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  • Chine. La répression brutale frappe une nouvelle victime, un militant tibétain

    Une vidéo de neuf minutes réalisée par le New York Times et diffusée en 2015 pourrait coûter quinze ans de prison au militant tibétain Tashi Wangchuk qui tenait à avertir du recul de sa culture et de sa langue face au mandarin. Il n’est que la dernière victime d’une répression sans précédent au cours de laquelle des centaines de dissidents et de défenseurs des droits humains ont été arrêtés, enlevés, “disparus’’, torturés, contraints de comparaître dans des “aveux” télévisés et, dans de nombreux cas, condamnés à de sévères peines de prison destinées à dissuader d’autres personnes de contester la politique de Pékin.

    Via chinaworker.info

    Tashi, 32 ans, un commerçant de la préfecture tibétaine de Yushu, dans la province de Qinghai, a été arrêté deux mois après avoir témoigné à visage découvert dans un documentaire vidéo du Times. Il a été maintenu deux ans en détention secrète, puis jugé le 4 janvier de cette année pour “incitation au séparatisme”. La vidéo (voir lien ci-dessous) a été visionnée lors d’un procès de quatre heures à peine et, selon l’avocat de Tashi Wangchuk, il s’agissait de la principale ‘‘preuve’’ contre lui. Le tribunal doit encore prononcer sa sentence, mais on craint qu’il ne soit condamné à quinze ans de prison.

    Les tribunaux chinois sont étroitement contrôlés par le régime et ont un taux de condamnation qui avoisine les 99 % et même les 100 % dans le cas de procès politiques comme celui-ci. Des observateurs internationaux ont condamné la détention et le procès de Tashi Wangchuk, qu’Amnesty International qualifie de ” bidon” en se basant sur des “accusations fallacieuses et flagrantes”.

    L’affaire met également en lumière l’aggravation de l’oppression des minorités ethniques en Chine. Les Tibétains, les musulmans ouïgours et d’autres minorités, y compris les Kazakhs qui vivent pour la plupart également dans le Xinjiang et qui sont de plus en plus durement réprimés, sont confrontés aux discriminations, à la négation de leurs droits, à la répression et aux difficultés économiques les plus diverses. Cette situation déplorable s’étend également jusqu’à Hong Kong, région ‘‘privilégiée’’ et théoriquement ‘‘autonome’’.

    Depuis que des manifestations de masse ont éclaté au Tibet en 2008, la répression atteint des niveaux inédit au nom de la lutte contre le ‘‘séparatisme’’ et le ‘‘terrorisme’’. Dans sa courte interview vidéo, Tashi Wangchuk décrit le quotidien des Tibétains ordinaires comme étant ‘‘fait de pressions et de peur’’. Certains faits illustrent l’angoisse du peuple tibétain face aux politiques ultra-répressives de la Chine:

    – Il y a eu 140 immolations de contestataires depuis 2009, des manifestations désespérées contre la répression
    – Il existe plus de 1.800 prisonniers politiques tibétains, beaucoup d’entre eux sont en prison pour avoir tout simplement écrit ou parlé.

    >> Accéder à la vidéo du New York Times – “A Tibetan’s Journey for Justice”.

    Une approche non-révolutionnaire

    Tashi n’est manifestement pas un révolutionnaire ni un défenseur de l’indépendance tibétaine. Le journaliste du New York Times Johan M. Kessel, qui a réalisé ce film, affirme que Tashi lui a spécifiquement précisé durant leur rencontre qu’il ne soutenait pas l’indépendance. Comme beaucoup d’autres personnes ciblées par la répression de ces dernières années, il a simplement réclamé que le système connaisse des réformes au lieu de préconiser un changement politique plus radical voire même la chute de la dictature.

    Tashi Wangchuk a simplement plaidé – de façon pacifique – en faveur des droits garantis par la Constitution, comme l’a rappelé Sophie Richardson, directrice de Human Rights Watch China. ‘‘Si les autorités chinoises considèrent cela comme une incitation au séparatisme, il est difficile de dire ce qui ne l’est pas.’’

    Tashi s’est rendu à Pékin pour appeler à la restauration du bilinguisme dans l’enseignement pour que le tibétain soit enseigné à côté du mandarin. La langue tibétaine a subi le sort des autres langues minoritaires et a dans les faits été éliminée à tous les niveaux de l’enseignement primaire. Le tibétain, le mongol et la langue ouïgoure turque, par exemple, peuvent encore être étudiés mais sur la même base que l’anglais ou le français, c’est-à-dire en tant que langues “étrangères”.

    Ce n’était pas le cas dans le passé. Même au cours des années Mao – communément appelées “l’époque sombre” de la répression – la politique linguistique n’était pas aussi rigide et lourde. Il est évident que les politiques actuelles du régime chinois n’ont strictement rien à voir avec un véritable marxisme ou avec le socialisme. Prenons par exemple l’approche extrêmement sensible et démocratique de Lénine, dirigeant de la Révolution russe, sur la question linguistique. Comme il l’a écrit avant la révolution: ” (…) les marxistes russes disent qu’il ne doit pas y avoir de langue officielle obligatoire, que la population doit avoir accès à des écoles où l’enseignement sera dispensé dans toutes les langues locales, qu’une loi fondamentale doit être introduite dans la Constitution déclarant invalides tous les privilèges d’une nation et toutes les violations des droits des minorités nationales.” [V.I. Lénine, une langue officielle obligatoire est-elle nécessaire? Janvier 1914]

    L’affirmation du régime chinois actuel selon laquelle une seule langue officielle, le mandarin, est nécessaire pour faciliter le développement économique et l’intégration est une approche fausse et aveugle. Elle est le reflet d’une mentalité policière grossière qui considère que la coercition est la meilleure réponse pour tous les problèmes. De nombreuses sociétés économiquement développées disposent de systèmes éducatifs où s’épanouissent plusieurs langues, de la Suisse à Singapour. Mais les politiques linguistiques de Pékin ont été adaptées à son programme nationaliste.

    Fragmentation de la Chine

    Au cours de la dernière décennie, alors que les craintes de Pékin d’agitation massive et de fracturation de la Chine ont augmenté, des mesures répressives de grande envergure ont été mises en œuvre, en particulier dans les régions tibétaines et dans le Xinjiang à majorité musulmane. Des dizaines de milliers de policiers auxiliaires ont été recrutés, des établissements religieux ont été militarisés et un ‘‘État profond’’ sans précédent a été mis en place grâce aux dernières technologies de surveillance de masse. Ces méthodes sont testées dans les régions minoritaires pour être ensuite utilisées à l’avenir contre la majorité des Han chinois – contre des travailleurs en grève ou des manifestants contre la pollution.

    Les politiques linguistiques actuelles du régime sont contraires à la Constitution chinoise, qui garantit la liberté des minorités ethniques d’utiliser leur propre langue parlée et écrite. Ces clauses, comme beaucoup d’autres dans la Constitution (qui “garantissent aussi” les droits démocratiques et la liberté d’expression) sont dénuées de sens. C’est ce qui se trouve au cœur du prétendu “crime” de Tashi Wangchuk qui, comme le montre le documentaire du Times, s’est rendu à Pékin pour demander aux autorités de faire respecter les droits culturels constitutionnels du peuple tibétain.

    Son procès pour “incitation au séparatisme” envoie donc un message sans équivoque, mais peut-être pas celui que le régime chinois entend faire passer. Ce dernier veut démontrer sa force et sa détermination pour écraser l’opposition. Mais un autre message est également envoyé, que cela soit désiré ou non. Ce message, c’est qu’il est impossible de poursuivre la “réforme” au sein du système autoritaire chinois. Si vous réclamez des réformes, même très limitées, surtout si vous le faites publiquement ou si vous embarrassez la dictature en proposant une modification de sa propre constitution, vous serez puni avec la même malice que si vous défendiez une révolution. De cette façon, la dictature ne laisse qu’un seul chemin ouvert à ceux qui veulent et ont besoin de changement : le chemin de la révolution.

    Plutôt que de créer une “stabilité”, la répression sans précédent qui est à l’oeuvre dans les régions des minorités ethniques chinoises suscite un mélange explosif de désillusion, de peur et de colère. Tout cela fait du régime chinois le plus puissant promoteur des revendications d’indépendance nationale, comme il l’est devenu à Hong Kong. Avec de telles politiques, le pouvoir de la Chine n’est pas renforcé, mais plutôt affaibli à plus long terme. La vaine mission de Tashi Wangchuk à Pékin et la réaction du régime ont fait de lui un héros de la jeunesse tibétaine. Mais la jeune génération partagera-t-elle sa conviction qu’il est possible de faire entendre raison à Pékin ?

    Ce n’est qu’en construisant des organisations indépendantes de la classe ouvrière qui unissent les opprimés de toutes les ethnies dans une lutte commune qu’il est possible de vaincre la répression et le pouvoir arbitraire d’un régime dictatorial. Cela fait partie d’une lutte mondiale contre les inégalités grotesques, l’oppression nationale, la destruction de l’environnement, la guerre et l’occupation étrangère. Ces horreurs découlent de la nature du capitalisme mondial qui est un pilier majeur du régime prétendument ‘‘communiste’’ chinois.

  • [ARCHIVES] Jeux Olympiques, big business et dictature

    Olympic_rings_with_transparent_rims.svgAux Jeux Olympiques, bien plus que les idéaux auto-déclarés d’internationalisme et de “fair play”, ce sont deux forces à priori contradictoires qui sont à l’œuvre : le nationalisme et la mondialisation capitaliste.

    Par chinaworker.info, article initialement publié en 2008 à l’occasion des Jeux Olympiques de Pékin

    “Le vainqueur de Pékin, c’est le big business” a titré la BBC en juillet 2001. La Chine venait juste de se voir attribuer les Jeux Olympiques de 2008. Les Jeux Olympiques ne sont pas simplement la manifestation sportive la plus prestigieuse au monde ; c’est aussi l’un des empires du marketing les plus aboutis de l’histoire du capitalisme. Le symbole olympique – cinq anneaux reliés représentant les cinq continents – est un logos parmi les plus reconnaissables et les plus étroitement gardés des logos de corporations et de compagnies. Le petit cercle non-élu et discret qui dirige les Jeux Olympiques, les 110 membres du Comité International Olympique (CIO), contrôle des ressources financières énormes et est courtisé par les gouvernements et les chefs d’entreprises du monde entier. L’ancien président du CIO, Juan Antonio Samaranch, insistait sur le fait qu’on devait s’adresser à lui en l’appelant “votre Excellence”. Sa mégalomanie a inspiré son surnom : “le seigneur des anneaux”.

    Les Jeux Olympiques de Pékin devraient rapporter quelques 2.5 milliards de dollars uniquement en droits de diffusion télévisés. Pour la période qui va aller jusqu’aux Jeux Olympiques de Londres en 2012, Jeux compris, cette somme devrait atteindre les 3 milliards. La dernière fois que les Jeux se sont déroulés à Londres, en 1948, la BBC avait accepté de payer 3.000 dollars pour téléviser l’événement. Mais le Comité olympique britannique n’a jamais encaissé le chèque, en considération pour la situation financière délicate de la BBC à l’époque!

    Tout cela, c’était avant que les Jeux Olympiques et les autres manifestations sportives importantes ne soient tombés sous l’emprise du big business. L’incorporation des JO dans les affaires a eu lieu sous le mandat de Samaranch, président du CIO de 1980 à 2001. La première olympiade qui s’est tenue sous le régime ultra-commercial de Samaranch était en 1984, à Los Angeles. A partir de ce moment, les droits d’émissions pour la télévision ont augmenté drastiquement : “plus vite, plus fort, plus haut”, selon la devise olympique officielle. Les revenus tirés des droits d’émissions pour les JO de Pékin atteignent presque 10 fois les 287 millions de dollars payés pour les JO de Los Angeles…

    Sans surprise, avec des milliards de dollars en “jeu”, le CIO a acquis une réputation de corruption. Un scandale important a secoué le mouvement olympique en 1999 à l’occasion des JO d’hiver de Salt Lake City. Plusieurs enquêtes, dont une du ministère américain de la justice, ont conduit à l’expulsion de dix membres du CIO qui avaient été “attrapés les mains dans le sac”, selon le New York Times. Ils avaient accepté des pots-de-vin sous formes d’immobilier, de vacances payées, de chirurgie plastique et d’entrée gratuite dans des universités pour leurs enfants. Le scandale a coûté son job au maire de Salt Lake City, mais le dirigeant du CIO, Samaranch, a survécu au scandale.

    Ce scandale a dévoilé le manque de transparence des JO, l’absence de responsabilité démocratique de son conseil d’administration et les nombreux liens entretenus avec le monde des affaires. Un débat intense a fait rage pour savoir si le CIO pouvait lui-même se réformer – des discussions faisant écho à celles sur le futur du Parti “Communiste” Chinois (PCC). La corruption et les scandales ont cependant continué à envelopper le mouvement olympique longtemps après le départ de Samaranch. En 2006, la ville japonaise de Nagano a été accusée d’avoir dépensé des millions de dollars pour “un niveau illégitime et excessif d’hospitalité” en faveur des membres du CIO. Nagano a dépensé plus de 4,4 millions de dollars pour entretenir les membres du CIO durant les JO, soit 46.500 dollars par personne.

    Le gouvernement chinois, le CIO et ses partenaires commerciaux ont beaucoup en commun. Ils sont tous antidémocratiques, élitistes, et membres d’organisations la plupart du temps corrompues. Le CIO, surnommé “le Club”, n’est pas un corps élu – les membres du CIO en fonction choisissent les nouveaux, un système pas si différent de celui en application au sein du PCC. L’idée selon laquelle les Jeux Olympiques, commandés par un régime autoritaire, pourraient être un agent de changement démocratique pour la Chine est extrêmement risible. Le CIO ne souffre d’aucune contestation. A l’approche des JO de Berlin en 1936, accueillis par le régime nazi, Ernest Lee Jahncke, un représentant américain du CIO, a publiquement appelé au boycott des JO. Il a été exclu en 1935, seul cas d’expulsion dans l’histoire de cette organisation jusqu’au scandale de corruption de Salt Lake City un demi-siècle plus tard.

    “Rejoindre le monde”

    Des calculs commerciaux mais aussi géopolitiques sont à la base de la décision du CIO de juillet 2001 qui a attribué les JO de 2008 à Pékin. Les sponsors des Jeux Olympiques – notamment Coca-Cola, Adidas et McDonald – déliraient littéralement sur les opportunités qu’offrait une telle occasion pour se positionner sur un marché potentiel de 1,3 milliard de personnes. Un lobby puissant de multinationales avait jeté son poids dans la balance pour Pékin, avec des entreprises américaines contribuant à deux-tiers des fonds pour l’offre chinoise, qui a monté jusqu’à 40 millions de dollars. Le régime chinois avait échoué huit ans plus tôt pour les Jeux Olympiques de 2000. Cette année là, c’est Sydney qui l’a emporté, le massacre de 1989 à Pékin étant encore relativement frais et a pesé contre la Chine.

    En 2001, cependant, Samaranch a été accusé de “tirer les ficelles dans les coulisses pour assurer que Pékin remporte les Jeux”. Évidemment, c’était le membre du CIO du Canada qui a introduit cette réclamation en soutenant l’autre principal candidat, Toronto. Samaranch a affirmé que les Jeux Olympiques ouvriraient “une nouvelle ère pour la Chine.” Henry Kissinger, membre auxiliaire (sans droit de vote) du CIO et maillon-clé entre le capitalisme américain et les dirigeants chinois, a qualifié la décision olympique d’étape “très importante dans l’évolution de la relation de la Chine avec le monde. Je pense qu’il y aura un impact important en Chine et, plus généralement, que cela aura un impact positif dans le sens de les inciter à avoir une conduite modérée internationalement et à l’intérieur de leur pays dans les années à venir.”

    La décision du CIO a coïncidé avec les négociations finales qui ont intégré la Chine dans l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), à des conditions très dures qui ont coûté bien davantage en ouverture de marché à la Chine que pour n’importe quel autre pays en voie de développement. Les détails de ces négociations et des concessions faites du côté chinois sont aujourd’hui encore un secret d’Etat en Chine – un journaliste risque l’emprisonnement en cherchant trop loin sur ce sujet. Rejoindre l’OMC a signifié de supprimer “les dernières barrières entre la Chine et les forces de la mondialisation” a commenté l’ancien correspondant en Chine du journal The Guardian, John Gittings. Ces deux décisions importantes partageaient un objectif stratégique semblable – attacher la Chine plus fermement au système capitaliste global.

    Pour les dirigeants chinois, ces deux décisions ont été vues comme des piliers importants afin de poursuivre leur politique de “réforme et d’ouverture” de plus en plus néo-libérale. Comme C. Fred Bergsten l’a précisé dans Foreign Affairs (en juillet 2008): “Pékin a non seulement supporté des négociations prolongées et un ensemble de conditions très large afin de faire partie de l’OMC mais a également employé les règles pro-marché de cette institution pour surmonter la résistance parmi les conservateurs en Chine.”

