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  • [DOSSIER] Dix ans après la chute du dictateur Ben Ali, balayé par la révolution

    Manifestation Avenue Bourguiba au centre-ville de Tunis, 14 janvier 2011. Photo : wikipedia

    Il y a dix ans, à partir de la fin 2010, une puissante vague révolutionnaire a secoué l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient. Des manifestations localisées partant des régions les plus pauvres et marginalisées de la Tunisie se sont rapidement transformées en une insurrection nationale, la répression policière meurtrière ne faisant qu’alimenter davantage la colère contre un régime honni et corrompu.

    Par Cédric Gérôme, Alternative Socialiste Internationale

    Cette colère aboutit, dans la deuxième semaine de janvier 2011, à une déferlante de grèves de masse dans plusieurs régions successives qui précipitèrent la chute du dictateur tunisien Ben Ali, le 14 janvier, et sa fuite en Arabie Saoudite.

    La contagion révolutionnaire

    A l’occasion du 10e anniversaire de la chute du dictateur Ben Ali, les éditions Marxisme.be publient un nouvel ouvrage qui revient sur ces événements tumultueux riches en leçons pour les luttes actuelles. Parmi les plus importantes d’entre elles : la compréhension de la puissance du mouvement de masse.

    Rapidement, cette victoire arrachée par la lutte de masses libéra la confiance de millions de pauvres, de travailleurs et d’opprimés dans l’ensemble de la région. Des millions de personnes qui n’étaient plus prêtes à accepter de continuer à vivre dans la misère, le chômage et le despotisme tandis qu’une infime élite corrompue s’enrichissait allègrement aux dépens de tout le reste de la société.

    Dans l’actuel contexte d’augmentation incessante des prix des produits alimentaires, il est bon de se souvenir qu’un catalyseur important de cette gigantesque explosion populaire fut la hause des prix des produits de base, en particulier du pain. La vie quotidienne devenait sans cesse plus insoutenable pour des couches grandissantes de la population.

    Après la Tunisie, c’est l’Egypte qui s’est à son tour soulevée. Et bientôt des soulèvements et mouvements de protestation d’ampleurs diverses se répandirent en Libye, en Syrie, au Yémen, à Bahreïn, en Arabie saoudite, au Maroc, en Jordanie, au Liban, dans les territoires palestiniens, en Iraq et ailleurs. Partout s’écroulait le mur de la peur, les masses faisant preuve d’une bravoure héroïque face à la répression des milices, face aux balles des snipers et de la police. Un même slogan se répétait et résonnait partout « Echa’b yuriid isqat en-nidham » : « Le peuple veut la chute du système ».

    Au-delà des frontières, les masses prirent conscience tout à la fois de la similitude de leurs conditions et de leur puissance collective pour lutter et transformer ces conditions. Ce processus révolutionnaire éveilla les espoirs et les attentes de millions de personnes dans toute la région, mais aussi l’admiration et l’inspiration de bien d’autres aux quatre coins de la planète.

    Il fit aussi trembler les classes dirigeantes, les régimes tyranniques et les forces impérialistes qui avaient soutenus ces régimes pendant longtemps, un soutien récompensé en termes de profits généreux pour les multinationales et les banques occidentales. Ceux et celles qui croient à la fable selon laquelle la politique étrangère de la future administration américaine de Joe Bien sera focalisée sur les droits humains devraient se demander par exemple pourquoi toute l’administration démocrate d’Obama – dont Biden était le vice-président à l’époque – défendit la dictature égyptienne de Hosni Mubarak jusqu’à la dernière minute. Joe Biden lui-même déclara que Mubarak n’était pas un dictateur et qu’il ne devait pas démissionner face aux protestations croissantes contre son règne. Ce règne de près de 30 années, les masses égyptiennes lui avaient mis un terme moins d’un mois après cette déclaration embarrassante.

    L’impossible rendu possible

    Partout il semblait soudainement qu’après des décennies de dictatures, de déclin humiliant, de guerres et de pillage néocolonial, de terrorisme et de pauvreté, un changement radical était enfin à portée de la main. L’idée tenace d’un Moyen-Orient embourbé dans les conflits sectaires fut totalement retournée sur sa tête. Dans un pays après l’autre, des scènes de solidarité entre différentes communautés religieuses furent observées, les masses comprenant la nécessité de s’unir dans la lutte contre leurs oppresseurs.

    En Egypte par exemple, les chrétiens coptes protégeaient les musulmans qui priaient sur la place Tahrir, et vice versa. Brisant les traditions conservatrices et patriarcales, les femmes s’investissaient dans tous les aspects de cette lutte historique. De manière générale, la révolution semblait rendre possible tout ce qui avait été impensable et impossible la veille. Au travers de ce combat frontal contre l’oppression et l’exploitation, les prémisses d’une société nouvelle semblait émerger des actions, des occupations, des manifestations et des grèves de masse.

    C’est sans aucun doute en Tunisie et en Egypte que le processus révolutionnaire fut dans en premier temps, poussé le plus loin. Cela était dû à l’intervention à une échelle de masse de la classe des travailleurs dans l’action à partir de son outil de lutte privilégié : la paralysie de l’économie par la grève, qui fit trembler la bourgeoisie et força cette dernière à lâcher du lest plus rapidement et plus facilement qu’ailleurs pour préserver son système.

    Dans ces deux pays, des comités populaires et révolutionnaires virent le jour dans une multitude de quartiers et de localités, défiant l’appareil d’Etat de la dictature, se substituant à la police pour organiser la sécurité, et tentant de réorganiser toute une série de tâches quotidiennes selon la volonté des masses en mouvement. Dans beaucoup d’entreprises et lieux de travail, des managers corrompus furent dégagés par des travailleurs en colère.

    L’alternative et le programme : des questions cruciales

    Pourtant, bien que les classes dirigeantes furent initialement prises par surprise, elles se ressaisirent vite et organisèrent la riposte. Les victoires des premières semaines ne pouvaient pas dissimuler pour longtemps le fait que le système lui-même n’avait pas été délogé. Le pouvoir politique demeurait en définitive aux mains des classes possédantes. Le manque d’une alternative a commencé à peser lourdement, bien qu’à différents degrés selon la situation existante dans chaque pays.

    Karl Marx expliquait que les humains créent leur histoire non sur base de conditions qu’ils déterminent à l’avance, mais sur la base de conditions héritées du passé. Ces conditions impliquaient un peu partout une présence et influence très faible de la gauche organisée et l’absence d’outils politiques propres au mouvement ouvrier et révolutionnaire. Les masses avaient une conscience claire et déterminée de ce qu’elles ne voulaient plus, mais pas une idée claire de ce avec quoi remplacer ce qu’elles ne voulaient plus.

    De plus, chaque pays était entré dans la danse avec ses propres caractéristiques, sa propre histoire, et sa constellation de forces politiques spécifiques. De fortes traditions tribales en Libye. Des appareils d’Etats érigés sur la base du sectarisme en Syrie et en Irak. Une pénétration importante de l’armée dans l’économie et la politique en Egypte. Tous ces éléments, bien que poussés sur la défensive au début des mouvements, rejaillirent avec d’autant plus de force que le mouvement révolutionnaire n’avait pas d’alternative ni de programme bien défini à opposer aux forces de la contre-révolution.

    La fin du processus révolutionnaire ?

    De plus, les puissances impérialistes, voyant leurs intérêts menacés par cette vague révolutionnaire, ne restèrent évidemment pas sans broncher. Les bombardements de l’OTAN en Libye répondaient à une volonté de l’impérialisme occidental de « reprendre la main » sur le processus en cours et restaurer son prestige meurtri. A leur tour, les dictateurs libyens et syriens, Mouammar Kadhafi et Bashar al Assad, instrumentalisèrent la peur de l’intervention impérialiste pour se préserver un soutien et diviser le mouvement de révolte. Pour la même raison, tous deux jouèrent aussi sur les divisions communautaires, tribales, régionales et religieuses facilitées par la faiblesse du mouvement ouvrier organisé dans leurs pays respectif. En Syrie, en Libye mais aussi au Yémen, les révolutions se sont mutées en guerres civiles prolongées, alimentées par les interventions extérieures.

    Après une seconde et puissante révolte contre le règne des Frères Musulmans qui avaient remporté les premières élections à la suite de la chute de Mubarak, la révolution égyptienne a succombé à la contre-révolution, la résistance étant petit à petit étouffée par la répression militaire sauvage suite au coup d’Etat militaire de Abdel Fattah el-Sissi à l’été 2013.

    La même année, Daesh – aussi connu sous le nom du soi-disant « Etat Islamique » – s’est emparé de pans entiers de territoire en Irak et en Syrie se nourrissant de la désillusion ambiante et des revers de la révolte syrienne. Un règne de terreur et de violence extrême fut instauré sur les zones sous son contrôle.

    Dans un tel contexte, beaucoup succombèrent à l’époque à l’idée selon laquelle le processus révolutionnaire dans la région était terminé. Dans un article publié en décembre 2016 intitulé « La tragédie syrienne signale la fin des révolutions arabes », le journaliste britannique Robert Fisk, pourtant fin connaisseur de la région, écrivait par exemple : « Tout comme l’invasion catastrophique anglo-américaine de l’Irak a mis fin à l’épopée occidentale des aventures militaires au Moyen-Orient, la tragédie syrienne garantit qu’il n’y aura plus de révolutions arabes. »

    Notre internationale, bien que consciente dès le début des limites du processus, ne l’avait jamais enterré aussi facilement pour autant. Nous avions gardé une confiance dans la capacité des masses à se relever et à se relancer dans de nouveaux assauts contre l’ordre ancien ou contre de soi-disant « nouveaux » régimes ne faisant que répéter les politiques du passé.

    À l’époque de la vague révolutionnaire en 2010-2011, nous expliquions que les mouvements de masse ne pourraient pas durer indéfiniment et qu’ils se heurteraient à de sérieuses complications ainsi qu’à des défaites en raison du manque de partis et de directions pour les représenter. Mais nous soulignions également que les contre-révolutions, vu leur incapacité à se reconstruire une base sociale solide dans un contexte de crise généralisée du système capitaliste, et reproduisant tous les ingrédients qui avaient mené à l’explosion révolutionnaire initiale, ne pourraient reprendre la main durablement. Les processus révolutionnaires allaient inévitablement rejaillir, avec des révoltes encore plus profondes des masses laborieuses et des pauvres de la région.

    Une nouvelle vague révolutionnaire

    Et c’est ce qui se produisit à partir de décembre 2018, lorsqu’une autre chaîne de soulèvements et de révolutions explosa, à commencer par le Soudan. En février 2019, la population algérienne dévala dans les rues à son tour après que le président Abdelaziz Bouteflika ait annoncé son intention de briguer un cinquième mandat. Bouteflika fut forcé par l’armée d’abandonner le pouvoir suite à un mouvement spontané de grève quasi généralisée s’étalant sur plusieurs jours. Et le tyran soudanais Omar al Bashir connut le même sort une semaine plus tard.

    Bien qu’ayant sa dynamique propre, cette nouvelle vague révolutionnaire s’appuyait sur certaines leçons dégagées de l’expérience de la première. Parmi celles-ci, la compréhension plus approfondie que pour une lutte réussie, aucun répit ne pouvait être offert une fois que la tête des régimes était tombée et qu’il fallait au contraire redoubler d’efforts pour déraciner les structures et les institutions sur lesquelles elle repose.

    Au Soudan, un conseil militaire composé de généraux dont les mains étaient pleines de sang des crimes, des tortures et des guerres de la dictature d’Al Bashir arracha le pouvoir. A la place de Bouteflika, un président sans aucune légitimité populaire fut installé par les militaires. Mais dans les deux cas, les manifestations ne s’arrêtèrent pas, que du contraire.

    Un slogan populaire scandé lors du sit-in à Khartoum, au Soudan, était «Soit la victoire, soit l’Égypte». Le slogan «l’Algérie est in-sisi-able» fut aussi exprimé dans les rues algériennes. Ces exemples démontraient que l’expérience du coup d’État militaire égyptien avait pénétré la conscience populaire à l’échelle régionale et que les masses avaient tiré des enseignements de l’échec de la révolution égyptienne.

    Ils démontrent également les instincts internationalistes qui ont animé ces mouvements révolutionnaires depuis leur début, les masses considérant la lutte dans chaque pays, en quelque sorte, comme leur lutte également. Ce n’est donc pas une coïncidence si la même année, à partir d’octobre 2019, les peuples d’Irak et du Liban se soulevèrent eux aussi.

    Les conditions en Irak et au Liban sont extrêmement différentes, mais en réalité extrêmement similaires. Le sort des populations de ces deux pays s’est retrouvé aux mains d’un consortium de dirigeants et de seigneurs de guerre sectaires, riches et corrompus qui, en apparence, sont en désaccord les uns avec les autres mais, en réalité, sont prêts à s’unir dès que le système garantissant leurs intérêts mutuels est menacé.

    Les deux soulèvements ont identifié que la source de leurs malheurs n’est pas une religion ou l’autre, une stratégie éprouvée depuis longtemps pour maintenir divisés les travailleurs et les classes populaires. Leur ennemi est en fait les classes dirigeantes dans leur intégralité, le réseau de relations clientélistes qui les soutient, les milieux économiques affairistes qui profitent de leur emprise sur le pouvoir pour s’enrichir.

    En Iran aussi, on a vu une succession de mouvements de masses, surtout à partir de la fin 2017 / début 2018, avec un nouveau pic en novembre 2019, tandis que la base sociale du régime pourri des Mollahs s’effrite presque de jour en jour. Le rôle impérialiste régional de l’Iran, les sanctions ainsi que les tensions et menaces militaires planant sur ce pays ont tendance à éclipser dans la couverture médiatique la résistance ouvrière authentique qui s’y développe, une résistance qui rencontre généralement la répression la plus brutale.

    À l’instar de ce qui se passe ailleurs, la rage des masses iraniennes est animée non seulement par la soif de libertés démocratiques mais aussi – et peut-être même surtout – par la détérioration incessante des conditions matérielles d’existence, les inégalités grotesques et la suppression des subventions d’État sur les produits de première nécessité. Il est à noter par ailleurs que c’est exactement ce même type de politiques que les institutions financières internationales continuent de préconiser pour la région.

    La solidarité internationale

    Malgré les divisions nationales et religieuses entretenues par les cliques au pouvoir, l’inspiration mutuelle des mouvements en Irak, au Liban et en Iran étaient absolument évidentes. Les manifestants iraniens, par exemple, descendaient dans la rue en scandant « l’ennemi est à la maison », montrant par là non seulement leur solidarité avec les soulèvements au Liban et en Irak mais aussi leur opposition aux interventions militaires du régime iranien dans ces pays. En octobre 2019, les occupants de la place Tahrir à Bagdad envoyèrent un message de solidarité aux manifestants iraniens, insistant sur le fait que leur problème se trouvait uniquement au niveau du régime iranien, lequel soutient des politiciens et criminels corrompus en Irak, et qu’ils espéraient pouvoir construire des relations fortes et durables avec le peuple iranien qui lui aussi, mérite un gouvernement juste.

    La réverbération et l’influence mutuelle de ces luttes en a été une caractéristique essentielle, basée sur la réalisation de leur inséparabilité, dans le cadre d’un système planétaire reproduisant les mêmes logiques partout. La solidarité internationale ne s’est d’ailleurs pas limitée à cette région. En 2011 déjà, des millions de travailleurs et de jeunes du monde entier suivaient les événements révolutionnaires en temps réel.
    L’impact international de ces mouvements s’est manifesté quelques semaines après la chute de Mubarak lorsqu’un mouvement de masse éclata dans le Wisconsin, aux États-Unis, contre des attaques anti-syndicales. Les banderoles et pancartes faisaient explicitement référence aux luttes en Tunisie et en Égypte. La même année, le mouvement Occupy Wall Street et celui des «Indignés» éclata en Espagne, en Grèce et dans d’autres pays.

    En 2019, des révoltes de masse ont éclaté depuis le Chili jusqu’à Hong Kong, et des grèves et marches pour le climat ont démontré la volonté de millions de jeunes et de moins jeunes de se battre pour en finir avec la catastrophe écologique que ce système occasionne. Cette année, les manifestations de Black Lives Matter contre le racisme et la violence policière se sont répandues comme une traînée de poudre à l’échelle internationale. Tout cela fait preuve d’une plus large reconnaissance que la souffrance d’un peuple dans un coin de la terre est la souffrance de tous, un sentiment qui s’est renforcé au vu de la triple catastrophe économique, climatique et sanitaire à laquelle nous sommes tous et toutes confrontés.

    Bien que durant l’année 2020, beaucoup de ces luttes ont été initialement durement frappées par la pandémie, la deuxième partie de l’année a illustré le fait qu’elles sont bien loin d’être terminées, que du contraire. Même en Syrie, des protestations appelant ouvertement au renversement d’Assad ont éclaté en juin dernier. L’été dernier, l’Iran a été traversée par une vague de grèves sans précèdent depuis la révolution de 1979, et encore en octobre, le pays a enregistré un total de 341 manifestations dans 83 villes, avec une moyenne de 11 protestations par jour. En septembre, l’Égypte fut témoin de six jours consécutifs de manifestations dans plus de 40 villes et villages, c’était la première fois que des manifestations appelant au départ de Sissi avaient lieu dans plus d’une province égyptienne à la fois.

