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  • L’Afrique du Nord et les processus révolutionnaires en Algérie et au Soudan

    Résolution adoptée au Comité exécutif international du CIO d’août 2019

    En avril de cette année, le renversement de deux dictateurs de longue date par les soulèvements révolutionnaires en Algérie et au Soudan a stupéfié la plupart des universitaires et commentateurs bourgeois, mais cela a confirmé l’analyse faite par le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) il y a huit ans. Nous expliquions alors que les révolutions initiées en Tunisie et en Egypte n’étaient pas seulement une parenthèse ou un “printemps” éphémère, mais plutôt les premières salves d’un processus long et complexe de révolution et de contre-révolution dans la région.

    Ces mouvements sont d’autant plus importants qu’un certain nombre de pays qui ont été secoués par des mouvements de masse lors de la première vague révolutionnaire en 2010-2011 ont depuis souffert de contre-révolutions brutales et de guerres dévastatrices. La contre-révolution n’a pas réussi à éliminer de manière décisive le spectre de nouveaux soulèvements populaires, ni à garantir la durabilité et la stabilité de l’ordre régional.

    La contre-révolution

    L’Egypte est gouvernée par une dictature encore plus impitoyable que celle renversée en 2011. Jamais dans son histoire moderne le pays n’a connu une répression telle que celle menée sous le règne d’Abdel Fattah al-Sisi. En avril, le régime a organisé un référendum par étapes sur des amendements constitutionnels radicaux visant à éliminer certains des derniers vestiges des acquis démocratiques de la révolution égyptienne. Ils suppriment la limite de deux mandats à la présidence, permettant à Sisi de rester au pouvoir jusqu’en 2030, et lui donnent également le contrôle total du pouvoir judiciaire, tout en élargissant le rôle de l’armée dans les affaires politiques du pays.

    Au cours de la période récente, les gouvernements occidentaux ont serré les rangs avec le régime autocratique du Caire. L’Union européenne loue Sisi comme un allié dans ses efforts pour empêcher les réfugiés d’atteindre les côtes européennes. Reflétant les perspectives à court terme des grands milieux d’affaires, l’agence de notation Moody a revalorisé le statut de l’Egypte à “stable”  en avril, commentant que “la rentabilité [du pays] restera forte”. Les chiffres officiels font également état du taux de croissance économique le plus élevé depuis une décennie (5,5 %).

    Cependant, dans des conditions où la dette extérieure a été multipliée par cinq au cours de la dernière moitié de la décennie et alors que la dette publique a plus que doublé au cours de la même période ; où 60% de la population vit dans la pauvreté et souffre du poids de l’inflation galopante et des réductions de subventions ; la stabilité souhaitée par les puissances impérialistes et les rêves de Sisi de devenir président à vie pourraient se révéler de courte durée. Plus tôt cette année, un groupe d’anciens ministres et de membres de l’intelligentsia égyptienne a écrit une lettre ouverte dans laquelle ils déclaraient : “Il suffit d’errer dans les rues du Caire pour se rendre compte de l’ampleur de la rage et de la tension internes qui pourraient dégénérer en une explosion sociale incontrôlable à tout moment”. Cela témoigne de ce qui se trame sous la surface.

    En plus de réprimer violemment la résistance des travailleurs égyptiens et de l’opposition locale en général, le régime de Sisi joue un rôle actif dans les conspirations contre-révolutionnaires dans la région. Quelques jours seulement après la destitution du président soudanais Omar el-Béchir, des délégations d’Égypte, d’Arabie saoudite et des Émirats Arabes Unis (EAU) se sont précipitées au Soudan et ont eu de nombreux entretiens avec la junte militaire soudanaise. En Libye, le régime de Sisi a fourni un soutien politique, militaire et de renseignement actif aux troupes du futur dictateur militaire libyen et admirateur de Sisi, Khalifa Haftar.

    La Libye est aux prises avec une nouvelle guerre civile qui s’intensifie et qui fait grossir les rangs des personnes déplacées et des réfugiés. Près de 100 000 personnes ont déjà été déplacées par l’offensive lancée sur Tripoli par Haftar et son “Armée Nationale Libyenne” (ANL), et ce nombre augmente chaque jour.

    Haftar espérait une victoire rapide et en douceur dans sa marche sur la capitale. Ces espoirs ont clairement tourné court. Sa prétention d’éradiquer les islamistes armés et son positionnement en tant que champion de la laïcité sont contredits par le fait que sa propre ANL est une alliance fragile composée d’un nombre important de miliciens salafistes, d’anciens officiers de l’armée de Kadhafi et de combattants de différentes tribus avec lesquels Haftar a conclu des accords. Elle pourrait devenir le théâtre de graves dissensions si l’impasse militaire actuelle se poursuit.

    L’issue de cette bataille dépendra également de l’attitude des puissances impérialistes et des différentes puissances régionales impliquées. L’émergence d’une nouvelle guerre en Libye riche en pétrole contient en effet un élément fort de “guerre par procuration”, car elle se déroule sur fond de lutte de pouvoir pour l’influence entre Paris, Rome et, surtout, les principaux acteurs régionaux. La vacuité et l’impuissance de l’ONU et de la soi-disant “communauté internationale” sont à nouveau mises en évidence, car les puissances régionales et mondiales soutiennent chacune des deux parties et alimentent directement le conflit en leur fournissant armes et munitions de pointe.

    Certains pays semblent prêts à jouer dans les deux camps, attendant de voir de quel côté l’équilibre basculera. Si Moscou a toujours semblé favoriser Haftar, elle a noué des contacts avec tous les principaux acteurs sur le terrain. Trump a salué le rôle de Haftar, soutenu par l’Arabie saoudite, l’Égypte et les Émirats Arabes Unis, dans ” la lutte contre le terrorisme et la sécurisation des ressources pétrolières de la Libye “, mais le secrétaire d’État Mike Pompeo a condamné les actions de Haftar, et les représentants du gouvernement basé à Tripoli, soutenu par la Turquie et le Qatar, continuent à soutenir que les États-Unis se tiennent à ses côtés en tant que gouvernement légitime de la Libye.

    Les hésitations et les contradictions de l’administration américaine reflètent son caractère marqué par la crise, mais aussi la diminution de son poids et de son influence géopolitique dans la région, où elle a été reléguée au second rang, au profit des acteurs régionaux mais aussi d’une politique impérialiste plus affirmée de la Russie comme de la Chine.

    La Chine et la Russie ont identifié l’Afrique du Nord comme une arène importante pour faire avancer leurs intérêts commerciaux et de sécurité. La Chine a choisi des ports d’Afrique du Nord comme éléments essentiels de sa « Belt and Road Initiative », la « nouvelle route de la soie ». Elle a également manifesté son intérêt à s’implanter dans le port tunisien de Bizerte et sur la côte méditerranéenne du Maroc.

    Il est important de noter que tant l’Algérie que le Soudan ont connu une augmentation substantielle de leurs échanges commerciaux et de leurs investissements avec la Chine au cours des deux dernières décennies. Les deux pays exportent de l’énergie vers la Chine, l’Algérie à elle seule ayant vu ses exportations vers la Chine multipliées par 60 entre 2000 et 2017. La Chine est le principal partenaire économique de l’Algérie et a investi des milliards de dollars dans des projets portuaires et d’infrastructure dans le pays. Le Soudan est également le principal bénéficiaire de l’aide étrangère de la Chine. En outre, les deux pays comptent parmi les plus gros acheteurs d’armes chinoises dans la région.

    Nouvelles explosions sociales imminentes

    Alors que certains pays subissent de plein fouet les effets de la contre-révolution et de la guerre, de puissants mouvements ouvriers vibrent dans d’autres régions d’Afrique du Nord et d’Afrique Arabe. Les mouvements révolutionnaires en cours au Soudan et en Algérie démontrent incontestablement que, quelle que soit la quantité de sang versé par les classes dirigeantes, elles ne seront pas capables d’éradiquer les lois de la lutte de classe, qui trouvera toujours un moyen de s’exprimer.

    Les tentatives des régimes algérien et soudanais d’utiliser l’état catastrophique du Moyen-Orient comme moyen de dissuasion contre la révolution dans leur propre pays n’ont pas produit les effets escomptés. Lorsque les dirigeants algériens ont brandit l’épouvantail syrien pour faire sortir les gens de la rue, affirmant que les manifestations en Syrie avaient conduit à une décennie de guerre, les manifestants algériens ont simplement répondu avec le slogan : “L’Algérie n’est pas la Syrie”.

    Cela ne veut pas dire que la violente contre-révolution qui a eu lieu au cours des deux dernières années n’a eu aucun effet sur la conscience et sur la dynamique de la lutte dans la région, bien sûr. Mais nous devons en souligner les limites, dans le contexte de toute la région qui bouillonne de colère et de désespoir. “Vous ne pouvez pas nous tuer, nous sommes déjà morts”, tel était le slogan chanté par de jeunes manifestants algériens lors d’un mouvement de protestation de masse dans la région de Kabylie en 2001, face à des balles réelles de la police. Des manifestants soudanais chantent aujourd’hui : “La balle ne tue pas. Ce qui tue, c’est le silence”. Cela résume à peu près l’état d’esprit qui prévaut parmi des millions de personnes dans la région, en particulier les jeunes et les groupes les plus pauvres.

    Bien sûr, cette humeur peut et va prendre des expressions désespérées dans certains cas, en particulier si elle n’est pas politiquement canalisée dans une alternative claire. La Tunisie, un pays que les commentateurs bourgeois continuent de distinguer comme le modèle de réussite du “Printemps arabe”, a vu tripler les cas d’auto-immolation depuis la révolution de 2011, et a été une source importante de recrues pour les groupes jihadistes dans la région. La prolifération des armes, résultant du déchirement de la Libye par la guerre, et la persistance d’un important lumpenprolétariat urbain et rural signifient également que le danger de nouveaux attentats terroristes et leur instrumentalisation par les États de la région pour favoriser la répression continueront probablement à faire partie du paysage politique, comme l’ont encore montré les attentats-suicide à l’explosif à Tunis en juin et la prolongation ultérieure de l’état d’urgence.

    Le capitalisme et l’impérialisme détruisent les conditions de vie des gens, leurs emplois et leur environnement, tout en plongeant la région dans de nouveaux conflits armés. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que plus de la moitié des jeunes dans une grande partie du monde arabe souhaitent quitter leur pays d’origine, selon le Big BBC News Arabic Survey 2018/19. Ce nombre a augmenté de plus de 10 % chez les 18-29 ans depuis 2016. L’enquête indique que 70% des jeunes marocains envisageaient de quitter leur pays.

    En dépit de ces facteurs, le nouveau ralentissement économique mondial qui se profile à l’horizon, combiné aux politiques de “l’Europe forteresse”, conduira également de nouvelles couches de travailleurs et de jeunes à la conclusion que les fléaux du système doivent être combattus sur leur propre terrain et qu’une transformation globale de la société est nécessaire. En bref, les conditions entretenues par le capitalisme entraînent inévitablement de nouvelles explosions sociales et des bouleversements révolutionnaires de masse.

    Ceux-ci ne se développeront cependant pas en ligne droite, particulièrement face à la faiblesse générale du “facteur subjectif”, l’existence de partis révolutionnaires de masse capables de conduire ces mouvements à l’assaut du capitalisme et de mener des politiques socialistes. Les événements dramatiques de la dernière décennie sont un rappel puissant que, sans la construction de tels partis, de nouvelles catastrophes seront en réserve pour les masses dans la région.

    Crise et stagnation économique

    Pas plus qu’ailleurs, le capitalisme en Afrique du Nord n’est capable de développer les forces productives. Ceci est typiquement illustré par le chômage de masse qui prévaut en tant que caractéristique chronique dans la région, en particulier chez les jeunes. Le FMI prévoit une croissance annuelle de 1,3% pour la région MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord) en 2019, ce qui ne serait même pas suffisant pour absorber les 2,8 millions de jeunes supplémentaires qui entrent sur le marché du travail chaque année. Dans l’Arab Youth Survey 2019, la plus grande enquête d’opinion des jeunes dans le monde arabe, 56% citent le coût de la vie comme le principal obstacle auquel la région est confrontée ; 45% citent le chômage. Cela représente une énorme bombe à retardement sociale.

    Le corollaire de cette situation est l’existence d’une économie informelle extrêmement lourde. Dans le nord-est du Maroc, 70% de l’économie dépend du secteur informel. La mort, en janvier 2018, de deux jeunes hommes qui extrayaient du charbon de mines abandonnées dans la ville appauvrie de Jerada, dans l’est du pays, a mis cette réalité en évidence en déclenchant des manifestations explosives pendant plusieurs mois.

    Depuis ce qui est appelé le “Printemps arabe”, les gouvernements régionaux ont renforcé leurs fortifications frontalières et leurs systèmes de surveillance. Cela a souvent aggravé la situation économique de villes frontalières déjà en difficulté, car l’économie de contrebande n’est pas seulement une source de profits pour les douaniers, les politiciens corrompus et les réseaux mafieux de contrebande ; elle est également devenue partie intégrante du tissu social des communautés locales.

    Les villes frontalières algériennes, marocaines et tunisiennes ont été en proie à des manifestations intermittentes contre les atteintes à leurs moyens de subsistance qui en ont résulté. Dans ces zones marginalisées, la revendication d’options économiques alternatives par la création d’emplois décents et bien rémunérés et d’un vaste programme de construction et de rénovation des infrastructures, financé par l’Etat et coordonné démocratiquement par les populations locales et les organisations de travailleurs, est essentielle.

    Au cours des dernières décennies, la part de la population rurale dans la population totale de l’Afrique du Nord a considérablement diminué. Des dizaines de millions de personnes ont quitté la campagne pour la ville. Les personnes vivant dans les villes des pays du Maghreb représentaient 20% en 1950 ; elles étaient 45% en 1970, 62% en 1980, et devraient être autour de 70% en 20La destruction endémique des petites propriétés agricoles privées, la concentration de la propriété foncière et le manque d’infrastructures dans les campagnes ont poussé un grand nombre de ruraux pauvres à émigrer vers les villes, aggravant le chômage et gonflant les rangs des pauvres des villes engagés dans une lutte désespérée pour leur subsistance quotidienne, peu susceptibles de jamais trouver un emploi stable et bien rémunéré dans une économie capitaliste.

    En raison de ces caractéristiques, les jeunes chômeurs et les citadins pauvres sont enclins à jouer un rôle important dans les périodes de luttes de masse. N’étant pas attachés à des emplois formels, ils ont une liberté d’action plus immédiate et ont encore moins à perdre, et peuvent donc entrer en action avant la classe ouvrière organisée. Ceux qui ont un emploi informel ou qui sont au chômage n’ont encore qu’une influence limitée pour entreprendre des luttes victorieuses. Construire des directions militantes prêtes à mener une lutte globale sur la base de revendications unifiant ces couches avec le mouvement ouvrier est vital. Sinon, certaines parties de ces couches opprimées peuvent devenir la proie de la réaction.

    Des divisions entre ces couches sociales et la classe ouvrière salariée peuvent également apparaître. C’est dans le contexte de l’apathie de la bureaucratie syndicale, par exemple, que nous avons vu en Tunisie des chômeurs faire des sit-in bloquant des sites de production pour demander des emplois, parfois sans s’adresser aux travailleurs des entreprises qui pourraient considérer ces actions comme une menace pour leur propre emploi. Dans le contexte du chômage de masse, ces divisions seront exploitées par la classe dirigeante, par exemple en présentant les travailleurs en grève comme une “couche privilégiée” qui menace la création d’emplois et la relance de l’économie.

    De tels écarts ne peuvent être comblés qu’en reconstruisant des organisations de travailleurs fortes et en récupérant les syndicats pour les transformer en instruments de lutte pleinement démocratiques et combatifs, en s’efforçant d’unir les travailleurs, les jeunes sans emploi et tous les pauvres par des campagnes de masse (pour des emplois financés publiquement et pour partager le travail sans perte de salaire, pour un logement décent et abordable, des services publics, etc).

    Les jeunes, qui constituent l’essentiel de la population de toute la région, sont confrontés à un avenir sombre. Cependant, ces conditions façonnent aussi les perspectives radicales d’une nouvelle génération de militants révolutionnaires. Cette génération a été le moteur de tous les mouvements de masse dans la région. En Algérie, le traumatisme de la ” décennie noire ” – le conflit sanglant entre l’armée et les fondamentalistes du Front Islamique du Salut (FIS) et ses ramifications après le coup d’Etat de janvier 1992 -, a longtemps été exploité par l’élite dirigeante et, combiné à de nombreux acquis sociaux, a permis à cette dernière de résister à la tempête 2010-2011. Mais il s’est aujourd’hui largement estompé à mesure qu’une nouvelle génération plus confiante se lève, moins affectée par les défaites du passé.

    Depuis 2011, le FMI a accru la pression sur les gouvernements d’Afrique du Nord pour qu’ils suivent à la lettre ses programmes d’austérité. Ces gouvernements ont reçu l’ordre des créanciers internationaux de continuer à réduire les subventions, de réduire les effectifs du secteur public, de poursuivre les programmes de privatisation et de resserrer la politique budgétaire. Cela a ouvert la voie à l’aggravation des inégalités, aggravant la situation économique, ce qui a amené les conflits de classe à des niveaux révolutionnaires il y a un peu moins d’une décennie.

    Bien sûr, la crise économique ne fournit pas un aller simple pour la révolution. Mais il est clair que la situation économique est un facteur sous-jacent crucial qui explique l’énorme colère qui règne au sein de vastes secteurs de la population. Ces dernières années, les protestations dans tous les pays ont souvent porté sur la question du chômage, de la marginalisation économique et de l’augmentation du coût de la vie. Il ne fait aucun doute qu’une nouvelle récession mondiale aggraverait considérablement ces problèmes.

    Cela dit, les facteurs économiques ne sont pas le seul moyen potentiel de provoquer des mouvements de masse, et ils ne représentent pas non plus une explication complète en eux-mêmes de ceux qui ont eu lieu. La nature répressive de l’État dans la région, par exemple, et le mépris quotidien, le harcèlement et l’impunité dont font preuve les forces corrompues de l’État, ajoutent au mélange explosif.

    Les structures de pouvoir de l’Afrique du Nord sont basées sur un enchevêtrement complexe entre le pouvoir politique et économique de la classe dirigeante – comme l’illustre la monarchie régnante au Maroc, qui a construit un empire commercial tentaculaire sur l’économie du pays. Dans des pays comme l’Egypte, le Soudan et l’Algérie, l’armée est plus qu’une composante vitale de l’Etat bourgeois ; ses hauts gradés détiennent également un énorme pouvoir économique. Cela signifie que toute revendication économique peut rapidement prendre un caractère politique, et vice versa.

    Ces caractéristiques – faiblesse et dépendance économiques, régimes autoritaires – sont le résultat de la position de l’Afrique du Nord dans le système capitaliste mondial. L’impérialisme et le capitalisme ont produit un développement inégal et combiné, dans lequel la majorité des pays sont dominés et subordonnés aux grandes puissances. Les régimes d’Afrique du Nord tentent d’équilibrer et de satisfaire les différentes puissances qui, en retour, soutiennent leur règne brutal. Au cours des dernières décennies, les attaques néolibérales contre les conditions de vie, exigées par le FMI, ont souligné le caractère international de la crise dans la région. Il en va de même pour la course aux armements et les guerres menées avec les puissances impérialistes impliquées.

    Prolétarisation des couches intermédiaires

    Cette année u Maroc, des dizaines de milliers d’enseignants employés dans le cadre de contrats occasionnels ont participé de grèves répétées et parfois prolongées, exigeant leur intégration dans le système éducatif national avec leurs collègues et la fin de la privatisation des écoles publiques.

    En fait, les enseignants se sont avérés être parmi les secteurs les plus militants de la classe ouvrière, à l’avant-garde d’importantes batailles de classe en Tunisie, au Maroc, en Algérie et au Soudan. Dans les quatre pays, ils ont été impliqués dans des actions de grève et des protestations plus dures ces dernières années, réclamant de meilleurs salaires et de meilleures conditions, mais aussi des revendications politiques audacieuses. En Algérie par exemple, les enseignants ont joué un rôle de premier plan dans le mouvement de masse qui a renversé Bouteflika, six syndicats indépendants d’enseignants et de travailleurs de l’éducation appelant leurs membres à se mettre en grève le 13 mars pour rejoindre la lutte et demander à Bouteflika de partir. Au Soudan, les enseignants, mais aussi les médecins, ont joué un rôle clé dans le soulèvement contre Al Bashir.  

    Cela reflète un phénomène social plus large. Les commentateurs dominants ont souvent fait valoir que la classe moyenne était l’élément moteur du mouvement révolutionnaire dans ce qu’ils appellent le “Printemps arabe”, comme ils le font aujourd’hui, en particulier par rapport au Soudan. Mais ce qui est souvent appelé la classe moyenne libérale ou les “couches moyennes” (enseignants, médecins, avocats, journalistes…) connaissent, pour la plupart, des conditions qui s’apparentent de plus en plus à un nouveau prolétariat. Avant d’organiser les récentes manifestations, l’Association Professionnelle Soudanaise (SPA, qui regroupe les syndicats pour la plupart professionnels et qui a joué un rôle mobilisateur important dans la révolution) a attiré l’attention du public pour la première fois avec une étude sur le salaire minimum des professionnels soudanais, les trouvant tous sous le seuil de pauvreté, dans certains cas à moins de 50 dollars par mois.

    Une partie de ces couches se considère encore comme une ” élite éduquée ” au-dessus du reste de la classe ouvrière. C’est certainement le cas pour la direction du SPA au Soudan, qui a essayé de trouver une ” troisième voie ” inexistante entre la mobilisation révolutionnaire indépendante de la classe ouvrière et des masses pauvres d’une part, et les négociations avec les généraux contre-révolutionnaires d’autre part. En cela, ils reflètent typiquement les oscillations politiques de la classe moyenne à une époque où les contradictions de classe s’accentuent.

    Pourtant, la crise économique, des décennies de politiques néolibérales sauvages et la forte dépréciation des monnaies locales ont durement frappé les couches moyennes, brisant aux yeux de beaucoup le mirage de faire partie de la classe moyenne – et c’est précisément l’une des raisons pour lesquelles elles se rebellent contre l’ordre existant. Cela en a poussé beaucoup à adopter les méthodes de lutte de la classe ouvrière et à incorporer le mouvement syndical.

    Tunisie

    Les mouvements ouvriers organisés dans tous les pays du Maghreb ont commencé l’année par des grèves dans le secteur public. En Tunisie, cela s’est traduit par une grève générale de 24 heures dans la fonction publique et le secteur public le 17 janvier. Alors que les principales revendications officielles de la grève portaient sur les augmentations salariales et les plans de privatisation du gouvernement, la grève avait un caractère profondément politique, avec des slogans adoptant clairement une attitude conflictuelle contre le gouvernement du pays et le FMI.

    Le système politique actuel de la Tunisie présente les caractéristiques d’un régime démocratique bourgeois, mais extrêmement instable, plutôt qu’un régime consolidé. Comme nous l’avons déjà expliqué, cette prétendue “anomalie tunisienne” n’est possible que grâce au rôle influent de l’UGTT (Union Générale Tunisienne du Travail), qui a agi comme un puissant contrepoids à la restauration d’une dictature.

    Une lecture mécanique de cette situation conclurait qu’il s’agit d’une épine dans le pied de la théorie de Trotsky sur la révolution permanente. En réalité, la Tunisie est en pleine mutation et la parenthèse révolutionnaire ouverte en janvier 2011 n’est pas fermée.

