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  • [DOSSIER] Dexia: aux travailleurs et à leurs familles de payer pour les bénéfices du privé ?

    Pour la nationalisation de Dexia, première étape vers un secteur financier public

    Dexia Banque Belgique est actuellement aux mains de l’Etat belge. La France a aussi repris une partie de Dexia, et le reste est placé dans une ‘‘bad bank’’. Début octobre, l’Etat danois a repris la banque Max et l’Etat grec la banque Proto. Ces interventions des gouvernements sont une expression de l’énorme nervosité qui règne dans les milieux économiques et politiques partout en Europe. Certains disent même qu’il faut une intervention européenne coordonnée pour sauver le secteur bancaire avec une injection de 200 milliards d’euros, de l’argent de la collectivité bien entendu.

    Dossier, par Bart Vandersteene

    En un weekend, le gouvernement belge a trouvé quatre milliards d’euros pour acheter Dexia Banque Belgique. Selon le premier ministre Yves Leterme et le ministre Reynders, cela ne va rien coûter aux contribuables. Dexia doit immédiatement payer une prime de 270 millions d’euros pour la garantie destinée à la ‘bad bank’, tandis que les intérêts annuels pour le prêt de 4 milliards sera de ‘seulement’ 160 millions d’euros. Bien sûr, ils passent très vite sur le fait que les 4 milliards empruntés doivent être remboursés. Par ailleurs, le gouvernement a engagé la collectivité pour un garantie de 54 milliards d’euros pour la ‘bad bank’. Cela représente 15% du PIB et environ 5.000 euros par Belge.

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    Est-ce qu’une banque publique pouvait éviter la crise actuelle ?

    Il est illusoire de penser qu’une banque publique qui n’a pas participé à des investissements risqués serait restée debout dans la période qui a précédé 2008. Cette illusion, qui était aussi entrée dans la gauche, suppose qu’une banque avec un taux d’intérêt de 2% sur les épargnes pouvait rivaliser avec les 4 à 6% promis par les autres banques, bien que cela fût fondé sur les grands risques.

    Si une banque publique avait existé, cela aurait été une île au milieu d’un océan de logique capitaliste, et les vagues spéculatives l’auraient immergé. Qui serait resté à la banque publique face au bombardement de propagande des médias et des experts avec leurs projections de rendements attrayants ? La pression aurait été rapidement là complètement s’inscrire dans une logique de spéculation.

    C’est pourquoi le Crédit Communal et la CGER ont été vendus au secteur privé. Les banques publiques ne pouvaient pas répondre de façon adéquate à la vague de spéculation financière néolibérale.


    Qui gère une banque publique ?

    Comment pouvons-nous assurer que la gestion des banques éviter de retourner vers la logique capitaliste, avec des managers dont la tâche est de faire des profits rapides pour gagner des bonus ? Nous plaidons pour que le contrôle et la gestion soient aux mains d’un comité de représentants démocratiquement élus des travailleurs du secteur, des clients et du monde du travail en général. Ces élus ne devraient avoir aucun privilège pour l’exercice de leurs fonctions. Les travailleurs devraient être exemptés de leur boulot pour exercer cette tâche, les représentants des gouvernements sont déjà payés pour leur mandat public.

    Mais ce n’est pas juste une question de nouvelle structure. La nationalisation de Dexia et de l’ensemble du secteur financier devrait faire partie de la construction d’une autre société dans laquelle les profits d’une minorité ne seraient pas centraux, mais bien les besoins de la majorité.

    Ce n’est pas ce que les ‘‘représentants’’ de la collectivité ont défendu au sein de Dexia ces dernières années. Non, ils ont délibérément défendu l’illusion néolibérale que les risques ont été réduits en les répartissant. Ils ont été bien payés pour défendre ces mensonges. Ces représentants ont-ils représenté la collectivité au sein de Dexia, ou plutôt Dexia au sein de la collectivité ? Aucun représentant public chez Dexia – et ils n’étaient pas des moindres avec le président de l’Europe Herman Van Rompuy ou le presque nouveau premier ministre Elio Di Rupo – n’a averti des dangers du secteur. Est-ce que ces politiciens vont maintenant se limiter à une nationalisation de Dexia pour que la collectivité doive payer pour les mauvaises dettes pendant que le privé peut s’en aller avec les bons morceaux pour leurs profits ?

    Une fois que le secteur financier sera dans les mains publiques, le secteur ne peut pas suivre la même voie que les directions précédentes qui étaient toujours inscrites dans la logique du capitalisme. Le secteur doit être mis sous le contrôle direct et la gestion des travailleurs et des clients. Cela devrait permettre de s’assurer que le secteur bancaire et de crédit joue un rôle socialement utile.


    Nous demandons que :

    • Tous les représentants politiques au sein du conseil de Dexia remboursent leurs honoraires pour les 10 dernières années
    • Tous les bonus pour les managers, comme Mariani, soient récupérés
    • Que Dexia soit enfin complètement placé aux mains du public
    • Un audit public soit réalisé sous contrôle ouvrier pour déterminer quels actionnaires et détenteurs d’effets ont droit à une indemnité équitable au nom de la collectivité
    • Les livres de toutes les banques soient ouverts
    • Le secteur dans son ensemble soit mis dans les mains du public
    • La gestion de ce secteur et son contrôle soient effectués par un comité élu composé de représentants élus des travailleurs, des clients et du monde du travail en général
    • Il faut rompre avec le capitalisme qui démontre de plus en plus sa faillite. Il faut commencer à construire une alternative socialiste dans laquelle les besoins et les désirs de la majorité de la population sont centraux.


    Tous complices

    Qui sont les représentants de la collectivité qui étaient supposés nous représenter au conseil d’administration de Dexia? Aperçu de quelques complices…

    Le président du conseil d’administration est Jean-Luc Dehaene, député européen du CD&V. Francis Vermeiren n’est pas seulement maire de Zaventem pour le VLD mais aussi président du Holding Communal (46.000 euros par an) et administrateur chez Dexia (pour un montant similaire). Plusieurs politiciens ont fait partie du conseil d’administration de Dexia. Parmi eux se trouvait le président européen Herman Van Rompuy.

    Une petite liste des politiciens qui ont été membres du conseil d’administration de Dexia ces dernières années :

    • PS: Marc Deconinck, Elio Di Rupo,
    • CDH: Benoît Drèze, Jean-Jacques Viseur
    • MR: Antoine Duquesne, Serge Kubla.
    • SP.a: Frank Beke, Patrick Janssens, Jean Vandecasteele, Geert Bervoets
    • Open VLD verres Louis, Francis Vermeiren, Patrick Lachaert, Karel De Gucht, Rik Daems, Jaak Gabriels
    • CD & V: Wivina Demeester, Herman Van Rompuy, Tony Van Parys, Luc Martens, Jef Gabriels, Stefaan Declerck

    Dehaene: politicien ou homme d’affaires ? Ou est-ce le même?

    Yves Leterme s’est trompé quand il a été à la radio en parlant de Dehaene comme un ex-politicien. Le poids lourd du CD&V est toujours eurodéputé, ce qui représente un salaire mensuel de € 6.080 ajouté aux 4.500 euros de frais et d’indemnités de voyage.

    En tant que président de Dexia, Dehaene a reçu une indemnité de 88.000 euros par an (hors primes et bonus). Au conseil d’administration d’Inbev, il recueille € 79.000, chez Umicore € 33.000, chez Lotus € 17.500, … A la FIFA, il reçoit € 70.000 par an. Ce montant a été récemment doublé en raison d’une pression de travail élevée. Ces revenus comptent pour environ 30.000 par mois. Rembourser ce qu’il a reçu de Dexia ne sera donc pas un grand problème pour Dehaene.

