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Tag: 10e Congrès Mondial du CIO
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10ème Congrès mondial du CIO : Moyen-Orient et Afrique du Nord
La crise du capitalisme et le rôle de l’impérialisme qui ne se déguise même plus se manifestent de manière très vive au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.
Ce document sur le Moyen-Orient/Afrique du Nord (MENA – Middle East and North Africa) est une des résolutions prises à l’issue du 10e Congrès Mondial du Comité pour une Internationale Ouvrière qui s’est tenu en décembre en Belgique. Des documents ont été rédigés sur les relations mondiales, l’Europe, l’Amérique latine, l’Asie, la Russie et l’Europe de l’Est, et sur la situation en Afrique.
Document du Congrès Mondial du CIO
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10e Congrès Mondial du Comité pour une Internationale Ouvrière
Le 10e Congrès Mondial du Comité pour une International Ouvrière (CIO) s’est déroulé en décembre en Belgique. Ont participé à cet événement entre autres des délégués et des visiteurs en provenance d’Afrique du Sud, d’Allemagne, d’Angleterre et du pays de Galles, d’Argentine, d’Australie, d’Autriche, de Belgique, du Chili, de Chypre, d’Écosse, d’Espagne, des États-Unis, de France, de Grèce, de Hong Kong, d’Inde, d’Irlande, d’Israël, d’Italie, du Kazakhstan, de Malaisie, des Pays-Bas, du Nigéria, de Pologne, du Portugal, du Québec, de Russie, du Sri Lanka, de Suède, de Taïwan, de Tchéquie, et du Venezuela.
Ce Congrès a duré une semaine et a discuté des principaux enjeux auxquels est confrontée la classe ouvrière internationalement dans cette période d’attaques d’austérité sauvages ainsi que des tâches du CIO.
Nous allons publier sur ce site différents textes et résolutions concernant ce Congrès.
- Rapport de la discussion sur les relations mondiales
- Rapport de la discussion sur l’Amérique latine
- Résolution sur L’Europe (1)
- Résolution sur L’Europe (2)
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Cette région est malade de l’occupation militaire impérialiste, de l’oppression nationale des Palestiniens, des Kurdes et d’autres, des régimes dictatoriaux, de la corruption endémique, des divisions sectaires, religieuses, nationales et ethniques, de la pauvreté et du chômage de masse, tout cela empirant avec la crise économique. Sur base de la persistance du capitalisme et de l’impérialisme, de nouvelles guerres et de nouveaux conflits vont forcément continuer à affecter la région. Un référendum au Soudan prévu en janvier 2011, concernant la sécession du Sud principalement peuplé de noirs animistes et chrétiens par rapport au Nord arabe et musulman, menace de mener à une reprise du conflit sanglant (2,5 millions de gens ont déjà trouvé la mort lors de la dernière guerre civile qu’a connu le pays).
Toutefois, la résistance de masse contre l’autoritarisme et la détérioration des conditions de vie est elle aussi une caractéristique de plus en plus prononcée de la région, comme on l’a vu lors du mouvement d’opposition de masse de 2009 en Iran. Encore plus important du point de vue du CIO, la récente période a aussi connu une hausse des luttes des travailleurs et des efforts pour construire des organisations indépendantes de masse de la classe ouvrière (en Égypte, en Turquie, au Liban, en Algérie et ailleurs).
En Égypte, le mouvement ouvrier a renforcé ses forces au cours des quatre dernières années, dans un contexte de loi martiale et d’oppression. En Turquie, 250.000 personnes ont participé à la manifestation du Premier Mai sur la place Taksim à Istanbul – pour la première fois en 33 ans – dans la foulée de la lutte héroïque des travailleurs de Tekel. Ces développements sont une indication des futures luttes massives de la part des travailleurs à travers toute la région, ce qui va poser les bases pour la construction d’un mouvement ouvrier puissant et indépendant, et pour la formulation d’une alternative de classe et socialiste à la place du système actuel.
Économie
La crise économique mondiale en cours en ce moment va avoir un effet dévastateur sur les conditions de vie de millions de personnes au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.
Même avant la crise, environ 23% de la population de la région vivait avec moins de 2$ par jour, et six millions de gens avec moins de 1$ par jour. Bien que la crise financière mondiale ait eu des ramifications profondes dans les principales banques de la région, l’approche plus “conservative” des institutions financières de la région au cours des années de croissance a fait en sorte que celle-ci n’a pas été aussi fortement frappée que l’Occident, au moins pas dans les premières phases de la crise économique qui s’en est suivie. Les 18 économies qui composent le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord (MENA) s’en sont mieux sorties que les États-Unis, qui ont vu leur production chuter de 2,4% en 2009, ou en comparaison de l’Europe dont l’économie s’est contractée de 4,1% l’an dernier. Toutefois, la performance économique varie grandement au sein de la région entre les pays producteurs et non-producteurs de pétrole.
Certains pays “pauvres en ressources” ont récemment connu une croissance. Uniquement surpassé par le Qatar en termes de croissance économique, le PIB du Liban s’est accru de 9% en 2008 et en 2009, et on s’attend à ce que ce pays croisse encore de 8% en 2010. Mais ces chiffres sont trompeurs. Le Liban se bat pour éradiquer une montagne de dettes qui s’élève à 148% du PIB, et qui est la troisième plus grande dette publique au monde. Les économistes avertissent aussi d’un effondrement possible de la bulle immobilière.
La chute soudaine du prix du pétrole, passant de 145$/baril en juillet 2008 à moins de 40$/baril au début de 2009 a causé un ralentissement des économies des six États producteurs de pétrole de la région (le Bahreïn, le Koweït, l’Oman, le Qatar, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis), connus sous le nom de Conseil de Coopération du Golfe (Gulf Cooperation Council – GCC). Le PIB total des États du GCC, qui inclut certains des plus grands producteurs de pétrole au monde, a chuté d’un impressionnant 80% entre 2008 et 2009. Les États du GCC ont été forcés d’augmenter les dépenses d’État et d’augmenter leur déficit.
Alors qu’on prévoit que l’économie des pays du GCC va connaitre une reprise en 2010 à cause de la nouvelle hausse du prix du pétrole, ce n’est pas une image uniforme, et la croissance générale est sapée par divers facteurs. On prédit que les Émirats arabes unis vont rester à la traine derrière leurs voisins du Golfe à cause de la stagnation de l’économie à Dubaï, à la suite de l’effondrement spectaculaire de son marché immobilier. La persistance de l’“aversion des risques” de la part du secteur bancaire et la prudence des consommateurs sont en train de menacer la reprise des GCC.
La grave crise économique de 2000-2002 dans des pays comme Israël ou la Turquie a constitué une anticipation de la crise économique mondiale actuelle, qui a conduit à une approche plus prudente de la dérégulation des secteurs financiers et bancaires dans ces pays. Les effets de la crise économique mondiale depuis 2007 ont jusqu’à présent été limités, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord (bien que, pour la masse de la population, il n’y ait eu aucune amélioration des conditions de vie). Les plans de relance dans les principaux pays capitalistes ont eu un effet sur la région. Israël, en particulier, est assisté par ses liens avec les États-Unis et avec l’Union européenne. Mais l’économie de la région reste dans son ensemble anémique et très vulnérable à la crise mondiale qui se développe. Une “double chute” de l’économie mondiale, ou une croissance faible, une guerre des monnaies et une hausse du protectionnisme auront tous un effet désastreux pour les économies de la région. L’Arabie saoudite s’est déjà jointe à d’autres pays en imposant de nouvelles mesures protectionnistes.
Un chômage de masse
La crise économique met en relief les contradictions nées de la surdépendance aux réserves d’hydrocarbures au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. De nombreux pays de la région sont basés presque entièrement sur le pétrole, et ne sont pas parvenus ni à diversifier leur économie, ni à accroitre le niveau de vie. Le haut taux de chômage qui en découle est une caractéristique constante à travers toute la région ; c’est une véritable bombe à retardement (comme l’a démontré la récente révolte en Tunisie, qui s’est déroulée après le Congrès Mondial, NDT). Plus de 30% des 350 millions d’habitants de la région est âgée d’entre 15 et 29 ans, et le chômage parmi ce groupe est de 28% en moyenne.
Le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord ont le plus haut niveau de chômage des jeunes au monde, et deux tiers de la population y ont moins de 24 ans. La Banque mondiale prédit que 100 millions d’emplois devraient être créés dans la région au cours des 20 prochaines années ne serait-ce que pour accommoder ceux qui cherchent à entrer sur le marché du travail pour la première fois de leur vie.
Le chômage de masse a alimenté un mécontentement de masse et les tensions sectaires à travers l’ensemble de la région. Dans les États du Golfe en particulier, les musulmans chiites sont une minorité depuis longtemps discriminée dans les États sunnites. Ceci s’ajoute aux préoccupations de l’élite par rapport à l’influence de plus en plus grande des chiites en Iraq, aux tentatives de l’Iran de devenir la puissance dominante dans la région, et à la force relative du Hezbollah au Liban. Jouant à fond sur la stratégie de la division, les autorités saoudiennes, koweïtiennes et bahreïniennes ont toutes au cours des derniers mois fait usage d’une lourde répression sur leurs populations chiites qui réclament plus de droits.
Irak
La division sectaire trouve également son expression dans l’incapacité à former un gouvernement en Irak, même plusieurs mois après les élections de mars 2010 (un gouvernement a finalement été constitué en Irak le 11 novembre, après huit mois de négociations et après l’écriture de ce texte, NDT). Après 30 ans de dictature, de guerre, de sanctions, d’invasion et d’occupation impérialiste, d’insurrection et de guerre civile sectaire (les États-Unis soutenant la majorité chiite), l’Irak actuel a atteint une “forme de macabre stabilité”, avec un niveau de violence permanente sans précédent, et un État immensément corrompu et “dysfonctionnel”.
La “situation sur le plan sécuritaire” demeure désespérée ; les pertes de civils sont plus élevées en Irak qu’en Afghanistan. Cette année, on a vu un nouveau développement dans la violence, avec l’assassinat ciblé de plus de 700 personnes, principalement du personnel de sécurité. L’impasse politique au sommet, l’occupation impérialiste continue et les conditions de vie atroces contribuent toutes à une colère de masse, à une violente opposition et au sectarisme. Bagdad est balafrée de 1500 check-points, des rues entières sont bloquées par des kilomètres de murs de protection en béton. Les attentats sectaires ont fait leur grand retour, avec le massacre de tas de chrétiens et de chiites à Bagdad au cours des premières semaines de novembre 2010. Depuis l’invasion sous direction américaine de 2003, la population chrétienne est passée de 1 million à 500.000, et un nouvel exode de cette minorité est maintenant probable. Sans surprise, très peu des 2 millions de réfugiés irakiens en Jordanie ou en Syrie sont prêts à risquer leur vie en tentant un retour au pays. 1,5 million d’autres personnes qui ont fui leur foyer durant les pogroms sectaires de 2006-2007 sont considérés comme “personnes déplacées en interne” ; beaucoup d’entre elles sont forcées de vivre dans des camps sordides, où ils sont rejoints par un nombre croissant de réfugiés économiques irakiens, dont bon nombre de paysans ruinés.
On décrit de plus en plus l’Irak comme un “nouveau Liban”, où chaque ethnie ou communauté sectaire est en lutte pour sa part de pouvoir ou de ressources. Les réserves de pétrole non-exploitées du pays sont parmi les plus grandes au monde, et on estime que ses exportations de pétrole vont quadrupler au cours de la prochaine décennie. Chaque année, environ 60 milliards de dollars issus du pétrole sont nécessaires pour les dépenses de la machine d’État, principalement afin de payer les salaires des forces de sécurité et de la bureaucratie civile. Les dirigeants sunnites, chiites et kurdes veulent tous leur part de l’argent du pétrole et des rares emplois. Le “centre sunnite” de l’Irak craint un “renouveau chiite” – près de 40% du pétrole du pays entoure la ville chiite de Bassorah dans le Sud.
L’Iran est en train d’essayer d’obtenir un accord entre Nouri al-Maliki, le Premier Ministre irakien, et le dirigeant chiite irakien Moqtada al-Sadr (avec aussi une implication des sections syrienne et libanaise du Hezbollah). Jusqu’à présent, les États-Unis ont échoué à composer un gouvernement alternatif. Un cadre occidental anonyme a commenté qu’un second gouvernement Maliki formé selon les termes de l’Iran ne serait “rien moins qu’une défaite stratégique” pour l’impérialisme américain, après une guerre de sept ans qui a couté plus de 600 milliards de dollars, plus de 4.425 vies de soldats américains et plus de 30.000 blessés. Il n’y a même pas la moindre tentative de la part des puissances occupantes de tenir un compte-rendu détaillé des morts civils causés par le conflit. Les estimations varient entre 100.000 et 600.000 morts. Quels que soient les chiffres exacts, il s’agit de toute façon d’un massacre en bonne et due forme de masses d’irakiens innocents.
Malgré le “retrait des troupes” orchestré par Obama, les États-Unis vont conserver au moins 40.000 soldats en Irak, pour construire tout un réseau de bases militaires américaines et donner un soutien lourd à l’État irakien. Mais le fait de renforcer l’armée irakienne est extrêmement périlleux dans une situation de divisions nationales, régionales et sectaires. Un conseiller militaire américain, David Kilcullen, a averti l’an passé du fait que l’Irak affichait les “conditions classiques pour un coup d’État militaire”. Comme l’a déjà souligné le CIO à de nombreuses reprises, une des conséquences possibles de l’invasion et de l’occupation est la création de toute une série de nouveaux dictateurs “à la Saddam”.
L’équilibre des forces sur le plan régional
L’invasion de l’Irak dirigée par les États-Unis a intensifié les tensions au Moyen-Orient et a affaibli la position des régimes les plus pro-américains. Ce dernier processus a été renforcé par la colère populaire vis-à-vis des attaques contre le Liban et Gaza du fait d’Israël, en 2006 et 2009, ainsi que par le raid des commandos israéliens sur le cargo d’aide humanitaire pour Gaza en 2010, en plus de l’oppression continue des Palestiniens.
Les élites dirigeantes des régimes pro-occidentaux, en Jordanie, en Égypte et en Arabie saoudite, sont perçues par les masses arabes comme étant complices de cette oppression, et sont de plus en plus détestées par leur propre peuple. La dynastie des Hachémites en Jordanie a chamboulé les cantons électoraux avant les élections parlementaires en novembre, de sorte à donner une plus grande représentation aux communes rurales faiblement peuplées qu’aux centres urbains denses, où dominent les Jordaniens d’origine palestinienne.
Les conséquences de l’occupation de l’Irak ont modifié l’équilibre des forces dans la région, avec le renforcement de l’Iran et de “l’axe chiite” comme on l’appelle. En outre, avec une population de 72 millions d’habitants et l’ampleur de son intervention en Irak (elle est la deuxième plus grande composante des troupes de l’OTAN en Irak derrière les États-Unis), la Turquie est une puissance régionale grandissante dans la région, et vise à jouer un rôle majeur au Moyen-Orient. Le régime AKP au pouvoir en Turquie utilise la position géostratégique cruciale de son pays (à l’intersection de l’Europe, du “monde russe” et du Moyen-Orient, NDT) pour manœuvrer entre les différentes régions et les puissances locales et mondiales.
Comme l’a souligné le document sur les relations mondiales, l’impérialisme ne sera jamais capable d’imposer de l’extérieur une solution durable pour l’Irak ni pour l’Afghanistan. Après le bilan des années Bush au niveau de la politique extérieure, le caractère de l’intervention impérialiste américaine a été contraint de se modifier. Mais les États-Unis restent, et de loin, la plus grande puissance militaire au monde, une puissance qui va continuer à intervenir là où elle peut pour sauvegarder ses intérêts stratégiques sur les plans économique et militaire.