    Un processus de longue durée

    Il est donc clair que quel que soit le degré de violence qu’elles déchaînent, les classes dirigeantes ne peuvent jamais complètement éteindre la flamme de la révolte et de la résistance. Les deux vagues révolutionnaires ont été séparées par près d’une décennie, mais il faut les considérer comme faisant partie d’un processus révolutionnaire continu dans toute la région. Un processus qui, avec l’incapacité du capitalisme et des classes dirigeantes à résoudre les contradictions politiques, économiques et sociales qui ont donné naissance à ces mouvements, est appelé à se poursuivre d’une manière ou d’une autre.

    Même en Tunisie, dont la transition démocratique est souvent présentée comme une « success story », la réalité est bien différente du mythe. Les difficultés économiques sont pires que sous le régime de Ben Ali. Un sondage d’opinion publié en novembre 2020 par le ‘Forum Tunisien des Droits Economiques et Sociaux’ (FTDES), en dit long sur ce qu’en pensent les pauvres, jeunes et travailleurs en Tunisie même. 83,6% des jeunes disent considérer la société tunisienne inéquitable, 71,3% la jugent “pas fondée sur de bonnes bases”, 69,7% estiment que l’État ne répond pas aux besoins de base et 81,6% pensent que l’État privilégie les riches. Récemment, des mouvements de protestation et de grèves simultanés se sont étendus à plusieurs gouvernorats du pays. Une grève générale a encore frappé la région de Kairouan en décembre pour demander des emplois et une amélioration immédiate des services de santé et de l’infrastructure.

    Organiser la colère

    Ceci dit, tout en saluant la poursuite nécessaire de ces luttes, nous ne pouvons pas nous arrêter à ce constat. À la lumière des drames, des contre-révolutions et des bains de sang qui se sont déroulés dans la région au cours de la dernière décennie, l’idée que les passions populaires et la lutte spontanée vont suffire à elles seules à éradiquer l’ordre ancien et à en finir avec le système d’exploitation et d’oppression actuel, est inadéquate.

    Tous ces mouvements ont montré que face à un ennemi puissant et organisé – une classe dominante consciente de ses intérêts – le changement révolutionnaire ne peut être laissé à la simple chance et spontanéité. Si la spontanéité révolutionnaire peut dans un premier temps représenter un atout pour surprendre et déstabiliser le camp adverse, cet avantage se transforme en désavantage, en facteur déstabilisant pour la révolution, s’il n’est pas dépassé.

    Ce que toutes les luttes qui ont éclaté dans la région ont montré au cours des dix dernières années, c’est que si elles ne sont pas armées d’un programme ainsi que d’organisations pour le mettre en œuvre, elles finiront par aboutir à des reculs, par se dissiper, ou pire, par être manipulées et récupérées pour servir l’agenda de forces réactionnaires. Un parti, un programme et une direction politique sont nécessaires pour organiser les masses laborieuses, la jeunesse et tous les opprimés, faire avancer leurs luttes et les mener jusqu’au renversement du capitalisme.

    Malheureusement, plutôt que de se saisir de ces luttes révolutionnaires historiques pour s’enraciner parmi les travailleurs et les jeunes, plutôt que de se tourner pleinement vers le mouvement de masse et de chercher à s’en faire l’expression politique sur la base d’une opposition résolue à ce système, la gauche s’est bien souvent tirée des balles dans le pied en cherchant toutes sortes d’arrangements et de compromissions avec les représentants de ce système.

    Au Soudan, l’Association syndicale des professionnels soudanais (SPA), qui a joué un rôle de premier plan dans les mobilisations contre le régime d’al Bashir, a formé une coalition avec diverses forces d’opposition connue sous le nom de « Forces pour la liberté et le changement », laquelle a conclu en août 2019, sur le dos de la population, un partage de pouvoir avec les généraux contre-révolutionnaires.

    En Syrie, des pans entiers de la gauche internationale se sont fourvoyés dans une fausse dichotomie. Certains se sont appuyés sur des définitions archaïques de l’anti-impérialisme pour justifier l’injustifiable en applaudissant les massacres et les bombes d’Assad et de ses soutiens. D’autres ont glorifié les bandes armées et les militants jihadistes au nom du soutien à la révolution contre le régime, ou encore exigeaient que les forces impérialistes occidentales s’impliquent davantage dans la guerre.

    En Tunisie et en Egypte, les partis les plus influents de la gauche locale ont porté leur soutien à des forces de l’ancien régime au nom de la lutte contre les islamistes et les frères musulmans, pavant la voie à leur propre destruction …

    Il est donc nécessaire de tirer les leçons de ces erreurs pour les batailles à venir, en particulier la nécessité de garantir l’indépendance politique du mouvement ouvrier et révolutionnaire face aux forces et partis capitalistes, et d’encourager à chaque étape la lutte par des moyens qui lui sont propres.

    Il n’y a pas de raccourci possible : bien que chaque petite victoire est importante, aucun progrès durable n’est possible tant que la société reste dirigée par la loi du profit et que l’économie est contrôlée par une minorité dont les intérêts et la position dépendent de l’appauvrissement et l’oppression de la majorité.

    C’est pourquoi organiser les masses à l’échelle internationale pour unifier toutes les luttes en une seule lutte globale pour renverser le système capitaliste, et construire une alternative socialiste démocratique, est la meilleure manière d’honorer et poursuivre le combat, les efforts et les sacrifices entamés par les masses laborieuses et les exploités de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient il y a dix ans. Solidarité !

  • 2019 : Un tournant décisif dans un processus de révolution et de contre-révolution

    Manifestation de masse au Chili. Photo : Wikimedia Commons

    2019 marque un tournant politique certain à l’échelle mondiale. Ces derniers mois, nous avons assisté au développement de luttes de masse et de grèves générales aux caractéristiques révolutionnaires dans le monde entier. Cette explosion massive provient de la colère accumulée à l’égard des dirigeants, de leur néolibéralisme et de l’absence de démocratie. Ces manifestations ont également mis en évidence certains éléments fondamentaux d’une lutte socialiste, notamment la force de la classe ouvrière et la nécessité de l’internationalisme.

    Par Per-Ake Westerlund

    Parallèlement, les gouvernements, les dictateurs et les généraux ont prouvé que la classe dirigeante ne se retirera pas volontairement du pouvoir. Dans plusieurs pays, les manifestants pacifiques et les jeunes militants ont été confrontés à la contre-révolution armée et à la répression brutale.

    A travers le monde, la plupart des gouvernements restent silencieux quant à cette violence de la contre-révolution, ou appellent simplement au “calme”. Les médias parlent d’”affrontements violents” entre les forces de l’Etat et les manifestants. Le fait est que cette “violence” provient partout des attaques lancées par les forces étatiques contre-révolutionnaires lourdement armées, alors que les manifestants ne cherchent qu’à se défendre. En Bolivie, plus de 30 personnes ont été tuées par les forces de l’État au cours des deux dernières semaines, dont huit lors d’un massacre à El Alto le 19 novembre.

    Pour l’impérialisme et les gouvernements, ces événements représentent une vive mise en garde contre les faiblesses de leur système mondial, le capitalisme. Cette vague de protestations de masse prend place dans un contexte de forte croissance des conflits inter-impérialistes et de ralentissement probable de l’économie mondiale, tandis que la crise climatique s’aggrave.

    Les mobilisations de masse continuent de se répandre, l’Iran et la Colombie étant les lieux les plus récents où elles ont éclaté, la semaine dernière. En Iran, à la suite d’une nouvelle hausse drastique des prix du carburant, des manifestations ont eu lieu dans plus d’une centaine de villes. Le fardeau économique que supportent les travailleurs et les pauvres a immédiatement été lié à la dictature théocratique. Le chef suprême, Khamenei, est apparu à la télévision pour condamner les manifestations et défendre que les revenus supplémentaires provenant du carburant étaient destinés aux plus pauvres. La manœuvre n’a fait qu’augmenter la colère et nous avons pu voir des photos de Khamenei être brûlées par les manifestants. En Colombie, la grève générale du 21 novembre, avec 250.000 manifestants, a été suivie par d’autres manifestations dans les jours qui ont suivi pour s’opposer aux privatisations et aux coupes budgétaires dans les pensions. L’État a répondu par un couvre-feu à Bogota et une forte présence policière.

    Les comparaisons avec 2011

    Divers commentateurs ont fait des comparaisons historiques avec les années 1848 et 1968, des années de luttes révolutionnaires et pré-révolutionnaires qui se sont étendues à de nombreux pays. Des comparaisons ont également été faites avec l’année 2011, lorsque le processus de révolution et de contre révolution en Afrique du Nord et au Moyen Orient a renversé Moubarak en Egypte et Ben Ali en Tunisie. Aujourd’hui, près de neuf 9 ans plus tard, la vague de protestations de masse a un caractère beaucoup plus mondial et comporte des revendications sociales plus explicites concernant l’emploi, l’eau, l’électricité, etc.

    Sur le plan politique, les masses ont également tiré la conclusion qu’un changement de régime ne suffit pas à lui seul. Au Soudan, les leçons de l’Egypte, où une nouvelle dictature a été instaurée avec Al-Sisi à sa tête, ont conduit les masses à poursuivre leurs mobilisations après qu’Al-Bashir ait été renversé.

    Par rapport à l’année 2011 et aux autres manifestations de ces dernières années, les luttes de 2019 durent beaucoup plus longtemps. Les manifestations en Haïti ont commencé en février et à Hong Kong en juin. La “révolution d’octobre” au Liban a forcé le Premier ministre Hariri à démissionner après deux semaines, mais elle se poursuit toujours. A la mi-novembre, les employés des banques étaient en grève pour une durée indéterminée, des routes étaient bloquées dans tout le pays et les bâtiments de l’Etat étaient assiégés par des manifestations. L’Algérie a connu des manifestations de masse tous les vendredis, même après que Bouteflika ait été contraint de démissionner, avec notamment pour slogan “Nouvelle Révolution”.

    Les jeunes et les femmes ont joué un rôle de premier plan dans de nombreux cas, sans aucun doute sous l’inspiration des grèves pour le climat de la jeunesse et du mouvement mondial pour l’émancipation des femmes. 7,6 millions de personnes ont participé aux grèves pour le climat en septembre dernier. La prise de conscience sur ce thème est croissante, de même qu’au sujet de la nécessité de construire un mouvement pour obtenir un changement radical de société. Les grèves et les mouvements féministes ont également un caractère international et recourent à l’arme de la grève.

    Là où la classe ouvrière est entrée en action de manière décisive avec des grèves générales et des vagues de grèves, le rapport de force a été très clair : la petite élite s’est retrouvée isolée face à la majorité des travailleurs et des pauvres. Cela a également souligné le rôle économique et collectif de la classe ouvrière, la seule force capable de réaliser une transformation socialiste de la société.

    De nombreuses questions s’entrecroisent dans ces mouvements ; les difficultés économiques et le manque de démocratie, l’oppression sexiste ou encore l’environnement. C’est ce qu’a très bien illustré le mouvement en Indonésie à la fin du mois de septembre. Des protestations étudiantes dans plus de 300 lieux d’études supérieures ont été déclenchées par une loi interdisant les rapports sexuels hors mariage, une loi dirigée contre les personnes LGBTQ+. Mais, immédiatement, les thèmes de la corruption et de la destruction des forêts tropicales ont été intégrés dans les mobilisations.

    “Amusantes et excitantes”

    Les “experts” bourgeois ont de grandes difficultés à expliquer ces mouvements. L’agence de presse Bloomberg souligne qu’il ne s’agit pas de protestations de la classe ouvrière, mais plutôt de “consommateurs” réagissant contre une hausse du coût du carburant, des taxes ou des frais de déplacement. Cela sous-estime totalement les fortes revendications politiques des mouvements. Il est toutefois à noter que, dans la plupart des pays, un mouvement des travailleurs fort, organisé et unifié reste encore à construire.

    La revue The Economist rejette l’idée que ces mobilisations puissent être liées au néolibéralisme et aux politiques appliquées par les gouvernements. Il défend qu’il est “inutile de rechercher un thème commun”, affirme que ces mobilisations sociales peuvent être “plus excitantes et encore plus amusantes que la vie quotidienne épuisante” et avertit que “la solidarité devient une mode”. Cela n’explique rien bien entendu. Pourquoi donc ces protestations de masse prennent-elles place précisément aujourd’hui ? Pourquoi ce genre de “plaisir” n’a-t-il pas toujours été si apprécié ?

    En tant que marxistes, nous devons considérer et analyser à la fois les dénominateurs communs, les forces et les faiblesses de ces mouvements ainsi que les différentes forces de la contre-révolution. Des particularités nationales sont bien entendu à l’oeuvre, mais il existe également de nombreuses caractéristiques communes.

    Que trouve-t-on derrière cette explosion de colère ?

    Il s’agit d’un tournant mondial créé par les profondes crises politiques et économiques que subit le capitalisme, par les impasses et le déclin auxquels ce système est confronté. Le Comité pour une Internationale Ouvrière (majoritaire) a déjà la question dans de nombreux débats et documents. La classe dirigeante s’appuie politiquement sur le populisme et le nationalisme de droite, dans un système économique de plus en plus parasitaire. La classe capitaliste ne dispose d’aucune issue.

    Contre qui ces manifestations de masse sont-elles dirigées ? Qu’est-ce qui se cache derrière la colère explosive ?

    1) On constate une haine extrême des gouvernements et des partis. Au Liban, le slogan dominant est “tout doit partir”. Contrairement au grand mouvement de 2005, cette revendication s’adresse désormais aussi au Hezbollah et à son leader, Nasrallah. En Irak, le mouvement veut interdire à tous les partis existants de se présenter aux prochaines élections, y compris le mouvement de Muqtada al-Sadr qui a su instrumentaliser les précédentes mobilisations sociales. Les étudiants de Bagdad ont arboré une banderole intitulée “Pas de politique, pas de partis, ceci est un réveil étudiant”. Au Chili, les gens crient dans la rue “Que tous les voleurs s’en aillent”. L’opposition aux gouvernements s’est également manifestée en République tchèque le week-end dernier, 300.000 personnes manifestant contre le président milliardaire.

    2) Cette haine repose sur des décennies de néolibéralisme et de baisse des conditions de vie ainsi que sur l’absence de perspectives d’avenir. Le Fonds monétaire international (FMI) conseille de continuer à appliquer les recettes néolibérales en réduisant les subventions publiques, ce qui fut précisément à l’origine des révoltes au Soudan et en Équateur. Au Liban, 50 % des dépenses de l’État sont consacrées au remboursement de la dette. De nouvelles mesures d’austérité ont également constitué l’élément déclencheur en Haïti, au Chili, en Iran, en Ouganda et dans d’autres pays. Ce n’est qu’une question de temps avant que cela n’atteigne d’autres pays, le Nigeria par exemple. Tout cela est lié à l’extrême augmentation des inégalités, Hong Kong et le Chili en étant des exemples clés.

    Les grèves et les manifestations

    Les luttes présentent de nombreuses caractéristiques communes et importantes.

    1) Dans de nombreux pays, tout a commencé avec d’énormes manifestations pacifiques. Deux millions de personnes ont manifesté à Hong Kong en juin (sur une population totale de 7,3 millions d’habitants), de même que plus d’un million au Chili et au Liban ou encore plusieurs centaines de milliers sur la place Tahrir à Bagdad. Dans la plupart des cas, ces protestations ne se sont pas limitées aux capitales ou aux grandes villes, mais se sont étendues à des pays entiers.

    2) Les grèves générales ont été décisives pour renverser des régimes ou les faire vaciller. L’année 2019 a débuté avec une grande grève générale en Inde (150 millions) et s’est poursuivie en Tunisie, au Brésil et en Argentine. Cet automne, des grèves générales ont eu lieu en Équateur, au Chili (par deux fois), au Liban, en Catalogne et en Colombie. Des grèves à l’échelle d’une ville ont également eu lieu à Rome et à Milan. L’Irak a connu de grandes grèves des enseignants, des dockers, des médecins, etc. Les bâtiments du gouvernement ont été occupés (à l’instar de la banque centrale du Liban à Beyrouth) ou incendiés dans de nombreuses villes irakiennes. Des routes ont été bloquées en Irak et au Liban, comme au Pérou, où les populations autochtones luttent pour stopper les projets miniers qui menacent l’environnement. La méthode des barrages routiers a également été utilisée par les Gilets Jaunes en France.

    3) De nouvelles méthodes sont nées de la lutte tandis que les traits d’une nouvelle société étaient esquissés. A Bagdad, la place Tahrir a repris la tradition née de l’occupation de la place du même nom en Egypte en 2011. Une grande tente y sert d’hôpital, des transports gratuits sont organisés autour de l’occupation et un journal est même édité quotidiennement. Des assemblées populaires ont vu le jour en Équateur et des assemblées locales ont également émergé au Chili. Au Liban, les étudiants ont quitté les universités pour aller enseigner dans les villes. A Hong Kong, les jeunes ont inventé un certain nombre de méthodes à utiliser dans les affrontements de rue, pour faire face aux gaz lacrymogènes et à la répression.

    4) La division sectaire a été surmontée par la lutte menée en commun, une caractéristique typique des luttes révolutionnaires. Au Liban, les musulmans chiites et sunnites luttent aux côtés des chrétiens. En Irak, les chiites et les sunnites se battent également ensemble, même si les mobilisations concernent encore surtout les régions chiites du pays. En Amérique latine, les organisations indigènes jouent un rôle de premier plan en Équateur, au Pérou et au Chili de même que dans la résistance au coup d’État en Bolivie.

    5) L’internationalisme est présent de manière évidente dans ces mouvements. Des déclarations de solidarité ont été envoyées d’Irak vers les manifestations en Iran. En Argentine, une grande manifestation a eu lieu à Buenos Aires contre le coup d’Etat en Bolivie.

