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  • Les révoltes mondiales contre ce système sans perspective suscitent la recherche d’une alternative (3)

    La Belgique – un pays riche

    68. Nous avons montré dans la partie internationale de ce texte la façon dont la crise a accru les divisions parmi la bourgeoisie, au point qu’elle en arrive à une impasse. Ses diverses factions sont en désaccord sur plusieurs choses, mais surtout sur la question de savoir s’il faut mettre tout de suite le couteau sur la gorge des travailleurs ou s’il ne vaut mieux pas le faire graduellement, afin de ne pas causer de réaction incontrôlée. La bourgeoisie belge s’est heurtée plusieurs fois au mouvement ouvrier belge par le passé. La classe ouvrière belge est une des plus productives au monde, qui combine de plus le degré d’organisation du mouvement ouvrier d’Europe du Nord, à la spontanéité de l’Europe du Sud. De ce fait, elle est l’un des mouvements ouvriers les plus effrayants au monde. Les leçons que la bourgeoisie a tiré de cela est qu’elle ferait mieux d’éviter les confrontations directes, en concluant des accords avec les dirigeants d’au moins un des deux syndicats.

    69. Cela a plutôt bien fonctionné pour la bourgeoisie belge. Depuis la Deuxième Guerre mondiale, les travailleurs belges ont gagné en termes de productivité, passant du dessous au top cinq mondial. Cette position est tenue depuis déjà trente années. À côté de la position géographique de notre pays, de son infrastructure, et de son niveau d’éducation (et en particulier la connaissance des langues), le fait qu’il s’agit d’une porte d’accès pour l’Europe, que les institutions européennes opèrent à partir de Bruxelles, et le régime fiscal extrêmement favorable pour les multinationales expliquent la productivité des travailleurs belges (c’est-à-dire, la quantité de bénéfice obtenue pour chaque euro payé en salaire, NDT) et la force d’attraction de la Belgique pour les investissements étrangers. Notre pays fait déjà depuis des années partie des destinations privilégiées pour les investissements étrangers directs. L’an dernier, il s’agissait de 62 milliards de dollars, ce qui place notre pays à la quatrième position mondiale. Seuls les USA (228 milliards de dollars), la Chine (106 milliards de dollars) et Hongkong (69 milliards de dollars) ont fait mieux.

    70. Une partie de ces investissements doit être nuancée parce qu’ils sont liés à la fonction de port de transit de notre pays. De là, le haut montant d’investissements directs de l’étranger sortants (38 milliards de dollars), soit le dixième plus élevé au monde. Et puis, il y a encore la déduction des intérêts notionnels, qui rend très intéressant pour les entreprises d’artificiellement gonfler leur base de capital afin d’utiliser cette déduction de façon maximale. En 2010, la Flandre était la destination de 68% des investissements étrangers en Belgique, Bruxelles de 13%, et la Wallonie de 19%. En Flandre, la moitié de ces investissements seraient constitués de ce qu’on appelle les “greenfields”, de vrais nouveaux investissements et non pas l’élargissement de projets existants, des participations ou rachats. Ce nombre serait encore plus grand si on le prenait à l’échelle de toute la Belgique.

    71. Ces bonnes prestations ont fait de la Belgique un pays riche. La fortune financière des familles est de 931 milliards d’euros, à peu près 270% du PIB. Après avoir retiré les dettes (surtout des emprunts hypothécaires), il reste en tout 732 milliards d’euros en net, soit 210% du PIB – de loin le chiffre le plus élevé de toute l’Europe. Dans la zone euro, ce chiffre est en moyenne de 128%. Les 10% des revenus les plus élevés en Belgique représentent 30% de tous les revenus du travail, mais 53% de la fortune financière et même 32% de la “fortune financière à valeur de marché” (obligations, actions, fonds d’investissement, soit tout ce qui n’est pas cash, dépôts, bons de caisse et investissements dans les sociétés d’assurance et fonds de pension). Ces hautes fortunes sont à peine imposées. Selon l’agence “PricewaterhouseCoopers”, le revenu d’un investissement de 5 millions d’euros – une moitié en actions, l’autre moitié en obligations –, est en Belgique imposé de 15%, aux Pays-Bas de 26%, en Allemagne et en Grande-Bretagne de 30% et en France de 37%.

    72. Les entreprises payent elles aussi de moins en moins d’impôts dans notre pays. La CSC a démontré que le taux d’impôt réel pour les entreprises a été raboté de moitié en dix ans : de 19,9% en 2001 à 11,8% en 2009, principalement par la déduction des intérêts notionnels. En 2009, les entreprises avaient réalisé un profit avant impôt de 94 milliards d’euros. Elles ont payé 11 milliards d’euros d’impôts d’entreprise. Au tarif de 2001, l’Etat aurait eu 7,6 milliards d’euros supplémentaire et au tarif légal de 33,99% il aurait été question de 21 milliards d’euros supplémentaires. Parce que la déduction des intérêts notionnels peut être transmise durant 7 ans, les grandes entreprises ont un surplus déductible cumulé de 12,6 milliards d’euros. Si elles utilisent cela, le gouvernement rate encore 4 milliards d’euros. Ici aussi, la règle est que les plus riches s’en vont avec les plus grandes pièces. En 2009, 17,3 milliards d’euros d’intérêts notionnels ont été accordés, dont seul 925 millions d’euros, 5% du total, a été attribué aux PME. En moyenne, ces dernières payent un impôt réel de 21%.

    73. Tout cela vient en plus de la fraude fiscale, qui est de 30 milliards d’euros par an. Les grands dossiers de fraude débouchent systématiquement sur un cul-desac. Ça a été le cas pour la KBC, ce l’est maintenant pour Beaulieu. Il n’en ira pas autrement pour la fraude récemment dévoilée dans le secteur diamantaire. D’où vient alors cette thèse selon laquelle la Belgique a un taux d’impôts très élevé ? Des 150 milliards d’euros d’impôt que l’État encaisse, seuls 2,5 milliards sont issus des fortunes, et 10 milliards des impôts sur les sociétés. Notre salaire indirect, les contributions sociales ou la parafiscalité indirecte donnent 50 milliards d’euros. Les impôts indirects (surtout la TVA), rapportent encore 44 milliards et l’impôt sur les personnes physique une somme comparable. En bref : la pression fiscale est haute, mais pas pour les fortunes ni pour les entreprises.

    D’où provient la dette de l’État ?

    74. Dans la période d’après-guerre, les patrons belges étaient prêts à céder aux revendications pour de meilleurs salaires et une plus grande protection sociale. Les profits étaient élevés, la productivité montait rapidement et le mouvement ouvrier avait fait sentir plusieurs fois qu’il n’allait pas se laisser faire. La bourgeoisie belge n’a jamais excellé sur le terrain du renouvèlement de ses outils de production. Quand les secteurs traditionnels sont passés en crise, elle a préféré les voies plus sûres et depuis longtemps utilisées du capital financier, c’est-à-dire vivre de ses rentes. Elle a laissé au gouvernement la construction de l’infrastructure nécessaire et aux syndicats la livraison de la main d’oeuvre par lesquelles étaient attirées les multinationales. Pour la classe moyenne flamande, c’était l’opportunité de promotion sociale par excellence. Quelques-uns sont devenus fournisseurs pour les multinationales, d’autres devenaient managers. De temps en temps, cette classe moyenne se pose en tant que bourgeoisie, mais elle ne s’est jamais libérée de son mélange de jalousie et de flatterie envers la véritable grande bourgeoisie, ni de sa haine pour le mouvement ouvrier.

    75. Quand la crise est arrivée dans notre pays en ’75, au début, la bourgeoisie n’osait pas la confrontation avec le mouvement ouvrier. La perte de 250.000 emplois dans l’industrie a été compensée par la création de 350.000 emplois à l’État. Mais cela ne devait rien rapporter à l’État : ainsi, il était interdit à La Poste d’offrir des produits d’épargne à ses clients parce que cela faisait trop concurrence aux banques. Les secteurs en difficulté ont été restructurés aux frais de la collectivité, tandis que les parties intéressantes étaient vendues au plus offrant pour une bouchée de pain. La nationalisation des pertes et la privatisation des profits n’est vraiment pas quelque chose de nouveau qui aurait été inventé pour Dexia. En poussant la facture vers l’État, les chrétiens-démocrates et les sociaux-démocrates (essentiellement), cherchaient à éviter une confrontation entre patrons et travailleurs. Qui plus est, les politiciens se présentaient de plus en plus en tant que représentants de leur propre groupe linguistique et revendiquaient avec la fameuse politique du “moule-à-gaufre” (c’est-à-dire, que chaque investissement dans une région oblige à faire le même investissement dans l’autre) des compensations à chaque fois qu’ils pensaient que leur communauté avait moins reçu que l’autre. Tous les partis ont participé à cette politique, sauf les verts qui n’existaient pas encore.

    76. Ceci explique le haut degré d’endettement de l’État belge. Pour la bourgeoisie belge traditionnelle, cette dette n’était au début pas un très grand problème. Au contraire, la dette du gouvernement belge était un bon investissement. En ce temps-là, 90% de la dette de l’État se trouvait encore entre les mains d’investisseurs institutionnels belges. Avec l’introduction de l’euro, ce chiffre a diminué de plus de moitié. À ce moment-là, on partait encore de l’idée que la dette allait diminuer une fois l’économie relancée. Mais cela ne s’est pas passé comme ça. Les dettes ont bientôt atteint 100% du PIB, et on a commencé à craindre un effet “boule de neige”, par lequel il fallait faire de nouveaux emprunts uniquement pour payer les intérêts des emprunts précédents. Il fallait arrêter de “vivre audessus de ses moyens”. On a d’abord essayé de faire passer cela avec des coalitions de droite reprenant libéraux et chrétiens-démocrates, mais cela a conduit à une résistance du mouvement ouvrier, avec le dirigeant de la CSC Houthuys qui à un certain moment s’est mis à crier que Verhofstadt (qu’il qualifiait de “gamin”) lui rendait impossible la tâche de continuer à contrôler sa base. Après une crise gouvernementale longue de 148 jours (qui était à ce moment la plus longue de notre histoire), la bourgeoisie est revenue à sa vieille tactique éprouvée : arriver à un deal avec les dirigeants syndicaux.

    77. Cette tactique éprouvée a donné les résultats espérés. La réduction de la dette de l’État, de son point culminant de 134% du PIB en 1993, à son point le plus bas (provisoirement), de 84,2% du PIB en 2007, est aujourd’hui considérée comme un modèle au niveau international. Avec le Plan global, on nous a imposé de “vivre selon nos moyens”. Le taux de pauvreté officiel est grimpé de 6% à 15%, la partie des salaires dans le revenu national a diminué de 10%, les investissements dans les soins de santé, les logements sociaux, l’enseignement, l’infrastructure, etc., ont été postposés. Mais ce n’était pas tout le monde qui devait assainir. Les profits des entreprises battaient chaque année de nouveaux records sur lesquels elles étaient toujours moins imposées. On entend parfois dire que la Belgique est pays de “citoyens riches avec un État pauvre” : ce n’est pas vrai. Quelques citoyens sont ultra-riches, mais la plupart ne peuvent que rêver de la fortune financière moyenne, valant officiellement la somme de 85.000 euros, dont devrait disposer chaque Belge en moyenne. De moins en moins de familles ouvrières se sentent impliquées quand on dit que “nous” vivons au-dessus de nos moyens. Ils ont jeté l’argent par les fenêtres

    78. C’est cependant là-dessus que les politiciens se disputent depuis déjà des années : de quelle manière imposer aux travailleurs et à leurs familles de se serrer la ceinture après des années de haut niveau de vie ? De temps en temps, nos politiciens chuchotent aux oreilles des institutions internationales de pseudo conseils à donner “pour notre pays”. Nous en connaissons le contenu : nos salaires sont trop hauts, nous devons travailler plus longtemps, les chômeurs doivent être activés, les dépenses de l’État doivent être diminuées. Tous les politiciens sont d’accord – avec des nuances certes, mais sans plus. La dette de l’État a recommencé à monter depuis la crise du crédit internationale en 2007. Le gouvernement a dû intervenir pour sauver les véritables grands dépensiers : les banques et les spéculateurs. Ceux-ci ont utilisé notre épargne comme garantie pour, grâce à plusieurs leviers, augmenter leurs comptes jusqu’à un montant valant plusieurs fois le PIB du pays. Quand cela a mal tourné, le gouvernement a dû mettre 25 milliards d’euros et donner des garanties pour 80 milliards d’euros. 20

    79. Selon Leterme et les autres politiciens, cela ne va rien coûter aux contribuables : pour ces 25 milliards d’euros, ont a reçu des actions BNP-Paribas et pour les garanties, un dédommagement a été donné. Ces actions sont néanmoins cotées à une fraction du prix auquel le gouvernement les a achetées, et cela va prendre beaucoup de temps pour qu’elles retournent à leur ancien niveau – si toutefois cela peut encore se produire. Entretemps, il faut construire des écoles, soigner des malades et construire des routes. Avec quoi ? Le gouvernement devrait en plus emprunter de l’argent et payer des intérêts. Il est vrai qu’il existe un dédommagement pour les garanties mais, si les choses tournent mal, c’est au gouvernement de payer les couts. Le fait que tout cela pouvait bien mal tourner est illustré par Dexia. Selon Paul De Grauwe, cette banque avait dégénéré en un simple hedgefund qui se contentait de faire de l’arbitrage – ce qui dans ce cas, signifiait jouer entre l’intérêt à long terme et celui à court terme. Dexia maximalisait le risque pour obtenir un rendement aussi haut que possible. 80. Les banques n’ont-elles donc rien appris de la dernière crise ? Le retour des bonus et des salaires variables présageait le pire. Aux USA et au Royaume- Uni, des pas ont été faits afin de séparer les fonctions traditionnelles d’une banque et les activités “business”, mais pas en Europe. Le fait que les actionnaires principaux de Dexia sont le Holding communal, la Caisse des dépôts et des consignations (CDC) et le holding coopératif Arco rend tout cela encore plus scandaleux. Le Holding communal a été mis sur pied en 1996 avec comme actionnaires les communes et les autorités provinciales. Arco a 800.000 actionnaires particuliers, avec pour actionnaire de référence les organisations sociales liées au Mouvement ouvrier chrétien. La CDC française est l’ancienne Caisse des pensions d’État, qui a été utilisée pour stabiliser et maintenir entre des mains françaises l’actionnariat des entreprises. Le conseil d’administration de Dexia était bourré de politiciens. Ceux qui pensaient que l’État et une association coopérative seraient plus éthiques en tant que banquiers et prendraient moins de risques sousestimaient la mesure dans laquelle tous ces gens se sont idéologiquement entièrement ralliés à la pensée néolibérale. À l’occasion de l’opération du sauvetage de Dexia – sans doute une nationalisation temporaire dont le coût sera d’environ 4 milliards plus des garanties pour 54 milliards d’euros (15% du PIB !) –, Moody’s a annoncé son intention de diminuer la note de la Belgique. Aucun cout ?

