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  • Économie mondiale : ''Les banques centrales naviguent dans le noir''

    La grave récession de 2008-2009 a fait de l’économie mondiale un véritable laboratoire d’expérimentations. Mais ni l’austérité extrême ni les trillions injectés dans les banques n’ont conduit à une véritable reprise. Les politiciens et les économistes sont désormais de plus en plus préoccupés.

    Per-Åke Westerlund, Rättvisepartiet Socialisterna (CIO-Suède)

    Au centre des préoccupations, la crise européenne. Au début de 2012, l’Italie et l’Espagne étaient proches du défaut souverain (fait pour un gouvernement de ne pas pouvoir payer sa dette), une situation qui, à son tour, aurait pu voir le projet euro entier s’effondrer. Les dirigeants et les institutions européennes, par crainte, ont du prendre des mesures extrêmes.

    La Banque Centrale Européenne (BCE) a promis un ”accès illimité” au capital pour les États et les banques. Depuis lors, la BCE a prêté 360 milliards d’euros aux banques espagnoles et 260 milliards aux banques italiennes. Une grande partie de ces sommes a été utilisée pour racheter leurs obligations d’État respectives. L’écart de taux d’intérêt – ce qui coûte en plus à l’Espagne et à l’Italie pour emprunter par rapport à l’Allemagne – a chuté de 6-7% à 2-3%.

    La générosité de la BCE est compensée par les autres banques centrales. La Réserve Fédérale Américaine (FED) est à sa quatrième phase d’assouplissement quantitatif, ce qui signifie que la FED rachète des parts de la dette publique à raison de 85 milliards de dollars par mois.

    Le nouveau gouvernement de droite du Japon s’est lancé dans une politique monétaire ”quantitative et qualitative”, une double mesure par rapport à celle de la FED. En deux ans, la banque centrale (la Banque du Japon, BOJ) va utiliser l’équivalent d’un quart de son PIB – le Japon est la troisième plus grande économie mondiale – pour acheter des obligations d’État, des actions et des biens immobiliers.

    Les Banques centrales

    Mais désormais, il y a une inquiétude croissante quant à savoir si les interventions des banques centrales sont bel et bien la solution ou au contraire aggraveraient la crise. ”Certaines figures de proue des Banques centrales avouent qu’ils naviguent dans le noir dans le pilotage de leur économie” a rapporté le Financial Times (18 avril) après la dernière réunion du Fonds Monétaire International (FMI).

    Selon Lorenzo Samgh de la direction de la BCE : ”Nous ne comprenons pas entièrement ce qui se passe dans les économies avancées”. Le chef de la Banque d’Angleterre, Mervyn King, a affirmé que personne ne pouvait être sûr que la politique monétaire expansionniste était correcte et s’est interrogé sur le fait qu’elle pouvait ”courir le risque d’attiser les problèmes qui ont conduit à la crise préalablement”.

    L’intervention de la Banque centrale a assoupli la crise immédiate pour les banques et les États les plus vulnérables. Mais ils n’ont pas reboosté l’économie – les investissements dans les pays capitalistes avancés sont toujours au record le plus bas.

    Cependant, la nouvelle politique a initié des conflits plus nets entre les Etats-Nations. La monnaie japonaise, le Yen, a chuté de 25% depuis l’année dernière. Cela a profité à l’industrie d’exportation japonaise au détriment, entre autres, des industries allemande et sud-coréenne.

    Les rapports semi-annuels d’avril du FMI (le Rapport du Stabilité financière global et des Perspectives économiques mondiales) notent que les actions des Banques centrales ont provoqué un ”large rassemblement de marché” mais ont aussi créé de nouveaux risques. Le capital passe maintenant des pays les plus riches vers les pays en développement, créant une instabilité potentielle. Le patron de la FED, Ben Bernanke, a récemment averti que la spéculation des banques pourrait augmenter.

    Le FMI

    Mais ce qui inquiète véritablement le FMI est ce qui se passera quand la politique d’assouplissement se terminera. Il n’y a pas de précédents historiques sur lequel se baser. ”Des améliorations continues nécessiteront un redressement du bilan du secteur financier et un déroulement harmonieux des sur-endettements public et privé. Si nous ne relevons pas ces défis à moyen terme, les risques pourraient réapparaitre. La crise financière mondiale pourrait se transformer en une phase plus chronique marquée par une détérioration des conditions financières et des épisodes récurrents d’instabilité financière”, écrit le FMI. Mais tout a jusqu’ici échoué, la situation tend vers une crise plus chronique.

    La deuxième étape de la politique de crise – les mesures d’austérité extrêmes – ont eu de pires effets immédiats. 19,2 millions de personnes sont actuellement au chômage dans la zone euro, dont six millions en Espagne seulement. En Grèce, le chômage des jeunes s’élève à 59,1%. Le New York Times a rapporté dans un article sur les écoles grecques que les enfants s’évanouissaient de faim et fouillaient les poubelles pour trouver de la nourriture.

    Le premier ministre portugais, Pedro Passos Caolho – un fervent partisan de l’infâme austérité de la Troïka (FMI, UE et BCE) – a promis en 2011 que ces ”deux terribles années” seraient suivies par une reprise. Mais en raison de l’austérité extrême, en 2013, le Portugal ”fait face à une récession plus profonde et plus longue que celle prévue par le gouvernement et les prêteurs internationaux.” (Financial Times).

    Le FMI a estimé en avril que le risque de récession (le fait que l’économie se contracte) dans la zone euro était de 50%. Depuis lors, le président de la BCE, Mario Draghi, a averti que même la France s’était engouffrée plus profondément dans la crise. L’UE a accordé à l’Espagne et à la France deux années supplémentaires pour se conformer à la règle selon laquelle les déficits budgétaires ne doivent pas dépasser 3% du PIB. Selon les nouvelles règles, ces deux pays auraient, aussi non, été condamnés à une amende.

    Dans une grande enquête effectuée par l’agence de notation Fitch auprès des capitalistes et des investisseurs financiers en Europe, une grande majorité pense que le calme qui règne cette année en Europe n’est que passager. ”Fitch met en garde dans un communiqué qu’elle [l’année 2013] peut revoir un été marqué par la crise de l’euro, tout comme ce fut le cas en 2011 et 2012, car il y a une forte contradiction entre le récent rallye boursier et la montée du chômage” (Dagens Industri, quotidien suédois).

    Pas de solution capitaliste

    Aucune institution capitaliste n’a de solutions. Beaucoup avertissent que l’austérité est allée trop loin, mais continuent de souligner la nécessité d’un budget équilibré pour le ”moyen terme”.

    En combien de temps la crise chypriote qui menace de s’étendre montrera que les pays de l’UE ont besoin d’une union bancaire, écrit le FMI dans son rapport ? Et avant que les flux de capitaux illimités de la BCE n’atténuent la crise, les politiciens dirigeants de l’UE comme Angela Merkel et le président de la Commission européenne Barroso déclaraient que l’UE avait besoin d’une politique budgétaire beaucoup plus stricte et synchronisée.

    Mais les intérêts nationaux et les conflits rendent spécialement les dirigeants allemands hésitants. Le risque, à leurs yeux, est que l’Allemagne devienne définitivement le garant des banques à travers l’Europe.

    En parallèle avec les contradictions croissantes au sein des États membres de l’UE, il y a une méfiance grandissante contre l’Europe elle-même. Aujourd’hui, en Espagne, 72% de la population est critique par rapport à l’Europe contre 23% avant la crise. En Allemagne, cette méfiance est passé de 36 à 59%.

    La crise a été utilisée pour pousser en avant les contre-réformes néolibérales dont rêvaient les capitalistes. Des pensions encore pires en Italie, des facilités pour licencier les travailleurs en Espagne, des réductions de salaire de 50% en Grèce et ainsi de suite. De la même façon, les capitalistes augmentent leur pression sur le président français François Hollande. Il a déjà aboli l’impôt sur les gains en capital et a promis de réduire les allocations de chômage, des pensions et des municipalités.

    En même temps, la pression politique par le bas est de plus en plus forte. Dans un sondage d’opinion français, 70% des sondés pensent qu’une ”explosion sociale” est possible dans les prochains mois.

    Le FMI, en avril, a à nouveau abaissé ses prévisions pour la croissance économique mondiale de cette année à 3,3% (3,5% néanmoins en Octobre). Le commerce mondial ne devrait augmenter que de 3,6% cette année après 2,5% l’année dernière.

    L’indice des directeurs d’achats des grandes entreprises européennes et japonaises est encore en dessous de 50, ce qui indique que l’économie ne se développe pas. Mais même dans le cas de la Chine, ce chiffre ne dépasse pas beaucoup les 50.

    La Chine

    L’économie de la Chine – la deuxième plus grande au monde mais dont on estimera qu’elle dépassera les États-Unis d’ici 2020 – est en train de ralentir fortement. Le grand plan de relance de 2009, qui a tenu la croissance grâce à des investissements massifs, frappe désormais de son revers avec force. Les dettes des municipalités et des provinces sont estimées à entre 20 et 40% du PIB du pays. Au cours du premier trimestre de cette années, ces dettes ont augmenté deux fois plus vite que dans la même période en 2012.

    Le FMI et les politiciens occidentaux parlent de la façon dont la consommation en Chine devrait augmenter et l’investissement diminuer. Mais l’abaissement de la part de l’investissement dans le PIB de 50 à 30%, dans une situation ou la croissance économique sera de 6% au lieu des 10% précédents, ”provoquerait une dépression à lui tout seul” conclut le chroniqueur économique du Financial Times, Martin Wolf. La demande s’effondrerait avec un impact considérable sur l’économie mondiale.

    Les gouvernements et les classes capitalistes mettent désormais davantage de pression sur d’autres États. Les États-Unis veulent voir une plus grande demande en Allemagne et en Europe, tandis que les politiciens européens exigent que les déficits des États-Unis et du Japon soient réduits. Le déficit budgétaire du Japon cette année est à près de 10% du PIB, pour la cinquième année consécutive. La dette publique devrait être à 255% du PIB en 2018.

    Le déficit américain est de 5% du PIB et la dette s’élève à 110% de celui-ci. La croissance cette année aux États-Unis devrait être la plus élevée dans les pays capitalistes développées, soit 1,2%. Mais les prévisions sont incertaines puisque les coupes automatiques, la mise sous séquestre, n’auront effet que dans la seconde moitié de l’année.

    Avec l’échec des ”méthodes peu orthodoxes”, de plus en plus de gens se rendent compte qu’il n’y a pas de solution dans le cadre du système capitaliste. La résistance des travailleurs et des pauvres va augmenter, comme l’ont montré les manifestations de masse au Portugal au début de mars qui étaient les plus importantes depuis la révolution de 1974. La tâche des socialistes est de construire de nouveaux partis des travailleurs avec une réponse socialiste claire face à la crise.

  • Grèce : Le premier ministre George Papandreou chassé du pouvoir

    Nouveau gouvernement d’“unité nationale” = “coalition d’austérité”

    Le premier ministre grec George Papandreou s’est vu contraint de quitter le pouvoir le week-end passé, et de remplacer son gouvernement PASOK (parti “social-démocrate” au pouvoir) par un gouvernement de coalition d’“unité nationale”. Cette nouvelle “coalition de l’austérité” PASOK/Nouvelle Démocratie va signer un plan de sauvetage qui impliquera encore plus d’austérité punitive, telle que celle qui a déjà poussé des millions de Grecs dans la misère.

    Andreas Payiatsos, Xekinima (CIO-Grèce) et Niall Mulholland, CIO

    Papandréou a été forcé de quitter le pouvoir après plusieurs jours de troubles civils qui ont suivi sa décision – maintenant annulée – d’organiser un référendum sur le plan de sauvetage prévu par l’UE pour renflouer la Grèce, percluse de dettes.

    Les nouveaux premiers ministres potentiels incluent des candidats à la réputation de maitres de l’austérité prouvée : il s’agit de Lukas Papademos, ancien vice-président de la Banque centrale européenne (BCE), et du ministre des Finances Evangelos Venizelos. Le nouveau gouvernement de coalition démissionnera après de nouvelles élections, attendues en février prochain.

    L’accord conclu le mois passé entre la BCE, l’UE et le FMI (la fameuse “Troïka”), accorderait au gouvernement grec la somme de 130 milliards d’euros, effacerait la moitié des dettes grecs dues à des détenteurs privés, et inclurait une nouvelle série de mesures d’austérité profondément impopulaires.

