Tag: Irak

  • Etat islamique : Les bombardements n’apporteront aucune stabilité

    EtatislamiqueD’où provient l’État islamique et comment lutter contre ?

    La barbarie des exécutions arbitraires ne se limitent pas aux territoires d’Irak et de Syrie actuellement sous le contrôle de l’État islamique (EI). En Arabie Saoudite, pays qui abrite un grand nombre de bailleurs de fonds de l’EI, 19 décapitations publiques ont au moins eu lieu depuis début août. Mais comme il s’agit d’un allié de l’impérialisme américain, l’attention qui y est accordée est moindre… L’hypocrisie de l’impérialisme ne connaît pas de limites. Mais les pratiques barbares de l’État islamique engendrent des questions légitimes : d’où vient ce groupe et comment peut-il être stoppé ?

    Dossier de Geert Cool, tiré de l’édition d’octobre de Lutte Socialiste

    Le monstre de Frankenstein

    L’État islamique (EI) est soutenu par les cheikhs des pays du Golfe riches en pétrole. Tout comme Al-Qaïda, l’EI s’inscrit dans la version wahhabite de l’islam politique de l’élite dirigeante d’Arabie saoudite et du Qatar même si l’État islamique, tout comme Al-Qaïda, qualifie la famille royale saoudienne de ‘traîtres’.

    La doctrine conservatrice du wahhabisme date du 18ème siècle, lorsque la péninsule arabique avait largement perdu de son importance économique et stratégique. Par la suite, la Première Guerre mondiale a conduit à ce que la région soit redessinée (avec notamment la création d’une frontière artificielle entre l’Irak et la Syrie selon les accords Sykes-Picot de 1916 conclus entre la Grande-Bretagne et la France) mais a également entraîné le retour du wahhabisme en Arabie Saoudite, les Britanniques y voyant un allié.

    Après la Seconde Guerre mondiale, le régime conservateur saoudien fût un allié important de l’impérialisme américain. Ce régime était autorisé à commettre des ‘actes barbares’ qui ne posaient aucun problème tant que l’accès au pétrole était garanti.

    Les États-Unis disposaient aussi de cette façon d’un accès facile à des alliés tels que les moudjahidines, en lutte contre l’invasion soviétique de l’Afghanistan après 1979. La formation de combattants pakistanais qui, plus tard, sont allés combattre les Soviétiques en Afghanistan a ainsi notamment été soutenue. La barbarie et le désespoir croissants liés à l’extrême misère – encore renforcée par l’ampleur accrue des politiques néolibérales après la chute du stalinisme – a constitué la base sociale qui a favorisé l’ascension de seigneurs de guerre rivaux. Dans ce contexte chaotique, les talibans, issus des combattants moudjahidines, ont pu s’emparer du pouvoir en tant que facteur de stabilisation.

    Après les attentats du 11 septembre 2001, l’impérialisme américain s’est retourné contre son ancien allié. Alors qu’en _1988 encore le célèbre film d’action ‘‘Rambo III’’ était dédié aux ‘‘courageux combattants Moudjahidines’’, en 2001, ces mêmes combattants étaient décrits comme la cheville ouvrière de ‘‘l’Axe du mal’’ contre lequel Bush et Blair sont partis en guerre.

    Les guerres d’Afghanistan et d’Irak n’ont pas permis à l’impérialisme américain d’en finir avec des groupes comme Al-Qaïda. Le terrain leur est toujours fertile : la misère sociale persiste et laisse même encore plus d’espace pour le sectarisme religieux et la barbarie. Cette barbarie bénéficie d’un important soutien financier de la part des cheikhs conservateurs des pays du Golfe. Il en résulte une étrange combinaison de pratiques féodales et de pétrodollars défendue par une stratégie de propagande moderne qui accorde notamment une grande attention aux réseaux sociaux afin d’attirer des combattants occidentaux.

    Jusqu’il y a peu, l’impérialisme américain mais aussi son allié turc de l’OTAN soutenaient à tout le moins indirectement l’EIIL (Etat Islamique en Irak et au Levant) – le groupe qui a proclamé l’État islamique (EI). Dans le cadre de la lutte contre le régime d’Assad en Syrie, l’EIIL était après tout un facteur bien utile. Mais maintenant que l’EIIL, sur base du mécontentement des Sunnites dû à la domination chiite dans l’Irak d’après-guerre, a obtenu un soutien plus large et se développe au point de menacer les ressources pétrolières de la région kurde, l’EIIL est devenu un danger pour les intérêts impérialistes. En mai 2013 encore, le sénateur conservateur américain John McCain (une sorte de Rambo contemporain) s’était rendu en Syrie où il s’était fait photographier en compagnie de combattants qui ont ensuite contribué au développement de l’EIIL, à l’instar de l’ancien chef de la branche irakienne d’Al-Qaïda, al-Baghdadi, devenu par la suite le ‘calife’ auto-proclamé de l’État islamique…

    Les décennies d’ingérence impérialiste et de soutien à des régimes dictatoriaux sont un échec. Ces régimes ont donné naissance à une infime couche de super-riches d’un côté, et de l’autre à une misère croissante pour la majorité de la population (y compris la majorité de la population saoudienne, qui vit sous le seuil de pauvreté). La population est victime de divisions sectaires et de barbarie. Même du point de vue de l’impérialisme américain, cette stratégie a entraîné le développement de monstres de Frankenstein incontrôlables. Mais que ce soit bien clair : ces monstres sont l’œuvre des classes dominantes et de leurs marionnettes locales, pas de la population.

    Les bombardements vont-ils arrêter l’EI ?

    L’EI a connu une progression rapide au cours de laquelle il n’a pas hésité à piller des banques ou à prendre en main des ressources gazières et pétrolières (ce qui, incidemment, stimule aussi le commerce avec la Syrie). La cible principale de l’EI est constituée de tous ceux qui ne suivent pas la version sunnite ultra-conservatrice de l’islam, c’est-à-dire essentiellement les musulmans chiites. Les décapitations de journalistes et la persécution atroce de dizaines de milliers de Yézidis a attiré l’attention du monde entier sur l’ascension de l’EI. Mais la raison principale derrière l’intervention militaire est le fait que ce groupe ne s’est pas limité à la Syrie et prend maintenant pour cible l’ensemble du Moyen-Orient.

    Les divisions sectaires en Irak – dont les USA sont partiellement responsables avec leur soutien au régime chiite irakien – ne sont pas terminées. Ce régime n’a pas hésité à discriminer et à persécuter les Sunnites, lesquels occupaient une position privilégiée sous Saddam Hussein. L’EI est principalement composé de jeunes désespérés et radicalisés complètement marginalisés et qui, faute de perspectives, déversent leur colère causée par la persécution des sunnites au sein de l’EI, qui les entraîne dans une révolte réactionnaire.

    Sans perspective d’avenir, la porte reste ouverte aux expressions réactionnaires de désespoir financièrement soutenues dans le cadre d’un large conflit sectaire régional. Les bombes ne pourront rien y faire si ce n’est causer plus de ravages. Le soutien militaire direct au régime chiite irakien ne fera qu’accroître les divisions sectaires, cela peut même aider à bétonner la position de l’EI alors que ses prédécesseurs d’Al-Qaïda en Irak avaient perdu tout appui à cause de leur attitude violente à l’égard de la population locale.

    Même si les frappes aériennes parviennent à refouler l’EI, qu’arrivera-t-il ensuite pour remplir le vide ? Quelles seront les conséquences pour la région ? Un état kurde où la population aura écarté les dirigeants mafieux irakiens ? Un renforcement de l’Iran ? Comment s’organiseront ensuite les Sunnites irakiens ?

    Avec la présence de groupes fondamentalistes au nord du Nigeria et au Pakistan en passant par le Mali, la Libye, la Somalie et le Yémen, garder la situation sous contrôle commence à devenir très compliqué pour l’impérialisme américain et la Coalition of the Willing. Que se passera-t-il si l’EI ou une force similaire a demain accès aux armes nucléaires du Pakistan ? Les bombardements ne régleront rien, pas plus que les interventions en Afghanistan en 2001 et en Irak en 2003 n’ont apporté la stabilité.

    Que doit-il alors se passer?

    La vague révolutionnaire de 2011 au Moyen-Orient et en Afrique du Nord n’était pas seulement le début d’une nouvelle ère de protestation des travailleurs, elle a également prouvé la faillite de la stratégie d’Al-Qaïda & Cie. Ce n’est pas la terreur de masse mais la lutte collective de masse qui a conduit à la chute des dictateurs et aux discussions sur ce qui devait ensuite se produire pour sortir la population de la misère.

