Incroyable ! Un « banquier » reçoit le prix Nobel de la Paix. Muhammad Yunus est le fondateur de la Grameen-Bank, dont le système de « micro-crédit » a entre-temps rencontré lâestime et lâimitation mondiale.
La Grameen-Bank est issue dâun projet pilote en 1983 au Bangladesh et a, dâaprès leurs sources, accordé des crédits à 6,6 millions de personnes jusquâà présent, dont 97 % sont des femmes. Aux yeux des organisations gouvernementales et des ONG, ainsi que pour des gens de tendances politiques très variées, les micro-crédits sont aujourdâhui internationalement considérés comme la base essentielle de la lutte contre la pauvreté. Les discours critiques sont rares. La quadrature du cercle a-t-elle effectivement réussi ?
La Pauvreté : un phénomène de masse en pleine croissance
LâONU a proclamé la décennie 1997-2006 « décennie pour la suppression de la pauvreté ». En effet, la pauvreté a grimpé. Il ne suffit pas de tirer des chiffres comme « de combien de dollars par jour dispose un homme ». Les chiffres de mortalité infantile, de malnutrition, dâaccès à lâenseignement et aux soins de santé ou de la condition de la femme sont partiellement aussi parlants. Il est un fait que le nombre de famines a augmenté dans les deux dernières décennies. Internationalement, il y avait en moyenne 15 famines par an dans les années 80. A lâarrivée du nouveau millénaire, le nombre de famines avait grimpé à 30 par an. Au même moment, environ ¼ de la population mondiale nâavait pas dâaccès à lâeau potable. Dans des parties de lâAfrique et de lâAsie du Sud-est, 40 à 50 % de tous les enfants souffrent de troubles dus à des carences alimentaires. Dans lâEurope de lâEst et les Etats de lâex-URSS, les réductions et privatisations des soins de santé remettent à lâordre du jour des maladies liées à la pauvreté comme la tuberculose.
Lâaide au développement nâest pas dépourvue dâidéologie
Des conceptions de comment aider les pauvres, il y en eu et il y en a toujours beaucoup. Jamais elles ne sont dépourvues dâidéologie. Au contraire, elles suivent dans leur développement le courant dominant sur le plan politique et économique. Quand maintenant le micro-crédit est soutenu et dicté par des institutions comme lâONU et la Banque Mondiale (BM), la méfiance sâavance.
Dans la politique économique, la doctrine sâest modifiée de façon déterminante depuis les années 80. Le néolibéralisme est le principe dominant tout et le « fun » du micro-crédit en est une expression. Cette évolution va de paire avec un rapport de force politique changé. Dans les années 60 et 70, les ex-Etats coloniaux sâavançaient sûrs dâeux : ils nâétaient pas encore tombés dans le piège de lâendettement, ils sâétaient débarrassés dâune grande partie de leurs seigneurs coloniaux, et avaient acquis une indépendance du moins formelle. Un système alternatif au capitalisme existait en Union Soviétique même sâil sâagissait alors dâune dictature bureaucratique plutôt que dâune démocratie socialiste. Aujourdâhui, la charge des dettes dans les Etats néocoloniaux est accablante, leur dépendance politique et économique est à nouveau grande, et leurs élites dominantes sont le plus souvent les marionnettes de différents Etats impérialistes.
Le micro-crédit et la politique agricole
La politique agricole est un thème international particulièrement brûlant et une source de conflits internationaux, par exemple entre les USA et lâUE, ou encore au sein même de lâUE. Câest pourquoi dans les institutions internationales, principalement lâOrganisation mondiale du commerce (OMC), les questions agraires se trouvent au premier plan. La situation actuelle se résume, pour lâessentiel, par les points suivants :
- Les pays industrialisés disposent dâexcédents agricoles dont ils se débarrassent volontiers en les écoulant dans le « Tiers-monde ».