    L’économe réduite de -15%

    La politique de la Troïka a déjà poussé l’économie grecque à se contracter de 15% au cours des trois dernières années. Le gouvernement PASOK a voté toute une série de lois dictées par la Troïka, qui ont poussé dans la misère les deux-tiers de la population grecque. Les salaires des travailleurs du secteur public ont été tranchés de 50% (par rapport à ce qu’ils gagnaient début 2010), et le salaire minimum “légal” baissera à 500€ par mois (mais même cela, vu que les “négociations collectives” ont été abolies, n’est plus contraignant pour les employeurs). Plus de 40% de la jeunesse est au chômage. La Troïka exige que 250 000 personnes soient virées du secteur public – plus du tiers du personnel total. Les services publics sont pilonnés. Dans les hôpitaux, le nombre de lits a déjà été réduit de 30%, et une nouvelle réduction de 20% est prévue (pour une réduction totale de 50%, donc). Les nouvelles taxes, couplées aux coupes dans les salaires et les allocations, signifient la perte de centaines d’euros par mois par travailleur et par famille. Les enfants vont à l’école le ventre vide, certains allant jusqu’à s’évanouir en classe. Même les “classes moyennes”, qui auparavant vivaient relativement bien, se voient maintenant poussées vers une vie de privations.

    Si Papandréou a fait sa proposition désespérée de référendum, c’est parce que la résistance de la population grecque à sa politique d’austérité s’est avérée absolument insurmontable. Il a réalisé que son gouvernement PASOK menaçait d’un effondrement total. Le 19 octobre, la Grèce a connu sa plus grande grève générale de 48 heures et manifestation syndicale de toute son histoire d’après-guerre. Le 28 octobre, qui est la journée annuelle de “fierté nationale” et de parades destinées à commémorer l’occupation de la Grèce durant la Seconde Guerre mondiale, s’est cette année mué en une journée de colère et de manifestations antigouvernementales.

    Chantage

    Le référendum de l’ex-premier ministre était une tentative de faire chanter la population grecque, en la plaçant devant l’alternative : « Soit vous votez pour le plan de “sauvetage” du 26 octobre, soit la Grèce fait faillite, quitte la zone euro, et vous crevez tous de faim ».

    Mais le projet de référendum de l’ex-premier ministre grec se sont rapidement vus mis sous une énorme pression de la part des dirigeants européens, en particulier de l’Allemagne et de la France, qui ont vivement critiqué ce référendum, sous prétexte que cela causerait l’extension de la crise grecque aux autres pays européens, en particulier au pays vulnérable qu’est l’Italie.

    Démontrant qu’eux aussi s’y connaissent en matière de chantage, la Chancelière allemande Merkel et le président français Sarkozy ont exigé que ce référendum porte sur la question de savoir si la Grèce devrait rester membre de l’UE ou non. La tranche suivante du plan de sauvetage actuellement en train d’être administré à la Grèce, d’une valeur de 8 milliards d’euros, a elle aussi été suspendue afin d’ajouter à la pression sur Papandréou pour qu’il retire sa proposition.

    D’immenses divisions se sont ouvertes au sein du PASOK autour du projet de référendum : le ministre des Finances Evangelos Venizelos et d’autres figures cruciales du gouvernement s’y sont ainsi publiquement opposées, déclarant le 4 novembre que ce projet devait être annulé. Certains membres du cabinet ont exigé la démission de Papandréou en faveur d’un gouvernement d’“unité nationale”.

    Après ces coups politiques fatals, Papandréou a survécu à un vote de défiance au Parlement le 4 novembre, mais seulement à condition qu’il visite le Président de l’État grec le lendemain pour lui remettre sa démission, en faveur d’un gouvernement de coalition dirigé par un nouveau premier ministre (non-élu). Papandréou a donc comme promis démissionné le 5 novembre. Cela démontre une nouvelle fois l’existence d’une crise politique extrêmement profonde au sommet de la “classe politique” et de l’establishment grecs.

    Dimanche soir (6 novembre), le PASOK et l’opposition de la Nouvelle Démocratie (qui avait précédemment refusé toutes les offres de former un gouvernement de coalition avec le PASOK) se sont mis d’accord pour former un gouvernement de coalition, dirigé par une tierce “personnalité”, pour une période de quelques mois jusqu’à la tenue de nouvelles élections. Le gouvernement de coalition sera composé des deux principaux partis pro-capitalistes du pays et de deux plus petits partis, dont l’extrême-droite populiste du LAOS (Aube dorée).

    Une propagande impitoyable

    Les travailleurs et classes moyennes grecs se sont également retrouvés bombardés par une propagande impitoyable de la part de l’UE, des patrons et des médias grecs autour de la question du référendum. On leur a dit qu’à moins d’accepter encore plus d’austérité, la Grèce serait forcée de quitter la zone euro et l’UE, et subirait une chute encore plus grande du niveau de vie.

    Les principaux partis de gauche, tels que le KKE (Parti communiste grec) et Syriza (une alliance de gauche large) n’ont mis en avant aucune alternative à cette brutale offensive de propagande pro-capitaliste.

    Tout cela a eu un impact sur la perception de la population grecque. Des sondages d’opinion ont montré qu’une large majorité des Grecs était contre l’idée d’un référendum. Ce sentiment a changé après la propagande massive de la part de la classe dirigeante et des médias. Une large majorité, de plus de deux tiers, était également en faveur du maintien de l’appartenance à la zone euro, et pas plus de 15% se disaient en faveur du départ de celle-ci (ces données proviennent de divers sondages d’opinion réalisés par téléphone au même moment, de sorte qu’il n’y a pas de chiffre exact, bien que la tendance soit la même dans chacun de ces sondages).

    Les résultats de ces sondages sont une réelle expression du désespoir qui vit en cette époque désespérée – il vit encore “un espoir contre toute attente” que d’une certaine manière le gouvernement de coalition parvienne à trouver une solution à la crise économique profonde de la Grèce. En réalité, la plupart des travailleurs ne voient aucune issue à la crise ni à l’austérité, et toute illusion qu’une certaine section de la population détient dans la nouvelle coalition ne sera certainement que de courte durée. Des sondages plus récents ont tous montré qu’un bon 90% de la population grecque est contre les coupes d’austérité du PASOK – la même politique qui sera poursuivie par le gouvernement d’“unité nationale”.

    Depuis le début de la crise en 2008-9, les travailleurs grecs ont démontré à maintes reprises qu’ils sont prêts à riposter contre l’austérité et pour une alternative à ce système perclu de crises. Pas moins de quinze journées de grève nationale (dont deux grèves de 48 heures) ont été organisées en moins de deux ans, sans compter les grèves étudiantes, les sit-ins et les occupations de bâtiments publics et d’écoles, en plus de la campagne de non-paiement contre les taxes iniques. Les actions industrielles et les mouvements de masse ont culminé avec la magnifique grève générale de 48 heures des 19-20 octobre. Entre 500 000 et 800 000 personnes sont descendues dans la rue à Athènes ce jour-là – formant ainsi la plus grande manifestation syndicale de toute l’histoire d’après-guerre en Grèce.

    Mais les dirigeants bureaucratiques et conservateurs des syndicats n’ont pas utilisé l’immense puissance de la classe ouvrière organisée pour intensifier la résistance de masse afin d’en finir une fois pour toute avec le gouvernement PASOK, afin de mettre un terme à la politique d’austérité et d’aller vers la mise sur pied d’un gouvernement des travailleurs. Tout au long des 18 derniers mois, la direction syndicale n’a appelé à des actions que parce qu’elle y était contrainte par l’immense pression des masses – elle n’a aucun plan ni stratégie pour gagner quoi que ce soit, sans même mentionner un programme politique alternatif.

    Les occupations et l’action industrielle

    Depuis la grève de 48 heures des 19-20 octobre, les occupations et grèves sectorielles se sont fait moins fréquentes. Mais cela ne veut pas dire que la lutte industrielle de masse est terminée : il ne s’agit que d’une pause temporaire après des mois de grève frénétique et autres activités de masse. Il est possible que les jeunes et les travailleurs se tournent maintenant vers d’autres formes de résistance de masse. Des campagnes de non-paiement de masse pourraient ressurgir, de même que des actions de masse autour de thèmes environnementaux. La nouvelle vague de coupes budgétaires promise par la “coalition d’austérité” signifie que la lutte de classe est inévitable, de même que de nouvelles vagues d’action industrielle.

    Certains syndicats, comme le syndicat du personnel communal, celui des instituteurs/trices, celui des travailleurs du rail et celui des télécoms, se sont battus de manière plus déterminée, et ont rompu leurs connexions avec le PASOK. Toute une section du mouvement ouvrier est en train de virer dans une direction plus radicale et plus combative. Bien que ces syndicats aient rompu avec le PASOK, leur direction se refuse toujours à donner à sa base un plan d’action clair et résolu. Xekinima, la section grecque du CIO, appelle la base de ces syndicats à rompre de manière définitive avec le PASOK et à contribuer à la construction d’un nouveau parti ouvrier, armé d’un programme socialiste radical.

    Xekinima s’oppose au nouveau gouvernement d’“unité nationale” du PASOK et de Nouvelle Démocratie. Cette coalition présidera à encore plus d’austérité qui mènera à une misère encore plus profonde. La politique qui sera appliquée par le nouveau gouvernement de coalition sera la même que celle qui a été appliquée jusqu’ici. Le nouveau gouvernement suivra à la lettre les dictats de Merkel et de Sarkozy. Il n’y a absolument rien de “positif” dans ce gouvernement, mis à part, si l’on peut dire, le fait que Nouvelle Démocratie (ND) sera maintenant lui aussi mouillé devant tous les Grecs en tant que responsable de la politique d’austérité. Jusqu’à présent, le dirigeant de ND, Samaras, a de la manière la plus cynique qui soit joué un rôle populiste en critiquant la politique du gouvernement et en accusant le PASOK de trop se laisser faire par les dictats de l’UE.

    Un espace politique pour la Gauche

    Les illusions parmi certaines sections de la population que les choses pourraient aller “un peu mieux” sous la coalition d’“unité nationale” ne vont guère durer. Dans la situation politique qui s’ouvre à présent, les partis de la Gauche auront une opportunité unique et historique de croitre et de jouer un rôle décisif. Mais pour pouvoir concrétiser le type de changements fondamentaux qui sont requis pour apporter des solutions réelles et durables aux immenses problèmes auxquels sont confrontés les travailleurs grecs et l’ensemble de la société, il est nécessaire que la Gauche adopte un programme socialiste et se batte de manière décisive pour un changement de système. Jusqu’à présent, les principaux partis traditionnels de la Gauche grecque que sont le KKE (Parti communiste) et SYN (Synaspismos, une coalition de mouvements de gauche et écologiques) – refusent de faire le moindre pas dans cette direction. La nécessité de bâtir et de développer les mouvements de masse, et de construire de nouvelles forces de Gauche, armées d’un programme radical et socialiste, se pose aujourd’hui plus que jamais.

    Xekinima met en avant une perspective et un programme socialistes. Xekinima dit : Nous ne paierons pas la dette, non à l’austérité ! Xekinima appelle à la formation d’un gouvernement qui représente les travailleurs, la classe moyenne appauvrie, les pauvres et les jeunes. Un gouvernement ouvrier signifierait un emploi, un logement à prix abordable, un enseignement et des soins de santé correctement financés. Un tel gouvernement ferait passer au domaine public les secteurs-clés de l’économie, sous contrôle démocratique, pour le bénéfice de la majorité et non de l’élite de riches.

    Xekinima rejette l’argument selon lequel les Grecs doivent subir la destruction de leur niveau de vie afin de pouvoir rester dans la zone euro. Xekinima explique aussi que personne ne doit semer la moindre illusion dans une éventuelle “nouvelle politique monétaire souveraine et progressiste”, comme certaines sections de la Gauche grecque le mettent en avant. Sous le capitalisme, et dans le cadre national, il n’y a aucune solution. Xekinima appelle à un véritable internationalisme – pour une alternative ouvrière à la crise et à l’austérité capitaliste qui s’étend à toute l’Europe. Ce n’est qu’avec la perspective d’une lutte commune avec les travailleurs de tout le reste de l’Europe que nous pourrons trouver une alternative à l’Europe du Capital, des banquiers et du FMI, et nous battre pour une Europe socialiste !


    Extrait de l’interview de notre camarade Andreas Payiatsos, de Xekinima, publiée sur socialistworld.net :

    La presse internationale insiste sur le fait que la Grèce est minée par la taille de son secteur public et par la corruption – quelle est la situation reélle ?

    Les travailleurs grecs sont confrontés à une incroyable campagne de diffamation dans la presse internationale et de la part des représentants de la classe dirigeante en Europe et dans le monde. C’est révoltant !