    Les événements de Tunisie et d’Egypte ont eu de grandes répercutions régionales ainsi qu’un effet unificateur. Ces soulèvements révolutionnaires n’ont pas abouti à leur conclusion logique, c’est-à-dire à une rupture anticapitaliste, et le processus révolutionnaire s’est enlisé pour laisser les coudées franches à d’autres forces telles que les salafistes ou les militaires. L’impasse a encore été accentuée par les interventions impérialistes directes et indirectes en Libye et en Syrie.

    La question essentielle est celle de la construction d’un mouvement unifié des travailleurs pour se battre contre l’élite locale et internationale. En Irak, les actions communes des Chiites et des Sunnites de 2004 contre l’occupation américaine (200.000 personnes avaient notamment manifesté ensemble) illustre que ce n’est pas de l’ordre du fantasme. Si les masses de travailleurs des différents groupes ethniques et religieux sont incapables de s’organiser et de mener la lutte en commun, alors la violence impérialiste et sectaire menace de se poursuivre.

    La construction, depuis la base, d’organisations démocratiques et non-sectaires est essentielle pour organiser la défense de toutes les communautés et pour mettre en avant un programme anticapitaliste afin de sortir de l’effusion de sang, de la répression et de la pauvreté. Un tel programme doit être orienté contre les intérêts et la cupidité des dirigeants politiques et militaires pro-capitalistes qui veulent accroître leur emprise en Irak. Ce programme anticapitaliste devrait plaider pour leur éviction du pouvoir et leur remplacement par des représentants du mouvement des travailleurs démocratiquement élus et défendant une solution socialiste pour servir les intérêts de tous les travailleurs et les pauvres.

  • Irak : Un chaos semé par les impérialistes

    L’opération « shock and awe » (choc et effroi) menée par les impérialistes (avec les USA à leur tête) en mars 2003 a été le début (et la suite) de la défense de leurs intérêts économiques et géostratégiques. Plus de 10 ans après, alors que Bush osait parler de « mission accomplie » en 2013 la situation n’a jamais été aussi grave pour les Irakiens. Les commentateurs bourgeois font mine de découvrir l’éclatement et a division du pays, alors que celle-ci a commencé à cause de la guerre impérialiste et ceci dès 2003.

    Par Virginie Prégny, Gauche Révolutionnaire (CIO-France)

    C’est sur une opération de mensonges sur les supposées armes de destruction massive que la guerre contre l’Irak a été déclenchée. L’ironie dramatique est que ce sont les impérialistes eux-mêmes qui avaient armé et financé le dictateur Saddam Hussein. Ce sont eux aussi qui ont nourri les tensions confessionnelles entre sunnites, chiites et kurdes principalement. Le régime de Saddam Hussein a mis la minorité sunnite au pouvoir. Après l’invasion de l’Irak, c’est le chiite Nouri Al Maliki qui, soutenu et conseillé par les impérialistes, a été mis à la tête d’un gouvernement multiconfessionnel, alors que les USA se donnaient comme priorité de former une armée irakienne (la colonne vertébrale de tout État !), plus important à leurs yeux que de remettre sur pieds services publics et les logements qu’ils ont détruits !

    L’hypocrisie est à son comble ces derniers mois, car les impérialistes et les médias à leur solde oublient souvent de mentionner que Daesh (acronyme en arabe signifiant «l’État islamique en Irak et au Levant», devenu juste État Islamique) trouve ses racines dans la résistance des sunnites suite à l’invasion donc dès 2003. Poussées par la violence, les humiliations quotidiennes et la pauvreté grandissante, les masses sunnites ont graduellement apporté leur soutien à divers groupes luttant pour le djihad. Ces milices ont été financées et armées par la Turquie, l’Arabie saoudite, le Qatar, avec l’approbation des USA, qui voyaient là un moyen d’affaiblir le pouvoir de Assad en Syrie et de créer un futur ennemi pour l’Iran.

    La guerre civile est une réalité qui s’est renforcée durant toute l’occupation et depuis le départ des troupes américaines. Les impérialistes réfléchissent à divers plans d’intervention, mais avec le sac de nœuds qu’ils ont créé à chaque intervention toute initiative peut enflammer encore plus toute la région. La décision de procéder à des frappes aériennes, ou celle de soutenir une partie des troupes kurdes alors que les impérialistes n’ont jamais soutenu le droit à l’autodétermination de ce peuple, montrent avant tout que les impérialistes n’ont guère de vraie solution à apporter au cauchemar qu’ils ont créé.

    De l’autre côté la coalition de Daesh repose sur un équilibre très instable, qui lui aussi pourrait enflammer la région à n’importe quel moment, tant les intérêts en jeux sont des enjeux de contrôle, de pouvoir et d’argent. Les actes de barbarie menés par des chefs qui se servent de la religion pour s’enrichir et dominer sont l’exact reflet des politiques des impérialistes qui mènent leurs guerres avec les mêmes prétextes et pour les mêmes résultats. Il est difficile de savoir comment les événements vont se développer, il est possible qu’un long conflit s’ouvre et déjà des centaines de milliers de civils innocents paient un prix lourd.

    La colère des masses irakiennes est plus que justifiée (quelques que soient les confessions) et il revient d’abord aux Irakiens eux-mêmes de décider de leur avenir. Mais ni l’enfermement dans une guerre fratricide ni le djihad ne sont une solution. L’Irak avait une gauche forte avant qu’elle soit décimée par la CIA. Les impérialistes feront tout ce qu’ils peuvent pour empêcher la renaissance des idées socialistes dans la région, de même que les chefs de guerre qui se proclament djihadistes. Pourtant, c’est bien là que se trouve la solution. Les masses sunnites, chiites, kurdes ont bien plus en commun entre elles qu’avec n’importe quel suppôt de l’impérialisme, ou Emir ou Ayatollah qui vit dans le luxe. Si une résistance doit se former contre les armées de Daesh, elle devra l’être en refusant toute division ethnique, religieuse ou culturelle, et en portant un programme économique et social qui défende la satisfaction des besoins sociaux de toute la population.

    La leçon la plus importante à tirer de cette tragédie est que les travailleurs et pauvres ont besoin de leur propre parti indépendant qui défende leurs intérêts. Un tel parti pourrait nationaliser l’industrie pétrolière sous le contrôle et la gestion démocratique des travailleurs, et poser les bases d’une société socialiste où chacun pourra vivre dignement et s’exprimer librement.

  • Irak – L’héritage sanglant de la guerre du pétrole

    L’escalade du conflit sectaire menace de toucher les pays voisins

    A l’époque de l’invasion catastrophique et criminelle de l’Irak par Bush et Blair en 2003, le Comité pour une Internationale Ouvrière et ses sections (dont le PSL en Belgique, NDT) avaient averti qu’elle pouvait mener à l’éclatement de l’Irak ainsi qu’à une terrible guerre sectaire, ce qui commence à se jouer sous les yeux du monde entier.

    Judy Beishon, Socialist Party (CIO – Angleterre et Pays de Galles)

    Les impérialismes américain et britannique ont eux-mêmes posé les bases pour être confrontés non plus à un, mais à plusieurs Saddams ainsi que pour la croissance d’organisations terroristes de type Al-Qaïda, comme l’État Islamique en Irak et au Levant (EIIL) qui domine le Nord de l’Irak aujourd’hui. La tournure des évènements menace de déclencher un bouleversement dans toute la région aux conséquences profondes et certainement tragiques pour les populations.

    Pour justifier la guerre de 2003 et l’occupation conséquente – durant laquelle plus d’un demi-million d’Irakiens et des milliers de soldats occidentaux sont morts – Bush et Blair avaient prétendu débarrasser l’Irak de ses armes de destruction massive et poser les bases d’une démocratie. Ces armes de destruction massive n’existaient pas et l’intérêt de cette intervention impérialiste n’a jamais été d’instaurer la démocratie. Ce qui était visé, c’étaient les vastes réserves de pétrole irakien et un renforcement de leur influence au Moyen-Orient. En poursuivant ces objectifs, ils ont créé les conditions matérielles pour une longue période de conflit sanglant ethno-sectaire.

    Le renversement du dictateur Saddam Hussein et la ‘‘débaasification’’ ont retiré les musulmans sunnites de l’appareil d’Etat et de leurs emplois. Face à la forte résistance à laquelle l’occupation a dû faire face et pour vaincre les insurgés sunnites, l’impérialisme américain a recouru à la tactique du ‘‘diviser pour mieux régner’’ et a imposé un gouvernement corrompu dominé par les chiites, ce qui a fortement empiré les divisions au sein des habitants.

    La prise de contrôle de Falloujah en janvier et maintenant de Mossoul (deuxième plus grande ville irakienne) par l’EIIL est considérée comme un désastre par le gouvernement américain, qui a complètement retourné la situation où ces milices sunnites avaient été expulsées de ces villes au cours d’assauts brutaux lancés par les Marines américains durant toute la guerre menée par les USA.