Une attaque américaine contre l’Iran reste une possibilité, éventuellement avec une coopération israélienne (ou bien sous la forme d’une attaque par Israël “tout seul”). Les répercussions sociales, politiques et militaires d’une telle attaque seraient énormes, dans la région et dans le monde entier. Au départ, une attaque israélo-américaine serait le déclencheur d’une vague terrible d’indignation nationaliste en Iran, mais mettrait aussi le feu aux poudres des sentiments anti-israéliens et nationalistes arabes à travers toute la région. Les Gardiens de la Révolution iranienne et les alliés régionaux de Téhéran – comme le Hezbollah – entameraient des actions de représailles. Sous l’énorme pression de leurs populations, l’Iran et les États producteurs de pétrole pourraient temporairement limiter leurs exportations de pétrole, ajoutant un nouveau revers déstabilisant à la crise économique mondiale.
Le Yémen et la Somalie
Les États-Unis sont de plus en plus emportés par les événements en Somalie et au Yémen, sans aucune perspective de résoudre ces crises. Les États-Unis financent allègrement le régime islamiste “modéré” de Sharif Ahmed en Somalie, qui impose la charia, bien que son autorité ne s’étende guère plus loin qu’à ‘‘quelques ruelles dans la capitale où l’on entend les mouches voler’’ (The Economist du 18/09/10). En réalité, des régions entières du sud et du centre de la Somalie sont contrôlées par les milices islamistes al-Shabaab (“La Jeunesse”). Près de 20.000 civils ont fui cette année la capitale, Mogadiscio, à cause du conflit, et plusieurs milliers ont été tués ou blessés. Les États-Unis sont réticents à envahir le pays à nouveau après son intervention désastreuse en 1993, mais même une politique plus agressive de la part des États-Unis pourrait se retourner contre eux, faisant de la Somalie le prochain “foyer du djihad mondial”.
Au Yémen, l’organisation “al-Qaïda dans la Péninsule arabe” (AQPA) est maintenant considérée par les services de renseignement britanniques comme une menace terroriste aussi grande que celle qui émane du Pakistan et d’Afghanistan. Il n’est pas difficile de comprendre comment le Yémen est devenu un point de concentration pour tous les “moudjahiddines”. Le Yémen est le pays le plus pauvre de toute la MENA ; près de la moitié de sa population vit avec moins de 2$ par jour, alors qu’il est situé juste à côté de certains des plus riches États au monde, y compris l’Arabie saoudite. Le pétrole yéménite compte pour 90% de ses exportations et pour les trois-quarts de son revenu, mais on estime que son faible filon d’“or noir” s’asséchera d’ici 2017. Le chômage est de 35% et on s’attend à ce que sa population de 23 millions d’habitants – dont la moitié a moins de 24 ans – double d’ici 2035.
Sous le règne kleptocratique du Président Abdoullah Salih, le Yémen souffre de conflits séparatistes dans le Nord et dans le Sud. Le Président Salih utilise la menace d’al-Qaïda et de la “situation sécuritaire” pour pourchasser impitoyablement toute opposition séparatiste dans le Sud et pour appeler à un soutien accru de la part du Royaume-Uni et des États-Unis. Peu désireux d’impliquer leurs troupes dans un autre potentiel bourbier militaire, les États-Unis ont envoyé un chèque de 300 millions de dollars “la moitié pour le développement, la moitié pour l’armée” au régime Salih. La presse affirme que la Maison blanche est en train de se préparer à intensifier ses “opérations spéciales” au Yémen, y compris plus d’attaques de drones. Il ne fait aucun doute que ceci va contribuer à accroitre le champ de recrutement d’AQPA. Toutefois, les “moudjahidines” sont moins soutenus dans le sud du Yémen. De fait, la plupart des Yéménites ‘‘se soucie plus de la terre et d’argent que de religion et d’idéologie’’ (The Observer du 31/10/10).
Dans le contexte de l’aggravation des difficultés sur le plan économique, du vide politique à la tête des mouvements de masse, de la putréfaction de la bourgeoisie néocoloniale et de la rhétorique “anti-impérialiste” des islamistes politiques, les divers phénomènes de l’islamisme politique et du terrorisme vont continuer à susciter une attraction parmi des couches larges des parties les plus aliénées de la population de la région. Mais les masses apprennent aussi de leur propre rude expérience de l’islam “politique” et “radical” de droite, comme l’opposition de masse au règne des mollahs en Iran et le dégout face aux atrocités sectaires d’al-Qaïda en Irak le montrent bien. Le développement de la lutte de masse des travailleurs et de la radicalisation de classe va voir se développer les idées anticapitalistes et socialistes, et constituera un puissant pôle d’attraction pour les masses, de même qu’une tendance capable de contrebalancer l’islam politique réactionnaire et le terrorisme. Bien que ce processus ne se fera pas de façon directe, et verra aussi le développement de tendances plus larges et plus confuses comme le “pan-arabisme” ou le “pan-islamisme”, et même le développement possible d’un “islamisme de gauche”, les puissantes batailles de classe qui se trouvent devant nous vont poser la base pour le renouveau des idées socialistes et de classe qui étaient naguère si puissantes dans la région.
C’est une de nos tâches principales dans ce processus : aider le mouvement ouvrier à apprendre les leçons des erreurs et des trahisons des anciens dirigeants des partis communistes et des autres organisations de masse.
Palestine et Israël
À coup de grand ramdam médiatique, le Président Obama a organisé de nouveaux “pourparlers de paix” entre le Premier Ministre Netanyahou et le dirigeant palestinien Abbas en septembre 2010. Le “but” de ces pourparlers, une soi-disant “solution à deux États”, verrait en réalité le maintien des frontières de 1967, avec 80% de la terre pour Israël, plus une partie de la Cisjordanie. Les Palestiniens recevraient un petit territoire invivable, sans aucun droit de retour pour les réfugiés. Netanyahou a bien expliqué que Jérusalem restera sous domination israélienne et ne sera pas une “capitale partagée”, et que tout État palestinien sera soumis à la surveillance de la police israélienne.
Il ne fait aucun doute que l’administration Obama voudrait voir un accord – aux dépens des Palestiniens, bien entendu – afin de renforcer et consolider les intérêts américains, y compris la position d’Israël à long terme, en tant que son principal allié dans la région. Netanyahou, mis sous la pression des différentes factions au sein du gouvernement israélien de coalition, avec d’un côté l’ultra droite liée aux colons, de l’autre son propre parti, le Likoud, n’est à ce stade pas prêt à accepter les souhaits des États-Unis. Toutefois, Netanyahou pourrait finalement plier sous la pression américaine, qui est soutenue par certaines sections de la classe dirigeante israélienne qui craint les conséquences des tendances démographiques, et qui se soucie de la position régionale et internationale du capitalisme israélien.
La classe dirigeante israélienne est prise au piège. Elle craint que la “bombe à retardement démographique” ne mène à ce que la population palestinienne croissante au sein d’Israël ne devienne majoritaire. Le Ministre israélien de la Sécurité, Barak, a exprimé en février 2010 ce problème auquel est confrontée la classe dirigeante : ‘‘Tant que dans ce territoire à l’ouest du fleuve Jourdain, il n’y aura qu’une seule entité politique appelée Israël, alors elle sera soit non-juive, soit non-démocratique’’. Il a poursuivi en disant ceci : ‘‘Si dans cet État unique, les Palestiniens qui habitent en Cisjordanie pouvaient dans le futur voter lors des élections en Israël, alors Israël deviendrait un État bi-national. D’un autre côté, au cas où les Palestiniens ne pourraient pas voter, alors ce serait un État d’Apartheid… Ces alternatives nous forcent à tracer la frontière d’un État qui inclut une majorité juive, avec un État palestinien de l’autre côté.’’
La classe dirigeante israélienne craint fortement que toute concession accordée aux masses palestiniennes ne fera que renforcer la lutte contre l’oppression. Mais renforcer la répression étatique n’aura au final qu’un effet similaire.
La montée du néolibéralisme en Israël a joué un rôle décisif dans l’écrasement de la base traditionnelle de soutien des principaux partis politiques de la classe dirigeante israélienne, ce qui a pour finir mené à l’effondrement du camp de la “gauche sioniste”. Le gouvernement Netanyahou, confronté à la crise historique du sionisme elle-même, est forcé, encore plus que les gouvernements précédents, à se baser sur un nationalisme et un militarisme israélien affirmé, en plus de l’islamophobie et du racisme anti-arabe. C’est cela qui a mené à l’inclusion de partis d’extrême droite dans le gouvernement et leur influence croissante au sein des principaux partis traditionnels de l’establishment au pouvoir. Un tel développement signifie que ces partis sont des outils moins fiables aux yeux de la classe dirigeante.
Les “pourparlers” israélo-palestiniens sont en ce moment en pause, à la suite de la reprise de la construction de “colonies” en terre palestinienne le 27 septembre. Même si Netanyahou, sous l’intense pression américaine, parvient à dompter la droite assez que pour pouvoir maintenir “vivants” ces soi-disant pourparlers (en faisant même rentrer le parti “Kadima” dans la coalition), la classe dirigeante israélienne donnera aussi peu que possible et s’assurera qu’il n’y ait aucun développement d’un État palestinien réellement indépendant.
Parmi la population juive, une couche, surtout composée de jeunes, est dégoutée par la politique de Netanyahou et de l’extrême droite, et commence à entrer en opposition ouverte. Bien qu’encore peu en nombre, l’existence même de cette tendance est lourde de sens.
Tandis que le nationalisme sioniste est utilisé pour bloquer la lutte de classe, et en particulier les luttes qui pourraient franchir la division nationale, d’importantes ripostes de la part de la classe ouvrière ont eu lieu en Israël au cours des dernières années. On a eu en 2007 la grève massive des enseignants du secondaire qui a défié le gouvernement et qui a culminé avec la mobilisation de 100.000 enseignants, étudiants et sympathisants au cours d’un meeting de solidarité où les chefs des syndicats ont été forcés par l’humeur combative d’appeler à une lutte plus large, “pour un État-providence”. Même la fédération syndicale Histadrut a vu son nombre d’affiliés croitre depuis 2006. De 1996 à 2004, l’ancienne direction de Histadrut s’était vue contrainte de diriger les plus grandes grèves de toute l’Histoire d’Israël. Après la défaite de ces luttes, la nouvelle direction est parvenue depuis 2005 à imposer un silence industriel sans précédent (le syndicat des enseignants du secondaire ne fait pas partie de Histadrut). Elle a conclu des accords pourris avec les patrons et le gouvernement, sous prétexte de
“responsabilité nationale”.
Toutefois, comme cela est déjà impliqué par quelques exemples petits, mais lourds de signification, la bureaucratie a été forcée à lâcher de la vapeur lors des dernières années (dans certains cas, à cause de l’influence de la nouvelle organisation “Pouvoir aux travailleurs” que le CIO a aidé à lancer et à construire), le calme industriel va forcément se terminer, et l’emprise de la bureaucratie ne pourra que se relâcher. Ce sera particulièrement le cas lorsque l’économie israélienne sera touchée par la récession qui, on peut s’y attendre, sera plus vive que le dernier ralentissement de début 2009. Pour remporter les batailles du futur contre les patrons, les travailleurs israéliens vont devoir adopter un programme de solidarité et de lutte unie des travailleurs juifs et arabes. Ceci implique de rompre avec la politique d’oppression, de colonisation et d’agression militaire envers les masses de la région qui est celle de l’élite dirigeante.
Pour l’instant, la “direction” poltronne de l’Autorité palestinienne (AP), sous pression de l’administration américaine, cherche toujours désespérément à maintenir les pourparlers, tout comme la très molle Ligue arabe. La réalité est que la tournée actuelle de (non-)pourparlers ne mènera absolument nulle part. Bien qu’une marge très limitée pour un peu plus d’“auto-gouvernance” des Palestiniens pourrait être accordée à un certain point – allant même jusqu’à l’annonce de la création d’un pseudo État palestinien “indépendant” –, sur base du capitalisme et de l’impérialisme, aucune solution durable et fondamentale ne peut être trouvée pour la question palestinienne ou pour amener la paix dans la région. Qui plus est, une telle annonce pourrait servir de prétexte pour intensifier la répression contre les Palestiniens qui vivent en Israël, ou pour lancer une nouvelle attaque militaire contre le Hamas à Gaza, où un et demi millions de gens restent vivent encore en état de siège, avec une immense pauvreté et un immense chômage. Les conditions au sein de l’AP sont loin d’être fort meilleures. Les Palestiniens qui vivent en Israël sont de plus en plus aliénés par les mesures discriminatoires et par la persécution et la répression brutales de toute forme de protestation. Ceci s’ajoute aux attaques de la part de l’extrême-droite, à la pauvreté croissante et aux tentatives de l’État israélien d’altérer l’équilibre démographique au détriment des Palestiniens.
L’armée israélienne continue à menacer de lancer des attaques militaires contre le Hezbollah au Liban. De fait, la situation est lourde de conflits militaires et de guerres. Tout comme les attaques précédentes d’Israël sur le Liban et sur Gaza, de tels conflits vont déclencher une immense colère et opposition dans tout le monde arabe et sur le plan international. Au lieu de pourparlers menant à la paix et à la justice, la question nationale devient de plus en plus ingérable, menant à de nouveaux mouvements et révoltes de masse des Palestiniens opprimés. Même l’élite dirigeante palestinienne a partiellement reconnu cela, avec certains de ses dirigeants nationaux qui reprennent les cris de l’immense frustration des masses en parlant de “lutte”. Bien entendu, ces “dirigeants” ne font qu’utiliser la menace d’un renouveau de la lutte de masse pour tenter d’ajouter une pression sur Israël et sur les puissances occidentales et les forcer à un accord.
Tous les acquis majeurs obtenus par les Palestiniens ne l’ont été que par des mouvements de masse, surtout la Première Intifada. Les développements actuels jettent les bases pour de nouvelles révoltes de masse. La lutte pour les droits démocratiques et sociaux des Palestiniens à l’intérieur d’Israël sera très certainement un des points centraux lors d’une “Troisième Intifada”. La lutte de masse des Palestiniens, tout comme au cours des précédentes insurrections, recevra une solidarité toute prête dans la région comme sur le plan international, y compris de la part d’une section des travailleurs et des jeunes juifs. Toutefois, sans une direction armée d’une approche de classe, le mouvement de masse pourrait finir par déployer des méthodes de lutte contre-productives, limitant par là sa capacité à contrer la violente répression du régime israélien. Un programme marxiste pour résoudre la question nationale, sur une base de classe et socialiste, est vital pour faire progresser la lutte et pour empêcher un possible élargissement de la barrière nationale.
Le régime du Hamas à Gaza continue à partiellement canaliser la colère des Palestiniens face à leurs terribles conditions de vie. Mais avec sa politique islamiste de droite, le Hamas n’offre aucune stratégie alternative viable pour les Palestiniens opprimés ; cette politique est d’ailleurs de plus en plus remise en question par des sections de la population gazaouie. De fait, le Hamas a entamé des négociations en coulisse avec l’impérialisme américain, et son sous règne les femmes sont de plus en plus opprimées, de même que toute opposition au Hamas.
La libération des masses palestiniennes ne peut pas être accomplie dans le cadre du capitalisme. Leurs aspirations ne peuvent être satisfaites dans une lutte aux côtés des régimes arabes corrompus et réactionnaires. Après tout, le régime de Moubarak en Égypte est responsable du blocus de la frontière de Rafah avec Gaza, et la classe dirigeante libanaise porte la responsabilité de l’oppression et de la discrimination continues des Palestiniens dans les camps de réfugiés au Liban. La lutte pour l’émancipation doit être liée à la lutte pour le socialisme, sur base de l’unité de la classe des travailleurs à travers la région. Ce n’est qu’à travers des mouvements de masse unis de la classe ouvrière et des pauvres de Palestine, et d’Israël aussi, qu’une solution pourra être trouvée ; que l’on pourra s’opposer à l’oppression nationale, aux partis des patrons et de l’impérialisme ; et obtenir une réelle auto-détermination pour les Palestiniens – pour une Palestine socialiste et démocratique, pour un Israël socialiste et démocratique, en tant que membres égaux et volontaires d’une confédération socialiste de tout le Moyen-Orient.
Les positions politiques de principe établis par les forces du CIO en Israël et au Liban, souvent dans des conditions objectives extrêmement difficiles, sont cruciales pour préparer le terrain pour de futurs grands pas en avant pour le marxisme dans la région.