    En 1930, Trotsky écrivit “Une lettre sur la révolution italienne”, dans laquelle il explique qu’après la chute du régime fasciste de Mussolini, l’Italie pourrait redevenir une “république démocratique”. Mais il a poursuivi en expliquant que ce ne serait pas ” le fruit d’une révolution bourgeoise, mais l’avortement d’une révolution prolétarienne insuffisamment mûrie. En cas de crise révolutionnaire profonde et de batailles de masse au cours desquelles l’avant-garde prolétarienne n’aura pas été en mesure de prendre le pouvoir, il se peut que la bourgeoisie rétablisse son pouvoir sur des bases démocratiques”.

    Un processus similaire est en cours en Tunisie aujourd’hui – la direction de l’UGTT jouant un rôle similaire pour aider la classe dirigeante à consolider sa contre-révolution bourgeoise comme l’ont fait les dirigeants du Parti Communiste Italien après la guerre – avec la différence importante qu’il n’existe aucune base économique proche de la reprise économique de l’après guerre pour aider la classe dirigeante tunisienne à construire une démocratie bourgeoise stable. 

    Cela se manifeste clairement par l’état de crise politique prolongé et ininterrompu auquel la Tunisie est confrontée depuis huit ans, avec déjà dix gouvernements depuis la chute de Ben Ali, une arène politique très fragmentée, des scissions régulières dans les rangs des principaux partis bourgeois et la formation constante de nouveaux partis, dans un contexte de désaffection populaire de masse envers tout le pouvoir politique.

    Malheureusement, cette situation n’a pas épargné la gauche tunisienne. En mai, neuf députés de la coalition de gauche ” Front Populaire ” ont remis leur démission du bloc parlementaire de la coalition, ce qui a ouvert la voie à une crise interne qui menaçait le Front populaire depuis longtemps. Cette crise résulte de ses trahisons politiques passées et de sa stagnation actuelle, aggravées par une culture interne de plus en plus bureaucratique et les luttes de pouvoir sans principes entre ses principales composantes stalinienne et maoïste, à l’approche des élections présidentielles de novembre.

    Révolutions au Soudan et en Algérie

    La classe ouvrière et les syndicats

    Les soulèvements qui ont secoué l’Algérie et le Soudan, tout en n’ayant pas connu jusqu’ici les mêmes répliques internationales qu’en 2011, ont de profondes implications pour l’ensemble de la région. Le fait que les deux pays soient à la croisée des chemins entre l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne accentue ce point. Ce n’est pas un hasard si, cette année déjà, au moins dix gouvernements africains ont eu recours à des coupures d’Internet et à des coupures des réseaux sociaux, la plupart d’entre eux pour tenter d’étouffer la contestation. Les régimes voisins sont sans doute nerveux. En avril, trois jours seulement après la démission de Bouteflika, la Cour d’appel marocaine a confirmé les peines de prison allant jusqu’à 20 ans prononcées contre des dizaines de militants et dirigeants du mouvement de protestation ” Hirak ” en 2016-2017 dans la région nord du Rif.

    Les mouvements au Soudan et en Algérie représentent la continuité révolutionnaire de ce qui s’est passé il y a 8 ans, tout en ayant développé leurs propres traits originaux. Il est important de noter qu’ils ont également absorbé certaines des leçons tirées des expériences révolutionnaires du passé récent.

    C’est particulièrement le cas en ce qui concerne la défaite des masses en Egypte. La différence entre la réaction largement festive des masses révolutionnaires égyptiennes au renversement de Moubarak et la réaction des mouvements soudanais et algériens au renversement de leur dictateur était notable. Dans ce dernier cas, le niveau de défiance à l’égard de l’armée se situait dès le début à un niveau comparativement différent, et des slogans rejetant explicitement un scénario égyptien étaient affichés. Un slogan populaire chanté lors du sit-in à Khartoum était “Soit la victoire, soit l’Egypte”. Un autre, entendu en Algérie, est : “L’Algérie est in-Sisi-ble.” Cela montre que l’expérience du coup d’Etat militaire égyptien a pénétré la conscience populaire internationale – en particulier dans des pays comme le Soudan et l’Algérie, avec leur histoire de coups d’Etat militaires et où l’armée occupe un rôle clé dans la machine étatique.

    Les mouvements en Algérie et au Soudan ont également réaffirmé l’énorme pouvoir potentiel de la classe ouvrière. Bien que numériquement petite, la classe ouvrière soudanaise a une riche tradition de lutte, ayant connu trois révolutions depuis 1964. Ce n’est pas un hasard si le berceau du mouvement au Soudan se trouvait à Atbara, une ville industrielle du nord-est du Soudan qui a été le berceau du mouvement syndical du pays et un ancien bastion du Parti communiste.

    La classe ouvrière algérienne occupe pour sa part une position stratégique, comme l’une des plus fortes de la région et du continent africain dans son ensemble. Le pays est le troisième fournisseur de gaz naturel en Europe et un grand producteur de pétrole.

    En Algérie, le déroulement de deux grèves générales successives a accéléré les scissions et les défections au sein du régime et a contribué à forcer la classe dirigeante à finalement abandonner Bouteflika. Début mars, le soutien exprimé au mouvement par les sections locales de l’UGTA (Union Générale des Travailleurs Algériens) dans les bastions ouvriers historiques de Rouiba et de Reghaïa, dans les grandes banlieues industrielles d’Alger (où l’on trouve la plus grande concentration industrielle du pays), a marqué un tournant décisif, annonçant l’entrée de la classe ouvrière comme force sociale dans ce mouvement.

    On pourrait dire que l’implication de la classe ouvrière a été plus spectaculaire à la veille du renversement de Bouteflika que depuis. C’est ce qui a poussé le Financial Times à se rassurer en déclarant à la mi-juin que “les manifestations de rue, qui attirent chaque vendredi des centaines de milliers de personnes de tous horizons, ont évité les appels à la grève générale ou à l’occupation permanente des places publiques, ce qui serait perçu comme des escalades”. Pourtant, il est clair que l’expérience des vagues de grèves de masse du mois de mars restera gravée dans l’esprit de chaque travailleur algérien et devrait revenir à l’ordre du jour dans un avenir proche.

    La chute d’Al Bashir et de Bouteflika a également initié un processus de réappropriation des syndicats par la classe ouvrière. Elle a pris des formes et des profondeurs diverses dans les deux pays, mais va généralement dans la même direction : des tentatives pour développer des structures syndicales de base démocratiquement contrôlées par la base.

    Les syndicalistes algériens et les dirigeants des principales fédérations régionales de l’UGTA ont organisé des rassemblements pour exiger la démission immédiate du secrétaire général de l’UGTA, Sidi Said, ardent défenseur de l’ancien régime. Parmi les slogans, il y a ” tout pour reconquérir l’UGTA pour la lutte des classes. Tout pour chasser le régime et les oligarques de l’UGTA. Tout pour dégager Sidi Saïd et de sa clique”. Sous la pression, Sidi Said a été contraint d’annoncer qu’il ne serait pas candidat à sa succession au 13e congrès de la fédération les 21 et 22 juin, un congrès qui avait été initialement annoncé pour janvier 2020.

    Cependant, bien que moins publiquement compromis, le nouveau secrétaire général de l’UGTA est un produit de la même clique bureaucratique, et le congrès est resté une affaire contrôlée par la bureaucratie et hautement protégée visant à assurer “un changement dans la continuité” et à tenir les “fauteurs de troubles” à distance. La lutte pour purger le syndicat des bureaucrates corrompus et favorables au régime reste à l’ordre du jour et devrait être couronnée par la demande d’un congrès spécial où seuls les délégués dûment et démocratiquement mandatés par la base décideraient de l’avenir du syndicat.

    Bien que l’UGTA ait conservé d’importants bastions régionaux et sectoriels, son soutien a été considérablement érodé par des décennies de trahisons et l’étroite collaboration de ses dirigeants avec l’État et les patrons. Dans ce contexte, plusieurs ” syndicats autonomes ” ont vu le jour ces dernières années et ont gagné une certaine influence, en particulier dans les secteurs publics tels que la santé et l’éducation. L’année dernière, ces syndicats ont convergé vers une Confédération des Syndicats Autonomes (CSA) qui représente environ quatre millions de travailleurs. C’est pourquoi la nécessaire réappropriation de l’UGTA par sa base devrait être combinée avec des propositions de front commun orientées vers ces syndicats autonomes, afin de construire l’unité d’action des travailleurs.

    Au Soudan, la situation est quelque peu différente, car le mouvement syndical y a souffert de méthodes beaucoup plus brutales de répression d’Etat. Dans les années 1990, les syndicats ont été purgés comme jamais auparavant, leurs membres emprisonnés et torturés en masse, et des sanctions draconiennes ont été imposées aux travailleurs en grève. L’Union Générale des Travailleurs Soudanais officielle est devenue complètement soumise au pouvoir en place. La SPA elle-même a dû fonctionner clandestinement pendant la plus grande partie de sa courte existence.

    Mais une indication de la ténacité des traditions syndicales est que depuis la chute d’Al Bashir, des tentatives de ressusciter des syndicats qui avaient été détruits par son régime ont été entreprises, avec certains de leurs anciens membres, avec une nouvelle couche de jeunes travailleurs, s’organisant pour les reconstruire. Ce fut le cas des cheminots d’Atbara, des dockers de Port Soudan, des travailleurs de la Banque Centrale du Soudan, des journalistes qui ont formé un ” Comité pour la Restauration de l’Union des Journalistes Soudanais “, etc. En outre, les travailleurs ont aussi, dans certains cas, pris le contrôle des syndicats officiels en chassant les dirigeants qui avaient collaboré avec l’ancien régime. Sous la pression, un gel a même été imposé aux syndicats affiliés au régime par la junte militaire après la destitution de Bachir. Au moment où le premier plan de grève a été mis en place, le Conseil militaire de transition (TMC) a annulé le gel, permettant à ces syndicats collaborateurs de reprendre leurs activités pour tenter de faire obstacle au développement de syndicats indépendants.

    Les comités

    Bien que largement sous-rapporté, le développement des comités révolutionnaires locaux (les ” comités de résistance “) semble avoir pris au Soudan un caractère de grande portée, peut-être plus qu’en Egypte et en Tunisie en 2011. Cela s’explique en partie par le fait que la formation des premiers comités de résistance au Soudan remonte déjà à 2013, lorsque le pays a connu une recrudescence des protestations contre le régime ; ces comités sont réapparus à une échelle plus large et plus organisée cette fois, et ont inclus la création de comités de grève dans un certain nombre de lieux de travail. Le régime est très conscient du danger de cette évolution, ce qui explique pourquoi les dirigeants des comités de résistance des quartiers de Khartoum ont été tués dans des assassinats ciblés par les milices du régime.

    Le fait qu’Internet ait été presque entièrement coupé par le TMC à partir de début juin a contribué à mettre le rôle de ce réseau de comités locaux de résistance sur le devant de la scène, car les manifestants ont été contraints de trouver un moyen de contrer la fermeture des télécommunications et d’Internet de la junte et ont utilisé ces comités pour rassembler leurs voisins, organiser des réunions communautaires, appeler à des manifestations, distribuer des tracts imprimés pour remplacer la communication numérique, etc.

    Bien que cela puisse changer, sous cet angle important, le caractère révolutionnaire du mouvement a été beaucoup plus prononcé au Soudan qu’en Algérie. En Algérie, si des comités de lutte sont apparus dans certains cas, et si des “comités autonomes” ont été mis en place par des étudiants dans la plupart des facultés universitaires, ce processus semble beaucoup plus inégal et moins avancé – même comparé au mouvement de masse en Kabylie en 2001, lorsque les masses ont créé des comités se substituant clairement aux structures étatiques officielles.

    Violence étatique et contre-révolutionnaire

    Dans ce dernier cas, ainsi qu’au Soudan aujourd’hui, la répression meurtrière de l’État a également incité les gens à créer des comités de défense pour se protéger. Pourtant, en Algérie, la violence de l’État a jusqu’à présent été largement contenue.

    Le seul fait que les généraux algériens, connus pour leurs méthodes brutales, semblent réticents à recourir à la violence contre les manifestants en dit long sur le volcan social sur lequel ils sont assis, et sur la peur d’allumer quelque chose de beaucoup plus grand. Les militaires ont jusqu’à présent hésité à mener une répression sanglante, craignant que cela ne fasse qu’intensifier la lutte contre le régime actuel. Les chiffres des manifestations hebdomadaires du vendredi ont diminué en juin, mais la situation reste extrêmement volatile et toute tentative de contenir le mouvement à grande échelle l’enflammerait immédiatement. Lahouari Addi, sociologue algérien à l’Institut d’études politiques de Lyon, a également mis en lumière une autre raison importante de la retenue du commandement militaire : “parce qu’ils ne sont pas sûrs que leurs troupes leur seront loyales”.

    Bien entendu, cela ne va pas de soi. Jusqu’à présent, le régime a opté pour une forme de répression plus ciblée et plus préventive pour faire une démonstration de force en vue d’une réaction plus large. Il s’agit notamment de l’arrestation d’un certain nombre de militants, dont la plus importante est Louisa Hanoune, secrétaire générale du Parti des Travailleurs (PT), qui a été arrêté le 9 mai, accusée de “conspiration contre l’autorité de l’Etat”. Tout en ayant un passé militant et toujours qualifiée de “trotskiste” par la presse, Hanoune est connue pour ses liens étroits avec la famille de Bouteflika. Après les premières manifestations en février, elle s’est ridiculisée en affirmant que les slogans du mouvement n’étaient “pas contre Bouteflika”. Son arrestation semble avoir autant à voir avec les règlements de comptes entre factions rivales au sein du régime qu’avec ses critiques modérées du gouvernement actuel.

    Au Soudan, l’exposition des divisions de classe au sein de l’armée et la rébellion des rangs inférieurs ont joué un rôle très important dans les soulèvements révolutionnaires de 1964 et 1985. La sympathie instinctive pour la lutte révolutionnaire activement exprimée par de nombreux soldats de base et officiers subalternes a également été l’une des motivations qui ont poussé l’état-major général à se débarrasser d’Omar Al Bashir en avril, dans l’espoir de garder le contrôle sur ses propres troupes. C’est pourquoi des appels audacieux de classe aux rangs de l’armée, ainsi que la constitution de forces de défense populaires et ouvrières sous contrôle démocratique, devraient être un aspect clé de notre approche pour désarmer et vaincre la réaction. En se rangeant du côté du peuple, les soldats risquent bien sûr d’être traduits en cour martiale et sévèrement punis. Cela signifie qu’un véritable clivage entre les rangs de l’armée et leurs officiers réactionnaires ne peut se concrétiser qu’en proposant un programme politique et social audacieux capable de donner confiance aux soldats que la révolution peut gagner, et de les inciter à une action décisive.

    Les traditions de mutinerie au sein de l’armée soudanaise sont l’une des principales raisons pour lesquelles le régime d’Al Bashir avait soutenu les services de sécurité de l’État et incorporé des groupes paramilitaires pour construire un appareil d’État souple en cas de contestation révolutionnaire de son pouvoir. Son régime a supervisé une expansion massive des services de renseignement et des milices diverses.

    En 2014, l’UE a lancé le “processus de Khartoum”, dont une partie consiste à externaliser la police des frontières vers les États de la région pour arrêter les flux migratoires entre la Corne de l’Afrique et la mer Méditerranée. Il s’agit de former et de financer des gardes-côtes libyens qui rassemblent les migrants en mer et les renvoient dans les conditions brutales des camps de prisonniers libyens où ils sont victimes de la faim, de la torture, de viols et d’esclavage. Il s’agit également de fournir au gouvernement soudanais des millions d’euros qui ont été acheminés aux paramilitaires des ” Forces de soutien rapide ” (FSR), ramifications des brutales milices janjawides impliquées dans les atrocités massives pendant le conflit du Darfour, qui ont ainsi été chargées de resserrer l’étau sur les migrants et réfugiés africains tentant de fuir vers l’Europe. En d’autres termes, l’UE a un rôle direct dans le soutien et la professionnalisation des milices qui ont participé au massacre contre-révolutionnaire du 3 juin.

    Le massacre de Khartoum du 3 juin a marqué un tournant contre-révolutionnaire au Soudan. Comme l’a bien dit un commentateur, cette semaine-là, “le Darfour était venu à Khartoum”. Il ne fait aucun doute que derrière cette attaque meurtrière se cachait la crainte, non seulement chez la classe dirigeante nationale, mais aussi chez les despotes régionaux soutenus par le TMC (en particulier les monarques en Arabie Saoudite et aux Émirats Arabes Unis, ainsi que le régime égyptien) d’un mouvement qui était devenu une source d’inspiration pour des millions de personnes dans la région. Ils ont encouragé les dirigeants de Khartoum à s’attaquer au cœur de ce mouvement, poussés par leur désir de mettre fin aux tentations révolutionnaires qui pourraient se développer dans leur propre territoire.

    L’appréciation tactique de ce stratagème était plutôt tempérée dans les capitales et ambassades occidentales. Dans une déclaration publique inhabituelle, le département d’État américain a révélé que son sous-secrétaire d’État avait téléphoné au vice-ministre saoudien de la défense pour lui demander d’utiliser son influence saoudienne afin de calmer le carnage au Soudan. Bien que la Russie ait adopté une position belligérante, faisant écho à la justification du massacre par les FSR, la soi-disant “troïka” (Etats-Unis, Grande-Bretagne et Norvège) et l’Union africaine, via la médiation éthiopienne, ont depuis redoublé d’efforts pour tenter de contenir les “excès” du Conseil Militaire et pousser l’opposition à accepter un accord de partage du pouvoir avec lui.

    Il est clair que certaines ailes de la classe dirigeante, en particulier à l’ouest, sont conscientes et inquiètes qu’une nouvelle déstabilisation du pays pourrait entraîner de nouvelles vagues de réfugiés frappant à leurs portes ; mais plus immédiatement, qu’une répression sanglante et prématurée du mouvement pourrait provoquer une nouvelle escalade révolutionnaire.

    Et ils ont raison. En effet, le massacre du 3 juin n’a pas eu le même effet d’entraînement sur la révolution que le massacre de la place Rabia-El-Adaouïa par l’armée égyptienne en août 2013, par exemple, qui a ouvert la voie à une période de répression soutenue par le régime nouvellement instauré de Sisi. Comme Marx l’a expliqué, une révolution a besoin de temps en temps du fouet de la contre-révolution. C’est ce qui s’est passé au Soudan début juin : la réponse de la classe ouvrière au carnage s’est accompagnée d’une grève générale nationale qui a duré 3 jours. Les niveaux impressionnants d’adhésion à la grève dans tous les secteurs, malgré les menaces ouvertes des dirigeants du TMC, ont témoigné de l’humeur militante et de la détermination des travailleurs.

    La SPA – stratégie et tactique

    Pendant la grève, la SPA a encouragé les manifestants à construire des barricades sur les routes principales et les rues secondaires, mais au lieu de les surveiller, elle leur a conseillé à tort de fuir immédiatement. “Barricader et se retirer”, disaient-ils dans leurs messages. “Évitez les frictions avec les forces Janjawides.”

    Cette tactique laisse les gens isolés les uns des autres, surtout quand Internet est coupé. Cela compromet la possibilité de débattre collectivement de la manière de résister et de combattre le régime, et de montrer la force du mouvement et empêche l’échange d’expériences et le renforcement de la confiance des gens dans les manifestations de masse, les piquets de grève et les assemblées sur les lieux de travail et dans les quartiers. Les gens sont laissés à la merci des milices et des forces de l’État qui se voient confier le contrôle de l’espace public, et les masses restent sans préparation pour affronter et vaincre leur assaut. Depuis lors, les manifestants ont instinctivement réagi contre cette approche, en organisant des marches et des manifestations nocturnes, afin de reconquérir les rues.

    La grève générale aurait pu durer plus longtemps si ses dirigeants, ne sachant pas quoi en faire, ne l’avaient pas annulée après trois jours, sans avoir obligé le Conseil Militaire à céder. Les dirigeants de la SPA avaient d’abord appelé à une grève générale politique ouverte et à une désobéissance civile de masse afin de ” faire tomber le régime militaire comme seule mesure restante ” pour sauver la révolution. Ils avaient également déclaré avant la grève qu’il n’y aurait plus de négociations avec le TMC. Au lieu de cela, ils ont décidé de montrer leur “bonne volonté” au TMC et aux médiateurs éthiopiens venus dans le pays pour encourager un accord sur un gouvernement de transition, en annulant la grève et en retournant directement à la table des négociations.

    C’est la logique inéluctable d’essayer de maintenir un bloc politique uni au sein de la coalition de l’opposition, les ” Forces de la Déclaration de Liberté et de Changement ” (FDCF). Le SPA représente le noyau activiste du FDCF, mais ce dernier est une alliance interclasses impliquant des partis pro-capitalistes tels que le Parti Oumma, qui agit depuis le début ouvertement comme un frein paralysant à la lutte révolutionnaire. Ce parti, qui inspire beaucoup de méfiance à cause de ses alliances régulières avec l’ancien régime, s’est publiquement opposé à la première grève générale le 10 juin et a tweeté le tout premier jour de la deuxième grève générale : “Ce n’est pas bien de continuer une désobéissance civile sans limite dans le temps.”

    Le dimanche 30 juin, les masses se sont à nouveau montrées prêtes pour un affrontement révolutionnaire, lançant une nouvelle et imposante contre-offensive, la ” Million’s March “, qui a abouti à ce qui fut probablement la plus grande manifestation de rue de l’histoire soudanaise pour exiger la fin du régime militaire.

    Au milieu de ces pics successifs d’action de masse, les dirigeants de la SPA auraient pu lancer un appel aux comités de résistance, aux comités de grève et à d’autres organisations de base pour qu’ils s’unissent aux niveaux local, régional et national, dans le but de fédérer une assemblée nationale de délégués révolutionnaires qui aurait pu former un gouvernement de travailleurs et des masses révolutionnaires, déposer le Conseil Militaire et se partager le pouvoir.

    Au lieu de cela, les politiques de collaboration de classe du FDCF, auxquelles les dirigeants de la SPA ont lié leur destin, les ont conduits à la conclusion d’un accord formel de partage du pouvoir avec le Conseil militaire le 4 juillet. Cet accord a institué un ” conseil souverain ” composé de 11 personnes, cinq militaires, cinq civils et une autre présentée comme un civil (en réalité, un officier militaire à la retraite). La junte est également chargée de nommer l’un des siens à la tête du conseil pour les 21 premiers mois suivant sa formation. Cela signifie que la majorité des membres du Conseil sera loyale à la TMC, et qu’on ne touche pas à son emprise effective sur les principaux leviers du pouvoir et les milices terroristes.

    Nul doute que cet accord servira à désorienter et à démobiliser les masses, et que la junte reprendra sa répression contre le mouvement révolutionnaire sous prétexte de rétablir “l’ordre”. Un tel accord avec les bourreaux de la révolution est une trahison ouverte des masses révolutionnaires et a semé la confusion dans les rues. Après huit mois de lutte acharnée, et en l’absence d’une alternative perceptible, des éléments de lassitude existent et une partie des masses a vu dans cet accord le seul moyen réaliste de “maîtriser” le TMC. Cependant, l’euphorie supposée décrite par les médias après l’annonce de l’accord était plutôt calme et limitée, et les illusions actuelles seront très probablement éphémères.

    La conclusion de ce pacte a été accueillie avec amertume et colère par les sections les plus avancées des travailleurs et des jeunes militants révolutionnaires. Il a également mis en évidence graphiquement les contradictions de classe au sein du FDCF. Notre agitation devrait donc mettre un accent renouvelé sur la nécessité de rompre avec toutes les forces et tous les éléments politiques de la FDCF qui reposent sur cet accord pourri, et prêts à faire des compromis avec les généraux bouchers. Nous devrions utiliser cet exemple tragique pour souligner la nécessité de dirigeants responsables et d’un parti de masse indépendant qui soient sans réserve du côté de la lutte révolutionnaire menée par les travailleurs et les masses opprimées. Les forces pour construire un tel parti peuvent émerger du processus d’accentuation de la différenciation politique qui résultera inévitablement de l’accord récent.

