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  • [DOSSIER] Dix ans après la chute du dictateur Ben Ali, balayé par la révolution

    Manifestation Avenue Bourguiba au centre-ville de Tunis, 14 janvier 2011. Photo : wikipedia

    Il y a dix ans, à partir de la fin 2010, une puissante vague révolutionnaire a secoué l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient. Des manifestations localisées partant des régions les plus pauvres et marginalisées de la Tunisie se sont rapidement transformées en une insurrection nationale, la répression policière meurtrière ne faisant qu’alimenter davantage la colère contre un régime honni et corrompu.

    Par Cédric Gérôme, Alternative Socialiste Internationale

    Cette colère aboutit, dans la deuxième semaine de janvier 2011, à une déferlante de grèves de masse dans plusieurs régions successives qui précipitèrent la chute du dictateur tunisien Ben Ali, le 14 janvier, et sa fuite en Arabie Saoudite.

    La contagion révolutionnaire

    A l’occasion du 10e anniversaire de la chute du dictateur Ben Ali, les éditions Marxisme.be publient un nouvel ouvrage qui revient sur ces événements tumultueux riches en leçons pour les luttes actuelles. Parmi les plus importantes d’entre elles : la compréhension de la puissance du mouvement de masse.

    Rapidement, cette victoire arrachée par la lutte de masses libéra la confiance de millions de pauvres, de travailleurs et d’opprimés dans l’ensemble de la région. Des millions de personnes qui n’étaient plus prêtes à accepter de continuer à vivre dans la misère, le chômage et le despotisme tandis qu’une infime élite corrompue s’enrichissait allègrement aux dépens de tout le reste de la société.

    Dans l’actuel contexte d’augmentation incessante des prix des produits alimentaires, il est bon de se souvenir qu’un catalyseur important de cette gigantesque explosion populaire fut la hause des prix des produits de base, en particulier du pain. La vie quotidienne devenait sans cesse plus insoutenable pour des couches grandissantes de la population.

    Après la Tunisie, c’est l’Egypte qui s’est à son tour soulevée. Et bientôt des soulèvements et mouvements de protestation d’ampleurs diverses se répandirent en Libye, en Syrie, au Yémen, à Bahreïn, en Arabie saoudite, au Maroc, en Jordanie, au Liban, dans les territoires palestiniens, en Iraq et ailleurs. Partout s’écroulait le mur de la peur, les masses faisant preuve d’une bravoure héroïque face à la répression des milices, face aux balles des snipers et de la police. Un même slogan se répétait et résonnait partout « Echa’b yuriid isqat en-nidham » : « Le peuple veut la chute du système ».

    Au-delà des frontières, les masses prirent conscience tout à la fois de la similitude de leurs conditions et de leur puissance collective pour lutter et transformer ces conditions. Ce processus révolutionnaire éveilla les espoirs et les attentes de millions de personnes dans toute la région, mais aussi l’admiration et l’inspiration de bien d’autres aux quatre coins de la planète.

    Il fit aussi trembler les classes dirigeantes, les régimes tyranniques et les forces impérialistes qui avaient soutenus ces régimes pendant longtemps, un soutien récompensé en termes de profits généreux pour les multinationales et les banques occidentales. Ceux et celles qui croient à la fable selon laquelle la politique étrangère de la future administration américaine de Joe Bien sera focalisée sur les droits humains devraient se demander par exemple pourquoi toute l’administration démocrate d’Obama – dont Biden était le vice-président à l’époque – défendit la dictature égyptienne de Hosni Mubarak jusqu’à la dernière minute. Joe Biden lui-même déclara que Mubarak n’était pas un dictateur et qu’il ne devait pas démissionner face aux protestations croissantes contre son règne. Ce règne de près de 30 années, les masses égyptiennes lui avaient mis un terme moins d’un mois après cette déclaration embarrassante.

    L’impossible rendu possible

    Partout il semblait soudainement qu’après des décennies de dictatures, de déclin humiliant, de guerres et de pillage néocolonial, de terrorisme et de pauvreté, un changement radical était enfin à portée de la main. L’idée tenace d’un Moyen-Orient embourbé dans les conflits sectaires fut totalement retournée sur sa tête. Dans un pays après l’autre, des scènes de solidarité entre différentes communautés religieuses furent observées, les masses comprenant la nécessité de s’unir dans la lutte contre leurs oppresseurs.

    En Egypte par exemple, les chrétiens coptes protégeaient les musulmans qui priaient sur la place Tahrir, et vice versa. Brisant les traditions conservatrices et patriarcales, les femmes s’investissaient dans tous les aspects de cette lutte historique. De manière générale, la révolution semblait rendre possible tout ce qui avait été impensable et impossible la veille. Au travers de ce combat frontal contre l’oppression et l’exploitation, les prémisses d’une société nouvelle semblait émerger des actions, des occupations, des manifestations et des grèves de masse.

    C’est sans aucun doute en Tunisie et en Egypte que le processus révolutionnaire fut dans en premier temps, poussé le plus loin. Cela était dû à l’intervention à une échelle de masse de la classe des travailleurs dans l’action à partir de son outil de lutte privilégié : la paralysie de l’économie par la grève, qui fit trembler la bourgeoisie et força cette dernière à lâcher du lest plus rapidement et plus facilement qu’ailleurs pour préserver son système.

    Dans ces deux pays, des comités populaires et révolutionnaires virent le jour dans une multitude de quartiers et de localités, défiant l’appareil d’Etat de la dictature, se substituant à la police pour organiser la sécurité, et tentant de réorganiser toute une série de tâches quotidiennes selon la volonté des masses en mouvement. Dans beaucoup d’entreprises et lieux de travail, des managers corrompus furent dégagés par des travailleurs en colère.

    L’alternative et le programme : des questions cruciales

    Pourtant, bien que les classes dirigeantes furent initialement prises par surprise, elles se ressaisirent vite et organisèrent la riposte. Les victoires des premières semaines ne pouvaient pas dissimuler pour longtemps le fait que le système lui-même n’avait pas été délogé. Le pouvoir politique demeurait en définitive aux mains des classes possédantes. Le manque d’une alternative a commencé à peser lourdement, bien qu’à différents degrés selon la situation existante dans chaque pays.

    Karl Marx expliquait que les humains créent leur histoire non sur base de conditions qu’ils déterminent à l’avance, mais sur la base de conditions héritées du passé. Ces conditions impliquaient un peu partout une présence et influence très faible de la gauche organisée et l’absence d’outils politiques propres au mouvement ouvrier et révolutionnaire. Les masses avaient une conscience claire et déterminée de ce qu’elles ne voulaient plus, mais pas une idée claire de ce avec quoi remplacer ce qu’elles ne voulaient plus.

    De plus, chaque pays était entré dans la danse avec ses propres caractéristiques, sa propre histoire, et sa constellation de forces politiques spécifiques. De fortes traditions tribales en Libye. Des appareils d’Etats érigés sur la base du sectarisme en Syrie et en Irak. Une pénétration importante de l’armée dans l’économie et la politique en Egypte. Tous ces éléments, bien que poussés sur la défensive au début des mouvements, rejaillirent avec d’autant plus de force que le mouvement révolutionnaire n’avait pas d’alternative ni de programme bien défini à opposer aux forces de la contre-révolution.

    La fin du processus révolutionnaire ?

    De plus, les puissances impérialistes, voyant leurs intérêts menacés par cette vague révolutionnaire, ne restèrent évidemment pas sans broncher. Les bombardements de l’OTAN en Libye répondaient à une volonté de l’impérialisme occidental de « reprendre la main » sur le processus en cours et restaurer son prestige meurtri. A leur tour, les dictateurs libyens et syriens, Mouammar Kadhafi et Bashar al Assad, instrumentalisèrent la peur de l’intervention impérialiste pour se préserver un soutien et diviser le mouvement de révolte. Pour la même raison, tous deux jouèrent aussi sur les divisions communautaires, tribales, régionales et religieuses facilitées par la faiblesse du mouvement ouvrier organisé dans leurs pays respectif. En Syrie, en Libye mais aussi au Yémen, les révolutions se sont mutées en guerres civiles prolongées, alimentées par les interventions extérieures.

    Après une seconde et puissante révolte contre le règne des Frères Musulmans qui avaient remporté les premières élections à la suite de la chute de Mubarak, la révolution égyptienne a succombé à la contre-révolution, la résistance étant petit à petit étouffée par la répression militaire sauvage suite au coup d’Etat militaire de Abdel Fattah el-Sissi à l’été 2013.

    La même année, Daesh – aussi connu sous le nom du soi-disant « Etat Islamique » – s’est emparé de pans entiers de territoire en Irak et en Syrie se nourrissant de la désillusion ambiante et des revers de la révolte syrienne. Un règne de terreur et de violence extrême fut instauré sur les zones sous son contrôle.

    Dans un tel contexte, beaucoup succombèrent à l’époque à l’idée selon laquelle le processus révolutionnaire dans la région était terminé. Dans un article publié en décembre 2016 intitulé « La tragédie syrienne signale la fin des révolutions arabes », le journaliste britannique Robert Fisk, pourtant fin connaisseur de la région, écrivait par exemple : « Tout comme l’invasion catastrophique anglo-américaine de l’Irak a mis fin à l’épopée occidentale des aventures militaires au Moyen-Orient, la tragédie syrienne garantit qu’il n’y aura plus de révolutions arabes. »

    Notre internationale, bien que consciente dès le début des limites du processus, ne l’avait jamais enterré aussi facilement pour autant. Nous avions gardé une confiance dans la capacité des masses à se relever et à se relancer dans de nouveaux assauts contre l’ordre ancien ou contre de soi-disant « nouveaux » régimes ne faisant que répéter les politiques du passé.

    À l’époque de la vague révolutionnaire en 2010-2011, nous expliquions que les mouvements de masse ne pourraient pas durer indéfiniment et qu’ils se heurteraient à de sérieuses complications ainsi qu’à des défaites en raison du manque de partis et de directions pour les représenter. Mais nous soulignions également que les contre-révolutions, vu leur incapacité à se reconstruire une base sociale solide dans un contexte de crise généralisée du système capitaliste, et reproduisant tous les ingrédients qui avaient mené à l’explosion révolutionnaire initiale, ne pourraient reprendre la main durablement. Les processus révolutionnaires allaient inévitablement rejaillir, avec des révoltes encore plus profondes des masses laborieuses et des pauvres de la région.

    Une nouvelle vague révolutionnaire

    Et c’est ce qui se produisit à partir de décembre 2018, lorsqu’une autre chaîne de soulèvements et de révolutions explosa, à commencer par le Soudan. En février 2019, la population algérienne dévala dans les rues à son tour après que le président Abdelaziz Bouteflika ait annoncé son intention de briguer un cinquième mandat. Bouteflika fut forcé par l’armée d’abandonner le pouvoir suite à un mouvement spontané de grève quasi généralisée s’étalant sur plusieurs jours. Et le tyran soudanais Omar al Bashir connut le même sort une semaine plus tard.

    Bien qu’ayant sa dynamique propre, cette nouvelle vague révolutionnaire s’appuyait sur certaines leçons dégagées de l’expérience de la première. Parmi celles-ci, la compréhension plus approfondie que pour une lutte réussie, aucun répit ne pouvait être offert une fois que la tête des régimes était tombée et qu’il fallait au contraire redoubler d’efforts pour déraciner les structures et les institutions sur lesquelles elle repose.

    Au Soudan, un conseil militaire composé de généraux dont les mains étaient pleines de sang des crimes, des tortures et des guerres de la dictature d’Al Bashir arracha le pouvoir. A la place de Bouteflika, un président sans aucune légitimité populaire fut installé par les militaires. Mais dans les deux cas, les manifestations ne s’arrêtèrent pas, que du contraire.

    Un slogan populaire scandé lors du sit-in à Khartoum, au Soudan, était «Soit la victoire, soit l’Égypte». Le slogan «l’Algérie est in-sisi-able» fut aussi exprimé dans les rues algériennes. Ces exemples démontraient que l’expérience du coup d’État militaire égyptien avait pénétré la conscience populaire à l’échelle régionale et que les masses avaient tiré des enseignements de l’échec de la révolution égyptienne.

    Ils démontrent également les instincts internationalistes qui ont animé ces mouvements révolutionnaires depuis leur début, les masses considérant la lutte dans chaque pays, en quelque sorte, comme leur lutte également. Ce n’est donc pas une coïncidence si la même année, à partir d’octobre 2019, les peuples d’Irak et du Liban se soulevèrent eux aussi.

    Les conditions en Irak et au Liban sont extrêmement différentes, mais en réalité extrêmement similaires. Le sort des populations de ces deux pays s’est retrouvé aux mains d’un consortium de dirigeants et de seigneurs de guerre sectaires, riches et corrompus qui, en apparence, sont en désaccord les uns avec les autres mais, en réalité, sont prêts à s’unir dès que le système garantissant leurs intérêts mutuels est menacé.

    Les deux soulèvements ont identifié que la source de leurs malheurs n’est pas une religion ou l’autre, une stratégie éprouvée depuis longtemps pour maintenir divisés les travailleurs et les classes populaires. Leur ennemi est en fait les classes dirigeantes dans leur intégralité, le réseau de relations clientélistes qui les soutient, les milieux économiques affairistes qui profitent de leur emprise sur le pouvoir pour s’enrichir.

    En Iran aussi, on a vu une succession de mouvements de masses, surtout à partir de la fin 2017 / début 2018, avec un nouveau pic en novembre 2019, tandis que la base sociale du régime pourri des Mollahs s’effrite presque de jour en jour. Le rôle impérialiste régional de l’Iran, les sanctions ainsi que les tensions et menaces militaires planant sur ce pays ont tendance à éclipser dans la couverture médiatique la résistance ouvrière authentique qui s’y développe, une résistance qui rencontre généralement la répression la plus brutale.

    À l’instar de ce qui se passe ailleurs, la rage des masses iraniennes est animée non seulement par la soif de libertés démocratiques mais aussi – et peut-être même surtout – par la détérioration incessante des conditions matérielles d’existence, les inégalités grotesques et la suppression des subventions d’État sur les produits de première nécessité. Il est à noter par ailleurs que c’est exactement ce même type de politiques que les institutions financières internationales continuent de préconiser pour la région.

    La solidarité internationale

    Malgré les divisions nationales et religieuses entretenues par les cliques au pouvoir, l’inspiration mutuelle des mouvements en Irak, au Liban et en Iran étaient absolument évidentes. Les manifestants iraniens, par exemple, descendaient dans la rue en scandant « l’ennemi est à la maison », montrant par là non seulement leur solidarité avec les soulèvements au Liban et en Irak mais aussi leur opposition aux interventions militaires du régime iranien dans ces pays. En octobre 2019, les occupants de la place Tahrir à Bagdad envoyèrent un message de solidarité aux manifestants iraniens, insistant sur le fait que leur problème se trouvait uniquement au niveau du régime iranien, lequel soutient des politiciens et criminels corrompus en Irak, et qu’ils espéraient pouvoir construire des relations fortes et durables avec le peuple iranien qui lui aussi, mérite un gouvernement juste.

    La réverbération et l’influence mutuelle de ces luttes en a été une caractéristique essentielle, basée sur la réalisation de leur inséparabilité, dans le cadre d’un système planétaire reproduisant les mêmes logiques partout. La solidarité internationale ne s’est d’ailleurs pas limitée à cette région. En 2011 déjà, des millions de travailleurs et de jeunes du monde entier suivaient les événements révolutionnaires en temps réel.
    L’impact international de ces mouvements s’est manifesté quelques semaines après la chute de Mubarak lorsqu’un mouvement de masse éclata dans le Wisconsin, aux États-Unis, contre des attaques anti-syndicales. Les banderoles et pancartes faisaient explicitement référence aux luttes en Tunisie et en Égypte. La même année, le mouvement Occupy Wall Street et celui des «Indignés» éclata en Espagne, en Grèce et dans d’autres pays.

    En 2019, des révoltes de masse ont éclaté depuis le Chili jusqu’à Hong Kong, et des grèves et marches pour le climat ont démontré la volonté de millions de jeunes et de moins jeunes de se battre pour en finir avec la catastrophe écologique que ce système occasionne. Cette année, les manifestations de Black Lives Matter contre le racisme et la violence policière se sont répandues comme une traînée de poudre à l’échelle internationale. Tout cela fait preuve d’une plus large reconnaissance que la souffrance d’un peuple dans un coin de la terre est la souffrance de tous, un sentiment qui s’est renforcé au vu de la triple catastrophe économique, climatique et sanitaire à laquelle nous sommes tous et toutes confrontés.

    Bien que durant l’année 2020, beaucoup de ces luttes ont été initialement durement frappées par la pandémie, la deuxième partie de l’année a illustré le fait qu’elles sont bien loin d’être terminées, que du contraire. Même en Syrie, des protestations appelant ouvertement au renversement d’Assad ont éclaté en juin dernier. L’été dernier, l’Iran a été traversée par une vague de grèves sans précèdent depuis la révolution de 1979, et encore en octobre, le pays a enregistré un total de 341 manifestations dans 83 villes, avec une moyenne de 11 protestations par jour. En septembre, l’Égypte fut témoin de six jours consécutifs de manifestations dans plus de 40 villes et villages, c’était la première fois que des manifestations appelant au départ de Sissi avaient lieu dans plus d’une province égyptienne à la fois.

    Un processus de longue durée

    Il est donc clair que quel que soit le degré de violence qu’elles déchaînent, les classes dirigeantes ne peuvent jamais complètement éteindre la flamme de la révolte et de la résistance. Les deux vagues révolutionnaires ont été séparées par près d’une décennie, mais il faut les considérer comme faisant partie d’un processus révolutionnaire continu dans toute la région. Un processus qui, avec l’incapacité du capitalisme et des classes dirigeantes à résoudre les contradictions politiques, économiques et sociales qui ont donné naissance à ces mouvements, est appelé à se poursuivre d’une manière ou d’une autre.

    Même en Tunisie, dont la transition démocratique est souvent présentée comme une « success story », la réalité est bien différente du mythe. Les difficultés économiques sont pires que sous le régime de Ben Ali. Un sondage d’opinion publié en novembre 2020 par le ‘Forum Tunisien des Droits Economiques et Sociaux’ (FTDES), en dit long sur ce qu’en pensent les pauvres, jeunes et travailleurs en Tunisie même. 83,6% des jeunes disent considérer la société tunisienne inéquitable, 71,3% la jugent “pas fondée sur de bonnes bases”, 69,7% estiment que l’État ne répond pas aux besoins de base et 81,6% pensent que l’État privilégie les riches. Récemment, des mouvements de protestation et de grèves simultanés se sont étendus à plusieurs gouvernorats du pays. Une grève générale a encore frappé la région de Kairouan en décembre pour demander des emplois et une amélioration immédiate des services de santé et de l’infrastructure.

    Organiser la colère

    Ceci dit, tout en saluant la poursuite nécessaire de ces luttes, nous ne pouvons pas nous arrêter à ce constat. À la lumière des drames, des contre-révolutions et des bains de sang qui se sont déroulés dans la région au cours de la dernière décennie, l’idée que les passions populaires et la lutte spontanée vont suffire à elles seules à éradiquer l’ordre ancien et à en finir avec le système d’exploitation et d’oppression actuel, est inadéquate.

    Tous ces mouvements ont montré que face à un ennemi puissant et organisé – une classe dominante consciente de ses intérêts – le changement révolutionnaire ne peut être laissé à la simple chance et spontanéité. Si la spontanéité révolutionnaire peut dans un premier temps représenter un atout pour surprendre et déstabiliser le camp adverse, cet avantage se transforme en désavantage, en facteur déstabilisant pour la révolution, s’il n’est pas dépassé.

    Ce que toutes les luttes qui ont éclaté dans la région ont montré au cours des dix dernières années, c’est que si elles ne sont pas armées d’un programme ainsi que d’organisations pour le mettre en œuvre, elles finiront par aboutir à des reculs, par se dissiper, ou pire, par être manipulées et récupérées pour servir l’agenda de forces réactionnaires. Un parti, un programme et une direction politique sont nécessaires pour organiser les masses laborieuses, la jeunesse et tous les opprimés, faire avancer leurs luttes et les mener jusqu’au renversement du capitalisme.

    Malheureusement, plutôt que de se saisir de ces luttes révolutionnaires historiques pour s’enraciner parmi les travailleurs et les jeunes, plutôt que de se tourner pleinement vers le mouvement de masse et de chercher à s’en faire l’expression politique sur la base d’une opposition résolue à ce système, la gauche s’est bien souvent tirée des balles dans le pied en cherchant toutes sortes d’arrangements et de compromissions avec les représentants de ce système.

    Au Soudan, l’Association syndicale des professionnels soudanais (SPA), qui a joué un rôle de premier plan dans les mobilisations contre le régime d’al Bashir, a formé une coalition avec diverses forces d’opposition connue sous le nom de « Forces pour la liberté et le changement », laquelle a conclu en août 2019, sur le dos de la population, un partage de pouvoir avec les généraux contre-révolutionnaires.

