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  • Elections européennes de 2009 – Tour d’horizon

    Peu ou pas de confiance dans les gouvernements, mais pas de veritable alternative socialiste

    Ces élections européennes ont donné un instantané de l’atmosphère anxieuse et de la méfiance, ou même de l’hostilité, éprouvée face aux gouvernements. Dans certains pays, comme la Grande-Bretagne, la Grèce, l’Irlande et la Hongrie, les partis au pouvoir ont subi de dramatiques revers. Mais généralement, à quelques exceptions près, cette situation n’a pas bénéficié aux forces de gauche ou même aux verts. Le mécontentement est surtout illustré par une faible participation et un soutien accru pour les nationalistes de droite ou les formations d’extrême-droite.

    Par Robert Bechert, Comité pour une Intenationale Ouvrière

    L’Europe s’enlise dans une profonde récession, la pire depuis les années ‘30. Juste avant les élections, la Banque Centrale Européenne avait d’ailleurs encore revu à la baisse ses prévisions de croissance pour les 16 pays de la zone euro : une chute de 5.1% pour 2009.

    Voilà le contexte derrière la fonte du soutien de la plupart des partis au pouvoir et la recherche, parmi les électeurs, d’une alternative. Même le faible taux de participation illustre ce rejet des partis établis, au côté d’un rejet de l’Union Européenne et de la parfaite compréhension que le soi-disant Parlement européen est impuissant.

    Mais alors que les nationalistes de droite et l’extrême-droite ont pu capter une bonne partie des voix, la victoire de Joe Higgins, le candidat du Socialist Party (CIO-Irlande), qui a remporté un des sièges d’eurodéputé de Dublin, montre de quelle manière il est possible de construire un soutien conscient de la base profondément enraciné parmi la classe ouvrière, établissant ainsi une tradition de lutte revendiquant des politiques réellement socialistes. Malheureusement, cela ne constitue pas l’expérience générale de ces élections. Seul le Bloc de Gauche au Portugal et le Mouvement des peuples contre l’UE au Danemark, quoique sur base d’un programme politique plus faible, ont remporté des succès significatifs.

    Dès le début de cette crise, il a été absolument clair qu’elle était due au marché capitaliste lui-même. À aucune moment il n’a été possible pour la classe capitaliste de blâmer la classe ouvrière, les syndicats ou le ‘socialisme’. On se serait donc attendu à ce que cela débouche un soutien pour les partis qui se sont opposés au capitalisme, ou qui au moins ont offert une vision différente de la société.

    Nous avons déjà connu des protestations à une large échelle, avec des manifestations et des journées de grève générale ou nationale, dans une série de pays européens. En France, plus particulièrement, elles ont pris le caractère d’une marée croissante d’opposition à toute tentative des capitalistes et des gouvernements de faire payer la crise aux travailleurs et à la classe moyenne. Mais d’autres pays encore, comme la Belgique, la Grèce et le Portugal, ont également connu des actions significatives.

    Cependant, presque tous les dirigeants syndicaux à travers l’Europe n’ont en rien cherché à construire un mouvement plus large sur base de ces premiers pas. Au lieu de cela, les protestations ont été réduites à des actions isolées, employées souvent tout simplement pour laisser sortir la colère, et la pression, ou encore, comme avec certaines manifestations de la Confédération Européenne des Syndicats de ce mois de mai, pour tenter de soutenir les partis sociaux-démocrates.

    L’absence d’alternative pour les travailleurs ouvre la voie à la droite

    Ce frein sur les luttes s’explique par le fait que dans la grande majorité des pays de l’Union Européenne, il n’y a actuellement aucun grand parti ou parti de masse essayant de construire une opposition sérieuse face aux effets de cette crise. Ce fait n’est pas fortuit. Le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO – CWI) a expliqué depuis le début des années ‘90 que la plupart des pays n’ont plus aucun parti de masse ou de parti significatif qui s’oppose au capitalisme. C’est là le résultat d’une combinaison faite de l’offensive idéologique des capitalistes qui a suivi l’effondrement de l’Union soviétique et de la transformation de la plupart des anciens partis ouvriers bourgeois (des partis avec une base de classe ouvrière et une direction pro-capitaliste) en partis complètement capitalistes.

    C’est ce qui a jusqu’ici sauvé les capitalistes et qui a fait qu’il n’y a pas encore eu de d’opposition active à une large échelle contre le capitalisme lui-même en conséquence de la crise. Dans beaucoup de pays européens, les travailleurs, la jeunesse et des sections de la classe moyenne ont clamé : "Nous ne payerons pas votre crise". Cet appel est un bon point de départ pour construire une résistance contre les pertes d’emploi, la baisse du niveau de vie et les coupes dans les budgets sociaux. Mais ce n’est seulement qu’un commencement.

    Cette crise du capitalisme pose clairement la question de l’opposition au système capitaliste lui-même et de la lutte pour une alternative socialiste. Actuellement toutefois, mis à part le CIO, il y a en Europe très peu de forces présentes dans le mouvement des travailleurs qui lient activement la lutte contre l’impact de la crise et la construction d’un soutien pour une société socialiste. Cette lacune a ouvert la voie aux succès électoraux de la droite.

    Dans un certain nombre de pays, mais pas en Belgique, les partis de centre-droit ont gagné, ou ont moins souffert que d’autres partis. Souvent, comme dans le cas de Sarkozy en France, c’était aussi le résultat d’un changement de tactique, avec des critiques contre les excès du capitalisme ou, dans le cas d’Angela Merkel en Allemagne, sous l’effet d’une extension massive des fonds du gouvernement pour le chômage partiel afin de limiter les pertes d’emploi.

    Gains pour l’extrême droite

    Mais à travers l’Union Européenne, des partis plus à droite ont progressé, en pourcentage si ce n’est en nombre de suffrage. L’immigration est devenue une question clé, des partis de droite exploitant les craintes des travailleurs envers les immigrés, qu’ils soient issus de l’intérieur ou de l’extérieur de l’UE, vis-à-vis de l’emploi ou des services publics. Le racisme, l’hostilité contre les musulmans, les gitans et, en Autriche, un antisémitisme semi-voilé, ont été des éléments significatifs dans ces élections. De plus, il n’y avait souvent que les partis d’extrême-droite pour exprimer la colère populaire ressentie contre l’UE elle-même, son essence antidémocratique et la domination des grandes puissances européennes.

    En surface, cette élection semble illustrer une droitisation de l’Europe, et même un déplacement vers l’extrême-droite dans quelques pays. L’exemple le plus saisissant est constitué par les 769.000 voix (17%) remportées par le PVV d’extrême-droite aux Pays Bas, pour sa toute première participation aux élections européennes. Il s’agit maintenant du second parti du Pays. Mais les nationalistes de droite et les partis d’extrême-droite ont également obtenu des gains significatifs en Grande-Bretagne, en Finlande, en Grèce, en Hongrie, en Italie, en Roumanie et dans d’autres pays encore.

    En Allemagne toutefois, où Die Linke, en dépit de ses faiblesses, est encore regardé comme l’adversaire principal des attaques contre le niveau de vie des travailleurs, les suffrages de l’extrême-droite ont à peine changé, malgré quelques augmentations dans certaines élections locales qui ont eu lieu simultanément.

    Les commentateurs capitalistes peuvent partiellement décrire les résultats électoraux comme un décalage vers la droite parce que les ‘socialistes officiels’, qui ont souvent enregistré des pertes, étaient les anciennes partis ouvriers. Ces formations ont appliqué les politiques néolibérales et sont de plus en plus vues comme asssez similaires au centre-droit. Là où ces partis sont au pouvoir, comme en Autriche, en Grande-Bretagne, en Allemagne et en Espagne, ils ont enregistré des pertes. Dans les trois premiers de ces pays, les resultats ont été des baisses record, malgré le fait qu’en Allemagne, le SPD a essayé d’adopter une image légèrement plus ‘amicale’ envers les travailleurs. Dans d’autres pays, où ces partis sont dans l’opposition, les sociaux-démocrates ont gagné, sous l’étiquette du ‘moindre mal’. Ainsi, en Suède, ils ont réussi à obtenir 24.6% et même 36.6% en Grèce. Toutefois, en France, le Parti Socialiste a souffert des souvenirs qu’il a laissé derrière lui après son passage au pouvoir. Avec 16.48%, il n’est plus que 0.20% avant les verts (Europe-Ecologie).

    Dans trois pays, les principaux partis de droite au gouvenrement sont arrivé en tête des votes. En France, Sarkozy parle d’un succès de 28% des voix, ignorant cependant que 72% des électeurs se sont opposés à lui et que l’abstention a atteint des records. En Allemagne, le CDU d’Angela Merkel a reçu 1.343.000 voix de moins qu’en 2004, mais reste n°1. Le gouvernement polonais a reçu le taux le plus élevé, 44%, mais comme seulement 24% des gens se sont déplacés pour voter, cela ne représente qu’un soutien actif de moins de 12% de l’électorat…

    Très peu de gouvernements ont maintenu leur soutien. Le gouvernement italien en fait partie, avec 45% des voix. Le nouveau PdL de Berlusconi a peu gagné comparé à il y a cinq ans, et a perdu quand on regarde les élections générales d’avril 2008, mais la ligue du Nord, d’extrême-droite, a doublé ses voix à plus de 10%. L’Italie illustre bien le thème de cette élection : la faiblesse ou l’absence d’une véritable alternative socialiste, malgré la crise économique capitaliste qui fait rage.

    La force de Berlusconi est fondamentalement basée sur la déception éprouvée avec les gouvernements de centre-gauche, comme récemment la coalition Olivier, et sur l’échec du PRC (Parti de la refondation communiste). Fondé en 1991, le PRC avait précédemment reçu un soutien important, pas simplement du point de vue électoral mais aussi dans les lieux de travail et dans la société, mais cela a été gaspillé quand les dirigeants du PRC ont rejoint les gouvernements capitalistes au lieu de combattre pour gagner du soutien en faveur de politiques socialistes. En conséquence, le PRC est proche de l’extinction. Comparé à 2004, le suffrage ‘communiste’ est tombé de 2.757.000 voix à 1.032.000 (soit de 8.47% à 3.37%), alors que le suffrage ‘gauche/vert’ (une opposition très douce…) est tombé de 1.467.000 voix à 955.000 (soit de 4.51% à 3.12%). Mais un bloc de gauche significatif existe toujours en Italie. Le RPC lui-même, en alliance avec les Communistes Italiens et la Gauche Européenne, a gagné 1.032.000 voix alors que les Travailleurs Communistes en ont remporté 166.000. Ce soutien constitue toujours une base puissante pour un parti basé sur les idées véritables du marxisme en Italie.

    Des gains pour la gauche dans quelques pays

    A contre-courant de ce contexte général, la victoire du Socialist Party (CIO-Irlande) de Joe Higgins en Irlande a été un contraste marqué face à ce qui s’est produit dans le reste de l’Europe. Le SP a gagné 50.510 voix de préférence à Dublin (12.4%), plus DU double de ses 23.218 voix de 2004. C’était un vote conscient pour le SP basé sur son programme. Le SP était en concurrence avec les parti travailliste irlandais? dans l’opposition, dont la première voix de préférence à Dublin a également monté de 54.344 à 83.741 et avec le Sinn Fein dont le soutien au député sortant est tombé de 60.395 à 47.928 voix.

    Le résultat de Joe est seulement comparable au Bloc de Gauche au Portugal, qui a plus que doublé ses voix pour en atteindre 381.000 (10.7%), rattrapant tout juste le CDU, l’alliance menée par le Parti Communiste et ses 379.500 voix. Le "Mouvement des peuples contre l’UE", au Danemark, a augmenté ses voix de 97.986 à 168.035 (7.18%).

    Nouvelles formations de gauche

    Depuis le début des années ’90, le CIO a expliqué que la transformation des anciens partis sociaux-démocrates et ‘communistes’ faisait que, en même temps que la construction des forces en défense du socialisme véritable, il fallait argumenter que des étapes seraient nécessaires par la construction de partis indépendants de la classe ouvrière. De tels partis indépendants pour les travailleurs pourraient fournir à la fois un point de ralliement pour s’opposer à l’offensive capitaliste et un endroit où les idées socialistes pourraient être discutées.

    Ces dernières années, nous avons assisté à différentes tentatives de construire de nouveaux partis de gauche. Ces élections européennes ont d’ailleurs connu le passage d’une étape importante en Grande-Bretagne quand le principal syndicat des transports a lancé une initiative électorale, "No2EU, Yes to Democracy", à laquelle ont notamment participé le Socialist Party (CIO-Angleterre et Pays de Galles) et le Parti Communiste de Grande-Bretagne (PCGB). Cette liste a remporté 1% des suffrages.

    Mais plusieurs de ces nouvelles formations n’ont pas combiné une activité sérieuse et les revendications politiques claires nécessaires pour construire de vraies forces durables. C’est une véritable lutte que de construire de nouveaux partis, en particulier quand l’habitude de voter pour les anciens partis ouvriers existe toujours et quand joue l’effet du ‘moindre mal’ ou le fait que quelques petites concessions peuvent être gagnées. Toutefois, la combinaison de certains événements, d’expérience et de nouvelles activités pour ces partis peut élargir la base pour l’établissement d’une nouvelle force significative, ce que Dublin a illustré.

    Mais, de façon générale, les nouveaux partis de gauche n’ont pas connu de résultat dramatique. Les mauvais résultats peuvent s’expliquer en partie par le fait que beaucoup ont viré vers la droite, en refusant de faire campagne comme des socialistes et en ne présentant pas leur programme et leurs revendications de façon claire et déterminée.

    En Allemagne, Die Linke, en comparaison avec l’ancien PDS en 2004, a gagné 390.000 voix et a reçu un pourcentage de 7.5%, mais ce chiffre est autour de la moitié de ce qu’il avait dans les sondages d’opinion, et sous son objectif de "10 + X %". De même, en Grèce, l’alliance de gauche Syriza a obtenu 4.7%, comparé à 4.16% en 2004, mais des sondages d’opinion avaient parlé de 18% en 2008.

    Malheureusement, une situation semblable s’est développée avec le Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) en France, qui a reçu 4.8% des voix, chiffre qu’il faut comparer aux 9% des sondages lors du lancement de la formation en janvier 2009. Une force clé derrière le NPA est l’ancienne LCR, et les suffrages du NPA sont une augmentation par rapport aux 2.56% gagnés en 2004 en alliance avec LO (LO a remporté 1.2% dans ces élections). Mais ces 4.8% sont une déception comparés aux 4.25% que le porte-parole du NPA, Olivier Besancenot, avaient gagné pour la LCR aux élections présidentielles de 2002, élections auxquelles LO avait reçu 5.72%.

    Une partie des ‘anciennes’ nouvelles formations stagne, comme le Socialistische Partij aux Pays Bas, dans ce cas-ci partiellement en raison du mouvement vers la droite de la direction du parti, avec une opposition de type nationaliste face à l’UE et une participation aux coalitions gouvernementales locales avec des partis capitalistes. De tels développements peuvent handicaper l’avenir de ces nouvelles formations, soit en termes d’effondrement, comme cela semble se produire avec le PRC en Italie, soit en termes de transformation en petits partis avec peu de perspective de se développer en tant que forces de masse.

    Dans quelques pays, la faiblesse de ces nouveaux partis a donné un espace pour le développement de partis ‘verts’, particulièrement en France, où Europe-Ecologie a gagné 16.2%, mais également en Grande-Bretagne, aux Pays Bas et dans la région francophone de Belgique. Les 7.1% gagnés par le parti pirate en Suède, un parti contre la surveillance d’Etat et pour le téléchargment libre d’internet, est une indication de l’atmosphère anti-éstablishment, particulièrement parmi les jeunes.

    Des opportunité à venir pour les véritables socialistes

    De façon générale, ces élections donnent une indication de l’instabilité qui se développe en Europe. La victoire du Socialist Party à Dublin et le doublement des voix du Bloc de Gauche au Portugal, avec ailleurs des augmentations plus modestes de voix à gauche, donnent une idée du potentiel qui est actuellement présent. Le résultat du SP à Dublin prouve qu’il est possible de gagner du soutien pour des idées socialistes même lorsque beaucoup de travailleurs et de jeunes votent pour le ‘moindre mal’, tandis que le résultat du Bloc de Gauche montre ce qui est possible quand un ‘moindre mal’, le Parti Socialiste Portugais dans ce cas-ci, est au pouvoir et applique des politiques capitalistes.

    Beaucoup de travailleurs européens, de jeunes et de membres de la classe moyenne craignent pour leur avenir et espèrent que cette crise économique sera bientôt terminée. Malheureusement, ce ne sera pas le cas.

    Au fur et à mesure qu’il sera compris qu’un retour des hauts taux de croissance économique n’arrivera pas, que le chômage de masse demeurera et que les capitalistes exigeront d’autres coupes dans les budgets sociaux et le niveau de vie de la majorité, la nécessité de lutter commencera à être comprise. Cela donnera l’opportunité à l’établissement de forces significatives capables de lutter pour le socialisme. Mais ce ne sera pas automatique. Cela exigera un programme clair et une stratégie consciente. Les voix pour l’extrême-droite lors de ces élections sont un avertissement : les forces réactionnaires peuvent gagner du soutien sur base de l’agitation sociale faute d’alternative pour les travailleurs.


    Le Comité pour une Internationale Ouvrière, CIO

    Cette évaluation a été rédigée par le CIO.

    Le capitalisme est un système mondial et il doit être combattu à la même échelle. C’est pourquoi le Parti Socialiste de Lutte fait partie d’une organisation marxiste internationale: le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO), un parti mondial actif sur tous les continents. Notre lutte en Belgique s’inscrit dans le cadre d’une lutte des travailleurs du monde entier pour un société socialiste car si la révolution socialiste éclate sur le plan national, elle se termine sur l’arène internationale. La démocratie ouvrière et la planification socialiste de la production ne peuvent se limiter à un seul pays. C’est d’ailleurs l’isolement de la Russie soviétique qui a conduit à sa dégénérescence à partir de 1924.

  • II. PERSPECTIVES, TÂCHES ET OBJECTIFS

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    "Le PSL – LSP, un parti pour changer de société"

    Préface

    I. Histoire du PSL/LSP

    – III. Notre programme

    – IV. Notre fonctionnement interne

    Cette brochure peut être commandée via redaction@socialisme.be et revient à 3 euros (que vous pouvez verser sur le n° de compte 001-2260393-78 du PSL/LSP avec la mention "brochure PSL").
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    MARX et les lois générales du développement du capitalisme

    Le PSL/LSP ne travaille évidemment pas à partir de rien. Marx avait défi ni les lois générales du développement du capitalisme: la concentration continuelle du capital dans de moins en moins de mains (l’accumulation du capital), la tendance de la production à sortir des frontières (ce qui conduit inévitablement à des conflits commerciaux et des guerres), la tendance à la diminution du profit par unité de capital et, par conséquent, le besoin de plus en plus de capital (baisse tendancielle du taux de profit), les crises de surproduction ou la capacité de surproduction (entre autres à cause de l’exploitation de la classe ouvrière et de la partie de notre journée de travail qui n’est pas rémunérée au bénéfice des capitalistes); la création d’une couche grandissante de travailleurs qui ont pour seule source de subsistance la vente de leur force de travail (en fonction des conditions sociales rencontrées).

    Concentration de capital et croissance des profits Le pourcent le plus riche de la population mondiale contrôle 24% de la richesse globale. Aujourd’hui, ces riches capitalistes viennent aussi d’Amérique Latine, du Moyen Orient et d’Afrique (qui a récemment connu la plus grande croissance du nombre de riches) à cause de l’augmentation des prix des matières premières. Ces augmentations ont en fait disparu dans les poches d’un petit groupe de super riches dans le monde néo-colonial. De la même manière, la croissance des pays capitalistes développés a surtout enrichi les milliardaires.

    En 1960, il était estimé que les 20% les plus riches sur le plan mondial possédaient 30 fois ce dont disposaient les 20% les plus pauvres. Vers 1997, cette proportion était de 74/1 tandis que pour la fi n 2005, le rapport était de 150 pour 1. Selon une étude de l’université américaine de Michigan, les 2% les plus riches des Etats-Unis ont depuis 1984 doublé leurs revenus pour atteindre une moyenne de 2,1 millions de dollars en 2005. Quant au 1% le plus riche, leur revenu moyen est de 4,9 millions de dollars par an.

    Le salaire moyen d’un manager américain est maintenant 300 fois supérieur au salaire moyen, différence 10 fois plus grande que durant les années ‘70. En 2007, le revenu cumulé de tous les milliardaires à travers le monde avait augmenté de 35% en une année seulement ! Le capital se retrouve concentré auprès de moins en moins de personnes mais – à cause de la super exploitation du néo-libéralisme – celles-ci sont de plus en plus riches. Il s’agit d’un phénomène mondial.

    En Belgique également, l’élite dominante n’a pas trop de difficultés. Les 10% les plus riches possèdent 50% de la richesse totale. En 2006, les valeurs financières des Belges ont connu un record en atteignant 793,4 milliards d’euros, c’est-à-dire 80.000 euros par Belge (compte d’épargne, actions boursières,…) Beaucoup de travailleurs se demandent sur quel compte se trouve leurs 80.000 euros… Sur celui de leur patron? Ou sur ceux des actionnaires principaux de l’entreprise qui les emploie ? Ou encore sur le compte des politiciens bourgeois ? C’est vrai que ces derniers se sont bien servis avec leurs sièges dans les conseils d’administration des grandes entreprises (entreprises qu’ils ont d’ailleurs toujours bien soigné au cours de leurs carrières politique).

    Au regard du développement des profits, l’origine de cette inégalité sociale n’est pas difficile à trouver. Ces dernières 30 années, depuis le début de la politique néolibérale sous le gouvernement Martens – Verhofstadt de 1981, ont été une véritable « ruée vers l’or » pour les capitalistes et leurs partisans. Une ruée vers l’or en direction de moyens initialement prévus pour la sécurité sociale (pensions et autres allocations) et en direction de notre pouvoir d’achat. En Belgique, les profits des entreprises étaient en 1980 de 241 milliards de francs belges. En 1985, ce chiffre avait déjà augmenté jusqu’à 484 milliards FB, jusqu’à 821 milliards FB même en 1994. Cependant, en 2005, les profits des entreprises avaient atteint… 41 milliards d’euros (environs 1.640 milliards d’anciens FB). Même en tenant compte de l’augmentation des prix, les richesses d’une petite élite ont énormément grandi. L’objectif de la politique néolibérale est limpide. La classe dominante a par ce moyen tenté de rétablir le taux de profit face à la compétition sur un marché qui connaissait depuis 1974- 75 une croissance plus faible ou des périodes de stagnation. Un nouveau développement était seulement possible sur base d’une répartition différente des richesses. Les salaires (directs ou indirects à travers les allocations sociales) – que les travailleurs avaient arraché au cours de leurs luttes – ont alors chuté. C’est sur cette base qu’ont pu exploser les profits de la classe capitaliste. Les super-profits permettent d’ailleurs aussi de comprendre la taille appréciable des salaires des managers : un manager d’une entreprise du Bel 20 empoche chaque année en moyenne 1,5 million d’euros brut.

    La politique néolibérale a signifié un transfert gigantesque de richesse de la classe ouvrière vers un groupe de super-riches tel que jamais encore l’histoire n’en avait connu. Ces capitalistes ne savent que faire de leur prospérité, beaucoup d’entre eux se sont même lancés dans la charité. Probablement veulent ils ainsi «redistribuer» une part de ce qu’ils ont extorqué aux travailleurs, aux bénévoles,… Plus sérieusement, il s’agit là d’un moyen commode pour redorer son blason dans la société au moment où les capitalistes à la richesse indécente sont de plus en plus perçus comme nuisibles pour la société.

    Les riches deviennent plus riches tandis que la classe ouvrière s’appauvrit.

    Il n’est pas ici question d’un d’une paupérisation relative face à une minorité « qui a eu de la chance ». La majorité des travailleurs et des employés auraient d’ailleurs soi-disant eux aussi fait des pas en avant vers de meilleurs conditions de vie ces dernières 25 à 30 années. Les statistiques du gouvernement démontrent pourtant le contraire. D’abord, il ressort clairement que la plupart des allocataires (pensionnés, chômeurs,…) a connu un appauvrissement absolu. 21% des pensionnés sont officiellement sous le seuil de pauvreté et 39% des pensionnés ont une pension inférieure à 750 euros. En 1980, l’allocation moyenne de chômage représentait 41,6% du salaire brut moyen ; en 1999, cela avait diminué jusqu’à 27,9%. L’allocation d’invalidité moyenne était équivalente à 43,9% d’un salaire brut moyen en 1980, tandis qu’en 1999, ce chiffre avait baissé jusqu’à 33,3%.

