Your cart is currently empty!
Tag: Égypte
-
Stop à la guerre à Gaza
Déclaration traduite de l’hébreu publiée le 30 décembre par le Mouvement Socialiste de Lutte (Tnu`at Maavak Sotzyalisti / Harakat Nidal Eshteraki – CIO – Israël), dans le contexte d’une vague réactionnaire très forte de militarisme et de nationalisme parmi les Juifs israéliens.
Tnu`at Maavak Sotzyalist (CIO-Israël)
Version PDF de cette déclaration
Des centaines de morts, des milliers de blessés et toujours pas de réelle sécurité pour les Israéliens ou les Palestiniens.
Les centaines de tués de ces derniers jours ne vont pas apporter la paix, mais plus de fureur et de morts. Tnu’at Maavak Sozialisti (Harakat Eshteraki Nidal) s’est toujours opposé aux tirs de roquettes Qassam ainsi qu’aux attentats contre les familles des travailleurs et des pauvres en Israël, dans les territoires palestiniens et dans le Moyen-Orient. L’offensive actuelle n’est nullement une action défensive et n’a pas pour objectif d’apporter la tranquillité aux résidents du sud d’Israël. Comme lors de la deuxième guerre du Liban, à laquelle nous nous sommes également opposés, nous ne parlons pas seulement d’une absence de solution, mais aussi d’une exacerbation des problèmes. Le gouvernement actuel est responsable de l’escalade actuelle et de ses conséquences. Cette offensive ne va pas apporter de solution et démontre une fois de plus que le principal danger pour la sécurité des habitants d’Israël et de la région provient de l’élite dirigeante israélienne.
Avec plus de 365 Palestiniens tués, 1.600 blessés, et 4 Israéliens, juifs et arabes, tués, c’est la plus grande offensive aérienne de tous les temps dans les territoires palestiniens. Les dix premières heures de l’attaque ont vu des dizaines de milliers de tonnes d’explosifs s’abattre sur Gaza. Le gouvernement et l’armée savaient très bien que les tirs de projectiles – dont peu sont de véritables missiles – augmenteraient en réponse à l’attaque Ils avaient même estimé que le nombre de tirs atteindrait les 100 par jour durant l’opération. Comme c’était à prévoir, l’offensive sème la colère dans toute la région entière et exacerbe la polarisation nationale entre les Juifs et les Arabes.
Le véritable but de l’offensive n’est pas de ramener le calme, tout comme ce n’était pas le but de l’opération "Hiver chaud" en février 2008 ou lors de la précédente guerre de Gaza (l’opération "Pluie d’été") menée parallèlement à la seconde guerre du Liban. Nous nous étions également opposés à ces attaques qui avaient fait 550 tués. Maintenant comme alors, la guerre n’est que la poursuite de la politique du gouvernement par des moyens militaires. Le but de l’attaque n’est pas de mettre fin aux tirs de projectiles, mais de déstabiliser le gouvernement Hamas de la bande de Gaza, tout en donnant l’impression que le gouvernement fait des efforts pour trouver une solution à ces tirs. Pour l’élite israélienne, les jeux de prestige vis-à-vis du Hamas sont plus importants que la sécurité des résidents du sud d’Israël, qu’ils utilisent comme otages. Tout cela s’effectue sous le couvert de la période électorale en Israël et de la période de transition entre les gouvernements aux USA. Il s’agit aussi d’effacer l’image de défaite qui colle au gouvernement depuis la deuxième guerre du Liban. En même temps, cela démontre la détermination de l’élite à engager une autre confrontation sanglante avec l’Iran et le Hezbollah.
Une guerre avant les élections est une tactique classique employée par des gouvernements en faillite. Ce gouvernement a été impliqué dans des opérations militaires sanglantes et de grande ampleur. Il lance maintenant une autre opération militaire conçue pour sauver « Kadima » et « `Avodah » de leur effondrement dans les sondages en compromettant la sécurité des habitants de la bande de Gaza, de Sderot, d’Ashkelon, de Netivot, et des autres villes dans la région.
Le millionnaire ministre de la Sécurité Barak a déjà annoncé qu’il arrêtait sa campagne électorale, ce qui n’est pas étonnant parce qu’il comprend parfaitement que la campagne militaire forge sa propre campagne électorale. Tous les partis de l’establishment profiteront à court terme du prestige de l’initiative militaire, exploitée également pour détourner l’attention de la crise économique mondiale. Aucun des partis de l’establishment, qui soutiennent tous le capitalisme, n’a de solution pour la sécurité d’emploi et les conditions de vie des travailleurs. Ils n’ont pas davantage de solution au conflit israélo-palestinien et aux problèmes qu’il entraine.
L’opération militaire a reçu comme de coutume un nom cynique – « Plomb durci » qui provient d’une chanson de Hanukah – comme si des éléments de l’élite israélienne ne voyaient dans cette opération pas beaucoup plus qu’un jeu ou une aventure. Cette aventure militaire a déjà exigé un lourd tribut en vies humaines – dès les premières heures, le nombre de morts a dépassé celui des Israéliens tués par tous les projectiles lancés de la bande de Gaza jusqu’à maintenant.
Malheureusement, cette aventure n’est pas finie, le gouvernement refuse tout cessez-le-feu et n’exclut pas d’ouvrir un autre front contre le Hezbollah au Liban. Des milliers de réservistes ont déjà été mobilisés par des décrets d’urgence. L’offensive va se heurter à des difficultés et ne fera qu’aggraver les problèmes dans le Moyen-Orient. Comme Barak l’a déclaré: "Ce ne sera pas facile, et ce ne sera pas court."
Le gouvernement a saboté la « trêve »
Le gouvernement israélien a refusé de renforcer la ‘trêve’ et de la transformer en cessez-le-feu véritable, ce qui aurait au moins amélioré la vie quotidienne des Israéliens et des Palestiniens, sans même parler de toute prise réelle d’une initiative pour en finir avec le conflit israélo-palestinien, ce que le gouvernement est incapable de faire. Bien au contraire, pendant les mois de ‘trêve’, le gouvernement a continué ses actions provocatrices – comme par exemple le 4 novembre, le jour des élections aux USA, où des bombardements aériens ont eu lieu. Comme Barak le dit maintenant, l’opération militaire a été prévue en détail pendant ces mêmes mois. En Cisjordanie et dans la bande de Gaza, les opérations militaires ont continué. Le gouvernement a refusé de procéder à un échange complet de prisonniers, ce qui aurait pu aussi rendre le soldat captif Shalit à sa famille.
Au cours de la période de ‘Trêve’, le siège économique et militaire de la bande de Gaza a continué, avec la collaboration des grandes puissances, de l’Egypte, du Fatah et du reste des régimes de la Ligue Arabe. La plupart protestent maintenant hypocritement contre le massacre. Abbas (Abou-Mazen) et le régime dictatorial de Moubarak en Egypte ont même surpassé les autres quand ils ont donné un appui implicite à l’attaque d’une manière bien plus prononcée que certains des régimes arabes l’avaient fait au début de la deuxième guerre du Liban. La ministre des affaires étrangères, Livni, a été invitée lors d’une visite spéciale au Caire deux jours avant la guerre.
Cette collaboration a exaspéré les masses arabes au Moyen-Orient. Elle a augmenté la haine des régimes corrompus de la Ligue Arabe qui, comme le régime corrompu d’Israël, n’agissent pas pour servir les travailleurs et les pauvres, mais pour les exploiter et de les réprimer. La colère qui éclate maintenant pourrait précipiter la fin du régime affaibli de Moubarak en Egypte et affaiblir encore plus Abbas qui apparait comme une marionnette du gouvernement israélien. La nouvelle situation fait des pourparlers d’Annapolis une farce encore plus grotesque. Ces négociations de paix avaient été suspendues à cause de la guerre et n’ont jamais été prises au sérieux, que ce soit en Israël, dans les territoires palestiniens ou dans le reste du monde.
Depuis le retrait des colonies et de l’armée de la bande de Gaza en 2005, l’élite israélienne a continué dans la pratique à dominer le territoire comme si c’était une gigantesque prison. Après la victoire du Hamas aux élections pour le Conseil Législatif Palestinien, l’élite israélienne avait augmenté ses attaques contre les habitants avec le soutien des grandes puissances. Le Hamas avait remporté les élections en raison de la colère qui vit contre les chefs corrompus du Fatah et dans la perspective de l’échec des organisations palestiniennes, qui se sont par le passé qualifiées de socialistes.
Le Hamas est, naturellement, loin d’être un mouvement socialiste et est également une barrière dans la lutte des masses palestiniennes pour la libération nationale car il ne propose pas de stratégie pour une solution sérieuse aux problèmes qui se posent aux masses palestiniennes. Il est incapable de construire un soutien parmi les travailleurs et les pauvres israéliens à qui il nuit. Néanmoins, le Hamas est renforcé en raison de la corruption et de la trahison du Fatah ainsi que des actions du gouvernement israélien. La majorité des Palestiniens, comme des Israéliens, en a assez des grandes partis politiques existant actuellement et il y a un grand besoin d’une alternative.
Juste avant la guerre, le gouvernement avait cyniquement pris la crise humanitaire sous sa responsabilité et temporairement ouvert le passage des frontières à l’arrivée de nourriture et de médicaments. Les généraux et les politiciens de tous les partis de l’establishment israéliens justifient la politique de punition collective contre les habitants de la bande de Gaza comme une réponse aux tirs de roquettes contre les habitants israéliens des villes proches de la bande de Gaza. C’est une autojustification hypocrite. Le même gouvernement et les mêmes militaires jouent cyniquement avec les peurs, les soucis et la détresse des résidants du Negev occidental, ils ne proposent qu’une détérioration du problème et un approfondissement du conflit.
Le prix du conflit est finalement payé par la masse des familles des travailleurs et des pauvres israéliens et palestiniens, et pas par l’élite de décideurs qui tirent profit la plupart du temps du conflit national. Les tirs de roquettes sont juste le symptôme d’une situation dont le responsable en chef est l’élite israélienne, même si les fonctionnaires du ministère des Affaires Etrangères et les journalistes travaillent vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour brouiller ce fait. le nombre de victimes de chaque côté témoigne tous les ans du point auquel le conflit pour la terre est loin d’être symétrique.
Durant des années, la politique gouvernementale avait imposé une occupation et une oppression systématique des masses palestiniennes par des moyens innombrables comprenant des démolitions, la famine et la tuerie. Au cours de ces derniers mois, le gouvernement a choisi de priver les habitants de la bande de Gaza de sorte que la grande majorité d’entre eux souffre de pauvreté extrême et manque de tout pour vivre, de nourriture comme de médicaments et d’électricité. Naturellement, cette situation entraîne l’opposition. Tant que il y aura une oppression nationale, le conflit national et le carnage continueront.
Le conflit est en dernière instance un problème social
Il y a des organismes palestiniens religieux de droite, tels que le Hamas, qui essayent de concurrencer Israël dans le massacre de civils, même si c’est à une échelle de beaucoup inférieure à ce dont est capable le gouvernement israélien, afin de donner l’impression qu’ils mènent une lutte contre ces attaques. En réalité, les tirs de roquette sont simplement une méthode de vengeance qui, à cause du désespoir et de la faim, obtient parfois un soutien parmi les Palestiniens. Les tirs de roquettes sont certainement incapables de casser la politique du siège (à la différence de l’évasion de masse de la frontière égyptienne) ou de nuire à l’oppression militaire. Cela nuit simplement à des civils autour des frontières de la bande de Gaza. C’est un cadeau politique fait à l’establishment capitaliste israélien qui emploie traditionnellement le conflit et la question de la sécurité afin d’augmenter son soutien. Le même soutien est chroniquement miné en raison de leurs attaques économiques continuelles sur les travailleurs et les pauvres en Israël ainsi qu’en raison des problèmes sociaux qui en résultent.
C’est également la raison pour laquelle la propagande de l’establishment fait un effort en créant une séparation artificielle entre les problèmes sociaux et les problèmes de sécurité. Mais le conflit israélo-palestinien est également un problème social brûlant, et on ne doit pas se baser sur ces mêmes partis qui mènent ou soutiennent la guerre économique contre la majorité des Israéliens pour ne s’inquiéter des intérêts de la population que pour les questions de sécurité. Aucun des partis de l’establishment n’a de solution au conflit et aux problèmes qu’il crée.
C’est également pourquoi les partis de l’establishment sont côte à côte en temps de guerre et ne proposent pas rien comme alternative. Les partis soi-disant en opposition participent à une coalition élargie, juste comme ils le font de façon plus cachée pour les sujets économiques. Ainsi, il était possible de voir Benjamin Netanyahu du Likoud et Haim Oron de Meretz parlant d’une même voix. La presse de l’establishment forme également un chœur pour féliciter l’attaque et souligne son rôle comme chien de garde de l’establishment capitaliste et de ses guerres.
Meretz, qui se décrit en tant qu’élément du ‘Camp de la paix’, a réclamé une action à Gaza avant même la guerre, comme il avait à l’époque soutenu la deuxième guerre du Liban. Il a même reçu des notes préliminaires du gouvernement au sujet de l’attaque. Afin d’essayer de gagner des voix du Parti Travailliste, Meretz continue à remplir son rôle historique, en soutenant une politique gouvernementale destructive et nocive pour les Juifs et les Arabes.
Une Alternative Socialiste
La sécurité des Juifs israéliens ne pourra jamais être réalisée aux dépens de la sécurité des autres populations de la région. Les travailleurs et les pauvres, Juifs comme Palestiniens, partagent les mêmes intérêts et les mêmes aspirations à une réelle sécurité ainsi qu’à une paix durable. Afin d’arrêter les bombardements et toutes les méthodes d’oppression utilisées contre les masses palestiniennes, il faut un large mouvement social sur le terrain pour les combattre et pour mettre en avant une alternative à la guerre permanente et aux bains de sang interminables. Les organisations ouvrières, y compris Histadrut, doivent contribuer à la construction d’un tel mouvement, et cela dans l’intérêt général des travailleurs.
Le manque d’un tel mouvement, un mouvement ouvrier solide, un grand mouvement socialiste composé des travailleurs juifs et arabes, en Israël comme dans les Territoires Palestiniens, fait en sorte que des tas de familles de travailleurs et de pauvres sont victimes d’événements sur lesquels elles n’ont pas le moindre contrôle. Actuellement, la classe ouvrière n’est pas réellement organisée. Si la population était organisée d’une telle manière, la majorité de l’opinion publique juive-israélienne ne serait pas désespérée au point d’accepter les prétendues propositions sécuritaires du gouvernement. Le fait que la majorité les soutient est dû au fait qu’elle n’a pas de réponses à la question : « Qu’est-il possible de faire dès maintenant afin d’améliorer la situation ? » Comme cela a été dit, le gouvernement aurait pu faire beaucoup d’autres choses, mais a finalement choisi l’attaque.
S’il y avait un mouvement socialiste large et organisé, il aurait été possible de forcer le gouvernement à instaurer un réel cessez-le-feu, à faire cesser le siège et l’oppression de la population palestinienne, et à procéder à un échange complet de prisonniers. Un large mouvement socialiste devrait se mettre en place aussi bien dans les Territoires Palestiniens qu’en Israël, afin d’offrir une véritable alternative aux grands partis politiques existants et de mener une lutte pour cesser les bombardements ainsi que tous les actes d’agression contre les masses palestiniennes de la part du gouvernement israélien.
En l’absence d’un mouvement socialiste large réunissant les Juifs et les Arabes en Israël et dans les Territoires Palestiniens, d’autres forces politiques qui n’ont rien d’autre à offrir qu’une intensification du conflit vont se renforcer, comme cela s’est déjà produit ces dernières années. Cependant, il y a des mesures urgentes qui peuvent et doivent être prises afin d’établir la base pour la construction d’un tel mouvement. Le mouvement anti-guerre doit être élargi autour de la revendication d’une solution alternative qui procurerait une paix et une sécurité réelles aussi bien aux Palestiniens qu’aux Israéliens. Les manifestations communes des Juifs et des Arabes contre la guerre doivent être renforcées, avec une opposition implacable à toute forme de répression des manifestations ou protestations contre la guerre, avec un soutien au droit à l’autodéfense des manifestants attaqués, et avec une opposition claire aux provocateurs et aux autres forces qui tentent de détourner la lutte contre les résidents eux-mêmes.
Une autre mesure à prendre en vue de la construction d’un mouvement large est d’organiser une discussion sur l’offensive militaire israélienne et ses conséquences dans toutes les organisations ouvrières, les organisations étudiantes, les communautés de quartier et toutes les formations qui luttent pour un changement social et pour la défense des travailleurs et des pauvres – et cela inclut “City for all of us” à Tel Aviv et l’organisation “Power to the workers”. Il est important que dans ces réunions, une discussion soit tenue entre travailleurs et activistes juifs et arabes, dans le but d’arriver à une analyse commune de la situation actuelle, de trouver des solutions communes , d’organiser l’élargissement des protestations contre la guerre et, dans la mesure du possible, de diffuser une condamnation publique contre la guerre.
Le groupe "Kol Akher" (L’Autre Voix), qui a été mis sur pied par des dizaines de résidents israéliens et palestiniens du Négev occidental et de la bande de Gaza, montre ce que les résidents peuvent faire, avant même qu’un mouvement social large ne soit établi et même dans le but de construire un tel mouvement. Ce groupe est maintenant en train de mener campagne pour un nouveau cessez-le-feu et contre la guerre, et des centaines de résidents du Sud de l’Israël ont déjà signé leur pétition. Le groupe organise des discussions directes entre Israéliens et Palestiniens, ce qui est particulièrement significatif vu le niveau d’incitation à la haine et à la division alimentées par les canaux d’information officiels.
Le but des discussions directes est d’arriver à une compréhension des intérêts communs, et de trouver une solution saine. Le groupe des "Combattants pour la Paix" (qui regroupe d’anciens soldats et Palestiniens qui ont pris une part directe dans la lutte contre l’occupation), organise aussi des réunions et des dialogues similaires. Un mouvement socialiste large pourrait faire avancer la discussion à une échelle bien plus large, dans le cadre de comités de paix et de réconciliation, et pourrait ouvrir des discussions formelles sur les questions de sécurité et sur les « questions-clés » du conflit.
Aussi bien en Israël que dans les Territoires Palestiniens, il y a un besoin urgent de larges partis socialistes pour la classe ouvrière et les pauvres qui pourraient diriger un tel mouvement, comme partie intégrante de la lutte pour renverser le capitalisme en Israël, dans les Territoires Palestiniens et au Moyen-Orient et pour établir un Israël socialiste côte-à-côte avec une Palestine socialiste indépendante, lesquels s’intègreraient dans une fédération démocratique et socialiste de la région.
Les manifestations contre la guerre subissent une lourde répression
Beaucoup de manifestations contre la guerre se sont déroulées dans beaucoup de villes en Israël, en Cisjordanie et dans le Moyen-Orient, certaines avec des participations massives. Dans la bande de Gaza, les manifestants sont parvenus à nouveau à ouvrir une brèche dans la frontière avec l’Egypte dans une tentative justifiée de briser le siège, mais ils ont rencontré le tir des gardes frontière égyptiens. Le Comité Suprême Arabe en Israël a déclaré une grève commerciale et une grève semblable a été déclarée en Cisjordanie. Des manifestations en Cisjordanie et à Jérusalem ont été férocement réprimées. Sous le couvert de la guerre, la police et les militaires augmentent leurs moyens de répression : au village Ni lin en Cisjordanie, par exemple, deux manifestants ont été tués par des tirs. A toutes les universités israéliennes, les manifestants ont été dispersés par la police anti-émeute.