    Le cout des salaires dans le secteur public en Grèce est inférieur à la moyenne européenne de ces couts comparés au PIB (en Grèce, les couts salariaux du secteur public représentent 9% du PIB, contre 10% en moyenne en Europe-27). Les salaires du public coutent à peine la moitié de ce que coutent les salaires du public en Scandinavie, ce qui est encore bien inférieur à la situation en France, Allemagne, etc., en termes de part du PIB toujours. C’est un secteur public “bon marché”. Mais cela, ils ne le disent jamais, malgré le fait que ces chiffres soient tirés de leurs propres statistiques européennes !

    À propos de la “paresse” et de l’évasion fiscale, les travailleurs grecs, selon une recherche organisée par l’UE en juillet dernier, sont les plus laborieux de toute l’Europe, avec 108 heures de travail par an en plus que la moyenne européenne – plus que les travailleurs d’Europe de l’Est par exemple qui ne travaillent “que” 103 heures par en plus que la moyenne européenne.

    La presse pro-capitaliste ne dira jamais la vérité. Ces gens vont toujours tout déformer afin de pouvoir mieux faire passer leur propre politique.

    L’évasion fiscale en Grèce n’est pas quelque chose qui est perpétré par les travailleurs, qu’ils soient du public ou du privé. Leurs revenus sont déclarés à l’Etat, qui est responsable de les taxer. L’évasion fiscale est le fait des strates les plus riches de la société, de professionnels qui sont capable d’organiser la fraude et de s’en tirer. Pourquoi alors faire payer les travailleurs ? À part l’évasion fiscale illégale, il y a aussi toutes les procédures légales mises en place par le gouvernement et votées au Parlement. Par exemple, la couche la plus riche de la classe dirigeante grecque, qui sont les armateurs (propriétaires de compagnies de navires marchands), bénéficie de 58 lois d’exemption fiscale différentes (aucune ne concerne le personnel de ces compagnies, bien entendu). Voilà en réalité le nœud du problème : non pas la fraude fiscale illégale (sans vouloir sous-estimer son rôle bien réel), mais tous ces transferts légaux de richesses prises aux travailleurs pour les donner aux riches, afin soi-disant de “promouvoir l’investissement” et autres balivernes. C’est là le facteur décisif qui explique tout le bordel dans lequel l’économie se retrouve en ce moment.

    Pourquoi la dette atteignait-elle déjà les 120% du PIB avant la crise ?

    La dette grecque a toujours été relativement élevée, à un niveau de 100-110% du PIB, comme celle de la Belgique ou de l’Italie. La raison pour laquelle elle reste élevée est le fait que tous les revenus “supplémentaires” de l’État grec ont été utilisé pour “soutenir” les capitalistes, banquiers, armateurs, constructeurs, etc. grecs afin qu’ils puissent accroitre leurs profits, faire face à la concurrence internationale et, surtout, s’étendre aux Balkans et à l’Europe de l’Est dans les années ’90… Cette politique s’est poursuivie jusqu’en 2007.

    Ce qui a déclenché tout le chaos a été la crise économique qui a frappé la Grèce en 2009 en tant que répercussion de la crise mondiale, poussant l’économie dans la récession, rendant impossible le paiement de la dette. Les banques ont été menacées et, afin de sauver les banques, les divers gouvernements ont suivi une politique d’immenses plans de renflouement, ce qui a forcé l’État à emprunter de colossales sommes d’argent, comme nous le savons tous. Puis il s’en est “logiquement” suivi une austérité terrible pour les travailleurs, afin de pouvoir donner l’argent aux grands banquiers.

    En 2009, la dette se tenait à près de 115-120% du PIB. Au printemps 2010, elle avait grimpé à 140-160% du PIB. Le gouvernement grec se voyait alors demander un taux d’intérêt de 7% de la part des “marchés” pour pouvoir emprunter de l’argent auprès d’eux, argent qui était prêté à ces mêmes “marchés” par la BCE à un taux de 1% ! C’est carrément du vol ! Et aujourd’hui, ce serait à nous de payer pour ce pillage !

    C’est alors qu’est arrivée la fameuse Troïka pour nous “sauver”. La politique du FMI et de l’UE a fait chuter l’économie grecque de 15% en trois ans. Sous cette politique, la dette a bondi à 170% du PIB aujourd’hui, et on prévoit qu’elle atteigne les 198% du PIB d’ici la fin de l’an prochain – et encore, selon les statistiques officielles ! C’est ce qui les a forcé à lui donner une “coupe de cheveux”. Comme les médias internationaux l’ont répété encore et encore, un tel effondrement du PIB ne s’est auparavant jamais produit en temps de paix dans aucun pays “développé” (je rappelle au passage qu’avant la crise, la population grecque était considérée comme faisant partie des 8% les plus riches de la planète – bien qu’elle était perçue comme relativement pauvre selon les standards européens). L’économie ne pouvait plus générer plus d’argent, et il n’était plus possible non plus d’en presser plus d’argent. Du coup, la dette a continué à monter et monter. En d’autres termes, la hausse de la dette au cours des deux dernières années est un résultat direct de l’intervention du FMI et de l’UE.

    La soi-disant “coupe de cheveux” de la dette grecque s’élève-t-elle réellement à 50% de sa valeur ? Quels sont les termes exacts ?

    La “coupe de cheveux” de 50% de la dette étatique grecque ne concerne que la partie privée de cette dette. La dette grecque est en effet divisée en deux parts : le montant total actuel est de 360-370 milliards d’euros. De cette somme, 200 milliards proviennent d’institutions et banques privées ; le reste, qui vaut 160-170 milliards d’euros, provient essentiellement de la BCE et du FMI. L’argent qui a été prêté par la Troïka ne sera pas concerné par la coupe. Lorsqu’ils parlent de cette coupe, ils ne se réfèrent qu’aux 200 milliards dûs au privé, ce qui touchera des bons d’État détenus par des particuliers qui expireront d’ici une décennie, càd en 2020. Les 160 milliards restant sont des bons d’État à long terme – 15-30 ans – ou de l’argent prêté par le FMI et qui ne sont soumis à aucune réduction.

    Tout ceci signifie que la dette grecque diminuera d’environ 100 milliards d’euros sur les 360 milliards (pour peu que les banquiers acceptent cette coupe – parce qu’elle est censée être une coupe “volontaire” !..).

    Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Le gouvernement grec va économiser 100 milliards, mais devra emprunter 130 milliards d’euros en plus afin de pouvoir rembourser la dette restante et de couvrir les pertes des banques grecques. Donc, on coupe la dette grecque pour pouvoir lui permettre de monter encore !

    Pour résumer, la fameuse “coupe de cheveux” permet au gouvernement grec d’économiser 100 milliards, et nous force à de nouveau emprunter 130 milliards ! Ces 130 milliards d’euros proviendront de la Troïka et seront versés au cours des deux prochaines annéees (et cet emprunt, évidemment, ne sera pas non plus soumis à la moindre “coupe de cheveux”). La dette sera réduite pour passer de 170% du PIB à l’heure actuelle, à 150%, puis elle va recommencer à croitre à nouveau. En théorie, après avoir monté, elle commencera à décliner, tandis que l’économie reprendra petit à petit. L’objectif officiel est d’arriver à une dette valant 120% du PIB d’ici 2020, c’est à dire, son montant de 2009. Pour le dire plus simplement donc : ils veulent passer une décennie entière à démolir l’ensemble de la société grecque, uniquement dans le but de ramener la dette au niveau qu’elle avait déjà atteint en 2009.

  • Grèce : La politique d’austérité sauvage est passée malgré le mouvement de masse

    Lâchant les gaz lacrymogènes et toutes sortes de menaces, le gouvernement Pasok (social-démocrate, parti-frère de notre PS) en Grèce a voté en faveur de nouvelles mesures d’austérité pendant une grève générale de protestation de 48 heures et durant l’action du mouvement des “Indignés”. Des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues d’Athènes le 28 juin pendant les manifestations syndicales en direction de la place Syntagma (place de la Constitution), non loin des bâtiments du Parlement. Pendant la soirée, près de 50 000 personnes se sont rendues à un concert de “rébellion”. Mercredi 29 juin, des dizaines de milliers de gens ont convergé dans le centre d’Athènes pour y exprimer leur colère. Les confédérations syndicales avaient appelé à une grève de 48 heures. Le soutien était absolument massif. Les transports publics étaient à l’arrêt – sauf le métro, à qui on avait demandé d’amener les gens aux manifestations –, et la participation du secteur public était écrasante.

    Stephan Kimmerle, CIO, Athènes

    Toutefois, la réaction de la police était brutale. Leur objectif était clair – briser le mouvement. Même les médias capitalistes ont déploré la sauvagerie de l’État grec. Encore et encore, la place Syntagma et les rues avoisinantes ont été englouties dans un nuage de gaz lacrymos. Les “forces spéciales” de la police ont attaqué les manifestants, allant jusqu’à leur lancer des pierres. Le concert du soir du 28 juin a été enseveli sous un bombardement de grenades à gaz. Le 29 juin a commencé par l’attaque de la police sur les manifestants à coups de matraques et de gaz tandis que ceux-ci se rassemblaient en vue d’encercler le Parlement comme il avait été décidé.

    La police n’a cette fois pas attendu les provocations de la part de collègues en civil infiltrés ou d’anarchistes. Rien que le 29 juin, 2250 cartouches de gaz lacrymo ont été utilisées contre les manifestations. Et même le soir, tandis que les manifestants tentaient de se remettre des événements en s’asseyant aux terrasses du coin pour se manger un petit souvlaki (kebab grec), ils ont encore dû subir des raids de la “police delta” – escadron spécial de deux flics sur une moto, un qui conduit, l’autre qui donne des coups de matraque et qui balance des lacrymos.

    Mais cette tentative de “donner une bonne leçon” à la nouvelle couche de militants s’est retournée contre l’État. Encore et encore, les manifestants ont tenté de reprendre la place centrale d’Athènes. Une nouvelle couche de militants a développé une réelle détermination, et ceci sera important dans les luttes futures.

    Le mémorandum est passé

    L’objectif du mouvement des Indignés et des syndicats était clair : Non à un “second mémorandum”, c’est à dire à un nouvel énorme plan de coupes budgétaires brutales et d’autres attaques contre la classe ouvrière – un plan dicté par la “troïka” de l’UE, de la BCE et du FMI (Union européenne, Banque centrale européenne et Fonds monétaire international). C’était la nouvelle étape de la résistance. Les opposants ne voulaient pas que la majorité des dirigeants syndicaux (dont la plupart sont toujours liés au parti Pasok au pouvoir) se contente d’appeler à une autre petite grève générale d’une journée dans le seul but de laisser échapper la vapeur, puis de renvoyer tout le monde à la maison en espérant que ça leur ait suffi. Le mouvement des Indignés est donc parvenu à forcer une intensification des actions de résistance afin de tenter d’empêcher les plans des capitalistes européens et grecs et de leurs agents politiques.

    Toutefois, malgré les énormes protestations de rue au cours de la grève générale du 15 juin, qui a vu 250 000 personnes défiler dans les rues d’Athènes, de même que des manifestations partout dans le pays et le mouvement d’occupation des Indignés dans diverses villes majeures, auxquelles il faut ajouter la grève générale de 48 heures et la détermination de dizaines de milliers d’opposants face au gaz lacrymo et à la brutalité policière, le parti Pasok au pouvoir a utilisé sa majorité au Parlement pour voter en faveur du plan d’austérité drastique. 154 des 155 députés Pasok “socialistes” et un député du parti libéral Nouvelle Démocratie ont voté pour, donnant ainsi une majorité de 155 voix “pour” sur 300 députés. Le seul député Pasok qui a osé voté “contre” a été immédiatement exclu de son parti.

    La Frankfurter Allgemeine Zeitung, qui est un des principaux journaux allemands, a cité dans son édition du 30 juin le ministre grec des Finances, M. Venizelos : « Nous faisons ce qui nous est ordonné et ce qu’on nous permet ». Un peu plus loin, ce journal rapportait aussi le fait qu’un député Pasok avait demandé à savoir à quoi sert son travail, si toutes les décisions sont de toutes manières prises par le FMI, l’UE et la BCE. Commentaire du journal : « En fait, à l’avenir, la Grèce ne sera plus qu’une démocratie limitée. La population grecque peut voter – mais cela ne changera en réalité pas grand’chose ».