    Cette politique, y compris la privatisation et la réduction de la taille d’anciennes entreprises publiques ainsi que l’ouverture au marché de services publics comme l’enseignement et les soins de santé, se déroule sur fond de résistance croissante de la part de la classe ouvrière. La nouvelle que Pékin allait accueillir les Jeux Olympiques a fourni une distraction publique tombée à point pour le régime, en aidant à faire passer la pilule pour davantage de mondialisation néo-libérale. Des gigantesques célébrations ont été organisées une fois la décision du CIO devenue publique, avec probablement 200.000 personnes Place Tiananmen à Pékin, la plupart du temps issus des classes moyennes. Une vague de fierté nationaliste mélangée à l’espérance a ainsi été orchestrée par le gouvernement sur le thème “la Chine rejoint le monde”, en réclamant son droit légitime de superpuissance économique. Le fonctionnaire olympique de Pékin, Wang Wei, a qualifié tout cela comme une “autre étape importante dans la hausse du statut international de la Chine et un événement historique dans la grande Renaissance de la nation chinoise.”

    Comme pour tout ce que fait le PCC, son attention est principalement portée sur ce qui se passe à l’intérieur des frontières de la Chine. Comme The Economist l’a expliqué, le PCC est “davantage concerné par ses propres problèmes internes plutôt que par des tentatives d’influencer les pays lointains.” Pour un parti dirigeant autoritaire luttant pour garder le contrôle sur une société complexe et pour tenir ses propres forces ensemble, les Jeux Olympiques sont une arme puissante, du nationalisme en stéroïdes en quelques sortes. Si la Chine remplace les Etats-Unis en gagnant plus de médailles, ce sera instrumentalisé pour donner l’image d’un pays sur lequel souffle le progrès économique et social sous la direction de la dictature actuelle.

    Multinationales

    Le paradoxe d’un régime nominalement “communiste” qui reçoit un énorme soutien des plus grandes entreprises au monde est résumé dans ces Jeux Olympiques. Un groupe très “sélect” constitué de douze grandes multinationales, dont Adidas, Coca-Cola, Samsung et General Electric, ont versé chacune en moyenne 72 millions de dollars au CIO pour devenir les sponsors les plus en vue des JO de Pékin.

    Pour de telles compagnies, le sponsor olympique et la publicité peuvent jouer un rôle décisif. Comme l’a dit le People’s Daily; “les Jeux Olympiques sont plus qu’une arène de sports, c’est un champ de bataille pour des multinationales.” L’entreprise américaine Kodak a utilisé sa place de sponsor des Jeux d’hiver de Nagano en 1998 comme un levier pour s’introduire sur le marché japonais du film photographique, précédemment monopolisé par Fuji. Le sponsoring de Visa International à chaque JO depuis 1986 l’a aidé à dépasser American Express en tant que principale compagnie de carte de crédit aux Etats-Unis. Selon les règles olympiques, seule une entreprise de chaque secteur est acceptée comme sponsor. Ceci explique pourquoi Pepsi Co a toujours eu les portes des JO fermées – Coca-Cola a été associé à chaque Jeux Olympiques depuis 1928. Cet arrangement exclusif s’étend à la publicité et à la vente de tous les produits olympiques, où Coca-Cola dispose d’un monopole. On pouvait lire dans la campagne publicitaire de Visa à l’époque des JO d’hiver de Calgary en 1988 “ils honoreront la vitesse, la vigueur et la compétence. Mais pas American Express.”

    Cette bataille est arrivée sur le sol chinois, où elle éclipse complètement les jeux eux-mêmes. “Les sponsors olympiques disposent de budgets énormes pour se lancer en Chine” a déclaré un annonceur de Hong Kong. “Quand la torche olympique sera en Chine, chaque ville qui la verra passer sera pleine de logos des sponsors” a-t-il encore dit. C’est un motif important qui explique pourquoi ceux qui ont planifié le parcours de la torche ont choisi le plus long trajet de l’histoire des Jeux Olympiques, c’est-à-dire 137.000 kilomètres, soit trois fois et demi la circonférence de la terre. Historiquement, avant de devenir une aubaine publicitaire, le relais de la torche a commencé en 1936 comme symbole du triomphe du nazisme. Ce rituel n’a rien à voir avec l’internationalisme. Au contraire, c’est un indice des liens historiques puissants entre le mouvement olympique et les régimes fascistes et autoritaires.

    “L’idée d’allumer la torche à l’emplacement olympique antique en Grèce et puis de la faire parcourir différents pays a des origines beaucoup plus sombres. Elle a été inventée sous sa forme moderne par les organisateurs des Jeux Olympiques de 1936 à Berlin. Et le parcours avait été planifié avec un soin immense par les dirigeants nazis pour donner l’image d’un Troisième Reich moderne, économiquement dynamique avec une influence internationale grandissante.” [BBC, 5 avril 2008]

    En Chine, le gouvernement a soufflé sur les braises de “l’Olympic fever” en essayant ainsi de couper court au mécontentement grandissant qui constitue de plus en plus une menace grave à son pouvoir. Le régime espère de plus que les Jeux Olympiques aideront à déclencher une augmentation de la consommation afin d’absorber le choc de la diminution de la demande externe consécutive au ralentissement de l’économie mondiale. La Chine souffre d’un taux de consommation intérieur anormalement bas – même les Indiens consomment plus en terme de part du Produit Intérieur Brut (PIB). En fait, jamais les salaires n’ont suivi la courbe de la croissance globale de l’économie. En part du PIB, les salaires sont tombés de 53% en 1998 à 41% en 2007, un des déclins les plus aigus au monde (et ceci au cours de la période de préparation des Jeux de Pékin).

    En plus des campagnes de ventes massives des multinationales sponsors olympiques, plus de 5.000 produits ont été introduits sur le marché avec le logo des Jeux Olympiques de Pékin. Cela comprend des habits, des poupées de la mascotte, des porte-clefs, et même des bâtons commémoratifs. Bon nombre de ces produits olympiques officiels ont été faits dans des usines qui ont recours au travail des enfants ou qui violent d’autres lois.

    Pour chacune des compagnies du OPP (Olympic Partner Programme), la Chine représente un enjeu énorme et elles s’attendent à ce que leurs investissements olympiques soient récompensés en termes de part de marché. Coca-Cola domine le marché chinois des boissons non alcoolisées et a été la première compagnie américaine à s’installer en Chine, dès 1979, quand Deng Xiaoping a ouvert le pays aux entreprises étrangères. Coca-Cola a 30.000 employés en Chine, qui est son quatrième plus grand marché, et le plus rentable. General Electric, une autre compagnie du OPP, fournit l’énergie et les systèmes d’éclairage des Jeux de Pékin. Cette entreprise a également des parts dans la société NBC Universal, qui détient des droits exclusifs d’émissions des Jeux Olympiques pour les Etats-Unis, qu’elle a payé presque 900 millions de dollars. Entre 2001 et 2006, les ventes de General Electric en Chine ont quadruplé.

    Casseurs de syndicats

    Adidas, autre OPP de longue date, a vu ses ventes en Chine augmenter de 45% en 2007, ce qu’il faut comparer aux 5% de croissance atteints en Europe. Adidas vise un chiffre d’affaires d’un milliard d’euros en Chine d’ici 2010. Le géant allemand des vêtements de sport produit la majeure partie de sa production en Chine, mais là nous parlons d’une autre catégorie de la population chinoise que celle qui achète ces produits. Les travailleurs sous-payés qui confectionnent les baskets Adidas dans des conditions inhumaines habitent une autre planète que la fine couche de clients chinois de la classe moyenne vers qui Adidas oriente son marketing.

    Adidas tire plus de la moitié de sa production globale de pays où les syndicats sont interdits, principalement en Chine. Les conditions terribles parmi les sous-traitants chinois de la compagnie ont été dénoncées dans un article du Sunday Times (R-U), qui a parlé de trois usines depuis longtemps associées à Adidas à Fuzhou, en Chine méridionale. Les ouvriers se sont plaints d’heures supplémentaires forcées et de salaires au-dessous du minimum légal. Ils ont gagné juste 570 Yuan (83 dollars) par mois en 2007 – à peine assez pour s’acheter une paire de baskets Adidas. Ce rapport a également montré à quel point le syndicat contrôlé par l’État, l’ACFTU, “a été largement accusé de ne rien faire.” Quand des travailleurs ont entamé une grève en 2006, ils ont tous été virés.

    Adidas n’est en rien exceptionnel. Les sponsors olympiques forment un groupe d’escrocs et de casseurs de syndicats. Le géant de l’électronique Samsung est un autre exemple tout aussi infâme. La compagnie a connu quelques problèmes en Corée du Sud pour toute une gamme d’activités illégales comme le chantage et les pots-de-vin pour obliger des militants syndicaux à stopper leurs actions. Cette entreprise, le plus puissant des conglomérats du pays, a été pendant longtemps un des piliers de l’ancien régime militaire de Corée du Sud. Un éditorial du journal Hyankoreh a dit de Samsung : “Dans une république démocratique vous avez un leader mondial de la technologie de pointe qui utilise des tactique antisyndicales primitives dignes des années de dictature.”

    De même, Coca-Cola a été accusé d’activités antisyndicales en Colombie, au Pakistan, en Turquie, au Guatemala et au Nicaragua. Une procédure a été entamée contre la compagnie par les syndicats colombiens en 2001 parce que les travailleurs de Coca-Cola “ont été confrontés avec des forces de sécurité paramilitaires qui ont eu recours à une violence extrême et qui ont entre autres assassiné, torturé et détenu illégalement des dirigeants syndicaux pour les faire taire.” Les liens entre Coca-Cola et les fonctionnaires olympiques ont été démontrés lorsqu’Atlanta, le siège de la compagnie, a obtenu les Jeux de 1996. C’était à peine douze ans après qu’une autre ville des USA, Los Angeles, ait obtenu d’organiser les jeux. Un autre sponsor olympique de haut vol, McDonald, est une compagnie antisyndicale typique. Un séminaire international sur les pratiques de travail chez McDonald, organisé par la Confédération internationale des syndicats libres (ICFTU) en 2002 a conclu que: “McDonald tend à avoir recours aux normes minimales ou aux exigences légales minimales en termes de salaires, de santés et de sécurité, avec une propension à employer des méthodes antisyndicales comprenant l’isolement, le harcèlement et l’écartement des employés syndiqués ou défenseurs des syndicats.”

    “Du sport, pas de la politique”

    En Chine aussi, McDonald a été au centre d’un important scandale, quand il a été révélé que l’entreprise payait de jeunes travailleurs 40% en dessous du salaire minimum, déjà très bas. Plusieurs gouvernements provinciaux ont été forcés d’enquêter sur le géant du fast-food à cause de la pression de l’opinion. Mais alors qu’ils ont confirmé que McDonald avait violé le code du travail de Chine en plusieurs endroits, ils ont refusé de rendre coupable de violation des règles de salaire minimum. Cette affaire (qui a fait l’objet d’un article en mai 2007 sur chinaworker.info – China’s ‘McScandal’ shows the need for real trade unions) a eu comme conséquence que le syndicat fantoche ACFTU a été en pourparlers pour négocier la première reconnaissance d’un syndicat chez McDonald, mais avec naturellement des représentants de la direction désignés pour mener les sections syndicales. C’est une pratique normale pour l’ACFTU. Ils appellent ça “le syndicalisme avec des caractéristiques chinoises”!

    Les méthodes antisyndicales et anti-classe ouvrière des sponsors olympiques sont en conformité avec une longue tradition de soutien de la part du CIO aux régimes et aux causes réactionnaires et contre la classe ouvrière. Pour dire, comme le fait le CIO, les sponsors et le régime chinois, que les Jeux Olympiques ne font que du sport et pas de la politique, il faut ignorer l’histoire hautement politique des Jeux. La décision prise par le régime chinois de faire passer la torche par les régions du Tibet et de Xinjiang ne peut pas être décrite comme une décision “apolitique”. Quand la torche est passée par la capitale du Tibet, Lhassa, en juin, quand la plupart des Tibétains étaient sous couvre-feu et donc incapables de la voir, le dirigeant du Parti “communiste” du Tibet Zhang Qingli a fait un discours dans lequel il a réclamé que les adversaires des Jeux Olympiques – et donc du PCC – soient écrasés. Le CIO, embarrassé, a été obligé de faire un reproche, chose rare, au gouvernement chinois, en réitérant que “le sport et la politique doivent être séparés.”

    En fait, la plupart des olympiades ont été entourées de polémique politique : Berlin 1936, Munich 1972, Mexico 1968, Moscou 1980, Los Angeles 1984 ; la liste est longue… Juste quelques semaines avant l’ouverture des Jeux Olympiques de Mexico, des étudiants ont occupé leur université en exigeant la fin du régime de parti unique. Cela a conduit au massacre de Tlatelolco au cours duquel des douzaines de jeunes manifestants ont été tués par les militaires, déterminés à rétablir l’ordre pour le début des Jeux. A nouveau, les fonctionnaires olympiques se sont cachés derrière leur phrase “il faut séparer le sport et la politique”: le Président du Mexique, Gustavo Díaz Ordaz, du sang plein les mains, a donc pu présider la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympique avec les dignitaires étrangers invités. Mais, toujours à Mexico, quand les athlètes afro-américains Tommie Smith et John Carlos ont levé leurs célèbres gants de cuir dans un salut anti-raciste du podium, ils ont été expulsés des jeux sur les ordres du Président du CIO Avery Brundage.

    Quand le Comité International Olympique doit collaborer avec des dictateurs, ils le justifient avec l’argument que les Jeux Olympiques peuvent aider à faire avancer la démocratie et les droits de l’homme. En d’autres termes, ils utilisent un raisonnement explicitement politique. Mais quand ceci s’avère faux, comme en Chine aujourd’hui, ils répondent que les Jeux Olympiques sont un sport, pas une organisation politique. Jacques Rogge, président actuel du CIO, a fait la déclaration absurde que les Jeux Olympiques de 1988 à Séoul ont aidé à transformer la dictature de Corée du Sud en une démocratie. Selon Rogge, “les jeux ont joué un rôle crucial, avec la présence des médias.” [Financial Times, 26 avril 2008]

    Dans la vraie vie, le régime militaire sud-coréen est tombé suite à une vague de grèves et de manifestations de masse qui ont éclaté en juin 1987 (une année entière avant les Jeux Olympiques) et a continué en dépit de l’énorme répression qui a sévi au cours des trois années suivantes. C’est une leçon importante pour la Chine, démontrant le rôle décisif de la lutte de masse des travailleurs dans la lutte contre la dictature. Quand se déroule une lutte pour des droits démocratiques, les Jeux Olympiques font plutôt partie du problème que de la solution. Dans un rapport récent, Amnesty International a dénoncé le fait que “l’accueil des Jeux Olympiques est devenu une excuse à peine voilée pour restreindre la liberté d’expression et de réunion.” [What human rights legacy for the Beijing Olympics? Amnesty International, 1 avril 2008]

    On estime qu’environ 150 personnes ont été tuées par les forces de sécurité au Tibet et l’année 2008 est déjà la plus mauvaise année en termes de répression d’Etat en Chine depuis 1989. Annihilant les arguments du CIO et de ses partisans, le rapport d’Amnesty International dénonce que “une grande partie de la vague actuelle de répression contre les activistes et les journalistes ne se produit pas malgré, mais en réalité en raison des Jeux Olympiques.”

    Mais l’Etat chinois n’est pas le seul à utiliser les Jeux Olympiques pour battre l’opposition potentielle. Interpol a accepté de coopérer avec les autorités chinoises en ouvrant sa base de données “pour aider la Chine à assurer que les fabricants de sottises n’entrent pas.” En apparence, de telles mesures sont destinées aux terroristes du Xinjiang et du Tibet (en dépit du manque de preuve que de telles menaces terroristes existent). Comme l’a dit le dissident Hu Jia: “Les plus grandes menaces ne sont pas nécessairement les terroristes ou les crimes, les plus grandes menaces sont ceux qui mettent en avant les problèmes sociaux de la Chine et protestent contre le gouvernement.”

    Le CIO a une tradition de racisme, d’anti-communisme et de soutien à des régimes autoritaires qui remontent à ses origines. Si les dirigeants chinois rejoignent les discours de cette organisation, cela constitue un indice sur où se trouve aujourd’hui le gouvernement chinois. Le fondateur du mouvement olympique moderne, en 1896, était l’aristocrate français Pierre de Coubertin. Sa vision n’était pas celle d’un mouvement sportif populaire pour les masses, mais d’un mouvement presque exclusivement tourné vers la riche caste des officiers militaires. Dans la tête des nobles du style de Coubertin, les “classes inférieures” ne pouvaient pas saisir le concept de fair-play. Les femmes étaient aussi considérées comme complètement inaptes pour le monde du sport – chose qui a changé à peine après la Deuxième Guerre Mondiale. Même aux Jeux Olympiques de Londres en 1948, les athlètes féminines représentaient environ 10% des athlètes. Plus d’athlètes afro-américains ont participé aux jeux de 1936 à Berlin qu’à Los Angeles quatre ans plus tôt, à cause du racisme institutionnalisé aux Etats-Unis qui a maintenu la ségrégation dans la plupart des sports jusqu’aux années 50, ce qui a inspiré la protestation silencieuse de 1968 par Smith et Carlos.

    Le Baron de Coubertin était un grand patriote français qui est néanmoins devenu un admirateur dévoué du régime nazi. A sa mort en 1937, il a légué sa collection littéraire au gouvernement d’Hitler. Six mois après sa mort, le cadavre de de Coubertin a été déterré à Lausanne, en Suisse, et son cœur a été enlevé et transporté à Olympie en Grèce. Là, il a été ré-enseveli au cours d’une cérémonie dirigée par son ami de longue date, Karl Diem, haut fonctionnaire nazi et organisateur des jeux de 1936.