Le Liban
La complexité et la haute instabilité de la situation au Liban – dominée par des partis pro-marchés et à base sectaire, et par l’interférence des puissances régionales et impérialistes – ont été illustrées par la volte-face du Premier Ministre Saad Hariri en septembre dernier au sujet de l’assassinat de son père Rafiq, qui avait été cinq fois Premier Ministre. Saad Hariri avoue maintenant s’être trompé en accusant la Syrie de l’attentat à la voiture piégée qui a tué Rafiq, un homme d’affaires multimilliardaire. C’est ce meurtre en 2005 qui a déclenché la “Révolution des Cèdres”, soutenue par l’Occident, et qui a mené au retrait des “gardiens de la paix” syriens après trois décennies d’implication syrienne directe au Liban. Saad Hariri est arrivé au pouvoir au cours de ces événements, mais lui et ses alliés ont seulement obtenu une très mince majorité parlementaire. Le Hezbollah pro-syrien (dont le prestige a été grandement renforcé après la guerre d’Israël contre le Liban en 2006) a, avec ses alliés, forcé Hariri à partager le pouvoir en 2008. Depuis lors, les alliances politiques de Hariri se sont affaiblies et son principal soutien étranger, l’Arabie saoudite, a amélioré ses relations avec la Syrie. Maintenant, le tribunal des Nations-Unies qui est en train de mener une enquête autour de l’attentat de 2005 serait en train de s’orienter vers une responsabilité du Hezbollah ou d’un “groupe solitaire” émanant de cette organisation. Une telle découverte serait hautement explosive et pourrait déclencher une nouvelle crise politique.
Quelles que soit leurs différences sectaires, tous les partis libanais partagent la même politique économique et sociale pro-capitaliste. L’importante lutte des enseignants en 2010 a montré qu’aucun des principaux partis ne défend les intérêts des travailleurs et des pauvres. Les travailleurs qui entrent dans de nouvelles actions industrielles, comme ils vont inévitablement le faire à cause du nouveau programme de privatisation et de coupes budgétaires du gouvernement, vont tirer la conclusion qu’ils ont besoin de s’unir pour construire un mouvement ouvrier contre la politique néolibérale et qu’il faut une alternative politique unifiée contre la pauvreté, le sectarisme et la guerre. En développant de manière audacieuse sa plate-forme et ses forces, le CIO au Liban peut jouer un rôle crucial dans ce processus.
L’Iran
L’Iran a bénéficié du pouvoir grandissant des chiites en Irak et a élargi son influence dans la région, comme on l’a vu avec la visite d’Ahmadinedjad au Liban en octobre 2010. Téhéran cherche à assister la création d’un gouvernement à dominance chiite en Irak. Ceci renforcerait le commerce et la “codépendance” économique entre l’Iran et l’Irak, et contribuerait à éviter à ce que l’Iraq redevienne une menace militaire, comme cela l’était avec Saddam, ou ne soit utilisé en tant que base de lancement pour une attaque américaine.
Quelles que soient les menaces extérieures de l’impérialisme, au final ce sont les événements domestiques qui détermineront le destin de la théocratie au pouvoir en Iran. À cause du manque d’organisations de masse de la classe ouvrière, le mouvement de masse des “Verts” en 2009 a été réprimé et dispersé, pour le moment, par la force brute du régime Ahmadinidjad. Mais ce puissant mouvement de masse n’est que le prélude de luttes révolutionnaires de masse qui vont se développer en Iran. Des millions sont descendus dans les rues après les élections de juin 2009, qui étaient largement perçues comme ayant été truquées, malgré la violente répression des milices bassidji du régime. Il y avait des rapports de soldats qui désobéissaient aux ordres d’attaquer les manifestants.
Au cours du mois de décembre 2009, la conscience du mouvement s’est développée bien au-delà de celle de ses soi-disant dirigeants, et il y avait des rapports d’une radicalisation accrue parmi les étudiants. Toutefois, avec le déclin du mouvement de masse, cette conscience radicalisée a quelque peu reculé, et Moussavi et Karroubi ont maintenu leur rôle de “dirigeant” de l’opposition. Pourtant, comme les événements l’ont déjà montré, ceci peut à nouveau changer très rapidement sur base de nouveaux mouvements de masse.
La principale leçon de l’échec du mouvement de masse à renverser le régime est le besoin urgent de construire des organisations indépendantes de la classe ouvrière. De telles formations de classe mettraient en avant des revendications démocratiques (qui, dans une telle situation, acquièrent un caractère révolutionnaire) et des revendications de classe, et utiliserait les armes de la lutte de classe, y compris la grève générale, pour assurer la fin du régime réactionnaire des mollahs. Les couches des classes moyennes en 2009 se sont rangées derrière le mouvement de masse, et certaines sections de la classe ouvrière, en particulier les travailleurs des transports publics. Mais il manquait à tout ce potentiel une direction socialiste clairvoyante, et il ne s’est pas développé en une grève générale et en un mouvement de classe assez puissant que pour renverser le régime.
Bien qu’Ahmadinedjad ne se soit cramponné au pouvoir que de justesse, sa faction dirigeante a par la suite souffert d’un fractionnement interne, reflétant en partie l’aggravation de la situation économique et sociale sur le plan domestique.
Les sanctions imposées par l’Occident se font durement sentir, même si l’Iran reste le cinquième plus grand exportateur de pétrole au monde. Mais on estime que la production de pétrole va chuter de 15% d’ici 2015 et les exportations de 25%, selon le magazine The Economist. Le plan d’Ahmadinedjad est de cesser les subsides aux consommateurs, qui équivalent à un quart du PIB, ce qui va causer une forte hausse des prix de l’alimentation, du carburant et des transports. La perspective d’une vie de faible croissance économique, d’un haut taux de chômage et sous un règne autoritaire réactionnaire, signifie que les masses iraniennes – ayant pris le gout de la lutte de masse – vont forcément repartir sur cette voie.
L’opposition de masse en Iran – confuse et désorientée après la répression brutale – entretient toujours à ce stade beaucoup d’illusions dans la démocratie bourgeoise, ce qui est compréhensible. On ne doit pas s’attendre à plus, étant donné l’héritage de trois décennies d’oppression théocratique, le caractère poltron de l’opposition Moussavi et le manque d’une alternative révolutionnaire socialiste. Moussavi représente une aile de l’élite qui désire entre autres parvenir à un accord avec l’impérialisme américain. Il veut aussi adoucir la répression et concéder quelques réformes démocratiques afin de tenter d’élargir la base de soutien du régime et donc faire dérailler le mouvement de masse. L’expérience du programme et des méthodes de Moussavi signifiera que des sections de travailleurs et de jeunes peuvent rapidement adopter des idées et des méthodes de lutte plus radicales. Cependant, des sections entières du mouvement de masse peuvent rapidement déborder des limites du programme Moussavi, qui tente de conclure un accord avec le régime. Nous avons vu pendant le mouvement de 2009 la manière dont les actions de protestation contre le truquage des élections se sont développées en une lutte pour abattre la dictature. Début 2010, les funérailles de l’ayatollah Hossein Ali Montazeri se sont transformées en une série d’actions larges anti-gouvernement, avec un niveau record de reprise des slogans contre la ligne dure du “guide spirituel suprême” Khamene’i.
La question nationale en Iran est elle aussi une menace pour le régime. Dans les régions kurdes, les grandes manifestations du Premier Mai et la grève générale appelée après l’assassinat d’un militant syndical kurde a montré le caractère explosif des aspirations non-résolues des masses, y compris concernant leurs droits démocratiques nationaux.
Le timing des futurs mouvements de masse contre le régime des mollahs est bien entendu impossible à prévoir. Mais il est certain qu’après s’être engagées dans une lutte ouverte, bien que temporairement retenues, les masses vont de nouveau s’avancer pour renverser le régime fondamentaliste. Si le mouvement pour les droits démocratiques est lié à une lutte de masse de la classe ouvrière et des pauvres, le régime peut être renversé. Le rôle de la classe ouvrière sera décisif. Bien que les tentatives d’organiser des syndicats indépendants ou des grèves soient brutalement réprimées, les travailleurs des bus de Téhéran et les ouvriers de la sucrerie de Haft Tapeh ont déjà entamé une lutte courageuse. Plus de travailleurs, surtout dans les régions kurdes, ont été impliqués dans des grèves au cours de l’an passé.
De nouveaux mouvements de masse en Iran vont également avoir une énorme influence sur les pays environnants et sur le plan mondial. Cela souligne le besoin urgent de développer les idées et la présence du CIO au Moyen-Orient, sur base du travail magnifique qui est déjà accompli par le CIO là où il existe. Les socialistes appellent la classe ouvrière iranienne et les couches moyennes de plus en plus appauvries de ce pays à agir de manière indépendante de l’opposition pro-capitaliste et des factions de l’élite dirigeante. Il est nécessaire de tirer les leçons de l’amère déception de 1979/80, lorsque l’élite a utilisé une phraséologie “révolutionnaire” et religieuse pour prendre le pouvoir et le consolider. Les dirigeants de l’opposition actuels aimeraient détourner le pouvoir potentiellement révolutionnaire des masses à l’aide d’une phraséologie et de promesses “démocratiques”. La reconstruction du mouvement ouvrier est une tâche cruciale qui incombe aux masses iraniennes.
Même si le régime Ahmadinedjad était renversé et remplacé par un régime bourgeois “pro-démocratie” – du fait du caractère pro-capitaliste des dirigeants de l’opposition qui exploitent les illusions dans la démocratie parlementaire “à l’occidentale” et essentiellement, à cause du manque d’une alternative socialiste – de nouvelles luttes de masse des travailleurs et de la jeunesse vont se développer. Un nouveau gouvernement capitaliste se baserait tout d’abord sur les espoirs et les illusions des masses, mais deviendrait rapidement un gouvernement de crise. Seul un gouvernement des travailleurs et des pauvres peut garantir les droits démocratiques et entamer la transformation du pays en rompant avec l’emprise de l’élite et du capitalisme.
L’Égypte
Avec sa population de 85 millions d’habitants, sa position géostratégique dans le monde arabe, son régime divisé et son niveau croissant d’opposition et de lutte industrielle, l’Égypte est un autre pays clé pour la lutte de classe qui se développe dans la région. Le vieux Président Moubarak a organisé des élections parlementaires à la fin de novembre 2010, mais cela était accompagné d’innombrables barrières aux partis d’opposition qui désiraient se porter candidats, et d’une répression générale des militants, en particulier contre les partisans des Frères musulmans. Le régime a une bonne raison de craindre des élections qui ne seraient pas bridées : malgré la fraude flagrante et la violence d’État, les dernières élections parlementaires en 2005 ont vu les Frères remporter un cinquième des sièges alors qu’ils n’étaient candidats que pour un tiers de ceux-ci. Les élections de novembre 2010 n’étaient qu’une farce, qui a permis au parti du gouvernement de “gagner” 97% des sièges. Selon des estimations indépendantes, le taux de participation était de 10-15%, comparé à 25% lors des élections de 2005. Reflétant la hausse de la radicalisation de l’opposition au règne de Moubarak (et à l’intronisation prévue de son fils Gamal) à travers toute la société, des divisions ont commencé à s’ouvrir au sein des Frères. Des opposants critiquent la décision de leur organisation de se présenter aux élections et d’avoir donné une légitimité à la farce électorale. Une campagne pour boycotter le scrutin menée par Mohamed El Baradei, l’ancien directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique, a récolté près d’un million de signatures.
Les causes des troubles politiques grandissants et des divisions au sein de l’élite dirigeante sont la détérioration de la situation économique et sociale et la vague de grève qui s’est produite au cours des dernières années. Les travailleurs et les jeunes sont confrontés à un futur peu brillant, fait de chômage grandissant et de prix en hausse. L’inflation croissante mine le niveau de vie, et les salaires restent stagnants. Plus de 40% de la population vit dans la pauvreté, et près de 30% de la population est illettrée. Le fossé entre les riches et les pauvres s’est élargi ; les riches vivent aujourd’hui dans de luxueuses “communautés gardées”, les pauvres dans la misère urbaine.
Les actions industrielles et les actions ouvrières ont commencé en décembre 2006, avec l’occupation par les travailleurs de l’usine textile Mahalla ; avec ses 28 000 travailleurs, cette usine est la plus grosse de toute la région Moyen-Orient/Afrique du Nord. Les patrons et le gouvernement ont été forcés de concéder de meilleurs salaires et de meilleures conditions, ce qui a inspiré d’autres travailleurs à partir en grève eux aussi. Les grèves contre les privatisations et pour les renationalisations sont extrêmement importantes, de même que les efforts pour créer des syndicats indépendants. Le régime a été contraint aux concessions, y compris l’annonce de la mise au frigo à durée indéterminée du programme de privatisation dans toute une série de composantes du secteur public.
Des mesures courageuses et impressionnantes ont été prises pour former des syndicats indépendants, dans un contexte de loi martiale. Bien que le gros des grèves de masse aient été organisés par des ouvriers (comme les travailleurs du textile ou ceux de l’usine d’aluminium), jusqu’ici ce sont surtout les employés qui sont parvenus à franchir les étapes dans la création de nouveaux syndicats (par ex, les enseignants, le personnel administratif de l’éducation, les percepteurs d’impôts immobiliers et les postiers). Toutefois, de nouvelles grèves et luttes de masse vont voir d’autres sections de la classe ouvrière rompre la répression et développer de la confiance, et se voir entrainées dans la tâche décisive de la construction d’organisations indépendantes de classe.
La pression de la classe ouvrière et de la crise économique et sociale est reflétée dans les vifs débats internes au sein du régime concernant la succession au Président Moubarak. Certaines sections du régime au pouvoir, et en particulier ceux qui représentent l’armée et la bureaucratie étatique, ne veulent pas voir Gamal Moubarak prendre le pouvoir. Les divisions du régime donnent confiance aux masses égyptiennes pour avancer pour plus de droits démocratiques. Les Frères musulmans cherchent à être les principaux bénéficiaires de ce processus, mais ils se sont opposés à la plupart des grèves de ces dernières années. En réalité, ces dirigeants servent de soupape de sécurité à l’establishment au pouvoir ; cela a mené à des divisions parmi les couches de ce mouvement qui sont basées sur des classes moyennes plus radicales.
En l’absence d’organisations de classe de masse, de larges couches de la population égyptienne regardent en direction de Mohamed El Baradei et de son Association nationale pour le changement. El Baradei est considéré comme un étranger par le régime , qui a bloqué sa candidature aux élections présidentielles de 2011. En réponse, El Baradei s’est appuyé sur le mécontentement populaire. Il a appelé à des réformes, afin d’“éviter une révolution des affamés”. Il a lancé une campagne de boycott des élections, liée à des revendications démocratiques, qui bénéficie d’un large soutien parmi de nombreuses couches de la société. Ceci souligne l’importance vitale de revendications démocratiques transitionnelles, liées à la transformation socialiste de la société, en Égypte et dans les autres pays de la région.
El Baradei est une figure quelque peu accidentelle, et il reste à voir quel cours il va suivre sous la pression des événements. Mais il est certain que l’Égypte est entrée dans une nouvelle étape d’une importance cruciale pour la lutte de classe dans la région. Le régime est de plus en plus divisé et perd beaucoup de son soutien traditionnel parmi les basses couches professionnelles et au sein de la bureaucratie d’État. À la suite de la vague d’actions industrielles, les élections présidentielles de 2011 pourraient devenir le point de ralliement de l’opposition au régime, avec des conséquences potentiellement explosives. Tout comme en Iran en 2009, la tentative de truquer les élections et la répression étatique pourraient être le catalyseur de luttes de masse qui vont rapidement se développer dans des tentatives de renverser le régime.
Tous les régimes despotiques et autoritaires de la région craignent à juste titre les mouvements d’opposition de masse qui pourraient se développer en Iran, en Égypte et aillleurs, et qui constitueraient une source d’inspiration pour leurs populations opprimées. Toutefois, à moins que la classe ouvrière ne prenne la direction de tels mouvements, avec un programme de classe indépendant, l’opposition de masse peut emprunter des canaux différents. Sans une direction socialiste, les insurrections des populations opprimés du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord peuvent prendre la forme d’actes de désespoir, comme des émeutes de la faim ou le pillage.