    En suivant cette approche, le Parlement a également voté le 30 juin en faveur d’une législation permettant au gouvernement de mettre en pratique le programme de coupes. Cela inclut la création d’une agence de privatisation, dont l’objectif sera de privatiser les compagnies du public et de vendre les actifs détenus par l’État, pour un total de 50 milliards d’euro et ce, d’ici 2015. On a également voté de nouvelles hausses d’impôts, la destruction de 150 000 nouveaux postes dans le public, et une nouvelle coupe dans le budget de la sécurité sociale (qui n’était déjà pas grand chose au départ). Par conséquent, les nouveaux chômeurs grecs devront “vivre” avec un maximum de 450€ par mois (cela étant le plafond maximum d’allocation de chômage), alors que les prix à Athènes sont toujours bel et bien comparables à ceux de Londres. Et cette allocation ne sera versée que pour les premiers douze mois de chômage – après cela, il n’y aura plus aucune allocation sociale, et il faudra aux chômeurs et à de nombreuses autres personnes aller demander l’aumône à l’église, à moins d’avoir une famille et des amis capables de les soutenir.

    Avec les mesures d’austérité qui ont déjà été mises en vigueur jusqu’ici, les conditions de vie des travailleurs, des chômeurs et des pensionnés ont été gravement endommagées. Dans le secteur privé, les salaires ont été baissés de 10-20%.

    Les nouvelles mesures adoptées la semaine passée au Parlement grec préparent le terrain pour encore plus d’instabilité économique, sociale et politique.

    Les effets économiques de la crise et de la politique d’austérité sont dévastateurs. Loin d’initier la reprise tant promise, le chômage continue à augmenter (un nouveau pic est maintenant atteint avec 20% de chômage, dont 39% des moins de 25 ans). La “croissance” économique grecque est d’un misérable +0,2% – bien en-dessous de la moyenne de la zone euro. Les mesures drastiques mises en œuvre sapent en réalité toute possibilité de reprise et poussent la société de plus en plus près de l’effondrement.

    Pour reprendre les termes du magazine britannique The Economist (30/06/2011), ce programme « va très certainement condamner la Grèce à la récession, aux troubles et au final, à la faillite »

    Même les analystes capitalistes considèrent maintenant la stratégie de la troïka plus comme un “avertissement” aux autres pays de la zone euro qui ont des problèmes similaires, plutôt que comme une tentative de résoudre la crise grecque. Cela fournit également aux multinationales une bonne occasion de s’emparer des entreprises d’État grecques, comme la compagnie des télécoms OTE ou la compagnie électrique DEI, selon des termes plus qu’avantageux pour les “investisseurs” étrangers, à seulement 20-30% de la valeur d’avant-crise de leurs actions.

    Wolfgang Münchau dans le Financial Times (27/06/2011, avant le vote du Parlement) faisait ce commentaire : « La stratégie de l’UE réduit le choix des Grecs à ceci : la faillite le mois prochain, ou l’an prochain ».

    Ce délai d’un an semble bien optimiste, comme l’explique l’éditorialiste de The Economist (30 juin) : « Chaque trimestre, avant que les pays de la zone euro et le FMI ne donnent leur paquet d’aide suivant, ils doivent décider si oui ou non la Grèce est sur la bonne voie. Et chaque trimestre il sera de plus en plus clair que la réponse est : non ».

    Le non-paiement de la dette par la Grèce aurait des répercussions gigantesques, et remettrait en question l’ensemble du projet de l’euro et mènerait à de nouveaux revirements économiques et politiques spectaculaires. Mais le non-paiement, tout en offrant au capitalisme grec un certain espace pour pouvoir respirer, n’est pas une issue pour les travailleurs, pour les jeunes, les pauvres et les classes moyennes, à moins que cela ne soit lié à une rupture avec le capitalisme. De même, quitter l’euro tout en restant dans le cadre du capitalisme signifierait une chute du niveau de vie sur base de la dévaluation de l’extérieur plutôt que de l’intérieur.

    Un programme d’austérité forcé à coups de lacrymo

    Pour pouvoir mettre en œuvre les dernières mesures d’austérité, une pression énorme de la part de l’UE et des institutions capitalistes, ainsi qu’une vaste campagne de propagande médiatique ont été utilisées. Ollie Rehn, Commissaire européen pour l’Économie, a bien expliqué son point de vue : « La seule manière d’éviter la faillite immédiate consiste en l’acceptation par le Parlement du programme économique révisé ». Les politiciens des principales puissances européennes ont bien souligné le fait qu’il n’y a pas de “plan B” pour éviter la faillite dans les jours qui viennent. Le gouverneur de la Banque centrale grecque, M. Georgios Provopoulos, a lui aussi déclaré : « Refuser de voter en faveur de ce plan serait un crime de la part du Parlement », car cela signifierait que « Le pays serait en train de voter son suicide ».

    Le Vice-Premier Ministre grec Theodoros Pangalos, a dépeint ce tableau de cauchemar : « Retourner à la drachme signifierait que le lendemain, les banques seraient prises d’assaut par des hordes de gens terrifiés cherchant à reprendre leur argent ; l’armée se verrait obligée de les protéger avec des tanks, parce qu’il n’y aurait pas assez de policiers … Il y aurait des émeutes partout, les boutiques seraient vides, des gens se jetteraient par les fenêtres ».

    Ayant communiqué cet avertissement, le gouvernement Pangalos a donc organisé des émeutes de lui-même par en-haut, avec des ordres clairs demandant à la police de lancer une attaque chimique – les lacrymos – contre les manifestants dans la capitale grecque. Les actions de la police ont été si néfastes que le président de la fédération des pharmaciens d’Athènes – lui-même membre du parti libéral Nouvelle Démocratie – a jugé dangereux l’usage des gaz lacrymos, irresponsable et complètement hors de toute limite. Le syndicat des médecins a confirmé ceci en déclarant qu’une telle intensité dans l’utilisation de ces gaz va même à l’encontre de la Convention de Genève !

    Les attaques brutales perpétrées par la police ont été ordonnées afin d’accomplir les souhaits des grandes puissances capitalistes en Europe et ceux des hommes d’affaires grecs, qui veulent s’assurer que les sommes gigantesques en bons d’État et autres produits de spéculation troqués par les banques, les grosses boites et des pays comme la France, l’Allemagne, les USA, et d’autres, seront protégées ne serait-ce que pour la courte période à venir.

    État du mouvement de résistance

    Après l’échec des espoirs d’empêcher le vote du Parlement en faveur du mémorandum, 10 000 manifestants ont rempli la place Syntagma le soir du 30 juin, ce qui est jusqu’ici une des plus grandes assemblées. Ceci a en soi grandement redonné de la confiance aux participants. Le sentiment de solidarité mêlé aux rapports des batailles des deux derniers jours, tandis que des nuages de gaz flottaient toujours dans l’air, a grandement accru la détermination de nombreux participants.

    Toutefois, le mouvement des Indignés doit faire face à des difficultés et à un revers. Si nous ressassons le fil des événements des dernières semaines, il est clair que la grève générale du 15 juin était le pic mouvement, où toutes les questions cruciales se sont posées.

    Le gouvernement Pasok était comme suspendu. Le mouvement des Indignés et les actions de grève montraient leur force. Mais quelle était l’alternative aux plans du gouvernement ? Tout le monde voulait se débarrasser du gouvernement, et très peu de gens voulaient aussi un retour de Nouvelle Démocratie au pouvoir – mais quelle est l’alternative ? Tandis que la journée du 15 juin se terminait dans les émeutes et les nuages de gaz, forçant la masse des gens à quitter la place Syntagma (bien que des dizaines de milliers soient revenus quelques heures plus tard !), une autre question cruciale se posait : comment le mouvement de masse peut-il se développer de sorte à permettre à la classe ouvrière d’y participer ?

    Étant donné la tactique de frein employée par les dirigeants syndicaux, le rôle des partis de gauche de masse et la faiblesse du mouvement d’opposition de masse, aucune réponse n’a été donnée à ces questions. Un programme pour mettre fin à la dictature des marchés, de la troïka et du capitalisme grec était nécessaire, mais n’a pas été mis en avant par ces forces.

    Une stratégie d’intensification de la lutte après la grève générale de 48 heures était nécessaire afin de montrer la route à suivre, même au cas où le Pasok ferait quand même passer le mémorandum en faveur de la nouvelle politique d’austérité. Les idées et les tactiques sur la manière de construire un véritable mouvement de masse avec la participation active de la classe ouvrière sur les lieux de travail et avec une structuration des assemblées par l’élection de représentants à des organes de masse et par une démocratie complète – tous ces points urgents étaient absents.

    Pour cette raison, et aussi du fait du soutien sans faille à la grève de 48 heures, le taux de participation aux manifestations a été bien plus bas que celui de la semaine passée, au moment de la grève générale du 15 juin. L’humeur a changé au cours des deux semaines qui ont mené à la grève générale de deux jours. Les immenses frustration, amertume et colère quasi-universelles sont toujours bien présentes – contre la vente des services publics à des compagnies internationales et grecques, contre la hausse des taxes et les coupes salariales, et contre une autre chute catastrophique du niveau de vie. Toutefois, le sentiment de victoire qui avait suivi l’annonce de sa démission par Giorgios Papandreou (le Premier Ministre et dirigeant du parti Pasok) pendant la grève générale du 15 juin a été remplacé par une certaine déception lorsque Papandreou est revenu sur cette proposition. Le gouvernement Pasok a été réarrangé, certains ministres ont changé de place. La direction du Pasok tente de restabiliser ses députés, de les forcer à se regrouper afin d’éviter des élections anticipées et de pouvoir s’accrocher au pouvoir.

    Cela a suscité une remise en question dans l’esprit des gens, quant à la possibilité qu’ont le mouvement d’opposition, les assemblées de masse sur les places partout dans le pays, les grèves générales et les manifestations de masse de bloquer les attaques et de changer quoi que ce soit.

    Bien sûr, comme l’Histoire l’a démontré à maintes reprises, la résistance déterminée de la classe ouvrière et la lutte des masses pour leurs propres buts peut forcer les gouvernements et les capitalistes à faire toutes sortes de concessions, voire briser leur pouvoir. Cependant, des méthodes victorieuses doivent être redéveloppées et redécouvertes au cours des nouvelles batailles qui émergent de la crise capitaliste mondiale. Les marxistes peuvent jouer un rôle dans ce processus, et même aider à l’accélérer, afin d’assurer le fait que les leçons cruciales des luttes du passé soient toujours présentes pour la nouvelle génération de combattants de classe.

    Défendre les manifestations

    Un important enjeu auquel a été confronté le mouvement, a été l’utilisation inconsidérée de gaz lacrymos et autres armes chimiques par la police le 15 juin, et la certitude que cela se reproduirait. Cela a été confirmé par la détermination de la police à briser le mouvement et à empêcher les masses de rester sur la place.

    Cela a compliqué la mobilisation pour les manifestations pendant la grève générale de deux jours. Les masses avaient besoin d’une stratégie claire permettant de répondre aux émeutes et à la brutalité policière, de même que d’une alternative politique pour faire chuter le gouvernement, liée à la lutte contre le capitalisme. Au final, le mouvement n’est pas parvenu avant la grève générale de 48 heures à répondre à la question des provocateurs policiers et du petit nombre d’anarchistes qui continuaient à trouver des arguments en faveur de leurs émeutes.

    Après que les 250 000 manifestants du centre d’Athènes aient été expulsés de la place Syntagma le 15 juin par la police, seulement quelques dizaines de milliers ont réoccupé la place plus tard dans la journée. Il était évident que les émeutes avaient joué un rôle en faveur du gouvernement. Clairement, l’État a de bonnes raisons d’envoyer des flics en civil parmi les manifestants pour y démarrer des émeutes, et cela est largement compris en Grèce.

    Une majorité des participants aux assemblées qui ont suivi ont défendu le droit à l’auto-défense par les manifestants, mais ont insisté sur l’appel à des manifestations pacifiques, pour les rendre attractives et pour donner la possibilité à la masse des travailleurs de s’y rendre. Ce n’est que lors des plus petites assemblées sur la place Syntagma qu’une majorité s’est prononcée en faveur des émeutes – les assemblées plus larges ont rejeté cet argument.

    Cependant, toutes les propositions aux assemblées et aux syndicats en faveur de l’organisation d’un véritable service d’ordre pour défendre les manifestations contre la police et contre les provocateurs n’y ont dans la pratique pas trouvé de réponse. Au final, la décision des principales assemblées de la place Syntagma était assez floue pour la plupart des travailleurs et des jeunes.

    Le manque d’une alternative politique

    De nombreux travailleurs et jeunes ont ressenti de la sympathie envers le mouvement, mais ont également vu les risques que comporte la participation aux manifestations, face à une police déterminée et violente. Les travailleurs n’ont pas reçu un programme et des revendications de classe clairs qui puissent les amener à participer au mouvement de manière active. La tactique d’intimidation et le chantage du gouvernement Pasok, son affirmation que l’alternative à son programme serait les tanks dans les rues pour protéger les banques, l’arrêt immédiat des salaires et des allocations des travailleurs du public et des retraités, etc. semblent avoir partiellement fonctionné, parce qu’aucune force alternative de masse – ni les syndicats, ni les grands partis de gauche – n’a proposé la moindre alternative de classe viable.

