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  • Le débat chinois. La contre-révolution capitaliste chinoise

    Dans notre série d’articles "Le Débat Chinois", entamée dans le numéro d’avril 2007 de Socialism Today (magazine du Socialist Party of England and Wales, section britannique et galloise de notre Internationale), nous publions ici un article de Vincent Kolo, qui offre son point de vue sur la nature de l’Etat chinois, sujet actuellement en débat dans notre internationale.

    Vincent Kolo

    La contre-révolution capitaliste chinoise

    Les marxistes, comme tout le monde d’ailleurs, débattent beaucoup au sujet de la Chine, un pays qui est devenu crucial dans les développements économiques et politiques au niveau mondial. Un aspect important de cette discussion est la manière dont nous considérons l’Etat chinois. Tout Etat (la police, l’armée, la justice et, dans le cas de la Chine, le Parti « Communiste » au pouvoir) est, comme l’a expliqué Lénine, « une machine destinée à maintenir la domination d’une classe sur une autre » (1). Mais dans le cas de la Chine, quelle est la classe dominée, et quelle est la classe dominante ?

    Cette discussion peut être énormément bénéfique dans l’approfondissement de notre compréhension des processus en Chine et des perspectives pour la période à venir. Notre point de départ est la contre-révolution sociale brutale des dernières deux décennies, qui a vu l’ancienne bureaucratie maoïste-stalinienne, à l’instar de ses alter-egos de l’Union Soviétique et d’Europe de l’Est, abandonner la planification centrale et passer à une position capitaliste. Si on nous demandait quelle classe en Chine a bénéficié de ce processus, nous répondrions sans hésiter que c’est la bourgeoisie, à la fois la bourgeoisie chinoise et la bourgeoisie mondiale. En 1949, la révolution chinoise a signifié un bouleversement dans le rapport de forces des différentes classes à l’échelle internationale. Aujourd’hui, la contre-révolution a complètement renversé ce rapport de force. Il n’y a absolument rien de progressiste dans l’Etat chinois actuel.

    La Chine d’aujourd’hui est synonyme d’ateliers de misère géants, et de la plus brutale exploitation du travail par le capitalisme domestique et mondial. La majorité de la « nouvelle » classe ouvrière industrielle, pour la plupart composée d’immigrés ruraux qui sont chez nous l’équivalent des immigrés « sans-papiers » d’Europe et d’Amérique, travaillent douze heures ou plus chaque jour, pour un salaire de misère, dans des usines non-sécurisées, sous un régime quasi-militaire, plein de règles et d’amendes. Cet édifice de super-exploitation est bâti autour de l’Etat répressif unipartiste du PCC (Parti « Communiste » Chinois), qui réprime violemment toute grève et toute tentative de construire des syndicats indépendants.

    Les propriétaires des usines et des mines, lesquels sont impliqués dans des « accidents » de travail effarants et en dépit de toute réglementation (136 000 morts au travail en 2004), sont protégés par les dirigeants du PCC et par la police. Après la mort de 123 mineurs l’an passé dans une mine de charbon de la province de Guangdong (Canton), il a été découvert que la moitié des actionnaires étaient des dirigeants du parti. Un officier de police avait des actions dans cette mine pour une valeur d’environ 30 millions de yuan (€2,8 millions).

    C’est là le portrait d’un capitalisme mafieux, aussi brutal et irresponsable que celui de Russie et d’autres régions de l’ancienne Union Soviétique. Les hauts échelons de l’Etat chinois, y compris le gouvernement central de Beijing (Pékin), sont maintenant complètement intégrés dans le système capitaliste mondial – grâce à la politique d’ouverture que le président Hu Jintao décrit comme étant « la pierre angulaire » du développement économique de la Chine. La conséquence est que la Chine a été retournée sens dessus-dessous, d’une des sociétés les plus égalitaires du monde à une des plus inégales – dont le gouffre entre riches et pauvres est plus grand que ceux des Etats-Unis, de l’Inde ou encore de la Russie. Ce programme « complètement capitaliste » est crucial dans toute discussion portant sur la nature de classe de l’Etat et du régime du PCC.

    « Néolibéralisme radical »

    « La Chine a mis en œuvre une politique néolibérale parmi les plus radicales au monde », explique Dale Wen, un auteur chinois, dont le rapport, « China copes with Globalisation » (2), fournit un des meilleurs résumés du soi-disant « processus de réformes ». Wen compare la politique des 20 dernières années aux programmes du FMI et de la Banque Mondiale dans le monde néocolonial, faisant remarquer que « la principale différence est que le gouvernement chinois applique ces mesures de plein gré ».

    Sous la pression des masses qui avaient été enthousiasmées par la révolution de 1949, l’Etat maoïste a fourni d’immenses améliorations sociales sur les plans de l’éducation, de la santé, du logement et de la réduction de la pauvreté. Cette politique était rendue possible par le fait que les bases économiques de cet Etat reposaient sur la propriété nationalisée et la planification centralisée, malgré leur confinement aux limites étroites d’un bureaucratisme national. La plupart de ces acquis sociaux ont été démantelés par la contre-révolution capitaliste. Tout ce qui reste pour les masses chinoises, sont les résidus du stalinisme – terreur policière et absence des plus élémentaires des droits démocratiques – combinés aux pires aspects du capitalisme – exploitation extrême et absence de tout réseau de sécurité sociale.

    Les faits suivants illustrent les effets dévastateurs de la politique du PCC :

    • Education: les fonds privés comptent maintenant pour 44% des coûts éducationnels totaux en Chine, la plus grande proportion au niveau mondial, excepté pour le Chili. Il n’existe plus aucune éducation gratuite. Les droits d’entrée normaux pour les écoles secondaires dans la plupart des villes s’élèvent à 200€ par an – l’équivalent de deux mois de salaire pour un salarié moyen. A Shanghai, le ménage moyen dépense 25% de son revenu en frais d’école (comparé à 10% aux Etats-Unis). Il y a plus d’un demi-million de professeurs sous-qualifiés, et des milliers d’écoles bas-de-gamme, non reconnues, qui rassemblent les 20 millions d’enfants d’immigrés privés d’accès aux écoles d’Etat. Le taux d’analphabétisation monte de plus en plus, dû à la décroche scolaire, en particulier dans les zones rurales et chez les filles.
    • Santé: le système des soins de santé chinois faisait à une époque rêver toute l’Asie. Aujourd’hui, le pourcentage de fonds privés dans les soins de santé est plus grand en Chine qu’aux Etats-Unis. A la campagne, un tiers des cliniques et des hôpitaux sont au bord de la faillite, et un autre tiers sont déjà fermés. Quatre cent millions de Chinois, un chiffre équivalent à la population totale de l’Union Européenne, ne peut plus se payer de docteur.
    • Un processus similaire s’est déroulé dans les logements et les transports.

    Le rôle de la Chine dans le monde

    Alors que l’économie mondiale est plus interconnectée que jamais, on ne peut se contenter d’approcher la question du caractère de classe de l’Etat et du régime chinois sur le seul plan national. La Chine est plus intégrée dans l’ordre capitaliste mondial que la Russie et les autres Etats staliniens. Les capitalistes étrangers contrôlent aujourd’hui un quart de la production industrielle chinoise (3). Le modèle économique du PCC est basé sur "un niveau d’ouverture inhabituellement élevé à l’économie mondiale – le commerce international compte pour 75% du PIB", selon Susan L Shirk (dans son livre "Fragile Superpower" (4)). Ce taux est équivalent au double de celui de l’Inde, et au triple de ceux du Japon, de la Russie ou des Etats-Unis.

    Le régime du PCC actuel est un instrument de la mondialisation du néolibéralisme. En aucun cas on ne peut dire que ce processus est ambigu : au contraire, il crève les yeux. Les entreprises chinoises, dont la plupart appartiennent à l’Etat, sont détestées à travers de larges couches en Afrique, en raison de leurs pratiques anti-syndicales, corrompues, illégales et polluantes. Les banques chinoises se sont révélées être aussi parasitaires que n’importe quelle autre banque dans le monde capitaliste – déversant par exemple des milliards de dollars dans les "dérivés" des subprimes américains. En Iraq et dans les autres pays débiteurs, les représentants chinois présentent des contrats avec exactement les mêmes conditions que celles exigées par les autres puissances capitalistes : privatisations, dérégulations et autres politiques néolibérales. Cette politique étrangère n’est bien entendu qu’une extension de la politique intérieure – il n’y a pas ici de grande muraille.

    La contre-révolution agraire

    On estime à 70 millions le nombre de paysans qui ont perdu leur terrain lors des vingt dernières années, expropriés pour faire de la place à la construction d’usines, de routes, et de projets de prestige tels que hôtels et terrains de golf. La plupart de ces expropriations étaient illégales, se jouant des tentatives du gouvernement central de contrôler ce processus.

    On retrouve plus d’une douzaine de magnats de l’immobilier sur la dernière liste du magazine Forbes des 40 plus grands milliardaires chinois. En tête de liste, se trouve Yáng Huíyàn, une dame âgée de 26 ans, à la tête d’un empire immobilier de Guăngdong, et dont la fortune personnelle en 2007 s’élevait à $16,2 milliards, cadeau de son père. En comparaison, une proportion stupéfiante de 42% de la population rurale a subi un déclin absolu de son revenu sur la période 2000-2002.