    Une peau de banane communautaire

    81. Les tendances qui existent à l’échelle internationale existent aussi en Belgique. Mais ici, cela prend une couleur communautaire : assainir d’abord au niveau fédéral, ou au niveau régional ? Le capitalisme belge se base traditionnellement sur un compromis historique entre bourgeoisie, État, et dirigeants syndicaux. L’État fournit l’infrastructure, comme par exemple un climat favorable aux investissements, et achète la paix sociale si nécessaire. La bourgeoisie investit dans l’augmentation de la productivité et est récompensée avec un régime fiscal favorable. Les travailleurs reçoivent un salaire brut raisonnable avec des prévisions sociales relativement bonnes. A côté des couts, cela demande des impôts relativement élevés, essentiellement prélevés sur le Travail, d’ailleurs. Pour le travailleur, c’est un coût que l’on sait supporter si cela donne de bonnes prévisions sociales. Pour les classes moyennes, par contre, c’est une source de grande frustration. Elles n’ont pas la productivité des grandes entreprises, mais payent quand même de haut salaires bruts, et elles ne peuvent pas profiter des mêmes mesures de régime fiscal favorable.

    82. La marge économique et la possibilité qu’a l’État de jouer son rôle dans le compromis se rétrécissent déjà depuis la crise de ’74-’75. Pour la bourgeoisie, ce n’est pas un drame. Elle dispose des moyens nécessaires pour utiliser de façon maximale les opportunités qui surviennent avec la crise. Pendant la crise des secteurs industriels traditionnels, elle n’a pas seulement mis les pertes sur le dos du gouvernement mais, avec le développement de holdings, elle a aussi trouvé le moyen de distribuer son capital entre différent secteurs. Ce que quelques uns interprètent comme la disparition de la bourgeoisie belge, n’est rien d’autre que la nouvelle stratégie anticrise de cette bourgeoisie, par laquelle elle distribue son capital également sur le plan international, surtout chez ses partenaires commerciaux les plus importants. Au cours des neuf premiers mois de 2011, il y a déjà eu pour 20 milliards d’euros de rachats et de fusions dans les entreprises belges – il ne s’agit là que des transactions dont le prix est connu, en réalité cette somme est encore plus grande. Dans les quinze plus grandes transactions, il y en avait onze où l’acheteur était belge, bien qu’il y en avait aussi un certain nombre où tant l’acheteur que le vendeur étaient belges.

    83. Pour les travailleurs, ça a été un drame. De plus en plus de gens ont dû faire appel aux allocations sociales. Les allocations de chômage, de pensions et d’invalidité ont souvent été démantelées tranche par tranche – en concertation avec les syndicats – afin de “répondre à la demande croissante”. Pour les classes moyennes, ça a aussi été un drame, parce qu’elles ne disposaient ni d’une batterie de spécialistes fiscaux, ni des capitaux nécessaires. Le compromis historique et les partis qui le représentaient, surtout le CVP, ont commencé à perdre des plumes. Chez les travailleurs, surtout en Flandre, on en avait assez de toujours être prévenus de la volonté d’austérité, premièrement du “danger bleu”, puis du Vlaams Belang, puis de la NVA, alors que les partis liés aux syndicats, le CD&V et le SP.a, n’arrêtaient pas d’assainir durant toute cette période. Pendant sa participation au gouvernement, Groen n’est pas non plus apparu comme voulant se battre contre la politique d’austérité. Le “populisme” était le reproche principal fait à ceux qui voulaient répondre aux véritables aspirations de la population. Parce que les directions syndicales continuaient à coller aux partis qui appliquaient les mesures d’assainissement, et que par conséquent, le mouvement ouvrier n’offrait ni alternative, ni perspective, beaucoup de travailleurs ont commencé à voter “merde”, à se détourner des partis traditionnels, et à devenir réceptifs aux ragots des populistes de droite.

    84. Chez les couches moyennes, les frustrations étaient encore plus grandes. Les perspectives de promotion sociales semblaient se fermer, les avantages fiscaux de la bourgeoisie et la haute productivité devenaient inatteignables. Aucune des deux classes principales n’offrait une issue : ni la bourgeoisie, ni le mouvement ouvrier. La classe moyenne a été laissée à elle-même et a commencé à tirer sur le gouvernement, qui voulait bien encaisser des impôts élevés, mais qui n’offrait rien en récompense. Puis elle s’est retournée sur les “profiteurs”, qui voulaient bien recevoir les avantages de la protection sociale, mais qui ne voulaient pas y contribuer en travaillant. Puis sur les immigrés, qui minent les moyens de notre système social, et enfin sur les transferts financiers de la Flandre vers la Wallonie. Les partis traditionnels ont participé à ce petit jeu, avec leur mythe du “flamand travailleur”. Pour eux, l’idée derrière tout ça était de diviser et d’affaiblir les travailleurs. Pas un parti, pas un politicien, pas un dirigeant syndical ne donnait de réponse à cela. De cette manière, on a creusé le lit pour un parti de la classe moyenne, basé sur un nationalisme flamand de droite radicale.

    85. Le CD&V n’a pas compris quel monstre de Frankenstein il a fait sortir du placard lorsqu’il a joué la carte flamande de l’opposition, dans le but d’obtenir des profits électoraux. La NV-A a vu son opportunité se profiler. De Wever savait que le CD&V faisait trop partie de l’establishment et était trop lié à la CSC que pour pouvoir continuer à jouer cette carte flamande. Il savait que ce parti allait devoir lâcher cette ligne à un certain moment. L’heure avait sonné pour la N-VA, sur base d’un nationalisme flamand libéral et de droite. Ça fait déjà des années que l’opinion publique en Flandre est principalement formée par cette couche moyenne, faute de réponse du mouvement ouvrier. Celle-ci s’est accrochée à des dossiers symboliques représentant de la meilleure manière l’essence même de leur point de vue. Elle est ainsi bien décidée à ne pas se faire mettre à genoux. Concernant le district électoral de BHV, cette classe moyenne flamande veut une politique d’asile et de migration plus stricte, mais son point le plus important est la question socio-économique. Elle pense pouvoir introduire elle-même en Flandre les assainissements qu’elle ne parvient pas à imposer au niveau fédéral. La classe moyenne flamande est aujourd’hui devenue assez forte que pour pouvoir bloquer le compromis “à la belge” traditionnel, dans lequel il n’y a plus rien pour elle. C’est cela qui a conduit le pays à une impasse politique qui a duré quatre années, et dont la fin n’a commencé à se pointer à l’horizon que lorsque son représentant politique le plus important, la N-VA, a finalement été mis de côté. 86. En Flandre, on répand le mythe selon lequel les politiciens en Wallonie et à Bruxelles ne veulent pas appliquer l’austérité. Pourtant, sur les 8890 chômeurs qui ont vu leurs allocations suspendues durant les six premiers mois de 2011, 5.224 étaient wallons, 2.196 étaient flamands, et 1470 bruxellois. Mais il est vrai que la tendance dominante de l’opinion en Wallonie et à Bruxelles est qu’il faut au moins donner l’impression qu’on assainit de façon équilibrée. Cela s’est exprimé dans la note de Di Rupo (http://www.socialisme.be/psl /archives/2011/07/06/note.html). Il y a là tout un nombre de mesures antisociales orientées contre les chômeurs, lesquels vont avoir plus difficilement accès à leurs allocations ; les régions recevraient même un bonus pour chaque suspension. Les chômeurs vont retomber beaucoup plus rapidement sur le minimum absolu, comparable au revenu minimum d’insertion. Les pensionnés recevront un bonus s’ils continuent de travailler après 65 ans. D’ailleurs, quand on voit le montant actuel des pensions, on se rend compte que la plupart n’auront tout simplement pas le choix. Les prépensions vont être encore plus découragées. Dans les services publics, les pensions des nouveaux arrivés seront calculées sur base des dix dernières années, au lieu des cinq dernières années. Dans les soins de santé, la norme de croissance est limitée à 2% au lieu de 4,5%. En échange de tout ça, Di Rupo veut maintenir l’index et l’âge des pensions à 65 ans.

    87. La note Di Rupo représente un “tsunami fiscal”, clament les organisations patronales et les libéraux, NVA en tête. C’est ainsi qu’ils qualifient la proposition d’un impôt temporaire de 0,5% sur les fortunes supérieures à 1,25 million d’euros après déduction de la partie destinée au logement ou à l’activité professionnelle. Sans cadastre de fortune ni abolition du secret bancaire, cette mesure est par ailleurs inapplicable. En plus de cela, il y a le plafonnement de la déduction de l’intérêt notionnel, à 3% au lieu de 3,42%, et surtout, l’abolition de la possibilité de transférer à l’année suivante la partie de la déduction qu’on ne prend pas à une année donnée. Les PME pourraient par contre déduire un demi-pourcent supplémentaire. Le fait que l’exonération fiscale sur les comptes d’épargne soit calculée selon la déclaration d’impôts est une mesure superflue, tout comme d’ailleurs l’augmentation du précompte mobilier sur l’intérêt de 15 à 20%, qui va aussi et surtout toucher les petits épargnants. Tout ceci va être instrumentalisé pour miner la légitimité de l’ensemble des mesures. Un impôt sur les plus-values de 25% sur la vente des effets entre une et huit années après achat, et surtout de 50% pour la vente avant une année, vise les profits des investissements spéculatifs, mais la mesure est minée si l’on accepte le fait que les moinsvalues sont calculées sur la somme des plus-values imposables.

    88. Tout cela n’est donc pas grand chose. C’est insuffisant que pour pouvoir faire avaler les mesures antisociales aux syndicats. Mais comparé à ce que revendique la majorité de droite des politiciens flamands, c’est énorme. En Wallonie et à Bruxelles, ils n’ont que le MR pour tenir pareille position. Il y a quelques années, certains pensaient encore que c’en était fini avec le PS, que le MR allait prendre la première place, que Reynders allait devenir le tout premier Premier ministre francophone depuis Van den Boeynants en ’79, qu’une coalition orange-bleue était en préparation, que BHV ne serait jamais scindé sans élargissement de Bruxelles, et que contrairement au cartel CD&V – N-VA, le MR – formé en 1993 par la fusion du PRL, du FDF et du MCC – ne pouvait plus être séparé après toutes ces années, ou encore qu’une scission de la Belgique était à l’ordre du jour pour au tout au plus les cinq années à venir (c’était en 2007), et qu’on allait tous un jour d’une manière ou d’une autre se réveiller dans une confédération. C’est toujours bien de revenir en arrière sur les vieux arguments pour pouvoir les comparer avec ce qui s’est réellement produit.

    89. Encore un peu de patience : le gouvernement n’est pas encore là, et un obstacle peut encore arriver. Mais entretemps, le prix d’un échec devient tellement grand qu’il faudrait déjà bien déconner avant de pouvoir stopper la formation de ce gouvernement. Quand cela arrivera, ce sera une tripartite classique, éventuellement combinée aux verts. Ce gouvernement sera dirigé par Di Rupo, et pas par Reynders. Celui-ci a perdu sa dernière chance avec l’annonce du départ de Leterme vers l’OCDE. Postposer la réforme de l’État et élargir les compétences du gouvernement en affaires courantes est dès lors devenu impossible. BHV va être scissionné – pas immédiatement, pas totalement sans compensation, mais sans élargissement de Bruxelles. Le PS reste le parti politique dominant en Wallonie ; la scission du MR n’est certainement pas comparable à celle du cartel CD&V – N-VA, mais la pratique a maintenant prouvé que la scission de vieilles formations est possible. Sur une base capitaliste, il est impossible de garder la Belgique unie sur le long terme. Toute “scission de velours” est cependant exclue tant qu’il n’y a pas de majorité claire en sa faveur ni dans le mouvement ouvrier ni dans la bourgeoisie.

    90. La 6e réforme de l’État qui est annoncée est importante – extrêmement importante même, selon Wilfried Martens. Elle fait suite à la plus longue crise politique de l’histoire belge, mais elle n’est pas pour autant copernicienne. Nous ne nous sommes pas encore réveillés dans une confédération. On a fini par trouver un compromis typiquement “à la belge”, où les deux communautés linguistiques peuvent présenter le bilan comme si elles avaient obtenu quelque chose. Cette fois-ci, cela a duré beaucoup plus longtemps que par le passé, presque 500 jours – et cela, après qu’il ait déjà fallu 194 jours en 2007 pour former un gouvernement. Ces longs délais proviennent du manque de moyens pour huiler ces réformes d’État pour les rendre plus faciles à avaler, comme c’était le cas habituellement auparavant. Bref, les Flamands peuvent être fiers d’avoir scissionné la circonscription électorale de BHV avec un minimum de compensations ; les francophones quant à eux peuvent parler du fait que dans les six communes à facilité, on peut maintenant voter pour des listes bruxelloises. En cas de non-nomination, les bourgmestres peuvent aller en appel devant la réunion générale bilingue du conseil d’État, ce que Damien Thierry du FDF appellent la “roulette russe”. Bien qu’elle puisse temporairement aider à supporter le poids écrasant de la surenchère communautaire, cette 6e réforme d’État ne va elle non plus pas conduire à une paix communautaire définitive. Au contraire, le développement des négociations et l’accord final contiennent déjà de nombreux ingrédients pour de nouvelles explosions communautaires.