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10e Congrès Mondial du CIO : Croissance précaire et crise en Amérique Latine
La fin du siècle dernier et le début de celui-ci ont connu des mouvements et des luttes majeurs contre le néolibéralisme à travers toute l’Amérique Latine. Lors du Congrès Mondial du CIO de décembre dernier, une commission spéciale a été consacrée à l’Amérique Latine et s’est concentrée sur les problèmes d’ampleur et fondamentaux auxquels sont confrontées la classe ouvrière et les masses de ce continent. En attendant la résolution consacrée à l’Amérique Latine, voici un rapport de la discussion qui a pris place.
Rapport de la discussion
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10e Congrès Mondial du Comité pour une Internationale Ouvrière
Le 10e Congrès Mondial du Comité pour une International Ouvrière (CIO) s’est déroulé en décembre en Belgique. Ont participé à cet événement entre autres des délégués et des visiteurs en provenance d’Afrique du Sud, d’Allemagne, d’Angleterre et du pays de Galles, d’Argentine, d’Australie, d’Autriche, de Belgique, du Chili, de Chypre, d’Écosse, d’Espagne, des États-Unis, de France, de Grèce, de Hong Kong, d’Inde, d’Irlande, d’Israël, d’Italie, du Kazakhstan, de Malaisie, des Pays-Bas, du Nigéria, de Pologne, du Portugal, du Québec, de Russie, du Sri Lanka, de Suède, de Taïwan, de Tchéquie, et du Venezuela.
Ce Congrès a duré une semaine et a discuté des principaux enjeux auxquels est confrontée la classe ouvrière internationalement dans cette période d’attaques d’austérité sauvages ainsi que des tâches du CIO.
Nous allons publier sur ce site différents textes et résolutions concernant ce Congrès.
- Rapport de la discussion sur les relations mondiales
- Résolution sur L’Europe (1)
- Résolution sur L’Europe (2)
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L’arrivée au pouvoir du régime de Chavez au Venezuela et la lutte explosive de la classe ouvrière pour contrer la tentative de coup d’État en 2002, la révolte massive en Argentine en 2001, la guerre de l’eau et la guerre du gaz en Bolivie, ainsi que l’élection dans ce pays de son tout premier Président indigène, Evo Morales, mais aussi le renversement de trois Présidents en Équateur et l’élection de toute une série de gouvernements qui s’opposent au néolibéralisme, voilà des événements dont l’impact a largement dépassé le cadre de l’Amérique Latine et a touché le monde entier.
La croissance économique en Amérique Latine entre 2003 et 2008, de 5,5% en moyenne, a “interrompu” la lutte contre le néolibéralisme dans de nombreux pays. Toutefois, la crise économique mondiale qui a débuté en 2008 a temporairement tranché à travers cette période de croissance exceptionnelle, et le PIB a décru de 1,9% en Amérique Latine et aux Antilles. Le chômage s’est accru de 3 millions de personnes dans la région. Les plans de relance et l’intervention des gouvernements sous la forme de crédits à bas taux ont aidé à éviter une récession prolongée et on prévoit de la croissance pour 2010. La dépendance croissante par rapport à la Chine a eu un impact profond. Tandis que les exportations de l’Amérique Latine ont chuté de 22,6% en 2009. On estime qu’elles vont maintenant croitre de 21,4% en 2010, surtout grâce à l’augmentation des ventes à l’Asie et à la Chine.
La situation économique n’est pas uniforme à travers toute l’Amérique Latine. Le Mexique et les pays d’Amérique Centrale comme El Salvador, le Honduras, le Nicaragua et le Costa Rica sont ceux qui ont le plus souffert de la crise mondiale, tout comme le Venezuela, qui a été gravement affecté par la chute des prix du pétrole.
La nouvelle dépendance par rapport à la Chine
La relation économique avec la Chine et la hausse des prix des matières premières ont aidé la région à sortir de la récession, mais cela ne s’est pas fait sans en payer le prix. En 2000, les échanges commerciaux entre l’Amérique Latine et la Chine étaient d’une valeur de 10 milliards de dollars par an. Aujourd’hui, la valeur de ces échanges est de 100 milliards de dollars par an ; on a donc assisté au décuplement de ce commerce. On estime que d’ici quelques années, la Chine va dépasser l’Union Européenne en tant que second partenaire commercial de l’Amérique Latine. Mais cette relation s’avérera au final nocive pour les masses du continent. Le commerce est concentré sur la vente de matières premières à la Chine qui, à son tour, exporte des produits industriels finis. Par conséquent, l’accroissement du commerce avec la Chine mène petit à petit à une désindustrialisation en Amérique latine et renforce sa dépendance à l’exploitation de matières premières.
Contrairement aux discours de certains gouvernements, ceci ne représentent pas un grand pas en avant pour l’Amérique Latine. La relation avec la Chine n’est pas progressive, et cette période ne sera pas comme celle des années ’30, période durant laquelle de nombreux pays sont sortis renforcés par la hausse de leur industrialisation. C’est tout à fait le contraire qui est maintenant en train de se produire.
En 1999, les matières premières représentaient 26,7% du total des ventes de l’Amérique Latine, mais ce chiffre s’est accru jusqu’à 38%. Par exemple, le Brésil fournit 45% de l’ensemble du soja qui est importé par la Chine. Au cours des quatre premiers mois de 2009, les exportations du Brésil vers les États-Unis ont chuté de 37,8%, tandis que celles en direction de la Chine ont crû de 62,7%. Cette relation économique croissante avec la Chine a aidé à “protéger” la majorité de la région contre les pires conséquences de la crise internationale.
Le Mexique a connu une chute de 6,5% de son PIB en 2009, et est plongé dans une crise sociale majeure, avec une véritable guerre civile entre les trafiquants de drogue et le gouvernement qui a perdu son contrôle sur plusieurs régions. Au cours des quatre dernières années, 28.000 personnes ont perdu la vie au cours de cette “guerre”, avec 10.000 morts rien qu’en 2010! Quatorze maires et préfets ont été assassinés par les narcotrafiquants, et une corruption rampante impliquant la police a gravement limité la capacité de l’État à faire face à cette crise majeure.
Crise au Venezuela
Le Venezuela est en récession, on y prévoit une chute du PIB de 3% cette année. Reflétant une chute du soutien à Chavez et à son gouvernement lors des élections à l’Assemblée nationale, les “Chavistas” ont obtenu une majorité des députés mais pas des voix. Chavez n’a plus la majorité des deux tiers à l’Assemblée, qui lui permet de faire passer les législations importantes, et la droite dispose maintenant d’une importante tribune parlementaire. Si les forces capitalistes de droite parviennent à présenter une candidature unie, il serait alors possible que Hugo Chavez connaisse une défaite lors des élections présidentielles de 2012. Cependant, à l’heure actuelle, l’alliance de la droite est précaire et il lui manque un candidat crédible. Par conséquent, le plus probable reste la réelection de Chavez.
La baisse de son soutien et la récession ont poussé Chavez à adopter un langage “plus radical”. Il a introduit plus de nationalisations – bien que sur une base capitaliste – et parle de plus en plus de socialisme ; mais cela ne se reflète pas dans la politique du gouvernement. Il y a une tendance de plus en plus prononcée vers la bureaucratisation et la corruption, et il y a un renforcement des forces qui cherchent un compromis avec la droite et avec la classe dirigeante au sein du mouvement chavista. Sur le court terme, le régime pourrait continuer à zigzaguer d’une politique de gauche à une politique de droite et vice-versa, afin de maintenir sa position et sa base de soutien.
L’économie est dépendante du pétrole pour 90% de son revenu, et Chavez a tenté de rompre la dépendance du Venezuela par rapport aux exportations vers les États-Unis (75% des exportations de pétrole du Venezuela vont aux États-Unis, 15% vont vers la Chine). Le prix record du pétrole qu’on a connu les années passées a été la base de la stratégie des réformes de Chavez, qu’il a dénommée le “socialisme du 21ème siècle”. La chute des prix du pétrole et la récession ont coupé court à cette stratégie, qui a été remplacée par un programme de coupes dans les budgets sociaux à hauteur de 30% des dépenses, ce qui a eu un impact profond sur l’éducation et les soins de santé. 65% de tous les produits consommés sont importés, ce qui reflète l’échec persistant à industrialiser le pays. Jusqu’à 25% de l’économie a été nationalisée sur une base capitaliste, mais à cause de la bureaucratie, la plupart de ces entreprises ont fait faillite ou ont un impact négatif sur l’économie. Des accords sont en train d’être négociés avec des capitaux privés afin de transformer certaines de ces entreprises en partenariats publics-privés, au détriment des conditions pour le personnel !
Au cours des deux dernières années, il y a eu une importante hausse de la lutte, avec 6000 grèves et actions de protestation différentes. Ceci est un important développement puisque, jusqu’à présent, la lutte de la classe ouvrière restait en général “à l’ombre” du régime. Mais maintenant, on voit de plus en plus d’indépendance parmi certains secteurs. Chavez subit des pressions provenant de trois côtés différents : la pression internationale des forces étrangères qui s’opposent à son gouvernement, la pression des forces bourgeoises de droite au Venezuela, mais surtout, la pression croissante de la part de la classe ouvrière.
Il y a eu une hausse de la répression des groupes politiques qui critiquent Chavez. Les grèves ont été interdites dans le secteur de l’alimentation : on a dit aux travailleurs que le fait de partir en grève serait considéré comme un acte de trahison ! Cependant, malgré les méthodes réformistes, la bureaucratie grandissante et la répression de la part du gouvernement, le régime Chavez sont toujours perçues par beaucoup de travailleurs et de pauvres comme étant un obstacle au retour de la droite au pouvoir, ce qui amènerait une situation véritablement désastreuse pour eux.
En Bolivie, le gouvernement du MAS d’Évo Morales a remporté de très larges majorités lors des élections qui se sont déroulées en 2009 et en avril 2010. Le soutien de 64% à Morales est un reflet du désir des masses boliviennes de défaire les forces capitalistes droitières qui aimeraient renverser la roue de l’Histoire et retourner à la période d’avant Morales. Même Salvador Allende n’a jamais obtenu un tel niveau de soutien au Chili. Toutefois, le MAS et Morales n’ont pas utilisé ces victoires pour renforcer le développement du socialisme. Au lieu de ça, le gouvernement a continué à choyer les multinationales dans les régions minières et gazières, et s’est opposé aux mineurs et aux enseignants en grève.
Les camarades ont également bien illustré la crise et le vide politiques qui existent en Argentine, et qui ont été approfondi depuis la mort d’Ernesto Kirchner, et aussi par le rôle de la bureaucratie syndicale qui freine la classe ouvrière. Les travailleurs ont bien souvent toujours l’idée de Peron dans leur conscience, mais n’ont pas trouvé qu’aucun des récents gouvernements péronistes étaient véritablement “péronistes”. Il y a de plus en plus de soutien pour l’idée d’un nouveau parti des travailleurs.
Lors du Congrès, les camarades ont aussi discuté de la manière de faire face aux énormes illusions qui existent dans les gouvernements “de gauche” en Amérique latine, comme celui de Morales en Bolivie, qui sont arrivés au pouvoir en tant que représentants de mouvements révolutionnaires de masse des travailleurs et des pauvres, mais n’ont pas rompu de manière décisive avec le capitalisme, et ont maintenu intacts l’État et l’économie capitalistes. Ces gouvernements mettent maintenant en danger les acquis de ces processus révolutionnaires. La construction de mouvements de masse organisés de manière indépendante par les travailleurs, qui puissent exiger que ces mouvements révolutionnaires aillent jusqu’au bout – jusqu’au socialisme international – et se préparent à jouer un rôle décisif dans le développement de la révolution en Amérique latine, est un pas nécessaire et crucial qui reste à réaliser.
Des événements tragique ont commencé à Cuba, avec la décision de la part du Parti communiste cubain d’introduire d’importantes coupes dans les dépenses publiques, ce qui aura pour conséquence le licenciement d’un million de travailleurs du secteur public. La première vague de 500 000 licenciements est prévue pour mars 2011. Ces plans vont mener au renvoi de 20% des travailleurs cubains ! Le gouvernement de Raul Castro a décidé d’“encourager” ces travailleurs à démarrer leur propre entreprise et à devenir indépendants. Des sections entières de la bureaucratie cubaine sont en faveur d’une restauration du capitalisme à Cuba, tandis que d’autres s’y opposent ou hésitent. Les tentatives de faire emprunter à Cuba le même chemin que la Chine ne se dérouleront pas de manière simple ni linéaire. Cuba n’est pas la Chine, et les tentatives d’encourager les petites entreprises et, potentiellement, d’importantes privatisations capitalistes, sont compliquées par la crise économique mondiale et par les capitalistes cubains exilés à Miami et qui attendent la moindre opportunité pour revenir réclamer leurs propriétés qui leur ont soi-disant été volées. Un document de 32 pages a été publié par le Parti communiste afin de clarifier les procédures de développement du marché, de la légalisation des petites entreprises dans 118 zones et concernant le droit à acheter, vendre ou louer leur maison.
Le Parti communiste cubain a perdu sa base de soutien parmi la jeune génération à cause du rôle de la bureaucratie, et il s’est engagé dans une manœuvre extrêmement ardue. Le CIO est convaincu que l’avenir de Cuba ne se trouve pas dans la restauration du marché capitaliste avec toutes ses déficiences, ni dans la continuation du status quo sous la direction du Parti communiste.
Au lieu de cela, la classe ouvrière cubaine doit engager la lutte pour une véritable démocratie ouvrière, de sorte que l’économie planifiée cubaine soit placée sous le contrôle de la classe ouvrière et que pour une fois, le socialisme véritable puisse prospérer et devenir un point de ralliement pour les masses en lutte à travers toute l’Amérique Latine, les Antilles et le reste du monde.
Le Brésil et le Mexique sont les deux pays les plus développés de la région. Les multinationales brésiliennes sont en train de développer d’importants investissements dans les autres pays d’Amérique Latine, et le Brésil joue un rôle de puissance impérialiste régionale, avec Lula qui se présente comme le pompier du capitalisme qui tente d’empêcher le positionnement encore plus à gauche de pays tels que le Venezuela ou la Bolivie. Sur les 500 plus grandes entreprises opérant en Amérique Latine, 226 sont brésiliennes. Petrobras compte pour 17% du PIB bolivien. Les élections fédérales de 2010 ont vu la victoire de Dilma, le candidat soutenu par Lula, qui a remporté la majorité à la Chambre comme au Sénat. Les camarades du Brésil ont expliqué comment la vague de “lulaïsme” actuelle s’est développée et s’est maintenue sur base de la conjoncture économique actuelle et des réformes limitées qui ont été mises en place. Par exemple, 3 millions de jeunes en plus ont maintenant rejoint l’université. Cela ne va pas durer indéfiniment, et pourrait mener à une crise majeure. D’un autre côté, il y a une polarisation sociale croissante au Brésil. Il y a cinq millions de chômeurs et afin de d’éviter la crise économique, Lula a instauré un plan de relance de 300 milliards de réals (135 milliards €). La société brésilienne est aussi touchée par la malédiction de la drogue et de la dégradation sociale. Il y a eu une tentative par l’État de militariser les bidonvilles. La police a occupé certains bidonvilles, et les morts de personne du peuple au cours de la “guerre contre la drogue” ne sont pas rapportées dans les médias. Seul 1% des habitants de ces bidonvilles sont liés au trafic de drogue ; 90% des habitants des bidonvilles sont noirs.
Lula va pouvoir se représenter aux élections présidentielles de 2014, et en attendant, il espère que son allié Dilma va pouvoir maintenir sa base de soutien. Afin de construire une alternative au PT et à Lula/Dilma, le CIO au Brésil continue à lutter pour construire un soutien au sein du PSOL et pour mettre un terme à son virage vers la droite.
Le Congrès mondial du CIO a représenté un pas en avant pour les forces du marxisme en Amérique Latine, avec la reconnaissance de deux nouvelles sections au Venezuela et en Bolivie, et pour la première fois, la participation de camarades d’Argentine.