- Internationalement, la production agricole est de plus en plus industrialisée. Cela conduit les petits paysans, tout particulièrement dans les pays pauvres, à la perte de leurs terres. Ils se retrouvent alors piégés dans un processus dâendettement que les semences à base dâOGM accélèrent.
- Les pays industrialisés exportent des produits agricoles vers le « Tiers-monde », qui de son côté est assigné aux importations. Il est contraint de se borner à une production strictement orientée vers lâexportation (café, thé, tabac, etc.).
- Dâun côté, la production agricole des pays industrialisés est fortement subventionnée alors que, de lâautre, des contrats particuliers rédigés par lâOMC interdisent de subventionner les pays néocoloniaux.
La politique des institutions internationales â comme le Fond monétaire international (FMI), la BM et lâOMC â dans laquelle, par exemple, lâoctroi de crédit a été lié à de considérables concessions, aggravent encore lâinégalité.
- Les subventions de biens de première nécessité ont été fortement réduites voire supprimées. Autrement dit, les prix des produits alimentaires de base et du chauffage ont grandement augmenté, ce qui a pour effet direct de couler rapidement le standard de vie de la population. Le mouvement révolutionnaire de 1998 en Indonésie a été maté grâce à un dictat semblable émanent du FMI.
- La production agricole a été réorientée vers lâexportation, le rendement ainsi constitué sert à rembourser les établissements de crédits. De cette façon, la population même nâest plus en mesure de subvenir à ses propres besoins alimentaires.
- Les Programmes dâAjustements Structurels (PAS) signifient la réduction de subventions agricoles dans les pays plus pauvres. Sur le marché mondial, la production de ceux-ci ne peut pas rivaliser avec celle des Etats impérialistes (qui est elle-même fortement subventionnée).
Le résultat de cette politique est que, depuis 1995, il y a un accroissement de la sous-nutrition mondiale. Les micro-crédits opèrent également dans ce sens : les crédits sont octroyés, en Inde par exemple, surtout pour construire des petits commerces (magasins). Les gens pauvres sont retirés de lâagriculture au profit du secteur tertiaire (services), et même une partie dâentre eux est utilisée dans la nouvelle chaîne de distribution.
Il y a de graves conséquences : la dépendance augmente massivement. Tandis que lâagriculture propre ne rapporte que de faibles rendements, ces derniers pourraient cependant permettre dâaccéder aux besoins essentiels propres, même sans gagne-pain. Mais via le processus dâabandon du secteur primaire au profit du tertiaire, cela est impossible.
Les effets secondaires de cette politique font le bonheur des multinationales : la terre est plus facile à racheter aux propriétaires fonciers, jusque-là autochtones, car ils sont endettés par les crédits. Du coup, la dépendance aux aliments issus de lâimportation augmente.
Les micro-crédits et le secteur financier international
Un argument central pour le micro-crédit est quâil permet lâaccès à lâemprunt à des gens qui, de par leur situation incertaine, nâont pas droit au crédit « normal ». Ici doit être posée la question suivante : pourquoi la pauvreté ainsi quâune absence de capitaux chez certains existent-elles dans cette société ? La pauvreté dudit « Tiers-monde » est le résultat dâune exploitation abusive et longue de plusieurs siècles par des Etats impérialistes et colonialistes. Les pays du Tiers-monde ont été systématiquement pillés de leurs ressources naturelles, leurs populations ont été brutalement exploitées et opprimées, et toutes les violences possibles y ont été utilisées pour empêcher le moindre développement industriel indépendant. Les institutions internationales â ONU, FMI, BM, OMC, etc. â ne se sont pas contentées de ne rien faire pour aider ces pays en difficultés, elles ont profondément aggravé la situation déjà particulièrement pénible. Par lâaction de la politique néolibérale mise en place depuis les années 80, les contradictions entre riches et pauvres nâont cessé de sâaccroître au sein des pays, de la même façon quâentre les pays riches et pauvres. Jusque dans les années 70, un crédit ouvert par un ex-Etat colonial était respectivement détenu par son ex-Etat colonisateur. Dans les années, 80, les taux dâintérêt grimpèrent comme jamais auparavant. Ce fut le début du piège de la dette dans lequel se trouvent aujourdâhui enfoncés les pays néocoloniaux. En réalité, on assiste dans les années 80 à un bouleversement du courant capitaliste unique, à savoir que le Tiers-monde alimente en profits les consortiums du monde capitaliste. Par exemple, depuis 1995, la région subsaharienne transfère dans les pays industrialisés du Nord 1,5 milliard de plus quâelle nâen reçoit. Dans les années 90, lâaccès au crédit était fort difficile pour les pays pauvres, et cela a également mené à un manque non négligeable de capitaux. Depuis le passage au nouveau millénaire, cela a encore changé, en partie aussi avec le micro-crédit.
