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Tag: Victoria
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Appel à des protestations internationales contre la multinationale Vinci Construction
Stop à la destruction de la forêt de Khimkinskii ! Stop aux attaques brutales contre les socialistes et les activistes environnementaux !
Socialistes et activistes environnementaux sont en campagne contre la construction d’une route à travers la forêt de Khimkinskii, une des plus grandes près de Moscou. Après de récentes attaques brutales contre des membres du CIO à Moscou le 7 août, ainsi que contre un camp d’activistes environnementaux, le CIO en Russie appelle les socialistes, les syndicalistes et les activistes environnementaux à travers le monde à organiser des actions de protestation contre Vinci Construction. Cette multinationale basée en France est actuellement le plus gros participant à l’extension de la nouvelle autoroute Moscou-St Pétersbourg, avec un contrat d’une valeur d’un milliard d’euros.
Rob Jones, CIO, Moscou
La route devrait être construite au milieu de la forêt de Khimkinskii, qui joue un rôle majeur dans l’absorption du dioxyde de carbone présent dans l’air moscovite, déjà sur-pollué. La décision de construire cette route au milieu de la forêt a été prise malgré d’autres options dont certaines étaient moins coûteuses. En Russie, on a largement la conviction que ce trajet a été choisi car il présente de l’espace disponible pour construire des centres commerciaux et des logements pour les élites le long de la route, ce qui, dans la pratique, finira par faire raser toute la forêt.
Le projet a par ailleurs été impliqué dans des scandales de corruption concernant des personnes du ministère du transport. Une enquête menée par Transparency International a apporté des preuves, documents à l’appui, que le contrat pour ce projet autoroutier a été signé sur fond de corruption. C’est devenu un grand point d’attention pour les activistes environnementaux et politiques et pour les résidents locaux. Jusqu’au début de cette semaine, un camp a été tenu dans la forêt par des environnementalistes, qui avaient pour but d’empêcher le début des travaux.
A partir du tout début, l’élite russe et leurs amis les grands businessmen ont monté leur détermination à rendre ce projet effectif. En 2008, Mikhail Beketov, éditeur du journal de Khimki, « Khimkinskaya Pravda », a été brutalement attaqué et a subi plusieurs opérations. Il est toujours alité. A ce jour, il n’y a eu aucune enquête policière à ce sujet.
Cette semaine, l’ampleur de la violence a vu un tournant dramatique. Il a été clairement décidé de continuer la destruction de la forêt, même si les permis d’abattement n’ont pas été délivrés et que le financement du projet reste incertain. La Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement et la Banque d’Investissement Européenne sont sensées financer le projet mais ont été quelque peu refroidies par l’opposition croissante qu’il rencontre et n’ont pas encore signé les documents nécessaires. Fin juillet, les participants au camp et les gens qui les soutenaient se sont retrouvés face à face avec un groupe de gros-bras masqués, qui se sont introduit dans leur camp alors que la police regardait ailleurs. Onze personnes, y compris deux journalistes, ont été blessées. Plutôt que d’agir contre les abattages illégaux ou les bandits masqués, la police s’est tournée contre les manifestants. Le jour suivant, un bus transportant des personnes soutenant les environnementalistes est arrivé de Moscou ; beaucoup ont été arrêtés pour empêcher d’autres protestations d’avoir lieu.
Les actions contre-productives d’un groupe anarchiste « d’action directe » a semé la confusion parmi les différentes manifestations, ceux-ci ayant décidé de lancer une attaque, lançant des pierres et taguant les façades de la mairie de Khmiki. N’ayant aucun contact direct avec ceux qui se battaient contre la nouvelle route, ni les résidents locaux, ils ont donné aux autorités une excuse pour accélérer la répression. Deux antifascistes renommés ont été arrêtés et des charges pèsent sur eux qui pourraient les conduire à sept ans de prison. Les documents de la police sont clairement frauduleux ; alors que la police a dit qu’ils avaient été arrêtés pendant l’attaque, il s’avère que l’un d’eux a même enregistré une interview à la radio après les faits. Plus tard, Evgenia Chirikova, leader de la campagne, a été arrêtée.
Un tournant dans la violence
La violence a pris un nouveau tournant samedi 7 août. Une manifestation rassemblant un grand nombre de personnes a eu lieu dans le centre de Moscou, pour revendiquer l’arrêt de la répression contre les activistes opposés à la destruction de la forêt. Malgré le fait que les organisateurs de la manifestation, une coalition de politiciens néolibéraux et d’activistes de gauche, aient essayé de la rendre « non politique » (par exemple en interdisant les symboles des partis), les évènements de la semaine passée ont montré que les activistes qui ont manifesté ne s’opposent pas seulement à l’irresponsabilité d’une entreprise de construction mais aussi à un gouvernement national. Quasiment deux heures après la fin de la manifestation, un groupe de quinze gros-bras ont attaqué trois membres du CIO qui attendaient le métro pour rentrer chez eux.
Vinci clame sur son site web qu’il soutien le développement durable, les bonnes pratiques commerciales et assure que ses firmes et sous-traitants promeuvent la responsabilité sociale. Il clame avoir une attitude responsable face au changement climatique. Bien qu’il n’y ait pas de preuve de l’implication directe de Vinci dans ces faits de violence, un de leurs représentants, lors d’une rencontre avec le président russe Medvedev, a demandé à Poutine de régler cette affaire afin que les travaux puissent commencer. Vinci a fait la démonstration qu’au mieux, ils ont participé à une adjudication hautement suspecte, pour ne pas dire plus ; ils ont ignoré la protestation d’une partie croissante de la population contre la destruction de la « ceinture verte » moscovite, et ils ont clairement choisi d’ignorer l’emploi d’arrestations à une large échelle et la violence dont ont fait preuve l’Etat et les sous-traitants impliqués pour que les travaux puissent continuer. Le directeur du sous-traitant OOO ‘Teplotekhnik’, responsable de l’abattage, n’est autre qu’A. Semchenko, un évêque de l’Eglise baptiste (!) et ancien conseiller de Poutine aux affaires religieuses. Cet exemple à lui seul montre bien l’étroitesse des liens entretenus entre cette multinationale et l’Etat russe. Certains journaux pro-gouvernementaux en Russie ont même reconnu l’existence de tels liens entre A. Semchenko et les attaques violentes contre les environnementalistes.
Vinci Construction est actif dans presque tous pays et a des bureaux dans beaucoup de villes. Il suffit de chercher un grand projet de construction et l’on trouvera la trace de Vinci : la rénovation de la station de Victoria et l’extension de l’autoroute des Docklands à Londres, sur des chemins de fer, routes ou ponts en Europe, en Amérique du Nord et Amérique Latine ou même la construction d’un nouveau bouclier en béton autour du site de Tchernobyl… On peut trouver la liste de beaucoup de ces projets sur le site de Vinci : http://www.vinci-construction.com/vinci-construction.nsf/en/locations.htm
Après les tentative de destruction de la forêt de Khimkinskii et les attaques violentes contre le camp environnementaliste, et plus tard contre des membres du CIO à Moscou le 7 août, nous en appelons aux membres et soutiens du CIO et à tous les activistes internationalement à organiser des protestations devant les bureaux de l’entreprise Vinci, avec les revendications suivantes :
- Stop à la destruction de la ceinture verte moscovite. Vinci Construction doit immédiatement rompre le contrat de construction de l’autoroute Moscou-St Pétersbourg
- Vinci doit rompre tous les liens commerciaux et autres avec l’entreprise OOO ‘Teplotekhnik’
- Vinci doit faire une déclaration publique dans les médias russes et internationaux pour condamner l’usage de la violence des gros-bras et de la police contre le camp environnementaliste et les membres du CIO.
