Tag: VW

  • Une claque dans la gueule des travailleurs

    Beaucoup de travailleurs de VW et des sous-traitants ont connu des semaines d’incertitude avant l’annonce des plans de la direction de VW. Cette incertitude continue. Dans le cadre de la Loi Renault, la direction doit suivre une phase de consultation et d’information de ses « intentions » de restructurations avant que la décision ne devienne officielle.

    L’industrie automobile en Belgique en chiffres

    En ce moment, il y a encore 4 grandes entreprises automobiles en Belgique : Ford à Genk, Volvo à Gand, Opel à Anvers et VW à Forest : 21.600 travailleurs en tout aujourd’hui, 100.000 en comptant la sous-traitance.

    Ces 4 entreprises ont produit à peu près 1 million de voitures en 2000, et 900.000 en 2005. Sur le même laps de temps, 6000 emplois ont été perdus. Avec 22% de travailleurs en moins, la production n’a donc diminué que de 10%. Cela révèle une productivité et une pression au travail qui augmentent à une vitesse vertigineuse.

    Durant cette période, la direction doit écouter les remarques et les alternatives proposées par les syndicats. La décision est bien sûr déjà prise mais ne deviendra officielle que quelques semaines ou même quelques mois plus tard. Les travailleurs devront attendre avant de savoir s’ils pourront rester ou pas, en fonction des choix de la direction.

    Nous avons parlé avec Jean-Pierre, ouvrier à VW.

    Depuis combien de temps travailles-tu à VW ?

    Je travaille depuis 28 ans à VW-Forest. A la tôlerie.

    4000 emplois à la trappe ! Quelle a été ta première réaction ?

    C’est honteux ! C’est inhumain ! Comment est-ce que je vais rembourser mon prêt hypothécaire ? Et j’ai 2 filles qui font des études supérieures…

    La réaction du monde politique est-elle à la hauteur de l’agression patronale ?

    Non, pas du tout !

    Et celle des syndicats ?

    Plusieurs délégations d’autres entreprises sont venues ici par solidarité. Notamment Ford, Duferco, les ex-Sabéniens. Mais les syndicats de VW traînent trop à mobiliser les gens.

    Que faire après la manifestation du 2 décembre ?

    Il faut continuer pour sauver le maximum d’emplois. Sinon, ils n’ont qu’à rembourser le pognon qu’ils ont reçu de l’Etat. On doit mettre les points sur les i ! Ils gardent 26% du personnel pour ne pas devoir payer la prime de fermeture aux autres. Mais moi, j’ai 51 ans. Ils ne vont sûrement pas me garder.

  • Assemblée générale massive des travailleurs de VW

    Le front syndical au sommet est un obstacle pour l’action

    Pour un front syndical basé sur l’action à la base

    Des milliers de travailleurs de VW et des sous-traitants ont afflué mercredi matin pour entendre les propositions de leur direction syndicale. Pour ceux qui venaient pour écouter et discuter de la manière dont on peut lutter contre le scénario de licenciements massifs de la direction de VW – qui est probablement un scénario qui prépare la fermeture pure et simple de l’usine – ce fut une peine perdue.

    Les responsables syndicaux nous a expliqué minutieusement et dans les deux langues que le licenciement de 4.000 travailleurs et employés et une fermeture possible sont une vraie catastrophe et qu’on est tous dans le même merde.

    A juste titre, ils ont dit qu’on ne pouvait rien reprocher aux travailleurs et employés qui ont bien fait leur travail et ont livré à temps les voitures prévues avec les efforts d’austérité et de flexibilité demandés. L’usine belge était en 2005 la deuxième sur le plan de la productivité et de la qualité dans le groupe VW. Mais cela n’était pas suffisant pour garder notre boulot.

    Il n’y a pas eu d’évaluation de la stratégie qui a été menée les dernières années par les délégations syndicales. Une telle démarche aurait pourtant eu sa place à cette assemblée. Avons-nous assez résisté à la surenchère de la direction et des gouvernements nationaux destinée à dresser l’un contre l’autre les travailleurs de VW dans les différents pays et filiales ? N’avons-nous pas trop échangé la tradition de lutte et de solidarité internationale pour la flexibilité, les efforts d’austérité et les subventions d’Etat comme moyen de maintenir l’emploi ? N’avons-nous pas suivi de trop la logique des patrons et du gouvernement ? Fulminer maintenant contre le “nationalisme” des syndicats allemands est hypocrite. Notre gouvernement a lui-même pendant des années couvert les entreprises de cadeaux fiscaux et autres, utilisé des moyens provenant des impôts de la population pour convaincre les patrons d’investir ici et non ailleurs. Ce n’était pas du nationalisme, ça?