    En Syrie, des pans entiers de la gauche internationale se sont fourvoyés dans une fausse dichotomie. Certains se sont appuyés sur des définitions archaïques de l’anti-impérialisme pour justifier l’injustifiable en applaudissant les massacres et les bombes d’Assad et de ses soutiens. D’autres ont glorifié les bandes armées et les militants jihadistes au nom du soutien à la révolution contre le régime, ou encore exigeaient que les forces impérialistes occidentales s’impliquent davantage dans la guerre.

    En Tunisie et en Egypte, les partis les plus influents de la gauche locale ont porté leur soutien à des forces de l’ancien régime au nom de la lutte contre les islamistes et les frères musulmans, pavant la voie à leur propre destruction …

    Il est donc nécessaire de tirer les leçons de ces erreurs pour les batailles à venir, en particulier la nécessité de garantir l’indépendance politique du mouvement ouvrier et révolutionnaire face aux forces et partis capitalistes, et d’encourager à chaque étape la lutte par des moyens qui lui sont propres.

    Il n’y a pas de raccourci possible : bien que chaque petite victoire est importante, aucun progrès durable n’est possible tant que la société reste dirigée par la loi du profit et que l’économie est contrôlée par une minorité dont les intérêts et la position dépendent de l’appauvrissement et l’oppression de la majorité.

    C’est pourquoi organiser les masses à l’échelle internationale pour unifier toutes les luttes en une seule lutte globale pour renverser le système capitaliste, et construire une alternative socialiste démocratique, est la meilleure manière d’honorer et poursuivre le combat, les efforts et les sacrifices entamés par les masses laborieuses et les exploités de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient il y a dix ans. Solidarité !

  • [VIDEO] Dix ans depuis les révolutions en Afrique du Nord et au Moyen Orient

    Aujourd’hui, c’est le dixième anniversaire du déclenchement de la révolution tunisienne, le 17 décembre 2010, qui a conduit à l’éviction de Ben Ali le 14 janvier 2011. Cette vidéo reprend l’introduction de Cédric Gérôme qui a servi de base à un meeting intitulé ” 10 ans après les révolutions en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, la force du mouvement de masse hier et aujourd’hui”.

    Cédric est permanent pour Alternative Socialiste Internationale (ASI, dont le PSL/LSP est la section belge). Il a tout particulièrement suivi les développements en Tunisie et est actuellement en train d’écrire un livre sur cette expérience révolutionnaire.

  • Les manifestants égyptiens brisent le mur de la peur

    Dans la soirée du vendredi 20 septembre, des manifestations généralisées ont éclaté en Égypte. Des centaines de personnes se sont rendues sur la place Tahrir au Caire, l’épicentre de la révolution de janvier 2011, et beaucoup d’autres ont défilé dans les rues d’autres parties du pays, notamment dans les villes portuaires d’Alexandrie et de Suez, ainsi que dans le centre ouvrier de Mahalla al-Kubra.

    Par Serge Jordan, CIO

    Faisant écho aux chants et aux slogans de la première vague de révoltes qui a secoué le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord il y a huit ans, les manifestants ont appelé au renvoi du président Abdel Fattah el-Sisi et à la chute de son régime militaire. Des portraits du dictateur ont ainsi été détruits. Cela s’est accompagné de la plus grande “manifestation électronique” de ces dernières années, des centaines de milliers de tweets appelant à la démission d’El-Sisi.

    Jusqu’à présent, ces manifestations ont été relativement modestes et il reste à voir si elles se transformeront en un mouvement plus vaste. Mais leur éruption même est impressionnante dans un pays sous la loi martiale ainsi qu’au vu des risques encourus par les participants. L’extension rapide des protestations à travers l’Egypte et l’audace des revendications des manifestants ont causé des dommages irréparables au prestige de la figure de proue du régime. C’est une étape décisive pour surmonter le “seuil de peur” imposé par des années de répression sauvage.

    Les cycles incessants d’atteintes aux conditions de vie de la population conjugués à la suppression systématique des libertés les plus élémentaires ont créé un volcan prêt à exploser à tout moment. Après avoir pris le pouvoir par un coup d’État militaire à l’été 2013, El-Sisi et ses acolytes ont installé l’une des dictatures les plus brutales du capitalisme moderne – avec la bénédiction politique des grandes puissances impérialistes qui lui fournissent une aide financière et lui vendent des armes en quantité. Certaines de ces armes occidentales sont actuellement utilisées par les forces de sécurité égyptiennes pour réprimer la vague de protestations.

    Mais comme Napoléon l’a dit : “On peut tout faire avec des baïonnettes, sauf s’asseoir dessus.” Aucun régime ne peut survivre longtemps par la seule brutalité militaire. Le fait qu’il soit confronté à un défi renouvelé et ouvert dans les rues démontre que même la violence la plus féroce de la part des classes dirigeantes n’offre jamais d’immunité à long terme contre les bouleversements révolutionnaires.

    Les images et les vidéos diffusées sur les médias sociaux montrent que les manifestants sont majoritairement jeunes, souvent à la fin de l’adolescence et au début de la vingtaine. La génération qui a participé activement à la révolution de 2011 a été victime de la répression généralisée du régime ; beaucoup ont été jetés en prison, tués, torturés ou contraints à l’exil. Trop jeune pour participer vraiment à l’époque, et moins directement touchée par les revers de la dernière décennie, une nouvelle génération est en train de courageusement entrer en action.

    L’étincelle

    De nouvelles révélations concernant la corruption et le luxe obscène de l’élite dirigeante ont constitué l’étincelle qui a donné naissance à ce mouvement. Un ancien acteur et magnat de la construction, Mohamed Ali, qui a récolté d’énormes bénéfices de ses contrats avec l’armée égyptienne, a publié ces dernières semaines une série de vidéos de l’exil qu’il s’est imposé en Espagne. Il y a accusé El-Sisi, sa femme et de hauts responsables militaires d’affecter des milliards de dollars d’argent public à des projets de vanité égoïstes, tels que la construction de propriétés résidentielles, de palais et d’hôtels de luxe. Il invitait également la population à manifester. Certains anciens officiers de l’armée et du renseignement ont depuis lors corroboré des accusations similaires.

    L’emprise accrue des hauts gradés militaires sur l’économie égyptienne et la concentration du pouvoir entre les mains du cercle étroit autour d’El-Sisi ont généré des rancunes et des frustrations au sein de l’élite militaire et des grandes entreprises du pays. Mohamed Ali est une manifestation de ces couches de l’élite mises de côté. Mais ses dénonciations ont alimenté la rage de millions d’Égyptiens confrontés à l’effondrement des infrastructures et à l’aggravation de la pauvreté, du chômage, de l’inflation et du sans-abrisme. Même la Banque mondiale, dont les données sont des sous-estimations notoires, affirme que 60% d’Égyptiens vivent actuellement en dessous ou près du seuil de pauvreté.

    La subordination du régime d’El-Sisi aux plans d’austérité imposés par le Fonds monétaire international (FMI) comme condition à l’octroi d’un prêt de 12 milliards de dollars a causé des ravages sociaux et a écrasé les conditions de vie de la classe ouvrière et de la classe moyenne en Égypte. Selon les chiffres du gouvernement, 4 millions de personnes supplémentaires sont tombées dans la pauvreté entre 2015 et 2018. Les masses n’ont rien vu de la croissance économique égyptienne tant louée par les analystes et les agences de notation pro-capitalistes à travers le monde. Comme les manifestations de rue de ces derniers jours soulignent une nouvelle phase de résistance plus ouverte au régime d’El-Sisi, elles ont également fait sonner l’alarme sur les marchés. Pour la première fois depuis 2016, la bourse égyptienne a suspendu ses activités boursières dimanche après avoir connu sa plus forte baisse depuis des années.

    Les sommets du régime plongés dans la confusion

    Depuis vendredi, une forte présence de sécurité a été maintenue sur la place Tahrir. Des véhicules blindés ont bouclé la place et les forces de sécurité ont fermé des cafés dans le centre-ville du Caire, dans le but de bloquer d’autres manifestations. Des centaines de manifestants et de militants politiques ont été arrêtés par la police et certains “vétérans” de la révolution de 2011 ont également été pris pour cible. Cela n’a cependant pas empêché une nouvelle vague de manifestants de descendre dans les rues d’autres quartiers et villes du pays samedi, en particulier à Port Saïd, où les forces de l’État ont tiré des gaz lacrymogènes, des balles en caoutchouc et des balles réelles. Dimanche, nous avons appris que Facebook, Messenger, BBC News et d’autres médias sociaux ainsi que des sites locaux d’information en ligne avaient été perturbés ou bloqués.

    Malgré cela, il est à noter que la répression a jusqu’à présent été anormalement faible, du moins par rapport aux normes passées du régime d’El-Sisi. L’organisme gouvernemental d’accréditation des médias étrangers a publié samedi une déclaration contenant des menaces voilées de poursuivre les journalistes étrangers s’ils rapportent les événements de manière “exagérée” – mais sans mentionner explicitement les manifestations. La plupart des médias nationaux sont pour leur part restés largement silencieux.

    La relative timidité du régime à utiliser jusqu’à présent toute la force de l’Etat a conduit certains à gauche à croire que les protestations ont été orchestrées “de l’intérieur”. Il est évident que certains parmi l’élite dirigeante vont essayer de détourner ce mouvement contre el-Sisi pour servir leurs intérêts personnels et pour sauvegarder le système dont ils profitent. C’est dans la nature-même de telles situations. Si les protestations se développent, des couches de l’armée pourraient décider d’agir contre el-Sisi, car il épuise la capacité de l’armée à assurer la stabilité du régime. En ce sens, le “dictateur préféré” du président américain Donald Trump pourrait bientôt devenir un sérieux handicap. D’où l’importance pour le mouvement de ne pas seulement cibler el-Sisi et son entourage immédiat, mais de s’efforcer de balayer toute la structure pourrie sur laquelle ils reposent.

    Mais réduire le mouvement actuel à une conspiration bien orchestrée ne permet pas d’apprécier le niveau de véritable colère qui bout sous la surface. Un résident de 19 ans de Boulaq, un quartier populaire du Caire, a déclaré au New York Times : “Les gens attendaient juste l’occasion de protester – les vidéos de Mohamed Ali ne sont pas la vraie raison pour laquelle ils l’ont fait. Les gens voulaient passer à l’action.”

    Le manque de confiance du régime dans l’imposition d’une répression sanglante à ce stade est avant tout une indication de l’état général de choc, de division et de confusion au sein des échelons supérieurs de l’appareil d’État égyptien quant à la manière de réagir à ce défi largement spontané et lancé par la base de la société.

    Beaucoup de membres de la classe dirigeante comprennent certainement que l’effusion d’une grande quantité de sang pour réprimer le mouvement pourrait revenir les hanter : même la plus petite menace au statut et au contrôle du pouvoir d’El-Sisi peut maintenant rapidement devenir une question existentielle, en faisant boule de neige dans un mouvement de masse défiant l’édifice entier du régime. Ils craignent surtout que la classe ouvrière ne reprenne confiance après une longue période d’asservissement, comme en janvier 2011, et n’entre dans la mêlée avec ses propres revendications. Lundi, les travailleurs de Ceramica Cleopatra, une usine de la zone industrielle de Suez, sont sortis en signe de protestation contre el-Sisi, alors que leur patron avait organisé une manifestation de soutien au dictateur ! Cet épisode montre à quel point l’atmosphère peut changer rapidement une fois que la peur des masses commence à s’estomper.

    Quoi qu’il en soit, la violence contre-révolutionnaire reste une partie intégrante et inévitable de l’arsenal de l’élite dirigeante pour tenter d’effrayer l’action de masse, et les manifestants doivent être prêts à se défendre. Des comités d’action dans les quartiers, les lieux de travail, les écoles et les universités peuvent aider à organiser la résistance contre la répression du régime, ainsi qu’à mener des actions futures à un niveau plus large et mieux organisé. Des appels lancés à destination des nombreux soldats pauvres avec un programme audacieux de changement social et économique et des appels à créer des comités d’action de base visant à purger l’armée de sa hiérarchie corrompue mineraient fondamentalement les capacités répressives de l’État et les nouvelles manoeuvres possibles des diverses ailes sécuritaire et militaire du pouvoir pour faire dérailler le mouvement de protestation comme ils l’ont fait en 2011 et en 2013.

    Une nouvelle vague de luttes de masse dans la région

    Bien qu’elle ait pris plusieurs commentateurs par surprise, la crise actuelle couve depuis un certain temps. La crainte d’une contagion révolutionnaire potentielle a été le facteur déterminant du rôle actif joué par l’Etat égyptien pour assister le Conseil militaire de transition soudanais dans sa tentative sanglante réprimer la lutte révolutionnaire. Au lieu de cela, les manifestants égyptiens semblent avoir été encouragés par la révolution d’à côté, qui a scellé le sort du dictateur soudanais Al-Bashir en avril dernier, ainsi que par le mouvement en cours qui a fait tomber l’ex-Président Bouteflika en Algérie. Comme l’a dit un activiste égyptien, “ils voulaient que le scénario égyptien commence en Algérie… maintenant le scénario algérien qui a commencé en Égypte “.

    Les événements en Égypte, s’ils prennent de l’ampleur, pourraient à leur tour attiser les flammes de la révolte contre les nombreux régimes oppressifs dans la région. Les récentes élections présidentielles en Tunisie, qui ont vu tous les candidats favoris de la classe dirigeante, y compris le Premier ministre sortant, lourdement défaits au premier tour, sont un autre signe que l’ordre politique dominant imposé par le capitalisme et l’impérialisme au lendemain du soi-disant “printemps arabe” est en plein chaos.

    Cependant, les expériences récentes dans tous ces pays démontrent une leçon vitale : si la classe ouvrière, les masses pauvres et la jeunesse révolutionnaire veulent mettre fin une fois pour toutes à la pauvreté et à la répression, elles doivent développer leur propre alternative basée sur leurs propres partis indépendants et contre toutes les ailes des élites dirigeantes capitalistes. Celles-ci essaieront toujours de détourner, de diviser et de détruire les mouvements révolutionnaires pour préserver leur système pourri d’exploitation.

    Mohamed Ali est un milliardaire indigne de confiance qui s’est brouillé avec le régime pour ses propres intérêts personnels. Mais il a raison d’affirmer que “Le système est à blâmer” et que “Nous avons besoin d’un nouveau système.” C’est dans le contexte de la crise économique mondiale du capitalisme de 2008-2009 que la première vague de révolutions a secoué la région. Avec une nouvelle récession mondiale à l’horizon, les problèmes dont souffrent les travailleurs égyptiens et les pauvres ne feront qu’empirer, tant que le capitalisme continuera.

    Un nouveau chapitre de la révolution égyptienne inachevée pourrait s’ouvrir. Ali a lancé un appel pour une “marche d’un million” vendredi, pour que les étudiants se mettent en grève, et pour que les manifestants remplissent toutes les grandes places du pays. Comme une première brèche a été ouverte dans les défenses du régime, ce mouvement pourrait bien déborder, même si les lourdes défaites subies par les masses égyptiennes ces dernières années et le scepticisme inévitable quant à l’issue d’un nouveau soulèvement révolutionnaire ne pourront être résolus du jour au lendemain.

    Pour cela, le mouvement doit se doter d’un programme visant non seulement à renverser le régime d’El-Sisi, mais aussi à répondre à toutes les questions fondamentales auxquelles sont confrontés les travailleurs, les pauvres et leurs familles : comment mettre de la nourriture sur la table, garantir des emplois aux jeunes sans emploi, développer des logements décents, des infrastructures, l’éducation, la santé et les transports publics, mettre fin au harcèlement sexuel des femmes et des filles, etc.

    Tout en luttant pour la liberté d’expression, des syndicats dirigés démocratiquement, la fin de la torture d’Etat et la libération des prisonniers politiques, les socialistes devraient également lutter pour que les richesses obscènes de l’élite dirigeante égyptienne lui soient retirées et soient utilisées pour améliorer la vie des gens.

    En répudiant la dette du pays et en nationalisant les grandes entreprises, les banques et les grands domaines, à commencer par les biens et les entreprises des dirigeants militaires corrompus, et en appelant les millions de travailleurs et de pauvres à gérer démocratiquement l’économie et la société selon les besoins de la grande majorité, une Égypte nouvelle, socialiste et démocratique pourrait être construite, libre de toute oppression et exploitation.

  • L’Afrique du Nord et les processus révolutionnaires en Algérie et au Soudan

    Résolution adoptée au Comité exécutif international du CIO d’août 2019

    En avril de cette année, le renversement de deux dictateurs de longue date par les soulèvements révolutionnaires en Algérie et au Soudan a stupéfié la plupart des universitaires et commentateurs bourgeois, mais cela a confirmé l’analyse faite par le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) il y a huit ans. Nous expliquions alors que les révolutions initiées en Tunisie et en Egypte n’étaient pas seulement une parenthèse ou un “printemps” éphémère, mais plutôt les premières salves d’un processus long et complexe de révolution et de contre-révolution dans la région.

    Ces mouvements sont d’autant plus importants qu’un certain nombre de pays qui ont été secoués par des mouvements de masse lors de la première vague révolutionnaire en 2010-2011 ont depuis souffert de contre-révolutions brutales et de guerres dévastatrices. La contre-révolution n’a pas réussi à éliminer de manière décisive le spectre de nouveaux soulèvements populaires, ni à garantir la durabilité et la stabilité de l’ordre régional.

    La contre-révolution

    L’Egypte est gouvernée par une dictature encore plus impitoyable que celle renversée en 2011. Jamais dans son histoire moderne le pays n’a connu une répression telle que celle menée sous le règne d’Abdel Fattah al-Sisi. En avril, le régime a organisé un référendum par étapes sur des amendements constitutionnels radicaux visant à éliminer certains des derniers vestiges des acquis démocratiques de la révolution égyptienne. Ils suppriment la limite de deux mandats à la présidence, permettant à Sisi de rester au pouvoir jusqu’en 2030, et lui donnent également le contrôle total du pouvoir judiciaire, tout en élargissant le rôle de l’armée dans les affaires politiques du pays.

    Au cours de la période récente, les gouvernements occidentaux ont serré les rangs avec le régime autocratique du Caire. L’Union européenne loue Sisi comme un allié dans ses efforts pour empêcher les réfugiés d’atteindre les côtes européennes. Reflétant les perspectives à court terme des grands milieux d’affaires, l’agence de notation Moody a revalorisé le statut de l’Egypte à “stable”  en avril, commentant que “la rentabilité [du pays] restera forte”. Les chiffres officiels font également état du taux de croissance économique le plus élevé depuis une décennie (5,5 %).

    Cependant, dans des conditions où la dette extérieure a été multipliée par cinq au cours de la dernière moitié de la décennie et alors que la dette publique a plus que doublé au cours de la même période ; où 60% de la population vit dans la pauvreté et souffre du poids de l’inflation galopante et des réductions de subventions ; la stabilité souhaitée par les puissances impérialistes et les rêves de Sisi de devenir président à vie pourraient se révéler de courte durée. Plus tôt cette année, un groupe d’anciens ministres et de membres de l’intelligentsia égyptienne a écrit une lettre ouverte dans laquelle ils déclaraient : “Il suffit d’errer dans les rues du Caire pour se rendre compte de l’ampleur de la rage et de la tension internes qui pourraient dégénérer en une explosion sociale incontrôlable à tout moment”. Cela témoigne de ce qui se trame sous la surface.

    En plus de réprimer violemment la résistance des travailleurs égyptiens et de l’opposition locale en général, le régime de Sisi joue un rôle actif dans les conspirations contre-révolutionnaires dans la région. Quelques jours seulement après la destitution du président soudanais Omar el-Béchir, des délégations d’Égypte, d’Arabie saoudite et des Émirats Arabes Unis (EAU) se sont précipitées au Soudan et ont eu de nombreux entretiens avec la junte militaire soudanaise. En Libye, le régime de Sisi a fourni un soutien politique, militaire et de renseignement actif aux troupes du futur dictateur militaire libyen et admirateur de Sisi, Khalifa Haftar.

    La Libye est aux prises avec une nouvelle guerre civile qui s’intensifie et qui fait grossir les rangs des personnes déplacées et des réfugiés. Près de 100 000 personnes ont déjà été déplacées par l’offensive lancée sur Tripoli par Haftar et son “Armée Nationale Libyenne” (ANL), et ce nombre augmente chaque jour.

    Haftar espérait une victoire rapide et en douceur dans sa marche sur la capitale. Ces espoirs ont clairement tourné court. Sa prétention d’éradiquer les islamistes armés et son positionnement en tant que champion de la laïcité sont contredits par le fait que sa propre ANL est une alliance fragile composée d’un nombre important de miliciens salafistes, d’anciens officiers de l’armée de Kadhafi et de combattants de différentes tribus avec lesquels Haftar a conclu des accords. Elle pourrait devenir le théâtre de graves dissensions si l’impasse militaire actuelle se poursuit.