- Vinci doit appeler la police à conduire en toute transparence une véritable enquête afin d’arrêter les coupables de ces attaques vicieuses
- Vinci doit ouvrir ses livres de comptes concernant le contrat pour l’autoroute Moscou-St Pétersbourg afin qu’il y ait une enquête publique, menée par les syndicalistes, groupes environnementaux et autres parties intéressées
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INTERVIEW: Australie – “Reconstruire les forces du mouvement ouvrier”
Lors de l’école d’été du CIO qui s’est tenue en Belgique, Socialisme.be a interviewé une militante du syndicat Australien UNITE pour voir quelles leçons peuvent être tirées de l’expérience des camarades Australiens pour le renforcement de la lutte des jeunes et des travailleurs ici en Belgique.
Socialisme.be : Comment est née l’idée de « UNITE » et comment l’avez-vous concrétisée?
En 2003, un petit groupe de personnes se sont réunis à Melbourne pour discuter de la campagne autour de questions qui intéressent les jeunes travailleurs. Nous regardions vers le syndicat « UNITE » en Nouvelle-Zélande, qui tentaient d’organiser les travailleurs précaires dans des domaines comme l’hôtellerie, les loisirs et la restauration. Nous avons pris exemple sur leur travail et mit sur place UNITE en Australie en utilisant une campagne contre les bas salaires et la précarisation du travail.
En particulier, nous avons ciblé les domaines de la restauration rapide, de la vente au détail et de soins de santé car c’est dans ces domaines que les problèmes sociaux sont le plus accentués. Ce sont aussi les domaines où les jeunes travailleurs sont les plus employées.
Socialisme.be : UNITE a organisé des campagnes couronnées de succès et a gagné des augmentations de salaire pour les jeunes travailleurs. Comment avez-vous fait?
Au départ nous nous sommes concentrés sur une campagne du type « nom et prénom » où nous avons exposé publiquement les patrons qui ont maltraité leur personnel. Pour de nombreux employeurs de l’industrie, la crédibilité de leur marque compte énormément.
Nous avons donc constaté que si une action des travailleurs est couplée avec une campagne médiatique, il est plus facile d’obtenir des résultats importants. En 2006, nous avons transformé « UNITE » pour établir un véritable syndicat, avec de véritables structures à côté de campagnes encourageant les jeunes travailleurs à se joindre à UNITE pour construire avec nous un syndicat de lutte.
Nous avons eu quelques succès en remportant la hausse des salaires et le payement des arriérés de salaire pour toute une série de travailleurs sous-payés. Notre campagne la plus importante a été celle dirigée contre le magasin géant 7-Eleven. Cette société emploie majoritairement des étudiants chinois et indiens et, dans la plupart des cas, ils sont sous-payés.
Les travailleurs sont généralement très timides parce qu’ils sont en Australie grâce à des permis de séjour temporaires pour étudiants mais, grâce à notre campagne, nous sommes tout de même parvenus à obtenir quelques victoires. Par exemple, jusqu’à présent, nous avons gagné près de 200.000 $ en compensation pour les travailleurs du 7-Eleven. Notre campagne a également contraint l’État à «mettre sous observation» environ 60 magasins 7-Eleven, et nous comptons gagner un montant de 100.000 $ avec une autre affaire en cour de jugement.
Socialisme.be: En Belgique, il arrive que certains jeunes travailleurs soient très méfiants vis-à-vis des syndicats traditionnels .Quelle est la situation en Australie?
En Australie, le pourcentage de travailleurs du secteur privé qui sont syndiqués se situe autour de 13 -14 pour cent, pour ce qu’il en est des jeunes de moins de 25 ans, ce chiffre tombe au dessous de 10 pour cent.
Il ya très peu de connaissances sur les syndicats chez les jeunes, c’est pourquoi l’un des aspects de notre travail est la visite des écoles secondaires et la discussion avec ces étudiants. Grâce à notre travail et notre campagne de visites dans les écoles, nous essayons de réintroduire les idées du syndicalisme dans la nouvelle génération de travailleurs.
Socialisme.be : En Belgique, nous revendiquons un salaire minimum de 1.500 euros, est-ce qu’il existe en Australie un salaire minimum et quelle est votre expérience de la façon dont il fonctionne dans la pratique?
Oui, en Australie il y a un salaire minimum. Il est actuellement de $ 14,31 par jour pour un adulte de plus de 21 ans. Le problème pour les jeunes travailleurs est cependant qu’il existe aussi un « taux de rémunération junior ». Si vous avez moins de 21 vous êtes généralement payé en fonction de votre âge. Dans certains cas, les travailleurs de 15ans peuvent être payé moins de la moitié du salaire minimum.
Bien entendu, il est très difficile de vivre sur le salaire minimum en Australie. Logement, nourriture et prix de transport sont extrêmement élevés. Pour aggraver les choses, nous avons actuellement un taux d’inflation d’environ 2,8 pour cent et le gouvernement refuse systématiquement de donner aux travailleurs une quelconque augmentation de salaire.
Socialisme.be : Que pensent les autres syndicats de nos actions ? Comment se situent-ils en relations à nos campagnes ?
Bien que tous les syndicats ne soient pas heureux de notre existence, nous avons eu la chance d’obtenir un peu de soutien de certains des syndicats les plus progressistes à Victoria. Le travail est certainement difficile, notre syndicat est le plus souvent géré par des bénévoles et avec un très petit budget, mais certains syndicats nous ont donné de petits dons et du soutien en nature. Nos membres paient des cotisations et nous avons également une couche de partisans qui font des dons de façon régulière. Nous avons des avocats, des comptables et des agents industriels qui sont heureux de nous donner des conseils gratuits et du soutien, mais le travail le plus important est celui fourni par les jeunes travailleurs qui visitent les magasins et qui nous aident pour les campagnes et pour l’organisation de notre travail.
Socialisme.be : Quel rôle ont eut les membres du Comité pour une Internationale Ouvrière dans le lancement et le développement de UNITE ?
Eh bien, les membres du CIO ont contribué à fonder UNITE en 2003. Beaucoup d’entre eux sont toujours à la tête de l’organisation. Le Socialist Party (CIO-Australie) a été très généreux en termes de temps et d’argent, mais surtout, ils nous ont donné un appui politique. C’est à cause de l’échec des politiques de l’aile droite du mouvement syndical qu’aujourd’hui énormément de jeunes se situent à l’extérieur du mouvement syndical. D’une certaine manière, on pourrait dire que notre tâche est celle d’essayer de réparer leurs dégâts. La reconstruction du mouvement syndical passe par un investissement des forces véritablement socialistes pour cette tâche.
Nous sommes les seuls à disposer des idées et des méthodes pour pouvoir outrepasser ce système basé sur la super exploitation des jeunes et des travailleurs. Reconstruire les force du mouvement ouvrier, telle est notre tâche, en Australie, comme en Belgique, comme dans le reste du monde.
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20 ans après le meurtre de trois volontaires de l’IRA par les SAS
De la répression de l’Etat britannique, du terrorisme et du mouvement ouvrier
20 ans après le meurtre de trois volontaires de l’IRA par les SAS
Vingt ans ont maintenant passé depuis le meurtre à Gibraltar de trois membres de l’IRA (Irish Republican Army – Armée Républicaine Irlandaise, groupe paramilitaire indépendantiste) par les SAS (Special Air Service – Service Spécial Aérien, forces d’élite britanniques, notamment utilisées dans la lutte antiterroriste). En Irlande du Nord, ces morts avaient été le détonateur d’une nouvelle explosion de violence, brève mais particulièrement sanglante. Au cours des treize jours qui ont suivit, huit personnes ont perdu la vie et soixante-huit autres ont été blessées à travers toute une série d’attaques impliquant l’armée, l’IRA, et les milices loyalistes.
Peter Hadden, Socialist Party (CIO-Irlande), Belfast, 7 avril 2008
C’est surtout de deux de ces incidents que se rappelleront le plus vivement ceux qui ont connu ces événements, même si ce n’est que parce qu’ils ont eu la chance d’être pris en direct par les caméras qui se trouvaient sur place.