    Jean-Luc Dehaene est officiellement de l’aile du Mouvement Ouvrier Chrétien du CD&V. Les membres du MOC (y compris les membres d’Arco) pensent-ils que les intérêts des travailleurs sont bien défendus par de tels représentants ?
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    Pour des logements abordables, un enseignement gratuit et de qualité, des soins de santé,… il n’y a jamais de garantie de l’Etat. Pourquoi le problème des listes d’attente dans les soins de santé n’est-il pas résolu en un weekend en donnant les moyens adéquats ? Pour les banquiers et les spéculateurs, les politiciens trouvent facilement de l’argent en ‘un weekend de courage politique’. Mais pour les manques qui frappent la majorité de la société, il n’y a pas de moyens.

    La collectivité perd

    La décision de scinder Dexia a de lourdes conséquences. Cela est évident rien qu’au regard de la liste des principaux actionnaires:

    • Arco, le holding du Mouvement Ouvrier Chrétien, contrôle 13% des actions
    • Le Holding Communal : 14%
    • L’association d’assurance Ethias : 5%
    • Les gouvernements régionaux : 5,7% et le gouvernement fédéral : 5,7%

    Non seulement les grands actionnaires privés connaissent une perte de valeur, mais tous les niveaux de gouvernement et même la coopérative du mouvement ouvrier chrétien vont payer le prix fort pour avoir rejoint l’idéologie néolibérale avec le casino de Dexia.

    La perte de valeur pour le gouvernement fédéral et les gouvernements régionaux est de 2 milliards d’euros. Pour les 700.000 membres de la société Arco, une solution sera développée correspondant à la garantie de l’Etat pour les comptes d’épargne. La perte du Holding Communal, en théorie, doit conduire à la faillite. Il est possible que les régions et le gouvernement fédéral interviennent pour le maintenir à flot. Mais, pour les communes, cela signifie de toute façon un gouffre financier. Il y a la disparition des dividendes (en 2008, il s’agissait de 8,5 millions d’euros pour Anvers) et aussi la perte de valeur du Holding Communal. Ce holding avait acheté ses actions Dexia à 8,26 € alors que leur valeur boursière a chuté à moins de 1 euro. La collectivité va payer un prix élevé, la seule discussion est de savoir quel niveau va supporter quelle partie du prix.

    Enfin, le gouvernement a également engagé la collectivité pour 54 milliards d’euros pour la ‘bad bank’. Si quelque chose va mal – et le nom de ‘bad bank’ indique que le risque est grand – la collectivité intervient. Parmi les 200 milliards d’euros d’actifs dans cette ‘bad bank’, il y a 12 milliards d’euros en obligations des gouvernements d’Europe du Sud et 7,7 milliards d’actifs toxiques. Comme le dit l’économiste Van de Cloot (Itinera): ‘‘S’il y avait seulement de bons morceaux, pourquoi faudrait-il une garantie du gouvernement ?’’

    Les agences de notation vont bientôt se pencher sur la solvabilité de la Belgique, qui sera réduite après les garanties que l’Etat a prises en charge. Les belles paroles du gouvernement concernant l’argent que les garanties pour la ‘bad bank’ rapporteront à la collectivité ne sont pas prises au sérieux par les économistes des agences de notation.

    La ‘Bad Bank’ : étape vers un scénario grec?

    Dans le quotidien flamand ‘De Morgen’ le rédacteur en chef Yves Desmet a dit que la ‘bad bank’ est un énorme pari. ‘‘Si ça tourne mal, le gouvernement met la prochaine génération devant une dette semblable à celle de la Grèce ou de l’Irlande. C’est ni plus ni moins que mettre l’avenir en péril.’’

    Un scénario grec en Belgique suite à l’éclatement d’une bulle de spéculation et de crédit, c’est ce que la ‘bad bank’ peut nous apporter. Juste un rappel de ce que signifie ce scénario grec : un doublement du taux de chômage, la chute de moitié du revenu moyen d’une famille grecque au cours des quatre dernières années, une montagne de nouveaux impôts pour les travailleurs et leurs familles, la fin des livres scolaires parce qu’ils ne peuvent pas être payés, 200.000 fonctionnaires en moins,…

    De cyniques journalistes placent la responsabilité de ce scénario grec chez les Grecs eux-mêmes. Steven De Foer du ‘De Standaard’ avait écrit le 7 octobre : ‘‘Cette violence, cette protestation arrogante contre les institutions internationales, cette innocence théâtrale, comme si le Grecs sont justes des victimes. (…) Bien sûr, cela n’a pas de sens de réélire pendant des années des politiciens corrompus et de profiter du travail au noir, du népotisme, de la mauvaise gestion,… et après de venir dire que ce n’est pas de sa faute.’’ C’est vrai que le capitalisme met en évidence les éléments les plus mauvais des gens. Dans le cas d’un scénario grec dans notre pays, ce journaleux s’excusera-t-il pour le rôle joué par son journal dans l’élection des politiciens traditionnels ?

    Qui suit après Dexia ?

    Dexia a ouvert la danse dans cette deuxième phase de la crise financière. Beaucoup l’ont vu venir de loin, mais les responsables ont tout fait pour entretenir l’illusion qu’ils avaient tout sous contrôle. Il y a quelque mois, Jean-Luc Dehaene affirmait qu’il n’y avait aucun problème, pour dire aujourd’hui que Dexia est désormais plutôt un hedgefund.

    La garantie de l’Etat pour la ‘bad bank’ de Dexia (une garantie qui représente 15% du PIB) n’est que le début. Que faire si d’autres banques suivent ?

    Le FMI a estimé, avant l’épisode Dexia, qu’il faut 200 milliards d’euros pour protéger le secteur bancaire contre les conséquences de la crise de la dette dans la zone euro. Combien faudrait-il si, après la Grèce, le Portugal, l’Italie et l’Espagne entre aussi en difficulté ? Tout semble indiquer que nous allons bientôt avoir une vue plus claire sur ce scénario. Combien d’argent public sont-ils prêts à donner pour sauver les richesses, la position de pouvoir des grands actionnaires et les spéculateurs du secteur financier ?

    Gagnants et perdants

    Malgré tout l’argent public consacré au sauvetage des banques en 2008, la même culture de la spéculation et de la cupidité est restée à l’ordre du jour. Le manager de Dexia Mariani avait reçu 1,95 million d’euros en 2009 et, en plus de son salaire régulier, il a encore reçu plus de 1 million d’euros en 2010 en cadeau pour sa retraite de 200.000 euros, avec un bonus de 600.000 euros. L’homme avait sans aucun doute travaillé très dur ? Ses notes de frais à l’hôtel – l’hôtel cinq étoiles ‘Amigo’ à Bruxelles – démontrent qu’il était à Bruxelles en moyenne deux fois par semaine. Et c’est bien sûr Dexia qui payait 185 euros par nuit. Sans doute Mariani et Dehaene vont-ils encore encaisser une prime de départ pour quitter le bateau en plein naufrage ?

    Les politiciens veulent maintenant nettoyer les débris des vautours avec l’argent public. Les débris sont soigneusement triés dans les ‘‘toxiques’’ (lire: les pertes) qui sont pour la collectivité et une partie rentable qui, par la suite, peut être retournée aux mêmes vautours à prix d’ami. Alors que les spéculateurs sont sauvés, nous sommes confrontés à des projets d’austérité dans la sécurité sociale, les soins de santé, les services sociaux et publics, l’éducation,…

    Les principaux actionnaires ont encaissé de gras dividendes des années durant et ont consciemment joué les parasites. Leurs complices dans les médias et la politique ont menti au public et quelques personnes se sont laissé tenter pour placer leurs épargnes et participer à la fête boursière. Cela est maintenant utilisé pour dire que chacun est responsable, y compris ceux qui ont été trompés par cette campagne de propagande massive.

    Les responsables de la spéculation, les principaux actionnaires et les managers, n’ont besoin d’aucune compensation pour l’expropriation par le public. Pour les petits actionnaires, une compensation doit être possible sur base de besoins prouvés. Nous ne voulons pas mettre en encore plus grande difficulté ceux qui avaient espéré compléter leur maigre pension avec le revenu de quelques actions.