    91. Les inconditionnels du communautaire vont utiliser les frustrations au maximum dans le but d’augmenter les tensions. Par exemple, le fait qu’avec le transfert de la politique du marché de l’emploi, seul 90% du budget est transféré. En Flandre, les 461 millions d’euros prévus pour le refinancement de Bruxelles seront présentés comme un chèque en blanc qui fera que les besoins sociaux en Flandre manqueront des moyens nécessaires. La phase de transition de la nouvelle loi de financement, qui compense Bruxelles et la Wallonie pour leur arriération durant les 10 prochaines années, se traduira par un transfert des moyens flamands vers la Wallonie et Bruxelles. A Bruxelles, le FDF va expliquer le manque de moyens dans l’enseignement, le logement social et l’emploi comme étant une concession de trop à la Flandre. Le FDF va probablement aussi essayer de donner une traduction communautaire au manque de moyens en Wallonie. Libéré de sa volonté d’être acceptable pour l’establishment, le FDF peut mettre sur pied ses propres mobilisations dans la périphérie – contre la circulaire Peeters per exemple, ou à l’occasion de la nomination d’un bourgmestre, ou encore pour revendiquer des moyens pour le social. Il n’est pas non plus exclu que le FDF essaye de présenter des listes francophones – probablement sous le nom de UDF (Union des francophones) – dans la circonscription de Louvain, ce qui, du côté flamand, sera perçu comme étant une provocation.

    92. Le FDF va-t-il devenir la N-VA francophone ? Il l’aimerait bien, mais ce n’est vraiment pas probable. À côté d’un sentiment national belge, il vit effectivement quelque chose comme un sentiment d’ensemble parmi les francophones, tant en Wallonie qu’à Bruxelles, mais il n’existe pas de nationalisme francophone comme il existe un nationalisme flamand. Nous devons d’ailleurs ajouter que ce sentiment national flamand ne se traduit généralement pas en un sentiment anti-belge. Chaque nouveau sondage confirme cela. Même après quatre ans de débats communautaires, il n’y a toujours que 22% des Flamands qui se prononcent résolument pour l’indépendance ; 75% sont contre la disparition de la Belgique, et 42% des Flamands se prononcent résolumment contre l’indépendance. La N-VA se base surtout sur les frustrations de la classe moyenne qui se sent freinée dans son aspiration à la promotion sociale. Son programme est libéral, de droite et flamingant mais, temporairement, la N-VA a réussi à tourner à son avantage électoral le manque d’alternative offert par le mouvement ouvrier. Il n’est pas exclu que le FDF puisse, avec une rhétorique anti-austérité, attirer à lui une partie des travailleurs. Après 18 années de participation au MR – et même à l’aile droite du MR –, cela ne sera pas tout de suite crédible. De plus, le poids social des couches moyennes en Wallonie (et, dans une moindre mesure, à Bruxelles) et dans la périphérie n’est pas comparable à celui qu’elles ont en Flandre.

  • A propos du parti – Nouvelles du PSL

    Cette rubrique de socialisme.be vous propose des nouvelles de notre parti, de ses activités et initiatives,… Cette rubrique comprendra donc divers courts rapports d’actions, des brèves de campagne, des appels pour des conférences, des rapports de réunion, ou encore de petits textes de nouveaux membres qui expliquent pourquoi ils ont rejoint notre parti.


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    A noter dans votre agenda

    • Lu. 30 jan. National. Grève générale contre la politique d’austérité
    • Lu. 6 fév. Louvain. Café syndical: évaluation de la grève générale : comment aller plus loin ? 20h, café Sport (à la gare de Louvain).
    • Me. 8 fév. Bruxelles. Rencontre avec des syndicalistes combatifs. Mercredi 8 février 19h – Café « Dillens » – Place Julien Dillens, 1060 Saint-Gilles (à 5 min. du parvis)
    • Sa. 10 mars. Anvers. Le PSL et la campagne ‘Tamil Solidarity’ présentent la Journée Tamouel du Socialisme
    • Di. 11 mars. Bruxelles. 14h30 Bruxelles-Nord. Manifestation nationale : "Plus jamais Fukushima"
    • Je. 15 mars. Manifestation antifasciste contre le NSV à Louvain
    • Di. 25 mars. Protestations contre le rassemblement anti-avortement à Bruxelles
    • Sa-Di 28 en 29 avril: ‘‘Socialisme 2012’’
    • 7-9 décembre: Congrès National du PSL

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    Meeting sur la lutte contre l’austérité

    Ce mardi 24 janvier, les camarades du PSL de Mons ont organisé un meeting sur le thème de la lutte contre l’austérité. Une vingtaine de personnes étaient présentes. Avant la discussion, Aurore y a expliqué les différentes mesures d’austérité que le gouvernement Di Rupo inflige aux travailleurs. Ensuite, elle a très bien mis en avant la nécessité de se préparer non seulement à la grève du 30 et d’en faire un succès, mais également de se préparer aux luttes qui vont venir dans la prochaine période.


    Débat avec le Parti Communiste à Charleroi

    Ce jeudi 26 janvier, un meeting commun entre le Parti Communiste et la section du PSL de Charleroi a eu lieu sur le thème de l’austérité. François Dagostino, du Parti Communiste, y a présenté les mesures d’austérité du gouvernement Di Rupo, en soulignant la dimension européenne des attaques sur les travailleurs. Benjamin Dusaussois, pour le Parti Socialiste de Lutte, a souligné que l’on rentrait dans une nouvelle période de lutte au sein de laquelle la nécessité d’une alternative politique aux parti traditionnels se fera de plus en plus sentir. Les travailleurs et les jeunes n’auront en effet d’autre choix que la lutte car si rien n’est fait, les perspectives d’avenir seront celles que Merkel annonçait récemment: 10 ans d’austérité minimum en Europe. Dans la discussion, Gustave Dache a expliqué qu’un changement était en cours dans les syndicats, la base augmente la pression pour des actions et plus de combativité.


    Une nouvelle édition de ”Lutte Socialiste”

    Demain, nous commencerons la diffusion de notre nouvelle édition de notre mensuel Lutte Socialiste, le journal anti-austérité. Cette édition accorde une large place aux arguments contre la logique d’austérité du gouvernement Di Rupo 1er. Nous abordons le contexte politique de ces attaques antisociales, et avertissons des attaques qui ne manquerons pas de suivre. C’est une avalanche d’austérité qui se profile ! Sur cette base, nous présentons les principaux arguments de la lutte contre toutes ces tentatives de nous faire payer à nous – jeunes, chômeurs, travailleurs, pensionnés – le coût de cette crise du système capitaliste.

    Pas de prétendu ”conflit des générations” dans ce journal! Pour nous, les plus âgés n’ont pas vécu au-dessus de leur moyens. Pour nous, les jeunes ne doivent pas voir leur avenir sacrifié. C’est ensemble que nous devons lutter contre les véritables responsables : les rapaces capitalistes et leurs serviles laquais aux gouvernements. Différents articles développent ainsi le sens des attaques contre les jeunes et les pensions.

    Le dossier central se concentre sur les réponses à donner aux divers arguments anti-grève que l’on entend dans les médias.

    N’hésitez pas! Soutenez la presse alternative, la presse qui se place clairement du côté des travailleurs ! Prenez donc un abonnement, et recevez chez vous votre ration d’analyses socialistes, d’informations sur les luttes en Belgique et au niveau international, ou encore de propositions concrètes pour construire le meilleur rapport de forces contre les attaques antisociales et pour une autre société, une société socialiste démocratique. Effectuez un versement (informations pratiques) et envoyez un mail à redaction@socialisme.be avec vos coordonnées.

    Contenu de notre édition de février :

    • 1. Une austérité qui nous appauvrit tous? Il existe une alternative !
    • 2. Assainissements : le gouvernement veut toujours aller plus loin || ‘‘Il nous faut un nouveau mouvement pour donner une voix politique à la lutte’’ || Les salaires et pensions des politiciens
    • 3. Brisons tous les liens avec les partis de l’austérité ! || Qui voit encore une différence entre les différents partis établis ?
    • 4. Les Dolomies – Marche Les Dames Norme salariale de 0,3 % explosée ! || Le personnel de Petroplus : On veut de la clarté !
    • 5. Van Quickenborne à l’offensive contre les cheminots ! || Action des cheminots pour la sécurité des gares || La politique européenne de libéralisation menace 5.000 emplois à bpost
    • 6. Tensions à Matonge || STIB, TEC, De Lijn : Personnel et usagers, défendons nos transports en commun ! || Question du mois : Comment stopper la N-VA?
    • 7. Dossier: Devrons-nous bientôt travailler jusqu’au cercueil?
    • 8-9. Dossier: Pourquoi il faut lutter et faire grève
    • 10. Interview avec un des dirigeants de l’opposition au Kazakhstan, Ainur Kurmanov. “De réelles possibilités d’insurrection au Kazakhstan” || Irlande. Campagne massive pour le non-paiement d’une taxe immobilière
    • 11. Interview avec Segun Sango au sujet de la grève générale du Nigéria || Corée du Nord. Kim Jong-Il est mort, mais le cauchemar stalinien se poursuit || La Chine augmente la pression contre les opposants
    • 12. ”Trotski”, une (mauvaise) biographie de Robert Service
    • 13. Nouvelles du parti
    • 14. 15 mars: Manifestation antifasciste à Louvain : Rejoignez la résistance antifasciste ! || La fin du FN en Belgique ?
    • 15. Di Rupo contre les jeunes. Opération : ”Génération sans avenir”
    • 16. L’énergie aux mains du public! Fukushima: plus jamais !
  • En bref…

    Chaque samedi, nous publions dans cette rubrique quelques faits marquants, des citations, de petites vidéos,… Aujourd’hui, notamment, quelques critiques d’économistes de haut niveau contre les mesures d’austérité et quelques données sur le chômage en Europe et particulièrement en Grande Bretagne.


    Près d’un quart des jeunes au chômage en Europe

    En ce moment, 22,7% des jeunes européens (sous les 25 ans) sont sans emploi. Il s’agit du double du taux de chômage total de l’Union Européenne (qui est de 9,8%). Une fondation européenne a examiné le coût de cet énorme gaspillage de jeunes travailleurs. La conclusion du rapport suggère que le chômage des jeunes dans les 21 pays de l’UE coûte jusqu’à 2 milliards d’euros par semaine, soit plus de 100 milliards d’euros par an. Les jeunes chômeurs de notre pays coûtent 4,1 milliards d’euros à la société.


    C’est pas la crise pour tout le monde…

    Sur le site Express.be, on a pu lire ce jeudi: ‘‘Varsano, courtier en jets privés, explique que depuis la crise financière, il y a bien eu un ralentissement de l’activité, notamment pour les avions les moins chers, ceux d’un million de dollars, mais rien de comparable avec ce qui se passe ailleurs. En particulier, les candidats à l’achat des avions les plus chers – 30 millions de dollars – ne sont pas plus rares. « Il y a toujours quelqu’un qui fait de l’argent », explique-t-il. « je ne fais que suivre l’argent ».’’


    L’austérité conduit l’Europe au désastre

    ‘‘Les responsables européens doivent en finir avec leur obsession d’éliminer les déficits’’ a écrit Jeff Madrick dans un article du New York Review of Books intitulé « How Austerity is Killing Europe ». Ce journaliste et consultant économique américain déclare que la situation européenne rappelle celle qui a précédé la crise de 1929 et les coupes budgétaires ne feraient que ‘‘creuser et non pas régler la crise financière et des millions de personnes vont souffrir inutilement.’’ Il poursuit en expliquant que l’austérité qui frappe l’Europe n’est pas sans rappeler les politiques d’ajustement structurel qu’imposaient le FMI et la Banque mondiale en Afrique et en Amérique latine durant les années ‘80 et ‘90. Avec les résultats que l’on connait….


    Zone euro: Joseph Stiglitz, austérité et médecine médiévale

    Le prix Nobel d’économie américain Joseph Stiglitz dénonce les mesures d’austérité présentées comme des solutions pour la crise des dettes souveraines de la zone euro. A ses dires, les remèdes vont tuer le patient, un peu comme les saignées de la médecine du Moyen Age. C’est ce qu’illustrent des pays comme la Grèce, le Portugal ou l’Irlande, où l’austérité n’a fait qu’augmenter le poids des dettes publiques, en détruisant les conditions de vie de la population.


    L’eau, bientôt un produit de luxe ?

    Le prix de l’eau augmentera cette année, et tant en Wallonie qu’à Bruxelles. En Wallonie, les ménages qui sont raccordés au réseau de la SWDE (65% du territoire) paieront 413 euros (TVA comprise) pour avoir consommé 100 m3 en 2012, contre 399 euros l’an dernier (+ 3%). A Bruxelles, la hausse des tarifs s’affichera à 2%. Quant à la hausse de la taxe wallonne sur les captages d’eau, les distributeurs affirment qu’ils n’ont ‘‘pas encore pu la répercuter dans leurs nouveaux prix.’’ L’augmentation devrait donc se poursuivre… Les prix du gaz et de l’électricité sont par contre gelés, avec la très forte probabilité d’une augmentation drastique en 2015. Charmante perspective.