L’un de ces incidents était l’attaque d’un fusilier loyaliste, Micahel Stone, contre la foule rassemblée aux funérailles des victimes de Gibraltar, qui a fait trois morts et de nombreux blessés. Les images diffusées à plusieurs reprises dans les nouvelles du jour montraient Stone fuyant à travers le cimetière Milltown de Belfast-Ouest en direction de l’autoroute M1, tentant de distancer la foule enragée lancée à sa poursuite en les arrosant de tirs de pistolet et de grenades, fournissant par là-même une illustration frappante de la brutale réalité qui était celle des « Troubles » en Irlande du Nord.
Il y a aussi eu le film réalisé trois jours plus tard sur la Route d’Andersonstown, aux funérailles d’une des victimes de Stone à Milltown. Cette vidéo montrait deux soldats anglais en civil qui avaient brutalement foncé avec leur voiture dans le cortège funèbre et s’étaient fait tirer hors de leurs véhicule par la foule, l’un d’entre eux brandissant un fusil. Peu après cela, ils ont été remis à l’IRA qui les a conduits dans une décharge derrière des magasins du coin avant de les abattre.
Aujourd’hui, vingt ans plus tard, le Sinn Féin (« Nous-mêmes », le principal parti indépendantiste, lié à l’IRA) est en train de faire de gros efforts pour organiser toute une série de grands événements afin de commémorer les victimes de Gibraltar. Il y a eu des assemblées et un grand meeting public à Belfast-Ouest. Une brochure spéciale de douze pages retraçant l’histoire de Gibraltar et ses conséquences sanglantes a été produit et distribué en porte-à-porte dans les zones catholiques de la ville.
La controverse publique s’est rapidement développée au sujet de ces commémorations, surtout au sujet de la proposition d’organiser, dans la Longue Gallerie du Parlement à Stormont, une célébration de la vie de Mairéad Farrell – une des trois personnes abattues par les SAS à Gibraltar. Ce débat a, comme il fallait s’y attendre, produit une réaction immédiate de la part du Parti Démocrate Unioniste (DUP), qui a annoncé fort logiquement qu’il allait organiser un événement, au même endroit et au même moment, afin de commémorer le rôle des SAS dans cette affaire. Au final, aucun des partis n’a obtenu l’autorisation de faire quoi que ce soit – un nouveau règlement a été voté en toute hâte pour rendre la location de la Longue Gallerie plus difficile – et le Sinn Féin s’est donc rabattu sur un petit meeting consacré à la vie de Mairéad Farrell dans leurs propres bureaux, à Stormont.
Réveiller le passé
Pour le Sinn Féin comme pour le DUP, tout ce battage autour de vieilles rancœurs, aussi sectaire que rituel, a en fait bien plus à voir avec les événements qui se déroulent maintenant qu’avec ce qui s’est passé vingt ans plus tôt. Les partis sectaires d’Irlande du Nord ont toujours suivi cette simple règle : à chaque fois que quelque chose ne va pas, on ressort les vieilles histoires.
Et effectivement, le Sinn Féin comme le DUP s’attendent à ce que les choses n’aillent pas si bien dans le futur proche. Tout au long des dernières décennies, ces deux partis ont représenté les deux pôles extrêmes opposés sur l’échelle de la politique sectaire. Et maintenant, ils participent ensemble au gouvernement. Pour un nombre croissant des partisans de ces deux partis, la relation entre leurs dirigeants et ces ex-ennemis jurés qu’ils injuriaient autrefois publiquement, est devenue bien trop amicale ces derniers temps, et ce sans qu’ils en aient retiré quoi que ce soit de concret.
L’Exécutif de coalition, mis en place il y a tout juste un an, n’a fait que continuer la politique précédente des Ministres du New Labour : la bonne vieille recette pro-big business, mais avec une petite pincée en plus de népotisme et de corruption.
Les Ministres Sinn Féin et DUP ne sont visiblement pas très à leur aise lorsque l’on mentionne avec eux des enjeux tels que les privatisations, les coupures budgétaires dans l’éducation, les soins de santé et, bien entendu, la compagnie des eaux. Il est évident qu’ils préfèrent rester en terrain connu, dans le domaine des attaques sectaires qui leur sont bien plus familières. Ces deux partis seraient bien contents de pouvoir se chamailler toute la journée afin de savoir qui l’on doit commémorer, des glorieux martyrs de l’IRA ou des vaillants soldats SAS, sachant que sur cette question ils sont sur leur terrain, avec une base solide parmi la population pour les soutenir. Ils se tournent délibérément vers de telles « problématiques » afin de lancer de la poudre aux yeux des travailleurs pour détourner l’attention de ce qu’ils sont réellement en train de faire au gouvernement. Ces partis sont eux-mêmes bien rôdés en ce qui concerne l’usage de la vieille tactique de l’impérialisme : diviser pour régner.
Et quand ils se réfèrent au passé, c’est toujours leur version de l’histoire qui est présentée. A tous les coups, c’est une version à une seule facette : l’image tronquée qui apparaît lorsqu’on observe tout à travers le prisme du sectarisme. Ainsi, aucun de ces partis ne peut nous raconter ce qui s’est réellement passé à Gibraltar et après.
Un récit à une seule facette
Dans la période qui a directement suivi la tuerie de Gibraltar, le gouvernement Thatcher et ses chefs de la sécurité avait délibérément publié un nuage de mensonges pour tenter de couvrir ce qui s’était réellement passé. La presse britannique a régurgité ce tissu de mensonges de la manière la plus fidèle et non-critique qui soit. Le journal télévisé et la presse racontaient la même histoire : les trois victimes, Sean Savage, Dan McCann et Mairéad Farrell, avaient été tuées par la police de Gibraltar après qu’ils y aient implanté une énorme bombe ; le trio était armé, avait ignoré les avertissements qui leur avaient été donnés et des tirs avaient été échangés jusqu’à la mort des trois terroristes. L’armée était ensuite intervenue pour désamorcer la bombe.
La brochure commémorative du Sinn Féin réfute correctement cette version de l’histoire dans sa totalité. Au lieu de cela, ils disent que :
« Toute cette histoire n’est que mensonges. La vérité est que :
- Les Britanniques ont suivi le moindre mouvement des trois volontaires dès leur traversée de la frontière espagnole avec Gibraltar.
- Il n’y avait pas de bombe
- Il n’y a pas eu d’échange de coups de feu
- Le trio n’était pas armé
- Ce n’est pas la police de Gibraltar qui est intervenue, mais bel et bien les SAS. »
La brochure reprend également une déclaration que l’IRA avait faite à l’époque : « les principes militaires du gouvernement britannique incluent l’exécution de volontaires désarmés. »
Les autres articles dans cette brochure continuent avec le récit des violences qui ont suivi Gibraltar – les tentatives de la RUC (Royal Ulster Constabulary – la police nord-irlandaise, maintenant rebatpisée PSNI – Police Service of Northern Ireland), à peine une semaine plus tard, de détourner de force les corbillards transportant les restes des trois victimes à Belfast-Ouest, de sorte à ce qu’ils ne parviennent pas à la foule qui attendait ; le meurtre, la même nuit, d’un volontaire de l’IRA, Kevin McCracken, tandis qu’il se préparait lui-même à ouvrir le feu sur des soldats dans le quartier de Turf Lodge, où avait vécu Sean Savage ; l’attaque de Michael Stone à Milltown, deux jours plus tard ; et, enfin, l’exécution des deux soldats « sous couverture » qui avaient foncé avec leur voiture dans la procession funéraire de Kevin Brandy, une des victimes de Milltown.