    Dans les années 1950’s, le régime de Mao avait nationalisé la terre, et cette mesure n’a pas été officiellement annulée, bien qu’une série de "réformes" partielles aient privatisé l’utilisation de la terre, tout en laissant à l’Etat la propriété du sol. Mais, comme l’a expliqué Lénine, la nationalisation de la terre ne constitue pas en elle-même un rempart contre le capitalisme : "Une telle réforme est-elle possible dans le cadre du capitalisme ? Elle n’est pas seulement possible, mais représente la forme la plus pure, la plus cohérente, la plus idéalement parfaite du capitalisme… selon la théorie de Marx, la nationalisation du sol signifie une élimination maximale des monopoles moyen-âgeux et des relations médiévales dans l’agriculture, une liberté maximale dans le rachat et la vente de terres, et une aisance maximale pour l’agriculture à s’adapter au marché" (Démocratie et narodnikisme en Chine, 15 juillet 1912).

    Un Etat en perte de vitesse

    En conséquence des "réformes" néolibérales et de la croissance capitaliste anarchique, le pouvoir économique de l’Etat s’est sérieusement dégradé. Elle est longue, la liste des sphères de l’économie sur lesquels le régime de Bĕijing a perdu tout contrôle : secteurs de la construction et de l’immobilier urbain, crédit et investissement, sécurité médicale et alimentaire, protection environnementale, marché du travail, la plupart de l’industrie manufacturière et, comme nous l’avons vu plus haut, l’attribution des terres agricoles.

    Chaque année, la Heritage Foundation, un cercle de réflexion capitaliste, produit un Index de la Liberté Economique, dans lequel la Chine dépasse régulièrement, et de loin, la Russie et les autres ex-Etats staliniens. Sous la catégorie "Liberté provenant du gouvernement", par exemple, basé sur un aperçu des dépenses gouvernementales et des privatisations, la Chine était jugée à 88,6% "libre" tandis que la Russie avait un score de 71,6%, et l’Ukraine seulement 61,9%. En Chine, la totalité des dépenses gouvernementales en 2006 équivalait 20,8% du PIB, un taux bien inférieur à celuide la Russie (33,6%), de l’Ukraine (39,4%), et à peine un tiers de celui de la Suède (56,7%).

    En Russie comme en Ukraine, les entreprises appartenant à l’Etat et la propriété gouvernementale de la propriété contribuent pour une part significativement plus élevée des revenus gouvernementaux, respectivement 6,1% et 5,6%, que par rapport à leur contribution au budget de l’Etat chinois, 3,1% (chiffres de 2006). Dans le contexte de l’Asie Orientale, avec sa tradition de "capitalisme d’Etat", la faiblesse de ce chiffre est encore plus flagrante. Les gouvernements malaisien et taiwanais tirent pour leur part 11,5% et 14,4% de leur revenu du secteur d’Etat respectivement.

    La taille du secteur d’Etat en lui-même n’est pas décisif pour la détermination de la nature de classe d’une société – quelle classe possède le pouvoir économique ? Dans son analyse du stalinisme, "La Révolution trahie", Léon Trotsky avait prédit qu’une contre-révolution bourgeoise en Union Soviétique serait forcée de conserver un important secteur d’Etat. En Chine, ceci est encore plus le cas, étant donné la tradition confucianiste d’intervention économique de la part du gouvernement, une influence répandue à travers toute l’Asie Orientale. Il existe aujourd’hui des pays qui ont un bien plus grand degré d’étatisation de l’économie que la Chine – l’Iran, par exemple, où l’Etat contrôle 80% de l’économie.

    Privatisation et restructuration

    Selon le Bureau National des Statistiques de septembre 2007, les entreprises étrangères et privées comptent maintenant pour 53% de la production industrielle de la Chine, une hausse de 41% depuis 2002. Les entreprises d’Etat y jouent toujours un rôle important, et prédominent dans la liste des plus grandes entreprises. Mais les seuls secteurs de l’industrie dans lesquels les entreprises d’Etat occupent une position dominante sont les mines, l’énergie et les services. Un rapport de l’OCDE de décembre 2005 révélait que les dans les 23 plus importants secteurs industriels, des textiles aux télécommunications via l’acier et les automobiles, le privé emploie les deux-tiers de la main d’œuvre et produit les deux-tiers de laa valeur ajoutée.

    Aujourd’hui, « les trois-quarts des employés urbains sont en-dehors du secteur d’Etat » (Shirk, "Fragile Superpower"). Ceci est le résultat du rythme frénétique des privatisations et restructurations du secteur d’Etat au cours de la dernière décennie, accélérée par les préceptes de l’OMC. Comme l’a dit Zhou Tianyong, professeur de l’Ecole du Parti du Comité Central du PCC, « le nombre d’employés des entreprises d’Etat et des coopératives est tombé de 130 millions de personnes dans les années 90’s, à 30 millions aujourd’hui » ("China Daily", 8 octobre 2007).

    En termes du nombre d’employés affectés, il ne fait aucun doute que ceci est le plus grand programme de privatisation jamais mis en vigueur dans aucun pays de tous les temps. Etant donné que l’agriculture avait déjà été privatisée dans les années ‘80, la vaste majorité des Chinois – plus de 90% – sont maintenant engagés dans le secteur privé.

    Aujourd’hui, le secteur d’Etat est un levier pour le développement de l’économie capitaliste, fournissant un cadre d’industries essentielles, telles que l’énergie et les communications, auxquelles on doit ajouter les investissements ciblés dans certains secteurs de haute technologie suivant les modèles japonais et coréens. Il serait incorrect de parler de secteurs "capitalistes" et "non-capitalistes", comme si le secteur d’Etat opérait sur une base alternative, non capitaliste.

    Les entreprises d’Etat chinoises ont été transformées, vague après vague de "réformes" corporatistes, de fusions et de licenciements, de rachats d’actions par les cadres, de recrutement de managers éduqués à l’Occident, de listings publics, de joint venture avec du capital étranger, et de différents niveaux de privatisation. Même lorsqu’un entreprise appartient totalement à l’Etat (ce qui est aujourd’hui devenu une rareté), elle père pour faire du profit, de la même manière qu’une entreprise privée. Parlant des attaques du gouvernement Thatcher sur les industries nationalisées en Grande-Bretagne, un journaliste du Financial Times a écrit que « la transformation de British Airways et de British Steel dans les années 80’s n’était pas le résultat d’une privatisation – c’est au contraire la transformation qui a précédé la privatisation et qui l’a rendue possible » (John Kay, 26 septembre 2007).

    C’est exactement cela qu’il s’est passé en Chine – mais sur une toute autre échelle. Les secteurs industriels et commerciaux consistent en unités complètement autonomes et, dans la plupart des cas, semi-privatisés. Ceci représente une forme de « capitalisme étatique » semblable à Gazprom, le conglomérat de l’énergie étatique qui produit à lui seul 8% du PIB russe.

    Investissements dirigés par l’Etat

    Il est vrai que l’essentiel des investissements en Chine proviennent du secteur d’Etat. Mais ceci est également le cas en Russie. En Chine, cependant, la plupart des décisions d’investissement sont prises sur le plan local, et très souvent en contradiction avec la politique du gouvernement central. Une grande proportion des dépenses d’infrastructure des gouvernements locaux va à des projets de prestige, destinés à attirer des « investisseurs » privés – hôtels de luxe, centres de conférences, nouveaux aéroports « internationaux », parcours de golf et centre commerciaux à moitié déserts.

    Ceci représente un gaspillage dément de fonds publics – commandé par un capitalisme débridé – et est le prélude à un crash économique similaire à celui qui a frappé l’Asie du Sud-Est il y a dix ans. Aucun gouvernement socialiste, ni même réformiste à l’ancienne, ne considérerait la question de l’investissement public d’une manière aussi criminelle. Mais aujourd’hui, chaque municipalité et région chinoise veut son lien direct avec le marché mondial, à une époque où la dépendance du pays vis-à-vis de l’étranger est proche de "l’extermination". Le besoin le plus pressant est de développer le marché interne chinois, mais cela ne peut être réalisé que par la rehausse du niveau de vie de la population, et la reconstruction des services publics de base tels que la santé, l’éducation et des logements décents – des secteurs dans lesquels les dirigeants locaux du PCC refusent catégoriquement d’investir.

    Le secteur bancaire chinois appartient en majorité à l’Etat. Mais cela également n’est pas un cas isolé, surtout en Asie. Les quatre plus grosses banques d’Etat chinoises (les "Big Four"") comptent pour 71% de tous les prêts bancaires, et 62% des dépôts. En comparaison, la plus grande banque d’Etat russe accapare 60% des dépôts des ménages et 40% des prêts. En Inde, les banques d’Etat reprennent 75% de toutes les opérations bancaires commerciales (Bank of International Settlements).