    L’issue de cette bataille dépendra également de l’attitude des puissances impérialistes et des différentes puissances régionales impliquées. L’émergence d’une nouvelle guerre en Libye riche en pétrole contient en effet un élément fort de “guerre par procuration”, car elle se déroule sur fond de lutte de pouvoir pour l’influence entre Paris, Rome et, surtout, les principaux acteurs régionaux. La vacuité et l’impuissance de l’ONU et de la soi-disant “communauté internationale” sont à nouveau mises en évidence, car les puissances régionales et mondiales soutiennent chacune des deux parties et alimentent directement le conflit en leur fournissant armes et munitions de pointe.

    Certains pays semblent prêts à jouer dans les deux camps, attendant de voir de quel côté l’équilibre basculera. Si Moscou a toujours semblé favoriser Haftar, elle a noué des contacts avec tous les principaux acteurs sur le terrain. Trump a salué le rôle de Haftar, soutenu par l’Arabie saoudite, l’Égypte et les Émirats Arabes Unis, dans ” la lutte contre le terrorisme et la sécurisation des ressources pétrolières de la Libye “, mais le secrétaire d’État Mike Pompeo a condamné les actions de Haftar, et les représentants du gouvernement basé à Tripoli, soutenu par la Turquie et le Qatar, continuent à soutenir que les États-Unis se tiennent à ses côtés en tant que gouvernement légitime de la Libye.

    Les hésitations et les contradictions de l’administration américaine reflètent son caractère marqué par la crise, mais aussi la diminution de son poids et de son influence géopolitique dans la région, où elle a été reléguée au second rang, au profit des acteurs régionaux mais aussi d’une politique impérialiste plus affirmée de la Russie comme de la Chine.

    La Chine et la Russie ont identifié l’Afrique du Nord comme une arène importante pour faire avancer leurs intérêts commerciaux et de sécurité. La Chine a choisi des ports d’Afrique du Nord comme éléments essentiels de sa « Belt and Road Initiative », la « nouvelle route de la soie ». Elle a également manifesté son intérêt à s’implanter dans le port tunisien de Bizerte et sur la côte méditerranéenne du Maroc.

    Il est important de noter que tant l’Algérie que le Soudan ont connu une augmentation substantielle de leurs échanges commerciaux et de leurs investissements avec la Chine au cours des deux dernières décennies. Les deux pays exportent de l’énergie vers la Chine, l’Algérie à elle seule ayant vu ses exportations vers la Chine multipliées par 60 entre 2000 et 2017. La Chine est le principal partenaire économique de l’Algérie et a investi des milliards de dollars dans des projets portuaires et d’infrastructure dans le pays. Le Soudan est également le principal bénéficiaire de l’aide étrangère de la Chine. En outre, les deux pays comptent parmi les plus gros acheteurs d’armes chinoises dans la région.

    Nouvelles explosions sociales imminentes

    Alors que certains pays subissent de plein fouet les effets de la contre-révolution et de la guerre, de puissants mouvements ouvriers vibrent dans d’autres régions d’Afrique du Nord et d’Afrique Arabe. Les mouvements révolutionnaires en cours au Soudan et en Algérie démontrent incontestablement que, quelle que soit la quantité de sang versé par les classes dirigeantes, elles ne seront pas capables d’éradiquer les lois de la lutte de classe, qui trouvera toujours un moyen de s’exprimer.

    Les tentatives des régimes algérien et soudanais d’utiliser l’état catastrophique du Moyen-Orient comme moyen de dissuasion contre la révolution dans leur propre pays n’ont pas produit les effets escomptés. Lorsque les dirigeants algériens ont brandit l’épouvantail syrien pour faire sortir les gens de la rue, affirmant que les manifestations en Syrie avaient conduit à une décennie de guerre, les manifestants algériens ont simplement répondu avec le slogan : “L’Algérie n’est pas la Syrie”.

    Cela ne veut pas dire que la violente contre-révolution qui a eu lieu au cours des deux dernières années n’a eu aucun effet sur la conscience et sur la dynamique de la lutte dans la région, bien sûr. Mais nous devons en souligner les limites, dans le contexte de toute la région qui bouillonne de colère et de désespoir. “Vous ne pouvez pas nous tuer, nous sommes déjà morts”, tel était le slogan chanté par de jeunes manifestants algériens lors d’un mouvement de protestation de masse dans la région de Kabylie en 2001, face à des balles réelles de la police. Des manifestants soudanais chantent aujourd’hui : “La balle ne tue pas. Ce qui tue, c’est le silence”. Cela résume à peu près l’état d’esprit qui prévaut parmi des millions de personnes dans la région, en particulier les jeunes et les groupes les plus pauvres.

    Bien sûr, cette humeur peut et va prendre des expressions désespérées dans certains cas, en particulier si elle n’est pas politiquement canalisée dans une alternative claire. La Tunisie, un pays que les commentateurs bourgeois continuent de distinguer comme le modèle de réussite du “Printemps arabe”, a vu tripler les cas d’auto-immolation depuis la révolution de 2011, et a été une source importante de recrues pour les groupes jihadistes dans la région. La prolifération des armes, résultant du déchirement de la Libye par la guerre, et la persistance d’un important lumpenprolétariat urbain et rural signifient également que le danger de nouveaux attentats terroristes et leur instrumentalisation par les États de la région pour favoriser la répression continueront probablement à faire partie du paysage politique, comme l’ont encore montré les attentats-suicide à l’explosif à Tunis en juin et la prolongation ultérieure de l’état d’urgence.

    Le capitalisme et l’impérialisme détruisent les conditions de vie des gens, leurs emplois et leur environnement, tout en plongeant la région dans de nouveaux conflits armés. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que plus de la moitié des jeunes dans une grande partie du monde arabe souhaitent quitter leur pays d’origine, selon le Big BBC News Arabic Survey 2018/19. Ce nombre a augmenté de plus de 10 % chez les 18-29 ans depuis 2016. L’enquête indique que 70% des jeunes marocains envisageaient de quitter leur pays.

    En dépit de ces facteurs, le nouveau ralentissement économique mondial qui se profile à l’horizon, combiné aux politiques de “l’Europe forteresse”, conduira également de nouvelles couches de travailleurs et de jeunes à la conclusion que les fléaux du système doivent être combattus sur leur propre terrain et qu’une transformation globale de la société est nécessaire. En bref, les conditions entretenues par le capitalisme entraînent inévitablement de nouvelles explosions sociales et des bouleversements révolutionnaires de masse.

    Ceux-ci ne se développeront cependant pas en ligne droite, particulièrement face à la faiblesse générale du “facteur subjectif”, l’existence de partis révolutionnaires de masse capables de conduire ces mouvements à l’assaut du capitalisme et de mener des politiques socialistes. Les événements dramatiques de la dernière décennie sont un rappel puissant que, sans la construction de tels partis, de nouvelles catastrophes seront en réserve pour les masses dans la région.

    Crise et stagnation économique

    Pas plus qu’ailleurs, le capitalisme en Afrique du Nord n’est capable de développer les forces productives. Ceci est typiquement illustré par le chômage de masse qui prévaut en tant que caractéristique chronique dans la région, en particulier chez les jeunes. Le FMI prévoit une croissance annuelle de 1,3% pour la région MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord) en 2019, ce qui ne serait même pas suffisant pour absorber les 2,8 millions de jeunes supplémentaires qui entrent sur le marché du travail chaque année. Dans l’Arab Youth Survey 2019, la plus grande enquête d’opinion des jeunes dans le monde arabe, 56% citent le coût de la vie comme le principal obstacle auquel la région est confrontée ; 45% citent le chômage. Cela représente une énorme bombe à retardement sociale.

    Le corollaire de cette situation est l’existence d’une économie informelle extrêmement lourde. Dans le nord-est du Maroc, 70% de l’économie dépend du secteur informel. La mort, en janvier 2018, de deux jeunes hommes qui extrayaient du charbon de mines abandonnées dans la ville appauvrie de Jerada, dans l’est du pays, a mis cette réalité en évidence en déclenchant des manifestations explosives pendant plusieurs mois.

    Depuis ce qui est appelé le “Printemps arabe”, les gouvernements régionaux ont renforcé leurs fortifications frontalières et leurs systèmes de surveillance. Cela a souvent aggravé la situation économique de villes frontalières déjà en difficulté, car l’économie de contrebande n’est pas seulement une source de profits pour les douaniers, les politiciens corrompus et les réseaux mafieux de contrebande ; elle est également devenue partie intégrante du tissu social des communautés locales.

    Les villes frontalières algériennes, marocaines et tunisiennes ont été en proie à des manifestations intermittentes contre les atteintes à leurs moyens de subsistance qui en ont résulté. Dans ces zones marginalisées, la revendication d’options économiques alternatives par la création d’emplois décents et bien rémunérés et d’un vaste programme de construction et de rénovation des infrastructures, financé par l’Etat et coordonné démocratiquement par les populations locales et les organisations de travailleurs, est essentielle.

    Au cours des dernières décennies, la part de la population rurale dans la population totale de l’Afrique du Nord a considérablement diminué. Des dizaines de millions de personnes ont quitté la campagne pour la ville. Les personnes vivant dans les villes des pays du Maghreb représentaient 20% en 1950 ; elles étaient 45% en 1970, 62% en 1980, et devraient être autour de 70% en 20La destruction endémique des petites propriétés agricoles privées, la concentration de la propriété foncière et le manque d’infrastructures dans les campagnes ont poussé un grand nombre de ruraux pauvres à émigrer vers les villes, aggravant le chômage et gonflant les rangs des pauvres des villes engagés dans une lutte désespérée pour leur subsistance quotidienne, peu susceptibles de jamais trouver un emploi stable et bien rémunéré dans une économie capitaliste.

    En raison de ces caractéristiques, les jeunes chômeurs et les citadins pauvres sont enclins à jouer un rôle important dans les périodes de luttes de masse. N’étant pas attachés à des emplois formels, ils ont une liberté d’action plus immédiate et ont encore moins à perdre, et peuvent donc entrer en action avant la classe ouvrière organisée. Ceux qui ont un emploi informel ou qui sont au chômage n’ont encore qu’une influence limitée pour entreprendre des luttes victorieuses. Construire des directions militantes prêtes à mener une lutte globale sur la base de revendications unifiant ces couches avec le mouvement ouvrier est vital. Sinon, certaines parties de ces couches opprimées peuvent devenir la proie de la réaction.

    Des divisions entre ces couches sociales et la classe ouvrière salariée peuvent également apparaître. C’est dans le contexte de l’apathie de la bureaucratie syndicale, par exemple, que nous avons vu en Tunisie des chômeurs faire des sit-in bloquant des sites de production pour demander des emplois, parfois sans s’adresser aux travailleurs des entreprises qui pourraient considérer ces actions comme une menace pour leur propre emploi. Dans le contexte du chômage de masse, ces divisions seront exploitées par la classe dirigeante, par exemple en présentant les travailleurs en grève comme une “couche privilégiée” qui menace la création d’emplois et la relance de l’économie.

    De tels écarts ne peuvent être comblés qu’en reconstruisant des organisations de travailleurs fortes et en récupérant les syndicats pour les transformer en instruments de lutte pleinement démocratiques et combatifs, en s’efforçant d’unir les travailleurs, les jeunes sans emploi et tous les pauvres par des campagnes de masse (pour des emplois financés publiquement et pour partager le travail sans perte de salaire, pour un logement décent et abordable, des services publics, etc).

    Les jeunes, qui constituent l’essentiel de la population de toute la région, sont confrontés à un avenir sombre. Cependant, ces conditions façonnent aussi les perspectives radicales d’une nouvelle génération de militants révolutionnaires. Cette génération a été le moteur de tous les mouvements de masse dans la région. En Algérie, le traumatisme de la ” décennie noire ” – le conflit sanglant entre l’armée et les fondamentalistes du Front Islamique du Salut (FIS) et ses ramifications après le coup d’Etat de janvier 1992 -, a longtemps été exploité par l’élite dirigeante et, combiné à de nombreux acquis sociaux, a permis à cette dernière de résister à la tempête 2010-2011. Mais il s’est aujourd’hui largement estompé à mesure qu’une nouvelle génération plus confiante se lève, moins affectée par les défaites du passé.

    Depuis 2011, le FMI a accru la pression sur les gouvernements d’Afrique du Nord pour qu’ils suivent à la lettre ses programmes d’austérité. Ces gouvernements ont reçu l’ordre des créanciers internationaux de continuer à réduire les subventions, de réduire les effectifs du secteur public, de poursuivre les programmes de privatisation et de resserrer la politique budgétaire. Cela a ouvert la voie à l’aggravation des inégalités, aggravant la situation économique, ce qui a amené les conflits de classe à des niveaux révolutionnaires il y a un peu moins d’une décennie.

    Bien sûr, la crise économique ne fournit pas un aller simple pour la révolution. Mais il est clair que la situation économique est un facteur sous-jacent crucial qui explique l’énorme colère qui règne au sein de vastes secteurs de la population. Ces dernières années, les protestations dans tous les pays ont souvent porté sur la question du chômage, de la marginalisation économique et de l’augmentation du coût de la vie. Il ne fait aucun doute qu’une nouvelle récession mondiale aggraverait considérablement ces problèmes.

    Cela dit, les facteurs économiques ne sont pas le seul moyen potentiel de provoquer des mouvements de masse, et ils ne représentent pas non plus une explication complète en eux-mêmes de ceux qui ont eu lieu. La nature répressive de l’État dans la région, par exemple, et le mépris quotidien, le harcèlement et l’impunité dont font preuve les forces corrompues de l’État, ajoutent au mélange explosif.

    Les structures de pouvoir de l’Afrique du Nord sont basées sur un enchevêtrement complexe entre le pouvoir politique et économique de la classe dirigeante – comme l’illustre la monarchie régnante au Maroc, qui a construit un empire commercial tentaculaire sur l’économie du pays. Dans des pays comme l’Egypte, le Soudan et l’Algérie, l’armée est plus qu’une composante vitale de l’Etat bourgeois ; ses hauts gradés détiennent également un énorme pouvoir économique. Cela signifie que toute revendication économique peut rapidement prendre un caractère politique, et vice versa.

    Ces caractéristiques – faiblesse et dépendance économiques, régimes autoritaires – sont le résultat de la position de l’Afrique du Nord dans le système capitaliste mondial. L’impérialisme et le capitalisme ont produit un développement inégal et combiné, dans lequel la majorité des pays sont dominés et subordonnés aux grandes puissances. Les régimes d’Afrique du Nord tentent d’équilibrer et de satisfaire les différentes puissances qui, en retour, soutiennent leur règne brutal. Au cours des dernières décennies, les attaques néolibérales contre les conditions de vie, exigées par le FMI, ont souligné le caractère international de la crise dans la région. Il en va de même pour la course aux armements et les guerres menées avec les puissances impérialistes impliquées.

    Prolétarisation des couches intermédiaires

    Cette année u Maroc, des dizaines de milliers d’enseignants employés dans le cadre de contrats occasionnels ont participé de grèves répétées et parfois prolongées, exigeant leur intégration dans le système éducatif national avec leurs collègues et la fin de la privatisation des écoles publiques.

    En fait, les enseignants se sont avérés être parmi les secteurs les plus militants de la classe ouvrière, à l’avant-garde d’importantes batailles de classe en Tunisie, au Maroc, en Algérie et au Soudan. Dans les quatre pays, ils ont été impliqués dans des actions de grève et des protestations plus dures ces dernières années, réclamant de meilleurs salaires et de meilleures conditions, mais aussi des revendications politiques audacieuses. En Algérie par exemple, les enseignants ont joué un rôle de premier plan dans le mouvement de masse qui a renversé Bouteflika, six syndicats indépendants d’enseignants et de travailleurs de l’éducation appelant leurs membres à se mettre en grève le 13 mars pour rejoindre la lutte et demander à Bouteflika de partir. Au Soudan, les enseignants, mais aussi les médecins, ont joué un rôle clé dans le soulèvement contre Al Bashir.  

    Cela reflète un phénomène social plus large. Les commentateurs dominants ont souvent fait valoir que la classe moyenne était l’élément moteur du mouvement révolutionnaire dans ce qu’ils appellent le “Printemps arabe”, comme ils le font aujourd’hui, en particulier par rapport au Soudan. Mais ce qui est souvent appelé la classe moyenne libérale ou les “couches moyennes” (enseignants, médecins, avocats, journalistes…) connaissent, pour la plupart, des conditions qui s’apparentent de plus en plus à un nouveau prolétariat. Avant d’organiser les récentes manifestations, l’Association Professionnelle Soudanaise (SPA, qui regroupe les syndicats pour la plupart professionnels et qui a joué un rôle mobilisateur important dans la révolution) a attiré l’attention du public pour la première fois avec une étude sur le salaire minimum des professionnels soudanais, les trouvant tous sous le seuil de pauvreté, dans certains cas à moins de 50 dollars par mois.

    Une partie de ces couches se considère encore comme une ” élite éduquée ” au-dessus du reste de la classe ouvrière. C’est certainement le cas pour la direction du SPA au Soudan, qui a essayé de trouver une ” troisième voie ” inexistante entre la mobilisation révolutionnaire indépendante de la classe ouvrière et des masses pauvres d’une part, et les négociations avec les généraux contre-révolutionnaires d’autre part. En cela, ils reflètent typiquement les oscillations politiques de la classe moyenne à une époque où les contradictions de classe s’accentuent.

    Pourtant, la crise économique, des décennies de politiques néolibérales sauvages et la forte dépréciation des monnaies locales ont durement frappé les couches moyennes, brisant aux yeux de beaucoup le mirage de faire partie de la classe moyenne – et c’est précisément l’une des raisons pour lesquelles elles se rebellent contre l’ordre existant. Cela en a poussé beaucoup à adopter les méthodes de lutte de la classe ouvrière et à incorporer le mouvement syndical.

    Tunisie

    Les mouvements ouvriers organisés dans tous les pays du Maghreb ont commencé l’année par des grèves dans le secteur public. En Tunisie, cela s’est traduit par une grève générale de 24 heures dans la fonction publique et le secteur public le 17 janvier. Alors que les principales revendications officielles de la grève portaient sur les augmentations salariales et les plans de privatisation du gouvernement, la grève avait un caractère profondément politique, avec des slogans adoptant clairement une attitude conflictuelle contre le gouvernement du pays et le FMI.

    Le système politique actuel de la Tunisie présente les caractéristiques d’un régime démocratique bourgeois, mais extrêmement instable, plutôt qu’un régime consolidé. Comme nous l’avons déjà expliqué, cette prétendue “anomalie tunisienne” n’est possible que grâce au rôle influent de l’UGTT (Union Générale Tunisienne du Travail), qui a agi comme un puissant contrepoids à la restauration d’une dictature.

    Une lecture mécanique de cette situation conclurait qu’il s’agit d’une épine dans le pied de la théorie de Trotsky sur la révolution permanente. En réalité, la Tunisie est en pleine mutation et la parenthèse révolutionnaire ouverte en janvier 2011 n’est pas fermée.

    En 1930, Trotsky écrivit “Une lettre sur la révolution italienne”, dans laquelle il explique qu’après la chute du régime fasciste de Mussolini, l’Italie pourrait redevenir une “république démocratique”. Mais il a poursuivi en expliquant que ce ne serait pas ” le fruit d’une révolution bourgeoise, mais l’avortement d’une révolution prolétarienne insuffisamment mûrie. En cas de crise révolutionnaire profonde et de batailles de masse au cours desquelles l’avant-garde prolétarienne n’aura pas été en mesure de prendre le pouvoir, il se peut que la bourgeoisie rétablisse son pouvoir sur des bases démocratiques”.

    Un processus similaire est en cours en Tunisie aujourd’hui – la direction de l’UGTT jouant un rôle similaire pour aider la classe dirigeante à consolider sa contre-révolution bourgeoise comme l’ont fait les dirigeants du Parti Communiste Italien après la guerre – avec la différence importante qu’il n’existe aucune base économique proche de la reprise économique de l’après guerre pour aider la classe dirigeante tunisienne à construire une démocratie bourgeoise stable. 

    Cela se manifeste clairement par l’état de crise politique prolongé et ininterrompu auquel la Tunisie est confrontée depuis huit ans, avec déjà dix gouvernements depuis la chute de Ben Ali, une arène politique très fragmentée, des scissions régulières dans les rangs des principaux partis bourgeois et la formation constante de nouveaux partis, dans un contexte de désaffection populaire de masse envers tout le pouvoir politique.

    Malheureusement, cette situation n’a pas épargné la gauche tunisienne. En mai, neuf députés de la coalition de gauche ” Front Populaire ” ont remis leur démission du bloc parlementaire de la coalition, ce qui a ouvert la voie à une crise interne qui menaçait le Front populaire depuis longtemps. Cette crise résulte de ses trahisons politiques passées et de sa stagnation actuelle, aggravées par une culture interne de plus en plus bureaucratique et les luttes de pouvoir sans principes entre ses principales composantes stalinienne et maoïste, à l’approche des élections présidentielles de novembre.