    Une tradition autoritaire

    Le CIO a attribué à Berlin l’organisation des Jeux de 1936 deux ans avant qu’Hitler n’arrive au pouvoir en janvier 1933. Plutôt que d’exprimer un regret, les dirigeants du CIO on énergiquement défendu le droit des nazis à organiser les jeux. Quand la terreur nazie dirigée contre les syndicalistes, les communistes, les socialistes et les juifs a commencé à être connue, l’appel au boycott des Jeux de Berlin a pris de l’essor, particulièrement aux USA, en Grande-Bretagne, en France, en Suède, en Tchécoslovaquie et aux Pays Bas. Un sondage d’opinion de 1934 a prouvé que 42% des Américains soutenaient le boycott des Jeux Olympiques. Face à cette crise, le Comité olympique américain a envoyé son président, Avery Brundage, en Allemagne pour évaluer si les Jeux pouvaient être tenus selon des principes olympiques. Mais en réalité, la mission de Brundage était une manœuvre consciente pour dévier la campagne de boycott, pour laquelle Brundage a blâmé “les juifs et les communistes.” Lors de sa visite en Allemagne en septembre 1934, il a rencontré des athlètes juifs en présence de trois dirigeants du parti nazi, dont un en complet uniforme SS avec un revolver. Les athlètes juifs ont craint pour leurs vies et n’ont pas osé faire part de leurs critiques contre le régime nazi. Brundage est revenu aux USA en donnant son approbation aux jeux de Berlin.

    Brundage, qui est plus tard devenu président du CIO (entre 1952 et 72), était également un admirateur d’Hitler et était ouvertement antisémite. Il a cité Main Kampf comme sa principale “inspiration spirituelle.” Son ami, le principal capitaliste suédois Sigfried Edström (lui aussi président du CIO entre 1946 et 52) était aussi un sympathisant fasciste. En 1934, pendant que faisait rage la campagne pour le boycott, Edström avait écrit à Brundage : “L’opposition nazie à l’influence des juifs peut seulement être comprise si vous habitez en Allemagne. Dans certains des plus importants commerces juifs, ils empêchent tous les autres de rentrer… plusieurs de ces juifs sont d’origine polonaise ou russe avec des esprits entièrement différents de l’esprit occidental. Un changement de ces conditions est absolument nécessaire si l’Allemagne veut rester une nation blanche.” [Lettre d’Edström à Brundage datant du 8 février 1934 et issue des archives nationales de Suède]

    Après les Jeux Olympiques de Berlin, Edström, à l’époque vice-président du CIO, a assisté à un rassemblement du parti nazi à Nuremberg et a plus tard déclaré : “C’était l’un des plus grands spectacles auquel j’ai pu assister… Il [Hitler] est probablement l’un des individus les plus puissants et les plus fortement soutenus de l’histoire mondiale. Je suis sûr que 60 millions de personnes sont disposées à mourir pour lui et à faire ce qu’il demande.” Indiquant clairement que Berlin n’était en aucun cas une abérration pour le CIO, ce dernier a décidé ensuite d’attribuer les Jeux de 1940 au Japon. Cette olympiade n’a jamais eu lieu en raison de la guerre, mais cette décision de favoriser encore un autre régime militariste et farouchement anti-communiste avait été prise en connaissance totale des atrocités du Japon en Chine, que ses armées occupaient depuis 1931.

    Une importante couche d’industriels et de politiciens capitaliste à travers le monde a regardé favorablement l’Allemagne, le Japon et d’autres régimes autoritaires ou fascistes en les voyant comme des remparts à la diffusion du “communisme”. Ce n’est que lorsque les ambitions impérialistes d’Hitler et de l’empereur japonais se sont opposées aux leurs que les “démocraties” capitalistes ont adopté une rhétorique antinazie. Le parallèle avec la Chine d’aujourd’hui est qu’internationalement, une large couche de capitalistes voit l’actuel régime communiste-uniquement-en-nom comme le meilleur espoir de garder la Chine ouverte pour le capitalisme tout en maintenant son énorme classe ouvrière sous contrôle. C’est pourquoi ils soutiennent avec enthousiasme l’accueil que la dictature chinoise a réservé aux Jeux Olympiques.

    Après la Deuxième Guerre Mondiale, Edström et Brundage ont utilisé leurs positions à l’intérieur du CIO pour essayer de favoriser la libération de criminels de guerre nazis condamnés. Le cas le plus célèbre est leur campagne pour la libération de Karl Ritter von Halt, membre allemand du CIO jusqu’à la fin de la guerre et personnage éminent du régime d’Hitler, emprisonné en Russie. Ritter von Halt a été libéré en 1951 en tant que monnaie d’échange, puisque c’est dès ce moment que l’Union Soviétique a été admise dans le mouvement olympique.

    Brundage a continué à défendre des causes réactionnaires en tant que président du CIO. Il était un ardent défenseur de la chasse aux sorcières anti-communiste du sénateur McCarthy dans les années ’50. Il a aussi critiqué le Président Eisenhower pour avoir arrêté la guerre de Corée, ce que Brundage a qualifié d’acte “honteux pour tous les blancs en Asie.” La démission de Brundage à la tête du mouvement olympique était l’une des revendications de Tommy Smith et John Carlos lors de leur protestation en 1968 (ils ont également exigé que le de champion du monde de boxe soit rendu à Muhammad Ali).

    En 1980, Juan Antonio Samaranch, indiscutablement le plus puissant des présidents du CIO, est devenu le chef du CIO. Il s’est décrit comme “100% franquiste” en référence au dictateur fasciste espagnol. La biographie officielle de Samaranch, éditée par le CIO, ne parle pas de sa longue carrière politique en tant que député fasciste à Cortes puis ministre du sport sous la dictature de Franco. C’était durant cette période que Samaranch a entretenu des contacts étroits avec Horst Dassler, héritier de l’empire Adidas et figure cruciale mais clandestine du mouvement olympique. Dans les années ‘60, les balles de football d’Adidas étaient fabriquées par des prisonniers des geôles espagnoles, dans le cadre d’un contrat négocié avec l’aide de Samaranch. Cette utilisation du travail forcé de prisonniers n’était qu’un prototype – à une échelle beaucoup plus petite – de la production actuelle.

  • Jeux Olympiques en crise : Dans la tourmente de protestations mondiales

    Jeux Olympiques en crise :

    Les positions se durcissent vis-à-vis du Tibet. Les “insultes” occidentales envers la Chine annoncent le danger d’une crise plus large.

    Article publié sur le site chinaworker.org le 16 avril 2008


    Quelques mots du traducteur…

    On ne sait plus où donner de la tête. D’un côté, on voit des artistes comme Steven Spielberg protester contre l’implication de la Chine en Afrique ainsi que contre l’oppression du peuple tibétain ou encore des manifestants tenter de bloquer la flamme olympique.

    De l’autre, des partis comme le PTB prétendument “rénové” en Belgique ou le Parti Communiste Français (qui vient d’envoyer Marie-Georges Buffet en visite au Vietnam pour y réaffirmer ses liens de solidarité avec la clique de bureaucrates qui y usurpe le pouvoir depuis maintenant bientôt 63 ans) vocifèrent contre la “propagande impérialiste” qui vise à salir l’image de la République “Populaire” de Chine (1). Sans se soucier aucunement du fait que la Chine soit aujourd’hui devenue un pilier du capitalisme mondial au même titre que les Etats-Unis…

    Pendant tout ce temps, les gouvernements occidentaux préfèrent faire l’autruche et attendre que passe la crise : en plein début de récession mondiale, qui donc voudrait se fâcher avec la Chine alors que nombreux sont ceux qui entretiennent des illusions sur son futur rôle de sauveur du capitalisme mondial ?

    Au milieu de tout ceci se trouve la polémique autour du Tibet et du Dalaï Lama, lequel, en réalité, est de plus en plus discrédité parmi les rebelles tibétains depuis qu’il a abandonné ses revendications indépendantistes pour chercher une solution uniquement par la voie diplomatique.

    Mais de ce fait, ni ce qui reste des staliniens occidentaux, ni les libéraux et autres pacifistes bien-pensants ne semblent s’en soucier, pas plus qu’ils ne se soucient des revendications et des aspirations du peuple chinois surexploité. Les travailleurs chinois, tout comme le peuple tibétain, ne doivent compter que sur eux-mêmes. C’est ce que nous verrons dans cet article et dans les autres.

    Mais laissons les collaborateurs du site chinaworker.org nous expliquer un peu plus en détail les tenants et aboutissants de toute cette histoire…

    Gilles


    [1] Le PTB a encore récemment publié une interview d’Anne Morelli, professeur à l’ULB, qui déclare que “quand on tape des immigrés à Toulouse, je suis contre, quand on tape des immigrés à Lhassa, je suis contre aussi” .

    Les Jeux Olympiques en crise

    Les Jeux Olympiques de Pékin plongent dans la crise. Les protestations qui ont suivi la Flamme Olympique lors de son trajet mondial ont ravivé la critique internationale quant à la politique suivie par le régime chinois à Tibet, et sur les “attaques contre les droits de l’homme” (un terme délibérément vague, signifiant répression étatique).

    La réaction en Chine a été une vague de nationalisme menée par les média contrôlés par l’Etat, afin de “défendre les Jeux Olympiques chinois”, comme si ces Jeux n’étaient pas avant tout une occasion de se faire plein d’argent pour les gros sponsors tels qu’Adidas, Samsung, Coca Cola et McDonald’s, une masse d’argent dont les travailleurs de ces entreprises – en Chine et dans le reste du monde – ne toucheront rien.

    Les critiques qui ont fusé de toutes parts après les manifestations à Londres, Paris et San Francisco ont mené à un accroissement des tensions internationales qui pourrait déborder en un conflit économique et politique bien plus large.

    A cause d’une mésestimation désastreuse de la part de tous les organisateurs, les JO 2008 sont devenus les Jeux les plus politisés depuis ceux de Moscou en 1980. Mais alors que le boycott cette année-là était mené par les gouvernements occidentaux, avec au premier rang Jimmy Carter ainsi que Margaret Thatcher et était joyeusement soutenu par leur “ami” Deng Xiaoping (annonçant ainsi le début de la « longue marche » chinoise vers l’économie de marché), les manifestations d’aujourd’hui proviennent d’en bas.

    Elles ont été menées par des organisations de la base, et n’ont reçu que très peu de soutien et d’encouragements de la part des différents Etats (c’est plutôt le contraire qui est vrai d’ailleurs). Le fait que ces manifestations aient été relativement petites est la preuve que leurs organisateurs ont surtout opéré à “contre-courant” du discours dominant dans les médias et parmi l’establishment – jusqu’à maintenant.

    Les dirigeants capitalistes occidentaux ont évité toute critique du soi-disant Parti “Communiste” Chinois (PCC), parce que leurs économies sont tellement dépendantes de ses politiques anti-ouvrières et anti-démocratiques, mais aussi parce que, comme le dit un vieux dicton : “Celui qui vit dans une serre s’abstient de jeter des pierres”! Etant donné ce que sait le reste du monde au sujet du demi-million de gens tués lors de l’occupation de l’Irak, l’administration Bush n’est pas vraiment en position de pouvoir juger les actions d’autres régimes.

    Le Président Bush a brillé par son absence de toute critique vis-à-vis de la répression au Tibet (où apparemment 150 tibétains et 20 Chinois Han ont été tués depuis le 14 mars) ou face à la Chine en général. A la place, il a pressé Pékin de “négocier” avec le Dalaï Lama et de montrer un certain “détachement”. Se référant au Tibet, on a pu entendre un dirigeant du PCC déclarer “Nous avons Bush derrière nous, il n’y aura donc aucun problème”, selon Xu Youyu de l’Académie Chinoise des Sciences Sociales (tiré de Dagens Nyheter, Suède, le 25 mars 2008). C’est exactement la même chose qui s’est produite avec Taïwan au cours des dernières années : Pékin et Washington ont collaboré très étroitement afin de mettre des bâtons dans les roues du gouvernement du président indépendantiste Chen Shui-bian.

    Manifestations de la base

    Les gouvernements du monde entier ont été encore plus muets au sujet du Tibet qu’au sujet des liens entretenus par le régime chinois avec la Birmanie ou le Soudan. Là, il y a eu de la répression militaire, et derrière il y a l’influence politique et économique grandissante de la Chine en Afrique et en Asie du Sud-Est.

    Mais, à cause de la dépendance de plus en plus grande de l’Occident par rapport à la Chine, ces considérations n’ont pu être formulées très ouvertement. Cette réalité a été très clairement mise en avant par le Ministre français des Affaires Etrangères, Bernard Kouchner, auquel Le Monde (29 mars 2008) demandait si les critiques de son gouvernement étaient “limitées” par la puissance économique de la Chine. “Effectivement, cela rend les choses plus compliquées”, a répondu Kouchner. “Si le Tibet avait le désir et les moyens d’acheter des réacteurs nucléaires EPR (made in France), les droits de l’homme seraient alors bien plus en vue du CAC 40”, la principale bourse française. Le Président Sarkozy a déclaré vouloir organiser un “boycott” de la cérémonie d’ouverture olympique, mais ceci n’est rien de plus qu’une manoeuvre pour tenter de regagner quelques points dans les sondages d’opinion. Lorsque le même Sarkozy s’était rendu à Pékin lors d’une visite d’Etat en novembre passé avec une délégation de 30 personnes comprenant la moitié de son cabinet, le Ministre des Droits de l’Homme avait été laissé à Paris ! Sarkozy est cependant revenu avec des contrats gouvernementaux d’une valeur de 20 milliards d’euro.

    Cependant, tout cet arrangement hautement profitable entre les différents gouvernements capitalistes pourrait être chamboulé par une remontée du sentiment nationaliste déclenchée par les Jeux Olympiques. Un sondage récent mené par le Financial Times du 15 avril 2008 a révélé un changement d’attitude majeur en Europe, avec les populations de Grande-Bretagne, de France, d’Allemagne et d’Italie percevant maintenant la Chine comme un plus grand danger pour la stabilité mondiale que les Etats-Unis.

    Aux Etats-Unis, la Chine est maintenant perçue comme étant une plus grande menace que la Corée du Nord ou l’Iran. Ceci se reflète également dans la course à la présidence aux Etats-Unis – laquelle a toujours été une grande occasion de “taper du Jaune”, bien que le ton diminue toujours un peu dès que le gagnant s’est fait élire. Hillary Clinton en particulier, déterminée à tout pour rester en lice, a attaqué la décision de Bush de se rendre à la cérémonie d’ouverture des JO. Une rencontre entre l’envoyée de la Maison Blanche au Tibet, Paula Dobriansky, et le Dalaï Lama, programmée pour la semaine prochaine, pourrait encore approfondir la crise actuelle.

    En Inde, la base des dirigeants tibétains en exil, les opposants tibétains auront peut-être le plaisir douteux de se voir “soutenus” par le BJP, parti hindou fondamentaliste, violemment opposé à l’autodétermination des peuples du Kashmir, d’Assame et d’autres parties de l’Inde, mais qui accuse, de la manière la plus hypocrite qui soit, le gouvernement de Manmohan Singh de chercher une “conciliation scandaleuse avec la Chine”.

    Partout dans le monde, on a pu voir les images d’un immense cordon de sécurité chargé de protéger la flamme olympique (ou “flamme sacrée”, comme les médias chinois l’appellent) ; ces images sont un désastre de propagande pour les organisateurs. Un porte-parole de la police parisienne a déclaré à The Gardian (8 avril 2008) que l’opération de sécurité qu’il a fallu mettre en place “était un peu comme celle qu’on avait pour Georges Bush”.

    Une telle image dans les médias, surtout avec le rôle provocateur et parfois agressif d’une escouade des “Dragons Volants”, unité d’élite de la Police Armée Populaire de Chine (PAP) qui était chargée de protéger la torche, a eu bien plus d’impact sur l’opinion, liant le problème de la répression et du manque de droits démocratique au Tibet et en Chine avec les Jeux Olympiques, que n’en auraient jamais été capables l’ensemble des groupes de pression d’exilés tibétains ou de groupes de défense des droits de l’homme en Chine. Le camouflet ultime pour les organisateurs chinois et du Comité olympique a été le départ du footballeur Diego Maradona en plein milieu de la cérémonie, à Buenos Aires, mouvement inattendu, étant donné les liens très étroits qu’entretient Maradona avec les gouvernements de Castro à Cuba et de Chávez au Vénézuela – deux régimes qui se sont publiquement déclarés en faveur de la répression au Tibet.

    Durcissement des positions

    Au moment où nous écrivons, les positions se durcissent. La dictature chinoise refuse d’annuler le parcours de la flamme olympique, le plus long jamais organisé puisqu’il devra parcourir les six continents pendant 130 jours, craignant que cela soit interprété comme un signe de faiblesse face à la pression internationale, une retraite qui saperait sérieusement la position de l’Etat monopartite. Les divers groupes de protestations perçoivent un soutien public international croissant, mais bien entendu les politiciens capitalistes ne font que sauter dans le wagon pour des raisons électoralistes, utilisant des arguments hypocrites et nationalistes. Ce revirement d’opinion est dû au fait que la classe dirigeante – en particulier dans les Etats impérialistes dominants – craint que la Chine, au vu de l’intransigeance du régime chinois au sujet des JO, n’adopte une position encore plus bornée lors de futurs débats économiques et géopolitiques bien plus importants.

    Le Comité International Olympique (CIO) se trouve d’un coup dans le camp des G8, OMC et autres symboles de la soif de profit des corporations et des jeux de domination politique qui sont la cible des protestations.