    A l’assemblée, les dirigeants syndicaux ont expliqué que la fermeture est le scénario le plus probable. Avec 4.000 travailleurs en moins Forest n’a probablement plus d’avenir. Pourquoi ne pas fermer toute l’entreprise en une fois ? Une prime de fermeture coûte plus cher qu’une prime de licenciements. Un scénario de fermeture en phases successives est par conséquent meilleur marché.

    Les dirigeants syndicaux ont souligné que les travailleurs sont le dindon de la farce pendant que les actionnaires vont s’enrichir encore fortement. Ils trouvaient cela très triste et avaient des difficultés de l’expliquer. Ils ont dit “Mais peut-être il y aura un peu d’espoir ?! 1.500 emplois pouvaient peut-être rester ?” avant de couler cet espoir en disant qu’il n’y a pas d’avenir pour cette usine avec 1.500 personnes. Ils faisaient sans doute référence au scénario de Ford d’il y a quelques années où 3.000 travailleurs ont perdu leur emploi mais où on embauche de nouveau depuis quelques mois. 800 ouvriers et employés ont été rembauchés par Ford. Mais dans des conditions de travail bien pires, avec des salaires plus bas,… Et on devrait être content avec cela ?

    Dans ce système néolibéral, aucun ouvrier, employé, chômeur, pensionné, étudiant,.. n’a encore de sécurité. Tout est cédé et laissé à l’arbitraire des entreprises. Une condamnation encore plus grande de la stratégie de la direction syndicale actuelle est difficile à s’imaginer. Pourtant les travailleurs et les employés du secteur de l’automobile sont parmi les mieux organisés de toute la classe ouvrière. Ils ont des syndicats forts, du moins en nombre d’affiliés, et ils occupent une position cruciale dans un des secteurs les plus rentables de l’économie. Cette puissance a été sacrifiée sans combat par le front syndical. La fermeture de Forest prouve encore une fois la faillite du syndicalisme de concertation qui n’est pas préparé à se battre.

    À la fin de l’assemblée, les responsables syndicaux ont encore fait référence à l’organisation d’un mouvement de solidarité, national et international. Bien que cela restait encore peu clair à l’assemblée, un appel a été lancé le soir même à une manifestation internationale de solidarité pour le samedi 2 décembre à Bruxelles. Selon nous, c’est une bonne chose. Un appel à la solidarité peut mettre des dizaines de milliers de gens dans la rue. Ce qui se passe aujourd’hui à Forest peut se passer demain ailleurs. Une manifestation du personnel des hôpitaux qui avait lieu à Bruxelles en même temps que l’assemblée de VW a reçu avec enthousiasme l’appel à la solidarité avec VW lancé par le Comité pour une Autre Politique (CAP) de Bruxelles. Il n’y a pas un travailleur un peu conscient en Belgique qui ne soit pas préparé à la solidarité. Mais pour faire quoi? Pour montrer notre pitié ? Cela ne peut donner qu’un peu de chaleur et de sympathie. Mais avec ce type de solidarité, rien ne pourra changer.

    Un mouvement de solidarité de travailleurs dans chaque entreprise, dans chaque ville, en Belgique et en Europe, qui exige la fin des restructurations et des profits sur leurs dos peut rendre possible un tout autre scénario. Un scénario dans lequel les ouvriers et les employés dans une entreprise comme VW sont soutenus par les ouvriers et les employés des autres entreprises, peut mettre sous pression la direction de VW – mais aussi celles d’autres entreprises – pour qu’elles ne touchent pas aux emplois et aux conditions de travail. Au lieu d’organiser une spirale vers le bas, les patrons doivent être confrontés à des travailleurs combatifs unis dans des syndicats bien organisés qui ne leur permettent pas de réaliser des profits sans que soient assurées de bonnes conditions de travail et de salaire.