    Révolutions au Soudan et en Algérie

    La classe ouvrière et les syndicats

    Les soulèvements qui ont secoué l’Algérie et le Soudan, tout en n’ayant pas connu jusqu’ici les mêmes répliques internationales qu’en 2011, ont de profondes implications pour l’ensemble de la région. Le fait que les deux pays soient à la croisée des chemins entre l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne accentue ce point. Ce n’est pas un hasard si, cette année déjà, au moins dix gouvernements africains ont eu recours à des coupures d’Internet et à des coupures des réseaux sociaux, la plupart d’entre eux pour tenter d’étouffer la contestation. Les régimes voisins sont sans doute nerveux. En avril, trois jours seulement après la démission de Bouteflika, la Cour d’appel marocaine a confirmé les peines de prison allant jusqu’à 20 ans prononcées contre des dizaines de militants et dirigeants du mouvement de protestation ” Hirak ” en 2016-2017 dans la région nord du Rif.

    Les mouvements au Soudan et en Algérie représentent la continuité révolutionnaire de ce qui s’est passé il y a 8 ans, tout en ayant développé leurs propres traits originaux. Il est important de noter qu’ils ont également absorbé certaines des leçons tirées des expériences révolutionnaires du passé récent.

    C’est particulièrement le cas en ce qui concerne la défaite des masses en Egypte. La différence entre la réaction largement festive des masses révolutionnaires égyptiennes au renversement de Moubarak et la réaction des mouvements soudanais et algériens au renversement de leur dictateur était notable. Dans ce dernier cas, le niveau de défiance à l’égard de l’armée se situait dès le début à un niveau comparativement différent, et des slogans rejetant explicitement un scénario égyptien étaient affichés. Un slogan populaire chanté lors du sit-in à Khartoum était “Soit la victoire, soit l’Egypte”. Un autre, entendu en Algérie, est : “L’Algérie est in-Sisi-ble.” Cela montre que l’expérience du coup d’Etat militaire égyptien a pénétré la conscience populaire internationale – en particulier dans des pays comme le Soudan et l’Algérie, avec leur histoire de coups d’Etat militaires et où l’armée occupe un rôle clé dans la machine étatique.

    Les mouvements en Algérie et au Soudan ont également réaffirmé l’énorme pouvoir potentiel de la classe ouvrière. Bien que numériquement petite, la classe ouvrière soudanaise a une riche tradition de lutte, ayant connu trois révolutions depuis 1964. Ce n’est pas un hasard si le berceau du mouvement au Soudan se trouvait à Atbara, une ville industrielle du nord-est du Soudan qui a été le berceau du mouvement syndical du pays et un ancien bastion du Parti communiste.

    La classe ouvrière algérienne occupe pour sa part une position stratégique, comme l’une des plus fortes de la région et du continent africain dans son ensemble. Le pays est le troisième fournisseur de gaz naturel en Europe et un grand producteur de pétrole.

    En Algérie, le déroulement de deux grèves générales successives a accéléré les scissions et les défections au sein du régime et a contribué à forcer la classe dirigeante à finalement abandonner Bouteflika. Début mars, le soutien exprimé au mouvement par les sections locales de l’UGTA (Union Générale des Travailleurs Algériens) dans les bastions ouvriers historiques de Rouiba et de Reghaïa, dans les grandes banlieues industrielles d’Alger (où l’on trouve la plus grande concentration industrielle du pays), a marqué un tournant décisif, annonçant l’entrée de la classe ouvrière comme force sociale dans ce mouvement.

    On pourrait dire que l’implication de la classe ouvrière a été plus spectaculaire à la veille du renversement de Bouteflika que depuis. C’est ce qui a poussé le Financial Times à se rassurer en déclarant à la mi-juin que “les manifestations de rue, qui attirent chaque vendredi des centaines de milliers de personnes de tous horizons, ont évité les appels à la grève générale ou à l’occupation permanente des places publiques, ce qui serait perçu comme des escalades”. Pourtant, il est clair que l’expérience des vagues de grèves de masse du mois de mars restera gravée dans l’esprit de chaque travailleur algérien et devrait revenir à l’ordre du jour dans un avenir proche.

    La chute d’Al Bashir et de Bouteflika a également initié un processus de réappropriation des syndicats par la classe ouvrière. Elle a pris des formes et des profondeurs diverses dans les deux pays, mais va généralement dans la même direction : des tentatives pour développer des structures syndicales de base démocratiquement contrôlées par la base.

    Les syndicalistes algériens et les dirigeants des principales fédérations régionales de l’UGTA ont organisé des rassemblements pour exiger la démission immédiate du secrétaire général de l’UGTA, Sidi Said, ardent défenseur de l’ancien régime. Parmi les slogans, il y a ” tout pour reconquérir l’UGTA pour la lutte des classes. Tout pour chasser le régime et les oligarques de l’UGTA. Tout pour dégager Sidi Saïd et de sa clique”. Sous la pression, Sidi Said a été contraint d’annoncer qu’il ne serait pas candidat à sa succession au 13e congrès de la fédération les 21 et 22 juin, un congrès qui avait été initialement annoncé pour janvier 2020.

    Cependant, bien que moins publiquement compromis, le nouveau secrétaire général de l’UGTA est un produit de la même clique bureaucratique, et le congrès est resté une affaire contrôlée par la bureaucratie et hautement protégée visant à assurer “un changement dans la continuité” et à tenir les “fauteurs de troubles” à distance. La lutte pour purger le syndicat des bureaucrates corrompus et favorables au régime reste à l’ordre du jour et devrait être couronnée par la demande d’un congrès spécial où seuls les délégués dûment et démocratiquement mandatés par la base décideraient de l’avenir du syndicat.

    Bien que l’UGTA ait conservé d’importants bastions régionaux et sectoriels, son soutien a été considérablement érodé par des décennies de trahisons et l’étroite collaboration de ses dirigeants avec l’État et les patrons. Dans ce contexte, plusieurs ” syndicats autonomes ” ont vu le jour ces dernières années et ont gagné une certaine influence, en particulier dans les secteurs publics tels que la santé et l’éducation. L’année dernière, ces syndicats ont convergé vers une Confédération des Syndicats Autonomes (CSA) qui représente environ quatre millions de travailleurs. C’est pourquoi la nécessaire réappropriation de l’UGTA par sa base devrait être combinée avec des propositions de front commun orientées vers ces syndicats autonomes, afin de construire l’unité d’action des travailleurs.

    Au Soudan, la situation est quelque peu différente, car le mouvement syndical y a souffert de méthodes beaucoup plus brutales de répression d’Etat. Dans les années 1990, les syndicats ont été purgés comme jamais auparavant, leurs membres emprisonnés et torturés en masse, et des sanctions draconiennes ont été imposées aux travailleurs en grève. L’Union Générale des Travailleurs Soudanais officielle est devenue complètement soumise au pouvoir en place. La SPA elle-même a dû fonctionner clandestinement pendant la plus grande partie de sa courte existence.

    Mais une indication de la ténacité des traditions syndicales est que depuis la chute d’Al Bashir, des tentatives de ressusciter des syndicats qui avaient été détruits par son régime ont été entreprises, avec certains de leurs anciens membres, avec une nouvelle couche de jeunes travailleurs, s’organisant pour les reconstruire. Ce fut le cas des cheminots d’Atbara, des dockers de Port Soudan, des travailleurs de la Banque Centrale du Soudan, des journalistes qui ont formé un ” Comité pour la Restauration de l’Union des Journalistes Soudanais “, etc. En outre, les travailleurs ont aussi, dans certains cas, pris le contrôle des syndicats officiels en chassant les dirigeants qui avaient collaboré avec l’ancien régime. Sous la pression, un gel a même été imposé aux syndicats affiliés au régime par la junte militaire après la destitution de Bachir. Au moment où le premier plan de grève a été mis en place, le Conseil militaire de transition (TMC) a annulé le gel, permettant à ces syndicats collaborateurs de reprendre leurs activités pour tenter de faire obstacle au développement de syndicats indépendants.

    Les comités

    Bien que largement sous-rapporté, le développement des comités révolutionnaires locaux (les ” comités de résistance “) semble avoir pris au Soudan un caractère de grande portée, peut-être plus qu’en Egypte et en Tunisie en 2011. Cela s’explique en partie par le fait que la formation des premiers comités de résistance au Soudan remonte déjà à 2013, lorsque le pays a connu une recrudescence des protestations contre le régime ; ces comités sont réapparus à une échelle plus large et plus organisée cette fois, et ont inclus la création de comités de grève dans un certain nombre de lieux de travail. Le régime est très conscient du danger de cette évolution, ce qui explique pourquoi les dirigeants des comités de résistance des quartiers de Khartoum ont été tués dans des assassinats ciblés par les milices du régime.

    Le fait qu’Internet ait été presque entièrement coupé par le TMC à partir de début juin a contribué à mettre le rôle de ce réseau de comités locaux de résistance sur le devant de la scène, car les manifestants ont été contraints de trouver un moyen de contrer la fermeture des télécommunications et d’Internet de la junte et ont utilisé ces comités pour rassembler leurs voisins, organiser des réunions communautaires, appeler à des manifestations, distribuer des tracts imprimés pour remplacer la communication numérique, etc.

    Bien que cela puisse changer, sous cet angle important, le caractère révolutionnaire du mouvement a été beaucoup plus prononcé au Soudan qu’en Algérie. En Algérie, si des comités de lutte sont apparus dans certains cas, et si des “comités autonomes” ont été mis en place par des étudiants dans la plupart des facultés universitaires, ce processus semble beaucoup plus inégal et moins avancé – même comparé au mouvement de masse en Kabylie en 2001, lorsque les masses ont créé des comités se substituant clairement aux structures étatiques officielles.

    Violence étatique et contre-révolutionnaire

    Dans ce dernier cas, ainsi qu’au Soudan aujourd’hui, la répression meurtrière de l’État a également incité les gens à créer des comités de défense pour se protéger. Pourtant, en Algérie, la violence de l’État a jusqu’à présent été largement contenue.

    Le seul fait que les généraux algériens, connus pour leurs méthodes brutales, semblent réticents à recourir à la violence contre les manifestants en dit long sur le volcan social sur lequel ils sont assis, et sur la peur d’allumer quelque chose de beaucoup plus grand. Les militaires ont jusqu’à présent hésité à mener une répression sanglante, craignant que cela ne fasse qu’intensifier la lutte contre le régime actuel. Les chiffres des manifestations hebdomadaires du vendredi ont diminué en juin, mais la situation reste extrêmement volatile et toute tentative de contenir le mouvement à grande échelle l’enflammerait immédiatement. Lahouari Addi, sociologue algérien à l’Institut d’études politiques de Lyon, a également mis en lumière une autre raison importante de la retenue du commandement militaire : “parce qu’ils ne sont pas sûrs que leurs troupes leur seront loyales”.

    Bien entendu, cela ne va pas de soi. Jusqu’à présent, le régime a opté pour une forme de répression plus ciblée et plus préventive pour faire une démonstration de force en vue d’une réaction plus large. Il s’agit notamment de l’arrestation d’un certain nombre de militants, dont la plus importante est Louisa Hanoune, secrétaire générale du Parti des Travailleurs (PT), qui a été arrêté le 9 mai, accusée de “conspiration contre l’autorité de l’Etat”. Tout en ayant un passé militant et toujours qualifiée de “trotskiste” par la presse, Hanoune est connue pour ses liens étroits avec la famille de Bouteflika. Après les premières manifestations en février, elle s’est ridiculisée en affirmant que les slogans du mouvement n’étaient “pas contre Bouteflika”. Son arrestation semble avoir autant à voir avec les règlements de comptes entre factions rivales au sein du régime qu’avec ses critiques modérées du gouvernement actuel.

    Au Soudan, l’exposition des divisions de classe au sein de l’armée et la rébellion des rangs inférieurs ont joué un rôle très important dans les soulèvements révolutionnaires de 1964 et 1985. La sympathie instinctive pour la lutte révolutionnaire activement exprimée par de nombreux soldats de base et officiers subalternes a également été l’une des motivations qui ont poussé l’état-major général à se débarrasser d’Omar Al Bashir en avril, dans l’espoir de garder le contrôle sur ses propres troupes. C’est pourquoi des appels audacieux de classe aux rangs de l’armée, ainsi que la constitution de forces de défense populaires et ouvrières sous contrôle démocratique, devraient être un aspect clé de notre approche pour désarmer et vaincre la réaction. En se rangeant du côté du peuple, les soldats risquent bien sûr d’être traduits en cour martiale et sévèrement punis. Cela signifie qu’un véritable clivage entre les rangs de l’armée et leurs officiers réactionnaires ne peut se concrétiser qu’en proposant un programme politique et social audacieux capable de donner confiance aux soldats que la révolution peut gagner, et de les inciter à une action décisive.

    Les traditions de mutinerie au sein de l’armée soudanaise sont l’une des principales raisons pour lesquelles le régime d’Al Bashir avait soutenu les services de sécurité de l’État et incorporé des groupes paramilitaires pour construire un appareil d’État souple en cas de contestation révolutionnaire de son pouvoir. Son régime a supervisé une expansion massive des services de renseignement et des milices diverses.

    En 2014, l’UE a lancé le “processus de Khartoum”, dont une partie consiste à externaliser la police des frontières vers les États de la région pour arrêter les flux migratoires entre la Corne de l’Afrique et la mer Méditerranée. Il s’agit de former et de financer des gardes-côtes libyens qui rassemblent les migrants en mer et les renvoient dans les conditions brutales des camps de prisonniers libyens où ils sont victimes de la faim, de la torture, de viols et d’esclavage. Il s’agit également de fournir au gouvernement soudanais des millions d’euros qui ont été acheminés aux paramilitaires des ” Forces de soutien rapide ” (FSR), ramifications des brutales milices janjawides impliquées dans les atrocités massives pendant le conflit du Darfour, qui ont ainsi été chargées de resserrer l’étau sur les migrants et réfugiés africains tentant de fuir vers l’Europe. En d’autres termes, l’UE a un rôle direct dans le soutien et la professionnalisation des milices qui ont participé au massacre contre-révolutionnaire du 3 juin.

    Le massacre de Khartoum du 3 juin a marqué un tournant contre-révolutionnaire au Soudan. Comme l’a bien dit un commentateur, cette semaine-là, “le Darfour était venu à Khartoum”. Il ne fait aucun doute que derrière cette attaque meurtrière se cachait la crainte, non seulement chez la classe dirigeante nationale, mais aussi chez les despotes régionaux soutenus par le TMC (en particulier les monarques en Arabie Saoudite et aux Émirats Arabes Unis, ainsi que le régime égyptien) d’un mouvement qui était devenu une source d’inspiration pour des millions de personnes dans la région. Ils ont encouragé les dirigeants de Khartoum à s’attaquer au cœur de ce mouvement, poussés par leur désir de mettre fin aux tentations révolutionnaires qui pourraient se développer dans leur propre territoire.

    L’appréciation tactique de ce stratagème était plutôt tempérée dans les capitales et ambassades occidentales. Dans une déclaration publique inhabituelle, le département d’État américain a révélé que son sous-secrétaire d’État avait téléphoné au vice-ministre saoudien de la défense pour lui demander d’utiliser son influence saoudienne afin de calmer le carnage au Soudan. Bien que la Russie ait adopté une position belligérante, faisant écho à la justification du massacre par les FSR, la soi-disant “troïka” (Etats-Unis, Grande-Bretagne et Norvège) et l’Union africaine, via la médiation éthiopienne, ont depuis redoublé d’efforts pour tenter de contenir les “excès” du Conseil Militaire et pousser l’opposition à accepter un accord de partage du pouvoir avec lui.

    Il est clair que certaines ailes de la classe dirigeante, en particulier à l’ouest, sont conscientes et inquiètes qu’une nouvelle déstabilisation du pays pourrait entraîner de nouvelles vagues de réfugiés frappant à leurs portes ; mais plus immédiatement, qu’une répression sanglante et prématurée du mouvement pourrait provoquer une nouvelle escalade révolutionnaire.

    Et ils ont raison. En effet, le massacre du 3 juin n’a pas eu le même effet d’entraînement sur la révolution que le massacre de la place Rabia-El-Adaouïa par l’armée égyptienne en août 2013, par exemple, qui a ouvert la voie à une période de répression soutenue par le régime nouvellement instauré de Sisi. Comme Marx l’a expliqué, une révolution a besoin de temps en temps du fouet de la contre-révolution. C’est ce qui s’est passé au Soudan début juin : la réponse de la classe ouvrière au carnage s’est accompagnée d’une grève générale nationale qui a duré 3 jours. Les niveaux impressionnants d’adhésion à la grève dans tous les secteurs, malgré les menaces ouvertes des dirigeants du TMC, ont témoigné de l’humeur militante et de la détermination des travailleurs.

    La SPA – stratégie et tactique

    Pendant la grève, la SPA a encouragé les manifestants à construire des barricades sur les routes principales et les rues secondaires, mais au lieu de les surveiller, elle leur a conseillé à tort de fuir immédiatement. “Barricader et se retirer”, disaient-ils dans leurs messages. “Évitez les frictions avec les forces Janjawides.”

    Cette tactique laisse les gens isolés les uns des autres, surtout quand Internet est coupé. Cela compromet la possibilité de débattre collectivement de la manière de résister et de combattre le régime, et de montrer la force du mouvement et empêche l’échange d’expériences et le renforcement de la confiance des gens dans les manifestations de masse, les piquets de grève et les assemblées sur les lieux de travail et dans les quartiers. Les gens sont laissés à la merci des milices et des forces de l’État qui se voient confier le contrôle de l’espace public, et les masses restent sans préparation pour affronter et vaincre leur assaut. Depuis lors, les manifestants ont instinctivement réagi contre cette approche, en organisant des marches et des manifestations nocturnes, afin de reconquérir les rues.

    La grève générale aurait pu durer plus longtemps si ses dirigeants, ne sachant pas quoi en faire, ne l’avaient pas annulée après trois jours, sans avoir obligé le Conseil Militaire à céder. Les dirigeants de la SPA avaient d’abord appelé à une grève générale politique ouverte et à une désobéissance civile de masse afin de ” faire tomber le régime militaire comme seule mesure restante ” pour sauver la révolution. Ils avaient également déclaré avant la grève qu’il n’y aurait plus de négociations avec le TMC. Au lieu de cela, ils ont décidé de montrer leur “bonne volonté” au TMC et aux médiateurs éthiopiens venus dans le pays pour encourager un accord sur un gouvernement de transition, en annulant la grève et en retournant directement à la table des négociations.

    C’est la logique inéluctable d’essayer de maintenir un bloc politique uni au sein de la coalition de l’opposition, les ” Forces de la Déclaration de Liberté et de Changement ” (FDCF). Le SPA représente le noyau activiste du FDCF, mais ce dernier est une alliance interclasses impliquant des partis pro-capitalistes tels que le Parti Oumma, qui agit depuis le début ouvertement comme un frein paralysant à la lutte révolutionnaire. Ce parti, qui inspire beaucoup de méfiance à cause de ses alliances régulières avec l’ancien régime, s’est publiquement opposé à la première grève générale le 10 juin et a tweeté le tout premier jour de la deuxième grève générale : “Ce n’est pas bien de continuer une désobéissance civile sans limite dans le temps.”

    Le dimanche 30 juin, les masses se sont à nouveau montrées prêtes pour un affrontement révolutionnaire, lançant une nouvelle et imposante contre-offensive, la ” Million’s March “, qui a abouti à ce qui fut probablement la plus grande manifestation de rue de l’histoire soudanaise pour exiger la fin du régime militaire.

    Au milieu de ces pics successifs d’action de masse, les dirigeants de la SPA auraient pu lancer un appel aux comités de résistance, aux comités de grève et à d’autres organisations de base pour qu’ils s’unissent aux niveaux local, régional et national, dans le but de fédérer une assemblée nationale de délégués révolutionnaires qui aurait pu former un gouvernement de travailleurs et des masses révolutionnaires, déposer le Conseil Militaire et se partager le pouvoir.

    Au lieu de cela, les politiques de collaboration de classe du FDCF, auxquelles les dirigeants de la SPA ont lié leur destin, les ont conduits à la conclusion d’un accord formel de partage du pouvoir avec le Conseil militaire le 4 juillet. Cet accord a institué un ” conseil souverain ” composé de 11 personnes, cinq militaires, cinq civils et une autre présentée comme un civil (en réalité, un officier militaire à la retraite). La junte est également chargée de nommer l’un des siens à la tête du conseil pour les 21 premiers mois suivant sa formation. Cela signifie que la majorité des membres du Conseil sera loyale à la TMC, et qu’on ne touche pas à son emprise effective sur les principaux leviers du pouvoir et les milices terroristes.

    Nul doute que cet accord servira à désorienter et à démobiliser les masses, et que la junte reprendra sa répression contre le mouvement révolutionnaire sous prétexte de rétablir “l’ordre”. Un tel accord avec les bourreaux de la révolution est une trahison ouverte des masses révolutionnaires et a semé la confusion dans les rues. Après huit mois de lutte acharnée, et en l’absence d’une alternative perceptible, des éléments de lassitude existent et une partie des masses a vu dans cet accord le seul moyen réaliste de “maîtriser” le TMC. Cependant, l’euphorie supposée décrite par les médias après l’annonce de l’accord était plutôt calme et limitée, et les illusions actuelles seront très probablement éphémères.