Toute cette version de la part du Sinn Féin est totalement véridique… mais ne raconte pas tout. Le seul but recherché avec cette publication était de rappeler aux gens dans les bastions du Sinn Féin, tels que Belfast-Ouest, toute la répression qu’ils subissaient aux mains de l’armée, de la RUC et des loyalistes, et ceci afin de renforcer l’autorité vacillante de leur parti, en réaffirmant les sacrifices faits par les républicains dans leur résistance face à l’oppression. Tout élément qui ne rentre pas parfaitement dans ce scénario est tout bonnement ignoré. Ce qui en ressort, est un tableau inachevé, unilatéral, présenté sans aucune tentative d’analyser ce qu’il s’est passé ni d’en tirer quelque leçon.
« Shoot to kill »
Ceux qui sont incapables de tirer les leçons du passé, surtout lorsqu’il s’agit d’erreurs passées et d’actions qui n’eurent pas l’effet escompté, sont d’office condamnés par l’Histoire à répéter les mêmes erreurs. Gibraltar et ses conséquences sanglantes ont été une version condensée des « Troubles », riche en leçons. Deux décennies plus tard, il est important que la nouvelle génération, se tenant sur le seuil d’une nouvelle vague d’importants bouleversements sociaux, puisse passer au-dessus de cette version unilatérale de l’Histoire que nous fournit le Sinn Féin – ainsi que les autres forces sectaires – et se basent sur la compréhension la plus complète d’événements aussi importants que celui-ci.
Avant toute chose, Gibraltar a exposé la nature impitoyable de la classe dirigeante britannique. Gibraltar a arraché le voile démocratique tendu sur l’establishment britannique pour nous donner un aperçu des méthodes que ces gens sont préparés à employer afin de protéger leurs intérêts.
Pendant les années ‘80, le gouvernement Thatcher a adopté une politique consciente de « tirer pour tuer », utilisant en Irlande du Nord les SAS et des unités de police spécialement entraînées afin d’éliminer systématiquement tous les membres de l’IRA et des autres groupes républicains. Dix mois avant Gibraltar, un petit village du Conté d’Armagh était le témoin d’un exemple cinglant de cette cruauté militaire. Une embuscade tendue par les SAS y extermina une unité de l’IRA qui se préparait à attaquer le commissariat de Loughgall. Huit membres de l’unité furent abattus tandis qu’ils descendaient de leur camionnette pour plonger dans un barrage de tirs de fusils. Un automobiliste de passage, qui avait le malheur de suivre le combi de l’IRA d’un peu trop près, fut lui aussi pris dans le nuage des balles des SAS et tué.
Ce sont exactement les mêmes méthodes qui ont été mises en œuvre à Gibraltar. Les intentions des trois membres de l’IRA étaient bien connues des polices espagnole et britannique qui, depuis des mois déjà, avaient enregistré leurs moindres faits et gestes. Les services de renseignement de l’Etat savaient également qu’aucune attaque n’avait été planifiée par l’IRA le jour de la fusillade ; leur objectif était la cérémonie du changement de garde devant les bureaux du Gouverneur, deux jours plus tard, le huit mars.
Le but recherché, en envoyant une unité spéciale des SAS expédiée par avion juste à temps pour l’attaque et rapatriée par avion immédiatement après, n’était pas d’empêcher l’attaque – ce qui aurait pu être fait par la police de Gibraltar ou la police espagnole – et n’était certainement pas non plus d’arrêter qui que ce soit. L’objectif était simplement de s’assurer que Mairéad Farrell, Dan McCann et Sean Savage ne quitteraient pas Gibraltar vivants. Les ordres des SAS furent signés par les plus hauts étages du gouvernement Tory. Thatcher elle-même était parfaitement au courant de toute l’opération, et n’hésita pas à la moindre seconde à mettre de côté toutes les politesses démocratiques.
Désinformation britannique
L’histoire, nulle doute concoctée à l’avance, immédiatement diffusée via les médias par le gouvernement Tory était un véritable chef-d’œuvre de désinformation qui n’avait absolument aucun lien avec ce qui s’était réellement passé. C’était une pure invention qui n’aurait pu tenir très longtemps – même Thatcher ne pouvait plus maintenir l’idée qu’une bombe avait été enclenchée puis désamorcée lorsqu’il devint clair qu’il n’y avait aucune bombe dans la voiture que Sean Savage venait de garer avant d’être tué.
Par conséquent, de nouveaux mensonges sont arrivés pour raccommoder les trous qui commençaient à apparaître dans la première version de l’histoire. Les SAS, dirent-ils, avaient ouvert le feu parce qu’ils « pensaient qu’il y avait une bombe », et parce que leurs trois victimes avaient eu des gestes « menaçants lorsqu’ils furent interpelés », ce qui les avait fait croire qu’ils tentaient d’enclencher la bombe au moyen d’une télécommande.
D’une manière plutôt inhabituelle pour une force aussi secrète, les membres des SAS ont témoigné lors de l’enquête, cachés derrière des écrans pour garder leur identité secrète tandis qu’ils répondaient aux questions. Un des membres de l’escouade SAS expliqua ainsi qu’il avait vu Sean Savage parquer la voiture, qui, supposait-il, contenait une bombe. Savage rejoignit alors les deux autres membres de l’IRA, et ils se dirigèrent vers la frontière espagnole. Ce membre des SAS affirma qu’il avait alors inspecté la voiture mais n’avait pas pu s’assurer qu’elle ne contenait aucune bombe.
Mais si la version des SAS avait été véridique et qu’ils s’étaient réellement souciés de savoir si oui ou non il se trouvait dans la voiture une bombe qui aurait pu être enclenchée à distance, la première chose qu’ils auraient dû faire aurait été d’installer des barrages de sécurité autour de la zone contenant la voiture. Rien de tel ne fut entrepris, et aucune explication n’a été donnée pour expliquer cette erreur.
La seule conclusion qui peut être tirée est que les SAS savaient qu’il n’y avait pas de bombe et, de toutes manières, savaient que les trois membres de l’IRA n’auraient pas utilisé une télécommande pour déclencher un tel attentat. L’usage d’une télécommande aurait effectivement impliqué qu’ils auraient dû rester à Gibraltar pour déclencher l’explosion, sachant fort bien que la frontière aurait été immédiatement fermée, ce qui aurait signifié une capture quasi-certaine.
Les comptes-rendus donnés par les quelques témoins oculaires de l’évènement ont confirmé ceci. Selon leur témoignage, il n’y eut aucun avertissement, aucun geste menaçant : juste une averse de balles délivrée par les pistolets automatiques des SAS. Un de ces témoins a vu Sean Savage, déjà à terre, avec un des SAS lui tirant des balles dans sa tête à bout portant.
Les expertises scientifiques et médicales ont confirmé ces témoignages. Les trois corps avaient été touchés à vingt-sept reprises, au niveau du corps, puis de la tête, une exécution conduite de manière extrêmement professionnelle. Sean Savage avait été touché seize fois, dont quatre balles dans la tête. Même le pathologiste d’Etat, le Professeur Alan Watson, a décrit cette attaque comme « un acte de sauvagerie incontrôlée ».
La seule raison qui faisait que l’Etat pouvait utiliser de telles méthodes en toute impunité, était le fait que la plupart des gens étaient prêts à simplement hausser les épaules tant que les victimes étaient de l’IRA ou d’autres groupes terroristes du même genre. Ce n’est là qu’un des nombreux exemples de situations où les méthodes du terrorisme individuel, tel que pratiqué par l’IRA entre autres, ont joué en dernier recours un rôle réactionnaire.
Terrorisme individuel
Le terrorisme individuel, tel que les récents phénomènes de terrorisme de masse pratiqués par des groupes comme Al Qaeda, désoriente la classe ouvrière et est source de confusion. En tentant d’affaiblir le pouvoir de l’Etat, il ne fait à chaque fois que produire l’effet inverse : il fournit à l’Etat une excuse afin d’instaurer toute une batterie de mesures répressives qui, dans d’autres circonstances, ne seraient pas passées sans une résistance généralisée.