    De premières victoires

    Les mouvements ont remporté des victoires conséquentes et obtenus des concessions sérieuses. Des dictateurs de longue date ont été renversés au Soudan et en Algérie, le gouvernement équatorien a fui la capitale, des ministres ont démissionné au Liban, au Chili et en Irak. Au Chili, le président Pinera a d’abord affirmé que le pays était “en guerre” contre les protestations, puis a dû “s’excuser” et retirer toutes les mesures qui ont déclenché le mouvement. De même, en France, Macron a été contraint de revenir sur le prix du carburant et d’augmenter le salaire minimum en réponse aux protestations des Gilets jaunes. Dans la plupart des cas, ces reculs de la part des autorités n’ont pas empêché les protestations de se poursuivre.

    Hong Kong 

    La lutte à Hong Kong se distingue des autres à bien des égards. Nous disposons de camarades sur le terrain qui peuvent nous livrer des analyses et des informations de première main. Cette lutte a été marquée par l’incroyable détermination et le courage de la jeunesse. Le fait que Hong Kong soit gouverné depuis Pékin signifie que les reculs et concessions que les gouvernements d’autres pays ont effectués ne sont pas à l’ordre du jour à Pékin.

    En août, les camarades du CIO (majoritaire) ont averti de l’instauration d’un “état d’urgence rampant”. À la mi-novembre, cela a changé lorsque Xi Jinping a donné de nouvelles directives : les protestations devaient cesser. Le régime espérait épuiser le mouvement et recourir ensuite à la répression (comme cela avait été le cas avec le mouvement des Parapluies en 2014). Mais, au lieu de cela, le mouvement de protestation a créé une nouvelle crise majeure pour le pouvoir de Xi.

    La répression a atteint un nouveau niveau, avec des scènes de guerre les lundi 18 et mardi 19 novembre lorsque les policiers menaçaient de tirer à balles réelles et que les étudiants retranchés dans les campus universitaires tentaient de se défendre avec des cocktails Molotov et des arcs à flèches. Mardi matin, une offensive de la police a utilisé plus de 1.500 bombes lacrymogènes. Les étudiants de l’université PolyTech ont été contraints de se rendre à la police. Plus d’un millier de jeunes ont été arrêtés. Ils risquent dix ans de prison.

    Le soutien populaire impressionnant qui existe pour la lutte de la jeunesse a pris la forme de manifestations de solidarité mais il a également été illustré par la cuisante défaite subie par les partis pro-gouvernementaux lors des élections locales des districts de Hong Kong le dimanche 24 novembre.

    La lutte impressionnante menée à Hong Kong doit se poursuivre. Les tâches auxquelles le mouvement fait face sont l’organisation démocratique du mouvement, l’organisation d’une véritable grève générale et, chose décisive, l’extension du combat à la Chine continentale. La tactique des étudiants ” Sois comme l’eau” – sans forme et sans dirigeants – a donné quelques avantages dans les luttes de rue et a permis aux jeunes de contrecarrer le rôle de blocage des libéraux pan-démocrates. Mais cette approche s’est révélée incapable de porter la lutte au nouveau stade aujourd’hui nécessaire. La faiblesse des syndicats et l’absence de grève sur une longue période représentent des éléments compliquant. Politiquement, cela peut donner lieu à des illusions dans la “communauté internationale” et en particulier dans l’impérialisme américain et Trump. Cela permet également de continuer à croire en une “solution propre à Hong Kong” distincte du reste de la Chine.

    Les complications de cette période

    Au cours des débats et de la scission qui ont eu lieu au sein du Comité pour une Internationale Ouvrière cette année, la discussion sur la conscience des masses a joué un rôle important. La direction de notre ancienne section espagnole, qui a quitté notre internationale en avril, a sous-estimé les problèmes du faible niveau de conscience socialiste tandis que le groupe qui est parti en juillet a surestimé ce problème. Ce dernier groupe a donc préféré se réfugier dans l’attente d’un mouvement “authentique” au lieu de vouloir intervenir dans les mouvements actuels. Comprendre le rôle décisif que joue la classe ouvrière organisée ne signifie pas d’ignorer d’autres mouvements sociaux importants.

    La conscience peut progresser par bonds à partir de l’expérience acquise dans les luttes. C’est un processus qui a déjà commencé. Mais, dans l’ensemble, il manque aux luttes de masse d’aujourd’hui l’organisation et la direction nécessaires pour élaborer une stratégie de transformation socialiste de la société. Aucun parti des travailleurs ou de gauche capable de remplir cette tâche ne s’est développé jusqu’à présent. Les nouvelles formations de gauche ont été volatiles et politiquement faibles, comme l’illustre encore le récent exemple de Podemos qui a rejoint le gouvernement dirigé par le PSOE (social-démocrate) dans l’Etat espagnol.

    Comparer la situation actuelle avec l’année 1968 souligne à quel point le mouvement des travailleurs – partis ouvriers et syndicats – a reculé en termes de base militante active. Cela signifie cependant également que les partis communistes staliniens et la social-démocratie disposent de moins de possibilités de bloquer et de dévier les luttes qu’à l’époque.

    La contre-révolution

    Il a également été démontré cet automne que la classe capitaliste n’hésite pas à recourir à la répression contre-révolutionnaire la plus brutale pour se maintenir au pouvoir. Elle préfère opérer via d’autres moyens, plus pacifiques, mais elle est prête à recourir à la violence si nécessaire.

    • En Bolivie, un coup d’État militaire a eu lieu avec le soutien de l’impérialisme américain et du gouvernement brésilien dirigé par Bolsonaro. La nouvelle “présidente” Anez a été “élue” par moins d’un tiers du Parlement. Les gouvernements européens ont exprimé leur “compréhension” vis-à-vis de ce coup d’Etat.
    • Plus de 300 personnes ont été tuées et 15.000 blessées en Irak au cours du mois dernier.
    • 285 personnes ont reçu une balle dans les yeux au Chili. En France, au printemps, 40 personnes ont été éborgnées de la sorte.
    • En Guinée, en Afrique de l’Ouest, 5 personnes ont été tuées et 38 autres blessées lors de manifestations contre le président Alpha Conde qui se présente pour un troisième mandat. Les mobilisations se poursuivent.

    Le risque d’une répression majeure par une intervention de l’armée chinoise à Hong Kong demeure, même si le danger d’un massacre similaire à celui de la place Tiananmen en 1989 ne s’est pas encore concrétisé. Par ailleurs, le risque d’un retour du sectarisme communautaire au Liban ou en Irak constitue un réel danger.

    La classe dirigeante veut aussi désarmer les mobilisations et les faire dérailler en abusant des élections ou des négociations. En Argentine, ce fut clairement le cas récemment. Les candidats péronistes, Fernandez et Fernandez-Kirchner, ont remporté les élections. L’objectif principal des masses était d’évincer Macri, l’ancien grand espoir du capitalisme en Amérique latine dont la présidence a été marquée par l’arrivée d’une nouvelle crise financière profonde. Le nouveau gouvernement péroniste ne bénéficiera cependant pas de répit puisqu’il continuera à mettre en œuvre les politiques du FMI.

    Au Soudan, les dirigeants officiels des mobilisations ont signé un accord sur le partage du pouvoir avec l’armée en passant par dessus la tête des masses. Le pouvoir réel a été laissé au général Hemeti. Aujourd’hui, les mobilisations se développent contre cet accord et contre le pouvoir des généraux.

    Au Chili, l’une des principales revendications du mouvement était l’adoption d’une nouvelle constitution, puisque l’actuelle date de 1980 et de la dictature de Pinochet. Mais la revendication d’une assemblée constituante révolutionnaire de représentants démocratiquement élus sur les lieux de travail et dans les quartiers ouvriers est tout le contraire d’une assemblée comprenant le président Pinera et les partis de droite.

    La classe dirigeante dispose de mille et une manières de bloquer le développement d’une révolution. En 2011, le CIO avait mis en garde contre les illusions selon lesquelles un simple “changement de régime” pouvait mettre fin aux luttes. L’Etat, les capitalistes et l’impérialisme ont été sauvegardés et ont ouvert la voie à la contre-révolution.

    Cependant, les défaites ne durent pas aussi longtemps que dans les années 1930 ou 1970. Les manifestations de masse en Iran ont été écrasées en 2009 et de nouveau en 2017, mais elles sont à nouveau de retour. La même chose s’est produite en Irak, au Zimbabwe et au Soudan. De récentes nouvelles protestations sociales démontrent également que la situation n’est pas stable en Egypte.

    Défier le pouvoir

    Les grèves générales indéfinies et les mouvements de masse à caractère révolutionnaire soulèvent la question du pouvoir. Quelle classe sociale devrait diriger la société ?

    Pendant longtemps, dans de nombreux pays, nous appelions à une grève de 24 ou 48 heures au lieu d’une grève générale. L’idée était de préparer la classe ouvrière de cette manière, de lui permettre de sentir sa force et sa supériorité, de commencer à s’organiser et à prendre conscience de ses ennemis, de choisir des dirigeants adéquats.

    La plupart des luttes actuelles sont des luttes globales qui défient immédiatement le pouvoir de la classe capitaliste. La contre-révolution se prépare elle-même pour de telles luttes. Mais, jusqu’à présent, recourir à ses méthodes habituelles ne s’est pas fait sans problèmes.

    Comparer la situation actuelle avec la première révolution russe en 1905 est également important. La classe ouvrière avait alors démontré quelle était sa force force tandis que le pouvoir de l’Etat tsariste était suspendu dans les airs. Une confrontation finale était inévitable.

    Les libéraux et les menchéviks ont accusé les soviets (conseils, en russe) et en particulier les bolchéviks de trop parler d’insurrection armée. Lénine répondit : “La guerre civile est imposée à la population par le gouvernement lui-même”. Trotsky, dans sa défense devant le tribunal qui l’a inculpé après la révolution de 1905, a déclaré quant à lui : “préparer l’inévitable insurrection (…) signifiait pour nous d’abord et avant tout, d’éclairer le peuple, de lui expliquer que le conflit ouvert était inévitable, que tout ce qui lui avait été donné lui serait repris, que seule la force pouvait défendre ses droits, que des organisations puissantes de la classe ouvrière étaient nécessaires, que l’ennemi devait être combattu, qu’il fallait continuer jusqu’au bout, que la lutte ne pouvait se faire autrement”.

    En 1905, la contre-révolution a pu prendre le dessus en raison du manque d’organisation et d’expérience des masses en dépit de la constitution de conseils ouvriers, les soviets, ainsi qu’à cause de la faiblesse de la lutte dans les campagnes. En décembre, après une grève générale de 150.000 personnes à Moscou, la contre-révolution l’a emporté.

    L’expérience acquise durant les événements de 1905 ont toutefois posé les bases de la victoire de la révolution en 1917. La situation actuelle ne laisse pas de place à de longues périodes de réaction sans lutte. La Bolivie d’aujourd’hui ne connaîtra pas le genre de période de contre-révolution qui a suivi la défaite de 1905. L’avenir y est toujours en jeu et, dans le passé, la contre-révolution a déjà été vaincue en Bolivie.

    Nous verrons sans aucun doute d’autres pays et régions s’intégrer dans cette tendance aux mouvements de masse. Son impact sur la conscience globale des masses sera une meilleure compréhension que la lutte est la seule manière d’obtenir des changements. La recherche d’une alternative au capitalisme et à la répression sera le terreau du développement des idées anticapitalistes et socialistes. La faiblesse de la gauche et de l’organisation des travailleurs signifie toutefois que ce processus sera long, avec des bonds en avant et des reculs.

    La leçon générale, cependant, est la même qu’en 1905 ou en 1968 : il s’agit toujours de la nécessité pour la classe ouvrière de prendre le pouvoir afin de soutenir les concessions qu’un mouvement de masse peut arracher et pour parvenir à un changement fondamental de société.

  • STOP à la guerre contre les Kurdes! #SolidaritéAvecAfrin

    Manifestation à Londres, cette semaine. Photo : Amaliah (Socialist Party)

    Pour une résistance de masse !

    L’État turc s’en prend aux Kurdes à Afrin au moyen de bombardements et d’une invasion terrestre. Ceci survient à la suite de l’offensive dévastatrice menée en 2016 contre les régions kurdes en Turquie. Le président Erdogan avait mis fin au “processus de paix” et déclenché une guerre, provoquant une vague de nationalisme anti-kurde en Turquie.

    Ce n’est qu’en 2016 que des avions turcs ont bombardé pour la première fois les bases de Daesh en Syrie. Mais le prétexte de la prétendue “guerre contre le terrorisme” des forces occidentales a été saisi par le régime d’Erdogan pour couvrir le bombardement des régions kurdes.

    Ces forces kurdes étaient celles qui combattaient Daesh sur le terrain ! Plutôt qu’une victoire kurde, l’Etat turc préférait que Daesh l’emporte.

    Les Kurdes composent une nation sans Etat, divisée entre l’Irak, l’Iran, la Syrie et la Turquie depuis l’accord conclu après la Première guerre mondiale entre puissances impérialistes pour découper la région.

    Dans l’instabilité créée par la guerre en Irak de 2003, ils ont développé des zones autonomes en Irak et en Syrie. La lutte contre Daesh a soulevé la possibilité de faire tomber les frontières de l’impérialisme. Grâce aux progrès réalisés par les Unités de protection du peuple (YPG, branche armée du Parti de l’union démocratique, PYD, organisation de gauche syrienne) kurdes, une grande zone conjointe dans le Nord de la Syrie et en Irak est sous contrôle kurde. Le régime turc craint ce que cela pourrait signifier pour la Turquie elle-même.

    Les Kurdes trahis

    Les combattants kurdes ont fait preuve d’héroïsme dans leur lutte contre Daesh. Mais bon nombre de leurs gains ont été réalisés au côté d’attaques aériennes des forces russes et américaines.

    Le Parti Socialiste de Lutte (PSL) et le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) ont à plusieurs reprises averti que les États-Unis et la Russie n’étaient pas des amis du peuple kurde. Ils utilisent les combattants kurdes quand cela leur convient pour ensuite les abandonner tout aussi facilement.

    Dès que Daesh a été repoussé, les Etats-Unis et la Russie ont permis à la Turquie de déchainer sa machine de guerre dans l’espoir de stabiliser leurs relations avec le régime turc.

    Les différentes puissances impérialistes, parmi lesquelles les États-Unis et la Russie, n’ont jamais eu les intérêts des Kurdes à cœur. Ils ne s’intéressent qu’à leurs propres intérêts et ne soutiennent les forces kurdes que dans la mesure où ces derniers n’entrent pas en conflit avec eux.

    C’est ce que nous avons brutalement vu se produire en 1991, lorsque George H. W. Bush a encouragé un soulèvement contre Saddam Hussein pour ensuite laisser les Kurdes être massacrés.

    Ni les puissances occidentales, ni les régimes répressifs de la région ne veulent que la détermination des Kurdes à lutter pour l’indépendance dans d’autres régions ne s’accentue davantage, en raison de l’instabilité profonde qui en résulterait, dont l’éclatement potentiel de la Turquie.

    Les puissances capitalistes régionales sont toutes prêtes à favoriser les divisions ethniques et nationales et à dresser les peuples les uns contre les autres – les Arabes contre les Kurdes par exemple – pour servir leurs intérêts.

    Pour une résistance de masse !

    Les Kurdes ont bien entendu le droit de se défendre. Le PSL défend la création de comités de défense démocratiques, non sectaires et multiethniques, capables de donner un rôle actif à la population.

    Les territoires actuellement sous contrôle kurde sont peuplés d’Arabes, de Turkmènes et de Kurdes. Il est vital de faire appel à ces masses pour qu’elles s’organisent ensemble.

    En défendant le droit à l’autodétermination des peuples, il serait possible de construire un mouvement qui résisterait aux attaques turques et s’adresserait aux travailleurs et aux pauvres de toute la région.

    Il est également important de lancer un appel à la classe ouvrière en Turquie. Dans une situation aussi terrible, cela peut sembler éloigné. Un tel appel doit reposer sur un programme de défense des droits démocratiques, pour de bons emplois et des logements décents ainsi que pour que les vastes ressources de la région soient détenues et contrôlées démocratiquement au bénéfice de tous. Cela serait de nature à briser la peur et la haine. Les travailleurs et les pauvres en Turquie n’ont rien à gagner de l’oppression des Kurdes, qui ne fait que renforcer le gouvernement et les patrons qui les exploitent et les oppriment également.

    La plus grande crainte des riches, des grands patrons et des propriétaires terriens ainsi que de leurs représentants politiques serait le rassemblement des travailleurs kurdes, irakiens, turcs, syriens et iraniens dans un mouvement qui pourrait défier les gouvernements locaux, les impérialistes et le capitalisme lui-même.

    Nous soutenons le droit démocratique du peuple kurde à l’autodétermination, y compris, s’il le souhaite, jusqu’à la pleine autonomie et à l’établissement d’États indépendants ou d’un État commun à tous les Kurdes.

    Une confédération socialiste volontaire du Moyen-Orient permettrait à tous les peuples de décider librement et démocratiquement de leur destin.

    Les socialistes et les organisations des travailleurs doivent construire des mouvements opposés à la guerre contre les Kurdes et contre l’intervention impérialiste, et exiger des droits et des conditions décentes pour les réfugiés.