    Avec de puissants partis ouvriers dans les bons pays, il serait possible d’envoyer un appel à l’unité des travailleurs contre la répression politique et religieuse ainsi que contre l’exploitation capitaliste dans le monde entier. Malheureusement, étant donné qu’aucun des groupes impliqués ne représente une position ouvrière ou internationaliste, le débat autour des protestations a pris un cours nationaliste de tous les côtés.

    Les manifestations sont universellement décrites dans les médias occidentaux comme étant “anti-chinoises” ou “pro-chinoises”, mettant dans le même sac le régime dictatorial et les masses qu’il opprime (souvent sur demande de compagnies étrangères américaines ou autres). Aux yeux de nombreux Chinois, tout ceci n’est qu’une vaste campagne contre eux en tant que peuple, traditionnellement dénigré par les dirigeants occidentaux racistes. Pour cette raison, nombre d’entre eux s’alignent en ce moment sur une ligne nationaliste derrière le régime du PCC.

    Le fait que de nombreux porte-paroles du mouvement “Free Tibet” soient des occidentaux et non pas des Tibétains renforce également la propagande du PCC, qui prétend que les protestations sont organisées par les gouvernements occidentaux et la CIA qui tentent d’exploiter l’enjeu tibétain afin d’attaquer la Chine. Mais comme nous l’avons vu, c’est en fait tout le contraire. Même le Dalaï Lama et son gouvernement-bourgeois-en-exil, tous désespérés qu’ils sont d’arriver à des négociations avec le régime chinois, refusent de soutenir ces manifestations ou les appels à un boycott olympique.

    Le Dalaï Lama a récemment confirmé que des envoyés de son gouvernement sont entrés en discussion “privée” avec le régime de Pékin, tandis que la répression au Tibet continue. Le Président Hu Jintao exige du Dalaï Lama une “action concrète” afin de pouvoir sérieusement entamer les négociations. Pékin veut que le dirigeant tibétain se distancie de manière encore plus radicale des mouvements de protestation, et appelle ses disciples à coopérer avec les autorités. Une telle distanciation n’est pas exclue dans la période à venir, mais provoquerait alors un véritable schisme au sein du mouvement tibétain en exil, et saperait encore plus la position d’une direction déjà fortement critiquée pour sa politique conciliatrice.

    Les Jeux Olympiques, “apolitiques” ?

    L’establishment capitaliste partout dans le monde affirme qu’on ne devrait pas mélanger politique et sport. Mais c’est de la pure hypocrisie ! Le premier acte d’ouverture de la Chine à l’Ouest sous Mao Zedong en 1971 a précisément été sa décision d’autoriser la venue en Chine de l’équipe nationale américaine de ping-pong.

    Aujourd’hui, coincé au sujet du Tibet, le régime chinois utilise la question des Jeux Olympiques en tant qu’enjeu politique crucial. Il a donné une publicité énorme à l’idée que les protestations contre le JO relevaient d’un complot contre la Chine, inventant l’idée que la Chine est sous attaque et qu’elle doit se défendre. Le nationalisme chinois a des racines très profondes, dues aux crimes commis par les impérialismes occidentaux et japonais dans le passé. Mais une analyse plus attentive de la politique du régime révèle l’hypocrisie de leur position actuelle.

    Le PCC a démantelé l’ancien Etat-providence du pays (soins de santé gratuits, logements sociaux bon marché, éducation gratuite) et l’économie bureaucratiquement planifiée qui finançait ces réformes afin de pouvoir mieux embrasser l’économie capitaliste et attirer une quantité massive de capital étranger. 50.000 entreprises américaines opèrent à l’intérieur de la Chine et reçoivent de superbes cadeaux de la part du régime du PCC sous la forme de réductions d’impôts, de subsides pour l’achat de terres, et de main d’oeuvre bon marché. Mais pourquoi donc les travailleurs et paysans de Chine devraient-ils “défendre” cette situation ou toutes les autres politiques capitalistes du régime actuel ?

    L’alliance stratégique du régime du PCC avec le capital étranger est représentée par les JO de Pékin. Les Jeux ne sont qu’un grand festival à la gloire des grandes corporations, leur rôle principal étant d’être une source d’immenses profits pour les sponsors, les médias et le secteur de la construction. Ils n’offrent que très peu aux travailleurs, à part une distraction temporaire, en-dehors de la lutte quotidienne pour la survie. Le parcours de la flamme olympique, qui a été transformé par le régime chinois en un symbole de “l’honneur” chinois, a en fait été institué par les JO de Berlin en 1936 en tant que symbole du triomphalisme nazi. Cela n’a absolument rien à voir avec l’internationalisme ou la célébration de relations harmonieuses.

    La décision du régime chinois de faire passer la route de la flamme à travers le Tibet (avec l’escalade du Mont Everest), le Xinjiang et Taïwan ne peut pas être décrite comme étant un acte “apolitique”. Un tel étalage est l’apanage de chaque élite au pouvoir, où que ce soit, désireuse de faire voir sa puissance et de dévier l’attention du peuple des véritables enjeux : l’emploi, les bas salaires, la pollution mortelle et l’envolée des prix de la nourriture.

    Cette année encore, la moitié de la population mondiale va boycotter les Jeux Olympiques, étant donné que tous ces gens sont trop pauvres que pour s’acheter une télévision ou s’arrêter de travailler. Le Stade National de Pékin, spécialement construit pour l’occasion (le “Nid d’Oiseau”, comme ils l’appellent) a une capacité maximale de 91.000 spectateurs, c’est-à-dire 0,00007% de la population chinoise. Malgré le fait que leur cité soit une des plus riches du pays, la plupart des citoyens de Pékin ne peuvent se permettre un ticket pour le stade, où les meilleurs sièges seront occupés par de riches étrangers et par l’élite chinoise.

    Le stade a déjà coûté 3,5 milliards de yuan (350 millions d’euros) pour sa construction. Pendant ce temps, en Chine, 260 millions de personnes, y compris de nombreux Tibétains et autres membres de minorités nationales, n’ont pas accès à l’eau potable. Pékin elle-même doit faire face à de graves coupures d’eau, résultat de la désertification en Chine septentrionale et de l’épuisement de la nappe phréatique. Afin de “résoudre” ce problème pour les trois semaines durant lesquelles la ville sera pleine de journalistes, d’athlètes et de touristes étrangers, la cité de Pékin a été autorisée à drainer les réserves des nappes phréatiques de la province voisine de Hebei, y suscitant des manifestations de la part des industriels et des paysans.

    Les JO 2008 ont l’ambition de célébrer cette “Nouvelle Chine”, un acteur-clé dans le processus de mondialisation capitaliste, où le gouffre entre riches et pauvres est maintenant plus extrême qu’en Russie ou en Inde. La Chine compte maintenant 106 milliardaires en dollars, le seul pays à en compter plus étant les Etats-Unis. Cependant, 300 millions de gens vivent encore avec moins d’un dollar par jour (7 yuan), ce qui correspond au seuil de pauvreté absolu défini par la Banque Mondiale. Pour la vaste majorité de la population pauvre de Chine, ce qui est nécessaire, c’est la lutte et l’organisation – pas les discours extravagants glorifiant le nationalisme et les multinationales !

    L’affrontement des nationalismes

    En décrivant toute critique de ses politiques comme étant une “attaque à l’encontre de” et une “tentative de scinder” la Chine, le PCC est temporairement parvenu à mobiliser un soutien public, surtout en provenance de couches des classes moyennes urbaines et de la communauté chinoise vivant à l’étranger.

    Cela fait trente ans qu’une telle rhétorique anti-occidentale n’avait plus été utilisée dans les médias chinois, qui depuis des décennies ont tenté de suivre l’exemple voire de copier tout ce qui pouvait “faire occidental”. Même les critiques du régime et certaines parties de la gauche chinoise ont été emportées, dans une certaine mesure, par cette vague nationaliste. Le PCC copie la propagande de Bush et des Républicains américains, qui décrivaient toute opposition aux guerres d’Irak et d’Afghanistan comme étant “anti-américaine” et “pro-terreur”. Les résultats – une fois que les événements se seront développés – peuvent être similaires dans le sens d’une énorme désillusion et d’une colère envers un gouvernement qui ment à son peuple.

    Mais cette politique implique aussi d’immenses risques d’escalade du nationalisme chinois et une réaction mondiale sous la forme d’un nationalisme anti-chinois repris en choeur par des politiciens opportunistes. Les médias bourgeois du monde entier claironnent à nouveau la supériorité des “valeurs occidentales” par rapport au “capitalisme autoritaire” asiatique; comme si l’Occident n’exploitait pas et n’était pas basé sur ce capitalisme asiatique. Lors des dernières semaines, les forces de police en-dehors de la Chine ont arrêté presque autant de manifestants pro-Tibet que les forces de sécurité chinoises (bien qu’évidemment, le traitement infligé n’était pas le même). A Londres, la police a arrêté des jeunes juste parce qu’ils portaient un T-shirt “Free Tibet”. Merci la liberté d’expression !

    Les commentateurs de droite expliquent que le droits démocratiques sont intrinsèques à la société capitaliste judéo-chrétienne. Mais cela n’a rien à voir ! Historiquement, les Etats capitalistes européens ont assis leur règne dans une grande partie de l’Asie en utilisant exactement les mêmes méthodes que celles employées aujourd’hui par le régime chinois: il n’y a par exemple jamais eu d’élections libres à Hong Kong sous le règne britannique, ni au Tibet qui a été envahi et occupé par les troupes britanniques de 1904 jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale. La plupart des pays européens n’ont pas connus le suffrage universel avant la révolution bolchevique de 1917 en Russie (qui a forcé les capitalistes partout dans le monde à instaurer des réformes en profondeur, de peur d’une révolution).

    L’Histoire a montré que la seule force capable de garantir des droits démocratiques de base est un mouvement ouvrier organisé. Ces droits sont de plus en plus attaqués par les pays occidentaux, surtout depuis le début de la “guerre contre la terreur”, et ne peuvent être maintenus que par une lutte ouvrière soutenue aboutissant au renversement du capitalisme et à son remplacement par une société socialiste démocratique.

    A moins que des mesures ne soient prises pour étouffer la crise olympique, ceci pourrait bien marquer le début d’une nouvelle “Guerre Froide” entre camps capitalistes rivaux. Au sein du camp sanctionné “prochinois” par le régime, comme on l’a vu lors de la grande manifestation à San Francisco le 9 avril, on retrouve tout un assortiment de nationalistes de droite, de fascistes, de partisans du Guomindang et de membres des mafias – qui sont loin d’être des amis de la classe salariée chinoise – et qui tentent d’utiliser cette occasion afin d’étendre leur influence. A cette même manifestation à San Francisco, un vétéran des événements de 1989 à Pékin a été physiquement attaqué et traité de “traître” par des Chinois pro-régimes, parce qu’il portait un T-shirt “n’oubliez pas Tienanmen”. En Australie, des organisations chinoises ont mobilisé pour “défendre” la flamme olympique le 24 avril et ont dû commander des stocks supplémentaires de drapeaux nationaux chinois, l’approvisionnement local étant épuisé.

    Le slogan officiel des Jeux Olympiques 2008, “Un monde, un rêve”, n’est plus qu’une vaste blague ! Pendant ce temps, les partisans de l’indépendance au sein du mouvement national tibétain, opposés à la “grande autonomie” mise en avant par le Dalaï Lama, gagnent du terrain au fur et à mesure que la répression s’intensifie.

    Leçons des manifestations anti-japonaises

    Comme l’ont toutefois démontré les manifestations anti-japonaises de 2005, le régime chinois pourrait intervenir afin de disperser les protestations et mettre un terme aux refrains nationalistes sur internet dès que cela commence à poser un problème à son marché d’exportation et aux investissements étrangers.

    Dans l’environnement précaire qu’est le monde actuel, les menaces pesant sur l’économie chinoise sont encore plus sérieuses. Aucune grande puissance économique n’est plus dépendante des marchés mondiaux que ne l’est la Chine. Une autre – plus grande encore – menace à laquelle doit faire face le régime chinois est la classe salariée surexploitée qui pourrait saisir cette opportunité pour se mettre en grève afin d’obtenir une hausse salariale et d’autres améliorations de leur niveau de vie aux dépens des capitalistes étrangers qui possèdent un quart de l’industrie chinoise (bien que ces entreprises soient intimement liées avec des capitaux chinois “nationaux”). En avril-mai 2005, 40.000 travailleurs à Dalian et 12.000 à Shenzen ont cessé le travail contre leurs patrons japonais. Parmi leurs revendications se trouvaient le droit d’avoir un syndicat indépendant et, bien qu’ils n’ont pas obtenu satisfaction sur ce point crucial, leur grève leur a assuré d’importantes concessions économiques.

    Une campagne est maintenant en cours en Chine pour boycotter les marchandises françaises, à la suite de « l’insulte” commise par les politiciens français (y compris, de manière assez ironique, par le Parti « Communiste » Français qui dirige Paris avec les « Socialistes » et les « Verts »). Cela a été tourné en une attaque contre l’athlète paralympique chinoise, Jin Jing, surnommée “l’ange en chaise roulante” par les médias chinois. Elle est maintenant devenue une star dans le pays après avoir dû repousser un manifestant parisien qui tentait de lui arracher la flamme olympique des mains.

    Mais cette campagne de boycott est réactionnaire et en dit long sur la nature des classes sociales qui se font le plus entendre au sein du débat qui fait actuellement rage en Chine. Les neuf-dixièmes de la population chinoise ne peuvent pas se payer de vin français ni des sacs Louis Vuitton ; dans un certain sens, ils sont déjà en train de “boycotter” les produits français. Des activistes sur internet ont également appelé à un boycott national de Carrefour, le plus gros détaillant étranger en Chine. Mais cette campagne – si elle réussit – fera surtout du tort aux 40.000 employés chinois de l’entreprise plutôt qu’à ses patrons français.

    Comparons cette prise de position par rapport à l’absence de réaction lorsque 3.000 travailleurs du Sichuan, en juillet de l’an passé, ont entamé une grève particulièrement âpre contre la multinationale du ciment française Lafarge, qui avait décidé une vague massive de licenciements à l’ex-usine nationale de ciment Shuangma, près de Jiangyou. Il n’y eut alors aucun appel de la part des nationalistes à boycotter les produits français. A ce moment-là, un contingent de 2.000 agents de la même police paramilitaire (PAP) qui est aujourd’hui chargée de protéger la flamme olympique et de réprimer les manifestants tibétains a été utilisée pour écraser la grève de deux semaines. Une ouvrière de 25 ans s’est suicidée en guise de protestation contre l’entreprise française et ses nervis de l’Etat chinois. Mais, au contraire des manifestations olympiques actuelles ou des émeutes du Tibet, les protestations au Sichuan n’ont jamais été relayées par les médias étatiques…

    Tibet – quelle solution ?

    Comme les véritables socialistes l’ont toujours averti, le régime chinois utilise les événements au Tibet et maintenant le débat olympique afin de rassembler un soutien populaire en faveur d’une extension des forces de répression pour faire taire toute critique vis-à-vis de sa politique anti-pauvres.

    Du point de vue de la propagande, les attaques exercées par les Tibétains sur les civils d’ethnie chinoise Han ou Hui lors des émeutes du 14 mars ont rendu un énorme service au régime. Il y a malheureusement un risque élevé d’explosion de violences interethniques sous un régime qui interdit l’organisation autonome des masses, et surtout de la classe ouvrière. Un proverbe chinois dit : “Tue le poulet pour faire peur au macaque !” Aujourd’hui, on fait un exemple des Tibétains, mais le message “Obéis ou meurs !” vise en particulier l’immense classe ouvrière chinoise.

    Il faut se souvenir qu’en mars 1989, Hu Jintao, alors responsable du PCC au Tibet, a organisé un assaut militaire sur le Tibet avec des centaines de morts en conséquence. Trois mois plus tard, les mêmes méthodes étaient utilisées – mais de manière encore plus brutale – contre les travailleurs et les jeunes de Pékin.

    La répression au Tibet fait suite à toute une série d’autres protestations de masse qui représentent un défi au pouvoir et à l’autorité du gouvernement chinois. Le massacre de Shanwei, le 6 décembre 2005, dans la province de Guangdong (Canton), est un de ces cas.

    Officiellement, trois villageois ont été tués lors d’une manifestation contre la construction d’une centrale électrique hautement polluante. Selon les résidents, ce sont en fait 13 personnes qui ont été tuées, et ils accusent les autorités de cacher les cadavres et de terroriser les villageois afin de couvrir l’affaire. Toutes les victimes de Shanwei étaient des Chinois Han. Ces images n’ont jamais été diffusées à la télévision d’Etat, au contraire des séquences montrant les Tibétains insurgés qui ont été passées et repassées tous les jours pendant plusieurs semaines.

    En fait, les événements au Tibet sont le seul cas de trouble politique qui soit montré à la télévision, dans un pays ou, selon les chiffres officiels (!), des émeutes, l’incendie de voitures de flics, et autres actes de violence, se produisent sur une base quasi-hebdomadaire. Par exemple, sept manifestants et un policier auraient apparemment perdu la vie lors des manifestations anti-pollution de mars dans le Fujiuan. Bien entendu, toute information sur ces événements (au cours desquels aucun Tibétain ne prit part) a été totalement censurée.