Plus que cela, l’exécution de membres de l’IRA, désarmés, en plein jour dans les rues, le blocage des aéroports avec des véhicules blindés, et d’autres mesures du même acabit, toutes mises en œuvre sous le prétexte de « menace terroriste », permettent à la classe dirigeante de préparer psychologiquement la population à l’éventualité d’une généralisation de telles mesures dans le futur.
Les lois et les méthodes répressives, quel que soit le contexte dans lequel elles sont d’abord introduites, sont toujours, en dernier recours, une arme qui sera conservée dans le futur, afin d’être utilisée contre la classe ouvrière, et en particulier contre tous ceux qui se battent pour un avenir socialiste. C’est une des raisons qui explique pourquoi les socialistes ont à la fois une responsabilité et un intérêt dans l’organisation d’une opposition rigoureuse face à toute forme de répression – sans pour autant adopter le point de vue des dirigeants sociaux-démocrates d’Irlande du Nord qui préféraient ignorer ou, pire encore, soutenir les mesures répressives introduites par les différents gouvernements britanniques depuis le commencement des Troubles.
Pendant des décennies, l’Irlande du Nord a été utilisée par la classe dirigeante britannique comme un laboratoire à ciel ouvert dans lequel elle pouvait perfectionner ses méthodes de surveillance et de contrôle de foule, en vue de les utiliser contre la classe ouvrière britannique. En 1984 et 85, les mineurs britanniques ont d’ailleurs pu goûter aux méthodes de police militaire qui avaient d’abord été affûtées jusqu’à la perfection dans les rues de Belfast et de Derry.
Contre-productif
C’est le terrorisme individuel qui crée un climat dans lequel une telle répression peut être employée. Tout récit de la tuerie de Gibraltar qui ne ferait que discuter du rôle de l’Etat, sans aborder le moins du monde la question de ce qu’était allée y faire l’unité de l’IRA, est par conséquent déformée et unilatérale. Ce n’est qu’une fois qu’on a rempli les trous dans l’histoire que l’ensemble du tableau émerge, ce qui, en plus de démontrer la brutalité de l’Etat, nous montre aussi la futilité et, du point de vue de la classe ouvrière, la nature totalement contre-productive de la campagne de l’IRA.
La brochure commémorative du Sinn Féin dit que les trois volontaires étaient « en service », mais sans nous fournir le moindre mot d’explication quant à la nature de leur mission. On peut effectivement affirmer, comme le fait cette brochure, qu’il n’y avait « pas de bombe », mais cela revient à s’interrompre à la moitié de la phrase. Pour que cette affirmation soit totalement véridique, il faudrait dire qu’il n’y avait « pas de bombe à Gibraltar ». Mais, cependant, sur la côte espagnole, juste à côté, dans la station balnéaire de Marbella, se trouvait une deuxième voiture remplie de 63kg de plastic accompagnés d’une minuterie, à l’horloge programmée pour 11h20, mais qui n’avait pas encore été activée.
Il est évident que la cible intentionnelle était la cérémonie du changement de garde qui devait se produire deux jours plus tard. L’automobile garée par Sean Savage à Gibraltar avait été parquée là afin de réserver un emplacement de parking et, si le plan s’était déroulé comme prévu, aurait été remplacée, peu avant la cérémonie – qui devait prendre fin à 11h20 – par la voiture contenant la bombe.
Il n’y aurait eu aucun avertissement. Si tout s’était déroulé selon le plan établi, les trois membres de l’IRA se seraient déjà trouvés en Espagne au moment de l’explosion, sans avoir la moindre idée du nombre de gens qui auraient pu se trouver à proximité de la voiture.
La conséquence la plus probable aurait été un carnage horrible, qui aurait tué ou mutilé, sans aucune distinction, les membres de la fanfare militaire, mais aussi les passants et les spectateurs (hommes, femmes et enfants). Cet acte aurait été un désastre pour la propagande du mouvement républicain. Les images des civils morts ou blessés auraient été utilisées pour justifier une grande campagne anti-IRA, pas seulement en Irlande du Nord et en Grande-Bretagne, mais à travers toute l’Europe. Nous pouvons être certains que, si les trois volontaires de l’IRA avaient pu rentrer en Irlande comme si de rien n’était, nous n’aurions droit aujourd’hui à aucune brochure commémorative, aucun défilé ni meeting.
Le bombardement d’Enniskillen
Quatre mois avant Gibraltar, le huit novembre 1987, l’IRA avait mit en œuvre une opération qui, si l’on parle de ses objectifs immédiats, a été un succès total. Une bombe explosa à l’endroit prévu, tuant onze personnes et en blessant soixante-trois autres, gravement pour plusieurs d’entre elles. Une de ces personnes est décédée après treize jours de coma. Ceux qui avaient organisé cet attentat ont pu s’échapper sans problème. A ce jour, ils n’ont toujours pas été arrêtés.
Lors de cet incident, appelé par la suite « l’atrocité de l’Armistice », une bombe, placée près du cénotaphe d’Enniskillen, avait été programmée pour exploser au moment où la foule se rassemblait pour commémorer les victimes de la guerre. Pour ceux qui avaient placé cette bombe, cette opération fut une grande réussite ; mais pour qui que ce soit d’autre, Enniskillen fut un désastre, pas seulement pour les familles qui en ont souffert, mais aussi un désastre pour le mouvement républicain, ouvrant même des divisions au sein de l’IRA. Sans aucune surprise, le vingtième anniversaire de l’atrocité d’Enniskillen, en novembre dernier, est passé sans que le Sinn Féin n’organise quoi que ce soit.
Enniskillen, tout comme Gibraltar, a montré comment, après presque deux décennies de lutte armée, l’IRA considérait toute chose comme sens dessus-dessous : un « succès » à la Enniskillen signifiait une défaite et une perte de soutien, tandis qu’un échec à la Gibraltar devenait une réussite. La « lutte armée » était dans l’impasse.
Même des événements inhabituels comme l’incident d’Andersonstown, lorsque les deux caporaux de l’armée ont foncé avec leur voiture dans le cortège funèbre de Kevin Brady, une des victimes de Milltown, ont montré comment, dans la plupart des cas, les actions de l’IRA étaient devenues contre-productives. Avec le souvenir de ce qui s’était passé à Milltown bien présent dans l’esprit de tous, les personnes présentes aux funérailles étaient déjà sur leurs gardes. Lorsque la voiture des deux soldats est passée devant la procession, a tourné dans une ruelle adjacente (pour se rendre compte que c’était un cul-de-sac…) et est revenue à toute vitesse en marche arrière en plein milieu du cortège, tout le monde a naturellement supposé que c’était une nouvelle attaque. Ils ont donc agi en conséquence. Leur suspicion a été confirmée lorsque l’un des soldats a sorti son pistolet pour tirer en l’air en guise d’avertissement. Rapidement débordés et désarmés, les soldats ont été arrachés de leur véhicule.
S’ils avaient été emmenés, interrogés puis relâchés, toute l’attention des médias en Irlande et en Grande-Bretagne se serait penchée sur la question de savoir ce que ces soldats faisaient là et aurait vérifié la véracité de l’explication fournie par l’armée : qu’ils s’étaient trompés de rue et s’étaient retrouvés à Andersonstown par accident.
Que s’est-il passé à Andersonstown ?
A moins que les soldats britanniques, comme le prétendit l’IRA, se trouvaient là en mission secrète ? Et est-ce que Milltown, trois jours auparavant, n’avait pas été le résultat d’une opération similaire ? N’y avait-il pas eu un accord entre l’armée et les loyalistes afin de cibler les dirigeants républicains ? Ce ne sont là que quelques-unes des questions auxquelles les caporaux auraient été confrontés, et leurs réponses auraient permis de lever un peu le voile au sujet de la sale guerre que l’Etat était en train de mener en coulisses.