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    Déclaration conjointe de SOSYALIST ALTERNATIF (CIO-Turquie) & de PATRONSUZ DUNYA

    Le régime d’Erdogan a lancé une opération militaire à Afrin, une ville kurde du nord-ouest de la Syrie, avec le soutien sans réserve du parti d’opposition social-démocrate, le CHP. Les acquis et la lutte de libération du peuple kurde – peuple réparti sur un territoire partagé entre la Turquie, l’Irak, l’Iran et la Syrie – sont visés par un accord commun entre les régimes de ces quatre pays ainsi que les forces impérialistes telles que la Russie et les Etats-Unis.

    Le nom même de l’opération, ‘‘Rameau d’olivier’’, exprime le commun accord contre toutes sortes de revendications fondées sur le droit à l’autodétermination des Kurdes, même si ces puissances sont en conflit les unes avec les autres. Ce nom revient à voir un dictateur offrir un rameau d’olivier à un autre alors que tous deux qualifient l’autre de ‘‘dictateur aux mains pleines de sang’’. En tant que socialistes et marxistes révolutionnaires, nous appelons tous les travailleurs et les syndicats à s’opposer à cette attaque.

    Il s’agit d’une guerre contre les Kurdes. Le mobile qui la sous-tend est simple : le peuple kurde est géographiquement divisé et opprimé par quatre pays, usurpé de ses droits démocratiques nationaux les plus élémentaires. Toute conquête éventuelle que les Kurdes pourraient obtenir dans l’un de ces pays impliquera des revendications nationales en matière de droit démocratique et, par conséquent, accélérera le processus de sensibilisation pour le peuple kurde dans les trois autres pays. C’est précisément ce qui inquiète les autres pays et leurs régimes oppresseurs. Ils n’hésitent donc pas à recourir à toutes sortes de moyens, y compris la guerre et les massacres, pour éliminer ces conquêtes.

    Les médias, qui agissent tel un ministère de la propagande pour le palais d’Erdogan, injectent le racisme dans la conscience des masses en présentant cette campagne d’occupation comme une opération ‘‘contre le terrorisme’’. Il s’agit d’un énorme mensonge. Le régime d’Erdogan a alimenté la guerre civile syrienne, a soutenu les organisations djihadistes-terroristes et a causé des effusions de sang non seulement en Syrie mais aussi dans d’autres pays du monde. Il a utilisé ces organisations djihadistes-terroristes pour servir sa stratégie politique. Le régime d’Erdogan a ouvertement transporté en bus des djihadistes de Turquie à Afrin pour cette campagne d’occupation, sans même essayer de le cacher. Le régime d’Erdogan était assis à la table de négociation avec les régimes russe et syrien, pour Alep et Idlib, en tant que ‘‘représentant’’ des organisations terroristes djihadistes. Cela révèle quelle est la nature des relations entre le régime d’Erdogan et les djihadistes.

    D’autre part, le régime fait taire toutes les voix de l’opposition par le biais de l’état d’urgence et des décrets d’urgence. Avec cette guerre, le régime d’Erdogan tente de se renforcer. Il ajoutera ‘‘l’état de guerre’’ à ‘‘l’état d’urgence’’. Cette guerre favorisera en outre l’atmosphère nationaliste dans le pays, ce qui diminuera la marge de manœuvre de l’opposition. Le CHP (le parti kémaliste prétendument social-démocrate) est en concurrence avec la ‘‘coalition AKP-MHP’’ (l’AKP est le parti d’Erdogan, le MHP le parti d’extrême droite) dans une ‘‘course au patriotisme’’.

    Le véritable ennemi n’est pas le peuple d’Afrin, c’est le régime d’Erdogan. Ce régime réprime toute revendication démocratique en utilisant toute la force de l’appareil d’Etat. Les conditions de vie de la classe des travailleurs, dont les enfants sont envoyés à la guerre, sont grandissantes. Le régime d’Erdogan utilisera la guerre contre les Kurdes pour empêcher que le mécontentement des travailleurs ne vienne menacer le régime. De cette façon, il lui sera beaucoup plus facile de stigmatiser ceux qui revendiquent leurs droits en les qualifiant de ‘‘partisans des terroristes’’.

    Il est presque certain qu’il sera interdit aux travailleurs du secteur métallurgique de faire grève dans ces prochains jours. Lors d’un meeting public à Kütahya, Erdogan a élevé la voix contre les travailleurs précaires exigeants des emplois permanents en leur disant : ‘‘Vous n’écoutez pas les explications, vous ne suivez pas les choses, vous ne savez pas (…) nous l’avons déjà dit au Parlement (…) vous insistez encore pour ne pas comprendre…’’ tout cela alors qu’il annonçait le début de la campagne d’occupation. Cela illustre l’apparente confiance en lui d’Erdogan, confiance créée par son pouvoir absolu sur le pays. Nous aurons à faire face à plus encore en raison de la guerre et des divisions au sein de la classe ouvrière à cause du racisme, du nationalisme, du sectarisme et du chauvinisme.

    Tous les partis d’opposition et les médias, qui sont tout à fait d’accord avec le régime d’Erdogan sur ce sujet, accordent une attention extrême à la ‘‘lutte contre le terrorisme’’ comme raison de l’opération. Ils évitent autant que possible d’utiliser le mot ‘‘kurde’’ (y compris certains groupes qui se définissent comme ‘‘socialistes’’). C’est la raison pour laquelle le nom de Rojava a été rapidement changé, passant du terme de ‘‘corridor kurde’’ jusqu’à la Méditerranée à celui de ‘‘corridor de terreur’’. Même le MHP ultra-nationaliste et raciste affirme : ‘‘On ne peut pas prétendre que le MHP est contre les Kurdes’’. Leur véritable préoccupation est la conscience nationale formée autour des Kurdes.

    Comme tous les autres peuples, les Kurdes devraient avoir le droit de vivre et de déterminer leur destin, que ce soit en Syrie, en Irak, en Iran ou en Turquie. La formation de la conscience nationale des Kurdes et leurs revendications démocratiques doit devenir une préoccupation pour toute la classe ouvrière exploitée. Il s’agit d’une condition préalable au succès en tant que force unifiée des travailleurs en Turquie. Il est nécessaire que la classe ouvrière turque défende collectivement les droits des Kurdes. Ce n’est que de cette manière qu’il sera possible de gagner la confiance puis le soutien du peuple kurde et de combiner la lutte pour les droits démocratiques nationaux à la lutte des classes.

    Ni le peuple kurde, ni le peuple syrien ne sont nos ennemis. Le véritable ennemi, c’est la dictature d’Erdogan, qui protège les patrons, les voleurs, la corruption, les tueurs et les organisations terroristes djihadistes qui n’ont rien donné aux travailleurs et aux opprimés si ce n’est le chômage, la pauvreté, l’exploitation, du sang, des larmes, la guerre et la mort. Une dictature ne peut être détruite que par ses victimes. Les victimes de ce régime sont les Turcs ordinaires, les Kurdes, les Alevites, les Sunnites, c’est-à-dire la classe ouvrière et tous les peuples opprimés.

    L’AKP, le CHP, le MHP et le ?Y? sont tous des partis nationalistes et chauvinistes. Ils tentent de démontrer que les travailleurs et les capitalistes ont les mêmes intérêts sous le toit d’une ‘‘nation unique’’. Ces intérêts ne se chevauchent toutefois pas, quelle que soit la nationalité, l’origine ethnique ou la religion à laquelle ils appartiennent. Ils sont plutôt opposés. C’est pourquoi il nous faut un parti des travailleurs capable d’organiser notre propre classe contre les partis nationalistes capitalistes.

    Seule l’unité de la classe ouvrière peut stopper les guerres, les impérialistes et leurs collaborateurs. Par conséquent, nous appelons toutes les organisations de la classe des travailleurs, en particulier les syndicats, à s’opposer à cette guerre que l’Etat turc a déclarée contre les Kurdes, avec l’aide de des impérialismes américain et russe.

    • Stop à l’occupation !
    • Ne participez pas à l’occupation, dites non à l’offensive contre Afrin !
    • Que les syndicats s’opposent à la guerre: grève générale !
    • Unissons la lutte des métallos avec la lutte contre la guerre !
    • Pour l’unité de classe contre le nationalisme et le sectarisme !
    • Contre la guerre, l’exploitation, l’oppression et la pauvreté, pour une confédération socialiste volontaire du Moyen Orient !
  • Moyen-Orient: Le «califat» de Daesh en déclin

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    Les « solutions » de l’impérialisme ne sont pas des solutions du tout

    Cela fera bientôt deux ans que les États-Unis ont lancé leur opération « Détermination absolue » contre Daesh en Irak et en Syrie. Le président des États-Unis, Barack Obama, s’est d’ailleurs récemment vanté du soi-disant succès de sa campagne. Même s’il n’y a pas vraiment moyen de vérifier les données avancées par le Pentagone et d’autres sources gouvernementales, il est indéniable que Daesh a perdu d’importants territoires de son pseudo-califat au cours de ces derniers mois, ainsi qu’un grand nombre de combattants, d’armes et d’argent.

    Par Serge Jordan, Comité pour une Internationale Ouvrière

    La coalition dirigée par les États-Unis a chassé Daesh de la ville syrienne de Manbij, les coupant ainsi d’une de leurs plus importantes routes d’approvisionnement. Des scènes de liesse parmi la population locale ont fait la une des médias : des hommes coupant leurs barbes, des femmes brûlant leurs niqabs. Cette nouvelle perte pour Daesh vient compléter une série de plus en plus longue de défaites imposées à ce groupe en Syrie comme en Irak.

    Mais le discours d’Obama ne va certainement pas susciter l’enthousiasme parmi les très nombreux Irakiens et Syriens qui ont vu leurs familles, leurs amis ou leurs voisins perdre la vie ou être mutilés suite aux « dégâts collatéraux » de la campagne intensive de bombardements. L’hypocrisie de l’impérialisme est évidente lorsque les dirigeants occidentaux prétendent se soucier des pertes de vie infligées par les attaques de Daesh, mais imposent en même temps un mur de silence face au bilan croissant du nombre de morts civiles provoquées par les milliers de bombes qu’ils larguent au Moyen-Orient.

    Bien entendu, très peu de gens regretteront la fin du régime ultra-réactionnaire de Daesh à Manbij. Mais le siège de cette ville a eu aussi des conséquences dramatiques pour la population locale. Le 19 juillet, loin des caméras, des dizaines de civils étaient tués par les bombardements étasuniens sur la ville et dans un village adjacent, avec un bilan allant jusqu’à 117 morts, selon certaines estimations.

    Pendant ce temps, des centaines de gens continuent à mourir, victimes d’attaques terroristes perpétrées ou inspirées par Daesh partout dans le monde. Ce groupe bénéficie toujours en effet d’un large réseau de partisans au Moyen-Orient mais aussi en Afrique, en Asie du Sud-Est, en Europe et ailleurs. Il tente de compenser ses pertes territoriales en se reconvertissant dans des méthodes terroristes plus « conventionnelles », employant des actions particulièrement meurtrières calculées pour impressionner ses ennemis tout en renforçant sa base de sympathisants.

    Le 3 juillet, plus de 300 personnes ont été tuées à Bagdad suite à l’attentat le plus meurtrier en Irak depuis 2003. En Occident aussi, les attaques terroristes ne font que s’intensifier, ce qui contredit l’argument favori des classes dirigeantes comme quoi la répression et la restriction des droits démocratiques est une méthode efficace pour résoudre le problème du terrorisme.

    Ceci est particulièrement vrai lorsqu’on tient compte que cette répression s’accompagne des plans d’austérité incessants (qui sont autant d’attaques antisociales ayant pour effet d’étendre largement le champ de marginalisation sociale et économique), du soutien de l’Occident aux monarchies du Golfe (qui propagent activement l’idéologie wahhabite aux quatre coins de la planète) et des attaques militaires incessantes sur des pays à majorité musulmane (ce qui ne fait qu’accréditer le discours empoisonné de Daesh). Tout cela crée un climat qui rend la population de plus en plus vulnérable à des actes de revanche sous la forme d’attentats terroristes.

    Un califat en déclin

    Il était clair dès le début que Daesh aurait beaucoup de difficultés à administrer d’importants centres urbains par le seul règne de la terreur. L’image d’invincibilité que le groupe cherchait à se donner a été rapidement remise en question par l’énorme pression militaire venue de l’extérieur mais aussi du discrédit et mécontentement croissants à l’intérieur de ses frontières,. En mai 2016, un porte-parole de Daesh, Abu Muhammad al-Adnani, a déclaré que son groupe « ne combat pas pour du territoire » : le groupe cherche sans aucun doute à préparer ses partisans à accepter le fait qu’ils pourraient perdre le contrôle sur le plan géographique.

    Ceci dit, vaincre Daesh militairement est une chose, mais éliminer le terreau sur lequel il pousse en est une autre. Ce n’est d’ailleurs certainement pas la première fois que des grands discours sont proclamés par l’impérialisme occidental suite à une victoire militaire imposée à un groupe d’extrême-droite islamiste, avant que l’on constate que la réalité sur le terrain est tout autre. Prenons simplement l’exemple de la soi-disant défaite des talibans en Afghanistan en 2001. Aujourd’hui, les talibans contrôlent plus de territoire dans ce pays qu’ils ne l’avaient jamais fait depuis 2001.

    Dans un article publié sur le site du Comité pour une Internationale Ouvrière (socialistworld.net) en juin 2015, nous écrivions : «Nous ne pouvons bien entendu pas exclure le fait que la coalition occidentale parvienne finalement à imposer une série de défaites décisives à Daesh et à chasser les djihadistes des territoires stratégiques qui sont sous leur contrôle. Mais quand bien même cela se produirait, tant que personne ne cherchera à résoudre les nombreux problèmes sociaux et économiques sous-jacents qui ont permis l’émergence de Daesh, il faut s’attendre à ce que de nouvelles organisations tout aussi si pas plus violentes encore, émergent à sa place.»

    Certaines sections de Daesh pourraient former un nouveau mouvement. Les forces sociales qui ont encouragé sa formation ne vont pas disparaitre tant qu’on n’aura pas connu une véritable transformation à la base de la société. Les observateurs les plus avertis du terrain Syrien, comme Robert Fisk, un célèbre journaliste indépendant d’origine britannique, attirent l’attention sur le groupe fondamentaliste Jabhat al-Nosra (récemment rebaptisé Jabhat Fatah, signifiant «Front de la conquête»), décrit comme «de loin supérieur à Daesh en termes de tactique, de recrues et d’armement». Ce groupe mène une contre-offensive contre les forces du régime de Bachar el-Assad à Alep, tout en bénéficiant d’un très important soutien financier et militaire de la part de l’Arabie saoudite et du Qatar (qui sont les deux plus importants acheteurs d’armes aux Américains).

    Des victoires militaires sur le court terme n’empêchent donc en rien une catastrophe sur le long terme. En 2007 déjà, on avait entendu célébrer la fin d’al-Qaïda en Irak, soi-disant écrasé par le mouvement de l’« Éveil d’Anbar », une coalition de tribus arabes sunnites armées par les États-Unis pour chasser al-Qaïda de la province d’Anbar (ouest de l’Irak). Pourtant, il n’a fallu que quelques années pour voir Daesh émerger : en quelque sorte, une résurrection d’al-Qaïda sous une forme encore plus monstrueuse. Cela démontre bien que les puissances impérialistes peuvent effectivement remporter des victoires militaires, mais tant que les conditions économiques, sociales et politiques qui ont donné naissance à Daesh resteront les mêmes voire pire, tout cela ne fera que semer les graines pour de nouveaux désastres.

    Compétition entre les différents puissantes impérialistes

    Il ne fait aucun doute que les stratèges de l’impérialisme désirent affaiblir Daesh. Parmi les enjeux de leur point de vue, on trouve des questions de prestige, mais aussi de stabilité pour les investissements des multinationales dans la sous-région, en plus de considérations d’ordre stratégique. Le Moyen-Orient continue à jouer un rôle de premier plan dans les calculs géopolitiques des principales puissances capitalistes de la planète. Le contrôle et l’influence politique sur cette région du monde restent en effet cruciaux pour l’accès aux marchés et aux ressources énergétiques.

    Derrière la lutte contre Daesh se cachent donc bel et bien de plus vastes intérêts stratégiques. C’est pour cette raison que « la lutte contre Daesh et contre le terrorisme » sert de parfait prétexte derrière lequel chaque puissance cache ses propres objectifs impérialistes. C’est pour cela que toute la soi-disant unité et coopération dans la lutte globale contre Daesh n’est en fait qu’une vue de l’esprit ; sur le terrain et en coulisses, d’innombrables agendas opposés sont à l’œuvre entre les différentes puissances, sans parler des petites rivalités entre leurs nombreux relais locaux.

    Maintenant que les préparatifs s’accélèrent afin de libérer le cœur même du pseudo-califat de Daesh, centré autour de la ville irakienne de Mossoul et de la ville syrienne de Raqqa (toutes deux bombardées sans arrêt depuis des semaines par les forces russes, syriennes, américaines, britanniques, françaises et jordaniennes), on va certainement voir éclater ces contradictions au grand jour.

    La course est lancée pour voir qui sera le premier à contrôler les zones desquelles les djihadistes auront été chassés. C’est ce qui explique aussi l’intensification de la présence américaine. Le président Obama a envoyé 250 « forces spéciales » dans le nord de la Syrie en avril, qui ont rejoint les cinquante soldats états-uniens déjà sur le terrain. Même si cette force reste petite, il n’en reste pas moins qu’il s’agit de la plus grande extension des forces américaines présentes en Syrie depuis le début de la guerre.