    Grande Bretagne : record de chômage depuis 17 ans

    Il n’y a jamais eu autant de personnes à la recherche d’un emploi depuis 17 ans en Grande Bretagne, selon les données officielles publiés cette semaine, soit 2,68 millions de personnes, un niveau inconnu depuis 1994. Le chômage touche plus particulièrement les jeunes de 16 à 24 ans, qui sont plus d’un million à rechercher un emploi.


    Le Kazakhstan accepte des observateurs électoraux internationaux, mais seulement s’ils se taisent…

    Le président-dictateur du Kazakhstan, Noursoultan Nazarbayev, a déclaré ce mercredi que les observateurs électoraux critiquant les élections ne seront plus invités au Kazakhstan, en réponse aux observateurs de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) qui avaient estimé que les élections de dimanche dernier n’avaient ‘‘pas respecté les principes fondamentaux d’une élection démocratique.’’ Nazarbayev n’a par contre pas de soucis à se faire, ses très bonnes relations avec les Etats-Unis, la Chine et l’Union Européenne, sur fonds de vente des ressources naturelles du pays, le protègent de lourdes condamnations internationales. Mais la population gronde.

  • Iran : exacerbation des tensions, sanctions et exercices militaires

    L’impérialisme américain et / ou Israël préparent-ils une attaque militaire contre l’Iran ? Comment la dictature islamiste à Téhéran va-t-elle riposter ? Ces questions sont à nouveaux parvenues sur le devant de la scène, avec les nouvelles sanctions annoncées par les Etats-Unis et les exercices effectués par la marine iranienne.

    Par Per-Åke Westerlund, Rättvisepartiet Socialisterna (CIO-Suède)

    Tant le régime iranien que la Maison Blanche ont des raisons internes qui justifient cette escalade dans la guerre des mots. La profonde crainte du régime iranien face à des protestations de masses – à l’instar de celles qui avaient suivi les ‘‘élections’’ de 2009 – a été renforcée par les révolutions en Afrique du Nord et au Moyen Orient. De nouvelles ‘‘élections’’ antidémocratiques se tiendront en mars prochain, dans un contexte de crise économique de plus en plus aigu. Le régime tente de mettre uniquement l’accent sur la responsabilité de l’impérialisme américain, qui a maintenu un blocus long de plus de 30 ans contre l’Iran. Aux Etats-Unis, le président Barack Obama trouve bien pratique de pouvoir dévier l’attention de l’opinion vers l’étranger après le mécontentement grandissant qui s’est exprimé dans le pays durant l’année 2011, notamment avec le mouvement Occupy. En outre, le président est sous la pression des Républicains pour être plus dur concernant les affaires étrangères, en particulier à l’égard de l’Iran.

    Tout acte guerrier contre l’Iran aurait des conséquences désastreuses. La région est l’une des plus militarisées au monde. Les Etats-Unis ont leur Cinquième Flotte stationnée au Bahreïn et tous les pays du golfe Persique ont participé à la course régionale aux armements qui a marqué ces dernières années. Une attaque contre l’Iran ferait face à une opposition de masse au Moyen-Orient, notamment bien entendu de la part d’organisations soutenues par l’Iran comme le Hamas et le Hezbollah.

    Les rumeurs et les inquiétudes à ce sujet ont déjà fait bondir les prix du pétrole de 6% durant la première semaine de janvier. Un conflit militaire qui risquerait d’affecter les exportations de pétrole du golfe Persique pourrait menacer l’économie mondiale tout entière. 40% des exportations mondiales de pétrole passent par l’étroit détroit d’Ormuz.

    L’évènement qui a déclenché ces dernières évolutions est le rapport de l’Agence internationale de l’énergie atomique de novembre qui, une fois encore, laisse supposer que l’Iran est secrètement en train de préparer une production d’armes nucléaires. Depuis 10 ans, les installations nucléaires iraniennes conduisent à des crises et à de nombreuses spéculations concernant son arsenal militaire. Le projet nucléaire iranien est devenu public en 2002, mais l’enrichissement d’uranium a été suspendu, pour reprendre un peu plus tard lorsqu’Ahmadinejad est devenu président, en 2005.

    L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et le Conseil de sécurité des Nations Unies ont depuis lors lancé différents ultimatums au régime de Téhéran et ont adopté quatre séries de sanctions. Téhéran a toujours maintenu que l’enrichissement d’uranium était uniquement orienté vers la production d’énergie atomique et également à des fins médicales. Mais Ahmadinejad n’a jamais perdu une occasion de vanter la capacité de l’Iran à produire du combustible nucléaire avec l’aide de leur 8000 centrifugeuses. L’AIEA et même la Maison Blanche, depuis l’accession d’Obama au pouvoir, admettent que l’Iran n’est toujours pas capable de produire des armes nucléaires, mais ils avertissent que le risque a augmenté. Le traitement de l’uranium a été, pendant longtemps, un enrichissement de 3,5%, mais il a augmenté à près de 20% en 2010 (l’uranium nécessaire à la production d’armes nucléaires nécessite un enrichissement de 90%).

    Les sanctions ont jusqu’à présent eu un effet sur l’économie iranienne, mais n’ont par contre eu aucun impact sur les projets nourris par le régime concernant l’enrichissement d’uranium. Depuis qu’Israël a ouvert la possibilité d’une attaque militaire contre l’Iran, la pression s’est accrue sur Obama. Les Etats-Unis et Israël mènent aussi une guerre d’espionnage, avec notamment le meurtre de scientifiques, contre le programme nucléaire iranien. Le soir du réveillon de Nouvel An, Obama a lancé de nouvelles sanctions contre l’Iran, plus sévères encore que les précédentes.

    Ces nouvelles sanctions visent directement les recettes pétrolières du régime, le secteur pétrolier représentant 60% de l’économie iranienne. L’objectif de ces sanctions est de stopper toute affaire avec la Banque Centrale Iranienne, la banque qui est en charge du commerce extérieur et du commerce de devises. Le blocus précédent était limité aux échanges avec les États-Unis, mais maintenant les entreprises et gouvernements européens sont également obligés d’arrêter de commercer avec l’Iran. Cela implique l’extraction de pétrole, mais aussi son raffinage et bien entendu son exportation hors de l’Iran.

    Sous pression, l’Union Européenne a en principe accepté l’embargo pétrolier. Mais les pays de l’UE comptent sur le pétrole iranien, particulièrement dans le sud de l’Europe. Les pays européens importent 450.000 barils de pétrole iranien par jour (pour une exportation totale de 2,6 millions de barils par jour). Même la Grèce a été pressée de ne pas protester contre le blocus à venir.

    Les nouvelles sanctions d’Obama vont prendre effet d’ici six mois, mais il est encore possible que le président annule cette décision ou la reporte avant qu’elle ne prenne effet, surtout si les prix du pétrole continuent de monter. Le régime iranien a répondu qu’il lui est facile de remplacer les consommateurs qui lui tournent le dos. Le régime place de grands espoirs dans la Chine, qui est déjà actuellement le plus gros importateur de pétrole iranien, et l’Inde.

    L’Iran est confronté à une crise économique sévère, avec une forte inflation et un taux de chômage grandissant. La monnaie nationale a perdu 40% de sa valeur face au dollar entre décembre et début janvier. Parallèlement, la menace de nouvelles manifestations de masse et de grèves a augmenté. Cela explique la rhétorique de guerre en provenance de Téhéran, destinée à dévier l’attention des problèmes internes. ‘‘Pas une goutte de pétrole ne va passer le détroit d’Ormuz’’ si les sanctions sont appliquées, a ainsi déclaré le vice-président Mohammad Reza Rahimi.

    Lors d’un exercice naval de 10 jours, l’Iran a testé deux nouveaux missiles à longue portée, Ghadr et Nour, avec une portée de plus de 200 kilomètres. Mais le pays avait testé des missiles Sejil-2 il y a quelques temps, dont la portée est dix fois plus longue.

    Durant cet exercice, les commandants iraniens ont averti que le porte-avions américain USS John C. Stennis, basé au Bahreïn, ne pouvait pas passer devant les navires de guerre iraniens, ce qui s’est toutefois bel et bien produit sans déclencher d’incident. Washington a répondu qu’un blocage du détroit d’Ormuz "ne serait pas toléré’’, en faisant référence à la défense des intérêts stratégiques américains. Même au cours de la guerre entre l’Iran et l’Irak, de 1980 à 1988, le détroit a toujours été ouvert aux navires pétroliers. Le pétrole iranien en route vers la Chine et d’autres pays passe également par ce passage.

    L’Iran a également annoncé que l’enrichissement d’uranium se déroule aussi à Fordo, en dehors de la ville sainte de Qom, en plus des équipements déjà disponibles à Natanz. Cette nouvelle usine disposerait d’une protection spéciale contre les frappes aériennes.

    Une éventuelle guerre contre l’Iran serait plus susceptible de prendre la forme de frappes aériennes et non pas d’une invasion terrestre. Israël a signalé qu’une attaque militaire contre l’Iran n’est pas à exclure. Le Ministre de la Défense Ehud Barak a récemment déclaré que ‘‘l’Iran pourrait atteindre un stade, dans les neuf mois, où rien ne pourra être fait pour stopper ses capacités à construire des armes nucléaires’’ a rapporté le quotidien Daily News. Les Etats-Unis ont publiquement critiqué et mis en garde les projets israéliens. Une attaque d’Israël, plus encore qu’une attaque des Etats-Unis, déclencherait immédiatement d’énormes manifestations au Moyen-Orient et dans le monde.

    Le risque d’une guerre ou de conflits a augmenté, et un tel cas de figure n’est pas du tout à exclure. Mais il est toutefois fort probable que de nouvelles tentatives de négociations auront lieu avant que ces menaces ne sont concrétisées.

    Les marxistes en Iran, aux Etats-Unis et dans le monde doivent lutter contre tout acte de guerre des États-Unis et / ou d’Israël contre l’Iran. Washington et Jérusalem agissent à seule fin de protéger leur pouvoir, leur influence et leurs profits, et non pas par souci du bien-être du peuple iranien. Les conséquences d’une intervention militaire impérialiste peuvent être aujourd’hui observées en Irak. Cependant, cette opposition à la guerre ne signifie en aucun cas de soutenir le régime dictatorial iranien. Pour garantir la paix et l’obtention des droits démocratiques pour les travailleurs et les pauvres du pays, ce régime doit être renversé par les travailleurs, les jeunes et tous les opprimés d’Iran. Aux Etats-Unis, la résistance contre cette guerre doit aussi s’attaquer aux profiteurs, à Wall Street et aux politiciens corrompus par le Grand Capital. En définitive, lutter de façon conséquente contre la guerre signifie de lutter pour une démocratie des travailleurs, contre le capitalisme et l’impérialisme.

  • Chine : La répression s’intensifie contre les opposants

    Le militant du CIO Zhang Shujie forcé de quitter le pays, un exemple révélateur

    L’intensification actuelle de la répression d’Etat en Chine, particulièrement contre les opposants et militants de gauche, est illustrée par le cas de Zhang Shujie, un jeune homme de 24 ans qui est un partisan du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO). Le régime, qui fait face à de nombreux défis et à une colère croissante, craint de voir se développer des mobilisations de masse à l’exemple de ce qui s’est produit en Afrique du Nord et au Moyen-Orient.

    Par des correspondants du CIO

    Zhang est un militant marxiste et un défenseur des syndicats indépendants et des droits des travailleurs en Chine. Il contribue régulièrement au site chinaworker.info et est un partisan du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO), qui a des membres et des partisans dans de nombreux pays, y compris en Chine, à Hong Kong et à Taïwan. Depuis 2009, Zhang est un des correspondants du site d’informations chinaworker.info et du bimensuel ‘Socialist’. Tant ce site que ce magazine sont interdits en Chine.

    En février 2011, Zhang est devenu l’une des innombrables victimes de la dernière vague de répression de la dictature de Pékin, qui craint une révolte de masse à la suite des évènements révolutionnaire du Moyen Orient et d’Afrique du Nord, qui ont notamment mis fin à la dictature de Moubarak en Egypte et à celle de Ben Ali en Tunisie. Les coups qui frappent les militants de gauche en Chine, qui sont particulièrement visés, ne sont quasiment jamais relayés dans les médias capitalistes, ces derniers préférant bien entendu se focaliser sur les cas de dissidents pro-occidentaux et libéraux, dont les idées sont plus proches de celles défendues par les médias dominants.

    En octobre 2011, Zhang est parvenu à s’enfuir de Chine, n’échappant à la police que grâce à l’aide d’amis et de camarades du CIO et d’ailleurs en Chine, à Hong Kong et en Europe. Parmi eux, le député irlandais Joe Higgins et le député européen Paul Murphy (tous deux membres de la section du CIO en République irlandaise, le Socialist Party), ainsi que ‘Cheveux longs’ Leung Kwok-hung (nommé ainsi en raison de son refus de se couper les cheveux tant que le régime de Pékin n’aura pas officiellement reconnu le massacre de Tienanmen), élu de la LSD (Ligue des Sociaux-Démocrates) à Hong Kong. Si Zhang était resté en Chine, il aurait risqué une longue période de détention. Les agents de la sureté l’avaient menacé d’être accusé de “divulgation de secrets d’Etat” et “d’incitation à la subversion contre l’Etat”, ce qui est punissable de 10 ans d’emprisonnement. Dans la Chine actuelle, ces accusations sont communes pour les dissidents. La définition de “secrets d’Etat” est très large, et peut par exemple couvrir le fait de remettre en question la version des autorités concernant le nombre d’écoliers victimes du tremblement de terre du Sichuan en 2008 ou encore le montant de monnaies étrangères dans les réserves chinoises. Zhang est actuellement en Suède, où son cas sera discuté à la fin du mois de janvier lors d’une audition au Parlement suédois (le Riksdag) consacrée aux droits de l’Homme et à la répression en Chine.