    Il faut aussi que l’épargne et les prêts des travailleurs et de leurs familles soient garantis. La société Arco doit être dissoute, avec une compensation pour les 700.000 membres victimes de la participation de la direction d’Arco au casino de Dexia.

    Une alternative socialiste

    La nationalisation complète et définitive de Dexia en tant que première étape vers un secteur financier dans les mains du public avec une gestion démocratique

    La première banque entièrement détenue par l’État est un fait. Le ministre Reynders suggère que Dexia Banque Belgique peut rester dans la propriété publique pendant des années. Le rédacteur du ‘De Standaard’ Guy Tegenbos n’est pas d’accord : ‘‘une banque n’est pas une tâche essentielle pour un gouvernement.’’ Bien protéger l’épargne et l’utiliser pour accorder des prêts à ceux qui veulent, par exemple, investir en achetant une maison ou au gouvernement pour investir dans des travaux publics nous semble bien être une tâche essentielle de la collectivité.

    Le système bancaire et de crédit est trop important pour être laissé aux vautours à la recherche de profits rapides. Il est vrai que cela ne sera pas réglé si ‘nationalisation’ signifie que les banques seraient dirigées par des (anciens) politiciens aux attitudes identiques à celles de leurs copains du privé. Tegenbos écrit: ‘‘Même si l’objectif des administrateurs du gouvernement est d’avoir des services bancaires objectifs, il y aura toujours la tentation de poursuivre des objectifs moins honorables’’.

    Une banque publique ne signifie pas automatiquement qu’elle fonctionne au service de la majorité de la population. Ces dernières décennies, de nombreuses entreprises publiques ont été utilisées comme tremplin pour le secteur privé. Elles étaient sellées avec des achats inutiles, une mauvaise gestion et un agenda destiné à servir un noyau d’élite. Pensons à la mauvaise gestion au sommet de la SNCB, où à la faillite orchestrée de la Sabena, après quoi le privé a pu reprendre le morceau intéressant de Brussels Airlines.

    L’ensemble du secteur financier doit être retiré des mains du secteur privé afin de pouvoir jouer un rôle socialement utile. Faire de Dexia Banque une banque publique ne peut être qu’une première étape pour prendre l’ensemble du secteur hors des mains des spéculateurs.

    Mais un Etat servant les intérêts de l’élite capitaliste n’appliquera pas une telle politique dans les pans de l’économie dont il est propriétaire. Pour échapper à la logique du libre marché, une banque, une société ou une industrie dans les mains du public doit être placée sous le contrôle démocratique des travailleurs.


    A lire également:

  • “Le SP.a a abandonné ses idées socialistes et n’est plus un parti de travailleurs"

    Interview de Jef Sleeckx, ex-parlementaire du SP.a

    Le jeudi 13 mars, j’ai discuté avec Jef Sleeckx dans son bastion de Mol. Entre les nombreux projets, histoires et anecdotes, je lui ai posé les questions suivantes.

    Propos recueillis par Bart Vandersteene

    Qui est Jef Sleeckx?

    > Jef Sleeckx a été membre du SP pendant plus de 40 ans. Il a été parlementaire pendant 21 ans et a siégé pendant 17 ans au bureau du parti.

    > Jef a été vu pendant toutes ces années comme une figure de gauche proche des travailleurs.

    > Jef a voté contre Steve Stevaert pour la présidence du parti: “Steve se préoccupe trop de techniques de vente et de shows télévisés et trop peu des vrais principes socialistes.”

    > Yves Desmet (journaliste à De Morgen) : “Ce qu’un ouvrier ne veut surtout pas, c’est de voir cette idole de la vieille gauche qu’est Jef Sleeckx apparaître à la porte de son usine, car il sait alors qu’il est grand temps de trouver un autre travail”

    Jef, tu as quitté le Parlement en 1999. Aujourd’hui, 7 ans plus tard, tu reviens sur la scène politique. Quels sont les raisons qui t’y ont poussé?

    Il y a deux événements qui m’ont poussé à donner de la voix. D’une part, il y a eu la Constitution européenne qui a été rejetée en France et aux Pays-Bas. En soi, je trouve que l’UE a besoin d’une constitution pour faire collaborer 25 pays et 450 millions de gens. Mais cette Constitution ne porte pas là-dessus. Elle ne contient pas les règles du jeu, mais le jeu lui-même. La partie 3 de la Constitution dit que l’UE doit être néo-libérale. On ne laisse aucun espace pour le débat politique.

    Une initiative avec Debunne et Vanoutrive

    Georges Debunne m’a contacté l’année passée pour que je me joigne à lui et à Lode Vanoutrive afin de soumettre ensemble une pétition au Parlement flamand et de lancer ainsi le débat sur cette Constitution en Belgique.

    Pour ce faire, nous avons dû récolter quelque 15.000 signatures dans des manifestations, des fêtes de quartier, aux portes des entreprises, et j’en oublie. En même temps, j’ai aussi étudié cette Constitution. Jamais je n’avais étudié avec un tel acharnement. Après la récolte des signatures, nous avons pu faire un exposé au Parlement flamand. Quelle ne fut pas ma stupéfaction lorsqu’il apparut que les parlementaires ignoraient presque tout de la Constitution. Cela transparaissait clairement dans les questions qu’ils me posaient. Ils n’en ont pas moins tous voté ensuite pour la Constitution…

    Une deuxième affaire qui m’a énormément touché, c’est la lute contre le Pacte des Générations. A un certain moment, quelques délégués sont venus me trouver pour demander de mener une action et de diffuser un appel au fameux congrès du SP.a à Hasselt. J’ai été tout de suite d’accord et j’ai diffusé avec eux l’appel « nous vous tournons le dos ».

    La collectivité paye, les patrons reçoivent des cadeaux

    J’étais en total désaccord avec le Pacte des Générations. Le gouvernement et le SP.a faisaient tout pour effrayer les gens alors que ce n’était pas nécessaire. La Commission sur le Vieillissement a calculé qu’il faudrait de 3% à 4% du PNB en plus d’ici 2030 pour pouvoir payer les pensions. Cela équivaut à 9 ou 10 milliards d’euros (un peu plus d’après certains).

    Si l’économie belge actuelle, qui vaut un bon 250 milliards d’euros, croît chaque année de 1,5% d’ici 2030, elle vaudra alors 112 milliards d’euros en plus. Utilisons-en 10% pour les pensions. Ce n’est quand même pas exagéré ?

    Dans une interview à Knack, j’ai dit à ce moment qu’il fallait quelque chose de nouveau en dehors du SP.a, un nouveau parti des travailleurs. Je ne m’attendais pas à ce que mes paroles aient autant de conséquences à l’intérieur comme en dehors du SP.a.

    Vande Lanotte a prétendu qu’il irait vers les entreprises avec ses militants. Nous ne les avons pas vus. Ils ont par contre organisé des réunions provinciales. J’y étais à Anvers où j’ai pris le micro et expliqué mon point de vue. J’ai demandé pourquoi on ne parle plus jamais d’un impôt sur la fortune, pourquoi on ne s’en prend pas plus énergiquement à la fraude, pourquoi les impôts ne rentrent pas mieux. Bref, j’y ai dit clairement que les moyens d’une politique existent, mais qu’il faut une autre politique.

    Johan a encore essayé de monopoliser la parole, mais ça n’a pas marché. Il y a eu aussi une discussion sur ce que le Pacte des Générations reconnaîtrait comme métiers lourds. Après moi, quelqu’un dans la salle a pris le micro et a invité Johan à venir travailler 14 jours avec lui. Il saurait tout de suite ce qu’est un travail lourd. L’atmosphère dans la salle a tourné à travers la discussion et j’ai reçu beaucoup d’applaudissements et de marques de soutien. A la fin, j’ai dit que Vande Lanotte faisait prendre à la population des vessies pour des lanternes. C’est toujours la collectivité qui doit payer et les patrons qui reçoivent des cadeaux.