    Les mouvements de protestation réclamant plus de droits religieux et politiques au Tibet, sont à l’image de ceux qui se sont produits au cours des dernières semaines dans d’autres régions de l’Ouest de la Chine, et de la province du Xinjiang, à majorité turcophone, qui ont reçu toute la sympathie de nombreux travailleurs et jeunes partout dans le monde. Ceci n’a rien à voir avec la position des classes capitalistes de ces pays, qui ne se soucient pas une seconde du sort des peuples chinois et tibétains, du moment que leurs profits sont en sécurité.

    Le gouvernement chinois et les autres nationalistes se défendent en disant que la majorité des gens à l’étranger ne se sont jamais rendu au Tibet, et ne connaissent donc pas la situation sur place. Mais la plupart des 30 millions de gens qui ont manifesté contre la guerre d’Irak en 2003 ne se sont jamais rendus ni aux Etats-Unis ni en Irak, mais sont capables de reconnaître une agression militaire lorsqu’ils en voient une !

    Le conflit tibétain est devenu une des premières préoccupations dans la conscience des gens partout dans le monde, aidé en cela par une série de mauvais calculs de la part du régime chinois. Mais ce conflit ne peut être résolu sur une base capitaliste. Quelle que soit la répression exercée par le régime du PCC, ce n’est pas cela qui réconciliera les Tibétains avec les conditions de vie qu’ils connaissent aujourd’hui.

    Mais aucune solution n’est à attendre non plus de la part de la direction bourgeoise du mouvement tibétain en exil, ni de la clique de tous les divers groupements des “amis du Tibet”, aux objectifs surtout religieux. Poussés par les mesures de plus en plus brutales exercées par le régime de Pékin, il y a maintenant des signes indiquant que toute une section de la jeunesse tibétaine pourrait se diriger sur la voie du terrorisme individuel. Les marxistes sont contre cette méthode d’action, puisque le seul résultat qu’elle pourrait obtenir serait de donner au régime chinois une nouvelle excuse pour aggraver la répression, tout en rendant plus difficile une lutte commune aux côtés des ouvriers et paysans d’ethnie chinoise Han.

    La libération de la dictature et de l’oppression nationale ne peut se faire que par une lutte de masse organisée et contrôlée démocratiquement, basée avant tout sur les forces de la classe ouvrière.

    L’ennemi, c’est le capitalisme

    Les communautés tibétaine et chinoise Han ont vécu en interaction très étroite pendant des siècles. De nombreux foyers tibétains vénèrent Mao Zedong pour le rôle qu’il a joué dans l’abolition du féodalisme et l’amélioration des conditions de vie, même si les méthodes utilisées, qui étaient celles d’une bureaucratie à la main lourde (les seules méthodes disponibles pour une dictature stalinienne) en aliénèrent également plus d’un.

    Le conflit actuel, toutefois, n’est pas une simple rediffusion des conflits de 1959 et 1989 (pour plus d’informations, voir notre article sur le Tibet et la Question Nationale ). Le développement du capitalisme au Tibet a aggravé les tensions sociales à l’extrême, la majorité des Tibétains (dont 75% vivent en région rurale) ayant manqué le boom économique de la dernière décennie.

    Plutôt que des libertés nationales, linguistiques ou religieuses, bien que ces enjeux aient également leur importance, la raison de la récente insurrection était la colère contre la domination croissante de l’économie tibétaine par des riches Chinois Han ou même Hui, tandis que la plupart des Tibétains sont marginalisés économiquement. “C’est le capitalisme qui est identifié comme étant l’ennemi”, s’est exclamé Pankaj Mishra dans le Guardian Weekly (28 mars 2008), l’un des rares rapports occidentaux qui ne soit pas complètement à côté de la plaque.

    Les marxistes défendent le droit des Tibétains à décider de leur propre futur, jusqu’à et y compris le droit à l’indépendance. Mais il y a une polarisation croissante au Tibet, entre les diverses communautés ethniques et parmi les Tibétains eux-mêmes.

    Le régime de Pékin a développé une couche importante de cadres et intellectuels tibétains qui craignent que leur privilèges et positions ne leur soient retirés si le gouvernement du Dalai Lama devait être rétabli à la suite de négociations, et craignent encore plus les masses populaires. Tandis que pour le gouvernement en exil, le “compromis” d’une plus grande autonomie au sein de la Chine, n’est plus considéré comme une “tactique”, mais exprime le désir des anciens maîtres féodaux de se muer en actionnaires capitalistes à la tête d’un nouveau paradis touristique que l’on nommerait “Shangri La”, financé par de grosses injections de capital en provenance de Pékin. Fait peu connu de la plupart des commentateurs capitalistes étrangers, il y a en fait deux élites bourgeoises tibétaines rivales, une interne et une externe, celle basée à Lhassa étant encore plus hostile à un accord avec le Dalai Lama que les dirigeants du PCC à Beijing.

    La classe ouvrière en Chine, au Tibet et dans le reste du monde doit dans cette dispute adopter une position indépendante de tous les camps nationaux bourgeois – s’opposant clairement au racisme et au chauvinisme national, maintenant une position en faveur de l’unité de la classe ouvrière et de l’internationalisme. Concrètement, les masses au Tibet ont besoin de lier leur lutte pour des droits démocratiques de base, pour la fin de la répression étatique et pour un contrôle démocratique sur l’économie à la lutte de la classe ouvrière et de la paysannerie qui se développe à travers toute la Chine. Ce mouvement doit se battre pour :

    • La fin du régime du parti unique et de la répression étatique.
    • La liberté d’association, d’expression et de religion.
    • Le droit d’organisation en syndicats et associations paysannes indépendants, et en partis politiques, répondant également à la nécessité d’un parti ouvrier combatif.
    • La fin des privatisations et des attaques néolibérales. Nationalisation de toutes les principales entreprises – qu’elles appartiennent à des étrangers ou à des Chinois – sous le contrôle et la gestion démocratique des travailleurs. Pour un véritable plan de production socialiste basé sur les comités d’usine, les associations rurales et autres organes populaires à direction élue. La fin du privilège des cadres de l’Etat.
    • Le droit à l’autodétermination du peuple tibétain et de toutes les autres minorités, tout en reconnaissant que le capitalisme et l’oppression nationale (l’impérialisme) ne peuvent être vaincues que par une lutte socialiste internationale, ayant pour but l’établissement d’une fédération socialiste démocratique et sur une base volontaire regroupant les peuples chinois et des autres nations asiatiques, en tant que membre d’une fédération socialiste mondiale.

    Pour en savoir plus

  • Où va la Chine ?

    Emeutes au Tibet, crise économique, etc. Le régime chinois est un gigantesque paquebot pris dans une tempête et qui commence à craqueler de toutes parts…

    Le Tibet proteste contre l’oppression nationale

    Les récentes émeutes qui ont éclaté au Tibet ont des racines autant ethniques qu’économiques. Dans cette région – la plus pauvre de Chine – les banques, restaurants ou commerces sont le plus souvent contrôlés par des chinois aisés de l’ethnie Han alors que les tibétains sont confrontés au racisme, au chômage et aux brutalités policières. En conséquence, les émeutes ont pu parfois prendre un dangereux caractère ethnique.

    Le régime de Pékin – bien que surpris par la violence du mouvement – a réagi en déployant les forces armées, en bloquant internet et les téléphones portables, en interdisant à tout journaliste indépendant du régime de se rendre sur place,… Tout cela a été accompagné de la plus grande campagne de désinformation que le pays ait connu depuis longtemps.

    Le gouvernement chinois a accusé le Dalaï Lama d’être l’instigateur des émeutes. Mais ce dernier a toujours été plutôt « conciliant » face à Pékin et refuse l’indépendance au bénéfice d’un système similaire à celui de Hong-Kong. Plus marquante encore est son absence totale de critiques face à la situation économique rencontrée par « son peuple ». En fait, l’explosion de la colère tibétaine est plutôt un signe de l’affaiblissement de l’autorité politique du Dalaï Lama et de son gouvernement en exil.

    Nous sommes pour le droit à l’autodétermination du peuple tibétain. Mais dans le cadre du système capitaliste – et vu la situation tant économique que géopolitique de la région – l’indépendance du Tibet ne conduirait qu’à l’asservissement non seulement face à la chine, mais aussi face à l’Inde et aux USA. Les masses tibétaines doivent être maîtresses de leur destinée et doivent donc lutter pour le contrôle de leur économie. Cela ne peut se faire qu’en luttant pour une société socialiste avec une économie démocratiquement planifiée où les moyens de productions appartiennent aux travailleurs, qu’ils soient Hans ou tibétains.

    Le socialisme? La Chine se dirige ailleurs…

    Une telle société est aux antipodes de la Chine actuelle. Après la révolution de 1949, malgré le caractère bureaucratique du régime chinois, l’introduction d’une économie planifiée a apporté nombre d’avantages sociaux (dans le domaine de l’enseignement, de la santé publique, du logement, etc.) Mais aujourd’hui, dans les campagnes, le système de santé n’existe même plus. Et même s’il y avait encore assez de médecins, la population ne pourrait pas s’offrir leurs services. C’est donc sans surprise que se développent régulièrement des foyers d’infections. Ne parlons des transports en commun dans les grandes villes: ceux-ci sont soit volontairement laissé à un stade de développement préhistorique (4 lignes de métro seulement pour tout Pékin) soit soumis au capitalisme. Les compagnies de bus de Pékin se font ainsi concurrence, bien qu’elles appartiennent au même propriétaire : l’Etat. Les prix ne diminuent pas pour autant, bien au contraire. Enfin il est important de préciser que le système scolaire est payant.

    Une société où des services élémentaires tels que les soins de santé ou la scolarité sont soit payant soit absent et où la répression et la brutalité sont quotidiennement présentes ne peut se dire socialiste.

    Une récente pénurie de carburant a pris place car les dirigeants de Pétrochina (tous membres du Parti « Communiste ») voulaient augmenter les prix. Le gouvernement, qui craint une inflation trop forte, a tenté de résister et un bras de fer a donc eu lieu avec à la clé une victoire de la compagnie et des difficultés en plus pour la population victime de la pénurie. Quel est le degré de contrôle qu’exerce encore le gouvernement chinois sur les entreprises? Il est clair que les staliniens chinois quittent de plus en plus l’économie planifiée et que les principes capitalistes régissent des pans toujours plus grands de l’économie.

    Crise économique : Quel impact ?

    Jusqu’il y a peu, les dirigeants chinois pensaient que la crise des subprimes ne les menaceraient pas, mais leur prévisions sont maintenant nettement plus pessimistes. La Chine exporte beaucoup vers les USA, et la crise qui s’y développe est un problème d’autant plus préoccupant que la monnaie chinoise a gagné 20% en un an par rapport au dollar et les exportations sont donc plus coûteuses. Il est vrai que la moitié des exportations chinoises restent sur le continent asiatique, mais tous ces pays exportent eux aussi beaucoup vers les USA. S’ils ne peuvent plus y exporter leur production, ils n’importeront plus celle de la Chine.

    En Chine, 90% des logements sont privés (contre 60% en Europe), ce qui entraîne une augmentation du coût de la vie. Les travailleurs doivent s’endetter pour payer leur logement, mais les prix ne cessent d’augmenter. Jusqu’à quel point les travailleurs chinois pourront-ils rembourser? Il est en fait très probable que la crise – en plus de se transmettre – se reproduise en Chine.

    Cette crise est la hantise des dirigeants chinois. Les 10% de croissance annuelle constituent leur meilleur argument pour convaincre le peuple du bien fondé de leur politique. Dans l’hypothèse où la croissance tomberait sous les 7%, le pays serait en récession économique. Le Parti « Communiste » peut à l’avenir se décomposer, sous la pression des protestations sociales massives et des tendances vers l’autonomie au sein de la bureaucratie régnante et de la population.

    Les marxistes doivent dans cette situation soutenir les revendications pour l’obtention des droits démocratiques, mais en les liants à la renationalisation de l’économie, cette fois sous le contrôle des travailleurs.


    Pour en savoir plus

  • Le Tibet en éruption !

    La répression brutale rencontre une faible réaction des gouvernements étrangers.

    Des milliers de membres de la police paramilitaire et de soldats ont été déployés à Lhassa, la capitale tibétaine, après les protestations les plus sérieuses contre la domination chinoise depuis presque 20 années. Plus de 80 personnes ont été tuées et des centaines ont été blessées selon les groupes tibétains en exil, alors que pour les sources officielles de la Chine et de la Région autonome du Tibet, il y a eu tout au plus 16 tués, dont trois jeunes tibétains qui sont « morts en sautant d’un toit ».

    Vincent Kolo, Hong Kong, article publié le mardi 18 mars sur chinaworker.info

    Les protestations ont commencé il y a plus d’une semaine et ont culminés dans une émeute importante dans la capitale tibétaine ce vendredi 14 mars où plus de 300 maisons et magasins ont été brûlés selon les sources officielles. Le dimanche 16 et le lundi 17, les protestations se sont répandues aux régions tibétaines des provinces voisines de Sichuan, Qinghai et Gansu, et un sitting d’une centaine d’étudiants tibétains a même eu lieu dans un parc du district de Haidian, dans la capitale chinoise, Pékin.

    A moins de cinq mois des Jeux Olympiques, la dictature chinoise semble avoir opté pour une répression massive et rapide des protestations tibétaines en comptant sur de faibles protestations de la part des puissances étrangères capitalistes qui dépendent de plus en plus de la Chine économiquement. Comme cela était prévisible, les USA, l’Union Européenne et d’autres gouvernements ont émis les « inquiétudes » habituelles ; mais ont également fait clairement entendre que les protestations tibétaines et la répression n’affecteront en rien leurs relations avec Pékin.

    Dans la région, les gouvernements indien et népalais, où l’ancienne guérilla maoïste a quatre ministres au gouvernement, ont usé de la force contre les manifestations de solidarité avec les protestataires tibétains. À Lhassa, les derniers rapports indiquent que les recherchent se font maison par maison pour trouver les « émeutiers » dans les quartiers tibétains de la ville, les médias officiels qualifiant l’opération de « guerre » contre les forces séparatistes (c’est-à-dire pour l’indépendance). Un état de loi martiale larvé existe à Lhassa et dans d’autres secteurs tibétains et des rapports non confirmés relatent la mort ce dimanche 16 mars de huit protestataires tibétains dans la région d’Aba, dans la province de Sichuan.

    Plutôt que de restaurer la «stabilité», la nouvelle démonstration de terreur d’Etat (peut-être calculée pour « pacifier » le Tibet avant que les jeux olympiques ne commencent en août) ne fera qu’empirer une situation déjà explosive. La jeunesse tibétaine – issue pour la plupart des campagnes où vivent toujours les trois quarts de la population tibétaine – mène une existence de plus en plus désespérée à Lhassa et dans d’autres villes où elle espère trouver du travail, mais ne rencontre que la discrimination, le harcèlement brutal de la police et la concurrence exacerbée des colons chinois Han pour chaque travail.

    En dépit d’un développement spectaculaire du secteur de la construction et d’une économie qui a connu l’an dernier une croissance de 13.8%, la Région autonome du Tibet connaît un des fossés les plus grands entre riches et pauvres, les Tibétains de souche étant dans le deuxième groupe. Les revenus du Tibet, principalement rural, sont seulement équivalents à un tiers de la moyenne pour la Chine dans son ensemble. Tandis que de riches Chinois Han conduisent des voitures étrangères de luxe dans les villes comme Lhassa, nombreux sont ceux qui, dans la jeunesse tibétaine, sont forcés de se tourner vers le crime ou la prostitution. L’afflux de commerçants Han et de petites entreprises, caractéristiques de ces dernières années, a accéléré l’ouverture de la nouvelle ligne de chemin de fer, mais cela n’a en fait que marginalisé plus encore les pauvres tibétains. Alors que l’ethnie tibétaine compose encore officiellement 78% de la population de Lhassa, si on prend en compte les travailleurs issus d’autres provinces ainsi que les soldats de l’Armée Populaire de Libération, il y a alors une majorité de 60% de Han dans la capitale tibétaine.

    Protestations dirigées par la “clique du Dalai Lama”?

    Il est extrêmement difficile de dire exactement ce qui se passe en raison du contrôle du régime sur les médias et l’information. Les journalistes étrangers ainsi que les équipes TV de Hong Kong et de Macao ont été expulsés du secteur et leurs films ont été confisqués. L’association des journalistes de Hong Kong (Hong Kong Association of Journalists) a émis une protestation au sujet du traitement de ses membres, dont beaucoup ont été retenus pendant des heures par les autorités chinoises avant d’être enfin libérés.

    La censure s’étend aussi à Internet ; non seulement des sites étrangers comme « YouTube » sont maintenant bloqués pour la durée des troubles tibétains, mais même le journal britannique « Guardian » ou d’autres sites d’information subissent momentanément le même sort que celui dont chinaworker.info fait régulièrement l’expérience. Sur les blogs et les forums chinois, n’importe quelle mention du Tibet est rapidement effacée par les censeurs. Dans le monde d’Internet, Tibet a déjà cessé d’exister !

    Le régime de Pékin est impliqué dans une guerre de propagande pour vendre sa version des événements à l’opinion publique chinoise ainsi qu’au reste du monde. Mais l’expulsion de tous les témoins indépendants – même les touristes – démontre clairement que la version des événements présentée par le régime ne peut pas être crédible. Les médias d’Etat ont été remplis de contes sinistres relatant des attaques vicieuses contre des civils Han. Le régime veut désespérément isolé les protestataires tibétains d’autres groupes opprimés – travailleurs qui combattent les fermetures d’usines, ceux qui protestent contre la pollution, les paysans qui résistent aux saisies de terre – dont les luttes entraînent une semblable réponse violente de la part de l’Etat chinois.