    La conclusion de ce pacte a été accueillie avec amertume et colère par les sections les plus avancées des travailleurs et des jeunes militants révolutionnaires. Il a également mis en évidence graphiquement les contradictions de classe au sein du FDCF. Notre agitation devrait donc mettre un accent renouvelé sur la nécessité de rompre avec toutes les forces et tous les éléments politiques de la FDCF qui reposent sur cet accord pourri, et prêts à faire des compromis avec les généraux bouchers. Nous devrions utiliser cet exemple tragique pour souligner la nécessité de dirigeants responsables et d’un parti de masse indépendant qui soient sans réserve du côté de la lutte révolutionnaire menée par les travailleurs et les masses opprimées. Les forces pour construire un tel parti peuvent émerger du processus d’accentuation de la différenciation politique qui résultera inévitablement de l’accord récent.

    En effet, aucun partage de pouvoir pacifique n’est possible entre la révolution et la contre-révolution. L’arrangement actuel n’empêchera pas que les intérêts des millions de travailleurs, de jeunes, de femmes et de pauvres qui luttent pour un Soudan libéré de la dictature et de la pauvreté soient mis sur la voie d’une nouvelle collision avec les intérêts des généraux assassins et des chefs de guerre à la tête du TCM.

    Les ” Leçons d’Espagne ” de Trotsky restent une lecture extrêmement précieuse pour éduquer les nouvelles générations sur ces questions programmatiques clés. Il y expliquait que “le mot “républicain”, comme le mot “démocrate”, est un charlatanisme délibéré qui sert à dissimuler les contradictions de classe”. Remplacez ” républicain ” par ” civil “, et c’est aussi pertinent aujourd’hui qu’à l’époque. La revendication d’un gouvernement civil a toujours été utilisée par les forces bourgeoises locales et les puissances impérialistes pour défendre un gouvernement qui protège la continuation et les intérêts du capitalisme au Soudan.

    Cependant, il est également vital d’apprécier les différents niveaux de conscience des masses sur ces questions dans les processus révolutionnaires actuels au Soudan et en Algérie. Cette demande est comprise différemment pour les larges couches de la population des deux pays qui ont repris ce slogan, dont beaucoup n’ont connu que la domination militaire. Comme le nouveau conseil souverain au Soudan n’a même pas une façade entièrement civile, il est probable que la demande d’un ” gouvernement civil ” continuera d’avoir un large écho pendant un certain temps et sera perçue par beaucoup comme un moyen de faire comprendre la nécessité de faire tomber la junte militaire. Il est donc important d’articuler habilement notre revendication d’un gouvernement ouvrier et paysan pauvre, non pas en s’attaquant de front à la revendication d’un gouvernement civil, mais en soulignant les intérêts de classe opposés qui se cachent derrière ce slogan.

    Tout gouvernement de coalition pro-capitaliste, quelle que soit sa composition civile ou semi-civile formelle, sera extrêmement instable, naviguant entre les aspirations réveillées mais insatisfaites de millions de Soudanais, l’appui d’appareils militaires et de sécurité bien établis et une situation économique catastrophique, avec des dettes énormes et une inflation rampante. L’ambassadeur de Grande-Bretagne à Khartoum a déclaré à juste titre que “si la volonté du peuple soudanais n’est pas respectée, alors je pense que nous retournerons au soulèvement populaire”. Mais si la classe ouvrière et les masses populaires soudanaises ne prennent pas le pouvoir en main, des ailes de l’élite dirigeante seront tentées de résoudre la crise à leur manière, en coupant court à la longue période d’instabilité par le recours à un coup d’Etat, ou “nouveau 3 juin”, peut-être à une plus grande échelle.

    La possibilité pour la classe dirigeante de jouer la carte de l’islamisme, en utilisant l’islam politique de droite pour tromper le mouvement révolutionnaire et protéger les intérêts du capital, comme elle l’a fait pendant un temps en Tunisie et en Egypte, semble plus limitée. L’islam politique est en déclin tant au Soudan qu’en Algérie. Au Soudan, les Frères Musulmans ne sont pas une force d’opposition importante ; ils ont partagé le pouvoir avec Al-Bashir depuis son coup d’Etat en 1989. L’une des principales caractéristiques du soulèvement soudanais est son opposition ouverte au pouvoir des militaires et de leurs alliés fondamentalistes. Les masses soudanaises ont crié des slogans accusant les islamistes d’être responsables de la tyrannie du régime.

    En Algérie, l’expérience de la décennie noire a rendu la population profondément méfiante à l’égard des deux. Le MSP, branche algérienne des Frères Musulmans, a pour sa part collaboré avec l’armée et soutenu Bouteflika depuis sa première prise de pouvoir en 1999 jusqu’en 2012. La plupart des manifestants rejettent les tentatives des fondamentalistes de détourner le mouvement aussi fermement que la prétention des généraux d’en faire autant. Les manifestants en Algérie ont même expulsé certaines personnalités islamistes de leurs manifestations.

    A cela s’ajoute le fait remarquable que les femmes ont joué un rôle de première ligne dans ces luttes de masse dès le premier jour. Les femmes ont joué un rôle majeur dans l’histoire révolutionnaire de l’Algérie et renouvellent ces traditions, mettant en avant leurs propres revendications et s’organisant activement dans le mouvement plus large. Au Soudan, au cours de la répression du 3 juin et des jours suivants, des viols et des agressions sexuelles contre des militantes et des manifestantes ont été perpétrés par des agents de sécurité et des milices pour briser l’esprit révolutionnaire des femmes. Un manifestant a été cité par la BBC : “La [milice] sait que s’ils brisent les femmes, ils brisent la révolution.”

    Le climat actuel n’est donc pas très propice à l’agenda politique préconisé par les fondamentalistes islamiques. Cela dit, la stagnation et les revers du processus révolutionnaire, combinés aux sentiments de frustration populaire qu’ils peuvent engendrer, pourraient créer un terrain plus fertile pour ces forces réactionnaires dans l’avenir. Le TMC lui-même a essayé de monter des groupes salafistes contre l’opposition en accusant cette dernière d’être largement contrôlée par des “figures athées anti-charia”. A cela s’ajoutent les manœuvres contre-révolutionnaires proactives et l’argent acheminé par les Etats du Golfe Wahhabites.

    Jeux régionaux

    La nouvelle situation créée par l’éviction d’Al Bashir au Soudan se déroule dans un contexte d’intensification de la lutte internationale pour l’influence dans la région. Une rivalité entre l’Arabie saoudite et les Émirats Arabes Unis, d’une part, et le Qatar, la Turquie et l’Iran, d’autre part, a gagné la Corne de l’Afrique. Le Soudan est devenu un champ de bataille clé de cette rivalité.

    Entre 2000 et 2017, les États du Golfe ont investi 13 milliards de dollars dans la Corne de l’Afrique, principalement au Soudan et en Éthiopie. En décembre dernier, des représentants de Djibouti, du Soudan et de la Somalie se sont réunis à Riyad pour discuter de la création d’une nouvelle alliance de sécurité pour la mer Rouge. Les Émirats Arabes Unis ont une base militaire en Érythrée depuis 2015 et en construisent une autre au Somaliland. Le régime saoudien prévoit également d’en construire une à Djibouti.

    La Turquie a également fait des incursions dans la région, encourageant des relations étroites avec le gouvernement somalien, y établissant des installations militaires et obtenant des contrats pour les entreprises turques, qui gèrent désormais les ports et aéroports de la capitale. Le régime turc a conclu divers accords commerciaux et militaires avec le régime d’Al Bashir en 2017, notamment un accord pour la remise de l’île soudanaise de Suakin à l’Etat turc, afin d’établir une présence militaire sur la mer Rouge.

    Le renversement d’Al Bashir a ouvert une nouvelle situation, permettant un certain remaniement des cartes, l’axe saoudien devançant la Turquie et développant un ascendant sur les dirigeants militaires actuels à Khartoum. Les chefs du Conseil militaire ont déclaré que l’île de Suakin est une ” partie inséparable ” du Soudan, se sont engagés à soutenir le régime saoudien contre toute menace émanant de l’Iran et à continuer de déployer des troupes soudanaises au Yémen pour aider les Saoudiens dans leur guerre contre les Houthis.

    La coalition saoudienne-émiratienne a utilisé des soldats soudanais pour externaliser sa guerre contre le Yémen, réduisant ainsi le nombre de morts saoudiennes et atténuant ainsi la dissension interne. Cependant, le fait que les masses soudanaises revendiquent de rapatrier les troupes soudanaises du champ de bataille yéménite dans le contexte de leur lutte révolutionnaire, montre combien l’action de masse de la classe ouvrière dans un pays peut aider à renverser les tendances réactionnaires au niveau régional. Bien sûr, la façon dont cela peut être se faire dépend du programme et de la direction qui guidera ces luttes. Pourtant, il ne fait aucun doute que la poursuite de la guerre au Yémen et de l’envoi de Soudanais pauvres pour servir de chair à canon aux intérêts de l’élite saoudienne alimenteront la rage révolutionnaire contre le ” nouveau ” régime à Khartoum.

    Question nationale

    Comme nous l’avons vu dans nos rangs par le passé, les termes “printemps arabe” et “révolution arabe” doivent être traités avec prudence. C’est d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit des mouvements révolutionnaires en Algérie et au Soudan, pays où d’importantes minorités de la population ne sont pas arabes et où existent des questions nationales sensibles. Un programme marxiste pour résoudre la question nationale, reliant la lutte contre l’oppression nationale à un programme de classe, est crucial pour surmonter les tentatives de la classe dirigeante d’exploiter et d’approfondir les divisions nationales.

    Le Soudan n’a jamais été une nation intégrée ; comme la plupart des pays africains, c’est un cadeau empoisonné hérité des politiques de “diviser pour mieux régner» de l’impérialisme occidental. Les 43 millions d’habitants du territoire actuel du Soudan sont composés à 70 % d’Arabes, les 30 % restants étant des groupes ethniques arabisés de Bejas, de Coptes, de Nubiens et d’autres peuples. Il y a aussi près de 600 tribus au Soudan qui parlent plus de 400 dialectes et langues. Les divisions raciales et tribales, en particulier entre les Arabes ethniques qui vivent le long du Nil et les Africains à la peau plus foncée qui constituent la majorité dans les régions périphériques, ont été pleinement exploitées par le régime d’Al Bashir pour consolider son pouvoir.

    Cependant, lorsqu’en février, Al Bashir a tenté d’attribuer les manifestations à de prétendus étudiants terroristes du Darfour, la tactique s’est retournée contre eux de manière spectaculaire, de nombreux manifestants ayant repris le slogan : “Oh, raciste arrogant, nous sommes tous du Darfour”. Cela met en évidence l’une des caractéristiques uniques de ce mouvement par rapport aux luttes révolutionnaires passées au Soudan : qu’il se soit propagé à tout le pays. Les révolutions de 1964 et 1985 se sont principalement limitées à la capitale et aux villes du Nord, avec une forte division entre le centre et les périphéries ; il s’agit cette fois-ci d’un mouvement “national”, qui a naturellement englobé tous les coins du pays, unissant en action les travailleurs et les pauvres quelle que soit leur origine ethnique.

    Cela étant dit, si la lutte révolutionnaire n’est pas menée à la victoire et n’aboutit pas à terme à une restructuration fondamentale de la société selon les lignes socialistes impliquant le droit à l’autodétermination pour toutes les nationalités opprimées (comme les peuples des Monts Nouba et du Darfour), les divisions de longue date, notamment le danger de guerre ethnique, peuvent refaire surface.

    En Algérie, l’éruption spectaculaire des masses s’est également produite à une échelle géographique étendue, avec un essor dans les 48 wilayas (départements) du pays. Le mouvement est particulièrement mobilisé dans la région de la Kabylie, où les griefs économiques et sociaux se mêlent à une forte identité amazighe (berbère) forgée par des décennies de tentatives du régime algérien pour supprimer les droits linguistiques et culturels de la minorité amazighe, en imposant une politique d’arabisation et la marginalisation économique. La reconnaissance de la langue amazighe comme langue nationale et officielle est un développement récent (2016), qui ne s’est faite que sous une pression énorme des masses.

    La possibilité que cette question refasse surface, en partie sous l’impulsion des provocations chauvines de la clique militaire d’Alger, a été récemment démontrée par les attaques du chef d’état-major de l’armée Gaïd Salah contre la proéminence du drapeau amazigh dans les manifestations de rue. Après avoir annoncé le 19 juin que seuls les drapeaux nationaux seraient autorisés, des dizaines de manifestants portant des drapeaux amazighs ont été arrêtés par la police.

    Le régime algérien s’est efforcé au fil des années de se cacher continuellement derrière une certaine façade ” progressiste “. Par exemple, il soutient rhétoriquement la cause des peuples sahraouis et palestiniens, et a adopté une approche prudente sur les interventions étrangères en Libye, en Syrie et au Yémen. Il a également refusé l’installation de centres de transit pour les migrants à l’intérieur du pays. Cependant, ce n’est qu’un côté de la médaille. Si l’Algérie n’est pas encore devenue un valet complet de l’impérialisme, elle est de connivence avec l’impérialisme sur de nombreux fronts. Le régime a signé un ” partenariat exceptionnel ” avec l’impérialisme français, avec lequel il a collaboré dans son intervention militaire au Mali. En février, l’armée algérienne a participé, au Burkina Faso puis en Mauritanie, à des manœuvres militaires de grande envergure placées sous la supervision de l’Africom. Ces contradictions dans la politique étrangère d’un régime traditionnellement orienté vers le soi-disant “non-alignement” ne peuvent que s’accentuer dans la période à venir, une période de concurrence inter-impérialiste accrue au niveau régional et de réveil politique de masse au niveau national.

    Des contradictions similaires persistent dans l’économie algérienne. Les secteurs de l’énergie et des mines restent majoritairement étatiques, à la consternation de l’aile néo-néolibérale du régime et des entreprises occidentales qui veulent accélérer les réformes du marché libre. Ces dernières années, le gouvernement algérien a freiné une grande partie de la libéralisation de l’économie promise, arrêté la privatisation des industries publiques et maintenu la “loi sur l’investissement” – qui stipule que les entreprises nationales qui s’associent à des partenaires étrangers doivent détenir la majorité des actions. Ces questions continueront d’alimenter les tensions entre les factions rivales de la classe dirigeante, d’autant plus dans le contexte d’un mouvement ouvrier plus affirmé, et du détrônement de la figure politique principale qui jouait le rôle “d’arbitre” de ces tensions.

    Droits démocratiques et lutte pour le socialisme

    Sur les traces des traditions bonapartistes algériennes, le général Ahmed Gaïd Salah tente de se faire passer pour le nouvel homme providentiel. Pour tenter de conquérir la population, il a jeté en prison certains des principaux oligarques et amis de Bouteflika et a lancé des enquêtes anti-corruption. Pour affirmer son autorité, il s’est appuyé sur l’application de l’article 102 de la Constitution, qui sacrifie le Président mais maintient la Constitution hyper-présidentielle actuelle, le gouvernement, le conseil constitutionnel, les deux chambres du Parlement et toutes les institutions de l’ancien régime.

    L’élection présidentielle initialement prévue par le régime pour le 4 juillet a été annulée, en raison de leur rejet massif dans les rues, et alors que de plus en plus de maires et de magistrats, sous la pression croissante de la base, annonçaient leur refus de les organiser. Dans un tel contexte, l’appel rassembleur en faveur d’élections libres à une assemblée constitutionnelle révolutionnaire nationale, supervisée par des comités locaux devant être formés dans toutes les communautés pour assurer le caractère démocratique et non corrompu du vote, revêt une pertinence particulière.

    Alors que les masses sortent d’un régime autoritaire, les marxistes devraient accorder l’importance qui leur revient à la défense et à la lutte pour tous les droits démocratiques, tels que la liberté de réunion, la liberté de la presse, le droit d’organisation et de grève, la libération des détenus politiques, etc. Mais, bien sûr, ils ne devraient pas être isolés, mais faire partie d’un programme global de changement socialiste. En outre, nous devons souligner que la classe ouvrière et le peuple révolutionnaire ne peuvent avoir confiance qu’en leurs propres forces pour conquérir et maintenir ces droits. Par exemple, c’est la lutte de masse en Algérie qui a permis la reconquête du droit de manifester dans tout le pays, notamment dans la capitale Alger, où cela était interdit par le régime depuis 2001.

    Le PST (Parti Socialiste des Travailleurs) en Algérie, qui fait partie du Secrétariat Unifié, plaide en faveur d’un ” gouvernement provisoire pour défendre la souveraineté nationale “. Le Parti communiste soudanais prône une ” autorité transitoire démocratique et civile “. Ces slogans suggèrent qu’un stade démocratique stable peut être assuré sans renverser le capitalisme ; ils ne délimitent pas le contenu de classe du gouvernement pour lequel les masses révolutionnaires doivent se battre. Ce sont deux variantes de l’ancienne théorie menchévique, adoptée plus tard par les staliniens, selon laquelle les étapes démocratiques et socialistes de la révolution sont deux chapitres historiques distinctement indépendants, nourrissant la dangereuse illusion qu’une forme viable de régime démocratique favorable aux masses peut être obtenue sans remettre en question les relations bourgeoises de propriété.

    En pratique, cette théorie a ouvert la voie à des alliances politiques traîtresses et à des collaborations gouvernementales avec des ennemis pro-capitalistes, se drapant d’un masque progressiste pour mieux tromper les masses et mettre fin à leur lutte. Ces politiques ont irrémédiablement entraîné des défaites catastrophiques pour la classe ouvrière dans les révolutions, de la Chine en 1925-27 à l’Iran dans les années 1980. Elles constituent une partie centrale de l’explication de la faiblesse de la gauche aujourd’hui dans une grande partie du Moyen-Orient et de l’Afrique.

    Le Parti communiste soudanais (SCP), qui avait autrefois exercé une influence politique considérable en tant que l’un des plus grands partis communistes du continent, a été historiquement décimé à la suite de cette politique désastreuse des ” étapes “, se mettant toujours à la remorque de ce qui était présenté comme les sections ” progressistes ” de la bourgeoisie nationale, plutôt que de poursuivre une politique de classe indépendante pour unir les masses derrière des objectifs socialistes.

    Malheureusement, les dirigeants actuels du SCP ne semblent pas avoir tiré de leçons de leur propre histoire. Dans un communiqué publié début juin, le parti a ouvertement admis : “Nous devons nous soumettre aux souhaits de la majorité de nos partenaires du FDCF et avons accepté de nous asseoir avec le TMC pour négocier un transfert de pouvoir basé sur des modalités de partage du pouvoir avec le TMC. Pour notre part, nous avons vu qu’un changement de position aussi drastique serait coûteux, ne répondant pas aux aspirations de millions de personnes de notre peuple à un véritable changement, et surtout, nous avons du endurer le fort mécontentement visible de certains de nos loyaux membres, amis et sympathisants. Cependant, comme nous étions régis par les termes et les règles du FDCF, nous avons choisi d’agir de manière pragmatique et de prendre la position qui assure l’unité de l’opposition sous la direction du FDCF.”

    C’est dans la même logique que s’inscrit le slogan d’un ” gouvernement des compétences nationales ” défendu par le Front Populaire en Tunisie en 2013. Elle a abouti à la conclusion d’un accord programmatique entre le Front populaire et “Nidaa Tounes”, c’est-à-dire le principal parti politique représentant l’ancien régime dictatorial et les forces pro-restauration, sous prétexte de construire un front “civil” contre les islamistes de droite d’Ennahda. Le Front populaire ne s’est jamais vraiment remis de cette terrible trahison et a gaspillé une formidable opportunité révolutionnaire qui avait objectivement posé la question du pouvoir de la classe ouvrière en Tunisie durant l’été de cette année-là.

    Pour remporter des victoires dans la lutte révolutionnaire de masse et jeter les bases pour en finir avec de la misère, de la crise, de l’exploitation et de l’oppression actuelles, une transformation socialiste de la société est nécessaire. Trotsky a expliqué dans la théorie de la révolution permanente comment toutes les tâches de la révolution démocratique bourgeoise – la question nationale, la terre, les droits démocratiques, la “modernisation” – sont liées à la lutte contre le capitalisme et l’impérialisme.

    Alors que les magnifiques soulèvements révolutionnaires en Algérie et au Soudan ont montré une fois de plus l’héroïsme révolutionnaire dont sont capables les travailleurs, les femmes et les jeunes, les directions des forces politiques actuelles de la gauche organisée ne sont malheureusement pas à la hauteur des tâches historiques posées par ces mouvements. Cela ne fait que souligner l’importance pour le CIO de renouveler ses efforts pour aider à la construction de forces marxistes révolutionnaires dans ces pays et dans toute la région.

  • Retour sur la crise de Suez de 1956

    nasser

    Le 5 novembre 1956, les paras britanniques et français descendent sur Port Saïd, en Égypte, afin de prendre contrôle de l’accès au canal de Suez. Deux mois plutôt, devant une foule enthousiaste, le président égyptien Gamal Abdel Nasser avait déclaré : ‘‘nous défendrons notre liberté. J’annonce la nationalisation du canal de Suez.’’ Il est bien entendu utile de revenir sur la crise de Suez et sur le Nassérisme, particulièrement au vu du processus de révolution et de contre-révolution qui s’est enclenché au Moyen Orient et en Afrique du Nord en 2011.