Il est essentiel que de véritables partis de la classe ouvrière soient construits en Amérique Latine afin de contribuer à la construction et à la direction des courageuses luttes des masses du continent dans la direction de la transformation socialiste, seule solution pour débarrasser cette région de la malédiction du capitalisme.
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10e Congrès mondial du CIO : Résolution sur L’Europe (2)
Des millions de gens participant aux grèves générales et aux manifestations; des gouvernements extrêmement impopulaires, parfois haïs – la classe ouvrière et la jeunesse européennes sont en train de faire leur grand retour dans l’arène de la lutte.
Ce document sur l’Europe est une des résolutions du 10ème Congrès mondial du CIO. Des documents ont été publiés en anglais à propos des relations mondiales, de l’Europe, de l’Amérique latine, du Moyen-Orient, de l’Asie, de la Russie et Europe de l’Est, et sur la situation en Afrique.
10e Congrès Mondial du Comité pour une Internationale Ouvrière
Le 10e Congrès Mondial du Comité pour une International Ouvrière (CIO) s’est déroulé en décembre en Belgique. Ont participé à cet événement entre autres des délégués et des visiteurs en provenance d’Afrique du Sud, d’Allemagne, d’Angleterre et du pays de Galles, d’Argentine, d’Australie, d’Autriche, de Belgique, du Chili, de Chypre, d’Écosse, d’Espagne, des États-Unis, de France, de Grèce, de Hong Kong, d’Inde, d’Irlande, d’Israël, d’Italie, du Kazakhstan, de Malaisie, des Pays-Bas, du Nigéria, de Pologne, du Portugal, du Québec, de Russie, du Sri Lanka, de Suède, de Taïwan, de Tchéquie, et du Venezuela.
Ce Congrès a duré une semaine et a discuté des principaux enjeux auxquels est confrontée la classe ouvrière internationalement dans cette période d’attaques d’austérité sauvages ainsi que des tâches du CIO.
Nous allons publier sur ce site différents textes et résolutions concernant ce Congrès.
La résistance à l’offensive patronale
Un symptôme du caractère fondamental de cette crise économique est que les attaques et les coupes budgétaires dans de nombreux pays ne touchent pas seulement la classe ouvrière et la jeunesse, mais aussi des couches larges de la classe moyenne. Pour la première fois depuis les années ’30, des coupes salariales ont été mises en œuvre dans la plupart des pays européens par des coupes directes, comme en Irlande et en Grèce, ou par la réduction du temps de travail avec une perte de salaire ou une combinaison des deux. Ces attaques ne sont pas seulement mises en œuvre parce que la production économique a chuté, parce que l’État s’endette ou parce que la classe dirigeante désire mainenir ses profits et minimiser leur taxation. Sous couvert de la crise, la classe dirigeante poursuit son offensive dans le but de forcer son agenda néolibéral, qui vise à affaiblir la classe ouvrière, diminuer le cout de la main d’œuvre et drastiquement réduire les budgets sociaux. Ainsi, dans de nombreux pays, ce sont les couches les plus faibles et les plus pauvres de la population qui sont les plus touchées.
Les espoirs de beaucoup de gens sont brisés par les licenciements, par les coupes dans les services publics et, dans certains pays, par le fardeau de la dette qui a été contractée lors de la période de “croissance” pour pouvoir financer l’immobilier ou les dépenses au jour le jour. De plus en plus, la jeunesse européenne, qui subit à présent un chômage de masse comme on n’en voit qu’en période de dépression, ne parvient pas à voir un avenir stable. Au lieu de ça, elle est confrontée à la perspective d’un mix d’emplois temporaires, de chômage, de hausse du cout de l’éducation et du niveau d’endettement. Cette crise affecte les pays de manière différentes. Certains pays comme la Grèce, le Portugal ou de nombreux pays d’Europe de l’Est sont confrontés à des crises fondamentales ; leurs perspectives sous le capitalisme sont très limitées. Dans ces pays, ou dans d’autres tels que l’Irlande, certaines des couches les plus énergiques pourraient émigrer dans l’espoir de trouver une issue. Mais de nombreux jeunes vont vouloir riposter. D’importantes couches de jeunes, y compris provenant des banlieues, ont rejoint la lutte de l’automne 2010 en France, montrant le potentiel pour les attirer dans la lutte de classe. Certains gouvernements commencent à se préparer à une forte résistance de la part de la jeunesse et de la classe ouvrière avec des tendances vers des méthodes plus autoritaires et plus répressives contre les manifestations tout comme contre les luttes des travailleurs, comme on l’a vu avec l’utilisation de mesures d’urgence par Sarkozy contre les travailleurs des raffineries pétrolières, ou avec la militarisation des aéroports par le gouvernement PSOE en Espagne contre la grève des contrôleurs aériens.
Ces dernières années ont connu des revirements soudains dans la conscience. Au fur et à mesure que la crise se développait en 2007, 2008 et 2009, il y a d’abord eu une crainte d’un retour aux années ’30 et, dans certains pays, il y a eu des éléments d’un effet d’étourdissement au moment de la hausse du chômage, ce qui s’est reflété dans l’acceptation des coupes salariales par certains travailleurs. En même temps, il y a eu une vague de colère, surtout envers les banques, avec des manifestations centrées sur le slogan “Ce n’est pas à nous de payer votre crise”. Toutefois, la première vague de protestation, dépourvue d’une perspective socialiste, s’est dans une certaine mesure dissipée dans certains pays, avec les espoirs que les plans de relance des gouvernements pourraient d’une certaine façon permettre d’éviter le désastre. Maintenant, il y a de nouveau des peurs et de la colère, surtout envers les banquiers, au fur et à mesure que les impacts à long terme de la crise en terme de niveau de vie et de perspectives deviennent plus clairs. Cela crée les conditions pour des bonds dans la conscience là où les idées du socialisme vont commencer à revivre au sein du mouvement ouvrier, et les socialistes vont être capables d’obtenir une plus large réception pour leurs idées et leurs propositions.
Mais, comme l’ont à nouveau montré les dernières années, la lutte de classe et les actions de protestation ne suivent pas une ligne droite. Il peut y avoir temporairement le sentiment d’être totalement emporté par la crise et qu’on ne peut rien faire. De tels sentiments vont passer, mais les luttes elles-mêmes ont un rythme d’avancées, de pauses, et de réflexion avant de reprendre, peut-être sous une forme nouvelle.
Déjà depuis 2007, il y a eu une forte réaction et le début d’une résistance à la crise, et la tentative toute naturelle de la part des capitalistes de se décharger de ses couts. Comme le CIO l’a déjà expliqué auparavant, s’il y avait eu des partis socio-démocrate ou staliniens forts, malgré leur réformisme, du type qui existait encore il y a trente ans, alors cette crise aurait très rapidement provoqué une remise en question du capitalisme lui-même, et la croissance d’une conscience socialiste parmi une large couche de la classe ouvrière. Mais ce qui a – jusqu’à présent – sauvé le capitalisme, c’est la faiblesse politique de la classe ouvrière, ce qui est le résultat de la chute de la conscience de classe des dernières décennies, qui a fait en sorte qu’il n’y a pas eu de vision du socialisme en tant qu’alternative au capitalisme.
Les syndicats et la crise
Le manque d’une alternative n’a pas été seulement la conséquence de la dégénérescence et de la transformation des vieux partis réformistes. Cela fait maintenant de nombreuses années que la grande majorité des dirigeants syndicaux cherchent à empêcher les syndicats de jouer un rôle politique, et en particulier de remettre en question le capitalisme, malgré les racines et les objectifs socialistes de nombre d’entre eux. Les dernières décennies ont vu un renouvellement de l’intégration d’une grande partie des sommets syndicaux dans la société bourgeoise, entremêlés à l’État ou à la direction d’entreprises. Ceci a laissé nombre d’entre eux complètement incapable de donner la moindre forme de réponse combative à cette crise.
Certains dirigeants syndicaux, comme en Irlande, ont même fini par accepter les arguments de la classe dirigeante et sont d’accord avec les coupes salariales. Mais à cause des racines des syndicats, ils peuvent toujours subir une certaine pression et se voir forcer à faire au moins quelques grimaces, comme lorsque l’OGB en Autriche a dû annuler son accueil initialement favorable au budget du gouvernement pour 2011. Mais les éléments pro-capitalistes cherchent toujours à limiter la lutte, comme par exemple les dirigeants du sud de l’Europe qui veulent s’assurer que les grèves de 24h ne resteront qu’une soupape pour évacuer la colère plutôt que des actions de mobilisation à la lutte. La DGB allemande a été forcée d’organiser des “semaines d’action”, mais a tout fait pour que ces actions ne soient pas le début d’une campagne sérieuse, ce qu’elle n’a pu faire que parce que la croissance économique de 2010 a diminué la pression sur eux. Au Royaume-Uni, la TUC a fait trainer aussi longtemps que possible l’appel à une manifestation nationale, et puis a cherché à la lier à la campagne électorale du Labour Party.
C’est pourquoi les socialistes participent à la lutte pour transformer les syndicats en organisations de combat, s’efforcent d’aider à construire une base active qui puisse mettre la pression sur les dirigeants existants, qui puisse être le point de départ d’une future direction combative et, là où c’est nécessaire, prendre des initiatives par elle-même. La bureaucratisation des syndicats, l’intégration de nombreux dirigeants dans le capitalisme, et les restrictions légales préparent aussi la voie à l’éruption de mouvements spontanés. Toutefois la France, et d’autres pays comme le Portugal et l’Espagne, illustre à quel point la pression de la base peut forcer même les plus droitiers des dirigeants syndicaux à organiser des actions, même minimes, bien que la question reste posée quant à savoir jusqu’où ils seront prêts à aller. Une telle pression peut aussi produire une polarisation au sein des syndicats, ce qui peut donner naissance à de nouvelles directions, voire à des scissions. Ainsi, il faut noter que lors des récentes luttes en France, le syndicat de gauche Sud, créé en 1988, et la CGT, qui est la plus vieille et la plus large centrale syndicale en France, ont clairement été les plus visibles au cours de toutes ces actions.
Le déclin du taux d’adhésion aux syndicats dans la plupart des pays a pour conséquence que des organes spéciaux, comme des assemblées ou des comités d’usine ou comités d’action, doivent être créés afin d’impliquer à la fois les travailleurs syndiqués et non-syndiqués dans la préparation et l’organisation des luttes. Mais, comme la France l’a montré tout récemment, les luttes nationales, surtout contre le gouvernement, doivent être coordonnées et avoir une stratégie claire, y compris lorsqu’elles se développent spontanément à partir de la base. Cela pose à son tour la question de qui, politiquement parlant, guide cette lutte. Que ce soit de manière formelle ou non, la plupart des dirigeants syndicaux actuels sont membres de l’un ou l’autre “parti de collaboration de classe” ; il faut les remplacer par des membres d’un “parti de lutte des classes”, dont les plus conscients seront les marxistes.
Dans de nombreux pays, la classe dirigeante a décrété de nouvelles lois qui limitent les droits des syndicats et l’impact des actions de grève, comme les règles incroyablement compliquées du vote pour la grève qu’on a au Royaume-Uni, ou la loi de Sarkozy pour forcer le maintien d’un soi-disant “service minimum” pendant les grèves. D’autres mesures antisyndicales pourraient être introduites au cours du processus qui tend à ce que les gouvernements se dotent de nouveaux pouvoirs plus autoritaires, dans une tentative de contrer de futurs mouvements et luttes. Mais de telles lois de classe ne peuvent avoir un effet que tant que les travailleurs ne ressentent pas la nécessité de les défier et n’ont pas la confiance de le faire.
La grève générale à nouveau à l’ordre du jour
Comme l’Irlande l’a montré, les dirigeants syndicaux peuvent retarder mais pas empêcher indéfiniment les travailleurs de se mettre en action. Ceci a déjà été démontré par la manière par laquelle la question de la grève générale est revenue à l’ordre du jour, malgré les tentatives de nombreux dirigeants syndicaux d’éviter ce débat. Des grèves générales ont déjà eu lieu dans des pays comme la Grèce, le Portugal et l’Espagne, et en Allemagne, la question du droit à appeler à la grève générale est parfois soulevée par Lafontaine et par les éléments les plus à gauche de Die Linke. Il est important de constater qu’en Espagne et au Portugal, les dirigeants syndicaux ont été forcés à appeler à une journée de grève générale par la pression de la base, et en Italie l’appel à une grève générale a été extrêmement populaire lors de la manifestation de la Fiom à Rome en octobre.
Pour les marxistes, des grèves générales de un jour, deux jours ou trois jours sont une arme importante afin d’unifier la classe ouvrière et les autres couches opprimées, de donner de la confiance pour la construction de manifestations puissantes, et pour menacer la classe dirigeante, mais elles doivent faire partie d’une stratégie de construction du mouvement, et non pas en tant qu’actions purement symbolique pour laisser s’échapper la colère. Autrement, elles pourraient être utilisées pour épuiser les travailleurs plutôt que pour les mobiliser.
Le développement de la lutte peut poser la question de la grève générale illimitée, ce qui pourrait même se développer de manière spontanée en une situation similaire à celle de la France de 1936 ou de 1968. Il est clair que la classe dirigeante, tout comme la plupart des dirigeants syndicaux actuels, tenteraient alors de conclure un accord pour briser le mouvement. Même si une telle grève générale ne commençait qu’en tant qu’action de protestation, au plus elle se poursuivrait, au plus elle se mettrait à défier le gouvernement et poser la question de qui contrôle le pays. Ceci, comme la France de 1968 l’a montré, pose carrément à l’ordre du jour la question du programme concret et des premiers actes que le mouvement ouvrier doit accomplir afin de renverser le capitalisme.
En ce moment, même là où il y a des partis qui parlent de socialisme ou de lutte au moins en parole, cela a été combiné à une approche réformiste au jour le jour et, dans le cas du KKE grec, avec un sectarisme qui a contribué à empêcher le développement de luttes unies. Ces partis pourraient, comme Die Linke le fait dans son projet de programme, parler de “socialisme”, mais en réalité ils n’ont pas présenté le socialisme comme étant l’alternative à la misère croissante engendrée par le capitalisme. En France, le NPA, tout en émettant de temps à autre l’une ou l’autre déclaration à l’air radical, ne s’est même pas révélé être à la hauteur de son nom et, dans ses activité au jour le jour, ne parle même pas de la nécessité de renverser le capitalisme lui-même.
Cette situation, d’une opposition puissante face à des attaques brutales, mais sans une direction claire peut, en l’absence d’une solide force marxiste, facilement mener à la croissance d’idées confuses. Dans les cas d’extrême désespoir, les couches frustrées, et en particulier la jeunesse, peuvent commencer à entreprendre des actes de terrorisme, quelque chose qui a refait surface en Grèce.
L’extrême-droite, l’immigration et le nationalisme
La combinaison de l’absence d’une alternative ouvrière forte, en plus de l’immigration à large échelle dans certains pays, a donné des opportunités dans différents pays pour tout un mélange de forces populistes, nationalistes, semi-fascistes et d’extrême-droite. En général, ces forces se basent sur l’hostilité envers “l’élite”, sur l’incertitude croissante quant au futur qui est causée par le néolibéralisme et par la crise, tout en agitant la peur de l’immigration et le nationalisme.
Dans certains cas, comme en Autriche, en Hongrie et aux Pays-Bas, ces forces ont établi un soutien électoral important mais instable – depuis déjà plusieurs années maintenant dans le cas du FPÖ autrichien –, et en Belgique et en France, il est possible qu’il y ait une résurgence du VB et du FN. Après avoir vu les immenses problèmes qui ont atteint le FPÖ après qu’Haider ait accepté de rejoindre le gouvernement en 2000, ces forces sont, à ce stade, plus prudente quant à leur éventuelle entrée au gouvernement. Le PVV de Wilders au Pays-Bas tente d’éviter ce danger en soutenant mais sans rejoindre le nouveau gouvernement de minorité VVD et CDA. Jobbik en Hongrie, qui a remporté près de 17% lors des dernières élections, cherche aussi à rester en-dehors du gouvernement, au moins pour l’instant. La récente hausse des voix pour Chrysi Augi en Grèce est un symptôme de la polarisation qu’apporte une crise sociale, et un avertissement de la manière dont la déception vis-à-vis des gouvernements, le nationalisme et l’absence d’une alternative socialiste claire peuvent ouvrir la voie à l’extrême-droite. D’un autre côté, les succès engendrés par l’extrême-droite peuvent engendrer de puissants contre-mouvements, comme cela s’est produit en Suède depuis que les Démocrates sont parvenus à entrer au Parlement. Mais comme l’a montré l’Autriche, bien que ces contre-mouvements sont capables de mobiliser certaines couches, sans un programme qui prenne à bras le corps les problèmes qu’exploite l’extrême-droite pour se faire valoir, ils ne vont pas forcément parvenir à saper leur soutien.