    Si la version officielle des événements était véridique, les autorités s’assureraient que les journalistes étrangers et les témoins oculaires la corroborent. Mais ils ont visiblement quelque chose à cacher. Selon le dicton, « la vérité est la première perte de la guerre ».

    Pékin accuse la « clique du Dalaï » d’avoir incité les protestations, une référence au chef spirituel bouddhiste tibétain et à son gouvernement en exil en Inde. Ce n’est clairement pas le cas. Plutôt que de revendiquer l’indépendance, le Dalai Lama a adopté une attitude conciliante envers Pékin en espérant une forme d’autonomie plus grande au sein de la Chine dans le style de celle dont jouit Hong Kong. Mais cette stratégie, qu’il appelle la « voie du milieu » est de plus en plus rejetée par les couches les plus radicales de la population tibétaine, en particulier la jeunesse.

    A l’instar de l’occupation israélienne et de la répression en Palestine qui ont miné l’autorité des plus « modérés » (c.-à-d. des pro-capitalistes et des organismes pro-occidentaux palestiniens comme le Fatah), l’explosion actuelle de la colère tibétaine est un signe de l’affaiblissement de l’autorité politique du Dalaï Lama et de son gouvernement en exil. Ces « guides » en exil ont basé leur stratégie sur l’obtention de l’appui des gouvernements étrangers, de l’ONU et d’autres agences capitalistes et impérialistes afin d’exercer une pression sur Pékin. Cela a été un insondable échec dans un monde où gouvernements et chefs d’entreprise se concurrencent de plus en plus les un les autres pour se soumettre à la dictature chinoise en échange de gains économiques.

    Les faiblesses du mouvement tibétain ont maintenant ouvertement éclaté. Un porte-parole du Congrès Tibétain de la Jeunesse a déclaré que le Dalaï Lama, en refusant de réclamer un boycott des Jeux Olympiques et en renonçant à la violence, était « dépassé » par l’humeur des Tibétains. Un instituteur tibétain de Dharamsala, en Inde (où se trouve le siège du gouvernement en exil), a déclaré à l’agence de presse AFP : « en ce moment, le Dalaï Lama est en dehors du processus. C’est un mouvement du peuple Tibétain ».

    Quelques couches de la jeunesse tibétaine regardent et approuvent la lutte de guérilla au Népal alors qu’au lieu de la lutte armée rurale menée par les maoïstes népalais, c’est en fait un mouvement de protestation urbain de masse ainsi qu’une grève en avril 2006 qui a mis fin au règne de la monarchie absolue.

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    Ci dessus: En Inde, répression de protestations tibétaines

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    Voilà le contexte qui se trouve derrière la dernière explosion des protestations. Le sentiment d’être trahi par le monde extérieur et abandonné par les dirigeants en exil est né des humiliations quotidiennes et continuelles sous la domination Han. Des sections plus radicales du mouvement tibétain, qui espèrent obtenir une attention avant les Jeux Olympiques ont placé leurs vues sur le 10 mars, ont voulu utiliser l’anniversaire du soulèvement de 1959 vaincu par la dictature chinoise. Les Tibétains exilés au nord de l’Inde ont alors organisé deux marches dans le but de franchir la frontière et de continuer vers Lhassa. Ces manifestations ont été détournées par les forces de sécurité indienne, mais cela a néanmoins obtenu un écho à l’intérieur du Tibet parmi la jeunesse, y compris chez les jeunes lamas (moines), qui ont occupé les rues. Tout a commencé par une série de marches de protestation non-violentes.

    Propagande de guerre

    Les protestations ont pris une envergure hors de tout contrôle le vendredi, avec une grande quantité d’émeutes, de pillages, d’incendies de magasins et de rapport d’attaques aveugles contre des civils Han, contre les pompiers et même contre des Tibétains. Les médias commandés par le régime ont naturellement donné une énorme prééminence aux entrevues avec les victimes de ces attaques hospitalisées. Dans un mouvement sans organisation ou direction, il est tout à fait possible qu’une couche de jeunes tibétains marginalisés aient participé à des attaques racistes contre des civils Han. Les socialistes et les travailleurs politiquement conscients ne pardonnent pas de telles actions. Mais nous devons également préciser que c’est un fait connu que les forces d’Etat envoient des agents provocateurs dans les manifestation et utilisent aussi des gangsters « loués » pour semer la confusion et le chaos afin de discréditer le mouvement de protestation et donner de ce fait un prétexte pour une répression impitoyable. C’est exactement le même modèle que l’an dernier en Birmanie, quand les conseillers militaires chinois ont donné des leçons particulières à la junte birmane sur la façon de scinder et écraser le mouvement de masse. La colère a monté et il n’y a aucun organisme démocratique pour canaliser la lutte dans des moyens plus disciplinés et plus efficaces de protestation comme la grève. De plus, il est assez commun en Chine que des mouvements de protestation attaquent et parfois brûlent des véhicules de police et des bâtiments gouvernementaux.

    Le régime chinois veut condamner la violence des manifestants et dépeindre les protestations tibétaines comme des pogroms raciste anti-Chinois afin de renforcer l’indignation nationaliste à travers la Chine pour noyer toute critique de la politique répressive au Tibet. Ainsi, l’éditorial d’un quotidien tibétain contrôlé par le régime a qualifié la situation de « combat de vie ou de mort », en faisant même appel aux associations militaires de « guerre » contre le séparatisme (c.-à-d. contre les revendications indépendantistes). L’attaque médiatique de Pékin vise également à neutraliser la critique internationale : Qiangba Puncog, le Président du gouvernement régional du Tibet a demandé à cet effet: « Y a-t-il un pays démocratique régit par la loi capable d’accepter une telle violence ? »

    Mais les méthodes brutales employées par les forces de sécurité dans les régions tibétaines sont aujourd’hui exactement les mêmes que celles employées contre les travailleurs et fermiers chinois Han chaque fois qu’ils luttent pour leurs droits. Pour cette raison, les travailleurs et les socialistes de partout devraient exiger la fin de la répression au Tibet, la levée immédiate de la loi martiale et le retrait de la police paramilitaire et des unités armées.

    La tragédie de la situation au Tibet, comme ailleurs en Chine, est l’absence complète d’organismes indépendants de la classe ouvrière – syndicats et partis politiques – qui pourraient organiser des groupes de défense de quartier multiethniques pour protéger les vies et les bâtiments tout en lançant une lutte commune des travailleurs Chinois Han et des pauvres tibétains contre les maux qui se posent aux deux communautés : les prix des denrées alimentaires qui sont pris dans une spirale ascendante, la pénurie de logements accessibles, le manque de travail pour les jeunes, ou encore l’effondrement des services publics.

    Parmi la jeunesse tibétaine, il y a un sentiment d’urgence – quelque chose doit être fait – même si ils ne sont pas exactement certains de ce qui devrait être fait. Les socialistes défendent le droit des tibétains de décider de leur propre avenir, y compris le droit à l’indépendance, avec des droits et des garanties nationales intégraux pour la minorité chinoise Han et pour les autres groupes ethniques présents au Tibet.

    Pour réussir, le mouvement au Tibet doit entièrement tirer les leçons de sa propre histoire, mais également d’autres libérations nationales et luttes anti-despotiques, particulièrement dans l’ère du capitalisme et de l’impérialisme généralisés. Un regard autour de la région prouve que l’indépendance nationale sur une base capitaliste ne peut nullement résoudre les problèmes des masses appauvries.

    Prenez les exemples du Bhutan dit « indépendant » et du Népal. Ces Etats sont dominés par des puissances étrangères, ruinés par la pauvreté, et dirigés par des élites antidémocratiques et racistes. Pourtant, même ce type d’”indépendance” ne sera pas à portée de main pour le Tibet aussi longtemps que l’actuelle dictature pro-capitaliste règne en Chine.

    Même l’option du Dalai Lama d’une autonomie plus véritable semblable à celle obtenue par Hong Kong est impossible sur base de la puissance d’Etat existante en Chine. Le régime de Pékin tolère un degré large d’autonomie pour Hong Kong pour des raisons économiques et historiques particulières, mais craint à juste titre que des concessions semblables pour le Tibet n’ouvrent une boîte de Pandore de demandes d’autonomie d’autres provinces, ce qui menacerait la Chine d’un démantèlement territorial. En raison de leur propre prestige et puissance, le gouvernement autoritaire de Pékin ne peut récompenser l’insubordination tibétaine.

    Pour s’opposer à un Etat si puissant, soutenu d’ailleurs dans sa politique appliquée au Tibet par les capitalistes du monde entier, les masses tibétaines doivent donc lier leur lutte pour les droits démocratiques de base et pour la fin de l’occupation militaire chinoise à la lutte de la classe ouvrière chinoise surexploitée.

    La jeunesse tibétaine doit particulièrement soutenir et établir des liens avec la lutte de la jeunesse et des travailleurs chinois qui combattent le même oppresseur et recherchent fondamentalement les mêmes libertés : la fin du règne du parti unique et de la terreur policière, la liberté d’assemblée, la liberté d’expression et de culte religieux, le droit de s’organiser et l’abolition de l’exploitation de classe par la nationalisation de l’industrie sous contrôle et gestion démocratique des travailleurs.

    Le socialisme démocratique véritable n’a rien en commun avec les dictatures bureaucratiques de parti unique de Mao ou de Staline, et encore moins avec le « communisme » néo-libéral qui règne en Chine et dans la Région autonome du Tibet. En s’alliant également aux masses opprimées de la région de l’Inde et de l’Himalaya, la lutte du peuple tibétain – comme la lutte socialiste et anti-impérialiste – pourrait inspirer un mouvement continental pour mettre fin au système putréfié et corrompu du capitalisme et établir le socialisme international.

    Pour en savoir plus

  • 55 ans d’occupation chinoise au Tibet

    Le 7 octobre 2005 a marqué le 55ème anniversaire du début de l’occupation militaire du Tibet par la Chine, en 1950. Cet anniversaire fait suite à la récente commémoration par le Parti Communiste Chinois (PCC) au pouvoir du 40ème anniversaire de la fondation, le 1er septembre 1965, de la “Région Autonome du Tibet” (RAT).

    Article de Laurence Coates, 26 septembre 2005 (traduit en août 2007)

    Cet anniversaire controversé fut marqué par une parade de 6000 soldats de l’Armée de Libération Populaire (ALP) à travers la capitale tibétaine, Lhassa, où les immigrants Han (l’ethnie majoritaire chinoise) ont maintenant dépassé en nombre les Tibétains.

    Malgré une économie rapidement croissante dans la région (plus de 10 pourcent par an lors de la dernière décennie), la rancoeur anti-chinoise est répandue. Cet état d’esprit est l’héritage des lourdes mesures répressives et bureaucratiques du régime de Beijing, lesquelles, dans la conscience des masses tibétaines, pèse bien plus lourd que l’abolition du servage et l’implémentation de profondes réformes sociales. Ainsi que Robespierre l’avait dit, les gens n’apprécient guère “les missionnaires à baïonnettes”.

    Lors de la seconde moitié du siècle passé, plus d’un cinquième de la population tibétaine a été arrêtée ou harcelée en liaison avec les opérations “anti-séparatistes”, si on s’en réfère seulement aux statistiques officielles du gouvernement. Au moins 100 000 personnes ont été tuées au cours de nombreuses rébellions, ou en conséquence des conditions de détention et du travail forcé. Alors que les règles gouvernant la pratique religieuse ont été détendues depuis les jours de la soi-disant Révolution Culturelle (1966-76), pendant lesquels la plupart des monastères tiébtains ont été détruits, le fait de porter un portrait du Dalai Lama, le “dieu-roi” bouddhiste en exil, est toujours considéré comme un délit. Cependant, en dépit de tout ceci, l’emprise du régime chinois sur le Tibet n’est encore que très superficielle.

    Ce conflit tire ses origines de l’occupation et de l’incorporation forcée du Tibet à la République Populaire de Chine (RPC) par Mao Zedong en 1950, un an après la victoire de la Révolution Chinoise. De telles tensions nationales sont également très répandues ailleurs en Chine, en particulier dans les zones frontalières faiblement peuplées, dans lesquelles les Chinois Han ne sont qu’un minorité. Comme l’a écrit John Pomfret dans le Washington Post, “les régions de Chine dominées par les deux minorités les plus récalcitrantes – les Tibétains et les Ouïghours – s’étendent sur 4 millions de km² (NDT: environ six fois la France, ou 130 fois la Belgique), c’est-à-dire près de la moitié de la Chine, et comprennent la plupart de ses zones frontalières vulnérables historiques.”

    Ces dernières années, les Tibétains ont été confrontés à une nouvelle menace : la marginalisation économique dans le cadre d’une économie de plus en plus capitaliste, directement importée de Chine, et dominée par des capitalistes et des professionnels Han. Ceci “exacerbe grandement, et de plus en plus, l’inégalité de revenus entre la ville et la campagne, et entre les Han et les Tibétains,” avertit le président de l’ONG “Fonds pour l’Atténuation de la Pauvreté au Tibet”, Arthur Holcombe. Même dans le secteur d’Etat, une bonne pratique de la langue chinoise (putonghua) est une condition pour trouver un travail. Etant donné que le taux d’alphabétisation des adultes au Tibet n’avoisine que les 50 pourcent – comparé au 85 pourcent de Han qui savent lire – l’organisation du marché du travail à la ville pèse sur la population autochtone.

    Une telle marginalisation est renforcée par un racisme plus ou moins affiché envers les Tibétains, perçus comme “arriérés” et “inférieurs” ; de telles idées ont été utilisées depuis des décennies par le régime de Beijing pour justifier sa politique répressive.

    “C’est encore pire que la discrimination des Blancs par rapports aux Indiens d’Amérique,” selon Wei Jingsheng, un écrivain chinois dissident.

    Immigration et pauvreté rurale

    “La politique de développement économique de la Chine pour le Tibet”, commentait le Business Week (19 septembre 2003), “renforce aussi la pauvreté urbaine, le crime et le problème galopant de la prostitution, au fur et à mesure que des jeunes Tibétains, souvent pauvrement éduqués, déménagent dans les villes et trouvent peu d’occasions légales de survivre.”

    Le boom économique est, en tous cas, un phénomène urbain, laissant largement sur le côté les zones rurales où 80% de la population tibétaine habite. Les statistiques officielles révèlent un état qui est probablement le plus large fossé de richesse de toute la Chine, entre les zones rurales, dans lesquelles la population est, dans son ensemble, tibétaine, et les villes, de plus en plus dominées par les immigrants Han. Le revenu net des paysans et bergers tibétains était de 1861 yuan (225 dollar US) en 2004, parmi les plus bas revenus de Chine. Les salaires des professionnels et des fonctionnaires d’état, d’un autre côté, sont les plus hauts de Chine, et pour les ouvriers industriels, ces salaires sont les seconds plus hauts de Chine, après Shanghai. Dans une période où le gouvernement central ne peut plus ordonner aux fonctionnaires et spécialistes Han d’aller s’installer dans les régions “stratégiques”, une espèce de “prime Tibet” a été mise en place pour y attirer le personnel Han. Les vacances y sont plus longues, les heures de travail plus courtes, et les colons peuvent recevoir des allocations d’altitude, des bonus d’isolement, et une foule d’autres subsides.

    En dépit de tout cela, les tentatives du gouvernement de Beijing pour organiser une colonisation de Han à grande échelle du Tibet, en tant que contrepoids au “séparatisme”, ont donné des résultats mitigés. Officiellement, les Tibétains comptent toujours pour 93%, ou 2,4 millions des 2,7 millions d’habitants de la RAT. La taille de la population Han est certainement plus grande que ce que suggèrent les chiffres officiels, puisque des garnisons de soldats de l’ALP et de dizaines de milliers d’ouvriers immigrés s’y trouvent. Mais même ainsi, la migration de Han au Tibet est loin d’être équivalente à celle qui a eu lieu au Xinjiang, la région voisine – où les han comptent maintenant pour 40% de la population – et ceci n’est pas par hasard. En plus du froid et de l’atmosphère très pauvre en oxygène – le Tibet est aussi connu sous le nom de “Toit du Monde” – les colons Han doivent faire face à la pauvreté généralisée et au mécontentement de la population autochtone. Au cours des années 1959-1999, un total de 110 000 fonctionnaires chinois ont été envoyés au Tibet. Certains d’entre eux, dans les toutes premières années du moins, se sont portés volontaires, poussés par un idéal révolutionnaire ou patriotique. La majorité d’entre eux s’en alla assez vite.

    Dans les années 1980s, sous la campagne de “Tibétanisation” promulguée par Hu Yaobang, les fonctionnaires Han se virent ordonnés de rentrer au foyer, et devinrent les boucs émissaires des excès de la Révolution Culturelle. Lorsque le président actuel, Hu Jintao, tenait le poste de Secrétaire du Parti dans la RAT, de 1988 à 1992, il passait la plupart de son temps à Beijing, pour se remettre du “mal de l’altitude”. Ce n’était pas la seule raison pour laquelle Hu tenait ses distances. Jonathan Mirsky, du Guardian, se souvient que : “J”ai eu un jour la chance de rencontrer Hu. Ne sachant pas que j’étais journaliste, il me raconta à quel point il détestait le Tibet pour son altitude, son climat et son manque de culture. Il gardait sa famille à Beijing, me dit-il, et craignait que si un jour il devait y avoir une émeute contre les Chinois, aucun Tibétain ne le protégerait.”