Une autre raison qui explique lâintérêt nouveau des institutions financières internationales pour les pays pauvres est la suraccumulation mondiale. Le capitalisme se trouve depuis les années 80 dans une dépression â il nécessite des profits toujours croissants. La concurrence internationale grandissant, il faut toujours réaliser des profits plus importants, ce qui a pour conséquence une surproduction massive et mondiale (de ce que les gens sont capables de consommer, pas de ce quâils ont réellement besoin). Investir de lâargent dans le domaine de la production rapporte de moins en moins de profits. Cela a pour effet de faire migrer les capitaux, en partie tout du moins, vers le domaine spéculatif. Câest ce qui sâexprime dans le boom du marché financier et par les innombrables nouveaux « produits » financiers liés au domaine spéculatif. Les micro-crédits représentent un nouveau marché financier, une nouvelle couche de clients est découverte, de nouvelles possibilités de placements sâouvrent pour le capital international.
LâONU a appelé 2005 lâannée du micro-crédit avec comme but à atteindre 100 millions de gens clients du micro-crédit (ou plutôt endettés par le micro-crédit).
Les micro-crédits seront octroyés par les ONG, et par les établissements bancaires nationaux et internationaux. Depuis longtemps déjà, ce marché est conquis par les grandes banques telles â en Inde par exemple â la banque dâEtat Bank of India, ou la FTC â filiale de la BM â, ou le Fonds Soros au développement économique, ou encore le Response Ability Global Microfinance Fund, un fond appartenant à diverses banques suisses dont le Groupe Crédit Suisse fait partie. Beaucoup de grandes banques travaillent ici avec des filiales dont le nom provient du concept « Développement » ou de quelque chose de similaire pour clarifier des prétentions dites humanistes. Câest dâailleurs également un excellent moyen de vendre à des investisseurs critiques des pays industrialisés â qui ne souhaitent pas voir leur argent profiter aux budgets de lâarmement ou aux pollueurs â des formes de placement qui leur laisse la conscience tranquille (câest en partie connu comme « Fonds éthique »). La coordination internationale est chapeautée par la BM.
LâAgence au développement autrichien (ADA), le Centre de compétence de collaboration au développement de lâAutriche orientale lâécrit de façon très directe : « Contrairement à ce qui était le cas il y quelques années, le micro-financement aujourdâhui ne peut plus être de la charité, mais doit être source de profits. »
Les OGN agissent souvent en tant quâintermédiaire entre la banque et le « client », soit par conviction, soit par manque dâalternative, soit parce quâelles sont le prolongement de la politique. Le rôle que joue les ONG â tout particulièrement dans les pays néocoloniaux â doit être considéré de façon critique, car il est fréquent quâelles soient installées comme instrument pour imposer la représentation dominante (autrement dit : la représentation des dominants), et pour mener les potentielles résistances aux injustices sur des voies contrôlables.