    En effet, aucun partage de pouvoir pacifique n’est possible entre la révolution et la contre-révolution. L’arrangement actuel n’empêchera pas que les intérêts des millions de travailleurs, de jeunes, de femmes et de pauvres qui luttent pour un Soudan libéré de la dictature et de la pauvreté soient mis sur la voie d’une nouvelle collision avec les intérêts des généraux assassins et des chefs de guerre à la tête du TCM.

    Les ” Leçons d’Espagne ” de Trotsky restent une lecture extrêmement précieuse pour éduquer les nouvelles générations sur ces questions programmatiques clés. Il y expliquait que “le mot “républicain”, comme le mot “démocrate”, est un charlatanisme délibéré qui sert à dissimuler les contradictions de classe”. Remplacez ” républicain ” par ” civil “, et c’est aussi pertinent aujourd’hui qu’à l’époque. La revendication d’un gouvernement civil a toujours été utilisée par les forces bourgeoises locales et les puissances impérialistes pour défendre un gouvernement qui protège la continuation et les intérêts du capitalisme au Soudan.

    Cependant, il est également vital d’apprécier les différents niveaux de conscience des masses sur ces questions dans les processus révolutionnaires actuels au Soudan et en Algérie. Cette demande est comprise différemment pour les larges couches de la population des deux pays qui ont repris ce slogan, dont beaucoup n’ont connu que la domination militaire. Comme le nouveau conseil souverain au Soudan n’a même pas une façade entièrement civile, il est probable que la demande d’un ” gouvernement civil ” continuera d’avoir un large écho pendant un certain temps et sera perçue par beaucoup comme un moyen de faire comprendre la nécessité de faire tomber la junte militaire. Il est donc important d’articuler habilement notre revendication d’un gouvernement ouvrier et paysan pauvre, non pas en s’attaquant de front à la revendication d’un gouvernement civil, mais en soulignant les intérêts de classe opposés qui se cachent derrière ce slogan.

    Tout gouvernement de coalition pro-capitaliste, quelle que soit sa composition civile ou semi-civile formelle, sera extrêmement instable, naviguant entre les aspirations réveillées mais insatisfaites de millions de Soudanais, l’appui d’appareils militaires et de sécurité bien établis et une situation économique catastrophique, avec des dettes énormes et une inflation rampante. L’ambassadeur de Grande-Bretagne à Khartoum a déclaré à juste titre que “si la volonté du peuple soudanais n’est pas respectée, alors je pense que nous retournerons au soulèvement populaire”. Mais si la classe ouvrière et les masses populaires soudanaises ne prennent pas le pouvoir en main, des ailes de l’élite dirigeante seront tentées de résoudre la crise à leur manière, en coupant court à la longue période d’instabilité par le recours à un coup d’Etat, ou “nouveau 3 juin”, peut-être à une plus grande échelle.

    La possibilité pour la classe dirigeante de jouer la carte de l’islamisme, en utilisant l’islam politique de droite pour tromper le mouvement révolutionnaire et protéger les intérêts du capital, comme elle l’a fait pendant un temps en Tunisie et en Egypte, semble plus limitée. L’islam politique est en déclin tant au Soudan qu’en Algérie. Au Soudan, les Frères Musulmans ne sont pas une force d’opposition importante ; ils ont partagé le pouvoir avec Al-Bashir depuis son coup d’Etat en 1989. L’une des principales caractéristiques du soulèvement soudanais est son opposition ouverte au pouvoir des militaires et de leurs alliés fondamentalistes. Les masses soudanaises ont crié des slogans accusant les islamistes d’être responsables de la tyrannie du régime.

    En Algérie, l’expérience de la décennie noire a rendu la population profondément méfiante à l’égard des deux. Le MSP, branche algérienne des Frères Musulmans, a pour sa part collaboré avec l’armée et soutenu Bouteflika depuis sa première prise de pouvoir en 1999 jusqu’en 2012. La plupart des manifestants rejettent les tentatives des fondamentalistes de détourner le mouvement aussi fermement que la prétention des généraux d’en faire autant. Les manifestants en Algérie ont même expulsé certaines personnalités islamistes de leurs manifestations.

    A cela s’ajoute le fait remarquable que les femmes ont joué un rôle de première ligne dans ces luttes de masse dès le premier jour. Les femmes ont joué un rôle majeur dans l’histoire révolutionnaire de l’Algérie et renouvellent ces traditions, mettant en avant leurs propres revendications et s’organisant activement dans le mouvement plus large. Au Soudan, au cours de la répression du 3 juin et des jours suivants, des viols et des agressions sexuelles contre des militantes et des manifestantes ont été perpétrés par des agents de sécurité et des milices pour briser l’esprit révolutionnaire des femmes. Un manifestant a été cité par la BBC : “La [milice] sait que s’ils brisent les femmes, ils brisent la révolution.”

    Le climat actuel n’est donc pas très propice à l’agenda politique préconisé par les fondamentalistes islamiques. Cela dit, la stagnation et les revers du processus révolutionnaire, combinés aux sentiments de frustration populaire qu’ils peuvent engendrer, pourraient créer un terrain plus fertile pour ces forces réactionnaires dans l’avenir. Le TMC lui-même a essayé de monter des groupes salafistes contre l’opposition en accusant cette dernière d’être largement contrôlée par des “figures athées anti-charia”. A cela s’ajoutent les manœuvres contre-révolutionnaires proactives et l’argent acheminé par les Etats du Golfe Wahhabites.

    Jeux régionaux

    La nouvelle situation créée par l’éviction d’Al Bashir au Soudan se déroule dans un contexte d’intensification de la lutte internationale pour l’influence dans la région. Une rivalité entre l’Arabie saoudite et les Émirats Arabes Unis, d’une part, et le Qatar, la Turquie et l’Iran, d’autre part, a gagné la Corne de l’Afrique. Le Soudan est devenu un champ de bataille clé de cette rivalité.

    Entre 2000 et 2017, les États du Golfe ont investi 13 milliards de dollars dans la Corne de l’Afrique, principalement au Soudan et en Éthiopie. En décembre dernier, des représentants de Djibouti, du Soudan et de la Somalie se sont réunis à Riyad pour discuter de la création d’une nouvelle alliance de sécurité pour la mer Rouge. Les Émirats Arabes Unis ont une base militaire en Érythrée depuis 2015 et en construisent une autre au Somaliland. Le régime saoudien prévoit également d’en construire une à Djibouti.

    La Turquie a également fait des incursions dans la région, encourageant des relations étroites avec le gouvernement somalien, y établissant des installations militaires et obtenant des contrats pour les entreprises turques, qui gèrent désormais les ports et aéroports de la capitale. Le régime turc a conclu divers accords commerciaux et militaires avec le régime d’Al Bashir en 2017, notamment un accord pour la remise de l’île soudanaise de Suakin à l’Etat turc, afin d’établir une présence militaire sur la mer Rouge.

    Le renversement d’Al Bashir a ouvert une nouvelle situation, permettant un certain remaniement des cartes, l’axe saoudien devançant la Turquie et développant un ascendant sur les dirigeants militaires actuels à Khartoum. Les chefs du Conseil militaire ont déclaré que l’île de Suakin est une ” partie inséparable ” du Soudan, se sont engagés à soutenir le régime saoudien contre toute menace émanant de l’Iran et à continuer de déployer des troupes soudanaises au Yémen pour aider les Saoudiens dans leur guerre contre les Houthis.

    La coalition saoudienne-émiratienne a utilisé des soldats soudanais pour externaliser sa guerre contre le Yémen, réduisant ainsi le nombre de morts saoudiennes et atténuant ainsi la dissension interne. Cependant, le fait que les masses soudanaises revendiquent de rapatrier les troupes soudanaises du champ de bataille yéménite dans le contexte de leur lutte révolutionnaire, montre combien l’action de masse de la classe ouvrière dans un pays peut aider à renverser les tendances réactionnaires au niveau régional. Bien sûr, la façon dont cela peut être se faire dépend du programme et de la direction qui guidera ces luttes. Pourtant, il ne fait aucun doute que la poursuite de la guerre au Yémen et de l’envoi de Soudanais pauvres pour servir de chair à canon aux intérêts de l’élite saoudienne alimenteront la rage révolutionnaire contre le ” nouveau ” régime à Khartoum.

    Question nationale

    Comme nous l’avons vu dans nos rangs par le passé, les termes “printemps arabe” et “révolution arabe” doivent être traités avec prudence. C’est d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit des mouvements révolutionnaires en Algérie et au Soudan, pays où d’importantes minorités de la population ne sont pas arabes et où existent des questions nationales sensibles. Un programme marxiste pour résoudre la question nationale, reliant la lutte contre l’oppression nationale à un programme de classe, est crucial pour surmonter les tentatives de la classe dirigeante d’exploiter et d’approfondir les divisions nationales.

    Le Soudan n’a jamais été une nation intégrée ; comme la plupart des pays africains, c’est un cadeau empoisonné hérité des politiques de “diviser pour mieux régner» de l’impérialisme occidental. Les 43 millions d’habitants du territoire actuel du Soudan sont composés à 70 % d’Arabes, les 30 % restants étant des groupes ethniques arabisés de Bejas, de Coptes, de Nubiens et d’autres peuples. Il y a aussi près de 600 tribus au Soudan qui parlent plus de 400 dialectes et langues. Les divisions raciales et tribales, en particulier entre les Arabes ethniques qui vivent le long du Nil et les Africains à la peau plus foncée qui constituent la majorité dans les régions périphériques, ont été pleinement exploitées par le régime d’Al Bashir pour consolider son pouvoir.

    Cependant, lorsqu’en février, Al Bashir a tenté d’attribuer les manifestations à de prétendus étudiants terroristes du Darfour, la tactique s’est retournée contre eux de manière spectaculaire, de nombreux manifestants ayant repris le slogan : “Oh, raciste arrogant, nous sommes tous du Darfour”. Cela met en évidence l’une des caractéristiques uniques de ce mouvement par rapport aux luttes révolutionnaires passées au Soudan : qu’il se soit propagé à tout le pays. Les révolutions de 1964 et 1985 se sont principalement limitées à la capitale et aux villes du Nord, avec une forte division entre le centre et les périphéries ; il s’agit cette fois-ci d’un mouvement “national”, qui a naturellement englobé tous les coins du pays, unissant en action les travailleurs et les pauvres quelle que soit leur origine ethnique.

    Cela étant dit, si la lutte révolutionnaire n’est pas menée à la victoire et n’aboutit pas à terme à une restructuration fondamentale de la société selon les lignes socialistes impliquant le droit à l’autodétermination pour toutes les nationalités opprimées (comme les peuples des Monts Nouba et du Darfour), les divisions de longue date, notamment le danger de guerre ethnique, peuvent refaire surface.

    En Algérie, l’éruption spectaculaire des masses s’est également produite à une échelle géographique étendue, avec un essor dans les 48 wilayas (départements) du pays. Le mouvement est particulièrement mobilisé dans la région de la Kabylie, où les griefs économiques et sociaux se mêlent à une forte identité amazighe (berbère) forgée par des décennies de tentatives du régime algérien pour supprimer les droits linguistiques et culturels de la minorité amazighe, en imposant une politique d’arabisation et la marginalisation économique. La reconnaissance de la langue amazighe comme langue nationale et officielle est un développement récent (2016), qui ne s’est faite que sous une pression énorme des masses.

    La possibilité que cette question refasse surface, en partie sous l’impulsion des provocations chauvines de la clique militaire d’Alger, a été récemment démontrée par les attaques du chef d’état-major de l’armée Gaïd Salah contre la proéminence du drapeau amazigh dans les manifestations de rue. Après avoir annoncé le 19 juin que seuls les drapeaux nationaux seraient autorisés, des dizaines de manifestants portant des drapeaux amazighs ont été arrêtés par la police.

    Le régime algérien s’est efforcé au fil des années de se cacher continuellement derrière une certaine façade ” progressiste “. Par exemple, il soutient rhétoriquement la cause des peuples sahraouis et palestiniens, et a adopté une approche prudente sur les interventions étrangères en Libye, en Syrie et au Yémen. Il a également refusé l’installation de centres de transit pour les migrants à l’intérieur du pays. Cependant, ce n’est qu’un côté de la médaille. Si l’Algérie n’est pas encore devenue un valet complet de l’impérialisme, elle est de connivence avec l’impérialisme sur de nombreux fronts. Le régime a signé un ” partenariat exceptionnel ” avec l’impérialisme français, avec lequel il a collaboré dans son intervention militaire au Mali. En février, l’armée algérienne a participé, au Burkina Faso puis en Mauritanie, à des manœuvres militaires de grande envergure placées sous la supervision de l’Africom. Ces contradictions dans la politique étrangère d’un régime traditionnellement orienté vers le soi-disant “non-alignement” ne peuvent que s’accentuer dans la période à venir, une période de concurrence inter-impérialiste accrue au niveau régional et de réveil politique de masse au niveau national.

    Des contradictions similaires persistent dans l’économie algérienne. Les secteurs de l’énergie et des mines restent majoritairement étatiques, à la consternation de l’aile néo-néolibérale du régime et des entreprises occidentales qui veulent accélérer les réformes du marché libre. Ces dernières années, le gouvernement algérien a freiné une grande partie de la libéralisation de l’économie promise, arrêté la privatisation des industries publiques et maintenu la “loi sur l’investissement” – qui stipule que les entreprises nationales qui s’associent à des partenaires étrangers doivent détenir la majorité des actions. Ces questions continueront d’alimenter les tensions entre les factions rivales de la classe dirigeante, d’autant plus dans le contexte d’un mouvement ouvrier plus affirmé, et du détrônement de la figure politique principale qui jouait le rôle “d’arbitre” de ces tensions.

    Droits démocratiques et lutte pour le socialisme

    Sur les traces des traditions bonapartistes algériennes, le général Ahmed Gaïd Salah tente de se faire passer pour le nouvel homme providentiel. Pour tenter de conquérir la population, il a jeté en prison certains des principaux oligarques et amis de Bouteflika et a lancé des enquêtes anti-corruption. Pour affirmer son autorité, il s’est appuyé sur l’application de l’article 102 de la Constitution, qui sacrifie le Président mais maintient la Constitution hyper-présidentielle actuelle, le gouvernement, le conseil constitutionnel, les deux chambres du Parlement et toutes les institutions de l’ancien régime.

    L’élection présidentielle initialement prévue par le régime pour le 4 juillet a été annulée, en raison de leur rejet massif dans les rues, et alors que de plus en plus de maires et de magistrats, sous la pression croissante de la base, annonçaient leur refus de les organiser. Dans un tel contexte, l’appel rassembleur en faveur d’élections libres à une assemblée constitutionnelle révolutionnaire nationale, supervisée par des comités locaux devant être formés dans toutes les communautés pour assurer le caractère démocratique et non corrompu du vote, revêt une pertinence particulière.

    Alors que les masses sortent d’un régime autoritaire, les marxistes devraient accorder l’importance qui leur revient à la défense et à la lutte pour tous les droits démocratiques, tels que la liberté de réunion, la liberté de la presse, le droit d’organisation et de grève, la libération des détenus politiques, etc. Mais, bien sûr, ils ne devraient pas être isolés, mais faire partie d’un programme global de changement socialiste. En outre, nous devons souligner que la classe ouvrière et le peuple révolutionnaire ne peuvent avoir confiance qu’en leurs propres forces pour conquérir et maintenir ces droits. Par exemple, c’est la lutte de masse en Algérie qui a permis la reconquête du droit de manifester dans tout le pays, notamment dans la capitale Alger, où cela était interdit par le régime depuis 2001.

    Le PST (Parti Socialiste des Travailleurs) en Algérie, qui fait partie du Secrétariat Unifié, plaide en faveur d’un ” gouvernement provisoire pour défendre la souveraineté nationale “. Le Parti communiste soudanais prône une ” autorité transitoire démocratique et civile “. Ces slogans suggèrent qu’un stade démocratique stable peut être assuré sans renverser le capitalisme ; ils ne délimitent pas le contenu de classe du gouvernement pour lequel les masses révolutionnaires doivent se battre. Ce sont deux variantes de l’ancienne théorie menchévique, adoptée plus tard par les staliniens, selon laquelle les étapes démocratiques et socialistes de la révolution sont deux chapitres historiques distinctement indépendants, nourrissant la dangereuse illusion qu’une forme viable de régime démocratique favorable aux masses peut être obtenue sans remettre en question les relations bourgeoises de propriété.

    En pratique, cette théorie a ouvert la voie à des alliances politiques traîtresses et à des collaborations gouvernementales avec des ennemis pro-capitalistes, se drapant d’un masque progressiste pour mieux tromper les masses et mettre fin à leur lutte. Ces politiques ont irrémédiablement entraîné des défaites catastrophiques pour la classe ouvrière dans les révolutions, de la Chine en 1925-27 à l’Iran dans les années 1980. Elles constituent une partie centrale de l’explication de la faiblesse de la gauche aujourd’hui dans une grande partie du Moyen-Orient et de l’Afrique.

    Le Parti communiste soudanais (SCP), qui avait autrefois exercé une influence politique considérable en tant que l’un des plus grands partis communistes du continent, a été historiquement décimé à la suite de cette politique désastreuse des ” étapes “, se mettant toujours à la remorque de ce qui était présenté comme les sections ” progressistes ” de la bourgeoisie nationale, plutôt que de poursuivre une politique de classe indépendante pour unir les masses derrière des objectifs socialistes.

    Malheureusement, les dirigeants actuels du SCP ne semblent pas avoir tiré de leçons de leur propre histoire. Dans un communiqué publié début juin, le parti a ouvertement admis : “Nous devons nous soumettre aux souhaits de la majorité de nos partenaires du FDCF et avons accepté de nous asseoir avec le TMC pour négocier un transfert de pouvoir basé sur des modalités de partage du pouvoir avec le TMC. Pour notre part, nous avons vu qu’un changement de position aussi drastique serait coûteux, ne répondant pas aux aspirations de millions de personnes de notre peuple à un véritable changement, et surtout, nous avons du endurer le fort mécontentement visible de certains de nos loyaux membres, amis et sympathisants. Cependant, comme nous étions régis par les termes et les règles du FDCF, nous avons choisi d’agir de manière pragmatique et de prendre la position qui assure l’unité de l’opposition sous la direction du FDCF.”

    C’est dans la même logique que s’inscrit le slogan d’un ” gouvernement des compétences nationales ” défendu par le Front Populaire en Tunisie en 2013. Elle a abouti à la conclusion d’un accord programmatique entre le Front populaire et “Nidaa Tounes”, c’est-à-dire le principal parti politique représentant l’ancien régime dictatorial et les forces pro-restauration, sous prétexte de construire un front “civil” contre les islamistes de droite d’Ennahda. Le Front populaire ne s’est jamais vraiment remis de cette terrible trahison et a gaspillé une formidable opportunité révolutionnaire qui avait objectivement posé la question du pouvoir de la classe ouvrière en Tunisie durant l’été de cette année-là.

    Pour remporter des victoires dans la lutte révolutionnaire de masse et jeter les bases pour en finir avec de la misère, de la crise, de l’exploitation et de l’oppression actuelles, une transformation socialiste de la société est nécessaire. Trotsky a expliqué dans la théorie de la révolution permanente comment toutes les tâches de la révolution démocratique bourgeoise – la question nationale, la terre, les droits démocratiques, la “modernisation” – sont liées à la lutte contre le capitalisme et l’impérialisme.

    Alors que les magnifiques soulèvements révolutionnaires en Algérie et au Soudan ont montré une fois de plus l’héroïsme révolutionnaire dont sont capables les travailleurs, les femmes et les jeunes, les directions des forces politiques actuelles de la gauche organisée ne sont malheureusement pas à la hauteur des tâches historiques posées par ces mouvements. Cela ne fait que souligner l’importance pour le CIO de renouveler ses efforts pour aider à la construction de forces marxistes révolutionnaires dans ces pays et dans toute la région.

  • [LIVRE] Ça n'a pas à être comme ça ! Les femmes et la lutte pour le socialisme

    Les femmes sont les plus durement touchées par la crise économique et les mesures d’austérité qui l’accompagnent. Coupes budgétaires dans les services publics et les soins de santé, destruction de l’emploi,… de nombreuses femmes sont touchées par la précarité. Dans ce livre, notre camarade Christine Thomas revient sur les origines de l’oppression de la femme et le développement des luttes pour le droit des femmes à travers une analyse fouillée. Riche d’enseignements, ce livre doit se retrouver dans les mains de toutes celles et ceux qui pensent que les inégalités et l’oppression n’ont rien à faire dans nos vies et que la lutte est le seul moyen d’y échapper.

    Dans les luttes qui ont marqué ces dernières années, les femmes ont été nombreuses à se mobiliser, en tant que travailleuses et contre l’oppression spécifique qu’elles subissent, que ce soit au Moyen- Orient et en Afrique du Nord, dans les protestations contre la faim, ou encore pour dénoncer la dictature ou la collusion des pouvoirs avec les ‘‘Pussy Riot’’. Nous avons aussi plus entendu des voix s’élever contre les violences faites aux femmes, comme en Inde où hommes et femmes ont manifesté contre les viols.

    C’est pourquoi il nous a semblé important de traduire le livre de Christine Thomas, membre de la section italienne du CIO (le Comité pour une Internationale Ouvrière).

    Son travail de synthèse et d’analyse concernant les origines de l’oppression spécifique des femmes, leurs luttes historiques et les mouvements féministes nous donne des éléments de discussion et d’orientation pour lutter aujourd’hui contre l’austérité et pour l’émancipation des femmes.

    N’hésitez pas et passez commande à redaction@socialisme.be ou par téléphone au 02/345.61.81 // 10 euros (+ 2 euros de frais de port), 104 pages.

  • Egypte : Protestations massives pour la chute de Morsi

    Non à l’intervention des généraux, pour un gouvernement des travailleurs!

    Le premier anniversaire du règne du président égyptien Mohammed Morsi a été marqué par des manifestations dont l’ampleur a dépassé celles qui avaient conduit à la chute du dictateur Hosni Moubarak en janvier 2011. Selon des sources des ministères de la Défense et de l’Intérieur, entre 14 et 17 millions de personnes ont manifesté dans tout le pays ce dimanche 30 juin!

    David Johnson, Socialist Party (CIO-Angleterre et Pays de Galles)

    22 millions de signatures ont été collectées pour une pétition (avec vérification ID) exigeant le départ de Morsi. Il s’agit de plus d’un quart de la population égyptienne, un nombre également supérieur aux 13,2 votes qu’il avait reçu au second tour des élections présidentielles qu’il avait remportées en 2012 ! De grandes foules de manifestants sont restées sur les places du Caire, d’Alexandrie et d’ailleurs toute la nuit durant tandis qu’une nouvelle journée de mobilisation a été convoquée pour le 3 juillet. Les locaux des Frères Musulmans ont aussi été attaqués et des manifestants ont été tués par des tirs à l’intérieur des bâtiments. Ces manifestations gigantesques représentent une nouvelle étape dans la révolution mais, tout comme nous avons pu le constater ces dernières années, l’absence d’un mouvement socialiste conséquent ouvre la voie à la récupération de cette situation par d’autres forces que celles défendant les intérêts des travailleurs et des pauvres.