    Comment fonctionne la répression d’Etat

    Zhang a été convoqué pour une rencontre avec les agents de la sureté de la ville de Chongqing le 24 février 2011. C’était là le début d’une première étape préventive, appliquée à très large échelle, qui annonçait une vague de répression en réaction à la ‘Révolution de Jasmin’ inspirée par les évènements d’Afrique du nord et du Moyen Orient. Zhang n’a pas été autorisé à contacter un avocat, ni d’ailleurs à informer sa famille de sa situation. Les agents de la sureté lui ont dit qu’ils ‘savaient tout’ de ses activités et lui ont expliqué qu’ils étaient en droit de le détenir indéfiniment en le faisant ‘disparaitre’, à moins qu’il ne livre des informations sur chaque personne avec qui il avait pu entrer en contact lors de ses activités militantes et s’il ‘confessait’ ses liens avec le Comité pour une Internationale Ouvrière, en acceptant ainsi de ‘coopérer’ avec les forces de sécurité. Des telles méthodes sont typiques des forces de sécurité en Chine.

    Quand Zhang a été interrogé pour la première fois, il a été forcé de rester debout 28 heures de suite, privé de ses lunettes et de nourritures durant de nombreuses heures. En dépit du fait qu’il n’avait à aucun moment été officiellement accusé de quoi que ce soit, son ordinateur, son téléphone mobile et plusieurs documents ont été saisis. Il a été averti qu’il risquait plusieurs années de prison pour ‘contact avec une organisation interdite’ et pour ‘crimes liés à la sureté de l’Etat’. Mais il pouvait bien entendu éviter toutes ces charges s’il ‘coopérait’ avec les forces de sécurité. Sans aucune autre alternative, Zhang a répondu à leurs demandes. Sans que la police ne le sache et contre leurs instructions, il a ensuite contacté ses camarades du CIO afin de leur demander aide et conseils.

    Dans les mois qui ont suivi, les forces de sécurité ont épluché la correspondance entretenue par Zhang avec ses camarades, et lui ont donné des ordres pour qu’il réponde d’une manière bien précise. Ils lui ont notamment donné l’instruction de se rendre volontairement aux meetings tenus à Hong Kong, ce pour quoi il aurait même été payé. Il devait photographier avec son téléphone portable chaque personne participant à ces réunions et collecter des informations sur elles. Les principaux sujets de cette attention devaient être le groupe lié au CIO ‘Socialist Action’ et les partisans du CIO en Chine intérieure, mais les forces de sécurité de l’Etat de Chongqing lui avaient aussi demandé de regrouper des informations sur les autres forces de la gauche radicale, comme la Ligue des Sociaux-Démocrates (LSD) et leur élu, Leung Kwok-hung. Il lui avait été demandé de chercher à savoir si le CIO était lié à Leung, que Zhang avait rencontré lors d’une visite précédente à Hong Kong. La LSD est un groupe pro-démocratie radical qui n’a aucun lien avec le CIO.

    En tant qu’entité légale et juridique séparée, la police chinoise et ses tribunaux n’ont aucun droit à Hong Kong. Selon la ‘mini-constitution’ de Hong Kong, ses citoyens sont libres d’adhérer à des associations politiques et son légalement protégés. Les autorités de Chine intérieure n’ont aucun pouvoir formel d’interférer avec ces activités. Cela signifie donc que la branche des forces de sécurité de Chongqing a poussé Zhang, sous la menace d’emprisonnement, à mener des activités ‘anticonstitutionnelles’ à Hong Kong. Ces agents ont payé Zhang pour qu’il visite Hong Kong et y participe à une réunion du CIO en octobre 2011, avec l’instruction de collecter des informations sur les activistes politiques de Hong Kong, dont un élu du parlement de Hong Kong.

    Mais Zhang n’avait aucune intention de faire le sale boulot du régime. Il s’était arrangé avec ses camarades du CIO et ses partisans pour quitter la Chine au cours de sa visite à Hong Kong.

    Ce cas précis illustre la brutalité et le caractère profondément illégal de la dictature chinoise, en dépit de ses nombreux efforts visant à redorer son image à l’extérieur. Les gouvernements étrangers et les multinationales, qui ont leurs intérêts très proches de leurs cœurs, ont laissé tomber leurs critiques sur les violations des droits de l’Homme et la répression du régime chinois. Ceux qui osent s’opposer à ce système répressif payent le prix fort et ils doivent recevoir le soutien et la solidarité de toute la gauche et des forces démocratiques.

    La répression de 2011

    Actuellement, la Chine fait l’expérience de la plus sévère répression depuis une bonne décennie, un processus qu’Amnesty International a décrit comme étant ‘effrayant’. Des centaines d’écrivains, avocats et de militants ont été arrêtés et ont ‘disparus’ du fait des forces de police. Les ennuis dont ont été victimes des personnalités connues comme l’artiste Ai Weiwei ou l’activiste Gao Zhisheng ont été de véritables avertissements, signifiant que plus personne n’était intouchable. Mais dans cette vague de répression, ceux qui sont le plus particulièrement visés sont les avocats et ceux qui défendent d’autres victimes de la répression, afin de réprimer chaque pas posé en direction de toute organisation indépendante du régime.

    Au cours des dernières journées de 2011, différents verdicts rendus aux tribunaux ont dissipé le moindre espoir quant à un assouplissement de la répression. L’écrivain du Sichuan Chen Wei a été condamné à 9 ans de prison pour ‘écrits subversifs’ et Chen Xi, qui provient de Guizhou, a été condamné à 10 ans pour “incitation à la subversion”, tous les deux le jour de Noël. Un autre dissident très connu, Ni Yulan, est actuellement en procès à Pékin pour avoir “suscité des troubles” à causé de son rôle joué en défense des victimes de réquisition de terres. Elle est menacée d’une condamnation au moins aussi sévère.

    L’an dernier, le budget consacré à la sécurité intérieure en Chine a été élevé à 624 milliards de yuan (soit 95 milliards de dollars), dépassant de ce fait le budget militaire du pays. L’influence des plus chauds partisans de la répression au sein du régime a été renforcée. Avec une phase de succession crucial aux niveau des dirigeants du parti et du gouvernement en 2012, et également au vu des défis économiques sévères qui peuvent pousser le mécontentement social plus fortement en avant, le régime a donné carte blanche aux forces de sécurité pour imposer le silence à tous les opposants.

    Les forces de sécurité ont ainsi eu recours aux détentions secrètes et autres mesures ‘extra légales’ et les limites des droits légaux en ce qui concerne la liberté d’expression en Chine ont été repoussées une nouvelle fois. “De tels actes se produisent de manière constamment plus flagrante, des officiels abandonnant jusqu’à la prétention d’obéir à la loi,” a écrit Amnesty International dans un rapport datant de juin 2011. Ainsi, il y a récemment eu de nouvelles mesures destinées à contrôler internet, le projet d’établir la plus grande base de données sécuritaire au monde et de nouvelles restrictions concernant les blogs internet (qui sont devenus très populaires pour dénoncer les abus des autorités et pour parler des protestations de masse). Tout cela vise à augmenter le contrôle autoritaire du régime.

    La répression à l’œuvre contre chinaworker.info

    Ces dernières années ont aussi été marquées par le développement des idées de gauche et des idées anticapitalistes en Chine, de manière similaire à ce qui se produit au niveau international, où un nombre croissant de personnes (particulièrement la jeunesse) rejettent la dictature du marché capitaliste à la lumière de la crise financière et de l’explosion des inégalités. Par le passé, le régime chinois ne prêtait pas grande attention aux critiques de gauche, l’idée dominante était alors que les influences libérales et pro-occidentales représentaient les plus grandes menaces pour le régime. Cela a commencé à changer de façon décisive autour de l’année 2008, le contrôle et les attaques des autorités contre les groupes et individus de gauche ont alors augmenté.

    Maoïstes, ‘nouveaux gauchistes’, trotskistes et d’autres défenseurs des droits des travailleurs, particulièrement les partisans de leur organisation indépendante, ont été arrêtés et jugés pour ‘incitation à la subversion’, ‘violence contre l’ordre social’,… Plusieurs exemples ont été relayés sur le site chinaworker.info.

    L’activité politique de Zhang Shujie, et les activités des autres partisans du CIO en Chine, est de nature littéraire. Il a écrit et traduit des articles pour le site chinaworker.info et le magazine ‘Socialist’ (magazine qui circule clandestinement en Chine par e-mail avec l’aide courageuse de nombreux activistes).

    Chinaworker.info, qui a été lancé par des membres du CIO en 2004, a attiré l’attention et la colère de la dictature chinoise. Le site et les partisans du CIO ont organisé des actions de solidarité dans de nombreux pays en soutien des luttes des travailleurs contre les conditions de travail et de vie inhumaines qui prévalent en Chine. Ils ont aussi organisé des actions destinées à rendre plus connus les exemples d’activistes arrêtés. En Chine, les partisans du CIO sont en liaison avec des militants ouvriers, des avocats qui défendent la cause des immigrés, des militants LGBT et d’autres dont les croyances et les activités politiques les forcent à entrer dans l’illégalité.

    Plusieurs jeunes travailleurs et étudiants liés à chinaworker.info ont été arrêtés ces 3 dernières années, dans des circonstances similaires à celles de Zhang Shujie. En 2009, un livre publié par chinaworker.info à Hong Kong, concernant le 20e anniversaire du massacre de la place Tienanmen (‘Tiananmen – Seven Weeks that Shook the World’) a été interdit en Chine. Ce livre a été inscrit par le gouvernement comme l’un des cinq plus important ‘livres politiques illégaux’ de l’année, avec les mémoires de l’ancien dirigeant du Parti ‘‘Communiste’’ Zhao Ziyang (‘Prisoner of the State’). Les gouvernements locaux et les services postaux ont reçu pour instruction spéciale de rechercher et de traquer les exemplaires de ce livre. Zhang Shujie, qui écrivait sous l’anonymat, avait contribué à l’écriture de l’ouvrage.

    En octobre 2009, Laurence Coates (membre du CIO et l’un des fondateurs du site chinaworker.info, lui aussi parmi les auteurs du livre interdit ‘Tiananmen – Seven Weeks that Shook the World’), a été interdit de séjour en Chine. Il a été accusé par les autorités de constituer une “menace potentielle pour la sécurité nationale”.

    La répression, quelle que soit son ampleur, ne peut pas sauver un régime totalitaire une fois que le peuple se débarrasse de sa peur, un processus qui est déjà à l’œuvre en Chine. Avec une économie qui se dirige vers la crise, une bulle immobilière prête à exploser et un niveau de dette sans précédent, la très mal nommée dictature ‘‘communiste’’ a toutes les raisons de craindre pour son avenir.

    L’intensification de la surveillance et des attaques contre la gauche – y compris contre des partisans du Comité pour une Internationale Ouvrière – illustre le potentiel fabuleux qui existe pour les idées du socialisme en Chine. Ces idées peuvent être résumées comme suit : droits démocratiques immédiats et entiers, fin du régime du parti unique, élections libres pour une assemblée constituante révolutionnaire, constitution d’un gouvernement des travailleurs et des paysans pauvres, augmentation conséquente des salaires minimums et instauration de la journée des 8 heures, création de soins de santé et d’un enseignement gratuits et publics, propriété démocratique et publique sur les plus grandes entreprises et les plus grandes banques.

    Le cas de Zhang Shujie et de milliers d’autres illustre la nécessité de franchir une étape dans le cadre de la lutte contre la répression en Chine, et d’exiger la libération immédiate et inconditionnelle de tous les prisonniers politiques ainsi que la fin de la terreur d’Etat. A cette fin, le CIO prépare une campagne de grande ampleur en soutien des victimes des persécutions en Chine, et particulièrement pour les véritables socialistes tels que Zhang. Cette campagne comprendra des actions de solidarité, des appels aux donations et des protestations contre la répression d’Etat en Chine.

  • Corée du Nord : Décès de Kim Jong-Il, mais le cauchemar stalinien se poursuit

    La mort du dictateur stalinien de Corée du Nord n’apporte aucun soulagement aux travailleurs de ce pays. Ces derniers ont souffert de nombreuses années sous l’occupation japonaise (1905-1945), puis durant la guerre de Corée (1950-1953) et de nombreuses, très nombreuses, années sous la botte du régime stalinien. Après la chute de l’Union Soviétique, l’économie nord-coréenne a subit plusieurs revers et on estime à deux millions le nombre de victimes des famines de la fin des années ’90. La Corée du Nord est l’un des pays les plus pauvres au monde mais, jusque dans les années ’70, le revenu par habitant était plus élevé qu’en Corée du Sud.

    Par Gerbrand Visser, Socialistisch Alternatief (CIO-Pays-Bas)

    Le règne stalinien de Corée du Nord est placé sous le signe de l’idéologie du ”Juche”, de ”l’autosuffisance”. Ce pays n’est pas des plus propices à la production de nourriture, en raison de son climat froid et des montagnes. Ses sols regorgent par contre de nombreux minéraux, dont certains très rares. Le gouvernement chinois est favorable au régime actuel, car il lui donne un accès relativement aisé à ces richesses naturelles. La Corée du Nord offre aussi un ”tampon” à la Chine. Si la Corée du Nord cessait d’exister, la Chine aurait pour voisin un pays abritant un grand contingent de forces militaires américaines.

    Pour le japon et la Corée du Sud, la présence de ce régime stalinien est inconfortable, mais elle livre une excuse des plus faciles pour leurs dépenses militaires obscènes. La Corée du Nord affirme posséder la bombe nucléaire. Cela semble être une chose très primitive, similaire aux toutes premières bombes nucléaires américaines, probablement trop grosse pour être fixée sur un missile. La Corée du Nord a opéré deux tests après l’invasion de l’Irak, afin de montrer au monde qu’elle disposait de la bombe. Mais les forces armées de Corée du Nord, très nombreuses et sensées défendre le pays et réprimer la population, ne disposent d’aucune force aérienne ou maritime sérieuses.