Le risque pour les banques est comparativement faible : la mensualité dâun micro-crédit se trouve généralement à hauteur de 90 %, et puis surtout, parce que des aides financières dâEtat existent comme garanties (ce qui ne veut absolument rien dire sur les facilités ou les difficultés que rencontre le débiteur pour rembourser son crédit). En outre, une grande partie des frais engendrés par lâoctroi de crédit est sous-traité. Cela veut dire que le conseil et la prise en charge, lâappréciation pour savoir qui a droit au crédit ou pas, le remboursement de dettes et la gestion contribution/remboursement est rempli par les ONG et plus spécifiquement par les preneurs de crédit (qui, pour la plupart, sont considérés comme des membres par la Grameen-Bank). Il sâagit ici dâun travail non rémunéré dont la prestation est une condition préliminaire à lâoctroi dâun crédit.
Quand les crédits sont octroyés en euros plutôt quâen dollars (il sâagit alors quasiment dâoctrois de crédits étrangers), les preneurs de crédit â assis sur un siège ambivalent â portent seuls tous les risques de fluctuation monétaire.
Câest donc en tout point une excellente affaire qui, de plus, jouit dâune publicité gratuite par le fait quâelle est associée à une image « humaniste ».
Mise en pratique dâune idéologie : plus de privé, moins de public
Depuis longtemps déjà, on sent un recul de la politique de développement de la part des Etats. En 1970, lâONU sâest donnée pour objectif â depuis ce temps-là constamment â confirmé que les pays « riches » payent 0,7 % de leur PIB pour lâaide au développement. Après que les versements aient augmenté depuis le début des années 60, il a de nouveau chuté depuis cette époque. En ce temps-là, la valeur de ces contributions se situait en moyenne à 0,4 % du PIB ; en Allemagne, à environ 0,3 %. Egalement dans les pays néocoloniaux eux-mêmes, des mesures prises pour lutter contre la pauvreté â comme par exemple des subventions dâaliments de première nécessité â furent supprimées, en partie sous la pression du FMI et de la BM. La conception que mettre fin à la pauvreté par des versements des Etats riches (et non pas par les entreprises qui profitent de lâexploitation de ces pays) peut et doit être remis en cause, mais la chute des aides au développement reflète une fois de plus la tendance générale à la privatisation ; tendance que lâon appréhende complètement dans cette politique de sous-aide.
Ainsi, pendant que dâun côté on assiste à un recul des mesures étatiques, on a de lâautre côté une énorme propagande en faveur du micro-crédit. Dans les années 70, on savait que « la faim nâest pas un hasard » et la responsabilité du colonialisme et de lâimpérialisme envers la pauvreté était bien connue. En ce temps-là, beaucoup dâEtats anciennement coloniaux menaient une politique autarcique, autrement dit, ils essayaient de cultiver et de produirent eux-mêmes leurs biens de façon à se rendre indépendant des importations étrangères (ce qui pris fin à lâépoque de la concurrence internationale croissante des pays impérialistes, notamment à cause de lâaction de lâOMC). Il faut également déceler un changement de paradigme dans la compréhension de la responsabilité envers la pauvreté. Les micro-crédits créent justement lâillusion que, maintenant, chacune et chacun aurait la possibilité de se libérer de la pauvreté. « Chacun de sa chance est lâartisan. » est sans cesse répété par la propagande du micro-crédit. Dans cette maxime, il faut surtout comprendre : qui reste pauvre en dépit de ces magnifiques possibilités, celui-là est coupable.
Dans lâexplication du micro-crédit de 1997, on remarque que les micro-crédits seraient la victoire du pragmatisme sur lâidéologie. Il serait plus juste de dire que les micro-crédits sont le changement dâune idéologie pour une autre.
La position de Muhammad Yunus, détenteur du prix Nobel, correspond bien à ce changement dâidéologie. Par exemple, il se positionne contre la suppression de la dette du Tiers-monde et pense que « les hommes grandissent grâce aux défis et non par des remèdes de soulagement ». En cela, il néglige complètement que vivre au Bangladesh â pour ne citer quâun exemple â est déjà en soi un défit au quotidien, et quâil ne sâagit là en rien de cadeaux, mais tout simplement de mettre fin à lâexploitation.
Quâapportent les micro-crédits aux pauvres ?