    Ce serait une erreur de juger les "réformes" néolibérales (privatisations partielles, fusions avec des entreprises étrangères) dans le secteur bancaire et les autres secteurs comme étant superficielles – les changements sont bien trop réels et extrêmement préjudiciables aux intérêts des salariés ordinaires, en Chine comme à l’étranger. Une part de plus en plus grande de la gigantesque réserve d’épargne chinoise – à peu près 1800 milliards de dollars – est en train d’être rognée par la spéculation partout dans le monde, enrichissant les hedge funds et les autres parasites financiers, plutôt que d’être utilisée à la reconstruction des services public agonisants.

    Réforme ou révolution ?

    L’Etat chinois – comme les gouvernements d’Allemagne et de Grande-Bretagne récemment – peut et va intervenir à la rescousse de ses banques en faillite ou d’autres entreprises stratégiques, et ceci pourrait inclure des renationalisations. La renationalisation sur une base capitaliste, toutefois, ne représente pas un retour à la planification. Seul un mouvement révolutionnaire massif des travailleurs surexploités et des paysans peut démolir ce qui sont maintenant des fondations économiques capitalistes puissantes en Chine, étroitement liées au capitalisme mondial. Un tel mouvement ne voudra pas revenir au maoïsme-stalinisme, mais s’efforcera d’atteindre une authentique planification socialiste démocratique, basée sur le potentiel colossal du prolétariat chinois, qui compte maintenant 250 millions de personnes.

    Le processus de contre-révolution en Chine a été complexe et parfois extrêmement contradictoire, mais néanmoins, la victoire de la contre-révolution bourgeoise, bien que sous une forme particulière "confucéenne", est aujourd’hui extrêmement claire. Une révolution politique – "anti-bureaucratique" – n’est plus suffisante pour amener la classe salariée au pouvoir. De la même manière, il n’est pas non plus correct de dire qu’une nouvelle révolution combinera les tâches d’une révolution politique et d’une révolution sociale – ceci est vrai pour chaque révolution sociale, lesquelles induisent une modification des bases économiques et donc, par nécessité, de la superstructure politique, l’Etat. Un changement qualitatif a eu lieu, par lequel un renversement de la contre-révolution capitaliste chinoise n’est plus possible autrement que par une nouvelle révolution sociale prolétarienne, qui devra renverser l’Etat actuel et exproprier ses principaux bénéficiaires, les capitalistes chinois et étrangers. Ce point est extrêmement important lorsque nous parvenons à la question des perspectives et d’un programme pour la Chine.

    Qu’est-ce que la bureaucratie ?

    En tant que marxistes, nous ne basons pas notre caractérisation du régime chinois sur la simple utilisation occasionnelle de symboles et de phraséologie "communistes" (ou plutôt, staliniens). Ce vernis extérieur est un facteur entièrement secondaire, de la même manière qu’il existe des partis "socialistes" ou "communistes" en Europe et ailleurs, qui organisent une manifestation le jour du Premier Mai et chantent "l’Internationale, tout en menant une politique entièrement capitaliste. Le caractère de classe de n’importe quel organisme, parti ou régime est déterminé par la classe dont il sert les intérêts – sa base sociale.

    Le régime maoïste, par la ruse, les manœuvres et la répression, a été un obstacle à toute tentative de la classe salariée de s’organiser en mouvement indépendant. Mais en même temps, afin de maintenir ses propres privilèges et son pouvoir, il a défendu la propriété d’Etat et les acquis sociaux de la révolution. C’est cela qui a donné au régime son caractère contradictoire – une combinaison d’éléments réactionnaires et progressistes. Cela n’est aujourd’hui plus le cas. S’étant vendu corps et âme au capitalisme, l’Etat chinois a perdu son caractère ambivalent et contradictoire.

    Trotsky a décrit la bureaucratie stalinienne comme étant une tumeur, un cancer sur le corps de l’Etat ouvrier. Il a expliqué que "une tumeur peut grandir jusqu’à une taille prodigieuse, et même étouffer l’organisme duquel elle vit, mais elle ne peut jamais vivre indépendamment de cet organisme" ("La nature de classe de l’Etat soviétique", 1933).

    La "tumeur" de la bureaucratie chinoise ne peut acquérir une vie indépendante, étant donné sa relation aux moyens de production, et n’est certainement pas en elle-même le reposoir des mesures socialement progressistes issues de la révolution de 1949. C’est même plutôt l’inverse qui est vrai. Sous le stalinisme et le maoïsme, ces acquis existaient dans la conscience et dans la pression de masse des travailleurs et des paysans, malgré le rôle de désorganisateur et de confusion joué par la bureaucratie. Trotsky a aussi expliqué que « la présence de la bureaucratie, avec toutes les différences de ses formes et de son poids spécifique, caractérise TOUT régime de classe. Sa force est un reflet. La bureaucratie, indissolublement liée à la classe économiquement dominante, est nourrie par les racines sociales de celle-ci, se maintient et tombe avec elle » (ibid., italiques par Vincent Kolo).

    Mais aujourd’hui, quelle est en Chine la classe économiquement dominante ? Avec le démantèlement de l’économie planifiée, ce ne peut plus être la classe salariée. Une partie de l’ancienne bureaucratie maoïste s’est reconvertie par le « processus de réformes » en une nouvelle classe de propriétaires.

    La connexion entre capital privé et étatique n’est pas rigide, mais fluide, reflétant une large gamme d’arrangements intermédiaires, en partie privés, en partie publics. La classe capitaliste est dépendante de l’Etat actuel pour ses contrats, ses emprunts, ses faveurs et, surtout, pour être protégée de la classe salariée. Parmi les 20 000 plus riches hommes d’affaires chinois, 90% sont membres du PCC ou comptent des membres du parti dans leur famille.

    Pas de ‘big bang’ ?

    Le régime du PCC et la bureaucratie dans son ensemble n’ont jamais constitué, en elles-mêmes, un rempart à la contre-révolution capitaliste – c’est là la clé de la compréhension de tout ce qui s’est passé. Comme en Russie et dans les autres ex-Etats staliniens, c’est la résistance de la classe salariée qui était le seul vrai obstacle à la contre-révolution capitaliste. Cette résistance – qui, à certains moments, a acquis des proportions de masse – fut néanmoins vaincue en Chine par toute une combinaison de facteurs. La violence excessive et terrifiante qui fut utilisée pour écraser le mouvement révolutionnaire naissant de 1989 fut un facteur critique. La rapidité de la croissance économique (d’à peu près 10% par an tout au long de la dernière décennie) a aussi fourni au régime une certaine "soupape de sécurité".

    Pour Trotsky, la menace de la restauration capitaliste ne reposait pas sur le fait que le parti stalinien soit ou non renversé. Cela n’était pour lui qu’une des perspectives : « mais la restauration bourgeoise, en parlant de manière générale, n’est concevable que sous la forme d’un revirement brutal et décisif (avec ou sans intervention), ou sous la forme de plusieurs réajustements successifs… »

    « Donc, aussi longtemps que la révolution européenne n’a pas triomphé, les possibilités d’une restauration bourgeoise dans notre pays ne peut pas être reniée. Laquelle de ces deux voies est la plus probable dans nos circonstances : celle d’un revirement contre-révolutionnaire abrupt, ou celle d’une série de glissements, avec un peu de chamboulement à chaque étape, et une dérive thermidorienne pour étape la plus imminente ? Cette question ne peut être tranchée, je pense, que d’une manière extrêmement conditionnelle » ("Le Défi de l’Opposition de gauche", 1926-27, italiques par Vincent Kolo).

    Cette "voie de réajustement successifs" est une excellente description de ce qui s’est passé en Chine. Le capitalisme a été restauré, bien que selon un mode chinois particulier. Cette restauration est le fruit de ce qui fut d’abord un réflexe empirique de la part du régime stalinien à la fin des années 70’s, cherchant à trouver une issue à la crise politique et économique, avec des éléments de guerre civile, qu’il avait hérité de Mao. Dans ses premiers stades, ceci était une tentative d’exploiter certains mécanismes de marché au sein d’une économie étatique stalinienne. Mais de tels processus possèdent une logique qui leur est propre, d’autant plus que la révolution socialiste mondiale se faisait attendre, et étant donné la crise et l’effondrement du stalinisme partout dans le monde, et l’accélération féroce de la mondialisation néolibérale.

    Au contraire de l’Union Soviétique, il n’y a pas eu en Chine de "big-bang", d’implosion de l’Etat unipartite, et le PCC est resté au pouvoir. Mais les classe capitaliste émergente, surtout dans la Fédération du Russie, considérait le démantèlement de l’Etat stalinien comme un pré requis au succès de sa contre-révolution. Dans le cas de la Chine, par contre, avec toute son histoire de guerres féodales et de fragmentation, et la menace immédiate de manifestations de masse, exorcisée par le massacre de 1989, la position de la classe capitaliste émergente était différente. Ici, ce fut la continuation du règne du PCC qui était la base la plus avantageuse pour développer le capitalisme – afin de maintenir "l’ordre" et le pays entier.