Dans beaucoup de pays, ce n’est pas seulement l’extrême-droite, mais aussi des partis gouvernementaux qui utilisent les communautés immigrées en tant que bouc-émissaires responsables des problèmes sociaux et économiques. Parfois, cela est maquillé sous l’histoire du “choc des cultures”, surtout envers l’islam. En même temps, le fait que des immigrés soient exclus de la société et souvent les premières victimes des coupes budgétaires peut donner aux forces réactionnaires et fondamentalistes l’occasion rêvée pour faire des percées parmi ces couches qui sont les plus opprimées de la classe ouvrière. Certains partis traditionnels bourgeois tentent de copier au moins une partie du programme des partis d’extrême-droite. Cela a été évident au Danmark, où autant les gouvernements socio-démocrates que les gouvernements conservateurs ont adopté la politique du Parti du peuple danois (DPP), organisation raciste. Même le Parti socialiste du peuple a coopéré avec le DPP et a utilisé une propagande islamophobe. Un autre danger qui suit la hausse des voix pour l’extrême-droite est la montée de la violence et des activités néo-nazies.
L’immigration est devenue un enjeu encore plus puissant en cette période de crise sociale et économique. Déjà avant que la crise ne frappe, l’immigration en provenance des nouveaux États membres européens et d’en-dehors de l’Europe était un gros problème dans beaucoup de pays. À part l’Allemagne, la plupart des grands pays européens ont récemment connu de fortes hausses de population. L’Espagne a connu la plus forte hausse, passant de 39 803 000 habitants en 1999 à 45 989 000 à l’heure actuelle. Cette immigration a été encouragée par les patrons qui cherchent une main d’œuvre bon marché, mais ce système capitaliste anarchique est incapable de résoudre les problèmes sociaux découlant des pressions sur le logement, les services publics, etc. Le fait que la population allemande a commencé à décliner n’a pas mis un terme au débat qui a commencé avec la publication du livre de Sarrazin sur l’intégration et la non-intégration des immigrés en Allemagne, surtout des communautés musulmanes. Ce sont là des enjeux auxquels il faut répondre d’une manière qui défende les communautés immigrées contre les attaques, tout en préparant aussi le terrain pour une lutte commune, en répondant aux craintes et aux questionnements de tous les travailleurs. Sans une stratégie claire de comment construire une action unie des travailleurs contre les coupes salariales et les pertes d’emplois, l’ouverture en mai 2011 du marché du travail européen aux citoyens de l’ensemble des nouveaux pays adhérents ne pourra qu’alimenter encore plus l’hostilité envers les travailleurs immigrés.
L’Europe-Forteresse contre les immigrés et les réfugiés est une des caractéristiques-clés de l’Union européenne. Un véritable mur a été construit en Afrique du Nord, et d’ignobles camps de réfugiés ont été construits dans des pays frontaliers tels que la Lybie. Une force militaire, la Frontex, disposant d’avions, d’hélicoptères et de vaisseaux a été constituée. Les demandeurs d’asile qui finissent par arriver en Europe sont considérés comme des criminels et sont exploités en tant que main d’œuvre hyper-bon marché ne disposant d’aucun droit.
La tentative de Sarkozy de faire dévier la lutte contre sa réforme des pensions en attaquant les communautés roms n’était qu’une manœuvre flagrante de “diviser pour régner”, qui a totalement échoué. Mais il faudra encore s’attendre à ce genre de tactiques, généralement accompagnées de nationalisme. Les premières attaques de la bourgeoisie internationale sur les travailleurs grecs ont été une tentative de mettre la population grecque sous pression et d’empêcher une réponse internationale. Il est clair que des sections entières de la bourgeoisie ont tenté de faire la même chose par rapport à la lutte des travailleurs français qui voulaient empêcher la hausse de l’âge de la retraite au-delà de 60 ans. Tout comme en Grèce, il y a eu une tentative délibérée de semer de la désinformation, mais il a rapidement été clair qu’il y avait une immense solidarité avec la lutte des Français ; de fait, de nombreux travailleurs voulaient voir la France devenir un exemple de comment vaincre les mesures d’austérité, et dans certains pays comme la Belgique, les travailleurs ont organisé des actions de solidarité. Les manifestations du 29 septembre de la Confédération syndicale européenne était un premier pas dans la bonne direction, mais bien évidemment les dirigeants syndicaux n’ont rien fait pour construire quoi que ce soit sur base de ces actions. Le CIO a déjà joué un rôle important dans la formulation de revendications claires, qui puissent être utilisées afin d’organiser une riposte sur le plan européen, dans laquelle nous pourrions agiter en faveur d’une fédération socialiste démocratique européenne, sur base volontaire et équitable, en tant qu’alternative à l’UE capitaliste.
Dans beaucoup de pays, les questions nationales ont refait surface, ou sont en train de refaire surface, ce qui amène à des tensions. Au Pays basque, la solution nord-irlandaise est présentée comme un exemple à suivre pour l’ETA, bien qu’elle n’ait nullement résolu le problème, et qu’elle permis la croissance des forces sectaires opposées au “processus de paix”. Tandis qu’en Belgique, le récent succès électorale de la NVA a soulevé le spectre de la possibilité d’un nouveau tour de crise nationale dans ce pays. Dans les Balkans, il y a encore des questions non-résolues que ce soit en Bosnie-Herzégovine ou au Kosovo, en plus de la dispute entre la Grèce et la Macédoine. La Grèce est aussi impliquée dans des querelles avec la Turquie en Chypre, dans la mer Égée et concernant la division de l’espace aérien.
En Europe centrale et orientale, il y a toute une série de questions nationales non-résolues, de frontières mal définies et de droits nationaux pour les minorités. Un exemple de la manière dont ces tensions pourraient se développer au sein de l’Union européenne est la colère des voisins de la Hongrie provoquée par la décision de cette dernière d’accorder la citoyenneté hongroise à toutes les personnes d’origine hongroise vivant en-dehors de ses frontières actuelles, et qui lui ont été imposées en 1919 par les vainqueurs de la Première Guerre mondiale.
Les limites du réformisme
Le mouvement ouvrier ne peut pas ignorer ces questions qui peuvent revenir encore plus à l’avant-plan si elle ne montre pas une issue socialiste générale à cette crise.
Illustrant les différentes situations objectives, la conscience dans les différents pays d’Europe est plus différentiée maintenant qu’au début de cette crise économique.
Il y a une très réelle possibilité que certains pays, surtout ceux parmi les ex-pays staliniens et les petits pays, se retrouvent plongés dans une catastrophe profonde et fondamentale. Dans de tels pays, il va y avoir des explosions d’amertume, de colère, et de désespoir, mais en même temps il y aura des doutes sur ce qui peut être fait. La question serait posée de quel avenir le capitalisme réserve à de tels petits pays. Déjà, il y a une immigration accrue en provenance de Grèce, d’Irlande et du Portugal, sans parler des États baltiques et d’Europe centrale, etc. mais contrairement à ce qu’on a vu auparavant, ce n’est aujourd’hui plus si facile de se rendre aux États-Unis, en Amérique du Sud ou en Australie. Et bien sûr, une grande crise économique mondiale frapperait tragiquement les grands pays de l’UE, surtout le Royaume-Uni, avec sa dépendance au secteur financier, et l’Allemagne dont l’économie est basée sur l’exportation.
Cependant, la réponse à la question du “Qu’est-ce qu’on peut faire” ne se fait pas seulement attendre dans les petits pays, mais dans tous les pays. Avec la propagande incessante du “Il n’y a pas d’alternative”, selon laquelle les marchés ne peuvent être ignorés, et le fait que aucun des stratèges capitalistes ne tente même de dépeindre un futur qui soit un tant soit peu plus rose, il faut pour le mouvement ouvrier que les socialistes donnent une idée claire de ce qui serait immédiatement possible sitôt le capitalisme renversé. Concrètement, cela veut dire montrer à quel point le niveau de vie pourrait être relevé en utilisant l’ensemble des capacités et des technologies existantes une fois que le règne du profit sera brisé, et ensuite comment une société socialiste peut offrir une société qui sera véritablement meilleure demain qu’elle ne l’est aujourd’hui. C’est là une des tâches cruciales de l’approche transitoire aujourd’hui.
La recherche inévitable pour une issue hors du bourbier capitaliste et des limites qui sont imposées par les dirigeants en général pro-capitalistes, vont inévitablement mener à ce que les travailleurs passent rapidement d’un champ de résistance et de lutte à l’autre en les combinant – manifestations, grèves, élections.
Le “moindre mal” et le défi de la construction de nouveaux partis des travailleurs
C’est là une des raisons pour lesquelles nous avons vu certains des anciens partis ouvriers traditionnels gagner des élections sur la base qu’ils étaient une alternative “pas si mauvaise”, ou qu’ils étaient un “moindre mal”, même si bien souvent très peu de positif en était réellement attendu. C’était là la base pour la victoire du Pasok en 2009 et pour l’arrivée au pouvoir de la coalition social-démocrate et écolo en Islande au début de 2009. Aujourd’hui, le Labour party irlandais et le PS en France ont monté dans les sondages d’opinion.
Mais ce regain électoral n’est pas automatique, surtout vu que ces partis ont perdu leur base et leurs racines dans la classe ouvrière. En Allemagne, le SPD n’a jusqu’ici pas vraiment profité de la chute du soutien au gouvernement Merkel, et continue à perdre des membres. C’est un reflet du fait que d’importantes couches de la classe ouvrière n’ont pas oublié les mesures prises par le SPD lorsqu’il était au gouvernement, surtout avec le plan Hartz IV ; cela illustre le potentiel que des formations de gauche ont maintenant parmi les travailleurs et les jeunes critiques et radicalisés. Au Royaume-Uni, le Labour Party regagne doucement du soutien au fur et à mesure que la coalition ConDem perd le sien, mais cela est handicapé par toutes leurs actions au gouvernement, par ses propres appels à des coupes budgétaires au niveau national (bien qu’à un rythme “plus doux”), et par le fait qu’au niveau local, il continue à mettre en place des coupes. C’est pourquoi des résultats électoraux pris un par un comme celui du Pasok en 2009 ne signifient pas nécessairement un renouveau durable.
Toutefois, malgré les opportunités qui ont existé, les dernières années ont vu beaucoup de faux départs pour les nouvelles formations de gauche qui ont commencé à se développer dans toute une série de pays au cours des deux dernières décennies. Bien que la situation objective ait été difficile, c’était surtout la faiblesse sur le plan subjectif qui a fait rater ces opportunités. En général, leurs directions ont connu un début fort différent de la fondation des anciens partis de la Deuxième ou de la Troisième Internationales qui, malgré leur développement ultérieur, ont construit un soutien initial sur base d’une opposition claire au capitalisme, de la participation à la lutte, du but du socialisme et, dans la plupart des cas, du non-compromis avec la classe dominante. Au cours des dernières années, beaucoup de nouvelles formations se sont développées d’une manière complètement opposée, sans aucune opposition claire au capitalisme, sans revendications de classe ni de stratégie claires, et avec une bonne volonté de conclure des accords pourris avec les anciens partis réformistes.
Ceci a en partie illustré l’héritage parmi la plupart de ces dirigeants, de l’effondrement post-stalinien, du manque de confiance, et de l’absence de perspective de construire un parti des travailleurs de masse, se voyant plutôt comme un groupe de pression. C’est quelque chose qui est clairement affiché par les ex-dirigeants LCR qui sont à la tête du NPA en France. C’est également lié au fait que ces groupements cherchent des alliances électorales avec d’autres forces, quelque chose qui a pavé la voie à la déchéance du PRC italien après sa participation à un gouvernement de coalition pro-capitaliste en 2006-8. Aujourd’hui, le SP néerlandais se dirige dans la même direction, désirante devenir l’aile “gauche” du gouvernement. En Allemagne, un débat similaire est en train de se tenir au sein de Die Linke quant aux alliances stratégiques avec le SPD et les Verts, et c’est une des raisons pour lesquelles sa direction ne tente pas réellement de construire le parti ou de relever son soutien au-delà des 11,9% obtenus aux élections de 2009. Au niveau des landers, Die Linke, à la suite de la trajectoire de l’ancien PDS, est en ce moment en coalition avec le SDP à Berlin et dans le Brandenburg, et les plus droitiers des dirigeants du parti souhaitent suivre cet exemple à une échelle plus large encore.
Le fait de comprendre les pressions électorales du ”moindre-malisme” ne veut pas dire entrer dans des alliances pourries ou dans des gouvernements avec des partis pro-capitalistes, comme aimeraient clairement pouvoir le faire les dirigeants de beaucoup de ces “toutes nouvelles” formations de gauche. Puisque ces dirigeants ne considèrent pas sérieusement la tâche de la construction d’un parti qui puisse réellement défier le capitalisme et chercher à gagner une majorité de la classe ouvrière, ils n’ont pas la perspective que l’entrée des vieux partis au gouvernement leur fournira une opportunité pour construire, ce qui s’est déjà vu encore et encore à maintes reprises dans différents pays. Les marxistes doivent expliquer, au moins dans leur propagande générale, la nécessité d’un gouvernement des travailleurs qui transformera la société, et opposer cela aux gouvernements qui opèrent dans le cadre du capitalisme. Cela doit être exprimé d’une manière qui soit appropriée à la situation actuelle dans chaque pays ; en général dans la plupart des pays à ce stade les marxistes mettent en avant cet objectif en terme de nécessité de construire un mouvement ouvrier capable de vaincre le capitalisme.
Cependant, la faiblesse des nouvelles formations de gauche ne signifie pas qu’elles ont touts épuisé leur potentiel. En France, Besancenot, la figure publique du NPA, avait encore tout récemment une cote d’approbation de 56% dans les sondages d’opinion, ce qui pourrait toujours se voir traduit en un soutien concret pour le NPA. Mais la politique des dirigeants actuels du NPA ferait en sorte qu’un tel soutien ne serait pas utilisé pour jeter les fondations d’un nouveau parti des travailleurs de masse, mais plutôt d’essayer de devenir un groupe de gauche qui exerce une pression sur le PS et le PCF. Déjà à l’intérieur du NPA une opposition a émergé contre cette stratégie du NPA, dans laquelle le CIO joue un rôle très important. Des développements similaires ont aussi commencé dans d’autres partis tels que le PRC, Syriza et Die Linke. <>Cette période orageuse signifie une instabilité politique et remet en question la longévité de gouvernements entiers. Beaucoup de gens seront élus simplement à cause de l’opposition au gouvernement précédent, ou juste par hostilité envers les autres partis. En ce moment, les “moindres mals” comme le Pasok ont rapidement déçu, ce qui pourrait également se produire en Irlande. En octobre, les parlementaires islandais ont fui en passant par la porte de secours du parlement afin d’éviter les manifestants qui étaient fâchés contre les mesures d’austérité de la coalition rouge/verte et contre son impuissance à protéger le mode de vie. En Grèce, dans les élections locales de novembre 2010, c’est uniquement l’hostilité au principal parti de droite qui a empêché le Pasok de perdre plus de la moitié de ses voix et donc autant de sièges.