La répression des manifestations est accompagnée d’intensives incitations anti-arabe dans les médias de l’establishment, qui soutiennent la répression et décrivent les manifestations comme des troubles de l’ordre public. L’establishment entier est enrôlé afin de faire taire l’opposition et les protestations. L’extrême-droite relève la tête et avec elle les appels racistes pour attaquer les droits démocratiques des citoyens palestiniens en Israël.
Dans le contexte de cette atmosphère super-militariste, une pression est également exercée sur les luttes des travailleurs. Le comité des travailleurs à l’Israeli Electric Corporation, par exemple, a suspendu la lutte des travailleurs contre les attaques qui suivent le début de la guerre.
À Tel Aviv, le samedi soir, des centaines de militants juifs et arabes – comprenant des membres de Tnu’at Maavak Sotzyalisti – ont manifesté devant le ministère de la Sécurité. Nos camarades ont crié des slogans tels que le "Barak : ministre de la Sécurité, vous n’achèterez pas la loi avec du sang", " Juifs et Arabes refusent d’être ennemis", "On fait couler le sang pour le prestige des ministres", "Aucune paix, aucune sécurité, ne démantèlent la loi du Capital", "De l’argent pour l’enseignement et les emplois, pas pour la guerre et l’occupation", "Le gouvernement a créé un désastre à Gaza et à Ashkelon", "À Gaza et à Sderot, les enfants veulent vivre", "Plus de murs et d’abris – dialogues entre résidants", et d’autres encore.
La conférence Socialisme 2008, organisée par nous un jour avant l’attaque, a été suivie par des dizaines de participants, y compris des résidants du Negev occidental tout comme des dirigeants de premier plan de travailleurs récemment en lutte. Lors de ce meeting, nous avons averti des dangers de la politique sécuritaire des partis gouvernementaux et de l’establishment et avons aussi averti qu’on ne peut pas faire confiance aux partis qui ne fournissent pas de sécurité économique pour fournir sécurité en cas de guerre et de terreur. Les lois du capital n’apporteront pas une vraie paix ou une vraie sécurité. Lors de ce meeting, l’organisation a exprimé sa solidarité avec les familles juives et arabes qui subissent cette situation, à Sderot, à Ashkelon, dans la bande de Gaza et les autres villes à proximité.
Les journaux rapportent déjà la colère croissante des gens dans le Negev occidental concernant les conditions de vies très basses. De façon comparable à l’atmosphère qui a accompagné la deuxième guerre du Liban, la vague nationaliste diminuera, au fur et à mesure où les gens se rendront compte qu’ils sont trompés. Mais sans un large mouvement socialiste capable de proposer une alternative politique, il y a également des chances que les populistes de droite tels que Lieberman réussissent à exploiter la colère contre l’élite et sortent renforcés. C’est, naturellement, un vrai danger, et c’est une autre raison pour laquelle le besoin de construire un mouvement est un besoin critique.
Le Mouvement Socialiste de Lutte appelle à:
- Une fin immédiate aux bombardements ainsi qu’au reste des opérations militaires dans la bande de Gaza, et une pleine compensation financière du gouvernement israélien aux familles des victimes des deux côtés de la barrière
- Un cessez le feu immédiat et complet qui comprend la fin du siège économique et financier des habitants de la Bande de Gaza et la fin des opérations militaires dans les Territoire Palestiniens, Stop aux tirs de roquette contre les habitants du Sud de l’Israël
- Continuer les manifestations communes de Juifs et Arabes contre la guerre à Gaza, contre la séparation nationale, contre le conflit et contre l’extrême-droite
- La fin de la répression policière et militaire du droit de manifester et à la fin des incitations anti-Arabes institutionnalisées, nationalistes et racistes
- La fin des jeux sur la peur des gens en Israël par l’establishment capitaliste, à la fin de l’instrumentalisation de la vie des habitants à des fins électorales et à la fin du recours aux soldats comme chair à canon.
- La fin des aventures militaires de l’élite dirigeante et de ses tentatives de cacher les problèmes politiques et sociaux de cette manière
- Un échange de prisonniers complet qui inclut la libération du soldat Gilad Shalit
- Un dialogue direct entre habitants israéliens et palestiniens, à un renforcement des liens entre travailleurs et organisations sociales des deux côtés de la division nationale
- La construction de larges partis socialistes composés des travailleurs, tant en Israël que dans les Territoires Palestiniens, qui puissent mener la lutte pour résoudre les problèmes sociaux, ce qui comprend le conflit israélo-palestinien
- Retirer l’armée des Territoires Palestiniens et à retirer toutes les mesures d’oppression et d’occupation imposées aux masses palestiniennes comme les checkpoints, le mur de séparation ou les colonies. Non au annexions de terres, des échanges de terres uniquement sur base d’accord complet et démocratique entre travailleurs et pauvres israéliens et palestiniens.
- Une véritable sécurité et une véritable paix, à la fin du conflit israélo-palestinien et à la fin aux interventions et dictats militaires, politiques et économiques menés par les grandes puissances sur les masses du Moyen Orient et menés par le gouvernement israélien dans les Territoires Palestiniens et les Etats voisins.
- Une lutte pour un Israël socialiste à côté d’une Palestine socialiste indépendante aux frontières déterminées démocratiquement par des discussions directes entre représentants des habitants et avec des garanties de pleine liberté de mouvement, à une lutte pour que Jérusalem soit la capitale commune des deux Etats socialistes, avec des règles autonomes des deux côtés de la ville.
- Une lutte unifiée des masses du Moyen-Orient pour de bonnes conditions de vie, pour la paix et pour le socialisme, pour un Moyen-Orient démocratique et socialiste avec des droits garantis pour tous les groupes et minorités.
-
Stop au massacre à Gaza
La lutte de masse est la seule issue
Le gouvernement Israélien est empêtré dans une succession de scandale et d’échec, et plus récemment dans les effets de la crise mondiale du capitalisme. Maintenant, il essaye d’éviter leur probable défaite aux prochaines élections de février en orchestrant un carnage préparé depuis longtemps.
Abu Abas, Mubarak et les dirigeants de Ligue Arabe condamnent le massacre. Mais ils ont été les complice d’Israël dans le blocus mis en place depuis 16 mois qui a affamé le million et demi d’habitants de Gaza.
Ces régimes accomplissent volontairement les exigences de l’impérialisme. Le régime autoritaire de Mubarak en Egypte a collaboré à l’emprisonnement des Palestiniens en empêchant la libre circulation des marchandises et des personnes à la frontière entre l’Egypte et Gaza. Mubarak a même rencontré la veille de l’attaque israélienne le ministre des affaires étrangères israéliennes, Livni. Bush (ainsi qu’Obama) a refusé de contraindre Israël à cesser immédiatement le carnage.
Bush emploie une même brutalité dans l’occupation américaine de l’Irak et de l’Afghanistan. Tandis qu’en Europe on peut entendre de faibles appels au cessez-le-feu, la Maison Blanche ne critique nullement le massacre de masse israélien et condamne unanimement le Hamas. Bush condamne les tirs de roquettes du Hamas sur des villes israéliennes tout en soutenant le blocus israélien/égyptien de Gaza.
Les tirs de roquettes du Hamas ne peuvent mettre fin à l’oppression des Palestiniens par l’Etat d’Israël. La classe dirigeante israélienne ne s’inquiète pas des travailleurs habitant les villes entourant Gaza, mais exploite leur situation difficile pour justifier la guerre. L’utilisation de roquettes par les dirigeants du Hamas sert à masquer l’absence d’une véritable stratégie pour libérer les masses palestinienne du siège israélien. Le gouvernement israélien ne défend pas les véritables intérêts des israéliens ordinaires mais au contraire, il exploite leurs peurs.
Chaque acquis obtenu dans l’histoire de la lutte palestinienne a été le résultat de la mobilisation active des masses. Tragiquement pour les Palestiniens, ni le Hamas, ni le Fatah, ni les régimes arabes n’ont une stratégie pour défendre les masses et pour arrêter le massacre de l’Etat israélien.
- Pour l’arrêt immédiat des attaques israéliennes et du siège de Gaza.
- Pour des manifestations et des protestations de masse contre la guerre, dans le Moyen-Orient et partout dans le Monde.
- Aucune solution ne peut venir des puissances impérialistes et de leurs institutions internationales. Les masses palestiniennes ne peuvent compter que sur leur propre lutte et faire appel au soutien des masses laborieuses partout dans le monde, plus particulièrement dans le Moyen-Orient et ce y compris en Israël.
- Pour l’organisation et l’autodéfense des masses. Pour des actions de masse commune des Palestiniens et des Egyptiens pour briser le siège de Gaza.
- Pour des luttes unies des travailleurs et des pauvres pour renverser les régimes capitalistes en Israël et dans les pays arabes. Pour des gouvernements des travailleurs et des masses pauvres au Moyen-Orient qui peuvent mettre fin au cycle de violence et résoudre les problèmes des gens.
- Pour une Palestine socialiste et un Israël socialiste dans une fédération socialiste du Moyen-Orient.
Plus d’infos sur www.socialisme.be et www.socialistworld.net
-
Le malheur des uns fait le bonheur des autres !
Crise internationale du pouvoir d’achat, crise alimentaire,…
Une crise alimentaire aux conséquences effrayantes se développe à l’échelle mondiale. De nombreux observateurs et économistes l’affirment “Dans les mois à venir, des millions de gens vont mourir de faim”. Tous pointent du doigt les immenses dangers de cette crise.
Cette crise n’est pas l’effet temporaire de l’un ou l’autre désastre naturel. Une intervention humanitaire à grande échelle ne suffira pas à faire face à la crise alimentaire actuelle, qui touche des centaines de millions de pauvres pour qui les produits de base deviennent bien trop cher.
Le débat concernant les causes de cette crise et les mesures à prendre est intense. Pour les uns, la réponse réside dans le « libre marché » et toute mesure de limitation des prix ou de contrôle des exportations est donc à proscrire. Pour les autres, c’est au contraire dans la limitation et la correction de ce “libre marché” que se trouve la solution.
Les raisons pour lesquelles plus de 100 millions de personnes sont venues – en quelques mois ! -grossir les rangs du milliard de pauvres (ceux qui vivent avec moins de 1 dollar par jour) qui existait déjà sont les mêmes que celles qui sont à la base des profits record de bon nombre de grandes sociétés agroalimentaires. Des mastodontes comme Monsanto, Cargill, Mosaic, Syngenta, Unilever, Nestlé, Wal-mart et autres producteurs de graines génétiquement modifiées, de produits agricoles, d’autres produits à base de soja, de maïs ou de blé, d’engrais,… ont augmenté leurs profits jusqu’à parfois 70% !
Les pauvres et les classes moyennes du monde néocolonial ne sont pas les seuls à subir les conséquences désastreuses de l’augmentation des prix. Chez nous aussi, la crise du pouvoir d’achat fait exploser la part du budget des familles consacrée à la nourriture et à l’énergie.
Quelles sont les causes de ce “choc des prix alimentaires” ?
Une demande qui augmente…
Plusieurs spécialistes parlent de l’augmentation de la demande des pays dits “émergents” comme le Brésil, l’Inde, la Chine,… Ces pays ont connu une croissance économique allant de 5 à plus de 10% sur base de la croissance de l’économie mondiale. Jusqu’au milieu de l’année 2007, l’euphorie était générale vis-à-vis de cette croissance et du développement des classes “moyennes” qui promettaient, à terme, l’abolition de la pauvreté.
Durant ces années, des centaines de millions de gens ont ainsi pu augmenter un peu leur consommation alimentaire. Mais l’impact de cette augmentation ne doit pas être surestimé. D’abord, parce que la pauvreté est loin d’avoir disparu. Trois milliards de gens vivent avec moins de 2 dollars par jours, dont un milliard (une personne sur six) avec 1 dollar ou moins par jour ! Ensuite, parce qu’au cours des quatre premiers mois de 2008, ils ont déjà perdu en moyenne 0,20 dollar, une bouche en moins dans une famille de cinq (De Morgen, 26/04/08) et que la crise économique qui se développe risque de doubler ce nombre et d’effacer l’essentiel des gains des dernières années !
… et une offre limitée
Au cours des 20 dernières années, les investissements dans l’agriculture ont chuté vertigineusement et la productivité a suivi. L’hebdomadaire britannique The Economist (19/04/08) a ainsi écrit que “les investissements publics dans l’agriculture du monde néocolonial ont diminué de moitié entre 1980 et 2004. (…) Nous payons le prix de 15 années de négligence”.
Mais il ne s’agit nullement de négli-gence mais au contraire d’une politique consciente aux conséquences catastrophiques. Le néolibéralisme a transformé des pays producteurs de nourriture en pays importateurs et a mené en général au sous-emploi et au sous-investissement dans l’agriculture pour la simple raison que ce n’était pas assez rentable. Le commerce dans les pays du Tiers-Monde a été « libéralisé » sous les pressions du FMI et de la Banque Mondiale pour favoriser les importations provenant des Etats-Unis et de l’Europe alors que ces derniers ont continué à protéger leurs propres marchés. Résultat: la production locale a été balayée. Les progrès technologiques (meilleurs engrais, graines,…) ne sont accessibles qu’à ceux qui disposent de gros capitaux. Les petits paysans du monde néocolonial sont donc privés de ces progrès.
Des pays qui étaient hier auto-suffisants en termes de production de nourriture sont devenus dépendants de l’importation et en paient aujourd’hui le lourd prix. La nourriture importée est devenue inabordable pour des millions de personnes sans qu’une production de nourriture locale puisse la remplacer. De plus, les stocks mondiaux de nourriture ont baissé jusqu’au minimum absolu, ce qui est très attractif pour les spéculateurs !
Agrocarburants: une solution face au prix du pétrole ou un crime contre l’humanité ?
Les prix toujours plus élevés de l’énergie, la très grande instabilité politique et sociale dans les pays producteurs de pétrole ainsi que les conséquences dramatiques du réchauffement climatique – pas seulement dans le monde néocolonial (qui n’a jamais eu d’intérêt décisif pour le capitalisme mondial) mais ici aussi, dans le monde industrialisé – ont obligé les gouvernements et les grands groupes capitalistes à porter leur attention sur des formes “alternatives” ou “vertes” d’énergie.
Aux Etats-Unis, la production alimentaire laisse une place grandissante à celle d’agrocarburants, comme c’est déjà le cas au Brésil depuis longtemps. L’Europe suit une pente identique. Fidel Castro a été l’un des premiers à montrer du doigt les conséquences perverses de cette politique mais aujourd’hui, même un rapporteur de l’Organisation des Nations-Unies parle des subventions accordées aux agrocarburants comme “d’un crime contre l’humanité”. Le problème, c’est qu’il n’existe tout simplement pas de solution écologique et humaine dans le cadre du capitalisme. Les agrocarburants sont aujourd’hui plus lucratifs et plus attractifs pour le capital, et tant pis si cela engendre de nouveaux problèmes. Le bonheur des uns fait la mort des autres !
L’élément déterminant: la spéculation
La fuite des capitaux du marché immobilier vers celui des matières premières, c’est-à-dire d’une bulle spéculative à une autre, est d’une importance décisive dans les augmentations de prix. Le capital, uniquement intéressé dans un maximum de retour sur investissement, s’est trouvé un nouveau “refuge”.
La patronne de la société ADM (multinationale spécialisée dans la vente et la transformation de grains) a déclaré: “la volatilité sur le marché des matières premières présente des opportunités sans précédent”. Ce n’est pas du cynisme, c’est de l’économie. De l’économie de marché, plus précisément.
Les crises récentes du marché immobilier, du crédit et de l’alimentation font chanceler les économies, créent de l’instabilité et mettent en danger les gouvernements. L’euphorie qui régnait encore au début de l’an dernier a totalement disparu. Aux Etats-Unis, où la crise est plus avancée, des centaines de milliers de gens ont perdu leur maison ou leur emploi, voire les deux. Un sérieux ralentissement de la croissance mondiale arrive à grands pas. Bien que des milliards de dollars et d’euros se soient évaporés, la recherche de profits continue et le pétrole, l’or et les matières premières sont devenu le nouvel eldorado. Personne ne va investir dans la production dans une période de déclin du pouvoir d’achat.
L’économie mondiale est prise dans une spirale descendante et nous allons en subir les conséquences.
Un monde politique sous pression et profondément divisé
Des protestations massives autour du pouvoir d’achat et de l’alimentation (les fameuses émeutes de la faim) se sont développées partout à travers le monde depuis le début de l’année. Dans beaucoup de pays, les travailleurs sont passés à la lutte collective et des victoires ont été obtenues, comme les fonctionnaires en Syrie et en Egypte qui ont obtenu jusqu’à 30% d’augmentation salariale.
La peur s’est installée. Des insti-tutions internationales comme la Banque Mondiale, le FMI ou l’ONU organisent des réunions, discutent,… mais ne trouvent pas de solutions viables. Bien entendu, il subsiste encore des fous libéraux qui appellent à plus de libre marché et à l’abolition des subventions et des limitations commerciales. Mais, sous la pression, la politique dominante des 20 dernières années commence à être mise en question et une tendance vers le protectionnisme et les interventions de l’Etat se développe. Des mouvements de masse, ou même parfois seulement la crainte de protestation, ont déjà forcé des gouvernements à prendre des mesures précédemment considérées comme hérétiques. Plus de 30 pays ont pris des mesures de limitation des exportations, de contrôle des prix, de subvention alimentaire,… pour tenter de contrer la spéculation.
Tout cela peut temporairement et localement atténuer les problèmes. Nous sommes évidemment favorables à chaque amélioration à court terme et nous luttons pour en obtenir mais nous devons aussi prévenir des limites de ce type de mesures, et particulièrement du protectionnisme. Un contrôle des prix sans contrôle de la production et de la distribution conduit à des étagères vides dans les supermarchés et à la pénurie parce qu’il est plus avantageux pour les producteurs de se diriger vers le marché noir. Une augmentation des taxes pour les multinationales mène à une fuite des capitaux et de la production. Limiter les exportations alors qu’il n’y a pas assez de consommation locale peut pousser les paysans contre les autres travailleurs et le gouvernement local.
En fait, œuvrer pour le bien des masses de pauvres et de travailleurs tout en essayant de donner un os à ronger aux propriétaires du capital est un grand écart impossible à réaliser.
Une soi-disant « troisième voie » qui prétende sauvegarder à la fois les intérêts du travail et ceux du capital est un cul-de-sac.
Food, not profit !
Un programme socialiste contre le “libre” marché capitaliste
Des protestations massives peuvent temporairement obliger les gouvernements et les entreprises à investir dans l’approvisionnement alimentaire ou les services publics, à produire en respectant mieux l’environnement, à payer des salaires qui suivent le coût réel de la vie,… à céder, donc, une part plus grande de leurs profits aux travailleurs et à leurs familles. Mais pour réaliser des changements fondamentaux, nous devrons nous en prendre au système de profit en lui-même.