    Il n’est donc pas surprenant que la pauvreté touche – malgré la croissance des richesses – de plus en plus de personnes. Aujourd’hui, elle représente 15% de la population alors que dans les années ’80, on parlait de quelques 6%. Une situation pareille est honteuse pour un pays soi disant « prospère ». Il faut y voir le résultat direct des attaques sur la protection sociale des divers gouvernements néo-libéraux, avec ou sans le PS, le SP.a ou les verts.

    Mais n’y a-t-il tout de même pas une couche aisée de familles avec deux revenus ayant quand même progressé?

    Les médias nous resservent régulièrement cette soupe. Le fait est qu’aujourd’hui, deux travailleurs sont nécessaires dans une famille pour préserver un certain niveau de vie, et cela en dit déjà beaucoup. En réalité, le pouvoir d’achat des salariés normaux a fortement reculé. Les coûts d’une maison ou les loyers, par exemple, ne se reflètent pas dans les augmentations salariales ou dans l’indexation. «L’index-santé» actuel est devenu une caricature face aux augmentations réelles des prix de beaucoup de produits. Comme le remarquent correctement beaucoup de gens : «Tout devient de plus en plus cher, mais nos salaires ne suivent pas».

    Déjà au début des années 1980, le gouvernement néolibéral de Martens a forcé une dévaluation de la monnaie et l’index a alors subi des manipulations. Entre 1981 et 1985, les salaires réels ont diminué de 13% à 21%, en fonction de leur catégorie. Depuis ce temps, le coût du logement a pris énormément plus de place dans le budget des ménages – parfois jusqu’à 1/4 ou plus du total – et le pétrole, les cigarettes,… ont été retirés de l’index.

    Il n’y a pas beaucoup d’études concrètes sur la chute du pouvoir d’achat de nos salaires, mais ce n’est probablement pas exagéré de l’estimer autour de 30 à 40%. Ceci correspondrait à l’expérience concrète de beaucoup de ménages qui ont besoin de 2 emplois ou d’un emploi et un temps partiel pour préserver un certain niveau de vie. En 1981, les salaires représentaient 59,2% de la production nationale. En 2006, cette partie était arrivée sous la barre des 50%. Et encore, les patrons trouvent que le coût salarial est trop élevé pour leur soif de profit insatiable !

    Le néolibéralisme a conduit à une augmentation énorme de la pression au travail et du stress, en combinaison avec une insécurité d’emploi croissante. Beaucoup de ces problèmes – en fait des problèmes sociaux, liés au capitalisme – se retrouvent au sein de la famille et n’ont certainement pas aidé à développer des relations harmonieuses entre partenaires ou entre parents et enfants. Mais quand un nouveau «drame familial» prend place, tout l’establishment jette les mains dans l’air. On les entend beaucoup moins parler des 17% de Belges qui, à un certain moment de leurs vies, sont confrontés à une dépression. Quant à la responsabilité de la politique néo-libérale dans tout cela (avec la disparition de la protection sociale,…), les médias n’en parlent pas.

    En Amérique Latine comme en Afrique ou encore dans les ex-pays du bloc de l’Est et même dans les pays capitalistes développés, la crise économique commencée au milieu des années ’70 a conduit à une paupérisation de la population. Toutefois, certains idéologues libéraux ont persisté jusqu’à aujourd’hui à affirmer que le marché «libre» a diminué la pauvreté dans le monde. Ils se basent sur des rapports des Nations Unies qui clament qu’en Asie «des centaines de millions de paysans» sont sortis de la pauvreté. Mais cet exemple Asiatique peut être critiqué. En fait, cette prétendue diminution de la pauvreté en Asie est seulement basée sur l’Inde et la Chine. En ce qui ce concerne l’Inde, la méthode de calcul a été modifiée dans les années ‘90. La soi-disante baisse du nombre de pauvres est un point fortement contesté, même entre «économistes du développement» qui ne remettent pas en doute le «libre» marché.

    La Chine est un cas spécial. Sur base de l’économie bureaucratiquement planifiée, le développement de l’agriculture a atteint ses limites dans les années ‘70. La bureaucratie en Chine a commencé à augmenter les prix pour les denrées produites par les paysans, ce qui a entraîné une croissance de la productivité. Beaucoup de paysans sont devenus un peu moins pauvres et sont tombés hors des statistiques des Nations Unies. Mais le fait que la Chine reste essentiellement dépendante des exportations pour sa croissance économique démontre qu’un marché interne n’a pas été créé. Officiellement, les campagnes chinoises sont un peu moins pauvres qu’auparavant. Mais la transition vers le capitalisme a signifié la mort du «bol de riz d’or» (la protection sociale chinoise) sur les plans de l’éducation, des soins de santé, de l’espérance de vie,… Si en Chine également les lois du capitalisme vont de plus en plus jouer, cela ne va que mettre encore plus en évidence – pour ceux qui n’en étaient pas encore convaincus – que combattre la pauvreté dans ce système est une illusion.

    La Chine a connu une forte croissance, précisément parce Le PSL/LSP, un parti pour changer de société 27 qu’elle est devenue «l’usine du monde». Cette position a seulement pu être acquise sur base d’une super-exploitation, du manque de législation sociale et de conditions qui rappellent le 19e siècle en Europe (ou pire encore).

    En conclusion: devenir riche aujourd’hui n’est en rien une question de chance ou d’intelligence. Dans la plupart des cas, cela veut simplement dire que, sur base de sa position de classe comme grand actionnaire ou propriétaire privé, il est possible de manœuvrer pour obtenir des parties sans cesse plus grandes de «travail gratuit». Dans ce processus, les gouvernements – qui aident à miner les salaires et les allocations, vident les contrats de travail et privatisent les services publics – sont les gentils petits toutous du capital.

    Avec leurs salaires, les politiciens sont certains de ne pas ressentir les conséquences de leur politique de casse sociale. L’insécurité croissante et l’absence de perspectives pour l’avenir ont favorisé l’arrivée d’une énorme méfiance vis-à- vis de «la politique» précisément parce qu’il ne s’agit pas d’une politique en faveur des travailleurs et de leurs familles. Ce développement amène aussi une plus grande volatilité lors des élections. La classe dominante possède beaucoup moins d’instruments stables pour pouvoir mener sa politique comparativement à la période de croissance extraordinaire qui a suivi 1945.

    Surproduction et crise économique

    Karl Marx a expliqué dans «Le Capital» comment la classe ouvrière reçoit une valeur (son salaire) qui ne correspond qu’à une partie de la valeur qu’elle produit elle-même (en biens et en services). Ce travail non-rémunéré est la base de la plusvalue des capitalistes. Les capitalistes peuvent acheter une partie des voitures, des machines à laver, des télévisions,… que les travailleurs produisent pendant la partie non-rémunérée de leur journée de travail et qu’ils ne consomment pas, mais ils ne peuvent acheter toute la production. Donc, à un certain moment, une surproduction ou capacité de surproduction survient inévitablement.

    Un autre facteur doit être pris en compte. Sous pression de la compétition, les capitalistes ont une tendance à investir de plus en plus dans de meilleures et de plus modernes machines. De cette façon, ils espèrent augmenter la productivité du travail, diminuer leurs prix et ainsi acquérir une plus grande part de marché. Le problème, c’est que seule la force de travail peut engendrer la plus-value. Les machines se déprécient pendant un nombre d’années calculable. En elles-mêmes, elles ne produisent pas de plus-value, uniquement représentée par le travail non-rémunéré de la classe ouvrière. Quand la plus-value reste égale, tandis que les coûts pour les machines et nouvelles technologies grandissent, le taux de profit (le profit par unité de capital investi) commence à baisser.

    Ces deux éléments ont été à la base, vers les années ‘70, de la fi n de la période de forte croissance économique. Les profits ont aussi été amoindris par un autre développement. Dans les ans ‘60 et jusqu’au milieu des années ’70, les travailleurs ont, dans la plupart des pays industrialisés, livré un combat acharné pour de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail, mais souvent également avec des revendications portant sur un changement radical de société, avec les sommets atteints par mai ‘68 en France, la révolution des œillets au Portugal et la lutte contre le régime des colonels en Grèce. Le patronat et les gouvernements ont donc dû faire des concessions. En Belgique, par exemple, les salaires réels ont augmenté pendant plusieurs années durant cette période. Évidemment, cela a d’autant augmenté la pression sur les bénéfices de la classe dominante.

    Ces développements ont conduit à un point tournant fondamental pour l’économie capitaliste mondiale. Le taux de profi t était miné et la crise économique a causé, en 1974, une forte augmentation du chômage. Le chômage structurel de masse a dès ce moment été un élément permanent, malgré les diverses tentatives des gouvernements pour masquer et manipuler les statistiques. A ce moment, les bourgeois ont opté pour une politique néolibérale, après une première réaction qui a consisté à de nouveau injecter de l’argent dans l’économie, ce qui n’avait seulement produit que des augmentations de prix et de l’inflation.

    Le problème avec les solutions néolibérales pour rétablir le taux de profit, c’est elles conduisent toutes à terme à une crise plus profonde. Faire baisser le pouvoir d’achat des salaires directs et indirects (allocations de chômage, pensions,…), faire travailler les travailleurs plus durement et plus longuement pour le même salaire ou pour un moindre,… tout cela aggrave au final le fossé entre la production et le pouvoir d’achat des masses. Ce phénomène explique pourquoi les économies capitalistes ont également une tendance à connaître des crises de plus en plus graves depuis les années ‘70. Les montagnes de dettes que les gouvernements ont construit dès les années ‘80 ont d’ailleurs été autant de tentatives d’éviter une crise plus profonde et plus rapide. De même, ces dernières années, on a poussé les travailleurs à dépenser les salaires qu’ils n’avaient pas encore gagné (sur base de dettes, d’hypothèques, de différentes formes de crédits,…).

    Le problème n’est pas qu’il n’existe pas assez de richesses dans la société. Par contre, cette richesse est constamment plus invisible pour une majorité de travailleurs. Le taux de dettes des ménages belges a augmenté en 2005 vers le record de 43,1% du PIB. Il y a vingt années, il ne s’agissait encore que de 28,1%. Là où dans le passé une important portion des revenus pouvaient encore être épargnée – aux environs de 20% dans les années ‘80 – cela a également beaucoup diminué dans la période néolibérale. Pourtant, c’est avec cette épargne que de nombreux retraités évitent de sombrer dans la pauvreté.

    Ces dernières années, on remarque même que les capitalistes ont moins investi dans de nouvelles machines et technologies pour augmenter la productivité. Où pourraient-ils encore vendre tout ces produits sur un marché miné ? Ils tentent, au travers d’assainissements, de rassembler ou de garder des fonds chez les grands actionnaires ou alors les prêtent aux banques, ce qui est à la base d’une stratégie de fusions et de reprises. Ils veulent «devenir plus grands» en achetant d’autres entreprises, puis y faire plus de profits avec moins de gens en effectuant des économies d’échelle. Jan Marijnissen, le président du SP hollandais (à la gauche de notre PS) a convenablement qualifié ce phénomène de «capitalisme prédateur». Malheureusement, en tant que politicien réformiste, il croit encore qu’il peut domestiquer «l’animal prédateur».

    L’importance accrue des bourses et de la spéculation financière illustre la dégénérescence du capitalisme qui – à cause de la surproduction – investi moins dans la production réelle. A titre d’exemple, aux Etats-Unis, la part des institutions purement financières dans les profits a grandit de 10 à 15 % dans les années ’50 et ’60 jusqu’à 30 à 40% aujourd’hui.

    A son époque, Marx a mené une vive et intense polémique contre les socialistes utopiques et les anarchistes qui attaquaient les phénomènes visibles du capitalisme, mais ne voulaient pas mener une analyse approfondie du système pour voir quelles forces contradictoires étaient présentes.

    Marx a ainsi polémiqué contre ceux qui plaidaient pour des îlots «socialistes» dans un océan capitaliste comme les entreprises «socialistes» autogérées et les coopératives et/ou communes autogérées par des socialistes ou des anarchistes. Au contraire, il a démontré que le capitalisme engendre sa propre déchéance avec la création d‘un groupe croissant de travailleurs rassemblés dans de grandes unités de production.

    La bourgeoisie a, depuis le début de la crise au milieu des années ‘70, détruit une grande partie de l’industrie. En Belgique, elle a essayé de partiellement remplacer ces emplois en créant des emplois dans «le secteur tertiaire des services». Mais même dans des call-centers ou des PME’s, ces travailleurs ont vu leurs salaires et conditions de travail se détériorer. Les syndicats devraient considérer leur présence et les élections sociales dans les PME’s comme d’une importance majeure.

    Ignorer cela équivaut à laisser l’opportunité à la bourgeoisie d’affaiblir notre lutte. De plus, cela pousse les couches non-organisées de notre classe en direction de solutions individuelles – de fausses solutions – et les rend plus perméables à la vague de propagande droitière contre les grèves.

    Concurrence capitaliste… ou socialisme mondial ?

    En 1848, quand Marx a écrit le «Manifeste du Parti Communiste», la classe des travailleurs salariés n’était même pas encore une majorité dans la société sur le continent européen. Ce qui est particulièrement brillant dans le «Manifeste du Parti Communiste», c’est que l’estimation de la tendance générale du mode de production capitaliste était correcte. Le capital était destiné à conquérir le monde à cause de sa soif d’accumulation et de production de profits.

    Observons la situation telle qu’elle se présente actuellement. En septembre 2007, Janssen Pharmaceutica a annoncé le licenciement de 688 de ses travailleurs. Parmi eux se trouvaient aussi 194 de chercheurs hautement qualifiés. Un délégué syndical du Setca a fait remarquer dans la presse: «Janssen Pharmaceutica a réalisé l’année passé un profit de 250 millions d’euros. Tous ces licenciements sont-ils nécessaires? Ou est ce que Johnson & Johnson (l’entreprise mère, NDLR) veut prendre un chercheur en Inde pour chaque place perdue ici ?»

    En 2006, un autre géant belge, Inbev, a décidé de délocaliser une partie de son administration vers des pays meilleur marché: la Tchéquie et la Hongrie. L’année précédente, Inbev avait fait un profit de 1 milliard d’euros. Les grandes entreprises sont aujourd’hui des «joueurs mondiaux» à la recherche de la production la plus rentable partout à travers le monde. De grandes parties du monde néo-colonial sont trop instables pour cela, à cause du niveau d’instruction très bas et des structures gouvernementales corrompues. Mais, heureusement pour les maîtres du monde capitalistes, il y a encore les nouveaux Etats membres de l’Union Européenne, l’Inde ou encore la Chine où ce qui reste de la bureaucratie stalinienne garde un oeil sur les travailleurs.

    La délocalisation révèle de façon aiguë de quelle manière les systèmes de productions capitalistes, depuis le temps de Marx et du «Manifeste du Parti Communiste», sont inter-connectés sur le plan mondial. En même temps, on ne saurais mettre en avant un meilleur argument en faveur de la nécessité de l’organisation internationale des travailleurs. Le PSL/LSP et son organisation internationale, le Comité pour une Internationale Ouvrière, perpétuent une tradition de solidarité internationale. Sinon, quelle est la norme? Les salaires et conditions de travail de Pologne? Ou alors ceux de Chine? Les travailleurs doivent résister et s’organiser contre cette spirale négative.

    Les besoins de la classe ouvrière se heurtent à la dictature des grands actionnaires. Pour ce club, beaucoup de profits ce n’est pas encore assez. La rentabilité est relative et la concurrence renforce ce processus. Des actions baissent de valeur ? Les «assainissements» sont, dans ce système concurrentiel, la seule réponse. Ce ne sont pas seulement les ouvriers industriels qui ont à craindre la «logique» folle du capitalisme, mais aussi des employés et de chercheurs hautement qualifiés.

    Comme Marx l’avait déjà démontré, le marché capitaliste traverse les frontières et mène à des tensions commerciales et à des guerres. Si, grâce à la force potentielle du mouvement ouvrier en Europe ou aux Etats-Unis, les pays capitalistes développés sont aujourd’hui épargnés, ce n’est pas le cas du monde néo-colonial.

    Regardons l’intervention de Bush en Irak. Même Alan Greenspan, l’ancien chef de la FED (la Banque centrale américaine), admet maintenant que le motif de la guerre en Irak était «principalement la protection du transfert du pétrole». La seule «moralité» du capital est son chiffre d’affaires. La «lutte pour la démocratie» est seulement une façade pour l’impérialisme, derrière laquelle se cachent les profits des grandes entreprises. Seul le mouvement ouvrier a un intérêt à maintenir et à élargir les droits démocratiques.

    Un conflit commercial existe aussi entre les Etats-Unis et la Chine qui importe des produits bon marché aux Etats-Unis. De leur côté, plusieurs pays d’Amérique Latine essaient de faire des accords de commerce entre eux afin de contrer quelque peu l’influence de l’impérialisme, surtout américain. En Europe, les bourgeoisies nationales ont tenté de limiter la compétition entre elles par l’introduction de l’euro et la création de la Banque Centrale Européenne. Une crise fondamentale du système liée à des révoltes ouvrières vont pousser les bourgeoisies nationales les plus faibles vers la sortie. Ce développement va à terme casser la zone euro et l’Union Européenne, avec seulement la persistance d’un noyau dur.

    La production capitaliste tente de surpasser les frontières, mais elle se heurte toujours au carcan de l’Etat-nation. La propriété privée des moyens de production et l’Etat-nation sont des formes sociales dépassées. Elles doivent être remplacées par une économie démocratiquement planifiée et par le socialisme mondial.

    La majorité de la classe ouvrière et l’avant-garde

    Sur base des lois générales du développement du capitalisme analysées plus haut, Marx a mis en avant la nécessité d’une société socialiste, une société harmonieuse de producteurs et de consommateurs où la production n’est pas dirigée vers les profits d’une petite minorité, mais vers les besoins de chacun.

    Selon Marx, la classe ouvrière est la seule classe capable de réaliser cela au vu de son rôle dans la production. C’est de là que découle sa stratégie visant à essayer de gagner la majorité des travailleurs pour un programme socialiste. En contradiction avec les anarchistes – avec Bakounine, leur plus éminent représentant à ce moment – qui voulaient rendre les travailleurs «conscients» au travers d’actes terroristes, Marx pensait que seule une majorité consciente de la classe ouvrière serait capable de mener une transformation socialiste de la société.

    Le terrorisme, comme l’ont toujours expliqué les socialistes de Marx à Trotsky, est l’arme du petit-bourgeois désespéré ou du «prolétaire en haillons» non-organisé. Ces éléments n’ont pas de confiance dans le mouvement de la masse de la population. Ils essaient, en tant que petite minorité, de forcer le développement de la société. Une révolution socialiste peut seulement aboutir si elle est soutenue par la majorité de la population: la classe ouvrière.

    Bien sûr, entre la constatation de ce qui est objectivement nécessaire – gagner la majorité de la classe ouvrière pour un programme socialiste – et effectivement atteindre cet objectif, il y a encore beaucoup d’obstacles. Tous les travailleurs ne montrent pas le même degré d’initiative. Parmi les travailleurs comme parmi les jeunes, il y a des individus actifs qui sont ont un rôle décisif pour la réaction de groupes plus larges de travailleurs et de jeunes. C’est surtout cette «avant-garde» qui doit dans un premier temps de radicalisation être gagnée à un programme socialiste. Ce n’est qu’à travers celui-ci qu’il est possible de plus tard atteindre et gagner les couches plus larges. En somme, un parti révolutionnaire doit d’abord s’orienter vers l’avant-garde, la partie la plus active et consciente des travailleurs et des jeunes, afin d’atteindre ensuite sur cette base les couches plus larges. Mais il est très important de ne pas isoler cette avant-garde des couches larges avec un programme ultra-gauchiste, mais d’adopter un programme de transition qui offre la possibilité d’entrer en dialogue avec ces couches larges.

    Sous le stalinisme, cette option stratégique a été déformée pour servir les intérêts d’une bureaucratie. Vu l’isolement de la Révolution dans le pays industriellement et culturellement arriéré qu’était la Russie de 1917, une vieille couche de carriéristes a pu envahir le Parti Communiste. Cette couche de carriéristes était principalement constituée de personnes capables de lire et d’écrire, souvent déjà fonctionnaires sous l’ancien régime tsariste. Ils n’avaient évidemment pas fait la révolution (et pour la plupart était même contre). Sous le régime de Staline, ce groupe social a transformé le Parti Communiste en un instrument taillé en fonction de ses propres intérêts bureaucratiques. Tous les éléments de démocratie ouvrière qui existaient encore ont été abolis.

    Pour la bureaucratie, il n’était plus nécessaire de gagner l’avant-garde. Au contraire, les staliniens se sont proclamés eux-mêmes l’avant-garde et ont défini leur parti comme celui de l’avant-garde. Cette approche élitiste a sérieusement discrédité l’idée de gagner les couches les plus conscientes des travailleurs et des jeunes. En réalité, les staliniens ont rompu avec la stratégie qui a été proposée par Marx. Ils ont déformé ses idées pour servir leurs propres objectifs bureaucratiques.

    Des perspectives comme guide pour l’action

    Marx a dévoilés les lois générales du développement du capitalisme et les tâches stratégiques les plus importantes. Ces lois générales de mouvement ainsi que la lutte entre les travailleurs et le capital ne se déroulent pas de façon linéaire. Des moments de progrès et de recul se succèdent.

    Pour une organisation révolutionnaire, il n’est pas seulement nécessaire d’étudier le mouvement général à long terme, mais aussi d’estimer comment les choses vont se développer à court et à moyen terme. C’est sur base d’une telle analyse qu’on peut déduire les tâches concrètes pour aujourd’hui et demain.

    Prenons une comparaison connue. Sur base du nombre potentiel de spectateurs et des réserves financières, on peut en déduire qu’une équipe de football d’un pays riche a plus de chances d’avoir un bon résultat en compétition qu’une équipe d’une petite ville, avec moins de revenus issus des spectateurs et de la publicité. On pourrait appelé cela une «loi de mouvement général».

    L’équipe qui se base seulement sur cette loi de mouvement général et ne se force pas trop ne va pas aller bien loin malgré son futur prometteur. Il est nécessaire que l’équipe comprenne aussi ce qu’elle a à faire aujourd’hui. Si l’équipe joue contre une équipe offensive, elle devra jouer d’une autre façon que contre une équipe avec une attitude défensive. Autrement dit, l’équipe devra aussi estimer à court terme le jeu de l’adversaire et sur cette base décider d’une tactique afin de remporter le match.

    L’idée quelle pourrait acheter quelques nouveaux joueurs l’année prochaine ne changera rien au résultat d’aujourd’hui. De plus, une défaite aujourd’hui aurait aussi un effet sur le nombre de spectateurs et la publicité à l’avenir. Une bonne équipe, donc, n’a pas seulement besoin d’une stratégie à long terme, mais doit aussi estimer tactiquement le jeu de l’adversaire à court terme. Sinon, les bonnes perspectives pour le futur pourraient être transformées en son contraire assez rapidement.

    Pour une organisation révolutionnaire aussi, il est important d’estimer les rapports de forces de façon correcte, d’analyser les développements à court terme et d’élaborer sur cette base une approche tactique. Mais l’adversaire peu aussi essayer de jouer sur la surprise est décider de jouer d’une autre façon. De la même manière, les perspectives d’une organisation révolutionnaire ne sont pas des prévisions exactes, mais une tentative d’estimer les développements de la façon la plus correcte possible, à court et moyen terme, afin d’y ajuster tactiques et objectifs de façon systématique.

    Par exemple, le lancement de Blokbuster, notre campagne antifasciste flamande, a pris place, comme cela a déjà été mentionné, quelques mois avant la percée du Vlaams Blok lors des élections de 1991. Nous avions mis en avant la perspective que, malgré la croissance économique de cette époque, une couche importante de la population des villes connaissait un recul de leur niveau de vie. Une victoire du Vlaams Blok allait probablement provoquer une certaine radicalisation parmi une couche de jeunes. Sur base de ces perspectives correctes, les précurseurs du PSL/LSP ont posé les fondations de la construction d’une organisation révolutionnaire et d’une tradition antifasciste encore largement respectée aujourd’hui.