    Les ouvriers immigrants Han, ainsi que les soldats démobilisés qui conduisent les taxis de Lhassa et travaillent sur ses sites de construction, sont évidemment faits d’un meilleur matériau. Mais eux aussi, pour la plupart, projettent de rentrer au pays une fois fortune faite – en général après deux ou trois ans. Comme dut l’admettre un militant pro-Tibet qui a parcouru le pays en long et en large : “La présence des Chinois au Tibet est vraiment très mince. Dès qu’on arrive au-dessus de 3000 mètres en-dehors des villes, il n’y a simplement plus de Chinois… La majorité des Chinois en fait ne veulent vraiment pas être ici.” [John Ackerley, ICT, Washington Post, 31/10/99]

    Pour renforcer son emprise sur le Tibet, le gouvernement central a construit l’autoroute Qinghai-Xizang, un chantier de 1142 kilomètres, bientôt terminé. C’est l’un des projets d’infrastructure les plus prestigieux et des plus coûteux qui ait jamais été entrepris dans un pays où les projets de prestige abondent . A une altitude de 4000 mètres au-dessus du niveau de la mer, cette autoroute sera la plus haute du monde, opérant à une altitude plus haute que celle à laquelle de nombreux petits avions ne peuvent même pas voler. Ce projet a demandé des défis technologiques massifs, dus au paysage gelé et montagneux, aux problèmes de manque d’oxygène et de basse pression atmosphérique. Les locomotives seront équipées de turbochargeurs pour leur alimentation en oxygène, tandis que les cabines des passagers seront pressurisées de la même manière que les avions. Avec des wagons première classe qui comporteront une station thermale et un restaurant de luxe, le train symbolise la prédilection actuelle de la Chine pour les distinctions de classe. Beijing est aussi occupée à construire de nouvelles routes, ainsi que des projets de stations électriques hydrauliques au Tibet, en tant que moyen d’accélérer l’intégration économique à la Chine.

    Abolition du féodalisme

    Contrairement à la version romantique décrite par l’idéal Hollywoodien du Tibet d’avant 1949, présenté comme une terre d’harmonie spirituelle, les conditions de vie y régnaient ressemblaient à celles que l’on pouvait trouver en Europe au Moyen-Âge. 58% de la population étaient des serfs, forcés à travailler gratuitement pour leurs maîtres, en grande partie des lamas (moines). Les serfs qui tentaient de s’enfuir étaient soumis à des châtiments cruels tels que la flagellation ou la mutilation. Même Jung Chang et Jon Halliday, les auteurs de Mao : L’histoire inconnue, une tentative de discréditer la Révolution Chinoise, admettent que c’était une “facette très sombre” de la vieille théocratie (état religieux) tibétaine, bien qu’ils ne développèrent pas ce point, ajoutant immédiatement après que “le règne de Mao était bien pire”. Le féodalisme tibétain était profondément lié à la branche “Lamaïste” du Bouddhisme, le produit de siècles d’isolation dans un environnement très dur, dans lequel aucun peuplement humain à grande échelle n’était possible. Les monastères étaient eux-mêmes de gros propriétaires terriens, avec 40% des terres du Tibet leur appartenant en 1950. Ils avaient aussi une fonction de tribunaux et de collecteurs d’impôts, imposant de fortes taxes religieuses aux pauvres. Même aujourd’hui, il est estimé que les Tibétains payent un tiers de leur revenu annuel aux monastères.

    De la même manière que le système féodal Confucéen a finalement implosé sous le poids des pressions militaire et économique externes, le féodalisme tibétain, dépassé, finit par être aboli, mais il le fut par l’arrivée du stalinisme chinois. Depuis que la théocratie bouddhiste a été évincée, le PNB par habitant a été multiplié par 33. De grandes améliorations ont été apportées au niveau de l’électricité, de l’apport en eau potable, et autres infrastructures. Mais à cause du fait que ces mesures, indéniablement progressives, ont été imposées de manière bureaucratique – au moyen d’une occupation militaire – plutôt que d’être développées à partir d’un mouvement social autochtone (qui aurait pu se tourner vers l’aide des travailleurs et paysans chinois), elles l’ont été au prix d’un coût énorme et inutile vis à vis des masses tibétaines et chinoises.

    En dépit d’une croissance économique rapide, basée sur les technologies et capitaux importés de Chine, le Tibet se traîne derrière les autres régions de la RPC en ce qui concerne la santé, l’éducation et la plupart des autres critères. Selon le recensement de 2000, 45,5% des enfants tibétains ne vont même pas à l’école primaire, comparé à une moyenne chinoise de 7,7% d’enfants non scolarisés. Ceci représente une amélioration considérable par rapport la situation d’avant 1959 (pendant laquelle seuls 2% des enfants tibétains recevaient une éducation primaire), mais c’est tout de même le moins bon taux de scolarisation comparé à celui de toutes les autres minorités chinoises. De la même manière, seuls 13,3% des tibétains suivent une éducation secondaire, comparé à 52,3% des autres chinois [recensement national de 2000]. La prévalence de l’agriculture de subsistance signifie que les familles paysannes gardent un enfant (le plus souvent, une fille) à la maison pour y travailler (d’où le taux extrêmement bas d’alphabétisation des femmes). C’est aussi une des raisons pour lesquelles les Tibétains, et d’autres minorités nationales, sont se vus exemptés de la politique de l’enfant unique promulguée par Beijing.

    Le taux de mortalité infantile a aussi brutalement chuté, passant de 43% en 1959, à 3,7% en 1998 – mais ce taux reste toujours trois fois plus élevé que celui de la RPC prise dans son ensemble. Et une fois de plus, tandis que l’espérance de vie moyenne des hommes a été augmentée, passant de 36 ans en 1949, à 65 ans de nos jours, elle est l’espérance de vie la plus basse de toutes les 18 nationalités chinoises (la moyenne chinoise d’espérance de vie masculine se portant à 68,9 ans).

    Les racines du conflit

    L’argument des nationalistes Han, y compris celui du régime de Beijing, selon lequel le Tibet a toujours fait partie “intégrante” de la Chine, est fausse. Un précédent historique n’est de toutes façons pas un argument décisif au sujet du droit des petites nations, mais bien plutôt la conscience des masses, en particulier de la paysannerie et de la classe ouvrière. Sur base d’événements, surtout de convulsions majeures, une conscience nationale peut se développer, là où auparavant elle était inexistante, comme ce fut le cas avec le Pakistan ou l’Erythrée.

    Au cours des mille dernières années, le Tibet fut à différentes reprises un tributaire de l’Empire Mongol, de l’Inde Moghole, et, plus tard, de la Chine sous la dynastie Qing (prononcé : Tching). Le Tibet fut soumis au contrôle Qing en 1728, sur base de la soi-disant relation “prêtre – maître” entre le Dalai Lama et la cour impériale. Les empereurs Qing (qui n’étaient pas des Han, mais des Mandchous), offraient la protection au Dalai Lama et à l’élite féodale contre les rébellions internes, tandis qu’en échange, le Lamaisme était adopté en tant que religion nationale pour la Chine, et que le Dalai Lama devenait son “chef suprême”. Cet arrangement découlait des projets de la cour Qing afin d’assujettir les territoires du Nord et de l’Ouest, qui étaient dominés par des tribus mongoles, qui pratiquaient également le bouddhisme tibétain. Même avec la bénédiction du Dalai Lama, la conquête des fiefs mongols par la dynastie Qing nécessita toute une série de terribles guerres génocidaires. Ce processus vit l’Etat chinois s’étendre vers le Sud, jusqu’en Birmanie et au Vietnam, à l’Est vers la Corée, et à l’Ouest, en Asie Centrale et au Tibet.

    Mais alors que l’Etat Qing commençait à se désagréger au 19è siècle sous l’impact combiné de la rébellion interne, et des pressions impérialistes venues de l’extérieur, le Tibet commença à échapper à son contrôle. Au début des années 1900s, l’impérialisme britannique cherchait par tous les moyens à s’assurer l’hégémonie sur le Tibet, pour y construire un barrage à l’expansion de la Russie en Asie Centrale.

    Le colonel Younghusband, un britannique, à la tête d’une force militaire composée en majorité d’Indiens, massacra en 1904 plus de 900 Tibétains faiblement armés, pour imposer un accord de commerce au gouvernement de Lhassa. Un traité en 1906, accepté de force par un gouvernement Qing décrépit, fit du Tibet un protectorat britannique. C’est ici que se trouve la vérité au sujet du soi-disant Tibet “indépendant” de l’époque, que la propagande du gouvernement en exil mené par le Dalai Lama présente si souvent comme un “âge d’or”. Sur base du capitalisme et de l’impérialisme, il ne peut y avoir aucune indépendance véritable pour les petits Etats économiquement faibles ; de la même manière qu’il est impossible à une petite entreprise “indépendante” de survivre dans l’économie capitaliste moderne autrement qu’en tant que sous-traitant des grandes corporations Les tentatives du 13ème Dalai Lama de mendier les faveurs de l’impérialisme britannique comprenaient entre autres l’offre “pacifiste” de 1000 troupes tibétaines qui sont allées se battre pour les Britanniques lors de la Première Guerre Mondiale.

    Du point de vue des Chinois, le transfert du Tibet dans la sphère d’influence britannique était encore un nouvel exemple de l’humiliante occupation étrangère, sur un pied d’égalité avec la conquête de la Mandchourie par la Russie en 1901, et l’annexion de l’île de Formose (Taiwan) par le Japon en 1895. La réunification du Tibet et de la “patrie” chinoise fut incorporé au Credo de tous les nationalistes chinois, de Chiang Kai-shek à Mao Zedong et à ses stalinistes.

    Cette attitude n’était pas celle des trotskystes chinois, cependant. Chen Duxiu, le fondateur du PCC, qui fut plus tard un important soutien pour l’Opposition de Gauche menée par Léon Trotsky, disait de prendre garde au “nationalisme et au patriotisme égoïstes”, qu’il décrivait ironiquement comme étant des “marchandises de mauvaise qualité importées du Japon”, qui devaient être boycottées par la classe ouvrière chinoise, comme ils le faisaient pour les autres marchandises !

    La révolution de 1949

    La révolution chinoise de 1949 représente un énorme paradoxe historique. En abolissant le capitalisme et les droits seigneuriaux, et en lançant l’industrialisation sur base de la propriété d’Etat et de la planification, elle secoua la Chine au point de la faire sortir de plus d’un siècle de paralysie et de déclin. La Chine était la preuve vivante de la phrase de Karl Marx : “La révolution est le moteur de l’histoire”. Mais à cause du caractère déformé que prit cette révolution sous une direction staliniste, dont le modèle était la dictature bureaucratique de l’URSS, le nouvel Etat arriva vite en confrontation directe avec les Tibétains et d’autres minorités nationales, et ensuite avec des couches larges des travailleurs et paysans chinois Han.

    Plutôt que de s’appuyer sur l’internationalisme ouvrier conscient qui animait Lénine, Trotsky et les autres chefs de la Révolution Russe de 1917, la vision du monde qu’avait le régime de Mao Zedong ne pouvait être décrit qu’au mieux comme un nationalisme Han radical, combinant l’opposition à l’impérialisme étranger, à une attitude chauviniste et intolérante envers les minorités nationales de l’ancien Empire Chinois. Le Tibet, le Xinjiang et la Mongolie Intérieure étaient perçues comme de simples lopins de terre à valeur stratégique, à être incorporés à tout prix au nouvel Etat, à la fois pour des raisons de sécurité nationale, et pour redorer le prestige des Han. Etant donné cette approche, une bonne partie de la bonne volonté de ces peuples au départ fut mise de côté.

    La situation était quelque peu différente en Mongolie Intérieure qui, au contraire du Tibet et du Xinjiang, avait été occupée par le Japon dans les années 1930s, et où les communistes mongols avaient activement pris part à la guerre civile contre les forces nationalistes de Chiang Kai-shek. Mais aujourd’hui, le nationalisme mongol remonte parmi la jeune génération. Malgré une croissance économique spectaculaire basée sur l’explosion de la demande en charbon (le PIB de la Mongolie intérieure a doublé en termes nominaux entre 1999 et 2004), des manifestations ont éclaté récemment contre les projets de privatiser le tombeau de Gengis Khan, un héros national. Bien qu’ils aient officiellement été des Etats “socialistes” (en réalité, stalinistes) dans le passé, les deux Mongolies (“Intérieure” et “Extérieure”) sont restées séparées par les bureaucraties chinoises et russes.

    La position de Mao et des stalinistes chinois était en complète opposition avec la tradition du marxisme authentique, qui défend le droit des nations à disposer d’elles-mêmes. Dans le cas de la Chine, le nouveau régime reconnut seulement “le droit d’exercer une autonomie régionale nationale” au sein de l’Etat chinois. Comparez cela à la position de Lénine, qui accorda l’indépendance à la Finlande en décembre 1917 – puisque tel était le voeu clairement exprimé de la population finnoise – après des décennies de “russification” forcée par le régime tsariste. Pour les bolcheviks (communistes) russes, le point crucial était l’unité et la cohésion politique des travailleurs, quelles que soient les frontières nationales. Sous Lénine, la constitution de l’URSS permettait le droit à l’autodétermination pour toutes les républiques membres, y compris le droit à la séparation. Mais, en conséquence de la dégénération bureaucratique de l’Union Soviétique sous Staline, ce droit fut aboli dans la pratique, ainsi que le furent les Soviets – les conseils des travailleurs élus – organes à travers lesquels la classe ouvrière exerçait le pouvoir dans les premières années de l’Etat soviétique. En comparaison, la révolution chinoise triompha sans organes de pouvoir démocratiques pour les travailleurs, mais avec une caste bureaucratique “prête à l’emploi”, au sein des corps d’officiers “communistes” de l’Armée de Libération Populaire, basée sur les paysans. La foi exagérée en les solutions militaires du nouveau régime chinois (“Le pouvoir vient du barillet d’un fusil”), combinée au chauvinisme Han, a fait que, au lieu de résoudre la question nationale en Chine, de nouveaux conflits explosifs sont apparus.

    Le Tibet et la Guerre Froide

    L’invasion du Tibet en octobre 1950 eut lieu trois mois après le début de la Guerre de Corée, qui représentait une remontée importante de la “Guerre Froide” entre l’”Orient” staliniste, et l’”Occident” capitaliste. Mao fut forcé par l’ascension tragique des tensions internationales, de mettre en branle ses plans d’invasion. Le 7 octobre, 40 000 soldats de l’ALP occupèrent la ville du Tibet oriental de Chamdo, écrasant la minuscule armée tibétaine, et forçant le gouvernement du Dalai Lama à négocier. Cette approche, plutôt que celle d’une force d’invasion décisive, montrait bien les problèmes logistiques que connaissait l’ALP afin de soutenir une grande armée dans un terrain de haute altitude, presque sans aucune route.

    L’occupation de Chamdo se fit seulement deux jours après que les “Forces des Nations Unies” – un drapeau opportun pour servir d’excuse à une force en majorité composée d’Américains – prit la décision de traverser le 38ème parallèle pour pénétrer en Corée du Nord, avec pour objectif de renverser son régime staliniste.

    L’entrée de l’ALP au Tibet avait donc pour but de prévenir toute poussée indépendantiste de la part du gouvernement de Lhassa, qui serait soutenue par l’occident. Au troisième jour de la Guerre de Corée, le 27 juin, le président Truman ordonna à la 7ème Flotte américaine de “neutraliser” le détroit de Taiwan, pour contrecarrer l’attaque chinoise, imminente, sur Taiwan. La droite républicaine aux Etats-Unis, dont le champion était le Général Douglas MacArthur, Commandant en Chef des Forces de l’ONU en Corée, exigeait que la guerre fût portée en Chine. MacArthur était pour le bombardement des bases aériennes chinoises, et l’utilisation d’armes nucléaires tactiques du côté chinois de la frontière coréenne, surtout après que plus d’un million de “volontaires” chinois (en réalité, des unités régulières de l’ALP) fussent entrés en Corée en novembre 1950. Mais à ce moment, des conseils plus avisés parvinrent à s’imposer à Washington, avec pour conséquence le renvoi de MacArthur par le président Truman, en avril 1951.

    La position de Truman reflétait les réalités géopolitiques. Les Etats-Unis et leurs alliés n’étaient pas en position de risquer une attaque directe en territoire chinois, pas juste après la Seconde Guerre Mondiale, à une époque de luttes de libérations nationales qui secouaient alors l’Asie, l’Afrique, et l’Amérique du Sud. Il avait fallu insister très fort pour convaincre le gouvernement du Labour en Angleterre de remplir ses obligations en Corée. Ni les Etats-Unis, ni la Grande-Bretagne, n’auraient pu intervenir au Tibet, et leurs tentatives de négocier une intervention militaire indienne furent ignorées par le gouvernement Nehru. Après la Guerre de Corée, l’impérialisme américain fournit, il est vrai, des armes et de l’entraînement au mouvement sporadique de guérilla anti-chinoise au Tibet, mais d’après les rapports, ce soutien prit fin en 1969, à la veille de la visite de Kissinger en Chine, par laquelle la Chine et les Etats-Unis arrivèrent à une entente historique. C’était alors la quatrième fois en un demi-siècle que les dirigeants tibétains avaient placé tous leurs espoirs sur l’intervention de la part d’une des grandes puissances (Royaume-Uni, Japon, Inde, et Etats-Unis), uniquement pour en sortir cruellement déçus.