    Les raisons de la colère ressentie contre le régime du gouvernement Morsi dominé par les Frères Musulmans sont nombreuses. Les conducteurs doivent faire des files de jusqu’à 7 heures pour enfin avoir de l’essence, de nombreuses régions connaissent des coupures de courant de plus de dix heures et la valeur de la Livre égyptienne a chuté de 20%, ce qui a fait augmenter les prix bien plus vite que le taux d’inflation officiel qui est maintenant de 8,2% sur base annuelle. Le chômage reste très grand alors que la croissance économique s’est ralentie avec la baisse du tourisme et des investissements étrangers. Le taux d’occupation des Hôtels est de 15% seulement au Caire et est même sous les 5% à Louxor. Seules les installations autour de la Mer Rouge sont réellement en activité.

    la politique de Moubarak se poursuit, mais la contestation ne fait que croître

    Toute la politique du dictateur déchu a été endossée par le gouvernement Morsi. Des hommes d’affaire accusés de corruption sous le régime de Moubarak ont été relaxés. La Business Development Association, fondée par un dirigeant des Frères Musulmans, Hassan Malek, réunit de proéminents capitalistes afin d’influencer la politique du gouvernement de la même manière que l’avait fait en son temps le fils de Moubarak, Gamal. De nombreuses personnes craignent de voir apparaître un nouvel Etat clientéliste sous la poigne des Frères Musulmans et sont profondément en colère contre les salaires des membres des Frères Musulmans occupant des postes publics (gouverneurs,…) ou aux postes dirigeants de la Fédération syndicale égyptienne. Des journalistes ont été physiquement attaqués pour avoir couvert des manifestations de protestation et certains d’entre eux – connus pour leurs critiques à l’encontre des Frères Musulmans – ont perdu leur emploi dans les médias publics. Des comédiens ont aussi été arrêtés pour avoir ‘‘insulté le président’’. Même les chanteurs et musiciens de l’Opéra du Caire sont entrés en grève en solidarité avec leur directeur après qu’il ait été renvoyé par le Ministre de la Culture en mai.

    Selon les données de L’International Development Centre (IDC), les protestations avaient atteint ces derniers temps un niveau continuellement élevé. Au cours de la dernière année du règne de Moubarak, la moyenne était de 176 actions de protestation par mois alors que la moyenne actuelle pour 2013 est de… 1.140 par mois ! Au total, il y a eu 9.427 actions de protestation Durant la première année du mandat présidentiel de Morsi. La moitié de ces actions étaient des protestations ouvrières, avec notamment 1013 grèves et 811 sit-in. Il y a eu 500 manifestations et 150 blocages routiers.

    Ceux qui espéraient que la chute de Moubarak allait marquer l’ouverture d’une ère de droits démocratiques en ont été pour leurs frais. Le régime de Morsi a adopté des mesures très répressives. Les travailleurs ne reçoivent pas un traitement identique à celui des hommes d’affaires qui se sont enrichis sous Moubarak… Ainsi, le Ministre de l’Aviation a encore récemment renvoyé quinze travailleurs de l’aéroport du Caire après que ces derniers aient pris part à une grève. Cinq dockers de la société Alexandria Port Containers ont été condamnés à trois ans de prison pour avoir dirigé une grève en octobre 2011. Ils sont toutefois parvenus à faire annuler cette décision en appel. Le 26 juin, Morsi avait annoncé l’adoption de nouvelles mesures destinées à faire face à la ‘‘brutalité’’ et au ‘‘terrorisme’’, notamment contre les barrages routiers. Il s’agissait là d’une menace à peine voilée contre les travailleurs entrant en action pour défendre leur niveau de vie.

    Les manifestations du 30 juin

    Un nouveau groupe, Tamarod (Rebelle), a été lancé en avril derniers par d’anciens membres de Kefaya, le groupe qui avait organisé des manifestations pour les droits démocratiques sous Moubarak. L’objectif que s’était fixé le nouveau collectif était de parvenir à réunir 15 millions de signatures sur une pétition réclamant la démission de Morsi, un objectif dépassé. Cette pétition est principalement axée sur les questions brûlantes des droits démocratiques et de la situation sociale et économique. Le texte déclare notamment qu’il n’existe aucune justice pour les victimes des forces de sécurité décédées au cours du soulèvement anti-Moubarak, que les ‘‘pauvres n’ont pas de place dans la société’’, que l’économie s’est ‘‘effondrée’’ à tel point que le gouvernement est obligé d’aller ‘‘mendier’’ auprès du FMI et que le régime de Morsi est condamné pour avoir ‘‘suivi les traces des Etats-Unis’’. En quelques semaines, cette campagne de pétition a rassemblé 6.000 volontaires et plus de 100.000 fans sur Facebook. Beaucoup de mouvements politiques d’opposition ont soutenu cette campagne, dont le Mouvement de la Jeunesse du 6 Avril, le Parti de la Constitution libéral, le Parti de l’Alliance Populaire Socialiste et le Parti Egypte Forte, fondé par l’ancienne figure de proue des Frères Musulmans Abdel-Moneim Aboul-Fotouh, qui s’était opposé à Morsi à l’occasion des élections présidentielles.

    Leur but est ‘‘d’éviter de reproduire les erreurs de la période écoulée et de poursuivre sur la voie de la révolution du 25 janvier’’, selon le co-fondateur de Tamarod, Mohamed Abdel Aziz. Les organisateurs avaient aussi déclaré avant le 30 juin qu’il ‘‘n’y aura pas de drapeaux ou de banderoles aux manifestations à l’exception de drapeaux égyptiens, de photos de martyrs, à commencer par les martyrs de la révolution du 25 janvier.’’

    Il faut un parti de masse des travailleurs

    Cette approche antiparti est à considérer comme une réflexion des déceptions éprouvées face aux dizaines de partis qui ont émergé après la chute de Moubarak. La plupart de ceux-ci se sont limités à plaider pour l’instauration d’une sorte de démocratie capitaliste tout en laissant les véritables maîtres de l’Égypte en place – les capitalistes et les généraux. L’enthousiasme des dirigeants de ces partis pour l’obtention de postes grassement rémunérés n’a pas inspiré de confiance aux travailleurs et aux pauvres.

    D’autre part, certains à gauche (comme les Revolutionnary Socialists) ont semé la confusion en soutenant en juin 2012 la candidature de Morsi contre celle d’Ahmed Shafiq, qui représentant l’aile pro-Moubarak. L’élément le plus crucial dans la situation actuelle est le développement de l’action et de l’organisation indépendantes de la classe des travailleurs et des pauvres. Ces derniers ont besoin de disposer de leur propre parti de masse pour défendre leurs intérêts et leurs droits démocratiques.

    Tamarod appelle Morsi à démissionner pour être remplacé par un Premier ministre indépendant pour une durée de six mois qui ‘‘dirigerait un gouvernement technocratique dont la mission principale serait de mettre sur pied un plan économique d’urgence afin de sauver l’économie égyptienne et de développer des politiques de justice sociale.’’ Mais ‘‘sauver l’économie (capitaliste) égyptienne’’ signifie très clairement de lancer plus d’attaques contre les travailleurs et les pauvres avec la suppression des subsides à l’alimentation et de nouvelles privatisations destinées à satisfaire le Fonds Monétaire International. Tout cela est à l’opposé des revendications qui avaient émergé en janvier 2011 et qui étaient basées sur le pain, la liberté et la justice sociale.

    Ce dont les travailleurs et les pauvres ont besoin, c’est d’un salaire minimum décent, d’une semaine de travail plus courte (sans perte de salaire et avec embauches compensatoires), d’un logement abordable et de qualité, d’un enseignement gratuit et de qualité, d’un programme de construction d’hôpitaux et d’autres infrastructures, de transports en commun gratuits,… Tout cela créerait une masse d’emplois. Ces revendications socialistes combinées à un programme de défense des droits démocratiques pourraient obtenir un soutien massif pour autant qu’elles soient défendues par un parti des travailleurs construits avec et autour des syndicalistes combatifs.

    Sans un tel programme, les dirigeants des Frères Musulmans pourront continuer à s’appuyer sur la couche conservatrice qui existe au sein des masses pauvres, surtout dans les campagnes. Tout comme Erdogan en Turquie a réussi à mobiliser un nombre important de partisans, de grandes manifestations ont eu lieu en soutien à Morsi, avec environ 100.000 personnes au Caire le 21 juin. Peu de rapports font par contre état de mobilisations en sa faveur le dimanche 30 juin. Seul un programme clairement socialiste défendant unilatéralement les intérêts des travailleurs et des pauvres tout en exposant au grand jour les intérêts capitalistes de certains dirigeants de premier plan des Frères Musulmans pourrait diviser la base de soutien du Président Morsi.

    Un coup d’Etat militaire ?

    Le général Abdul Fattah Al-Sisi, commandant en chef des forces armées et ministre de la Défense a déclaré le 23 juin que l’armée pourrait intervenir afin de prévenir le pays de sombrer dans le ‘‘sombre tunnel de la criminalité, de la trahison, des luttes sectaires et de l’effondrement des institutions d’Etat.”

    Ce que les généraux et toute la classe dirigeante craignent le plus, c’est l’action de masse indépendante de la classe ouvrière et de la jeunesse, ce qui pourrait menacer leurs intérêts. En outre, des éléments liés à l’ancien régime de Moubarak cherchent à défendre leurs intérêts propres, de même que l’impérialisme américain. Les généraux ne semblent toutefois pas encore confiants de suivre la voie d’une répression militaire directe. Pour le moment, ils tentent encore de se présenter comme des ‘‘arbitres’’ qui veulent forger un gouvernement ‘‘d’unité nationale’’.

    Certains dirigeants de Tamarod suggèrent qu’ils soutiendraient l’armée si elle voulait reprendre le pouvoir en main. Il s’agit d’une position très dangereuse, illustrée notamment par les propos tenus par Mahmoud Badr, un porte-parole de Tamarod, qui a salué la déclaration des chefs militaires en ce sens. De même, la foule réunie place Tahrir aurait applaudi en entendant ces nouvelles, en scandant ‘‘L’armée et le peuple sont main dans la main.’’

    Il semble possible que, dans les coulisses, le gouvernement américain ait changé son fusil d’épaule et décidé de plutôt considérer l’armée comme le meilleur moyen de stabiliser le pays et son économie capitaliste. Dix ministres du gouvernement ont démissionné le 1er juillet, suggérant que Morsi pourrait rester plus longtemps. Ce dernier tente d’éloigner les critiques des Frères Musulmans et accuse ses ‘‘anciens collaborateurs’’ du régime déchu de Moubarak. Le 2 juillet, il a rejeté les conditions de l’armée.

    A ce stade, la plupart des officiers supérieurs ne veulent pas prendre la responsabilité directe du gouvernement. Cependant, sans aucun doute, certains militaires et membres des forces de sécurité aspirent à reprendre le pouvoir qu’ils ont exercé pendant si longtemps sous le règne de Moubarak. Les forces armées contrôlent des pans entiers de l’économie, des officiers supérieurs ont réussi à faire fortune grâce à ce contrôle. Ils désirent disposer de la stabilité économique et politique tout autant que d’autres hommes d’affaires capitalistes afin de poursuivre à amasser de l’argent.

    Il y a dix-huit mois encore, le gouvernement militaire tirait sur les manifestants au Caire. Tout gouvernement – islamique ou laïc, civil ou militaire – basé sur la défense du système capitaliste va s’en prendre aux intérêts de la majorité des Egyptiens.

    La menace sectaire

    L’absence d’un programme capable de répondre aux besoins quotidiens des masses de la part de Tamarod ou de tout autre parti majeur laisse un vide dangereux dans lequel le poison du sectarisme pourrait exploser.

    Les chrétiens coptes se sont sentis menacés par le programme d’islamisation des Frères Musulmans et par les attaques contre des églises. Morsi et les Frères Musulmans se sont alignés sur l’Arabie saoudite réactionnaire et sur les cheikhs du Golfe et soutiennent l’opposition sunnite au régime d’Assad en Syrie. Mais il y a trois millions de musulmans chiites en Egypte. Des extrémistes religieux salafistes s’en sont pris aux chiites, un parlementaire déclarant qu’ils étaient ‘‘plus dangereux que des femmes nues’’ et constituaient une menace pour la sécurité nationale. Dans cette atmosphère sectaire, une foule de 3000 personnes a attaqué des maisons de chiites dans le village de Zawyat Abu Musulam le 23 juin. Quatre hommes avaient été traînés hors de leurs maisons pour être tués.

    Pour un gouvernement des travailleurs et une démocratie socialiste

    Les véritables socialistes et les syndicalistes peuvent construire des mouvements qui permettraient de surmonter les divisions sectaires avec un programme de solidarité de classe contre l’ennemi commun capitaliste, qu’il soit impérialiste ou égyptien.

    Les luttes de masse initiées par le début de la révolution en 2011 sont toujours en cours. De nombreux syndicats indépendants ont surgi dans tout le pays. Morsi a lui-même attiré l’attention sur les 4.900 grèves enregistrées au cours de ces 12 derniers mois. Une grève générale peut réunir tous les opprimés de la société et jouir d’un grand soutien de la part de la classe moyenne. Mais une grève générale ne doit pas servir à renverser un dictateur pour qu’il soit remplacé par un autre, qu’il soit général, homme d’affaires ou politicien capitaliste.

    Des comités de grève élus démocratiquement et des comités d’action de masse doivent être construits dans chaque grande entreprise et chaque collectivité locale pour discuter de l’élaboration d’un programme et d’un plan d’action orienté vers le renversement révolutionnaire du régime. Ils pourraient être reliés aux niveaux local et national, posant ainsi les bases d’un gouvernement de représentants des travailleurs et des pauvres.

    Un appel lancé aux travailleurs de la région pour prendre des mesures similaires contre la pauvreté, le sectarisme et la répression pourrait bénéficier d’un très large écho et aider à construire un mouvement pour le socialisme dans tout le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.

  • [DOSSIER] Turquie : Une ‘‘violence guerrière’’ pour écraser le mouvement – Leçons d’une lutte de masse

    ‘‘Violence guerrière’’, c’est ainsi que le comité ‘‘Solidarité Taksim’’, qui coordonne 127 groupes en opposition au Premier Ministre Erdogan, a décrit les actes de la police qui a pris d’assaut et nettoyé le Parc Gezi, près de la Place Taksim à Istanbul. Mais les nouvelles couches de travailleurs, de jeunes et de pauvres qui sont entrées en scène se sont promises : ‘‘ce n’est qu’un début, continuons le combat’’

    Kai Stein, CIO

    "Sur la place, un concert d’un artiste renommé était donné, avec des centaines de personnes et de familles, dans une ambiance festive. Tout à coup, la police est arrivée de toutes parts avec des canons à eau et du gaz lacrymogène’’, a raconté Martin Powell-Davis, un membre de l’exécutif du syndicat des enseignants britannique (NUT) et également du Socialist Party (section du CIO en Angleterre et au Pays de Galles et parti-frère du PSL). Il faisait partie d’une délégation de syndicalistes qui s’était rendue au Parc Gezi en solidarité. Des milliers de personnes s’étaient pacifiquement réunies dans le coeur de la ville après plus de deux semaines de manifestations.

    La police, venue de tout le pays par bus, a violemment mis fin à l’occupation pacifique qui avait commencé le 31 mai dernier. Ils ont fait usage de balles en caoutchouc, de grenades assourdissantes et de gaz lacrymogènes ; ils ont même mené des attaques dans les hôtels autour de la Place Taksim qui étaient utilisés comme hôpitaux d’urgence et comme refuges. Erdogan s’est vanté plus tard d’avoir donné l’ordre d’attaquer.

    Ce mouvement de protestation de masse avait commencé en s’opposant à un projet immobilier qui nécessitait d’abattre les arbres d’un parc pour faire place à un centre commercial et à des baraquements militaires de style ottoman. La répression qui s’est abattue sur le mouvement avait déclenché un soulèvement de centaines de milliers de personnes à travers toute la Turquie. Des manifestations ont eu lieu tous les jours, avec des occupations de places et des actions locales. Les 4 et 5 juin, le KESK, la fédération syndicale du secteur public, avait appelé à une grève du secteur public contre la violence policière. Le 16 juin, une grève avait encore été lancée contre la brutalité policière pour vider l’occupation principale à Istanbul, cette fois également soutenue par le DSIK (la fédération syndicale de gauche, qui compte plus de 300.000 membres et est l’une des 4 principales fédérations), mais aussi par bon nombre de groupes professionnels représentant les médecins, les ingénieurs et les dentistes.

    Plus de deux semaines durant, la police anti-émeute a essayé de réduire les manifestants au silence. Le 15 juin, l’association des médecins turcs a rapporté que 5 personnes avaient été tuées, 7.478 blessées, dont 4 gravement ; dix personnes avaient perdu un oeil, touchées par les grenades lacrymogènes de la police.

    Le mouvement est sur le déclin

    Cependant, malgré la forte répression et les arrestations, la résistance est toujours présente. Les gens arrivent sur les places en manifestations silencieuses. Cela illustre la forte détermination des militants et le dégoût de la violence d’État.

    Ces nouvelles brutalités peuvent redonner un nouveau souffle aux manifestations. Il est très probable qu’une nouvelle période de l’histoire sociale du pays s’ouvre sur base des conclusions à tirer du mouvement. Sosyalist Alternatif (la section du CIO en Turquie) appelle les partis et les organisations de gauche et les syndicats de gauche à organiser des débats et des discussions au sujet des forces et des faiblesses du mouvement de contestation. Cela pourrait s’effectuer à l’aide d’un congrès national organisé à Istanbul et destiné à rassembler tous les militants pour construire un mouvement socialiste capable d’offrir une alternative basée sur les intérêts des travailleurs et des pauvres au régime autoritaire d’Erdogan.

    Une nouvelle génération entre en scène

    Ces 3 semaines de manifestations ont illustré l’ampleur des modifications qui se sont produites en Turquie au cours de cette dernière décennie. La croissance économique qui a suivi l’effondrement de l’économie turque en 2001 a permis à Erdogan de renforcer son soutien et de rester au pouvoir pendant plus de dix ans ; mais il a aussi créé une nouvelle génération de travailleurs et de jeunes insatisfaits de leur vie faite d’emplois précaires, de bas salaires et de chômage. D’autre part, une nouvelle couche de la classe moyenne et de la classe des travailleurs comprend son rôle dans la société et n’accepte pas le paternalisme de cet État qui cherche à imposer ses règles jusqu’à la consommation d’alcool ou la tenue vestimentaire. Erdogan voudrait que chaque couple ait 3 enfants, ce qui a été accueilli avec un cynisme total : ‘‘Tu veux vraiment plus d’enfants comme nous ?’’ a ainsi répondu dans la presse un jeune manifestant parmi des centaines de milliers d’autres. Les femmes de la classe des travailleurs et de la classe moyenne ont également gagné en assurance. Elles n’acceptent pas les attaques d’Erdogan et du gouvernement contre le droit à l’avortement, leur interférence dans la politique familiale et les diverses obligations vestimentaires.

    Alors que les principales places étaient occupées, des batailles plus dures avaient lieu entre la police et des travailleurs – jour après jour – dans les quartiers les plus pauvres d’Istanbul, d’Ankara et de nombreuses autres villes. Bien peu d’attention médiatique y a été accordée.

    Erdogan a tenté d’accuser les manifestations d’être manipulés et téléguidés par des puissances étrangères et leurs médias (le ‘‘grand jeu’’ des ‘‘forces extérieures’’ comme il l’a dit) et des partis d’oppositions, surtout du CHP (le Parti Républicain du Peuple, kémaliste). Le régime cherche des boucs émissaires. Les déclarations d’Erdogan laissent peu de doutes sur son incompréhension totale des changements fondamentaux qui ont lieu dans la société turque.

    Pendant des décennies, la politique turque a semblé n’être que le résultat de l’affrontement de deux ailes de la classe dominante. D’un côté se trouvent les kémalistes, l’aile de la classe dominante d’idéologie laïque, très enracinée en ce moment dans la bureaucratie d’État, la justice et l’armée. Ils portent la responsabilité du coup d’État militaire de 1980 qui a littéralement écrasé la gauche. De l’autre côté se trouvent les forces islamiques soi-disant modérées autour de l’AKP d’Erdogan qui, depuis plus de 10 ans, repousse les kémalistes dans leurs retranchements. Ils ont ainsi réussi à purger la direction militaire autrefois puissante et à construire leurs propres réseaux.

    Une grande partie des manifestants ont utilisé des symboles kémalistes pour montrer leur colère, comme des drapeaux turcs et des portraits de Kemal Atatürk. Cependant, ce n’est pas par hasard si aucun des partis kamélistes n’a osé prendre la direction des manifestations. Le dirigeant du CHP, Kilicdaroglu, a appelé au calme de la même manière que le président islamiste Gül. Le parti fasciste MHP, lui aussi kaméliste, a dénoncé le mouvement de protestation en déclarant qu’il était dominé par la gauche radicale. Certains groupes, comme l’organisation de jeunesse de droite TGB, ont essayé d’intervenir, mais avec très peu de résultats.

    Mais beaucoup de gens, pour la toute première fois, se sont retrouvés à porter le drapeau turc ou la bannière de Kemal Atatürk avec à leurs côtés, à leur grande surprise, des drapeaux et symboles kurdes. Ils se sont battus ensemble, côte-à-côte. Ce sentiment extrêmement fort d’unité contre le régime a aussi été exprimé par le fait que les fans des trois clubs de foot d’Istanbul (Besiktas, Galatasaray et Fenerbahce) avaient enterré la hache de guerre pour soutenir ensemble le mouvement.

    Selon un sondage de l’université de Bilgi, 40% des manifestants avaient entre 19 et 25 ans, près de deux tiers ayant moins de 30 ans. Plus de la moitié des gens manifestaient pour la première fois, et 70% ont déclaré qu’ils ne se sentaient proches d’aucun parti politique. Cette nouvelle génération de jeunes a eu un premier avant-goût de l’État turc et de sa brutalité. Le mouvement a réuni des couches totalement différentes de la population, unies par le sentiment que ‘‘trop, c’est trop’’. Des écologistes ont initié la bataille, ensuite sont arrivés des travailleurs du secteur public menacés de privatisations, de pertes d’emplois et de diminutions de salaires. Les jeunes, aliénés par le paternalisme oppressant du gouvernement, a envahi les places. Les femmes sont descendues en rue contre les effets des multiples attaques contre leurs droits. Les Kurdes revendiquaient de leur côté un changement réel, car malgré les pourparlers officieux entre les gouvernements et le PKK (Parti des Travailleurs Kurdes), 8000 journalistes, politiciens et militants sont toujours emprisonnés. Tous se sont retrouvés sous le slogan ‘‘Tayyip istifa’’ – ‘‘Erdogan, dégage’’ qui a dominé les rues dès le début de la vague de manifestation qui a déferlé sur le pays. On a beau pu trouver des symboles réactionnaires dans les manifestations, les aspirations des gens vont bien plus loin que ce que les politiciens capitalistes kémalistes corrompus du CHP ont à proposer.

    La dynamique du mouvement

    Le vendredi 31 mai, la violence policière a transformé une manifestation écologique en soulèvement. Des manifestations spontanées ont eu lieu dans tout le pays. Chaque soir, les gens martelaient leurs casseroles et leurs poêles dans les quartiers ouvriers et les banlieues. Pendant le premier weekend, 67 villes ont connu des manifestations. Le dimanche 1er juin, la police s’est retirée de la place Taksim. Un sentiment d’euphorie s’est répandu dans le mouvement ; les gens disaient que le mouvement avait gagné. Une atmosphère festive prévalait dans les grandes places occupées, et pas seulement à Istanbul.

    Alors que la vitesse à laquelle les manifestations se sont répandues dans tout le pays et la volonté de prendre les rues chaque jour malgré la violence policière et les gaz lacrymogènes étaient enthousiasmantes, les manifestations étaient très peu coordonnées. Des comités d’action ont bien été mis sur pied, mais ils se concentraient surtout sur des questions pratiques : comment organiser les premiers secours, les soins aux blessés, la distribution de nourriture, installer les tentes, etc. Ces comités ont été développés par des groupes de gauche, mais n’ont pas donné moyen d’inclure la majorité des occupants des places et des manifestants dans les débats et les prises de décision.