    A présent, l’impérialisme américain est sérieusement affaibli au Moyen-Orient suite à la série de désastres de sa politique étrangère, et à l’opposition de masse dans la région et aux USA contre ces interventions. Obama a été élu à la présidence en promettant la fin des guerres ratées en Irak et en Afghanistan, aussi a-t-il retiré les troupes d’Irak en 2011, et proclamé ensuite que l’assassinat d’Osama Ben Laden au Pakistan avait détruit le noyau d’Al-Qaïda. L’année dernière, Obama a encore été sous une pression de masse qui l’a empêché de bombarder les forces de Bachar el-Assad dans le cadre de la guerre civile syrienne. En Grande Bretagne, David Cameron a lui aussi été empêché de prendre cette direction.

    A cause de ces antécédents, ni Cameron ni Obama n’ont envisagé de renvoyer des forces terrestres nombreuses en Irak. Mais le fait qu’Obama augmente les approvisionnements de l’armée irakienne en armes et en matériel militaire et qu’il considère de bombarder les régions occupées par l’EIIL permet de mesurer l’inquiétude des stratèges impérialistes devant les avancées des milices sunnites. Cependant, les attaques aériennes, si elles sont effectuées, seront contre-productives et infligeront un bain de sang massif aux civils qui seraient inévitablement touchés, comme en témoignent les bombardements opérés en Afghanistan.

    Soulèvement sunnite

    Une partie de l’armée irakienne, qui compte près d’un million d’hommes (entraînés et équipés pour un montant de 30 milliards de livres sterling par les USA et la Grande-Bretagne), s’est désintégrée avant même l’offensive des quelques milliers membres de l’EIIL. Au cours de la prise de Mossoul, une ville de deux millions d’habitants, et d’autres villes dont Tikrit, l’EIIL a été aidé par des soulèvements de la minorité sunnite qui souffre d’une très forte discrimination et de fortes représailles sous le gouvernement chiite de Nouri al-Maliki, initialement imposé par les USA.

    L’ancien personnel de sécurité baasiste du régime déchu de Saddam Hussein fait partie de ceux qui ont rejoint l’offensive. Pendant ce temps, les forces kurdes Peshmerga ont utilisé la crise pour prendre rapidement la ville de Kirkouk, la considérant comme capitale de l’État kurde.

    Le gouvernement irakien a été laissé paralysé, sans le moindre contrôle réel sur tout le Nord de l’Irak, incapable même d’obtenir un quorum au Parlement pour introduire des mesures d’urgence. Plus d’un demi-million de réfugiés ont quitté Mossoul et les autres endroits capturés, craignant les bombardements du gouvernement, de l’EILL, ou des deux.

    L’une des grandes ironies de la situation actuelle est qu’il est dans les intérêts de l’administration américaine comme de son pire ennemi – le régime théocratique iranien – de soutenir l’infortuné gouvernement Maliki. L’élite iranienne était si perturbée par la situation critique de ses protégés chiites à Bagdad qu’elle a rapidement envoyé son général Suleiman à Bagdad pour aider à rassembler les milices chiites volontaires et les forces armées gouvernementales qui pourraient défendre la ville et ses alentours.

    C’est une autre humiliation pour les dirigeants américains : avoir besoin de coopérer avec un régime haï à qui ils ont imposé de lourdes sanctions. Cependant, pour justifier de discuter avec l’Iran, le sénateur Républicain Lindsey Graham a commenté : ‘‘Pourquoi avons-nous trouvé un accord avec Staline ? Parce qu’il n’était pas pire qu’Hitler. Nous devons discuter avec l’Iran pour s’assurer qu’ils n’utilisent pas cette opportunité pour prendre le contrôle d’une partie de l’Irak.’’

    Un autre ennemi juré de l’administration américaine, les forces de Bachar el-Assad en Syrie, sont aussi venues en aide à al-Maliki en lançant des attaques contre les bases de l’EIIL en Syrie. El-Assad avait auparavant fermé les yeux sur beaucoup des agressions de l’EIIL en Syrie parce qu’elles étaient surtout destinées à s’emparer du terrain d’autres milices islamiques qui étaient à l’avant-garde de la lutte contre son régime.

    Bagdad

    L’EIIL et d’autres milices sunnites ont déclaré qu’envahir Bagdad et les villes a majorité chiites ou mixtes au sud de la capitale faisait partie de leurs objectifs, mais il semble peu probable qu’ils puissent rapidement y parvenir étant donné le rapport de force en présence. Les milices chiites se réactivent, avec une nouvelle affluence, dont l’armée du Mahdi de Muqtada al-Sadr, qui a été impliquée dans la lutte contre l’occupation menée par les USA. Les forces iraniennes semblent les avoir appuyées.

    A Mossoul et dans d’autres endroits à majorité sunnite qui ont été balayés par l’EIIL, l’armée irakienne dominée par les chiites a été largement considérée comme un outil répressif manié par un gouvernement qui poursuit des objectifs sectaires contre les composantes non-chiites de la société. Des rapports crédibles parlent de dirigeants de l’armée irakienne qui auraient dissout leurs troupes en connivence avec l’EIIL, mais dans tous les cas, l’impopularité de l’armée dans les régions dominées par les sunnites a contribué au faible moral des soldats et aux désertions face à l’assaut islamiste. L’EIIL s’est construit une réputation de sauvagerie épouvantable contre les chiites – c’est une ramification d’Al-Qaïda que même Al-Qaïda renie – qui a ajouté à la peur des troupes en fuite.

    Des rapports ont émergé selon lesquels l’EIIL a exécuté des centaines de chiites et de soldats de l’armée irakienne désarmés dans les régions qu’ils ont prises et a auparavant fait beaucoup de victimes en Syrie. Ce bain de sang continue en sus de beaucoup d’autres atrocités commises en Irak par les milices sunnites contre les chiites et vice-versa ces dernières années.

    Cependant, même s’il pourrait ne pas y avoir de tentative d’invasion de Bagdad à court terme, il est peu probable que les forces restantes du gouvernement irakien soient capables de garder le contrôle de toutes les régions maintenant aux mains des milices sunnites ou du Peshmerga kurde. Certaines villes changent de mains – l’armée d’al-Maliki en a récupéré deux au Nord de Bagdad – mais le gouvernement a échoué à reprendre Falloujah en le bombardant depuis que l’EIIL s’en est saisi en janvier dernier.

    Quant à Kirkouk, les dirigeants de la zone kurde semi-autonome ont été enfermés dans une longue bataille contre les ministres d’al-Maliki sur qui va tirer profit de de la production de pétrole dans leur zone, une lutte dont ils voudraient bien se libérer en prenant le contrôle de Kirkouk comme une étape vers une indépendance de facto.

    L’EIIL

    L’EIIL, qui a beaucoup de combattants djihadistes étrangers dans ses rangs et de plus en plus de combattants des populations locales, a imposé un système islamiste répressif de la région de Raqqah en Syrie et veut l’étendre pour former un Califat islamiste en liant les régions irakiennes dont elle a pris le contrôle et éventuellement des parties du Liban et de la Jordanie. Ses dirigeants proclament la fin de la frontière entre l’Irak et la Syrie – des Etats dessinés par l’accord de 1916 entre les impérialismes britannique et français qui ont divisé les restes de l’Empire Ottoman entre ces deux puissances.

    Le journaliste Robert Fisk, parmi d’autres, a rapporté que l’EIIL est financièrement soutenu par de riches Arabes du Golfe, dont des membres de l’élite Saoudienne voisine, qui sont des alliés des USA mais aimeraient en finir avec le contrôle chiite de Bagdad. En Syrie, l’EIIL s’est enrichi en augmentant les taxes, par des kidnappings et d’autres extorsions et il a maintenant saisi d’énormes sommes d’argent des banques dont il a pris le contrôle à Mossoul et une grande partie de l’armurerie abandonnée par l’armée irakienne – en grande partie pourvue par les USA.

    Certains commandants de l’EIIL ont essayé de ne pas braquer les habitants des régions dont ils avaient pris possession alors que d’autres ont immédiatement mis en place des édits de la Charia disant aux voleurs qu’ils auraient les mains coupées, aux femmes de couvrir leur corps et d’éviter de sortir de chez elles, interdisant les partis politiques, et autres lois réactionnaires. Ces annonces ont effrayé une grande partie de la population, dont beaucoup de sunnites qui espéraient d’abord que l’EIIL allait au moins les délivrer de la discrimination, des arrestations et de la torture que le gouvernement Maliki leur fait subir.

    Répercussions

    Dans l’ensemble, la tournure récente des évènements va encore aggraver la terrible souffrance du peuple irakien, quelle que soit sa communauté. La perspective de l’escalade de la division sectaire menace aussi de toucher les pays voisins, dont la Turquie ou il y a déjà eu des enlèvements de plusieurs Turcs par l’EIIL, et qui de plus ne veut pas d’un Kurdistan indépendant.