Après toute cette critique, on pourrait malgré tout noter que les micro-crédits aident les pauvres, quâil sâagit de procédés win-win et que par conséquent, banques et entreprises en profitent au même titre que les pauvres. Mais la réalité est toute autre. Aucune étude approfondie nâa été menée sur lâeffet des micro-crédits. A ce sujet, il existe toute une série dâexemples individuels dâordre sentimental et complètement vides de consistance comme des femmes auxquelles un micro-crédit a permis de garder une vache et de renforcer leur confiance en elles. Pourquoi ces études nâont-elles pas été menées ? En soi, câest déjà une question pertinente : pourquoi un projet semblable et de si grande ampleur nâest-il pas pesé globalement afin dâen tirer un bilan ? Il y a de la part de critiques une série dâenquêtes et dâexemples qui démontrent les conséquences négatives des micro-crédits.
Les micro-crédits ont dans leur règlement de très hauts taux dâintérêts. La Grameen-Bank exige des crédits à ouvrir une rente dâau moins 20 %, mais il existe aussi des taux dâintérêts qui vont jusquâà 40 %. Ces valeurs sont certes moins élevées que chez les prêteurs dâargent privés là-bas, mais elles sont plus hautes que les plus grand crédit dans les banques dâEtat, par exemple. Les taux exorbitants sont légitimés avec de lourdes dépenses administratives pour accorder les crédits et pour gagner des « clients ». Toutefois, ces coûts et prestations sont sous-traités ; ils sont pris en charge en grande partie par les emprunteurs mêmes. Et les grandes banques nâinvestissent dans un secteur que si ce dernier promet des profits.
Par le changement dâune économie agricole â qui permettait une certaine indépendance â au secteur des services, la dépendance des emprunteurs sâest accrue, car ils sentent souvent venir le cercle vicieux.
Lâendettement des emprunteurs monte, de façon individuelle ou par lâintermédiaire dâassociations dâentraide. Celles-ci constituent la structure de base pour les établissements de crédits et leurs octrois. Les gens qui en font partie nâont généralement aucune expérience des « grandes » quantités dâargent (or, comme ils sont tous détenteurs de micro-crédits, ils ont encore plus à payer ensemble quâindividuellement). De plus, une grande partie des crédits sont utilisés pour des dépenses immédiates dans des situations de besoin, en cas de mauvaise récolte, de mort dâun membre, etc., ce qui ne correspond pas à des revenus mais à de nouvelles dettes à venir. Et là où des crédits sont risqués pour investir, il y a â comme le montre une étude en Inde du Sud â une pression des banques pour investir dans des magasins (les femmes, par exemple, qui préfèreraient investir dans des vaches sont « convaincues » dâinvestir dans un magasin). Ces magasins sont rarement rentables, ce qui est logique car : qui va y aller pour faire ses courses ? La population locale nâa pas dâargent ; sâil y avait une demande de tels magasins, il y en aurait déjà depuis longtemps. Mais les banques â qui poussent les gens à investir en masse dans des affaires non rentables â se fichent éperdument de savoir dâoù puisse venir lâargent pour rembourser le crédit. Souvent les banques conseillent à leurs clients de faire des emprunts comme sâil sâagissait dâépargne (que pourrait-on gagner sans sâendetter). Andrah Pradesh, qui est fréquemment présentée comme « lâhistoire à succès des micro-crédits », est également lâEtat fédéré dâInde qui connaît le plus grand nombre de décès pour cause dâendettement.
Il nây a pas de micro-crédit pour les plus pauvres des pauvres. A cause de critères de sélection qui devrait indiquer une certaine « capacité de crédit » (donc, la chance de pouvoir rembourser le crédit), tous ceux qui, par exemple, sont incapable de travailler, restent des demandeurs de crédit exclus.