A quoi jouaient donc ces soldats, en ce jour de funérailles ? Cela n’a jamais été réellement expliqué, et certainement pas par l’armée. Nous ne connaîtrons sans doute jamais la vérité, parce que l’IRA est vite intervenue, et que quelques minutes après avoir trouvé leur carte de militaire sur eux, l’IRA a conduit les deux soldats dans une décharge pour les exécuter.
Cette « exécution » a en fait octroyé un énorme bénéfice à l’armée britannique. Toute l’attention a été dirigée non pas sur la raison de la présence des deux soldats au cortège, ni sur les causes de la bourde qui les a fait détecter et arrêter par la foule, mais elle se focalisa au contraire fermement sur la brutalité de l’IRA, qui avait exécuté des prisonniers alors que ceux-ci n’étaient pas seulement désarmés, mais avaient également été battus jusqu’à en perdre conscience.
Dans une déclaration de l’époque, l’IRA, de manière incroyable, a tenté de s’affirmer sur le plan moral en se distanciant des coups que les caporaux avaient reçus. Mais ce qu’ils ont offert n’était qu’une succincte « justification » de leurs actes qui, loin d’être rassurante, était effrayante tant elle rappelait l’approche clinique des SAS dans leur fonctionnement. Leur déclaration se terminait par : « Malgré ce qu’en disent les médias, nous sommes satisfaits du fait qu’à aucun moment, nos Volontaires n’ont physiquement attaqué les soldats. Une fois leur identité confirmée, ils furent immédiatement exécutés ».
La campagne de l’IRA s’essouffle
A ce stade, la campagne militaire de l’IRA avait déjà bien perdu de sa vigueur. Pendant les années ‘80, l’IRA avait reçu quatre grosses cargaisons d’armes et d’explosifs en provenance de Libye – donc le plastic qui fut retrouvé à Malaga. L’IRA était armée jusqu’aux dents avec tout un arsenal d’armes qui troqué par la suite en échange d’avantages politiques. Mais, bien avant que l’IRA ne décide de rendre « hors d’usage » ces stocks d’armes, elle n’avait déjà plus du tout la possibilité de les utiliser.
Sur le plan militaire, l’IRA était contenue. L’idée qui était fournie aux Volontaires de l’IRA au début des années ‘80 était que les armes libyennes leur permettraient de mener une offensive majeure ; mais cette idée n’a jamais été mise en pratique, et n’aurait d’ailleurs jamais pu l’être. Toute escalade de la violence aurait signifié une plus grande exposition et un plus grand risque. A ce stade, l’armée britannique avait à la fois les moyens militaires et les services de renseignement appropriés pour contrer toute action que l’IRA aurait pu entreprendre. La « grosse poussée » (« big push ») de l’IRA s’est terminée avant d’avoir pu commencer – dans le champ de tir des SAS à Loughgall.
Au moment de Girbaltar, la direction de l’IRA n’était que trop bien consciente que leur campagne militaire ne pourrait jamais parvenir à vaincre l’Etat britannique. Le discours qu’ils employaient dans les années ’70, qui parlait d’un « retrait imminent des troupes britanniques » avait été abandonné depuis belle lurette. La direction républicaine s’était déjà repliée sur une stratégie politique ; de plus en plus d’efforts étaient investis dans la construction de leur aile politique, le Sinn Féin, et par là-même, bon gré mal gré, ils se voyaient contraints de donner moins d’importance à la lutte armée.
Mécontentement au sein de l’IRA
Au sein de l’IRA, les membres commençaient à soupçonner les dirigeants de s’être « attendris » au sujet de la « lutte armée », et étaient mécontents de l’attention grandissante portée à la politique. Dan McCann était un de ceux qui participaient à l’opposition à la direction d’Adams sur ce sujet. Il avait quitté l’IRA pendant un certain temps, et n’avait été persuadé de rejoindre à nouveau que quelque temps avant sa mission infortunée à Gibraltar.
En public, la direction républicaine devait maintenir un discours affirmant que la victoire serait au final obtenue par les moyens militaires, mais en combinaison de moyens politiques. Ce n’était là qu’un message prononcé à contrecœur. Le langage déterminé des années ‘70, parlant d’un « retrait imminent des troupes britanniques », sonnait faux par rapport aux nouvelles circonstances, et avait depuis longtemps été abandonné.
Lorsque Martin McGuinness, le Chef du Personnel de l’IRA, a pris la parole à l’anniversaire du massacre de Loughgall, il parlait toujours d’une défaite des forces britanniques par des moyens « militaires » et « politiques ». Mais les tombes au-dessus desquelles il se tenait, celles de l’unité de l’IRA oblitérée par les SAS, renvoyait un message somme toute différent. McGuinness ajouta ceci : « Mais en disant cela, je ne veux pas dire que l’IRA a la capacité de chasser chaque soldat britannique de Derry, Armagh, Down ou où que ce soit d’autre. Mais ils ont toujours la possibilité d’écœurer les forces d’occupation britanniques. » Mais il aurait été plus juste de reconnaître que, à ce stade, que l’IRA n’avait même plus la possibilité d’irriter l’armée britannique, sans même parler de « l’écœurer ».
« Ulstérisation »
La nature changeante du conflit a eu un autre aspect malvenu pour les républicains. La politique britannique, pendant quelque temps, avait consisté en une « ulstérisation » des forces de sécurité, semblable à la politique de « les Irakiens aux commandes » poursuivie par les Etats-Unis en Irak, mais en bien plus fructueux. La plupart de l’activité militaire du front en Irlande du Nord avait donc été confiée à des locaux, en grande majorité des protestants, regroupés dans le Régiment de Défense de l’Ulster (Ulster Defence Regiment – UDR).
A cause de cette ulstérisation et, en général, de leur avantage militaire, le nombre de soldats britanniques tués en Irlande du Nord était retombé à un niveau qui aurait eu bien du mal à ne fût-ce qu’inquiéter l’état-major. Les pertes de l’armée britannique s’élevaient à neuf hommes en 1984, deux en 1985 et quatre en 1986. Ceci, ajouté à la baisse du bilan général depuis la fin des Troubles, signifiait que les objectifs des britanniques, définis lors d’une conférence de presse en 1971 par Reginald Maudling, Secrétaire de l’Intérieur Tory, et qui consistaient à réduire le taux de violence à un « niveau acceptable », avaient dans l’ensemble été accomplis.
Pour les républicains, l’effet indésiré de l’ulstérisation était que c’étaient maintenant des membres de l’UDR, en plus de ceux de la RUC, qui se trouvaient en tête de la liste de l’IRA. Ce facteur accrut inévitablement le caractère sectaire de la campagne de l’IRA.
En fait, la campagne avait été sectaire dans les faits, mais aussi parfois dans l’intention, dès son commencement. Par exemple, parmi la première vague d’attentats au début des années ‘70, il y avait des attaques sans avertissement sur des pubs protestants dans des quartiers ouvriers. Pourtant, la grande majorité des jeunes qui, à l’époque, accouraient à l’IRA la rejoignaient parce qu’ils voyaient la lutte comme une lutte contre l’Etat, et ne voulaient pas se retrouver mêlés à un conflit sectaire.
La politique d’ulstérisation a signifié que, à partir des années ‘80, au lieu de tuer des soldats « trangers » britanniques, c’était surtout des soldats irlandais protestants qui se retrouvaient visés. Beaucoup d’entre eux étaient des volontaires à mi-temps qui se faisaient tuer en-dehors du service, souvent pendant qu’ils étaient au boulot ou sur le chemin du boulot. Quel qu’en ait été l’objectif, aux yeux de la majorité des protestants, on avait là affaire à des attaques sectaires. Dans les zones rurales, où beaucoup de victimes étaient des fermiers locaux, ces attaques furent perçues comme une preuve que l’IRA menait une campagne génocidaire, afin de chasser les protestants de leurs terres.
