutter pour le renversement du régime d’Assad. Un appel de classe aux soldats pauvres du rang à s’organiser contre leurs généraux, à se syndiquer et à rejoindre les manifestants, pourrait diviser les forces d’Etat meurtrières et les neutraliser.

    Les travailleurs syriens de toutes religions et ethnies ont besoin d’un parti qui leur est propre, avec une politique socialiste indépendante. Un tel parti avec un soutien massif peut résister avec succès au sectarisme et aux politiques empoisonnées du diviser pour mieux régner d’Assad, des régimes sunnites et chiites de la région et de l’impérialisme hypocrite.

    Un programme socialiste – appelant à un contrôle et une gestion démocratiques de l’économie par les travailleurs pour transformer les conditions de vie, créer des emplois avec des salaires décents et une éducation, la santé et les logements gratuits et de qualités – inspirerait les travailleurs et les jeunes à rejoindre le camp de la révolution.

    Sous un drapeau authentiquement socialiste, en opposition aux forces prétendument ‘‘socialistes’’ qui soutiennent le régime dictatorial de Bachar el-Assad, la révolte populaire contre le régime syrien appellerait les travailleurs de la région à étendre la révolution.

    En liant ensemble les mouvements révolutionnaires qui ont lieu en Syrie, en Tunisie, en Egypte et ailleurs en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, sur base d’un programme d’orientation socialiste, où les secteurs clés de l’économie seraient aux mains des masses, la classe ouvrière pourrait dégager les tyrans et porter de puissants coups au capitalisme pourri et à l’ingérence impérialiste. Cela pourrait se transformer en une lutte pour une confédération socialiste volontaire et équitable du Moyen-Orient, dans laquelle les droits de toutes les minorités seraient garantis.

  • [DOSSIER] Quel avenir pour la Libye après la mort de Kadhafi ?

    Dans cet article, publié initialement en anglais le 25 novembre, Robert Bechert (du Comité pour une Internationale Ouvrière) fait le point sur la situation après la mort de Kadhafi et développe la nécessité de construire une organisation indépendante des travailleurs, des jeunes et des pauvres de Libye, afin d’éviter le déraillement de la révolution.

    Robert Bechert, CIO

    Tandis que la défaite des dernières véritables forces de défense du régime dictatorial et de plus en plus mégalomane de Kadhafi a été largement acclamée, la manière dont ce régime est tombé signifie que de sombres nuages recouvrent le futur de la révolution libyenne.

    Les masses laborieuses et la jeunesse libyennes sont maintenant confrontées tant à des opportunités qu’à des dangers. L’absence d’un mouvement ouvrier indépendant, l’amertume découlant d’une guerre civile de plus en plus brutale, et en particulier de l’intervention de l’OTAN, se sont combinées à l’histoire et aux caractéristiques propres de la Libye pour produire une situation sociale et politique extrêmement compliquée.

    En aout, juste après la chute de Tripoli, nous écrivions que ‘‘La chute de Tripoli a été accueillie avec joie par un grand nombre de Libyens, mais certainement pas par l’ensemble d’entre eux. Un autre dirigeant autocratique, entouré de sa famille et de ses laquais privilégiés, a à son tour été renversé. Si cela avait été purement le produit d’une lutte de la part des masses laborieuses libyennes, cela aurait été largement acclamé, mais l’implication directe de l’impérialisme porte une ombre fort sombre au tableau du futur de la révolution…

    ‘‘Tandis que de nombreux Libyens font la fête, les socialistes doivent être clairs sur le fait que, contrairement à la chute de Ben Ali en Tunisie et de Moubarak en Égypte, la manière dont Kadhafi a été éliminé signifie que ce qui est une victoire pour la population libyenne, en est également une pour l’impérialisme. Sans les soldats, forces aériennes, armes, organisations, et entrainement fournis par l’OTAN et par d’autres pays tels que l’autocratie féodale qatarie, Tripoli ne serait pas tombée aux mains des rebelles de la manière dont cela s’est produit.’’ (“Le régime Kadhafi s’effondre”, 26 aout 2011, www.socialistworld.net).

    Bien entendu, les dirigeants occidentaux célèbrent aujourd’hui la mort de leur récent ami et allié Kadhafi avec un mélange d’hypocrisie et de recherche de profit. Ils ont ressorti du placard les vieux chefs d’accusation selon lesquels Kadhafi soutenait l’IRA en Irlande et, de manière générale, le terrorisme à l’échelle internationale. Toutes ces accusations avaient avaient sombré dans l’oubli après que Kadhafi soit devenu leur allié dans le cadre de la “guerre contre la terreur”. De telles charges pourraient d’ailleurs (et devraient) être dirigées contre le premier ministre britannique Cameron et tous les autres qui ont soutenu la guerre en Irak. Il y a aussi l’exemple des prédécesseurs de la flopée actuelle de dirigeants capitalistes qui, dans un passé pas si lointain, ont financé et armé les rebelles Contras au Nicaragua ou encore les Moudjahidines afghans, si merveilleusement “démocratiques” et “pro-femmes”.