    Perspectives et tactiques

    Dans les années ’70 et au début des années ’80, il y avait encore une large conscience socialiste auprès d’une couche importante de travailleurs et de jeunes. L’idée qu’il y avait une alternative au capitalisme, même sans être claire à 100% sur ce que représentait cette alternative dans les détails, était acceptée par un groupe important de travailleurs et de jeunes. Durant cette période, les marxistes avaient surtout à confronter leurs points de vue spécifiques avec les réformistes sociaux-démocrates et les staliniens.

    La chute des régimes staliniens et le processus de bourgeoisifi cation de la social-démocratie ont miné cette conscience «socialiste». Aujourd’hui, le rôle des marxistes ne se limite plus à défendre leurs positions contre celles des dirigeants sociaux-démocrates et de ce qui reste des staliniens. Notre tâche est aussi de propager l’idée générale du socialisme.

    De là découle l’appel tactique du PSL/LSP pour un nouveau parti de masse des travailleurs indépendant de la bourgeoisie où tous les courants et individus qui résistent à la politique néolibérale seraient les bienvenus. Cet appel pour un nouveau parti des travailleurs date déjà de 1995. Les membres du PSL/LSP étaient dès lors préparés pour des initiatives comme celle du CAP, le Comité pour une Autre Politique qui avait le potentiel d’aller dans la direction d’un tel nouveau parti des travailleurs, sans toutefois avoir pu y parvenir.

    Nous sommes convaincus que seul un programme socialiste achevé – une économie planifiée et la démocratie ouvrière – peut résoudre les problèmes quotidiens de l’emploi, de la pression au travail, de la chute du pouvoir d’achat, de la crise du logement, de l’éducation plus chère, de la destruction du climat,… Mais nous voulons discuter de cela de façon ouverte avec des couches plus larges de travailleurs, sans mettre en avant des ultimatums comme les groupes gauchistes.

    Mais nous ne pensons pas qu’un nouveau parti des travailleurs ne peut pas avoir comme objectif principal ou pré-condition d’unifier tous les groupes de la gauche radicale. Tout ces courants n’ont pas la même vision de la manière de construire une alternative de gauche, ni la même orientation vers les couches larges de travailleurs, ou encore n’ont pas les mêmes méthodes ouvertes pour arriver à une nouvelle formation. La première tâche des initiatives qui veulent aller en direction d’un nouveau parti des travailleurs est de gagner des couches fraîches de travailleurs et de jeunes à travers des campagnes vers les lieux de travail, les piquets de grève, les quartiers, les écoles et les universités. Au plus il existera de réels courants de gauche voulant participer de façon constructive à ce projet, au mieux cela sera selon le PSL/LSP. Mais, selon nous, il y a une différence fondamentale entre la «recomposition de la gauche» et le lancement d’un nouveau parti des travailleurs.

    Pour le PSL/LSP, des nouveaux parti larges des travailleurs sont des instruments importants pour avoir, à nouveau, une organisation de base, pour donner une voix à la lutte des syndicats sur le terrain national et politique, pour rassembler des travailleurs et des jeunes qui auparavant étaient isolés, pour élever la conscience sur le rôle du capitalisme, et pour entamer la discussion sur une société démocratique et socialiste.

    Mais les partis larges de travailleurs ne sont pas immunisés à la pression idéologique et matérielle de la bourgeoisie, comme cela peut déjà se remarquer au niveau international. En Italie, Rifundazione Comunista (RC) a participé au gouvernement néolibéral de Romano Prodi. RC était une scission du vieux Parti Communiste stalinien. Ce parti a adopté une position plus ouverte et se tenait à distance des dictatures de l’ancien bloc de l’Est. Dans les années ’90 déjà, RC avait des dizaines de milliers de membres et pouvait mobiliser, sur ses propres forces, une masse de gens dans les rues.

    Les dirigeants de ce parti tenaient malheureusement au capitalisme. Vu la crise actuelle de ce système, il n’y a presque plus de marges sociales pour acquérir des améliorations sociales permanentes. De nouveaux partis des travailleurs sont beaucoup plus vite confrontés au choix de s’adapter au marché capitaliste et ainsi mener une politique de casse sociale néolibérale, ou de rompre avec ce système et alors se battre pour une transformation socialiste de la société. En clair: réforme ou révolution. Malheureusement, la direction de RC a choisi les postes parlementaires et le carriérisme. Une crise profonde dans RC en a été le résultat, et l’aile droite du parti a dû partir. Il est aujourd’hui assez peu clair de voir dans quelle direction va évoluer RC et si ce parti pourra se débarasser du discrédit de sa participation gouvernementale.

    Le SP, en Hollande, avec des dizaines de milliers de membres Le PSL/LSP, un parti pour changer de société 31 sur papier, présente lui aussi une pensée anti-néolibérale. Ce parti était une alternative au PVDA social-démocrate devenu néolibéral. Mais au sein du SP également, un processus similaire à celui de RC en Italie s’est développé. La direction du SP a dans le passé laissé entendre qu’il était ouvert pour des coalitions même avec le CDA, un parti ouvertement à droite (si toutefois ce dernier devenait un peu plus social). Sur le plan local, le SP participe à des coalitions qui ont mené des privatisations. Il y a beaucoup de mécontentement au sein du SP sur l’absence de démocratie interne. Les vieilles méthodes maoïstes et le parlementarisme de la direction du SP jouent un grand rôle dans ce processus. Plus de 1.000 personnes auraient, à cause des ces problèmes internes, déjà montré un intérêt dans le lancement d’un nouveau parti vraiment socialiste et démocratique. On doit encore voir si la direction de cette nouvelle initiative va mettre en avant les mêmes objectifs, mais la chasse aux sorcières contre les éléments les plus à gauche dans le parti a déjà commencé. Selon le PSL/LSP, il y a un lien entre la forme que revêt une organisation et le programme politique. Si il veut défendre les intérêts des travailleurs et pas ceux d’une élite du parti qui vise des postes parlementaires, un parti doit véritablement fonctionner de façon démocratique.

    En Allemagne, Die Linke, avec Oskar Lafontaine, atteint parfois 15 % dans les sondages. C’est une confirmation du vide politique existant à gauche. Le fait que Lafontaine, comme Chavez, fait des références au «socialisme du 21ième siècle» est très positif. La défense des grèves et des grèves générales marque aussi un pas en avant important. Die Linke peut commencer à organiser une nouvelle génération contre la casse sociale néolibérale. Mais l’alternative de Die Linke reste malheureusement limitée. Le programme du parti défend une sorte d’économie capitaliste mixte, avec un plus grand rôle pour le gouvernement au lieu de la nationalisation des secteurs clés de l’économie sous le contrôle des travailleurs. En même temps, Die Linke peut être discrédité par sa participation au conseil néolibéral de Berlin, par exemple avec les empois «1 euro» (un euro par heure en plus d’une allocation de chômage déjà très basse). Le parti court le danger d’être vu comme complice des mesures antisociales.

    Selon le PSL/LSP, on peut seulement participer aux conseils locaux sur base d’une majorité socialiste en menant la lutte et en mobilisant les gens dans la rue pour plus de moyens financiers de la part du gouvernement central avec le but d’élaborer un «budget des besoins» qui représente une rupture visible et importante avec la politique néolibérale. C’est ce que nos camarades ont fait à Liverpool dans les années ‘80, alors qu’ils étaient l’aile gauche marxiste du Labour Party, la parti travailliste. Cela doit impérativement être lié à l’idée qu’un changement fondamental n’est possible qu’en brisant, sur le plan national et international, le pouvoir des grandes entreprises et en mettant en place une démocratie ouvrière.

    Le PSL/LSP pense donc qu’il y a une double tâche pour les socialistes révolutionnaires: défendre l’idée d’un nouveau parti des travailleurs, aider activement au lancement d’un tel parti afi n d’établir à nouveau les idées générales de lutte et socialisme, construire en même temps notre propre courant révolutionnaire afin de mettre en avant un programme révolutionnaire achevé et, avec d’autres socialistes, combattre l’influence des bureaucrates et des carriéristes – et leurs idées et méthodes de droites – au sein du nouveau parti. Très certainement dans une situation de victoires électorales, le danger existe que ces couches voient un nouveau parti non pas comme un instrument pour changer de société, mais comme un outil pour acquérir un poste confortable au Parlement.

    Un nouveau parti des travailleurs a donc intérêt à avoir une forte aile gauche marxiste afin de donner le plus de poids possible aux points fondamentaux tels que la démocratie interne et un véritable programme socialiste (ou en tout cas les éléments les plus importants d’un tel programme). Sur base de discussions et de l’expérience en commun, nous espérons à terme convaincre la majorité, aussi dans la société, de notre programme révolutionnaire socialiste.

    Perspectives et objectifs

    Elaborer des perspectives, stratégies et tactiques est une chose, mais tout cela ne vaut rien sans être lié à des tâches et objectifs concrets. Tout comme un entraîneur d’une équipe de football qui, dans le cadre de la stratégie et de la tactique déterminée collectivement, va voir comment chaque joueur peut individuellement contribuer sur base des ses qualités et de ses faiblesse, de la même façon, une organisation révolutionnaire socialiste doit faire le maximum pour utiliser toutes ses qualités et vaincre ses faiblesses.

    On ne doit pas mettre en avant des tâches et des objectifs – par exemple pour la vente du journal, la récolte de soutien financier ou le recrutement de nouveaux membres – impossibles à atteindre. On doit motiver les membres pour atteindre un objectif qui est dans leurs capacités. Ce qu’on fait, on doit bien le faire, sans essayer d’en faire beaucoup trop, en mettant en avant des objectifs à chaque niveau, et finalement pour chacun individuellement en s’assurant que toutes les capacités soient utilisées de façon optimales.

  • La crise exige une modification de la politique économique – La lutte des classes en déterminera le caractère (Quatrième partie)

    Dans cette partie, nous analysons les propositions à l’approche des négociations pour un accord interprofessionnel. Nous soulevons les difficultés pour boucler les budgets de 2008 et de 2009, qui devraient être finalisés le 14 octobre. Dans la dernière partie, nous révélons les drames sociaux déjà présents même avant que la crise se soit étendue à l’économie réelle.

    Texte de perspectives du Congrès National DU PSL/LSP. Ce texte a été écrit durant l’été.

    Handicap salarial ?

    112. Mais d’où vient alors cette ténacité chez les travailleurs à se mettre tout de même en action ? C’est vrai que nous n’avons pas encaissé les profits des entreprises, les dividendes des actionnaires ou encore les augmentations salariales des managers, mais nos salaires augmentent quand même plus vite que dans les pays voisins, n’avons-nous pas un handicap salarial ? Notre salaire horaire nominal a été relevé de 7,5% en 2007 et 2008, largement plus que la norme salariale de 5,1% que les syndicats avaient eu dans l’accord de février 2007. (1) Mais avec les statistiques, tout peut être prouvé. Le chiffre du Bureau du Plan de 2007-2008 est une estimation. En outre, le Bureau du Plan s’attend à une inflation de 6.5% pour la même période. Après déduction de l’inflation, il ne reste donc que 1% d’augmentation salariale. Cela doit représenter aussi bien l’augmentation de la productivité que les glissements des salaires et les augmentations barémiques. La Banque Nationale estime que l’augmentation de la productivité en 2007 a été plus basse que 1%, et ce pour la première fois depuis 2001. Elle estime le glissement des salaires sur 1% cette même année, c’est le phénomène d’augmentation du salaire moyen par le fait que le nombre d’emplois non qualifiés diminue pendant que le nombre d’emplois qualifiés augmente. (2) De plus, il s’agit ici de moyennes qui sont déformées par certaines catégories.

    113. En août, le Bureau du Plan a dégagé des chiffres qui donnent le vertige. Les salaires bruts réels, adaptés à l’inflation, des ouvriers masculins dans l’industrie auraient, dans le meilleur cas, diminués de 2.6% de juillet 2007 à juillet 2008. (3) Cela confirme une étude similaire précédente du Bureau du Plan en février de cette année, lorsque les salaires bruts réels de ces mêmes travailleurs avaient, à ce moment là, diminué de 2% sur base annuelle. (4) Les chiffres de la Banque Nationale ont confirmé que cette tendance valait aussi pour les employés et les ouvriers des autres secteurs. Comme raison principale, le Bureau du Plan met en avant l’index santé. Pourtant, déjà avant, la situation n’était pas positive. Fin 2007, il semblait déjà que « le paiement des salariés belges », le salaire, y compris les cotisations sociales, était pour la première fois depuis ’71 en dessous de 50 % du PIB. (5) Dans sa réaction, Cortebeeck, le président de la CSC, avait dit: “cela ne peut pas durer”, tandis que Rudi Thomaes de la FEB avait qualifié ces chiffres de “purement symboliques”.

    114. Des études ont paru, pour un oui ou pour un non, afin d’affirmer que les coûts salariaux belges déraillent, que le handicap du coût salarial augmente, etc. La plupart du temps, ce sont des études de l’OCDE qui reçoit ses chiffres des gouvernements nationaux qui, eux, les reçoivent des patrons. Selon la FEB, le handicap salarial s’élève à 12%. On se demande alors comment la Belgique reste un pays si attractif pour les investisseurs. Un coup d’oeil sur les frontières nous l’explique rapidement. Il semble que dans les pays voisins, on raconte les mêmes histoires. Le but de l’OCDE, des gouvernements nationaux,… n’est jamais de parler des salaires à voix haute, au contraire. La Banque Nationale est toutefois, elle, obligée de publier les chiffres réels. Il semble dès lors que les coûts salariaux par heure de travail dans le secteur privé, entre 1996 et 2007, ont diminué en Allemagne de près de 10%, en Belgique de 1% et a augmenté en France et au Pays-Bas de, respectivement, 6% et un peu plus de 15%.(6) La fête en Allemagne se prolonge d’ailleurs jusqu’à la fin. IG-Metall, le syndicat faisant autorité dans toute l’Europe avec ses 3.5 millions de membres, a exigé cette année 8% d’augmentation, revendication la plus élevée depuis 16 ans. Aujourd’hui, près de la moitié a été obtenu, mais cela aurait pu se finir autrement.(7)

    115. Il n’est donc pas étonnant que les attaques du président de la BCE Trichet sur l’indexation aient peu impressionné.(8) Les patrons ne sont pas réellement chauds pour une confrontation là-dessus, mais avec une adaptation de l’index à la fin 2007, deux fois en 2008, et probablement encore une fois dans la première partie de l’année 2009, l’avidité patronale peut être stimulée. Lorsque Thomas Leysen est devenu président de la FEB, qui selon lui représente 33.000 entreprises, il a déclaré : « il faudra bien que quelque chose se passe. » (9) Guy Quaden, gouverneur de la Banque Nationale, a suggéré une indexation en chiffres absolus plutôt qu’en pourcentage. De cette manière, les revenus les plus élevés feraient des économies sur l’indexation. Les syndicats ne sont pas tombés dans le piège. Luc Cortebeeck a répondu : « En tirant une partie de l’index à celui qui gagne un peu plus, on mine la portée de tout le système. » (10)

    Un accord interprofessionnel en fin d’année

    116. Contrairement à ce que les patrons suggèrent tout le temps, le travailleur belge n’a rien à se reprocher. A chaque fois, il apparait qu’il se trouve au top de la productivité. En terme de valeurs produites par heure de travail, avec une moyenne de 53,4$ par heure, il ne laisse passer devant lui que les travailleurs luxembourgeois (71,3$) et norvégiens (53,5$).(11) En Norvège, c’est principalement dû au secteur pétrolier. Les travailleurs américains (52,3$), néerlandais (52,2$), allemands (49,3$), français (51,3$) et surtout japonais (37,5$) sont tous moins productifs. En termes de valeur produite par travailleurs, les belges sont « seulement » à la cinquième place. C’est parce que les travailleurs belges travaillent en moyenne 1.610 heures par an, les américains 1.785 et les irlandais 1.870. Les néerlandais, par contre, travaillent en moyenne 1.413 heures, les français 1.559 et les allemands 1.432. (11)

    117. Mais pour certains, ce n’est jamais assez. Le provocateur Van Eetveelt, d’Unizo, ne nous a pas réellement surpris lorsqu’il a prétendu qu’il n’y aurait pas d’espace pour des augmentations salariales. « Ce serait déjà tout un art de pouvoir sauvegarder notre système d’indexation. » Pour la diminution des charges par contre, il voit encore quelques possibilités. (12) Son rêve ? « Travailler 6 jours, pas d’augmentation. Pourquoi ne pas augmenter la semaine de travail de 38 à 48 heures ? Pendant des périodes chargées, on doit pouvoir prester plus. » (13) Ainsi, Van Eetvelt joue son rôle classique : il lance des pistes là où d’autres n’osent pas se prononcer. La FEB va aussi aux négociations pour l’accord interprofessionnel avec des mots d’ordre clairs. Ils en ont 5 : le pouvoir d’achat n’est pas un problème, les salaires sont trop élevés, le marché du travail n’est pas assez flexible, les belges travaillent trop peu et les autorités n’ont pas une vision à terme car malgré l’augmentation de l’espérance de vie, les carrières restent trop courtes. Peter Timmermans, directeur général, rajoute que les négociations d’un accord seront plus difficiles que jamais.

    118. Il y a déjà quelques années que nous disons que les petites et moyennes entreprises de livraison seront très vulnérables dans le cas d’une récession. Les 8 premiers mois de 2008, on comptait déjà 5.191 faillites, 8,3% de plus qu’en 2007 et nous sommes sur la voie de casser le record de 2004 de 7.935 faillites. Ces faillites ont entrainé la perte de 12.000 emplois, il s’agissait surtout de petites entreprises. L’assainissement du groupe pharmaceutique UCB où 555 emplois sont menacés à Bruxelles et à Braine-le-Comte, n’en fait pas partie. Il ne s’agit pas d’une faillite. Mais c’est bien un affront pour le gouvernement wallon, puisqu’il appartient au secteur de pointe du plan Marshall. La plus grande augmentation des faillites s’est produite à Bruxelles (+20%), en Wallonie (+10%) et beaucoup moins en Flandre (+1,4%) où 2.387 faillites ont néanmoins été enregistrées. Mais tout ceci avant que la récession n’ait réellement commencé. (14)

    119. En septembre, une accélération s’est produite aussi en Flandre. Déjà avant l’été, Beekaert avait fermé sa production de cables d’acier à Lanklaar : une perte de 136 emplois. En été, Punch International a fait de même avec son usine d’enjoliveurs à Hoboken : -315 emplois. En septembre, Barco a décidé de railler 113 emplois dont 2/3 en Belgique. Ce même mois, Picanol a annoncé la perte de 190 emplois à Ypres. L’entreprise de textile Beaulieu restructure à Wielsbeke, -209 emplois et ferme sa filiale à Ninove, -178 emplois. Chez Gilbos à Herdersem, construction de machines de textile, 48 emplois disparaissent en conséquence du démantèlement d’activités de livraison. Domo Gand ferme sa filiale Cushion Floor à Zwijnaarde, 91 ouvriers et 47 employés perdent leurs emplois. En termes de faillites, il y a la fermeture d’UCO-Gand, -400 emplois et du fabricant de meubles Sint-Jozef à Aarschot, -33 emplois. Tout cela seulement en septembre 2008.

    120. Pour le patronat, c’est la situation rêvée pour faire monter la pression et se débarrasser de personnel superflu. Probablement espère-t-il effrayer les travailleurs et en même temps procurer une arme pour paralyser la base aux amis secrétaires syndicaux, tels que Herwig Jorissen de la centrale des métallos de la FGTB qui vient d’être divisée sur base communautaire. Bien que la vague de faillites pourrait provoquer des doutes pendants quelques semaines, nous ne croyons pas que cela va paralyser le mouvement des travailleurs. L’appel confus de la FGTB pour une journée d’action le 6 octobre l’exprime. Les différentes centrales interprètent la situation de manière différente.

    121. Certains plaident à juste titre pour démarrer la mobilisation par une manifestation nationale. Le 25 septembre déjà, les travailleurs des autorités locales et régionales de Bruxelles ont bloqué toute la ville par des blocages filtrants. A Belgacom, les trois syndicats ont organisés une assemblée commune pour la première fois en 40 ans. (15) Dans la centrale des métallos de la FGTB Wallonie et Bruxelles, on voulait partir immédiatement en grève durant 48 heures, entrainant le danger d’être trop en avance sur la conscience qui vit dans d’autres secteurs. La Centrale Générale et le Setca ont plaidé pour organiser d’abord une manifestation nationale. A De Lijn et à la STIB, on a pratiquement immédiatement commencé à organiser la journée de grève du 6 octobre. En Flandre orientale, en préparation, des assemblées interprofessionnelles sont organisée. A Anvers, on veut organiser un blocage filtrant du port. Cette situation chaotique va restaurer l’atmosphère d’action qui existait avant l’été et préparer les forces pour une confrontation à l’approche des négociations sur l’accord interprofessionnel (AIP).

    122. Dans les appareils syndicaux, la contradiction sera poussée jusqu’au bout entre ceux qui veulent totalement atomiser le mouvement et rêvent probablement déjà d’une carrière ailleurs, et d’autres plus sensibles aux pressions de la base et veulent le refléter même si ce n’est que de façon très limitée. Les parties plus radicales des organisations patronales (Voka, Unizo, VKW, Agoria) vont vouloir se baser sur cette contradiction pour lancer des revendications de plus en plus osées et aboutiront probablement à un discours très communautaire. Les parties plus intelligentes du patronat, le sommet de la FEB, reflèteront de temps en temps la pression de ces fragments radicaux et l’utiliseront lorsque cela leur conviendra, mais essaieront en général de temporiser pour permettre aux dirigeants syndicaux de ne pas perdre leur contrôle sur la base et pour permettre aux politiciens de rétablir la stabilité.

    123. Il y a probablement une partie des organisations patronales qui estime ne pas avoir besoin d’un accord interprofessionnel. Les grosses entreprises et leurs représentants, par contre, considèrent un accord interprofessionnel comme un instrument pour freiner une vague d’actions et de grèves dans les secteurs et entreprises et seront probablement en faveur d’un accord même si cela exige des concessions limitées. Mais un des problèmes, c’est que le gouvernement ne dispose pas de moyens pour aider à venir à un accord avec des moyens supplémentaires.

    La création d’un budget

    124. Le gouvernement a d’ailleurs un gros problème. Après s’être chamaillé pendant 15 mois sur le communautaire, il doit toujours faire aboutir son premier budget. Le précédent, était a à l’époque été fait par les ministres de la violette. Le fait que Melchior Wathelet, le ministre du budget sous Leterme Ier, soit devenu le « secrétaire d’Etat au Budget », alors qu’il est en plus responsable de la politique des familles, était déjà un signe. Avec Reynders sur les finances, c’est fatal, celui-ci s’est de nouveau trompé dans ses comptes. Selon le service d’étude des finances, les impôts en 2008 rapporteront 1,1 milliards d’euros en moins que prévu lors du contrôle budgétaire de juillet.(16) Ce sont surtout les revenus de la TVA, et les précomptes professionnels, qui ont été décevant, l’un à cause de l’affaiblissement de la consommation, l’autre à cause des diminutions de charge sur les heures supplémentaires, le travail de nuit et en équipe. Mais pour Reynders, un déficit de -0,3% n’est pas problématique. Cela pourrait d’ailleurs devenir -0,5%. La contribution de Suez de 250 millions d’euros n’est toujours pas réalisée et celle du gouvernement flamand, presque 400 millions d’euros, ne rentrera pas puisqu’il n’y a pas encore de réforme d’Etat.