    Si on menait une autre politique il n’y aurait aucun problème pour la population et, par exemple, pour le 1,5 million de Belges qui s’enfoncent aujourd’hui dans la pauvreté. Mais Stevaert a dit que le SP.a ne se préoccuperait plus en premier lieu des miséreux. Je me demande alors ce que doit faire un parti socialiste. Et aujourd’hui il n’y a pas que les allocataires sociaux qui ont du mal à s’en sortir. Vous pouvez toujours essayer d’entretenir une famille avec un salaire net de 1200 euros, surtout avec le coût actuel du logement.

    Voilà pourquoi je dis qu’ils ont contribué à grossir les rangs du VB. Les mandataires socialistes ne sont plus physiquement présents dans les quartiers à problèmes. C’est comme s’ils avaient pris peur de leur public naturel. Mais pour pouvoir, par exemple, discuter du travail avec des chômeurs dans les quartiers à problèmes, on ne peut évidemment pas cumuler soi-même deux ou plusieurs boulots. Ce que fait Patrick Janssens est scandaleux : être parlementaire et bourgmestre d’une ville comme Anvers qui n’est pourtant pas si simple à gérer. Ce n’est tout de même pas sérieux. L’un des deux jobs devient forcément un job d’appoint, ce n’est pas possible autrement… Personne n’est capable de faire convenablement plusieurs jobs. Il en va de même avec le logement, vous pouvez toujours essayer de parler du travail au café avec un chômeur dans un quartier à problèmes si vous avez plusieurs jobs, ou avec un SDF si vous vivez dans une villa huppée, vous remarquerez tout de suite à quel point on vous prend au sérieux…

    J’aurais pu devenir bourgmestre de Mol en 1994, mais je ne l’ai pas fait. J’ai laissé la base du SP.a décider quel mandat je devais assurer et le choix s’est porté sur mon mandat de parlementaire. Je ne voulais pas cumuler, c’est une question de principe. Si vous dites qu’il faut du travail pour tous, vous ne faites qu’un seul job. En tant que parlementaire, on a une fonction d’exemple. Les paroles ont été tellement vidées de leur sens que plus personne n’y croit, il faut agir tout simplement.

    Comment vois-tu les développements des 10 dernières années au sein du SP.a?

    J’ai été fortement frappé par le fait que le SP.a virait de plus en plus vers le centre, ce qui me tracassait au plus haut point. J’ai appelé pendant 17 ans au sein du bureau du parti à mener une autre politique. En tant que socialiste, on doit être droit dans ses bottes et adopter un profil clair. C’est ce qui a fait défaut et qui fait qu’aujourd’hui tant de gens votent pour le VB.

    Le SP.a a abandonné ses idées socialistes et n’est plus un parti de travailleurs. Ils n’appellent plus jamais à lutter. Alors que c’est justement plus nécessaire que jamais. Nous ne pouvons pas oublier que la Sécurité sociale n’est pas tombée du ciel. C’est le résultat de la lutte. Et pour être honnête, surtout de la lutte des travailleurs wallons. D’où mon opposition résolue à ceux qui veulent scinder la Sécurité sociale. Les travailleurs flamands, bruxellois et wallons ont les mêmes intérêts. Nous oublions parfois que nous devons beaucoup aux Wallons.

    Quelque chose qui m’est resté longtemps en travers de la gorge, c’est l’attitude du SP.a envers les réfugiés. Lorsque je siégeais encore au Parlement flamand, j’ai pris en main l’affaire de grévistes de la faim kurdes. Je suis même allé au Kurdistan et je sais qu’on ne peut pas renvoyer les réfugiés kurdes. Ces gens se retrouvent en prison, voire disparaissent tout simplement. J’ai clairement dit au bureau du parti que je voterais « selon ma conscience ». Grâce à la pression que j’ai pu mettre à l’époque, ces gens ont pu rester en Belgique. La grève de la faim avait lieu à Hasselt à l’époque où Stevaert était encore bourgmestre. Mais je ne l’y ai jamais vu et il n’est jamais intervenu en faveur de ces grévistes de la faim.

    As-tu un message à transmettre le 1er mai aux militants du SP.a et de la FGTB ?

    Aux militants du SP.a, je demanderais qu’ils insistent au sein du parti pour qu’il recommence à se préoccuper beaucoup plus des travailleurs. Je suis content que SP.a Rood existe, j’ai beaucoup de respect pour ces camarades, mais je n’y crois pas. Le sommet du parti ne va pas les prendre au sérieux, il va les faire lanterner. SP.a Rood peut jouer un rôle pour démontrer qu’il y a soi-disant une aile gauche, mais en même temps SP.a Rood n’a rien à dire et n’aura jamais rien à dire dans le parti.

    Aux militants de la FGTB, je demande de porter haut le drapeau de la solidarité. Il y aura beaucoup de luttes qui nécessiteront l’unité des travailleurs flamands, wallons et bruxellois. Les politiciens veulent briser la solidarité en disant qu’il y a d’autres intérêts en jeu. Mais nous ne pouvons pas oublier que c’est grâce à la combativité wallonne que la Sécurité sociale a pris forme.

    Aux uns et aux autres, je veux aussi dire qu’une alternative politique est nécessaire. Une alternative politique qui place les intérêts de la population laborieuse et des allocataires sociaux tout en haut de l’agenda.

    Où que tu parles, tu mets l’accent sur la nécessité d’une meilleure protection des délégués syndicaux. Pourquoi ce point en particulier?

    Parce que les délégués sont le moteur des syndicats. Ils sentent ce qui vit à la base. Hélas, les patrons font tout aujourd’hui pour mettre à la porte les bons délégués qui défendent leur base. Ils n’épargnent pas leur peine et sont même prêts à payer le prix fort, comme par exemple chez Stora à Zelzate, pour se débarrasser de délégués. Nous devons y apporter une réponse.

    Les jeunes seront importants dans une nouvelle initiative, quel message adresses-tu à la jeunesse ?

    Les jeunes doivent affiner leur conscience politique. Nombre d’entre eux sont en quête de valeurs qui proposent davantage que les valeurs purement matérielles. Parce que celles-ci ne garantissent pas le bonheur. C’est pourquoi la solidarité est importante, y compris entre les jeunes et les aînés.

    J’ai été surpris dans un premier temps de lire que le VB fait maintenant de bons scores parmi les jeunes. L’avantage qu’a le VB, c’est qu’il n’y va pas par quatre chemins. Même si nous ne sommes pas du tout d’accord avec leur démagogie abjecte. Les partis traditionnels créent des attentes qu’ils ne concrétisent pas. D’où la perte de crédit de ces partis. Avec toutes les conséquences qui s’ensuivent ! Les gens doivent savoir clairement qui défend quoi sur qui ils peuvent vraiment compter.

    L’initiative pour une autre politique diffusera un tract national le 1 mai. Quelle sera l’étape suivante ?

    C’est un pas important que nous faisons en diffusant un tract commun dans tout le pays. Des gens d’horizons divers, des militants syndicaux, des militants politiques collaborent à une alternative politique.

    Il y aura une réunion nationale en automne pour décider ce que nous ferons, quelles suites nous allons donner à notre appel à une alternative politique. Je ne peux pas encore anticiper cette étape, mais je la trouve importante. Si un nouveau parti voit le jour, ce sont les travailleurs qui en détermineront le programme. J’espère que nous seront prêts pour les élections législatives de 2007.

    D’après toi, quel rôle les militants du MAS/LSP ont-ils à jouer dans cette nouvelle initiative ?

    Les militants du MAS/LSP s’implique énormément dans le mouvement ouvrier. C’est positif et très important que le MAS/LSP ait pris position sur la nécessité d’un nouveau parti des travailleurs. J’ai beaucoup de respect pour vos militants, comme pour tous les militants de gauche. Une nouvelle initiative pourra compter sur beaucoup de bons militants pour approfondir certains points du programme et aider à les diffuser et à les défendre au-dehors. A mes yeux, tous les militants de gauche sans la moindre exception joueront un rôle important.