    La plupart des dépenses du pays sont militaires. Cela n’est pas destiné à changer. Le nouveau dirigeant, Kim Yong Un, est jeune et il ne fait aucun doute que le conseil militaire va fermement maintenir les rennes du pouvoir. Si des dissensions en son sein n’émergent pas, ses membres pourraient rester au pouvoir encore un certain temps – le régime a déjà démontré qu’il était assez tenace. Le régime a totalement isolé le pays et réprime toute activité indépendante de la classe ouvrière.

    La vie en Corée du Nord est un véritable cauchemar pour les travailleurs : une lutte des plus dure pour la survie dans un pays qui ne possède pas suffisamment de nourriture, connaît des températures extrêmement basses en hiver, et souvent sans éclairage (il n’y a la plupart du temps qu’une ampoule par appartement). La vie est très difficile pour la population, sans encore prendre en considération l’horrible répression, les camps de concentration, le contrôle exercé sur chaque famille et sur les lieux de travail, la totale absence d’information (les GSM et internet sont prohibés) et la surveillance de la police secrète.

    La mort de ce tyran a encore offert une occasion aux défenseurs du capitalisme pour discréditer l’idée du socialisme, en dépit du fait que ce régime brutal, parmi les plus horribles et oppresseur qui soit, n’est qu’une sanglante caricature de ce qu’est le socialisme. Le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO, dont le PSL est la section belge) défend la lutte pour renverser cette dynastie stalinienne corrompue, dans le cadre de la lutte internationale pour mettre fin à la pauvreté, la répression, la dictature et les conflits qui dominent la région asiatique, par le moyen de la lutte des masses. L’instauration d’une démocratie ouvrière et du véritable socialisme en Corée, avec pour base le contrôle démocratique des travailleurs sur les autorités et la planification de l’économie, peut sembler éloignée en ce moment. Mais tout comme l’équipe de football nord-coréenne, les travailleurs nord-coréens peuvent préparer de grandes surprises.

  • Russie : Des milliers de personnes arrêtées après deux jours de manifestations de rue

    La fraude électorale expose la vulnérabilité du règne de Poutine

    Ce mardi 6 décembre, les blogs et sites russes étaient remplis de rapports faisant état de l’arrivée massive des troupes à Moscou. On a vu apparaitre des photos qui montraient des convois entiers de bus blancs escortés le long des autoroutes. Les gens qui ont décidé de se rendre aux actions de protestation spontanées “illégales” (sans autorisation de l’administration) de mardi soir savaient qu’ils prenaient des risques. Mais à nouveau, des milliers de jeunes sont descendus pour protester contre la manière dont le Premier Ministre Poutine a manipulé les élections parlementaires de dimanche dernier. Son parti, Russie unie (Yédinaïa Rossiya, YéR), y aurait reçu une majorité de 13 sièges à la Douma (parlement).

    Rob Jones, CIO Moscou

    Le régime s’était bien préparé. Pendant les élections, près de 50.000 jeunes “pro-Kremlin”, du mouvement “nachiste” (“Nachi” : “les nôtres”) avaient été envoyés à Moscou pour y combattre toute activité ou action menée par l’opposition. Ces jeunes sont principalement des étudiants qui, en échange de leur activité militante, reçoivent une chambre dans un hôtel à Moscou et quelques euros par jour. Nombre d’entre eux s’étaient vu dire qu’à moins de suivre les instructions qui leur avaient été données, ils allaient rater leurs examens à l’université. Mardi soir, 5000 de ces jeunes ont été alignés sur la place où les manifestants comptaient se rassembler, tapant sur des tambours, brandissant des drapeaux russes et criant ‘‘Rossiya, Rossiya !’’ (Russie, Russie). Cependant, les opposants manifestants sont parvenus à détourner leur “slogan” : entre chaque ‘‘Rossiya’’, ils criaient en réponse : ‘‘Biez Poutina, biez Poutina !’’ (sans Poutine, sans Poutine).

    Autour des nachistes se trouvaient plusieurs rangs de police anti-émeute en tenue complète. Toutes les places alentours étaient bloquées par des bus et des camions de la police. Selon le Ministère de l’Intérieur, 51 000 policiers anti-émeute ont été amenés dans la capitale “pour protéger la sécurité du public”. Des détachements entiers de ces troupes ont repoussé les manifestants hors des rues, arrêtant des centaines d’entre eux. Un grand nombre des 300 personnes arrêtées lors des premières manifestations, lundi, ont déjà été trainés en “justice” mardi pour y être condamnés à jusqu’à 15 jours de prison. Il ne fait aucun doute qu’un destin similaire attend de nombreuses autres personnes mercredi et les jours suivants.

    Il est important de constater que presque toutes les personnes présentes à la manifestation légale de lundi, tout comme à la manifestation spontanée de mardi, étaient des jeunes, pour qui bien souvent il s’agissait de la toute première manifestation. Il ne semblait pas y avoir un large sentiment nationaliste lors de ces actions, ce qui semble indiquer que jusqu’ici, l’extrême-droite n’a pas mobilisé.

    Une autre manifestation a eu lieu à Saint-Pétersbourg, avec 200 arrestations, et, cela mérite d’être souligné, on a vu une autre manifestation à Rostov-sur-le-Don, principal port russe dans le sud du pays (1 million d’habitants). Les partisans du CIO en Russie ont participé aux manifestations, armés de leur journal et de tracts. La manière clandestine dont nous avons distribué notre tract, échappant aux yeux de la police, l’a vite rendu très populaire – tout comme d’ailleurs le fait étonnant que nous étions absolument la seule organisation présente avec un tract.

    Étant donné le nombre de personnes arrêtées et le manque de toute stratégie de la part des initiateurs des manifestations, la question de savoir si ces actions vont se poursuivre ou non reste ouverte. Par exemple, des orateurs lors du meeting de mardi ont dit que ces élections parlementaires n’étaient là que pour faire élire les “larbins”, mais qu’il faut maintenant se préparer aux choses sérieuses : les élections présidentielles de mars 2012. Dans les faits, ce qu’ils disent est qu’il faut laisser tomber les actions. Mais les jeunes dans la foule chuchotaient que c’est maintenant qu’il faut agir.

    Un mécontentement général

    Lors des dernières années, de telles actions de la part de la jeunesse n’auraient attiré qu’une poignée de participants et auraient été perçues par la vaste majorité de la population comme étant organisées par une poignée de “marginaux”. La différence aujourd’hui, est que ces manifestations reflètent un mécontentement général qui vit dans la société et qui a atteint un pic lors de la campagne électorale, couplé au fait que Poutine a désormais perdu son aura d’invincibilité. De fait, Poutine a promis aujourd’hui que “lorsque” il sera réélu en mars, il allait changer l’équipe gouvernementale. Le soir des élections, l’émission électorale sur la principale chaine télé pro-Kremlin discutait ouvertement du fait qu’on dirait que “l’Empereur ne porte en fait pas de vêtements”.

    Peu après les élections, Poutine et Medvedev ont tenté d’imposer le résultat en faisant remarquer qu’en Europe, à cause de la crise mondiale, des gouvernements sont tombés pour être remplacés par des gouvernements non-élus. Si les élections parlementaires russes avaient été réellement démocratiques, le résultat final obtenu par Russie unie (officiellement de 49,5%) aurait été véritablement remarquable. Mais nous venons d’assister aux élections les plus frauduleuses jamais organisées en “Nouvelle Russie”.

    Le régime pensait pouvoir s’en tirer à bon compte grâce aux mesures mises en place pour empêcher les observateurs internationaux de faire leur travail. Toutes sortes d’obstacles ont été mis sur la route des observateurs mandés par l’OSCE, et la veille des élections, le président de l’ONG pro-américaine “Goloss” (“Voix”) a été arrêté. Le gouvernement a par contre déployé le tapis rouge pour toute une série d’observateurs en provenance du Kazakhstan, Chine, etc. dont la plupart viennent de pays avec encore moins de démocratie qu’en Russie. On a aussi vu d’autres observateurs internationaux proclamer à quel point ces élections avaient été formidables et merveilleuses, dont par exemple notre “vieil ami” Nick Griffin, leader du très fasciste British National Party.

    Nous n’avons pas la place ici pour décrire l’ampleur de la fraude ; nous allons donc nous contenter de donner quelques exemples. En Tchétchénie, 99,5% de la population aurait été voter, dont 99,5% auraient voté pour YéR. Dans le passé, le régime n’avait jamais osé une telle fraude dans les grandes villes telles que Moscou, mais cette année, il y a une foule de rapports de bourrage d’urnes. Un sondage réalisé à la sortie des bureaux de vote à Moscou indique que seulement 30% des Moscovites ont voté pour YéR – mais le résultat officiel est de 49%. La pratique du “Carrousel” a été fort pratiquée dans toute la ville : celle-ci implique plusieurs groupes de gens voyageant en bus pour faire le tour des bureaux de vote, en allant voter à chaque. Un de nos camarades s’est même vu proposer par téléphone de participer à un de ces carrousels, payé 5€ pour la journée !

    Dans d’autres régions, les observateurs des partis d’opposition, à leur arrivée aux bureaux de vote, ont découvert que des imposteurs (généralement des Nachistes) avaient déjà pris leur place ! Dans la ville d’Astrakhan (à l’embouchure de la Volga, sur la mer Caspienne), les urnes ont été emportées dans un bâtiment gardé par la police anti-émeute et une cohorte de “civils”. Nul ne sait ce qui s’est produit derrière les portes fermées, mais le taux de voix pour YéR était anormalement élevé.

    Malgré tout cela, YéR n’a pas pu trouver assez de voix que pour en reporter les 50%. Le parti a perdu un tiers de ses voix par rapport aux dernières élections. Si l’on considère que seul 60% des Russes ont été voter, cela signifie que Russie unie n’aurait en réalité reçu la “voix” que de 30% de la population – chiffre officiel ! Et cela, sans tenir compte de toutes les menaces, pots-de-vin, chantages, etc. utilisés partout dans le pays pour forcer les gens à voter pour le parti au pouvoir. Par exemple, on a fait état d’entreprises où les patrons ont exigé de leur employés qu’ils reviennent au boulot avec une photo de leur bulletin électoral pour prouver qu’ils avaient “bien” voté, sous peine de perdre leur emploi.

    Les réalités de la Russie exposées à la surface

    À présent, toutes les réalités de la Russie actuelle sont remontées à la surface, visibles par tous et toutes. Poutine, qui avait pris le pouvoir après les années désastreuses de la période Eltsine, était apprécié pour avoir “remis le pays sur ses pieds”. Il avait bénéficié de la forte hausse des prix du pétrole des années 2000 à 2007, avant que la crise mondiale ne porte un coup dévastateur au pays.

    De nombreuses personnes considèrent aujourd’hui les années de croissance comme une opportunité manquée. Tout l’argent gagné grâce au pétrole a fini directement dans les poches des oligarques. Puis, lorsqu’il a été annoncé sans plus d’ambages que Poutine allait rempiler en tant que président pour douze années de plus, cela a été perçu par beaucoup de gens comme l’annonce d’une nouvelle période de stagnation prolongée à la Brejnev. L’arrogance de Poutine l’a conduit lui-même à croire en sa propre invincibilité. Mais Poutine a semble-t-il connu son “moment Ceausescu”, lors d’un tournoi d’art martiaux il y a deux semaines : au moment où il s’est avancé sur le podium pour y serrer la main du vainqueur, il a été immédiatement assailli par un mur de sifflements provenant du public. C’est à partir de là que le nombre d’intentions de votes pour son parti, qui avait déjà commencé à décroitre, a soudainement chuté dans les sondages. Poutine s’est vu contraint de faire de nouvelles concessions, et va sans doute continuer à voir son score dans les sondages se réduire de plus en plus.

    Le Parti communiste (Kommounistitcheskaïa partiya, KP) est arrivé deuxième lors des élections, remportant environ 19,5% des voix. Le KP n’est pas un parti de gauche qui remet sérieusement en question le règne des oligarques, mais est de plus en plus un parti de droite nationaliste qui utilise quelques revendications populistes pour gagner un soutien. Il a doublé son nombre de voix par rapport aux élections précédentes, avec toute une couche de jeunes qui ont voté pour lui pour la première fois de leur vie. Mais ce vote est essentiellement un vote anti-Poutine, même si certains étaient aussi attirés par la rhétorique nationaliste de ce parti.

    Si les manifestations contre la fraude électorale se maintiennent (une nouvelle grande manifestation est prévue ce samedi dans le centre de Moscou sur la plochtchad Révolioutsii – place de la Révolution), la victoire de Poutine aux présidentielles de mars pourrait être mis en question. D’ailleurs, ce n’est certainement pas une coïncidence si les nachistes, lors du meeting pro-Kremlin de mardi, portaient des badges avec écrit “I love Medvedev”. Il est possible qu’une partie de la clique dirigeante soit déjà en train de considérer Medvedev, le président actuel, en tant que “candidat de rechange” au cas où la candidature de Poutine commencerait à s’avérer toxique.

    Le CIO en Russie participe de manière extrêmement énergique aux actions de protestation. Les (principalement) jeunes manifestants doivent à présent s’adresser aux travailleurs et aux pauvres dans les entreprises, dans les quartiers, et ailleurs, pour se lier à eux. La classe ouvrière organisée est potentiellement la force la plus puissante pour effectuer un véritable changement social, de part ses méthodes de lutte de masse, comme l’action industrielle et la grève générale.

    Le développement de ces actions signifie également la construction d’une alternative politique aux partis des oligarques et aux divers partis nationalistes et populistes. Le CIO se bat pour la création d’un parti ouvrier de masse afin d’engager la lutte pour le renversement des oligarques et du capitalisme et pour la réorganisation socialiste et démocratique de la société afin de mettre un terme à la crise actuelle et de transformer les conditions de la majorité de la population.