    125. La construction d’un budget pour 2009 sera encore plus difficile. Pour le Bureau du Plan, la croissance diminue jusqu’à 1,2% et si la politique appliquée n’est pas changée, il faudra au moins trouver 5 milliards pour arriver à un équilibre. De plus, le gouvernement a promis de lier les allocations au bien être (200 millions en 2009), de diminuer encore les charges sur les entreprises et de réaliser une marge de 0,3%. (17) Leterme prétend chercher 5 milliards, mais selon Knack et Trends, il devrait en trouver 7. Le 14 octobre, il doit prononcer son discours sur sa politique dans le parlement fédéral. Luc Coene, vice-gouverneur de la Banque nationale, de cachet VLD, a lancé déjà quelques pistes début septembre. « Les années précédentes, les dépenses sociales ont connu une croissance de 2,3% du PIB de plus que prévu. Ce rythme de croissance des dépenses doit diminuer. » Il trouve aussi que « les dépenses publiques doivent être tenues sous contrôle. »

    126. Coene ne veut évidemment pas dire que le gouvernement doit quitter sa politique de baisse des charges. Evidemment non, car il prétend que « Après la suède, la Belgique est toujours à la deuxième place sur le plan mondial en ce qui concerne la pression fiscale. » Que faut-il alors ? Voici une sélection du Standaard. Celui-ci titre le 6 mai 2008 : « 40% des fonctionnaires partent en pension d’ici 5 ans ». Le 22 mai, « remplacer seulement un fonctionnaire sur 3 ». Le 26 juin, « Avec 72.000 fonctionnaires de moins, cela marche également ». Finalement, Van Eetvelt a écrit dans une carte blanche à la presse : « L’Etat doit vivre selon ses moyens, comme toute entreprise ». Qui vient de décider que l’Etat est une entreprise ? Il ne le mentionne pas. Pour Van Eetvelt, les dix prochaines années, 11.000 fonctionnaires peuvent disparaitre, et ceci sans bain de sang social et sans diminuer l’efficacité des autorités. Ainsi Van Eetvelt veut répondre à quelques experts financiers qui venaient de déclarer il y a quelques jours qu’ils ne croient pas en des économies sur les fonctionnaires et les soins de santé. (18)

    127. Selon ces experts, une économie sur les 80.000 fonctionnaires fédéraux ne rapporte que très peu. Le gros des coûts salariaux se trouve d’ailleurs dans les communautés et les administrations locales. Ils disent ne pas conseiller d’économiser sur les enseignants. Et évidemment, Van Eetvelt et compagnie ne sont pas d’accord. Ils savent aussi qu’une entreprise sur trois est en infraction selon l’inspection sociale (19), que l’administration fiscale est en manque systématique de personnel. Ne plus remplacer les fonctionnaires fédéraux qui partent en pension signifie parallèlement l’érosion de services publics gênants tels que l’inspection sociale et la lutte contre la fraude fiscale. En ce qui concerne l’enseignement, Van Eetvelt et compagnie ont leur réponse : l’immigration économique, c’est meilleur marché. Avec la ministre Open-VLD Turtleboom, ils ont installé une dame de fer sur cette matière.

    128. Les spécialistes trouvent aussi que faire des économies sur les soins de santé est irréaliste. « A cause du vieillissement, les dépenses pour les soins de santé croissent systématiquement ce qui rend difficile d’économiser. » Marc Devos, du groupe de réflexion ultralibéral Itinera, totalement hors de soupçon d’une quelconque sympathie de gauche, dit que les soins de santé sans réforme vont directement vers des déficits. Ce que les patients paient pour les soins de santé a augmenté systématiquement contre la tendance européenne et ceci pendant que la qualité a systématiquement reculé. L’OCDE place nos soins de santé à la 18e place (sur 26) en termes de performance. Le nombre de soins prestés est bon mais les résultats sur la santé, tels que l’espérance de vie, la mortalité infantile, les décès dus à des cancers guérissables,… tirent notre système vers le bas. Aux USA, au Canada, en Suisse, en Espagne et au Portugal, les patients eux-mêmes paient une plus grande partie de soins de santé. Pourtant, Itinera plaide pour une limitation de la croissance du budget : « Puisque, autrement, la volonté de réforme n’est pas stimulée. »

    129. Van Eetvelt a calculé qu’en diminuant la norme de croissance de 4,5 à 2,8% en 2009, 365 millions d’euros peuvent être économisés sur les soins de santé. « Sans problème pour la santé de la population », ajoute-t-il. Sur le terrain, on n’en est pas convaincu. Là, on montre du doigt le fait qu’il faut tenir compte des développements techniques et scientifiques. Les prothèses des genoux, des hanches, ou les opérations de la cataracte sont heureusement devenus beaucoup plus accessibles qu’à la fin des années ‘80, mais la facture augmente. La norme de croissance actuelle menace d’ailleurs tout le secteur. Des hôpitaux se plaignent de déficits structurels. A Bruxelles, plusieurs hôpitaux sont au bord de la faillite. Au rythme actuel, on évolue de plus en plus vers des soins de santé à 2 vitesses, avec des soins de base pour ceux qui ne peuvent plus se le permettre. On fait d’ailleurs appel de plus en plus à des aides soignants mal payés et la charge du travail est systématiquement augmentée.

    130. Où les experts voient-ils alors les possibilités pour équilibre le budget ? « Du côté des revenus, il y a encore des possibilités. C’est déjà la deuxième année consécutive que les revenus des impôts sont en retard de 1 milliards sur le schéma. Avec plus de contrôle, une partie du problème budgétaire serait résolu. » Et plus encore : « Le gouvernement fédéral doit quitter les recettes classiques et taxer le capital. » La crise de crédit internationale et l’indignation généralisée sur l’avidité d’une infime minorité aux dépend de la grande majorité de la population traversent toute la société. C’est ce qui explique le sens soudain des réalités de quelques experts qui voient dans l’avidité de Van Eetvelt et compagnie une menace pour la légitimité du système de profits. Nous sommes ici témoins d’un phénomène classique, c’est-à-dire que la révolution se manifeste d’abord au sommet de la société et non comme on le pense souvent à la base de celle-ci.

    131. Pour la majorité des stratèges (petits-) bourgeois et leurs marionnettes politiques, le danger n’est aperçu que lorsqu’il se trouve déjà sous leur nez. En général, ils y ajoutent encore une cuillère. En juin encore, le VLD a revendiqué une baisse des charges à hauteur de 4,4 milliards d’euros. Au niveau de la Flandre, le VLD voulait en plus une diminution de taxe, de ce que l’on nomme le job-korting, à la hauteur de 600 euros, une diminution de l’impôt des sociétés à hauteur de 350 millions d’euros et une augmentation de l’exonération des précomptes professionnels sur le travail de nuit et d’équipe de 10,7 à 15,6%. Finalement, le VLD veut aussi de plus grands avantages fiscaux pour des heures supplémentaires.(20) A la fin de février 2009, tous les flamands qui ont un travail recevront une diminution de taxe de maximum 300 euros, avec un maximum de 600 euros par foyer. Cette diminution ne sera cette fois pas éparpillée sur les 12 mois, mais calculée dans le précompte professionnel sur le salaire de février, trois mois avant les élections. « De cette manière, la diminution est visible pour chaque flamand. »

    132. Sur le plan fédéral, le VLD a aussi un liste de revendications : activation plus intensive des 50 ans et plus, réduction des termes d’invitation des chômeurs à un entretien de contrôle, dégressivité des allocations, remplissage plus souple de la semaine de 38 heures et immigration économique. Et, enfin, l’Open-VLD veut s’attaquer aux fraudes sociales. Selon Rik Daems, on peut aller y chercher 3 milliards d’euros, ce qui n’est pourtant qu’un dixième de la fraude fiscale estimée dans une étude de Mc Kinsey et de la VUB à 30 milliards d’euros annuellement. Daems ne vise évidemment pas les cotisations sociales non payées par les patrons, ni les heures supplémentaires payées en noir ou les patrons qui emploient illégalement des travailleurs. Il vise exclusivement ceux qui combinent une allocation avec un peu de travail en noir à gauche et à droite. Selon la criminologue de l’ULB Carla Nagels, Daems a une vision extrêmement libérale de la lutte contre la fraude sociale.

    Drame social en construction

    133. Daems et compagnie sont à peine capables de s’imaginer ce qui pousse des gens à accepter du travail au noir, pour autant que ça les intéresse. Dans une étude pour l’institut du développement durable, Philippe Defeyt, président du CPAS de Namur, est venu à la conclusion que de plus en plus de familles refusent dorénavant de prendre en charge leurs enfants. Un jeune de moins de 25 ans sur vingt est dépendant d’une allocation du CPAS.(21) Le nombre de personnes dépendantes d’un revenu d’insertion sociale a augmenté de 75.400 en 2005 à 82.000 en janvier 2008.(22) Un belge sur 7 (14,7%) a un revenu inférieur à 60% du revenu médian, le seuil de pauvreté officiel. Celui-ci est de 860€ pour une personne isolée et de 1.805€ pour une famille avec deux enfants. (23) En Wallonie, ils sont 17%, en Flandre 11,4%. Le salaire minimal est de 1.355,78€ brut. 260.000 belges combinent deux ou plusieurs emplois. Selon Elsy Verhofstadt, chercheur à la RUG, ils le font principalement « pour pouvoir gérer les prix de mazout, d’immobilier ou de nourriture. » (24)

    134. Les propositions du VLD pour augmenter la politique d’activation et pour la dégressivité des allocations arrivent à un moment où une personne sur 8 en Belgique vit dans une famille sans emploi. En Europe (27), seules le Royaume-Uni et la Hongrie font un plus mauvais score sur ce plan là. 16% des européens vivent avec un revenu en dessous du seuil de pauvreté, dont la moitié fait partie d’un foyer où au moins une personne travaille. Le phénomène du « travailleur pauvre » se produit donc aussi en Europe.(25) Depuis 2004, 12.516 chômeurs se sont vus suspendre leurs allocations, dont 3.605 définitivement, les autres temporairement, en général pour 4 mois. Plus de la moitié des suspensions ont été faites sur la seule année 2007 ! En Flandre, on laisse sousentendre systématiquement que la politique d’activation en Wallonie et à Bruxelles serait appliquée de manière insuffisante. Pourtant, bien que la Flandre compte 32,96% des chômeurs au niveau national, « seulement » 28,63% des suspensions y ont été appliquées. La Wallonie, avec 49,62% des chômeurs, compte 50,02% des suspendus. Pour Bruxelles, 17,42% des chômeurs et 21,35% des suspendus. (26)

    135. On aurait l’impression que le chômage n’est pas vraiment un problème, à l’exception de quelques profiteurs acharnés. En 2007, 116.000 emplois auraient été créés. Le nombre total de travailleurs est de 4,4 millions contre 3,6 millions au début des années 80. Nous avons toujours dit que des bons emplois étaient remplacés par des mauvais, des emplois flexibles, partiels et temporaires, évidemment aussi avec un salaire bas et partiel. De plus, la majorité de ces emplois font partie de ceux qui sont payés avec des moyens publics tels que les chèques-services. Selon l’enquête des forces de travail (EFT) du service public fédéral, 3,9% de la population active en Flandre était sans emplois, 10,3% de celle en Wallonie et 16,3% de celle à Bruxelles. Les chiffres d’EFT utilisent la définition de sans-emploi du Bureau International du Travail et sont plus bas que ceux de l’ONEM. (27)

    136. En 1964, le nombre d’heures de travail prestées annuellement en Belgique a reculé pour la première fois en dessous de 8 millions, en 1973 en dessous de 7 millions. En 1964, cela se faisait avec 3.740.000 travailleurs, en 1973 avec 3.777.000 travailleurs. C’était la conséquence de la réduction du temps de travail arraché par la lutte des travailleurs. En 1999, nous étions pour la première fois plus de 4 millions de travailleurs et ensemble nous avons presté 6,5 millions d’heures de travail. Ce n’était plus le résultat d’une lutte pour une réduction du temps de travail, mais plutôt de l’augmentation de l’emploi à temps partiel jusqu’à 19,5%. En 2007, 4.337.000 travailleurs, dont déjà 23,7% à temps partiel, ont presté 6,9 millions d’heures de travail, fortement moins que pendant les golden sixties. (28) A cette époque, un salaire par foyer suffisait pour s’en sortir, aujourd’hui c’est devenu intenable. Surtout ceux qui gagnaient le moins dans le foyer, sont obligé de combiner l’entretien de la famille avec un emploi à temps partiel ; 42,6% des femmes travaillent à temps partiel, 7,8% des hommes. (29)

    137. Mais tout ceci, c’était avant que la crise ne se traduise dans l’économie réelle. Entre-temps, le nombre de faillites augmente de manière spectaculaire. Les récessions précédentes menaient systématiquement à de fortes explosions du chômage. Celle de 74-75 a rayé 350.000 emplois dans l’industrie. Ceci a été compensé parce que les autorités ont créé à peu près 250.000 emplois dans les services publics, mais les chiffres de chômage de la période précédente, autour de 75.000, appartenaient définitivement au passé. La crise de ‘81-83 a doublé le nombre de chômeurs officiels jusqu’à 500.000, un chiffre en dessous duquel on n’a plus jamais réellement été. Depuis, les gouvernements consécutifs ont commencé à modeler les statistiques. Mais cela n’a pu empêcher une augmentation forte du degré de chômage officiel lors de la crise de ‘90 de moins de 9% à 15% dans la deuxième partie de ‘95. La mini crise de 2008 a fait sauter le nombre de chômeurs de presque 200.000. Ces dernières années, le chômage est descendu, mais malgré les chèques services et d’autres types de statuts, même pas jusqu’au niveau du point le plus bas précédent, de juin 2001, ne parlons même pas de celui du début des années ‘90. (30) En août 2008, De Tijd s’est demandé : « Un orage d’automne menace-t-il le marché de l’emploi ? » Le journal fixe notre attention sur le fait que le marché du travail ne réagit qu’avec un retard d’une demi-année sur des changements conjoncturels et que pour la fin de l’année, il y a bien des raisons de se faire des soucis. (31) A Bruxelles, depuis, le chômage est remonté de 18,8% avant l’été à 19,4% en septembre 2008. (32)

    138. Leterme avait probablement espéré autre chose, mais il peut se préparer à une augmentation forte des dépenses sociales. Celles-ci avaient légèrement reculé dans la période 2003-2007 de 23% du PIB à 22,5%. Pendant cette même période, la sécurité sociale a connu trois fois un surplus, une fois un déficit (2003) et une fois un équilibre (2005). En 2007, les recettes de la sécurité sociale étaient de 64 milliards d’euros. C’est composé principalement de salaires différés – nommées cotisations patronales et les cotisations des travailleurs – pour 43 milliards d’euros et de ce que l’on nomme les contributions des autorités, pour 18 milliards d’euros, principalement des financements alternatifs (presque 10 milliards d’euros). Encore en 2007, la sécurité sociale a dépensé 62,5 milliards d’euros, principalement dû à ce qui était son but, c’est-à-dire les allocations sociales et les coûts du personnel, mais aussi de plus en plus pour des subsides aux entreprises (1,6 milliards déjà). Des allocations sociales en 2007, 21 milliards ont été dépensés aux soins de santé, 19 milliards aux pensions, 7,8 milliards au chômage (comprenant aussi une partie des prépensions), 4,5 milliards aux allocations familiales, et 4 milliards aux incapacités de travail. (33)

    139. Pendant des années, on nous a effrayé avec le vieillissement et le fait que nos pensions seraient impayables. Pour chaque personne de plus de 60 ans, il y a aujourd’hui 2,5 travailleurs actifs, en 2015 ce ne sera plus que 2,1 travailleurs actifs. Presque tout le monde connait l’ordre de grandeur de ces chiffres. Via la télé et d’autres médias, ils ont été imprégnés dans notre conscience de la même manière que l’on marque le bétail au fer rouge. Cela servait à nous faire accepter l’érosion de notre pension. Pendant des décennies, des économies à charges de nos personnes âgées n’auraient provoquées que des indignations. Encore aujourd’hui, il n’y a rien de pire que quelques jeunes qui se moquent, volent ou maltraitent des personnes âgées, ou qui les laisse tout simplement à leur propre sort. C’est pourtant l’exemple que nos gouvernements donnent depuis des années. L’allocation de retraite moyenne d’un salarié masculin n’est plus que de 1.000 euros, d’une salariée féminine, de 700€. Les recherches démontrent que les « pensions supplémentaires » arrivent pratiquement exclusivement chez ceux qui ont déjà une pension légale élevée. (34)

    140. Entretemps, la pension moyenne après taxation n’est plus que de 64,4% du salaire moyen. En Grèce et aux Pays-Bas, c’est plus de 90%. Au Luxembourg, un pensionné reçoit, pendant sa vie, si on totalise toutes ses allocations, en moyenne 664.240€ contre 179.056€ en Belgique, moins qu’en Grèce qui connait pourtant un niveau de vie en moyenne beaucoup plus bas (35). Délaisser les personnes âgées de telle manière est l’expression la plus écoeurante d’une société basée sur l’avidité. Après avoir réalisé ce drame, le Bureau du Plan nous amène des nouvelles : le vieillissement sera dans les prochaines années moins fort qu’on ne l’avait prévu. Mais ceci n’est pas une raison de ne plus rien faire : en 2050 (la date a reculé de 35 ans), il y aura 44 personnes âgées de plus de 65 ans (on n’y a ajouté 5 ans) sur 100 travailleurs actifs. Les voyants du Bureau du Plan prévoient 30,38 personnes âgées de plus de 65 ans sur 100 travailleurs actifs pour la région Bruxelles-Capitale, 42,68 en Wallonie et 47,38 en Flandre. (36)

    141. Nous avons déjà traité des économies sur les salaires et sur les conditions de travail des salariés, des emplois flexibles et sous-payés des jeunes, de l’immigration sélective, des attaques sur les chômeurs, les malades et les pensionnés. Et pourtant nous ne sommes pas encore à la fin. Selon l’Agence flamande des personnes handicapées, les listes vacantes pour les personnes handicapées ont augmenté de 5.689 en 2003 à 8.200 en 2007. (37) Pour une région qui est capable de donner le fameux « job-korting » et d’autres cadeaux à l’approche des élections, cela témoigne de mauvais goût.


    (1) Bureau Fédéral du Plan, communiqué du 12 septembre 2008

    (2) Rapport annuel de la Banque Nationale, 2007, p. 97 et 99

    (3) De Tijd, 27 août 2008, Reële lonen werknemers dalen

    (4) De Tijd, 27 février 2008, Lonen kunnen prijzen niet volgen

    (5) De Tijd, 3 octobre 2007, Lonen stijgen trager dan BBP. Entre 2002 et 2006, les salaires (nominaux) et les allocations sociales ont augmenté de 13% pour atteindre 158,2 milliards €, dans cette même période, le surplus d’exploitation brut et les revenus mixtes, principalement composé des revenus des entreprises, a connu une croissance de 26% pour atteindre 121 milliards €. Le PIB était de 316,6 milliards €.

    (6) Rapport annuel de la Banque Nationale, 2007, p. 103, graphique 41

    (7) De Tijd, 9 septembre 2008, IG Metall eist 7 tot 8 procent meer loon

    (8) Des 15 Etats-membres, 6 possèdent une indexation automatique ou partielle : la Belgique, le Luxembourg, l’Espagne, la Slovénie, Chypre et Malte. Dans certains pays, il existe en plus une indexation du salaire minimum.

    (9) De Morgen, 19 avril 2008, De index is geen ideaal systeem

    (10) La Belgique et le Luxembourg sont les seuls pays avec une indexation automatique. Le système se base sur les prix de 507 produits. Dès que l’index atteint un certain, niveau, appelé l’index pivot, une adaptation à l’index s’applique. Pour les allocations dans le mois qui suit, pour les services publics et quelques secteurs du privé dans le deuxième mois qui suit. Si certains perdaient une partie de leur indexation, cela minerait leur attachement à l’index et détricoterait le front en défense de l’indexation.

    (11) The Conference Board & Groningen Growth and Development Centre – summary statistics et total economy database, janvier 2008 – en 2007 US $

    (12) De Tijd, 25 juillet 2008, Unizo trekt streep onder loonsverhogingen

    (13) Het Nieuwsblad, 17 septembre 2008, Zes dagen werken, geen opslag

    (14) De Tijd, 2 septembre 2008, Faillissementen op record na acht maanden

    (15) De Tijd, 2 septembre 2008, CAO-overleg Belgacom nog onzeker

    (16) De Tijd, 3 septembre 2008, Belastingsinkomsten met 1,1 miljard in het rood

    (17) Knack, 24 septembre 2008, Rolverdeling met een hoge prijs

    (18) De Tijd, 4 septembre 2008, We moeten besparen, maar waar?

    (19) De Tijd, 8 février 2008, Een op drie bedrijven overtreedt wet

    (20) De Tijd, 6 juin 2008, Open VLD eist 4,2 miljard minder lasten

    (21) Le Soir, 12 septembre 2008, Un tiers de jeunes dans les CPAS

    (22) Le Soir, 5 juillet 2008, Le public des CPAS continue de s’élargir

    (23) Le revenu médian est la somme qui compte autant de gens avec un revenu supérieur que de gens avec un revenu inférieur. Le revenu moyen est la somme de tous les revenus divisée par le nombre de personnes ayant un revenu.

    (24) Laatste Nieuws, 26 mars 2008

    (25) De Tijd, 26 février 2008, Een op de acht Belgen leeft in gezin zonder job

    (26) De Tijd, 21 février 2008, RVA-activeringsbeleid leidde sinds 2004 tot 12.500 schorsingen

    (27) De Tijd, 15 mai 2008, 116.000 extra banen in recordjaar 2007

    (28) The Conference Board & Groningen Growth and Development Centre –total economy database, janvier 2008

    (29) Site des autorités fédérales, emploi et chômage

    (30) Taux de chômage en pourcentage de la population active

    (31) De Tijd, 2 augustus 2008, Dreigt herfststorm op arbeidsmarkt

    (32) Le Soir, 4 septembre 2008, Deuxième mois de hausse consécutive pour le chômage

  • Congrès du Parti Communiste du Québec (PCQ)

    Des débats démocratiques et ouverts

    Dans sa lutte contre le règne du monde des affaires, le mouvement ouvrier ne peut se permettre de négliger l’internationalisme ni la solidarité internationale. Ceci permet de comprendre pourquoi le MAS/LSP est affilié au Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO, Comittee for a Workers’ International – CWI). Qui plus est, le CIO et ses sections maintiennent une correspondance animée avec d’autres groupes ailleurs dans le monde, tels que le Parti Communiste du Québec (PCQ).

    Eric Byl, MAS/LSP (section belge du CIO)

    Eric Byl op het congres van de PCQ

    J’ai eu la chance de représenter le CIO au 16ème Congrès du PCQ. J’y étais accompagné d’un camarade de Toronto, qui représentait la section canadienne du CIO. Le congrès s’est tenu au Québec, un pays qui a la taille d’un continent, mais qui n’est peuplé que de 7 millions d’habitants. Je renvoie les lecteurs au site du PCQ pour y trouver les photos du cadre splendide dans lequel s’est déroulé le Congrès. Il m’a fallu un peu de temps pour m’adapter au dialecte québécois, mais j’ai été reçu avec une chaleur qui n’était pas sans me rappeler celles des Flamands, des Wallons, des Ecossais, des Bretons ou des Gallois.

    Qu’est ce que le PCQ ?

    Le PCQ a pour origine les partis communistes traditionnels, et s’est également inscrit dans la tradition maoïste. Parmi sa jeune génération, on trouve un intérêt croissant pour les idées du trotskysme. Le PCQ admet ne pas voir atteint la même clarté politique que le MAS ou le CIO. Le parti évolue. Cette évolution se déroule, cependant, de la manière la plus sincère, ouverte, et démocratique qui soit, sans aucune manœuvre sous-jacente. Tout au long du Congrès, j’ai été agréablement surpris par la volonté de considérer chaque proposition et d’adapter chaque formulation afin d’en ôter les obstacles.

    Ce n’est qu’en 2006 que le PCQ a supprimé toute référence au « marxisme-léninisme » de ses statuts. C’est généralement de cette tendance que se réclament les adeptes du « socialisme dans un seul pays », du parti unique et de la discipline autoritaire au sein du parti, ce qui n’a rien à voir avec Marx ni avec Lénine. En supprimant ces références, le PCQ a insisté sur son objectif d’atteindre un socialisme démocratique. C’est également ainsi qu’il se définit dans son journal mensuel, La Voix du Peuple: «révolutionnaire, avec comme objectif le remplacement du capitalisme mondial par un socialisme démocratique».