    Un dernier mot pour nos lecteurs?

    J’espère que le 1er Mai de cette année préfigure un nouveau printemps et un nouveau cri. Un nouveau cri qui réaffirme la solidarité entre tous les travailleurs où qu’ils habitent. Une autre politique signifie aussi que tous les gens de gauche devront, sans renier pour autant leur identité, mettre de côté les grandes certitudes de leur propre groupe pour aider à façonner une autre politique avec tous ceux qui veulent une autre politique, solidaires autour d’un programme commun, ainsi que pour combattre efficacement l’extrême droite.

  • L’extrême droite sort grand vainqueur. Qu’est-ce que c’est et comment la combattre?

    L’extrême droite sort grand vainqueur

    Depuis les élections du 13 juin, la presse se répand en analyses de la victoire de l’extrême droite. Comment expliquer ce phénomène ? D’où tire-t-elle son succès et comment pouvons-nous la combattre ? Le MAS a acquis une longue tradition de mobilisations contre l’extrême droite à travers ses campagnes jeunes (Blokbuster) et ses organisations étudiantes (Actief Linkse Studenten/Etudiants de Gauche actifs). Nous ne prétendons pas détenir la vérité. Cet article se propose de donner notre vision des raisons du succès de l’extrême droite et de la façon dont on peut la combattre.

    Eric Byl

    Le Vlaams Blok plonge ses racines dans la collaboration lors de la Deuxième Guerre mondiale. Pendant plus de trente ans, il s’est attelé à construire une organisation de cadres, d’abord au sein du CVP jusqu’en 1954, ensuite au sein de la Volksunie jusqu’en 1970. Dès sa création en 1978, le parti disposait non seulement d’un cadre mais aussi de tout un réseau de connections. L’argent ne lui a jamais fait défaut. Il n’avait qu’à attendre que le contexte politique devienne favorable pour briser son isolement.

    Ce contexte existait depuis le début de la crise économique dans les années septante. A l’époque, le Blok devait toutefois compter avec des dirigeants syndicaux qui savaient encore organiser des actions collectives et avec des partis (le PSB et à partir de 1976 le PS et le SP) qui, s’ils collaboraient déjà avec le patronat, défendaient au moins en paroles les intérêts des travailleurs et plaidaient encore pour le socialisme.

    Du côté francophone, le FN – créé par Daniel Féret en 1985- s’il n’atteint pas le score du Vlaams Blok en Flandre, réussit quand même à doubler et tripler son score par apport aux régionales de 99.Et cela malgré le fait que le FN, contrairement au Blok, n’est pas présent sur le terrain et n’a pas un cadre organisé. Et également en dépit du fait que l’extrême droite est depuis de nombreuses années déchirée par des conflits de chapelles. Il ne faut pas sous-estimer les possibilités de croissance de l’extrême droite en wallonie. Le terreau est présent .

    Avant toute percée électorale, le Vlaams Blok a dû attendre la chute du Stalinisme dans le bloc de l’Est (1989-91). Depuis lors, tant le PS que le SP se sont soumis aux lois du marché libre et au néo-libéralisme. Des pans entiers du mouvement ouvrier se sont sentis exclus, non seulement par la société, mais aussi par tous les partis politiques, y compris le PS et le SP. C’était d’abord les chômeurs, puis les travailleurs intérimaires, ensuite ceux qui travaillent encore dans l’industrie et ils sont de plus en plus nombreux ceux qui ont jadis connu la sécurité d’emploi et qui souffrent aujourd’hui de mauvaises conditions de travail ou qui craignent pour leur emploi (La Poste et la SNCB).

    C’est la combinaison de la crise économique et de la politique antisociale, ainsi que le refus des dirigeants syndicaux de mobiliser et l’obstination du PS et du SP.a à exécuter loyalement la politique d’austérité, qui est à la base du succès de l’extrême droite.

    Le Flamand, un petit blanc apeuré ?

    Certains vont expliquer le résultat électoral du Blok par la psychologie des Flamands. "J’ai honte", "1 Flamand sur 4 est un blokker", etc… Nous comprenons évidemment ce type de réaction, mais elle est inadéquate. Nous n’avons pas plus à avoir honte qu’à être fiers d’être Flamands, Wallons, Bruxellois, immigrés ou quoi que ce soit d’autre. Si nous devons avoir honte de quelque chose, c’est de la politique antisociale, de l’exclusion, de la pauvreté et du chômage. Stigmatiser les victimes de cette politique ne nous avancera à rien, qu’il s’agisse d’immigrés ou qu’il s’agisse de Flamands.

    "C’est un dimanche noir de noir. Tous les Flamands devraient avoir honte", assène Etienne Vermeersch, professeur de philosophie morale à l’Université de Gand (RUG), qui était le philosophe-maison du SP.a dans un passé récent. De quelle autorité Vermeersch se prévaut-il pour parler ainsi? Qu’a-t-il fait pour stopper le Blok? Nous ne l’avons jamais vu à nos côtés lorsque nous menions l’action contre des débats avec le Vlaams Blok ou contre la présence de Roeland Raes, un idéologue révisionniste du Blok, au Conseil d’Administration de la RUG.

    Mais la Flandre n’est-elle pas une des régions les plus riches? Yves Desmet du quotidien De Morgen incrimine ce que l’économiste américain Galbraith nomme "le chauvinisme du bien-être"; plus les gens possèdent, plus il craignent de le perdre. En bref: pour Desmet, la Flandre va bien et si on vote quand-même pour le Blok, c’est que les Flamands sont des écureuils apeurés qui craignent de devoir céder une parcelle de leur bien-être. Si au lieu de parler pour lui-même, Desmet avait essayé de percevoir la signification sociétale de la formule de Galbraith, il aurait peut-être réalisé que le pays le plus riche au monde, les Etats-Unis, est en même temps le pays où le fossé entre riches et pauvres est le plus grand. Desmet aurait alors peut-être vu que le fossé entre riches et pauvres s’est aussi élargi en Europe et en Belgique. Qu’il y a donc des gens qui votent Vlaams Blok parce qu’ils se sentent exclus et d’autres qui votent Vlaams Blok parce qu’ils veulent protéger leurs biens contre ceux qui sont exclus.

    Walter Pauli du Morgen écrit que ça illustre la faillite de la lutte contre l’extrême droite. "On a tout essayé", dit-il, "seule une voie demeure inexplorée". Il se garde bien de l’écrire, mais la voie dont il parle est bien évidemment celle de prendre le Blok dans une coalition et de le brûler au pouvoir. Mais a-t-on vraiment tout essayé? Aucun parti traditionnel ne remet en cause la politique d’austérité néo-libérale qui lèse tant les travailleurs et leurs familles. Blokbuster, la campagne antifasciste du MAS, a toujours dû tout faire soi-même, a été mis sur le même pied que le Blok lui-même par les politiciens traditionnels, mais contrairement à ce dernier n’a pas reçu des millions d’argent public. Essayé? Nous l’avons fait, pas Pauli ni "le monde politique". Pauli conclut: "le droit de vote pour les immigrés était une erreur et il faut aussi rediscuter du cordon sanitaire".

    Tout est socio-économique dans la crise

    Nombre d’analyses pointent du doigt les bévues des excellences libérales pour expliquer le succès du Vlaams Blok. Les bévues libérales ont sans aucun doute joué un rôle important dans la défaite du VLD et du MR. Cette explication est pourtant insuffisante. Le cartel SP.a-Spirit était un modèle d’unité et a quand même perdu près de 4% par rapport à 2003. De plus, le rififi au VLD et au MR ne tombait pas du ciel. Les milieux patronaux voulaient que le gouvernement fasse avaler une politique d’austérité encore plus drastique à la population. Les libéraux devaient coûte que coûte afficher leur détermination. Ils ont pourtant été doublés sur leur droite par les ministres SP.a. Dans cette situation, des pontes libéraux ont essayé de marquer des points à titre individuel en sautant sur le dossier de l’heure sans se soucier des conséquences. Le cas d’Alain Destexhe est assez exemplatif à cet égard.