    Les principaux dirigeants syndicaux sont membres du Pasok, et ce n’est que sur base de l’immense pression de la base qu’ils se sont sentis obligés d’appeler à une grève générale de 48 heures. GENOP, le syndicat des travailleurs de l’électricité de la compagnie DEI (qui appartient toujours jusqu’à présent à 51% à l’État) est parti en grève contre la privatisation. Toutefois, cette action était une grève “silencieuse”. Les grévistes n’ont pas été mobilisés par le syndicat pour participer aux mouvements et aux manifestations, et sont à la place restés chez eux. Leur dirigeants ont également annoncé à l’avance, avant la grève générale de 48 heures, que leur grève ne durerait que jusqu’au 30 juin. L’effet de ce genre de grève a par conséquent été extrêmement limité.

    Le KKE (Parti communiste grec) a décrété que le mouvement d’occupation est “petit-bourgeois” et ne met en avant “aucune proposition” – ni politiquement, ni en tant que stratégie sur la façon de mener la lutte. Il y a un élément de vérité dans cela, mais en l’absence d’une véritable alternative militante, le mouvement des Indignés a fourni un point de référence pour ceux qui voulaient riposter. Les dirigeants du KKE ont été incapables d’appeler au-delà de leurs propres sympathisants, et tout en parlant de manière abstraite de la fin du capitalisme, n’ont fait absolument aucune proposition sur la manière de développer la lutte, ont refusé d’appeler au renversement du gouvernement, et ont insisté sur le fait qu’un éventuel retrait de la zone euro serait “mauvais” pour la Grèce.

    Le dirigeant de Syriza, Tsipras, et sa plus grande composante, Synaspismos (“euro-communiste”), n’ont pas appelé au non-paiement de la dette souveraine due aux banquiers ni à la nationalisation des banques. Synaspismos a tenté de défendre l’institution européenne de manière abstraite, et a aussi défendu le fait qu’il faut selon lui rester dans la zone euro. Le parti reste cloitré dans une logique qui ne sort pas du cadre du capitalisme, un système qui impose la misère et le chômage à la population laborieuse grecque.

    Xekinima, la section grecque du CIO, n’a défendu ni le fait de rester membre de l’UE ou de la zone euro, qui représentent toutes deux l’Europe des patrons, ni le fait de retourner au drachme, l’ancienne monnaie grecque. Seule une lutte unie des travailleurs et des jeunes à travers toute l’Europe et dans le monde entier, contre la politique d’austérité et contre le capitalisme, et une lutte pour une Europe unifiée en tant que membre d’une confédération d’États socialistes, peut apporter une solution définitive à la crise. Cela verrait une véritable coopération internationale entre les travailleurs, sur base d’une économie démocratiquement planifiée.

    Si les travailleurs et la jeunesse grecs parviennent à mettre un terme aux mesure d’austérité draconiennens qui leur sont imposées par les capitalistes européens et grecs, cela pourrait mener à la tentative d’expulser la Grèce hors de la zone euro. Toutefois, cela ouvrirait la porte à une nouvelle étape de résistance de masse à l’échelle européenne afin de forcer les grandes puissances et les classes capitalistes à faire de nouvelles concessions et de remettre en question leur règne en général. Plutôt qu’une “solution nationale” avec le retour à la drachme – ce qui engendrerait une hausse subite des prix et de l’endettement des travailleurs, et des réductions de salaire dues à la dévaluation de la monnaie nationale – il nous faut une stratégie socialiste internationale. Et comme l’a montré la récente résistance de masse à l’échelle internationale – en Égypte, en Tunisie, en Espagne, au Portugal et en Grèce – le potentiel pour une riposte unie existe, tout comme la création instinctive de liens entre ces luttes.

    Les Indignés

    Le mouvement des Indignés a connu un développement rapide depuis l’occupation de la place Syntagma le 25 mai. Les résolutions adoptées par les assemblées ont souvent été contradictoires. Souvent, un pas en avant était suivi par un demi-pas en arrière le lendemain. Cependant, en général, ces résolutions ont reflété un développement de la compréhension des militants : nombre d’entre eux ont vu la nécessité de relier leur mouvement à celui des travailleurs et des grévistes, et cela a été de plus en plus mis en avant. Les revendications politiques se sont développées jusqu’au point où il est maintenant accepté non seulement le refus du paiement de la dette, mais aussi d’appeler à la nationalisation des banques. Des propositions pour aller plus loin, y compris la nationalisation des principales entreprises sous contrôle et gestion des travailleurs, ont été discutées.

    Les premières tentatives d’étendre les assemblées sur le plan local ont été couronnées de succès – organisées par des militants de gauche, des assemblées allant jusqu’à 200 personnes se sont rassemblées dans différents quartiers d’Athènes. Un appel à former des assemblées sur les lieux de travail a lui aussi été lancé, mais a rencontré des difficultés et n’a pas jusqu’ici reçu de véritable réponse, bien que le concept général ait été mis en avant.

    Une première tentative de former un comité de représentants des assemblées locales, des dirigeants syndicaux les plus combatifs représentant les travailleurs communaux, et de l’assemblée de la place Syntagma a échoué. Toutefois, cela a montré la direction à suivre pour aller de l’avant. Un tel comité aurait pu exercer une pression sur les principaux dirigeants syndicaux pour aller plus loin, et aurait pu les mettre en question quant à leur approche.

    En ce qui concerne d’autres enjeux, l’assemblée a été à chaque étape naïve et n’a jamais pris en compte le rapport de forces. Malgré ses annonces, l’assemblée n’a jamais été capable de mobiliser pour des grèves ou des occupations d’entreprise. Il aurait fallu une approche plus habile afin d’attirer les militants syndicaux combatifs et d’exercer une pression plus intense encore sur les appareils.

    À côté de ça, la plus grande faiblesse du mouvement des Enragés a été son incapacité à gérer les émeutes et l’approche soi-disant “apolitique” de certains opposants.

    Comme nous l’avons dit plus haut, une position claire d’auto-défense des manifestations contre la police et les agents provocateurs était nécessaire afin de permettre une participation plus large de nouvelles couches de travailleurs et de jeunes, et d’accroitre la force du mouvement de masse. Au cours des discussions des assemblées, la discussion sur la dynamique politique de centaines de milliers de participants au actions, par exemple, du 29 juin, a reçu très peu d’attention par rapport à l’espace qui a été donné à l’élaboration de plans pour bloquer telle ou telle route, dont aucun ne s’est de toute manière concrétisé faute de participants.

    Bien que les arguments “apolitiques” et l’opposition à “tous les partis” ont en partie perdu du terrain au cours des débats, cette attitude était toujours présente et a agi comme un obstacle par rapport aux besoins et aux développement du mouvement de masse.

    Des mesures telles que le refus de payer les dettes ou la nationalisation des banques, par exemple, sont dirigées contre les intérêts des capitalistes et sont politiques. La nécessité de formuler une alternative au chantage et à la tactique d’épouvantail du gouvernement Pasok et des médias capitalistes exige ne serait-ce que l’ébauche d’une perspective politique claire.

    Le sentiment “contre tous les partis” est compréhensible, étant donné le niveau de corruption, l’hypocrisie et la politique de tous les partis de l’establishment. Les grands partis de gauche ont eux aussi tout fait pour renforcer la méfiance dans les organisations de parti ou dans les “concepts politiques”.

    Toutefois, la revendication de rester “apolitique” a entravé le mouvement et sa progression – au moment où la situation était la plus urgente. La possibilité d’une chute du gouvernement a immédiatement soulevé la question d’une alternative, basée sur l’implication active des travailleurs via leurs assemblées, avec l’extension de ces organes sur le plan local et sur les lieux de travail, avec l’élection de délégués qui représentent l’ensemble du mouvement, à condition de rendre des comptes en permanence aux assemblées qui les ont élus, et être révocables à tout moment.

    L’argument du gouvernement Pasok comme quoi “il n’y a aucune alternative” a mis en évidence la nécessité d’un programme viable, qui place les immenses ressources de la société entre les mains des travailleurs, afin de développer un plan démocratique pour surmonter la crise économique.

    Le fait est qu’il n’y a réellement absolument aucune solution au problème de la Grèce, et à la crise mondiale du capitalisme. Les attaques internationales sur les travailleurs mettent exactement le doigt sur la nécessité d’une réponse de la part de la classe ouvrière, sur la nécessité d’une coopération internationale pour combattre le capitalisme.

    Ces développements mettent en relief la nécessité pour les Indignés et pour les militants syndicaux combatifs, dans les appareils comme sur les lieux de travail, de transformer leur mouvement en une nouvelle force de masse des travailleurs, qui offre une alternative. Ceci pourrait contribuer à éjecter les dirigeants syndicaux qui sont toujours liés au parti pourri qu’est le Pasok, et à revigorer le débat sur le programme et la stratégie à adopter pour mettre un terme à la misère capitaliste, une bonne fois pour toutes.

    Cependant, avec les assemblées, les contours d’un nouveau centre du mouvement a été vu, qui pourrait aider la lutte à franchir les barrières des structures syndicales conservatrices et bureaucratiques, et de la faillite des partis de gauche. Le mouvement et les assemblées ont été qualifiées de “petit-bourgeois” par certaines personnes à gauche – surtout par le KKE. Il est vrai que la classe ouvrière n’a pas encore imprimé sa marque de manière décisive sur l’orientation principale du mouvement d’opposition. Mais les assemblées sont bel et bien parvenues à défier les dirigeants syndicaux et à remettre en question leur monopole sur les décisions quant au cours que devrait suivre le mouvement ouvrier. Cette tendance pourrait s’avérer extrêmement puissante à l’avenir, si des assemblées de travailleurs de la base devaient se créer dans les usines et les bureaux, en organisant un débat franc et ouvert, en prenant des décisions collectives et en élisant des représentants pour faire appliquer les décisions des travailleurs et pour former la base d’une nouvelle démocratie ouvrière !

    Préparons-nous pour septembre !

    Puisque les méthodes traditionnelles de lutte de masse – via les syndicats et les partis de gauche de masse – sont soit semées d’embuches, soit pas viables du tout, les travailleurs, les jeunes et les chômeurs en Grèce ont été forcés d’inventer, encore et encore, de nouvelles manières d’exprimer leur colère et de chercher une manière de riposter. On a vu cela avec le mouvement du “non-paiement” des péages routiers, qui a duré les trois premiers mois de cette année. Les péages routiers ont été démantelés par des manifestants, et des campagnes de non-paiement ont été organisées dans les bus et dans les trains. Le développement des assemblées et du mouvement des Enragés a vu de nouvelles tentatives d’auto-organisation être mises à l’épreuve. Quelle nouvelle expression de la colère des travailleurs sera créée dans les mois qui viennent ?

    Pour Xekinima, la section grecque du CIO, il faut utiliser la détermination des militants qui refusent d’abandonner la lutte, pour discuter des leçons du mouvement et de la manière de le développer. Après la défaite qu’a été le vote du mémorandum au Parlement, nous allons sans doute assister à une pause dans le mouvement, jusqu’à la fin de la vague de chaleur estivale et des vacances en aout. Mais les membres de Xekinima sont convaincus du fait qu’il est nécessaire d’organiser cette pause de manière ordonnée, de discuter dans les assemblées de l’opportunité d’une éventuelle pause, de sorte à éviter une nouvelle vague de démoralisation qu’engendrerait un déclin désordonné du taux de participation. Pour Xekinima, cette période devrait être utilisée pour préparer de nouvelles assemblées des militants enragés dans les quartiers et sur les lieux de travail, pour prendre un nouveau départ sur base de plans concernant les prochaines étapes du mouvement de la base.

    Xekinima met en avant la revendication selon laquelle le mouvement des Indignés et d’opposition de masse à l’austérité devrait jeter les bases d’un nouveau mouvement ou formation politique, basé sur des revendications anticapitalistes radicales. Selon de récents sondages, seules 47% des masses grecques se disent prêtes à aller voter pour l’un ou l’autre des partis existants, de droite comme de gauche, ce qui illustre le potentiel pour une alternative socialiste déterminée.

    Ce n’est pas que le gouvernement Pasok qui a été pris de court par le mouvement de masse, mais les gouvernements de toute l’Europe. Le mouvement a inspiré les travailleurs et les jeunes à travers toute l’Europe, et dans le monde entier – de la même manière que la rébellion espagnole et la vague révolutionnaire en Afrique du Nord et au Moyen-Orient ont inspiré le mouvement grec. Si les Indignés parviennent à organiser une nouvelle série d’assemblées afin de débattre et de clarifier les idées, et à revenir dans les rues après l’été pour reprendre la lutte contre de nouvelles attaques et contre chacune des tentatives de mettre ce mémorandum en application, alors les possibilités sont là pour que ce mouvement de masse aille beaucoup plus loin.