    Malheureusement, nous n’avons pas vu d’assemblées du même type que celles qui ont caractérisé la contestation en Espagne ou en Grèce en 2011. Des critiques peuvent être faites sur certaines faiblesses mais, sur les places occupées par les Indignés grecs ou espagnols, les discussions collectives étaient quotidiennes, en petit groupe ou en assemblées massives, et chacun pouvait exprimer son opinion. Cela permettait le développement d’un véritable débat qui, malgré certaines faiblesses, permettait au mouvement de tirer des conclusions concernant les revendications et la stratégie requise pour la lutte.

    Sosyalist Alternatif (section du Comité pour une Internationale Ouvrière en Turquie) soutenait la nécessité de telles assemblées sur les places, dans les lieux de travail et les quartiers, villes et villages, afin de constituer des comités de représentants démocratiquement élus, révocables à tous niveaux et à tout instant. L’absence de cette direction élue et contrôlée par la base capable de coordonner la lutte dans les différentes villes et entre elles faisait justement défaut en Grèce et en Espagne.

    Sans de telles structures, le mouvement – qui s’était rapidement étendu aux 88 provinces du pays et à toutes les principales villes – a stagné et n’a pas été capable de développer une stratégie pour aller de l’avant. C’est pourquoi la stratégie d’Erdogan – avoir le mouvement à l’usure – a marché. Le mouvement s’est épuisé dans les combat quotidiens avec la police.

    Grève générale

    Les deux jours de grève de la fédération syndicale du secteur public, le KESK, les 4 et 5 juin, ont constitué une étape importante pour amener la lutte à un niveau supérieur. La classe des travailleurs organisée est potentiellement le plus grand pouvoir présent dans la société, en Turquie et ailleurs. Le KESK a appelé les autres syndicats à utiliser ce pouvoir et à rejoindre la grève. Seul le DISK, le syndicat le plus à gauche, a suivi, mais il a aussi limité son appel à quelques heures de participation symbolique à la lutte du KESK le 5 juin.

    Les syndicats ont ensuite fort peu tenté d’organiser, de coordonner et de développer la lutte. Le KESK a seulement appelé à une nouvelle grève générale le 17 juin, quand le mouvement avait déjà subi de graves revers.

    Seuls, le KESK et le DISK n’étaient pas en position d’annoncer une grève générale. Cependant, ils auraient pu offrir plus de direction de coordination au mouvement. Ils auraient pu commencer par lancer une série de grève avec leurs associés pour mettre pression sur les autres syndicats afin qu’ils rejoignent le mouvement et aident à offrir une véritable stratégie pour forcer Erdogan à se retirer. Malheureusement, cela n’a pas été le cas.

    Erdogan dégage!

    Le sixième jour de bataille contre la police, le mercredi 5 juin, ‘‘Solidarité Taksim’’ a annoncé 5 revendications principales. Cette coalition de 127 groupes basée sur la place Taksim est devenue de facto la direction du mouvement. Eyup Muhcu, le président de la chambre des architectes de Turquie, était le porte-parole de cette coupole qui, officiellement, n’avait pas de leader. Leur effort s’est concentré sur la limitation des revendications à l’arrêt de la destruction du Parc Gezi, à la condamnation des responsables de la répression policière, à l’interdiction des gaz lacrymogènes, et à la relaxe des manifestants emprisonnés.

    Pour importantes qu’elles soient, ces revendications n’étaient pas celles qui avaient su unifier le mouvement les jours précédents. ‘‘Tyyip istifa’’ (‘‘Erdogan, dégage’’), était le principal slogan scandé et il était ouvertement dirigé contre le gouvernement AKP, ses politiques et son idéologie.

    En présentant les 5 revendications comme le dénominateur commun des manifestants, la direction de cette coupole déclarait que cela était de nature à unifier le mouvement. Cependant, la direction des manifestations a échoué à montrer une perspective de mobilisation apte à faire tomber le gouvernement AKP. ‘‘Le Parc Gezi et la défense du mouvement contre la police sont des éléments importants – mais valent-ils le coup de se faire tabasser jour après jour ?’’ se sont demandés les travailleurs et les jeunes.

    En réduisant les objectifs du mouvement à ces 5 revendications, ‘‘Solidarité Taksim’’ a politiquement battu en retraite au moment où le mouvement prenait de l’élan, où la grève du KESK était encore en cours et où une recherche désespérée de stratégie avait commencé. Il s’agit d’un un tournant décisif.

    Cela a permis à Erdogan (par exemple dans les négociations avec ‘‘Solidarité Taksim’’ le 13 juin) de tout ramener aux questions environnementales liées au Parc Gezi ou à une partie de la police ayant été trop loin. Il a donc été capable de minimiser les autres questions sociales afin de diviser utilisé le mouvement entre les ‘‘bons écologistes’’ et les ‘‘terroristes’’ qui défendaient des revendications sociales plus offensives.

    Abaisser le niveau des revendications n’a pas non plus apaisé le gouvernement. La retraite du mouvement de contestation n’a fait qu’encourager l’élite dirigeante à réprimer plus encore. L’agence de presse Reuters a cité (le 15 juin) Koray Caliskan, un politologue de l’université de Bosphore, après que la Place Taksim ait déjà été vidée : ‘‘c’est incroyable. Ils avaient déjà enlevé toutes les bannières politiques et en étaient réduits à une présence symbolique sur le parc.’’ C’était le moment propice pour qu’Erdogan parte à l’offensive et nettoie le Parc Gezi de toutes ses forces.

    Le soutien d’Erdogan

    Était-il nécessaire de laisser tomber les revendications orientées vers la chute d’Erdogan étant donné qu’il disposait – et dispose encore – d’un énorme soutien, ce qu’il a illustré en rappelant que 50% des électeurs avaient voté pour lui ?

    Dans le cadre de cette épreuve de force, Erdogan a mobilisé des dizaines de milliers de personnes pour le soutenir lors d’une manifestation à Ankara le dimanche 15 juin. Le 16 juin, les manifestants ont été bloqués sur une autoroute menant à Istanbul, la police a encerclé la Place Taksim et des batailles violentes ont à nouveau opposé des dizaines de milliers de personnes à la police. En même temps, des bus mis à disposition par la municipalité d’Istanbul et l’AKP transportaient des gens à un rassemblement en faveur d’Erdogan. Plus de 200.000 de ses partisans sont venus écouter son discours pendant des heures.

    L’AKP a pu se construire un soutien sur base du rejet des anciens partis et des militaires et face à la menace constante d’un nouveau coup d’État. Les gens en avaient assez de la répression de la vieille élite kémaliste, et se sont tournés à ce moment vers Erdogan, étant donné que lui-même était considéré comme une des victimes de ces cercles réactionnaires. Mais cela n’a été possible qu’à cause de l’absence d’une force organisée et massive de la classe des travailleurs. Erdogan a un soutien et, après 10 ans de croissance économique, peut puiser dans ses réserves sociales relatives, même si la croissance économique a considérablement ralenti cette dernière année. Cependant, son succès électoral repose surtout sur la soumission forcée des médias, sur la répression et sur l’absence de toute opposition crédible et indépendante de l’establishment capitaliste.

    Le seuil électoral de 10% en Turquie – à l’origine destiné à empêcher l’entrée au parlement des partis pro-Kurdes, des partis islamistes et des scissions des anciens partis de droite kémalistes – est maintenant utilisé contre le développement de nouvelles forces. La vieille opposition est considérée comme corrompue et liée au vieux système électoral qui s’est effondré avec l’économie en 2001.

    Quand les manifestations ont commencé, les chaînes de télé turques diffusaient des émissions de cuisine, des documentaires historiques ou (dans le fameux cas de CNN Turquie) des documentaires sur les pingouins. Les quatre chaînes qui ont osé parler du mouvement sont maintenant menacées de lourdes amendes. Les autorités ont même essayé de fermer la chaîne de gauche Hayat TV. La Turquie comprend plus de journalistes emprisonnés que la Chine et l’Iran réunis ! Les droits syndicaux et les droits des travailleurs sont systématiquement violés.

    Étant donné la répression autoritaire et massive de tout mouvement de contestation, il y a toutes les raisons d’appeler à la fin de ce gouvernement et de refuser de reconnaître sa légitimité.

    Quelle alternative à Erdogan?

    Poser la question de la chute d’Erdogan et de son régime pose inévitablement celle de l’alternative à lui opposer. Les manifestants ne voulaient pas d’un retour aux affaires du CHP kémaliste. Quel pouvait donc être le résultat de la revendication de la chute d’Erdogan?

    Des comités locaux, régionaux et nationaux issus du mouvement auraient pu poser les bases d’un développement de la lutte sur ce terrain. De tels corps auraient pu constituer la base sur laquelle se serait organisé et reposé un réel gouvernement des travailleurs, des jeunes et des pauvres. D’un autre côté, il est certain que ces comités ont besoin d’une force politique qui puisse proposer cette stratégie et lutter pour qu’elle conduise à la victoire. La question clé est de construire un parti de masse de la classe des travailleurs armé d’un programme anticapitaliste socialiste.

    Le HDK/HDP (Congrès Démocratique des Peuples / Parti Démocratique des Peuples) est un pas prometteur dans cette direction. Il s’est développé à partir d’une alliance électorale des forces de gauche autour du BDP, le principal parti de gauche pro-kurde. Les organisations et partis de gauche ont besoin de s’unir aux syndicats de gauche et aux syndicalistes combatifs en intégrant de nouveaux militants et travailleurs pour développer un tel parti de classe.

    Contester Erdogan et le système sur lequel il repose

    La tâche du mouvement des travailleurs et de la gauche est aussi d’offrir une alternative politique claire à ceux qui soutiennent encore Erdogan afin de les détacher de lui.

    Le gouvernement a imposé des politiques néolibérales et profondément antisociales même quand l’économie était encore en pleine croissance. Tout en améliorant les conditions de vie du peuple à certains égards, les politiques d’Erdogan ont aussi fortement augmenté les inégalités. Son gouvernement a adopté une politique de privatisations et d’attaques contre les droits des travailleurs, en envoyant notamment systématiquement la police contre les travailleurs en grève. Seules les couches de la classe capitaliste proches de l’AKP ont été vraiment capables de profiter de la situation.

    L’AKP a tenté de s’attirer un soutien en se présentant comme le défenseur des valeurs islamiques, en s’opposant par exemple à l’alcool ou aux baisers en public et favorisant la construction d’une mosquée Place Taksim. Tout cela était destiné à détourner l’attention des questions économiques et sociales. Erdogan a voulu défendre sa position en s’appuyant sur les couches les plus conservatrices et religieuses de la société. Mais ces dernières sont elles aussi affectées par les attaques antisociales d’Erdogan.

    Le mouvement doit rejeter toute tentative d’ingérence de l’État dans les vies personnelles du peuple. En même temps, il doit mettre fin aux tentatives d’Erdogan de diviser pour régner. La lutte de masse qui s’est développée en Turquie n’est en rien un combat entre forces laïques et religieuses. Des revendications portant sur l’augmentation du salaire minimum, le droit à chacun de disposer d’un logement décent, le respect des droits démocratiques et des droits des travailleurs peuvent permettre de sérieusement éroder le soutien à Erdogan sur une base de classe.

    Quelles perspectives ?

    La croissance économique des ces dernières années a constitué un élément important du soutien à Erdogan et permet de comprendre l’origine de ses réserves sociales. Mais cela a également créé des attentes élevées et une certaine confiance en eux parmi les travailleurs et les jeunes. Cependant, l’économie turque est fragile et dépend beaucoup du capital étranger. Selon le FMI: ‘‘les besoins de financements extérieurs de la Turquie représentent à peu près 25% de son Produit Intérieur Brut.’’ Le rapport poursuit en disant que cela ‘‘va continuer à provoquer une vulnérabilité considérable.’’

    Le déficit du budgétaire actuel a augmenté d’un cinquième sur les 4 premiers mois de cette année. Le ralentissement du taux de croissance (de +8,8% en 2011 à +2,2% en 2012) est significatif et est fortement influencé par la crise européenne, l’Europe étant le principal marché du pays. En comparaison de la situation des pays européens voisins, comme la Grèce et Chypre, ou du Moyen-Orient, le sentiment de progrès économique peut toujours exister. Mais le taux de croissance n’est destiné qu’à atteindre les 3,4% en 2013 selon les prévisions du FMI, en-dessous de l’objectif de 4% du gouvernement. Ces prévisions ont été faites avant la répression des manifestations et leur effet sur la consommation intérieure et le tourisme n’ont ainsi pas été pris en compte.

    Le taux de croissance de l’année passée et les prévisions de cette année ne sont pas suffisants pour absorber la population croissante qui arrive sur le marché du travail, ce qui promet déjà de nouvelles batailles. Étant donné la fragilité du paysage économique, les probables répercutions dues à l’onde de choc de la crise européenne et la réduction de l’investissement étranger, il est certain qu’il y aura des batailles, pour les parts d’un gâteau sans cesse plus petit. Les perspectives économiques n’annoncent aucune stabilité sociale pour les prochains mois ou années, bien au contraire.

    Cadre international

    Le processus de révolution et de contre-révolution en Afrique du Nord et au Moyen Orient, les mouvements de masse contre l’austérité en Europe et le mouvement Occupy aux USA ont tous eu un effet sur la jeunesse turque. Malgré la différence considérable que constitue le fait qu’Erdogan est encore capable de mobiliser un certain soutien social, les mouvements de masse pour les droits démocratiques et sociaux apprennent les uns des autres. Le mouvement en Turquie sera également une source d’inspiration pour le Moyen-Orient et au-delà.

    Un régime de droite, présenté comme un modèle pour les autres pays sunnites, a été puissamment remis en question par le peuple. Le modèle tant vanté d’un État islamique moderne a été montré tel qu’il est : la surface d’une société en pleine tourmente.

    La Turquie est un allié de l’OTAN qui possède ses ambitions propres d’agir en tant que puissance régionale. Le bellicisme du régime turc envers la Syrie a augmenté la tension dans la région, avec toute une vague de réfugiés qui se sont enfuis en Turquie. Ceux qui ont pris part au mouvement contestataire ont souvent exprimé la peur d’être entraîné dans la guerre civile syrienne, qui est partie d’un soulèvement populaire pour aboutir à un cauchemar de guerre civile ethnique et religieuse.

    Le régime AKP a essayé d’exploiter la fragmentation de l’Irak : ils mènent des négociations avec le Nord kurde pour essayer d’établir une zone d’influence turque dans les régions kurdes. Les perspectives sont incertaines. A moins que la classe ouvrière n’intervienne avec son propre programme contre le sectarisme et le nationalisme, de nouveaux affrontements ethniques et religieux sont inévitables en Irak dans des régions comme Kirkuk. Cela aura des répercussions en Turquie.

    Alors qu’Erdogan essaie d’instrumentaliser la question kurde pour gagner en influence dans la région et se baser sur une alliance avec les dirigeants kurdes pour changer la constitution (qui lui permettrait de devenir président, avec plus de pouvoirs), il maintient des milliers de Kurdes emprisonnés pour avoir défendu les droits des Kurdes. Mais les aspirations des Kurdes d’en finir avec l’oppression vont se heurter aux objectifs d’Erdogan de faire d’eux une partie d’un nouvel empire de style ottoman dirigé par Ankara.

    La montée des tensions dans la région, qui découle de l’implication d’Israël dans la guerre civile syrienne et de la propagation de cette guerre au Liban ou en Turquie, en plus des conflits entre Israël et l’Iran avec une possible implication des USA, peuvent ébranler encore plus la stabilité de la Turquie et du régime d’Erdogan et ainsi déclencher de nouveaux mouvements et des conflits religieux ou ethniques.

    Cependant, le premier effet du soulèvement turc dans la région est d’encourager les travailleurs, les jeunes et les pauvres à retourner aux origines du processus révolutionnaire en Afrique du Nord et au Moyen Orient: l’implication active des masses elles-mêmes dans la lutte pour les revendications démocratiques et sociales.

    Toutes les sections de la société en action

    Le mouvement de contestation n’a pas seulement poussé à l’action les couches les plus basses de la classe moyenne et les enfants de la classe des travailleurs, qui ont constitué les couches les plus visibles du mouvement, en particulier dans les médias étrangers. La classe ouvrière de toutes les villes s’est durement battue contre la police. Les nouvelles couches de la classe ouvrière et des jeunes ont tout juste commencé à ressentir leur propre force et les classes moyennes urbaines, comme les architectes, les médecins et autres, ont également été présentes dans le mouvement.

    Dans le même temps, Erdogan a essayé de mobiliser la population plus rurale, ce qui pourrait se retourner contre lui plus tard. La polarisation de la société elle-même est si forte qu’elle va encourager encore la politisation d’une nouvelle génération, y compris dans les campagnes.

    Mais même au sommet de la société, des scissions et conflits sont devenus apparents. Juste au moment où Erdogan pensait être parvenu à son but de se retirer les vieux kémalistes de leurs positions stratégiques dans la bureaucratie d’Etat, de nouvelles scissions sont apparues dans ses propres rangs.

    Les plans d’Erdogan sont non seulement de se présenter à la présidentielle l’année prochaine mais aussi de changer la constitution en un système présidentiel qui lui permettrait de se maintenir au pouvoir. Mais le président sortant Gül, lui aussi de l’AKP, a proposé une stratégie nettement plus conciliante à l’égard du mouvement. Il pourrait ne pas tout simplement céder la place à Erdogan.

    Pendant les années où il a gagné en influence, le mouvement Gülen (une tendance islamique modérée basée autour du millionnaire Gülen qui vit aux USA) a soutenu Erdogan. Par exemple, ses écoles religieuses ont bénéficié de la privatisation de l’éducation, une politique mise en place par Erdogan. Mais des divergences entre Erdogan et Gülen se sont développées depuis un an et sont devenues de plus en plus visibles pendant les manifestations, ce qui a conduit les politiciens pro-Gülen à critiquer le style autoritaire d’Erdogan.

    Le gouvernement AKP se sent assez en confiance pour utiliser l’armée, ayant purgé les kémalistes. La police était ainsi accompagnée par la police militaire. Le Premier Ministre adjoint a même menacé d’utiliser l’armée pour écraser le mouvement le 17 juin. D’un autre côté, pendant le premier week-end de conflit, des soldats ont donné des masques chirurgicaux aux manifestants contre le gaz lacrymogène. Selon les médias étrangers, la police a montré une certaine hésitation, un mécontentement et de l’indignation face à la manière dont était traité le mouvement.

    Derrière ce mouvement se trouvent les premiers signes d’un processus révolutionnaire : toutes les classes et forces de la société commencent à s’engager activement dans le destin du pays. Même s’il y a une pause avant la prochaine phase de la lutte, le processus qui a commencé est profond.

    Malgré la défaite temporaire, les travailleurs se sentiront encouragés à défendre leurs revendications et à entrer en lutte. Le tout puissant Erdogan peut avoir finalement gagné, mais ses yeux au beurre noir reçus de la part du mouvement montrent qu’il n’est pas invincible.

    Un grand débat a commencé sur la manière dont devrait fonctionner la société. Les gens sont poussés dans le débat politique par une énorme polarisation. Les anciens partis des kémalistes sont incapables de donner une expression à la colère et aux aspirations de la nouvelle génération, et les nouvelles générations le savent. Tant qu’une alternative de masse n’est pas construite, les classes moyennes et les travailleurs peuvent encore voter pour eux. Cependant, il y aura des tentatives de construire de nouveaux partis de lutte. Le HDK pourrait donner la bonne voie à suivre s’il parvient à pénétrer profondément dans la classe ouvrière turque. Les travailleurs et les jeunes ont besoin de forces de gauche. Les idées marxistes sont nécessaires dans ce processus de construction d’un parti de masse, enraciné dans la classe ouvrière, pour montrer comment sortir du cauchemar du capitalisme et de la répression.

    Une nouvelle couche de jeunes est entrée en scène. Elle va y rester et changer la Turquie. Comme le dit un des slogans les plus scandés dans les rues d’Istanbul et d’Ankara : ‘‘Ce n’est qu’un début – continuons le combat.’’

    Revendications de Sosyalist Alternatif (CIO-Turquie):

    Pleins droits démocratiques

    • Libération immédiate de tous les manifestants emprisonnés
    • Pour une commission indépendante composée de représentants des syndicats et du mouvement pour enquêter sur la violence policière
    • Libération de tous les prisonniers politiques
    • Pleins droits démocratiques dont le droit de manifester, de se rassembler, de former des partis et des syndicats
    • Mobilisation totale des travailleurs contre l’intervention de l’armée ; pleins droits démocratiques dont le droit pour la police et les soldats de former des syndicats
    • Abolition de toutes les lois anti-terroristes et des tribunaux spéciaux et de toutes les lois répressives et réactionnaires introduites par le gouvernement AKP ces dernières années
    • Non à la censure, pour des médias libres – fin de la répression contre les journalistes, les bloggers, les chaînes de télé et sur tweeter, non à la fermeture de Hayat TV
    • Libertés et droits de pratiquer ou non toute religion, fin du paternalisme d’État, et de toutes tentatives de diviser pour mieux régner. Pour les droits démocratiques de tous de vivre leurs vies comme ils l’entendent.
    • Non à la répression des Kurdes, droits égaux pour tous dont la reconnaissance des minorités et des droits des minorités. Droits à l’auto-détermination dont celui de former un État indépendant.
    • Les troupes étrangères hors de Syrie, non à l’intervention militaire de la Turquie et des puissances impérialistes dans la région.
    • Pour une assemblée constituante de représentants démocratiquement élus sur les lieux de travail, dans les quartiers, les villes et les villages afin de garantir les pleins droits démocratiques et la sécurité sociales à l’ensemble de la population

    Emplois, salaires décents, sécurité sociale

    • Finissons-en avec l’enrichissement de l’élite, avec les projets de construction sur la place Taksim et tous les projets basés sur la logique du profit
    • Non aux privatisations, renationalisation des sociétés privatisées
    • Non aux attaques contre les travailleurs du secteur public
    • Pour une augmentation significative du salaire minimum
    • Des logements et conditions de vie décents pour tous
    • Nationalisation des banques et des entreprises qui dominent l’économie sous le contrôle et la gestion des travailleurs
    • Pour une planification démocratique et socialiste de l’organisation et du développement de l’économie dans l’intérêt des travailleurs et des pauvres sans s’attaquer à l’environnement
    • Pour un gouvernement des travailleurs, des jeunes et des pauvres, agissant en fonction des intérêts de ces derniers
    • Pour une riposte internationale contre l’exploitation, l’oppression et le capitalisme. Pour une démocratie socialiste, une confédération socialiste des États du Moyen-Orient et de l’Europe sur base volontaire et égale.
  • Environnement. Pénurie énergétique et changement climatique : Il faut une planification socialiste pour les énergies alternatives

    Un spectre hante le monde – le spectre du changement climatique irréversible. Mais en même temps, le monde est saisi d’une soif désespérée d’énergie. Chaque année, nous générons et utilisons de plus en plus, produisons de nouveaux produits, tandis que les habitants des pays riches sont persuadés de jeter leurs vieux produits. Au Royaume-Uni, la consommation d’énergie est restée à peu près constante pendant les 30 dernières années, parce que presque tous nos biens de consommation sont importés. L’énergie qui est nécessaire à la fabrication de ces produits, par exemple, en Chine, est une des raisons pour lesquelles la demande en énergie s’est tellement accrue. Mais la demande en énergie n’est pas simplement un besoin de l’“Occident avide”.

    Par Geoff Jones, Socialist Party of England and Wales (CIO-Angleterre et Pays de Galles)

    Au fur et à mesure que les travailleurs des pays en voie de développement s’organise et obtiennent le droit à la parole, ils demandent eux aussi le droit de pouvoir posséder tous ces biens que nous tenons pour indispensables à la vie : des frigos, des lampes électriques, des radiateurs ou climatiseurs.