    Le débat sur le droit de vote des immigrés non-européens a été le principal facteur de dissensions chez les libéraux. Toutefois, là où le MR a su maintenir une unité de façade sous la férule de Louis Michel, le VLD s’est déchiré au grand jour. Si le SP.a a été le seul parti flamand à voter pour, il n’a pas su donner la réplique aux opposants. Il n’a pas su démasquer la politique de diviser pour régner du patronat ni replacer la nécessité des droits égaux entre Belges et immigrés dans le cadre de la lutte commune pour leurs droits. Résultat: les opposants au droit de vote ont monopolisé le débat. C’est trop facile de dire aujourd’hui que le droit de vote aux immigrés était une erreur. La seule erreur qui a été commise dans ce dossier, c’est le mutisme des partisans du droit de vote.

    Il ne fait pas de doute que l’élargissement de l’Europe ira de pair avec une régression au niveau des conditions de vie et de travail. Si le patronat en retirera de plantureux bénéfices, les travailleurs et leurs familles payeront la note. L’"unification européenne" n’a pourtant pas d’autre but. Le commissaire européen Bolkestein fait déjà circuler une proposition de libéralisation des services. Si sa directive passe, des Polonais et des Tchèques travailleront bientôt ici, non pas à un salaire belge, mais à un salaire d’Europe de l’est. Les patrons saisiront l’occasion pour exiger des travailleurs belges de nouvelles concessions en termes de salaires et de conditions de travail. Le PS et le SP.a auraient dû plaider pour la nécessité d’une lutte unifiée des Belges et des immigrés contre le projet européen antisocial. Quiconque divise les travailleurs belges et immigrés en leur refusant l’égalité des droits ne fait que jouer le jeu du patronat européen. Si le SP.a a préféré se taire, c’est parce qu’il est d’accord avec Bolkestein sur le fond même s’il aurait sans doute souhaité plus de doigté dans la forme.

    La faute de la presse?

    Les partis traditionnels ont tout fait pour imposer le silence à leurs concurrents. Du côté francophone, il s’en est fallu de peu que tous les petits partis voient leurs listes invalidées pour le scrutin européen. Ils n’ont finalement pas osé aller jusque là, c’eût sans doute été trop flagrant. Nous avons dû faire une croix sur les médias, qu’ils soient publics ou commerciaux. Qu’on ne vienne plus nous dire que la presse commerciale serait "moins partisane" que les médias publics. Le MAS a dû faire des pieds et des mains pour avoir droit à deux courtes tribunes sur les ondes de la RTBF, l’une en radio, l’autre en télévision à une heure tardive. Plutôt que de permettre à des partis comme le MAS ou le PTB+ de s’exprimer, les médias francophones ont préféré se livrer à une campagne tapageuse contre l’extrême droite. Celle-ci a pu ainsi apparaître comme la seule alternative crédible. Les médias ont sans aucun doute une lourde responsabilité dans le succès du FN comme du Vlaams Blok.

    La question nationale

    A l’exception de Groen!, tous les partis flamands plaident pour des baisses d’impôt… afin de stimuler l’économie et de lutter contre le chômage. Seul Groen! défend l’idée que ces impôts sont nécessaires pour financer les soins de santé et les services à la collectivité. Rares pourtant sont ceux qui croient encore les Verts après leur participation à Verhofstadt I et la kyrielle de taxes écologiques qui s’en sont suivies. Les Verts sont perçus comme des partis qui veulent responsabiliser les petites gens en les accablant de taxes tout en épargnant les gros pollueurs industriels qui tirent à chaque fois leur épingle du jeu.

    De tous les partis flamands, seul le Vlaams Blok a fait ses comptes. Il veut en finir avec les milliards de transfert nord-sud, 10 milliards d’euros paraît-il, et utiliser cet argent pour une politique "sociale" flamande. Les partis traditionnels ont beau promettre des baisses d’impôt, ils ne disent pas où ils vont aller chercher l’argent. Tout au plus se contentent-ils d’assurer qu’il y a assez d’argent en caisse. Mais si c’est vrai, comment se fait-il qu’il y ait de si longues files d’attente dans les institutions de soin, les logements sociaux et que les bâtiments scolaires tombent en ruine?

    Rares sont ceux qui sont dupes des promesses de Verhofstadt et du Ministre-Président flamand sortant Bart Somers. La grande majorité des Flamands craignent la hausse du chômage et de la pauvreté. Ils sont évidemment pour un certain degré de solidarité, mais, du fait que le Blok accuse la Wallonie d’en abuser et que les autres partis flamands se taisent là-dessus, voire abondent dans le même sens, nombre d’entre eux deviennent réceptifs à l’idée que les Flamands doivent d’abord penser à eux-mêmes.

    Il est pourtant facile de répondre à l’argument du Vlaams Blok que chaque ménage flamand transfère une petite voiture familiale (400.000 fr) par an à la Wallonie. La Wallonie a été pendant des décennies le creuset de toute la richesse en Belgique. L’industrie lourde n’en a pas moins exigé un lourd tribut avec beaucoup plus de maladies professionnelles qu’en Flandre. La crise de l’industrie lourde a durement frappé la région qui connaît des taux de pauvreté et de chômage qu’on a peine à imaginer en Flandre. Le Blok utilise les travailleurs wallons et leurs familles comme des boucs-émissaires. Il ne dit pas un mot sur la voiture de luxe que chaque famille belge paye par an aux patrons. Ceux-ci empochent chaque année 25 milliards d’euros de bénéfices, bien plus que les 10 milliards de transfert. Le Blok tait aussi les 15 milliards d’intérêts que nous payons chaque année en remboursement de la dette publique, laquelle n’est que la conséquence des cadeaux plantureux qui ont été faits aux patrons sous forme de baisses de charges et d’impôts. Enfin, le Blok ne dit rien des 20 milliards de fraude fiscale qui minent notre économie année après année. On cherchera en vain dans le programme du Vlaams Blok le rétablissement des pouvoirs de police judiciaire de l’Inspection spéciale des Impôts.

    La question flamande a sans aucun doute joué un rôle important dans la construction du Blok. Tous les sondages démontrent pourtant que ça ne joue pas un rôle significatif dans son succès électoral actuel. Cela se reflète d’ailleurs dans la rhétorique du Blok. Le slogan "que la Belgique crève" a été mis en sourdine, il n’y a plus qu’au CD&V qu’on parle encore d’un big bang communautaire. Le Blok mesure ses propos:

    S’il n’y a pas de réponse collective à la crise, le bras de fer sur la clé de répartition des déficits reprendra de plus belle. Dans ce cas, les contradictions nationales éclateront de nouveau.

    Rompre le cordon sanitaire?

    Maintenant que le Blok est devenu le deuxième parti flamand faute de réponse collective à la crise et à cause de la politique d’austérité néo-libérale, des voix se font entendre, non pas pour remettre en cause cette politique, mais bien pour "brûler" le Blok dans une participation gouvernementale. On espère ainsi obtenir le même résultat qu’avec le FPÖ de Haider en Autriche. Lors des dernières élections, le FPÖ y est passé de 23% à 6%.

    Le Blok se verrait bien au gouvernement flamand. Il est même prêt à soutenir depuis les bancs de l’opposition un gouvernement minoritaire du CD&V-NV-A, éventuellement flanqué du VLD. Le MAS considère le Blok comme un parti néo-fasciste. Néo parce que les conditions sociales d’aujourd’hui sont totalement différentes de celles des années trente, fasciste parce que la direction et les cadres du Blok n’ont pas renoncé à briser les organisations du mouvement ouvrier en mobilisant contre lui les groupes moyens de la société et les éléments déclassés de la classe ouvrière, c’est-à-dire des travailleurs que le chômage et la misère ont rendus étrangers à leur propre classe.