    De plus, une fois encore, il y a des tensions en ce qui concerne les ressources de pétrole et l’économie mondiale, à mesure qu’augmente l’appréhension d’une possible interruption des grands champs de pétrole dans le sud de l’Irak.

    Un autre danger significatif dans le monde entier réside dans le retour chez eux de centaines de djihadistes endurcis par la guerre et traumatisés qui sont partis en Syrie et en Irak – des pays aussi divers et lointains que l’Arabie Saoudite, la Russie et la Grande-Bretagne. Ne voyant pas encore une alternative au système capitaliste pourrissant, autre que d’essayer de faire tourner l’horloge à l’envers pour revenir à l’époque de la persécution féodale, de la soumission des femmes, de la pauvreté terrible et de la justice sommaire, le danger d’une augmentation des attaques terroristes va arriver avec eux.

    La des travailleurs et les pauvres chiites, sunnites, kurdes et d’autres nationalités et de groupes ethniques et religieux en Irak n’ont rien à gagner d’aucun de ceux qui propagent le conflit sectaire d’où qu’il vienne. Les sunnites irakiens ont auparavant rejeté les prédécesseurs de l’EIIL et les ont expulsés de leurs communautés et beaucoup sont maintenant scandalisés par les actions de l’EIIL. La colère est très répandue parmi les chiites contre la corruption de Maliki et le sectarisme. Les sunnites, chiites et Kurdes souffrent tous autant de l’insécurité constante, du manque de services de base et du faible niveau de vie.

    Il y a eu beaucoup de cas dans l’Histoire ou le peuple d’Irak a montré son désir d’unité contre la division, comme en avril 2004 quand 200.000 chiites et sunnites ont manifesté à Bagdad contre l’occupation menée par les USA. La construction à la racine d’organisations démocratiques et non-sectaires, dirigées par la classe ouvrière, est essentielle, pour organiser la défense de toutes les communautés et mettre en avant un programme anticapitaliste comme seul moyen de sortir du bain de sang en cours, de la répression et de la pauvreté.

    Ce programme devrait défier et démasquer les intérêts personnels et l’avidité des dirigeants politiques et militaires pro-capitalistes qui luttent pour l’hégémonie dans tout l’Irak aujourd’hui. Il devrait expliquer la nécessité de les évincer du pouvoir et de les remplacer par des représentants démocratiquement élus de la classe des travailleurs qui appelleraient à une solution socialiste, dans l’intérêt de tous les travailleurs et les pauvres.

    Le Comité pour une Internationale Ouvrière soutient le droit à l’auto-détermination de toutes les nationalités et groupes opprimés, mais précise que les Etats résultants ne seront pas économiquement viables s’ils ne sont pas liés volontairement dans une confédération socialiste, dans ce cas-ci, des peuples d’Irak et de la région. Ce n’est que sur cette base qu’une réelle coopération pourra être accomplie, pour élever le niveau de vie de tous, en faisant le meilleur usage des ressources naturelles de la région.

  • Les conséquences du 11 septembre : Un monde mis sens dessus-dessous

    Dix ans ont passé depuis que les tours jumelles du World Trade Center se sont effondrées à New York. Dans la période qui a suivi cette attaque terroriste, l’impérialisme américain a déclenché un massacre de masse en Afghanistan et en Irak, poussant certains à croire que s’était ouverte une ère de domination totale du monde par une seule superpuissance. Mais la crise économique mondiale actuelle et l’impuissance des États-Unis face à la révolution en Afrique du Nord et au Moyen-Orient a au contraire démontré la fausseté de ce point de vue. Dans cet article, Peter Taaffe, secrétaire général de la section du CIO en Angleterre et Pays de Galles (le Socialist Party) analyse les nombreux bouleversements qu’a connu la situation mondiale depuis lors.

    Par Peter Taaffe

    Les effroyables attentats terroristes du 11 septembre 2011 à New York, en Pennsylvanie et à Washington ont été un des moments déterminants de l’Histoire récente. La mort de milliers de gens a fourni à la réaction capitaliste – dirigée par le président américain George W Bush et le premier ministre britannique de l’époque, Tony Blair – l’excuse de déclencher une nouvelle ère de terrible guerre impérialiste et de distiller partout les relents empoisonnés de la division ethnique et du racisme, dirigés en particulier contre les citoyens de confession musulmane. Cela a résulté en une somme colossale de morts et de destruction, qui a infligé une incommensurable misère et souffrance sur des millions de travailleurs et de pauvres, en particulier dans le monde néocolonial.

    Dès ce moment, le Socialist Party a condamné sans ambages Al-Qaïda, l’organisation à l’origine de ces attaques, décrivant ses méthodes comme étant celles de ‘‘petits groupes utilisant un terrorisme de masse’’. Au même moment, nous n’avons jamais accordé le moindre soutien à Bush, à Blair, ni à la cacophonie des médias capitalistes qui appelaient alors au déclenchement mondial d’une “guerre contre le terrorisme”. En réalité, ces gens ont utilisé le 11 septembre pour justifier l’emploi de la terreur d’État contre des populations sans défense et innocentes partout dans le monde, symbolisée par les salles de torture de Guantánamo et par la tristement célèbre prison d’Abu Ghraib en Irak.

    Toutefois, ce point de vue politique n’a pas été partagé même par certains groupes de gauche, qui préféraient rester équivoques et refusaient de condamner ces attaques. Ce refus était une approche profondément erronée, qui risquait d’aliéner la majorité des travailleurs, dégoutée par le carnage à New York et à Washington. En outre, cela amenait alors la possibilité pour Bush et Blair de rallier ces travailleurs à leur cause pour les préparatifs de l’invasion en Afghanistan puis en Irak.

    Tout au long de l’Histoire, le marxisme s’est toujours opposé à l’emploi de méthodes terroristes. En Russie, le marxisme a été dès le départ forcé de s’opposer à ces méthodes dans la lutte contre le régime brutal et dictatorial du tsar. Les marxistes opposaient à ces méthodes la lutte de masse de la classe ouvrière qui, alliée aux paysans (et en particulier les masses rurales pauvres), était pour eux la seule force capable de mener une lutte victorieuse contre le tsarisme.

    Léon Trotsky comparait le terrorisme au ‘‘libéralisme capitaliste, mais avec des bombes’’. Cela peut nous sembler étrange aujourd’hui. Il est inconcevable, par exemple, d’imaginer que Nick Clegg, dirigeant des libéraux-démocrates britanniques et vice-premier ministre du Royaume-Uni, associé à des actes terroristes ! Mais les idées de Trotsky demeurent valides de nos jours. Les libéraux croient qu’un changement fondamental peut être obtenu par le simple retrait de tel ou tel ministre, voire gouvernement. Le terroriste partage ce point de vue, mais via des méthodes violentes. Le remplacement d’un ministre ou d’un gouvernement n’est pas une condition suffisante pour accomplir un réel changement social. Pensons-nous que l’élimination du gouvernement britannique actuel, par exemple, et l’arrivée au pouvoir du travailliste Ed Miliband et de son New Labour serait un facteur capable de modifier la situation en profondeur ? Poser la question, c’est déjà y répondre. Parce qu’un gouvernement Miliband serait toujours fermement ancré dans le cadre du capitalisme, aucun changement substantiel n’en découlerait, en particulier en ce qui concerne les conditions sociales de la masse de la population.

    Al-Qaïda, cependant, était un genre entièrement différent de groupe terroriste. Malgré les tentatives de certains groupes de gauche d’embellir l’image des terroristes islamistes, Al-Qaïda est ancrée dans les doctrines du wahhabisme, une version médiévale de l’islam sunnite et le crédo dominant du régime théocratique d’Arabie saoudite. Dans le passé, les groupes terroristes qui se basaient, au moins en théorie, sur la réalisation des intérêts sociaux des masses, se lançaient dans l’assassinat de figures publiques particulièrement réactionnaires, de membres de gouvernements, etc. Les origines d’Al-Qaïda, avec son opposition messianique non sur une base de classe mais contre les “infidèles” et le “Grand Satan” que sont les États-Unis, signifie que cette organisation utilise une terreur de masse indiscriminée. Non seulement elle a attaqué les États-Unis et ses alliés, mais a également abattu d’innocents travailleurs et pauvres. Cela était évident lors du 11 septembre, mais aussi lors d’autres attentats terroristes auparavant et depuis lors.