    Des photos publiées récemment par la BBC suggèrent de plus que des forces spéciales britanniques seraient elles aussi secrètement impliquées dans les combats en Syrie. L’utilisation de «forces spéciales» devient de plus en plus employée par les puissances impérialistes pour envoyer des troupes à l’étranger sans devoir passer par l’approbation du parlement. La mort de trois soldats français en Libye le mois passé a elle aussi confirmé que la France accomplit en secret des opérations militaires dans ce pays depuis des mois via ses «forces spéciales».

    560 soldats étatsuniens ont été déployés en Irak en juillet, officiellement pour aider à libérer Mossoul. Cela fait passer à près de 5000 le nombre de soldats américains en Irak.

    Alors qu’Obama avait été élu président des États-Unis en promettant qu’il ramènerait tous les soldats au pays, il termine son mandat en renforçant les effectifs aussi bien en Syrie qu’en Irak. Même si d’importantes pertes ont été infligées à Daesh par les bombardements, les États-Unis sont bien conscients qu’ils ne pourront tirer aucun avantage de ces victoires s’ils ne disposent pas de leurs propres troupes au sol. En même temps, pour des raisons politiques, ils ne peuvent concevoir aujourd’hui de se lancer dans une véritable intervention militaire en Syrie, et encore moins en Irak.

    L’Irak

    En Irak, l’impérialisme américain a laissé derrière lui un héritage effroyable dont le pays ne s’est toujours pas remis. Malgré la propagande répugnante de Daesh et son déchainement de violence barbare (qui ont forcément eu un impact sur la conscience des populations en Occident), tous les sondages montrent qu’une partie très importante de la population des États-Unis reste opposée à l’envoi de troupes en Iraq et en Syrie pour combattre Daesh. La majorité de la population reste également convaincue du fait que l’invasion de l’Iraq était une erreur.

    Pendant la bataille pour la recapture de Ramadi et de Falloujah, les stratèges américains ont été forcés d’accepter le fait que, bien que leurs avions apporteraient un soutien aérien, le gros des combats au sol serait essentiellement mené par des milices chiites soutenues par l’Iran. Beaucoup de ces milices chiites se sont distinguées par des atrocités perpétrées à l’encontre des populations sunnites. Plusieurs organisations des droits de l’homme ont établi des rapports crédibles faisant état de cas d’exécutions sommaires, de tortures, de bastonnades, de disparitions et de mutilations par les membres de ces groupes. Toute cette violence ne fera que renforcer les éléments de conflit intercommunautaires qui au final profitent aux groupes comme Daesh, qui se présentent comme les défenseurs des sunnites contre la persécution chiite.

    En envoyant des troupes en Irak, l’impérialisme américain tente de récupérer une certaine forme de contrôle et d’influence politique sur le terrain, afin de contrebalancer la présence croissante de l’Iran ; mais tout en prenant garde à ne pas envoyer de forces telles que leur ampleur provoquerait d’importants troubles politiques, aux États-Unis comme au Moyen-Orient.

    Au mois de juillet, le dirigeant chiite radical irakien Moqtada al-Sadr a appelé ses partisans à cibler les soldats américains stationnés en Iraq dans le cadre de la campagne militaire contre Daesh. Des déclarations du même genre ont été émises par d’autres milices chiites. «Ils nous détestent autant qu’ils détestent Daesh», avouait un ancien responsable des renseignements américain. Tout cela montre bien que les États-Unis sont contraints à un véritable jeu d’équilibriste.

    Mais ce sont les Irakiens eux-mêmes qui paient le prix le plus lourd tribut de toute cette situation. Le remplacement des milices sunnites de Daesh par d’autres milices, chiites cette fois-ci, n’entrainera certainement pas une amélioration notable de leurs conditions de vie. Beaucoup d’Irakiens qui ont fui les zones désormais «libérées» craignent de rentrer chez eux, de peur des représailles (ou parce que leurs maisons ont été détruites durant les combats). Plusieurs rapports indiquent que l’ensemble des minorités culturelles (yézidis, turkmènes, chrétiens) ont également peur de rentrer chez elles pour les mêmes raisons. Plus de 3,3 millions d’Irakiens sont en ce moment réfugiés dans leur propre pays, et ce nombre ne va faire qu’augmenter dans les mois qui viennent. Et les Nations-Unies ont déjà prévenu que la bataille pour Mossoul engendrera des «pertes civiles en masse» et «la crise humanitaire la plus grande et la plus tragique au monde».

    La Syrie

    En ce qui concerne la Syrie, la plupart des tentatives des États-Unis de s’y créer une base sure en soutenant, armant et entrainant différents groupes rebelles s’y sont soldées par autant de fiascos plus embarrassants les uns que les autres. L’exception étant la coopération étroite entre les combattants kurdes des YPG (Unités de protection populaire, Yekîneyên Parastina Gel) liées au PYD (Parti de l’Union démocratique, Partiya Yekîtiya Demokrat).

    Le PYD a établi une enclave kurde dans le nord de la Syrie (Rojava) et a été à juste titre acclamé pour son héroïsme et ses succès dans la lutte contre Daesh. Il ne fait aucun doute que la détermination de ses combattants est essentiellement alimentée par l’espoir de pouvoir bâtir un autre type de société au Rojava, reposant sur la solidarité, l’égalité des sexes et le droit pour les Kurdes de disposer de leur propre futur après des décennies d’oppression.

    Mais son succès n’a pas échappé aux grandes puissances impérialistes, qui ont décidé de soutenir les YPG par pur opportunisme. C’est ainsi qu’ont été créées l’alliance des « Forces démocratiques syriennes » l’an passé, une large coalition soutenue par les États-Unis, regroupant diverses tribus arabes mais dans lesquelles les unités YPG constituent la colonne vertébrale. Les FDS sont la force à l’origine de la récente libération de Manbij, qui fut accompagnée d’un puissant soutien aérien de la part de la coalition américaine.

    Même si des arrangements temporaires tels des échanges d’armes ou d’informations peuvent à certains moments s’avérer nécessaires pour combattre les bandes meurtrières de Daesh, le CIO est d’avis que le PYD et les YPG devraient maintenir une indépendance complète dans leur action et dans leur programme et mettre leur base en garde contre les manœuvres des forces impérialistes. Lorsque les États-Unis cherchent à influencer le mode d’action des YPG, cela a autant à voir avec la lutte contre Daesh qu’avec leur propre désir d’éliminer les aspects les plus radicaux et les plus progressistes du programme des Kurdes de Syrie.

    Malheureusement, les derniers événements tendent à confirmer les premières appréhensions du CIO, selon lesquelles les troupes des YPG soient de plus en plus utilisées comme une force répondant aux objectifs de guerre tracées par l’impérialisme américain. C’est ainsi qu’on a vu au mois de mai des soldats américains se prendre en photo avec des insignes des YPG cousus sur leurs uniformes.

    En même temps, les dirigeants du PYD ont aussi noué d’étroites relations avec les dirigeants russes, notamment en ouvrant un bureau à Moscou cette année et en coordonnant certaines de leurs offensives avec les bombardements russes dans le nord d’Alep. Cela malgré les effets dévastateurs des raids aériens russes sur les populations locales, qui ont engendré des centaines de morts et la destruction d’infrastructure sur une large échelle.

    «Le PYD a soutenu la campagne russe en Syrie dès le premier jour», déclarait en février M. Adb Salam Muhammad Ali, un représentant du PYD. Cependant, les puissances impérialistes ne se sont jamais distinguées par leur gratitude envers les Kurdes. Il ne peut ainsi pas être exclu que le récent rapprochement entre Erdo?an et Poutine puisse provoquer un revirement de la politique russe envers les Kurdes, et que le Kremlin ne finisse par rompre ses liens avec le PYD en conséquence. Le 18 août, les avions du régime syrien ont attaqué la ville de Hasaka (nord-est) pour la première fois depuis le début de la guerre : c’est la première fois qu’une zone sous contrôle des YPG est ciblée ainsi par les forces d’Assad. Cela montre l’importance de tenir compte de la multiplicité des revirements en tous sens inhérente aux manœuvres militaires des différentes puissances régionales et internationales, mais aussi par la même occasion l’importance d’adopter une attitude d’indépendance de classe, sans accorder la moindre confiance aux régimes capitalistes dont les seuls intérêts sont le profit, le pouvoir et le prestige.

    Les combattants des YPG doivent tout faire pour éviter d’être identifiés avec tel ou tel camp impérialiste, pour qu’il soit clair qu’ils n’ont rien à voir avec la destruction et les massacres résultant des bombardements états-uniens ou russes. Car c’est justement ce genre de crimes qui encourage les djihadistes de tout poil en leur fournissant leurs arguments et de nouvelles recrues. S’ils refusent de se distancier de l’impérialisme, les YPG risquent de voir leur soutien populaire compromis et d’être perçus comme des conquérants par les populations des territoires à majorité arabe qu’ils veulent libérer de Daesh.

    Il s’agit d’une question critique, car le Rojava est encerclé de tous côtés, avec le régime turc au nord, Daesh au sud, et le gouvernement kurde-irakien pro-capitaliste à l’est, lui aussi hostile. La seule manière de briser ce siège une bonne fois pour toutes est de gagner le soutien actif de la classe ouvrière et des pauvres au-delà du Rojava, par-delà les divisions ethniques ou religieuses.

    La lutte de masse

    S’attirer le soutien des masses populaires ne peut se faire qu’en adoptant un programme qui garantisse les droits de tous les groupes ethniques et religieux, tout en proposant un plan pour que les vastes richesses de la région soient contrôlées démocratiquement afin de garantir la prospérité et un cadre de vie décent pour chaque citoyen.

    Selon le département de la Défense des États-Unis, le cout total des opérations militaires contre Daesh depuis le 8 aout 2014 jusqu’au 15 juillet 2016 s’élevait à 8,4 milliards de dollars. Est-ce qu’on n’aurait pas pu consacrer une telle somme pour améliorer la vie des gens, plutôt que de la détruire ? Seule une planification socialiste démocratique de l’économie sur le plan international nous mettra à l’abri de gaspillages matériels aussi absurdes dans le futur.

    La majorité de la population du Moyen-Orient aspire à une vie loin des conditions moyenâgeuse qui leur sont imposées par Daesh, mais elle rêve en même temps d’une vie libérée de la pauvreté, de l’exploitation, des divisions sectaires, des interventions impérialistes et de la dictature. La plupart des villes d’où Daesh a été chassé ne sont que des champs de ruines, tandis que le nombre de réfugiés atteint chaque jour de nouveaux records, sous les coups répétés des impérialistes mais aussi de l’armée d’Assad. Cela montre les coûts d’une «libération» qui se fait à coups de bombes plutôt que par une insurrection générale de la population d’Irak et de Syrie.

    De plus, après que DaeshI ait été chassé, il restera à répondre à la question de « que faire maintenant ? » pour reconstruire le pays. Ni les puissances impérialistes, ni les régimes capitalistes locaux avec leurs milices sectaires ne sont le moins du monde intéressés par la mise en place d’une politique qui améliorerait les conditions de vie pour les masses dans la région. C’est-à-dire les conditions mêmes qui, en l’absence d’une alternative claire, ont donné naissance à Daesh et aux autres groupes djihadistes réactionnaires. Et bombarder les populations nuit et jour ne fera rien pour remédier à cette situation.

    C’est pourquoi les zones libérées de Daesh ne peuvent être laissées entre les mains d’officiers corrompus, de conseillers militaires impérialistes, ou des diverses milices sectaires et autres mafieux qui viendront s’enrichir sur base du butin de guerre. Ces zones doivent être placées sous le contrôle démocratique des populations locales via des comités et conseils élus, composés des travailleurs et des pauvres des diverses ethnies et religions. Ces comités devront assurer l’autodéfense contre les milices réactionnaires et les armées d’occupation, et pourraient servir de levier pour reconstruire une lutte unie pour désarmer les forces féodales et capitalistes responsables de la misère et de l’enfer quotidien vécus par les peuples de la région.

  • Non à la participation belge à la guerre en Syrie!

    SocialistWorld

    Les six F-16 belges, qui reprendront leurs frappes en Irak à partir du 1er juillet prochain verront leur mandat élargi à la Syrie selon l’accord conclu entre les partenaires de la majorité ce jeudi 12 mai en soirée. Vous trouverez ci-dessous un article publié dans l’édition de mai de Lutte Socialiste consacré à la participation belge à la guerre en Syrie.

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    Début mars, le gouvernement américain a officiellement demandé à la Belgique de renouveler sa participation à l’opération de l’OTAN “Inherent Resolve” au Moyen-Orient. Partenaire loyal de l’OTAN, le gouvernement belge acceptera selon toute vraisemblance. Après une participation de neuf mois aux bombardements en Irak en 2014-2015, les F-16 belges serviront à nouveau, y compris en Syrie et peut-être même en Libye.

    La ‘‘guerre contre le terrorisme’’ dure depuis déjà 15 ans, depuis les attentats du 11 septembre 2001. Le nombre de guerres a augmenté, pareil pour les attaques terroristes. Les groupes fondamentalistes religieux tels qu’Al-Qaïda et Daesh (l’Etat Islamique) sont aujourd’hui plus puissants que jamais. En Afghanistan, les Talibans n’ont pas disparu de la scène. En Libye, la destruction est générale et la guerre civile est maintenant invoquée pour promouvoir une nouvelle intervention internationale. En Irak, les autorités occidentales espéraient parvenir à une certaine stabilité en jouant sur les divisions sectaires. Mais ce fut la guerre et cette dernière a ouvert la voie au rapide essor de l’État islamique parmi les sunnites. Les opérations militaires n’entrainent que plus de chaos.

    Malgré l’échec des interventions en Afghanistan, en Irak et en Libye, les mêmes tactiques sont utilisées en Syrie. La coalition américaine a, en un an, effectué 8.000 frappes aériennes sur Daesh en ne gagnant qu’à peine du terrain. Les bombardements causent d’inévitables victimes civiles qui alimentent la colère des sunnites au Moyen-Orient contre les États-Unis et aident le recrutement des groupes fondamentalistes religieux.

    Toute l’argumentation selon laquelle les interventions occidentales serviraient à instaurer la démocratie, la paix et les ‘‘valeurs occidentales’’ est d’une hypocrisie sans nom. La Turquie, alliée des occidentaux, peut ainsi sans problème livrer une guerre unilatérale contre le peuple kurde tandis que le président-dictateur Erdogan place les médias sous son contrôle. L’Arabie saoudite, autre allié des puissances occidentales, peut exécuter des prisonniers politiques par pendaison ou interdire aux femmes de conduire. Pourtant, la vision profondément conservatrice de l’élite saoudienne a servi de modèle à la fois aux Talibans, à Al-Qaïda et à Daesh. L’establishment occidental a déroulé le tapis rouge aux fondamentalistes. En Belgique, la Grande Mosquée de Bruxelles a été confiée par bail à l’Arabie saoudite : le soutien au fondamentalisme religieux faisait partie du prix à payer pour le pétrole saoudien.

    La destruction de la Syrie par des raids aériens ne mettra pas fin au terrorisme. Bien au contraire. Cela augmentera les risques de propagation du conflit, notamment avec la guerre du régime turc d’Erdogan contre les Kurdes. Cela menace d’encore approfondir la misère et la barbarie pour la majorité de la population de la région. La crise des réfugiés pourrait devenir encore plus dramatique qu’aujourd’hui.

    La participation belge à la guerre en Syrie rend notre pays en partie responsable de la croissance des violences et des destructions mais aussi de leurs conséquences, comme le terrorisme et les flux de réfugiés. Stimuler les investissements dans l’armement et la Défense au cours des années à venir (notamment par l’achat d’avions de combat F35) est un choix politique. Pas d’argent pour la guerre mais pour combattre la misère !

    L’un des rares où les groupes fondamentalistes comme Al-Qaïda & Co. ont été poussés dans la défensive fut au cours de la vague de révolutions et de soulèvements de masse qui a déferlé sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord en 2011. Ces mouvements sociaux ont clairement illustré que l’action des masses pouvait arracher un changement réel. Ces manifestations de masse ont un grand caractère unificateur qui balaie les frontières sectaires. En Irak, des manifestations conjointes de sunnites et de chiites ont eu lieu. En Afghanistan, en 2015, des manifestations de masse ont eu lieu pour dénoncer les violences dont sont victimes les Hazaras, une minorité chiite. Comme nous l’avons vu en Libye, les interventions impérialistes dans la région visent également à stopper le développement des mouvements de masse. Mais il s’agit de la seule façon de lutter efficacement contre Daesh.

    Cinq ans après le début des soulèvements de masse au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, il faut retrouver le chemin de ces mobilisations et, parallèlement, en tirer les enseignements. Faire tomber les dictateurs ne suffit pas, c’est tout le système qui doit être renversé. Cela exige de construire des partis révolutionnaires armés d’un programme socialiste de rupture avec le capitalisme.
    D’ici à ce que de tels mouvements émergent au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, nous pouvons jouer un rôle en construisant un puissant mouvement anti-guerre. Juste avant le début de la guerre en Irak, en 2003, nous avons connu un large mouvement anti-guerre avec des millions de manifestants. La manifestation contre l’achat d’avions de chasse F35 le 24 avril dernier à Bruxelles était un excellent début pour renouer avec cette tradition.

    ‘‘Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage’’ déclarait le socialiste français Jean Jaurès avant le déclenchement de la Première Guerre mondiale. Pour parvenir à un monde sans guerre, nous devons lutter pour une autre société.

  • Préaccord sur le nucléaire iranien, reflet d'un Moyen-Orient en pleine transformation

    Après la désastreuse occupation de l’Irak, l’administration Obama cherche un nouvel équilibre entre les différentes puissances de la sous-région.