    Qui donc aujourd’hui demande un changement de régime en Chine ? Certainement pas les capitalistes, qui comprennent que, par la répression de la gigantesque classe salariée chinoise, le régime actuel est le meilleur qu’ils pourraient sérieusement espérer. Même la bourgeoisie "démocratique" – et elle est en minorité – ne recherche pas la chute du régime du PCC, mais plutôt sa "réforme". Ceci donne la plus claire des réponses qui puisse être données à la question de quels intérêts de classe sert l’Etat chinois aujourd’hui.


    1. Lénine, "De l’Etat", 1919, NDT.
    2. Qu’on peut traduire par "La Chine s’en sort bien avec la mondialisation", NDT.
    3. OCDE, 2005.
    4. Ce qu’on pourrait traduire par "Une frêle superpuissance", NDT.

    Pour en savoir plus :

    Extrait de l’édition de décembre 2007-janvier 2008 de Socialisme Today, le magazine du Socialist Party of England and Wales, section britannique et galloise du CWI

  • Les préparatifs de la réforme de l'Etat de 2007

    Les préparatifs de la réforme de l’Etat de 2007

    Les Flamands ont jadis mené un juste combat contre leur oppression au sein de la Belgique francophone. Le mouvement ouvrier socialiste n’y ayant accordé que peu d’attention, la voie était ouverte au mouvement ouvrier chrétien. Cette faute historique a aussi poussé le sommet du Mouvement flamand à rallier les rangs de la droite et, finalement, de l’extrême droite.

    Anja Deschoemacker

    La Flandre est aujourd’hui la région la plus riche du pays. Le mouvement flamand ne lutte plus pour une quelconque libération. Bien au contraire, il prône la manière forte pour imposer aux autres sa propre culture. Les socialistes – ceux dignes de ce nom! – ne peuvent en aucun cas soutenir ce revanchisme flamand; ils doivent aussi lutter contre ce chantage flamand qui vise à contraindre la Wallonie à mener une politique encore plus antisociale.

    Ce que les Flamands font eux-mêmes, le font-ils mieux?

    Le budget flamand se porte bien: il ne cesse d’engranger des surplus d’année en année, ce qui n’est possible qu’en imposant un taux de productivité élevé aux travailleurs flamands d’une part, en limitant drastiquement les dépenses sociales d’autre part. Dans cette Flandre qu’on décrit volontiers comme "riche" de part et d’autre de la frontière linguistique – pour s’en vanter au nord, pour la blâmer et la jalouser en même temps au sud – une maison de repos sur cinq n’a pas d’attestation de sécurité d’incendie, des centaines de bâtiments scolaires attendent depuis des années des travaux de restauration indispensables, les handicapés se morfondent sur des listes d’attente interminables pour avoir accès à des structures adaptées, …

    Dans cette Flandre "riche", le fossé entre riches et pauvres ne cesse de s’élargir. Sur le site officiel de la Communauté flamande, on peut lire que quelque 13% des Flamands sont confrontés à un risque de pauvreté et que 7% végètent dans une situation de pauvreté de longue durée.

    Wallonie: des réformes de structures au Plan Marshall

    La régionalisation n’a pas davantage apporté quelque chose de bon aux travailleurs et à leurs familles en Wallonie. Du couple fédéralisme /réformes de structures (le programme de la FGTB en 1956) que défendait le mouvement wallon lorsqu’il était à son apogée sous la direction d’André Renard, il n’est vite resté que le seul fédéralisme. Depuis lors, le PS n’a cessé d’en faire son cheval de bataille. La régionalisation n’a pas pu contrer la désindustrialisation, ni le chômage et la pauvreté qui l’accompagnent.

    Aujourd’hui, le Plan Marshall néolibéral est sur les rails. Certains en Wallonie proposent même de faire baisser les salaires plus fortement qu’en Flandre. Si le PS y fait encore obstacle, il ne propose lui-même comme solution que la " modernisation " du marché du travail.

    Par "modernisation" il faut entendre dégraissage de l’emploi dans les services publics et flexibilité accrue du marché du travail par la multiplication d’emplois précaires (à temps partiel, à durée déterminée) et à bas salaires.

    Fin 2005, 8.700 personnes avaient été engagées en Wallonie via les chèques-services et ce chiffre ne cesse d’augmenter.

    Bruxelles: capitale de l’Europe et de la pauvreté

    Avec 21% de chômage (35% chez les jeunes), Bruxelles est comparable à certaines régions d’Europe de l’Est. Près des deux-tiers des chômeurs complets indemnisés sont sous-qualifiés. En septembre 2005, 69% des chômeurs étaient au chômage depuis au moins un an et 48% depuis au moins deux ans. Près de 30% des enfants bruxellois grandissent dans une famille privée de tout revenu du travail. Et tout ça n’empêche pas la politique bruxelloise d’être dominée par le rififi communautaire.

    Il faut l’unité du mouvement ouvrier en Belgique

    Le MAS/LSP ne veut pas maintenir à tout prix l’unité de la Belgique, mais l’unité des travailleurs est une nécessité absolue pour maintenir et étendre les acquis du passé.

    Les secteurs où la fédéralisation a déjà mené à l’éclatement de l’action syndicale, comme l’enseignement, ont vu se succéder les régressions et les défaites. La scission de la Centrale des Métallos de la FGTB ne présage rien de bon pour les travailleurs du secteur. Cette scission a été imposée sans tenir compte – ou si peu – de l’opinion des militants de base.Nous exigeons la fin de toutes les vexations et de toutes les mesures qui éloignent les communautés l’une de l’autre.

    • Stop aux vexations et aux mesquineries – des Francophones comme des Flamands – envers l’autre communauté à Bruxelles et dans la périphérie, mais également en Wallonie envers les Germanophones.
    • Nous exigeons l’accès de tous les services dans les diverses langues nationales là où les différentes communautés vivent ensemble et où le besoin s’en fait sentir. Nous dénonçons aussi bien les tentatives d’affaiblir le bilinguisme des services à Bruxelles au détriment des Flamands que les innombrables atteintes aux droits des francophones (et des Flamands du fait de certaines majorités francophones) dans la périphérie. Nous revendiquons des facilités pour les germanophones dans l’enseignement supérieur de la Province de Liège, mais aussi que les Francophones vivant en Communauté germanophone puissent suivre l’enseignement en français dans les infrastructures scolaires existantes.
    • Les employeurs n’ont pas à imposer des exigences linguistiques s’ils ne mettent pas la main au portefeuille. Il faut rémunérer le bilinguisme, voire le plurilinguisme, dans l’entreprise par des hausses de salaire. Si les employeurs veulent du personnel bilingue ou plurilingue, ils doivent organiser à leurs frais des cours de langue pendant les heures de travail. Les pouvoirs publics doivent organiser des cours de langue gratuits pour les chômeurs qui le souhaitent et leur accorder un salaire d’étude qui couvre le surcroît de dépenses (transport, crêche,…) que ces cours entraînent.
    • A Bruxelles, il faut mettre en oeuvre, en concertation étroite avec les habitants, un programme d’ampleur de construction de logements sociaux et de rénovation urbaine pour donner la possibilité à tous ceux qui le souhaitent de continuer à habiter dans la Région.
    • Pas de scission de Bruxelles-Hal-Vilvorde, pas d’élargissement des limites de Bruxelles sans garantie d’accès au travail et aux services pour tous dans sa propre langue.
    • Pour mettre en oeuvre un tel programme, il faudra dégager beaucoup plus de moyens, ce qu’aucun parti n’est prêt à faire ni d’un côté ni de l’autre. Lutter pour plus de moyens, cela signifie s’en prendre aux bénéfices de l’élite pour augmenter les salaires, les dépenses sociales, l’offre de services publics et, en fin de compte, nationaliser les secteurs clés de l’économie pour que toutes les richesses reviennent entre les mains de ceux qui les ont produites.
    • Pour y arriver, les travailleurs et leurs familles doivent construire leur propre parti, soucieux des intérêts de tous les travailleurs, indépendant de la classe dominante qui se livre au petit jeu de diviser pour mieux régner et en rupture avec tous ces partis montés sur leurs ergots communautaires.
  • Blood & Honour. Chez nous aussi, les néonazis violents sont une menace!

    Ces dernières années, le MAS/LSP et Blokbuster ont plusieurs fois dénoncé le danger que représente des groupuscules néonazis comme Blood & Honour. Un des groupes qui se réfère à Blood & Honour, connu sous le nom de Sang-Terre-Honneur-Fidélité – BBET selon les initiales de ces mots en néerlandais- a été démantelé pour possession illégale d’armes et pour avoir envisagé des attentats. La quantité d’armes qui a été retrouvée est impressionnante: quelque 400 fusils et pistolets, des détonateurs pour mines, des masques à gaz, une bombe artisanale et des lettres prévues pour revendiquer la responsabilité de futures actions.