    Le correspondant du journal The Independent Patrick Cockburn, a souligné ce fait : ‘‘On mentionne toujours trop peu dans les médias occidentaux un aspect particulièrement malsain des activités d’Al-Qaïda : cette organisation a toujours tué plus de musulmans chi’ites que d’Américains. Ce groupe était sectaire avant d’être nationaliste. Les chi’ites étaient considérés comme des hérétiques, aussi dignes de mourir que tout soldat américain ou britannique. Encore et encore, les kamikazes d’Al-Qaïda ont ciblé de simples travailleurs chi’ites sur les places publiques de Bagdad tandis qu’ils se rendaient au travail tôt matin, quand ce n’était pas des bombes massives qui explosaient au moment où les fidèles chi’ites quittaient leurs mosquées’’. C’est le même tableau qui émerge au Pakistan, où les talibans (une filiale d’Al-Qaïda) massacraient les musulmans chi’ites partout où ils les voyaient.

    De plus, Al-Qaïda n’est pas réellement parvenue au cours des dix dernières années à engranger le moindre véritable succès contre l’impérialisme américain ou ses régimes vassaux au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Le principal groupe autour d’Oussama ben Laden était fort restreint, de sorte que son étendard était “donné en franchise” à d’autres groupes terroristes islamistes partout dans le monde. L’idée selon laquelle on avait affaire à une sorte “Internationale islamiste” n’a jamais été qu’une grossière exagération. Le seul moment où ce groupe est parvenu à rassembler quelque chose qui ressemble à une véritable force était en Afghanistan dans les montagnes de Tora Bora, probablement entre 1996 et 2001.

    Lutte de masse

    Au cours des magnifiques révolutions au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, à commencer par la Tunisie puis par l’Égypte, Al-Qaïda n’a eu que peu voire aucune influence. Comme nous l’avions prédit – à l’encontre de nombreux groupes de gauche, tels que le Socialist Workers Party au Royaume-Uni, qui s’est adapté à des organisations basées sur un islam politique de droite tout en exagérant leur importance – les jeunes et les travailleurs ont rejeté le modèle terroriste erroné, adoptant à la place les méthodes de la lutte de masse. Les occupations massives des places publiques, les grèves et les manifestations – voilà quelles ont été les armes politiques des masses tunisiennes et égyptiennes qui ont mené au renversement de Ben Ali et de Moubarak.

    Il est vrai que le déclenchement de la révolution a été l’auto-immolation du vendeur de rue Mohamedd Bouazizi. Mais cet acte individuel n’a rien à voir avec les méthodes de terreur de masse indiscriminée perpétrée par des kamikazes qui caractérise Al-Qaïda. Qui plus est, les conditions pour la révolution avaient été préparées par toute la période précédente, de sorte que le moindre facteur déclenchant aurait pu mettre en branle un mouvement de masse en Tunisie ou en Égypte, ce qui est un trait commun à toutes les véritables révolutions.

    Là où la religion garde une certaine base et une attraction pour les masses, en particulier dans le monde néocolonial, cela est dû en partie du fait des conditions de la dictature ou du caractère économiquement sous-développé de certains pays qui ont une large population agraire. Dans la dictature stalinienne en Pologne avant 1989, c’est le catholicisme qui, via les églises, a fourni aux travailleurs polonais les moyens d’organiser la résistance. Par conséquent, leur insurrection a adopté une coloration religieuse fortement prononcée. Cela ne les a cependant pas menés à tirer des conclusions pro-capitalistes de leur opposition au stalinisme, du moins pas dans la première phase. En 1981-81, le mouvement Solidarnosc, avec ses comités de masse et une participation massive, représentait à la base le mouvement pour une révolution politique visant à remplacer les structures d’État stalinistes anti-démocratiques. En même temps, il cherchait à conserver les éléments de l’économie planifiée, de la nationalisation, etc. Lors de la révolution iranienne de 1979, nous avons observé une forme d’“islam radical” qui disposait alors d’un immense pouvoir d’attraction pour les travailleurs et les pauvres de l’époque. Nous ne pouvons exclure le fait que de tels phénomènes se produisent à nouveau dans le monde néocolonial.

    En Égypte, au départ, les masses ont été capables de concentrer leurs forces en opposition au régime Moubarak autour des mosquées et, dans une certaine mesure, des syndicats indépendants clandestins. Mais les Frères musulmans étaient la seule organisation autorisée à fonctionner de manière semi-politique, en plus d’être une organisation charitable d’aide sociale. Il est donc tout naturel que certaines sections de la population se soient d’abord tournées vers cette organisation dans la période qui a suivi le renversement de la dictature égyptienne. Alors qu’il existe des groupes et partis islamiques en Tunisie, ceux-ci ne semblent pas disposer du même ancrage dans la société que ce n’est le cas en Égypte à ce stade. La Libye post-Kadhafi, d’un autre côté, pourrait connaitre une fracture du pays et la croissance de groupes islamistes. Mais il est encore trop tôt pour déterminer si cela deviendra ou non la tendance dominante. En Égypte, malgré la récente importante mobilisation des islamistes sur la place Tahrir, ceux-ci ne sont d’aucune manière certains d’obtenir une majorité absolue même en cas d’élections anticipées organisées à la va-vite qui les favoriseraient. En outre, il n’est pas certain que les Frères musulmans resteront une force unifiée et cohérente. Il y a des scissions, qui reflètent en partie des divisions d’un caractère de classe. On parle maintenant de la création éventuelle d’au moins quatre différents partis politiques formés à partir de la Confrérie.

    En même temps, les forces opposées à l’islam politique de droite, laïques et socialistes, trouvent un écho parmi les sections nouvellement politisées de la classe ouvrière en Égypte, en Tunisie et partout dans la région. Même au Yémen, qui est ‘‘largement considéré comme participant à la franchise Al-Qaïda’’ (The Guardian), l’insurrection de février a mené à la création de comités révolutionnaires dans lesquels les débats faisaient rage quant à la nécessité d’adopter une stratégie non-sectaire pour parvenir à un réel changement. Partout au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, l’élan initial des révolutions a été en faveur d’une approche non-sectaire, avec une direction claire vers des conclusions de classe de la part des masses. Dans les conditions sociales indescriptibles du Yémen (un pays de sept millions d’habitants dont un tiers est jugé comme “alimentairement précaire” et dont 10% sont mal nourris), il faudra plus que de la religion pour satisfaire aux revendications des masses.

    Libérées du joug de la dictature, celles-ci se sont déversées sur l’arène politique et, comme le montre l’exemple de l’Égypte, ne seront pas réduites au silence par les édits de l’élite militaire discréditée. Elles vont pousser encore et encore pour mettre en avant leurs propres revendications en faveur de conditions de vie drastiquement améliorées, de droits démocratiques, d’organisation syndicale, etc. L’ingrédient vital qui manque aujourd’hui afin de garantir le succès dans la lutte est l’existence d’organisations de masse, de puissants syndicats et de partis ouvriers indépendants. Mais les mouvements convulsifs qui ont déjà été expérimentés, tout comme les encore plus grands mouvements à venir, seront d’importantes sources d’enseignements pour les masses, qui en tireront la conclusion que ce n’est que sous leur propre bannière qu’elles pourront conquérir une position à partir de laquelle elles pourront commencer à réaliser leurs attentes en termes d’emplois, de logements et de mode de vie.

    L’impasse d’Al-Qaïda

    Un des principaux facteurs déclencheurs de la révolution – qui a permis au Comité pour une Internationale ouvrière (CIO) de prévoir comme nous l’avons fait l’an dernier l’apparition imminente d’un mouvement visant à renverser Moubarak – a été l’aggravation des conditions sociales partout à travers la région, et en particulier la hausse spectaculaire du chômage de masse. Cette aggravation découlait elle-même de l’approfondissement de la crise économique mondiale du capitalisme, accompagnée par une détérioration de l’accès à la nourriture et par l’importation massive de céréales dans cette région qui, historiquement, a été un des berceaux de la civilisation et de la fondation de l’agriculture humaine, dans le croissant fertile entre les fleuves Tigre et Euphrate. Rien ne pourrait mieux illustrer le caractère destructeur du latifundiste et du capitalisme modernes, et de leur incapacité à fournir les bases vitales aux travailleurs et paysans de la région.

    Une chose est absolument claire : Al-Qaïda et l’islam politique de droite n’ont rien à offrir en termes concrets, ni pour la lutte, ni pour l’accomplissement des objectifs des masses dans cette région. Pas seulement en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, mais également au Pakistan et en Afghanistan, les méthodes d’Al-Qaïda représentent une complète impasse politique. L’assassinat de Ben Laden en juillet a été un non-événement pour la masse des Pakistanais. Lorsqu’il a été lui-même assassiné sur ordre de l’impérialisme américain, son organisation était dans les faits déjà morte politiquement.