    Le préaccord nucléaire défini au mois d’avril dernier entre l’Iran et les puissances mondiales du groupe « P5+1 » marquera, s’il est mis en œuvre, un point tournant dans les relations entre les pays occidentaux et les pays du Moyen-Orient, ainsi qu’entre ces pays dans la région. Même si l’on pourra peut-être observer un report de la ratification finale de cet «accord politique», le fait seul que ces négociations se soient tenues est le signe qu’un réalignement des forces est en train de s’opérer dans la région.

    Par Robert Bechert, secrétariat international du Comité pour une Internationale Ouvrière

    Les désastreuses conséquences de l’invasion de l’Irak

    Cette tentative d’accord est essentiellement le résultat de l’évolution de l’équilibre entre puissances au niveau mondial et de l’invasion de l’Irak menée par les États-Unis et la Grande-Bretagne en 2003, dont les conséquences se font amèrement sentir.

    Tandis que la position des États-Unis au niveau mondial s’est affaiblie face à la croissance économique de la Chine et à son influence grandissante au niveau international, le bilan désastreux de l’invasion de l’Irak a contribué à mettre un terme à la brève période des années ’90 au cours de laquelle les États-Unis dominaient la scène internationale. Cette invasion a été désastreuse non seulement pour des millions d’Irakiens, mais aussi pour les architectes de cette guerre. Les limites de la puissance des États-Unis et le déclin prononcé des forces britanniques se sont révélés au grand jour, une fois qu’a été perçue l’échec des espoirs de ces États, qui visaient à établir un nouvel ordre au Moyen-Orient en éliminant ou en neutralisant les forces qui leur étaient hostiles.

    Pour le peuple irakien, l’invasion de 2003 s’est traduite par d’énormes préjudices, une augmentation des souffrances et de nouveaux conflits ; mais pour les instigateurs et les partisans de la grande aventure de Bush et Blair, il s’est agi d’une défaite stratégique qui s’est soldée par un énorme gaspillage de ressources. Non seulement l’invasion irakienne a déstabilisé l’ensemble de la sous-région, mais elle a également renforcé la puissance régionale de l’Iran, à l’inverse de ce que Washington souhaitait. Au final, cette invasion a constitué un énorme pas en arrière pour les puissances occidentales qui, après le renversement du Shah en 1979, avaient sous Reagan et Thatcher tenté d’isoler l’Iran en soutenant Saddam Hussein durant la guerre initiée par ce dernier entre l’Iran et l’Irak de 1980 à 1989.

    Dans un article qui critique vivement cet accord, mais qui n’offre aucune réelle alternative, les anciens secrétaires d’État, MM. Kissinger et Shultz, regrettent le fait que <i>«Les négociations entamées il y a 12 ans pour empêcher l’Iran de développer un arsenal nucléaire aboutissent finalement à un accord qui lui offre cette même possibilité ; bien que cet arsenal ne sera pas à sa capacité maximale dans les 10 premières années»</i> (Wall Street Journal, 9 avril 2015). Ce compromis avec l’Iran n’est pas ce que Washington et Londres envisageaient en 2003.

    Bilan du «Printemps arabe»

    Les révolutions de 2011 en Afrique du Nord et au Moyen-Orient ont tout d’abord porté un rude coup aux puissances occidentales lorsque certains de leurs hommes forts, notamment le président égyptien Moubarak, se sont fait renverser du pouvoir. Ces puissances ont sérieusement craint que les révolutions se répandent à d’autres pays et qu’elles ne s’arrêtent pas à une simple élimination des autocrates et des dictateurs, mais qu’elles se transforment en de réelles révolutions sociales.

    Cette occasion en or pour la classe des travailleurs et les pauvres de mettre fin à l’oppression et au capitalisme une bonne fois pour toutes n’a pas été saisie. Mais, même si cette première vague révolutionnaire a chaviré, la contre-révolution qui a suivi n’a pas été capable de restaurer l’ancienne position de l’impérialisme. En réalité, l’impérialisme a perdu de son influence directe, car la contre-révolution a déclenché des forces centrifuges (càd. à tendance sécessionniste) qui se fondent sur des clivages ethniques, tribaux et religieux. Cette évolution, que l’on a pu observer très clairement avec le déchirement de la Libye et de la Syrie, a créé encore plus de misère et d’instabilité dans la région. Dans ce contexte, l’avancée explosive de l’Etat Islamique (EI) et d’autres groupes fondamentalistes n’a fait qu’approfondir la morosité de l’impérialisme.

    Les grandes puissances impérialistes, devant la faiblesse de leurs alliés arabes traditionnels et craignant la rapide avancée de EI, se sont vues contraintes de chercher de nouveaux alliés partout où c’était possible, ce qui explique le soutien apporté par l’Occident aux dirigeants de la zone autonome kurde en Irak. En Irak, un arrangement officieux a été conclu entre les forces étasuniennes et iraniennes afin de soutenir le gouvernement irakien à dominante chiite dans le cadre de sa lutte contre EI.

    C’est alors que, dans les coulisses, les tentatives d’obtenir un rapprochement avec l’Iran se sont multipliées ; ces efforts ont désormais franchi une nouvelle étape avec la définition de cet accord.

    En ce moment, les puissances mondiales (et surtout les forces impérialistes occidentales) ont besoin de l’aide du régime iranien pour combattre la menace que fait peser EI et autres fondamentalistes sunnites sur l’Irak et sur la Syrie. Mais cette stratégie risque de mettre à mal les relations des puissances occidentales avec les dirigeants de l’Arabie saoudite et des États du Golfe, dont la majorité soutient et finance différents fondamentalistes sunnites. Ces dirigeants majoritairement autocratiques et féodaux sont des rivaux directs de l’Iran et craignent que ce pays, qui joue désormais un rôle décisif en Irak, n’utilise les populations chiites dans des pays comme le Bahreïn et l’Arabie saoudite pour étendre son influence. C’est l’une des raisons pour lesquelles les États-Unis défendent à l’Iran de s’impliquer dans la guerre civile au Yémen.

    En même temps, certains stratèges occidentaux sont plus prudents par rapport à l’Iran. À leurs yeux, cet accord n’est pas suffisant pour affaiblir le programme nucléaire iranien. Kissinger et Schultz avouent l’affaiblissement de la position occidentale, lorsqu’ils écrivent qu’avec l’évolution du programme nucléaire iranien, « la menace de guerre limite à présent l’Occident plus que l’Iran ». Cependant, à certains égards, Obama suit aujourd’hui une stratégie semblable à celle suivie par le même Kissinger lorsque celui-ci préparait l’accord de 1972 entre la Chine et les États-Unis.

    Bien que les puissances mondiales soient en concurrence sur toute une série de thème tels que la domination du Pacifique ou l’Ukraine, chacune avait ses propres raisons de parvenir à cet accord entre le groupe P5 + 1 (États-Unis, Russie, Chine, France, Royaume Uni et Allemagne) et l’Iran. Même si certains alliés de l’Occident au Moyen-Orient – en particulier les régimes israélien et saoudien – y sont opposés, car ils craignent de perdre grandement dans ce nouvel équilibrage des forces. En ce qui concerne l’Arabie saoudite par exemple, elle s’inquiète du fait que la hausse de l’influence iranienne pourrait encourager la contestation de la part de sa minorité chiite. Israël quant à lui craint de perdre de son influence auprès des puissances occidentales.

    L’administration Obama balance entre les différentes puissances

    L’administration Obama elle-même joue un jeu d’équilibriste entre les différentes puissances sous-régionales. Au cours de la même semaine où l’accord avec l’Iran a été défini, les États-Unis ont repris leur aide annuelle de 1,3 milliards de dollars à l’Égypte (740 milliards de francs CFA), ont assuré l’Arabie saoudite de leur soutien envers ses raids aériens sur le Yémen, et ont donné leur accord à la création d’une future force militaire panarabe sunnite.

    Pendant ce temps, aux États-Unis eux-mêmes, les Républicains ont entamé, de concert avec le Premier ministre Netanyahu, une campagne d’opposition à l’accord iranien, pour des raisons à la fois électorales et politiques. Ils espèrent exploiter ce qui reste d’hostilité à l’Iran parmi la population américaine, en ravivant le souvenir du personnel diplomatique américain qui avait été retenu en otage pendant 444 jours en 1979-81 ainsi que les craintes qui pèsent (particulièrement parmi les couches fondamentalistes juives et chrétiennes aux États-Unis) sur l’avenir de l’État d’Israël.

    Des divisions existent aussi au sein du régime iranien. En Iran, nous voyons une situation où se mêlent la soif de changement, l’instabilité au niveau sous-régional, les sanctions économiques, et maintenant la chute du prix du pétrole ; ce qui donne une majorité à ceux qui soutiennent un accord sur le nucléaire.

    Mais les palabres continuent au sein du régime. En ce moment, le «Guide suprême» iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, parait soutenir les tentatives du président Hassan Rouhani d’obtenir un accord. Mais les éléments sceptiques, plus critiques, rassemblés autour de la faction religieuse conservatrice, n’ont pas encore abandonné leur bataille contre les centralistes, surtout au vu des élections qui arrivent en février prochain tant pour le parlement que pour l’Assemblée des experts. On a été surpris de voir un de ces conservateurs se faire récemment élire en tant que président de l’Assemblée des experts, une institution dont le rôle est, entre autres, de nommer le Guide suprême. À quel point s’agit-il d’une manœuvre de la part du régime dans le cadre des négociations en vue d’un accord ? Ce n’est pas clair.

    Ce qui est clair par contre, c’est que le régime voit qu’il y a une aspiration de plus en plus grande au changement dans la société, surtout parmi la jeunesse, accompagnée d’une remise en question croissante de la caste religieuse au pouvoir depuis 1979. Les divisions et le malaise du régime sont visibles par sa politique faite d’un mélange de répression continue et de petites concessions. D’ailleurs, l’annonce du préaccord a été accueilli par des manifestations de joie spontanées dans les rues du pays entier. Les gens chantaient, applaudissaient et dansaient. Beaucoup brandissaient des portraits du président Rouhani. La popularité de ce préaccord fait que le régime ne peut rejeter en bloc sa signature, sans quoi il risque de provoquer une contestation populaire d’un niveau potentiellement supérieur au mouvement de masse qui s’est développé après les élections présidentielles de 2009.

    Cela, parce que la perspective d’un accord qui permettrait de mettre un terme aux sanctions internationales qui pèsent sur l’Iran depuis des décennies alimente les espoirs de changement, surtout dans le contexte de la chute du cours du pétrole qui a fortement affecté l’économie et le niveau de vie dans le pays.

    Même si l’inflation est retombée récemment de 40 % à 16 %, le président du syndicat official soutenu par l’État a avoué que 70 % des Iraniens vivent sous le seuil de pauvreté. Le ministre du Travail a mentionné le fait que 12 millions de gens souffrent de « pauvreté alimentaire » dans son pays. La pression sur le niveau de vie a maintenant provoqué une contestation de la part des travailleurs. Depuis le mois de mars, on voit des grèves des travailleurs de l’automobile et des marches « silencieuses » de dizaines de milliers d’enseignants.

    Un marché potentiel

    La population iranienne se chiffre à 80 millions de personnes ; il s’agit de plus de la 18e plus grande économie mondiale. L’Iran n’est donc pas seulement une puissance régionale, mais aussi un marché potentiel. De nombreuses entreprises étrangères se préparent activement à débarquer dans le pays sitôt que les sanctions seront levées. Le New York Times citait l’année passée le directeur d’une compagnie pétrolière pour qui « Après l’accord, nous allons connaitre un boom incroyable ». Quelques semaines après la signature de ce préaccord, un groupe d’investisseurs et d’hommes d’affaires américains a tenu une rencontre publique à Téhéran – le tout premier événement de ce genre depuis la révolution de 1979.

    Même si l’accord est signé, les sanctions ne vont être levées que graduellement. De plus, malgré les fortes attentes de la part de la population, vu la situation de crise économique au niveau mondial, il n’y a que peu de chances que la levée des sanctions mène à une croissance durable et partagée en Iran.

    Mais le changement pourrait donner une plus grande confiance à la classe des travailleurs iranienne pour lutter pour ses revendications. Ceci pourrait représenter un tournant crucial. Avec l’Égypte et la Turquie, l’Iran compte une des classes des travailleurs la plus importante du Moyen-Orient. L’Iran est un pays relativement développé. Tout comme en Turquie, 70 % de sa population vit dans les villes. Le réveil des traditions de lutte de la classe des travailleurs iranienne aurait un impact extrêmement important au niveau de toute la sous-région, qui pourrait donner un bon exemple de lutte de masse. Si cette lutte était accompagnée d’idées socialistes, cela pourrait être un bon pas en avant dans le cadre de la lutte contre la pauvreté et la violence qui caractérise le Moyen-Orient sous le règne des féodaux, des sectaires religieux et du capitalisme.

  • Kurdistan : La bataille de Kobanê à la croisée des chemins

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    Que signifie l’ « assistance » militaire américaine pour la lutte kurde ?

    La situation à Kobanê a mis la question kurde au centre de l’attention dans le monde entier. Le canton de Kobanê, qui fait partie de Rojava (ou Kurdistan Occidental), est assiégée depuis la mi-septembre par criminels de « l’État Islamique » (EI) et est devenu l’un des centres de la résistance contre le déchaînement djihadiste.

    Serge Jordan, Comité pour une Internationale Ouvrière

    Alors que le majeure partie de la Syrie a sombré dans la guerre sectaire, les 3 enclaves à majorité kurde de Rojava ont été désertées par les forces du régime d’Assad en 2012. Depuis au Rojava, « l’auto-administration » et l’autonomie territoriale ont été proclamées par les forces qui ont saisi le pouvoir politique, dominées par le PYD (Parti de l’Union Démocratique – la version Syrienne du Parti des Travailleurs Kurdes, ou PKK), et un équilibre ethnique et religieux fragile a été maintenu. L’identité et la langue kurdes longtemps niés et ont été reconnus ainsi que les droits formels pour les groupes religieux et les minorités ethniques.

    L’État Islamique a attaqué Kobanê, le canton le plus vulnérable et exposé de Rojava, de presque tous les côtés avec des armes lourdes, des tanks et des missiles, en essayant pendant plus de 5 semaines d’écraser la résistance de la ville. Rojava et son modèle explicitement laïc représentaient un défi direct au programme théocratique réactionnaire de EI. Les femmes combattantes armées d’AK-47 en première ligne contre un groupe totalement misogyne ont stimulé l’imagination de beaucoup de gens dans le monde entier.

    Contrairement aux atrocités qui ont lieu dans beaucoup d’endroits d’Irak et de Syrie, les cantons de Rojava ont été un symbole de résistance pour des millions de Kurdes, de travailleurs et de jeunes de la région. Des manifestations, des occupations et des actions ont eu lieu dans toute l’Europe en soutien à la lutte à Kobanê, auxquelles les membres du CIO ont pris part.

    Les acquis de Rojava et la résistance à Kobanê ont offert un pont potentiel sur la route des Kurdes pour l’auto-détermination et, plus généralement, un possible point de référence pour raviver la lutte des travailleurs et des pauvres contre les horreurs de EI et les régimes dictatoriaux au Moyen-Orient. Cependant, toutes les complications politiques et les dangers de ce qui s’est récemment développé dans cette régions doivent être abordés, car une défaite dans cette lutte, au contraire, lâcherait encore plus de souffrances sur les personnes de la région.

    Kobanê tient bon

    Beaucoup de commentateurs prédisaient que Kobanê tomberait en quelques jours mais son destin est encore sur la balance, bien que certaines parties de la ville soient sous contrôle des djihadistes. L’une des raisons pour cela est que le PYD et ses unités armées, le YPG (Unités de Protection du Peuple) et le YPJ (Unités de Protection des Femmes) se sont battus héroïquement. En fait, ils ont été jusqu’ici les seuls combattants efficaces contre l’avancée d’EI. Ils se distinguent des faibles performances de l’armée irakienne complètement corrompue et des forces Peshmerga (les forces armées du gouvernement semi-autonome Kurde du Nord de l’Irak qui ont cédé les montagnes Sinjar et d’autres territoires à EI presque sans combattre. Cela montre que lorsque le peuple a un but sérieux pour lequel se battre, leur moral et leur détermination peut même surmonter, dans une certaine mesure, leur infériorité technique et militaire.

    Cela a mis l’impérialisme américain et sa croisade militaire contre EI – jusqu’ici, qui n’est pas du tout couronnée de succès – sous une pression de plus en plus forte. Initialement, les stratèges américains étaient prêts à voir Kobanê capturée par les troupes de EI. « Aussi horrible que ce soit de voir en temps réel ce qui se passe à Kobanê… vous devez vous retirer et comprendre l’objectif stratégique », commentait John Kerry fin septembre. Mais il y a deux semaines, les USA sont passé de quelques frappes aériennes parcimonieuses et réticentes contre EI à Kobanê à des efforts plus déterminés d’assistance aux combattants de YPG, y-compris en parachutant des armes, des munitions et du matériel médical, disant que ce serait « moralement difficile et irresponsable de ne pas aider ceux qui combattent EI à Kobanê ». Pour illustrer ce retournement, un représentant de YPG occupe maintenant une position dans le centre des opérations jointes de la coalition à Erbil, la capitale du Nord de l’Irak, pour coordonner les frappes aériennes à Kobanê avec l’armée américaine.