  • Monde et Europe: Une nouvelle période d’instabilité et de révolutions (1)

    Thèses du bureau européen du CIO

    Début avril, des dirigeants du CIO venus d’Europe, mais aussi du Pakistan et d’Israël, se sont rencontrés pour discuter des développements internationaux, et en Europe en particulier. Les thèses suivantes y ont été discutées et amendées après discussion.

    Il y a à peine trois mois que s’est tenu le Congrès Mondial du CIO, et depuis la situation mondiale a radicalement été modifiée par les révolutions au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Puis, il y a eu la double catastrophe naturelle du séisme et de l’immense tsunami au Japon. Ces événements ont servi à renforcer l’impression, créée par la crise économique persistante, d’un monde en chaos. Le danger de la fusion des réacteurs nucléaires – et des répercussions que cela pourrait avoir avec la possibilité de retombées radioactives à la Tchernobyl – a aussi eu pour effet de souligner l’irresponsabilité du capitalisme en ce qui concerne l’environnement. La construction de centrales nucléaires sur des lignes de faille sismiques reconnues, avec la fuite de particules radioactives et les dangers de tout un héritage de déchets nucléaires pour les générations futures, a horrifié le monde.

    La révolution au Moyen-Orient et en Afrique du Nord

    Le CIO avait bel et bien prédit les événements du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord. Dans le dernier document sur les relations mondiales adopté lors du 10ème Congrès du CIO en décembre 2010, nous avions correctement anticipé le fait que le Moyen-Orient était au bord d’une explosion sociale, mettant en avant la possibilité du renversement du régime Moubarak. Nous avions entre autres écrit ceci : ”Un autre “point chaud” pour l’impérialisme est le Moyen-Orient. Il n’y a aucun régime stable dans la région” (paragraphe 54). En particulier, nous avions prédit dans le même document que : ”Bien que le conflit entre les Arabes et les Israéliens est important, ce n’est pas le seul facteur qui doit être pris en considération lorsque nous établissons les perspectives pour cette région. Plus que jamais, la situation économique de ces pays les prépare à de grands mouvements sociaux et politiques. C’est particulièrement le cas pour l’Égypte … des revirements d’une ampleur sismique sont à l’ordre du jour dans ce pays. Le règne de Moubarak, long de 30 ans, approche de sa fin”. (paragraphes 62-63). Ce pronostic a été confirmé par les événements tumultueux qui se déroulent encore en ce moment, et par lesquels la révolution ou l’idée de révolution a bondi d’un pays à l’autre.

    En conséquence de ces mouvements, on a une fois de plus vu venir à l’avant-plan la théorie trotskiste de la Révolution permanente. Toutefois, les idées de Trotsky ne se prêtent pas à une interprétation superficielle et unilatérale de la manière dont le processus de Révolution permanente va se dérouler. Trotsky n’a jamais envisagé un processus linéaire et direct. Les révolutions russes n’ont pas triomphé sans de sérieuses tentatives de contre-révolution. En Tunisie et en Égypte, étant donné la non-préparation des masses et le manque d’organisations indépendantes, couplés au fait que l’appareil sécuritaire militaire du vieux régime n’a pas été complètement démantelé, la contre-révolution allait forcément poser une grave menace à la victoire encore non assurée des masses. L’impact de la révolution était à son tour conditionné au fait que les masses venaient d’émerger de la nuit noire de décennies de dictature, ce qui était également renforcé par le manque de véritables partis ouvriers révolutionnaires, avec des cadres capables de rapidement orienter les masses politiquement. Néanmoins, chaque effort de la contre-révolution n’a fait que provoquer une opposition tenace, et, à chaque fois qu’il semblait hésitant ou endormi, a ressuscité le mouvement de masse contre les restes des vieux régimes et, en Tunisie, a poussé la révolution plus en avant.

    En Égypte, l’occupation du quartier général de la police secrète – après des rumeurs selon lesquelles ses agents tentaient de détruire des fichiers détaillant la torture sous le régime Moubarak et le rôle que l’armée a joué dans celle-ci –, de même qu’un mouvement tout aussi tenace que celui de Tunisie, indiquent qu’une révolution ne peut pas être aussi facilement balayée. Mais l’intervention impérialiste en Libye (la soi-disant “zone d’exclusion aérienne”) fait partie d’une tentative d’intimider les masses révolutionnaires. Elle se fait passer pour un soutien à l’opposition libyenne alors qu’en réalité, elle est partie prenante d’une offensive générale de la réaction dans la région et à l’échelle internationale qui tente de stopper et de compliquer le processus révolutionnaire. Elle est aussi une tentative d’assurance de la part de l’impérialisme occidental afin d’assurer le maintien de son emprise sur les ressources pétrolières de la Libye. Après avoir courtisé Kadhafi, lui avoir fourni des armes, etc., la meilleure manière maintenant, selon les calculs de l’impérialisme, d’accomplir ses objectifs est d’abandonner son ancien “ami” pour s’assurer d’être “du bon côté de l’Histoire” – surtout de l’Histoire économique ! Comme l’ont montré les événements en Égypte, en Tunisie et, plus récemment, au Yémen, ils n’y parviendront pas.

    Le massacre brutal au Yémen n’a servi qu’à renforcer la résolution du mouvement de masse, menant à la plus grande manifestation encore jamais vue contre le régime, et au départ probable de Saleh. La défection du chef du personnel de l’armée, qui est passé au camp de la révolution, a été un moment crucial. Ceci indique que Saleh n’a pas assez de forces sur lesquelles se baser. Mais l’accueil qui a été fait au général par l’opposition yéménite montre la confusion de la conscience – c’est le moins que l’on puisse dire – parmi les rangs de la révolution. Son portrait a été enlevé de la gallerie des méchants contre-révolutionnaires, et replacé parmi les anges !

    L’intervention brutale de l’Arabie saoudite au Bahreïn pour y écraser la révolution est destinée à intimider les masses bahreïnies, de même que les travailleurs et paysans des pays qui ne se sont pas encore engouffrés dans la vague révolutionnaire, afin de les décourager de marcher dans les traces de l’Égypte et de la Tunisie. En interne, dans chaque pays, la contre-révolution attend son heure – forcée maintenant de plier sous le vent révolutionnaire – jusqu’à ce qu’elle puisse utiliser les déceptions engendrés par les résultats de la révolution afin de contre-attaquer. Le référendum sur les amendements constitutionnels des généraux venait seulement d’être terminé en Égypte, que l’armée a annoncé son intention de restreindre et de bannir les manifestations et les grèves. Néanmoins, la tendance dans la prochaine période sera à un approfondissement de la révolution mais, bien sûr, les perspectives varient d’un pays à l’autre.

    De plus, il ne faut pas exclure une nouvelle guerre au Moyen-Orient. Le déclenchement d’une telle guerre pourrait provenir de la recrudescence de violence entre Palestiniens et Israéliens, avec l’attentat qui a fait sauter un bus à Jérusalem et l’accroissement du conflit à et autour de Gaza. Si une telle guerre survenait, et en particulier si elle venait à se développer en un conflit majeur, elle pourrait impliquer les États arabes ; l’armée égyptienne, par exemple, qui n’est plus maintenant tenue en laisse par le régime servile pro-USA et pro-Israël de Moubarak. Dans la nouvelle situation, la pression de la part des masses arabes pour défendre les Palestiniens sera intense. Ceci sera encore plus le cas si des mouvements de masse comme celui du 15 mars en Cisjordanie continuent à se développer.

    Au moment où ce document était en préparation, la Libye se tenait dans l’œil du cyclone. Pour toutes les raisons que nous avons expliquées – dans les articles sur notre site – la situation en Libye est bien plus compliquée que les processus en Égypte et en Tunisie, étant donné le caractère particulier du régime Kadhafi. Il ne fait aucun doute que le régime Kadhafi est couvert de sang. L’insurrection de Benghazi a tout d’abord vaincu les troupes de Kadhafi – dirigées par ses fils – qui ont alors fui pour se mettre à l’abri à Tripoli. Des comités populaires ont commencé à prendre forme, mais ont malheureusement été dominés – et ceci a été renforcé depuis – par des forces bourgeoises et petites-bourgeoises, dont d’anciens ministres du régime Kadhafi. Notre revidencation qui demandait que ces comités soient fermement ancrés parmi les masses, avec une pleine démocratie ouvrière, et sur base d’un programme clair, aurait pu mener, si nécessaire, à la formation d’une armée révolutionnaire. Celle-ci aurait pu se développer de la même manière que les colonnes de Durutti après l’insurrection contre les fascistes à Barcelone au début de la Guerre civile espagnole en juillet 1936. La simple annonce d’une telle force aurait pu en soi avoir été l’étincelle qui aurait mené à une insurrection victorieuse contre Kadhafi à Tripoli.

    Le caractère tribal de la Libye – renforcé par des divisions régionales, en particulier entre l’Ouest et l’Est – a permis à Kadhafi d’obtenir une certaine marge de manœuvre. Le fait de brandir le drapeau royaliste – le roi Idris provenait de Benghazi et était à la tête de la “tribu” Senoussi qui regroupe un tiers des Libyens – a permis au régime de Kadhafi de dépeindre Benghazi comme étant la base des forces contre-révolutionnaires qui souhaitent renverser le cours de l’Histoire. Cette impression a été renforcée par la décision des dirigeants du mouvement de Benghazi de faire appel à l’assistance de l’impérialisme – avec leur “zone d’exclusion aérienne”. Ceci représentait une volte-face par rapport à la position précédente à Benghazi, qui s’opposait à l’intervention impérialiste en disant : ”Les Libyens peuvent le faire eux-mêmes”.

    Il est difficile de définir exactement de quelle manière la situation va se résoudre. Le soutien pour la zone d’exclusion aérienne va se désintégrer si les résultats ne mènent pas à un renversement rapide de Kadhafi. L’opinion publique aux États-Unis – où il y a une massive majorité de deux tiers en faveur d’un retrait d’Afghanistan – est opposée à toute campagne terrestre. Les forces US et françaises sont incapables d’entamer une offensive au sol efficace. Qui plus est, l’opinion publique, qui semblait initialement en faveur du bombardement de Kadhafi, pourrait se renverser en son contraire si le nombre de pertes venait à s’accroitre. Les États-Unis et le Royaume-Uni sont déjà débordés par le bourbier afghan. En outre, le soutien pour des mesures militaires au Royaume-Uni est extrêmement ténu, avec une crainte largement répandue – y compris parmi la bourgeoisie – que l’action soit limitée et se mue petit à petit en un engagement militaire prolongé.

    L’impérialisme – associé aux forces de Benghazi – espère qu’une pression militaire suffisante mènera à une répétition de ce qui s’est passé au Yémen, avec la défection des généraux de Kadhafi. D’un autre côté, un blocage sur le plan militaire pourrait survenir, et on assisterait à une partition de la Libye dans les faits. Ceci mènerait probablement à des campagnes militaires ou terroristes contre les principales puissances impérialistes qui se sont engagées contre le régime de Kadhafi. Il est fortement improbable que les forces des grands pays arabes – comme l’Égypte – puissent être utilisées pour renverser Kadhafi, étant donné la nature instable et suspicieuse de l’opinion publique dans le monde arabe en ce qui concerne les interventions extérieures dans la région. Même Amr Moussa – le chef de la Ligue arabe – qui a tout d’abord soutenu la zone d’exclusion aérienne, a été forcé de faire marche arrière lorsque, comme c’était inévitable, des civils ont été tués et blessés par les frappes aériennes britanniques, américaines et françaises. En fait, les grandes puissances impérialistes sont déjà divisées – malgré la résolution des Nations-Unies qui a sanctionné leur action – et ces divisions vont s’accroitre si cette guerre venait à se prolonger et à s’intensifier.