    Toutefois, le danger du terrorisme et de l’attraction des idées terroristes pour les sections aliénées de la société, y compris la jeunesse en général et même quelques jeunes travailleurs, n’est pas restreint au monde néocolonial. Comme l’a montré l’exemple des Brigades rouges en Italie dans les années ’70 et ’80, si la classe ouvrière et ses organisations ne parviennent pas à prendre l’initiative du changement, alors quelques personnes désespérées peuvent se mettre à chercher un raccourci imaginaire vers le socialisme – le terrorisme. Les conditions auxquelles la classe ouvrière est confrontée aujourd’hui, et en particulier la jeunesse, sont incommensurablement pires qu’à l’époque. Il est par conséquent nécessaire d’examiner de contrer les méthodes terroristes d’un point de vue marxiste, afin d’empêcher que de nombreux éléments qui autrement feraient de très bons socialistes, n’aillent se perdre dans cette impasse.

    L’attaque sur les tours jumelles et sur le Pentagone d’il y a dix ans a été l’acte terroriste le plus spectaculaire de l’Histoire. Il a également été, du point de vue d’Al-Qaïda, le plus “efficient en termes de couts”, coutant un peu moins de 500 000 $ à organiser (soit 167$/personne tuée, NDT), une simple bagatelle pour l’héritier de la riche famille saoudite des Ben Laden. Au même moment, cela a permis à l’impérialisme de se mobiliser via son fameux appel à “la guerre contre la terreur”, avec toutes les implications réactionnaires qui en découlent.

    Cela a aussi permis à l’impérialisme, surtout américain, de renforcer sa prouesse militaire, qui a alors mobilisé pour l’intervention militaire en Afghanistan et en Irak, avec toutes les conséquences sanglantes pour les masses, là et ailleurs. Selon Robert Harris : ‘‘Le nuage de fumée des tours jumelles s’étend toujours par-dessus la planète. Il semble que nous vivons à présent dans une ère plus sombre, plus paranoïaque, moins optimiste que celle dans laquelle nous vivions dans les années ’90 lorsque la guerre froide venait de se terminer, et que le “choc des civilisations” ne faisait en réalité que commencer. L’Amérique ne s’en est jamais pleinement remise : ni l’Occident de manière générale’’. (Sunday Times, 14 aout 2011).

    L’arrogance de l’impérialisme

    Mais l’équilibre des forces sur le plan mondial qui penchait de manière si décisive en faveur de l’impérialisme américain a subi un profond changement. L’impérialisme américain a été au départ renforcé par le 11 septembre, tandis que ses représentants proclamaient sa dominance. En 2001, les États-Unis étaient toujours la principale puissance économique et militaire de la planète. Leur ambition d’accomplir la “pleine dominance militaire sur tous les plans” a été mise en œuvre dans la période qui a suivi le 11 septembre. Dans cette période, les États-Unis ont dépensé à eux seuls en termes d’armement autant que le reste du monde pris tout ensemble, y compris en termes d’armes de destruction massive.

    Cette nouvelle donne a été accompagnée par la doctrine facile de la “guerre contre la terreur”. Selon le secrétaire à la Défense américain de l’époque, Donald Rumsfeld, celle-ci devrait se prolonger pour les 50 prochaines années ! Mais comme nous l’avions prédit, elle n’a en réalité pas duré dix ans, complètement discréditée même parmi les bourgeois. Néanmoins, sous cette couverture, une offensive massive a pu être lancée contre les droits démocratiques de la population américaine et d’ailleurs.

    Les médias capitalistes aux États-Unis et ailleurs se sont avilis plus encore que de coutume par leur alignement sur le régime Bush. Cela a jeté la base pour l’intervention impérialiste en Afghanistan et en Iraq, sous l’appellation hypocrite d’“intervention militaire libérale”. La droite américaine avait rêvé de pouvoir se débarrasser du “syndrome Vietnam”, et en a reçu l’opportunité avec le 11 septembre. Voilà encore un aspect des implications réactionnaires du terrorisme : il renforce la marge de l’État en termes de répression et d’attaques sur les droits démocratiques, y compris ceux de la classe ouvrière et du mouvement ouvrier. Même les émeutes largement spontanées qui sont récemment survenues au Royaume-Uni ont été utilisées par le gouvernement pour tirer le balancier politique plus à droite, avec des menaces de répression accrues.

    Bien avant les guerres qui ont éclaté, le CIO avait prédit que l’Afghanistan et l’Irak avaient de grandes chances de se faire envahir. Toutefois, nous avons contré les inévitables peurs et déception, voire de noir pessimisme, qui s’étaient emparées du mouvement ouvrier en particulier. Peu après les attaques du 11 septembre, nous écrivions ceci : ‘‘Le 11 septembre, comme nous l’avons vu, a clairement ouvert la voie a une nouvelle phase pour le monde et pour le capitalisme. Malgré les clairons de Bush et de ses laquais comme Blair, cela ne veut pas dire que nous sommes arrivés dans une période victorieuse et triomphale pour l’impérialisme. Les “victoires” qui ont été obtenues sont bourrées de contradictions. Il est certain que le colosse américain parcourt en ce moment le monde comme jamais auparavant dans l’Histoire. Mais en même temps, il a rempli ses fondations de tout le matériel explosif du capitalisme mondial’’ (Après le 11 septembre, peut-on vaincre l’impérialisme américain ? – septembre 2002).

    L’impérialisme américain a de fait connu de profonds changements, qui ont fait tomber en poussière toutes les doctrines de Bush et de ses partisans néoconservateurs. Qui parle encore aujourd’hui d’un président américain jouant le rôle d’un “César” moderne, comme c’était le cas après le 11 septembre ? Barack Obama n’a été qu’un simple observateur, incapable d’intervenir dans les premières étapes des révolutions tunisienne et égyptienne. Ce n’est qu’avec l’assistance des régimes théocratiques contre-révolutionnaires d’Arabie saoudite, du Bahreïn et autres, en plus de l’intervention de l’OTAN en Libye, que l’impérialisme américain est parvenu à garder une très fragile main dans la situation au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.

    En Syrie, ce n’est qu’après une période prolongée de troubles qu’Obama s’est senti capable d’intervenir contre Bashar al-Assad avec la menace de sanctions économiques au cas où il ne quitterait pas la scène politique. Comme c’était le cas avec toutes les forces pro-capitalistes de la région, toutefois, Obama est terrifié à l’idée de ce qui surviendrait au cas où Assad serait renversé. Ce problème ne semble pas se poser dans l’immédiat, puisque le régime d’Assad conserve toujours une base de soutien dans les régions cruciales que sont Damas et Alep.

    Mais la chute d’Assad pourrait mener à une désintégration “désordonnée” du pays et à sa fracturation selon des lignes ethniques et religieuses. Cela pourrait avoir des répercussions immédiates, avec par exemple l’intervention d’Israël au cas où les événements en Syrie venaient à affecter les territoires qu’il contrôle, tels que les collines de Golan. La Turquie menace même d’intervenir militairement afin de préserver la “stabilité”. Cela signifie qu’elle agira si elle juge probable un renforcement de l’opposition de la part de la population kurde en Syrie, libre du contrôle d’Assad, qui renforcerait à son tour l’opposition des Kurdes de Turquie au gouvernement Erdogan. Dans une telle situation, l’intervention de l’impérialisme américain ne se fait en gros plus qu’en paroles. C’est ce qui a conduit Robert Fisk du journal The Independent à écrire : ‘‘Obama rugit. Le monde tremble. Ou pas.’’

    Le terrible legs de l’impérialisme

    Ceci souligne le fait que l’impérialisme américain, tout en restant un géant économique et militaire, ne possède plus la puissance nécessaire pour imposer sa volonté aux quatre coins de la planète, comme cela semblait être le cas dans la période de l’après 11 septembre. Il est pris au piège de ses propres faiblesses économiques, symbolisées par l’immense déficit budgétaire, qui est en partie une conséquence des saccages impérialistes en Afghanistan et en Irak. La somme colossale de 3 trillions de dollars a été dilapidée dans la catastrophe de l’intervention américaine en Irak et en Afghanistan. Cela est l’équivalent d’environ un cinquième du PIB annuel des États-Unis. Pire encore est le bilan : au moins 600 000 civils irakiens innocents ont péri, en plus des troupes de la “coalition des braves” mortes dans les guerres ingagnables en cours dans ces pays.

    Et quel est le résultat de ces interventions ? Les talibans sont toujours là. Pire encore, leur influence néfaste, en conséquence de la guerre en Afghanistan, s’est étendue aux masses pakistanaises, déjà plongées dans une misère croissante et dans le pur désespoir qui prévaut dans les principales régions et villes du pays. Le pantin afghan du Royaume-Uni et des États-Unis, Hamid Karzai (dit le “maire de Kaboul”) est de plus en plus assiégé et pourrait se voir renversé si le soutien impérialiste et ses baïonnettes venaient à disparaitre, comme cela sera sans doute le cas prochainement. Le récent assassinat de son frère et d’autres piliers du régime indique à quel point les talibans sont capables de pénétrer au cœur même de la capitale et à quel point est fragile l’État afghan actuel. Plus encore, l’impérialisme est engagé dans des pourparlers avec les talibans – comparées par David Cameron, le premier ministre britannique, au “processus de paix” en cours en Irlande du Nord. Ceci démontre bien ce que nous avons dit dès le départ : cette guerre est ingagnable.