    Dans la même présentation, le PCQ écrit qu’il désire se battre pour toute amélioration de la condition des travailleurs, mais argumente aussi en faveur de l’abolition de l’exploitation. Le PCQ appelle au «démantèlement des Etats capitalistes du Canada et des Etats-Unis», et à leur remplacement par des «Etats ouvriers basés sur des conseils des travailleurs démocratiquement élus».«Ces Etats ouvriers pourraient alors combiner leurs forces dans le cadre d’une nouvelle confédération, basée cette fois non pas sur l’exploitation, mais sur la coopération sur une base volontaire». Toutes ces déclarations sont des idées avec lesquelles peuvent s’identifier le MAS/LSP et le CIO. Le PCQ est en faveur d’un Québec indépendant et socialiste, dans le cadre d’une confédération socialiste des Etats nord-américains.

    En même temps, le PCQ doit admettre qu’il a besoin de plus de temps pour arriver à une vision commune en ce qui concerne les événements passés en Union Soviétique et en Chine, en 1956 en Hongrie et en 1968 à Prague. De même quant aux discussions autour du «socialisme dans un seul pays», des fronts populaires par contraste au front unique contre le fascisme, et en ce qui concerne le besoin d’un programme de transition. Le processus de discussions approfondies sur les perspectives politiques, économiques et sociales pour définir à partir de ces discussions quelles sont les tâches concrètes du moment – qui est une tradition chez le CIO et le MAS/LSP – est inconnu du PCQ.

    Toutefois, une similarité importante existe avec le CIO et le MAS/LSP, dans le sens que le PCQ avance lui aussi la nécessité d’un nouveau parti large des travailleurs. Tout comme le CIO et le MAS/LSP, le PCQ fait tout son possible pour promouvoir la création d’un nouveau parti des travailleurs. Que ce soit dans la création du CAP en Belgique, de la fondation du PSoL au Brésil, et dans l’édification du WASG en Allemagne, les sections du CIO ont à chaque fois joué un rôle important. De la même manière, le PCQ a mis sa force militante à contribution dans la fondation de l’Union des Forces Progressistes (UFP) et, ensuite, de Québec Solidaire (QS), qui compte aujourd’hui environ 6500 membres.

    Ouvert et démocratique

    De la même manière que les différentes sections du CIO, le PCQ a fait l’expérience d’autres groupes qui parlaient d’ «unité de la gauche» mais gardaient leurs militants bien en sécurité hors de tout. En outre, d’autres groupes ont tenté d’imposer toutes sortes de restrictions au PCQ, expérience familière au CIO. Comme pour le SAV (section allemande du CIO) dans Die Linke, et le MAS/LSP dans l’alliance UAG (Une Autre Gauche) puis dans le CAP, le PCQ a dû mener une lutte constante au sein de l’UFP, puis également dans QS, pour pouvoir préserver son droit à continuer d’exister en tant qu’organisation indépendante. Heureusement, au sein de l’UFP, ce débat a été mené de manière démocratique et a été soumis au vote d’un Congrès lors duquel une large majorité des trois cents délégués s’est déclarée en faveur des droits du PCQ. Une autre ressemblance frappante est que le PCQ a été confronté aux manœuvres d’autres groupes. Contrairement au PCQ, certains groupes préférèrent ne pas se battre pour le droit à une existence indépendante, tout en manœuvrant afin de faire élire leurs membres soi-disant «indépendants» aux organes exécutifs de QS.

    Le PCQ est un petit parti, et toujours en cours d’évolution. En ce qui concerne la construction et la clarification des idées, beaucoup doit encore être fait, mais ce parti est bien positionné, surtout eu égard à sa longue expérience au sein de l’UFP et de QS. Son attitude dans QS lui a gagné du respect. Son honnêteté, son ouverture et son attitude démocratique lors des débats internes sont des accomplissements immenses, pour lesquels il mérite de l’admiration. Nous allons rechercher une intensification du processus d’échange d’idées et de solidarité avec le PCQ dans la période à venir.

  • Fuite en avant pour sauver la planète ?

    Relance du nucléaire

    De plus en plus confrontés à l’évidence du réchauffement de la planète, les politiciens traditionnels sont à la recherche de toutes sortes de mesure qui leur permettraient de produire de l’énergie plus proprement. Une des solutions avancées est une extension du parc nucléaire en Europe, afin de remplacer les vieilles centrales au gaz et pétrole. Or ceci constitue plus une fuite en avant qu’une véritable solution.

    Par Gilles, MAS Mons

    En Belgique, on trouve deux centrales nucléaires en activité : celle de Tihange (Huy, 3 réacteurs) et celle de Doel (Anvers, 4 réacteurs). Toutes deux ont été construites il y a environ 30 ans et l’âge de la retraite devrait approcher… si ce n’est que les gouvernements successifs n’ont cessé de repousser encore et encore la date de fermeture de ces réacteurs. Alors que la durée d’usage avait déjà été prolongée à quarante ans, le gouvernement Leterme a décidé d’octroyer vingt ans de plus aux centrales belges : il faudra donc attendre jusqu’à 2035 pour assister à la fermeture des centrales (au lieu de 2005 comme initialement prévu).

    Le gouvernement et leurs amis d’Electrabel se justifient en disant que la remise à neuf des centrales coûterait cher et que cette hausse des coûts serait d’office répercutée sur la facture (comme si Electrabel ne pouvait pas se permettre cet investissement !). D’autre part, ils prétendent que les centrales nucléaires sont sûres et non polluantes. Leurs arguments semblent avoir porté, puisque récemment 6 Belges sur 10 se disaient d’accord pour ce maintien. Mais le récent incident de Fleurus (près de Charleroi) a remis en question tous ces beaux discours sécurisants.

    Que s’est-il passé à Fleurus ? Une fuite s’est produite à l’Institut des Radio-Elements (IRE), un établissement public-privé chargé de produire des isotopes radioactifs à des fins médicales, et celle-ci a contaminé toute la région. Ceci représente le plus grave incident nucléaire en Belgique. Cependant la population locale n’a été prévenue qu’une semaine après les faits, avec des avertissements du type « Ne mangez pas les légumes de votre jardin ». L’exploitant a tenté d’étouffer l’affaire jusqu’au dernier moment par crainte des répercussions, tandis que l’Agence Fédérale de Contrôle Nucléaire (AFCN) s’est révélée totalement inefficace : incompétence des responsables (beaucoup ont obtenu leur poste uniquement via leurs relations politiques), matériel inopérant, etc.

    Les incidents nucléaires se sont multipliés au cours des dernières années : en 2006 en Suède, on est passé à deux doigts d’un nouveau Tchernobyl lorsque le système de secours de la centrale de Forsmark est tombé en panne. Les scientifiques chargés de la surveillance ont avoué que seul le hasard a permis d’éviter la catastrophe. Cet été en France, des fuites ont été révélées près d’une centrale de la Drome, contaminant le personnel et peut-être les récoltes. Des accidents graves et parfois mortels se sont également produits en Hongrie et au Japon au cours des cinq dernières années.

    Plutôt que de vouloir sérieusement investir dans des énergies inoffensives telles que la biomasse, l’éolien, le marémoteur, le solaire… les capitalistes et leurs politiciens préfèrent se tourner vers des solutions hautement rentables sur le court terme, mais pleines de risques pour le présent comme pour l’avenir. Car où stocker de manière sûre les déchets nucléaires provenant des centrales ? Même les agences de contrôle sont soumises à la loi du profit et des jeux politiques, ce qui les rend inaptes. Et évidemment, on cache tout cela à la population.

    Une production véritablement verte est incompatible avec le système capitaliste. Pour sauver la planète, préparons la révolution écologique ! Qui sera aussi une révolution socialiste.


    Le prestige et les profits avant l’environnement et le pouvoir d’achat

    Sous la pression des entreprises et des politiciens, sans participation ni consultation de la population, plus d’un milliard d’euros des impôts va être consacré au projet de prestige de la liaison Oosterweel!

    Cette liaison doit passer au dessus de certains quartiers et mettre en danger la santé des habitants avec la masse de particules fines diffusée par les voitures et les camions. Résistance Internationale lutte pour plus d’investissements pour des transports en commun gratuits et des solutions comme un tunnel qui pourrait récupérer et purger l’air des particules fines.

    Le 25 octobre il y aura un festival anticapitaliste pour l’environnement à Anvers, nous discuterons entre autres de la lutte contre le projet de la liaison Oosterweel, en plus de discussions sur l’énergie, la surpopulation, la crise alimentaire, les catastrophes naturelles, etc. Un meeting et des concerts suivront en soirée. Participe à nos campagnes sur l’environnement ! (Plus d’infos : 02/345.61.81)


    Liens:

  • Appel international à protester contre le “Congrès anti-islam” à Cologne le 20 septembre

    Le conseiller municipal de gauche Claus Ludwig lance un appel international pour participer aux actions de protestation contre un “congrès anti-islam” qui se tiendra à Cologne le 20 septembre 2008. Résistance Internationale et Blokbuster ont répondu positivement à cet appel. Nous publions ici l’appel de Claus, qui siège au conseil communal de Cologne en tant que membre de Die Linke, une nouvelle formation qui obtient actuellement en Allemagne 15% dans les sondages.

    Appel de Claus Ludwig

    Contre le racisme et les néonazis internationalement. Stop au «congrès anti-islam» du 20 septembre à Cologne !

    Chers camarades, amis, combattants,

    Le groupe d’extrême droite Pro Köln, qui a cinq élus au conseil communal de Cologne, veut organiser les 19 et 20 septembre un « congrès contre l’islamisation» raciste dans la ville de Cologne. Des racistes issus de l’Europe entière sont attendus.

    Parmi les orateurs, il y aura entre autres HC Strache, président du FPÖ autrichien, Jean-Marie Le Pen, dirigeant du Front National en France, et Filip Dewinter, du Vlaams Belang. Nick Griffin du BNP de Grande-Bretagne, condamné pour négationnisme, avait été invité dans un premier temps, mais n’est plus le bienvenu après des protestations.

    Nous pouvons également attendre des militants de groupuscules de droite comme du HVIM de Hongrie ou même de l’Alliance Nationale Américaine, tout comme ces groupes ont participé à la “Journée européenne des jeunesses de droite ” le 3 mai dernier à Anvers.

    Cette propagande raciste de figures en vue de la droite radicale offre aussi de l’oxygène pour les militants ouvertement néonazis qui ont ces derniers temps intensifié leur offensive contre la gauche et les immigrés en Rhénanie du Nord – Westphalie.

    Le noyau de la politique de ces personnages est identique : espéré monter les autochtones et les immigrés les uns contre les autres avec le racisme. Ils usent de la propagande des gouvernements occidentaux et de personnes comme le politicien néerlandais Geert Wilders pour diffuser l’idée que tous ceux qui viennent de « pays islamiques » sont des ennemis.

    A Cologne, Die Linke fait partie d’une coalition de plusieurs organisations et individus de gauche, antifascistes et antiracistes, qui veulent empêcher ce congrès de nazis européen. Les syndicats de Cologne appellent aussi à empêcher cette provocation. Die Linke et son organisation de jeunes Linksjugend [solid] mobilisent à travers toutes les régions contre ce congrès.

    Face à ce racisme et au nationalisme, nous opposons la solidarité internationale. Pour cette raison, nous appelons les groupes antifascistes des pays voisins à soutenir et mobiliser pour les actions à Cologne.

    Nous espérons que le mouvement ouvrier et en particulier les syndicats et les formations de gauche comme le SP des Pays-Bas participeront activement étant donné que nous devons offrir aussi une alternative face à la discrimination, au chômage, à la démolition de l’enseignement et à la pauvreté. Tout cela est un terreau pour la croissance de l’extrême droite.

    Opposons nous de pleine force à l’extrême-droite ces 19 et 20 septembre et faisons comprendre qu’ils ne peuvent pas comme ça faire ce qu’ils veulent. No Pasarán !

    Contre l’alliance internationale des racistes et des fascistes, opposons la véritable solidarité internationale !

    Salutations amicales, Claus Ludwig, conseiller municipal à Cologne pour le groupe Die Linke


    CALENDRIER de nos campagnes:

    • De la colère à l’action organisée: Résistance Internationale!
    • 20 septembre: Manifestation contre un Congrès anti-islam organisé avec la participation du Vlaams Belang
    • 25 octobre: Festival "Environnement" de Résistance Internationale à Anvers
    • 6 décembre: Action pour le Climat à Bruxelles
    • 5 mars 2009: Manifestation anti-NSV à Louvain
    • 8 mars 2009: Action dans le cadre de la Journée Internationale des Femmes

    Liens:

  • La Révolution Russe d’Octobre 1917 : quelques leçons, 90 ans après

    Toutes les classes dominantes dans l’histoire ont voulu donner à leur mode de production un caractère éternel. Dans la même idée, les prophètes du capitalisme ont toujours tenté d’empêcher les travailleurs de tirer la conclusion que le capitalisme pouvait être changé.

    Cédric Gérôme

    Rappelons-nous seulement la fameuse phrase du pseudo-philosophe américain Fukuyama annonçant à grands cris « la fin de l’histoire » après la chute de l’URSS, voulant ainsi dépeindre le système capitaliste comme l’horizon ultime de la société humaine. Rien qu’à ce titre, la Révolution Russe d’Octobre 1917 fut un événement d’une portée gigantesque : pour la première fois dans l’histoire après la brève expérience de la Commune de Paris en 1871, les travailleurs russes ont pris le pouvoir entre leurs mains et montré que le capitalisme pouvait être renversé.

    La révolution russe revue et corrigée par la bourgeoisie

    C’est pourquoi étudier la révolution russe est extrêmement important, surtout lorsque l’on voit à quel point, de nos jours, cet événement historique est ‘revisité’ par certains historiens. Marx affirmait que “Les pensées de la classe dominante sont aussi, à chaque époque, les pensées dominantes”. Cette phrase n’a pas vraiment vieillie lorsqu’on voit comment l’anniversaire des 90 ans de la Révolution d’Octobre 1917 est ‘commémorée’ dans la presse et les médias officiels.

    Le magazine ‘L’Histoire’ a édité un numéro spécialement pour l’occasion, intitulé “Les crimes cachés du communisme – de Lénine à Pol Pot”.Tout un chapitre porte le titre “Lénine est aussi coupable que Staline”, dossier dont le fil conducteur sert à accréditer la thèse selon laquelle le stalinisme trouverait ses germes dans le léninisme ; Lénine aurait ainsi enfanté les Staline, Mao, Pol-Pot, Kim-Il-Sung et compagnie…Le quotidien gratuit ‘Métro’ avait quant à lui trouvé une manière un peu plus subtile de fêter l’événement : il y a deux semaines, une petite brève relatait la tuerie dans un lycée en Finlande. L’article finissait par une petite phrase tout à fait innocente : “Il a mis ses menaces à exécution le jour anniversaire de la révolution d’Octobre.” Au début du mois, la chaîne de télévision ARTE a passé un reportage-documentaire sur la vie de Léon Trotsky. Ce reportage se concluait par l’épisode de l’assassinat de Trotsky, commentée par un historien affirmant : “En analysant la mort de Trotsky, je pense qu’il est devenu victime d’une machine qu’il avait lui-même construite.” Sur cette conclusion apparaissait le générique auquel venait se greffer la citation d’un poète allemand : “La révolution est le masque de la mort. La mort est le masque de la révolution.” L’idée qui sous-entend cette conclusion ressort sans ambiguïté : si tu joues avec le feu en essayant de faire comme Trotsky, à essayer de renverser le capitalisme, tu vas faire naître un monstre encore plus grand… Mais point n’est besoin de se choquer de ce genre d’analyses. A l’époque même de la révolution de 1917, les journalistes de la bourgeoisie ne s’encombraient pas de toutes ces subtilités mais allaient directement droit au but, comme le montre un magnifique éditorial du ‘Times’ (le quotidien britannique) paru quelques jours avant l’insurrection qui affirmait, tout simplement : “Le seul remède contre le bolchévisme, ce sont les balles.”

    Les livres d’histoire évoquent souvent l’année 1917 comme « l’année terrible », illustrant le cauchemard qu’elle a représentée pour les classes dominantes. Et c’est bien par crainte du spectre de nouvelles années terribles que la bourgeoisie continue de faire tout, 90 ans après, pour enterrer les véritables leçons de la Révolution d’Octobre, du rôle que Lénine, Trotsky et le Parti Bolchévik ont réellement joué dans ces événements, et pour réduire cette expérience gigantesque à l’horreur du stalinisme et des goulags.

    Une tempête révolutionnaire

    La victoire de la Révolution d’Octobre ainsi que les mots d’ordre des Bolchéviks avaient rencontré un enthousiasme libérateur et stimulé le tempérament révolutionnaire des travailleurs et des opprimés du monde entier. Dans les années qui suivirent la révolution russe, des foyers révolutionnaires s’allumèrent aux quatre coins de l’Europe (en Allemagne, en Hongrie, dans le Nord de l’Italie, en Finlande,…) et rencontrèrent un écho considérable jusque dans le monde colonial : en Corée, en Inde, en Egypte, etc. Tous les écrits et les mémoires des politiciens bourgeois de l’époque témoignent de la panique généralisée qui dominait dans la classe dominante, celle-ci craignant de perdre pour de bon le contrôle de la situation face à cette tempête révolutionnaire. En 1919, le premier ministre britannique Lloyd Georges écrivait : “L’Europe entière est d’une humeur révolutionnaire. Tout l’odre social, politique et économique existant est remis en question par les masses populaires d’un bout à l’autre de l’Europe. Si nous envoyons plus de troupes pour combattre la Russie, la Grande-Bretagne elle-même deviendra bolchévique et nous aurons des soviets à Londres.” Même les Etats-Unis étaient traversés par une vague de grèves sans précédent, au point que le président Wilson disait : “Nous devons absolument agir pour plus de démocratie économique si nous voulons contrer la menace socialiste dans notre pays.” Ce n’est pas pour rien non plus si, en Belgique, les acquis de la journée des 8 heures et du suffrage universel (…pour les hommes) ont été obtenus respectivement en 1918 et 1919 : ce sont des concessions qui ont été lâchées par la bourgeoisie belge à une époque où elle craignait les soubresauts révolutionnaires qui contagiaient l’Europe entière.

    Il existe un courant de pensée que l’on appelle le courant évolutionniste, suivant lequel la société humaine ne ferait pas de bonds, mais évoluerait de manière linéaire de la barbarie vers le progrès et la civilisation. Cette théorie a souvent été utilisée pour fournir une base soi-disant scientifique contre les idées révolutionnaires. En tant que marxistes, nous pensons au contraire que la société ne se développe pas d’une manière lente et évolutive. Les contradictions dans la société conduisent au contraire à des crises sociales et politiques, à des guerres et à des révolutions, autrement dit à des changements soudains et des tournants brusques. Les retombées qu’a eu la victoire de la révolution russe dans toute une série de pays illustrent à quel point les acquis du mouvement ouvrier ne sont pas tombés du ciel, ou par une constante évolution du capitalisme vers plus de progrès, mais ont été obtenus par des batailles acharnées que le mouvement ouvrier a menée pour les obtenir.

    Octobre : un putsch ou une révolution ?

    Il est devenu courant aujourd’hui de présenter la révolution d’Octobre comme un putsch réalisé par une minorité de Bolchéviks conspirateurs. C’est probablement une des contre-vérités les plus répandues sur la révolution russe. Le schéma classique consiste à présenter la Révolution de Février 1917 comme la “vraie” révolution populaire, suivi quelques mois après par le “coup d’état”, le “complot” d’Octobre. Le tout vise à dépeindre le Parti Bolchévik comme un petit groupe de gens mal intentionnés qui ont pris le pouvoir de manière despotique, sans l’assentiment populaire.

    Pourtant, ce qui donna à l’insurrection dans la capitale Petrograd le caractère d’une petite échauffourée nocturne rapide, réalisée au prix de seulement 6 victimes, et non l’aspect d’un grand soulèvement populaire avec des batailles de rue ouvertes, ne s’explique pas par le fait que les Bolchéviks étaient une petite minorité, mais au contraire parce qu’ils disposaient d’une écrasante majorité dans les quartiers ouvriers et les casernes. Si Lénine dira par la suite que “prendre le pouvoir en Russie fut aussi facile que de ramasser une plume”, c’est précisément parce que la prise du pouvoir en elle-même n’était que le dernier acte visant à la destitution d’un régime totalement brisé, isolé et discrédité politiquement en huit mois d’existence, un régime dont la base sociale s’était littéralement évaporée sous ses pieds. Lorsque les Bolchéviks ont destitué le gouvernement provisoire et transmis le pouvoir aux Soviets, beaucoup pensaient que ce pouvoir ne tiendrait pas trois jours. De la même manière, beaucoup pariaient sur l’inévitable défaite de l’Armée Rouge dans la guerre civile. Si tel ne fut pas le cas, c’est bien parce que les Bolchéviks disposaient d’un programme capable de rallier des millions de travailleurs et de paysans pauvres, en Russie et par-delà les frontières, dans une lutte à mort contre leurs exploiteurs.

    La plupart des historiens bourgeois ne comprennent pas -ou plutôt ne veulent pas comprendre- que la révolution n’est pas un processus artificiel créé de toutes pièces, qui peut se fabriquer dans les laboratoire des état-majors des partis politiques, mais est un processus objectif qui a des racines historiques profondes dans la société : les contradictions entre les classes sociales. Pour les marxistes, les révolutions ne sont pas des surprises, mais sont préparées par toute l’évolution antérieure. La révolution arrive inévitablement quand la contradiction entre la structure de la société et les nécessités de son développement arrive à maturité : lorsque l’accumulation quantitative de frustration encaissée pendant des décennies par les classes exploitées atteint un stade qualitatif, lorsque toute cette quantité d’énergie accumulée dans la société augmente jusqu’à faire ‘sauter le couvercle’.

    Dans ce sens, la Révolution d’Octobre 1917 n’a été que l’aboutissement d’un processus révolutionnaire ouvert par l’écroulement du régime tsariste en février, et qui, durant cette période qui sépare la révolution de février de celle d’octobre, va voir se déployer une énergie, une vitalité, un bouillonnement incroyable parmi les masses, et une vie politique intense. 1917 fut une année d’action de masses étonnante par la variété et la puissance des initiatives populaires, témoin du déferlement d’un torrent de politisation générale de la société : partout, les ouvriers dans les usines, les soldats dans les casernes et les tranchées, les paysans dans les villages, avaient soif de politique, soif de s’instruire, soif de lire des journaux, de discuter des idées, de participer aux grands débats,…Chaque ville, chaque village, chaque district, chaque province, développait ses soviets de députés ouvriers, soldats et paysans, prêts à assurer l’administration locale. John Reed, le journaliste socialiste américain auteur du célèbre livre ‘Dix jours qui ébranlèrent le monde’ expliquait qu’ « à Pétrograd comme dans toute la Russie, chaque coin de rue était transformée en une tribune publique. » L’intervention active des masses dans les événements constitue l’élément le plus essentiel d’une révolution. Toute cette dynamique de masse illustre l’absurdité des arguments sur le soi-disant ‘putsch’ des Bolchéviks.

    Les Bolchéviks et la question de la violence

    Bien sûr, il est aujourd’hui de bon ton de présenter le parti Bolchévik comme des bouchers sanguinaires assoiffés de sang. On se souvient notamment de l’image de Trotsky entourée d’une montagne de crânes et de squelettes, dépeint comme un assassin et un bourreau. Des tonnes d’encres ont été déversées pour dénoncer en long et en large la Terreur Rouge et les exactions de la guerre civile. On parle étrangement beaucoup moins du fait que la guerre civile fut suscitée par la volonté des anciennes classes possédantes de Russie et de l’impérialisme mondial de mettre le pays à feu et à sang pour écraser la révolution par tous les moyens, et que le jeune Etat ouvrier fut réduit à une situation de ‘forteresse assiégée’ par un total de 22 armées.