Cette crise alimentaire ne se solution-nera pas avec des sparadraps, il faut une approche mondiale, une planification de la production et de la distribution de nourriture sous le contrôle de la collectivité. Seule la classe ouvrière peut l’imposer en s’organisant, en luttant pour conquérir des droits syndicaux et politiques, en construisant des partis politiques qui défendent réellement ses intérêts et enfin en prenant elle-même le contrôle de la société.
Les banques et le système financier jouent un rôle important dans cette crise. Nationaliser ce secteur et en utiliser les moyens pour le bien commun permettrait des investissements énormes dans une production de nourriture efficace, planifiée et respectueuse de l’environnement.
Les nationalisations ont longtemps été considérées comme irréalisables, mais la crise du crédit a mis une fin à cette idée. Ces derniers mois, aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne, de grandes banques et institutions financières ont été nationalisées pour éviter des faillites qui auraient pu causer de grands problèmes au système financier et à toute l’économie.
Partout, les banques ont reçu des garanties que leurs dettes seraient si nécessaire reprises par l’Etat, ce qui a incité les marchés à calmement continuer comme avant : la collectivité payera bien pour la spéculation quand ça tournera mal…
Les travailleurs et les pauvres, où que ce soit, ne reçoivent pas ces garanties. Pourtant, ce sont eux qui produisent la richesse. Si les grandes banques peuvent être « sauvées » avec de l’argent public, pourquoi ne pas les nationaliser pour assurer à chacun assez de nourriture variée ou pour garantir l’emploi et les revenus ainsi que des services publics de qualité, notamment dans des secteurs comme l’enseignement et les soins de santé ? Ces idées ne sont pas neuves. L’expérience du mouvement ouvrier nous apprend qu’un programme de nationalisations ne peut être une solution que dans un système démocratique où le contrôle et la gestion sont assurés par les travailleurs.
Cela est nécessaire tant pour assurer que des gouvernements corrompus et les riches élites n’accaparent les profits que pour garantir une efficacité et une planification à l’échelle nationale et internationale.
L’augmentation des prix et la pénurie alimentaire peuvent conduire à de grands mouvements révolutionnaires qui, faute de solution dans le système de profit, chercheront nécessairement une solution au-delà les limites du capitalisme. Des gouvernements de gauche en Amérique Latine, comme au Chili au début des années ’70 et au Venezuela aujourd’hui, illustrent ce qui est possible, même si une fraction seulement de la richesse est utilisée dans l’intérêt commun. Mais ce type de mesures est insuffisant pour abolir la pauvreté et la misère.
Les moyens de production doivent être dans les mains des travailleurs pour pouvoir utiliser la richesse, la technique et la nature dans les intérêts de l’homme et de l’environnement. Le vieux slogan “socialisme ou barbarie” est aujourd’hui plus actuel que jamais.
Liens:
- Prix de l’alimentation: Ils spéculent, nous payons la note! Tract du MAS/LSP
- Augmentation des prix et crise alimentaire: Ce n’est pas notre faute, ce n’est pas à nous de payer!
- Augmentation des prix, rébellion et pauvreté.
- Rage globale contre les hausses de prix de la nourriture
- Côte d’Ivoire: Lutte victorieuse contre l’augmentation des prix de la nourriture !
- Catégorie "Pouvoir d’achat"
Crise économique (articles du plus récent au plus ancien)
- C’est la crise pour tout le monde… sauf pour les gros joueurs
- Capitalisme en crise. En route vers un tsunami économique ?
- Après une année 2007 agitée : vers une année 2008 explosive!
- Le capitalisme se dirige-t-il vers une crise économique profonde?
- Le capitalisme : un système en crise
- Stagflation: syndrôme d’une maladie chronique
- Une crise économique mondiale est-elle inévitable ?
- Deux millions d’Américains vont perdre leurs maisons, 80.000 leur emploi, mais les Banques Centrales distribuent des centaines de milliards d’euros… aux speculateurs!
-
Augmentation des prix, rébellion et pauvreté.
La flambée des prix de la nourriture a récemment causé une tempête de protestations et ce partout à travers le monde. Ces grèves et manifestations ne sont que la réaction des ouvriers et paysans face à cette envolée des prix.
Robert Bechert, Comité pour une Internationale Ouvrière, Londres (article publié le 23 avril sur socialistworld.net)
Haiti, le Cameroun, l’Egypte ou l’Indonésie ne sont que quelques uns des pays qui ont connu récemment des protestations de masses.
Si les envolées des prix sont choquantes, elles ne donnent qu’un aperçu seulement de ce qui est en train de se passer, des millions de personnes doivent en fait se battre pour arriver à nourrir leurs familles. Les médias ne cessent de nous rapporter ce qui se passe : le riz a augmenté de 75% en deux mois, le blé de 130% durant l’année dernière et en une seule journée, le riz a augmenté& mondialement de 10%.
Des millions de personnes sont forcées d’économiser simplement sur ce qu’ils consacrent à la nourriture et des millions de personnes ressentent une colère immense. Au Salvador, les pauvres mangent deux fois moins qu’il y a un an. La Banque Mondiale a estimé que 100 millions de personnes en plus ont déjà été poussé dans «l’extrême pauvreté». Même dans les pays « développés », les prix augmentent : en Grande Bretagne, un test comparatif reprenant 24 produits de consommations courants a montré que leurs prix avaient augmenté de 15% en une année.
Cette crise a même choqué les institutions capitalistes telles que le Fond Monétaire International ou la Banque Mondiale, principalement car elles en craignent les conséquences. Le président de la Banque Mondiale a déclaré que 33 pays étaient en proie à un «malaise social» à cause de la hausse des prix des denrées alimentaires. Le terme «malaise» est une sous estimation grossière de la situation : la pénurie alimentaire et l’inflation peuvent provoquer des révolutions.
Les travailleurs commettraient une erreur en se reposant sur ces gens, ou sur des philanthropes, pour trouver une solution. Bien sur, ils pourraient organiser une aide d’urgence, mais c’est fondamentalement leur système – l’économie de marché – qui est à l’origine de la crise.
Les demandes d’actions se multiplient.
Mais, quelles sont les causes de la crise ?
Clairement, un grand facteur de la crise est le chaos du marché «libre» et la spéculation qui l’accompagne. Loin d’être le fil conducteur qui guide les progrès humains, le marché aggrave l’inflation du prix de la nourriture. Comme la crise économique mondiale provenant des USA a provoqué un effondrement des possibilités de spéculations financières, les spéculateurs capitalistes se sont reportés sur la nourriture et les matières premières.
Encore inondés des super profits datant de la dernière période de croissance économique, ils se sont accaparé les stocks de nourriture. Comme les gens sont bien obligés de manger pour vivre, ils pensaient ainsi pouvoir s’enrichir encore plus en spéculant sur les prix de la nourriture et des autres matières premières. Depuis le début de l’année, le nombre d’accords financiers conclus quotidiennement sur le marché CME de Chicago (Chicago Mercantile Exchange – bourse de produits des matières premières, particulièrement au niveau de l’alimentation) a augmenté de 20%. L’Ethiopie a tenté de lutter contre cette spéculation en interdisant les accords dans « le futur » (des paris sur les prix à venir de la nourriture et des matières premières). Mais l’action d’un seul pays, a fortiori s’il est issu du monde néocolonial, n’a qu’un impact limité.
Cependant, la spéculation n’est pas la seule cause de la hausse des prix. Certaines autres causes telles que la demande croissante de nourriture, le changement climatique ou encore les «bio» carburants ont été très souvent mentionnés. Lester Brown, directeur du Earth Policy Institute à Washington a déclaré, pas plus tard qu’en avril dernier, que la surface utilisée aux USA pour produire des biocarburants ces deux dernières années aurait pu fournir à 250 millions de personnes leurs rations en grain.
L’hebdomadaire de droite « The Economist » a involontairement mentionné un autre facteur de la hausse des prix : l’offensive néolibérale depuis les années 1980. « The Economist » a expliqué que les rendements des nouvelles récoltes avaient tendance à diminuer naturellement, et que c’était seulement en produisant de nouvelles variétés que l’on pouvait maintenir ou faire progresser les rendements.
Cependant, « la plupart des recherches agronomiques sont financées par des gouvernements qui, dans les années 1980, ont commencé à réduire (…) les dépenses (…) ils ont préféré faire intervenir le secteur privé. Mais, beaucoup des entreprises privées engagées pour remplacer les chercheurs d’Etats se sont révélé n’être intéressés que par le profit. La part de l’agriculture dans les dépenses publiques dans les pays en voie de développement a chuté de moitié entre 1980 et 2004. Ce déclin a eu un impact inévitable… Entre les années 1960 et 1980, dans les pays en voie de développement, le rendement des céréales principales augmentait de 3 à 6% par année. Maintenant, la croissance annuelle est revenue à 1 à 2%, en dessous de l’augmentation de la demande. « Nous payons le prix de 15 ans de négligence » a déclaré Bob Ziegler, directeur de l’Institut international de recherche sur le riz, basé aux Philippines. » (The Economist, 19 avril 2008).
En réalité, ce n’est pas de la « négligence » mais le dogme néolibéral et la recherche de nouvelles zones où faire des profits qui s’est ajouté à cette crise alimentaire.
Qu’est ce qui peut être fait ?
Dans beaucoup de pays, des voix se font entendre pour instaurer un contrôle du prix de la nourriture, pour introduire ou défendre les subsides pour la nourriture ou encore pour une hausse des salaires. Les syndicats devraient exiger une hausse des salaires qui suit l’inflation. Les salaires devraient être liés à un indice des prix qui correspondrait réellement au coût de la vie. Cependant, de telles mesures, bien que bienvenues, ne seraient que provisoire.
Le contrôle de l’approvisionnement en nourriture doit être immédiatement retiré des mains des spéculateurs, des négociants internationaux et des grosses compagnies agroalimentaires. Le mouvement ouvrier doit exiger que ces institutions soient nationalisées pour permettre la mise en place d’un plan de distribution de nourriture, à des prix raisonnables, pour tous.
Mais une telle nationalisation devrait être contrôlée démocratiquement au rique d’être utilisée par les gouvernements pour s’enrichir eux mêmes ainsi que leurs alliés capitalistes.
Dans beaucoup de pays, le contrôle de l’importation ou de l’exportation a toujours été source de corruption et de mercantilisme. L’argentine, le Vietnam ou l’Inde ont déjà interdit certaines exportations de nourriture ou ont instauré des taxes sur celles-ci. Mais de telles mesures n’abaissent pas automatiquement le coût de la nourriture, et peuvent mener de petits fermiers à la rébellion.
Seul un contrôle et une gestion des ressources par les travailleurs combinée à une comptabilité ouverte pourra assurer la répartition équitable de la nourriture et ce sans marché noir. Les petits fermiers et les petits commerçants doivent donc se voir attribuer des revenus et une place dans la chaîne de distribution de la nourriture. Si le rationnement doit être imposé, il doit être laissé sous le contrôle démocratique des travailleurs, pas sous celui des gouvernements corrompus servant des élites.
Des mesures doivent être prises pour « booster » l’approvisionnement en nourriture. Les entreprises produisant les graines, le fertilisant,… doivent également être nationalisées sous le contrôle des travailleurs. Alors, de nouvelles récoltes pourront être développées pour répondre aux besoins et non pas pour réaliser des profits. Les engrais pourront aussi être rendus plus accessibles.
Les banques, dont beaucoup ne survivent plus que grâce aux aides de l’Etat, devraient également être nationalisées et leurs ressources employées pour fournir aux petits fermiers des crédits bon marchés.
Les grands producteurs agricoles, eux aussi, devraient encore être nationalisés. Sur cette base, il serait possible de commencer à planifier l’augmentation de la production de nourriture avec l’aide de progrès dans l’irrigation ou dans d’autres techniques, pour répondre aux besoins et non pour s’adapter au marché.
Pour sauver notre planète, le capitalisme doit être éliminé.
Fondamentalement, cela signifie contester le système capitaliste en lui-même. La crise financière a vu des banquiers courir auprès des gouvernements pour demander de l’aide. L’argument néo libéral selon lequel l’Etat ne peut intervenir dans le marché s’écroule, poignardé en plein cœur par les capitalistes eux mêmes.
Cependant, l’Etat n’est pas neutre. Dans les pays capitalistes, l’Etat agit pour protéger les intérêts des capitalistes. La nationalisation d’entreprises, voir même d’un secteur entier de l’économie, n’est pas en soi une cassure vis-à-vis du capitalisme. La propriété publique avec la nationalisation des secteurs clés de l’économie est la vraie alternative au système du marché qui produit régulièrement des convulsions.
Déjà dans un certain nombre de pays, ce sont les organisations de travailleurs, telles que les syndicats, qui ont été forcées de défendre les « norme de vie ». Le mouvement des travailleurs a la responsabilité d’agir, de prévenir la faim et d’offrir une alternative. Les travailleurs, organisés internationalement, ont la capacité de décider de l’utilisation des ressources du monde.
Cependant, ce n’est pas juste la question de la popularisation de l’alternative socialiste; c’est un but. Récemment, lors d’un discours aux Nations Unies à New York, le président bolivien, Evo Morales, a déclaré que : « pour sauver la planète, il faut éliminer le capitalisme. » C’est absolument correct, mais de tels appels verbaux doivent mener à des conclusions concrètes à moins de ne rester que du vent. Si Morales est sérieux, son gouvernement peut servir d’exemple en mobilisant les pauvres et les travailleurs pour briser le capitalisme, et montrer que cela peut être fait. Cela sera un appel aux pauvres et aux travailleurs du monde entier pour suivre le même parcours.
L’impact brutal de l’augmentation des prix de l’alimentation va, comme le craint la Banque Mondiale, ouvrir une nouvelle période de lutes révolutionnaires et de possibilités pour construire une force socialiste de masse capable de mettre fin au capitalisme, capable de mettre fin à la misère, capable de mettre fin à la pauvreté et à la faim.
Liens:
-
Rage globale contre les hausses de prix de la nourriture
Les protestations contre les hausses de prix des produits alimentaires se multiplient dans le monde. Il y a déjà eu des émeutes, des manifestations ou des grèves dans 37 pays. Depuis 2000, à l’échelle mondiale, les prix de la nourriture ont augmenté de 75%. Selon Strauss-Kahn, le grand patron du FMI, des centaines de milliers de gens vont littéralement crever de faim si ces augmentations continuent. Robert Zoellick, de la Banque Mondiale, a déclaré pour sa part que 100 millions de personnes risquent de retomber dans la pauvreté.
Les hausses de prix des produits d’alimentation ont déjà mené à des actions massives à Haïti, en Egypte, au Cameroun, au Burkina Faso ou encore en Côte d’Ivoire. En Egypte, 20% des 78 millions d’habitants vivent sous le seuil de pauvreté de 2 $ par jour et 20% se trouvent juste au-dessus. Les dépenses d’une famille égyptienne pour la nourriture ont augmenté en moyenne de 50% depuis janvier. La viande devient un produit de luxe, mais le pain aussi coûte de plus en plus cher. La plus grande usine du Moyen-Orient, l’usine de textile Misr (qui compte 30.000 travailleurs) a été occupée par la police après des actions de grève.
En Côte d’Ivoire, des centaines de milliers de gens, surtout des femmes, ont manifesté dans les rues d’Abidjan pour protester contre les nouvelles augmentations des prix de la nourriture et des combustibles. Ici aussi, il y a eu des confrontations avec la police et au moins une personne a trouvé la mort. A Haïti, les manifestants ont pris d’assaut le palais présidentiel et il y a eu des morts.
Y a-t-il un manque de nourriture sans le monde ? La récolte de blé de l’année dernière a atteint 2,1 milli-ards de tonnes, dépassant de 5% l’ancien record. Pour d’autres céréales, le mauvais temps a eu un effet partiel, de même que l’augmentation de la production des agrocarburants qui dévorent des terres agricoles. Mais les causes principales de ces augmentations de prix doivent être cherchées dans la crise économique mondiale – notamment la hausse galopante du prix du pétrole et la spéculation massive qui accompagne la crise financière – et dans la répartition inégale des richesses.
Liens:
-
Accuser l’impérialisme. “La Grande Guerre pour la Civilisation : La Conquête du Moyen-Orient”
Qui donc porte la responsabilité de la catastrophe au Moyen-Orient ? Dans ce livre, le journaliste Robert Fisk tente de retracer tous les événements qui se sont déroulés dans cette région au cours des 30 dernières années.
Revue par Per-Ake Westerlund.
Fisk a connu plus d’aventures que la plupart des héros de films. Parmi les gens qu’il a interviewés en tant que reporter figurent l’Ayatollah Khomeini et Oussama ben Laden, l’un pour le Times, l’autre pour The Independant. Il se trouvait en Iran pendant et après la révolution de 1979. Il a visité plusieurs fois la ligne de front des deux côtés pendant la guerre entre l’Iran et l’Iraq, en 1980-88. Il a accompagné les troupes russes dans les années 80’s jusqu’en Afghanistan, et y a été battu par une foule en colère après les bombardements américains de 2001. Il est arrivé à Bagdad par le dernier avion juste avant que Bush ne lance ses premiers missiles en mars 2003.
Fisk est toujours volontaire pour prendre des risques afin de se faire sa propre opinion sur ce qui se passe réellement. Il a de plus en plus défié la majorité des médias, par sa critique de la guerre d’Iraq et de l’oppression des Palestiniens par l’Etat d’Israël. Par conséquent, ce qu’il écrit vaut toujours la peine d’être lu, et c’est encore plus le cas pour ce livre, qui comprend plus de 1000 pages sur l’histoire récente du Moyen-Orient. Si le point de départ est la propre expérience de l’auteur, le thème n’en est pas moins la responsabilité des puissances occidentales dans la guerre, la souffrance et la dictature dans cette partie du monde. Une de ses conclusions est que « historiquement, il n’y a jamais eu d’implication de l’Occident dans le monde arabe sans que s’ensuive une trahison ».
Fisk écrit que le 11 septembre n’est pas la raison de ce livre, mais plutôt une tentative d’expliquer l’enchaînement des événements qui a mené aux fameux attentats. Comment Oussama ben Laden a-t-il pu remporter tous les sondages de popularité ? D’où vient-il ? La réponse se trouve dans l’histoire. Tout au long du 20ème siècle, les puissances occidentales ont démarré des guerres, occupé des pays, et renversé des régimes au Moyen-Orient, encore et encore. Selon Fisk, tout Arabe raisonnable serait d’accord de dire que les attentats du 11 septembre sont un crime, mais demanderait aussi pourquoi le même mot n’est pas employé lorsqu’on parle des 17 500 civils tués par l’invasion du Liban par Israël en 1982. Alors que les régimes du Moyen-Orient – l’Egypte, l’Arabie Saoudite, la Jordanie, la Palestine actuelle de Mahmoud Abbas – sont en excellents termes avec les Etats-Unis, ben Laden et d’autres islamistes ont rappelé aux masses toutes les guerres contre les musulmans dirigées par les USA et Israël. Avec l’échec sur le plan international des partis communistes staliniens et du mouvement social-démocrate à montrer la voie à suivre pour la lutte, c’est la religion qui est apparue comme un facteur politique. C’est le même facteur qui a également été utilisé par des régimes qui se prétendaient comme étant des musulmans authentiques – parmi lesquels le régime de Saddam Hussein des dernières années n’était pas des moindres.