    En réalité, l’impérialisme est sur le point de “déclarer victoire puis battre en retraite”, en utilisant sans doute l’écran d’un gouvernement de “coalition” impliquant les talibans, ou du moins quelques sections d’entre eux, et certains reliquats du régime actuel. Au même moment, il pourrait également continuer à déverser des ressources dans la construction de la pseudo “armée afghane” tout en maintenant des bases dans la zone. Un tel scénario existe pour l’Irak. Encore une fois comme nous l’avions prédit, c’est un terrible legs qui est laissé au peuple irakien par l’intervention impérialiste américano-britannique. Les forces américaines préparent leur “retrait”, après avoir complètement ruiné l’Iraq sans avoir résolu – mais bien au contraire après avoir renforcé – tous les problèmes de pauvreté, de manque de services et infrastructures de base et, par-dessus tout, des divisions ethniques et sectaires.

    Néanmoins, lors du splendide mouvement – essentiellement ouvrier – cette année de tous les groupes ethniques, la classe ouvrière irakienne commence à réémerger de la catastrophe. Ce développement renforce aussi notre argument contre l’intervention impérialiste en tant que moyen de renversement de Saddam Hussein. Il y avait certaines personnes soi-disant de gauche – en particulier parmi les exilés irakiens – qui affirmaient que seule une intervention militaire extérieure pourrait renverser Saddam. Nous soulignons au contraire le potentiel de la classe ouvrière irakienne, mais nos arguments étaient systématiquement écartés sous prétexte que ‘‘Les Irakiens sont un peule enchainé, incapable d’entrer en action par lui-même’’ et que ‘‘L’impact pour dégager Saddam doit venir de l’extérieur’’. De nombreuses personnes se sont alors tournées vers les pires ennemis de la classe ouvrière, les capitalistes et les impérialistes, pour accomplir l’œuvre que seul un mouvement indépendant de la classe ouvrière était en réalité capable de réaliser.

    Nos arguments ont été confirmés lors des magnifiques mouvements indépendants des masses qui se sont dressées et ont fracturé l’armée en Égypte et en Tunisie. De plus, les développements de la classe ouvrière et de ses organisations indépendantes, même dans des sociétés frappées par la misère comme l’Afghanistan et l’Iraq, va se poursuivre tout au long de la prochaine période. La tendance vers des mouvements non-sectaires qui était présente dans tous ces événements peut se développer à une échelle régionale. Aucun pays, pas même le plus puissant, n’est viable de par lui-même, et certainement pas du point de vue économique. Ce n’est qu’en combinant les ressources des différents peuples en une confédération socialiste, garantissant la pleine autonomie et les pleins droits démocratiques pour toutes les nationalités et groupes ethniques, y compris la reconnaissance des droits à la langue et des minorités religieuses, que les peuples de cette région pourront émerger du cauchemar qu’ils connaissent aujourd’hui sur base du capitalisme.

    La fin du monde unipolaire

    Dans la période qui a immédiatement suivi les attentats du 11 septembre, l’impérialisme américain a été capable d’imposer sa volonté, bien que dans certaines limites, parce qu’il ne se trouvait plus aucune puissance rivale directement face à lui. Pendant la guerre froide, le seul rival de l’impérialisme américain était la Russie stalinienne. Le spectaculaire effondrement de celle-ci, peu après le décès de l’“Union soviétique” et des restes de l’économie planifiée stalinienne, a fortement affaibli cet ancien géant économique et politique.

    Cette situation mondiale et la position unipolaire dont jouissaient les USA après le 11 septembre sont à présent révolues, surtout étant donné la montée de la Chine qui, on l’estime, dépassera les États-Unis au cours de la prochaine décennie en termes de PIB et de production – bien que sans doute pas en termes de niveau de vie. La Chine, forte de sa nouvelle puissance économique, défie de plus en plus directement l’impérialisme américain, et même sur les plans militaire, diplomatique et géopolitique. Cela a été récemment démontré avec le lancement du tout premier porte-avion chinois, clairement destiné à être employé dans le Pacifique afin d’y contrer la dominance de la flotte américaine. La Chine a également lancé son propre modèle de bombardier furtif, et ses avions de guerre ont déjà chassé les engins de reconnaissance américains de l’espace aérien chinois entre la Chine et Taïwan.

    Contrairement à la situation d’il y a dix ans, les stratèges du capitalisme américain ont été bien forcés de se rendre compte qu’ils ne peuvent plus continuer leur politique précédente. Dans les années ’90, la part des dépenses militaires américaines dans le total mondial semblait stable et supportable. Cette impression découlait largement du fait que la part du PIB américain dans le PIB mondial était elle aussi relativement stable pendant une décennie. Cependant, au cours de la première décennie de ce siècle, la part du PIB américain dans le PIB mondial a décliné, et son immense dépense militaire devient de plus en plus insupportable. Mais, à cause des interventions aussi couteuses qu’inutiles en Afghanistan, en Irak et ailleurs, la part américaine dans les dépenses militaires mondiales s’est en réalité accrue de 36% à 42%. C’est ce qui pousse maintenant l’administration Obama à envisager des coupes dans le budget de la Défense pour une valeur d’environ 800 milliards de dollars.

    Il fallait bien évidemment s’attendre à ce que cela provoque la colère du complexe militaro-industriel et de ses représentants au Congrès, qui sont prêts à effectuer des coupes dans les budgets sociaux afin de pouvoir maintenir leurs illusions dans la grandeur impériale des États-Unis. Mais, étant donné l’affaiblissement des fondations économiques du capitalisme américain, il ne peut plus se permettre cela sans effectuer des attaques encore plus grandes sur le niveau de vie des classes ouvrière et moyennes. Cela signifie que les États-Unis, en plus de se voir frustrés sur la scène internationale, vont aussi connaitre au sein de leurs propres frontières la même explosion de féroce lutte de classe – bien qu’avec des caractéristiques spécifiquement américaines quant à la vitesse et à la détermination de la classe ouvrière – qu’a récemment connu l’Europe.

    Par conséquent, au lieu de la nouvelle ère triomphaliste de renforcement et d’épanouissement du capitalisme à laquelle s’attendaient entièrement ses stratèges après le 11 septembre, c’est exactement l’inverse qui s’est produit dix ans plus tard. Déchiré par ses propres contradictions, confronté à sa plus grande crise depuis les années ’30, le capitalisme américain et mondial se retrouve dans une impasse. Le capitalisme est un système déchu. Le récent “Rapport sur le développement” de la Banque mondiale estime qu’un quart de la population mondiale vit aujourd’hui dans des pays grièvement endommagés par des cycles de violence politique et criminelle. Martin Wolf affirmait calmement dans le Financial Times que : ‘‘Le politique et le criminel sont étroitement connectés’’. Le Mexique et ses dérives à la “Mad Max” dont il est le symbole sont un indicateur de cette tendance.

    La confiance en berne des capitalistes

    Une des pires conséquences du 11 septembre a été le fait qu’il a permis au capitalisme, en particulier de la part de son extrême-droite, de stigmatiser l’ensemble des musulmans comme étant des partisans déclarés, sinon tacites, du terrorisme d’Al-Qaïda, ce qui n’est pas le cas et ne l’a jamais été. Tout comme dans le cadre du conflit en Irlande du Nord, où de parfaits innocents ont été arrêtés et emprisonnés, les musulmans eux aussi ont été arrêtés et emprisonnés. Les divisions et suspicions qui existaient déjà entre les travailleurs d’origine immigrée et les autres travailleurs se sont agrandies. Cela a été renforcé par Cameron et son criticisme du “multiculturalisme”, une attaque à peine voilée à l’encontre des immigrés. Les politiciens partout en Europe – y compris Angela Merkel en Allemagne et Nicolas Sarkozy en France – jouent tous le même air.