    Tandis que certains dirigeants de l’OTAN ont, après le désastre de l’invasion de l’Irak, utilisé cette guerre comme une tentative de réhabiliter la doctrine de l’“intervention humanitaire”, d’autres sont plus prudents, vu qu’ils ne sont guère confiants concernant l’avenir de la Libye. Les enquêtes menées par les gouvernements occidentaux autour des circonstances exactes de la mort de Kadhafi ne sont qu’une tentative de répondre à une partie du mécontentement public dans les médias. Ces derniers, avec les images du cadavre de Kadhafi, se sont lancés dans une véritable orgie de “death porn”. C’est aussi une manière de se donner une certaine marge pour se distancier des futurs développements en Libye, au cas où ceux-ci ne se dérouleraient pas de la manière dont ils l’espèrent.

    L’administration Obama est complètement hypocrite lorsqu’elle réclame de savoir comment Kadhafi a été tué. Après tout, n’a-t-elle pas elle-même récemment tué Ben Laden plutôt que de le prendre prisonnier ? Nous aurions préféré que Kadhafi soit jugé pour ses crimes devant un tribunal populaire, ce qui aurait permis de révéler au grand jour la corruption de son régime répressif et ses liens avec l’impérialisme. Mais c’est précisément à cause de ces liens que l’impérialisme se réjouit si ouvertement du fait que Kadhafi ait été tué…

    Les multinationales ont déjà commencé à réfléchir à la meilleure manière de tirer profit de la reconstruction de la Libye. Le gouvernement britannique a calculé qu’il y aurait au moins pour plus de 200 millions d’euros de contrat “à saisir” en Libye (London Evening Standard, 21 octobre 2011). Ainsi, dès le lendemain de la mort de Kadhafi, le ministre de la Défense britannique ordonnait aux entreprises britanniques de “faire leurs valises” pour aller en Libye y décrocher des contrats. Il n’a pas été rapporté s’il a précisé ce qu’il fallait mettre exactement dans ces valises, mais on peut d’avance supposer que quelques pots-de-vin seront en jeu. C’est là la manière “normale” de faire leurs affaires pour les compagnies internationales, surtout dans les pays riches en matières premières. À peine deux jours après cela, on apprenait que le même ministère de la Défense allait entamer des procédures légales pour empêcher un lieutenant-colonel britannique à la retraite, Ian Foxely, de publier un livre. Ce livre décrit en détails le paiement de 11,5 millions de livres sterling (13M€) qui auraient été versé à un prince saoudien pour “appuyer” un contrat de livraison de matériel militaire (Sunday Times de Londres, 23 octobre 2011).

    Voilà la norme pour les puissances impérialistes. Elles n’ont jamais eu le moindre scrupule quant à leur soutien à des régimes dictatoriaux tels que l’Arabie saoudite aujourd’hui ou Kadhafi hier, tant que cela peut satisfaire leurs intérêts économiques et/ou stratégiques. Ainsi, ce n’était pas un problème pour le Royaume-Uni ni pour les États-Unis de “livrer” leurs propres prisonniers aux geôles de Kadhafi.

    L’insurrection de masse de février

    Au départ, Kadhafi, ayant tiré les leçons du renversement de Ben Ali et de Moubarak, a lancé une contre-offensive contre Benghazi et les autres centres de la révolution de février. Ceux-ci étaient certainement menacés, mais Benghazi, cité d’un million d’habitants, aurait pu être défendue par une défense populaire de masse, en plus d’un appel révolutionnaire aux travailleurs, aux jeunes et aux pauvres du reste de la Libye. Cela aurait pu mener à une victoire bien plus rapide et aurait évité l’intervention impérialiste.

    À Benghazi en février, au début de la révolution, des affiches écrites en anglais étaient placardées dans la ville, avec le slogan “Non à l’intervention – les Libyens peuvent se débrouiller tout seuls”. Mais la direction auto-proclamée de l’insurrection ne voulait pas entendre parler de cela. Dominé par une clique de renégats du régime et d’éléments ouvertement pro-impérialistes, le Conseil national de transition (CNT), mettant de côté l’élan populaire initial et son attitude opposée à toute intervention étrangère, s’est tourné vers les puissances impérialistes et les États arabes semi-féodaux pour y chercher un soutien.

    Les grandes puissances impérialistes ont sauté sur cette occasion d’intervenir, tout en se justifiant à l’aide d’arguments “humanitaires”, pour ‘‘sauver des vies’’. Elles tentaient ainsi de contenir la révolution, de reconstruire leurs points d’appui dans la région et d’accroitre leur exploitation des ressources naturelles libyennes. D’où leur approche extrêmement sélective en ce qui concerne la défense des civils.

    Ces mêmes puissances impérialistes qui sont accourues à grands cris défendre Benghazi n’ont absolument rien fait pour empêcher l’offensive menée par le gouvernement israélien en 2008-09 contre Gaza. Cette année-ci, l’impérialisme a virtuellement gardé le silence sur la brutalité de ses proches alliés – le régime bahreïni et l’autocratie saoudienne – lorsque ces derniers ont manœuvré afin d’écraser l’opposition de la manière la plus violente qui soit. D’une manière qui n’est pas sans rappeler l’effondrement des régimes staliniens il y a 20 ans, l’impérialisme a tiré parti d’un mouvement spontané qui savait fort bien contre quoi il se battait, mais qui par contre ne possédait pas un programme clair qui lui soit propre. C’est pourquoi les militants du Comité pour une Internationale Ouvrière à travers le monde se sont résolument opposés à l’intervention de l’OTAN et ont constamment prévenu qu’il ne fallait en aucun cas entretenir la moindre illusion envers l’OTAN, insistant sur le fait que les travailleurs et la jeunesse du pays devaient construire ensemble leur propre mouvement démocratique et indépendant s’ils voulaient assurer que cette révolution puisse réellement transformer leurs vies.