    “Marx avait tort”, écrit le ‘’Financial Times’’, un journal d’affaires britannique, “la solidarité internationale ne peut pas surmonter le nationalisme syndical”. Quelle solidarité internationale? Cette solidarité nationale et internationale, dans et entre les secteurs, est bien la seule chose qui n’a pas encore été essayée ! Et c’est à cause de cela que les directions syndicales n’ont pas de réponse face à la décision de VW et qu’elles trouvent cette décision “honteuse”, non pas parce qu’on assainit pendant qu’il y a des méga-profits, mais honteuse parce qu’on licencie à Forest et non pas en Allemagne. Ce manque de réponse traduit l’impuissance engendrée par la pensée unique – celle du néolibéralisme – qui a infecté le sommet syndical. Et la base des syndicats en est la victime.

    Les direigeants syndicaux ont annoncé que la direction de VW paiera les salaires des ouvriers et des employés jusqu’à vendredi – Merci patron ! – mais que, dès lundi, elle les considérera comme en grève ! Ils ont dit que le travail ne reprendra pas avant qu’une prime de départ décente soit prévue par le patron et avant qu’une ou l’autre forme de prépension pour les 700 travailleurs de plus de 50 ans soit permise par le gouvernement. De dures heures de négociations vont suivre pour tirer le maximum de la direction de VW et pour arriver le plus tôt possible à un plan social. Ils ont promis de se battre ensemble avec les travailleurs des firmes sous-traitantes: “Nous ne pouvons pas accepter que ces travailleurs, qui ne disposent pas d’une représentation syndicale forte, restent dans le froid”. Mais aucune proposition ou promesse concrète n’a été faite. Ils ont encore ajouté qu’“ Il faut encore lutter aussi pour les 1.500 qui resteront ‘’.

    Mais beaucoup de travailleurs vont rentrer à la maison avec une solide gueule de bois. Au lieu d’impliquer les travailleurs dans les décisions et de discuter pour voir s’il y a des stratégies alternatives, les directions syndicales ont renvoyé les travailleurs à la maison avec le message de bien suivre la presse les jours qui viennent. Ils vont donc communiquer avec leurs membres à travers la presse parce que ce serait la méthode la plus rapide. ‘’Quelle démocratie syndicale !’’ penseront beaucoup – dont nous.

    Mais ce n’est pas encore fini. On a appris par la presse que l’assemblée ne s’est pas tenue dans les bâtiments de VW-Forest ni dans la salle de concert de Forest National parce que les directions syndicales craignaient le vandalisme et des émeutes. Sans doute craignaient-ils aussi une occupation de l’usine… C’est pour cela aussi qu’il n’y avait que deux porte-paroles à l’assemblée, les deux délégués principaux de la FGTB et de la CSC. Ni une participation des travailleurs ni un vote n’étaient à l’ordre du jour. Une opportunité importante pour stimuler la participation et un mouvement réel a été perdue. Mais rien n’est encore définitif. Un mécontentement profond était sensible. Un mouvement de solidarité peut lui permettre de s’exprimer et lui offrir un débouché.

    Avec le MAS/LSP, le CAP et d’autres forces, nous allons tout faire pour développer une solidarité aussi grande que possible. Un appel à la solidarité où tous les travailleurs dans toutes les entreprises et tous les services publics sont appelés à descendre dans la rue et à se battre pour le maintien de chaque emploi, pourrait bien recevoir une réponse massive. Et pourrait mettre sous pression la direction syndicale et la forcer de se tourner vers une stratégie plus offensive.

  • VW-Forest menacée de fermeture?

    Cet été chez Volkswagen à Forest, les travailleurs ont appris qu’il était possible que l’entreprise ferme ses portes. Il n’est pas exclu que cette annonce soit destinée à mettre la pression sur les négociations pour la nouvelle Convention Collective de Travail. Mais la surproduction dans le secteur automobile est une réalité : sur le plan mondial, seulement 75% de la capacité de production totale est utilisée. Lancer l’idée d’une possible fermeture est de plus un test pour les syndicats: en cas de réaction timide, on peut plus facilement passer à une fermeture efficace.