Les protestants pris pour cibles
Il y eut deux morts, après Gibraltar, qui n’ont pas été mentionnés dans la brochure commémorative du Sinn Féin. Dans un des cas, c’était parce qu’il s’agissait d’une affaire que les républicains préféreraient ne pas voir refaire surface.
Le 18 mars, la veille de l’exécution des deux caporaux britanniques à Andersonstown, Gillian Johnston, une jeune protestante âgée de 21 ans, était assise avec son fiancé dans sa voiture, dans le petit village de Belleek, dans le Conté de Fermanagh, lorsque l’IRA a ouvert le feu sur eux. Elle fut tuée et son fiancé blessé. L’IRA a alors immédiatement publié une déclaration disant que ce meurtre était une erreur et que la cible était son frère, supposé être membre de l’UDR. La famille a très vite contredit cette affirmation, signalant qu’il n’y avait personne chez eux qui faisait partie de l’UDR.
Pour la communauté protestante locale, c’était là une nouvelle preuve des doubles mesures employées par les républicains. L’IRA condamnait le gouvernement britannique pour ses mensonges et sa tentative d’étouffer l’affaire de Gibraltar. Mais leur propre réaction après ce meurtre a pourtant été de diffuser une déclaration qui était tout aussi mensongère.
L’IRA condamnait les « lois martiales » qui permettaient aux SAS d’exécuter des « volontaires désarmés » à Gibraltar. Mais leur propre justification de la mort de Gillian Johnston était qu’ils cherchaient à tuer un membre de l’UDR qui, selon toute probabilité, aurait été désarmé lui aussi. Plus que ça, les trois personnes tuées à Gibralatar étaient « en service », ce qui n’aurait pas été le cas de la cible de Belleek.
Une guerre d’usure sectaire
Les Troubles, au milieu des années ‘80, n’étaient de plus en plus rien d’autre qu’une petite guéguerre sectaire, une guerre d’usure, dans laquelle le conflit entre les républicains et l’Etat était de plus en plus reléguée à l’arrière-plan. La contribution des milices loyalistes, dont la tâche principale consistait à effectuer des tueries sectaires perpétrées au hasard, au bilan des morts augmentait de plus en plus. Au début des années ‘90, leur action commençait à dépasser celle des républicains ; ils en arrivaient au point de se vanter du fait que plus de personnes perdaient la vie par leur action que par celle des républicains…
Dans les jours qui ont suivit Gibraltar, on a eu droit à un exemple typique de ceci : c’est là la deuxième victime qui n’est pas mentionnée dans le matériel du Sinn Féin. Le 15 mars, le jour même où les corps des trois « martyrs » de l’IRA étaient rapatriés à Belfast, la veille de l’attaque de Michael Stone à Milltown, un jeune employé de magasin catholique a été par balle à Belfast Sud. Charles McGrillen, âgé de 25 ans, fut abattu par les Combattants pour la Liberté de l’Ulster (UFF – Ulster Freedom Fighters), un autre nom de l’Association pour la Défense de l’Ulster (UDA – Ulster Defence Association), à la succursale de Dunnes Stores où il travaillait.
Sa mort met en lumière une autre facette des Troubles qui est systématiquement laissée de côté par tous les commentateurs ou historiens, sans même parler des propagandistes sectaires – l’importance du mouvement ouvrier. Charles McGrillen était militant syndical et délégué T&GWU (Transport and General Workers Union – Syndicat Général des Transports et des Travailleurs). Son assassinat n’était pas seulement une attaque contre les catholiques, mais aussi une attaque contre les syndicalistes et leur capacité à s’organiser sans danger.
Il faut une réponse des syndicats
Cette attaque demandait une réponse de la part des syndicats, dans leur ensemble. Mais à la place, les dirigeants syndicaux, y compris ceux de la T&GWU, le syndicat auquel avait appartenu Charles McGrillen, préférèrent s’asseoir sur leurs mains et maintenir un silence indigné. Cette réaction est typique du rôle – ou de l’absence de rôle – des dirigeants syndicaux tout au long des Troubles.
La paralysie du sommet des syndicats signifiait que les membres à la base se sentaient incapables de faire quoi que ce soit face aux forces sectaires qui paraissaient invincibles. Pourtant, l’immense pouvoir détenu par la classe ouvrière avait été démontré à travers toute l’Irlande du Nord, à peine vingt-quatre heures avant la mort de Charkes McGrillen.
Alors que les corps des victimes de Gibraltar étaient en route pour Belfast, des dizaines de milliers de travailleurs, catholiques comme protestants, s’étaient rassemblés à l’Hôtel de Ville de Belfast et devant d’autres institutions un peu partout dans le Nord, afin de protester contre les attaques du gouvernement sur les services des soins de santé. Même sans un appel clair de la part des dirigeants syndicaux à aller vers une action de grève, cette manifestation s’est dans les faits transformée en une grève générale partielle, avec plusieurs entreprises contraintes de fermer tandis que leur main d’œuvre quittait le lieu de travail pour rejoindre les travailleurs de la santé et des autres services publics à la manifestation. A Belfast, les ouvriers des chantiers navals ont défilé hors de l’usine Harland and Wolff, rencontrant en chemin les travailleurs du port de Belfast Est. Ils ont marché ensemble sur l’Hôtel de Ville. Les employés de l’Hôpital Royal Victoria et d’autres lieux de travail de Belfast Ouest les ont rejoints en cours de route. Il en était ainsi à travers toute la ville.
Unité de la classe ouvrière
On ne trouve aucune mention de cette manifestation dans aucune chronique des Troubles écrite par qui que ce soit. Pourtant, même lors de cette période de soulèvements de masse, de funérailles gigantesques et de défilés de milliers de personnes dans les rues, la plus grande de toutes les manifestations a bel et bien été celle-là, cet exemple éclatant d’unité de classe.
C’était une puissante démonstration du pouvoir de la classe ouvrière mais, lorsqu’il s’agit de combattre le sectarisme ou de résister à la répression de l’Etat, l’absence de direction donnée par les responsables syndicaux a fait en sorte que ce pouvoir restait surtout un pouvoir latent.
Les délégués et les militants de base, et surtout les membres de Militant (le prédécesseur du Socialist Party, notre section irlandaise), commençaient à organiser des grèves et des manifestations contre les tueries, mais la pression exercée sur les dirigeants syndicaux était encore trop faible que pour les forcer à appeler aux grèves et aux rassemblements de masse qui, à peine quelques années plus tard, amèneraient des dizaines de milliers de personnes dans les rues revendiquant le retrait des milices paramilitaires et qui seraient une des principales raisons à leur faire abandonner leurs campagnes.
Du point de vue de la classe ouvrière, la véritable histoire des Troubles jusqu’alors avait été celle d’innombrables occasions perdues qui se sont transformées en défaites, toutes dues au total manque de réponse de la part des dirigeants syndicaux face aux grands événements qui allaient chambouler toute l’histoire d’Irlande du Nord. Après Gibraltar, ils ont encore laissé passer une autre occasion de se confronter aux forces sectaires.
Ils n’avaient rien à dire au sujet des meurtres perpétrés par le gouvernement Thatcher à Gibraltar. Leur silence a donné le champ libre au Sinn Féin et au mouvement républicain pour puiser dans la colère qui soufflait sur les communautés catholiques afin de s’assurer que l’opposition à ces morts demeurait unilatérale, confinée à leur communauté.
Car s’il est une chose dont on ne peut accuser le mouvement républicain, c’est d’inertie. Ils ont répondu de manière rapide et énergique à la nouvelle de la mort de leurs trois camarades à Gibraltar. Ils s’en sont servi pour mobiliser leur base et en ont tiré autant de capital politique que possible.