    Qui dirige la Libye aujourd’hui ?

    Les puissances impérialistes, le CNT et d’autres affirment que la Libye a connu la plus complète de toutes les révolutions survenues en Afrique du Nord au cours de cette année. Dans un certain sens, c’est vrai puisque, malgré le fait qu’une certaine couche d’ex-cadres de Kadhafi ait décidé de virer de bord, la plupart du vieil État, et en particulier les forces armées et la police, a entièrement été démantelée au cours de la révolution et de la guerre civile. Mais, à la fois, ce n’est pas vrai, dans le sens que les révolutions en Tunisie et en Égypte ont toutes deux été un mouvement de masse qui a terrifié l’impérialisme, malgré le fait que dans ces deux cas, la machine étatique du vieil État soit jusqu’à présent en grande partie parvenue à se préserver en sacrifiant à cet effet le vieux dictateur qui se trouvait à sa tête. En Libye, au contraire, l’impérialisme s’est non seulement accommodé de la révolution mais, dans un certain sens, il en a même tiré profit.

    À de nombreux égards, le CNT reste toujours essentiellement une force nationale fictive, sa base de pouvoir demeurant surtout à l’est, autour de Benghazi. C’est d’ailleurs de là aussi qu’a été proclamée la fin de la guerre civile le 23 octobre dernier. Aucune date n’a encore été avancée pour le déménagement du CNT à Tripoli – qui n’est pas seulement la capitale de la Libye, mais aussi la ville où vit un tiers de la population du pays. Les dirigeants du CNT ne sont toujours pas parvenus à nommer un nouveau “cabinet” pour remplacer celui qui a démissionné après le meurtre – toujours inexpliqué – du commandant militaire du CNT, le général Younès, par certains de ses ex-alliés rebelles. Le premier “premier ministre” du CNT, l’infâme Mahmoud Jibril, a été maintenant remplacé par Ali Tarhouni. Tarhouni était l’ancien ministre des Finances du CNT. Jusqu’à la révolution, il était professeur d’économie à l’université de Seattle, aux USA. Sa femme est avocate et travaille pour le Parquet de l’Etat de Washington. Tarhouni a reçu un mois pour nommer un cabinet intérimaire, ce qui montre bien l’ampleur des problèmes auxquels est confronté le CNT, ne serait-ce que pour se constituer lui-même.

    La tragédie de la première étape de la révolution libyenne est le fait que l’insurrection initiale, essentiellement spontanée, n’a pas eu pour résultat le développement d’une auto-organisation démocratique des masses laborieuses et de la jeunesse.

    Malgré l’implication d’un grand nombre de Libyens dans les combats et malgré l’armement de masse de la population, il n’y a jusqu’à présent aucun signe de la moindre tentative de la part des travailleurs, des jeunes et des pauvres libyens d’établir leur propre pouvoir indépendant, démocratique et collectif sur la société. Tandis que des organes locaux, souvent de quartier, ont surgi çà et là, ils ne sont pas connectés ensemble, ni systématiquement démocratiques. Sans organisations fortes, démocratiques et indépendantes dans les quartiers et dans les entreprises, ce sont les milices et les mosquées qui sont en train de prendre la direction de l’organisation de la sécurité et du redémarrage des services publics. Mais ces milices ne sont pas dirigées de manière démocratique et la population n’a aucun contrôle sur elles. Elles sont divisées selon des lignes géographiques, tribales, ethniques ou philosophiques, et leurs dirigeants ont leur propre agenda.

    En l’absence, jusqu’à présent, du développement d’un mouvement ouvrier et de forces de gauche, les groupes islamistes ont commencé à tenter de se constituer un soutien plus large. L’État pétrolier autocratique du Qatar, qui possède le réseau télévisé al-Jazira, joue un rôle crucial par son soutien à des milices ou à des dirigeants individuels.

    Lorsqu’il a proclamé à Benghazi la “Libération de la Libye” et la fin des combats, le président du CNT Jalil – l’ex-ministre de la Justice de Kadhafi – a déclaré : ”En tant que pays islamique, nous avons adopté la charia comme base de notre loi.” Qui au juste a pris cette décision ? Ce n’est pas très clair, mais cela reflète l’influence croissante des forces islamistes. Jalil a annoncé dans la foulée, et de manière complètement inattendue, l’interdiction des intérêts sur les prêts d’argent et l’abolition d’une loi décrétée naguère par Kadhafi qui requérait des hommes une autorisation de la part de leur femme dans le cas où ils voulaient prendre une seconde épouse. Jalil a justifié cela par le fait que : ”Ceci n’est pas notre Coran. Nous considérons le Coran comme étant la première source pour notre Constitution et pour toutes nos règles – pas la seule, mais la principale.”

    L’impérialisme, tout en espérant que le CNT sera capable d’incorporer les différents éléments afin de stabiliser la situation, éprouve également de fortes craintes quant à la manière dont la situation pourrait se développer.