    Geert Cool

    2003. Ancien dirigeant du VMO, Bert Eriksson, parlait sur une réunion de Blood&Honour pour fêter l’anniversaire de Adolf Hitler

    Les faits ne sont pas récents

    Ce n’est pas un hasard si la répression contre BBET est arrivée à ce moment. En période électorale, les politiciens traditionnels et la police ont pu utiliser cette action dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et pour se profiler en même temps contre l’extrême-droite. Tout a été soigneusement préparé pour attirer une attention maximale sur les perquisitions aux domiciles des partisans du BBET. Le jeudi 7 septembre, des fouilles ont été faites, notamment dans quelques casernes. Mais les deux jours précédents, des journalistes interviewaient déjà Blokbuster sur le BBET…

    Nous ne sommes en rien surpris par la découverte d’armes. En 2004 déjà, nous avions publié une photo du suspect principal, Thomas Boutens, qui, dans la caserne de Leopoldsburg, s’était fait photographier avec des pistolets en visant l’objectif. Nous savions que les cercles du BBET disposaient d’armes et que ceux-ci, avec d’autres groupes néonazis, représentaient une menace. Cela était donc déjà connu en 2004!

    Récemment par contre, une augmentation des transactions d’armes au BBET a été signalée, motif officiel de l’intervention de la police. Après l’interdiction du BBET en Allemagne, beaucoup d’armes ont probablement été transférées en Belgique.

    D’après la tradition du VMO

    La présence d’armes chez des figures d’extrême-droite n’est ni étonnante, ni nouvelle. Fin des années ’70, début ’80, le VMO (Vlaamse Militanten Orde- Ordre Flamand Militant) allait encore plus loin. Le VMO ne se limitait pas à la possession d’un arsenal et à l’organisation de camps d’entraînement militaires, mais se servait de ces armes. L’interdiction du VMO est survenue après une série d’attaques et d’actions violentes: destruction d’un bistrot pour immigrés à St Nicolas, attaque à main armée contre un café de gauche à Bruges, tentative d’occupation violente du Halletoren à Bruges et bien d’autres encore.

    En 1983, l’interdiction du VMO était devenue inévitable. Plusieurs personnes condamnées à l’époque siègent aujourd’hui au parlement pour le Vlaams Blok/Belang. Philip Dewinter et Frank Vanhecke ont été formés politiquement dans les camps du VMO par le leader brugeois du VMO Roger Spinnewyn. Ce dernier a été condamné plusieurs fois pour port d’armes mais s’est présenté le 8 octobre sur la liste du VB à Zedelgem. Le leader national du VMO, Bert Eriksson a systématiquement déclaré qu’il était fidèle au ‘führer’ et au nazisme. Lors de son enterrement, le parlementaire et ancien militant du VMO Pieter Huybrechts était présent. Quand Eriksson a été incarcéré au début des années ’80 pour son engagement au sein du VMO, il s’était fait représenter par Filip Dewinter à la commémoration du collaborateur nazi Cyriel Verschaeve.

    Le VB contraint de se distancer

    Le VB a peu de choix et doit se distancer de Blood & Honour. Ce parti se rend bien compte que la majorité de ses électeurs n’adhère pas aux methodes et aux opinions de tels groupes. Mais ce n’est que quand les faits deviennent publics que la distance est prise. En 2004, Frida Foubert du VB à Waasmunster a été éjectée de son parti après avoir révélé que Blood&Honour avait organisé un meeting dans une salle qu’elle gérait. Dès que l’attention médiatique s’est affaiblie, Francis Van den Eynde l’a réintégrée…

    Selon l’ancien vice-président du VB, Roeland Raes, le parti ne se distance pas de tous les groupes radicaux mais seulement de ceux sur lesquels le VB n’exerce aucune influence. Dans le quotidien De Standaard il avait déclaré: "Dans les années ’70, il existait moins de tabous pour tenir des propos plus radicaux ou pour faire référence aux années ‘30 et ‘40. Les mesures contre nous à l’époque étaient moins prononcées et moins déterminées."

    La raison pour laquelle le VB est devenu prudent n’a rien à voir avec un changement de cap. Selon Raes, "le VB a dû traverser un tas de processus. L’objectif était de nous museler. Voilà pourquoi nous sommes devenus plus prudents et pourquoi nous ne nous engageons pas dans l’aventurisme aveugle de ces gens-là." Lors de son procès sur ses propos négationistes, Raes a été, et sera à l’avenir, défendu par l’avocat qui représente actuellement quelques membres du BBET.

    Il faut une réponse politique!

    Blood&Honour est évidemment un groupe dangereux. Suite à l’interdiction de cette organisation en Allemagne, des armes y ont aussi été retrouvées. En Europe de l’Est, les néonazis connaissent une ascension sans précédent.

    Face à la violence de groupes tels que le BBET, c’est d’une réponse politique dont nous avons besoin. Condamner la violence ne suffit pas en soi, nous devons aussi nous opposer au climat politique qui renforce le racisme.

    Les partis traditionnels défendent une politique néolibérale qui reproche aux victimes de la politique d’être eux-mêmes responsables de leur situation: les chômeurs seraient responsables du chômage, les pauvres de la pauvreté, les immigrés de l’immigration,… Cela crée un terreau pour une rhétorique ouvertement raciste, comme celle du VB. Qui plus est, en l’absence d’une alternative politique sérieuse pour les travailleurs et leurs familles, le VB peut croître sur base de l’opposition à la politique des partis traditionnels.

    Pour assurer qu’il n’y ait pas de climat où l’on accentue ce qui nous divise au lieu de favoriser ce qui rassemble les salariés et leurs familles, il faut une alternative politique. Une autre politique.

  • Exploitation au Parlement européen. Travail au noir à l'OTAN

    Exploitation au Parlement européen

    Dans son édition du 13 avril, De Morgen a mis en lumière l’exploitation extrême du personnel du Parlement européen. Que l’UE fut néo-libérale était connu depuis longtemps, mais que les parlementaires traitent leur propre personnel par-dessus la jambe, voilà qui est nouveau.

    Les assistant(e)s voient les contrats de stagiaire se succéder les uns après les autres, ce qui permet d’éluder les cotisations sociales de maladie-invalidité par exemple. Les salaires du personnel sont extrêmement bas: de 1000 à 1200 euros en moyenne. Nombre de "collaborateurs" sont contraints d’accepter un contrat d’indépendant pour éluder les cotisations sociales.

    Entre-temps, un nouveau syndicat a été mis sur pied pour défendre les intérêts du personnel : l’European Parliament assistants’ Association. Cette UE démontre une fois de plus qu’elle n’est pas la nôtre : comment pourrions-nous attendre de ces politiciens bourgeois qu’ils mettent en place une " Europe sociale ", ce que les directions syndicales attendent apparemment, s’ils (mal)traitent ainsi leur propre personnel?

    Mons: Travail au noir à l’OTAN

    Le SETCa a mené une action le 23 mars au SHAPE près de Mons – qui abrite le commandement politique de l’OTAN – contre le travail au noir sur le site avec des slogans comme "SHAME ON SHAPE" et "167.000 heures au noir = 120 emplois de moins".

    En effet, quelque 250 ouvriers y travaillent actuellement en toute illégalité et le travail en noir y occupait la plus grande partie du volume d’heures de travail en 2005. Il s’agirait principalement d’ouvriers d’Europe de l’Est qui sont payés de 4 à 5 euros de l’heure. On ne s’étonnera donc pas que l’OTAN refuse de reconnaître la délégation syndicale. Il y a quelques années, alors que le personnel du GB du site participait à une grève sectorielle, le commandant avait menacé de licenciement tous ceux qui participeraient à la grève. Il leur déniait purement et simplement le droit de faire grève.

  • 10 ans après… Numéro 100 de notre mensu

    Il y a près de 10 ans, le 1er Mai 1995, le 1er numéro de l’édition en langue française de notre mensuel paraissait. Notre journal s’appelait alors Le Militant. C’était une aventure! Car si la section du CIO en Belgique existait depuis plusieurs années, nous n’étions qu’une poignée de militants francophones bruxellois à l’avoir rejointe en octobre 1994.

    Guy Van Sinoy

    Tout était à faire: écrire et corriger les articles, plier le jour-nal, le vendre et tenter de faire des abonnements. Le tout dans des conditions matérielles difficiles car l’organisation avait très peu de moyens. Nous avions trois vieux ordinateurs: deux d’entre-eux, fournis par des camarades hollandais, étaient pourvus de claviers qwerty (sans touches pour les accents !). Mais ces difficultés ne nous arrêtaient pas car nous étions plein d’enthousiasme d’avoir rejoint une organisation marxiste internationale capable d’aller à contre-courant de la vague de démoralisation qui avait foudroyé pas mal d’organisations et de militants après l’effondrement des pays staliniens en Europe de l’Est.

    Malgré notre petit nombre, je me souviens que nous avons vendu 400 exemplaires de notre journal le 1er Mai 1995. En quelques semaines, nous avons fait plusieurs dizaines d’abonnés. Nous avons négocié avec les messageries de la presse pour être présent pendant 6 mois dans 300 kiosques !