    Pourtant, dans la période qui a suivi les récentes émeutes au Royaume-Uni et le meurtre de trois jeunes Asiatiques à Birmingham, c’est bel et bien une approche “multiculturelle” qui a été adoptée par les Asiatiques, les noirs et les blancs. Cette adoption a été essentiellement du fait de la magnifique initiative prise par le père d’un des jeunes décédés. Cela aurait alors fourni au mouvement ouvrier une opportunité d’intervenir et de donner une expression à ce rassemblement instinctif de la classe ouvrière. C’est aussi cela qui s’est produit en Irlande du Nord en 1969 après que les délégués syndicaux de Belfast aient pris l’initiative de former des “comités pour la paix” entre travailleurs protestants et catholiques. Malheureusement, le mouvement ouvrier n’a pas fait de même à Birmingham, laissant la porte grande ouverte aux organisations religieuses. Seule une approche de classe mettant en avant les intérêts de l’ensemble des travailleurs pourrait permettre au mouvement de garder sa colère et son humeur combative.

    À moins que ne s’ouvre une nouvelle voie ouvrière et socialiste, l’influence néfaste de l’extrême-droite peut croitre, avec parfois pour résultat que des maniaques du style d’Anders Breivik en Norvège se mettent en tête d’assassiner des innocents au nom de la soi-disant “guerre contre l’Islam”. Cette créature n’était qu’un reflet de l’islam politique de droite, utilisant les mêmes méthodes fascisantes qu’Al-Qaïda.

    L’Humanité est en ce moment en train de plonger dans des conditions qui deviennent de pire en pire, avec des catastrophes environnementales et la destruction de tous les espoirs pour l’avenir en brisant les perspectives de la jeunesse. La situation a été résumée par Max Hastings (de la Royal Society of Literature britannique) lorsque celui-ci racontait une discussion qu’il avait eue avec un banquier, au sujet de la projection du gouverneur de la Bank of England, lequel avait évoqué le fait que le Royaume-Uni devait s’attendre à “sept années de vaches maigres”. Hastings et ce banquier étaient toutefois arrivés à la conclusion que c’était là une perspective fort modeste : parlons plutôt de “70 années” ! Bien sûr, personne ne peut donner une estimation précise de combien de temps cette crise va durer. Mais une chose est sûre : les porte-paroles du capitalisme eux-mêmes n’ont pas confiance dans leur propre système. Les capitalistes démontrent cela par leur refus de réinvestir dans la production le surplus extrait du travail de la classe ouvrière. Voilà pourquoi 2 000 milliards de dollars qui ne profitent à personne attendent maintenant des jours meilleurs bien à l’abri dans les coffres-forts des grandes entreprises américaines, et pourquoi de même 60 milliards de livres sterling sont en ce moment inutilisés, stockés par les entreprises britanniques. Il n’y a aucun “débouché profitable” dans lequel investir, du coup le chômage monte, la misère s’accroit, et la classe ouvrière peut bien aller au diable.

    Bien que pas encore de manière consciente, aujourd’hui la masse de la classe ouvrière et des pauvres rejette instinctivement le système de par ses actions. Elle n’est pas encore parvenue à se défaire de l’héritage des 20 à 30 dernières années de campagne idéologique du capitalisme néolibéral afin de gagner un soutien à son système. Mais sur le plan social, les masses du monde entier sont en train de virer à gauche. Cette humeur finira inévitablement par se refléter également sur le plan politique, à moins que le capitalisme ne finisse avant cela par trouver une issue à la présente impasse. Même les Héraults de ce système, qu’ils se trouvent dans les gouvernements, dans les parlements, ou dans les think-tanks – ces monastères modernes du capitalisme – ne gardent que très peu d’espoir dans le fait que leur système puisse être sauvé sur le court terme. Tout cela fournit la base pour de terribles événements convulsifs révolutionnaires, qui élargiront énormément l’audience en faveur des idées socialistes et marxistes, et pour les partis de masse qui seront bâtis sur ces fondations.

    La véritable leçon du 11 septembre est que ni l’impérialisme, ni son reflet direct qu’est le terrorisme islamiste – ni aucune forme de terrorisme – n’offrent une voie en avant pour la classe ouvrière et pour l’Humanité. Seules les idées libératrices et démocratiques du socialisme tracent un chemin vers l’avenir.

  • Contre la guerre et le terrorisme

    Londres, début juillet 2005 : C’était la première fois que l’Europe subissait l’action terroriste de kamikazes. Multiples explosions dans les bus et le métro, bilan : une cinquantaine de morts. De partout les réactions de solidarité envers les victimes n’ont pas manqué. La guerre et le terrorisme ont ça de commun: un bilan effrayant payé majoritairement par les travailleurs.

    Lucas Gilles

    Nous ne pouvons accepter de telles méthodes assassines dont les travailleurs et les jeunes sont les premières victimes. Lors du déclenchement de la guerre, près de deux millions de gens manifestaient à Londres contre l’éclosion du conflit, il est probable que certaines victimes des attentats faisaient partie de ceux-là. Mais les gouvernements qui condamnent de manière unilatérale ces attentats sont aussi ceux qui sont responsables de la croissance de ces phénomènes. Sous couvert de s’attaquer au terrorisme, Bush et Blair occupent et massacrent en Irak pour le pétrole. Ils prétendent que ce conflit est le front central de leur sacro-sainte « guerre contre le terrorisme », comme n’a pas manqué de le repréciser le président américain au lendemain des attentats. Le terrorisme ne serait donc pas la conséquence de la guerre et de l’oppression, mais ce serait l’inverse… Bush junior ne semble jamais manquer d’humour, même dans des circonstances aussi dramatiques.

    On évalue aujourd’hui le nombre d’innocents tués en Irak à plus de 100.000 et le nombre de kamikazes ne cesse d’augmenter. La politique impérialiste et néo-colonialiste n’a pourtant pas démarré avec l’Irak ou avec l’Afghanistan, mais remonte bien à plus d’un siècle avec la volonté de s’emparer des ressources naturelles du proche-orient. Cela n’empêche pas les musulmans à travers le monde de percevoir ces guerres comme des attaques visant directement leur religion. Cette colère et le racisme à leur encontre sont encore nourries par les propos des politiciens bourgeois qui ne cessent de clamer le manque d’intégration de leurs communautés. Là se trouvent les causes réelles de ces attaques.

    Al-Qaïda, quant à elle, a perpétré et planifié ces attaques, et n’est rien d’autre qu’une organisation réactionnaire qui rêve des même choses qu’Iznogoud : devenir Calife, revenir au XVIIème siècle. C’est aussi une organisation fondée par ceux qui ont servi de rempart contre le stalinisme dans la guerre de ’79 grâce au soutient de l’impérialisme américain.

    Pourtant après la chute de l’URSS, nul doute que leur combat allait s’orienter vers ce même impérialisme. Les socialistes se sont toujours opposés au terrorisme aveugle, tentative de remplacer l’action de masse par l’action individuelle, car la classe dirigeante l’utilise perpétuellement pour justifier sa politique de répression. Où s’arrêteront les lois antiterroristes ? Un jeune électricien brésilien a déjà été abattu par la police : il pouvait représenter potentiellement une « menace ».Se fera-t-on arrêter lorsque nous manifesterons contre la guerre pour « collusion avec des terroristes » ? Aucune de ces mesures ne sera capable d’endiguer le terrorisme. Bien au contraire, elles ne feront qu’augmenter l’aliénation des jeunes musulmans, les rendant plus facilement « recrutables » pour Al-Qaïda et ouvrant des possibilités pour de nouveaux Abou-Ghraïb et Guantanamo, voire d’enfermer des innocents sans la moindre preuve. Nous devons également désigner clairement les causes et les responsables de cette boucherie, le caractère de classe de la guerre sous peine de voir les gouvernements s’en décharger et au passage accroître le racisme. Le seul moyen d’empêcher ce genre d’atrocités de se reproduire est de s’attaquer aux racines et non aux conséquences du mal : une classe ouvrière unie, au-delà des différences de religion, pour un retrait unilatéral et immédiat des troupes d’occupation.

    Nous ne pensons pas qu’un simple changement de ministère, voire de gouvernement suffise à arrêter les horreurs, mais bien qu’un changement pur et simple de système par des actions de masse le permette.

    Le capitalisme est entré dans sa phase réactionnaire, il est dépassé par sa crise, la guerre nous le rappelle chaque jour. La solution en Irak, comme partout, ne réside pas dans des idées réactionnaires et théocratiques comme celles d’Al-Quaïda ou d’autres tendances politico- religieuses de droite, mais bien dans une solution socialiste. Nous nous trouvons donc bien à un croisement où nous devrons choisir entre deux routes : la première, une polarisation ethnico-religieuse qui marquerait un retour désastreux à une mentalité de ghetto ; la deuxième, une solution de groupe qui s’attaquerait aux causes fondamentales du terrorisme, le racisme et la pauvreté. Remettant donc en cause le capitalisme, car comme Malcolm X l’a dit: il n’y a pas de capitalisme sans racisme.

    Non à la guerre, Non au terrorisme, Non au racisme. Construisons cette alternative, rejoins le CIO, rejoins EGA!

0
    0
    Your Cart
    Your cart is emptyReturn to Shop