    Paddy Ashdown, l’ex-“haut représentant” de l’OTAN pour la Bosnie-Herzégovine, est d’avis que des élections devraient être organisées ”aussi tard que possible” en Libye. La première priorité, selon Ashdown, est de rétablir le ”règne de la loi – peut-être même la loi martiale dans un premier temps”, et de même, ”le monopole étatique de l’usage de forces mortelles” (The Guardian, Londres, le 22 octobre 2011). Bien entendu, pour des raisons de présentation, Ashdown a refusé de dicter qui devrait selon lui établir cet “État” en premier lieu. Cherchant à ne pas paraitre trop brutal, Ashdown a décidé d’éviter de mentionner le fait que ce qu’il voulait vraiment dire est qu’il faut que la Libye soit dirigée par un gouvernement auto-proclamé, soutenu par l’impérialisme, et que toute implication de la population libyenne soit postposée jusqu’à “aussi tard que possible”. Et m… pour la démocratie !

    La stabilisation ne sera toutefois pas facile. De nombreux Libyens, surtout parmi la jeunesse, sentent maintenant qu’ils ont l’opportunité et le pouvoir de décider de leur propre avenir. Il sera difficile d’immédiatement asseoir l’autorité du CNT ou de tout autre gouvernement. En outre, on voit se dessiner des lignes de rupture parmi les différentes milices, par exemple entre celles de Misrata et de Zintan à l’Ouest, et celles de Benghazi à l’Est. La minorité berbère (qui a joué un rôle crucial dans les combats à l’ouest du pays) a aussi ses propres revendications et il existe encore des tensions entre les diverses milices de Tripoli. En ce moment, l’impérialisme espère que la richesse pétrolière libyenne permettra de maintenir le pays en un seul morceau. Mais cette même richesse pourrait également conduire à des luttes, en particulier entre les différentes élites en compétition pour le partage du butin.

    Bien qu’un certain sentiment d’appartenance nationale libyenne se soit accru au cours des dernières décennies, la révolution et la guerre civile ont de nouveau ouvert des lignes de fracture sur des bases tribales, claniques, ethniques et régionales. Elles pourraient, en l’absence d’un mouvement ouvrier capable d’unifier les masses laborieuses par la lutte, mener à des divisions croissantes à l’avenir. Celles-ci pourraient être encore attisées par les conditions qui vont suivre la fin de la guerre civile. La combinaison de la hausse du niveau de vie depuis 1969 et de la campagne de bombardement de l’OTAN ont poussé toute une série de gens à se battre fermement afin de défendre le régime ou, de leur point de vue, afin de repousser l’envahisseur étranger.

    Mais ce n’est encore que le début ; les travailleurs et la jeunesse libyens n’ont pas encore posé leurs revendications sur la table. Un facteur crucial dans la révolution a été la révolte retentissante de la jeunesse contre la corruption et le népotisme étouffant du régime de Kadhafi. 30% des 6,5 millions de Libyens ont moins de 15 ans, l’âge moyen est de 24 ans, et il y a près d’un quart de million d’étudiants dans le supérieur. Ceux-ci attendent beaucoup de la suite des événements, surtout en ce qui concerne la fin du chômage qui touche aujourd’hui 20% de la population.

    Le pétrole et le gaz ont fait de la Libye un pays riche. La Banque mondiale estime qu’elle possède pour 160 milliards de dollars de réserve en devises étrangères. Ce revenu et cette richesse ont permis à Kadhafi de rehausser le niveau de vie. L’éducation et les soins de santé étaient gratuits, et de nombreuses denrées de base étaient subsidiées. L’espérance de vie était de 51 ans en 1969 (l’année où Kadhafi a pris le pouvoir), et de 74 ans aujourd’hui. Tout cela explique pourquoi son régime a conservé un certain soutien malgré tout. Mais toutes ces mesures dépendent du prix du pétrole. Toute nouvelle rechute de l’économie mondiale transformerait la situation de manière fondamentale et menacerait de plonger le pays dans le désastre. Lorsque les prix du pétrole ont chuté dans les années ’80, le PIB libyen s’est effondré de 40%.

    Maintenant, plus que jamais, la création d’organisations ouvrières démocratiques et indépendantes, y compris un parti des travailleurs, est une question vitale. C’est là la seule manière par laquelle les travailleurs, les opprimés et la jeunesse seront capables de parvenir à une réelle transformation révolutionnaire du pays et de contrer les plans de l’impérialisme, de mettre un terme à la dictature et de transformer les vies de la masse de la population.

    Sans cela, d’autres forces vont venir remplir le vide. Afin de limiter l’influence de celles-ci et de mener à bien ses propres objectifs, le mouvement ouvrier aura besoin de défendre l’ensemble des droits démocratiques, d’impliquer les travailleurs immigrés et de défendre leurs droits, et de s’opposer à la privatisation des richesses de la Libye.

    Il devra également exiger le retrait de toutes les forces militaires étrangères et s’opposer à toute nouvelle intervention de leur part, tout en réclamant l’élection démocratique d’une Assemblée constituante et, avant tout, en rejetant toute participation à un gouvernement avec des forces pro-capitalistes. Au lieu de cela, il devra s’efforcer de bâtir un gouvernement constitué de représentants des travailleurs et des pauvres, basé sur des structures démocratiques ancrées dans les entreprises et dans les quartiers et communautés. Un tel gouvernement utiliserait les ressources de la Libye pour sa population. Cela serait une véritable victoire pour la révolution libyenne, et constituerait un exemple à l’échelle internationale sur la manière de mettre un terme à la fois à la dictature et aux misères du capitalisme.

    Réécrire l’Histoire

    Après l’élimination de Kadhafi, il était inévitable que l’impérialisme et les restes de la vieille élite renversée en 1969 se mettent à réécrire l’histoire de la Libye, de manière complètement exagérée, cherchant à faire passer l’idée qu’il était une fois, avant Kadhafi, où la Libye a connu une période “démocratique”.