Problèmes avec les nouvelles formations de gauche et opportunités pour le CIO
Bien qu’il y ait le potentiel pour la croissance d’une force de gauche de masse en Grèce, les faiblesses politiques de Syriza et d’Antarsya, qui rendent incertains leur développement futur et même leur avenir, en plus du sectarisme du KKE, sape fortement ces perspectives sur le court terme. Toutefois, même avec une approche correcte et la croissance d’une nouvelle force de gauche, une profonde déception avec un gouvernement de “moindre mal” peut ouvrir la porte à une victoire temporaire pour l’entrée au gouvernement de partis plus à droite. Mais ce genre de développement n’empêcherait pas les forces marxistes de croitre à partir des couches les plus radicalisées.
On ne peut pas exclure le fait que dans des circonstances extrêmes, comme un effondrement du système bancaire, certains gouvernements seraient forcés de recourir temporairement à des mesures de type “capitalisme d’État” afin d’atténuer les situations de crise, bien qu’ils tenteraient alors de renverser de telles mesures dès que possible. De telles mesures n’altéreront la principale stratégie des classes dominantes du monde entier qui est de réduire le niveau de vie, mais seraient une réponse à court terme à ces événements. Des situations d’urgence ou des explosions de colère pourraient créer des situations avec des caractéristiques semblables à celles du milieu des années ’30, lorsque les gouvernements avaient été forcés de prendre des mesures pour atténuer la crise.
L’effondrement quasi complet du PRC a eu un effet très négatif ; cela pourrait aussi se produire avec Syriza en Grèce. Cela était surtout le cas avec le PRC car il avait à un moment un réel enracinement dans la classe ouvrière et dans la jeunesse italiennes. Il était donc inévitable que son effondrement provoque du scepticisme quant à la possibilité de construire un nouveau parti des travailleurs et, parmi certains, on a une opposition aux tentatives de construire un nouveau parti sur base que cela va toujours rater. Tout en comprenant de tels sentiments, le CIO explique pourquoi un nouveau parti des travailleurs est nécessaire, tout en exprimant clairement que ce nouveau parti devra tirer les leçons du passé et ne pas devenir un PRC numéro 2. Le fait que la FIOM, la section militante du syndicat des métallurgistes, la CGIL, reçoit maintenant un large soutien et des demandes d’adhésion de la part de travailleurs d’autres secteurs que le métal, est un reflet de la manière dont des couches entières de travailleurs italiens sont à la recherche d’une arme qu’elles peuvent utiliser pour riposter. Mais le désenchantement par rapporte au PRC qui est survenu après l’effondrement de ce parti peut aussi renforcer les tendances trade-unionistes parmi les travailleurs et les tendances anarchistes chez les jeunes.
Mais ce n’est pas qu’en Italie que les travailleurs combatifs sont à la recherche d’une manière de répliquer. Dans les pays où ils conservent un certain soutien au sein de la classe ouvrière, il est possible que certains anciens partis staliniens survivants puissent jouer un rôle et attirer et construire à partir des travailleurs et des jeunes radicalisés. Ceci semble être en train de se produire en Espagne avec la IU. Dans d’autre pays, la situation est plus compliquée, surtout avec le KKE en Grèce, qui possède un soutien auprès de sections cruciales de la classe ouvrière mais qui combine une approche totalement sectaire envers les autres travailleurs avec le nationalisme, des revendications vagues et la glorification de Staline. En France et au Portugal, la situation est différente : le PCF est dans un front boiteux avec le PG, tandis que le PCP semble être en train de se radicaliser et s’ouvrir au débat. En Chypre, le président communiste commence à arrêter de mettre en œuvre ses petites réformes sociales pour se tourner vers les coupes budgétaires, ce qui fait que son parti, l’AKEL, semble vouloir se distancier du gouvernement, dans une tentative de maintenir leur soutien.
Dans cette situation orageuse, les débats et discussions sur les tâches du mouvement ouvrier vont fournir de larges opportunités aux marxistes sur toutes sortes de terrains, y compris parmi les couches nouvellement actives et parmi les membres ou les sympathisants de ces nouveaux partis et de ces partis en cours de radicalisation. À présent, d’importantes couches de travailleurs et de jeunes sont déjà en train de se radicaliser, et en train de passer d’une opposition au capitalisme vers une ouverture à ou vers la conclusion tirée par eux-mêmes de la nécessité du socialisme. Tout ceci crée les conditions dans lesquelles les marxistes peuvent rapidement croitre en nombre parmi eux. Là où aucune formation de gauche n’existe en ce moment, les marxistes interviendront dans les luttes et mettront en place des activités visant à construire leurs propres forces tout en gardant dans leur programme l’appel à de nouveaux partis des travailleurs de masse.
Il y a déjà eu de grandioses batailles de classes, mais en réalité celles-ci ne sont qu’un apéritif par rapport à ce qui va se produire au cours de la période qui vient, puisqu’il devient de plus en plus clair que le capitalisme ne peut pas offrir de meilleur futur. C’est pourquoi la vision de ce qui serait possible, non seulement économiquement mais aussi socialement, environnementalement et culturellement parlant si le capitalisme venait à être renversé est absolument cruciale pour la construction du mouvement socialiste. L’appel du CIO à une fédération socialiste démocratique d’Europe n’est pas simplement un objectif, mais c’est même là la raison pour laquelle nous devons nous efforcer de relier entre elles les luttes dans différentes parties de l’Europe et construire un mouvement international qui puisse mettre un terme au capitalisme à l’endroit même où il est né. La crise dans l’Europe capitaliste et dans l’UE va de plus en plus mettre la question de l’alternative socialiste pour l’Europe à l’ordre du jour pour les travailleurs et la jeunesse en lutte contre l’offensive des classes dirigeantes.
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10e Congrès mondial du CIO : Résolution sur L’Europe (1)
Des millions de gens participant aux grèves générales et aux manifestations; des gouvernements extrêmement impopulaires, parfois haïs – la classe ouvrière et la jeunesse européennes sont en train de faire leur grand retour dans l’arène de la lutte.
Ce document sur l’Europe est une des résolutions du 10ème Congrès mondial du CIO. Des documents ont été publiés en anglais à propos des relations mondiales, de l’Europe, de l’Amérique latine, du Moyen-Orient, de l’Asie, de la Russie et Europe de l’Est, et sur la situation en Afrique.
10e Congrès Mondial du Comité pour une Internationale Ouvrière
Le 10e Congrès Mondial du Comité pour une International Ouvrière (CIO) s’est déroulé en décembre en Belgique. Ont participé à cet événement entre autres des délégués et des visiteurs en provenance d’Afrique du Sud, d’Allemagne, d’Angleterre et du pays de Galles, d’Argentine, d’Australie, d’Autriche, de Belgique, du Chili, de Chypre, d’Écosse, d’Espagne, des États-Unis, de France, de Grèce, de Hong Kong, d’Inde, d’Irlande, d’Israël, d’Italie, du Kazakhstan, de Malaisie, des Pays-Bas, du Nigéria, de Pologne, du Portugal, du Québec, de Russie, du Sri Lanka, de Suède, de Taïwan, de Tchéquie, et du Venezuela.
Ce Congrès a duré une semaine et a discuté des principaux enjeux auxquels est confrontée la classe ouvrière internationalement dans cette période d’attaques d’austérité sauvages ainsi que des tâches du CIO.
Nous allons publier sur ce site différents textes et résolutions concernant ce Congrès.
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Dans un contexte de remous économiques et d’une urgence européenne après l’autre, l’Europe traverse des troubles profonds. L’impact continu de la crise économique mondiale a produit tempête après l’autre sur le plan européen comme sur le plan national dans divers pays d’Europe.
L’ampleur de certaines actions – des millions de personnes en grève en Espagne le 3 septembre, un demi million de manifestants dans les rues de France à la mi-octobre, 300 000 manifestants à Lisbonne en mai – sont un reflet des remous profonds qui secouent l’Europe en ce moment. Tandis que de nombreux dirigeants syndicaux tentent de limiter ces actions et d’en empêcher leur développement en une lutte sérieuse, le puissant mouvement français contre la hausse de l’âge de la retraite a développé des caractéristiques d’une situation pré-révolutionnaire. La moindre étincelle aurait pu y enflammer un mouvement plus large dans une situation où les sondages d’opinion montrent un soutien de 54% pour une grève générale. La fin de novembre 2010 a vu plus d’actions de protestation avec une grève générale massivement soutenue, au Portugal, une manifestation de masse à Dublin et un mouvement large d’étudiants et de lycéens au Royaume-Uni.
Il y a une crise mondiale, mais en même temps aussi une vague de protestation bien ancrée sur le plan européen, symbolisée par le fait que , parmi de nombreux analystes capitalistes, la remise en question du futur de l’Eurozone, au moins sous sa forme actuelle, n’est plus considérée comme un tabou et est de plus en plus largement débattue. Il y a un nouveau rythme à présent ; les jours de stabilité à moyen terme et même, dans certains pays, de stabilité à court terme, sont derrière nous. Les événements se succèdent très rapidement – dès qu’une crise est “résolue”, elle cède la place à la suivante. Mais ce qui est encore plus important du point de vue de la lutte contre le capitalisme, c’est que la classe ouvrière a entamé un retour actif sur le devant de la scène, bien que cela ne va pas se développer de manière linéaire. Malgré le fait que seule une minorité est pour l’instant partie en grève, les luttes de masse en France, avec huit journées d’action, ont été très largement soutenues et pourraient avoir été victorieuses s’il y avait eu une direction déterminée. Maintenant, malgré l’échec de ce mouvement concernant le retrait de la loi de réforme des pensions, il s’agit plus d’une pause que d”une retraite pour le mouvement.
Au départ, les gouvernements ont mis en place des mesures urgentes afin d’empêcher que l’alarme financière de 2008 ne dégénère en un effondrement des banques et des marchés qui à son tour aurait pu produire un désastre du type des années ’30 à travers le monde entier. Seuls quelques gouvernements, comme le gouvernement irlandais, ont tout de suite entamé des attaques directes contre le niveau de vie, bien que dans les entreprises des emplois ont été perdus et les revenus diminués dès lors que l’économie se contractait. En Allemagne, le déficit budgétaire de 2010 sera sans doute le plus élevé jamais vu. Mais à ce moment-là, en 2009 et 2010, la combinaison de la fin de la première phase de la crise et la pression sur les gouvernements de la part des marchés financiers pour annuler les mesures d’urgence et neutraliser la dette, symbolisée par la crise de la dette grecque, ont eu pour résultat le démarrage d’offensives brutales de la part des classes dirigeantes et des gouvernements à travers toute l’Europe.
Une nouvelle vague de protestation
Les tentatives déterminées qui sont faites cette année pour rabaisser le niveau de vie et remonter la roue de l’Histoire ont provoqué un nouveau départ de la lutte de classe dans de nombreux pays, à commencer par la Grèce. Après six grèves générales en Grèce, la deuxième moitié de 2010 a vu les grèves et manifestations de masse gagner en puissance dans d’autres pays, surtout en France, au Portugal et en Espagne. En Italie, il y a eu de plus en plus d’appels à une grève générale, tandis qu’au Royaume-Uni, les demandes d’une opposition plus active ont commencé à se développer à partir de la base et ont été énormément renforcées par la manifestation de 50.000 étudiants au mois de novembre. En Irlande, c’est une humeur explosive qui est en train de se développer, mais il est possible que cela se reflète avant tout dans le résultat des élections anticipées. Les pays d’Europe centrale et orientale n’ont pas été indemnes de protestations ; il y a eu de grandes manifestations et grèves contre les coupes salariales et sociales en Tchéquie, en Lituanie, en Roumanie et en Slovénie. En Roumanie, l’impact combiné de la restauration capitaliste avec maintenant la crise économique à ce qu’un sondage en septembre révèle que 49% des gens trouvent que la vie était meilleure avant décembre 1989, bien que 69% disent qu’il y avait alors un “manque de démocratie”.
L’année 2010 a vu la jeunesse commencer à jouer un rôle important dans toute une série de pays. La récente mobilisation des étudiants et lycéens en soutien à celle des travailleurs en France a marqué une nouvelle étape, tandis qu’en Autriche, au Royaume-Uni, en Irlande et en Italie, un grand nombre d’étudiants sont aussi descendus dans les rues contre les coupes dans l’éducation. Au Royaume-Uni, les fortes hausses des frais d’inscription et la fin abrupte des petites bourses hebdomadaires pour les 16-18 ans qui sont à l’école sont en train de provoquer une riposte déterminée de la part de nombreux lycéens. La jeunesse a également joué un rôle crucial en Allemagne lors des mouvements de protestation de masse contre la reprise du transport de déchets nucléaires en novembre.
Partout en Europe, la plupart des gouvernements sont extrêmement impopulaires, voire haïs, malgré l’exception apparente de la réélection de la coalition conservatrice en Suède, qui a regagné un certain soutien à quelques mois des élections au moment où l’économie a repris. Dans certains pays, on ne peut pas assurer combien de temps leurs gouvernements vont encore pouvoir survivre. La crise spectaculaire de 2008 en Islande, et la brutalité avec laquelle sa population a été traitée au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, a fait voler en éclat le gouvernement de droite. En Irlande, le gouvernement tient à peine debout (depuis l’écriture de ce texte, des élections anticipées ont été appelées pour le mois de mars, NDLT), tandis qu’en Italie la rupture entre Berlusconi et Fini a posé la possibilité d’élections anticipées. En Grèce, malgré le fait qu’il ait rompu presque immédiatement la plupart de ses promesses électorales de 2009, le gouvernement Pasok perdure, faute d’une alternative. Les taux d’abstention anormalement élevés lors des élections locales de novembre était un indicateur à la fois de l’opposition à l’austérité et du manque d’une alternative de masse au Pasok. L’opposition durable et massivement soutenue au projet “Stuttgart 21” d’une nouvelle gare à Stuttgart en Allemagne illustre l’aliénation croissante par rapport à la plupart des institutions étatiques et parlementaires dans toute une série de pays.
Les commentateurs capitalistes ont tiré beaucoup du fait que, au contraire des crises du vingtième siècle qui ont à chaque fois connu d’importants tournants vers la gauche, la première phase de la crise capitaliste actuelle a vu dans la plupart des pays le triomphe électoral de forces de droite ou d’extrême-droite. Mais comme l’a montré le nombre de grèves générales et d’actions de masse, le mouvement ouvrier est en train d’entrer en action, et ceci a déjà commencé à créer un sentiment anticapitaliste. Cela va saper la seule note positive pour les classes dirigeantes confrontées à de nombreux problèmes, c’est à dire l’absence de partis ouvriers capables de remettre en question le capitalisme lui-même. C’est là le résultat de l’impact continu de l’effondrement des États staliniens, du virage à droite dans le mouvement ouvrier et de la transformation de la plupart des anciens partis ouvrier-bourgeois et staliniens.
Bien que l’effet de l’effondrement du stalinisme et l’offensive idéologique anti-socialiste qui a suivi a fait en sorte que, jusqu’ici les classes dirigeantes européennes n’ont pas eu affaire à une remise en question déterminée du capitalisme lui-même, la crise a déjà eu de profonds effets.
Cela signifie que jusqu’à présent, malgré l’hostilité envers les banques et l’appel à “ne pas payer pour leur crise”, il n’y a pas eu d’actions larges d’opposition au capitalisme lui-même. Mais la logique de cette crise, le fait que, pour bon nombre d’entre nous, le niveau de vie est en train de diminuer sans aucune perspective d’amélioration à court terme, va s’ajouter à l’activité des socialistes pour préparer la voie pour une remise en question du capitalisme dans son ensemble. Cette remise en question va s’étendre jusqu’à englober tous les partis politiques, institutions et structures existants. Le vieux mode de fonctionnement sera remis en question par une situation qui consistera au mieux en une baisse du niveau de vie, au pire dans un grand plongeon dans la misère. Nombreux sont ceux qui ont été encouragés ou forcés à partir au chômage ou à se lancer dans des petites entreprises qui seront brutalement écrasées, et le mouvement ouvrier a besoin d’un appel programmatique envers ces couches, afin d’empêcher leur virage à droite. Un facteur crucial pour l’avenir est le fait que l’expérience de la lutte va poser la question de la manière dont l’offensive des capitalistes peut être combattue ; et au fur et à mesure que les travailleurs, les jeunes et de nombreuses sections des classes moyennes réalisent que ce système ne peut pas leur offrir la moindre perspective d’un avenir radieux sur le court terme, se posera la question de savoir quelle est l’alternative.