    En outre, la pression sert à s’attaquer aux conditions de travail et de salaire. En Allemagne par exemple, les syndicats ont signé un accord qui prévoit un gel des salaires jusqu’en 2007 et l’introduction d’une annualisation des heures de travail permettant de répartir les heures sur une année, et donc de travailler par exemple certaines semaines jusqu’à soixantes heures, et d’autres vingt… Cela se répercute aussi sur les constructeurs belges, même si les coûts du travail représentent seulement 4 à 5% de la totalité des coûts d’assemblage.

    Chez VW à Forest la direction veut renforcer la flexibilité. Il fut d’abord annoncé que l’équipe du weekend devrait disparaître, mais cette équipe régule les hausses et les baisses de la production. Les syndicats ont alors décidé de réduire le temps de travail afin de répartir les coupes d’austérité sur tous les travailleurs. La direction avait enfin proposé une semaine de 32 heures avec 8% de perte de salaire. Mais sur base annuelle donc le nombre d’heures de travail effectif resteront les mêmes. A côté de cela, on discute maintenant de l’application d’une CCT dans le secteur métallurgique qui prévoirait une ‘hausse de salaire” de 4,3%. Les producteurs automobiles ont proposé que les salaires diminuent de 10 à 12% d’ici 2010. Maintenant on veut neutraliser la hausse de salaire en ne rémunérant plus les pauses ou en supprimant les journées de congé supplémentaires pour les travailleurs âgés.

    Grâce aux cadeaux accordés par le gouvernement (les charges patronales sur le travail en équipe ont été réduites de 2,5% et on propose maintenant de continuer la réduction sur les impôts de 8,5%), les patrons ont réalisé des profits records. En 2004, le groupe VW a réalisé un profit de 2,01 milliards d’euros. L’entreprise vise encore à augmenter ses profits pour atteindre les 4 milliards en 2008. Elle souhaite donc réduire les coûts de 10 milliards d’euros.

    Le profit disparaît dans les poches des actionnaires, ainsi que dans celles de la direction. Il a été révélé qu’au sommet du groupe de VW, l’argent disparaît souvent, à travers des entreprises fictives. On a aussi découvert que l’argent a été utilisé pour la corruption des représentants syndicaux haut placés, le secrétaire du conseil d’entreprise en Allemagne recevrait ainsi depuis une dizaine d’années de l’argent pour des voyages luxueux et des prostituées de luxe.

    Pour combattre ces abus, on a urgemment besoin de syndicats démocratiques avec des assemblées générales du personnel pendant les heures de travail afin que les membres puissent exercer un contrôle sur les élus et les démettre si nécessaire. Des syndicats combatifs et démocratiques sont nécessaires face à la volonté de coupes d’austérité et de fermeture de la part de la direction de VW!

  • Ford Genk: Les débrayages contraignent la direction à lâcher du lest

    Les travailleurs de Ford et les délégations syndicales ont obtenu une première victoire. Deux mois plus tôt que prévu la direction a promis sur papier de produire la nouvelle version du modèle Mondeo à Genk. De plus, le 15 novembre une autre décision importante sera prise: la direction de Ford décidera si le modèle Galaxy et le nouveau modèle cross-over seront produits à Genk.

    Eric Byl

    Si ces promesses se concrétisent il y aura, au moins jusqu’en 2012, du boulot pour 5 à 6.000 personnes. Dans la négative, seuls 3.000 à 3.500 postes de travail seront conservés. Naturellement cette victoire n’est que très conditionnelle. Par expérience nous savons que les promesses des capitalistes ne sont pas des garanties, même si elles sont mises sur papier. De plus, rien n’est clair sur le sort des 3.000 travailleurs considérés comme excédentaires et sur les 730 postes de travail déjà perdus chez les sous-traitants.

    Néanmoins il est significatif qu’une multinationale comme Ford soit contrainte à faire des concessions. Sans le blocage pendant trois semaines des pièces importantes et des véhicules produits, Ford n’aurait jamais reculé. La multinationale ne l’admettra pas volontiers, mais le blocage de la production de la Ford Transit à Southampton (Grande-bretagne) faute de pièces en provenance de Genk et la perspective qu’il en aille de même en Turquie ont été décisifs.

    Voilà une première bonne réponse aux “bons conseils” des politiciens qui affirmaient qu’on ne peut rien faire contre une multinationale et qui conseillaient aux travailleurs de ne pas mettre en danger les 6.000 emplois restants par des actions trop musclées. Il savaient pourtant, comme tout le monde à l’entreprise, que les contrats avec les sous-traitants n’étaient valables que jusqu’en 2006 et que sans lutte c’était la fin de Ford Genk après 2006.