    En éditant un journal en Belgique francophone, nous avions planté un drapeau. Il fallait maintenant élargir notre petit noyau et construire une organisation. Du côté francophone, nous avions plusieurs délégués syndicaux mais pas le moindre jeune. Nous avons dû limiter notre intervention syndicale et consacrer du temps à forger des instruments pour la construction de l’organisation: le journal, les finances, le fonds de lutte,… Nous avons ramé pour intervenir dans les luttes des étudiants et des enseignants en 1996 contre les mesures d’austérité appliquées par Onkelinx car nous n’avions, à l’époque, personne dans les écoles francophones. Nous avons fait une première percée avec la lutte des travailleurs de Clabecq, fin 1996: alors que certains tournaient le dos aux ouvriers des Forges, calomniés par la presse, nous les avons soutenus de toutes nos forces en bataillant pour faire notre place. En juin 1997, nous avons gagné la majorité de l’organisation Socialisme International : cela nous a permis de prendre pied plus solidement en Wallonie. Tout au long des épisodes importants de notre développement, la diffusion de nos idées et de notre programme, grâce à notre journal, a rempli un rôle central. 1999: candidats sur les listes PC (Chambre) et Debout (Europe). 2000: campagne «Résistance Internationale» en vue du sommet de Laeken de fin 2001. Lancement de notre organisation étudiante «Etudiants de Gauche Actifs» (EGA). 2003: nouvelle campagne électorale sur les listes PC et création d’une section à Mons. 2004: récolte de 7.000 signatures de parrainage pour notre propre liste aux européennes, nouvelle section à Verviers. 2005: nouvelle section dans le Brabant wallon. Venez participer à la suite du scénario: prenez non seulement un abonnement à notre mensuel, mais prenez part activement à la construction de notre parti.

  • L’extrême droite sort grand vainqueur. Qu’est-ce que c’est et comment la combattre?

    L’extrême droite sort grand vainqueur

    Depuis les élections du 13 juin, la presse se répand en analyses de la victoire de l’extrême droite. Comment expliquer ce phénomène ? D’où tire-t-elle son succès et comment pouvons-nous la combattre ? Le MAS a acquis une longue tradition de mobilisations contre l’extrême droite à travers ses campagnes jeunes (Blokbuster) et ses organisations étudiantes (Actief Linkse Studenten/Etudiants de Gauche actifs). Nous ne prétendons pas détenir la vérité. Cet article se propose de donner notre vision des raisons du succès de l’extrême droite et de la façon dont on peut la combattre.

    Eric Byl

    Le Vlaams Blok plonge ses racines dans la collaboration lors de la Deuxième Guerre mondiale. Pendant plus de trente ans, il s’est attelé à construire une organisation de cadres, d’abord au sein du CVP jusqu’en 1954, ensuite au sein de la Volksunie jusqu’en 1970. Dès sa création en 1978, le parti disposait non seulement d’un cadre mais aussi de tout un réseau de connections. L’argent ne lui a jamais fait défaut. Il n’avait qu’à attendre que le contexte politique devienne favorable pour briser son isolement.

    Ce contexte existait depuis le début de la crise économique dans les années septante. A l’époque, le Blok devait toutefois compter avec des dirigeants syndicaux qui savaient encore organiser des actions collectives et avec des partis (le PSB et à partir de 1976 le PS et le SP) qui, s’ils collaboraient déjà avec le patronat, défendaient au moins en paroles les intérêts des travailleurs et plaidaient encore pour le socialisme.

    Du côté francophone, le FN – créé par Daniel Féret en 1985- s’il n’atteint pas le score du Vlaams Blok en Flandre, réussit quand même à doubler et tripler son score par apport aux régionales de 99.Et cela malgré le fait que le FN, contrairement au Blok, n’est pas présent sur le terrain et n’a pas un cadre organisé. Et également en dépit du fait que l’extrême droite est depuis de nombreuses années déchirée par des conflits de chapelles. Il ne faut pas sous-estimer les possibilités de croissance de l’extrême droite en wallonie. Le terreau est présent .

    Avant toute percée électorale, le Vlaams Blok a dû attendre la chute du Stalinisme dans le bloc de l’Est (1989-91). Depuis lors, tant le PS que le SP se sont soumis aux lois du marché libre et au néo-libéralisme. Des pans entiers du mouvement ouvrier se sont sentis exclus, non seulement par la société, mais aussi par tous les partis politiques, y compris le PS et le SP. C’était d’abord les chômeurs, puis les travailleurs intérimaires, ensuite ceux qui travaillent encore dans l’industrie et ils sont de plus en plus nombreux ceux qui ont jadis connu la sécurité d’emploi et qui souffrent aujourd’hui de mauvaises conditions de travail ou qui craignent pour leur emploi (La Poste et la SNCB).

    C’est la combinaison de la crise économique et de la politique antisociale, ainsi que le refus des dirigeants syndicaux de mobiliser et l’obstination du PS et du SP.a à exécuter loyalement la politique d’austérité, qui est à la base du succès de l’extrême droite.

    Le Flamand, un petit blanc apeuré ?

    Certains vont expliquer le résultat électoral du Blok par la psychologie des Flamands. "J’ai honte", "1 Flamand sur 4 est un blokker", etc… Nous comprenons évidemment ce type de réaction, mais elle est inadéquate. Nous n’avons pas plus à avoir honte qu’à être fiers d’être Flamands, Wallons, Bruxellois, immigrés ou quoi que ce soit d’autre. Si nous devons avoir honte de quelque chose, c’est de la politique antisociale, de l’exclusion, de la pauvreté et du chômage. Stigmatiser les victimes de cette politique ne nous avancera à rien, qu’il s’agisse d’immigrés ou qu’il s’agisse de Flamands.

    "C’est un dimanche noir de noir. Tous les Flamands devraient avoir honte", assène Etienne Vermeersch, professeur de philosophie morale à l’Université de Gand (RUG), qui était le philosophe-maison du SP.a dans un passé récent. De quelle autorité Vermeersch se prévaut-il pour parler ainsi? Qu’a-t-il fait pour stopper le Blok? Nous ne l’avons jamais vu à nos côtés lorsque nous menions l’action contre des débats avec le Vlaams Blok ou contre la présence de Roeland Raes, un idéologue révisionniste du Blok, au Conseil d’Administration de la RUG.

    Mais la Flandre n’est-elle pas une des régions les plus riches? Yves Desmet du quotidien De Morgen incrimine ce que l’économiste américain Galbraith nomme "le chauvinisme du bien-être"; plus les gens possèdent, plus il craignent de le perdre. En bref: pour Desmet, la Flandre va bien et si on vote quand-même pour le Blok, c’est que les Flamands sont des écureuils apeurés qui craignent de devoir céder une parcelle de leur bien-être. Si au lieu de parler pour lui-même, Desmet avait essayé de percevoir la signification sociétale de la formule de Galbraith, il aurait peut-être réalisé que le pays le plus riche au monde, les Etats-Unis, est en même temps le pays où le fossé entre riches et pauvres est le plus grand. Desmet aurait alors peut-être vu que le fossé entre riches et pauvres s’est aussi élargi en Europe et en Belgique. Qu’il y a donc des gens qui votent Vlaams Blok parce qu’ils se sentent exclus et d’autres qui votent Vlaams Blok parce qu’ils veulent protéger leurs biens contre ceux qui sont exclus.

    Walter Pauli du Morgen écrit que ça illustre la faillite de la lutte contre l’extrême droite. "On a tout essayé", dit-il, "seule une voie demeure inexplorée". Il se garde bien de l’écrire, mais la voie dont il parle est bien évidemment celle de prendre le Blok dans une coalition et de le brûler au pouvoir. Mais a-t-on vraiment tout essayé? Aucun parti traditionnel ne remet en cause la politique d’austérité néo-libérale qui lèse tant les travailleurs et leurs familles. Blokbuster, la campagne antifasciste du MAS, a toujours dû tout faire soi-même, a été mis sur le même pied que le Blok lui-même par les politiciens traditionnels, mais contrairement à ce dernier n’a pas reçu des millions d’argent public. Essayé? Nous l’avons fait, pas Pauli ni "le monde politique". Pauli conclut: "le droit de vote pour les immigrés était une erreur et il faut aussi rediscuter du cordon sanitaire".

    Tout est socio-économique dans la crise

    Nombre d’analyses pointent du doigt les bévues des excellences libérales pour expliquer le succès du Vlaams Blok. Les bévues libérales ont sans aucun doute joué un rôle important dans la défaite du VLD et du MR. Cette explication est pourtant insuffisante. Le cartel SP.a-Spirit était un modèle d’unité et a quand même perdu près de 4% par rapport à 2003. De plus, le rififi au VLD et au MR ne tombait pas du ciel. Les milieux patronaux voulaient que le gouvernement fasse avaler une politique d’austérité encore plus drastique à la population. Les libéraux devaient coûte que coûte afficher leur détermination. Ils ont pourtant été doublés sur leur droite par les ministres SP.a. Dans cette situation, des pontes libéraux ont essayé de marquer des points à titre individuel en sautant sur le dossier de l’heure sans se soucier des conséquences. Le cas d’Alain Destexhe est assez exemplatif à cet égard.