A la suite du 11 septembre, George Walker Bush, avec le soutien des « dirigeants mondiaux », a décidé de bombarder ce pays déjà dévasté qu’était l’Afghanistan. Lorsque ce pays a été envahi par l’Union Soviétique en 1980, cela était le début d’une guerre qui allait durer 16 ans, avec plus d’un million de morts et six millions de réfugiés. Le régime stalinien déclinant de Moscou fut forcé à une retraite en 1988, après une longue guerre contre les « saints guerriers » moudjahiddines, que le président Reagan saluait en tant que « combattants de la liberté ». Parmi eux se trouvait un contingent saoudite, mené par le milliardaire ben Laden, financé et encadré par la CIA, la monarchie saoudite, et le Pakistan. A partir de 1988, le pays sombra dans la guerre civile entre différentes troupes de moudjahiddines, avant la prise du pouvoir par les Talibans en 1966. Les Talibans étaient des enfants de réfugiés afghans vivant dans la misère, élevés dans des écoles islamistes de droite au Pakistan, et armés par les services secrets pakistanais. Les Talibans prirent rapidement le contrôle du pays et établirent un régime islamiste fortement réactionnaire, notoire pour sa répression des femmes, son interdiction de la musique, etc. Oussama ben Laden, en conflit avec les Saoudites et les Américains après la première guerre d’Iraq en 1991, fut accueilli par les Talibans avec tous les honneurs.
Malgré le caractère du régime taliban, Fisk avait prévenu à quoi allaient mener les bombardements de Bush Jr. L’Alliance du Nord, les troupes au sol alliées de Bush, était elle aussi constituée d’assassins islamistes de droite – bien qu’opposés aux Talibans. Le nouveau président, Hamid Karzai, est un ancien employé d’Unocal, une compagnie pétrolière américaine qui essayait d’obtenir un contrat avec les Talibans au sujet d’un pipeline reliant l’Asie Centrale au Pakistan. Les avertissements de Fisk s’avérèrent rapidement fondés, de sorte qu’aujourd’hui la population locale se retrouve de nouveau piégée dans une guerre entre les troupes menées par les Etats-Unis d’une part, et les nouvelles forces des Talibans de l’autre.
Fisk nous fournit également un important récit des développements en Iran depuis1953, lorsque le Premier Ministre élu, Mohammad Mossadegh, fut renversé après qu’il ait nationalisé les installations de la Compagnie Pétrolière Anglo-iranienne (aujourd’hui devenue British Petroleum – BP). Dans les années 1980’s, Fisk a interviewé un des agents britanniques qui, avec la CIA, avait dirigé le coup d’Etat et installé le régime du Shah et de sa répugnante police secrète, la SAVAK. Le Shah devint un allié de confiance pour l’impérialisme américain en tant que fournisseur de pétrole et soutien militaire. A la base, cependant, le nationalisme iranien et la haine des Etats-Unis n’en furent que renforcés.
La situation finit par exploser lors de la révolution de 1979. Fisk cite Edward Mortimer, un de ses amis reporters, qui avait décrit ce mouvement en tant que « révolution la plus authentique de l’histoire mondiale depuis 1917 ». La principale faiblesse de Fisk est qu’il ne comprend pas le rôle de la classe salariée, bien qu’il insiste sur le fait que « les pauvres des villes » furent la principale force de la révolution. Les slogans et les espoirs des travailleurs et des organisations de gauche pour une « démocratie populaire » entrèrent bientôt en conflit avec les intentions des islamistes et des mollahs. La classe salariée dans le nord de l’Iran avait confisqué la propriété capitaliste, tandis que le régime de Khomeini, basé sur des couches urbaines plus riches, était contre toute forme d’expropriation. Pendant une longue période, la gauche pouvait se rallier un large soutien. Fisk décrit la manière dont un demi-million d’étudiants manifestèrent avec le Fedayin, alors illégal, en novembre 1979. Khomeini dut agir petit à petit pour écraser la gauche et les organisations de la classe salariée. Il exploita au maximum le conflit avec l’impérialisme américain, conduisant les partis communistes pro-Moscou, comme le Tudeh, à soutenir Khomeini jusqu’à ce qu’ils soient démantelés de force en 1983. Même alors, le régime au pouvoir en Russie ne voyait aucun problème à fournir des armes à Téhéran. Des purges massives furent menées pendant la guerre contre l’Iraq, parfois sur base d’informations « anti-communistes » fournies par l’Occident. Au cours de l’année 1983, 60 personnes par jour ont été exécutées, parmi eux de nombreux jeunes.
Lorsque la machine militaire de Saddam attaqua l’Iran en 1980, le sentiment dans les médias et chez les « experts » était que l’Iraq remporterait une victoire rapide. Mais les troupes se retrouvèrent rapidement bloquées sitôt passée la frontière, et l’armée iraqienne commença à envoyer des missiles sur les villes iraniennes, y compris des armes chimiques. Fisk donne des rapports détaillés et émouvants en provenance du front, décrivant les horreurs qui s’y passent et interviewant des enfants soldats, enrôlés pour devenir des martyrs.
Les puissances occidentales ne remirent à aucun moment en cause leur confiance en Saddam – c’est en 1983 que Donald Rumsfeld, alors secrétaire à la défense aux Etats-Unis, comme en 2003, rendit sa fameuse visite à Saddam – même si certains d’entre eux vendirent des armes à chacun des deux camps tout au long du conflit qui dura huit ans et coûta plus d’un million de vies. Plus de 60 officiers américains opéraient en tant que « conseillers militaires » auprès de Saddam, lequel bénéficiait également des données satellites de Washington. L’Arabie Saoudite paya plus de 25 milliards de dollars pour financer les frais de guerre de Bagdad. Le Koweït et l’Egypte furent eux aussi des mécènes enthousiastes. Même lors de l’Anfal, la terrible guerre que Saddam mena contre les Kurdes en Iraq du Nord, personne en Occident ne protesta. Rien qu’à Halabja, 5000 Kurdes furent tués par des armes chimiques les 17 et 18 mars 1988.
La marine américaine était mobilisée dans le Golfe Persique, afin de menacer l’Iran. Un missile américain fut tiré sur un avion civil iranien qui transportait des passagers civils. L’hypocrisie américaine, cependant, fut révélée à tous lors de l’affaire Iran-Contra, en 1986. Les USA avaient vendu 200 missiles en secret à l’Iran dans l’espoir de pouvoir récupérer des otages américains qui avaient été capturés au Liban par des groupes liés à l’Iran. L’argent obtenu par la vente des armes fut ensuite envoyé aux troupes réactionnaires des Contra, au Nicaragua.
Lorsque Saddam Hussein envahit le Koweït en 1990, il avait rendu visite à l’ambassadeur américain à Bagdad qui lui avait donné l’impression que Washington n’allait pas réagir. Il était toujours l’agent de l’Occident. En juin 1990, le gouvernement britannique avait encore approuvé la vente de nouvel équipement chimique à l’Iraq. Le Koweït avait fait partie de la même province de l’Empire Ottoman que l’Iraq jusqu’en 1889, et avait failli être à nouveau rattaché à l’Iraq en 1958, ce qui avait été empêché par les troupes britanniques.
Mais l’enjeu ici était le pétrole, et les intérêts des autres alliés des Américains. Le régime saoudite invita les troupes américaines dans le plus important des pays islamiques, ce qui eut plus tard d’importantes répercussions. L’escalade qui mena à la guerre se forma sous l’illusion d’une alliance avec le drapeau des Nations-Unies, mais dans la pratique ce fut la plus grosse intervention américaine depuis la retraite humiliante du Vietnam. Mais cette fois-ci, la guerre démarra par un bombardement massif, qui dura 40 jours et 40 nuits, avec 80 000 tonnes d’explosifs, plus que pendant toute la seconde guerre mondiale. Parmi les cibles se trouvaient des ponts, des centrales électriques, et des hôpitaux. Les troupes de Saddam devaient se contenter de rations de survie, et fuirent de panique au moment où l’offensive au sol fut lancée. Entre 100 000 et 200 000 iraqiens furent massacrés par les attaques des avions, tanks et troupes américains.
George Bush père appela alors à une grande insurrection contre Saddam, mais laissa les rébellions kurdes et chiites se faire réprimer ddans le sang. Fisk cite un officier américian disant "mieux vaut le Saddam que nous connaissons" que n’importe quel autre régime dont on serait moins certain. Plus de gens moururent lors de l’étouffement des émeutes qu’au cours de la guerre en elle-même, et deux millions de Kurdes devinrent des réfugiés.
Les mêmes Etats arabes qui, quelques années plus tôt, avaient financé la guerre de Saddam en Iran, payèrent également la nouvelle facture, de 84 milliards de dollars. Et dans les deux années qui suivirent, les Etats-Unis vendirent des armes d’une valeur de 28 milliards de dollars à tous les pays de la région.
Contre cet Iraq à l’infrastructure détruite et à la population appauvrie, les Nations Unies décidèrent d’appliquer toutes sortes de sanctions, qui conduisirent à ce que « 4500 enfants meurent chaque jour », selon Dannis Halliday, représsentant de l’Unicef en octobre 1996. Robert Fisk raconte la manière dont les enfants, victimes de munitions à l’uranium appauvri, souffrent de cancers – un mal dont souffrent également beaucoup de soldats américains. En plein milieu de la crise humanitaire, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne poursuivirent leurs raids de bombardements aériens, notamment le jour du Nouvel An 1999.
Après le 11 septembre et les attaques sur l’Afghanistan, il était clair que Bush, Rumsfeld et leurs conseillers néoconservateurs visaient l’Iraq. Fisk énumère chacun des arguments qu’ils inventèrent pour se justifier, des « armes de destruction massive » aux « connections » avec al-Qaïda. De plus, George W Bush promettait « la démocratie pour tout le monde musulman », un objectif pour lequel il ne consulta que très peu ses amis d’Arabie Saoudite, d’Egypte et du Pakistan. L’appareil de propagande exigea alors que le soutien de l’Occident à Saddam soit oublié. La « guerre contre la terreur », à ce stade, signifiait aussi le soutien à Israël et à la guerre que la Russie menait en Tchétchénie. Les critiques de Fisk firent en sorte qu’il fut montré du doigt en tant que partisan du régime de Saddam.
Cette guerre, que Fisk suivit à partir de Bagdad, signifiait encore plus de bombardements que 12 ans plus tôt. Fisk contraste les missiles dirigés par ordinateur aux hôpitaux sans ordinateurs qu’il visita. Les Etats-Unis lâchaient également des bombes à fragmentation contre les civils, ce qu’Israël a aussi fait par deux fois au Liban.
Fisk demeura à Bagdad après sa « libération », le 9 avril 2003, lorsque le pillage de masse fut entamé. Les troupes américains ne protégeaient que le pétrole et les bâtiments du Ministère de l’Intérieur. A Bagdad, des documents vieux de plusieurs millénaires furent détruits lorsque les généraux américains pénétrèrent dans les palais de Saddam. Les Américains agirent comme le font tous les occupants, écrit Fisk. Les manifestants furent abattus ; Bremer, le consul américain pendant la première année, interdit le journal du dirigeant chiite Moqtada al-Sadr ; des soldats américains paniqués fouillèrent des maisons. Avec les prisons d’Abu Ghraïb et de Guantánamo, les Etats-Unis ont également copié les méthodes de torture chères à Saddam, allant jusqu’à réemployer le même médecin-en-chef. Les USA « quitteront le pays. Mais ils ne peuvent pas quitter le pays… », est le résumé que Fisk nous donne de la crise de l’impérialisme en Iraq, une description qui est toujours exacte aujourd’hui.
Le livre de Robert Fisk contient beaucoup d’action, mais aussi de nombreux sujets d”analyse intéressants. Il écrit au sujet du génocide arménien de 1915 ; de la guerre de libération et de la guerre civile des années 90’s en Algérie ; de la crise de Suez en 1956. Il suit à la trace les producteurs du missile Hellfire utilisé par un hélicoptère Apache israélien qui tua des civils dans une ambulance au Liban. Il dit que le coût d’une année de recherche sur la maladie de Parkinson (qui emporta sa mère) est équivalent à cinq minutes de la dépense mondiale d’armes dans le monde. Il analyse la Jordanie et la Syrie ; il écrit au sujet de son père, qui était un soldat dans la première Guerre Mondiale. Ses critiques massives et bien fondées, toutefois, ne deviennent jamais des critiques du système, du capitalisme ni de l’impérialisme. A chaque fois qu’il parle des attaques militaires britanniques ou américaines, il dit « nous ».
Les travailleurs et les socialistes eu Moyen-Orient et partout dans le monde doivent tirer les conclusions nécessaires de l’histoire de la région et des événements qui s’y déroulent actuellement. La classe salariée, alliée aux pauvres des villes et aux paysans, a besoin d’un parti révolutionnaire et socialiste, capable d’unifier la classe dans la lutte contre le capitalisme, l’impérialisme et la dictature, au-delà des différences religieuses et ethniques.
-
La Révolution Russe d’Octobre 1917 : quelques leçons, 90 ans après
Toutes les classes dominantes dans l’histoire ont voulu donner à leur mode de production un caractère éternel. Dans la même idée, les prophètes du capitalisme ont toujours tenté d’empêcher les travailleurs de tirer la conclusion que le capitalisme pouvait être changé.
Rappelons-nous seulement la fameuse phrase du pseudo-philosophe américain Fukuyama annonçant à grands cris « la fin de l’histoire » après la chute de l’URSS, voulant ainsi dépeindre le système capitaliste comme l’horizon ultime de la société humaine. Rien qu’à ce titre, la Révolution Russe d’Octobre 1917 fut un événement d’une portée gigantesque : pour la première fois dans l’histoire après la brève expérience de la Commune de Paris en 1871, les travailleurs russes ont pris le pouvoir entre leurs mains et montré que le capitalisme pouvait être renversé.
La révolution russe revue et corrigée par la bourgeoisie
C’est pourquoi étudier la révolution russe est extrêmement important, surtout lorsque l’on voit à quel point, de nos jours, cet événement historique est ‘revisité’ par certains historiens. Marx affirmait que “Les pensées de la classe dominante sont aussi, à chaque époque, les pensées dominantes”. Cette phrase n’a pas vraiment vieillie lorsqu’on voit comment l’anniversaire des 90 ans de la Révolution d’Octobre 1917 est ‘commémorée’ dans la presse et les médias officiels.
Le magazine ‘L’Histoire’ a édité un numéro spécialement pour l’occasion, intitulé “Les crimes cachés du communisme – de Lénine à Pol Pot”.Tout un chapitre porte le titre “Lénine est aussi coupable que Staline”, dossier dont le fil conducteur sert à accréditer la thèse selon laquelle le stalinisme trouverait ses germes dans le léninisme ; Lénine aurait ainsi enfanté les Staline, Mao, Pol-Pot, Kim-Il-Sung et compagnie…Le quotidien gratuit ‘Métro’ avait quant à lui trouvé une manière un peu plus subtile de fêter l’événement : il y a deux semaines, une petite brève relatait la tuerie dans un lycée en Finlande. L’article finissait par une petite phrase tout à fait innocente : “Il a mis ses menaces à exécution le jour anniversaire de la révolution d’Octobre.” Au début du mois, la chaîne de télévision ARTE a passé un reportage-documentaire sur la vie de Léon Trotsky. Ce reportage se concluait par l’épisode de l’assassinat de Trotsky, commentée par un historien affirmant : “En analysant la mort de Trotsky, je pense qu’il est devenu victime d’une machine qu’il avait lui-même construite.” Sur cette conclusion apparaissait le générique auquel venait se greffer la citation d’un poète allemand : “La révolution est le masque de la mort. La mort est le masque de la révolution.” L’idée qui sous-entend cette conclusion ressort sans ambiguïté : si tu joues avec le feu en essayant de faire comme Trotsky, à essayer de renverser le capitalisme, tu vas faire naître un monstre encore plus grand… Mais point n’est besoin de se choquer de ce genre d’analyses. A l’époque même de la révolution de 1917, les journalistes de la bourgeoisie ne s’encombraient pas de toutes ces subtilités mais allaient directement droit au but, comme le montre un magnifique éditorial du ‘Times’ (le quotidien britannique) paru quelques jours avant l’insurrection qui affirmait, tout simplement : “Le seul remède contre le bolchévisme, ce sont les balles.”
Les livres d’histoire évoquent souvent l’année 1917 comme « l’année terrible », illustrant le cauchemard qu’elle a représentée pour les classes dominantes. Et c’est bien par crainte du spectre de nouvelles années terribles que la bourgeoisie continue de faire tout, 90 ans après, pour enterrer les véritables leçons de la Révolution d’Octobre, du rôle que Lénine, Trotsky et le Parti Bolchévik ont réellement joué dans ces événements, et pour réduire cette expérience gigantesque à l’horreur du stalinisme et des goulags.
Une tempête révolutionnaire
La victoire de la Révolution d’Octobre ainsi que les mots d’ordre des Bolchéviks avaient rencontré un enthousiasme libérateur et stimulé le tempérament révolutionnaire des travailleurs et des opprimés du monde entier. Dans les années qui suivirent la révolution russe, des foyers révolutionnaires s’allumèrent aux quatre coins de l’Europe (en Allemagne, en Hongrie, dans le Nord de l’Italie, en Finlande,…) et rencontrèrent un écho considérable jusque dans le monde colonial : en Corée, en Inde, en Egypte, etc. Tous les écrits et les mémoires des politiciens bourgeois de l’époque témoignent de la panique généralisée qui dominait dans la classe dominante, celle-ci craignant de perdre pour de bon le contrôle de la situation face à cette tempête révolutionnaire. En 1919, le premier ministre britannique Lloyd Georges écrivait : “L’Europe entière est d’une humeur révolutionnaire. Tout l’odre social, politique et économique existant est remis en question par les masses populaires d’un bout à l’autre de l’Europe. Si nous envoyons plus de troupes pour combattre la Russie, la Grande-Bretagne elle-même deviendra bolchévique et nous aurons des soviets à Londres.” Même les Etats-Unis étaient traversés par une vague de grèves sans précédent, au point que le président Wilson disait : “Nous devons absolument agir pour plus de démocratie économique si nous voulons contrer la menace socialiste dans notre pays.” Ce n’est pas pour rien non plus si, en Belgique, les acquis de la journée des 8 heures et du suffrage universel (…pour les hommes) ont été obtenus respectivement en 1918 et 1919 : ce sont des concessions qui ont été lâchées par la bourgeoisie belge à une époque où elle craignait les soubresauts révolutionnaires qui contagiaient l’Europe entière.
Il existe un courant de pensée que l’on appelle le courant évolutionniste, suivant lequel la société humaine ne ferait pas de bonds, mais évoluerait de manière linéaire de la barbarie vers le progrès et la civilisation. Cette théorie a souvent été utilisée pour fournir une base soi-disant scientifique contre les idées révolutionnaires. En tant que marxistes, nous pensons au contraire que la société ne se développe pas d’une manière lente et évolutive. Les contradictions dans la société conduisent au contraire à des crises sociales et politiques, à des guerres et à des révolutions, autrement dit à des changements soudains et des tournants brusques. Les retombées qu’a eu la victoire de la révolution russe dans toute une série de pays illustrent à quel point les acquis du mouvement ouvrier ne sont pas tombés du ciel, ou par une constante évolution du capitalisme vers plus de progrès, mais ont été obtenus par des batailles acharnées que le mouvement ouvrier a menée pour les obtenir.