Une situation politique fluide
Dans cette période de crise, le manque de gouvernements stables et le désir d’“incorporer” l’opposition peut mener à des coalitions officielles ou officieuses, y compris des “grandes coalitions” entre les partis majoritaires ou des gouvernements de coalition “nationale”, dans le but de “répondre à l’urgence”. Mais le capitalisme est très flexible. En Belgique, l’absence d’un nouveau gouvernement depuis les élections de juin n’a pas empêché le gouvernement “intérimaire” de mener des attaques indirectes.
Les élections, qu’elles se déroulent régulièrement où qu’elles soient anticipées, peuvent par elles-mêmes produire des complications pour les classes dirigeantes. L’année 2010 a vu de grandes difficultés à former des gouvernements aux Pays-Bas et en Belgique (ces dernières étant dues aux complications découlant de la question nationale en Belgique) et le tout premier gouvernement de coalition au Royaume-Uni en temps de paix depuis les années ’30. Ces résultats électoraux sont le produit de la chute de soutien de nombreux partis traditionnels bourgeois, réformistes ou staliniens, en plus du caractère volatile de la période. La crise au sein de nombreux vieux partis, allant jusqu’à leur éclatement, comme on l’a vu en Italie et, dans une moindre mesure, en France, a ouvert la porte à la montée de nouvelles forces de caractère différent, tout comme elle en a été le résultat.
Tandis que les sondages d’opinion précédents montraient des possibilités pour le NPA en France et pour Syriza en Grèce, de toutes les nouvelles formations de gauche, seul Die Linke en Allemagne a été capable de réaliser un impact électoral conséquent. Bien que le NPA garde un certain potentiel, principalement autour de son radicalisme verbal occasionnel et de la stature personnelle de Besancenot, il est loin d’être certain si cela pourra se traduire en nombre de voix. Mais comme nous l’avons vu précédemment en Italie, en France, aux Pays-Bas et en Écosse, des succès électoraux ne garantissent absolument pas un développement ultérieur. Une des raisons pour lesquelles Syriza a obtenu le score médiocre de 4,6% aux élections de 2009 en Grèce, comparé aux sondages qui le plaçaient à 18% au début de 2008, a été le vote pour le “moindre mal” en faveur du Pasok. Toutefois, comme de nombreux dirigeants d’autres formations de gauche, les dirigeants de Syriza n’ont pas compris ce vote ni le fait que le soutien pour le Pasok allait être rapidement sapé par l’expérience de son retour au gouvernement, et cela est une des raisons, en plus de la complète incapacité des dirigeants de Syriza de répondre politiquement et organisationnellement à la crise et aux revendications de lutte des classes, pour les troubles qui ont emporté Syriza l’an passé.
La situation économique et sociale plus volatile a eu pour conséquence le fait que les élections dans de nombreux pays ont été le témoin de la percée subite (et parfois de la chute tout aussi subite) de différentes forces bourgeoises ou petite-bourgeoises telles que le PVV de Wilders aux Pays-Bas, le FDP en Allemagne, les LibDems au Royaume-Uni, la NVA en Flandre et les Verts en France et en Allemagne.
Toutefois, les victoires électorales ne signifient pas nécessairement une popularité stable même dans ces pays, comme en Allemagne, où l’économie s’est accrue due aux exportations. En Allemagne, après les élections de 2009, on a assisté à un effondrement monumental du soutien à la coalition CDU/CSU/FDP, et en particulier du FDP.
Tensions sur le plan économique
Mais la croissance économique en Allemagne, comme celle de tous les autres pays européens, est fragile et il se pourrait qu’elle ait déjà atteint son point le plus haut. La spéculation déclarée sur l’avenir de gouvernements ou de l’euro, les rivalités et alliances changeantes au sein de l’Union européenne, en plus de la remontée des luttes, sont toutes annonciatrices des grands troubles à l’horizon.
Ainsi, l’année 2010 ne s’est pas révélée être l’année que les classes dirigeantes avaient espérée lorsqu’elles avaient signé la soi-disant “stratégie de Lisbonne” en 2000. Au lieu de cela, l’Union européenne est confrontée à une des pires crises qu’elle ait jamais connues, tandis que des tempêtes économiques et politiques remettent en question l’avenir de l’eurozone ou même de l’UE dans sa forme actuelle.
La tempête autour de l’euro a plongé l’UE dans d’âpres querelles internes tandis que les gouvernements nationaux cherchaient à accuser des forces étrangères ou des gouvernements rivaux en tant que responsables de la crise. Pendant tout un temps la Grèce, et surtout les travailleurs grecs, ont été le point de concentration de toute la démonisation, en tant que responsables de la crise de l’euro, en plus d’être des mendiants qui demandaient la “charité” du reste de l’Union. Il y avait dans tout ça un élément de vérité, car une crise de la “dette souveraine” en Grèce aurait pu se révéler être le maillon faible qui allait causer la catastrophe dans toute la zone euro, mais il est bientôt apparu qu’il y avait toute une série de maillons faibles dans ce qui était une véritable “chaine de crises”. C’est ainsi que les spéculateurs et analystes capitalistes ont commencé à parler des “PIIGS” (les “porcs” : Portugal, Irlande, Italie, Grèce et Espagne) pour qualifier ces pays de l’eurozone qui étaient en crise.
Cependant, la plupart de ce que l’Union Européenne présentait au début des années ‘2000 comme étant un “progrès” s’est dans les faits avéré n’être qu’une brutale offensive néolibérale sur de nombreux gains que le mouvement ouvrier était parvenu à gagner précédemment au cours de décennies entières. C’était là l’essence même de la “stratégie de Lisbonne”. Ce n’était pas par hasard que le gouvernement allemand social-démocrate/vert de Schröder avait baptisé “Agenda 2010” son plan de coupes néolibérales de 2003. Cette offensive a réellement eu un effet de maintenir vers le bas le niveau de vie dans de nombreux pays, en grande partie à cause des dirigeants syndicaux. En Autriche, la part des salaires dans le PIB est passée de 62% en 1995 à 55% en 2008, tandis que les 25% les plus pauvres en Autriche ont subi une baisse de 12% de leur revenu réel.
C’est ce genre de “succès”, plus les illusions dans l’euro et la croissance économique continue au niveau mondial, qui explique en partie pourquoi les dirigeants européens ont été complètement pris par surprise par l’arrivée de la crise, une crise qui a posé un point d’interrogation géant sur le soi-disant “projet européen” et sur la survie de l’eurozone dans sa forme actuelle.
Alors que la crise internationale qui a démarré en 2007 était la raison finale de l’échec de l’UE à atteindre ses objectifs de 2010, certains pays européens souffraient déjà de changements à l’échelle mondiale qui se produisaient dans le capitalisme. Bien que cette calamité a complètement pris par surprise l’ensemble des classes dirigeantes et de leurs politiciens, elle n’est pas une sorte d’événement “bizarre”. En réalité, elle découle de la nature même du capitalisme et en particulier du caractère de la croissance économique des deux dernières décennies.
Au même moment, elle a également révélé le véritable caractère et les limites de l’UE. C’est là tout le sens du dernier round de bagarres entre les puissances européennes, et maintenant du débat ouvert sur le futur de l’euro et de la discussion (qui accompagne probablement un début de planification) de la possibilité qu’au moins un pays se voie forcé de quitter l’eurozone. Mais cette discussion n’a pas été limitée aux pays qui pourraient être forcés de quitter l’euro, mais elle a également porté sur la possibilité, dans une situation extrême, pour l’Allemagne de le quitter.
Des crises qui s’enchainent et la crise de l’euro
Alors qu’en mai 2010, un énorme plan de sauvetage d’un montant de 750 milliards d’euro a mis un terme à la crise immédiate provoquée par la révélation de la véritable situation financière de la Grèce, ceci n’a amené qu’une stabilité temporaire. À de nombreuses reprises depuis lors, de brusques écart de spread ont indiqué un potentiel pour de nouvelles crises, ou la menace de nouvelles crises, au fur et à mesure que des doutes refont surface quant aux finances d’autres pays de l’eurozone.
La nouvelle crise en novembre, autour de l’Irlande cette fois, a été en partie déclenchée par Merkel qui en octobre a imposé un accord qui disait qu’à l’avenir, en cas de crise financière, les investisseurs devraient assumer eux-mêmes les pertes sur leurs investissements. Les autres pays européens n’étaient pas dans une position d’affronter l’impérialisme allemand qui est la base financière sur laquelle reposent l’euro tout comme l’UE. Merkel a en partie agi afin de prévenir la montée de l’opposition à l’intérieur de l’Allemagne à l’encontre de ce qui y était perçu comme le “renflouement” d’autres pays.
Toutefois, si cet accord d’octobre a accéléré le cours des événements, ce n’est pas lui qui les a causé ; les marchés financiers ont rapidement augmenté les taux d’intérêt qu’ils exigeaient de l’Irlande, tentant par-là de couvrir une partie de pertes potentielles. Ce qui est ici très clair, c’est qu’alors que les institutions financières exigeaient que ce soient la classe ouvrière et la classe moyenne qui subissent les coupes, elles ont utilisé tout leur pouvoir pour résister à toute proposition selon laquelle elles-mêmes devraient accepter la moindre perte. La pression énorme qui s’en est suivi sur l’Irlande afin qu’elle accepte un renflouement et encore plus d’austérité, en plus de la “supervision” internationale qui l’a accompagnée, était le reflet d’une véritable panique. De nombreuses classes dirigeantes craignaient que l’effondrement des banques irlandaises provoque une crise internationale du type de Lehmann Brothers, et/ou que la crise autour de la dette irlandaise pourrait très vite mettre l’Espagne sous une pression similaire. Tandis que des plans de “sauvetage” peuvent être offerts à des petites économies comme la Grèce, l’Irlande ou le Portugal, une crise espagnole enverrait valser l’ensemble de la zone euro.
Mais l’avenir de l’eurozone n’est pas seulement menacé par une nouvelle crise de la “dette souveraine”. Il y a également des tensions qui découlent des déséquilibres du système de l’euro, un système qui a profité à de nombreux égards au capitalisme allemand, au détriment de ses rivaux. Comme l’a expliqué le CIO avant l’introduction des billets et des pièces euro, cette situation met en question la durée qui reste à vivre à l’eurozone dans sa forme actuelle. Clairement, l’intégration de l’économie européenne a parcouru tout un chemin et a produit une situation dans laquelle, en addition aux immenses troubles politiques, une reconfiguration ou l’éclatement de la zone euro serait extrêmement destructeur. Mais cela en soi ne serait pas suffisant pour empêcher que, en pleine période de crise, un pays ou un groupe de pays quitte l’eurozone ou, comme Merkel l’a menacé en mars 2010, en soit mis à la porte.
Il y a de plus en plus de tensions et de conflits d’intérêt entre les différents pays européens, ce qui est quelque chose que la Chine tente d’exploiter avec ces offres de soutien financier à la Grèce et au Portugal. En même temps, il y a parmi les grandes puissances européennes une lutte pour la direction, sinon pour la suprématie. À cause de la crise, la Grèce et de plus en plus l’Irlande, en tant que pays de l’eurozone, sont placés sous un contrôle croissant de l’UE – en réalité de l’Allemagne, qui est la plus grande puissance économique de la zone euro. En Grèce comme en Irlande il y a une colère, avec des éléments d’anti-impérialisme, à l’encontre de ce qui est correctement perçu comme étant une perte de souveraineté au profit de l’UE, de la BCE, du FMI et des marchés financiers. L’opposition populaire va grandir dans cette direction, et les marxistes vont tout faire pour donner à ce sentiment un caractère anticapitaliste plutôt que nationaliste.
Une nouvelle chute de l’économie
Déjà avant la tempête du mois de novembre, il a été clair que la faible reprise de l’économie de cette année, qui était un mélange de spasme post-mortem et de croissance économique en Chine, n’allait pas mettre un terme aux tourments de l’Europe. Cela, malgré le fait que dans une poignée de pays, et surtout en Allemagne, il y a toujours des gens qui gardent l’espoir que le pire est passé. Toutefois, il est clair que cette reprise n’est pas fermement basée ni enracinée dans des développements au sein de l’UE. La très forte dépendance de l’Allemagne sur ses exportations est particulièrement fragile et, si elle devait s’inverser, cela aurait de profondes répercussions, autant que ce qu’on a déjà vu avec la chute dramatique de -6,8% de son PIB entre les printemps de 2008 et 2009. Partout en Europe, il y a eu une croissance des emplois précaires, temporaires et limités, du travail à temps partiel et du nombre de travailleurs qui ont été forcés à “s’auto-employer”, tout cela étant bien loin de vrais emplois à plein temps.
Pour les travailleurs allemands, cette croissance économique a eu des effets différents. L’année 2010 a connu des gains dans certains secteurs, par exemple il y a eu dans la sidérurgie une hausse salariale de 3,6% et l’harmonisation de la paye pour les travailleurs à contrats à durée déterminée, et aussi certaines entreprises, surtout dans l’industrie automobile, ont accordé des hausses salariales en avance sur ce qui était prévu dans les contrats. Mais 2009 a été la première année depuis 1949 où non seulement les salaires réels, mais aussi les salaires nominaux, ont baissé, en même temps que la pression des patrons dans les entreprises continuait à croitre. Qui plus est, la majorité des nouveaux emplois créés ont été temporaires, des emplois qui peuvent facilement être perdus dès que l’économie s’arrête de croitre. Malgré cela, la croissance économique récente a créé certains espoirs que le pire est derrière nous, en Allemagne et dans certains pays qui y sont économiquement liés. En novembre 2010, 35% des Allemands craignaient le chômage, comparé à 59% un an auparavant. C’est une des raisons pour lesquelles les nouvelles mesures d’austérité du nouveau gouvernement, visant principalement les couches les plus pauvres de la population, ne provoquent pas encore une opposition large.
Mais beaucoup de pays en Europe sont confrontés à une situation économique bien, bien pire et, en outre, il n’y a pas de porte de secours. 2009 a été l’année d’énormes chutes du PIB dans les États baltiques, (la Lettonie a subi la pire chute du PIB : -18%) et de très grosse pertes dans des pays comme la Finlande (-8%), l’Irlande (-7,1%) et l’Islande (-6,8%). Au fur et à mesure que s’écoulait l’année 2010, le taux de croissance d’autres pays européens s’est lui aussi ralenti.
La situation instable est une raison pour les divisions continues au sein des classes dirigeantes quant au rythme et à l’ampleur des attaques qu’ils désirent poursuivre sur le niveau de vie, et à la nécessité ou non du maintien de mesures afin d’atténuer les effets de la crise.
Ce qui est clair est qu’au sein de l’UE, il n’y a aucune base pour une reprise économique durable ; cette situation est aggravée par les offensives que la plupart des gouvernements ont lancées avec la mise en œuvre de mesures d’austérité. C’est ce qu’on voit en Grèce et en Irlande, dont les économies sont en réalité toujours en train de baisser, tandis que des pays comme le Portugal ou l’Espagne ne sont pas loin derrière. L’offensive du gouvernement britannique est justifiée par l’espoir d’une reprise des exportations, mais il n’y a aucune certitude quant à la possibilité du capitalisme britannique de reconstruire ses secteurs non-financiers. De la même manière, tous les signes indiquent que l’économie mondiale est de nouveau en train de ralentir, et qu’une récession en “double chute” se pointe à l’horizon. Les perspectives pour l’économie mondiale sont aussi cruciales pour les perspectives économiques de l’Allemagne, puisque sa rapide reprise en 2010 était purement basée sur les exportations. Une décennie de gel des salaires, combinée aux taux de change des devises nationales en euro a bousté la compétitivité du capitalisme allemand, dans l’eurozone comme à l’échelle internationale. Par exemple, plus de 20% de la production des entreprises automobiles allemandes a été vendu à la Chine, et l’Allemagne pourrait au mieux se retrouver dans la stagnation au cas où, comme il semble probable, l’économie mondiale venait encore à ralentir. Une baisse plus profonde de l’économie mondiale produirait une nouvelle chute rapide des exportations allemandes et aurait d’énormes répercussions politiques et sociales.