    Au cours des 42 ans où il est resté au pouvoir, Kadhafi a effectué de nombreux revirements politiques, parfois de manière fort brusque. En 1971, il a aidé le dictateur soudanais de l’époque, Nimeiry, à écraser un coup d’État de gauche qui avait été organisé en réaction à la répression de la gauche, y compris l’interdiction du parti communiste soudanais qui comptait alors un million de membres. Six ans plus tard, Kadhafi proclamait une “révolution populaire” et changeait le nom officiel du pays de “République arabe libyenne” à “Grande Jamahiriyah arabe libyenne populaire et socialiste”. Malgré le changement de nom et la formation de soi-disant “comités révolutionnaires”, cela n’avait rien à voir du tout avec un véritable socialisme démocratique, et n’était aucunement un pas en avant dans cette direction. Politiquement, le régime était similaire aux anciens régimes staliniens d’Union soviétique et d’ailleurs ; mais la Libye, malgré des nationalisations à tout va, n’avait pas totalement rompu avec le capitalisme. Plus tard, après 2003, Kadhafi avait commencé à privatiser l’économie. Sous Kadhafi, les travailleurs et la jeunesse libyens n’ont jamais dirigé le pays. Kadhafi restait au pouvoir. Cela était souligné par le rôle de plus en plus proéminent qui était joué par bon nombre de ses enfants au sein du régime.

    Mais dire qu’il n’y avait aucune démocratie sous Kadhafi, ne revient pas à dire qu’il y en avait une avant 1969 ! Formellement, il y a eu en Libye cinq élections organisées sous la monarchie soutenue par le Royaume-Uni et par les États-Unis – mais quel était leur véritable caractère ? Après l’indépendance en 1951, les toutes premières élections organisées en Libye, en 1952, n’ont permis la participation que de 140.000 électeurs masculins, “sains d’esprit et solvables”. Le vote n’était secret que dans dix circonscriptions urbaines. Malgré une fraude éhontée à travers tout le pays, l’opposition du Parti du Congrès national a remporté la majorité des sièges à Tripoli. À la suite des protestations contre le trucage des élections, les partis politiques se sont vus frappés d’interdiction et le dirigeant du PCN, Bashir Bey Sadawi, a été expulsé du pays.

    Lors des quatre élections suivantes, seuls des individus, et non des partis, ont eu le droit de se présenter aux élections. Mais en 1964, malgré le harcèlement et les arrestations, toute une série de candidats d’opposition ont tout de même été élus. Le parlement a cependant rapidement été dissout et de nouvelles élections ont été organisées en 1965, avec encore plus de fraudes, souvent de manière extrême, afin d’assurer la victoire des candidats pro-gouvernement dans cette dernière “élection” avant le renversement de la monarchie, en 1969.

    L’impérialisme n’a jamais particulièrement souhaité le maintien de la Libye en tant qu’État uni. Il était alors confronté à la popularité croissante en Libye, et ailleurs au Moyen-Orient, du dirigeant nationaliste radical égyptien, le colonel Nasser. En 1959, les États-Unis discutaient du fait que, au cas d’un coup d’État nassérite en Libye, ”La Tunisie, auparavant renforcée comme il se doit par les États-Unis, devrait se saisir de la Tripolitaine”, c.-à-d. que la Libye devrait être partitionnée.

  • Moyen-Orient et Afrique du Nord : L’intervention impérialiste nuit gravement aux révolutions

    Les travailleurs et les pauvres doivent prendre leurs révolutions en main

    Les mouvements révolutionnaires en Tunisie et en Égypte ont démontré que les changements basés sur la lutte des masses sont à nouveau d’actualité. Il est toutefois certain que ce processus révolutionnaire est complexe et son développement soulève de nouveaux défis. Chasser les dictateurs est parfois plus difficile et, en soi, cela ne suffit pas pour parvenir à un changement véritable.

    Par Geert Cool

    Tunisie et Egypte : poursuivre la révolution !

    Le 1er mai et les jours suivants, des milliers de jeunes et de travailleurs ont manifesté à Tunis et ont exprimé leur frustration face à l’absence de véritable changement. Le chômage continue à progresser et le ‘‘nouveau’’ gouvernement reste lié à l’ancien régime. Le 1er mai, la manifestation radicale à Tunis a pu compter sur près de 5.000 participants malgré la répression. Les manifestants criaient : ‘‘Nous devons poursuivre cette révolution au nom des travailleurs.’’

    En Égypte, le soulèvement révolutionnaire prend un second souffle sur base de la colère face au gouvernement, qui prétend ne pas avoir suffisamment de moyens pour améliorer le niveau de vie et applique une politique néolibérale. Le 1er mai, 4.000 ouvriers du textile sont entrés en grève à Mahalla (le centre textile du pays) afin de protester contre la hausse des prix et pour le développement de syndicats indépendants. Les médecins sont eux aussi partis en grève afin d’exiger une augmentation du budget destiné aux soins de santé publics. Les manifestants égyptiens disaient (à juste titre) : ‘‘Nous avons fait chuter le dictateur, il reste encore la dictature.’’ Il ne suffit en effet pas de simplement décapiter le sommet du système pour que celui-ci s’effondre.