    L’Égypte est une arène cruciale où pourrait se décider la bataille épique entre les forces de la révolution et de la contre-révolution. Les chefs de l’armée, en collusion avec l’establishment politique, les Frères musulmans et les restes du NDP (le parti de Moubarak) ont organisé un référendum visant à supprimer certaines des lois répressives du régime Moubarak et à poser la base pour des élections dans les six mois. Les éléments les plus conscients de l’opposition à l’armée ont appelé à un boycott. Mais l’appel au boycott a eu un certain effet ; il n’y a eu que 41% de participation. Toutefois, l’opposition n’a pas eu assez de succès pour faire échouer le référendum ; 77% de ceux qui ont voté se sont déclarés en faveur des amendements. Notre revendication en faveur d’une véritable assemblée constituante révolutionnaire garde donc toute sa force. Ce qui est crucial par contre est la tâche urgente de construire les forces ouvrières indépendantes, en particulier les syndicats, et de poser la base pour un nouveau parti des travailleurs de masse. L’impérialisme – via les dirigeants syndicaux de droite en Europe et aux États-Unis – intervient comme il l’a fait lors de la révolution portugaise afin de dévoyer les nouveaux syndicats dans une direction pro-capitaliste. Au Portugal, ils ont utilisé les dirigeants syndicaux allemands, alliés au SPD, pour construire le Parti socialiste de Mario Soares et son syndicat affilié, l’UGT, pour contribuer à faire dérailler la révolution.

    En Tunisie, ce sont les mêmes tâches fondamentales qui se posent, mais bien entendu la situation n’est pas identique à celle de l’Égypte. La Tunisie a une certaine histoire d’opposition organisée clandestinement contre Ben Ali, rassemblée en particulier autour des syndicats. Il faut ajouter à cela une conscience culturelle et politique relativement élevée, ce qui veut dire que les masses sont bien conscientes que la révolution a été faite par leurs sacrifices, mais qu’elles n’en ont pas encore récolté les fruits. Néanmoins, ce mouvement de la base est parvenu à renverser toute une série de gouvernements. Nos camarades, en Égypte comme en Tunisie, ont accompli des efforts héroïques afin d’atteindre les forces les plus conscientes et de chercher à les attirer à la bannière du CIO. Ce travail doit continuer au cours de la prochaine période.

    Nous pouvons nous attendre à de nouveaux mouvements qui vont affecter quasiment chaque pays de la région. En plus de l’Égypte, de la Tunisie, de la Libye et du Bahreïn, les régimes de Syrie, des États du Golfe – malgré les pots-de-vin massifs octroyés par la monarchie saoudie –, d’Iraq et même d’Iran seront affectés. Il n’y a aucun retour possible ; il est impossible de réétablir les vieux régimes sur les mêmes bases qu’auparavant. Il y a une réelle soif d’idées, et une demande insistante pour des droits démocratiques partout, de même qu’une haine viscérale des régimes despotiques et dictatoriaux. Du côté de la classe ouvrière, il y a une tentative de créer des organisations indépendantes à la fois sur le plan syndical et politique. Pris tout ensemble, ceci revient à une situation favorable pour les idées du marxisme authentique et du trotskisme. Ce ne sera pas facile, étant donné les idéologies rivales du marxisme contre lesquelles nous nous voyons forcés de lutter. Mais pour la première fois, peut-être, depuis la faillite des partis communistes/staliniens à cause de leurs théories “en stades” erronnées, le terrain n’a jamais été aussi fertile pour la croissance des idées marxistes et trotskistes. De même, la situation économique et sociale générale – largement dominée par le scénario économique mondial et par son impact dans la région – signifie qu’il ne peut y avoir aucune réelle stabilité. Après tout, ç’a été la détérioration de la situation économique, manifestée par le chômage en progression constante et en particulier chez les jeunes, qui a été le facteur déclenchant des insurrections en Tunisie et en Égypte, et de tout ce qui a suivi. Ceci souligne l’importance cruciale d’avoir des perspectives économiques, comme le CIO l’a toujours mis en avant. Cependant, si la classe ouvrière ne devait pas parvenir à imposer sa marque sur la situation – via ses propres organisations indépendantes – ce serait alors l’islam politique de droite, largement marginalisé jusqu’ici, qui pourrait croitre à nouveau. Les conflits en Égypte entre coptes et musulmans (délibérément encouragés par l’armée) en sont un avertissement, tout comme les efforts délibérés de divisions entre chiites et sunnites au Bahreïn

    L’économie mondiale

    Le Moyen-Orient exerce également une énorme influence sur l’économie mondiale, en particulier à travers la matière première cruciale qu’est le pétrole. Et les remous colossaux dans la région ont exercé des pressions à la hausse sur le prix du pétrole, qui va maintenant probablement atteindre des records fumants étant donné les complications militaires en Libye, pays producteur de pétrole. En conséquence de cela, la “reprise” économique mondiale vacillante va sans doute être stoppée, si pas repartir en chute libre. L’envolée actuelle des prix du pétrole est la cinquième hausse de cette ampleur depuis 1973, et à chacune de ces hausses, le résultat a été une récession. Certains experts s’attendent à ce que le prix du pétrole brut atteigne les 160$/barril, d’autres s’attendent à plus encore. Un résultat inattendu de tout ceci est le bénéfice qu’en retirent les États producteurs de pétrole : ainsi, chaque hausse de 10$ du prix du barril gonfle le revenu de la Russie de 20 milliards de dollars supplémentaires ; l’Iran et le Venezuela, de même que les pays arabes, vont eux aussi en tirer parti. Certains ont été capables d’utiliser ceci – comme c’est le cas pour l’Arabie saoudite – pour racheter, ou du moins tenter de racheter, l’opposition interne croissante. Le chœur d’analystes capitalistes qui proclamaient que le capitalisme était en passe de complètement se remettre de la crise et parlaient déjà un peu plus tôt dans l’année de “sommets économiques ensoleillés” s’est complètement fourvoyé.

    Des prétentions similaires avaient été faites en 2005, comme quoi le boom continuerait à jamais. Il est vrai que l’index boursier au Royaume-Uni a passé la barre des 6040 points au tournant de l’année. Cependant, suivre cette logique revient à dire que le meilleur endroit où investir aujourd’hui serait la Mongolie ou le Sri Lanka ! Même cette prétention a été sapée par les inondations dévastatrices au Sri Lanka, où un million de gens ont été affectés et 20% de la production de riz détruite.

    Le tourniquet des marchés boursiers mondiaux – ce casino géant – n’ont que peu d’intérêt aujourd’hui pour mesurer la santé économique, ni les perspectives de croissance réelle dans le futur. Ce qui a plus d’intérêt, est l’aveu de l’analyste et historien “libéral” pro-capitaliste Simon Schama : ”Les vies de millions de gens dans notre Amérique hamburguerée ne passent que via les banques et les chèques alimentaires. Soixante-dix pourcent de la population a un ami proche ou un membre de la famille qui a perdu son travail. Nous vivons toujours dans l’Amérique en 3D : désolation, dévastation, destitution”. Et nous parlons ici du moteur du capitalisme mondial !

    La Chine

    La Chine et l’Asie, cependant, semblent toujours aller de l’avant, propulsées par l’immense plan de relance en Chine, dont l’ampleur et les effets avaient été prédits par le CIO. Le plan de relance chinois a permis de tirer de nombreux pays vers le haut, avec un certain effet en Europe. Dans le monde néocolonial, certains pays connaissent un boom des matières premières et, dans une certaine mesure, un marché accru pour leurs exportations. Toutefois, le revers de la croissance chinoise est l’accumulation de bulles à une échelle massive, qui pourrait bien mettre un terme brutal à la croissance chinoise, bien plus vite que ne se l’imaginent les économistes capitalistes. L’ampleur du secteur immobilier en surchauffe se reflète dans les effets dévastateurs sur les habitants des villes, en particulier dans des endroits tels que Pékin. L’inflation est toujours un enjeu extrêmement sensible pour l’État chinois, à cause du rôle historique qu’elle a joué dans la révolution chinoise qui a mené au renversement du Guomindang à la fin des années ’40 et qui a amené Mao au pouvoir. En janvier, l’inflation a atteint le record de 5,1%, ce qui a suscité un grand ”mécontentement par rapport aux hausses de prix qui ont atteint leur niveau le plus élevé depuis le début des statistiques en 1999”, selon un récent sondage de la Banque centrale.

    Ce que cela signifie pour les millions de Chinois qui espéraient en vain pouvoir gravir les échelons de la propriété est montré par les estimations qui indiquent ”combien de temps les citoyens devraient travailler pour pouvoir se payer un appartement de 100m² dans le centre de Pékin, qui vaut en ce moment environ 3 millions de renminbi (450 000$). En supposant qu’il n’y ait aucune catastrophe naturelle, un paysan travaillant un lopin de terre moyen ne pourrait s’offrir un appartement que s’il avait commencé à travailler sous la dynastie Tang (qui s’est terminée en l’an 907) ! Un ouvrier chinois qui aurait gagné un salaire mensuel de 1500 renminbi depuis les guerres de l’opium de la moitié du 19ème siècle et aurait travaillé tous les jours depuis et même les week-ends, disposerait alors maintenant de tout juste de quoi se payer son propre logement aujourd’hui.”

    Au même moment, la croissance économique colossale et incontrôlée de la Chine inflige chaque année pour plus de 1000 milliards de yuan (105 milliards d’euro) en dégâts environnementaux, selon les planificateurs du gouvernement. Le cout des déchets, des fuites, de la détérioration du sol et autres impacts a atteint les 1,3 milliards de yuan en 2008 (140 milliards d’euro). C’est l’équivalent de 3,9% du PIB du pays. La perte du sol et de l’eau ”pose de graves menaces à l’écologie, à la sécurité alimentaire et au contrôle des inondations”, a ainsi déclaré le vice-ministre chinois responsable des ressources en eaux. Les réservoirs sont incapables de satisfaire aux demandes d’une population croissante et de plus en plus développée. Pékin dépend déjà de nappes aquifères non-renouvelables pour pallier au déficit en eau de la ville qui s’accumule. Ce dernier pourrait mener à des contrôles dans la consommation de l’eau, surtout pour les gros utilisateurs tels que les usines. D’un point de vue économique, le développement pêlemêle de la Chine sur une base capitaliste n’est pas vivable, et ceci est encore plus évident dès lors que l’on parle d’environnement.

    La radicalisation aux États-Unis

    En ce qui concerne les États-Unis, ceux-ci laissent filer un déficit budgétaire béant (à tous les niveaux de gouvernement) qui promet un naufrage fiscal. À un moment l’an passé, la vente de bons du Trésor, nécessaire pour le financement continu du déficit, n’a obtenu qu’un faible résultat et a amené la menace d’une crise dans les finances du gouvernement. Toutefois, avec tous ces capitalistes qui possèdent des surplus massifs d’argent sans avoir un seul débouché où l’investir de manière productive – ce qui est en soi une expression de la crise organique du capitalisme – la vente de bons suivantes a, elle, été bien accueillie. L’administration Obama est confrontée à la perspective délicate de devoir chercher à réduire le déficit, ce qui aura un grave impact sur le niveau de vie. Si cette réduction se concentre sur l’armée – ce qu’espère la droite républicaine – cela aggravera énormément la situation sociale et mènera à une grande radicalisation.

    Les événements spectaculaires au Wisconsin mettent en valeur ce qu’il se passe lorsque la droite républicaine se lâche contre la classe ouvrière américaine, qui semblait endormie et passive. Enhardi par le succès du Tea Party lors des élections de mi-mandat pour le Congrès, le gouverneur républicain du Wisconsin a lancé une offensive déclarée sur les droits de négociations des syndicats et sur les conditions des travailleurs. C’est ce qui a provoqué un soulèvement de la classe ouvrière sans précédent aux États-Unis depuis des décennies. L’ironie étant qu’il y a beaucoup de travailleurs qui avaient voté pour les candidats du Tea Party et qui sont devenus eux-mêmes victimes de ces attaques, et ont donc rejoint le mouvement d’opposition. Les travailleurs ont soulevé l’exemple de la révolution égyptienne ! Ils ont eu recours à des arrêts de travail spontanés et ont appelé à la grève générale. Des travailleurs d’autres Etats, comme en Indiana et en Ohio, ont suivi le Wisconsin ; ils ont eux aussi subi les mêmes attaques de la part de gouverneurs républicains inflexibles.

    Tel un coup de tonnerre, le Wisconsin a réveillé le géant endormi de la classe ouvrière américaine, et a ouvert la voie à une opportunité très favorable pour notre section américaine. La question de savoir si cela va ou non mener à un revirement à gauche durable dépend, comme ailleurs, de la création d’un pôle d’attraction à gauche sous la forme d’un nouveau parti ou d’une nouvelle formation politique. La majorité des dirigeants syndicaux tente désespérément de diriger ce mouvement vers un soutien aux Démocrates, bien que parfois seulement en tant que “moindre mal”. C’est la même chose qui se passe en Europe avec nos dirigeants syndicaux qui ont peur et qui sont incapables de mener une lutte industrielle victorieuse contre les programmes d’austérité de la bourgeoisie. Ils cherchent à faire dévier le mouvement sur le plan électoral en renforçant le soutien à la social-démocratie. D’un autre côté, le fait d’attaquer l’énorme budget de la “défense” susciterait encore plus de critiques sur Obama et son administration de la part des Républicains de droite – menés par le Tea Party. Jusqu’à présent, il a fait face à cette offensive de droite par des pas en arrière et des concessions, par exemple sur la taxation des riches. Cette attitude pourrait encourager la droite à forcer Obama à faire encore plus de concessions. D’un autre côté, les attaques sur la classe ouvrière par les Républicains de droite amènent un soutien de “moindre mal” en faveur d’Obama pour les prochaines élections présidentielles en 2012. Il sera maintenant probablement réélu.