    Deux poids, deux mesures

    Celui qui ne paie pas ses factures recevra en général la visite d’un huissier. Si l’on ne paie pas sa voiture ou sa maison, on risque de voir ses biens saisis. Si on est chômeur, on est considéré, après quelque temps, comme un “profiteur social” à sanctionner. Si on n’a pas de papiers? On est considéré comme illégal, on peut être incarcéré et expulsé. Par contre si vous êtes patron et que vous ne respectez ni la convention ni d’autres accords, et que vous privez des milliers de familles de leur revenu, vos biens ne seront pas saisis, vous ne recevrez pas d’amende, vous ne serez pas incarcéré ni expulsé, mais le gouvernement vous offrira en prime une baisse des charges sociales.

    La réponse du gouvernement Verhofstadt face au non respect par Ford des promesses d’investissement est: “Il faut rendre le travail en équipe plus attractif”. Bref, Verhofstadt veut puiser dans les caisses de l’État pour donner aux entreprises, comme Ford, qui détruisent la santé des travailleurs en organisant le travail en équipes. Après cela on accusera les travailleurs de surconsommation médicale pour tenir le rythme de travail.

    Selon Verhofstadt, Ford a une bonne raison de ne pas tenir ses promesses: les coûts salariaux “trop élevés”. Il faut donc les baisser en diminuant les charges salariales. En tenant le même raisonnement, Verhofstadt a-t-il déjà considéré que beaucoup de gens trouvent que leur loyer est trop élevé et que donc une baisse des loyers s’impose?

    Au parlement, une opposition digne de ce nom aurait déjà attaqué le double langage de Verhofstadt. Mais on n’a rien vu de tout cela. Bien que le coût salarial dans une entreprise comme Ford ne représente que 7% des coûts totaux, l’opposition s’est jointe à la majorité pour entonner le refrain de la baisse des charges salariales. Cette rengaine revient sans cesse, alors que le chômage continue de progresser… malgré les baisses répétées des charges salariales.

    Lobbying et manoeuvres politiciennes

    Comme c’est dans le cas lors de toute restructuration importante, on a assisté chez Ford à des manoeuvres politiciennes. Cela n’a encore jamais sauvé une entreprise, mais tout comme à Renault et à la Sabena, l’appareil syndical à placé le lobbying politique au centre de sa stratégie. Une équipe ministérielle a spécialement été constituée pour traîner de ministère en ministère les délégations syndicales. Elles ont même rencontré le ministre-président de la Région flamande Bart Somers.

    Le soutien des politiciens s’est limité à faire de la figuration à la manifestation de soutien à Genk. Un concert gratuit de “solidarité avec les travailleurs” a été organisé par le candidat VLD, Herman Schuurmans, son collègue Chokri Mahassine, candidat SP.a, et sponsorisé par des multinationales “amies” telles que Coca-Cola, Maes Pils et Pizza Hut.

    Ceux qui ont assisté à ce concert à l’issue de la manif du 18/10 se sont probablement demandé ce que cette kermesse au boudin avait à voir avec la lutte des travailleurs de Ford. N’était-ce pas plutôt une campagne publicitaire pour les partis au gouvernement? Il n’est pas surprenant que beaucoup de travailleurs grommelaient: “Nous n’avons pas besoin de musique, mais d’un emploi.”

    A cette manif du 18 octobre, des délégations des partis “démocratiques” s’étaient faites remarquer parmi les nombreuses délégations d’entreprises comme Opel et VW. Avec tant de soutien politique on s’attendrait à plus qu’une déclaration d’impuissance. Cette “impuissance” feinte est un rideau de fumée pour cacher la complicité des partis traditionnels dans les restructurations qui tournent en drames sociaux. Nous ne connaissons évidemment pas tout ce qui se dit dans l’antichambre du pouvoir. Mais il n’est pas exclus que le gouvernement ait été mis au courant, depuis des mois, de la restructuration chez Ford, et n’ait rien dit, comme cela a été le cas pour Renault et la Sabena. La Sûreté de l’État a déclaré qu’elle savait depuis juin que des choses se préparaient chez Ford.

    De la société industrielle à l’économie de la connaissance?