    Le fait même que l’opposition se poursuive en Tunisie et en Egypte illustre qu’il n’est plus possible de simplement revenir à la situation connue jadis. La peur de protester a disparu et ne reviendra pas simplement ‘‘comme ça’’. Cela doit être saisi comme une opportunité de mettre en place des syndicats, partis et organisations ouvriers indépendants, avec leur propre programme orienté vers un changement socialiste de la société.

    Libye et Syrie : organiser les travailleurs

    En Égypte et en Tunisie, les dictateurs ont été chassés dès que le mouvement ouvrier organisé est apparu sur le devant de la scène. En Libye et en Syrie aussi, les travailleurs et les pauvres doivent s’organiser afin de prendre le devant de la lutte. L’intervention militaire en Libye n’était pas uniquement dirigée vers Kadhafi. Il était aussi crucial pour l’impérialisme de stopper la vague des révolutions avant que celle-ci ne submerge également l’Arabie Saoudite et les États du Golfe. L’impérialisme veut récupérer son contrôle de la situation et avoir des régimes de pantins fiables laissant libre accès aux matières premières pour l’occident.

    Dès le début de la révolte sont apparus à Benghazi des slogans tels que : ‘‘Non à l’intervention étrangère, les libyens peuvent le faire eux-mêmes.’’ Cette position se trouve peut être bien isolée aujourd’hui en Libye, elle n’en reste pas moins correcte. Maintenant que Kadhafi est toujours debout, après plusieurs semaines de guerre, le soutien à l’intervention est probablement plus fortement remis en question. Il reste nécessaire d’organiser les travailleurs et les pauvres à travers le pays entier dans une lutte offensive contre le régime de Kadhafi.

    Une intervention militaire en Syrie n’est pas directement à l’agenda. Pour les USA, notamment, le problème est que les interventions ne sont toujours pas finies en Irak, en Afghanistan et en Libye. Mais il existe aussi la crainte que les divisions ethniques et religieuses – très fortes dans le pays – ne conduisent à un scénario ‘‘à la yougoslave’’ de violence et de guerre civile.

    Pour prévenir un tel scénario, les travailleurs et les jeunes doivent développer leurs propres organisations indépendantes. Des comités de lutte de quartiers doivent être construits à côté de conseils ouvriers dans les usines. Voilà qui peut dépasser les divisions parmi les travailleurs tout en donnant une voix et une organisation aux masses pour défendre la révolution. Il faut lancer un appel à instaurer démocratiquement des comités à chaque lieu de travail, dans tous les quartiers, parmi les soldats du rang,…

    Renverser totalement les vieux régimes

    Il est insuffisant de stopper un dictateur pour qu’il soit remplacé par un autre groupe de gangsters. Le mouvement doit s’organiser et s’armer d’un programme de changement socialiste contre la répression, le chômage, la misère et l’impérialisme. Ce mouvement doit se construire de la base, d’en bas et démocratiquement, pour coordonner la lutte contre le vieux régime tout en assurant la sécurité de l’opposition et en organisant le ravitaillement. Ces structures seraient la base d’un futur gouvernement de représentants des travailleurs et des pauvres. Un tel gouvernement empêcherait le retour de la réaction, défendrait les droits démocratiques et commencerait à répondre enfin aux besoins économiques et sociaux des masses. Pour réaliser une rupture totale avec les régimes actuels, il faut un gouvernement des travailleurs et des pauvres. Un tel gouvernement organiserait immédiatement des élections libres et prendrait de toute urgence les mesures qui s’imposent afin d’améliorer le niveau de vie des masses. Nous défendons donc la tenue d’une Assemblée constituante révolutionnaire et démocratique ainsi que l’arrivée d’un gouvernement des travailleurs et des paysans pauvres qui s’engage dans la voie d’une économie démocratiquement planifiée, dans les mains publiques, pour le plus grand intérêt de la majorité de la population.


    Aucune confiance envers l’intervention militaire

    La guerre en Libye ne visait pas à défendre la population. Si les Droits de l’Homme motivaient vraiment cette décision, pourquoi ne rien faire pour le Bahreïn ou le Yémen ? La raison est simple : un dictateur qui est un fiable allié des puissances occidentales (Bahreïn) ou un pays qui possède trop peu d’intérêts stratégiques (Yémen).

    Notre résistance à l’intervention militaire ne signifie toutefois aucunement que nous laissons les rebelles de Benghazi à leur sort. Nous pensons seulement que les travailleurs et les pauvres doivent eux-mêmes prendre en main la lutte contre Kadhafi et qu’aucune avancée réelle ne viendra avec ceux qui hier encore armaient Kadhafi.

    Après plus de deux mois de guerre, Kadhafi est toujours là. L’impérialisme semble provoquer une partition du pays avec un partenaire fiable à l’est (autour de Benghazi) afin de garantir l’accès aux matières premières comme le pétrole, avec un régime qui mènera une politique néolibérale qui apportera chômage et pauvreté pour la majorité de la population.


    Aucun soutien aux dictateurs !

    Dans notre pays, le dictateur syrien Bachar el-Assad peut, étrangement, compter sur beaucoup de crédit au PTB. L’hebdomadaire du parti se réfère à l’opinion des ‘‘communistes syriens’’ qui affirment que ‘‘Ces événements pourraient être évités si la logique sécuritaire est remplacée par la logique politique.’’ Ils affirment encore que ‘‘La tragédie en cours profite seulement aux ennemis de la Syrie, aux ennemis de notre projet national, aux forces qui veulent enrayer le processus de réformes.’’