    L’Europe et l’économie mondiale

    En Europe, l’effondrement économique de l’Irlande menace de se propager au Portugal et même à l’Espagne, qui selon certains économistes capitalistes est la quatrième plus grande économie d’Europe et “est trop grosse pour être sauvée”. Même l’Italie et le Royaume-Uni ne sont pas totalement immunisés des effets de la crise bancaire européenne – parce que c’est bien d’une telle crise qu’il s’agit – qui a été déclenchée par les événements en Irlande. Le renflouement des banques irlandaises est un signe que c’est maintenant une question, comme l’a dit Samuel Johnson, de “tenir ensemble, ou tenir séparés”. Malgré tout, l’Irlande va sans doute faire défaut sur sa dette – ou la “reporter”, comme on dit dans le langage plus diplomatique des économistes capitalistes – en dépit de tous les efforts des États membres de l’UE et de leurs différents gouvernements nationaux pour renflouer le pays. Le Chancelier de l’Échiquier britannique Osborne a trouvé 7 milliards de livres sterling pour aider l’Irlande – en réalité, pour sauver les banques britanniques qui seraient affectées par un effondrement de l’économie irlandaise – en tant que “bon voisin”. Et pourtant, on ne peut pas dire de lui qu’il agit en “bon Samaritain” pour les pauvres et pour les travailleurs du Royaume-Uni, vu qu’il cherche à leur imposer le plus grand plan d’austérité depuis 80 ans.

    Surtout basée sur les développements de l’économie chinoise, la machinerie et les consructeurs automobiles allemands ont pu rapidement se remettre de la première vague de la crise. Utilisant sa force compétitive, le capitalisme allemand semble être le grand vainqueur de la crise. Mais cette reprise se développe sur une base faible et sera remise en question dans un futur pas si lointain. Malgré cette faiblesse sous-jacente, cela a donné au capitalisme allemand une marge économique qui lui a permis de contribuer à éviter un effondrement économique complet en Europe et aussi – bien que de manière réticente et hésitante – de faire quelques concessions pour sauver l’euro jusqu’ici. Cela n’était pas assez pour sauver l’économie européenne ou pour démarrer un nouveau boom ; cependant, cela aura un impact décisif si de futures éruptions économiques en Allemagne venaient à frapper les développements européens.

    Les destins entrelacés de toutes les économies d’Europe à travers la crise de la dette souveraine montre comment des développements cruciaux à l’échelle internationale façonnent les événements à l’échelle nationale, parfois de manière décisive. L’hypothèse sous-jacente du gouvernement ConDem au Royaume-Uni est que, malgré la brutalité des coupes, au final “Tout sera bien qui finira bien”. Les événements devraient selon eux aller dans leur sens, à cause de l’“inévitable” rebond de l’économie. Le cycle économique “normal” devrait se réaffirmer, disent-ils, une crise étant toujours suivie d’un boom, et ainsi le carrousel continue. Ces espoirs seront anéantis par la marche des événements. Car nous n’avons pas affare ici à un cycle similaire à celui des années 1950 à 75, ni à la phase de croissance plus faible des années ‘2000. Cette crise est totalement inhabituelle de par son caractère, sa profondeur et sa gravité, à la fois pour les dirigeants actuels et pour leurs “administrés”.

    Au mieux, l’économie mondiale va continuer à boitiller de l’avant ; elle ne va pas immédiatement reprendre son niveau d’avant la crise de 2008. Ceci signifie que sur le long terme, le chômage endémique tendra à se consolider, bien qu’avec des hauts et des bas. Des millions de travailleurs ne pourront jamais être réintégrés dans l’industrie. Là où ils trouveront un travail, ce travail sera précaire, temporaire, à l’image de ce que l’on appelle aux États-Unis un job “de survie”. Les travailleurs les prendront dans l’espoir vain de pouvoir de nouveau se hisser à la position qu’ils avaient dans le passé. Mais pendant toute la période prévisible devant nous, l’époque des emplois à plein temps, d’un niveau de vie croissant ou même stagnant est terminée pour la majorité de la population.

    La consommation joue un rôle crucial pour soutenir l’économie capitaliste moderne, en particulier dans les économies les plus avancées. Aux États-Unis pendant le 19ème siècle, près de 20% de l’économie provenait de la consommation. Aujourd’hui, aux États-Unis, celle-ci compte pour 70% du produit total. En Chine, d’un autre côté, la consommation vaut aujourd’hui 38% du PIB – ce qui est relativement beaucoup moins que les 50% sous le régime stalinien de Mao. Toutefois, les programmes d’austérité qui sont devenus la principale politique économique de la majorité des gouvernements bourgeois a pour effet de déprimer l’économie, précisément à cause du rôle crucial que jouent les consommateurs. Et ceci n’est pas compensé par la redirection de l’investissement – du surplus social – dans l’industrie productive, comme c’était la norme dans le passé. La politique dévastatrice de la financialisation du capitalisme mondial est enracinée dans le manque de débouchés profitables pour le capital, essentiellement à partir de la fin des années ’70. C’est quelque chose que le CIO a toujours mis en avant, encore et encore, dans son matériel écrit – une position presque unique parmi les marxistes.

    Les investissements colossaux de capitaux fictifs – via le système de crédits – ont jeté la base pour les bulles qui ont maintenant éclaté. Mais le capitalisme, pris dans son ensemble et à une échelle mondiale, n’a rien appris de cela, et n’applique maintenant aucune nouvelle politique ni dans le vieux continent européen ni aux États-Unis. En fait, nous avons vu une répétition de la même politique que celle des années ‘2000, qui ne fait en réalité que gonfler de nouvelles bulles, même alors que le système lutte déjà pour se libérer des immenses conséquences de sa politique précédente, du surplus de dette. Par conséquent, les investissements dans l’industrie – qui est la réelle force pour créer de la valeur – sont à la traine. En fait, les investissements ont en réalité chuté en termes réels dans l’industrie de transformation. Le Royaume-Uni, par exemple, est passé d’une des nations les plus industrialisées du monde au 19ème siècle, à la cinquième position aujourd’hui. Selon le ministre des finances brésilien, sa nation a dépassé le Royaume-Uni et est devenue la cinquième plus grande économie mondiale, surtout après la croissance de 7,5% en 2010, son plus haut taux depuis 1986.

    La reprise sur les marchés boursiers a été acclamée comme étant le précurseur de la croissance économique, ce qui est complètement faux. En fait, les “experts” en comportement des marchés boursiers sont historiquement du côté des “ours” – des pessimistes qui s’attendent à une Apocalypse financière. Une personne a récemment commenté dans le Guardian britannique que : ”Lorsque les marchés entrent une nouvelle phase de folie, moi je reste là à me gratter la tête d’étonnement. L’idée comme quoi nous sommes revenus à une reprise économique durable est aussi grotesque qu’elle l’était en 2005-07. Mais les investisseurs sont de retour sur la piste de danse, pirouettant droit vers la prochaine et inévitable implosion, au sujet de laquelle ils affirmeront une fois de plus par après qu’elle était imprévisible !”

    Le capitalisme moderne semble incapable d’absorber le “surplus de travail” – un euphémisme pour “chômage de masse” – créé par la suraccumulation reflétée par la crise, à moins de pouvoir obtenir un taux de croissance soutenu d’au moins 3%, et même ainsi, à un taux combiné. Pourtant, même les plus optimistes des économistes bourgeois ne se font aucune illusion sur le fait que le capitalisme – même dans les économies qui semblent être dans une position favorable, comme l’Allemagne par exemple – sera capable d’atteindre un tel taux de croissance dans le futur prévisible. Axel Weber, le président sortant et complètement discrédité de la Bundesbank, disait à Londres récemment que l’Allemagne ne reviendrait pas d’ici la fin de 2011 à un niveau d’avant la crise. ”Il ne s’agit pas d’une success story, mais bien de trois années perdues”. Il a ensuite ajouté pour la forme que : ”La tendance de croissance sur le long terme pour l’économie allemande est de 1%. Nous n’avons pas affaire à un moteur dynamique pour l’économie européenne”.

    Le chômage

    La production de l’économie mondiale est revenue au niveau de 1989 ! Le FMI estime qu’en 2008, l’économie mondiale a perdu la somme colossale de 50 trillions de dollars en actifs dévalués et en termes de perte de production, une somme équivalant à la production totale de biens et services du monde entier pendant une année. La crise a laissé un immense legs débilitant que le capitalisme aura du mal à surmonter, si jamais il y parvient entièrement. La politique quasi-keynésienne d’Obama – avec ses divers plans de relance – a complètement échoué à endiguer le chômage, qui se tient officiellement à 9% de la force de travail (mais est dans les faits sans doute à deux fois ce niveau), et est restée à ce niveau depuis les 20 derniers mois sans discontinuer. Quarante-sept états sur cinquante ont même perdu des emplois depuis les plans de relance d’Obama.

    Il y a dans le monde officiellement plus de 200 millions de gens au chômage, dont 78 millions ont moins de 24 ans. Et ceci est sans doute une énorme sous-évaluation, parce que ces chiffres ne tiennent pas compte du sous-emploi, des emplois partiels, etc. Selon l’Organisation internationale du travail, 1,5 milliards de gens sont en situation d’emploi précaire. En outre, la population mondiale va sans doute s’accroitre d’encore 2 milliards de personnes au cours des 40 prochaines années. En Europe, le chômage des jeunes se trouve en moyenne à 20,2% dans 17 pays de la zone euro, alors qu’il était à 14-15% il y a trois ans. Le chômage des jeunes est monté au niveau effarant de 35% en Grèce et même de 40% en Espagne !

    Étant donné qu’il n’y a que très peu de soutien étatique pour les chômeurs dans ces pays – qui sont alors forcés de compter sur le soutien de leurs famille et amis – il est étonnant que nous n’ayons pas encore aperçu d’expression réelle de l’encore plus grand mécontentement que ces chiffres garantissent. Il est vrai que nous avons vu de grandes et furieuses grèves générales, mais étant donné la condition de la classe ouvrière, surtout dans le sud de l’Europe, nous pouvons nous attendre au cours de la prochaine période à des mouvements de protestation ouvrière qui pourraient déborder les limites de la société “officielle”. Déjà en Grèce, nous voyons que les masses, par pur désespoir – très souvent convaincues qu’elles n’ont aucune chance de succès – se sont néanmoins jetées dans la bataille, comme avec les travailleurs des bus d’Athènes, qui insistaient pour continuer leur lutte contre l’avis de leur direction syndicale, malgré le fait que le décret contre lequel ils se battaient avait déjà été mis en application ; ou avec les 2500 travailleurs (temporaires) de la Ville d’Athènes, qui ont occupé la salle du Conseil communal pour empêcher le nouveau maire PASOK de les licencier afin d’engager de nouveaux travailleurs intérimaires avec encore moins de salaire et encore moins de droits. Ce genre d’actions risque de devenir contagieuse – et pas seulement en Grèce – pour d’autres travailleurs qui vont chercher à les imiter, de même que pour les étudiants qui vont une fois de plus entrer en conflit avec le gouvernement ou avec les autorités éducationnelles.

    Mais la conscience politique est toujours en retard, et parfois de manière chronique, par rapport à la situation économique objective. Le krach de Wall Street en 1929 a stupéfait la classe ouvrière américaine, et il a fallu au moins quelques années pour qu’elle puisse rallier ses forces et résister à l’offensive du capitalisme. Un mouvement offensif n’a réellement commencé, comme nous l’avons fait remarquer à maintes reprises, qu’au moment du début du boom à partir de 1934. Il est hautement improbable, surtout à un niveau global, qu’une telle croissance survienne, au moins dans les pays industriels avancés. Comme le Brésil l’a démontré, il est possible qu’un certain niveau de croissance se réalise dans certains pays et certaines régions, même au beau milieu d’une récession mondiale générale. Il y a une raison spécifique dans le cas du Brésil, comme dans d’autres pays ; cette croissance s’est effectuée portée par la croissance chinoise, la Chine cherchant à mettre la main sur des ressources naturelles afin de maintenir son industrie en état de marche.

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