    La motivation de ce changement de politique était qu’ils réalisaient de plus en plus que la prise de la ville par EI serait un coup humiliant au prestige et à la crédibilité américaines : Obama ne pouvait pas se permettre qu’EI remporte une nouvelle victoire militaire. Et permettre à un groupe affilié à ce que les USA et l’UE listent encore comme organisation terroriste (le PKK) faire le gros des combats de terrain contre les combattants d’EI n’améliorait pas non plus l’image des puissances occidentales. L’impérialisme américain avait donc besoin de reprendre l’initiative.

    Les politiques turques en lambeaux

    Il n’est pas un secret que l’armée turque laisse sa frontière ouverte pour permettre aux militants Djihadistes d’entrer dans le territoire Syrien, permettant même aux combattants de EI de retraverser vers la Turquie pour recevoir des soins médicaux comme pour vendre du pétrole au marché noir. Ces manœuvres étaient motivées, en partie, par les illusions « néo-Ottomanes » du président Turc Erdo?an et son Parti de la Justice et du Développement (AKP). Cela a laissé croire au dirigeant Turc, pendant les premières étapes de la guerre civile Syrienne, que le régime d’Assad serait rapidement renversé et que la Turquie deviendrait un élément dirigeant de l’axe régional dominé par les Sunnites. Mais cette politique a été explosée par les événements du terrain.

    Similairement, le gouvernement Turc a clairement voulu voir Kobanê vaincu par EI, pour donner une leçon brutale au mouvement Kurde en Turquie. Beaucoup de gens ont vu à la télé des images de dizaines de tanks Turcs alignés à la frontière turque-syrienne, alors que les combats faisaient rages à quelques kilomètres de là. Bien sur, la plupart des Kurdes ont raison de rejeter toute intervention de l’armée Turque dans la région, car cela ne serait que pour satisfaire la soif de pouvoir et l’hégémonie de l’élite dirigeante turque, certainement pas pour les droits des habitants locaux. La principale revendication était d’ouvrir la frontière pour permettre aux renforts et aux équipements d’entrer, mais l’armée turque a bloqué l’aide envoyée aux combattants Kurdes, empêchant des milliers de gens de traverser la frontière et de rejoindre la défense de la ville assiégée.

    La perception internationale que le régime Turc passe des accords sous la table avec EI contre les Kurdes Syriens gagne du terrain. Enflammées par la politique d’Erdo?an à Kobanê, les manifestations et émeutes récentes des Kurdes de Turquie (affrontements entre des militants Kurdes et les forces de l’État turc, mais aussi avec des fondamentalistes islamistes Kurdes, ainsi qu’avec des nationalistes Turques d’extrème-droite), ont fait 44 morts. Ces événements ont rappelé au régime qu’entretenir une guerre détournée contre les Kurdes de Syrie était difficile à faire sans raviver le conflit avec les Kurdes de Turquie.

    Le processus de paix au bord du gouffre

    Dans un message du 28 octobre, Abdullah Öcalan, le dirigeant emprisonné du PKK, a dit que le processus de paix engagé début 2013 entre le PKK et l’État Turc était « passé à une autre étape », ajoutant qu’il était maintenant « plus optimiste ». Cette déclaration a été faite juste après que la colère de la population Kurde de Turquie ait explosé, montrant que les masses Kurdes ne semblent pas partager ces vues optimistes. Pendant ce temps, de violents incidents impliquant les forces de l’État Turc et les militants Kurdes se sont multipliés ces dernières semaines.

    La grande majorité du peuple de Turquie, d’origine Turque comme Kurde, ne veulent pas retourner à l’état de guerre. Pour empêcher ce scénario sanglant, la gauche Kurde et Turque comme le mouvement syndical, ont la première responsabilité dans la reconstruction d’une lutte de masse pour les droits du peuple Kurde, et pour lier cette lutte à la lutte nécessaire d’organiser tous les travailleurs, les jeunes et les pauvres de toute ethnies et régions contre le régime capitaliste de l’AKP.

    Ce dernier a annoncé récemment un plan extensif de privatisations – dont les conséquences humaines ont été démontrées par un autre accident minier dans le Sud du pays mardi dernier – qui montre, une fois encore, que le gouvernement AKP n’est pas seulement un ennemi des Kurdes mais aussi un ennemi de la classe ouvrière et des pauvres vicieusement au service du big-business.

    Le demi-tour d’Erdo?an

    Erdo?an et son cercle dirigeant qualifient officiellement le PYD et EI d’organisations « terroristes ». En vérité, Erdo?an a clairement favorisé le poison djihadiste. Cela ne sera pas sans conséquences pour le peuple de Turquie. EI a développé des réseaux de recrutement et des cellules d’opération en Turquie, et ses rangs comportent des centaines de jeunes Turcs. Le danger d’un retour de feu terroriste en Turquie est réel.

    La tension monte aussi entre les USA et le régime d’Erdo?an. La classe dirigeante américaine est de plus en plus mécontente de la Turquie, qui est membre de l’OTAN. Washington pense que la Turquie a appuyé les forces même que les USA bombardent depuis quelques semaines, ce qui montre le manque de volonté de certains des partenaires des USA dans la mal-nommée « Coalition des Volontaires ».

    Étant donnés ces facteurs, le gouvernement Turc a finalement été forcé de faire demi-tour en ce qui concerne Kobanê. Insatisfaits de la décision unilatérale des USA d’assister le PYD, Erdo?an a essayé de trouver une alternative sans perdre la face, en permettant à 150 combattants Peshmerga, liés au Gouvernement Régional du Kurdistan (KRG) de l’Irak du Nord, d’aller à Kobanê via la Turquie.

    Le régime d’Erdo?an a développé des relations très étroites avec les dirigeants notoirement corrompus et pro-capitalistes du KRG. Le président du KRG, Masoud Barzani, et son parti, le KDP (Parti Démocratique du Kurdistan), qui jusque récemment étaient eux-même apparemment contents de voir le YPG se faire écraser à Kobanê, ont un historique de collaboration directe avec l’armée Turque pour essayer d’éliminer les combattants du PKK sur le territoire dirigé par le KDP.

    Ces Peshmerga doivent rester à l’écart du front de Kobanê. En fait, la signification politique de ce coup est bien plus pertinent que sa justification militaire. Par cette manœuvre, les dirigeants Kurdes essaient de diluer et de contre-balancer l’influence de PYD, et de mettre un pied dans le Kurdistan Syrien en faisant entrer en jeu leurs partenaires de droite. Le fait même que les Peshmerga soient encore autorisés à aller et venir en franchissant la frontière alors que beaucoup de manifestants Kurdes de Turquie et de réfugiés de Kobanê sont systématiquement empêchés de le faire, montre les machinations cyniques d’Erdo?an.

    Les socialistes et la bataille pour Kobanê

    Bien avant que la bataille pour Kobanê soit sous les projecteurs des médias, le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) avait souligné le besoin de construire partout dans la région des organes non-sectaires et démocratiques comme base pour organiser une défense populaire de masse non seulement contre EI, mais aussi contre tout autre groupe extrémiste religieux, contre les forces brutales et sectaires des régimes Syrien et Irakien, et contre l’intervention impérialiste – ces dernière ayant une grande responsabilité dans la croissance des bandes djihadistes qui attaquent maintenant Kobanê.

    Pour cimenter l’unité au travers des lignes nationales, ethniques et religieuses, une telle lutte demande d’être équipée d’un programme qui soit sans compromis en faveur des droits égaux pour tous les peuples et communautés opprimés de la région, leur droit à l’auto-détermination inclut.

    Face à la menace de génocide ethnique par les meurtriers d’EI, les défenseurs de Kobanê et beaucoup de Kurdes dans le monde entier ont demandé à la « communauté internationale » de les assister contre les unités de EI, bien mieux équipées. C’est une demande compréhensible étant donné les circonstances, cependant c’est une approche erronée dont les masses de Kobanê et d’autres endroits de Rojava peuvent payer un lourd prix. Si les gouvernements occidentaux étaient vraiment intéressées au bien-être de la population de Kobanê, ou même à vaincre EI sans arrières-pensées, il y a longtemps qu’ils auraient procuré des armes aux défenseurs de la ville, sans demander de concessions politiques en contre-partie. Cependant, ce qui se passe maintenant est toute une autre histoire.

    L’assistance américaine en termes d’armement est, en effet, utilisée pour faire du chantage et pousser les combattants de Kobanê à la soumission politique, et le PYD à s’aligner de plus en plus sur la politique américaine. Washington a essayé de donner du pouvoir au Conseil National Kurde (KNC), une coalition de droite des partis Kurdes Syriens qui sont appuyés par Barzani, comme contre-poids aux PYD à Rojava. Mais le 22 octobre, le PYD a officiellement signé un accord de partage du pouvoir avec les pro-capitalistes du KNC pour administrer conjointement les régions Kurdes de la Syrie.

    3 jours plus tôt, le commandement général de l’YPG a publié une déclaration : « Nous allons travailler à consolider le concept d’un véritable partenariat pour l’administration de ce pays en rapport avec les aspirations du peuple syrien avec toutes ses classes ethniques, religieuses et sociales ». C’est un précédent dangereux. Alors que la Constitution du Rojava mentionne la protection du droit du travail, le développement durable et le bien-être général, ces buts ne peuvent être obtenus en plaidant l’harmonie entre toutes les classe sociales.

    Ces développements marquent une tentative claire de l’impérialisme américain et ses partenaires d’installer une direction Kurde plus complaisante à Rojava. Le CIO avait averti de ces développements : « toute solution à la lutte Kurde reposant sur l’appui politique de l’impérialisme occidental devrait être rejetée, et les livraisons d’armes ne peuvent être acceptées que sur base du rejet des « conditions » imposées par les puissances extérieures qui vont contre les intérêts des masses du peuple Kurde. » (‘The battle for Kobanê’, 02/10/2014) .

    Aussi épouvantables et menaçantes que soit l’action de EI, ce n’est pas le seul danger qui pèse sur Kobanê et Rojava. Les accord secrets avec l’impérialisme doivent être rejetés, car ils font courir le risque de créer un changement qualitatif dans le caractère des combats sur le terrain.

    Même le régime syrien de Bashar al-Assad et le gouvernement russe ont bien accueilli le déploiement des forces Peshmerga à Kobanê. Tous les vautours survolent la région pour y imposer leur influence, avec l’intention de restaurer « l’ordre » seulement sur base de leurs intérêts de classe. Kobanê et les autres cantons de Rojava pourraient être réduits à des pions dans les manœuvres des puissances extérieures et leurs mandataires locaux, mettant sur le côté les éléments authentiques de la résistance des peuples, et poignardant dans le dos la lutte que des milliers de personnes ont déjà paye de leur vie.

    Lutte pour la démocratie socialiste

    Le CIO pense que la force et la survie de le lutte à Rojava sont directement liés à l’implication active des masses de la population locale. Alors que des pas ont été faits dans cette direction, les manœuvres mentionnées ci-dessus montrent le manque de transparence démocratique dans la façon dont la lutte est menée et comment les décisions sont prises.

    Sans contrôle démocratique et auto-organisation authentique des masses, il y a un danger réel que ces caractéristiques démocratiques prennent le dessus. La lutte dans toutes les enclaves de Rojava, sous ses aspects militaires et politiques, devrait être organisée aussi largement et démocratiquement que possible, sur base de transparence des décisions à tous les niveaux. Les assemblées populaires rapportées devraient être élargies et démocratisées avec des représentants révocables. Les partis politiques devraient exercer le pouvoir seulement sur base de leur poids réel dans la société, et non sur base des accords secrets imposés par en haut par des pouvoirs extérieurs. A Kobanê, malgré leur bravoure indiscutable, les quelques milliers qui sont restés défendre la ville se sont battus tous seuls. Le gros de la population locale a fui la ville. Mais plus tôt, le PYD aurait pu appeler à l’initiative de tous les travailleurs, paysans et jeunes, en encourageant à s’unir, à mettre en place des comités de défense, à monter des barricades, et à jouer ainsi un rôle actif dans la protection et la fortification de leur ville – sur le modèle de la résistance anti-fasciste à Barcelone en 1936, bien que dans des circonstances différentes. Ceux qui n’étaient pas en position d’être directement impliqués dans la lutte aurait pu être impliqués dans l’assistance à la résistance de d’autres façons (logistique, infirmerie etc).

    Malheureusement, les méthodes de guérilla du PKK/PYD, basées sur l’idée d’une minorité vaillante combattant au nom de la masse de la population, a été un obstacle à l’organisation des dizaines de milliers de personnes qui pouvaient jouer un rôle crucial dans le reversement des flux et reflux du siège de EI.

    Face à la menace continuelle d’EI, la masse de la population de chaque ville et village de tout Rojava a besoin d’être énergiquement encouragée à effectuer un entraînement militaire basique et à organiser des organes de défense, sur des bases non-sectaires. Cela permettrait de forger une force et une unité maximum et de préparer la résistance à l’ennemi djihadiste assiégeant.

    Les combattants restant à Kobanê ne seront pas capables de maintenir leur combat indéfiniment dans l’isolation si leur lutte n’est pas activement reprise par un plus grand nombre dans les régions environnantes. Cela aiderait à rompre le siège de Kobanê par les djihadistes dans l’Ouest, l’Est et le Sud de la ville et aussi par l’armée turque dans le Nord.

    Les premiers alliés de la résistance Kurde ne devraient pas être la super-puissance impérialiste américaine ni aucune force capitaliste, mais la mobilisation active et indépendante de la classe ouvrière et des pauvres dans cette région du monde et au niveau mondial. Le sabotage des acquis de Rojava par les forces pro-capitalistes et pro-impérialistes serait, au contraire, un retour en arrière et compliquerait la lutte durable des Kurdes pour leurs droits, ainsi que la lutte unifiée dont tous les pauvres et les opprimés de la région pour une vie meilleure ont besoin. C’est pourquoi il et nécessaire d’approfondir la lutte Kurde, et d’essayer de l’étendre géographiquement en atteignant les masses ouvrières et pauvres de toute la région avec un programme audacieux pour le changement social.

    Le magazine allemand Der Spiegel a rapporté qu’une centaine d’usines et d’ateliers de la ville syrienne Alep ont récemment été déménagées dans le canton occidental de Rojava, Efrîn. L’attitude du gouvernement régional d’Efrîn, cherchant activement à attirer des entreprises privées dans la région souligne la contradiction interne de tenter de construire un nouveau modèle basé sur la justice sociale tout en fonctionnant dans le cadre du capitalisme. Le développement de ce que le PYD et le PKK appellent « con-fédéralisme démocratique », sans se débarrasser de la nature profiteuse et exploiteuse de la propriété capitaliste, et sans implanter une réforme terrienne en profondeur, va mener à la compétition entre localités pour l’investissement des capitaux et son inévitable corollaire : un nouveau « nivellement par en-bas » des droits des travailleurs et des conditions de vie.

    Cela montre le besoin pour les masses de Rojava d’élever leur lutte sur le terrain économique, en prenant les usines et en collectivisant les terres, et d’établie les conditions d’un plan de production socialiste démocratique. Cela et la garantie des pleins droits démocratiques pour tous, donnerait un exemple aux masses de toute la région sur la façon de construire une voie pour sortir de la pauvreté, de la guerre, du sectarisme religieux et de l’oppression nationale.
    • Solidarité avec le peuple de Kobanê et de Rojava – Stop au massacre djihadiste
    • Rupture du siège de Kobanê – pour l’ouverture immédiate de la frontière turco-syrienne à tous ceux qui veulent aider la défens de la ville. Pour l’envoi à Kobanê de colonnes de volontaires organisés en commun par la gauche kurde et turque, les organisations communautaires et les syndicats
    • Pour le renforcement de comités de défense non-sectaires de masse pour sécuriser toutes les parties de Rojava sur la base de l’organisation démocratique et implantée des travailleurs, des jeune et des paysans pauvres
    • Aucune confiance en l’impérialisme – non aux accord secrets avec les puissances étrangères et autres forces pro-capitalistes
    • Pour la construction d’une lutte unifiée de tous les travailleurs et les pauvres de Turquie contre les politiques capitalistes et le règne autoritaire de l’AKP
    • Non aux lois patriotiques sécuritaires et à toutes les lois répressives en Turquie
    • Retrait de l’interdiction des organisations kurdes en Europe et aux USA
    • Pleins droits démocratiques pour le peuple kurde – pour le droit à l’auto-détermination des Kurdes dans toutes les régions du Kurdistan, ainsi que de toutes les communautés opprimées de la région
    •Pour une Rojava socialiste et démocratique au sein d’une confédération socialiste et volontaire du Moyen-Orient

  • Solidarité avec Kobané. Manifestation à Bruxelles contre la barbarie de l’EI

    Environ 5.000 personnes, essentiellement kurdes, ont manifesté hier à Bruxelles contre la barbarie de l’Etat Islamique et en solidarité avec Kobané. Cette manifestation avait été organisée dans le cadre d’une journée d’action internationale qui a vu des cortèges similaires défiler dans de nombreuses villes européennes.

    La bataille de Kobané est actuellement à un carrefour. Des semaines durant, le canton a fait face avec bravoure à la supériorité militaire de l’Etat Islamique. L’impérialisme américain est intervenu pour éviter que l’EI ne remporte la victoire à Kobané, mais la porte est maintenant ouverte pour que des forces kurdes de droite jouent un rôle plus important. Le fait que l’allié turc ait plus tôt apporté son soutien à l’EI renforce le manque de crédibilité de l’impérialisme.