Octobre : un putsch ou une révolution ?
Il est devenu courant aujourd’hui de présenter la révolution d’Octobre comme un putsch réalisé par une minorité de Bolchéviks conspirateurs. C’est probablement une des contre-vérités les plus répandues sur la révolution russe. Le schéma classique consiste à présenter la Révolution de Février 1917 comme la “vraie” révolution populaire, suivi quelques mois après par le “coup d’état”, le “complot” d’Octobre. Le tout vise à dépeindre le Parti Bolchévik comme un petit groupe de gens mal intentionnés qui ont pris le pouvoir de manière despotique, sans l’assentiment populaire.
Pourtant, ce qui donna à l’insurrection dans la capitale Petrograd le caractère d’une petite échauffourée nocturne rapide, réalisée au prix de seulement 6 victimes, et non l’aspect d’un grand soulèvement populaire avec des batailles de rue ouvertes, ne s’explique pas par le fait que les Bolchéviks étaient une petite minorité, mais au contraire parce qu’ils disposaient d’une écrasante majorité dans les quartiers ouvriers et les casernes. Si Lénine dira par la suite que “prendre le pouvoir en Russie fut aussi facile que de ramasser une plume”, c’est précisément parce que la prise du pouvoir en elle-même n’était que le dernier acte visant à la destitution d’un régime totalement brisé, isolé et discrédité politiquement en huit mois d’existence, un régime dont la base sociale s’était littéralement évaporée sous ses pieds. Lorsque les Bolchéviks ont destitué le gouvernement provisoire et transmis le pouvoir aux Soviets, beaucoup pensaient que ce pouvoir ne tiendrait pas trois jours. De la même manière, beaucoup pariaient sur l’inévitable défaite de l’Armée Rouge dans la guerre civile. Si tel ne fut pas le cas, c’est bien parce que les Bolchéviks disposaient d’un programme capable de rallier des millions de travailleurs et de paysans pauvres, en Russie et par-delà les frontières, dans une lutte à mort contre leurs exploiteurs.
La plupart des historiens bourgeois ne comprennent pas -ou plutôt ne veulent pas comprendre- que la révolution n’est pas un processus artificiel créé de toutes pièces, qui peut se fabriquer dans les laboratoire des état-majors des partis politiques, mais est un processus objectif qui a des racines historiques profondes dans la société : les contradictions entre les classes sociales. Pour les marxistes, les révolutions ne sont pas des surprises, mais sont préparées par toute l’évolution antérieure. La révolution arrive inévitablement quand la contradiction entre la structure de la société et les nécessités de son développement arrive à maturité : lorsque l’accumulation quantitative de frustration encaissée pendant des décennies par les classes exploitées atteint un stade qualitatif, lorsque toute cette quantité d’énergie accumulée dans la société augmente jusqu’à faire ‘sauter le couvercle’.
Dans ce sens, la Révolution d’Octobre 1917 n’a été que l’aboutissement d’un processus révolutionnaire ouvert par l’écroulement du régime tsariste en février, et qui, durant cette période qui sépare la révolution de février de celle d’octobre, va voir se déployer une énergie, une vitalité, un bouillonnement incroyable parmi les masses, et une vie politique intense. 1917 fut une année d’action de masses étonnante par la variété et la puissance des initiatives populaires, témoin du déferlement d’un torrent de politisation générale de la société : partout, les ouvriers dans les usines, les soldats dans les casernes et les tranchées, les paysans dans les villages, avaient soif de politique, soif de s’instruire, soif de lire des journaux, de discuter des idées, de participer aux grands débats,…Chaque ville, chaque village, chaque district, chaque province, développait ses soviets de députés ouvriers, soldats et paysans, prêts à assurer l’administration locale. John Reed, le journaliste socialiste américain auteur du célèbre livre ‘Dix jours qui ébranlèrent le monde’ expliquait qu’ « à Pétrograd comme dans toute la Russie, chaque coin de rue était transformée en une tribune publique. » L’intervention active des masses dans les événements constitue l’élément le plus essentiel d’une révolution. Toute cette dynamique de masse illustre l’absurdité des arguments sur le soi-disant ‘putsch’ des Bolchéviks.
Les Bolchéviks et la question de la violence
Bien sûr, il est aujourd’hui de bon ton de présenter le parti Bolchévik comme des bouchers sanguinaires assoiffés de sang. On se souvient notamment de l’image de Trotsky entourée d’une montagne de crânes et de squelettes, dépeint comme un assassin et un bourreau. Des tonnes d’encres ont été déversées pour dénoncer en long et en large la Terreur Rouge et les exactions de la guerre civile. On parle étrangement beaucoup moins du fait que la guerre civile fut suscitée par la volonté des anciennes classes possédantes de Russie et de l’impérialisme mondial de mettre le pays à feu et à sang pour écraser la révolution par tous les moyens, et que le jeune Etat ouvrier fut réduit à une situation de ‘forteresse assiégée’ par un total de 22 armées.
Le général blanc Kornilov illustrait à merveille l’état d’esprit peu soucieux d’amabilité des capitalistes face au pouvoir soviétique lorsqu’il disait : “Si nous devons brûler la moitié de la Russie et décimer les trois quarts de sa population pour la sauver, nous le ferons. Le pouvoir est aux mains d’une plèbe criminelle que l’on ne mettra à la raison que par des exécutions et des pendaisons publiques”. On ne peut donc pas faire une analyse un tant soit peu sérieuse si l’on ne tient pas compte qu’il s’agit là du genre de bonhommes que les Bolchéviks avaient en face d’eux. L’ironie de l’histoire est qu’au début, les Bolchéviks étaient même plus qu’indulgents avec leurs ennemis de classe, au point de libérer les généraux contre-révolutionnaires sur base d’un engagement sur parole qu’ils ne prendraient plus les armes contre le pouvoir soviétique! Bien sûr, les marxistes ne sont pas des apologistes de la violence, surtout lorsqu’il s’agit d’une violence aveugle, réalisée par une minorité isolée et coupée de l’action de masses. Les marxistes russes avaient notamment mené un combat idéologique pendant des années contre les terroristes russes, à commencer par la ‘Narodnaia Volia’ (= ‘La Volonté du Peuple’), organisation terroriste qui voulait combattre l’autocratie par la seule force de la bombe et du revolver. Leur chef disait explicitement : “L’histoire est trop lente, il faut la bousculer”. Cette organisation va perpétrer en 1881 un attentat contre le Tsar Alexandre II, persuadée que cela allait stimuler un soulèvement général des paysans. L’assassinat n’aura aucun écho, les auteurs seront pendus, la répression va s’abattre sur le pays et décapiter la Narodnaia Volia ; Alexandre II, quant à lui, sera simplement remplacé par Alexandre III. Les marxistes ont toujours opposé à ce type de méthodes de terrorisme individuel l’organisation des masses.
Mais les marxistes ont aussi les pieds sur terre; ils ne raisonnent pas sous forme de catégories abstraites –pour ou contre la violence ‘en général’-, mais prennent comme point de départ de leur analyse la situation concrète. Et une réalité concrète est que lorsque la classe opprimée ose se rebeller pour ses droits, les classes dominantes n’hésitent jamais à recourir à une répression impitoyable, à un déferlement d’une violence inouïe, dépassant parfois toute imagination. Il suffirait par exemple de rappeler la répression des Communards de Paris par les bandes de Thiers, qui culmina dans un carnage effroyable, exécutant à bout portant hommes, femmes, enfants et vieillards. Le fusil ne tuant plus assez vite, c’est par centaines que les ouvriers vaincus furent abattus à la mitrailleuse. On s’apitoie souvent sur le triste sort réservée à la famille tsariste exécutée par les ‘Rouges’. On s’apitoie beaucoup moins sur les 5 millions de soldats envoyés par le régime tsariste se faire charcuter dans la boucherie des tranchées, parfois à pieds nus et sans armes. Il faut s’imaginer que les soldats russes devaient parfois partir à l’assaut avec un fusil pour quatre. Il est d’ailleurs clair que l’horreur de cette guerre impérialiste, dont l’unique but était le partage du monde et des sphères de marché entre les grandes puissances, jouera un rôle décisif d’accélérateur des événements révolutionnaires de l’après-guerre. La combativité des masses, étouffée dans un premier temps par la propagande patriotique, va dans un deuxième temps ressurgir à la surface avec une vigueur et une vitalité exceptionnelle.
Le développement d’une conscience révolutionnaire : un processus dialectique
Il n’y a pas de meilleure école que celle de la pratique : l’éducation politique des masses s’effectue à travers leur propre expérience pratique. Ce que l’on constate dans toute période révolutionnaire ou dans toute lutte d’une certaine importance, c’est que dans le feu de l’action, la conscience politique des travailleurs peut faire des bonds gigantesques en avant. Engels disait qu’”il peut y avoir des périodes dans la société humaine où 20 ans apparaissent comme un seul jour, tout comme des moments où une seule journée apparaît comme 20 ans.” L’année 1917 en Russie illustre cette idée : la classe ouvrière russe a plus appris en quelques mois qu’elle n’avait pu le faire pendant des dizaines d’années auparavant. C’est ce qui explique comment un type comme Alexandre Kérensky, très populaire en mars ’17, était unanimement détesté au mois d’octobre. C’est ce qui explique la progression numérique fulgurante du Parti Bolchévik, qui ne comptait que quelques milliers de membres au début du mois de février, déjà 100.000 en avril, près de 200.000 au mois d’août et plus d’un quart de millions au début d’octobre. On voit ainsi que, dans le cours d’une révolution, quand les événements se succèdent à un rythme accéléré, un parti faible peut rapidement devenir un parti puissant : le POUM (Parti Ouvrier d’Unification Marxiste), dans les six premières semaines qui suivirent l’offensive révolutionnaire de juillet 1936 en Espagne, était ainsi passé d’un parti de 1000-1500 membres à plus de 30.000 membres.
Cela montre que la compréhension de la nécessité d’un parti révolutionnaire au sein de larges couches de travailleurs n’est pas quelque chose d’automatique. Le processus qui part de l’élaboration d’un programme révolutionnaire et de l’accumulation primitive des premiers cadres révolutionnaires jusqu’à la construction de partis révolutionnaires de masse est un processus qui s’accomplit à travers divers stades inégaux de développement. Mais en dernière instance, ce n’est que lorsque les contradictions du système éclatent au grand jour que les conditions objectives se créent pour une large pénétration des idées révolutionnaires au sein de la classe des travailleurs.
Le stalinisme et le fascisme étaient-ils inévitables ?
Une chose est sûre : s’il n’y avait pas eu de Parti Bolchévik en Russie, toute l’énergie révolutionnaire colossale des travailleurs aurait été lamentablement gâchée et aurait repoussé le mouvement ouvrier en arrière pour longtemps au prix d’une défaite catastrophique et sanglante, comme cela s’est d’ailleurs passé en Hongrie avec l’avènement de la dictature militaire du général Horthy, ou en Allemagne et en Italie avec la montée au pouvoir du fascisme. Ces régimes vont liquider avec zèle les syndicats et les organisations ouvrières, torturer et massacrer les communistes et les socialistes par milliers. La communiste allemande Clara Zetkin l’avait compris, elle qui déclarait en 1923 que “le fascisme sera à l’ordre du jour si la Révolution Russe ne connaît pas de prolongement dans le reste de l’Europe.” Le fascisme a été le prix à payer de la trahison des partis de la social-démocratie, et de l’inexistence ou de la faiblesse d’un parti politique de type Bolchévique comme il en existait un en Russie.
Mais ce prix, les travailleurs russes le payeront également. Car ces défaites vont contribuer à l’isolement de la révolution russe dans un pays extrêmement arriéré, et, en conséquence, à sa dégénérescence vers une dictature bureaucratique et totalitaire. En 1924, Staline mit en avant la théorie du ‘socialisme dans un seul pays’, afin de se débarrasser de la tâche de la construction de la révolution mondiale, et pour protéger les intérêts et privilèges de la bureaucratie montante, notamment en empêchant le développement et l’aboutissement d’autres révolutions ouvrières qui auraient pu mettre ces privilèges en péril. Cette dégénérescence sera elle-même facteur de nouvelles défaites (comme lors de la révolution chinoise de 1926-27).
Lorsque Lénine arriva à Pétrograd au mois d’avril 1917, le président du soviet (encore un Menchévik à l’époque) va prononcer un discours rituel d’accueil; Lénine va lui tourner le dos, grimper sur un char, se tourner vers la foule des travailleurs et proclamer : “L’aube de la révolution mondiale est arrivée…Vive la révolution socialiste mondiale!” Ce slogan sera gravé plus tard sur le socle d’une statue de Lénine érigée à cet endroit…mais en y retirant le mot ‘mondiale’! La fameuse théorie de Staline du ‘socialisme dans un seul pays’ était une théorie réactionnaire qui allait à l’encontre de tout l’enseignement marxiste et de toute la tradition internationaliste du Bolchévisme; ce ne fut en fait rien d’autre que le couronnement idéologique de la position de l’appareil bureaucratique stalinien qui va s’ériger et se conforter sur les ruines de toutes ces défaites du mouvement ouvrier.
Le Parti Révolutionnaire : un ingrédient indispensable
Trotsky expliquait que « Sans organisation dirigeante, l’énergie des masses se volatilise comme de la vapeur non enfermée dans un cylindre à piston. » La révolution d’Octobre n’aurait jamais pu aboutir sans l’existence d’un tel parti, capable de donner à la force spontanée des travailleurs une expression politique consciente, organisée et disciplinée ou, pour reprendre l’expression de Lénine, pour “concentrer toutes les gouttes et les ruisseaux du mécontentement populaire en un seul torrent gigantesque.” Toute révolution exige une organisation sérieusement structurée pour définir et mettre en application un programme, une stratégie, des tactiques correspondant aux diverses phases de la lutte et à l’évolution des rapports de force. Comment les Bolchéviks ont-ils été capables de conquérir un territoire géographique aussi vaste que la Russie ? Cela s’explique par le vaste réseau de cadres révolutionnaires que Lénine et le Parti Bolchévik avait construit et formé pendant des années. Pendant la révolution, des détachements d’ouvriers et des régiments de soldats envoyaient des délégués au front, allaient conquérir les régiments arriérés, se cotisaient pour envoyer des délégués dans les provinces et les campagnes dont ils étaient originaires, parfois dans les régions les plus reculées du pays. Certains cadres passaient des journées entières à haranguer les usines, le front, les casernes,…sans relâche. C’est comme ça qu’en quelques mois, en s’appuyant sur le développement de la révolution, le parti a été capable de convaincre la majorité des travailleurs de la justesse de ses mots d’ordre. Cela illustre l’importance de la construction préalable d’un parti de cadres formés et préparés aux événements, éprouvés et trempés dans la lutte, prêts au sacrifice, et capables par l’expérience qu’ils ont accumulée, de jouer un rôle décisif au moment fatidique. Là était toute la force du parti Bolchévik.
Ce dernier n’était pourtant suivi en février 1917 que par une insignifiante minorité de la classe ouvrière. Lors du premier congrès des Soviets en juin, sur 822 délégués, seulement 105 étaient Bolchéviks, montrant qu’une majorité encore imposante des ouvriers soutenait les partis Mencheviks et ‘Socialiste-Révolutionnaire’. Ces partis jouaient littéralement le rôle de commis de la bourgeoisie dans le mouvement ouvrier : soucieux de respecter les engagements pris avec l’impérialisme étranger, ils appuyaient la poursuite jusqu’à la victoire d’une guerre massivement rejetée par la population, s’évertuaient à freiner les revendications sociales, refusaient d’accorder la terre aux paysans. En d’autres termes, ils faisaient tout pour empêcher la réalisation de revendications qui puissent empiéter sur les intérêts des classes possédantes. Ils prônaient la collaboration entre deux formes de pouvoir irrémédiablement incompatibles et s’appuyant sur deux classes antagonistes : d’un côté, les soviets, épine dorsale de la révolution représentant les masses laborieuses en action, et de l’autre, le gouvernement provisoire représentant la bourgeoisie et les propriétaires terriens. Alexandre Kérensky était la forme achevée de ce rôle conciliateur, étant pendant toute une période à la fois vice-président du Soviet de Pétrograd et membre du gouvernement provisoire. Son action, comme celle de tous les politiciens Menchéviks et S-R, était guidée par l’idée de contenir les masses et de maintenir les Soviets dans le giron de la bourgeoisie. Mais au fur et à mesure que les masses populaires devenaient plus radicales, poussaient pour mettre en avant leurs revendications propres et une politique indépendante, autrement dit au plus les masses évoluaient vers la gauche, au plus ces politiciens étaient repoussés vers la droite. Kérensky finira d’ailleurs par dire : “Le gouvernement provisoire non seulement ne s’appuie pas sur les soviets, mais il considère comme très regrettable le seul fait de leur existence.”
Ce processus illustre qu’il n’y a pas de troisième voie, de solution ‘à mi-chemin’ entre le pouvoir des capitalistes et celui des travailleurs. Et ça, c’est une leçon que les anarchistes espagnols –ainsi que le POUM à leur suite- n’ont pas compris lors de la révolution espagnole de 1936 : dans une situation de dualité de pouvoir, caractéristique de toute situation révolutionnaire, c’est-à-dire au moment crucial où il faut choisir entre deux formes de pouvoir différents, les dirigeants anarchistes de la CNT, refusant a priori toute forme de pouvoir quelle qu’elle soit, vont non seulement accepter de laisser les rênes de ce pouvoir dans les mains de l’ennemi de classe, mais même participer à la reconstitution de l’Etat bourgeois en acceptant des portefeuilles ministériels dans le gouvernement de Front Populaire.
Marx disait que “Dans toute révolution, il se glisse, à côté de ses représentants véritables, des hommes d’un tout autre caractère; ne comprenant pas le mouvement présent, ou ne le comprenant que trop bien, ils possèdent encore une grande influence sur le peuple, souvent par la simple force de la tradition.” Lors de la révolution russe, ce rôle fut incontestablement joué par les Menchéviks et les S-R. Mais ce n’est que peu à peu, et seulement sur la base de leur propre expérience à travers les différentes étapes de la bataille, que les couches les plus larges des masses ont fini par se défaire de ces partis, et par se convaincre que la direction Bolchévique était plus déterminée, plus sûre, plus loyale, plus fiable, que tous les autres partis. Les 8 mois qui séparent Février d’Octobre ont été nécessaires pour que les travailleurs et les paysans pauvres de Russie puissent faire l’expérience du gouvernement provisoire, et pour que, combiné avec le travail mené par le Parti Bolchévik, les larges masses puissent arriver à la conclusion que ce régime devait être renversé car il n’était pas le leur, mais celui de la bourgeoisie et des grands propriétaires ; à l’inverse, le parti Bolchévik était quant à lui le seul parti prêt à les défendre jusqu’au bout, jusqu’à l’ultime conclusion…c’est-à-dire jusqu’au pouvoir.