Lâargument peut-être le plus fréquent en faveur du micro-crédit est quâil permet aux femmes des sociétés fortement patriarcales de renforcer leur indépendance. En effet, dans la majeure partie des cas, ce sont les femmes qui sont préférées ou seules comme clientes de micro-crédits. Souvent des associations dâentraide sont mises sur pied ou, en réalité, instrumentalisées. La rencontre de femme dans des groupes, lâéchange dâexpérience, etc. est naturellement positif pour lâassurance personnelle (il est dâailleurs étrange que ces structures nâaient pas été créés de toute façon avant le micro-crédit). Mais plus les crédits amènent dans les centres la préoccupation de leur exécution et de leur prise en charge, plus les autres thèmes (violence familiale, place de la femme dans la société) sont mis à lâarrière plan. Souvent, les associations dâentraide sont également utilisées par lâEtat ou par les établissements de crédit (par exemple la Grameen-Bank) pour imposer leurs conceptions au regard des plannings familiaux, dâhygiène, etc. Même quand ces conceptions peuvent être positive (par exemple, ne boire que de lâeau qui a été portée à ébullition), elles sâexpriment de façon très paternaliste. Dans les associations dâentraide, on doit également rapporter des évolutions négatives quand les projets ne remportent pas le succès économique et que le remboursement des dettes mène aux conflits dans le groupe. Ce qui est particulièrement négatif, câest que â dû au fait que ce sont avant tout les femmes qui reçoivent les crédits, mais que les structures familiales ne changent pas â ce sont avant tout les femmes qui tombent dans le piège de la dette. La femme prend un crédit, lâhomme lâutilise, mais pas pour payer des choses que lui-même ne payerait pas (lâargent pour les études des enfants, par exemple), et la femme doit ensuite rembourser le crédit en prenant un travail supplémentaire ou en renonçant davantage à ses propres besoins.
Quelques remarques pour terminer
Les micro-crédits sont une affaire où des millions â si pas des milliards â de dollars sont en jeu. Les institutions à qui cette charge est confiée sont très différentes. Chaque critique ne peut pas sâappliquer à chacune dâentre elles. Il est indubitable quâil existe aussi des expériences positives avec des preneurs de crédit qui ont réussi à améliorer leur vie.
Mais il est primordial de noter que les micro-crédits ne sont en rien une solution à la faim et à la pauvreté. Le mensonge colossal du capitalisme â que chacun peut, de « plongeur », devenir millionnaire â ne deviendra pas subitement une vérité à force dâêtre répété. Le Bangladesh est volontiers utilisé comme exemple maternel pour illustrer le « succès » du micro-crédit. La population du Bangladesh souffre entre autres dâune eau potable contaminée par lâarsenic et de fréquentes inondations (qui par suites du réchauffement de la planète a été encore davantage aggravé). A ces deux problèmes, il nây a pas de solution individuelle.
Au 19e siècle aussi, il y avait lâespoir â grâce à des associations de production et de consommation â dâériger quasiment des « îlots sociaux » dans le capitalisme. La tentative dâHugo Chávez au Venezuela de construire une forme dâéconomie parallèle et juste va également dans ce sens.
Mais en définitive, tous ces débuts ont échoué dès quâil sâagissait de supprimer aux gens la pauvreté, lâexploitation et la faim. A partir du moment où la distribution équitable des richesses nâest pas naturelle, ces problèmes ne sont pas non plus solvables par des réponses individuelles. Et justement, les micro-crédits agissent dans le sens dâune individualisation ; les questions par exemple dâune résistance aux prix exorbitants des semences ou à la distribution inéquitable de la terre ne sont pas posées. La faim et la pauvreté sont la conséquence dâun ordre économique dans lequel les profits sont le point de rotation et dâattraction. Le capitalisme a besoin de chômage et de pauvreté pour pouvoir réaliser ses profits. Un capitalisme social â tout particulièrement pour lâensemble des hommes dans le monde â est une utopie qui contredit les besoins et les mécanismes du système.
Il est nécessaire, ici et maintenant, de lutter contre la pauvreté et la faim, mais une suppression de ces fléaux de lâhumanité nâest possible quâavec une suppression du capitalisme.