    Le Blok sera obligé de faire des concessions sous la pression de sa base électorale et de carriéristes qui estiment qu’il est temps de rompre avec le passé. Enfin, les voix pour le Blok ne sont pas un vote de soutien à son programme fasciste, mais principalement un vote de protestation. La nature d’un parti, y compris celle du Blok, peut changer. Il semble que la condamnation en justice du parti ait donné à sa direction l’occasion de donner au Blok un visage plus acceptable en le profilant comme un "parti conservateur de droite". Même dans ce cas, le Blok continuera d’abriter en son sein toutes sortes de néo-fascistes.

    Quoi qu’il en soit, la Belgique n’est pas l’Autriche et le Vlaams Blok n’est pas le FPÖ. Les partis traditionnels réalisent qu’ils doivent faire quelque chose, mais personne n’est prêt pour le moment à signer un contrat de mariage avec le Blok. Un meurtre, un grave fait de drogue, un membre en vue qui bat sa femme publiquement et devant ses enfants, il s’en sera passé des choses en pleine campagne électorale. Une candidate d’ouverture, débauchée à la NV-A, qui reconnaît ouvertement être à la tête d’un bureau d’escorte, un joli nom pour une agence de prostituées de luxe, ce n’est pas le genre de choses sur lesquelles les partis traditionnels peuvent fermer les yeux pour entrer dans une coalition. Les points de vue du Blok sur la Belgique et la Maison royale ne trouveront guère plus de succès auprès de l’establishment. De plus, il n’est pas du tout certain que le Blok prendra le même chemin que le FPÖ en cas de participation gouvernementale.

    Il en faudra donc plus avant que l’establishment n’accueille le Vlaams Blok dans ses rangs. Tant que la bourgeoisie et ses laquais politiques auront la politique néo-libérale pour seule réponse à la crise et tant que les syndicats refuseront de mobiliser massivement les travailleurs, l’extrême droite se remettra toujours de défaites temporaires comme celle du FPÖ. La bourgeoisie sera placée tôt ou tard devant un dilemme: ou bien rompre le cordon sanitaire, ou bien abandonner la politique d’austérité. Si c’est ça le choix, alors les jours du cordon sanitaire sont comptés. Il y aura peut-être des coalitions locales avec le Blok après les élections communales de 2006. Il n’y a qu’une seule réponse sensée au Blok, c’est la création d’une véritable alternative de gauche qui joue résolument la carte de la lutte collective pour changer la société.

  • Prépensions. Lettre à Frank

    Cher ministre de l’Emploi et des Pensions,

    J’ai lu que tu vas commencer un débat sur l’avenir des prépensions et d’autres systèmes de pensions anticipés. Mais les élections sociales, européennes et régionales doivent d’abord être passées. Tu dois d’abord être sûr d’une victoire étourdissante des partis de la coalition violette, il faut d’abord répartir les postes et puis… il faut tirer des conclusions.

    Johan Douveren

    Parce que tu nous a avertis: "Sans une réforme profonde de notre marché de travail nous ne pouvons pas garder notre niveau de prospérité ". Le système des prépensions est donc en haut de la liste des choses à grignoter. Oui, je veux dire grignoter. Parce qu’il y a aussi une pression de l’Europe de bouffer le système en une fois. Mais viens, tu veux goûter. Peu à peu tu vas t’attaquer aux prépensions… jusqu’à un certain jour où les gens ne pourront plus jouir de la pré-pension lors d’une fermeture d’entreprise.

    Le grignotage a commencé. Cher Ministre, tu désires de nous que l’on travaille tous plus longtemps afin de continuer à pouvoir payer les pensions. Et nous devons construire notre carrière de façon plus flexible. Un de tes collègues libéral dit même que chaque homme/femme doit devenir le manager de son ou de sa propre carrière.

    Beaucoup de jolies phrases, mais que va-t-il se passer si la crise économique continue à ramper et si toi et tes amis violets continuez entre-temps de grignoter la sécurité sociale… Peut-être qu’une grande couche de la population devrait commencer à gérer leur vie dans la pauvreté? Je suis trop grossier? Probablement. Mes excuses, monsieur le Ministre, parce qu’ils disent que tu es le plus intelligent de la classe et le plus brave selon Yves Desmet du journal De Morgen. Le plus brave, parce que tu oses parler de la problématique du vieillissement et de la brève durée de travail des Belges, qui sont les causes pour lesquelles notre sécurité sociale est mise sous pression.

    Est-ce que ça demande tant de courage de chercher une solution en coupant dans les droits acquis des travailleurs, pendant que les profits de ceux qui ont vraiment le pouvoir restent intacts. Nous devons avoir le courage d’ouvrir véritablement le débat. Nous devons oser poser chaque question. Tout le monde se focalise sur le vieillissement, mais notre sécurité sociale n’est-elle pas sous pression parce que notre type d’économie est sous pression?

    Pourquoi dans ce débat ne parle-t-on jamais d’une économie des besoins au lieu des profits? Pourquoi crois-tu tellement dans une troisième voie (un marché libre avec des petits côtés sociaux) si tu sais (comme tu es le plus intelligent de la classe) que pendant une crise économique les côtés sociaux sont coupés avec les ciseaux du petit groupe qui a beaucoup de pouvoir?

    Ton président de parti appelle les socialistes qui choisissent la troisième voie des socialistes "modernes". Les socialistes qui ne choisissent pas cette voie sont nommés des "vieux" socialistes. Bien, monsieur le Ministre de l’Emploi et des Pensions, le MAS/LSP est en train de se construire avec beaucoup de "vieux" travailleurs, lycéens et étudiants,… pour un socialisme combatif. Le MAS/LSP lutte pour le maintien des prépensions, pour une pension complète à l’âge de 60 ans pour tous les hommes et les femmes, contre la privatisation du système de pensions, pour le rétablissement total de l’index et contre l’érosion des pensions d’état.

  • Ford Genk: Les débrayages contraignent la direction à lâcher du lest

    Les travailleurs de Ford et les délégations syndicales ont obtenu une première victoire. Deux mois plus tôt que prévu la direction a promis sur papier de produire la nouvelle version du modèle Mondeo à Genk. De plus, le 15 novembre une autre décision importante sera prise: la direction de Ford décidera si le modèle Galaxy et le nouveau modèle cross-over seront produits à Genk.

    Eric Byl

    Si ces promesses se concrétisent il y aura, au moins jusqu’en 2012, du boulot pour 5 à 6.000 personnes. Dans la négative, seuls 3.000 à 3.500 postes de travail seront conservés. Naturellement cette victoire n’est que très conditionnelle. Par expérience nous savons que les promesses des capitalistes ne sont pas des garanties, même si elles sont mises sur papier. De plus, rien n’est clair sur le sort des 3.000 travailleurs considérés comme excédentaires et sur les 730 postes de travail déjà perdus chez les sous-traitants.

    Néanmoins il est significatif qu’une multinationale comme Ford soit contrainte à faire des concessions. Sans le blocage pendant trois semaines des pièces importantes et des véhicules produits, Ford n’aurait jamais reculé. La multinationale ne l’admettra pas volontiers, mais le blocage de la production de la Ford Transit à Southampton (Grande-bretagne) faute de pièces en provenance de Genk et la perspective qu’il en aille de même en Turquie ont été décisifs.

    Voilà une première bonne réponse aux “bons conseils” des politiciens qui affirmaient qu’on ne peut rien faire contre une multinationale et qui conseillaient aux travailleurs de ne pas mettre en danger les 6.000 emplois restants par des actions trop musclées. Il savaient pourtant, comme tout le monde à l’entreprise, que les contrats avec les sous-traitants n’étaient valables que jusqu’en 2006 et que sans lutte c’était la fin de Ford Genk après 2006.