Mais la condition pour cela était évidemment l’existence même d’une organisation véritablement révolutionnaire capable, de par sa lucidité politique et sa détermination, de contrecarrer l’influence des appareils et des politiciens traîtres et réformistes. L’absence d’un tel facteur sera à l’origine de toutes les défaites révolutionnaires ultérieures. En mai’68, dix millions de travailleurs étaient en grève en France, occupant leurs usines, dressant des comités ouvriers dans tout le pays. La classe ouvrière française était à deux doigts du pouvoir .Mais la bureaucratie stalinienne du Parti Communiste Français refusera de prendre ses responsabilités : elle va dénigrer les étudiants en lutte qualifiés pour l’occasion de “renégats gauchistes” ou de “faux révolutionnaires”, nier le caractère révolutionnaire du mouvement, et détourner la lutte vers la voie électorale avec des slogans tels que “rétablissons l’ordre dans le chaos”. La plus grosse grève générale de toute l’histoire va ainsi refluer faute de perspectives politiques, et c’est ainsi que la plus belle occasion pour les travailleurs de prendre le pouvoir dans un pays capitaliste avancé sera perdue.
La crise historique de l’humanité se réduit à la crise de la direction révolutionnaire
Marx affirmait que “les révolutions sont les locomotives de l’histoire”. Mais chacun sait qu’une locomotive a besoin d’un bon conducteur pour arriver à destination, sinon elle risque de dérailler rapidement. De la même manière, si la révolution ne dispose pas d’un bon conducteur pour l’orienter, sous la forme d’une direction révolutionnaire, elle déraille aussi. Et une chose dont nous pouvons être sûrs, c’est que la locomotive de la révolution n’attendra pas les révolutionnaires ; elle ne laisse en général que peu de temps à la confusion et à l’hésitation. Le sort des partis qui ne sont qu’à moitié ou au quart révolutionnaires est de passer en-dessous des roues de la locomotive : c’est ce qui est par exemple arrivé au POUM en Espagne, dont beaucoup des militants vont payer de leur vie les erreurs et les hésitations de sa direction. C’est aussi ce qui est arrivé au MIR au Chili en 1973, dont de nombreux militants vont finir leur vie torturés dans les geôles de Pinochet. L’approche et les méthodes gauchistes du MIR vont le rendre incapables de développer une assise significative au sein du mouvement ouvrier. Ce qui met en avant un autre élément fondamental : se dire révolutionnaire est une chose ; mais encore faut-il arriver à transcrire le programme révolutionnaire de manière correcte dans la réalité vivante, avec une approche et des revendications qui soient adaptées à chaque situation spécifique, à chaque étape de la lutte, tenant compte du niveau de conscience, des traditions du mouvement ouvrier dans chaque pays, etc. Lénine disait que “le marxisme, c’est avant tout, l’analyse concrète de la situation concrète.” Il est clair par exemple que le slogan “Tout le pouvoir aux soviets” était un slogan directement adapté aux conditions spécifiques de la Russie de 1917. Lors de la révolution chilienne de 1973, un tel slogan aurait dû être traduit par quelque chose comme “Tout le pouvoir aux cordons industriels” les cordons industriels étant les organismes de classe rassemblant les travailleurs et les habitants des quartiers ouvriers qui étaient apparus pendant le processus révolutionnaire au Chili. Mais lorsque les staliniens du Parti Communiste Espagnol vont lancer au début des années ‘30 le mot d’ordre: «A bas la République bourgeoise ! Tout le pouvoir aux soviets ! » à une période où la république venait d’être proclamée et où il n’existait pas l’ombre d’un soviet ou d’un organisme semblable dans toute l’Espagne, le seul résultat qu’ils pouvaient obtenir était de s’isoler complètement des masses…
Cette discussion met en évidence une des principales contributions de Trotsky au marxisme, à savoir le ‘Programme de Transition’. Trotsky expliquait qu’il faut aider les masses, dans le processus de leurs luttes quotidiennes, à trouver le pont entre leurs revendications actuelles, immédiates, et le programme de la révolution socialiste. Ce pont doit consister en un système de revendications transitoires, qui partent des conditions actuelles et de la conscience actuelle de larges couches de travailleurs pour conduire à une seule et même conclusion : la révolution socialiste et la conquête du pouvoir. C’est-à-dire élaborer un panel de revendications qui, en partant des besoins concrets et du niveau de conscience des travailleurs et de leurs familles, sont par essence incompatibles avec le maintien du système capitaliste. Le slogan des Bolchéviks “Pain, Terre et Paix”, dans une situation où la famine rôdait, où la paysannerie avait soif de terre, et où le ras-le-bol de la guerre était général, faisait ainsi directement appel aux aspirations les plus profondes de la majorité de la population laborieuse, et, tout en même temps, renvoyait implicitement à la nécessité de renverser le pouvoir de la bourgeoisie; cette dernière, pieds et poings liés et avec l’impérialisme étranger et avec les grands propriétaires fonciers, était absolument incapable de satisfaire ne fût-ce qu’une seule de ces revendications.
Trotsky commençait son programme de transition en disant que “La crise historique de l’humanité se réduit à la crise de la direction révolutionnaire.” Le rôle et la responsabilité de la direction politique dans une époque révolutionnaire sont effectivement d’une importance colossale. Dans une telle époque, en l’absence d’un parti révolutionnaire, les espoirs des masses font place à la désillusion, l’ennemi tire profit de cette désillusion et se remet de sa panique, les masses découragées se lancent dans des explosions désordonnées et sans perspective, et c’est la défaite assurée.
Bien sûr, la construction d’un Parti Révolutionnaire n’est pas seulement importante dans une époque révolutionnaire. En effet, la construction d’un cadre marxiste révolutionnaire solide et préparé ne peut pas s’effectuer du jour au lendemain, mais exige au contraire des délais considérables que la rapidité des processus révolutionnaires ne laisse pas le temps d’entreprendre en quelques jours, semaines ou mois. La société connaît, à côté des périodes d’ouverture révolutionnaire, des périodes d’un tout autre caractère : des périodes de réaction, de recul, durant lesquelles la lutte du mouvement ouvrier ainsi que les idées socialistes sont poussées sur la défensive. Nous avons connu une telle période après la chute des régimes staliniens dans les années ’90, période durant laquelle les révolutionnaires devaient complètement nager à contre-courant dans la société pour pouvoir exister. Dans un tout autre contexte, les Bolchéviks avaient connu une période similaire après la défaite de la révolution russe de 1905. Sous les coups de la répression et de la démoralisation, le parti subit une véritable hémorragie en termes de membres, et mêmes certains cadres dirigeants du parti succombèrent à la pression et au défaitisme ambiants ; pour exemple, Lounatcharsky développa un groupe appelé ‘Les Constructeurs de Dieu’, qui se fixait pour idée-maîtresse de présenter le socialisme sous la forme d’une religion, jugée selon eux « plus attractive » que la lutte des classes pour les masses déçues et démoralisées ! Néanmoins, la volonté infatigable de Lénine de s’acharner, même dans ces conditions difficiles, à construire et à former un cadre révolutionnaire pendant cette période va considérablement aider le Parti Bolchévik à pouvoir affronter les défis et les tâches grandioses qui allaient l’attendre quelques années plus tard.
Lénine avait certes éduqué un cadre sur base de perspectives qui révéleront leur faiblesse dans la pratique en 1917. En effet, jusque-là Lénine croyait encore à l’idée d’une révolution par étapes nettement séparées dans le temps : une première étape à caractère démocratique-bourgeoise, portée par une « alliance démocratique entre le prolétariat et la paysannerie » (c’est-à-dire une révolution prolétarienne dans sa forme, mais bourgeoise dans son contenu), suivie d’une étape socialiste plus lointaine ; ces deux étapes étant entrecoupées d’une période significative de développement capitaliste du pays. Cependant, refusant de s’accrocher aux vieilles formules, et proclamant que « le vieux bolchévisme doit être abandonné », Lénine corrigera ses perspectives à la lumière des événements, lors de l’éclatement de la révolution. Là est toute l’essence de ses ‘Thèses d’Avril’, dans lesquelles il rallie la perspective d’une ‘révolution permanente’ avancée depuis plusieurs années déjà par Trotsky. A partir de ce moment, tout son travail consistera à tenter d’infléchir la ligne du Parti Bolchévik en vue d’une telle perspective : armer politiquement le parti pour le préparer à une rapide prise du pouvoir par les soviets, à l’instauration d’un gouvernement ouvrier et des premières mesures socialistes.
Avec le recul, on peut aisément affirmer que Trotsky disposait de perspectives plus élaborées que Lénine. Mais le développement théorique plus consistant de Trotsky ne peut se comprendre sans tenir compte du fait que durant toutes les années qui précèdent la révolution de 1917, toute l’énergie de Lénine était concentrée sur la construction du Parti Bolchévik, à une époque où, de ses propres aveux, Trotsky n’avait pas encore saisi toute l’importance d’un parti soudé et centralisé comme condition indispensable pour atteindre le but révolutionnaire, et, jusqu’à un certain point, entretenait encore l’illusion d’une ‘réconciliation’ entre la fraction réformiste (les Menchéviks) et la fraction révolutionnaire (les Bolchéviks) de l’ancien POSDR (Parti Ouvrier Social-Démocrate de Russie). C’est finalement la révolution elle-même qui permettra de rassembler les deux hommes autour d’une même perspective et d’une même conception du type de parti nécessaire.
Ne laissons pas ces leçons sur le papier !
A d’innombrables reprises dans l’histoire, les travailleurs ont tenté de suivre la voie des travailleurs russes, de se frayer un chemin vers le pouvoir et vers l’instauration d’une société socialiste. Lors de la révolution portugaise de 1974, les travailleurs en étaient tellement proches que la presse annonçait déjà “la fin du capitalisme” au Portugal ! On pourrait multiplier ces exemples. L’histoire du capitalisme est jalonnée de nombreux combats révolutionnaires héroïques menés par le mouvement ouvrier pour son émancipation. Mais à l’exception de la révolution russe, la défaite a été l’issue de tous ces combats pour la seule raison qu’ils n’avaient pas à leur tête une direction politique expérimentée, préparée à encadrer ces mouvements, à leur donner une perspective, et à les faire aboutir jusqu’à leur conclusion logique et naturelle. Malgré sa dégénérescence ultérieure, malgré les décennies de pourriture du stalinisme, la révolution russe continuera de se distinguer de toutes les autres révolutions ouvrières sur un point essentiel : c’est la seule qui a abouti. Dès lors, s’atteler à la construction d’une organisation révolutionnaire internationale est la leçon la plus générale, mais aussi la plus importante, que l’on puisse dégager d’une telle discussion aujourd’hui, afin d’éviter de nouvelles défaites au mouvement ouvrier et d’assurer un meilleur avenir pour les générations futures.
-
Plus que des Rois et des Reines… La vision marxiste de l’Histoire
Naomi Byron
On nous fait croire que le capitalisme est la meilleure manière d’organiser la société, que le socialisme est impossible. On nous fait croire que l’Histoire est faite par des personnalités remarquables comme les rois, les reines et les politiciens, et que les travailleurs n’ont pas le pouvoir de changer la société.
Certains veulent même nous faire croire qu’il n’existe aucun moyen de comprendre comment se développe la société : les adeptes du post-modernisme, une théorie qui a gagné en popularité dans les années ‘90, affirment qu’il n’y a pas de lois générales qui gouvernent le développement de la société. Ce texte démontre que rien de tout cela n’est vrai.
Pourquoi étudier l’Histoire ?
Le capitalisme, le système sous lequel nous vivons aujourd’hui, est inégal et antidémocratique. Pourquoi ? Parce que le capitalisme est une société de classes basée sur l’exploitation de la classe des travailleurs (la majorité de la population) par la classe des capitalistes (une petite minorité de la population) qui possède et contrôle les industries et les institutions financières et qui domine les gouvernements et les institutions politiques.
On nous fait croire que le capitalisme est la meilleure manière d’organiser la société, que le socialisme est impossible. On nous fait croire que l’Histoire est faite par des personnalités remarquables comme les rois, les reines et les politiciens, et que les travailleurs n’ont pas le pouvoir de changer la société.
Certains veulent même nous faire croire qu’il n’existe aucun moyen de comprendre comment se développe la société : les adeptes du post-modernisme, une théorie qui a gagné en popularité dans les années ‘90, croient qu’il n’y a pas de lois générales qui gouvernent le développement de la société.
Rien de tout cela n’est vrai. La théorie du matérialisme historique, développée par Marx et Engels, apporte un cadre d’analyse de la société humaine et des lois de son développement. Cette théorie explique que les sociétés de classes n’ont pas toujours existé, que les premières sociétés humaines n’étaient pas divisées en classes et qu’elles étaient basées sur la coopération et non sur l’exploitation.
Ce texte a pour but de montrer comment les dirigeants d’aujourd’hui essayent de faire accepter à la population l’idée qu’il n’y a aucune alternative au capitalisme, mais aussi comment la réalité de la vie force la population à chercher une alternative et à expliquer les batailles d’idée que cela engendre. Plus important encore, elle explique les raisons pour lesquelles nous, la classe des travailleurs, avons le pouvoir de renverser le système capitaliste, tous ensemble, et de créer une société qui abolisse l’exploitation de classe, une société qui combine la démocratie, l’égalité et la liberté existant dans les premières sociétés avec les avantages des développements économiques, scientifiques et technologiques modernes : une société socialiste.
1. La société humaine est basée sur des forces matérielles
Matérialisme contre idéalisme
Marx et Engels ont élaboré leur étude de la manière dont se développe la société humaine à travers une lutte acharnée contre les philosophes « idéalistes ».
Beaucoup de gens pensent que le socialisme est « idéaliste », que c’est une bonne idée mais que c’est irréalisable (ce que Marx et Engels appelait l’« utopisme »). Au contraire, les idées du socialisme et du marxisme sont réalistes et très praticables car elles sont basées sur l’analyse du monde réel et de son fonctionnement.
Contrairement à la manière dont la plupart des gens comprennent ce mot aujourd’hui, l’« idéalisme » désignait à l’origine un courant de la pensée philosophique. Les idéalistes pensaient que les idées viennent en premier et que la réalité matérielle arrive à l’existence en résultat de ces idées. Un idéaliste (en philosophie) dirait que les changements dans la réalité matérielle sont provoqués par les idées et non par des forces matérielles et que les idées ont une existence indépendante – et même sans relation – avec la réalité matérielle.
Tout en reconnaissant que les idées jouent un rôle important dans le changement social, les marxistes sont matérialistes (ici aussi dans le sens philosophique du terme). Pour un matérialiste, la société humaine et l’histoire est modelée par des forces économiques et sociales matérielles – des choses et des processus bien réels – et les idées sont le reflet de cette réalité matérielle dans la conscience humaine.
Les marxistes pensent que la société humaine est basée sur des forces matérielles. En d’autres mots, pour que n’importe quelle société humaine puisse exister, les humains doivent produire les biens de première nécessité qui leur permettent de survivre : la nourriture, un abri, de l’eau,… Ce sont des éléments matériels sans lesquelles nous mourrions. Mais la manière dont nous interagissons pour produire ces biens indispensables – qui sont les gens qui ont le contrôle sur les produits issus du travail et comment utilisent-ils ceux-ci ? – détermine le type de société dans laquelle nous vivons.
Au commencement : l’évolution
Sans certains facteurs physiques, la société humaine telle que nous la connaissons ne se serait jamais développée : le vaste cerveau humain, l’appareil phonatoire (la langue, le palais, les dents, les cordes vocales) et les pouces opposables.
Le développement et la croissance du cerveau et de l’appareil phonatoire sont apparus à cause de la manière dont les humains ont évolué en interaction avec leur environnement. Les premiers humains étaient moins bien adaptés à leur environnement que beaucoup d’espèces. Ils ont compensé ce handicap en travaillant ensemble dans de larges groupes et en développant des outils.
La croissance de la taille physique du cerveau humain (qui est beaucoup plus grand que celui de n’importe quel autre animal quand on les compare en tenant compte des poids de leurs corps respectifs), est à la fois le résultat du développement de l’intelligence humaine (provoqué par le besoin de coopérer et de fabriquer des outils) et la cause d’une nouvelle croissance. Avec une plus grande quantité de cerveau disponible à l’utilisation, les premiers humains ont eu plus de potentiel pour développer encore plus leur intelligence.
Le fait d’avoir des pouces opposables nous permet de tenir, de fabriquer et d’utiliser des outils. Sans la belle habileté de manipulation que ceux-ci rendent possible, les premiers humains n’auraient pas été capables de développer et d’utiliser les outils sophistiqués qui leur ont permis de survivre et de prospérer dans un environnement changeant.
Sans la large gamme de sons que l’appareil phonatoire nous permet de produire, les sociétés primitives n’auraient jamais pu développer les langages complexes qui ont permis de communiquer des idées et de coopérer sur une large échelle.
En résumé, le développement de nouvelles capacités de faire face à la lutte pour la survie a provoqué des changements physiques. A leur tour, ces changements physiques ont ouvert de nouvelles possibilités pour le développement du langage, de la fabrication d’outils et des capacités mentales (comme la pensée abstraite). Et ces deux processus ont continué de se développer et de se renforcer l’un l’autre.
Les sociétés de chasseurs-cueilleurs / le communisme primitif
On nous a enseigné que les sociétés de classes ont toujours existé, que l’exploitation de classe est un aspect naturel et inévitable de la société humaine. Mais ce n’est pas vrai.
Les premières sociétés humaines étaient des sociétés sans classe basées sur la coopération et le consensus et ne connaissant pas l’exploitation ou l’oppression systématique d’un quelconque groupe sur un autre.
Ce type de société, habituellement appelée société de chasseurs-cueilleurs, n’a pas été un bref interlude dans l’exploitation et l’oppression que nous connaissons dans les sociétés de classe. Cela a été la seule façon dont les sociétés ont été organisée pendant plus de 100.000 ans, jusqu’à ce que des sociétés de classes commencent à se développer il y a environ 10.000 ans. Même aujourd’hui, il existe encore quelques régions dans le monde où des sociétés de chasseurs-cueilleurs existent encore (quoique ce ne sera peut-être plus le cas pour longtemps, car elles sont toutes sous la pression d’une absorption dans l’économie capitaliste mondiale). Pourquoi les sociétés de chasseurs-cueilleurs fonctionnaient-elles si différemment de la société actuelle ? La réponse tient à la manière dont la production des biens indispensables était organisée.
Pour tenter de subvenir à leurs besoins, ces groupes combinaient, d’une part, la chasse d’animaux sauvages et la récupération de charognes et, d’autre part, la cueillette de plantes sauvages. Ils étaient à la merci de leur environnement et ne pouvaient stocker de grosses quantités de nourriture sur le long terme, en particulier parce qu’ils voyageaient généralement sur de longues distances à la recherche de nourriture, et ce pendant parfois plusieurs saisons.
Chacun était intégré à la production des biens de première nécessité (nourriture, abri,…) car autrement tout le monde serait mort de faim. Il n’existait aucun espace dans lequel une élite aurait pu se développer en organisant l’exploitation du travail des autres.
Il y avait souvent des différences dans le travail que faisaient les gens. Par exemple, dans beaucoup de sociétés de chasseurs-cueilleurs, les femmes semblent avoir consacré plus de temps à la garde des enfants tandis que les hommes se consacraient plus à la chasse, bien que cette division élémentaire du travail était très flexible et n’existait pas partout.