    Le régime syrien applique une politique de privatisations et, dans la passé, n’a pas hésité à commettre des massacres contre sa propre population (notamment en 1982). Nous n’avons aucune confiance envers de semblables dictatures. Ce n’est pas parce qu’ils adoptent une rhétorique anti-impérialiste que cela en fait des alliés dans la lutte contre l’impérialisme. Le raisonnement selon lequel ‘‘l’ennemi de mon ennemi est mon ami’’ ne tient aucunement compte de la situation des travailleurs et de leurs familles.


    La mort de Ben Laden ne signifie pas la fin des fondamentalistes

    Les révolutions au Moyen-Orient et en Afrique du Nord ont miné l’impact de la stratégie d’Al-Qaeda : ce n’est pas le terrorisme, mais bien la lutte de masse des travailleurs et des pauvres qui a provoqué un changement. L’élimination de Ben Laden arrive à un moment où le soutien au terrorisme est au plus bas. Mais la liquidation de Ben Laden a été l’opportunité pour les USA d’emballer une défaite de presque dix ans comme une victoire, qui ne met d’ailleurs pas du tout un terme à la situation explosive en Afghanistan et au Pakistan.

    Si les révolutions au Moyen-Orient et en Afrique du Nord ne se poursuivent pas vers l’obtention d’un changement fondamental, la désillusion peut conduire à un regain de soutien pour le terrorisme individuel et le fondamentalisme religieux. Mais si les révolutions se poursuivent, il n’est pas exclu qu’elles soient imitées au Pakistan, en Afghanistan, en Inde,… là où le mécontentement face à la hausse des prix et à la corruption est au plus haut.

  • LIBYE: Soutien aux masses et à leur révolution ! Aucune confiance dans l’intervention impérialiste !

    Face à l’avance rapide des troupes de Kadhafi, la décision du Conseil de sécurité de l’ONU a été fêtée dans les rues de Benghazi et de Tobrouk. Les puissances coalisées se présentent aujourd’hui en sauveurs de Benghazi. Mais l’intervention militaire va-t-elle véritablement aider la révolution en Libye ?

    Par Boris Malarme

    La chute des dictateurs Ben Ali et Moubarak a inspiré des millions de jeunes, de travailleurs et de pauvres en Afrique du Nord, au Moyen-Orient et partout dans le monde. Presque chaque pays de la région est touché par les contestations contre l’absence de libertés démocratiques et contre la misère. Ces victoires ont encouragé les masses en Lybie à suivre la même voie.

    Kadhafi et ses anciens amis

    L’Italie, la France, l’Espagne et l’Allemagne sont les principaux partenaires commerciaux de la Libye. Tous sont engagés dans l’offensive militaire (comme la Belgique), à l’exception de l’Allemagne qui vient de décider d’augmenter son engagement militaire en Afghanistan.

    En octobre 2010, la Commission Européenne a passé un contrat de 50 millions d’euros sur trois ans, en échange d’efforts visant à empêcher les réfugiés d’arriver en Europe ! La Libye est aussi un grand investisseur en Europe via le fond d’investissements “Libyan investment Authority”. Khadafi est encore actionnaire de la banque UniCrédit, de Fiat, de la Juventus,… La Lybie – douzième producteur mondial de pétrole et première réserve de pétrole d’Afrique – exporte 80% de son pétrole à destination de l’Europe. La panique sur les bourses et la montée du prix du baril, qui a dépassé le seuil des 120$, a illustré que les marchés craignent le développement de la révolution libyenne et la remise en cause des profits que garantissait le régime.

    Nombreux sont ceux qui se souviennent de la visite de Kadhafi à l’Elysée, en 2007, quand Sarkozy balayait toute critique avec ses 10 milliards d’euros de contrats commerciaux. L’Espagne a fait de même pour 11 milliards d’euros.

    La Belgique n’est pas en reste (141 millions d’euros d’exportation vers le pays en 2008). La Belgique a d’ailleurs été le premier pays à recevoir Kadhafi en 2004, quand la communauté internationale a cessé de l’isoler. Après une entrevue avec la Commission Européenne, la tente du dictateur a été plantée dans les jardins du palais de Val Duchesse, où Kadhafi a été reçu en grande pompe par Guy Verhofstat, Louis Michel et Herman de Croo. Louis Michel avait préparé sa venue en lui rendant visite à Syrte, entouré de patrons belges. Le CDh et Ecolo avaient bien protesté, mais cela ne les a pas empêché de participer au gouvernement Wallon avec le PS et de valider ensemble la livraison d’armes de la FN en Libye.

    Après une première rencontre avec Kadhafi en 1989, Robert Urbain, ministre (PS) du Commerce extérieur des gouvernements Martens et Dehaene, a conduit une mission commerciale en Libye en 1991, avec de nombreux industriels et confirmant l’accord commercial général conclu avec la Libye et gelé en 1983. Les investisseurs ont même dégoté un contrat immobilier mégalomane : deux livres vert monumentaux à la gloire du régime…

    Les gouvernements successifs connaissaient les crimes et les atrocités commises par le régime de Kadhafi contre les opposants et la population, mais ont maintenu des liens commerciaux étroits. La participation belge à l’intervention n’est qu’hypocrisie, les politiciens qui tendaient encore hier leur main à Kadhafi essayent aujourd’hui de faire oublier leur attitude passée, tout en tentant de sauvegarder les positions commerciales et les profits des entreprises belges.