    Par Dave Carr, Socialist Party (CIO-Angleterre et Pays de Galles)

    La Grande-Bretagne, la France et les Etats-Unis avaient refusé d’accorder à l’Égypte un emprunt pour la construction du barrage d’Assouan, un projet qui avait pour objectif de rendre l’eau disponible toute l’année, d’étendre les surfaces irriguées, d’améliorer la navigation sur le fleuve et de produire de l’électricité. Nasser a répliqué qu’il prendrait les 100 millions de dollars de revenus du canal de Suez afin de financer le projet.

    Cette nationalisation a, bien entendu, glacé le sang de l’impérialisme britannique et français. Nasser avait maintenant le contrôle d’un passage stratégique par où défilaient les stocks de pétrole arabe vers l’occident. De plus, il commençait à obtenir de plus en plus de soutien de la part des ouvriers et paysans pauvres dans toute la région. Ces mouvements menaçaient directement les régimes fantoches de différents du Moyen-Orient.

    Après 1945, les ouvriers et paysans du monde colonial étaient entrés dans un nouveau stade de leur lutte anti-impérialiste et pour la libération nationale et sociale. Les jours de la domination directe des vieilles puissances coloniales étaient désormais comptés.

    Le Premier ministre britannique Anthony Eden avait été encouragé par son gouvernement conservateur pour tenter de remettre le royaume britannique plus fortement en avant sur la scène internationale. Malgré le déclin économique et politique grandissant de l’impérialisme britannique consécutif à la seconde guerre mondiale, Eden pensait que la Grande-Bretagne pouvait jouer un rôle de premier plan dans le cours des grands évènements mondiaux. La classe dirigeante française pensait elle aussi qu’il était possible de redorer le blason de la gloire coloniale du pays. Mais l’approche brutale de l’impérialisme français au cours des guerres coloniales avait conduit à la défaite de la guerre d’Indochine et la guerre d’Algérie, déjà entamée, allait elle-aussi bientôt se solder par une cuisante défaite conduisant au retrait du pays.

    Réaction occidentale

    ‘‘Nous bâtirons ce barrage avec les crânes des 120.000 ouvriers égyptiens qui ont donné leur vie pour la construction du canal’’. Cette déclaration de Nasser avait constitué, pour les ouvriers et les chômeurs des bidonvilles du Caire et d’Alexandrie ainsi que pour la population de la région entière, une attraction énorme.

    La réaction de l’occident était prévisible. Tant au Parlement britannique qu’au Parlement français, Nasser a été comparé à Mussolini et Hitler. En Grande –Bretagne, les médias bourgeois et les parlementaires conservateurs n’avaient de cesse de parler de ‘‘Nasser-Hitler’’, tandis que les parlementaires travaillistes ou libéraux demandaient eux-aussi des mesures contre l’Égypte. Le Premier Ministre Eden ne le désirait que trop, et les avoirs du canal de Suez ont été immédiatement gelé dans les banques britanniques. Il s’agissait de presque deux tiers des revenus du canal.

    Le dirigeant du Parti Travailliste Hugh Gaitskell a soutenu le gouvernement conservateur auprès des Nations Unies, et a même déclaré qu’une intervention armée n’était pas à exclure contre Nasser. Le Premier Ministre français Guy Mollet promettait lui aussi une sévère riposte.

    Le gouvernement britannique a tout d’abord voulu montrer qu’il désirait résoudre la crise de façon diplomatique. Une conférence de 24 pays maritimes a été convoquée à Londres afin de discuter de la ‘‘menace contre la libre navigation internationale’’. Pendant ce temps, l’armée appelait les réservistes, et une grande force navale a commencé à se rassembler.

    En réponse, Nasser a lancé un appel pour une grève internationale de solidarité à l’occasion du début de la conférence. Le 16 août, des grèves massives ont donc eu lieu en Libye, en Égypte, en Syrie, en Jordanie et au Liban, ainsi que de plus petites actions de solidarité au Soudan, en Irak, en Tunisie et au Maroc. Partout, les ambassades britanniques et françaises étaient assaillies par des manifestants.
    La conspiration

    Le président américain Eisenhower, en pleine campagne électorale, a refusé de soutenir toute intervention militaire franco-britannique. L’impérialisme américain était en fait engagé dans un bras de fer avec les impérialismes français et britanniques pour gagner de l’influence dans le Moyen-Orient et en Afrique du Nord.

    Le prétexte servant à intervenir en Égypte a été une intervention israélienne armée dans le Sinaï, négociée au préalable avec les gouvernements français et britanniques. Les troupes britanniques et françaises sont ensuite venues s’interposer entre les troupes israéliennes et égyptiennes pour ‘‘protéger’’ le canal de Suez.

    Les représentants des gouvernements israéliens, français et britanniques s’étaient réunis secrètement le 24 octobre dans le voisinage de Paris, à Sèvres, et un pacte avait été conclu lors de cette réunion. Le Ministre des Affaires étrangères britannique, Anthony Nutting, a plus tard ouvertement expliqué que l’intervention britannique faisait partie d’une ‘‘conspiration commune avec les Français et les Israélien’’. Les Protocoles de Sèvres stipulaient que ‘‘L’État hébreu attaquera l’Égypte le 29 octobre 1956 dans la soirée et foncera vers le canal de Suez. Profitant de cette agression ‘surprise’, Londres et Paris lanceront le lendemain un ultimatum aux deux belligérants pour qu’ils se retirent de la zone du canal. Si l’Égypte ne se plie pas aux injonctions, les troupes franco-britanniques entreront en action le 31 octobre.’’

    Israël a utilisé le prétexte d’attaques transfrontalières de Palestiniens et du fait que le port d’Eilat avait été fermé par Égyptiens, et sont donc passé à l’offensive le 29 octobre. Le lendemain, comme convenu, les Français et les Britanniques lançaient un ultimatum commun pour imposé aux deux pays de se retirer à une quinzaine de kilomètres du canal.

    L’Égypte a bien entendu refusé cet ultimatum hypocrite. Les troupes britanniques et françaises sont donc intervenues. Les aéroports égyptiens ont été attaqués et, le 5 novembre, la zone de canal a été envahie. 1.000 Égyptiens, principalement des civils, sont décédés lors de l’invasion de Port Saïd.

    La défaite

    Le mouvement ouvrier s’est mobilisé contre cette intervention et, à Londres, une grande manifestation s’est tenue à Trafalgar Square. Lorsque les manifestants sont parvenus aux environs de Downing Street, où réside le Premier Ministre, des confrontations avec la police ont eu lieu.

    Au même moment, une révolte ouvrière éclatait en Hongrie, contre la dictature stalinienne, et cette révolte a été écrasée par les tanks soviétiques. Le même jour, l’Égypte était envahie.

    Les conséquences internationales ont été extrêmes. Les plupart des pays arabes ont rompu leurs relations diplomatiques avec la Grande-Bretagne et la France. Le pipeline britannique de Syrie a été saboté et l’Arabie Saoudite a bloqué les exportations pétrolières destinées à la Grande-Bretagne tandis que les USA exigeaient un retrait d’Égypte. L’Union Soviétique menaçait elle aussi de représailles.
    La faiblesse économique et politique de l’impérialisme britannique a été révélé au grand jour à la lumière de ces événements. Le canal de Suez a été bloqué, des navires coulés. Très vite, l’essence a dû être rationnée en Grande Bretagne. De leur côté, les Etats-Unis ont refusé d’accorder un emprunt au pays, et ont empêché le gouvernement britannique d’en avoir un de la part du FMI. La Livre britannique a chuté, et ses réserves de monnaie étrangères ont rapidement été épuisées.

    Après six semaines, les troupes britanniques et françaises ont dû quitter l’Egypte, en pleine déroute, de même que les troupes israéliennes. Nasser est apparu comme le grand vainqueur qui avait humilié l’impérialisme. En Grande Bretagne, le Premier Ministre Eden a été brisé politiquement et moralement, et a dû démissionner.

    Après la crise de Suez, le processus révolutionnaire dans la région a connu un nouveau dynamisme.

    Qu’est ce que le nassérisme?

    Nasser est parvenu au pouvoir après un coup d’Etat militaire contre le monarque corrompu Farouk, renversé en 1952. Le Roi Farouk était une marionnette de l’occident, et plus particulièrement de l’impérialisme britannique.

    A ce moment, 6% de la population du pays détenait 65% des terres cultivables tandis que 72% de la population devait se contenter de seulement 13% de la terre. Il y avait des millions de paysans sans terre ou de chômeurs, obligés de vivre dans les bidonvilles du Caire et d’Alexandrie. Les occupations de terres et les grèves s sont développées, mais aucune formation politique des travailleurs n’était en mesure de conduire les ouvriers et les paysans dans la lutte pour le pouvoir. Le colonel Nasser a profité de ce vide politique.

    Ce dernier a opéré diverses réformes, tout en laissant le capitalisme intact. Il recourait à une rhétorique socialiste afin d’obtenir le soutien des ouvriers, mais n’a en même temps pas hésité à arrêter et à faire fusiller des dirigeants de grève. Il désirait recevoir l’appui des puissances occidentales, mais s’est finalement appuyé sur la bureaucratie soviétique en contrepoids contre l’impérialisme. Cet exercice d’équilibre dans son propre pays et face aux pouvoirs étrangers a assuré qu’il devienne un dictateur avec des caractéristiques de type bonapartiste.

    => Pour en savoir plus: Nasser et le nationalisme arabe

  • Egypte : poursuite de la contre-révolution et résistance des travailleurs

    SissiLes condamnations à mort prononcées contre l’ancien président égyptien Mohammed Morsi ainsi que contre plus d’une centaine d’autres membres des Frères musulmans ont fait la une dans le monde entier. La répression généralisée contre toute opposition au régime du président Abdel Fattah al-Sissi a par contre été moins relatée dans les médias dominants.

    Par David Johnson, Socialist Party (section du Comité pour une Internationale Ouvrière en Angleterre et au Pays de Galles)

    Depuis mai 2014, environ 40.000 personnes ont été arrêtées et poursuivies durant les 10 premiers mois du régime d’al-Sissi. Les arrestations ont continué depuis lors, la majorité d’entre elles concernant des partisans des Frères musulmans. Mais beaucoup d’autres purgent maintenant également de longues peines de prison, y compris des militants de premier plan associés au soulèvement de 2011 contre l’ancien président Hosni Moubarak. Beaucoup de journalistes ont aussi été emprisonnés.

    Les tribunaux ont interdit le Mouvement de jeunesse du 6 Avril ainsi que les «ultras» de football, des supporters qui ont derrière eux une sérieuse expérience d’opposition au régime de Moubarak et à ceux qui ont suivi son éviction. Des militants ont été empêchés de voyager à l’étranger tandis que d’autres ont été arrêtés pour possession de livres non autorisés, comme un recueil de poèmes de Shaima al-Sabbagh, un militant tué par la police lors d’une manifestation de janvier dernier.

    La loi de protestation 107/2013 restreint sévèrement la liberté de réunion et d’expression. Plus de 400 journalistes ont été licenciés depuis le début de cette année, nombre d’entre eux l’ayant été sans la moindre explication et sans doute en raison de leurs reportages critiques. Une Association de journalistes a récemment été mise sur pied et a organisé une manifestation.

    Les prisonniers s’entassent dans les postes de police, dont les capacités sont utilisées à 400%. Les prisons sont pleines à 160-200%. La torture est à nouveau largement utilisée, comme cela était le cas sous la dictature de Moubarak. En février, un avocat de 27 ans, Karim Hamdi, est mort dans un poste de police deux jours après y avoir été traîné à partir de son domicile. Des photos de son cadavre meurtri ont causé une telle vague d’indignation que deux policiers ont dû être mis à pied. Les femmes ont quant à elles souffert d’un gigantesque accroissement du harcèlement sexuel dans les lieux publics ainsi que dans les postes de police si elles veulent porter plainte.

    Le droit de s’organiser au sein d’un syndicat et le droit de grève ont tous deux été balayés. La Cour Administrative Suprême a statué le 28 avril pour criminaliser les grèves et pénaliser les travailleurs du secteur public en grève. Trois fonctionnaires ont été contraints à prendre leur retraite anticipée et 14 autres se sont vus interdire de recevoir une promotion pour une durée de deux ans après le déclenchement de la grève. Le tribunal a ajouté qu’en vertu de la charia, les grèves qui touchent les bénéficiaires des services publics ne sont pas autorisées.

    A la place de s’efforcer à développer un mouvement de résistance massif en défense des droits des travailleurs, la Fédération égyptienne des syndicats(ETUF) a déclaré (le premier mai) «les travailleurs d’Egypte rejettent la grève et confirment leur attachement au dialogue social avec les propriétaires d’entreprise et le gouvernement en tant que mécanisme destiné à réaliser la justice sociale et la stabilité.» Beaucoup de dirigeants de l’ETUF sont des reliques de l’ancien régime de Moubarak. Les conditions ont été difficiles pour les nouveaux syndicats indépendants qui ont surgi après la révolution de 2011.

    De nouvelles grèves

    Pourtant, les luttes des travailleurs se sont poursuivies en dépit de ces difficultés, bien qu’à un niveau moindre qu’après la chute de Moubarak. Une grève de trois semaines a commencé début avril dans la compagnie de gaz contrôlée par l’Etat après que cette dernière ait annoncé son intention de réduire les salaires de 20%. La grève a entraîné la fermeture de nombreux sites de la société et a causé une «grave» perte de profit. Des sit-in ont eu lieu devant le siège de la société à Giza et, le 26 avril, des grévistes sont entrés dans le bâtiment et ont tenté d’atteindre les bureaux de la direction. Un gréviste a été arrêté et inculpé d’«appartenance à une organisation interdite». Il a été libéré sous caution après que sa famille ait payé 500 livres égyptiennes (environ 60 euros).

    Toujours en avril, les travailleurs de l’entreprise de ciment Tourah ont entamé une grève qui a duré un mois et demi. Les 1.100 travailleurs n’ont accepté de revenir que lorsque la société a accepté de payer la prime annuelle qu’elle désirait supprimer. Un travailleur de l’usine de ciment Al-Arish, appartenantà l’armée, a été grièvement blessé le 2 juin. Ses collègues l’ont emmené à la clinique de l’usine, mais il n’a reçu aucun traitement. Certains ont ensuite protesté devant les bureaux de la direction. Un véhicule blindé a fait irruption dans l’usine tirant des coups de feu, tuant un travailleur et blessant trois autres. Les travailleurs se sont ensuite mis en grève. «Nous avons pensé que l’armée interviendrait à nos côtés, mais ils ont tiré sur les travailleurs»a déclaré un ouvrier au Daily News Egypt. «Plus de 1000 travailleurs sont surchargés de travail et vivent dans des conditions difficiles.»

    Les avocats du pays ont fait la grève le 6 juin après qu’un officier supérieur de la police ait agressé un avocat de 25 ans d’expérience, qui a dû ensuite se rendre à l’hôpital.

    La peur de l’Etat Islamique instrumentalisée par le régime

    Même si les sondages semblent encore montrer un soutien de 80% à al-Sissi, l’expérience concrète des travailleurs va inévitablement saper ce pourcentage. La peur grandissante de l’Etat Islamique et de la situation rencontrée en Syrie, en Irak, au Yémen et en Libye joue beaucoup dans ce taux de soutien. En Libye, l’Etat Islamique a décapité des travailleurs égyptiens. Au nord du Sinaï, les confrontations sont croissantes entre les forces de sécurité et les combattants islamistes de la province du Sinaï, qui ont changé d’allégeance d’Al-Qaïda à l’Etat Islamique.

    Al-Sissi considère les Frères musulmans comme une organisation terroriste et selon lui tous les travailleurs et les jeunes qui protestent sont membres des Frères musulmans. Il utilise la menace de la violence islamiste pour notamment s’assurer le soutien des chrétiens coptes d’Egypte, qui ont pu voir quel traitement les chrétiens de Syrie et d’Irak avaient subi aux mains de l’Etat Islamique.

    Une des conséquences de la répression à laquelle font face les Frères musulmans est le fossé croissant entre sa direction plus âgée et certains membres plus jeunes. La direction actuelle espère pouvoir survivre en gardant la tête baissée et en évitant toute confrontation directe avec le régime, comme cela était sa stratégie à l’époque de Moubarak. Certains militants plus jeunes sont par contre attirés par l’action armée en considérant l’impact de l’Etat Islamique à travers le Moyen-Orient et en Afrique du Nord.

    L’hypocrisie impérialiste

    Un visiteur qui ne contribuera pas à résoudre ces problèmes est le nouveau dirigeant du Conseil européen pour la tolérance et la réconciliation : Tony Blair! Il est arrivé au Caire le 8 juin dernier pour une visite de deux jours. L’invasion impérialiste de l’Irak qu’il a lancée en compagnie de l’ancien président américain George W. Bush en 2003 a, avec le bombardement de la Libye de l’OTAN en 2011, massivement contribué aux problèmes de la région.

    Les soulèvements de masse de la région qui ont commencé en Tunisie et en Egypte en 2011 et ont vu le renversement des dictateurs Ben Ali en Tunisie et Moubarak en Egypte, étaient de magnifiques exemples de la puissance de la classe des travailleurs et de la jeunesse. Mais au lieu que ces mouvements de masse des travailleurs ne remplacent les dictateurs par des droits démocratiques et sociaux complets – le socialisme démocratique – les travailleurs ont manqué de partis politiques aux racines assez fortes et au programme d’action clair. Par conséquent, ce sont d’autres forces qui ont remporté la direction de ce qui est appelé le «printemps arabe».

    Hypocritement, les puissances impérialistes occidentales qui ont renversé Saddam Hussein et bombardé le régime de Kadhafi au nom de la «démocratie» sont maintenant presque silencieux à propos de la contre-révolution d’Al-Sisi. Ce dernier a encore vu le tapis rouge être déployé à ses pieds lors d’une visite en Allemagne. Le Big business cherche à stimuler son commerce et ses profits sans être encombré de travailleurs égyptiens disposant de droits et se battant pour des salaires et des conditions de travail décents. Al-Sissi est également considéré comme un allié fiable contre la menace représentée par l’Etat Islamique (Daesh).

    Malgré la situation contre-révolutionnaire actuelle, la classe des travailleurs et la jeunesse d’Egypte n’ont pas oublié leur expérience acquise lors du renversement du régime haï de Moubarak. Digérer les leçons de 2011 aidera à clarifier la voie à suivre, en particulier le fait d’avoir laissé la machine d’Etat capitaliste en grande partie intacte et sous le contrôle d’anciens membres de son régime. La puissante classe ouvrière égyptienne va retrouver la combativité vue au cours de l’année qui a suivi, cela pourra donner une direction dans la lutte pour le socialisme démocratique dans la région.

  • Egypte. Les travailleurs reprennent le chemin de la lutte

    David Johnson, Socialist Party (CIO-Angleterre et pays de Galles)

    Après plusieurs mois ayant compris fort peu de grèves, l’Egypte vient de connaitre des semaines qui ont à nouveau illustré l’énorme force potentielle de la classe ouvrière. Ainsi, 20.000 travailleurs de Misr Spinning and Weaving Company (grande usine textile publique dont les travailleurs avaient activement participé aux événements qui avaient conduit à la chute de Moubarak, NDLR) sont partis en grève le 10 février dernier et ont occupé le siège de leur compagnie pour revendiquer l’obtention d’un salaire mensuel de 1.200 livres égyptiennes par mois (environ 123 euros), ce qui correspond au salaire minimum officiel des travailleurs du secteur public. Mahalla est une entreprise d’Etat et pourtant certains ouvriers gagnent à peine 500 livres égyptiennes par mois. Les travailleurs exigent également le versement de primes qui leur ont été promises mais qui n’ont jamais été données. D’autre part, ils réclament la démission du président de la compagnie, le remplacement du commissaire de Spinning and Weaving Compagny par un conseil d’administration, ainsi que l’élection de nouveaux dirigeants du syndicat officiel. Les élus du syndicat officiel actuellement en place sont là depuis 2005, soit bien avant la chute du dictateur Moubarak.

    Après 6 jours, les 12.000 ouvriers du site de Kafr Al-Dawar sont entrés grève en solidarité avec leurs frères et sœurs de Mahalla. 6 jours plus tard à nouveau, le Premier Ministre Hazem El-Beblawi a promis de satisfaire les revendications des travailleurs. La grève a été suspendue pendant 60 jours, avec menace de reprise si les promesses n’étaient à nouveau pas tenues.

    Une nouvelle vague de grèves

    Mais le jour où cette grève s’est terminée, 40.000 travailleurs des transports publics sont partis en action, exigeant eux aussi de toucher le salaire minimum officiel du secteur public ! Le Syndicat indépendant des travailleurs du transport, fondé après la chute de Hosni Moubarak, avait pris en charge l’organisation de beaucoup de ces travailleurs.