Cependant, ces différences, là où elles existaient, étaient dues à des raisons pratiques et ne menaient à aucun jugement de valeur sur le statut de chaque type de travail ou des gens qui l’accomplissaient (comme c’est le cas aujourd’hui). C’est seulement quand la société s’est divisée en classes que la garde des enfants et les autres travaux associés aux femmes ont perdu leur valeur et que l’oppression systématique de la femme a commencé.
Les sociétés de chasseurs-cueilleurs avaient tendance à vivre en petits groupes (la taille de ceux-ci dépendant des ressources dont ils disposaient) qui étaient liés à d’autres petits groupes vivant dans la même région. Les études sur les sociétés de chasseurs-cueilleurs réalisées au siècle dernier montrent que, dans de nombreux cas, celles-ci avaient développé des systèmes complexes de partage des ressources au sein des groupes et entre ceux-ci pour avoir une sorte d’assurance contre les famines et les conflits.
Dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs, si un groupe se porte bien, il est dans son intérêt à long terme de partager les fruits de ses succès avec d’autres groupes. S’il dispose d’un surplus de nourriture qu’il ne peut pas manger ou conserver, il en donne une partie à d’autres groupes, sachant que les autres feraient pareil s’ils se retrouvaient dans la même situation.
Ceci représente non seulement une aide pour ces groupes quand la nourriture se fait rare, mais aussi un moyen de réduire les conflits entre eux. Quand chacun dépend de chacun, il est dans l’intérêt de tous d’éviter les conflits.
Marx et Engels ont décrit ces sociétés de chasseurs-cueilleurs sous le nom de « communisme primitif » parce que la manière dont les biens essentiels étaient produits et distribués dans ces sociétés – leur « mode de production » – produisait en retour une méthode démocratique et coopérative de prise de décision. La citation ci-dessous décrit comment ce processus se déroulait entre des groupes de Boshimans parlant la langue G/wi dans la réserve du Kalahari central du Bostwana à fin des années ‘50 et au début des années ‘60: « Le consensus est atteint au terme d’un processus d’examen des divers scénarios d’action possibles conduisant au rejet de tous sauf un. C’est un processus d’élimination successive de propositions jusqu’à ce qu’il n’en subsiste plus qu’une qui ne rencontre plus d’opposition significative. Celle-ci est alors adoptée par le groupe. Le fait que ce soit le groupe dans son ensemble qui décide est à la fois nécessaire et suffisant pour légitimer ce qui est décidé et pour rendre la décision contraignante pour tous ceux qu’elle concerne ou qu’elle affecte. » (Political process in G/wi bands by George Silberbauer (extrait de Politics and history in band societies, edited by Eleanor Leacock and Richard Lee, published by Cambridge University Press, 1982))
On nous dit souvent que l’égoïsme, la brutalité et la guerre que nous voyons dans le monde aujourd’hui font partie de la nature humaine, que les humains ne sont pas conçus pour coopérer et vivre en égaux. Mais l’existence de sociétés de « communisme primitif » partout dans le monde pendant une période de temps aussi longue prouve que ce n’est pas le cas.
La nature humaine a des possibilités quasi-illimitées. La vie dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs n’était certainement pas parfaite. Il devait y avoir des privations et des désaccords entre individus. Mais la manière dont ces sociétés étaient organisées aidait à mettre en évidence les aspects les plus coopératifs et les plus positifs de la nature humaine tout en rejetant au second plan des aspects plus négatifs comme l’égoïsme et la cupidité. Tout comme la société de chasseurs-cueilleurs l’a fait hier, une société socialiste serait capable demain de faire ressortir le meilleur dans la nature humaine
La révolution néolithique…
Il y a à peu près 10.000 ans, deux découvertes ont commencé à révolutionner la façon dont les sociétés humaines s’organisaient : la culture de plantes (l’agriculture) et la domestication d’animaux.
Ces deux innovations, connues sous le nom de révolution néolithique, ont, pour la toute première fois, permis aux humains d’exercer un certain contrôle sur leur environnement. La productivité du travail a augmenté considérablement : les humains n’avaient plus besoin de se déplacer pour trouver de la nourriture aux différents moments de l’année, ils pouvaient cultiver et stocker leurs propres réserves de nourriture. De ce fait, ils n’étaient plus entièrement dépendants des conditions naturelles.
Ces changements ont mené à l’établissement de campements plus permanents, où les réserves de nourriture pouvaient être stockées et où on pouvait à la fois s’occuper des cultures et des animaux et les défendre contre des attaques. La quantité de nourriture disponible a augmenté considérablement, en même temps que la population humaine dans les sociétés néolithiques se développait rapidement.
Pour la première fois, la société humaine était capable de produire un surplus permanent (c’est-à-dire une quantité de nourriture et de biens dépassant ce qui est nécessaire à la survie), ce qui a permis à une partie de la société d’être délivrée du travail quotidien qui consiste à produire les biens de base, sans mettre en péril la survie du groupe.
Une partie de la société a ainsi pu se consacrer bien davantage à des tâches spécifiques et spécialisées, qui allaient de la pratique de rituels dont on pensait qu’ils apportaient de la nourriture et de la chance au groupe, jusqu’à la fabrication d’outils et au développement de nouvelles techniques comme la fonte du métal et la cuisson de la poterie.
Tout ceci a conduit à des méthodes plus productives d’utilisation du travail humain, comme par exemple l’utilisation d’outils en métal dans l’agriculture.
A mesure qu’augmentait la productivité du travail et que se complexifiaient certaines sociétés, une couche d’administrateurs s’est développée. Le premier système d’écriture connu dans le monde, par exemple, a été développé par les Sumériens peu avant 3.000 avant JC.
Le développement de la société sumérienne, qui a émergé entre les fleuves Tigre et Euphrate, non loin de l’actuelle ville de Bagdad, s’est fait sur base de l’irrigation. La création par les habitants de systèmes de canaux pour acheminer l’eau de pluie et l’eau des fleuves vers les champs ou les cultures a eu pour effet d’augmenter massivement le rendement des cultures. Mais, tant pour organiser le travail de creusage des canaux d’irrigation nécessaire à l’entretien d’une population nombreuse et en expansion que pour assurer une distribution efficace de l’eau, la société sumérienne avait besoin d’administrateurs.
La première écriture sumérienne a pris la forme de symboles, gravés dans des tablettes d’argile pour enregistrer de simples transactions (par exemple un nombre de moutons ou une quantité de céréales). Mais, en quelques centaines d’années, à mesure que les tâches des administrateurs se développaient et se complexifiaient, ces symboles primitifs ont été transformés en un système d’écriture reconnue et comprise par tous les administrateurs sumériens (les compétences de lecture et d’écriture étaient un privilège jalousement gardé).
…et la naissance de la société de classe
Les « spécialistes » et les administrateurs qui ont été libérés du travail de production de biens de première nécessité ont joué un rôle extrêmement progressif dans la mesure où ils ont contribué à développer les forces productives.
Cependant, beaucoup de ces « spécialistes » et de leurs descendants se sont peu à peu accrochés à leurs positions en s’appuyant sur l’accumulation de richesses réalisée, le statut privilégié et la tradition.
Dans beaucoup de régions, ils ont commencé à devenir une élite dirigeante, une nouvelle classe avec des intérêts différents de ceux des autres dans la société. Ils ont essayé d’établir des lois afin de protéger leur position privilégiée. Parmi ces nouvelles élites, celles qui ont le mieux réussi ont créé des groupes spécialisés de serviteurs/guerriers qu’elles payaient pour renforcer leur domination au sein de la société ainsi que pour protéger celle-ci d’attaques de l’extérieur.
Tout cela ne s’est pas passé sans résistance. Il semble que, dans certains groupes, les tentatives d’une classe dirigeante émergente pour consolider son pouvoir ont été bloquées et qu’une organisation collective à été réétablie. Cependant ces groupes tendaient à être plus faibles que les sociétés dirigées par une classe dominante où les forces productives avaient été davantage développées. En conséquence, à moins qu’ils soient géographiquement isolées d’autres sociétés plus développées, les groupes de chasseurs-cueilleurs dirigés collectivement ont généralement été absorbées par celles-ci, le plus souvent suite à des défaites lors de guerres et à leur réduction en esclavage.
Le développement de la société humaine est basé sur le développement des forces productives
Le développement d’outils, de machines ou de techniques qui accroissent la productivité du travail humain – comme la charrue tirée par un cheval, l’irrigation ou la production industrielle – accroissent également :
– la taille de la population qu’une société peut supporter,
– la spécialisation ou la division du travail qui est possible au sein de la société.Il a existé beaucoup de manières différentes d’organiser la production dans la société, ce qui a conduit à beaucoup de formes différentes de sociétés de classe. Voici quelques exemples de trois des types de sociétés de classes les mieux connus – l’esclavagisme, le féodalisme et le capitalisme – qui montrent comment la manière dont la production est organisée a modelé chaque société.
L’esclavagisme : les anciennes sociétés esclavagistes – comme l’Egypte, la Grèce et la Rome antiques – étaient basées sur l’exploitation du travail d’esclaves à une échelle de masse. De grandes villes où vivaient de riches propriétaires étaient entretenues par d’énormes quantités d’esclaves (essentiellement capturés lors des guerres) qui travaillaient la terre et produisaient la plupart des biens – comme les huiles, le vin, les poteries et les bijoux – qui rendaient les sociétés esclavagistes si riches.
Le féodalisme : les sociétés européennes du Moyen-Age reposaient sur une économie à base paysanne dans laquelle les paysans contrôlaient ce qu’ils produisaient sur leur « propre » lopin de terre mais étaient obligés de donner une partie des fruits de leur labeur au seigneur féodal qui possédait ou contrôlait la terre sur laquelle ils vivaient. Ce surplus accaparé par le seigneur pouvait prendre des formes très diverses : le paysan travaillait un certain nombre de jours sur les terres du seigneur, ou donnait à celui-ci une certaine proportion de la production de l’année ou encore lui payait une rente en argent.
L’aristocratie de propriétaires terriens était la classe dirigeante sous le féodalisme. Bien que l’Etat était souvent organisé autour de la royauté, la famille royale provenait généralement de l’aristocratie et défendait ses intérêts.
Le capitalisme : le système économique qui domine le monde aujourd’hui est basé sur la propriété privée des moyens de production (l’industrie manufacturière, les matières premières, les diverses ressources nécessaires à l’industrie et, aujourd’hui, même les graines nécessaires à la production de nourriture !) et l’exploitation du travail de la classe des travailleurs salariés.
Ces travailleurs, qui ne possèdent ni terre ni richesse substantielle transmise par héritage, ne disposent par eux-mêmes d’aucun moyen de subsistance et sont donc forcés de vendre leur force de travail pour survivre. Les capitalistes achètent celle-ci ; ensuite ils récupèrent leur argent et réalisent des profits en vendant des biens essentiels et d’autres produits à la classe des travailleurs et aux autres classes de la société.
La lutte des idées dans la société reflète la lutte des classes
Les idées ne sont en aucune manière neutres ou « au-dessus » de la société. Dans une société de classe, les idées de la classe dirigeante dominent à cause de la domination économique, politique et légale de cette classe (ou, en d’autres termes, de la somme d’argent, de pouvoir et de contrainte dont elle dispose).
L’idéologie (le système d’idées) de toute classe dirigeante reflète ses intérêts matériels. Par exemple, les monarchies féodales de nombreux pays à travers le monde ont défendu leur pouvoir et leurs privilèges en faisant appel aux idées et aux institutions religieuses. En Angleterre et en France, l’Eglise a soutenu le « droit divin » de la monarchie féodale à diriger, en affirmant que les hommes et femmes ordinaires n’avaient pas le droit de remettre en question un monarque qui avait été choisi par Dieu.
Des idées qui sont considérées comme « de bon sens » sont souvent en réalité le produit d’un type particulier de société de classe. Au 4e siècle avant notre ère, le philosophe Platon défendait l’idée que ce qui se passait dans la nature était déterminé par les idées et pas par des forces matérielles. Il croyait en conséquence que les expériences pratiques n’étaient pas indispensables pour développer une compréhension de la manière dont fonctionne les processus naturels : ceux-ci pouvaient être déchiffrés par la pensée.
Sa vision était conditionnée par le type de société dans lequel il vivait, la Grèce antique, qui était une société esclavagiste dans laquelle le travail physique était considéré comme avilissant et inutile pour l’élite. Il a fallu bien plus d’un millier d’années pour que les conceptions erronées de Platon soient abandonnées et pour que l’importance des méthodes scientifiques de mesure et d’expérimentation soit reconnue.
Bien que les idées de la classe dirigeante soient dominantes, elles sont constamment remises en cause par d’autres idées. Cette lutte d’idées reflète la lutte entre les classes sociales dans la société. L’opposition à l’idéologie dominante de la classe dirigeante est le reflet des intérêts matériels des autres classes.
Gouvernement, système légal et idéologie
Le gouvernement, le système légal et l’idéologie de n’importe quelle société sont appelés la « superstructure ». Celle-ci se développe sur la base économique de la société. La forme que prend la superstructure dans une société est déterminée avant tout par les rapports économiques sur lesquels est basée cette société.
Cependant, cela ne signifie pas que le système économique détermine tout dans une société. Les traditions locales et la manière dont la société s’est développée jusque là influencent aussi le système politique et légal. Par exemple, beaucoup de sociétés capitalistes ont encore une monarchie qui est en réalité une institution féodale et pré-capitaliste. Les républiques et les monarchies, les démocraties parlementaires, les dictatures militaires et les régimes fascistes sont autant de systèmes de gouvernement utilisés par la classe capitaliste.
Dans l’Europe d’aujourd’hui, les lois sont essentiellement faites et mises en œuvre par des représentants de la classe dirigeante capitaliste. D’autres classes, comme la classe des travailleurs et les classes moyennes, font bien entendu aussi entendre leur voix, mais la manière dont est constitué le système légal protège les intérêts de la classe dirigeante. Ainsi de nombreux délits contre la propriété privée (comme les vols, les cambriolages,…) sont considérés comme des délits plus sérieux que ceux contre les personnes (les agressions, les coups et blessures, les viols et même les meurtres dans certains cas).
Cela conduit à des situations étranges, comme en Grande-Bretagne où la majorité des femmes emprisonnées le sont pour des « crimes » liés à la pauvreté comme des vols de nourriture ou l’incapacité de payer des amendes, tandis que les compagnies privées qui gèrent les chemins de fer ne sont pas poursuivies lorsque des gens meurent dans des accidents de train provoqués par une chasse au profit passant avant la sécurité.
Dans le monde global dominé par les monopoles où nous vivons aujourd’hui, il est légal pour une société multinationale de breveter des plantes existantes, comme les variétés de riz qui ont été cultivées depuis des centaines d’années, et de faire payer les agriculteurs partout dans le monde pour avoir le « droit » de cultiver ces plantes.
L’idéologie change lorsque les conditions matérielles changent
Les affirmations suivantes expriment des idées qui sont largement répandues chez nous aujourd’hui. La comparaison avec des idées qui étaient largement répandues à la fin du 19e siècle est frappante.
Aujourd’hui : Les hommes sont plus forts que les femmes. La cupidité fait partie de la nature humaine; une société égalitaire ne peut donc pas exister. Le racisme existera toujours.
Au 19e siècle : Les hommes sont supérieurs aux femmes tant du point de vue physique que du point de vue intellectuel. Les Blancs sont supérieurs aux Noirs. La Belgique aide les Congolais en leur apportant la civilisation.
Ces deux séries d’affirmations reflètent l’idéologie de la classe dirigeante qui affirme que la division et la cupidité sont naturelles et nécessaires. Mais les changements dans les conditions matérielles du capitalisme pendant les cent dernières années ont obligé les commentateurs à modifier la manière dont ils expriment leur idéologie.
A la fin du 19e siècle, les femmes étaient considérées sur le plan légal comme étant la propriété de leur mari ou pères et n’avaient aucun droit en matière de succession, de vote ou d’études universitaires.
En 1884-1885, les puissances européennes se sont rencontrées lors d’une conférence à Berlin pour se partager l’Afrique. A la fin du 19e siècle, grâce à leur puissance économique et navale, la Grande-Bretagne dirigeait un Empire qui couvrait un tiers de la surface de la planète. La France possédait, elle aussi, un vaste empire colonial et la Belgique elle-même s’était appropriée en Afrique des colonies qui représentaient cent fois sa propre superficie. Ces empires fournissaient des matières premières et des minerais pour l’industrie de la « mère-patrie » et un énorme marché pour l’industrie de celle-ci. La classe dirigeante essayait de justifier son colonialisme (qui dans beaucoup de cas prenait avant tout la forme d’une occupation militaire) en diffusant des idées ouvertement racistes dans toutes les couches de la société.
Au cours du 20e siècle, des mouvements de masse pour l’indépendance brisèrent les empires coloniaux et la Grande-Bretagne (sans parler de la France et de la Belgique) fut remplacée par les Etats-Unis en tant que puissance économique mondiale dominante.
En même temps, les luttes pour les droits des femmes combinées au besoin croissant d’ouvrières dans l’industrie ainsi qu’à la confiance et au pouvoir que leur nouvelle position sur le marché de l’emploi leur donnaient, ont permis aux femmes d’acquérir beaucoup de droits qu’elles n’avaient pas au 19e siècle.
Ce sont ces changements matériels qui ont obligé les commentateurs capitalistes à adapter la façon dont ils présentent leur idéologie.
Le pouvoir des idées vient des forces matérielles qu’elles représentent
Marx et Engels n’ont pas inventé l’idée de socialisme : elle existait déjà depuis longtemps. Des mouvements comme les Diggers, qui avaient lutté pour mettre fin à la propriété privée de la terre durant la Guerre civile anglaise au 17e siècle, avaient mis en avant des idées socialistes de base bien avant eux. Cependant, les premiers mouvements socialistes étaient avant tout utopiques : ils mettaient en avant l’idée d’une société meilleure mais sans avoir une véritable compréhension de comment on pouvait y arriver.
La contribution de Marx et d’Engels a été de montrer que les idées socialistes ont une base scientifique et objective et de les mettre en contexte en expliquant comment la société humaine s’était développée. Ils ont été capable de développer une idéologie approfondie pour le socialisme : le marxisme.
La puissance des idées socialistes et marxistes provient du fait qu’elles reflètent et expliquent avec précision les conditions matérielles que la classe des travailleurs connaît sous le capitalisme :
- L’aliénation, l’exploitation et l’oppression de la classe des travailleurs
- La nature collective du travail de la classe des travailleurs
- La contradiction entre l’énorme pouvoir productif du capitalisme et son incapacité à développer les forces productives pour le bien de tous ou à fournir suffisamment de biens de première nécessité pour satisfaire les besoins de chacun ( comme on le voit aujourd’hui dans le fossé entre les riches et les pauvres, qui a atteint un niveau historique).
Tant que ces conditions matérielles existent, les gens seront obligés de chercher une alternative socialiste. Pourtant, la popularité du socialisme ne sera pas suffisante pour liquider le capitalisme et le remplacer par une forme socialiste d’organisation de la société.