    La construction de routes, de chemins de fer, de logements décents, tout cela demande de l’énergie, même si de nouvelles technologies permettent aujourd’hui de ralentir la croissance de cette demande – par exemple, l’utilisation de téléphones portables nous épargne la nécessité de mettre en place un réseau de câbles téléphoniques ; les ampoules LED consomment beaucoup moins que les ampoules incandescentes traditionnelles.

    La concentration de dioxyde de carbone et autres gaz à “effet de serre” dans l’atmosphère terrestre augmente de plus en plus. Cette augmentation de leur concentration va mener à une hausse de la température mondiale, dont les conséquences pourraient être catastrophiques pour l’humanité. 87 % de notre énergie dans le monde est produite en brulant des carburants fossiles non-renouvelables – essentiellement le pétrole, le gaz et le charbon –, ce qui génère du dioxyde de carbone.

    Au Royaume-Uni, la proportion est presque la même, bien que le gouvernement Con-Dem se soit engagé à ce que 15 % (à peine) de notre énergie provienne de sources d’énergie renouvelables d’ici 2020. Une telle politique qui finalement ne mène à aucun changement, ne peut que nous conduire à la catastrophe.

    Les sources d’énergie aujourd’hui

    Aujourd’hui, la plupart de notre énergie est produite par de grosses multinationales dont le seul but est une offre sur le court terme et de super profits.

    Pour extraire le pétrole, ils passent des contrats avec les seigneurs féodaux du Moyen-Orient, et ils transforment des terres agricoles en déserts pollués. Ce n’est que lorsque la pollution causée par l’extraction du pétrole apparait plus proche de chez eux, comme on l’a vu avec la catastrophe du golfe du Mexique, que les multinationales pétrolières (essentiellement américaines) affichent un tant soit peu de repentir – mais ça ne dure jamais qu’un bref moment.

    Cela fait une génération que l’offre mondiale de pétrole est dominée par les dictatures du golfe Persique. L’Arabie saoudite produit ainsi à elle seul le dixième des exportations de pétrole. Cherchant désespérément d’autres sources, les compagnies pétrolières bâtissent des plate-formes pétrolières en haute mer qui forent de plus en plus profond et dans des zones de plus en plus dangereuses.

    L’ironie suprême est que le réchauffement climatique lui-même cause la fonte des glaces polaires, ce qui ouvre tout d’un coup l’accès aux immenses gisements de pétrole et de gaz de l’Arctique, ce qui ne peut avoir pour conséquence qu’une hausse encore plus catastrophique de la température mondiale.

    L’exploitation à ciel ouvert des sables bitumineux du nord du Canada, qui est un procédé extrêmement polluant et inefficace, fournit malgré tout 20 % des importations de pétrole américaines. À présent, il y a un projet de démarrer une exploitation qui créera dans le nord du Canada un désert toxique de la taille de l’Arabie saoudite, qui amènera ensuite le pétrole sur la côte Pacifique à l’ouest afin qu’il puisse y être acheminé vers la Chine. Ce projet a déjà provoqué de nombreuses manifestations.

    Certains “biocarburants” sont une source alternative d’énergie, mais leur culture implique la destruction d’immenses superficies de forêt tropicale en Amérique latine et la reconversion de terrains aux États-Unis et ailleurs uniquement pour la production de maïs, à fins de biocarburant. Toutes ces terres pourraient à la place être employées pour cultiver des vivriers.

    Après le pétrole, le gaz naturel est la deuxième plus grande source d’énergie du Royaume-Uni ; dans le monde, ce combustible est troisième derrière le charbon et le pétrole. Dans les années ’80 et ’90, les Tories ont utilisé les champs de gaz de la mer du Nord pour restaurer leur économie capitaliste en faillite. À présent ces gisements sont presque épuisés. En 2011, les importations de gaz ont excédé la production nationale pour la première fois.

    Dans le reste du monde, la production continue de s’accroitre, mais les réserves ne sont évidemment pas inépuisables. En outre, rien ne permet d’empêcher les exportateurs d’augmenter leurs prix sans prévenir (comme l’Opep, Organisation des pays exportateurs de pétrole, l’avait fait en 1973 en décidant subitement une hausse de +70 %), ou d’éviter de couper totalement leurs fournitures énergétiques, comme la Russie l’a fait subir à l’Ukraine en 2009 en coupant le “robinet à gaz”.

    La nouvelle panacée serait à présent la “fracturation hydraulique” – un forage profond dans les couches de schiste géologiques pour en extraire du gaz. Au Royaume-Uni, les ministres Con-Dem ont sauté sur cette occasion pour permettre aux firmes privées de foncer sur ce nouveau créneau, même après qu’une première expérience ait déclenché des séismes mineurs et ait révélé un véritable risque de pollution des eaux souterraines.

    Les Tories parlent de gaz “bon marché”, mais le gaz qui sera ainsi produit sera vendu sur le marché mondial ; donc son prix sera aligné sur le prix mondial. De toute manière, un récent rapport indique que le cout de l’extraction par fracturation hydraulique serait plus élevé que le prix mondial actuel du gaz.

    Enfin, il y a le charbon. La Chine est le plus grand producteur de charbon mondial. Elle extrait trois fois plus de charbon que les États-Unis et six fois plus que l’Inde, qui sont les deux autres plus grands producteurs mondiaux. Depuis que les Tories ont détruit l’industrie charbonnière britannique dans les années ’80, le Royaume-Uni est contraint d’importer deux fois plus de charbon que ce qu’il en produit.

    À l’échelle mondiale, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) prédit, sur base des tendances actuelles, que le charbon sera la plus grande source d’énergie mondiale d’ici 2020, et que si cette tendance continue, le climat mondial connaitrait une hausse de température de 6°C d’ici 2100.

    L’énergie nucléaire, qui était généralement considérée il y a 50 ans comme une source d’énergie bon marché et non-polluante, a depuis longtemps perdu de son aura. Les réacteurs nucléaires, utilisant des systèmes conçus pour produire des armes nucléaires, laissent derrière eux des montagnes de déchets radioactifs hautement dangereux.

    Au centre de traitement des déchets nucléaires de Sellafield, en Angleterre, le stock de déchets radioactifs est égal en volume à 27 piscines olympiques, et les autorités n’ont aucune idée de quoi faire avec ! (ce serait déjà bien s’ils savaient où se trouve l’ensemble des déchets). On pourrait construire des systèmes qui produisent moins de produits dangereux mais, à nouveau, les gouvernements et les entreprises privées ne sont pas désireux de financer les investissements sur le long terme que cela implique.

    Pendant ce temps, la possibilité de systèmes efficaces et non-polluants tels que la fusion nucléaire (plutôt que la fission) semble n’avoir été qu’un mirage, qui s’éloigne au fur et à mesure qu’il parait plus proche.

    La capture du carbone ?

    Le charbon, le pétrole et le gaz requièrent des procédés de plus en plus chers, dangereux et polluants pour leur extraction, tout en continuant à relâcher de plus en plus de gaz à effet de serre. Les émissions mondiales de dioxyde de carbone sont passées de 20 gigatonnes par an en 1990 à près de 30 gigatonnes par an aujourd’hui. Neuf gigatonnes sont produits par les seules centrales électriques au charbon.

    Le changement climatique ne peut plus être empêché, mais il pourrait être ralenti en capturant une partie du dioxyde de carbone émis et en le stockant quelque part. Mais cela voudrait dire un investissement considérable dans la recherche afin de développer des systèmes adéquats ; cela couterait de l’argent et nuirait aux bénéfices des compagnies énergétiques. Les gouvernements parlent de la nécessité de capturer et stocker le carbone, mais il faut beaucoup plus de recherches ; aussi, le nombre d’installations à capture du carbone actuellement opérationnelles est minuscule si on le compare à l’ampleur du problème.

    Il y avait dans le monde en 2011 seize installations à grande échelle de capture du carbone, qui toutes ensemble ne capturaient qu’un millième du carbone généré à l’échelle mondiale. Il est prévu d’en construire plus (surtout en Chine), mais dans de nombreux cas, les investissements gouvernementaux se font longtemps attendre.

    Au Royaume-Uni par exemple, l’installation de capture de carbone de Longannet, qui devait capturer environ 1,5 mégatonnes de carbone par an, n’a finalement jamais vu le jour, parce que les propriétaires espagnols de Scottish Power et le gouvernement Con-Dem ne sont pas parvenus à se mettre d’accord sur le financement du projet.

    Bien que Ed Davey, secrétaire d’État à l’énergie Con-Dem, aime discourir à longueur de temps sur les “formidables opportunités” qui se présentent dans l’industrie de la capture de carbone, il n’y a en ce moment que très peu de recherches effectuées, et aucune installation de capture de carbone à grande échelle n’existe au Royaume-Uni.

    Il existe une alternative

    Il existe pourtant une alternative à l’accroissement indéfini de l’utilisation de carburants fossiles. En fait, en novembre 2009 déjà, dans un article paru dans la célèbre revue américaine Scientific American, on démontrait que simplement en utilisant la technologie dont nous disposons déjà à l’heure actuelle, il serait possible de satisfaire toute la demande mondiale en énergie, en utilisant des sources d’énergie renouvelables et non-polluantes. Quelles sont ces sources ? Essentiellement les énergies solaire, éolienne, et hydraulique.

    L’énergie solaire, générée par des panneaux photovoltaïques, est déjà familière. On la voit un peu partout, sur les calculatrices de poche et sur les toits des maisons. La baisse de cout extrêmement rapide des matériaux nécessaires pour la fabrication des panneaux photovoltaïques rend aujourd’hui possible et compétitive la génération d’énergie solaire à une échelle industrielle.

    En Californie par exemple, près de 2 gigawatts d’énergie solaire ont été installés. Cela est d’une part réalisé par des “fermes solaires”, champs de panneaux solaires à grande échelle, et d’autre part, par les nombreuses installations sur les toits des maisons et des entreprises, qui subviennent ainsi à leurs propres besoins.

    Cette “génération d’énergie distribuée” a aussi le grand avantage de fortement diminuer le cout du transport de l’électricité. De tels plans ont été adoptés en Allemagne, et c’était également un des objectifs du dernier gouvernement britannique, qui voulait créer une “taxation adaptée” afin d’encourager les firmes solaires britanniques (mais ce plan est passé à la trappe sitôt les Con-Dem au pouvoir).

    Bien sûr, la Californie est un cas particulier, vu qu’elle jouit d’un climat idéal, et de centaines d’hectares de désert ; mais l’idée des fermes solaires est reprise sur d’autres continents. Au Ghana par example, un projet d’installation solaire devrait fournir 155 mégawatts – 6 % de la demande énergétique ghanéenne.

    Aussi, un immense projet appelé “Desertec”, vise à satisfaire 15 % de la demande énergétique européenne à partir de fermes solaires en Afrique du Nord, acheminée par des câbles sous la Méditerranée. Mais ce projet rencontre beaucoup de critiques. Au premier rang, les Africains qui se demandent pourquoi ils devraient envoyer toute cette électricité en Europe, quand eux-mêmes en ont tellement besoin. Mais il reste tout de même que ce projet démontre que la génération d’énergie solaire à grande échelle est possible.

    L’énergie éolienne est devenue la source d’énergie renouvelable la plus diabolisée. Mis à part les mythes selon lesquels les champs éoliens en haute mer terroriseraient les dauphins et tueraient les oiseaux migrateurs, l’énergie éolienne est souvent décrite comme inefficace et chère. En réalité, tout cela est faux.

    Une récente étude effectuée par un groupe de recherche très respecté, Cambridge Econometrics, a démontré qu’il est possible d’installer des turbines éoliennes en haute mer qui satisferaient à un quart de la demande énergétique britannique à un cout modique, à peine plus que le cout équivalent d’utilisation de gaz équivalent, tout en créant des dizaines de milliers d’emplois dans le secteur de la construction.

    Il faut, il est vrai, des systèmes de stockage de l’énergie pour s’assurer de la fourniture au cas où il n’y a ni vent, ni soleil, mais cela peut être fait.

    On entend aussi l’argument comme quoi le régime des vents n’est pas fiable. Moins que les oligarques russes et les sultans arabes ?

    L’énergie hydraulique, qui utilise des turbines actionnées par l’eau stockée dans de grands réservoirs (lacs de barrage), est la plus ancienne forme d’énergie renouvelable.

    Aux États-Unis dans les années ’30, l’Autorité de la vallée du Tennessee a été instituée en tant qu’agence fédérale hydraulique – suscitant une vive critique de la part des compagnies énergétiques – afin de fournir des emplois et une électricité à bon marché grâce à un réseau d’immenses barrages. En Chine, le barrage des Trois Gorges, qui traverse le fleuve Yangtzi, devrait fournir 22,5 gigawatt. Mais ce barrage a déplacé 1,3 millions d’habitants, et causé de graves dégâts écologiques.

    D’un autre côté, l’énergie océanique et marémotrice est une immense ressource mais qui est complètement négligée, surtout si on parle d’une nation insulaire telle que le Royaume-Uni.

    En Europe, il n’existe qu’une seule installation marémotrice à grande échelle, celle de l’estuaire de la Rance, en France, qui fonctionne depuis 1966, et génère 240 mW. Mais des projets grandioses tels que celui du barrage maritime de l’estuaire du Severn, censé produire 5 % des besoins énergétiques britanniques, ne sont sans doute pas la meilleure option. Une majorité de l’industrie de la construction pourrait se voir engagée dans ce projet pendant des années, et il pourrait avoir des conséquences environnementales imprévisibles. D’un autre côté, un réseau de générateurs marémoteurs tel que proposé par l’ONG Friends of the Earth, produirait tout autant d’énergie pour beaucoup moins de dégâts écologiques.

    Enfin, le développement de générateurs utilisant l’énergie des vagues (ou houlomotrice) est complètement ignorée par le gouvernement et par les entreprises énergétiques.

    En fait, dans l’ensemble, très peu d’intérêt est affiché par les gouvernements et les multinationales de l’énergie partout dans le monde pour le développement de systèmes non-polluants.

    Bien que la recherche dans de nouvelles technologies encore inconnues puisse offrir des solutions encore plus efficaces dans le futur, et devrait d’ailleurs être financée comme il le faut, il est urgent de s’occuper de ce problème aujourd’hui et maintenant. Au Royaume-Uni, la dépendance obsessive de la part du New Labour et des Tories sur l’industrie privée nous mène droit au pire.

    D’un côté, il faut absolument fermer les centrales électriques au charbon qui vomissent des tonnes de dioxyde de carbone dans l’air, d’autant plus étant donné leur âge, vu que que les firmes énergétiques refusent d’investir dans de nouveaux générateurs qui seraient un peu plus propres.

    D’un autre côté, nous voyons que les gouvernements ont toujours échoué à maintenir le moindre engagement envers la production d’énergie non-polluante et les économies d’énergie. Ils espèrent pouvoir se baser sur des centrales au gaz, en important du gaze ou en utilisant des procédés polluants et potentiellement très dangereux tels que la fracturation hydraulique.

    Quoi qu’il en soit, le prix des combustibles va inévitablement s’accroitre, ce qui veut dire que de plus en plus de gens seront poussés dans la misère de ce fait. Et le chef de l’office de régulation de l’industrie, Ofgen, nous a déjà prédit que dans quelques années, le Royaume-Uni connaitra sans doute des délestages, ce que nous n’avons jamais vu dans le pays depuis la grève des mineurs de 1974.

    Que doivent faire les marxistes?

    Tout d’abord, nous ne devons pas accorder la moindre confiance au système capitaliste pour nous sortir de la catastrophe qui arrive à grands pas.

    Au Royaume-Uni, nous devons réclamer :

    • La fin immédiate des essais de fracturation hydraulique.
    • La renationalisation du secteur de la production et de la distribution d’énergie, afin de permettre la mise en place d’un plan de capture de carbone, et de nous sortir de l’utilisation de combustibles fossiles aussi rapidement que possible.
    • Une reconversion à très grande échelle de l’industrie de la “défense” vers la production de générateurs éoliens et solaires, en nationalisant les grandes compagnies énergétiques quand cela est nécessaire, sans compensation sauf sur base de besoins prouvés.
    • Un programme national d’expansion de la “génération énergétique distribuée” sur chaque nouveau bâtiment construit : à chaque logement et chaque entreprise ses panneaux solaires.
    • Une expansion massive du système de transport public, en particulier des chemins de fer, afin de réduire la pollution par les véhicules qui circulent sur les routes.
    • Un plan massif et public de recherche et de développement dans les systèmes de génération d’énergie marémotrice et houlomotrice.

    Dans le monde :

    • Les organisations des travailleurs, des peuples indigènes et des militants écologistes doivent s’opposer à tous les plans de développements désastreux tels que l’extraction des sables bitumineux et les plantations de cultures à “biocarburants”.
    • Il faut soutenir la lutte des peuples des pays à basse altitude, en particulier d’Asie du Sud-Est et du Pacifique, qui seront contraints à la migration et à l’appauvrissement national à cause de la hausse du niveau de la mer et du changement climatique.
    • Il faut se battre pour un plan énergétique international afin de satisfaire aux besoins de l’humanité en utilisant uniquement les énergies renouvelables.
  • Égypte : Le gouvernement des Frères musulmans confronté à l'opposition populaire

    Aucune confiance dans l’une ou l’autre faction politique capitaliste ! Pour une lutte de masse pour les revendications des travailleurs !

    En Egypte, le début de l’année 2013 a été marqué par une vague de manifestations populaires de masse contre le président Morsi et son gouvernement des Frères musulmans. Les plus importants soulèvements ont eu lieu non au Caire, mais dans des villes du delta du Nil et le long du canal de Suez. Ces régions ont été négligées pendant des années et donc ont connu une nouvelle vague de luttes contre la misère, la répression étatique et dans certains cas, contre le nouveau régime lui-même. Notre camarade Georg Maier, qui a récemment visité le Caire, analyse ici la crise politique, sociale et économique qui vit en Égypte.

    Par Georg Maier, Sozialistische LinksPartei (SLP, CIO-Autriche)

    Impasse économique

    Le chômage a constamment augmenté au cours de ces derniers mois. Les prix de la plupart des marchandises, surtout des produits de base, ont également augmenté. Le régime tente d’arranger un emprunt de 4,8 milliards de dollars auprès du FMI afin d’accroitre ses réserves en monnaie étrangère, qui s’élèvent aujourd’hui à 13,6 milliards de dollars (comparé à 36 milliards en 2011).

    Le régime a produit une liste de 100 “produits de luxe non-nécessaires” (y compris par exemple, des “luxes” tels que les noix !), sur lesquels il y aura des restrictions à l’importation. On constate avec intérêt que le gaz lacrymogène ne semble par contre pas être un produit de luxe, puisque le gouvernement en a récemment acheté une quantité équivalente à 2,5 millions de dollars auprès d’une entreprise américaine. Tout cela a déclenché des manifestations de mécontentement, même parmi les membres des Frères Musulmans (dont beaucoup de commerçants qui forment la base des Frères musulmans, et qui souffrent en ce moment des restrictions à l’importation), ce qui a encore plus sapé l’autorité du régime aux yeux de beaucoup de personnes.

    Si le FMI accepte cette nouvelle demande d’emprunt, cela sera évidemment avec les conditions du FMI. Celles-ci visent en général la réduction des subsides. On a déjà vu la coupe des subsides des prix du gaz et de certains produits pétroliers, qui ont déclenché des manifestations dans le delta du Nil, accompagnées de barrages routiers et sur les lignes de chemin de fer. On s’attend à ce que l’effet le plus dévastateur de ces coupes soit l’impact sur le prix du pain. Le pain subsidié coûte en ce moment 5 piastres dans la plupart des boulangeries. Or, la rumeur et les discussions mentionnent le fait que le prix pourrait tout d’un coup se rehausser à 25 piastres ! Déjà des gens parlent d’une possible “révolte du pain”, ou, comme certains l’ont appelée, d’une “intifada du pain”. Les médias ont fait état d’émeutes au cours desquelles des supermarchés et des boulangeries auraient été vandalisées.

    L’industrie du tourisme (qui employait naguère à peu près 12 % de la main d’œuvre du pays) est soumise à une très grande pression, et ceux qui autrefois vivaient de la vente de services ou marchandises aux touristes connaissent maintenant beaucoup de difficultés.

    Les Frères musulmans en perte de soutien

    Il y a un sentiment largement répandu selon lequel le parti au pouvoir n’est pas mieux que l’ancien régime Moubarak. Le vieux système de népotisme a été à son tour adopté par les Frères musulmans – suscitant la colère du peuple. Avec le “rattrapage” opéré par les Frères musulmans, des dizaines de milliers de sympathisants des Frères musulmans reçoivent un poste dans la fonction publique, les membres du parti sont promus plus rapidement, et les contrats publics sont attribués de gré à gré à des entreprises appartenant aux membres du parti. Même en zone rurale, où le soutien en faveur des Frères musulmans lors des dernières élections était particulièrement élevé, cela a causé des manifestations massives contre les autorités régionales, y compris l’incendie du QG des Frères musulmans dans plusieurs villes provinciales.

    Par exemple, à Kafr el-Cheik, ville de 150.000 habitants dans le delta du Nil, complètement négligée par le gouvernement central depuis des décennies, le gouverneur a publiquement déclaré ceci : ‘‘Je soutiens la “frère-musulmanisation” du pays, parce que c’est ça, la démocratie.’’ Alors qu’au même moment, le président Morsi et de hauts cadres gouvernementaux du Parti pour la liberté et la justice (le parti des Frères musulmans) nient l’existence de ce rattrapage.

    La situation économique désespérée a causé à Kafr el-Cheik l’immolation d’un jeune chômeur, à qui les autorités avaient conseillé d’aller cirer des chaussures dans la rue ou d’aller demander l’aumône auprès d’une association caritative. Ce suicide a déclenché des manifestations dans cette ville normalement calme et conservatrice, connue uniquement pour être la ville natale de Mohammed Atta, un des terroristes qui ont causé l’attentat du 11 septembre 2001 aux États-Unis. Des milliers de gens ont marché sur le bureau du gouvernement pour réclamer des droits sociaux et la chute du régime.

    Le président Morsi et les Frères musulmans ne cessent de perdre du soutien. Ils ont été élus sur base de leur promesses de démocratie et de justice sociale, mais ne peuvent ni ne veulent mettre en place la moindre amélioration. Les gens sont de plus en plus scandalisés, et de plus en plus de gens réclament le départ du gouvernement précisément dans ces circonscriptions qui ont voté des candidats Frères musulmans au parlement lors des élections de 2011-2012. Au cours des élections syndicales aussi, les Frères musulmans sont en net recul depuis plusieurs mois. Dans le syndicat des vétérinaires, qui était traditionnellement sous contrôle des Frères musulmans tout au long de l’ère Moubarak, ceux-ci ont été entièrement chassés de la direction du syndicat lors des dernières élections en son sein.

    Une nouvelle vague de révoltes

    La lutte la plus importante de celles qui se déroulent en ce moment à été la révolte à Port-Saïd, ville portuaire à l’extrémité nord du canal de Suez. Durant des semaines, la ville a été quotidiennement ébranlée par des manifestations et a connu de ce fait un état de grève générale virtuel. La police a été battue et contrainte de quitter la ville. À la place, les citoyens ont mis en place une “police populaire”. Lorsque la police est revenue début mars, elle n’a été capable de se réinstaller qu’avec la “protection” de l’armée. Cela reflète le changement de rôle au sein des structures étatiques, et pourrait indiquer un rôle renouvelé et plus actif pour l’armée (voir plus bas).