Responsabilité des dirigeants syndicaux
Comparons ceci avec une direction syndicale capable de faire sortir dans les rues des dizaines de milliers de personnes pour protester contre les coupes budgétaires dans les soins de santé, mais qui, un jour plus tard, n’ont absolument rien fait lorsqu’un de ses propres militants s’est fait tuer par la section Belfast Sud de l’UDA, une force notoirement meurtrière et sectaire. S’ils avaient répondu avec même seulement un dixième de l’énergie et de l’initiative dont les républicains avaient fait preuve pour promouvoir leur propre cause, ils auraient pu, par exemple, faire fermer les supermarchés et organiser une manifestation massive de pure colère ouvrière, le jour des funérailles de Charles McGrillen.
Et, s’ils l’avaient fait, ils auraient été capables, mais aussi forcés, d’organiser une manifestation de même envergure trois jours plus tard, lorsque l’IRA a assassiné Gillian Johnson. La classe ouvrière aurait pu émerger renforcée de tous ces troubles, ayant porté un grand coup aux forces sectaires des deux camps. Mais au lieu de ça, les dirigeants syndicaux ont gâché cette occasion qui leur était offerte, et le mouvement républicain a été, et est toujours, capable de tirer profit d’événements qui, lorsqu’on les analyse correctement, révélaient la faillite de leurs méthodes.
Ce qui s’est passé après Gibraltar, c’était cela la véritable histoire des Troubles jusque là ; une longue litanie d’occasions manquées à cause de l’attitude d’autruche adoptée par la direction syndicale. Vingt ans plus tôt, le mouvement ouvrier aurait pu diriger l’Histoire dans une toute autre direction s’il s’était placé à la tête de la campagne pour les droits civiques, s’était courageusement opposé à la réaction oppressante de l’Etat unioniste et avait lié cette lutte à celle pour des emplois, des logements décents, des salaires adéquats et des services publics pour tous les travailleurs, catholiques comme protestants. S’il avait fait cela, le mouvement ouvrier aurait offert une organisation plus accueillante et une meilleure méthode de lutte pour la génération de jeunes catholiques qui, poussés par la colère et la frustration, se sont alignés derrière l’IRA.
Au lieu de cela, la direction syndicale a choisi de rester en-dehors de tous ces enjeux, se contentant d’appeler au calme, ce qui, dans les faits, consistait plus en un soutien tacite aux sections « modérées » ou « réformistes » du gouvernement. Et c’est sans mentionner le Parti Travailliste d’Irlande du Nord, vacillant, alors qu’il avait eu le potentiel pendant les années ‘60 de se développer en une force politique de masse, mais qui avait rapidement adopté une position sectaire pro-unioniste. En conséquence de cela, il a totalement été désintégré.
Les conséquences de la faillite des dirigeants sociaux-démocrates
La conséquence de tout ceci a été que la couche la plus radicalisée des jeunes ouvriers catholiques a été perdue au profit du républicanisme. La plupart se sont tournés vers l’IRA Provisoire (une scission de l’IRA « officielle »), malgré sa direction extrêmement sectaire et très à droite, en croyant erronément que ses méthodes apparemment plus militantes étaient la meilleure manière de résister et de faire avancer la lutte pour une Irlande socialiste. De son côté, afin de temporairement satisfaire la nouvelle génération de jeunes recrues, les vieux dirigeants républicains ont du tenter d’aromatiser leur nationalisme de droite avec une rhétorique populiste de gauche, y compris, de temps à autre, des références au socialisme.
Mais leur véritable message n’était jamais rien de plus qu’une version réchauffée de la vieille idée qui empoisonne la politique irlandaise depuis la Guerre d’Indépendance, l’idée que « le Travail doit attendre ». D’abord, tous les nationalistes, de gauche comme de droite, patrons et employés, fermiers et ouvriers agricoles, doivent s’unir pour mettre un terme à la séparation et pour réunifier le pays ; ensuite seulement, la lutte pour le socialisme pourra-t-elle commencer. Mais puisqu’il n’y a jamais eu la possibilité de passer outre la résistance protestante, et en particulier la résistance de la classe ouvrière protestante, à l’idée d’une Irlande capitaliste unifiée, le socialisme est resté un idéal pour un futur que l’on n’atteindrait jamais. Ceux qui ont rejoint l’IRA ont non seulement signé pour une campagne militaire vouée à l’échec mais aussi pour une idéologie politique qui, au fond, n’était rien de plus que le même vieux nationalisme de droite, sous un emballage différemment.
Au moins, l’ancienne direction de droite, basée dans le Sud pendant les années ‘60 et ‘70 rendait parfois un hommage à l’objectif socialiste. Mais on ne peut certainement pas en dire autant des dirigeants d’aujourd’hui. La vitesse à laquelle la direction républicaine actuelle a viré à droite aurait laissé bouche bée même la vieille garde. Tout comme leurs frères d’idéologie à la tête du « New Labour », Adams (Gerry Adams, président du Sinn Féin) et sa bande ne se soucient même plus de ne fût-ce que mentionner le socialisme de temps en temps, soucieux qu’ils sont d’éviter tout propos qui pourrait diminuer leurs chances de se faire accepter comme partie prenante de l’establishment politique.
Le Sinn Féin passe au capitalisme
Ils adoptent maintenant le marché et le capitalisme de manière ouverte, enthousiaste, énergique. Ils nous l’ont encore rappelé via leur brochure commémorative. Sur la première page du journal qui accompagnait la brochure, à côté d’une photo de Gerry Adams, il y a un article qui reprend un discours que le sieur a donné à une réunion d’entrepreneurs à Belfast-Ouest, le 14 février : « Je veux être bien clair sur le fait que le Sinn Féin n’est pas anti-business. Nous sommes pro-business. Le Sinn Féin veut voir les affaires de tout le monde prospérer. Nous voulons voir des investissements dans des zones telles que Belfast-Ouest, qui ont été délibérément négligées pendant si longtemps. » Voilà le Sinn Féin relooké, version 2008. On est bien, bien loin de l’image de lutte qu’ils ne peuvent maintenant plus se donner qu’en rappelant aux gens la manière dont les choses tournaient il y a une vingtaine d’années.
Avant qu’ils aient proposé d’organiser une célébration de la vie de Mairéad Farrell dans la Longue Gallerie à Stromont, il y a une question que le Sinn Féin aurait du se poser. Non pas la question de savoir si leurs amis de coalition du DUP se seraient sentis offensés par cette idée. Non, la vraie question qu’il aurait fallu se poser était celle-ci : Mairéad Farrell aurait-elle souhaité que sa vie fût célébrée dans cette salle ? Ou, posée différemment : aurait-elle considéré la présence des Ministres Sinn Féin dans une institution de droite de l’Irlande du Nord, aux côtés de leurs ex-ennemis jurés du DUP, valait la peine de tous ces sacrifices, de la prison, de la grève de la faim, de Gibraltar ?
Le commentaire qu’a fait Mairéad Farrell lorsqu’elle a été libérée de la prison pour femmes d’Armagh en 1986 suggère qu’elle aurait répondu par la négative. Décrivant ce que la lutte signifiait pour elle, elle a déclaré: « Je suis socialiste, définitivement, et je suis républicaine. Je crois en une Irlande unie : une Irlande unie et socialiste, définitivement socialiste. Le capitalisme ne fournit aucune solution du tout pour notre peuple, et je pense que c’est là le principal intérêt des Brit’s en Irlande. »
Bien entendu, Mairéad Farrell, si elle avait vécu, aurait pu elle aussi suivre le virage à droite effectué par Adams et le reste de la direction actuelle du Sinn Féin. Mais nous ne sommes pas en droit de supposer quoi que ce soit – elle est morte, détentrice d’une vision bien différente de celle adoptée de nos jours par Adams et compagnie – et n’ils n’ont pas ce droit non plus.
Vingt ans plus tard, la véritable leçon de tout ce qui s’est passé à Gibraltar et après, est qu’il est nécessaire de construire une alternative socialiste combative face au sectarisme et au capitalisme, de sorte que les énergies de la nouvelle génération ne soient pas gâchées par des idées et des méthodes qui sont d’avance vouées à la défaite.