    Dès l’annonce de la restructuration chez Ford, la machine de propagande bourgeoise s’est mise en marche. Des “spécialistes” zélés tels les professeurs Blampain et De Grauwe, ou Hilde Houben-Bertrand (gouverneur du Limbourg) ont claironné que l’ère industrielle en Belgique était révolue et qu’il fallait passer à la “société des services et de la connaissance.”

    Yves Desmet, rédacteur en chef du Morgen et zélé trafiquant d’opium du peuple, résume ainsi: “Il y 40 ans la Flandre était agraire, alors a commencé le cycle industriel qui est maintenant en train de se terminer. A l’époque de la mondialisation un glissement des activités industrielles vers des pays à bas salaires est inévitable. On peut freiner cette évolution mais pas l’empêcher. Conclusion: la lutte pour défendre ces emplois n’a aucun sens. Nous ferions mieux d’investir dans des secteurs d’avenir où nous sommes encore compétitifs avec le reste du monde”.

    Les Desmet, Blampain, De Grauwe… semblent ignorer que le secteur de la recherche, “orienté vers le futur,” à perdu 15.000 emplois l’an dernier. Cette “tendance” s’est prolongée en 2003 avec 22.000 emplois perdus. C’est logique. Quelle entreprise voudrait séparer à moyen terme sa recherche et sa production? Si on ne peut pas garder la production en Belgique, les services et la recherche suivront. Desmet & Co ne doivent pas se faire des illusions: le 21eme siècle n’est plus l’époque coloniale, les pays à bas salaires ont de plus en plus de travailleurs qualifiés. Bientôt Desmet, Blampain et co seront peut-être aussi superflus, pour autant qu’ils ne l’aient pas toujours été.

    Ce que Blampain, De Grauwe et Desmet clament est fortement exagéré. Leurs thèses sont basées sur l’évolution du passé. La délocalisation de secteurs entiers, surtout des secteurs intensifs en main-d’oeuvre, vers des pays à bas salaires a été la règle pendant des dizaines d’années. L’industrie du textile en a le plus souffert.

    Désindustrialisation et délocalisation

    La croissance du marché mondial et la division mondiale du travail ont surtout pesé sur l’industrie lourde. En sera-t-il ainsi au cours des prochaines années?

    La science et la technique ont été développées à un tel niveau que dans tous les secteurs les demandes de capitaux – pour développer de nouvelles machines de plus en plus performantes – sont telles que les coûts salariaux ne représentent plus qu’une faible partie des coûts de production. La présence d’un marché, d’une bonne infrastructure et la stabilité politique deviennent plus importants.

    La mondialisation n’est pas seulement un phénomène économique. C’est d’abord un régime politique – de flexibilité terrible, de libéralisation des anciens services, de démantèlement des contrats de travail, etc. – que les pouvoirs impérialistes veulent imposer au reste du monde. L’essentiel en est que tous les obstacles au marché doivent être éliminés, et cela “dans l’intérêt de tout le monde”. Verhofstadt à expliqué cette fable quand il prétendait qu’il ne fallait pas moins, mais plus de marché libéré de toute contrainte, afin de combattre la pauvreté dans le monde.

    En période de récession économique les obstacles au commerce et les mesures protectionnistes vont se multiplier. Mais en même temps il sera de plus en plus important d’avoir une présence industrielle dans chaque région cruciale du monde. Et l’Europe reste potentiellement le plus grand marché du monde.

    Après la loi Renault, une loi Ford?

    On avance un tas d’arguments pour ne pas construire un rapport de forces. La fermeture de Renault a accouché de la loi Renault qui “oblige” les capitalistes à annoncer d’avance quand ils veulent jeter les travailleurs sur le pavé. Entre-temps l’ancien parlementaire Ecolo, Vincent Decroly, a déposé en mars dernier, en collaboration avec le groupe de travail Démocratie économique d’Attac, une proposition de loi plus sévère. Le MAS ne rejette pas une telle loi, mais il ne faut pas avoir d’illusions. Non seulement parce que les lois peuvent être contournées par les patrons, mais aussi parce qu’elles reflètent inévitablement un rapport de forces à un moment donné. En général ce genre de loi est vidée de son contenu au moment où change le rapport de forces. Decroly et Attac devraient en être conscients.

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