    La lutte de Port-Saïd est à un très haut niveau de confrontation avec l’État capitaliste et de remise en question de son rôle. Mais il y a aussi certainement des caractéristiques “spéciales” de cette lutte, qui reflètent l’incertitude sur le plan politique et le manque d’une réelle perspective pour la lutte des travailleurs et des masses pauvres. Une revendication centrale, qui représente surtout les intérêts des capitalistes et des commerçants locaux, est la réouverture de la zone franche du port. Il semble que cette revendication ait été reprise par certains jeunes et travailleurs. La deuxième caractéristique “spéciale”, qui vit surtout parmi les jeunes actifs dans la lutte, est la revendication de la libération des martyrs de la répression policière de même que des supporters de l’équipe de foot du al-Masry Club qui ont été condamnés à mort à la suite du massacre de bon nombre de supporters d’al-Ahly. Cette revendication isole du coup le mouvement du Caire, où la plupart des supporters d’al-Ahly demandent au contraire une plus forte condamnation des auteurs. Mais ce sont les forces de sécurité responsables du massacre qui devraient être jugées. Une enquête indépendante et démocratique accomplie par les supporters des deux camps et par les syndicats devrait être organisée afin de déterminer ce qu’il s’est réellement produit ce jour-là. Les véritables criminels sont les cadres du gouvernement qui désiraient prendre leur revanche sur les al-Ahly Ultras pour leur rôle héroïque pendant et depuis la révolution, c’est eux qui devraient répondre à la justice.

    À ces deux revendications, les travailleurs ont ajouté leurs revendications économiques (de meilleurs salaires, etc.). Mais, face à la répression policière et à la mauvaise volonté du régime qui refuse la moindre concession (au moins tant que le mouvement en reste à ce stade), la plus importante revendication développée par le mouvement est celle de la chute du régime et de la fin du règne des Frères musulmans. Le gouvernement a peur que le mouvement ne se répande. Des mouvements similaires sont déjà nés (bien que d’une moindre ampleur) dans d’autres villes du canal et du delta, comme à Suez, à Ismaïlia, à Mansourah, et à el-Mahallah.

    L’appareil d’État

    Toutes ces révoltes et manifestations représentent une réelle menace pour l’élite dirigeante – la nouvelle comme l’ancienne. Il est possible, comme cela est largement discuté parmi la population, que le Conseil suprême des forces armées (CSFA) prenne le pouvoir, comme il l’a fait après la chute de Hosni Moubarak en 2011. De plus en plus de gens, partisans de l’ancien régime, grands commerçants et entrepreneurs, qui aimeraient voir une “main forte” diriger le pays. Il y a des manifestations dans les quartiers riches du Caire pour demander le retour au pouvoir du CSFA.

    L’intervention de l’armée à Port-Saïd, où elle a affirmé ne jouer qu’un rôle “neutre”, sans attaquer directement les manifestants, tout en protégeant les institutions publiques, est censé nous rappeler du rôle qu’a joué le CSFA en février 2011. Confronté à une détermination et à une confiance accrue de la part des manifestations de masse qui se déroulaient à l’époque, le CSAF n’était pas certain que les simples soldats obéissent à l’ordre de tirer, c’est pourquoi l’ordre n’a pas été donné. L’armée n’a pas attaqué les manifestants, mais en même elle s’est assurée que le mouvement n’échappe pas à tout contrôle et ne renverse les fondations mêmes du capitalisme égyptien et de son État.

    Il semble aussi y avoir des fractures au sein de la police. Des milliers de policiers sont en ce moment en grève indéterminée afin d’exiger de ‘‘ne pas se retrouver impliqués dans le conflit politique entre le gouvernement et l’opposition’’, comme l’a déclaré dans les médias un colonel de police, qui a également revendiqué la démission du ministre de l’Intérieur, Mohammed Ibrahim. Cela alors que le gouvernement s’efforce de renforcer la police et sa capacité à disperser les manifestations. Depuis la mi-février, les simples agents de police ont le droit de porter des pistolets et des munitions (auparavant, le port d’armes était réservé aux officiers et à certaines forces spéciales). L’appareil d’État de manière générale fait toutes sortes d’efforts dans le but de pouvoir dans les faits réprimer l’opposition et les révoltes. Le parti d’extrême-droite salafiste Gamaad al-Islamiya est lui aussi en train de mettre en place des “comités de citoyens” (dans les faits, des milices islamistes) afin d’attaquer les manifestations.

    Toutes ces évolutions sont dangereuses pour le mouvement ouvrier et pour la gauche. Confronté à la répression policière, aux miliciens pro-gouvernementaux et aux groupes islamistes de droite, le mouvement ouvrier doit développer une stratégie claire afin de se défendre. On a vu récemment dans les manifestations l’apparition d’un “Black Block” (“Bloc noir”), groupe assez désorganisé de jeunes portants des masques noirs afin de se battre avec la police et les miliciens. Bien qu’un tel développement soit compréhensible, l’existence d’un tel mouvement est utilisée comme prétexte par le gouvernement pour attaquer les manifestants et au final, le Bloc s’est avéré impuissant à protéger les manifestations de manière adéquate.

    Ce qui est nécessaire est la mise en place de comités d’auto-défense organisés démocratiquement, basés dans les quartiers populaires et dans les usines. Il nous faut des structures démocratiques afin de protéger de manière efficace le mouvement ouvrier contre toutes les attaques. Les luttes doivent être articulées en un programme révolutionnaire clair, qui s’en prenne non seulement à l’État bourgeois, mais au système capitaliste dans son ensemble.

    Il faut une organisation indépendante de la classe ouvrière et un programme

    Il y a en ce moment deux grandes fédérations syndicales indépendantes, dont le nombre de membres total s’élève à 2,5 millions de travailleurs. Certains de ces syndicats au sein de ces deux fédérations ont organisé des grèves et des occupations massives et puissantes. Mais lorsque les travailleurs participent aux manifestations contre le régime ou dans les révoltes générales de masse comme à Port-Saïd, où les travailleurs constituent la vaste majorité de la population participante, ils ne le font pas en tant que travailleurs ou en tant que classe, mais en tant que manifestants à titre individuel. Seule la classe ouvrière peut montrer la voie en avant pour la lutte. Ce qu’il manque ici, c’est une voix politique ouvrière qui puisse développer la lutte et combiner les revendications économiques légitimes avec la revendication de la nationalisation des usines, etc. sous contrôle et gestion ouvriers, et développer un véritable programme socialiste révolutionnaire pour la lutte.

    Ce qu’il nous faut est un parti socialiste révolutionnaire pour les travailleurs et pour les jeunes. Un tel parti peut se développer sur base des luttes quotidiennes des travailleurs dans les entreprises comme sur base des révoltes de masse. Les socialistes, les syndicalistes et les militants de groupes locaux doivent s’unir sur une base de lutte commune contre les attaques perpétrées par le gouvernement Morsi, contre les capitalistes qu’il sert et contre le système capitaliste pourri dans son ensemble, et mettre en avant un programme socialiste clair qui satisfasse aux besoins des masses pauvres et qui fasse progresser la lutte pour une Égypte socialiste.

    Tandis que les Frères musulmans perdent leur soutien et que de nouvelles vagues de lutte massives ébranlent le pays, toute une série d’organisations de gauche et socialistes soutiennent toujours les forces de l’opposition laïque libérale telles que le Front de salut national (FSN) dirigé par Mohammed El Baradei, Amr Moussa et Hamdeen Sabbahi. Une telle position, dans la perspective de révoltes et d’insurrections de masse à cause de la situation économique, ne peut être qualifiée que de désastreuse.

    Le FSN, tout comme le Parti pour la liberté et la justice, les salafistes ou le CSFA, ne représente au final qu’une autre faction de la classe dirigeante capitaliste. Le soutien d’une faction capitaliste par la gauche ne fait que rendre la tâche plus ardue pour le développement d’une organisation indépendante de la classe ouvrière et de la jeunesse. Lorsque les socialistes suivent une faction capitaliste, décrite comme étant “progressiste”, c’est un signe de manque de confiance dans la force de la classe ouvrière, et cela fait dévier de son objectif la lutte qui peut être menée et remportée par la classe ouvrière organisée. Tout comme certains socialistes autoproclamés soutenaient jusqu’à récemment les Frères musulmans, le soutien à El Baradei et au FSN ne fera que freiner le développement d’une organisation des travailleurs véritablement socialiste, dont l’Égypte (et les autres pays du monde) a pourtant tellement besoin.

    Afin de rallier la vaste majorité des travailleurs, des jeunes et des masses pauvres, il est nécessaire de rompre avec toute faction de la classe capitaliste et de développer et de discuter des revendications communes de lutte autour desquelles les militants syndicaux et de groupes locaux, les jeunes et les travailleurs puissent s’organiser et lutter.

    • Non aux dictats du FMI ! Non à toute coupe dans les subsides aux denrées de base !
    • Droits démocratiques : droit de manifester, droit d’organiser des syndicats
    • Non au “rattrapage” des Frères musulmans ! Élections et contrôle démocratiques de l’administration et des cadres étatiques
    • Salaire minimum de 1200 livres par mois (86 000 francs CFA/135 €), indexation automatique des salaires en fonction du cout de la vie
    • Programme massif d’investissements public afin d’améliorer l’infrastructure, les soins de santé, l’enseignement, fournir à tous des logements de qualité à cout accessible, et créer des emplois décents
    • Nationalisation de toutes les banques, ex-entreprises étatiques privatisées et grandes entreprises sous contrôle et gestion démocratique par les travailleurs, reliées entre elles pour une planification démocratique de l’économie
    • Appel à tous les travailleurs partout au Moyen-Orient et en Afrique du Nord pour la solidarité en une lutte commune
    • Pour un gouvernement socialiste démocratique en Egypte et une fédération socialiste d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient.
  • [DOSSIER] Pour un relais politique des luttes des travailleurs!

    27 avril. Meeting à Charleroi pour une alternative à la gauche du PS et d’Ecolo

    “Construisons ensemble une alternative de gauche à la crise capitaliste.” Voilà le thème d’un important meeting à Charleroi ce 27 avril, à la suite du discours osé que fit Daniel Piron, secrétaire général de la FGTB Charleroi Sud-Hainaut, le premier mai dernier. Durant ce discours, il constatait que le PS et Ecolo ne représentent plus les intérêts de la population et lançait un appel à ‘‘un rassemblement à gauche du PS et d’Ecolo afin de redonner espoir et dignité au monde du travail.’’ Le meeting de Charleroi est une initiative commune de la FGTB Charleroi Sud-Hainaut, de la CNE Hainaut et de plus ou moins tous les partis et groupes conséquemment de gauche.

    Par Eric Byl


    Meeting pour une alternative à la gauche du PS et d’ECOLO Samedi 27 avril de 13h30 à 17h30 à la Géode, rue de l’Ancre – 6000 CHARLEROI (en voiture : sortie ‘expo’ sur le ring de Charleroi, en train, descendre à ‘Charleroi-Sud’) Plus d’infos


    Le discours de Daniel Piron n’était pas le fruit d’une irritation personnelle irréfléchie mais au contraire le résultat d’une réflexion parvenue à maturité avec toutes les centrales de la régionale, sur base de discussions avec les militants. Parmi ces derniers, l’appel fut d’ailleurs bien reçu. Mais il a donné des frissons aux appareils du PS et d’Ecolo et probablement aussi à certaines parties des syndicats. Les medias, lesquels ignorent normalement de telles déclarations, ont bien été forcés de la commenter. Après tout, Piron représente une régionale de la FGTB forte de 110.000 membres et d’une grande tradition syndicale. Dans les milieux de droite et patronaux, où le dédain s’est mêlé à l’espoir qu’il ne s’agisse que d’un phénomène passager, il serait surprenant qu’aucun œil attentif n’ait été rivé sur l’initiative.

    Les secrétaires de cette régionale de la FGTB auraient pu choisir une voie plus facile. Comme tellement d’autres, ils auraient pu hausser les épaules et attendre que quelqu’un d’autre ose faire le pas. Il y a toujours une raison pour dire qu’il est soit trop tôt, soit trop tard, ou encore que les gens ne sont pas encore prêts, que les autres régionales ne suivent pas, que ce sont les politiques qui doivent prendre l’initiative, etc. Au lieu de cela, ils ont agi selon les habitudes de leurs meilleurs militants. Passer à l’action, cela comporte toujours un risque. Le patron cherche-t-il la provocation ? La base suivra-t-elle ? Les autres syndicats seront-ils de la partie ? Ne court-on pas le risque de s’exposer et d’être vulnérable aux représailles? Ces considérations sont légitimes et ne doivent pas être traitées à la légère. Mais celui qui n’entreprend jamais rien a perdu d’avance.

    S’ensuivit alors une période de plusieurs mois durant laquelle le terrain a été tâté, notamment en donnant des interviews et en participant à des débats. Finalement, à partir du mois de janvier, une réunion a rassemblé les représentants des partis réellement de gauche afin d’évaluer leurs réactions et de considérer leurs propositions. Dès le début, les secrétaires ont été clairs : ils ne voulaient rien précipiter, ils ne désiraient pas une répétition de Gauche Unie (3) ou mettre pression sur qui que ce soit, mais ils espéraient obtenir un consensus. D’un autre côté, ils indiquèrent bien l’urgence du projet. Jouer gros jeu, ça, ils l’avaient déjà fait le premier mai 2012. Le prochain pas devait être posé en tenant compte des difficultés et des sensibilités diverses, tout en répondant à l’urgence.

    [box type=”shadow” align=”alignright” width=”100″]

    PSL et PTB+

    Le PSL ne veut pas diminuer les mérites du PTB. Aux dernières élections communales, ce parti a obtenu 53 élus. Ce résultat a été préparé avec un engagement militant maintenu des années durant, une implantation importante dans les quartiers et les entreprises et une stratégie médiatique intelligente. Le PTB est la composante de la gauche conséquente la plus visible. Mais un facteur important dans la croissance du PTB, au niveau de ses membres et de son électorat, est constitué par le changement de cap de 2008, vers plus d’ouverture. C’est pour cela que le PTB a pu toucher une fraction du public pour une formation de gauche conséquente.

    De nombreux nouveaux membres et encore plus de nouveaux électeurs du PTB ont notamment déterminé leur choix grâce à ces signes visibles de plus d’ouverture, non pas pour en finir avec, mais justement pour encourager ce développement et l’approfondir. A côté du PTB, il existe de nombreux militants organisés et non-organisés qui disposent aussi d’une implantation importante. Le pas logique suivant est donc de les impliquer et d’utiliser leur potentiel de manière maximale. Le PSL comprend bien la prudence du PTB, sa peur de rentrer dans une aventure et sa volonté absolue de ne pas risquer son nom, mais laisser ce potentiel de côté pourrait bien avoir un effet contraire. Le PSL a déjà précédemment suggéré au PTB et aux autres partis et groupes de la gauche conséquente d’élaborer ensemble un projet pilote. Nous restons prêts à réfléchir ensemble à ce sujet.

    C’est ainsi que nous en sommes finalement arrivés à ce meeting, où la question d’un relai politique sera présentée sans autres détours à plusieurs centaines de militants. Des militants d’autres syndicats et d’autres centrales et régionales qui ont peut-être encore des doutes pourront venir sentir l’atmosphère avant de risquer le plongeon. Les partis et groupes véritablement de gauche pourront non seulement y échanger leurs opinions mais avant tout venir évaluer comment la base syndicale réagit. Finalement, et c’est le pourquoi de cette date du 27 avril, la base peut être posée afin que cette question cruciale soit clairement présente parmi les militants lors des innombrables activités du premier mai.

    Le mouvement ouvrier belge a fortement souffert des innombrables mécanismes de ‘diviser pour régner’ que la bourgeoisie a intégrés dans notre système, surtout sur base linguistique et religieuse. Heureusement, chez les secrétaires de la régionale, aucune illusion régionaliste n’était perceptible. Les militants flamands sont plus que bienvenus, non pas en tant que spectateurs mais comme des alliés indispensables. Si l’initiative arrive à s’étendre d’avantage, ce sera une donnée à prendre en considération. De surcroit, le syndicat chrétien des employés (la CNE) prendra place à la tribune à côté de la FGTB Charleroi Sud-Hainaut. Les déclarations de son secrétaire général Félipe van Keirsbilck connaissent un soutien considérable parmi sa base, bien que la CNE (170.000 membres) reconnaisse que la discussion n’est pas encore à un stade aussi avancé parmi ses membres qu’au sein de la régionale FGTB.

    Cela explique pourquoi une mobilisation interne de quelques centaines de militants a été décidée au lieu d’une large mobilisation publique avec d’innombrables tracts dans les entreprises et en rue. Espérons que cela soit pour une autre fois. Bien entendu, les opposants à cet appel vont exagérer ses faiblesses. Sous le titre ‘‘Menaces à gauche pour le PS et Ecolo’’, l’hebdomadaire Le Vif signala que ‘‘Piron et les siens sont confrontés à un problème d’envergure: leur isolement dans le syndicat socialiste.’’ Subtilement, on remarque que la CNE exclu de faire un appel direct pour une liste en 2014. Félipe van Keirsbilck est cité : ‘‘Nos règlements nous interdisent d’avoir des amis politiques’’. Mais van Keirsbilck ajoute tout de même que les élus qui prochainement vont signer le pacte budgétaire européen ‘‘n’auront pas notre confiance en 2014. Dans l’isoloir, cela va déjà éliminer pas mal de candidats.’’

    L’appel de Piron n’est pas le premier du genre. L’attitude loyale de la social-démocratie et des verts face à la casse sociale ne date pas d’hier. La résistance contre le Plan Global en 1993 avait déjà conduit à Gauches Unies. En 1994, à Anvers, le Mouvement pour le Renouveau Social est né. Pour les élections européennes de 1999, Roberto D’Orazio (de la lutte de Clabecq) avait rassemblé la gauche radicale sur une liste européenne sous le nom de ‘Debout!’. Mais tout cela est arrivé après la chute du Mur de Berlin et du stalinisme, qu’on présentait alors erronément comme étant du ‘‘socialisme’’, et dans une période de croissance économique dans les pays occidentaux. L’illusion selon laquelle le capitalisme allait en fin de compte assurer la prospérité de tous existait encore. Nous savons ce qu’il en est aujourd’hui.

    Depuis, le PSL a participé à presque chaque tentative de parvenir à un nouveau rassemblement de gauche large, inclusif et pluraliste. Les plus récents ? Le Comité pour une Autre Politique (CAP, né après la lutte contre le Pacte des Générations), Rood avec l’ancien candidat-président du SP.a Erik De Bruyn, le Front de Gauche à Charleroi et La Louvière, le Front des Gauches puis Gauches Communes à Bruxelles, ainsi que VEGA à Liège. Était-ce une faute ? Nous ne le pensons pas, nous avons appris énormément de ces expériences et nous n’avons jamais arrêté la construction du PSL en parallèle.

    Mais une idée a beau être correcte, il faut des événements concrets pour qu’elle soit reprise par des couches plus larges de la société. La conscience a de toute façon un retard sur les conditions matérielles pour alors, sur base d’événements concrets, les rattraper par bonds. Pensons aux révolutions au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Nous pensons que ce n’est pas une coïncidence quelques années après le début de la plus grande crise du capitalisme depuis les années ’30 une régionale importante de la FGTB et une centrale importante de la CSC mettent si explicitement la nécessité d’une nouvelle formation de gauche à l’agenda.

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    Qu’un long chemin soit encore devant nous, personne ne le nie, et certainement pas ceux qui ont pris l’initiative. La question d’une liste commune en 2014 n’est d’ailleurs pas à l’ordre du jour. Mais il y a bien une raison qui explique pourquoi Le Vif s’est senti obligé d’écrire à ce sujet et pourquoi les autres medias ne peuvent eux non plus pas tout simplement ignorer l’initiative: qu’une régionale entière de la FGTB et qu’une centrale de la CSC qui réunissent ensemble 280.000 membres s’expriment explicitement pour une alternative de gauche, c’est une première absolue. Ça ne va pas disparaitre comme ça, c’est une expression de l’écart croissant entre la base syndicale et leurs partenaires politiques traditionnels, un écart qui ne va que s’agrandir dans les mois et années à venir.

    Quatre questions auxquelles répondre :

    Qu’arrivera-t-il si aucune alternative large de gauche n’est lancée ?

    Dans son discours du premier mai 2012, Daniel Piron remarquait que la formule magique ‘‘ce serait pire sans nous’’ fait offense à l’intelligence des syndicalistes. Il citait Jean-Claude Van Cauwenberghe (PS) qui, durant le conflit Splintex, qualifiait les grévistes de ‘‘tache noire sur la carte de la Wallonie.’’ Longtemps, le PS a su se dissimuler derrière une ‘‘Flandre de droite’’ et se profiler comme opposition au sein du gouvernement. C’est bel et bien fini. En tant que Premier Ministre, Di Rupo a introduit le plan d’austérité le plus dur jamais mis en œuvre en Belgique. Est-ce la fin du ‘‘moindre mal’’ ? Bien des travailleurs continueront de voter PS avec une pince à linge sur le nez faute d’une alternative suffisamment développée. Nous ne devons pas chercher bien loin pour nous faire une idée du scenario auquel la Wallonie et Bruxelles peuvent s’attendre si aucune alternative large de gauche n’arrive. Bien plus rapidement que son parti-frère francophone, le SPa flamand s’est défait de son passé “socialiste” et de sa base traditionnelle. De ses maisons du peuple, de sa riche vie associative, de ses meetings fortement fréquentés et de ses cellules jeunes critiques, il ne reste presque plus rien. Durant les conflits sociaux, les travailleurs aperçoivent généralement le SPa de l’autre côté des barricades.

    Cependant, à chaque élection, l’appareil de l’ABVV (l’aile flamande de la FGTB) envoie ses militants voter pour ce parti. La Ministre de l’Emploi SPa Monica De Coninck a remercié l’ABVV en ces termes : ‘‘Aussitôt qu’on négocie un accord interprofessionnel, il y a toujours quelque chose qu’ils ne peuvent accepter.’’ (4) Bruno Tobback, Président du SPa, a déclaré que : ‘‘L’ABVV n’a aucune culture pour expliquer les choses difficiles. Vous ne pouvez pas demander le maintien de l’Index et en même temps vous attendre à ce qu’il reste une marge pour une augmentation des salaires.’’ (5) ‘‘Avec les autres, ce serait pire’’, c’est un argument usé jusqu’à la corde.

    Faute d’une alternative sérieuse, les militants regardent de plus en plus vers l’opposition la plus visible, même si celle-ci est populiste et économiquement de droite comme l’est la N-VA. En 2010, seuls 32% des membres de l’ABVV ont voté pour le SPa contre 22% pour la N-VA et 19% pour le Vlaams Belang! Pour l’ACV (l’aile flamande de la CSC), ce n’est pas mieux: 27% ont voté CD&V, 31% N-VA et 13,5% Vlaams Belang. (6)

    Un parti syndical ?

    Le professeur Jan Blommaert (université de Gand) écrivait en mars : ‘‘Pourquoi pas un parti syndical ?’’ (7) ‘‘Un parti de la Solidarité, de l’Action Sociale, ferait battre bien des cœurs, y compris dans l’isoloir… Il mettrait les thèmes socioéconomiques à l’agenda, pas dans la marge des débats mais bien au centre. (…) L’idée d’un parti syndical provient des milieux syndicaux eux-mêmes. (…) Plus j’y pense, plus logique et plus important cela me parait. Si les syndicats prennent leur rôle historique au sérieux, tout comme leurs origines, alors ils doivent poser ce pas en avant maintenant. Dans une crise aussi profonde et avec de telles répercussions, ils ne peuvent éviter la question du pouvoir.’’