    Le CIO appelle à la fin de la violence policière et à un véritable droit d’association, de manifestation, d’organisation de meetings et de grève. Les “commissions électorales” de la Commission centrale devraient être immédiatement démantelées. Nous appelons à la création de comités de travailleurs et de pauvres à l’échelle des régions, des villes et sur le plan fédéral afin d’organiser des élections libres et démocratiques, et d’en surveiller le déroulement.

    Tous les partis devraient être libres de s’organiser et de se présenter aux élections sans aucun obstacle, excepté les fascistes. Le financement extrêmement généreux qu’obtiennent de la part de l’État et des grandes entreprises les partis pro-capitalistes présents à la Douma doit cesser. Toutes les restrictions à l’encontre de la formation d’organisations politiques, sociales et syndicales, et de leur pleine participation aux élections, doivent être supprimées.

    Les Russes ne doivent accorder aucune confiance dans le résultat des élections parlementaires ni dans la Douma. À bas le gouvernement ! Pour de nouvelles élections et pour une assemblée constituante démocratique, dans laquelle toutes les couches de la classe ouvrière et de ses alliés – qui ensemble l’écrasante majorité de la société – seraient représentées afin de décider de quelles formes et structures étatiques sont nécessaires afin de défendre au mieux leurs intérêts.

    Les socialistes appellent à un gouvernement à majorité ouvrières, avec un programme socialiste. Un gouvernement ouvrier pourrait mettre un terme à la misère, au chômage, à l’absence de logements et aux bas salaires, et lancer un plan massif pour des logements décents, l’enseignement, la santé, etc. Cela implique de replacer l’immense richesse du pays, comme les industries du gaz et du pétrole, dans le domaine public, sous contrôle et gestion ouvriers – au contraire de la manière dont ces richesses étaient gérées sous le régime bureaucratique dictatorial du stalinisme – de sorte à opérer une transformation du mode de vie et qu’une Russie véritablement socialiste puisse à nouveau jouer le rôle de point de ralliement pour les travailleurs du monde entier.

  • En Bref…

    Cette rubrique est destinée à mettre en avant différents faits, citations, vidéos ou petites nouvelles particulièrement frappantes.


    Quatre délégués virés en cinq années…

    Cette semaine, une action à été menée à Pauwels Sauzen, à Oelegem. Le personnel est spontanément parti en grève suite à une nouvelle provocation de la direction, qui a licencié un délégué syndical. Il s’agit du quatrième cas en cinq ans de temps. On ne peut pas dire que Pauwels Sauzen respecte le travail syndical… Le lendemain, quelques travailleurs ont encore été licenciés, peut-être pour avoir participé à l’action. Finalement, un accord a été conclu, selon lequel les travailleurs ne seront pas réintégrés, mais ces derniers recevront des compensations financières. 73% des travailleurs ont signé pour cet accord.


    ‘Jobs, hope and cash’

    Lu sur Twitter: “10 years ago we had Steve Jobs, Bob Hope and Johnny Cash – Now we have no Jobs, no Hope and no Cash” (traduction: il y a dix ans, nous avions Steve Jobs, Bob Hope et Johnny Cash – Maintenant nous n’avons plus d’emploi, plus d’espoir, et plus d’argent). Au-delà de l’humour, et à contre-courant des déclarations élogieuses qui font suite au décès de Steve Jobs, nous voulons aussi rappeler que Apple est surtout connu en Chine pour y profiter des très basses conditions de travail et de salaire…


    Shell a payé la dictature militaire au Nigéria pour intervenir contre des protestations

    La multinationale pétrolière Shell a donné beaucoup d’argent dans les années 1990 à la dictature militaire en place au Nigéria pour réprimer des protestations. Au début des années ’90, la résistance s’est développée contre la manière dont Shell gérait ses affaires dans le pays. Il y a eu des milliers de morts. Un des portes-parole des militants, l’écrivain Ken Saro-Wiwa, avait été abattu en 1995. Maintenant, des documents prouvent que Shell a soutenu le régime militaire afin de l’aider à réprimer les protestations.


    Occupy Wall Street. Le New York Times change de version à la vitesse de l’éclair

    Les médias sont parfois très rapides pour condamner des manifestants pacifiques. Et si cela ne se fait pas assez vite, on peut toujours changer de version en espérant que personne ne se souvienne de la première. Des militants ont fait des captures d’écran du site du New York Times. Dans la première version, il est dit que les policiers ont procédé à des arrestations après avoir autorisé les manifestants à aller sur le pont de Brooklyn. Dans la seconde version, il n’est plus question du fait que les policiers sont revenus sur cette autorisation…

  • [DOSSIER] Pourquoi le capitalisme prépare de puissantes explosions sociales

    Le mois dernier, en une fraction de temps, l’euphorie concernant la ‘‘reprise économique’’ est devenue panique. Commentateurs et analystes s’efforcent à expliquer le phénomène. On fait référence à la psychologie et au manque de leadership politique. Pour nous, ce ne sont là que les symptômes d’une maladie chronique. La plupart de la population ne doit s’attendre qu’à l’appauvrissement et à une exploitation accrue de la part du capitalisme.

    Par Eric Byl, article tiré de l’édition de septembre de Lutte Socialiste

    Si l’on avait consacré les 5.000 milliards de dollars de valeur boursière évaporés ce dernier mois à la lutte contre la faim dans le monde, la Corne de l’Afrique serait probablement un paradis aujourd’hui. Avec les 25 milliards d’euros disparus à Bruxelles, on aurait pu déminer la bombe à retardement du coût du vieillissement. Mais ce n’est pas ainsi que les choses fonctionnent. Il faut d’abord créer la richesse avant de pouvoir la partager, nous disent les libéraux. Ils nous ont aussi affirmé que lorsque l’on enrichi suffisamment les riches, cela arrose le reste de la population. C’est exactement l’inverse que nous constatons : lorsque les pauvres deviennent plus pauvres, cela affecte également le revenu des groupes moyens. Le professeur britannique Richard Wilkinson souligne que tant la crise de 1929 que celle de 2008 sont survenues à un moment où l’inégalité sociale a atteint un sommet.

    Quand les économistes bourgeois sont au bout du rouleau, ils font appel à Marx. Selon le professeur d’économie Nouriel Roubini, celui-ci ‘‘avait partiellement raison en disant que la mondialisation, un secteur financier enragé et la redistribution des richesses issue du travail finiraient par conduire à la destruction du capitalisme.’’ Tout comme le prix Nobel Paul Krugman, il appelle à une restauration progressive des finances publiques, à des stimulants ciblés et à des impôts plus équitables. ‘‘L’alternative, c’est comme dans les années ‘30 du siècle dernier, la stagnation interminable, la dépression, des guerres monétaires et commerciales, des contrôles de capitaux, des crises financières, des gouvernements insolvables et l’instabilité politique.’’ Pour éviter cela, Warren Buffet, le gourou des bourses, appelle à cesser le traitement fiscal favorable aux super-riches. ‘‘Dans les années ‘80 et ‘90, quand je payais encore plus d’impôts, je n’ai jamais hésité à investir’’. Voilà ce que n’aiment pas entendre nos patrons belges, pour qui les propositions – pourtant timides – de Di Rupo représentent déjà un tsunami d’impôts.

    La recette de Roubini a pourtant déjà été appliquée, en 1933, quand le président américain Roosevelt a renversé la politique d’assainissements catastrophique de Hoover avec son New Deal. Dès que Roosevelt a voulu réduire le déficit budgétaire en 1937, l’économie a à nouveau plongé dans la dépression. Si Roubini avait pris au sérieux la seconde partie de sa citation de Marx, il saurait pourquoi. Il a finalement fallu la deuxième guerre mondiale et ses 70 millions de morts, la destruction massive des infrastructures et des entreprises, puis la peur du communisme et par conséquent l’acceptation de la nationalisation de pans entiers de l’économie, de l’organisation des services publics, de la création de la sécurité sociale et de la négociation sociale pour que l’économie se remette complètement de la Grande Dépression.

    Des sociétés et leurs limites

    Marx a dit, en boutade, que l’homme n’a pas été libéré de l’esclavage mais qu’il s’agit de l’inverse. Les sociétés esclavagistes, aussi répréhensibles furent-elles, ont à une certaine époque joué un rôle dans la protection de l’homme, à la merci de la nature. Même si, initialement, les sociétés esclavagistes se situaient à un niveau inférieur et ont étés envahies par des sociétés basées sur ce que Marx appelait le mode de production asiatique, elles l’ont par la suite remporté. Elles étaient plus productives, les esclaves étant totalement à la merci du maître.

    Au fil du temps, cet avantage s’est transformé en son ‘‘opposé dialectique’’. Le nombre d’esclaves était la mesure de toute richesse, un ‘‘investissement’’ à nourrir et à loger, y compris aux moments non productifs. L’amélioration de la production ou de l’utilisation des outils n’intéressait pas les esclaves. Ils frappaient les chevaux jusqu’à ce qu’ils deviennent boiteux. Le besoin continuel de nouveaux esclaves réclamait des efforts de guerre constamment plus importants. Ce n’est que lorsque Rome est complètement tombée en décadence que des sociétés féodales primitives et moins développées ont eu des opportunités de l’envahir.

    Les serfs étaient alors liés à la terre. Ils devaient céder une partie du produit au Seigneur, mais ils pouvaient utiliser eux-mêmes le restant. Eux avaient donc intérêt à accroître la productivité, et c’est ainsi qu’ont été rendus possibles l’utilisation de meilleurs outils et le passage de l’assolement biennal à l’assolement triennal. La croissance de la productivité a également jeté les bases du capitalisme commercial, des expéditions et des pillages coloniaux ainsi que du développement des précurseurs de nos industries (les manufactures) qui, par la suite, se sont heurtés aux limites de la société féodale basée sur la propriété terrienne.

    Selon les économistes actuels, les conditions matérielles ne contribuent guère à expliquer pourquoi le socialisme ne fonctionne pas, contrairement au capitalisme. Seuls leur suffit l’égoïsme de l’homme et son manque de motivation pour être productif sans compétition. Marx ne nierait pas l’existence de caractéristiques psychologiques mais, plutôt que d’expliquer la société à partir de là, il enquêterait sur les caractéristiques matérielles à la base de certains phénomènes psychologiques. Parallèlement, il tiendrait compte d’une certaine interaction.

    Ses conclusions au sujet de l’aliénation associée au développement du capitalisme nous offrent d’ailleurs beaucoup plus de bases pour comprendre les récentes émeutes des banlieues anglaises que les discours des politiciens portant sur la haine et ‘‘l’effondrement moral’’ de la génération actuelle. Marx admirait la manière révolutionnaire dont le capitalisme développait les forces productives. Il reconnaissait le rôle progressiste du capitalisme mais, comme avec toutes les sociétés antérieures, il a en même temps analysé ses limites en profondeur.

    Défauts inhérents et maladie chronique du capitalisme

    La tendance à la surproduction et au manque d’investissements sont des ‘‘défauts inhérents’’ au capitalisme. Le travailleur ne reçoit jamais le produit intégral de son travail sous forme de salaire. Une partie du travail non rémunéré (plus-value) disparaît dans les poches du patron qui, autrement, fermerait rapidement boutique. Mais la compétition favorise la concentration de capital dans de grands conglomérats. Tant que les capitalistes réinvestissent une part importante de la plus-value, la surproduction est principalement un problème cyclique, puisque la production et l’installation de nouvelles machines exige des travailleurs qu’ils consacrent à leur tour leur salaire en biens de consommation et en services.

    Face à la concurrence, les capitalistes sont obligés de recourir à l’usage des techniques de production les plus modernes. Cela nécessite des investissements sans cesse plus importants dans les machines, la recherche scientifique et le développement technologique, qui devront être amortis dans des délais constamment plus courts. Dans la composition du capital, le facteur travail (ou capital variable, générateur de plus-value) souffre donc en faveur du capital fixe. Le bénéfice par unité de capital investi (le taux de profit) a dès lors tendance à baisser. C’est ce qui explique que, surtout depuis le milieu des années ’70, les marchés boursiers ont connu une forte expansion. Beaucoup de capitalistes préfèrent spéculer en bourse plutôt que d’investir dans la production, qui ne génère pas grand chose. Ceux qui sont restés dans la production se sont adressés aux banques afin de financer des investissements coûteux. Toutes les grandes entreprises participent désormais à l’investissement en bourse. L’idée qu’il existerait un capital industriel responsable au côté d’un capital financier téméraire n’est qu’un mythe.

    Par le passé, ces défauts inhérents étaient ‘‘gérables’’. Mais comme la science et la technologie ont atteint un niveau où toute innovation engloutit rapidement le marché capitaliste, la manière dont notre production est organisée constitue un frein continuel au développement. Les innovations nécessitent des années de recherche pour une durée de vie de plus en plus courte. Pourtant, les actionnaires privés exigent du rendement et ne veulent surtout pas courir le risque qu’un concurrent s’envole avec le fruit de leur investissement, d’où le commerce des brevets et le sabotage constant des savoirs scientifiques, qui devraient être librement accessibles.

    Les raisons immédiates de la crise actuelle

    La presse économique cite toute une série de raisons derrière cette ‘‘montagne russe boursière qui donne le vertige à l’investisseur’’. Pour les Etats-Unis : la crainte d’une nouvelle récession, l’impasse entre Démocrates et Républicains et la réduction de la notation triple A. Pour l’Europe : l’extension de la crise de la dette, l’avenir de la monnaie unique et la solvabilité des banques. Pour la Chine : l’inflation galopante, les craintes de l’impact de la récession américaine sur les exportations et la dette des collectivités locales. Nous ne balayons pas ces raisons immédiates, mais la raison sous-jacente est que la science et la technique ont dépassé les limites de l’élasticité du marché capitaliste. Les possibilités modernes aspirent à une libre gestion collective et à une planification démocratique, ce que les capitalistes ne peuvent temporairement contourner qu’en repoussant les contradictions internes jusqu’à devenir incontrôlables !