    Début mars, plus de 800 conducteurs de bus ont occupé leur dépôt à Alexandrie. Certains policiers de base sont eux aussi entrés en grève pour réclamer le salaire minimum (mais dans certains endroits, les revendications portaient également sur le port d’armes pour tous les policiers). Des médecins, des pharmaciens et des vétérinaires ont également pris part à une série de grèves depuis le début de l’année, concernant le salaire et les conditions de travail mais aussi pour un meilleur enseignement et pour améliorer la qualité des hôpitaux. Les syndicats des infirmiers n’ont pas officiellement appuyé les grèves des médecins mais 400 d’entre eux ont fait grève à Kafr al-Sheik, en réclamant le rétablissement d’une prime précédemment promise mais annulée.

    Les travailleurs de l’usine chimique Tanta Linen ont eux aussi mené des actions de protestation diverses, en exigeant l’application d’un arrêté de la Cour de justice statuant que le travail devait reprendre sur le site après que celui-ci soit retourné dans le secteur public, ce qui n’a pas été appliqué par les deux derniers gouvernements. Des travailleurs des autorités postales ont aussi fait grève dans des dizaines de bureaux de poste en exigeant à leur tour de recevoir le salaire minimum du secteur public. Certains fonctionnaires, travailleurs agricoles et ouvriers de la construction sont aussi entrés en grève.

    Les revendications des travailleurs illustrent que leur impatience ne fait que croître depuis le soulèvement du 25 janvier 2011 qui avait conduit à la chute de Moubarak. « Quand les gens demandent pourquoi nous faisons grève aujourd’hui, nous expliquons que c’est parce qu’on nous a fait des promesses », explique un travailleur des transports public à al-Ahram. « Ils nous disaient, attendez la venue d’un nouveau gouvernement. Un nouveau président est venu et rien n’a changé. Maintenant, nous sommes dans une nouvelle crise. »

    Gouvernement remplacé

    Le 24 février, le Premier Ministre Hazem El-Beblawi a annoncé que son cabinet ministériel avait démissionné. Il semble que cette annonce ait pris par surprise jusqu’aux membres du cabinet. Le pouvoir réel est dans les faits détenu par les hauts-officiers militaires qui ont pris le pouvoir après la chute du gouvernement des Frères Musulmans de Mohammed Morsi, suite aux manifestations de masse du 30 juin dernier.

    On s’attend à ce que le Maréchal Abdel Fattah al-Sisi annonce sa candidature à des élections présidentielles en mai. Mais la croissance des grèves – parallèlement à la montée des attaques contre le gouvernement et des sites touristiques inspirées par Al-Qaïda dans le Sinaï et à la poursuite des problèmes économiques – semblent avoir incité les militaires à directement remplacer le gouvernement.
    Al-Sisi n’est pas Nasser

    Al-Sisi essaye de se présenter comme une forme moderne de Nasser, cet officier de l’armée devenu président dans les années ’50. Nasser a supervisé un important développement industriel ainsi que des réformes qui ont amélioré les conditions de vie des travailleurs, ce qui l’a rendu extrêmement populaire. A l’époque, il a pu osciller entre les deux superpuissances mondiales rivales (l’URSS et les Etats-Unis) dans une période de croissance économique mondiale. Al-Sisi – de même que n’importe quel gouvernement capitaliste actuel – ne dispose pas d’une telle marge de manœuvre.

    La période de dure crise économique qui affecte les principales puissances capitalistes ; la concurrence croissante entre l’Egypte, la Chine et d’autres économies à bas salaires équipées de machines plus modernes ; la baisse du nombre de touristes après 3 années de chaos et la disparition du bloc stalinien en tant qu’alternative vers lequel se tourner ; tout cela assure que la guerre sera sans répit contre les conditions de vie des travailleurs et des pauvres d’Egypte.

    Le nouveau cabinet ministériel est beaucoup plus fermement basé sur l’armée et sur le camp de l’ère Moubarak, en comparaison de son prédécesseur. Le précédent cabinet reflétait l’alliance des militaires avec certains libéraux et anciens révolutionnaires conclue contre les Frères Musulmans en juin dernier. Ces ministres ayant maintenant joué leur rôle en gagnant le soutien des travailleurs et des classes moyennes libérales pour les militaires dans le cadre de l’opposition aux Frères Musulmans, ils ont été écartés.

    Parmi les ministres qui ont perdu leur poste figure Kamal Abu-Eita, dirigeant d’une grève sous Moubarak et président de la Fédération Egyptienne des Syndicats Indépendants (EFITU) jusqu’à sa nomination comme Ministre du Travail à la suite de la chute de Morsi et du gouvernement des Frères Musulmans. La nomination d’Abu-Eita l’an dernier avait connu une forte opposition au sein de l’EFITU et d’autres organisations ouvrières comme le Congrès Permanent des Travailleurs d’Alexandrie (PCAW). Avec raison, cela était considéré comme une manœuvre du régime militaire destinée à contrôler les organisations ouvrières. Mais les grèves les plus récentes ont démontré que les travailleurs n’ont pas été intimidés par le retour des dirigeants de l’armée à la direction de facto du gouvernement.

    Reconstruction du régime de Moubarak

    Le nouveau premier ministre est Ibrahim Mehleb, ancien président du Conseil d’Administration de l’Arab Contractors Company, une entreprise de construction très importante au Moyen-Orient et en Afrique. Il avait été nommé membre du Shura Council (la chambre haute du parlement) en 2010, sous le règne de Moubarak, et était membre du comité politique du parti au pouvoir, le Parti National Démocratique aujourd’hui dissout. Les autres nouveaux ministres provenant de l’ère Moubarak comptent Ibrahim El-Demeiri, ministre du transport pour la troisième fois. Son premier mandat était de 1999 à 2002. Il avait été remplacé après qu’un train sur-peuplé ait pris feu, tuant 373 personnes. Il s’agissait du pire désastre ferroviaire égyptien. Nabil Fahmy, le nouveau ministre des Affaires Etrangère, était l’ambassadeur de Moubarak aux USA de 1999 à 2008. Abdel Labib, aujourd’hui Ministre du Développement Local et Administratif, était gouverneur de province sous Moubarak. D’importantes manifestations avaient eu lieu contre son administration. Atef Helmy, Ministre des Technologies de Communications et d’Information, était directeur de l’Oracle Egypt, qui faisait partie d’une corporation multinationale Etats-Uniennes.

    Ces ministres comptent bien restaurer le règne de l’ancien régime, appuyé sur le milieu des affaires et sur l’Etat-Major militaire, mais sous un contrôle militaire plus ferme en comparaison de la fin du régime de Hosni Moubarak, lorsque son fils, Gamal, nommait ses propres copains à des postes-clé. En faisant explicitement référence aux grèves récentes et insinuant qu’elles étaient liées aux Frères Musulmans, Mehleb a appelé à la fin des « manifestations factionnaires ».

    Les nouvelles autorités tentent d’instrumentaliser les médias – qu’ils contrôlent dans leur quasi-totalité, qu’il s’agisse de ceux qui dépendent directement de l’Etat ou des privés – pour réécrire l’Histoire récente. Le soulèvement de masse qui a commencé le 25 janvier 2011 et qui a renversé Hosni Moubarak est maintenant présenté comme une prise du pouvoir par les Frères Musulmans alors que le 30 juin 2013 – le mouvement de masse contre le gouvernement Morsi – est décrit comme la véritable révolution.

    Il faut une alternative socialiste indépendante

    La mémoire des travailleurs et des jeunes ne s’effacera pas si facilement, de même que l’expérience acquise au de ces trois dernières années. Les masses ont le pouvoir qui est le leur pour faire changer les choses, mais ils n’ont pas encore trouvé un moyen de transformer la société dans leurs propres intérêts. A deux occasions – contre Moubarak tout d’abord, contre Morsi ensuite – les dirigeants ont été renversés, mais à chaque fois la classe ouvrière ne disposait pas de programme concret et d’organisation pour prendre le pouvoir en mains.

    Un travailleur des transports publics en grève disait à al-Ahram, « depuis la révolution, nous avons eu 6 gouvernements différents, de toutes les couleurs du spectre politique. Ils virent un dirigeant, le remplacent, en enlèvent un, le remplacent par un autre… Mais les politiques sont les mêmes. Les puissants pillent et les pauvres se font enterrer. »

    Les travailleurs et les jeunes révolutionnaires vont discuter de ce nouveau stade de la révolution égyptienne en cours. Tout comme la révolution espagnole des années 1930 balançait d’avant en arrière – de révolution en contre-révolution – l’Egypte a été en état de flux et de reflux sur les trois dernières années

    Les travailleurs ont besoin de construire leur propre parti révolutionnaire indépendant pour lutter pour un gouvernement des travailleurs et des pauvres engagé vers l’obtention d’un réel changement socialiste démocratique. Les travailleurs du Moyen-Orient, d’Afrique du Nord et au-delà seraient inspirés et appelés à suivre cet exemple, ce qui ouvrirait la voie vers la chute du pouvoir capitaliste responsable de la pauvreté, de l’insécurité et de la répression.

  • Égypte: Derrière le “oui” pour la nouvelle Constitution, un manque d’enthousiasme et une opposition aux militaires

    Ce ne fut pas une surprise, 98% des électeurs ont voté ”oui” lors du référendum portant sur la nouvelle Constitution égyptienne. Trois ans après le début du soulèvement massif du peuple égyptien qui a conduit au renversement du dictateur Hosni Moubarak, nombreux sont ceux qui aspirent à une certaine stabilité. Mais le faible taux de participation (38,5%) illustre qu’un grand nombre d’Égyptiens n’éprouve aucun enthousiasme quant à cette nouvelle Constitution, tandis que beaucoup s’y opposent activement.

    David Johnson, Socialist Party (CIO-Angleterre et Pays de Galles)

    Les Frères Musulmans ont boycotté le suffrage. Dans les régions les moins industrialisées, là où leur soutien est le plus fort, le taux de participation était proche des 20%. D’autre part, parmi les Égyptiens âgés de moins de 30 ans (les forces les plus actives de la révolution de 2011), le taux de participation a été officieusement reporté à 19%.

    Des officiers supérieurs des forces armées ont instrumentalisé les manifestations massives contre le président Morsi de juin 2013 afin d’installer un gouvernement soutenu par l’armée et dirigé par le général Abdel Fattah al-Sissi, en se présentant comme les défenseurs du peuple égyptien face au régime des Frères Musulmans. L’absence d’une organisation indépendante de la classe ouvrière au cours de ces manifestations – que ce soit sous la forme des syndicats ou d’un parti de masse de la classe ouvrière – a permis aux officiers de combler le vide causé par l’effondrement du gouvernement Morsi. Suite à la pression massive des millions de travailleurs qui étaient descendus dans les rues, les officiers ont annoncé des mesures telles que l’augmentation du salaire minimum pour les travailleurs du secteur public (mais pas pour le secteur privé).

    L’armée tente maintenant de consolider sa position. La nouvelle Constitution, écrite par un comité non-élu sans représentation des syndicats indépendants, permet aux forces armées de continuer à masquer ses énormes intérêts financiers. Ce comité décidera de qui sera nommé ministre de la Défense – pas un Parlement élu. Les tribunaux militaires pour les civils, si détestés sous le règne du dictateur Moubarak, continuent de fonctionner. Et bien que les grèves et les sit-in soient définis comme des droits, la Constitution permet au gouvernement de réglementer la manière dont ces ”droits” peuvent être utilisés.

    De nouvelles lois très strictes régissent le droit de manifester, en exigeant que les organisateurs obtiennent la permission de la police et soumettent leur demande à un préavis de 24 heures, en livrant tous les détails concernant l’heure du début et de la fin de la manifestation, son itinéraire et en donnant des noms de responsables. Les manifestants qui ont défié cette nouvelle législation ont été battus et sexuellement harcelés au cours de leur détention. D’autre part, les journalistes soupçonnés d’être sympathisants des Frères Musulmans ont également été arrêtés.

    Persécution de jeunes et de militants de gauche

    Alors que l’arrestation des dirigeants des Frères Musulmans sous l’accusation de ”terrorisme” a bénéficié d’un large soutien, les forces de police et de sécurité ont également utilisé leurs pouvoirs retrouvés pour appréhender des jeunes activistes et des militants de gauche. Les manifestations ont été quasiment quotidiennes dans les universités, nombre d’entre elles par des étudiants partisans des Frères Musulmans, mais d’autres par des étudiants se revendiquant du socialisme ou défenseurs des droits de l’Homme. Les forces de sécurité ont pris d’assaut les campus universitaires et s’en sont pris aux manifestations et aux militants. Peu à peu, le régime répressif de Moubarak renaît de ses cendres.

    En avril 2013, quelques semaines avant que ne prennent place les énormes manifestations qui ont forcé Morsi à quitter le pouvoir, il y a eu 448 actions de protestations ouvrières, avec grèves, blocages et occupations. En décembre dernier, on n’en dénombrait que 11, mais avec parmi ce nombre une importante grève de 5.000 travailleurs égyptiens employés par l’entreprise Iron and Steel Company (données émanant du Centre égyptien pour les droits économiques et sociaux).

    La situation économique demeure catastrophique, ce qui signifie qu’encore plus d’attaques sont à venir contre les salaires et les conditions de travail ou encore contre les subventions alimentaire ou pour le gaz de cuisine. La classe dirigeante désire désespérément disposer d’un gouvernement fort capable de mettre en œuvre ces attaques avec succès.

    Mais les différentes sections de la classe dirigeante ont leurs propres intérêts. Les officiers supérieurs contrôlent ainsi les industries détenues par les forces armées. Sous le règne de Morsi, leur position a été contestée par de riches hommes d’affaires liés aux Frères Musulmans. Mais une autre couche de capitalistes ne s’est alignée ni sur l’armée, ni sur les Frères Musulmans. Elle a par contre jeté tout son poids derrière Sissi afin qu’il devienne le nouveau président. Des élections présidentielles se tiendront probablement bientôt, Sissi étant attendu de déposer sa candidature le 25 janvier, jour de l’anniversaire du début du soulèvement contre Moubarak.

    Sissi espère être élu avec une majorité convaincante similaire à celle obtenue pour le référendum, ce qui renforcerait son autorité pour effectuer des coupes budgétaires et instaurer les mesures répressives dont le capitalisme égyptien a besoin pour survivre. Mais les travailleurs et les jeunes ont vu ce qu’ont donnés Moubarak et Morsi, ils ne vont pas facilement abandonner leurs droits de s’organiser et de se battre pour leur avenir.

    En tirant les leçons des trois dernières années, un nombre croissant de travailleurs et de jeunes révolutionnaires conclura que la classe ouvrière doit défendre elle-même ses intérêts et que c’est une profonde erreur de limiter ses revendications au soutien à l’une ou l’autre aile de la classe capitaliste.

    Les travailleurs doivent construire leurs propres organisations, y compris un parti de masse avec un programme basé sur un changement démocratique et socialiste de la société, un programme qui pourrait unir toutes les luttes des travailleurs et des jeunes dans un puissant mouvement pour renverser le régime et instaurer un gouvernement des travailleurs et des pauvres.

  • Quelle voie entre impérialisme, régimes militaires, forces laïques capitalistes et fondamentalistes religieux ?

    Révolution et contre-révolution au Moyen-Orient et en Afrique du Nord

    L’accord russo-américain conclu le 14 septembre dernier à Genève, destiné à placer l’arsenal chimique syrien sous contrôle international en vue de son démantèlement a, pour l’instant, éloigné la menace directe d’une intervention impérialiste en Syrie. Ce sanglant conflit dont sont victimes les masses syriennes est loin d’être pour autant résolu, et la destruction effective des stocks d’armes chimiques, en pleine guerre civile, est loin d’être garantie. Quelle est l’issue de sortie pour les masses, coincées entre les forces du régime dictatorial de Bachar el-Assad, celles des fondamentalistes islamistes et celles de l’opposition capitaliste ?

    Par Nicolas Croes

    Les médias dominant n’ont pas lésiné sur les images horribles de victimes tombées sous l’impact des armes chimiques. Le sensationnalisme, une fois de plus, a été lourdement utilisé dans le but de faire perdre toute distance par rapport aux évènements et de les réduire à leur apparence immédiate. Jouer sur l’émotionnel pour dévier toute réflexion n’est pas une pratique neuve, loin de là.

    Comme souvent, nous avons eu sous les yeux un véritable festival d’hypocrisie. Certains ont pu croire que le conflit syrien venait d’éclater, tant le contraste était grand avec la manière dont ont été traitées les dizaines de milliers de victimes tombées depuis plus de deux ans et demi en Syrie. L’indignation médiatique de l’establishment n’explose qu’en fonction des intérêts de ce dernier, à l’image de la couverture des conditions de vie des masses de toute la région – dominées par la misère, la famine, les inégalités sociales et régionales, l’absence d’avenir et la lutte pour les droits nationaux et démocratiques – dont il n’est question que très périodiquement et de manière totalement biaisée. Ce dernier point est pourtant fondamental.

    Hypocrisie aussi de la part de l’impérialisme américain pour qui le recours aux gaz toxiques est maintenant un crime contre l’humanité alors que le plus gros stock d’armes chimiques se trouve aux Etats-Unis et qu’aucune puissance n’en a fait usage avec autant d’enthousiasme, pendant la guerre du Vietnam entre autres. Il n’est pas le seul dans ce cas, le gouvernement allemand a ainsi récemment reconnu avoir autorisé l’exportation de produits chimiques vers la Syrie entre 2002 et 2006.

    Un mouvement révolutionnaire spontané, mais qui ne surgit pas de nulle part

    Cela fera 3 ans ce 17 décembre qu’une vague révolutionnaire a déferlé de Tunisie, puis d’Egypte, sur quasiment tous les pays de la région, du Maroc jusqu’au Yémen et au Bahreïn. Mais si les médias dominants ont concentré leur attention sur le rejet des dictatures et les aspirations démocratiques, la colère des masses se basait aussi puissamment sur la lutte pour des revendications sociales et économiques contre la pauvreté, le chômage de masse, le démantèlement des services publics (particulièrement sévère depuis les années ’90),… La jeunesse, dont le poids est monumental dans la région (66% de la population égyptienne a moins de 25 ans par exemple), n’avait aucune perspective d’avenir face à elle.

    Ces mouvements ne sont donc pas apparus comme par magie et, pour qui savait les voir, des signes avant-coureurs existaient sous la surface de la stabilité apparente des dictatures. En Egypte, on dénombrait ainsi 194 grèves par an entre 2004 et 2008 (essentiellement dans les centres textiles et autour du canal de Suez). Entre 2008 et 2010, il y a eu 1600 grèves chaque année. En Tunisie, le bassin minier de Gafsa s’était soulevé en 2008, donnant lieu aux troubles sociaux les plus importants connus en Tunisie depuis les ‘‘émeutes du pain’’ en 1984 et depuis l’arrivée au pouvoir de Ben Ali en 1987. Au Liban (en 2005) et en Iran (en 2009), des mobilisations de masse avaient également ébranlé les régimes en place. Même si ces deux derniers mouvements n’étaient pas directement liés aux thématiques sociales (l’assassinat de l’ancien président du conseil Rafic Hariri au Liban, imputé au régime syrien, et la fraude électorale massive lors des élections présidentielles en Iran), ces dernières étaient loin d’être absentes et constituaient d’ailleurs le principal danger pour les régimes en place.

    C’est pourquoi, à l’occasion de son 10è Congrès Mondial (début décembre 2010), le Comité pour une Internationale Ouvrière (dont le PSL est la section belge) avait déclaré dans son document consacré au Moyen Orient et à l’Afrique du Nord ‘‘tous les despotes et les régimes autoritaires de la région ont peur de mouvements de révolte de masse. Des mouvements en Iran ou en Egypte sont possibles, qui peuvent alors en inspirer d’autres. Si la classe ouvrière n’en prend pas la direction, ces mouvements peuvent prendre des directions très différentes.’’

    Les difficultés du processus

    Une colère massive qui s’exprime enfin n’est pas suffisante pour conduire à la victoire. Un processus révolutionnaire est par nature complexe et, même dans le cas du renversement de dictateurs, du chemin reste encore à faire jusqu’à l’effondrement du système. Les mouvements en Tunisie et en Egypte avaient réussi à surprendre l’impérialisme occidental et les forces régionales, qui plus est dans des pays à fortes traditions ouvrières (ce n’est d’ailleurs aucunement un hasard si Ben Ali, en Tunisie, et Moubarak, en Egypte, ont quitté le pouvoir à l’occasion de grèves), mais il était hors de question de laisser les choses se développer ainsi dans une région tellement cruciale. Au Bahreïn, les forces armées saoudiennes et émiraties sont rapidement et brutalement intervenues au secours du régime. La répression fut féroce, sous le regard bienveillant des alliés occidentaux. Là-bas, les travailleurs et les pauvres n’ont même pas pu compter sur des larmes de crocodile de Washington, Londres ou Paris. Ailleurs aussi (comme au Yémen), la répression fut sanglante, à peine commentée par de vagues déclarations d’indignation diplomatiques. Cela permet de remettre la ‘‘guerre humanitaire’’ en Libye et les menaces d’intervention en Syrie à leur juste place.