    Pour lui, il va de soi que l’initiative parte des syndicats. La place nous a manqué pour publier ici l’intégralité de l’appel pour le 27 avril (voir Construisons ensemble une alternative de gauche à la crise capitaliste) Ce texte répète le constat du 1er mai 2012 en confirmant son actualité et en affirmant également : ‘‘Il nous faut mettre ce système capitaliste aux oubliettes de l’histoire. Ce système ne peut être réformé. Il doit disparaître. Mais se contenter de l’affirmer du haut de cette tribune ne suffit pas. Faut-il encore nous en donner les moyens et le relais politique pour concrétiser notre objectif.’’ S’il faut compter sur le sommet syndical pour ça, alors nous avons encore un long calvaire devant nous.

    Anticapitaliste ?

    Le PSL est d’accord avec l’appel. Nous défendons une économie basée sur la solidarité et non sur la concurrence. Cela exige la nationalisation des secteurs clés de l’économie, du secteur financier, du transport, de l’énergie ainsi que l’enseignement et les soins de santé. Mais aussi des entreprises menacées de fermeture ou de restructuration comme Ford, ArcellorMittal, Caterpillar, MLMK, etc. Non pas avec des chefs d’entreprise comme Didier Bellens ou Johnny Thys, mais sous le contrôle des travailleurs et de la collectivité. Il sera alors possible de planifier l’économie de manière véritablement démocratique en fonction de nos besoins et non plus des profits d’une poignée de capitalistes dont les fortunes disparaissent sous les tropiques.

    Nous défendrons également notre programme dans un relai politique qui reste à concrétiser. Mais si, temporairement, nous ne pouvons pas convaincre tout le monde, cela ne nous arrêtera pas pour prendre part à une initiative moins explicitement ‘‘anticapitaliste’’ ou ‘‘socialiste révolutionnaire’’, pourvu qu’une austérité au dépend des travailleurs et des allocataires sociaux ne soit tolérée et que le rétablissement complet de l’index et la revalorisation des allocations fasse partie du programme, pourvu que l’on mette en avant une réduction générale du temps de travail sans perte de salaire pour combattre le chômage, pourvu que la défense des services publics soit dans le programme.

    Selon les politiciens actuels, les idées ne se réalisent qu’en prenant part au gouvernement. C’est faux, historiquement et dans les faits. Tous nos grands acquis sociaux ont été le fruit de la construction d’un rapport de force à travers la lutte. Une véritable alternative de gauche ne chercherait pas d’alliés parmi des partenaires de coalition de droite qui l’entrainerait dans une politique d’austérité, mais bien dans les entreprises et dans la rue. Nous devons rompre avec cette politique de coalitions d’austérité et construire au contraire un parti de lutte.

    Indépendance syndicale ?

    Nous comprenons les militants syndicaux qui défendent l’indépendance syndicale. Aujourd’hui, nos dirigeants syndicaux sont généralement une courroie de transmission pour leurs ‘‘amis politiques’’. Mais ce sont bien des dirigeants syndicaux, surtout ceux de gauche, qui se retrouvent aujourd’hui dans une situation extraordinaire en offrant des facilités (organisationnellement, financièrement et surtout en engageant leurs délégués) pour donner forme à une telle initiative. Pourquoi ne pas s’engager en se mettant eux-mêmes au premier rang ?

    Nous ne devons pas être dupes. Durant la formation syndicale de nos nouveaux militants, nous expliquons qu’il y a trois choses qui n’existent pas dans notre société de classe: l’objectivité, la neutralité et l’indépendance. L’indépendance de classe ne compte d’ailleurs pas pour les chefs syndicaux de droite quand il s’agit de faire cause commune avec ceux qui sont au premier rang pour mener la casse sociale. Ne laissons pas notre indépendance syndicale être un obstacle pour mettre sur pied une réelle alternative à la gauche du PS et d’Ecolo. Avec les délégués de gauche, les secrétaires et présidents de gauche dans n’importe quelle centrale ou syndicat ont également à prendre leurs responsabilités.

    Pour éviter qu’une véritable alternative de gauche ne prenne le même chemin que les partenaires politiques traditionnels, nous avons avant tout besoin de démocratie, aussi bien au sein de cette alternative de gauche que dans les syndicats eux-mêmes. Cela signifie entre autres qu’un élu doit prendre ses responsabilités et à la rigueur être révoqué et remplacé. Cela signifie aussi que cet élu, tout comme les milliers de délégués et militants dans les entreprises, ne puisse pas gagner d’avantage que la moyenne de ceux qu’il ou elle représente. Comment peut-on après tout représenter des employés si on possède un niveau de vie qui ne ressemble en rien aux conditions dans lesquelles ils vivent et travaillent ?


    Notes :

    1. http://jeunesfgtbcharleroi.wordpress.com/2012/05/03/discours-de-daniel-piron-secretaire-regional-de-la-fgtb-charleroi-1er-mai-2012/
    2. PTB-PVDA, Rood, Mouvement de Gauche, Front de Gauche Charleroi, Parti Communiste, Parti Humaniste, LCT, LCR-SAP, PSL-LSP
    3. Voir cadre .
    4. Humo 19 février 2013
    5. Het Nieuwblad 21 février 2013
    6. Sur base d’une étude électorale à la KUL en 2010
    7. https://jmeblommaert.wordpress.com/2013/03/19/waarom-geen-vakbondspartij/
  • Arabie Saoudite : ‘‘À bas la dictature brutale des Saoud !’’

    Le 13 mars dernier, sept jeunes hommes ont été exécutés en Arabie Saoudite par un peloton d’exécution. La Fédération générale des syndicats libres des travailleurs (GFFWTU) mène campagne pour les droits démocratiques et syndicaux en Arabie Saoudite. Un membre de cette organisation, Yahya Al-Faifi, est revenu sur ces exécutions dans le cadre d’une discussion avec la rédaction du ‘‘Socialist’’, l’hebdomadaire du Socialist Party (CIO-Angleterre et Pays de Galles).

    Yahya Al-Faifi, de la GFFWTU.

    Ces sept hommes avaient été arrêtés en janvier 2006 et accusés d’organiser un groupe criminel commettant des vols à main armée et des cambriolages de bijouteries. Ils ont été condamnés à mort par un tribunal de la province d’Aseer en août 2009. Yahya explique comment, dans une société où d’immense richesses sont concentrées entre les mains de l’élite au sommet du pouvoir, les jeunes sont souvent obligés de se tourner vers le crime pour tenter de nourrir leurs familles ainsi qu’eux-mêmes : ‘‘Ces jeunes gens étaient du Sud, les provinces les plus démunies de l’ensemble du pays. C’est de là que le ”Printemps Saoudien” est le plus susceptible de partir !’’

    Le sang de ces jeunes est utilisé pour effrayer les gens et les écarter de l’idée de contester l’autorité du régime en place. ‘‘Pensez-vous vraiment que le gouvernement saoudien a mené une enquête sur les origines et les facteurs qui ont motivé ces crimes, ou pensé à prendre des mesures afin de lutter contre le chômage des jeunes ? Non, c’est un État policier qui n’est occupé que par sa propre sécurité et rien d’autre.’’

    Yahya a également exprimé des préoccupations au sujet de la corruption dans les procédures judiciaires. ‘‘Selon les ”garanties” internationales adoptées à travers le Conseil économique et social des Nations Unies, la peine capitale ne peut être prononcée que pour les ‘‘crimes les plus graves’’, comme l’assassinat, et seulement après une procédure judiciaire rigoureuse. Aucun de ces critères fondamentaux n’a même été respecté dans ce cas. En outre, les peines de mort ont été prononcées en grande partie à partir d’aveux initiaux extorqués sous la torture. Les allégations de torture doivent être examinées. Les accusés auraient seulement fait de brèves apparitions devant le tribunal, sans être autorisés à parler ou avoir des possibilités d’assurer leur défense. Ils ont affirmé qu’ils n’étaient pas présents du tout pendant les procédures d’appel, et n’avaient pas d’avocat pour les représenter.’’

    Yahya ajoute que le ministère de l’Intérieur cite fréquemment des versets du Coran sortis de leur contexte, afin de tenter de procurer une justification religieuse pour ses crimes contre la population saoudienne. Ceux-ci sont en fait motivés politiquement par la nécessité de maintenir la primauté de la famille royale et de l’impérialisme, en particulier dans le contexte des mobilisations de masse qui ont secoué le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.

    La GFFWTU appelle à :

    • La fin de la peine capitale en Arabie saoudite.
    • Assurer la formation et l’apprentissage, dans les industries du pétrole et dans l’ingénierie, de jeunes et de migrants, aujourd’hui dépourvus de tout avenir.
    • En finir avec la domination de l’impérialisme occidental et de l’industrie de l’armement.
    • La nationalisation de l’industrie pétrolière sous le contrôle démocratique des travailleurs, et l’utilisation des milliards de dollars aujourd’hui dépensés en armement à l’amélioration des conditions de vie des pauvres.
    • En finir avec la corruption. Pour l’utilisation de la richesse pétrolière de l’Arabie Saoudite au profit de la majorité de la population, et non pas de la famille royale et de la petite clique qui l’entoure.
    • A bas la dictature brutale des Saoud ! Pour la pleine reconnaissance des droits sociaux, syndicaux et démocratiques dans toute la péninsule arabique.

    Quelques jours seulement après que les sept jeunes aient été exécutés, le prince Charles et Camilla ont visité l’Etat semi-féodal Saoudien pour faciliter et renforcer les liens commerciaux entre les entreprises du Royaume-Uni et le royaume saoudien, y compris au travers de la vente lucrative d’armes de guerre.

    Selon Amnesty International :

    L’Arabie Saoudite a un des taux les plus élevés d’exécution dans le monde. Au moins 24 personnes ont été exécutées en 2013, dont une travailleuse domestique Sri Lankaise, Rizana Nafeek, accusée d’avoir tué un bébé dont elle s’occupait alors qu’elle n’avait que 17 ans, faits qu’elle a affirmé avoir confessé sous la contrainte. Au moins 82 personnes ont été exécutées en 2011, et un nombre similaire en 2012, soit plus de trois fois le chiffre de – minimum – 27 en 2010. L’Arabie Saoudite applique la peine de mort pour les crimes tels que les infractions relatives aux drogues, ‘‘à l’apostasie et à la sorcellerie’’.

  • A propos du parti – Nouvelles du PSL

    Cette rubrique de socialisme.be vous propose des nouvelles de notre parti, de ses activités et initiatives,… Cette rubrique comprend donc divers courts rapports d’actions, des brèves de campagne, des appels pour des conférences, des rapports de réunion, ou encore de petits textes de nouveaux membres qui expliquent pourquoi ils ont rejoint notre parti.


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    A noter dans votre agenda

    • Sa. 27 avril. Meeting de la gauche à Charleroi
    • 1er mai: participation aux activités de premier mai
    • 16 mai : Gand. Débat consacré aux Sanctions Administratives Communales entre le bourgmestre Termont et la campagne anti-SAC TegenGas.
    • 18 mai : Anvers. Commémorations : ‘‘4 ans après la fin sanglante de la guerre civile au Sri Lanka’’.
    • 4-7 juillet. Camp d’été des Etudiants de Gauche Actifs.
    • 21-26 juillet : Ecole d’été du Comité pour une Internationale Ouvrière

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    Pourquoi j’ai rejoint le PSL

    Je n’ai jamais été intéressée par la politique auparavant, jusqu’à ce que j’entame mes études d’assistante sociale cette année. Mais j’avais toujours été sensible aux injustices. Je suis dégoutée des médias, des salaires des grands patrons, de ce système qui renforce l’exclusion et qui nous divise. Je suis fatiguée des discours racistes, etc. Comme le dit Keny Arkana, je crois que je n’en peux plus d’ « être née dans un monde où la vie est moins importante que l’économie ».

    J’ai cherché à voir plus loin, à analyser davantage les choses et j’ai entendu parler d’EGA (Étudiants de Gauche Actifs). Il m’a fallu un certain temps avant d’oser me rendre à une réunion. J’étais effrayée à l’idée de ne pas être à la hauteur étant donné mon manque d’information en la matière. J’ai finalement osé participer à l’une de leurs réunions… puis à une seconde et… à une troisième. La vérité c’est que j’ai très vite adhéré au parti parce que j’y apprends toujours plus à chaque réunion, parce que j’y affine mon opinion politique, et parce que la satisfaction d’essayer de changer les choses et de faire bouger les mentalités vaut tous les sentiments du monde.

    Le PSL m’a permis de mieux comprendre la politique en général et le système capitaliste dans lequel nous vivons. Il me permet d’acquérir une formation politique de qualité et de faire des liens entre ce que j’apprends et ce que je vois et entends dans les médias ou dans ma vie quotidienne.

    A tous les lecteurs de ce journal qui ne sont pas encore investis dans la lutte ; à tous ceux qui étouffent à l’étroit dans un système qui nous manipule : révoltez-vous et unissons-nous dans la lutte !

    Marie, étudiante, Liège.

    Si vous êtes à la recherche d’un monde meilleur, venez au Comité pour une Internationale Ouvrière et à sa section belge, le PSL ! Les discussions et réunions politiques intéressantes m’ont attiré, mais les manifestations et les visites au piquet de grève de Ford m’ont mis en contact avec les véritables lieux où les problèmes sociaux et économiques sont discutés et contestés. Cette manière de faire la politique est en contraste frappant avec ces parlementaires du statu quo.

    Jochen, Limbourg


    Week-end socialisme

    Plus de 220 personnes étaient présentes au week-end ‘‘Socialisme 2013’’ à Bruxelles les 13 et 14 avril dernier. Parmi eux, nombre de militants de Belgique et d’ailleurs au bagage politique bien rempli au côté de novices. Tous voguent à travers les étals de brochures et d’ouvrages politiques avant de commencer les discussions.

    Par Robin (Liège)

    Pas le temps de souffler, le premier meeting ‘‘Les jeunes en lutte pour leur avenir’’ commence à mon arrivée. Au menu, l’austérité en Europe du Sud, les effets catastrophiques des SAC et le sexisme sont exposés en leur accolant une critique féroce et lucide. Mon intérêt va croissant. Le ton est donné. Il y aura encore un meeting le soir sur l’alternative politique large à construire à la gauche du PS et d’Ecolo, et un autre le dimanche pour clôturer l’événement, consacré à la crise européenne et à la lutte internationale pour le socialisme.

    Pour moi, le plus gros intérêt du week-end réside cependant dans les commissions (pas moins de 19 différentes sur le week-end !). C’est la structure idéale pour aller plus en profondeur sur une thématique particulière. Ces séances en petits groupes brassent un panel très large de sujets, passant de la pertinence d’une grille d’analyse marxiste aux luttes des cheminots en passant par la menace d’Aube Dorée en Grèce. La frustration m’envahit lorsque je découvre que plusieurs commissions ont lieu en même temps et que je ne peux donc pas assister à tout… Leur principe de ‘‘conférence/débat’’ permet de poser ses questions ou de faire part de son point de vue et de son expérience sur le sujet. Les échanges sont animés et les interventions nombreuses. Mais malgré la difficulté de leur tâche, les traducteurs accomplissent un travail remarquable !

    Je me rends vite compte que je me suis pris au jeu et je commence à cerner la véritable richesse d’un tel cycle de formation. Les discussions entre camarades de longue et courte date foisonnent pendant les pauses et je m’immisce dans plusieurs d’entre elles. On parle tantôt avec humour, tantôt avec sérieux de fascisme, de sexisme, d’occupations d’usines, de socialisme démocratique, de révolution permanente et j’en passe… Certains thèmes abordés me touchent au quotidien et d’autres, plus abstraits, me paraissent encore à éclaircir mais je n’hésite pas à poser mes questions. Je ne reprends enfin conscience du temps qui passe qu’une fois le meeting de clôture terminé.

    J’étais déjà convaincu par les valeurs, l’analyse et les méthodes de mon organisation ; avec l’expérience acquise ce week-end, je réalise encore plus l’ampleur de la tâche qui nous attend mais, paradoxalement, je la trouve moins insurmontable.


    Camp d’été des Etudiants de Gauche Actifs

    Réservez déjà vos journées du 4 au 7 juillet ! Le camp des Etudiants de Gauche Actifs fait son retour, l’occasion idéale de tirer le bilan de l’année académique écoulée pour mieux préparer la rentrée. Détente, discussions politiques, barbecue, soleil (on espère…), ambiance conviviale : que demander de plus ?

    Au menu, tout un tas de discussions tous ensemble ou en petits groupes sur l’approche des marxistes révolutionnaire par rapport à l’Etat et à la répression, sur la différence entre les réformes et la révolution, sur l’économie marxiste, sur le processus de révolution et de contre-révolution en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, sur la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud, sur la situation actuelle au Venezuela, sur la lutte contre l’extrême-droite, l’anti-sexisme et la défense des droits des femmes… En bref, il y aura de quoi discuter et de quoi se former ! Prenez contact dès maintenant pour vous inscrire à infoocialisme.be (le programme complet sera disponible sous peu sur www.socialisme.be.

  • Un Forum Social Mondial très politisé

    Le Forum Social Mondial (FSM) s’est déroulé à Tunis du 26 au 30 mars dernier, et a rencontré un succès inattendu. Près de 70.000 militants issus du monde entier s’étaient réunis en Tunisie, un choix des plus approprié. Et force est de constater que le processus révolutionnaire que connait le pays a conduit à une forte politisation.

    Rapport de Jeroen Demuynck, collaborateur de Paul Murphy au parlement Européen

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    Socialisme 2013. Dimanche prochain, à l’occasion du week-end "Socialisme 2013", un rapport de la situation actuelle en Tunisie sera livré par Nicolas Croes, rédacteur de socialisme.be et de notre mensuel, de retour de Tunisie.

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    Les militants tunisiens étaient bien entendu présents en masse, ce qui s’est ressenti au niveau des discussions politiques. Le processus révolutionnaire est toujours en cours en Tunisie. L’arrivée au pouvoir du parti islamiste conservateur Ennaha n’a conduit à la résolution d’aucun des problèmes qui furent à la base du soulèvement révolutionnaire. Le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO, dont le PSL est la section belge) était présent avec des militants issus de six pays différents, et les idées marxistes révolutionnaires que nous défendons ont pu compter sur un large écho.

    Les organisateurs du FSM ont longtemps douté de la faisabilité de cette édition. Les forums précédents, depuis Porto Alegre au Brésil, avaient connu une participation limitée. Cette crainte a été partiellement confirmée par la participation limitée provenant d’Asie et d’Amérique latine. D’autre part, de nombreuses inquiétudes ont été alimentées par l’instabilité politique du pays, très certainement depuis l’assassinat politique de Chokri Belaïd, le célèbre opposant de gauche (voir notre article à ce sujet).

    La très forte participation au Forum, tout spécialement d’Afrique du Nord, est une indication que le processus révolutionnaire en Tunisie et dans la région se poursuit et continue à faire appel à l’imagination de nombreux militants de gauche, mais aussi bien au-delà. De nombreux militants de base tunisiens étaient là, l’UGTT (Union générale tunisienne du travail) avait environ 1.000 de ses militants présents. Malheureusement, certaines décisions des organisateurs ont eu un effet néfaste qui a conduit à des tensions entre des militants tunisiens et les organisateurs du FSM. Ainsi, les étudiants du campus universitaires avaient dû céder leurs logements à des participants du FSM, sans qu’ils n’en aient été avertis au préalable !

    Le processus révolutionnaire est loin d’être terminé

    Le sentiment dominant parmi les militants tunisiens est que la révolution est encore à achever. Le processus révolutionnaire se développe et est visible au travers de la forte polarisation politique qui prend place dans le pays. D’une part, la grande majorité de la population s’identifie à la révolution. Mais, deux ans après la chute de Ben Ali, la vie quotidienne reste marquée par de très nombreux problèmes. Le taux de chômage est monumental et toute une génération de jeunes n’a pas de perspectives d’avenir. Quant à ceux qui ont un emploi, ils travaillent souvent dans des conditions très précaires pour des salaires de misère, souvent inférieurs au salaire minimum officiel de 200 dinars (100 euros) par mois.

    D’autre part, il y a le gouvernement de coalition dirigé par les islamistes réactionnaires du parti Ennahda et les puissances capitalistes nationales et étrangères qui veulent défendre les intérêts de l’élite. Depuis son arrivée au pouvoir, Ennahda n’a fait qu’appliquer une politique similaire à celle qui prévalait sous le règne du dictateur déchu : encore et toujours la politique néolibérale. Le gouvernement a récemment signé un prêt d’environ 1,35 milliards d’euros avec le Fonds Monétaire International. En contrepartie, le gouvernement a promis d’abolir les subsides d’Etat pour la nourriture et l’essence alors que les prix des denrées alimentaires ont déjà fortement augmenté jusqu’à présent. Pendant ce temps, de nombreuses entreprises sont parties à l’offensive contre les salaires et les conditions de travail.

    La façade ‘‘démocratique’’ du gouvernement s’effondre face à son incapacité de répondre aux aspirations sociales et aux revendications de la population. La lutte de classe se développe, et la riposte des autorités se limite à une répression de plus en plus brutale, y compris à l’aide des Ligues de Protection de la Révolution, des milices réactionnaires islamistes radicales qui agissent comme "mercenaires" pour Ennahda.

    L’assassinat de Chrokri Belaid est à considérer dans ce cadre. Mais la réponse du mouvement des travailleurs, venus en masse assister à son enterrement, fut une grève générale de 24 heures dans tout le pays. Les revendications de la fédération syndicale UGTT ont malheureusement été limitées à la condamnation de la violence politique. Cette grève aurait pu être utilisée pour développer un plan d’action vers la chute du gouvernement.

    Un tel plan disposerait d’un vaste soutien dans la société. Un jeune militant nous a ainsi exprimé sa détresse en déclarant que ‘‘nous n’allons tout de même pas nous laisser voler notre révolution.’’ Ce sentiment est largement partagé, et se reflète en partie dans le score élevé obtenu par le Front populaire, une alliance de partis et d’organisations de gauche qui a déjà obtenu dans les 20% dans plusieurs sondages. Mais en raison de l’absence d’une stratégie claire de la part de l’UGTT et du Front Populaire pour aller de l’avant, beaucoup de jeunes et de militants sont à la recherche de moyens pour accélérer le processus révolutionnaire.

    La soif d’idées révolutionnaires

    Cette quête d’idées pour renforcer et accélérer le processus révolutionnaire – jusqu’à la question du contrôle des moyens de production et du socialisme démocratique – a été illustrée par l’intérêt qu’ont pu susciter nos divers tracts et notre matériel politique. Dès le premier jour du FSM, la quasi-totalité de nos journaux, livres et brochures avaient disparu. Quant à nos tracts (l’un portant sur la situation en Tunisie, l’autre présentant le CIO, tous deux disponibles en arabe, en français et en anglais), ils ont été pris avec enthousiasme.

    Le va-et-vient fut constant à notre stand tout au long du FSM. Souvent, des gens revenaient après avoir lu notre matériel politique afin d’en discuter avec nos militants. Ces discussions ont pu être très poussées politiquement, l’intérêt était grand pour l’idée de vagues de grèves de 24 heures successives jusqu’à la chute du gouvernement et son remplacement par un gouvernement des travailleurs, des jeunes et des pauvres. L’essentiel de nos discussions ont porté sur la stratégie à adopter pour rompre avec le système capitaliste et passer à l’instauration d’une société socialiste démocratique. Il n’était donc pas uniquement question de renverser ce gouvernement pourri, mais aussi de construire un système fondamentalement différent. Cela a créé une dynamique et une ambiance animées à notre stand, avec de petits meetings spontanés réunissant de petits groupes de passants autour de l’un de nos militants. Notre meeting consacré à la lutte internationale contre le capitalisme a pu compter sur une présence de 80 participants, malgré la difficulté de trouver la salle. Ce meeting a également été diffusé en direct sur le site du FSM, et 1.200 personnes y ont assisté virtuellement.

    Le Comité pour une Internationale Ouvrière fera tout son possible pour accroître sa présence dans la région et pour aider à y construire un mouvement révolutionnaire conséquent armé d’un programme socialiste.

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