    Dans les années ’80, déjà, pour tenter de surmonter la surproduction et restaurer les taux de profits, on s’est servi de l’extension des crédits à bon marché sur le plan de la consommation et, sur celui de la production, de restructurations et de fermetures d’entreprises, de réduction des coûts de production de biens et de services ainsi que d’attaques contre les salaires, les conditions de travail, les horaires et les contrats de travail. L’effondrement des caricatures totalitaires de socialisme en Europe de l’Est et en Union Soviétique sous le poids parasitaire de la bureaucratie stalinienne et la décision de la bureaucratie chinoise d’introduire – de façon contrôlée – le marché libre afin de s’enrichir personnellement ont donné une énorme impulsion au transfert de production vers des pays à bas salaires.

    L’économie mondiale est un enchevêtrement de nombreux facteurs qui s’influencent mutuellement. D’où ‘‘l’effet papillon’’ selon lequel un petit mouvement dans un pays, dans des circonstances particulières, peut déclencher une tornade dévastatrice dans un autre. Avec 1.200 milliards de dollars de bons du Trésor américain dans ses réserves de change et encore 800 milliards de dollars en obligations d’institutions liées aux autorités américaines, le gouvernement chinois est effrayé par une dévaluation drastique du dollar. En 2000, la consommation particulière en Chine représentait 46% de son Produit Intérieur Brut et les investissements, 34%. Dix ans plus tard, ces investissements représentaient déjà 46%, tandis que la consommation privée avait chuté à 34%, en conséquence de l’expansion massive du crédit bon marché et de la sous-évaluation de la monnaie chinoise. Cela explique l’inflation galopante et la menace de surchauffe de l’économie. Si le marché américain décroche suite à une récession, on craint que la Chine connaisse un développement semblable à celui que connaît le Japon depuis le début des années ‘90.

    USA : vers une rechute

    L’impasse entre Démocrates et Républicains, en particulier du Tea Party, concernant l’augmentation du plafond d’endettement du pays a illustré à quel point les représentants politiques de la bourgeoisie sont divisés concernant la manière de s’attaquer à cette crise. Rien ne semble fonctionner. Les ménages ne consomment pas parce qu’ils réduisent leurs dettes, que le chômage mine leur pouvoir d’achat et que les gouvernements locaux économisent. Malgré les taux d’intérêt bas, les entreprises continuent de garder leur argent au lieu de l’investir. La Banque Fédérale s’est déjà, à deux reprises, mise à imprimer de l’argent sans que cela n’apporte fondamentalement de solution, et le gouvernement fédéral devra bien un jour endiguer son déficit budgétaire. Comment faire cela sans provoquer une explosion sociale?

    Cependant, certains analystes renversent le raisonnement. Un éditorial du journal boursier flamand De Tijd, fait même appel à Gustave Lebon, qui à publié en 1895 ‘‘La psychologie des foules’’. Selon le rédacteur, les investisseurs aspirent à une poigne de fer, mais ils ne la reçoivent ni aux États-Unis, ni en Europe. Le raisonnement est ainsi fait: il n’y a pas de direction, la confiance disparaît, ainsi la panique se crée et le troupeau court dans toutes les directions. Les fondations, selon ces analystes, sont en effet en bonne santé, parce que les entreprises ont un stock de cash important. L’hebdomadaire The Economist estime toutefois la probabilité d’une récession aux États-Unis à 50% et les investisseurs espèrent quand-même un troisième recours à la planche à billet.

    Si l’agence de notation Standard & Poor a, pour la première fois depuis 1941, dévalorisé la cote des États-Unis, c’est, selon ces mêmes analystes, la faute des politiciens. S&P peut bien prétendre que l’énorme erreur de calcul à hauteur de 2.000 milliards de dollars dans le rapport sur lequel elle se basait n’a pas joué dans la démission du PDG, il est certain que cela y aura certainement contribué. La vague de critiques que S&P a dû avaler et le fait que les investisseurs, au lieu de fuir, ont encore augmenté leurs achats d’obligations du Trésor américain, permettant aux États-Unis d’emprunter à un taux d’intérêt inférieur à celui de l’Allemagne, l’ont probablement achevé.

    Bye, bye Europe ?

    Pour ne pas se faire assommer par les oracles modernes – les agences de notation – les foyers grecs, portugais et irlandais ont fortement serrés leurs ceintures. Mais maintenant, presque tout le monde s’accorde à dire qu’elles sont incompétentes. Parce que ce sont des personnes de chair et de sang, selon le professeur d’économie Paul De Grauwe de Louvain ; parce que ce sont des entreprises privées qui veulent faire du profit et non pas des évaluations appropriées, selon nous. La sévère politique d’économie imposée à la population en échange de l’aide de la troïka (Fonds monétaire international, Banque centrale européenne et Fonds européen de stabilité) a plongé ces sociétés dans une profonde récession.

    L’unification capitaliste de l’Europe et la monnaie unique étaient des leviers de maximisation des profits et de casse sociale. Les différences entre les diverses économies nationales de la zone euro n’ont pas diminué, mais augmenté. Avec la politique de faibles taux d’intérêt que les économies les plus fortes ont exigé de la Banque Centrale Européenne, des bulles immobilières se sont développées et des paradis fiscaux ont été créés dans la périphérie, instrumentalisés ailleurs pour briser des acquis sociaux et mettre en place des secteurs à bas salaires. Cette hydrocéphalie devait se dégonfler à un certain moment, nous le disons depuis des années. Les spreads, la différence entre les coûts auxquels les gouvernements nationaux peuvent emprunter, n’ont jamais été plus grands.

    Des pays non membres de la zone euro peuvent stimuler les exportations en dévaluant leur monnaie. Quiconque est emprisonné dans la zone euro ne peut que recourir à la dévaluation interne, un mot à la mode qui signifie ‘‘casse sociale’’. Les bourgeoisies européennes se sont elles-mêmes placées dans une situation kafkaïenne. Abandonner l’euro provoquerait une hémorragie majeure pour les entreprises qui repousseraient sans doute la facture vers les travailleurs et leurs familles. Mais le coût du maintien de la zone euro pourrait devenir trop élevé. La Grèce a besoin d’une seconde aide, et quelques pays ripostent déjà, mais si l’Espagne et l’Italie glissent elles-aussi bientôt, nous entrerions alors dans une toute autre dimension. Le secteur bancaire européen deviendrait insolvable, la liquidité s’assécherait, une récession mondiale s’ensuivrait et la zone euro s’éclaterait probablement de façon incontrôlée. C’est pourquoi la BCE a relancé son programme d’achats d’obligations d’États. Pour l’instant, cela semble fonctionner, mais personne ne croit que cela puisse être suffisant à terme.

    D’où l’illusion de transférer – en partie ? – les dettes nationales vers l’Europe et de les mutualiser dans des obligations européennes. Selon Karel Lannoo, le fils, cela sous-entend une responsabilité commune, un trésor européen et donc des revenus d’impôts européens. Tous les 17 parlements nationaux auraient à l’approuver. Par ailleurs, on sait très bien que la crise en 2008 avait été déclenchée parce qu’on avait saucissonné de mauvais prêts, en particulier les hypothèques à grands risques, pour les emballer avec de meilleurs prêts, en espérant qu’ainsi, les risques seraient tellement éparpillés qu’il n’y en aurait plus. Qui ose prétendre que la même technique, parce que ce sont les obligations européennes, fonctionnerait lorsqu’il s’agit de dettes publiques ?

    Fuite vers des refuges

    Les investisseurs fuient vers de prétendues valeurs refuges. En cas de croissance, ce sont des matières premières, particulièrement le pétrole, mais la hausse des prix conséquente étrangle la croissance. Les récoltes sont aussi très populaires, mais elles ont déjà entraîné des émeutes de la faim. Aujourd’hui, les obligations des gouvernements américain et allemand sont populaires, mais elles rapportent chacune moins que ce que l’on perd par inflation. Ensuite viennent l’or et les francs suisses. Le prix de l’or dépasse de loin le coût de production et la Suisse risque de devenir victime de son succès. La demande pour les francs fait tellement rebondir la monnaie que sa propre industrie risque d’être enrayée et que l’industrie du tourisme risque de s’effondrer. Des consommateurs suisses vont de plus en plus faire leurs achats de l’autre côté des frontières. Cet avertissement, l’Allemagne le prendra en considération, car ce scénario risque de lui arriver dans le cas d’un éclatement de la zone euro.

    Explosions sociales

    Ces dernières années, les fidèles lecteurs de Lutte Socialiste et du site ‘‘socialisme.be’’ ont pu lire dans nos publications de nombreux articles consacrés aux révolutions, aux grèves générales et aux mouvements provoqués par les premiers effets de la crise. Selon nous, ce ne sont là que des signes avant-coureurs des explosions sociales qui nous attendent. Lors de ces explosions, le mouvement ouvrier va se réarmer tant sur le plan organisationnel que programmatique. Le Parti Socialiste de Lutte est déterminé à y apporter une contribution importante.

  • En Bref…

    Cette rubrique est destinée à mettre en avant différents faits, citations, vidéos ou petites nouvelles particulièrement frappantes.


    ‘Regardez la Chine’

    Le samedi 3 septembre, dans cette rubrique, nous avions parlé de Roland Duchatelet, propriétaire du Standard de Liège et ancien élu du VLD (‘‘Envoyez les chômeurs au café !’’). La semaine dernière, ce néolibéral convaincu en a encore sorti de belles… Cette fois-ci, il était question de la politique et du modèle que représente la Chine. "Je me demande si les partis politiques n’ont pas fait leur temps. On ne trouve plus beaucoup de différences idéologiques. Tous les partis sont sociaux, écologistes et pour le marché libre. Ne serait-ce pas mieux de présenter aux électeurs des équipes de management ? (…) Regardez la Chine. Depuis des années, elle connaît une croissance économique de dix pourcents. La Chine n’est pas une démocratie. Elle fonctionne avec des équipes de management. Ils ne sont pas gênés par tout ce qui se dit dans les journaux et par les petits jeux politiques." Traduction : sans démocratie et sans médias, il serait bien plus facile d’imposer des politiques néolibérales et d’organiser des élections pour sauver les apparences. Tiens, quelle est au juste la différence avec ce que nous connaissons aujourd’hui ?


    Un jeune sur cinq est au chômage en Europe

    Partout en Europe pleuvent les plans d’austérité. Pendant ce temps, l’emploi est en berne, et les perspectives d’avenir pour les jeunes sont bien maigres. En juin, l’Union Européenne comptait plus de 5 millions de chômeurs de moins de 25 ans (ce qui devrait d’ailleurs encore empirer dans les temps à venir). En Grèce, 36% des 18-24 ans sont sans emploi, en Espagne, ils sont 44%.


    Les travailleurs belges sont les plus stressés

    Au moins 55% des travailleurs belges souffrent de stress au travail. Notre pays arrive donc au-delà de la moyenne européenne, qui est de 44%. Près de 20% sont au point d’arriver en plein burn-out, c’est-à-dire au point de ressentir des désordres mentaux et physiques à cause du stress. Il y a quatre ans, une étude similaire avait été réalisée. A l’époque, la Suède et l’Allemagne étaient devant la Belgique, qui est maintenant passée en tête.


    Les riches sont prêts à donner l’aumône pour préserver leur richesse

    Dans une carte blanche publiée dans le quotidien flamand De Standaard, l’écrivain hollandais Geert Buelens a abordé la question de ces riches qui veulent payer plus d’impôts. Il a à ce sujet fait référence à ce qu’avait déclaré George Soros dans le quotidien français Le Monde: "Warren Buffett est un investisseur talentueux et intelligent. Il pense à long terme et il sait comment défendre les intérêts des super-riches. Il réalise que si les riches ne font rien aujourd’hui, ils peuvent se retrouver avec l’opinion publique contre eux dans les années à venir. En termes moins diplomatiques, la révolte des masses est vraiment proche, et si nous voulons sauver notre peau, nous devons donner quelques cents. Warren Buffet est d’ailleurs rejoint par des collègues français, italiens et, en Belgique, par le Vicomte Etienne Davignon. Une lecture cynique (et probablement également très réaliste) de cet appel à l’auto-flagellation financière modérée est que ces messieurs cherchent uniquement à préserver leurs privilèges. Ils sont prêts à donner une aumône, à condition que le système financier auquel ils doivent leur richesse d’un autre monde reste inchangé." Il n’ya pas beaucoup à ajouter.


    Pas de nourriture, mais des ordinateurs portables

    Dans l’état indien de Tamil Nadu, les promesses électorales se limitent généralement à la distribution de cadeaux. Après les dernières élections régionales, chaque famille a ainsi reçu une télévision. Résultat: certains ont des logements à peine décents, mais ont une antenne au dessus de leur taudis pour regarder la télévision. Cette année, des élections régionales se sont à nouveau déroulées, et un autre parti est arrivé pouvoir. Le Premier ministre de l’Etat Jayalalithaa avait promis des ordinateurs portables gratuits. Résultat: le gouvernement va distribuer 912.000 ordinateurs portables cette année, et près de six millions en 4 ans. Les ordinateurs portables ont coûté au gouvernement environ 155 euros chacun. En attendant, rien n’est fait contre l’extrême pauvreté et la faim qui frappe l’Etat de Tamil Nadu. Un cinquième de la population (72 millions d’habitants) vivent sous le seuil officiel de pauvreté. Le gouvernement prétend faire quelque chose en distribuant pour 21 millions d’euros de chèvres et de moutons. Cette année, 100.000 familles pourraient bénéficier de cette mesure. Mais c’est la corruption qui va déterminer où vont parvenir les bêtes. Les pauvres des pauvres, les Dalits (intouchables) ne doivent pas s’attendre à la moindre amélioration. Cette semaine, lors d’une manifestation de Dalits, la police a tiré sur eux, et il y a eu des morts. Voilà l’attitude du nouveau gouvernement aux plus pauvres.

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