    L’intervention impérialiste en Libye ne visait en rien à défendre la population. Les puissances impérialistes occidentales avaient d’ailleurs conclu d’avantageux marchés avec Kadhafi sur la dernière période de son règne. Il était en fait surtout crucial pour l’impérialisme de parvenir à stopper la vague des révolutions avant qu’elle ne frappe également des alliés fiables tels que l’Arabie Saoudite et les États du Golfe. Pour récupérer le contrôle de la région et de ses matières premières, faire sauter un fusible comme Kadhafi était une option très envisageable. En Syrie, intervenir directement était une autre paire de manches. Les interventions n’étaient toujours pas finies en Irak et en Afghanistan que s’ajoutait celle de Libye, les divisions ethniques et religieuses plus fortes rendaient l’aventure extrêmement périlleuse, l’armée syrienne représentait une force d’un tout autre calibre et le régime disposait, comme aujourd’hui, d’alliés solides désireux de garder un pied dans la région (la seule base navale méditerranéenne russe est en Syrie).

    Mais si aucune intervention directe n’a eu lieu à l’époque, une aide matérielle, logistique et humaine est arrivée pour ‘‘soutenir’’ l’opposition (à partir des alliés de l’impérialisme américain à géométrie variable que sont l’Arabie Saoudite et le Qatar) et, surtout, pour assurer que la voie révolutionnaire soit déviée de cette manière. Les alliés saoudites et qataris ont cependant leurs intérêts propres, et ont fortement aidé au développement des forces fondamentalistes sur place. Il était devenu nécessaire que les Etats-Unis livrent eux-mêmes directement leurs armes afin de s’assurer eux-aussi une base de soutien (ce qui a – officiellement – commencé dès que l’accord de Genève a été conclu en septembre dernier).

    Une seule force favorable aux travailleurs et aux jeunes : eux-mêmes

    L’impact qu’aurait une intervention impérialiste directe en Syrie peut se mesurer à l’échec de l’intervention en Libye. Le peu d’infrastructures que possédait le pays ont été détruites par l’invasion et, plus de deux ans plus tard, des régions entières du pays restent incontrôlées, si ce n’est par des milices lourdement armées. Le conflit s’est, de plus, étendu au Mali.

    L’absence de perspectives d’un pouvoir alternatif stable pour l’impérialisme ainsi que le risque d’extension du conflit sont des dangers plus grands encore en Syrie. Le pays est devenu un terrain extrêmement complexe où se mêlent le Hezbollah libanais, l’Iran, la Russie et la Chine dans le camp pro-Assad et, d’autre part, Al Qaeda, l’Arabie Saoudite, le Qatar, la Turquie, l’Egypte (jusqu’au renversement des Frères Musulmans), les Etats-Unis et l’Union Européenne dans le camp de l’opposition. Chaque force en présence a également ses intérêts propres, sur fond de conflits entre sunnites (courant majoritaire de l’Islam) et chiites (courant minoritaire), de même qu’au sein de ces courants. Au Liban voisin déjà, les attentats meurtriers ont refait leur apparition. Le 15 août dernier, une bombe a explosé en plein fief du Hezbollah (chiite et pro-Assad), une attaque inédite dans un endroit aussi surprotégé. Une trentaine de personnes sont décédées et il y a eu plus de 300 blessés. Une semaine plus tard, deux mosquées sunnites ont explosé, causant 45 morts, avec une implication probable du régime syrien.

    Cependant, notre opposition résolue à toute intervention impérialiste ne nous place pas pour autant dans le camp de Bachar el-Assad ou dans celui de l’opposition syrienne de l’Armée Syrienne Libre (qui fourmillent d’anciennes figures du régime) ou des diverses forces djihadistes. Seule l’énergie des masses est en mesure de balayer à la fois l’impérialisme et les régimes réactionnaires de toutes sortes, pour autant qu’elles soient armées d’un programme et de méthodes capables de mobiliser par delà les divisions ethniques et religieuses.

    Cela ne saurait être possible que sur base d’un programme qui articule ses revendications autour de l’auto-défense des masses (à l’aide de la création de comités d’auto-défense non-sectaires et démocratiquement dirigés) en liaison avec la réponse aux questions sociales fondamentales (dans ce cadre, retirer les secteurs-clés de l’économie des mains des capitalistes pour les placer dans celles des travailleurs et des pauvres est un élément de première importance). A l’exemple de ce qui s’était développé de manière embryonnaire en Tunisie et en Egypte au début de la vague révolutionnaire, des comités de lutte et d’auto-défense ont le potentiel de constituer les germes d’un nouveau pouvoir basé sur la démocratie des travailleurs.

    L’ennemi de mon ennemi : un allié ?

    Dans le monde, nombreux sont ceux qui se sont réjouis de voir l’impérialisme américain si affaibli à travers le prisme de la crise syrienne. Au niveau interne, l’opposition à la guerre est tellement gigantesque (seuls 9% des Américains soutiennent une intervention) que les élus se sont retrouvés sous une pression monumentale, tant parmi les Républicains que parmi les Démocrates. Obama, en demandant le vote du Congrès, courait le risque d’essuyer le camouflet qu’a eu à subir le Premier Ministre britannique David Cameron, dont la volonté va-t-en-guerre a été bloquée par le Parlement, également sur fond d’une opposition massive dans la population.

    Il n’a du reste jamais été aussi difficile aux USA de réunir des alliés pour les accompagner dans une aventure guerrière. Seul le gouvernement français a clairement marqué son approbation, et le gouvernement turc semblait vouloir embrayer lui aussi. Mais, dans les deux pays, l’opposition aussi était de taille : 56% des Français et 72% des Turcs.

    A gauche, le principe ‘‘l’ennemi de mon ennemi est mon ami’’ garde toujours ses partisans, et c’est très certainement le cas vis-à-vis des Etats-Unis suite à la longue période de recul idéologique qui a suivi la chute de l’URSS combinée au statut de superpuissance hégémonique des USA depuis lors. Le courant dominant affirmant qu’il n’y avait pas d’alternative au capitalisme était très fort, et se limiter à l’anti-impérialisme et à une rhétorique ‘‘progressiste’’ où on parlait de société solidaire et non plus socialiste était une voie qui semblait plus facile à tenir. Certains avaient ainsi soutenu Ahmadinejad ‘‘l’anti-impérialiste’’ en Iran en 2009, allant jusqu’à déclarer que les mobilisations de masse étaient fomentées par la CIA… De façon similaire, nombreux sont ceux qui se sont fermement agrippés au prétexte de l’anti-impérialisme pour faire l’éloge de Bachar el-Assad, de son prétendu nationalisme progressiste et de sa prétendue lutte contre Israël en se cachant aussi derrière le soutien apporté à ce régime dictatorial par le Parti ‘‘Communiste’’ Syrien (membre du Front National Progressiste, le pilier du règne du parti Baath d’Assad).

    En Belgique, le PTB et le Parti Communiste Wallonie-Bruxelles ont ainsi signé une déclaration opposée à une intervention militaire impérialiste en Syrie qui ne dit pas un mot sur la nature du régime syrien. Leur signature se trouve aux côtés de 63 Partis ‘‘Communistes’’, dont le Parti Communiste Syrien pro-Assad. Si nous comprenons bien le sentiment d’urgence que peut provoquer la menace d’une intervention, nous trouvons extrêmement dommageable pour le développement du mouvement anti-guerre de laisser le moindre espace aux forces pro-Assad, notamment dans l’émigration. Des incidents de cet ordre avaient d’ailleurs eu lieu lors d’un rassemblement anti-guerre à Bruxelles où, sur base d’une plateforme qui entretenait le flou concernant l’attitude à adopter face à la dictature, étaient intervenus des militants pro-Assad, qui s’en sont d’ailleurs pris physiquement à ceux qu’ils jugeaient trop critiques. Il est impossible de renouer avec la tradition d’un mouvement anti-guerre massif dans de pareilles conditions.

    Armer l’opposition ?

    Une autre approche, mais tout aussi erronée, est de soutenir les rebelles syriens en entretenant le flou sur leur caractère et les méthodes de soutien. Nous avons ainsi été extrêmement surpris de lire un communiqué de presse du NPA français (Nouveau Parti Anticapitaliste) où Olivier Besancenot demandait que la France ‘‘donne gracieusement des armes aux révolutionnaires syriens’’ tout en précisant… qu’il ne faisait ‘‘pas confiance’’ à l’Etat français ! Bien que précisant qu’il ne fallait pas que les armes finissent chez des djihadistes, il demandait tout de même : ‘‘qui peut avoir la légitimité de décider à la place des autres ?’’ En Belgique, cette approche est partagée par la LCR qui affirme que ‘‘le peuple syrien a besoin que des armes soient livrées aux forces de la rébellion’’. Mais qui livrerait ces armes ? Et à quel prix politique ? Nous pensons que le droit des peuples à décider d’eux-mêmes ne nous empêche pas d’être plus précis quant à l’orientation à donner à la lutte.

    Encore une fois, nous comprenons tout à fait où peut conduire le sentiment d’urgence, mais cette analyse des évènements avant tout ‘‘militaire’’ nous semble très insuffisante. Seules les méthodes de masse basées sur un programme de rupture avec le régime et ses bases économiques peut réunir au-delà des frontières confessionnelles, jusqu’à provoquer des ruptures au sein de l’armée. La meilleure manière de lutter contre les tanks d’Assad est d’œuvrer à les retourner contre lui.

    Les forces capables de défendre ce programme et ces méthodes en Syrie peuvent bien être limitées pour l’instant, pour autant qu’elles soient déjà organisées, mais il ne faut pas non plus oublier le contexte régional de révolution et de contre-révolution dont est issue la révolte syrienne de 2011. Dernièrement encore, plus d’un million de personnes ont manifesté dans les rues voisines de Turquie contre le gouvernement Erdogan, et là aussi le génie des mobilisations de masse est sorti de sa lampe.

    A ce titre, un programme et une approche internationalistes conséquents doivent être défendus dans toute la région, notamment en Tunisie et en Egypte où, si des dictateurs ont pu tomber, le pouvoir reste toujours aux mains de la même élite. Toujours sous l’argument de ‘‘l’ennemi de mon ennemi’’, en Tunisie, la direction du Front Populaire – appuyée d’ailleurs par certains partisans de l’organisation internationale de la LCR (le Secrétariat Unifié de la Quatrième Internationale, dont est également membre Besancenot) ainsi que par le Parti des Travailleurs de Tunisie (PTT, partenaire privilégié du PTB dans le pays) – a conclu un accord contre Ennhada, le parti islamiste au pouvoir, avec Nidaa Tounes, le parti laïc pro-capitaliste où se sont réfugiés nombre d’anciens laquais du dictateur Ben Ali. C’est la meilleure manière de démoraliser et de désorienter les travailleurs et les jeunes, tout en laissant à Ennhada et ses alliés l’argument que ce sont eux les vrais révolutionnaires, car ils ne sont pas alliés aux forces de l’ancien régime.

    Une perspective socialiste

    La crise du capitalisme, la perte d’autorité des élites et la riposte des masses en défense de leurs conditions de vie et pour gagner de nouveaux droits ouvrent de nouvelles perspectives pour que les idées socialistes gagnent une échelle de masse. Mais les millions de travailleurs et de jeunes qui sont aujourd’hui à la recherche d’une alternative et d’une méthode de lutte ont encore à faire leur expérience et à combler le fossé entre l’état de conscience général actuel (héritage des 20 dernières années de règne du néolibéralisme tout autant que des trahisons du stalinisme et de la social-démocratie) et les tâches qu’exige le renversement du capitalisme. Les forces de gauche doivent aider à faire avancer ce processus, et donc honnêtement tirer le bilan de leurs analyses passées et présentes.

    C’est dans ce cadre que le Comité pour une Internationale Ouvrière déploie son activité dans plus d’une quarantaine de pays, notamment dans cette région, afin de construire un instrument révolutionnaire international où se partagent les leçons des luttes passées et présentes afin de mieux coordonner le combat contre cette société capitaliste putride et construire une société débarrassée de la misère, de la guerre et de l’exploitation, une société socialiste.

  • Syrie : La Russie fait une proposition concernant les armes chimiques

    La campagne anti-guerre doit se maintenir : NON à toute intervention impérialiste !

    Alors que le sommet du G20 qui se tenait en Russie prenait fin, les diverses puissances capitalistes internationales étaient divisées en deux camps opposés concernant l’opportunité de lancer une attaque militaire en Syrie. Pendant ce temps, la volonté guerrière d’Obama rencontrait une forte opposition au sein des deux principaux partis politiques américains.

    Judy Beishon, Socialist Party (CIO-Angleterre et Pays de Galles)

    Aux USA, les membres du Sénat et de la Chambre des représentants étaient sous la forte pression de l’opinion publique, largement opposée à une intervention militaire. Il était bien incertain qu’Obama puisse obtenir l’approbation qu’il souhaitait. Les dirigeants du parti Républicain étaient divisés entre un ‘‘réalisme prudent’’ à l’instar du sénateur Rand Paul et l’interventionnisme agressif de l’ancien candidat républicain à l’élection présidentielle John McCain.

    Les Démocrates, quant à eux, désirent éviter d’endommager la réputation d’Obama en votant contre lui, mais nombreux sont ceux qui craignent les conséquences qu’auraient un ‘‘oui’’. Pour Obama, perdre cette consultation constituerait un puissant coup porté à son prestige, à l’image de ce qu’a subi David Cameron face au refus du Parlement britannique. Voilà ce qui explique le changement d’attitude du gouvernement américain, vers d’éventuelles négociations concernant une supervision internationale des stocks d’armes chimiques syriens.

    Face à une défaite possible au Congrès américain, il semble bien qu’Obama ait reçu une bouée de sauvetage politique inattendue de la part de son homologue russe Vladimir Poutine. Poutine a proposé que le régime syrien place ses armes chimiques sous la supervision des Nations Unies afin d’éviter les frappes aériennes sous commandement américain contre les bases militaires du régime syrien.

    Une agression impérialiste n’est toutefois pas encore définitivement hors de vue. Tôt ou tard, en fonction des événements, il n’est pas exclu que David Cameron fasse par exemple son retour sur cette question en obtenant le soutien de dirigeant travailliste indécis Ed Miliband, dans l’opposition. La campagne anti-guerre doit être maintenue, avec l’implication de syndicalistes, de militants marxistes et autres. Il reste toujours d’actualité de clamer haut et fort : non à toute intervention impérialiste en Syrie ! Mais il faut aller plus loin.

    La machine de propagande est lancée

    Dans sa tentative de gagner un soutien aux Etats-Unis, la machine de propagande d’Obama a été utilisée à plein régime, notamment en utilisant des vidéos d’images de victimes d’attaques de gaz chimiques réunies par l’opposition syrienne et la CIA. Ces images sont horribles, mais la question de savoir qui est véritablement responsable de ces actes reste en suspend, qu’il s’agisse de Bachar Al-Assad, de commandants militaires agissant sans son approbation (comme le rapporte le journal allemand Bild, en affirmant se baser sur des écoutes de l’armée allemande) ou des forces d’opposition.

    De toute manière, la possibilité d’une attaque occidentale n’est pas fondamentalement basée sur l’emploi d’armes chimiques. Dans une lettre publiée par le Times le 5 septembre dernier, Lord Lamont (ancien ministre conservateur de Margareth Thatcher et de John Major) a rappelé qu’en 1988, l’Occident a fermé les yeux lorsque Saddam Hussein a utilisé du gaz moutarde et du gaz sarin contre les troupes iraniennes, tuant ainsi 20.000 personnes. Il a ajouté : ‘‘Un récent article paru dans le magazine US Foreign Policy a affirmé que les responsables américains qui ont donné connaissance à l’Irak des mouvements de troupes iraniennes savaient que des armes chimiques seraient utilisées contre eux.’’

    Aucun missile américain n’empêchera que de armes chimiques soient à nouveau utilisées, ne tombent dans les mains de terroristes ou soient cachées ailleurs. Une attaque américaine ne constituerait rien d’autre qu’un acte sanglant destiné à défendre le prestige de la classe dirigeante américaine aux Etats-Unis et dans le monde et à protéger ses intérêts au Moyen-Orient, après qu’Obama ait imprudemment déclaré que l’utilisation d’armes chimiques serait une ‘‘ligne rouge’’.

    D’autres répercussions seraient inévitables, comme de possibles attaques contre des bases américaines dans la région, des tirs de roquettes contre Israël, des attentats terroristes aux États-Unis et dans ses pays alliés ou encore une perturbation de l’approvisionnement en pétrole. Les tirs de missiles américains renforceraient également la perspective d’une escalade du conflit syrien et de sa propagation dans les pays voisins. Il y aurait également plus de réfugiés, alors que leur nombre atteint déjà le total phénoménal de six millions de personnes, à l’intérieur et à l’extérieur de la Syrie.

    Toute l’ironie du sort est que la population syrienne pourrait bien plus courir le risque d’être victime d’armes chimiques dans le cas de frappes américaines. Il a ainsi été prouvé que les frappes aériennes américaines contre les usines d’armes chimiques de Saddam Hussein lors de la guerre du Golfe de 1991 n’ont pas détruit le gaz sarin mortel qui était visé, mais l’ont simplement répandu jusqu’à 600 km des bases militaires détruites.

    Les masses voient à travers les projets des gouvernements

    Ce qui se cache réellement derrière ‘‘l’humanitarisme’’ affiché par les gouvernements occidentaux afin de s’assurer le soutien de leur opinion publique est visible aux yeux de la majorité de la population des divers pays. Le soutien indéfectible des impérialistes occidentaux aux élites dirigeantes arabes répressives et dictatoriales ; le massacre de civils irakiens ; le soutien aux assauts du régime israélien contre Gaza ; l’assassinat de civils par des drones américains au Pakistan, en Afghanistan et au Yémen ; leur acceptation de la répression de l’armée en Egypte et beaucoup d’autres exemples illustrent que ces puissances savent soutenir une infâme brutalité lorsque cela leur convient.

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    Simplement s’opposer à l’intervention impérialiste est insuffisant, cela laisse la porte ouverte à un soutien au dictateur Assad. Pire, certains vont jusqu’à défendre l’idée erronée selon laquelle ‘‘les ennemis de nos ennemis sont nos amis’’. Il n’est pas non plus possible de prendre parti pour le camp des rebelles, liés soit à l’islam politique réactionnaire, soit à d’anciens dirigeants du régime. Chacune de ces forces défend des intérêts liés à l’exploitation et à l’oppression des masses. Notre seul camp, c’est celui de notre classe, celle des travailleurs, des jeunes, des opprimés ! Nous devons encourager son auto-organisation !

    Cette tâche est immense, mais la Syrie n’est pas isolée du reste du monde : les processus révolutionnaires sont contagieux et avancent par vagues. Les luttes de masse en Tunisie et en Egypte s’orientent vers la chute du système lui-même et pas seulement vers celle d’un gouvernement capitaliste autoritaire qui sera remplacé par un autre. La construction d’un rapport de forces vers un régime basé sur la satisfaction des besoins des masses aura ses répercussions sur la Syrie et ailleurs. L’élément crucial sera la construction d’instruments de lutte (comités, syndicat et parti) afin d’unir et de défendre les travailleurs et les pauvres par-delà leur religion ou leur ethnie.

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    Pour éviter de subir des pertes humaines et de s’embourber dans une intervention prolongée, les éventuelles frappes américaines prendraient très probablement la forme de missiles tirés à distance plutôt que de bombardements aériens. Cela endommagerait inévitablement les forces armées d’Assad, mais la Russie peut toujours le ravitailler, et sa supériorité militaire sur l’opposition syrienne pourrait être maintenue. Bachar Al-Assad profiterait en outre du ‘‘statut de victime’’, en particulier parmi sa base de soutien syrienne, russe et chinoise.

    La guerre civile en Syrie a engendré une dynamique horrible de régulières atrocités, et ce des deux côtés. En laissant faire le régime vicieux d’Al-Assad et les capitalistes en herbe de l’opposition (et ses nombreuses nuances de division et de sectarisme), la guerre est susceptible de perdurer jusqu’à ce que les deux côtés aient utilisé jusqu’au bout leurs capacités militaires.

    Beaucoup de puissances capitalistes étrangères se sont mêlées de ce conflit avec leurs prétendues ‘‘solutions’’ qui, toutes, illustrent leur faillite à offrir une solution capable de mettre un terme au cauchemar des masses syriennes.

    Seule la construction d’organisations non-sectaires basées sur la force des travailleurs, démocratiquement gérées et coordonnées les unes les autres peut montrer une voie de sortie qui ne soit pas un cul-de-sac. Ces instruments de lutte auraient également besoin d’organiser une résistance armée des masses tant contre les forces du régime d’Al-Assad que contre toutes les milices dirigées par des forces réactionnaires motivées par le profit personnel, la division religieuse ou ethnique, et la vengeance.

    Cette unité des travailleurs pourrait se développer grâce à l’attraction d’un programme de rupture anticapitaliste et socialiste posant clairement la question de la propriété collective des secteurs-clés de l’économie, dans le cadre d’une planification économique démocratiquement élaborée et visant à éliminer l’exploitation et la pauvreté.

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