    Le général blanc Kornilov illustrait à merveille l’état d’esprit peu soucieux d’amabilité des capitalistes face au pouvoir soviétique lorsqu’il disait : “Si nous devons brûler la moitié de la Russie et décimer les trois quarts de sa population pour la sauver, nous le ferons. Le pouvoir est aux mains d’une plèbe criminelle que l’on ne mettra à la raison que par des exécutions et des pendaisons publiques”. On ne peut donc pas faire une analyse un tant soit peu sérieuse si l’on ne tient pas compte qu’il s’agit là du genre de bonhommes que les Bolchéviks avaient en face d’eux. L’ironie de l’histoire est qu’au début, les Bolchéviks étaient même plus qu’indulgents avec leurs ennemis de classe, au point de libérer les généraux contre-révolutionnaires sur base d’un engagement sur parole qu’ils ne prendraient plus les armes contre le pouvoir soviétique! Bien sûr, les marxistes ne sont pas des apologistes de la violence, surtout lorsqu’il s’agit d’une violence aveugle, réalisée par une minorité isolée et coupée de l’action de masses. Les marxistes russes avaient notamment mené un combat idéologique pendant des années contre les terroristes russes, à commencer par la ‘Narodnaia Volia’ (= ‘La Volonté du Peuple’), organisation terroriste qui voulait combattre l’autocratie par la seule force de la bombe et du revolver. Leur chef disait explicitement : “L’histoire est trop lente, il faut la bousculer”. Cette organisation va perpétrer en 1881 un attentat contre le Tsar Alexandre II, persuadée que cela allait stimuler un soulèvement général des paysans. L’assassinat n’aura aucun écho, les auteurs seront pendus, la répression va s’abattre sur le pays et décapiter la Narodnaia Volia ; Alexandre II, quant à lui, sera simplement remplacé par Alexandre III. Les marxistes ont toujours opposé à ce type de méthodes de terrorisme individuel l’organisation des masses.

    Mais les marxistes ont aussi les pieds sur terre; ils ne raisonnent pas sous forme de catégories abstraites –pour ou contre la violence ‘en général’-, mais prennent comme point de départ de leur analyse la situation concrète. Et une réalité concrète est que lorsque la classe opprimée ose se rebeller pour ses droits, les classes dominantes n’hésitent jamais à recourir à une répression impitoyable, à un déferlement d’une violence inouïe, dépassant parfois toute imagination. Il suffirait par exemple de rappeler la répression des Communards de Paris par les bandes de Thiers, qui culmina dans un carnage effroyable, exécutant à bout portant hommes, femmes, enfants et vieillards. Le fusil ne tuant plus assez vite, c’est par centaines que les ouvriers vaincus furent abattus à la mitrailleuse. On s’apitoie souvent sur le triste sort réservée à la famille tsariste exécutée par les ‘Rouges’. On s’apitoie beaucoup moins sur les 5 millions de soldats envoyés par le régime tsariste se faire charcuter dans la boucherie des tranchées, parfois à pieds nus et sans armes. Il faut s’imaginer que les soldats russes devaient parfois partir à l’assaut avec un fusil pour quatre. Il est d’ailleurs clair que l’horreur de cette guerre impérialiste, dont l’unique but était le partage du monde et des sphères de marché entre les grandes puissances, jouera un rôle décisif d’accélérateur des événements révolutionnaires de l’après-guerre. La combativité des masses, étouffée dans un premier temps par la propagande patriotique, va dans un deuxième temps ressurgir à la surface avec une vigueur et une vitalité exceptionnelle.

    Le développement d’une conscience révolutionnaire : un processus dialectique

    Il n’y a pas de meilleure école que celle de la pratique : l’éducation politique des masses s’effectue à travers leur propre expérience pratique. Ce que l’on constate dans toute période révolutionnaire ou dans toute lutte d’une certaine importance, c’est que dans le feu de l’action, la conscience politique des travailleurs peut faire des bonds gigantesques en avant. Engels disait qu’”il peut y avoir des périodes dans la société humaine où 20 ans apparaissent comme un seul jour, tout comme des moments où une seule journée apparaît comme 20 ans.” L’année 1917 en Russie illustre cette idée : la classe ouvrière russe a plus appris en quelques mois qu’elle n’avait pu le faire pendant des dizaines d’années auparavant. C’est ce qui explique comment un type comme Alexandre Kérensky, très populaire en mars ’17, était unanimement détesté au mois d’octobre. C’est ce qui explique la progression numérique fulgurante du Parti Bolchévik, qui ne comptait que quelques milliers de membres au début du mois de février, déjà 100.000 en avril, près de 200.000 au mois d’août et plus d’un quart de millions au début d’octobre. On voit ainsi que, dans le cours d’une révolution, quand les événements se succèdent à un rythme accéléré, un parti faible peut rapidement devenir un parti puissant : le POUM (Parti Ouvrier d’Unification Marxiste), dans les six premières semaines qui suivirent l’offensive révolutionnaire de juillet 1936 en Espagne, était ainsi passé d’un parti de 1000-1500 membres à plus de 30.000 membres.

    Cela montre que la compréhension de la nécessité d’un parti révolutionnaire au sein de larges couches de travailleurs n’est pas quelque chose d’automatique. Le processus qui part de l’élaboration d’un programme révolutionnaire et de l’accumulation primitive des premiers cadres révolutionnaires jusqu’à la construction de partis révolutionnaires de masse est un processus qui s’accomplit à travers divers stades inégaux de développement. Mais en dernière instance, ce n’est que lorsque les contradictions du système éclatent au grand jour que les conditions objectives se créent pour une large pénétration des idées révolutionnaires au sein de la classe des travailleurs.

    Le stalinisme et le fascisme étaient-ils inévitables ?

    Une chose est sûre : s’il n’y avait pas eu de Parti Bolchévik en Russie, toute l’énergie révolutionnaire colossale des travailleurs aurait été lamentablement gâchée et aurait repoussé le mouvement ouvrier en arrière pour longtemps au prix d’une défaite catastrophique et sanglante, comme cela s’est d’ailleurs passé en Hongrie avec l’avènement de la dictature militaire du général Horthy, ou en Allemagne et en Italie avec la montée au pouvoir du fascisme. Ces régimes vont liquider avec zèle les syndicats et les organisations ouvrières, torturer et massacrer les communistes et les socialistes par milliers. La communiste allemande Clara Zetkin l’avait compris, elle qui déclarait en 1923 que “le fascisme sera à l’ordre du jour si la Révolution Russe ne connaît pas de prolongement dans le reste de l’Europe.” Le fascisme a été le prix à payer de la trahison des partis de la social-démocratie, et de l’inexistence ou de la faiblesse d’un parti politique de type Bolchévique comme il en existait un en Russie.

    Mais ce prix, les travailleurs russes le payeront également. Car ces défaites vont contribuer à l’isolement de la révolution russe dans un pays extrêmement arriéré, et, en conséquence, à sa dégénérescence vers une dictature bureaucratique et totalitaire. En 1924, Staline mit en avant la théorie du ‘socialisme dans un seul pays’, afin de se débarrasser de la tâche de la construction de la révolution mondiale, et pour protéger les intérêts et privilèges de la bureaucratie montante, notamment en empêchant le développement et l’aboutissement d’autres révolutions ouvrières qui auraient pu mettre ces privilèges en péril. Cette dégénérescence sera elle-même facteur de nouvelles défaites (comme lors de la révolution chinoise de 1926-27).

    Lorsque Lénine arriva à Pétrograd au mois d’avril 1917, le président du soviet (encore un Menchévik à l’époque) va prononcer un discours rituel d’accueil; Lénine va lui tourner le dos, grimper sur un char, se tourner vers la foule des travailleurs et proclamer : “L’aube de la révolution mondiale est arrivée…Vive la révolution socialiste mondiale!” Ce slogan sera gravé plus tard sur le socle d’une statue de Lénine érigée à cet endroit…mais en y retirant le mot ‘mondiale’! La fameuse théorie de Staline du ‘socialisme dans un seul pays’ était une théorie réactionnaire qui allait à l’encontre de tout l’enseignement marxiste et de toute la tradition internationaliste du Bolchévisme; ce ne fut en fait rien d’autre que le couronnement idéologique de la position de l’appareil bureaucratique stalinien qui va s’ériger et se conforter sur les ruines de toutes ces défaites du mouvement ouvrier.

    Le Parti Révolutionnaire : un ingrédient indispensable

    Trotsky expliquait que « Sans organisation dirigeante, l’énergie des masses se volatilise comme de la vapeur non enfermée dans un cylindre à piston. » La révolution d’Octobre n’aurait jamais pu aboutir sans l’existence d’un tel parti, capable de donner à la force spontanée des travailleurs une expression politique consciente, organisée et disciplinée ou, pour reprendre l’expression de Lénine, pour “concentrer toutes les gouttes et les ruisseaux du mécontentement populaire en un seul torrent gigantesque.” Toute révolution exige une organisation sérieusement structurée pour définir et mettre en application un programme, une stratégie, des tactiques correspondant aux diverses phases de la lutte et à l’évolution des rapports de force. Comment les Bolchéviks ont-ils été capables de conquérir un territoire géographique aussi vaste que la Russie ? Cela s’explique par le vaste réseau de cadres révolutionnaires que Lénine et le Parti Bolchévik avait construit et formé pendant des années. Pendant la révolution, des détachements d’ouvriers et des régiments de soldats envoyaient des délégués au front, allaient conquérir les régiments arriérés, se cotisaient pour envoyer des délégués dans les provinces et les campagnes dont ils étaient originaires, parfois dans les régions les plus reculées du pays. Certains cadres passaient des journées entières à haranguer les usines, le front, les casernes,…sans relâche. C’est comme ça qu’en quelques mois, en s’appuyant sur le développement de la révolution, le parti a été capable de convaincre la majorité des travailleurs de la justesse de ses mots d’ordre. Cela illustre l’importance de la construction préalable d’un parti de cadres formés et préparés aux événements, éprouvés et trempés dans la lutte, prêts au sacrifice, et capables par l’expérience qu’ils ont accumulée, de jouer un rôle décisif au moment fatidique. Là était toute la force du parti Bolchévik.

    Ce dernier n’était pourtant suivi en février 1917 que par une insignifiante minorité de la classe ouvrière. Lors du premier congrès des Soviets en juin, sur 822 délégués, seulement 105 étaient Bolchéviks, montrant qu’une majorité encore imposante des ouvriers soutenait les partis Mencheviks et ‘Socialiste-Révolutionnaire’. Ces partis jouaient littéralement le rôle de commis de la bourgeoisie dans le mouvement ouvrier : soucieux de respecter les engagements pris avec l’impérialisme étranger, ils appuyaient la poursuite jusqu’à la victoire d’une guerre massivement rejetée par la population, s’évertuaient à freiner les revendications sociales, refusaient d’accorder la terre aux paysans. En d’autres termes, ils faisaient tout pour empêcher la réalisation de revendications qui puissent empiéter sur les intérêts des classes possédantes. Ils prônaient la collaboration entre deux formes de pouvoir irrémédiablement incompatibles et s’appuyant sur deux classes antagonistes : d’un côté, les soviets, épine dorsale de la révolution représentant les masses laborieuses en action, et de l’autre, le gouvernement provisoire représentant la bourgeoisie et les propriétaires terriens. Alexandre Kérensky était la forme achevée de ce rôle conciliateur, étant pendant toute une période à la fois vice-président du Soviet de Pétrograd et membre du gouvernement provisoire. Son action, comme celle de tous les politiciens Menchéviks et S-R, était guidée par l’idée de contenir les masses et de maintenir les Soviets dans le giron de la bourgeoisie. Mais au fur et à mesure que les masses populaires devenaient plus radicales, poussaient pour mettre en avant leurs revendications propres et une politique indépendante, autrement dit au plus les masses évoluaient vers la gauche, au plus ces politiciens étaient repoussés vers la droite. Kérensky finira d’ailleurs par dire : “Le gouvernement provisoire non seulement ne s’appuie pas sur les soviets, mais il considère comme très regrettable le seul fait de leur existence.”

    Ce processus illustre qu’il n’y a pas de troisième voie, de solution ‘à mi-chemin’ entre le pouvoir des capitalistes et celui des travailleurs. Et ça, c’est une leçon que les anarchistes espagnols –ainsi que le POUM à leur suite- n’ont pas compris lors de la révolution espagnole de 1936 : dans une situation de dualité de pouvoir, caractéristique de toute situation révolutionnaire, c’est-à-dire au moment crucial où il faut choisir entre deux formes de pouvoir différents, les dirigeants anarchistes de la CNT, refusant a priori toute forme de pouvoir quelle qu’elle soit, vont non seulement accepter de laisser les rênes de ce pouvoir dans les mains de l’ennemi de classe, mais même participer à la reconstitution de l’Etat bourgeois en acceptant des portefeuilles ministériels dans le gouvernement de Front Populaire.

    Marx disait que “Dans toute révolution, il se glisse, à côté de ses représentants véritables, des hommes d’un tout autre caractère; ne comprenant pas le mouvement présent, ou ne le comprenant que trop bien, ils possèdent encore une grande influence sur le peuple, souvent par la simple force de la tradition.” Lors de la révolution russe, ce rôle fut incontestablement joué par les Menchéviks et les S-R. Mais ce n’est que peu à peu, et seulement sur la base de leur propre expérience à travers les différentes étapes de la bataille, que les couches les plus larges des masses ont fini par se défaire de ces partis, et par se convaincre que la direction Bolchévique était plus déterminée, plus sûre, plus loyale, plus fiable, que tous les autres partis. Les 8 mois qui séparent Février d’Octobre ont été nécessaires pour que les travailleurs et les paysans pauvres de Russie puissent faire l’expérience du gouvernement provisoire, et pour que, combiné avec le travail mené par le Parti Bolchévik, les larges masses puissent arriver à la conclusion que ce régime devait être renversé car il n’était pas le leur, mais celui de la bourgeoisie et des grands propriétaires ; à l’inverse, le parti Bolchévik était quant à lui le seul parti prêt à les défendre jusqu’au bout, jusqu’à l’ultime conclusion…c’est-à-dire jusqu’au pouvoir.

    Mais la condition pour cela était évidemment l’existence même d’une organisation véritablement révolutionnaire capable, de par sa lucidité politique et sa détermination, de contrecarrer l’influence des appareils et des politiciens traîtres et réformistes. L’absence d’un tel facteur sera à l’origine de toutes les défaites révolutionnaires ultérieures. En mai’68, dix millions de travailleurs étaient en grève en France, occupant leurs usines, dressant des comités ouvriers dans tout le pays. La classe ouvrière française était à deux doigts du pouvoir .Mais la bureaucratie stalinienne du Parti Communiste Français refusera de prendre ses responsabilités : elle va dénigrer les étudiants en lutte qualifiés pour l’occasion de “renégats gauchistes” ou de “faux révolutionnaires”, nier le caractère révolutionnaire du mouvement, et détourner la lutte vers la voie électorale avec des slogans tels que “rétablissons l’ordre dans le chaos”. La plus grosse grève générale de toute l’histoire va ainsi refluer faute de perspectives politiques, et c’est ainsi que la plus belle occasion pour les travailleurs de prendre le pouvoir dans un pays capitaliste avancé sera perdue.

    La crise historique de l’humanité se réduit à la crise de la direction révolutionnaire

    Marx affirmait que “les révolutions sont les locomotives de l’histoire”. Mais chacun sait qu’une locomotive a besoin d’un bon conducteur pour arriver à destination, sinon elle risque de dérailler rapidement. De la même manière, si la révolution ne dispose pas d’un bon conducteur pour l’orienter, sous la forme d’une direction révolutionnaire, elle déraille aussi. Et une chose dont nous pouvons être sûrs, c’est que la locomotive de la révolution n’attendra pas les révolutionnaires ; elle ne laisse en général que peu de temps à la confusion et à l’hésitation. Le sort des partis qui ne sont qu’à moitié ou au quart révolutionnaires est de passer en-dessous des roues de la locomotive : c’est ce qui est par exemple arrivé au POUM en Espagne, dont beaucoup des militants vont payer de leur vie les erreurs et les hésitations de sa direction. C’est aussi ce qui est arrivé au MIR au Chili en 1973, dont de nombreux militants vont finir leur vie torturés dans les geôles de Pinochet. L’approche et les méthodes gauchistes du MIR vont le rendre incapables de développer une assise significative au sein du mouvement ouvrier. Ce qui met en avant un autre élément fondamental : se dire révolutionnaire est une chose ; mais encore faut-il arriver à transcrire le programme révolutionnaire de manière correcte dans la réalité vivante, avec une approche et des revendications qui soient adaptées à chaque situation spécifique, à chaque étape de la lutte, tenant compte du niveau de conscience, des traditions du mouvement ouvrier dans chaque pays, etc. Lénine disait que “le marxisme, c’est avant tout, l’analyse concrète de la situation concrète.” Il est clair par exemple que le slogan “Tout le pouvoir aux soviets” était un slogan directement adapté aux conditions spécifiques de la Russie de 1917. Lors de la révolution chilienne de 1973, un tel slogan aurait dû être traduit par quelque chose comme “Tout le pouvoir aux cordons industriels” les cordons industriels étant les organismes de classe rassemblant les travailleurs et les habitants des quartiers ouvriers qui étaient apparus pendant le processus révolutionnaire au Chili. Mais lorsque les staliniens du Parti Communiste Espagnol vont lancer au début des années ‘30 le mot d’ordre: «A bas la République bourgeoise ! Tout le pouvoir aux soviets ! » à une période où la république venait d’être proclamée et où il n’existait pas l’ombre d’un soviet ou d’un organisme semblable dans toute l’Espagne, le seul résultat qu’ils pouvaient obtenir était de s’isoler complètement des masses…

    Cette discussion met en évidence une des principales contributions de Trotsky au marxisme, à savoir le ‘Programme de Transition’. Trotsky expliquait qu’il faut aider les masses, dans le processus de leurs luttes quotidiennes, à trouver le pont entre leurs revendications actuelles, immédiates, et le programme de la révolution socialiste. Ce pont doit consister en un système de revendications transitoires, qui partent des conditions actuelles et de la conscience actuelle de larges couches de travailleurs pour conduire à une seule et même conclusion : la révolution socialiste et la conquête du pouvoir. C’est-à-dire élaborer un panel de revendications qui, en partant des besoins concrets et du niveau de conscience des travailleurs et de leurs familles, sont par essence incompatibles avec le maintien du système capitaliste. Le slogan des Bolchéviks “Pain, Terre et Paix”, dans une situation où la famine rôdait, où la paysannerie avait soif de terre, et où le ras-le-bol de la guerre était général, faisait ainsi directement appel aux aspirations les plus profondes de la majorité de la population laborieuse, et, tout en même temps, renvoyait implicitement à la nécessité de renverser le pouvoir de la bourgeoisie; cette dernière, pieds et poings liés et avec l’impérialisme étranger et avec les grands propriétaires fonciers, était absolument incapable de satisfaire ne fût-ce qu’une seule de ces revendications.

    Trotsky commençait son programme de transition en disant que “La crise historique de l’humanité se réduit à la crise de la direction révolutionnaire.” Le rôle et la responsabilité de la direction politique dans une époque révolutionnaire sont effectivement d’une importance colossale. Dans une telle époque, en l’absence d’un parti révolutionnaire, les espoirs des masses font place à la désillusion, l’ennemi tire profit de cette désillusion et se remet de sa panique, les masses découragées se lancent dans des explosions désordonnées et sans perspective, et c’est la défaite assurée.

    Bien sûr, la construction d’un Parti Révolutionnaire n’est pas seulement importante dans une époque révolutionnaire. En effet, la construction d’un cadre marxiste révolutionnaire solide et préparé ne peut pas s’effectuer du jour au lendemain, mais exige au contraire des délais considérables que la rapidité des processus révolutionnaires ne laisse pas le temps d’entreprendre en quelques jours, semaines ou mois. La société connaît, à côté des périodes d’ouverture révolutionnaire, des périodes d’un tout autre caractère : des périodes de réaction, de recul, durant lesquelles la lutte du mouvement ouvrier ainsi que les idées socialistes sont poussées sur la défensive. Nous avons connu une telle période après la chute des régimes staliniens dans les années ’90, période durant laquelle les révolutionnaires devaient complètement nager à contre-courant dans la société pour pouvoir exister. Dans un tout autre contexte, les Bolchéviks avaient connu une période similaire après la défaite de la révolution russe de 1905. Sous les coups de la répression et de la démoralisation, le parti subit une véritable hémorragie en termes de membres, et mêmes certains cadres dirigeants du parti succombèrent à la pression et au défaitisme ambiants ; pour exemple, Lounatcharsky développa un groupe appelé ‘Les Constructeurs de Dieu’, qui se fixait pour idée-maîtresse de présenter le socialisme sous la forme d’une religion, jugée selon eux « plus attractive » que la lutte des classes pour les masses déçues et démoralisées ! Néanmoins, la volonté infatigable de Lénine de s’acharner, même dans ces conditions difficiles, à construire et à former un cadre révolutionnaire pendant cette période va considérablement aider le Parti Bolchévik à pouvoir affronter les défis et les tâches grandioses qui allaient l’attendre quelques années plus tard.

    Lénine avait certes éduqué un cadre sur base de perspectives qui révéleront leur faiblesse dans la pratique en 1917. En effet, jusque-là Lénine croyait encore à l’idée d’une révolution par étapes nettement séparées dans le temps : une première étape à caractère démocratique-bourgeoise, portée par une « alliance démocratique entre le prolétariat et la paysannerie » (c’est-à-dire une révolution prolétarienne dans sa forme, mais bourgeoise dans son contenu), suivie d’une étape socialiste plus lointaine ; ces deux étapes étant entrecoupées d’une période significative de développement capitaliste du pays. Cependant, refusant de s’accrocher aux vieilles formules, et proclamant que « le vieux bolchévisme doit être abandonné », Lénine corrigera ses perspectives à la lumière des événements, lors de l’éclatement de la révolution. Là est toute l’essence de ses ‘Thèses d’Avril’, dans lesquelles il rallie la perspective d’une ‘révolution permanente’ avancée depuis plusieurs années déjà par Trotsky. A partir de ce moment, tout son travail consistera à tenter d’infléchir la ligne du Parti Bolchévik en vue d’une telle perspective : armer politiquement le parti pour le préparer à une rapide prise du pouvoir par les soviets, à l’instauration d’un gouvernement ouvrier et des premières mesures socialistes.

    Avec le recul, on peut aisément affirmer que Trotsky disposait de perspectives plus élaborées que Lénine. Mais le développement théorique plus consistant de Trotsky ne peut se comprendre sans tenir compte du fait que durant toutes les années qui précèdent la révolution de 1917, toute l’énergie de Lénine était concentrée sur la construction du Parti Bolchévik, à une époque où, de ses propres aveux, Trotsky n’avait pas encore saisi toute l’importance d’un parti soudé et centralisé comme condition indispensable pour atteindre le but révolutionnaire, et, jusqu’à un certain point, entretenait encore l’illusion d’une ‘réconciliation’ entre la fraction réformiste (les Menchéviks) et la fraction révolutionnaire (les Bolchéviks) de l’ancien POSDR (Parti Ouvrier Social-Démocrate de Russie). C’est finalement la révolution elle-même qui permettra de rassembler les deux hommes autour d’une même perspective et d’une même conception du type de parti nécessaire.

    Ne laissons pas ces leçons sur le papier !

    A d’innombrables reprises dans l’histoire, les travailleurs ont tenté de suivre la voie des travailleurs russes, de se frayer un chemin vers le pouvoir et vers l’instauration d’une société socialiste. Lors de la révolution portugaise de 1974, les travailleurs en étaient tellement proches que la presse annonçait déjà “la fin du capitalisme” au Portugal ! On pourrait multiplier ces exemples. L’histoire du capitalisme est jalonnée de nombreux combats révolutionnaires héroïques menés par le mouvement ouvrier pour son émancipation. Mais à l’exception de la révolution russe, la défaite a été l’issue de tous ces combats pour la seule raison qu’ils n’avaient pas à leur tête une direction politique expérimentée, préparée à encadrer ces mouvements, à leur donner une perspective, et à les faire aboutir jusqu’à leur conclusion logique et naturelle. Malgré sa dégénérescence ultérieure, malgré les décennies de pourriture du stalinisme, la révolution russe continuera de se distinguer de toutes les autres révolutions ouvrières sur un point essentiel : c’est la seule qui a abouti. Dès lors, s’atteler à la construction d’une organisation révolutionnaire internationale est la leçon la plus générale, mais aussi la plus importante, que l’on puisse dégager d’une telle discussion aujourd’hui, afin d’éviter de nouvelles défaites au mouvement ouvrier et d’assurer un meilleur avenir pour les générations futures.