2. Changer le cours de l’Histoire
Le changement révolutionnaire – Comment se développe la société
Au fil du temps, les contradictions inscrites dans les structures économiques, politiques et légales de chaque société de classe s’aiguisent. Elles finissent par devenir un blocage pesant sur les forces productives (la productivité du travail humain) freinant leur développement. La vieille classe dirigeante essaie désespérément de bloquer tout changement afin de défendre son pouvoir et ses privilèges.
Dans cette situation, la seule voie qui permette à la société d’aller de l’avant est d’écarter cette vieille classe dirigeante du pouvoir et d’installer à sa place une nouvelle organisation de la société. Cela signifie une révolution.
En Angleterre et en France, la classe capitaliste a conquis le pouvoir politique par une révolution – même si elle préfère parfois qu’on n’en parle pas trop ! La Guerre Civile anglaise au milieu du 17e siècle – où les parlementaires emmenés par Cromwell affrontèrent les monarchistes sur le champ de bataille – tout comme la Révolution française à la fin du 18e siècle – où les insurrections urbaines se combinèrent avec des affrontements militaires entre la République naissante et la noblesse exilée – furent de véritables guerres entre deux classes en opposition frontale – l’aristocratie féodale et la monarchie contre la classe capitaliste montante – qui mobilisaient toutes deux leurs partisans.
Le système féodal en Europe occidentale avait en réalité commencé à atteindre ses limites de développement beaucoup plus tôt. Les améliorations apportées aux méthodes agricoles ainsi que le défrichement de forêts destiné à fournir davantage de terres pour l’agriculture avaient énormément amélioré la productivité agricole mais ne pouvaient guère aller au-delà dans un système féodal reposant sur de petites parcelles paysannes.
L’épidémie de peste noire au milieu du 14e siècle provoqua la mort de près de 40% de la population européenne. La raréfaction de la main d’œuvre qui en découla dans les campagnes finit par donner à la paysannerie plus de pouvoir dans leur lutte permanente avec les seigneurs féodaux qui furent obligés de leur concéder de meilleures conditions de travail et des loyers moins élevés pour les terres qu’ils occupaient. Les pauvres sans terre – qui étaient obligés de travailler pour d’autres afin de survivre – purent obtenir de meilleurs salaires tant à la campagne que dans les villes.
Pendant que la classe féodale déclinait, l’embryon d’une nouvelle classe commençait à se former dans les villes et les bourgs. Encouragés par la croissance du commerce sur une longue distance, artisans et marchands se réunissaient à l’occasion des marchés dans les villes pour vendre leurs produits. Les artisans trouvèrent aussi localement des acheteurs pour leurs productions, particulièrement parmi les seigneurs féodaux et les paysans les plus fortunés.
Les villes ayant acquis dans la plus grande partie de l’Europe occidentale une relative liberté les mettant à l’abri du contrôle direct des seigneurs féodaux, les artisans et les riches marchands y formèrent bientôt des guildes et des corporations pour protéger leurs intérêts.
Ces processus – la croissance de la production de biens à vendre sur les marchés et la crise grandissante du pouvoir féodal à la campagne – se renforcèrent mutuellement. Les guildes et les corporations commencèrent à introduire les rapports capitalistes en employant une armée de plus en plus grande de travailleurs salariés.
Mais le pouvoir économique de cette classe capitaliste embryonnaire avait beau continuer à croître, le gouvernement et le système légal défendaient toujours les intérêts de l’aristocratie féodale. En Angleterre, la lutte pour le pouvoir politique entre la noblesse et la bourgeoisie capitaliste montante fut réglée par une guerre civile. Les bourgeois entraînèrent derrière eux dans leur lutte les sections les plus opprimées de la population. Ils renversèrent la monarchie, installèrent comme autorité politique suprême un parlement (dominé à ce moment par les représentants de la nouvelle classe capitaliste) et établirent un système légal qui défendait leurs intérêts de classe. Néanmoins, des revers dans la lutte obligèrent ensuite la bourgeoisie à passer un compromis partiel avec l’aristocratie, impliquant notamment la restauration de la monarchie, mais sans que sa domination économique soit remise en cause.
Moins d’un siècle et demi plus tard, la bourgeoisie française, économiquement et idéologiquement plus solide, fut capable de garder le contrôle d’un processus révolutionnaire tumultueux et d’imposer après quelques années un système politique qui écartait définitivement la noblesse du pouvoir.
Cependant, les sociétés humaines ne se développent pas en ligne droite – en sautant d’un type de société à un autre et en progressant constamment. La société peut aussi reculer.
Que se passe-t-il quand les révolutions échouent?
Malheureusement, les révolutions contre l’ordre existant ne réussissent pas toujours. Si des révolutions contre un mode de production dépassé et sa classe dirigeante échouent encore et encore, le système déclinant continuera à sombrer et le niveau de développement de la société peut être rejeté en arrière pour des centaines d’années.
Les anciennes sociétés esclavagistes de l’Egypte, de la Grèce et de Rome ont été très loin dans le développement de la science, de la technologie et de la littérature. Cet essor culturel était rendu possible parce que ces sociétés étaient basées sur l’exploitation d’immenses armées d’esclaves. A un moment, ces empires puissants ont commencé à être confrontés aux limites de l’esclavagisme (et dans le cas de l’Empire Romain, aux limites d’une expansion territoriale constante).
Un exemple montrant comment les limites de l’esclavagisme ont freiné la société est le fait que les progrès scientifiques et les inventions produites par la société esclavagiste n’ont pas toujours été utilisées pour augmenter l’efficacité du travail humain. Ainsi, les anciens Egyptiens avaient compris tous les principes nécessaires à la construction de la machine à vapeur tandis que les Romains avaient inventé la roue hydraulique.
Cependant, aucune de ces inventions n’a été utilisée de façon systématique ou généralisée ; elles n’ont été utilisées que pour produire des jouets pour amuser les riches et les puissants. Ceci s’explique par le fait que le système économique de l’esclavagisme, où le travail de l’esclave coûtait trois fois rien et était facile à se procurer, n’incitait pas à répandre une nouvelle technologie qui aurait pu amener à un développement considérable de la productivité du travail humain et faire avancer fortement la société.
Au lieu d’être renversées et remplacées par une forme de société plus progressive, les anciennes économies esclavagistes ont commencé à se désagréger jusqu’à ce que, divisées et affaiblies, elles soient conquises par des envahisseurs étrangers. L’effondrement de l’Empire Romain a provoqué un recul important dans une grande partie de l’Europe Occidentale, un recul qui allait durer des siècles avant que celle-ci puisse se développer à nouveau.
Le capitalisme
Les réalisations du capitalisme, en termes de développement des forces productives, sont immenses. La mécanisation du processus de production, l’électrification, le développement des chemins de fer, un réseau routier étendu et des véhicules motorisés, l’invention d’ordinateurs et le développement d’une communication virtuellement instantanée aux quatre coins du monde ont transformé le commerce et permis la production de biens et de richesses en des quantités auparavant inimaginables.
Mais ces avancées ont eu un lourd prix. L’expansion du travail salarié et du « libre marché » ont permis une exploitation encore plus intensive de la classe des travailleurs. Les capitalistes possèdent et contrôlent les outils, les usines et les matières premières (les moyens de production). Les travailleurs eux, n’ayant pas de terres ou de source de revenus indépendante, sont donc obligés de vendre leur travail aux capitalistes pour survivre.
Les capitalistes, qui sont en compétition les uns avec les autres, essayent de comprimer les salaires de leur main-d’œuvre afin d’augmenter leurs profits. La menace du chômage – et des demandeurs d’emploi qui seraient prêts à travailler pour un salaire plus bas – est utilisée comme un bâton afin de les faire accepter aux travailleurs des conditions de travail et des salaires plus mauvais.
Dans les premiers temps du capitalisme (c’est-à-dire au début de la révolution industrielle en Angleterre), les conditions de vie et de travail des masses étaient pires que celles qu’avait connue la majorité de la population sous le féodalisme. C’est seulement avec le développement de la lutte des classes, et notamment la création des syndicats, que les travailleurs et les chômeurs ont commencé à améliorer leur situation.
Les énormes richesses et la puissance qu’elles rendent possibles ont été monopolisés par la classe capitaliste et utilisées pour faire encore plus d’argent en exploitant le travail de la classe des travailleurs. Les premiers pays capitalistes (comme l’Angleterre, la France et la Belgique) ont utilisé leur puissance économique et militaire pour créer des empires en s’emparant d’immenses territoires à l’étranger où les ressources naturelles et le travail de la population indigène ont été exploités impitoyablement pour maximaliser les richesses, le pouvoir et le prestige de la classe dirigeante impériale.
La classe des travailleurs – « fossoyeurs » du capitalisme
Marx et Engels ont montré que le capitalisme n’était que la forme la plus récente d’une société d’exploitation de classes. Ils ont aussi expliqué qu’en se développant, le capitalisme semait aussi les graines de sa propre destruction. Le rôle central que la classe des travailleurs en pleine expansion a joué dans le processus de production a ainsi produit une classe qui non seulement peut mettre en cause le rôle des capitalistes, mais qui est aussi capable de créer une société nouvelle et plus progressiste.
D’un point de vue historique, la réalisation la plus importante du capitalisme a été de développer les forces productives jusqu’à un niveau où une société socialiste est possible. Sans les bases matérielles pour éradiquer la faim, la pauvreté et l’analphabétisme partout dans le monde, une société socialiste est impossible.
Le capitalisme a réalisé cette base matérielle. Comme le disent les Nations Unies : « On estime que le coût supplémentaire pour réaliser et maintenir l’accès universel à l’éducation de base pour tous, les soins de santé de base pour tous, les soins de santé en matière de gynécologie et d’obstétrique pour toutes les femmes, une alimentation appropriée pour tous et l’accès à l’eau potable et à des installations sanitaires pour tous, est grosso modo de 40 milliards de dollars par an… Ceci représente moins de 4 % de l’ensemble de la fortune des 225 personnes les plus riches. » (Rapport du Développement Humain des Nations Unies, 1997).
Pourtant, sous le capitalisme, même cette redistribution relativement mineure ne verra jamais le jour. La propriété privée de l’industrie, des transports et des communications freine les forces productives. L’économie moderne mondialisée essaie continuellement de dépasser les limites du capitalisme, comme les frontières nationales ou l’incapacité dans laquelle se trouvent les travailleurs de racheter les produits qu’ils ont produit parce qu’ils ne sont pas payés à la valeur réelle de leur travail. Mais régulièrement, ces limites plongent le système dans des crises.
La nature parasitaire du capitalisme moderne se révèle à travers le développement massif de la spéculation financière, en opposition à l’investissement dans l’industrie. Les systèmes de communications incroyables qui ont été développés pourraient permettre à une société socialiste de planifier démocratiquement une économie moderne de façon détaillée afin de faire face aux besoins de la population. Mais sous le système capitaliste, ces systèmes de communications sont monopolisés par les plus grandes multinationales qui s’en servent pour s’assurer qu’ils pressent chaque goutte de profit tant de leurs travailleurs que des consommateurs.
Le rôle des individus dans l’Histoire
Une révolution n’est pas quelque chose qu’un individu ou une organisation peut faire apparaître d’un coup de baguette magique. C’est un processus qui se développe lorsque les contradictions à l’intérieur d’une société de classes ont atteint un seuil critique : lorsque les masses, qui sentent qu’elles ne peuvent plus supporter plus longtemps leur oppression se soulèvent pour défier la domination de la classe dirigeante alors au pouvoir. (Pour en savoir plus sur ce qui se passe lors d’une révolution, un autre texte se trouvera bientôt sur ce site : Changer le Monde – Le rôle d’un parti révolutionnaire )
Les marxistes rejettent l’idée, défendue par des historiens du courant dominant, que des individus dotés de fortes personnalités sont à eux seuls responsables des avancées de l’Histoire. Attribuer des événements historiques majeurs aux ambitions ou aux fortes convictions personnelles d’un individu donne une vision mystifiante l’Histoire au lieu d’aider à l’expliquer. Cependant, tandis que nous sommes convaincus, en tant que marxistes, que les révolutions sont faites par les masses, nous comprenons aussi que dans un mouvement de masse ou une révolution – et en particulier à certains moments critiques – l’intervention de certains individus peut faire la différence entre la réussite ou l’échec du mouvement.
Néanmoins, ceci ne veut pas dire que des individus peuvent, de quelle que manière que ce soit, remplacer des mouvements de masse ou une implication de masse dans une révolution. Des gens qui peuvent aider à orienter des mouvements de masse dans la bonne direction ne tombent pas tout cuits du ciel. Ils sont formés et préparés par la période économique et politique dans laquelle ils ont vécu, et particulièrement par les luttes de classes et les mouvements de masse auxquels ils ont participé. De cette façon, l’expérience et les leçons des mouvements du passé sont absorbées et assimilées par ces individus et réintroduites par ceux-ci dans le mouvement afin d’en assurer le succès.
La différence entre la révolution socialiste et toutes les autres révolutions antérieures
Une révolution socialiste doit être menée par la classe des travailleurs. Les révolutions contre les formes précédentes de sociétés de classes ont chaque fois été menées par une classe minoritaire qui exploitait la colère des masses dans sa lutte pour conquérir le pouvoir politique pour elle-même (par exemple les révolutions capitalistes contre la classe dirigeante féodale).
Aujourd’hui, dans beaucoup de pays, la classe des travailleurs représente la majorité de la population. Afin de se libérer elle-même de l’oppression et de l’exploitation, la classe des travailleurs doit abolir complètement la société de classes. La révolution socialiste est la première révolution dans l’histoire de l’humanité qui a le pouvoir de mettre un terme à l’exploitation de classe. C’est aussi la première révolution qui est menée par une classe qui est devenue entièrement consciente du rôle historique qu’elle doit affronter.
Cette conscience n’existe pas encore à l’heure actuelle. L’expérience que les gens ont du système capitaliste les pousse vers des conclusions socialistes de façon différente et à des moments différents. Encourager le développement d’une conscience de classe et d’idées socialistes est l’une des tâches d’un parti révolutionnaire, qui peut rassembler différents secteurs de la classe des travailleurs et de la classe moyenne radicalisée en les unissant dans un combat commun.
La fin de la société de classes
Une société socialiste abolirait les classes sociales, permettant à la gestion collective et vraiment démocratique de la société de réapparaître pour la première fois dans l’Histoire depuis les sociétés de chasseurs-cueilleurs. Mais ceci se ferait sur une base matérielle beaucoup plus élevée : au lieu de vivre à un niveau de subsistance quotidienne, en étant entièrement dépendant de l’environnement local, la société serait basée sur des forces productives qui sont à même de procurer plus qu’assez pour satisfaire les besoin de chacun.
Dans la période de transition entre le capitalisme et le socialisme, c’est-à-dire après une révolution socialiste réussie, l’Etat sera dirigé par la classe des travailleurs (et aussi par la paysannerie pauvre et les masses de sans-terre dans les nombreux pays où ils existent). Mais même cette forme d’Etat – bien qu’il s’agirait d’un Etat basé sur la démocratie des travailleurs plutôt que sur l’exploitation de classe – finira par disparaître lorsque le socialisme, puis une véritable société communiste seront réalisés.
La base matérielle de l’Etat est la suppression d’une classe (en l’occurrence les capitalistes) par une autre (en l’occurrence les travailleurs, soutenus par d’autres classes opprimées comme la paysannerie et les pauvres sans-terre). A mesure que se développe une société sans classe, disparaît peu à peu la base matérielle pour toute organisation étatique se dressant au-dessus de la population. Les tâches nécessaires que l’Etat accomplit dans une société de classes – la planification, l’administration,… – seront organisées et exécutées par la population dans son ensemble selon ses propres décisions démocratiques.
« Socialisme ou barbarie »
Si une révolution échoue à renverser le capitalisme, les conséquences peuvent être gravissimes. Le fascisme et la dictature sont des « solutions » auxquelles la classe capitaliste a souvent recours pour « maintenir l’ordre » après une révolution qui a échoué. Mais si, sur le long terme, aucune révolution ne réussit à établir une société socialiste, même ces perspectives horribles se révèleraient insignifiantes comparées à la désintégration du capitalisme au niveau mondial.
Car, tout au long de l’Histoire, le potentiel de destruction de l’humanité s’est accru en même temps que se développaient les forces productives. Au fur et à mesure que de nouvelles formes de sociétés de classes émergeaient, l’exploitation des classes opprimées en leur sein s’est intensifiée. L’augmentation de la productivité et de la technologie ont permis à la fois une exploitation et un contrôle des masses de plus en plus complet et la mise en œuvre d’armes de destruction massive de plus en plus puissantes et épouvantables.
Les armes nucléaires détenues par des gouvernements partout dans le monde pourraient détruire des centaines de fois la planète. La destruction de l’environnement par l’industrie capitaliste va de pair avec la propriété privée et le profit. Comme le système capitaliste titube de crise en crise, l’instabilité croissante qu’il crée augmente le nombre de guerres et de conflits et épuise les ressources naturelles avec de moins en moins de considération pour les générations futures.
A moins qu’une série de révolutions socialistes de par le monde réussisse à mettre fin au capitalisme, la désintégration d’une société disposant d’une telle force de destruction terrifiante pourrait être un désastre sans précédent dans l’histoire de l’humanité.
Une société socialiste ne libérerait pas seulement les forces productives des limites du capitalisme, elle ne libérerait pas seulement les humains de l’esclavage salarié et de l’aliénation par le travail sous le capitalisme : elle assurerait aussi que la production et la technologie soient utilisées à des fins constructives et pas à des fins destructives.
Quelques définitions en bref
- Réalité matérielle : les choses et les processus dans le monde réel qui peuvent être touchés ou mesurés
- Mode de production : la manière dont est organisée la production des produits de première nécessité et des autres biens
- Forces productives : la productivité du travail humain (la quantité de biens produite par une quantité fixée de travail humain) qui est développée et augmentée à l’aide de la technologies, des connaissances scientifiques et des manières plus efficaces d’organiser le travail humain
- Idéologie : système d’idées
- Progressiste : qui contribue à faire progresser la société en aidant au développement des forces productives
Terminologie
Note de l’auteur : Marx et Engels ont classifié les premiers types de sociétés de classes en barbarie et la montée des anciens empires esclavagistes d’Egypte, de Grèce et de Rome en civilisation. Aujourd’hui, ces termes semblent démodés et teintés par leur association avec l’idéologie de l’impérialisme. J’ai donc utilisé dans cette brochure des termes plus spécifiques qui sont apparus dans les études modernes, respectivement société néolithique et société esclavagiste.
Note du traducteur :Des passages du texte ont été réécrits pour remplacer des exemples typiquement britanniques par des exemples de valeur plus générale. D’autre part, à la place du terme de classe ouvrière, qui semble réduire la classe aux seuls ouvriers, j’ai préféré employer le terme de classe des travailleurs qui permet d’inclure de manière plus large le grand nombre de salariés (ouvriers, employés, fonctionnaires, enseignants,…) qui sont aujourd’hui victimes de l’exploitation dans le cadre du capitalisme moderne.
Liste de lecture
- L’idéologie allemande (première partie) – Marx et Engels
- Le Manifeste du Parti Communiste – Marx et Engels
- De la préhistoire à l’Histoire – Gordon Childe
- L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat – Engels