    En Europe et ailleurs, un fort sentiment de sympathie envers ces révolutions est présent parmi la population. Le soutien de nos gouvernements aux régimes dictatoriaux et répressifs à travers tout le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord a écorné leur image “démocratique”. Après avoir soutenu et armé la dictature de Kadhafi, l’entrée en guerre des puissances de la coalition n’a pas pour objectif de venir au secours des masses libyennes et de leur révolution. Jusqu’ici, elles étaient plutôt enchantées de faire affaire avec le régime de Kadhafi au vu des ressources gazières et pétrolières contrôlées par le régime.

    Aujourd’hui, les puissances occidentales tentent d’exploiter la révolution afin de restaurer leur prestige et d’obtenir un régime plus favorable à l’emprise des multinationales sur les richesses du pays, ou au moins de sa partie Est, au vu de la possibilité d’une partition du pays. Comment la présence des Emirats Arabes Unis et du Qatar au sein de la coalition peut-elle effacer le caractère impérialiste de celle-ci, alors que ces deux Etats sont militairement impliqués au côté de la monarchie semi-féodale d’Arabie Saoudite dans la répression de la population du Bahreïn ? Les puissances de la coalition n’ont rien fait contre l’Arabie Saoudite et la Belgique ne remet pas en cause son commerce d’armes avec celle-ci.

    Malgré ses efforts depuis une dizaine d’années, le régime de Kadhafi n’est pas un allié suffisamment fiable pour l’impérialisme. Mais Kadhafi n’a jamais été l’allié des masses et des révolutions, comme en témoigne son attitude après la fuite de Ben Ali, qu’il considérait comme une grande perte pour les Tunisiens. En 1971 déjà, Kadhafi s’est rangé du côté de la contre-révolution en livrant le dirigeant du puissant parti communiste du Soudan (un million de membres à l’époque) à la dictature de Nimeiry et en l’aidant à écraser la tentative de coup d’Etat de gauche qui avait fait suite à l’interdiction des forces de gauche. Kadhafi a beau qualifier son régime de ‘‘socialiste et populaire’’, ce dernier n’a jamais rien eu à voir avec le socialisme démocratique. Kadhafi et ses fils ont toujours dirigé la Lybie d’une poigne de fer.

    “Non à une intervention étrangère, les libyens peuvent le faire eux-mêmes”

    C’est ce qu’on pouvait lire fin février sur une pancarte à Benghazi. Cela exprimait le sentiment qui dominait contre toute intervention impérialiste. Mais le maintien du contrôle de Kadhafi sur l’Ouest (malgré les protestations dans la capitale et les soulèvements à Misrata et Zuwarah) et sa contre-offensive vers l’Est ont provoqué un changement d’attitude. Mais les révolutionnaires qui espèrent que l’intervention les aidera se trompent.

    La résolution de l’ONU, la ‘‘no-fly-zone’’ aux commandes de l’OTAN et les bombardements des puissances coalisées vont miner tout le potentiel pour concrétiser les véritables aspirations de la révolution libyenne. De plus, le régime essaye d’exploiter les sentiments anti-impérialistes qui vivent parmi la population. Le maintien du régime de Kadhafi ne s’explique pas seulement par la supériorité de son armement, mais surtout par les faiblesses présentes dans le processus révolutionnaire. Ainsi, l’absence de véritables comités populaires démocratiques sur lesquels se baserait le mouvement révolutionnaire et l’absence d’un programme clair répondant aux aspirations sociales de la majorité de la population a fait défaut. Cela aurait permis de bien plus engager les 2/3 de la population de l’Ouest (au-delà des divisions tribales et régionales), de fractionner l’armée et d’unifier les masses contre Kadhafi.

    Le Conseil National de Transition rebelle (CNT) est un conseil autoproclamé, largement composé d’anciens du régime de Kadhafi et d’éléments pro-capitalistes, favorables aux puissances occidentales. Parmi eux ; l’ancien dirigeant du Bureau national de développement économique, que l’on trouve derrière des politiques néolibérales et le processus de privatisations qui a pris son envol à partir de 2003. Cela laisse une relative marge de manœuvre à Kadhafi, qui bénéficie encore d’un certain souvenir de ce qui a pu être fait en termes d’enseignement et de soins de santé grâce aux revenus du pétrole depuis 1969, et qui a récemment fait des concessions en termes de salaires et de pouvoir d’achat sous la pression de la révolte.

    C’est ce qui explique que l’envoyé spécial du quotidien Le Monde dans l’Est du pays a témoigné “on ne sent pas parmi la population un enthousiasme phénoménal vis-à-vis du Conseil National de transition.” (23/03/2011) Il affirme aussi que si les Libyens de l’Est étaient à ce moment favorables à un zone d’exclusion aérienne, ils sont fortement opposés à une intervention au sol.

    Les travailleurs et leur syndicat peuvent aider la révolution libyenne en s’opposant à la participation belge dans l’intervention, en bloquant les exportations de la Libye et en gelant les avoirs de la clique de Kadhafi. Mais l’avenir de la révolution libyenne doit se décider en Libye même. Contrairement à la Tunisie et l’Egypte, la classe des travailleurs n’a pas encore joué un rôle indépendant dans la révolution. La création d’un mouvement indépendant des travailleurs, des jeunes et des pauvres est la seule façon d’empêcher le projet impérialiste, d’en finir avec la dictature et d’élever le niveau de vie de la population.

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