  • Hongrie 1956 : quand les conseils ouvriers ont fait trembler la bureaucratie soviétique et la bourgeoisie du monde entier

    Cédric Gérôme

    Ce 23 octobre 2006, cela faisait exactement 50 ans que s’est déclenchée la révolution hongroise de 1956. Cet anniversaire, ainsi que les violentes émeutes qui l’ont accompagné, ont remis la Hongrie et le souvenir de la révolution au centre de l’actualité. L’ensemble de la presse et des politiciens se rejoignent tous pour saluer au passage « la première révolution dirigée contre la tyrannie communiste ». Contre la tyrannie ? Très certainement. Mais de là à faire l’amalgame stalinisme = communisme, il n’y a qu’un pas que la majorité des commentateurs bourgeois franchissent allègrement. Lors de la commémoration du soulèvement de 1956, organisé ce mardi en grande pompe par le gouvernement hongrois, José Manuel Barroso, président de la Commission Européenne, n’hésitait pas à dire que « les Hongrois, par leur sacrifice, ont préparé la réunification de l’Europe ». Les groupes d’extrême-droite hongrois, quant à eux, revendiquent la paternité de la « révolution contre les communistes, qui sont d’ailleurs toujours au pouvoir. » Face à cet amas d’hypocrisie et de confusion idéologique, il ne nous semble pas superflu de revenir sur les événements de ‘56, ses acteurs, son caractère et ses implications…

    Hongrie 1956 : quand les conseils ouvriers ont fait trembler la bureaucratie soviétique et la bourgeoisie du monde entier

    « Comment les dirigeants pourraient-ils savoir ce qui se passe ? Ils ne se mêlent jamais aux travailleurs et aux gens ordinaires, ils ne les rencontrent pas dans les bus, parce qu’ils ont tous leurs autos, ils ne les rencontrent pas dans les boutiques ou au marché, car ils ont leurs magasins spéciaux, ils ne les rencontrent pas dans les hôpitaux, car ils ont leurs sanas à eux. »

    « La honte n’est pas dans le fait de parler de ces magasins de luxe et de ces maisons entourées de barbelés. Elle est dans l’existence même de ces magasins et de ces villas. Supprimons les privilèges et on n’en parlera plus. » (Gyula Hajdu et Judith Mariássy, respectivement militant communiste et journaliste hongrois en 1956)

    1) La Hongrie au sortir de la guerre

    Après la deuxième guerre mondiale, les Partis Communistes et l’URSS avaient acquis une grande autorité suite à la résistance héroïque de la population russe contre l’invasion du pays par l’armée nazie. L’URSS sortit renforcée de la guerre : ayant repoussé l’armée allemande jusqu’aux frontières de l’Elbe, elle avait conquis la moitié d’un continent. La conférence de Yalta en février 1945 consacra cette nouvelle situation : les parties de l’Europe qui avaient été « libérées » par l’Armée Rouge resteraient sous la sphère d’influence russe.

    La fin de la seconde guerre mondiale était allée de pair avec une radicalisation des masses et des événements révolutionnaires dans toute une série de pays. En effet, les masses ne voulaient pas seulement en finir avec le fascisme ; elles voulaient aussi extirper la racine sociale et économique qui l’avait fait naître : le capitalisme. Dans la plupart des pays européens, la bourgeoisie devait faire face à des insurrections de masse. Mais s’il y avait bien un point sur lequel les Partis Communistes stalinisés et les capitalistes s’entendaient parfaitement, c’était sur le fait qu’une révolution ouvrière devait être évitée à tout prix. Dans les pays capitalistes, les PC –tout comme les partis sociaux-démocrates- usèrent de leur autorité pour venir en aide aux classes dominantes, en ordonnant aux partisans de rendre les armes et en participant à des gouvernements d’ « union nationale » avec les partis bourgeois (en France, en Italie, et en Belgique notamment). En vérité, il s’agissait bien là d’une contre-révolution, mais sous un visage « démocratique ». En France, pour ne citer qu’un seul exemple, les groupes de résistance, sous l’instruction des dirigeants staliniens, durent rendre leurs armes au prétendu « gouvernement de Libération Nationale ». Maurice Thorez, secrétaire général du PCF de l’époque, déclarait : « Les Milices Patriotiques ont très bien servi dans la lutte contre les nazis. Mais maintenant, la situation a changé. La sécurité publique doit être assurée par la police régulière. Les comités locaux de libération ne peuvent pas se substituer au pouvoir du gouvernement. »

    Dans les pays de l’Est (Roumanie, Bulgarie, Hongrie, Pologne, etc), si l’entrée de l’Armée Rouge avait souvent été perçue comme une libération, la bureaucratie du Kremlin était pourtant déterminée à maintenir la situation sous son contrôle et à empêcher que la classe ouvrière entre en mouvement de manière autonome. Petite anecdote illustrative : en Bulgarie, lorsque la machine militaire nazie s’effondra durant les mois d’automne 1944, les milices ouvrières, à Sofia puis dans d’autres villes, désarmèrent et arrêtèrent les fascistes, élirent des tribunaux populaires, organisèrent des manifestations de masse. Sentant le danger, le Haut Commandement russe ordonna tout de suite à ses troupes stationnées dans le pays : « Faites tout pour revenir à la discipline antérieure. Abolissez les comités et les conseils. Nous ne voulons plus voir un seul drapeau rouge dans la ville. »

    Après la guerre, dans des pays comme l’Italie ou l’Allemagne, la bourgeoisie avait sciemment maintenu dans l’appareil d’Etat du personnel politique ou militaire ayant occupé des fonctions importantes sous le fascisme ; les staliniens, quant à eux, firent exactement la même chose à l’Est. A cette époque, gagner les masses à un programme révolutionnaire n’aurait été que trop facile ; mais c’était là précisément ce que la bureaucratie stalinienne voulait éviter à tout prix. Dans les pays occupés par l’Armée Rouge, nombre de communistes et de travailleurs actifs dans la résistance seront liquidés, car jugés peu fiables. Qualifiés pendant la guerre de « braves combattants », ils devenaient à présent des « bandits », des « forces ennemies », voire même des « éléments pro-hitlériens », et étaient soumis en conséquence à la plus sévère répression. Plusieurs milliers d’entre eux seront torturés ou exécutés, pour la simple raison d’avoir voulu contester la toute-puissance de la bureaucratie. Pour mener à bien ce travail peu reluisant, les meilleurs alliés que les staliniens pouvaient trouver étaient…les vermines de l’ancien régime, convertis en « communistes » pour l’occasion. En Roumanie, le vice-Premier ministre du gouvernement nouvellement formé, un certain Tatarescu, avait par exemple dirigé en 1911 la répression contre un soulèvement dans les campagnes qui avait causé la mort de 11.000 paysans. En Bulgarie, le premier ministre, le Colonel Georgiev, et le ministre de la guerre, le Colonel Velchev, avaient tous deux été membres de la Ligue Militaire, une organisation fasciste sponsorisée par Mussolini. En Hongrie enfin, en décembre 1944, un gouvernement de « libération » fut formé ; son premier ministre était Bela Miklos, à savoir le tout premier Hongrois à avoir reçu personnellement des mains d’Hitler la plus grande décoration de l’ordre nazi !

    La population hongroise avait connu la défaite d’une première révolution en 1919. Ensuite elle dût subir les conséquences de cette défaite par l’instauration du régime fasciste de l’Amiral Horthy. Celui-ci liquida avec zèle les syndicats, tortura et massacra les communistes et les socialistes par milliers. Pendant la guerre, le pays fut occupé par les troupes nazies, accompagnées d’une nouvelle vague de terreur. Compte tenu de ces antécédents, il est clair que pour la population hongroise, le fait de constater qu’un régime qui portait sur son drapeau les acquis de la révolution russe d’octobre 1917 reconstruise l’appareil d’Etat avec les pires crapules de l’ancien régime n’en était que plus insupportable.

    Après la guerre, la Hongrie, comme tous les pays tombés sous l’égide de l’Armée Rouge, s’intégra au modèle économique russe et nationalisa son économie. A la fin de 1949, le processus de nationalisation de tous les principaux secteurs de l’économie hongroise était achevé. Bien évidemment, cela ne se faisait pas à l’initiative ni sous le contrôle des masses ouvrières : dès le début, celles-ci furent placés sous le joug d’une bureaucratie parasitaire calquée sur le modèle de l’URSS, qui disposait en outre d’une des polices secrètes les plus brutales de tout le bloc de l’Est, et s’accaparait, de par ses positions politiques, des privilèges exorbitants : en 1956, le salaire moyen d’un travailleur hongrois était de 1.000 forints par mois. Celui d’un membre de base de l’A.V.O. (=la police politique) était de 3.000 forints, tandis que le salaire d’un officier ou d’un bureaucrate de haut rang pouvait varier entre 9.000 et 16.000 forints par mois.

    Sur papier, beaucoup de travailleurs hongrois restaient encore membres du Parti Communiste. Cependant, cela était davantage lié au climat de terreur régnant tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du parti, plutôt qu’à des considérations politiques. Pour preuve, en octobre 1948, l’éditeur principal du « Szabad Nep » -le journal officiel du parti- se plaignait lui-même du fait que seuls 12% des membres du parti lisait le journal. Autre chiffre particulièrement révélateur de la répression politique qui sévissait en Hongrie à cette époque : entre 1948 et 1950, le PC hongrois expulsa de ses rangs pas moins de 483.000 membres !

    2) La rupture

    Le bureaucratisme stalinien constituait un système de gouvernement et de direction économique de moins en moins adapté aux nécessités de son temps, et de plus en plus en contradiction avec la situation réelle, tant en URSS que dans les pays dits « satellitaires » d’Europe de l’Est. L’annonce de la mort de Staline par le Kremlin en mars 1953 fut perçue comme un signal par les populations ouvrières du bloc de l’Est et ouvrit une période de résistance dans ces pays contre les méthodes de terreur et de despotisme qui devenaient chaque jour plus intolérables. En juin de la même année, les travailleurs de Plzen, un des principaux centres industriels de Tchécoslovaquie, démarrèrent spontanément une manifestation de masse demandant une plus grande participation de leur part aux décisions dans les usines et sur les lieux de travail, la démission du gouvernement ainsi que la tenue d’élections libres. Deux semaines plus tard, le 17 juin 1953, les travailleurs de Berlin-Est se rebellaient à leur tour par des manifestations et des grèves, mouvement qui culminera dans une grève générale se répandant comme une traînée de poudre dans toute l’Allemagne de l’Est. Il sera réprimé sans ménagement par les troupes russes, au prix de 270 morts.

    Les dirigeants de l’URSS comme des pays « satellitaires » commençaient à s’inquiéter. Il fallait trouver les moyens de calmer les esprits, les voix de plus en plus nombreuses qui s’élevaient contre le régime d’oppression politique imposé à la population. Effrayée par la possibilité d’explosions plus importantes encore, la bureaucratie décida d’adopter un « cours nouveau » : une certaine relaxation politique consistant en réformes et concessions venues d’en-haut (=initiées par la bureaucratie elle-même) afin d’éviter une révolution d’en-bas (=une révolution politique initiée par la classe ouvrière). Ainsi, en Hongrie, les tribunaux de police spéciaux furent abolis, beaucoup de prisonniers politiques furent libérés, il fut permis de critiquer plus ouvertement la politique du gouvernement. Sur le plan économique, on accorda plus d’importance à la production de biens de consommation et moins à l’industrie lourde. Dans les campagnes, on mit un frein aux méthodes de collectivisation forcée. Cependant, cela ne fit qu’ouvrir l’appétit aux travailleurs et aux paysans ; car ce que ceux-ci désiraient en définitive, c’était chasser pour de bon la clique dirigeante du pouvoir.

    Historiquement, l’année 1956 fut incontestablement une année cruciale dans la crise du stalinisme. Car si 1956 fut l’année de la révolution hongroise, cette dernière n’était elle-même qu’une composante d’une crise générale traversée par les régimes staliniens. La révolution de 1956 marquait un point tournant : elle indiquait la fin d’une époque et le début d’une ère nouvelle. Précurseur d’autres mouvements contre la bureaucratie stalinienne, tels que le Printemps de Prague de 1968, elle était la première véritable révolution dirigée contre ceux-là même qui continuaient à se proclamer les héritiers de la révolution russe de 1917. Or, comme Trotsky l’avait expliqué déjà 20ans auparavant, ceux qui se trouvaient au Kremlin n’étaient plus les héritiers de la révolution, mais bien ses fossoyeurs.

    Déjà, en février 1956, au 20ème congrès du PC russe, et trois ans après la mort de Staline, Nikita Kroutchev, premier secrétaire du parti, avait lancé une véritable bombe politique dans le mouvement communiste mondial en exposant son fameux « rapport secret », qui détruisait le mythe du « Petit Père des Peuples » et dévoilait publiquement la terreur de masse, les crimes abominables et la répression politique menée méthodiquement par le régime de Staline pendant des années. Auparavant, ne pas avoir la photo de Staline chez soi était considéré comme un acte de défiance au régime. A présent, on transformait en diable celui qui avait été mystifié des années durant comme un dieu vivant ! Les raisons de ce revirement peuvent en être trouvées dans cet extrait d’un article de la « Pravda » -organe de presse du PC russe- : « Le culte de la personnalité est un abcès superficiel sur l’organe parfaitement sain du parti. » Il s’agissait de donner l’illusion que maintenant que le « Petit Père des Peuples » avait trépassé, tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes.

    Mais les travailleurs n’étaient pas dupes. En outre, il est difficile de continuer à pratiquer une religion à partir du moment où l’on a détruit son dieu. Car si Kroutchev et ses supporters tendaient à rompre avec les aspects les plus tyranniques du stalinisme, ils étaient bien incapables, de par leur propre position, à s’attaquer à la racine même de cette tyrannie : c’est pourquoi Kroutchev se verra obligé d’écraser dans le sang la révolution hongroise en utilisant les mêmes méthodes que celles qu’il avait dénoncées quelques mois plus tôt.

    3) L’explosion

    De juin à octobre 1956, un mouvement important des travailleurs polonais oblige la bureaucratie polonaise à faire d’importantes concessions. Des postes dans le parti sont attribués à des anti-staliniens et fin octobre, le poste de 1er secrétaire du parti est attribué à Gomulka, un vieux communiste relativement populaire qui avait été jeté en prison par Staline. Si Gomulka restait un homme de l’appareil, sa nomination à la tête du parti était malgré tout perçue comme une victoire importante. Un responsable haut-placé du régime commente ces événements en affirmant qu’ « il faut voir ces incidents comme un signal alarmant marquant un point de rupture sérieux entre le parti et de larges couches de la classe ouvrière. » Toutefois, en Pologne, la bureaucratie sera capable de maintenir le mouvement sous contrôle. Mais en Hongrie …

    En Hongrie, depuis quelques mois, l’agitation s’était accentuée, essentiellement parmi les intellectuels et dans la jeunesse, autour du cercle « Petöfi », formé fin ‘55 par l’organisation officielle des jeunesses communistes (DISZ). Celle-ci prend des positions de plus en plus virulentes par rapport au régime : « Il est temps d’en finir avec cet Etat de gendarmes et de bureaucrates » est le type de déclarations que l’on peut lire dans leurs publications. La « déstalinisation » leur permet à présent d’exprimer au grand jour ce qu’ils pensaient depuis longtemps tout bas.

    A partir de septembre et de début octobre, les travailleurs commencent à leur tour à s’activer. En octobre, lorsque les travailleurs et les jeunes apprennent la nouvelle de ce qui s’est passé en Pologne, il se sentent pousser des ailes. Le 21 octobre, les étudiants de l’Université Polytechnique de Budapest tiennent une assemblée, où ils réclament la liberté de la presse, de parole, d’opinion, la suppression du régime du parti unique, l’abolition de la peine de mort, l’abolition des cours obligatoires de « marxisme ». Ils menacent d’appuyer leur programme par des manifestations de rue s’ils n’obtiennent pas satisfaction. Le 22 octobre, le cercle Petöfi lance pour le lendemain le mot d’ordre d’une grande manifestation publique en solidarité avec leurs frères polonais.

    L’interdiction initiale de la manifestation, plusieurs fois répétée à la radio, puis la décision soudaine de l’autoriser, produisent un effet de choc. La population tout entière a pu constater les hésitations des dirigeants, et elle voit la décision finale des autorités comme une capitulation devant la force potentielle du mouvement. La manifestation est un succès, rassemble plusieurs dizaines de milliers de personnes. En tête, des jeunes portent d’immenses portraits de Lénine. On peut lire des slogans tels que « nous ne nous arrêterons pas en chemin : liquidons le stalinisme », « indépendance et liberté » etc. Vers 18h, les bureaux et les usines se vident, et les ouvriers et employés qui sortent du boulot rejoignent les étudiants. Le mouvement gagne en ampleur, les transports publics s’arrêtent de fonctionner ; on dénombre bientôt plus de 300.000 manifestants dans les rues de Budapest.

    Un groupe de plusieurs centaines de personnes issues de la foule décident de se rendre à la Place où se dresse une statue géante en bronze de Staline et la déboulonnent. Une délégation de 16 personnes se rend à l’immeuble où est localisé le centre de radio de Budapest, afin de tenter de diffuser leur appel sur les ondes. Comme la délégation tarde à sortir de l’immeuble, la foule s’impatiente. C’est dans la confusion générale qu’éclatent les premiers coups de feu dans la foule, tirés par des membres de l’A.V.O. Il y a trois morts. Ensuite, les premiers tanks et camions arrivent en renfort. Cette échauffourée met le feu aux poudres : la révolution hongroise a commencé.

    4) La force des travailleurs en action

    Les travailleurs commencent à s’armer pour riposter : certains s’emparent d’armes dans les armureries, d’autres se rendent vers les casernes. Comme à Barcelone en 1936, certains soldats leur ouvrent les portes, leur lancent des fusils et des mitraillettes par les fenêtres, ou amènent carrément dans la rue des camions chargés d’armes et de munitions et les distribuent à la population. Beaucoup rejoignent les rangs des manifestants. Dès le 24 au soir, il n’y aura pratiquement plus aucune unité de l’armée hongroise qui obéisse au gouvernement. Seule la police politique combat les insurgés. Des barricades commencent à se dresser ; dans certains quartiers de Budapest, même des enfants apportent leurs jouets pour aider à la construction des barricades.

    Les batailles de rue durent toute la nuit. A une heure du matin déjà, la plupart des grosses artères de la ville sont occupés par des travailleurs armés. Vers 8h du matin, le gouvernement hongrois annonce qu’il a fait appel à l’aide militaire russe pour écraser ce qu’il appelle « des petites bandes de contre-révolutionnaires armés qui pillent la ville. » Les bureaucrates du Kremlin et leurs agents de l’appareil hongrois sont décidés à conserver à tout prix le contrôle de la situation, quitte à noyer dans le sang la révolution naissante. Cette décision ne fait que renforcer la détermination des révolutionnaires et radicalise encore davantage le mouvement. Le premier conseil de travailleurs et d’étudiants est formé à Budapest.

    Les chars russes commencent à entrer dans la ville dans la matinée du 24 octobre. Au début, certains soldats russes envoyés pour écraser l’insurrection ne savent même pas qu’ils sont en Hongrie : on leur a raconté qu’ils ont été envoyés à Berlin pour « combattre des fascistes allemands appuyés par des troupes occidentales. »

    Les combats de rue se prolongent pendant plusieurs jours. Rapidement, les quartiers prolétariens deviennent les bastions de l’insurrection. Un correspondant de « The Observer » explique: « Ce sont les étudiants qui ont commencé l’insurrection, mais, quand elle s’est développée, ils n’avaient ni le nombre ni la capacité de se battre aussi durement que les jeunes ouvriers. ».

    Dès l’annonce de l’envoi de troupes russes, la grève générale insurrectionnelle est déclarée ; elle se répand rapidement dans tout le pays. Elle se traduit immédiatement par la constitution de centaines de comités et conseils ouvriers qui s’arrogent le pouvoir. Avant le 1er novembre, dans tout le pays, dans toutes les localités, se sont constitués, par les travailleurs et dans le feu de la grève générale, ces conseils qui assurent le maintien de l’ordre, la lutte contre les troupes russes et contre celles de l’A.V.O. par des milices d’ouvriers et d’étudiants armés ; ils dissolvent les organismes du PC, épurent les administrations qu’ils ont soumises à leur autorité, assurent le ravitaillement de la capitale en lutte.

    Un journal aussi réactionnaire que « La Libre Belgique » publiait le lundi 23 octobre l’interview d’un certain Nicolas Bardos, docteur en sciences-économiques, qui a fui la Hongrie en 1956. Celui-ci relate : « A la sortie d’une pause de nuit, je suis tombé dans la rue sur une manifestation où ouvriers et employés étaient accompagnés d’étudiants derrière un drapeau troué. Deux jours plus tard, je me suis rendu compte de la décomposition de l’Etat. Tout s’est arrêté et réorganisé très vite. Des conseils ouvriers se sont mis en place… ». Ces conseils renouent spontanément avec les formes d’organisation caractéristiques de la démocratie ouvrière : ils sont élus par la base, avec des délégués révocables à tout moment et responsables devant leurs mandats. Leurs revendications politiques diffèrent, mais tous comprennent : l’abolition de l’A.V.O., le retrait des troupes russes, la liberté d’expression pour tous les partis politiques, l’indépendance des syndicats, l’amnistie générale pour les insurgés emprisonnés, mais aussi et surtout la gestion par les travailleurs eux-mêmes des entreprises et des usines.

    Ce dernier point apporte un démenti flagrant à la version prétendant que cette révolution était dirigée contre le « communisme » en général. Le 2 novembre 1956, un article paraît dans « Le Figaro » affirmant ceci : « Les militants hongrois sont soucieux de restaurer une démocratie à l’occidentale, respectueuse des lois du capitalisme. » Cette affirmation est pourtant contredite par les militants révolutionnaires eux-mêmes. La fédération de la jeunesse proclame fièrement : « Nous ne rendrons pas la terre aux gros propriétaires fonciers ni les usines aux capitalistes » ! Dans le même registre, le Conseil Ouvrier Central de Budapest déclare : « Nous défendrons nos usines et nos terres contre la restauration capitaliste et féodale, et ce jusqu’à la mort s’il le faut. » Certes, dans l’atmosphère générale, des réactionnaires ont pu s’infiltrer et pointer le bout de leur nez. Pas plus. Un seul journal réactionnaire a paru. Il n’a publié qu’un seul numéro, car les ouvriers ont refusé de l’imprimer dès le lendemain. Cela n’a pas empêché les journaux bourgeois en Occident de parler de « floraison de journaux anti-communistes ».

    5) Les chars russes

    Au fur et à mesure que les soldats russes restent sur place, ils comprennent de mieux en mieux pourquoi on les a envoyés : ils n’ont pas vu de troupes occidentales, ils n’ont pas vu de fascistes ni de contre-révolutionnaires ; ils ont surtout vu tout un peuple dressé, ouvriers, étudiants, soldats. Certains soldats russes doivent être désarmés et renvoyés vers la Russie, du fait qu’ils refusent d’appliquer les ordres. D’autres fraternisent avec les révolutionnaires et rejoignent carrément le camp des insurgés. Dès le second jour de l’insurrection, un correspondant anglais signale que certains équipages de tanks ont arraché de leur drapeau l’emblème soviétique et qu’ils se battent aux côtés des révolutionnaires hongrois « sous le drapeau rouge du communisme ».

    L’utilisation de l’armée russe à des fins répressives devient de plus en plus difficile. Après un premier repli stratégique pour s’assurer des troupes plus fraîches et plus sûres, le 4 novembre, le Kremlin lance une seconde intervention, armée de 150.000 hommes et de 6.000 tanks pour en finir avec la révolution. Une bonne partie des nouvelles troupes viennent d’Asie soviétique, dans l’espoir que la barrière linguistique puisse empêcher la fraternisation des soldats avec les révolutionnaires hongrois.

    Pendant quatre jours, Budapest est sous le feu des bombardements. Le bilan de la deuxième intervention soviétique à Budapest est lourd : entre 25.000 et 50.000 morts hongrois, et 720 morts du côté des soldats russes. La répression par les troupes de l’A.V.O., qui « nettoient » les rues après le passage des tanks, est extrêmement féroce : des révolutionnaires attrapés dans les combats de rue sont parfois pendus par groupes sur les ponts du Danube ; des pancartes sont accrochées sur leurs cadavres expliquant : « Voilà comment nous traitons les contre-révolutionnaires ». Tout cela se fait bien entendu dans l’indifférence totale des soi-disant « démocraties » occidentales. Le secrétaire d’Etat des USA affirme dans un speech à Washington : « D’un point de vue de la loi internationale sur la violation des traités, je ne pense pas que nous puissions dire que cette intervention est illégale ». Ce positionnement de l’impérialisme américain permet d’apprécier à sa juste valeur l’ «hommage » rendu aux insurgés de ’56 par George W.Bush lors de sa visite en Hongrie en juillet dernier !