    Le débat sur le droit de vote des immigrés non-européens a été le principal facteur de dissensions chez les libéraux. Toutefois, là où le MR a su maintenir une unité de façade sous la férule de Louis Michel, le VLD s’est déchiré au grand jour. Si le SP.a a été le seul parti flamand à voter pour, il n’a pas su donner la réplique aux opposants. Il n’a pas su démasquer la politique de diviser pour régner du patronat ni replacer la nécessité des droits égaux entre Belges et immigrés dans le cadre de la lutte commune pour leurs droits. Résultat: les opposants au droit de vote ont monopolisé le débat. C’est trop facile de dire aujourd’hui que le droit de vote aux immigrés était une erreur. La seule erreur qui a été commise dans ce dossier, c’est le mutisme des partisans du droit de vote.

    Il ne fait pas de doute que l’élargissement de l’Europe ira de pair avec une régression au niveau des conditions de vie et de travail. Si le patronat en retirera de plantureux bénéfices, les travailleurs et leurs familles payeront la note. L’"unification européenne" n’a pourtant pas d’autre but. Le commissaire européen Bolkestein fait déjà circuler une proposition de libéralisation des services. Si sa directive passe, des Polonais et des Tchèques travailleront bientôt ici, non pas à un salaire belge, mais à un salaire d’Europe de l’est. Les patrons saisiront l’occasion pour exiger des travailleurs belges de nouvelles concessions en termes de salaires et de conditions de travail. Le PS et le SP.a auraient dû plaider pour la nécessité d’une lutte unifiée des Belges et des immigrés contre le projet européen antisocial. Quiconque divise les travailleurs belges et immigrés en leur refusant l’égalité des droits ne fait que jouer le jeu du patronat européen. Si le SP.a a préféré se taire, c’est parce qu’il est d’accord avec Bolkestein sur le fond même s’il aurait sans doute souhaité plus de doigté dans la forme.

    La faute de la presse?

    Les partis traditionnels ont tout fait pour imposer le silence à leurs concurrents. Du côté francophone, il s’en est fallu de peu que tous les petits partis voient leurs listes invalidées pour le scrutin européen. Ils n’ont finalement pas osé aller jusque là, c’eût sans doute été trop flagrant. Nous avons dû faire une croix sur les médias, qu’ils soient publics ou commerciaux. Qu’on ne vienne plus nous dire que la presse commerciale serait "moins partisane" que les médias publics. Le MAS a dû faire des pieds et des mains pour avoir droit à deux courtes tribunes sur les ondes de la RTBF, l’une en radio, l’autre en télévision à une heure tardive. Plutôt que de permettre à des partis comme le MAS ou le PTB+ de s’exprimer, les médias francophones ont préféré se livrer à une campagne tapageuse contre l’extrême droite. Celle-ci a pu ainsi apparaître comme la seule alternative crédible. Les médias ont sans aucun doute une lourde responsabilité dans le succès du FN comme du Vlaams Blok.

    La question nationale

    A l’exception de Groen!, tous les partis flamands plaident pour des baisses d’impôt… afin de stimuler l’économie et de lutter contre le chômage. Seul Groen! défend l’idée que ces impôts sont nécessaires pour financer les soins de santé et les services à la collectivité. Rares pourtant sont ceux qui croient encore les Verts après leur participation à Verhofstadt I et la kyrielle de taxes écologiques qui s’en sont suivies. Les Verts sont perçus comme des partis qui veulent responsabiliser les petites gens en les accablant de taxes tout en épargnant les gros pollueurs industriels qui tirent à chaque fois leur épingle du jeu.

    De tous les partis flamands, seul le Vlaams Blok a fait ses comptes. Il veut en finir avec les milliards de transfert nord-sud, 10 milliards d’euros paraît-il, et utiliser cet argent pour une politique "sociale" flamande. Les partis traditionnels ont beau promettre des baisses d’impôt, ils ne disent pas où ils vont aller chercher l’argent. Tout au plus se contentent-ils d’assurer qu’il y a assez d’argent en caisse. Mais si c’est vrai, comment se fait-il qu’il y ait de si longues files d’attente dans les institutions de soin, les logements sociaux et que les bâtiments scolaires tombent en ruine?

    Rares sont ceux qui sont dupes des promesses de Verhofstadt et du Ministre-Président flamand sortant Bart Somers. La grande majorité des Flamands craignent la hausse du chômage et de la pauvreté. Ils sont évidemment pour un certain degré de solidarité, mais, du fait que le Blok accuse la Wallonie d’en abuser et que les autres partis flamands se taisent là-dessus, voire abondent dans le même sens, nombre d’entre eux deviennent réceptifs à l’idée que les Flamands doivent d’abord penser à eux-mêmes.

    Il est pourtant facile de répondre à l’argument du Vlaams Blok que chaque ménage flamand transfère une petite voiture familiale (400.000 fr) par an à la Wallonie. La Wallonie a été pendant des décennies le creuset de toute la richesse en Belgique. L’industrie lourde n’en a pas moins exigé un lourd tribut avec beaucoup plus de maladies professionnelles qu’en Flandre. La crise de l’industrie lourde a durement frappé la région qui connaît des taux de pauvreté et de chômage qu’on a peine à imaginer en Flandre. Le Blok utilise les travailleurs wallons et leurs familles comme des boucs-émissaires. Il ne dit pas un mot sur la voiture de luxe que chaque famille belge paye par an aux patrons. Ceux-ci empochent chaque année 25 milliards d’euros de bénéfices, bien plus que les 10 milliards de transfert. Le Blok tait aussi les 15 milliards d’intérêts que nous payons chaque année en remboursement de la dette publique, laquelle n’est que la conséquence des cadeaux plantureux qui ont été faits aux patrons sous forme de baisses de charges et d’impôts. Enfin, le Blok ne dit rien des 20 milliards de fraude fiscale qui minent notre économie année après année. On cherchera en vain dans le programme du Vlaams Blok le rétablissement des pouvoirs de police judiciaire de l’Inspection spéciale des Impôts.

    La question flamande a sans aucun doute joué un rôle important dans la construction du Blok. Tous les sondages démontrent pourtant que ça ne joue pas un rôle significatif dans son succès électoral actuel. Cela se reflète d’ailleurs dans la rhétorique du Blok. Le slogan "que la Belgique crève" a été mis en sourdine, il n’y a plus qu’au CD&V qu’on parle encore d’un big bang communautaire. Le Blok mesure ses propos:

    S’il n’y a pas de réponse collective à la crise, le bras de fer sur la clé de répartition des déficits reprendra de plus belle. Dans ce cas, les contradictions nationales éclateront de nouveau.

    Rompre le cordon sanitaire?

    Maintenant que le Blok est devenu le deuxième parti flamand faute de réponse collective à la crise et à cause de la politique d’austérité néo-libérale, des voix se font entendre, non pas pour remettre en cause cette politique, mais bien pour "brûler" le Blok dans une participation gouvernementale. On espère ainsi obtenir le même résultat qu’avec le FPÖ de Haider en Autriche. Lors des dernières élections, le FPÖ y est passé de 23% à 6%.

    Le Blok se verrait bien au gouvernement flamand. Il est même prêt à soutenir depuis les bancs de l’opposition un gouvernement minoritaire du CD&V-NV-A, éventuellement flanqué du VLD. Le MAS considère le Blok comme un parti néo-fasciste. Néo parce que les conditions sociales d’aujourd’hui sont totalement différentes de celles des années trente, fasciste parce que la direction et les cadres du Blok n’ont pas renoncé à briser les organisations du mouvement ouvrier en mobilisant contre lui les groupes moyens de la société et les éléments déclassés de la classe ouvrière, c’est-à-dire des travailleurs que le chômage et la misère ont rendus étrangers à leur propre classe.

    Le Blok sera obligé de faire des concessions sous la pression de sa base électorale et de carriéristes qui estiment qu’il est temps de rompre avec le passé. Enfin, les voix pour le Blok ne sont pas un vote de soutien à son programme fasciste, mais principalement un vote de protestation. La nature d’un parti, y compris celle du Blok, peut changer. Il semble que la condamnation en justice du parti ait donné à sa direction l’occasion de donner au Blok un visage plus acceptable en le profilant comme un "parti conservateur de droite". Même dans ce cas, le Blok continuera d’abriter en son sein toutes sortes de néo-fascistes.

    Quoi qu’il en soit, la Belgique n’est pas l’Autriche et le Vlaams Blok n’est pas le FPÖ. Les partis traditionnels réalisent qu’ils doivent faire quelque chose, mais personne n’est prêt pour le moment à signer un contrat de mariage avec le Blok. Un meurtre, un grave fait de drogue, un membre en vue qui bat sa femme publiquement et devant ses enfants, il s’en sera passé des choses en pleine campagne électorale. Une candidate d’ouverture, débauchée à la NV-A, qui reconnaît ouvertement être à la tête d’un bureau d’escorte, un joli nom pour une agence de prostituées de luxe, ce n’est pas le genre de choses sur lesquelles les partis traditionnels peuvent fermer les yeux pour entrer dans une coalition. Les points de vue du Blok sur la Belgique et la Maison royale ne trouveront guère plus de succès auprès de l’establishment. De plus, il n’est pas du tout certain que le Blok prendra le même chemin que le FPÖ en cas de participation gouvernementale.