    Il est plus que nécessaire que la majorité de la population soit impliquée dans la résistance, des milices de volontaires et des comités organisés démocratiquement doivent être construits et renforcés là où ils existent, afin d’impliquer l’essentiel de la population et de construire la résistance la plus puissante contre l’offensive menaçante de l’EI. La lutte contre la barbarie exige aussi contre les causes du développement de ces groupes réactionnaires : le capitalisme et l’impérialisme. Un Kurdistan socialiste dans le cadre d’une confédération socialiste du Moyen-Orient est nécessaire pour mettre fin à la guerre, à la pauvreté, à la violence sectaire,…

    L’atmosphère était particulièrement accueillante durant cette manifestation. Il a ainsi été explicitement demandé aux organisations de gauche présentes en Belgique de se mettre à l’avant du cortège et ces organisations ont toutes eu la possibilité d’exprimer leur solidarité du podium. C’est ce qui s’est produit pour le PSL/LSP, la LCR/SAP, Rood, Vega, V-SB et des militants d’origine berbère, marocaine et cachemiri. Nos militants vendus 144 exemplaires de la nouvelle édition de novembre de Lutte Socialiste, avec un dossier sur Kobané.

    Photos de Liesbeth (Anvers)

    Photos de MediActivista

  • Kurdistan : défendre Kobané et tous ceux qui sont menacés par Daesh, l’AKP et l’impérialisme

    KobaneLe canton de Kobané, qui fait partie de Rojava, est assiégé depuis le 16 septembre et est devenu un des points centraux de la résistance contre l’Etat Islamique (Daesh). Beaucoup d’informations font états des défenseurs de Kobanê qui stoppent l’avancée de Daesh, alors que beaucoup pensaient que Kobané était sur le point de tomber. Mais le danger n’est toujours pas écarté et des milliers de personnes font face à la menace d’un massacre.

    Traduction d’un tract de Sosyalist alternatif (Alternative Socialiste, CIO -Turquie)

    L’organisation barbare de l’Etat Islamique attaque Kobanê avec des tanks et des missiles, une force militaire semblable à celle d’un Etat de taille moyenne. L’Etat turc et son gouvernement AKP (Parti pour la justice et le développement, au pouvoir depuis 2002) ont offert un énorme soutien à l’Etat Islamique et tentent de bloquer tout soutient en direction de l’YPG (Unité de protection du peuple, branche armée du parti kurde de l’union démocratique – PYD), les forces armées qui combattent à Kobané. Ils ont aussi terrorisé la population qui manifeste en solidarité à Kobané, mettant des obstacles à la lutte contre l’Etat Islamique, y compris par le renforcement d’une législation répressive en Turquie.

    Les habitants de Rojava se sont mobilisés pour prendre le contrôle de la région qu’ils habitent – un processus qui a débuté à Kobané en 2012. Ils ont essayé d’établir une région autonome basée sur le modèle de laïcité et d’auto-détermination, au delà des divisions ethniques et religieuses. Cette situation a constitué une avancée considérable pour la plus grande nation apatride du monde, les Kurdes, mais elle s’oppose aussi au sombre agenda de groupes réactionnaires comme l’Etat Islamique et d’autres présents au Moyen-Orient.

    L’Etat Islamique recourt aux méthodes les plus brutales pour créer une atmosphère de peur et essaie d’instaurer un Etat théocratique basé sur des lois des plus réactionnaires. Parmi ses nombreuses cibles, Daesh veut anéantir le PKK (Parti des Travailleurs Kurdes) et le PYD (le Parti de l’union démocratique) de cette région parce qu’avec leur idéologie laïque, ils prônent des politiques contraires à l’Etat Islamique et représentent une menace face à ses objectifs. À côté de ça, Daesh veut élargir son ‘‘Etat islamique’’, son califat autoproclamé, en prenant la ville stratégique de Kobané et en augmentant son emprise dans la région.

    Le régime turc, de son côté, veut réduire en miettes les accomplissements des Kurdes, et veut assurer son statut de puissance impérialiste régionale en lançant une intervention militaire contre le régime d’Assad en Syrie avec, ils l’espèrent, le soutien des grandes puissances impérialistes occidentales. Ces puissances impérialistes occidentales perdent graduellement du terrain dans cette région, elles souhaitent donc également restaurer leur mainmise en se faisant passer comme les sauveurs des peuples de la région.

    Les impérialistes sont-ils ou non des sauveurs ?

    C’est surtout après l’attaque de l’Etat Islamique sur Shingal que de nombreuses personnes se sont mises à demander une intervention miliaire et des livraisons d’armes de la part des puissances impérialistes. Pareilles demandes sont apparues dès le début du siège de Kobané. Mais l’idée de stabilité des impérialistes et des gouvernements de Turquie et des autres pays de la région n’a rien à voir avec le véritable désir de stabilité des masses de la classe ouvrière.

    Pour ces régimes, la stabilité signifie le pillage continu du pétrole et des ressources de la région ainsi que le maintien de leur rapport de force ; cela ne signifie pas la fin des bombardements, des morts, de l’oppression ou de l’exploitation. Les organisations ou Etats favorables au capitalisme veulent détourner les revendications concernant l’aide humanitaire et militaire des populations qui risquent de se faire massacrer dans le but de poursuivre leurs propres intérêts.

    Il est facile de comprendre pourquoi la population, qui est sous la menace d’un massacre, demande le bombardement des positions de l’Etat Islamique autour de Kobané ou l’ouverture d’un corridor humanitaire à partir de la Turquie pour venir en aide à la résistance de Kobané. Mais les récents évènements ont montré comment les différentes puissances agissent afin de défendre leurs intérêts et maîtriser le mouvement de masses. Les USA ont commencé à fournir un armement limité aux défenseurs de Kobané mais demandent déjà une compensation politique au mouvement de résistance qui ne devra pas menacer les intérêts américains dans la région !

    Bien que toujours dissimulées sous des objectifs humanitaires, toutes les interventions militaires dans la région soutenues par les impérialistes se sont transformées en bains de sang (Irak, Lybie) et, de plus, sont en grande partie à l’origine même du cauchemar actuel que vivent les Kurdes ainsi que d’autres populations de la région.

    La décision du gouvernement AKP de permettre à sont allié corrompu, le régime de Barzani (président du gouvernement régional du Kurdistan du sud, région semi-autonome du Nord de l’Irak), d’envoyer ses propres forces à Kobané a pour double but de repousser Daesh et de tenter de contrôler le mouvement à Rojava en essayant d’écarter les combattants les plus à gauche du PKK et du PYD.

    C’est pourquoi le combat contre Daesh doit faire partie d’une guerre révolutionnaire qui ferait appel à tous les travailleurs et les opprimés dans le but de les unir contre l’oppression et pour une réelle alternative à tous les gouvernement pro-capitalistes corrompus et répressifs d’un bout à l’autre de la région. C’est aussi la meilleure façon d’ébranler le soutien dont dispose l’Etat Islamique en unissant tous les travailleurs, qu’ils soient kurdes, turcs, arabes, sunnites, chiites, chrétiens ou autres.

    Défendre Rojava

    Défendre Rojava est important à bien des égards. La chute de Kobané signifierait non seulement le probable massacre de nombreuses personnes, mais aussi l’écrasement d’une lutte qui a inspiré nombre de kurdes, de jeunes et de travailleurs à travers le monde. Cela renforcerait aussi l’Etat Islamique géographiquement et logistiquement.

    Auparavant, les régimes staliniens de l’ancienne URSS et d’Europe de l’Est, malgré leurs monstrueuses dérives dictatoriales, exerçaient un contrepoids international aux politiques capitalistes et impérialistes. Après leur effondrement dans les années ‘90, le mouvement des travailleurs a essuyé d’énormes revers internationalement à cause du désenchantement des travailleurs dans une alternative au capitalisme. Les organisations socialistes du Moyen Orient se sont dispersées ou ont viré à droite. La masse des travailleurs et des paysans du Moyen Orient ont souffert encore plus de l’oppression à travers la pauvreté, les interventions impérialistes et les régimes dictatoriaux. Ces masses ont commencé à chercher une alternative et une couche s’est tournée vers des islamistes de droite voire même vers des organisations djihadistes. Cela ne règle pas les problèmes des gens ordinaires ; au contraire la situation a empiré et est devenue plus compliquée.

    Cependant, l’ère du triomphalisme capitaliste est terminée. Le capitalisme se trouve actuellement dans une crise historique. Des révoltes de travailleurs, de pauvres et de jeunes contre le capitalisme ont également secoué le monde. Les masses égyptiennes et tunisiennes ont renversé des dictateurs il y a bientôt quatre ans. La défense, et enfin le succès, de la lutte à Rojava pourraient définitivement influencer ces luttes et aider à les faire progresser. Mais ces mouvements de masse ont aussi montré à quel point il est vital de maintenir une évolution indépendante de toute force pro-capitaliste afin de construire la lutte la plus efficace.

    Le modèle de gestion de Rojava ne peut pas être prospère s’il est basé sur le capitalisme et confiné à ses petits cantons. Rojava a une structure industrielle très limitée, ces zones isolées ne peuvent être viables si elles ne deviennent pas des pôles d’attraction pour les travailleurs et les pauvres paysans qui vivent dans la région aux alentours.

    Pour que cela arrive, il est plus que nécessaire que la majorité de la population soit impliquée dans la résistance et la défense de Rojava. Prenant ses inspirations des meilleurs exemples de résistance militaire de la classe ouvrière, comme la lutte des travailleurs de Barcelone contre le coup d’Etat fasciste de 1936 en Espagne, des milices de volontaires et des comités organisés démocratiquement doivent être construit, et renforcés là où ils existent, afin d’impliquer l’essentiel de la population et construire la résistance la plus puissante contre l’offensive menaçante de l’EIIL.

    Cela devrait être fait avec l’objectif conscient de construire une lutte massive et internationale pour renverser la course au profit du système économique qu’est le capitalisme au Moyen Orient par les masses, l’action et l’organisation indépendante et non sectaire de la classe des travailleurs et des pauvres de toute la région. C’est pourquoi Alternative Socialiste lutte pour le développement d’une Rojava socialiste dans le cadre d’une confédération volontaire socialiste du Moyen Orient et d’un monde socialiste.

  • Moyen-Orient : L’échec de la politique des frappes aériennes américaines sur l’État islamique

    Tandis que la bataille pour Kobanê fait rage, les forces de l’EI gagnent de plus en plus de terrain en Irak

    Tony Saunois, secrétaire général du Comité pour une Internationale Ouvrière

    article_MO_USObama et ses alliés occidentaux voulaient faire croire qu’une politique d’intervention se limitant à des frappes aériennes suffirait à empêcher l’avancée des forces du groupe ‘‘État islamique’’ en Irak et en Syrie.

    Mais à présent, tandis que se la perspective d’une défaite des forces kurdes qui combattent EI pour le contrôle de la ville de Kobanê se rapproche, cette politique a prouvé son inefficacité. Les forces de l’EI avancent dans la ville et, au moment où nous rédigeons cet article, semblent sur le point d’engranger une nouvelle victoire. Alors qu’on fait état de scènes de massacres horribles dans la ville par les forces enragées du groupe réactionnaire qu’est l’EI, les frappes aériennes américaines sur les forces de l’EI n’ont eu que très peu d’effet et se sont avérées impuissantes à contrer leur progression. La population kurde de Kobanê mène une lutte courageuse tout autant que désespérée : elle sait que si elle ne vainc pas l’EI, c’est le massacre qui l’attend.

    Ce n’est pas qu’en Syrie que la politique de frappes aériennes prônée par Obama est vouée à l’échec. L’évolution de la situation en Irak, surtout dans la province d’al-Anbâr, dans l’Ouest du pays (à la frontière avec la Syrie, la Jordanie et l’Arabie), voit les forces de l’EI effectuer de grandes percées. La province d’al-Anbâr, qui compte pour près de 25 % du territoire irakien, ainsi que toutes les plus grandes villes de la province, à l’exception de Haditha et de deux bases militaires près de Hit et de Falloujah, sont tombées entre les mains de l’EI. Une fois de plus, l’armée irakienne a été mise en déroute sans avoir offert la moindre résistance. Le bilan de l’incessante catastrophe humanitaire en Irak s’alourdit en conséquence avec le départ de la province de 750.000 nouveaux réfugiés.

    Al-Anbâr

    Il est maintenant probable que les forces de l’EI se préparent à lancer une nouvelle offensive dont l’objectif sera de s’emparer des quartiers ouest de Bagdad, à majorité sunnite. La province d’al-Anbâr avait constitué le cœur de l’insurrection sunnite contre l’occupation américaine en 2003. Le facteur principal qui explique les victoires actuelles de l’EI en Syrie et en Irak n’est pas seulement la quantité d’armes lourdes qu’il est parvenu à capturer à la suite de ses victoires sur l’armée irakienne, mais aussi au fait que cette avancée a acquis le caractère d’une nouvelle insurrection sunnite généralisée.

    Les milices chiites qui ont quelque peu progressé dans les quartiers nord et nord-est de Bagdad, ont répondu aux attaques de l’EI d’une manière brutale et sans chercher à distinguer les combattants de l’EI des simples civils sunnites. Cela a contribué à pousser encore plus de sunnites à rejoindre les rangs de l’EI, puisque nombre d’entre eux ne voient pas d’autre force à même de les “défendre”. Les milices chiites dans Bagdad parlent ouvertement de chasser les sunnites des quartiers encore mixtes de la ville. Si les forces de l’EI ont pu trouver une base sociale, c’est à cause de l’oppression perpétrée à l’encontre de la population sunnite par le gouvernement irakien de Maliki, installé par les États Unis à la suite de l’invasion de 2003.

    Cette crise va certainement s’intensifier à la suite de ces évènements en Irak, avec la chute possible de Kobanê entre les mains des forces de l’EI. En Turquie, le régime du Premier ministre Erdogan a consciemment refusé toute intervention contre les forces de l’EI qui marchaient sur Kobanê, car il craint qu’une victoire des forces kurdes qui défendent Kobanê n’encourage la lutte de libération nationale des 15 millions de Kurdes dont le territoire appartient à la Turquie.

    La plupart des combattants à Kobanê sont regroupées dans les unités de protection populaire dirigées par le Parti de l’union démocratique (PYD, Partiya Yekîtiya Demokrat) de la branche syrienne du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK, Partiya Karkerên Kurdistan) dont la base se trouve en Turquie. Ce serait un grand soulagement pour le régime Erdogan de voir la ville tomber entre les mains de l’EI plutôt que de voir le PYD sortir victorieux de cette bataille. On voit d’ailleurs que des accords semblent avoir été conclus entre lui et l’EI à ce sujet, vu la récente libération d’otages turcs par l’EI.

    Aucune confiance dans les dirigeants régionaux et dans l’impérialisme

    Nous ne pouvons accorder la moindre confiance dans les dirigeants régionaux ni dans l’impérialisme occidental en ce qui concerne la résolution de cette crise.

    Aucune “solution” proposée par ces puissances ne permettra d’améliorer le sort de l’ensemble de la population de la sous-région. L’intervention impérialiste occidentale ne fait qu’aggraver le désastre. D’ailleurs, faut-il rappeler que la crise actuelle tire en grande partie ses origines de la série d’“interventions” impérialistes qui ont eu lieu dans toute la sous-région au cours des dernières années ? Nous ne pouvons pas non plus avoir la moindre confiance dans les élites et dirigeants sunnites ou chiites des différents pays de la sous-région, qui ne s’impliquent dans ce conflit que dans le but de satisfaire leurs propres intérêts. La Turquie cherche à renforcer son expansion en Syrie, désireuse de rétablir son empire sur cette région comme à l’époque ottomane.

    Obama parle maintenant de mettre en place une coalition avec des puissances sunnites telles que l’Arabie Saoudite, le Qatar et les Émirats arabes unis afin de contrer l’EI. Cependant, même si certaines des dynasties corrompues et répressives au pouvoir à la tête de ces pays ne soutiennent pas pleinement les actions de l’EI, d’autres l’ont activement soutenu ; et toutes ont leurs propres intérêts à défendre, qui ne sont pas ceux d’Obama. Pour elles, vaincre l’EI n’est pas une priorité. De plus, sur le court terme, ces régimes considèrent que l’EI cause et causera plus de problèmes à leurs rivaux chiites (au Liban, en Iran, etc.) qu’à eux-mêmes.

    Il faut un mouvement uni des masses

    Afin de contrer la terreur semée par l’EI et par les autres forces sectaires réactionnaires dans la sous-région, il faut construire un mouvement uni des masses arabes sunnites et chiites ensemble avec les Kurdes, les Turcs et les autres peuples de la sous-région. Pour combattre la menace réactionnaire et sanglante que fait peser l’EI sur Kobanê et ailleurs en Syrie et en Irak, il faut mettre sur pied des comités dont la ta?che sera de former des milices de masse. Il faut lutter pour contraindre la Turquie à lever l’embargo sur les armes, afin d’armer ces milices d’auto-défense. En Turquie, il faut former des comités de travailleurs turcs et kurdes pour mener une lutte unie. La construction de comités de masse mixtes regroupant sunnites et chiites en Irak, ensemble avec le peuple kurde, contre les forces sectaires, quelles qu’elles soient, nous permettra d’aller de l’avant.

    Ces comités pourraient former la base d’un nouveau gouvernement – un gouvernement des travailleurs, des paysans et de tous les exploités du capitalisme et de l’impérialisme. Une fédération socialiste des États de la sous-région, constituée sur une base volontaire et égalitaire, serait seule à même de garantir les droits démocratiques, nationaux, ethniques et religieux pour toute la population de la sous-région.

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