    Les combats durent pendant huit jours dans tout le pays. Si l’intervention des chars russes leur a assénés un sérieux coup, les travailleurs ne sont pourtant pas encore complètement battus. Une semaine après le déclenchement de la seconde intervention russe, la majorité des conseils ouvriers sont encore debout. Une nouvelle grève générale, assez bien suivie, aura même encore lieu les 11 et 12 décembre ! Pourtant, le répit obtenue par la réaction à travers cette deuxième intervention militaire–nettement plus efficace que la première-, combinée au manque d’un parti ouvrier révolutionnaire avec une stratégie claire visant à destituer la bureaucratie de ses fonctions, permet à la terreur contre-révolutionnaire de déclencher une offensive sans précédent. Le 20 novembre, les derniers foyers de résistance commencent à s’éteindre. Début décembre, le gouvernement lance la police contre les dirigeants des conseils ouvriers ; plus d’une centaine d’entre eux sont arrêtés dans la nuit du 6 décembre. Sous les coups de la répression, les conseils ouvriers nés de la révolution disparaissent les uns après les autres. La révolution hongroise recule.

    Le 26 décembre 1956, la force des conseils ouvriers hante encore la bureaucratie. Un ministre hongrois, un certain Gyorgy Marosan, déclare que « si nécessaire, le gouvernement exécutera 10.000 personnes pour prouver que c’est lui le vrai gouvernement, et non plus les conseils ouvriers. »

    Le 5 janvier 1957, en visite à Budapest, Kroutchev, rassuré, affirme qu’ « en Hongrie, tout est maintenant rentré dans l’ordre. »

    Le 13 janvier de la même année, la radio diffuse une annonce officielle déclarant qu’ « en raison de la persistance d’activités contre –révolutionnaires dans l’industrie, les Tribunaux ont désormais le pouvoir d’imposer la peine de mort à quiconque perpétuera la moindre action contre le gouvernement. » Cela implique le simple fait de prononcer le mot « grève » ou de distribuer un tract.

    6) Conclusion

    La version que la bourgeoisie présente de ces événements est sans ambiguïté : le peuple hongrois a démontré sa haine du communisme et sa volonté de revenir au bon vieux paradis capitaliste. Pour des raisons quelque peu différentes, la version des staliniens s’en rapproche étrangement : les révolutionnaires sont sans vergogne qualifiés par la bureaucratie de « contre-révolutionnaires », de « fascistes », d’ « agents de la Gestapo ». Dans un cas comme dans l’autre, les insurgés sont présentés comme des éléments pro-capitalistes. Or il n’en est rien : tout le développement de la révolution hongroise dément une telle analyse.

    En 1956, le programme qu’exprimaient des millions de travailleurs de Hongrie à travers les résolutions de leurs conseils et comités, reprenait dans les grandes lignes le programme tracé vingt ans plus tôt dans « La révolution trahie » par Trotsky, où celui-ci prônait pour la Russie une révolution politique contre la caste bureaucratique au pouvoir, comme seule issue afin d’empêcher un retour au capitalisme qui renverrait l’Etat ouvrier des décennies en arrière.

    Trotsky disait : « L’économie planifiée a besoin de démocratie comme l’homme a besoin d’oxygène pour respirer ». Les travailleurs ne refusaient pas la production socialisée ; ce qu’ils refusaient, c’était que cette dernière se fasse au-dessus de leurs têtes. Ils se battaient pour le véritable socialisme, c’est-à-dire un socialisme démocratique. C’est pour cette raison que la victoire des conseils ouvriers était apparue comme un péril mortel à la bureaucratie de l’URSS. De plus, son exemple était un danger direct pour toute la hiérarchie de bureaucrates de que l’on appelait hypocritement les « démocraties populaires ». Mao, Tito, et tous les autres, sans exception, supportèrent sans hésiter la ligne suivie par Moscou. Le Parti Communiste Chinois alla même jusqu’à reprocher aux Russes de ne pas avoir réagi assez vigoureusement pour écraser la révolution hongroise. Dans les pays occidentaux, les PC estimaient que l’intervention soviétique était inévitable et nécessaire si l’on voulait « sauver le socialisme » : il leur en coûtera des dizaines de milliers de membres, le PC anglais perdant plus du quart de ses effectifs.

    Malheureusement, les travailleurs hongrois se sont lancés dans la révolution sans disposer d’une direction révolutionnaire permettant de faire aboutir le mouvement jusqu’à sa conclusion : là était le gage d’une possible victoire. Il est regrettable que certains commentateurs de gauche tirent des conclusions complètement opposées. C’est le cas de Thomas Feixa, journaliste au « Monde Diplomatique », qui écrit : « La grève générale et la création de conseils autonomes opérant sur la base d’une démocratie directe bat en brèche la formule du parti révolutionnaire défendue par Lénine et Trotsky, celle d’une organisation autoritaire et centralisatrice qui réserve les décisions à une élite savante et restreinte. » La contradiction qui est ici posée entre les conseils ouvriers d’un côté, et le parti révolutionnaire de l’autre, n’a pas de sens. Les conseils ouvriers existaient également en Russie : les soviets, qui permettaient précisément que les décisions ne soient pas « réservées à une élite savante et restreinte », mais impliquaient au contraire la masse de la population dans les prises de décision. Que les soviets aient finalement perdu leur substance et furent sapés par la montée d’une bureaucratie totalitaire qui a fini par gangréner tous les rouages de l’appareil d’Etat, c’est une autre histoire que nous n’avons pas l’espace d’aborder ici. Mais une chose est certaine : la victoire des soviets russes a été permise parce qu’ils disposaient d’une direction révolutionnaire à leur tête, représentée par le Parti Bolchévik. Si l’héroïsme des travailleurs hongrois avait pu être complété par l’existence d’un parti tel celui des Bolchéviks en 1917, le dénouement de la révolution hongroise aurait été tout autre, et la face du monde en aurait peut-être été changée.

    Andy Anderson, auteur anglais d’un livre appelé « Hungary ‘56 », explique quant à lui : « Les travailleurs hongrois ont instinctivement, spontanément, créé leurs propres organes, embryon de la société qu’ils voulaient, et n’ont pas eu besoin d’une quelconque forme organisationnelle distincte pour les diriger ; c’était ça leur force. » Encore une fois, ce qui constituait la faiblesse principale du mouvement –sa spontanéité- est ici transformée en son contraire, et présentée comme sa force principale. Il est d’ailleurs assez révélateur de constater qu’aucun de ces deux auteurs n’aborde la question de savoir pourquoi la révolution hongroise a échoué. Elle a échoué car il manquait aux travailleurs hongrois la direction capable de coordonner leur action, de construire un soutien solide dans les populations ouvrières des autres pays de l’Est par une stratégie consciente visant à étendre la révolution à l’extérieur et ainsi desserrer l’étau qui pesait sur les révolutionnaires hongrois, de déjouer les pièges de la bureaucratie et, surtout, de balayer définitivement celle-ci du pouvoir. C’est bien à cause de cela que les conseils ouvriers sont restés en Hongrie à l’état d’ « embryons de la nouvelle société » et ne sont jamais devenus des organes de pouvoir effectifs.

    Sources :

    • « La révolution hongroise des conseils ouvriers », Pierre Broué.
    • « Hungary ‘56 », Andy Anderson
    • « Le Monde Diplomatique » (octobre 2006)
    • « La Libre Belgique » (23 et 24 octobre 2006)
  • INBEV: Tournées de licenciements après tournées de licenciements pour étancher la soif de profit du géant de la bière…

    Plus de 500 licenciements ont été annoncés en Belgique, ainsi que la fermeture des brasseries de Hoegaarden et de Molenbeek. Inbev est déjà la plus grande brasserie au niveau mondial – un de ses slogans est d’ailleurs « going from bigger to best » – mais les concurrentes Anheuser-Busch et SABMiller font plus de bénéfices avec un volume plus petit. En d’autres termes, il faut faire plus de profit, de préférence sur le dos du personnel. Mais quand il s’agit des primes des managers, il y a deux poids deux mesures.

    Luc Janssens

    En chiffres

    • 1,024 milliard de profits en 2005…
    • 31 millions d’euros en prime de départ pour trois managers…
    • Les familles Spoelberch, de Mevius en Vandamme, les plus importants actionnaires d’Inbev, ont une fortune de 7.357.577.790 euro, ce qui fait d’eux de loin les plus riches familles de Belgique…
    • Et 500 licenciements…

    La première restructuration a eu lieu en octobre dernier: 45 employés au bureau principal ont été licenciés. Alors que les négociations étaient encore en cours, les 45 travailleurs ont reçu, en décembre, leur lettre de licenciement. Fin novembre, une deuxième restructuration eut cours en Belgique. Il s’agissait de la fermeture des brasseries d’Hoegaarden et de Molenbeek et de licenciements dans presque tous les sièges. Cette restructuration était encore en cours lorsque Inbev en a annoncé une nouvelle le 24 février, lors d’une réunion extraordinaire du conseil d’entreprise : 360 licenciements à travers l’Europe, dont 201 en Belgique. Cette fois, c’est le siège de Jupille qui est visé, dont l’administration sera délocalisée vers la Tchequie et la Hongrie. Mais ça ne s’arrête pas là. Une semaine plus tard, plus de 200 licenciements étaient annoncés en Allemagne, en France, aux Pays-Bas et en Grande-Bretagne. Il apparaît clairement que d’autres restructurations auront lieu. Les sièges de Belgique ne seront pas touchés dans l’année à venir, à l’exception de cinq licenciements. Mais qu’arrivera-t-il ensuite? Une nouvelle tournée pour les sièges de Belgique? En appliquant la restructuration en différentes phases et en délocalisant, Inbev suit la stratégie de diviser pour mieux régner. Il s’agit de monter les travailleurs des différentes entreprises les uns contre les autres: méthode qu’Inbev continuera d’utiliser pour s’attaquer aux conditions de travail et de salaire du personnel (sauf évidemment pour les managers).

    Les réactions ont fusé immédiatement. Après l’annonce de la fermeture de la brasserie de Hoegaarden, 3000 personnes ont manifesté dans le village. Après l’annonce des licenciements à Jupille, l’évêque de Liège et l’évêque auxiliaire de Namur ont déclaré dans une interview : « Si les lois économiques ne tiennent pas compte de l’être humain, ces lois doivent changer. Les pertes d’emploi s’empilent. Hier c’était à Arcelor, aujourd’hui à Inbev. Et demain? Est-ce cela le côté européen de la mondialisation de l’économie? Cela nous touche. Avec les victimes, leurs familles, leurs collègues et beaucoup de citoyens nous disons: si la logique financière provoque tant de souffrance, elle est inhumaine et elle doit changer. »

    La logique du système actuel est en effet au service du profit. Pour augmenter ces profits, des travailleurs sont jetés à la rue. Ici et là, on entend proclammer l’impuissance quant à la volonté arbitraire des multinationales. Les politiciens crient au scandale, mais au moment décisif ils disparaissent. Ou peut-être ont-ils peur de perdre leur (futur) siège dans le conseil d’administration? Pourquoi n’entendons- nous rien de Jean-Luc Dehaene présent au conseil d’administration d’Inbev? Pas de commentaire? Quelques larmes de crocodile pour ensuite repasser à… de nouvelles attaques sur nos salaires et nos pensions. Bien que des multinationales comme Inbev sont influentes, cela ne signifie pas qu’elles peuvent faire n’importe quoi. Mais pour les arrêter, il faut établir un rapport de force. Il est donc nécessaire de répondre à la stratégie de division d’Inbev. Pour cela il faut un plan d’action commun, européen et combattif, discuté sur les lieux de travail, avec comme point central la lutte pour chaque emploi. Mais même si cela mène à une victoire, elle ne serait que temporaire. Tant que nous vivrons dans un système capitaliste, les profits seront toujours primordiaux, et l’attaque suivante n’est qu’une question d’échéance. Des victoires ponctuelles sur des multinationales comme Inbev sont possibles à condition de construire un rapport de force. Une longue phase de concessions systématiques occtroyées par les multinationales, comme, dans une certaine mesure, lors des « golden sixties », est par contre exclue dans cette phase du capitalisme. Pour de véritables résultats, il faut fondamentalement briser le système et construire une société socialiste.

  • 60 ans après la Seconde Guerre mondiale

    On commémore ces temps-ci le 60ème anniversaire de la fin la Seconde Guerre mondiale. Les médias nous ont abreuvés d’articles et de témoignages historiques sur ce qui fut la plus grande boucherie à ce jour de l’histoire humaine (60 millions de morts). Un dossier de plus? Non, car les commémorations occultent trop souvent les tenants et aboutissants de cette guerre qui a changé pour près d’un demi-siècle les rapports de force au niveau mondial.

    Thierry Pierret

    La Première Guerre mondiale avait été une guerre de repartage du monde entre puissances impérialistes. Pendant des décennies, il y avait une course de vitesse entre les différentes puissances européennes pour s’emparer des différents pays d’Afrique et d’Asie. La Grande-Bretagne et la France étaient sorties gagnantes de cette course de vitesse, l’Allemagne devant se contenter des “miettes” du monde colonial.

    C’est la volonté de l’Allemagne d’imposer un repartage du monde à son avantage qui a plongé le monde dans la “Grande Guerre” en 1914. Les principaux partis sociaux-démocrates s’étaient rangés derrière le drapeau de leur propre impérialisme. C’est la Révolution russe qui a mis fin à la Grande Guerre sur le front de l’est avec l’armistice de Brest-Litovsk. Quelques mois plus tard, la révolution en Allemagne mettait fin aux hostilités sur le front occidental. Malheureusement, la révolution en Allemagne n’a pas abouti à la prise du pouvoir par les travailleurs comme en Russie. Le Parti social-démocrate (SPD) y était autrement plus puissant que les mencheviques en Russie et le jeune Parti communiste allemand (KPD) a commis des erreurs tactiques. La défaite de la révolution en Allemagne, mais aussi en Italie, en Hongrie, en Slovaquie,… ouvre désormais la voie à une période de contre-révolution en Europe qui sera le prélude à une nouvelle conflagration mondiale.

    La montée du fascisme

    La petite-bourgeoisie était prise en tenaille entre le mouvement ouvrier d’une part, la grande industrie et les banques d’autre part. La faillite les guette et, avec elle, la nécessité de vendre leur force de travail pour vivre. Ils aspirent au retour à l’ordre, c’est-à-dire à la situation qui prévalait avant l’industrialisation, à savoir une société de petits producteurs. Les fascistes les séduisent avec leurs diatribes contre “le capital financier” et contre le communisme. La crise économique des années trente verra les secteurs décisifs de la bourgeoisie soutenir le fascisme pour rétablir ses profits en écrasant le mouvement ouvrier et en forçant l’ouverture des marchés extérieurs aux produits allemands.

    Il est donc faux de prétendre que la mégalomanie de Hitler et de Mussolini serait la cause de la Seconde Guerre mondiale. En fait, le programme des partis fascistes correspondait aux nécessités du capitalisme en période de crise aigüe. La seule façon pour la bourgeoisie des pays vaincus (Allemagne) ou mal desservis par la victoire (Italie) de restaurer sa position, c’était d’imposer un nouveau partage du monde par la guerre. Or seuls les partis fascistes étaient déterminés à le faire là où les partis bourgeois classiques étaient soucieux de préserver les équilibres internationaux. Il y a donc un lien entre le fascisme et la guerre dans la mesure où ce sont deux conséquences parallèles de la crise du capitalisme en décomposition.

    Capitulation du mouvement ouvrier

    La victoire du fascisme n’était pas inéluctable. En Allemagne, les partis ouvriers et leurs milices – SPD et KPD – étaient plus puissants que le Parti nazi. Mais le SPD refusait l’affrontement sous prétexte de respecter la légalité là où les nazis n’en avaient cure. Plutôt que d’organiser les travailleurs, il préférait s’en remettre au Président Hindenburg comme “garant de la démocratie”.

    Quant au KPD, il suivait la ligne de Moscou qui professait la théorie absurde selon laquelle la social-démocratie et le nazisme étaient des frères jumeaux (théorie du social-fascisme). Le KPD a même organisé des activités en commun avec les nazis! Cette attitude des dirigeants des deux grands partis ouvriers allemands a complètement désorienté les travailleurs allemands face aux nazis. En 1933, Hitler prenait le pouvoir sans coup férir avec la bénédiction de Hindenburg…

    Le Pacte germano-soviétique

    L’arrivée au pouvoir de Hitler – dont Staline était pourtant largement responsable – a semé la panique à Moscou. Pour assurer sa défense, l’URSS va désormais privilégier une stratégie d’entente avec la France et la Grande-Bretagne. Pour ce faire, il ne fallait rien faire qui puisse effrayer les bourgeoisies française et britannique. Par conséquent, les partis communistes occidentaux devaient adopter un profil bas et privilégier des alliances non seulement avec la social-démocratie, mais aussi avec la “bourgeoisie progressiste”.

    Cette stratégie débouchera sur la formation de gouvernements de front populaire en France et en Espagne en 1936. Pour maintenir coûte que coûte ce front de collaboration de classe, le PC n’hésitera pas à casser la grève générale en France et à liquider la révolution en Espagne. Mais en 1938, Paris et Londres repoussent l’offre de Staline d’agir de concert pour contrer les visées de Hitler sur la Tchécoslovaquie.

    Staline change alors son fusil d’épaule et signe le Pacte germano-soviétique en 1939. Il croit ainsi assurer ses arrières. Bien plus qu’un pacte de non-agression, le Pacte germano-soviétique comportait un protocole secret qui organisait le dépeçage de l’Europe de l’est entre l’Allemagne et l’URSS. Alors que les bolcheviques avaient rendu publics tous les traités secrets en 1917, Staline renouait avec les pires méthodes des puissances impérialistes.

    Une nouvelle guerre de repartage

    La Seconde Guerre mondiale fut, en Europe de l’Ouest, en Afrique et en Asie, une nouvelle guerre de repartage du monde. L’Allemagne, qui avait été privée de toutes ses colonies en 1918, voulait prendre sa revanche. L’Italie, mal desservie par sa victoire en 1918, avait annexé l’Albanie et envahi l’Ethiopie en 1935. Mais l’Ethiopie était le seul pays africain qui restait à coloniser. L’Italie ne pouvait plus étendre son empire colonial qu’en empiétant sur les colonies françaises et britanniques. Il ne faut pas chercher ailleurs les raisons de son entrée en guerre aux côtés de l’Allemagne en 1940. En Asie, le Japon, après avoir annexé la Corée et la Mandchourie, s’était lancé à la conquête de la Chine toute entière. Il lorgnait sur les colonies françaises, britanniques et hollandaises en Asie. Mais les Etats-Unis s’opposaient aux prétentions impériales de Tokyo en Asie et lui ont coupé son approvisionnement en pétrole.

    D’où l’attaque sur Pearl-Harbour en décembre 1941 pour avoir les mains libres dans le Pacifique. Pearl-Harbour a fourni le prétexte rêvé au Président Roosevelt pour engager les Etats-Unis dans la guerre, puisque le Japon était un allié de l’Allemagne et de l’Italie. La guerre est désormais mondiale. Elle oppose les puissances impérialistes établies (Etats-Unis, France, Grande-Bretagne) aux forces de l’Axe (Allemagne, Italie, Japon), c’est-à-dire l’axe des mal servis du partage colonial. Mais entre-temps, il y a eu l’offensive allemande contre l’URSS en juin 1941. Cette nouvelle donne va non seulement changer le cours de la guerre, mais aussi en changer partiellement la nature.

    La victoire soviétique

    Staline avait cru gagner un répit de 10 ans en signant le Pacte germano-soviétique. Il en avait également profité pour ramener la frontière occidentale de l’URSS à celle d’avant 1914 (annexion de l’est de la Pologne, des pays baltes, de la Bessarabie). En revanche, l’invasion de la Finlande se solda par un fiasco. Staline, dans sa lutte acharnée contre l’opposition de gauche, avait liquidé tous les officiers qui avaient été formés par Trotsky. Privée de ses meilleurs officiers, l’Armée rouge s’est révélée incapable de venir à bout de l’armée finlandaise. Hitler en a conclu que l’Armée rouge n’était qu’un tigre de papier et qu’elle s’effondrerait sous les coups de la Werhmacht. Or les nazis, dans leur entreprise de destruction systématique du mouvement ouvrier organisé, ne pouvaient pas tolérer l’existence de l’état ouvrier – tout bureaucratisé qu’il fût – soviétique. Le 22 juin 1941, la Werhmacht envahissait l’URSS à la stupéfaction de Staline qui croyait dur comme fer au Pacte. Les premières semaines de l’offensive ont semblé donner raison à Hitler.

    L’Armée rouge, mal préparée, privée d’officiers compétents, s’effondrait sous les coups de butoir de la Wehrmacht, perdant des centaines de milliers de prisonniers et de tués en quelques jours. Mais Hitler avait sousestimé la capacité de résistance et d’auto-organisation de la population russe.

    Surtout, Hitler avait sousestimé le potentiel d’une économie planifiée même bureaucratiquement. Jamais un pays relativement arriéré comme l’URSS n’aurait pu fournir un tel effort de guerre dans les conditions d’une économie de marché. L’Armée rouge a pu stopper l’offensive hitlérienne avant de partir à la contre-offensive.

    L’URSS payera sa victoire de quelque 27 millions de morts. Les pertes sont d’autant plus lourdes que le régime nazi se déchaîne contre les “sous-hommes” (Juifs, Slaves, Tsiganes). Si l’antisémitisme du régime avait d’abord eu pour but de désigner un bouc-émissaire pratique aux souffrances de la population, il acquiert dès lors une dynamique propre qui conduira à la Solution finale.

    Mais cette pulsion mortifère exprime surtout l’impuissance des nazis à retourner la situation en leur faveur. A partir de ce moment, la guerre change de nature. On assiste à une course de vitesse entre l’Armée rouge et les anglo-américains. Ceux-ci ne se décident à ouvrir un nouveau front (débarquement de juin 1944) que pour endiguer l’avance soviétique. Après la capitulation allemande, cette course se poursuivra en extrême-orient où les Etats-Unis n’hésiteront pas à utiliser l’arme atomique pour contraindre le Japon à capituler sans délai et éviter une partition du Japon comme en Allemagne et en Corée.

    La révolution met fin à la guerre

    Les dirigeants américains et britanniques envisagent même de faire une paix séparée avec l’Allemagne pour repousser l’Armée rouge. Mais les nazis s’obstinent à vouloir mener la guerre sur les deux fronts et le putsch contre Hitler échoue. Surtout, les travailleurs n’auraient pas toléré la prolongation de la guerre et sa transformation en guerre est-ouest. En Italie, en France, en Yougoslavie, en Grèce, les partisans communistes libèrent la majorité du territoire. Ils sont une force avec laquelle les alliés doivent compter. La prise du pouvoir par les communistes était possible dans plusieurs pays, y compris à l’ouest. Mais Staline le leur a interdit et a ordonné aux partisans de rendre leurs armes en échange d’assurances de la part des Alliés. On peut dire que le stalinisme a joué le même rôle contre-révolutionnaire en 1945 que la social-démocratie en 1918. Dans les pays occupés par l’Armée rouge, nombre de communistes actifs dans la résistance sont liquidés car jugés peu fiables. Alors que c’est la révolution (ou la menace de révolution) qui a empêché les Alliés de continuer la guerre contre l’URSS, Staline a cru pouvoir opter pour la coexistence pacifique avec l’impérialisme (accords de Yalta). Mais Staline ne recueillera pas davantage les fruits de sa “modération” que dans les années trente. En 1949, les puissances impérialistes créent l’OTAN pour endiguer l’URSS et le monde bascule dans la guerre froide. Pendant près d’un demi-siècle, la violence de l’impérialisme sera contenue par l’existence du bloc de l’est. Mais les tares du stalinisme ont fini par avoir raison des états ouvriers bureaucratisés. La chute de l’URSS ouvre la porte à une nouvelle ère de tensions interimpérialistes.

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