    Il en faudra donc plus avant que l’establishment n’accueille le Vlaams Blok dans ses rangs. Tant que la bourgeoisie et ses laquais politiques auront la politique néo-libérale pour seule réponse à la crise et tant que les syndicats refuseront de mobiliser massivement les travailleurs, l’extrême droite se remettra toujours de défaites temporaires comme celle du FPÖ. La bourgeoisie sera placée tôt ou tard devant un dilemme: ou bien rompre le cordon sanitaire, ou bien abandonner la politique d’austérité. Si c’est ça le choix, alors les jours du cordon sanitaire sont comptés. Il y aura peut-être des coalitions locales avec le Blok après les élections communales de 2006. Il n’y a qu’une seule réponse sensée au Blok, c’est la création d’une véritable alternative de gauche qui joue résolument la carte de la lutte collective pour changer la société.

  • Elargissement de l’Union européenne. L’Europe du bradage social est en route

    Elargissement de l’Union européenne

    LE 1ER MAI, l’Union européenne accueillera 9 nouveaux pays membres d’Europe centrale, plus Chypre. L’Union européenne comptera alors 25 pays membres. A quoi peuvent s’attendre les travailleurs et les jeunes?

    Peter Delsing

    La majorité de la population n’arrive pas à suivre les affaires courantes européennes. 8 habitants de l’Union européenne sur dix déclarent être peu ou mal informés de l’élargissement de l’Europe. 84% se disent «presque pas» ou «pas du tout» concernés. En Belgique, seul 49% de la population se considère en faveur de l’élargissement.

    Les entreprises qui ont délocalisé, partiellement ou totalement, vers l’Europe de l’Est au cours de ces dernières années sont nombreuses. Le revenu moyen par habitant des 10 pays candidats à l’entrée dans l’Union européenne est égal à 35% du revenu moyen des états membres actuels. Par exemple en Pologne (38 millions d’habitants) le salaire moyen mensuel s’élève à 460 euros. Le niveau de vie s’est effondré lors de la restauration du capitalisme et le démantèlement de l’économie planifiée. Même si cette économie planifiée était gérée de façon inefficace par une structure étatique monolithique (un seul parti au pouvoir) bureaucratique.

    Les capitalistes occidentaux considèrent l’Europe de l’Est comme un nouvel Eldorado: avec une maind’oeuvre bon marché et hautement qualifiée. De plus les 80 millions d’habitants des 10 pays qui vont entrer dans l’Union européenne représentent 80 millions de consommateurs potentiels. Mais il est peu probable que les profits réels seront à la mesure des espérances des capitalistes. Après le 1er Mai, la valeur de la production totale (Produit intérieur brut de l’Union européenne) n’augmentera que de 5% malgré une croissance de la population estimée à 20%.

    La bourgeoisie se servira du niveau de vie bas en Europe de l’Est pour miner le niveau de vie des travailleurs d’Europe occi-dentale. Voila sans doute un des objectifs principaux de l’élargissement: disloquer les acquis de l’ensemble des travailleurs.

    De Standaard (17 février) proposait récemment une baisse des salaires afin d’éviter que les entreprises ne délocalisent: «Étant donné qu’une baisse de salaires sera difficile à faire avaler, il est souhaitable que les pays occidentaux revoient leur système d’allocations de chômage afin de rendre plus flexibles les travailleurs non-qualifiés» (17 février). Autrement dit: réduire les allocations de chômage, pour s’attaquer ensuite aux salaires. La riposte à opposer est la lutte intransigeante pour la défense de l’emploi et des conditions de vie de part et d’autre des frontières européennes actuelles. Cette lutte est une tâche des syndicats combatifs et des partis ouvriers en Europe.

    Les autorités des pays membres actuels vont recourir à un système de quotas et de permis de travail pour réguler le nombre de travailleurs de l’Est qui viendront vendre leur force de travail en Europe occiden-tale. Elles utiliseront cette main-d’oeuvre de réserve pour faire pression ici sur les salaires et faire accepter de mauvaise conditions de travail. Comme au temps où les autorités belges ont fait appel aux immigrés ita-liens pour descendre au fond de la mine.

    Un sondage récent révèle que 70% de la population des pays candidats à l’entrée dans l’Union européenne pense qu’il est plus facile de trouver un em-ploi ici que là-bas. En revanche seuls 30% croient que leur propre niveau de vie s’améliora après l’entrée de leur pays dans l’Union européenne.

    D’autre part le Danemark et la Grande-Bretagne veulent restreindre le droit à la sécurité sociale pour les nouveaux venus. La division entre les travailleurs est un piège mortel qui risque d’affaiblir la résistance aux patrons et de désigner de nouveaux boucs émissaires en faisant l’impasse sur les véritables coupables: les capitalistes et les gouvernements.

    Exigeons les mêmes droits pour tous les travailleurs! Qu’ils soient originaire du Nord, du Sud, de l’Est ou de l’Ouest! Tous doivent avoir le droit de s’organiser dans les syndicats. Le travail clandestin, sans contrat, sans barème, sans protection sociale doit être active-ment combattu! C’est la seule possibilité pour lutter tous ensemble contre les patrons pour les salaires et les droits sociaux. Les travailleurs ont tout à perdre s’ils se laissent diviser.

    Une Union européenne élargie sera une construction instable. L’euphorie s’est dissipée. Une nouvelle période de lutte de classes mettra l’Europe du capital à l’épreuve. Déjà la Pologne, la Tchéquie et la Hongrie, principaux candidats à l’élargissement, ont ralenti la politique d’austérité par crainte d’une riposte sociale impétueuse.

    La bourgeoisie caresse l’espoir d’un effondrement de la Pologne sur le scénario argentin. Le soutien au parti social-démocrate SLD est passé de 41% aux 2001 à 13% au-jourd’hui dans les sondages. Le taux de chômage s’élève à 20%. La corruption est omniprésente. Le déficit budgétaire de 2004 risque de frôler les 6% du PIB, alors qu’on exige un déficit de maximum 3% pour introduire l’euro.

    Après une série de mobilisations sociales (syndicats, retraités) un important volet de mesures d’austérité (notamment une réforme des retraites) a été repoussé à plus tard. Le gouvernement polonais a dû céder aux revendications des mineurs et des cheminots en lutte. D’ici 2007 le gouvernement polonais veut introduire une série de mesure d’austérité équivalant à 6,8 milliards d’euros. La croissance de ces dernières années n’a pas bénéficié à la majorité de la population. En Hongrie, le déficit budgétaire en janvier était estimé à 5,6% du PIB, ce qui a provoqué à la démission du ministre des Finances.

    Rejoignez le MAS pour construire une alternative anticapitaliste et internationaliste. Non à la division entre les travailleurs pour mieux les exploiter! Luttons tous ensemble pour nos droits sociaux et nos salaires! Unissonsnous pour socialiser les profits exorbitants accumulés par les grandes entreprises! Luttons pour une fédération des états socialistes en Europe!

  • Disparitions

    Elie Gross (1947-2003)

    Elie nous a quitté fin novembre. Fils d’un père émigré juif polonais qui avait pour ami d’enfance Isaac Deutscher, et d’une mère juive séfarade, Elie est né à Casablanca. Il arrive en Belgique en 1956 et adhère, à dix ans, à la branche jeunes de l’Union des Progressistes juifs de Belgique (UPJB). Il sera un des piliers de l’UPJB pendant des dizaines d’années. Militant de la Ligue révolutionnaire des Travailleurs (LRT) dans les années 70 et 80, délégué syndical dans l’enseignement, fondateur (à la fin des années 70) du Comité du 1er Mai pour les Libertés démocratiques et ouvrières en Europe de l’Est, Elie aura été de tous les combats contre le racisme, le sionisme, l’impérialisme et la bureaucratie stalinienne. Il n’appartenait plus à un parti depuis plusieurs années, mais continuait de suivre avec attention toute tentative de créer une alternative gauche. C’est ainsi qu’il était abonné à notre mensuel depuis le n°1.

    Serge Cols (1932-2003)

    Serge a commencé à militer dès l’âge de 15 ans. Son vécu d’enfant juif caché, pendant la guerre, a fortement marqué sa personnalité et a fait de lui à la fois un militant antiraciste et anticapitaliste infatigable, mais aussi un anticonformiste qui n’hésitait pas à aller seul à contre-courant. C’est ainsi qu’il a été exclu du Parti communiste dans les années 50, puis du groupe Grippa (pro chinois) dans les années 60. Condamné et emprisonné pour avoir aidé des révolutionnaires portugais sous la dictature de Caetano, il est devenu dans les années 90 un des piliers du mouvement antimondialiste en Belgique. Leader naturel d’Attac Bruxelles, il a joué un rôle clé dans la mise sur pied de D14, la coordination qui a mis sur pied la manifestation contre le sommet de Laeken en décembre 2001.

    Nous saluons la mémoire de ce deux camarades qui viennent de disparaître et nous adressons nos salutations fraternelles à tous leurs amis.

    Guy Van Sinoy

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