    Deux poids, deux mesures

    Celui qui ne paie pas ses factures recevra en général la visite d’un huissier. Si l’on ne paie pas sa voiture ou sa maison, on risque de voir ses biens saisis. Si on est chômeur, on est considéré, après quelque temps, comme un “profiteur social” à sanctionner. Si on n’a pas de papiers? On est considéré comme illégal, on peut être incarcéré et expulsé. Par contre si vous êtes patron et que vous ne respectez ni la convention ni d’autres accords, et que vous privez des milliers de familles de leur revenu, vos biens ne seront pas saisis, vous ne recevrez pas d’amende, vous ne serez pas incarcéré ni expulsé, mais le gouvernement vous offrira en prime une baisse des charges sociales.

    La réponse du gouvernement Verhofstadt face au non respect par Ford des promesses d’investissement est: “Il faut rendre le travail en équipe plus attractif”. Bref, Verhofstadt veut puiser dans les caisses de l’État pour donner aux entreprises, comme Ford, qui détruisent la santé des travailleurs en organisant le travail en équipes. Après cela on accusera les travailleurs de surconsommation médicale pour tenir le rythme de travail.

    Selon Verhofstadt, Ford a une bonne raison de ne pas tenir ses promesses: les coûts salariaux “trop élevés”. Il faut donc les baisser en diminuant les charges salariales. En tenant le même raisonnement, Verhofstadt a-t-il déjà considéré que beaucoup de gens trouvent que leur loyer est trop élevé et que donc une baisse des loyers s’impose?

    Au parlement, une opposition digne de ce nom aurait déjà attaqué le double langage de Verhofstadt. Mais on n’a rien vu de tout cela. Bien que le coût salarial dans une entreprise comme Ford ne représente que 7% des coûts totaux, l’opposition s’est jointe à la majorité pour entonner le refrain de la baisse des charges salariales. Cette rengaine revient sans cesse, alors que le chômage continue de progresser… malgré les baisses répétées des charges salariales.

    Lobbying et manoeuvres politiciennes

    Comme c’est dans le cas lors de toute restructuration importante, on a assisté chez Ford à des manoeuvres politiciennes. Cela n’a encore jamais sauvé une entreprise, mais tout comme à Renault et à la Sabena, l’appareil syndical à placé le lobbying politique au centre de sa stratégie. Une équipe ministérielle a spécialement été constituée pour traîner de ministère en ministère les délégations syndicales. Elles ont même rencontré le ministre-président de la Région flamande Bart Somers.

    Le soutien des politiciens s’est limité à faire de la figuration à la manifestation de soutien à Genk. Un concert gratuit de “solidarité avec les travailleurs” a été organisé par le candidat VLD, Herman Schuurmans, son collègue Chokri Mahassine, candidat SP.a, et sponsorisé par des multinationales “amies” telles que Coca-Cola, Maes Pils et Pizza Hut.

    Ceux qui ont assisté à ce concert à l’issue de la manif du 18/10 se sont probablement demandé ce que cette kermesse au boudin avait à voir avec la lutte des travailleurs de Ford. N’était-ce pas plutôt une campagne publicitaire pour les partis au gouvernement? Il n’est pas surprenant que beaucoup de travailleurs grommelaient: “Nous n’avons pas besoin de musique, mais d’un emploi.”

    A cette manif du 18 octobre, des délégations des partis “démocratiques” s’étaient faites remarquer parmi les nombreuses délégations d’entreprises comme Opel et VW. Avec tant de soutien politique on s’attendrait à plus qu’une déclaration d’impuissance. Cette “impuissance” feinte est un rideau de fumée pour cacher la complicité des partis traditionnels dans les restructurations qui tournent en drames sociaux. Nous ne connaissons évidemment pas tout ce qui se dit dans l’antichambre du pouvoir. Mais il n’est pas exclus que le gouvernement ait été mis au courant, depuis des mois, de la restructuration chez Ford, et n’ait rien dit, comme cela a été le cas pour Renault et la Sabena. La Sûreté de l’État a déclaré qu’elle savait depuis juin que des choses se préparaient chez Ford.

    De la société industrielle à l’économie de la connaissance?

    Dès l’annonce de la restructuration chez Ford, la machine de propagande bourgeoise s’est mise en marche. Des “spécialistes” zélés tels les professeurs Blampain et De Grauwe, ou Hilde Houben-Bertrand (gouverneur du Limbourg) ont claironné que l’ère industrielle en Belgique était révolue et qu’il fallait passer à la “société des services et de la connaissance.”

    Yves Desmet, rédacteur en chef du Morgen et zélé trafiquant d’opium du peuple, résume ainsi: “Il y 40 ans la Flandre était agraire, alors a commencé le cycle industriel qui est maintenant en train de se terminer. A l’époque de la mondialisation un glissement des activités industrielles vers des pays à bas salaires est inévitable. On peut freiner cette évolution mais pas l’empêcher. Conclusion: la lutte pour défendre ces emplois n’a aucun sens. Nous ferions mieux d’investir dans des secteurs d’avenir où nous sommes encore compétitifs avec le reste du monde”.

    Les Desmet, Blampain, De Grauwe… semblent ignorer que le secteur de la recherche, “orienté vers le futur,” à perdu 15.000 emplois l’an dernier. Cette “tendance” s’est prolongée en 2003 avec 22.000 emplois perdus. C’est logique. Quelle entreprise voudrait séparer à moyen terme sa recherche et sa production? Si on ne peut pas garder la production en Belgique, les services et la recherche suivront. Desmet & Co ne doivent pas se faire des illusions: le 21eme siècle n’est plus l’époque coloniale, les pays à bas salaires ont de plus en plus de travailleurs qualifiés. Bientôt Desmet, Blampain et co seront peut-être aussi superflus, pour autant qu’ils ne l’aient pas toujours été.

    Ce que Blampain, De Grauwe et Desmet clament est fortement exagéré. Leurs thèses sont basées sur l’évolution du passé. La délocalisation de secteurs entiers, surtout des secteurs intensifs en main-d’oeuvre, vers des pays à bas salaires a été la règle pendant des dizaines d’années. L’industrie du textile en a le plus souffert.

    Désindustrialisation et délocalisation

    La croissance du marché mondial et la division mondiale du travail ont surtout pesé sur l’industrie lourde. En sera-t-il ainsi au cours des prochaines années?

    La science et la technique ont été développées à un tel niveau que dans tous les secteurs les demandes de capitaux – pour développer de nouvelles machines de plus en plus performantes – sont telles que les coûts salariaux ne représentent plus qu’une faible partie des coûts de production. La présence d’un marché, d’une bonne infrastructure et la stabilité politique deviennent plus importants.

    La mondialisation n’est pas seulement un phénomène économique. C’est d’abord un régime politique – de flexibilité terrible, de libéralisation des anciens services, de démantèlement des contrats de travail, etc. – que les pouvoirs impérialistes veulent imposer au reste du monde. L’essentiel en est que tous les obstacles au marché doivent être éliminés, et cela “dans l’intérêt de tout le monde”. Verhofstadt à expliqué cette fable quand il prétendait qu’il ne fallait pas moins, mais plus de marché libéré de toute contrainte, afin de combattre la pauvreté dans le monde.

    En période de récession économique les obstacles au commerce et les mesures protectionnistes vont se multiplier. Mais en même temps il sera de plus en plus important d’avoir une présence industrielle dans chaque région cruciale du monde. Et l’Europe reste potentiellement le plus grand marché du monde.

    Après la loi Renault, une loi Ford?

    On avance un tas d’arguments pour ne pas construire un rapport de forces. La fermeture de Renault a accouché de la loi Renault qui “oblige” les capitalistes à annoncer d’avance quand ils veulent jeter les travailleurs sur le pavé. Entre-temps l’ancien parlementaire Ecolo, Vincent Decroly, a déposé en mars dernier, en collaboration avec le groupe de travail Démocratie économique d’Attac, une proposition de loi plus sévère. Le MAS ne rejette pas une telle loi, mais il ne faut pas avoir d’illusions. Non seulement parce que les lois peuvent être contournées par les patrons, mais aussi parce qu’elles reflètent inévitablement un rapport de forces à un moment donné. En général ce genre de loi est vidée de son contenu au moment où change le rapport de forces. Decroly et Attac devraient en être conscients.

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