    Le dévouement massif du gouvernement chinois à défendre la Corée du Nord – jusqu’à 400 000 soldats chinois y furent tués, y compris un des fils de Mao – ne découlait évidemment pas d’un idéal d’”Aide à la Corée” gratuit, tel qu’il était affiché dans la propagande officielle, mais bien des conséquences qu’aurait pu avoir une victoire américaine pour son propre règne (et non des moindres, la création d’un Etat vassal au service des Etats-Unis, et l’établissement d’une base militaire à la frontière orientale de la Chine). Néanmoins, puisqu’il intervenait en soutien à une lutte nationale contre un impérialisme étranger, l’intervention du gouvernement chinois en Corée profita d’un soutien large, que ce soit dans son propre pays, ou à travers l’Asie dans son ensemble.

    Le “Front Unique” avec le féodalisme

    Au Tibet, cependant, au lieu de venir en aide au mouvement autochtone qui se développait contre le féodalisme et le colonialisme, c’est le régime chinois lui-même qui prit le rôle d’un agresseur militaire. Pour rendre les choses pires, Pékin chercha alors à renforcer sa position au moyen d’une “alliance patriotique” avec le Dalai Lama et l’élite féodale tibétaine.

    Comme l’expliquait un commentateur, “Mao n’était pas pressé d’apporter la révolution au Tibet. Les intentions du PCC, au contraire, étaient de “gérer” le pays à distance, d’une manière très similaire au modèle des Qing. Malgré ses prises de position révolutionnaires, le PCC n’essaya pas, dans un premier temps, d’implémenter la moindre réforme sociale au Tibet. La souveraineté avait la priorité. Tant que le Tibet “revenait dans le giron de la grande famille de la patrie”, Pékin y était plutôt d’accord de tolérer la préservation du “système de servage féodal”.”

    [Réflexions sur le Tibet, Wang Lixiong]

    Un véritable gouvernement socialiste en Chine se serait engagé à assister le développement d’une révolution démocratique, càd agraire, au Tibet, aurait fait de l’agitation parmi les paysans pour le contrôle de la terre, la confiscation des domaines féodaux et monastiques, et des droits démocratiques larges, y compris le droit à l’autodétermination. Ce gouvernement aurait expliqué qu’à l’ère de l’impérialisme, avec les pays néo-coloniaux sous la domination brutale du capitalisme étranger, la lutte révolutionnaire serait forcée d’aller au-delà de ses tâches purement bourgeoises, d’adopter des mesures socialistes et de faire le lien avec la lutte révolutionnaire des ouvriers et des paysans en Chine, en Inde, et dans le monde.

    Mais plutôt que de se baser sur la petite couche d’intellectuels et de travailleurs radicalisés, les dirigeants du PCC préférèrent négocier avec les “éminences” de la société tibétaine. Le petit Parti Communiste Tibétain, mené par Phüntso Wangye, dont le statut indépendant aurait été un énorme atout, étant donné la complexité de la question, fut fusionné de force avec le Parti Communiste Chinois en 1948. Contre leur gré, les communistes tibétains acceptèrent d’abandonner leur slogan en faveur d’un “Tibet communiste et indépendant”, mais espéraient toujours que la révolution chinoise mènerait à la restructuration du Tibet en tant que “république autonome qui fonctionnerait d’une manière similaire à celle des républiques socialistes de l’Union Soviétique… Elle serait sous souveraineté chinoise, mais contrôlée par les Tibétains” [Un Révolutionnaire Tibétain, Phüntso Wangye]. En 1958, Wangye fut dénoncé par le régime chinois pour “nationalisme local”, et condamné à 18 ans de prison. Son arrestation était un avant-goût de la répression qui allait ébranler la société tibétaine après l’effondrement de l’alliance de Pékin avec l’oligarchie féodale.

    Le traité de 1951 entre le régime de Mao et le Dalai Lama, alors âgé de 16 ans, constitua un prototype de la formule “Un pays, deux systèmes” de Den Xiaoping concernant Hong Kong et Macao dans les années 1990s. Ce traité stipulait que le gouvernement de Pékin n’allait pas “altérer le système politique existant au Tibet” et que “en ce qui concerne les différentes réformes au Tibet, il n’y aura aucune obligation de la part des autorités centrales”. L’accord fournissait une approbation rétroactive de l’invasion chinoise par le Dalai Lama, et donnait à Beijing le contrôle de la politique étrangère et de la défense. Dans la sphère sociale, cependant, à part de la réduction des taux d’intérêts usuriers et de la construction de quelques hôpitaux et routes (qui avaient surtout un but militaire), les changements qui furent introduits à cette période étaient très limités. Comme l’explique un chroniqueur, “Aucune propriété monastique ni aristocratique ne fut confisquée, et les seigneurs féodaux poursuivirent leur règne sur les paysans qui leur étaient liés de manière héréditaire”

    [La Panthère des Neiges et le Dragon, Melvyn Goldstein].

    Mao fit passer cela pour un “front uni” avec le peuple tibétain, alors qu’en fait, ce n’était qu’un retour de la politique staliniste catastrophique de collaboration de classes qui avait été appliquée en Chine durant les années 20s et 30s (l’”alliance” du PCC avec les nationalistes de Chiang Kai-shek). La différence à ce moment-là, bien entendu, était que le régime de Mao agissait d’une position de force. Il exerçait un contrôle ultime sur l’Etat, grâce aux 100 000 soldats de l’ALP qui étaient basés au Tibet. Tout en flattant les élites tibétaines, les efforts du régime chinois de se construire un soutien parmi les masses au Tibet furent, au mieux, incompétents : “Désorientés par les nouvelles pistes offertes par les Han, craignant les Han qui appelaient à la “libération” des serfs vis-à-vis de leurs maîtres féodaux, en même temps qu’ils forgeaient des alliances avec ces maîtres, ils ne rejoignirent pas leurs “libérateurs” en très grands nombres” [La création du Tibet moderne, Tom Grunfeld]. En 1954, le Dalai Lama fut nommé Vice-Président du Comité Permanent du parlement bidon organisé par les Chinois, le Congrès Populaire National, malgré le fait que sa demande de rejoindre le PCC (!) ait été rejetée. En 1955, le premier ministre de Mao, Zhou Enlai, dit au dirigeant tibétain que si le Tibet n’était pas encore prêt pour une réforme agraire, la période d’attente “pouvait être prolongée d’encore 50 ans”.

    La rébellion de 1959

    Mais la lutte des classes et les variations de la conscience populaire ne se déroulent pas selon un plan bureaucratique. Sous l’impact de la transformation de la Chine elle-même, le vieux Tibet commença à se fissurer. Alors, comme maintenant, plus de la moitié de la population tibétaine vivait dans les provinces avoisinantes de Qinghai, Gansu, Sichuan et Yunnan. L’esprit bureaucratique étroit qui était celui du régime pékinois signifiait que, tandis qu’il maintenait, de manière implacable, sa position de “aucune réforme” au Tibet en lui-même, il ne vit aucune raison d’appliquer la même politique vis-à-vis des communautés tibétaines des autres provinces? En réponse à la collectivisation de l’agriculture, introduite dans ces provinces à partir du début de 1956, des centaines de rébellions éclatèrent, dans lesquelles 10 000 Tibétaines furent tués [Rapport de la 11ème division de l’ALP, 1952-1958].

    L’impérialisme américain, à travers ses bases au Népal, fournissait des armes et de l’entraînement aux dirigeants de cette rébellion des “Khampa”. Naturellement, les dirigeants de ce mouvement – pour la plupart, de riches fermiers et des nobles dépossédés – dressèrent la bannière de la religion et de la nationalité afin de rassembler derrière eux les sections pauvres de la population. Une fois de plus, la situation fut aggravée par la réponse brutale des autorités maoïstes. Pour réaffirmer son contrôle, l’ALP commença à bombarder des monastères, à arrêter des vieux moines et des dirigeants de la guérilla, et à mettre sur pied des exécutions publiques. Ces événements menèrent à une remontée spectaculaire des tensions de part et d’autre de la frontière du Tibet, où la répression contre les rebelles “Khampa” était largement interprétée comme une attaque génocidaire sur le peuple tibétain et sur leur religion, dans les régions dominées par les Han. L’atmosphère devint explosive lorsque des renforts massifs pour l’ALP commencèrent à arriver à Lhassa à la fin de 1958, avec pour but avoué d’encercler les 60 000 réfugiés “Khampa” qui s’y étaient réfugiés. Une rumeur s’était répandue, disant que l’ALP était venue pour arrêter le Dalai Lama, ce fit se dresser des barricades autour du Palais d’Eté par des milliers de gens, criant “Virez les Han” et “Le Tibet aux Tibétains”.

    L’émeute du 10 mars 1959 à Lhassa fut rapidement écrasée, causant la fuite du Dalai Lama et d’à peu près 100 000 disciples, surtout membres de l’ancienne élite féodale, vers Dharamsala en Inde septentrionale. Là, ils créèrent un gouvernement en exil, qui n’a toutefois jamais été reconnu par aucun gouvernement. Mao intervint en personne pour s’assurer que le Dalai Lama puisse s’enfuir, par peur de la réaction des pays bouddhistes et de l’Inde, eût-il été tué. L’émeute était un mouvement réactionnaire et féodal, qui était surtout soutenu par les lamas, par la noblesse féodale et par les corps d’officiers de l’ancienne armée tibétaine. Mais à cause de la politique criminelle du régime de Pékin, qui n’était pas basé sur le ralliement des masses au socialisme, mais sur des manoeuvres bureaucratiques, au nom de l’”unification de la patrie”, de larges couches de la population tibétaine ne virent les événements de mars que du point de vue de la lutte nationale contre l’occupation chinoise.

    Dans les 18 mois qui suivirent directement l’émeute, 87 000 Tibétains furent tués, selon les données de l’ALP, qui se mettait ainsi à dos des couches encore plus marges de la population. Cette force expressive était dictée, plus que par la situation au Tibet, par une crise sérieuse au sein du régime de Beijing lui-même. Le criticisme vis-à-vis de Mao montait, tandis que les résultats catastrophiques du “Grand Bond en Avant” commençaient à se faire sentir. L’estimation initiale de la récolte de grains en 1958, de 375 millions de tonnes, était tombée drastiquement à 215 millions de tonnes. Au cours des trois années qui vinrent, la Chine allait être ravagée par la pire famine du 20ème siècle, aggravée par toute une série de désastres naturels, qui entraîna la mort de 30 millions de personnes.

    Un mois après l’émeute de Lhassa, Mao fut remplacé à la tête du gouvernement par Liu Shaogi, un allié de Den Xiaoping, bien que Mao conservait le poste encore plus important de président du Parti Communiste. L’ambiance dans les coulisses du pouvoir était tellement infecte à l’époque, que Mao se plaignait d’être déjà traité comme un “ancêtre mort”. Dans la sphère internationale, un conflit âpre bouillonnait avec Moscou, qui allait éclater dans les trois mois qui suivirent l’émeute. En juin 1959, Khrushchev, le dirigeant soviétique, se moqua publiquement des communes de Mao, disant d’elles qu’elles n’étaient qu’un bricolage réalisé par des gens “qui ne comprennent ni le communisme, ni la manière dont il doit être construit”. Lors du même mois, l’Union Soviétique retira son soutien au programme d’armement nucléaire chinois. Par une reprise perverse du Grand Jeu en Asie Centrale, la bureaucratie soviétique avait commencé à enflammer le discours anti-Pékin qui vivait parmi les Kazakhs et les autres minorités turques du Xinjiang, pour ses propres intérêts cyniques. La réponse lourde de Pékin à la rébellion tibétaine était une tentative de rétablir son prestige – à la fois à l’intérieur et à l’extérieur – et de décourager le “séparatisme” dans d’autres parties de la Chine. Selon la maxime chinoise : “Tue le poulet pour effrayer le singe” !

    A la suite de l’émeute, Beijing exécuta un tournant à 180 degrés au Tibet : revenant de leur position qui consistait à tolérer les pires humiliations féodales, ils décidèrent d’éliminer le féodalisme par en haut. Etant donné le bas niveau d’alphabétisation et d’expérience administrative parmi la population tibétaine, des “cadres” (bureaucrates) Han furent assigné au Tibet en grands nombres afin de mettre en oeuvre la nouvelle politique. La répression militaire, la destruction des monastères qui avaient servi de bases à la rébellion, et l’exécution d’un ordre absurde de Mao qui exigeait que les moines et nonnes soient mariés de force, étaient tous destinés à “la destruction de la capacité des élites à relancer la révolte” [Wang Lixiong].

    La Révolution Culturelle

    Alors que la redistribution des terres féodales et monastiques au début des années 60s avait effectivement créé une base de soutien au régime chinois au Tibet, elle fut largement annihilée par les événements de la Révolution Culturelle. En 1969, le gouvernement central décida d’introduire les soi-disant “Communes Populaires” (des fermes collectives à grande échelle) au Tibet, une décennie après le reste de la Chine. Les paysans et bergers interprétèrent cela comme étant l’expropriation des pâturages et du bétail qu’ils avaient gagnés au début de la décennie et, une fois encore, la révolte armée fit rage à travers la campagne tibétaine. Les socialistes sont en faveur de l’agriculture collective, qui peut énormément améliorer les rendements. Mais ceci ne peut se faire que sur une base volontaire, avec des bonus pour inciter les gens qui décident de rejoindre la collectivisation. Pour ce travail, il doit y avoir une solide base industrielle qui peut fournir les machines agricoles, les engrais et l’approvisionnement en toutes sortes d’objets manufacturés, en échange des produits de la ferme. Ceci n’était pas le cas dans la Chine des années 60s, et encore moins au Tibet. Le résultat fut plus d’une décennie de stagnation économique, tandis que de larges couches de la paysannerie allèrent effectivement “travailler pour régner”, en signe de protestation. Ceci était déguisé par l’introduction de réformes importantes, telles que les soins de santé et l’éducation gratuits. Néanmoins, en 1980, 500 000 paysans – plus d’un quart de la population tibétaine – ne vivaient guère mieux qu’avant l’arrivée des communes. A côté du chaos dans l’agriculture, la Révolution Culturelle impliquait l’écrasement brutal de la religion bouddhiste, avec la destruction des derniers monastères tibétains, et la “rééducation” obligatoire pour les moines et les nonnes. Alors qu’on trouvait 2463 monastères au Tibet en 1959, il n’y en avait plus que 10 en 1976. Selon le Panchen Lama, “Les Saintes Ecritures servirent de compost, et les images de Bouddha et des soutras furent délibérément utilisées afin de fabriquer des chaussures”.

    En 1980, les dirigeants chinois reconnurent avoir commis “de graves erreurs” au Tibet. Cet état des affaires, à première vue étonnant, n’était qu’un sous-produit de la lutte âpre qui se déroulait au sein de la bureaucratie chinoise après la mort de Mao en 1976. Face à une crise économique de plus en plus grave, Deng Xiaoping et “l’aile réformatrice” de la bureaucratie préconisèrent un tournant en direction de méthodes capitalistes, une politique qui fut au départ accueillie avec la plus dure des résistances de la part des loyalistes maoïstes au sein de la bureaucratie. Hu Yaobang, un “réformiste” radical qui était secrétaire général du PCC, visita le Tibet en 1980 et réaffirma, lors d’une conférence de l’élite des dirigeants, que “les cadres tibétains devraient avoir le courage de défendre leurs propres intérêts nationaux”. Hu amorça des changements en profondeur – le démantèlement des communes, l’adoucissement de la persécution religieuse, l’amnistie pour plus de 300 personnes qui avaient été emprisonnées lors de la rébellion de 1959, et la “tibétanisation” de la bureaucratie régionale (le remplacement des dirigeants Han par des “cadres” tibétains). La reconstruction de nombreux monastères lors de cette période n’était pas juste une tentative de Beijing d’encourager la religion afin de pacifier la population (pour que les gens y trouvent une solution à leurs problèmes plutôt que par la rébellion) ; le régime y voyait également l’opportunité d’utiliser le tourisme pour raviver l’économie tibétaine. La “tibétanisation” dut être relativisée, cependant, lorsque le départ d’un si grand nombre d’administrateurs bien formés mena à une paralysie bureaucratique. Néanmoins, la population Han au Tibet fut réduite de 40 pourcent entre 1980 et 1985, à travers le rapatriement d’une foule de bureaucrates. Leurs remplaçants provenaient, dans leur grande majorité, de l’ancienne élite tibétaine éduquée, des chefs de clans traditionnels et des nobles.

    Le choix de Hu pour le titre de secrétaire du parti au Tibet fut Wu Jinghua, un libéral, lequel, par son appartenance à la minorité des Yi, fut le premier non Han à jouir de cette position. Rompant avec la politique menée par ses prédécesseurs, les années Wu apparurent comme un “âge des lumières”, bien que de courte durée. Lors des éruptions anti-chinoises de l’hiver 1987-88, la politique permissive de Wu fut blâmée car elle aurait “encouragé au séparatisme”. A l’époque, le bienfaiteur de Wu, Hu Yaobang, était aussi tombé face à Den Xiaoping, et avait été chassé de son poste pour le crime de “libéralisme bourgeois”. Les manifestations anti-chinoises de la fin des années 80’s préparèrent donc un nouveau virage abrupt dans la politique du Tibet. L’homme qui fut chargé de superviser un retour à des méthodes plus répressives n’était nul autre que Hu Jintao.

    Hu fut responsable de l’implémentation de la loi martiale en mars 1989, et d’actes de répression qui servirent de répétition générale pour la répression encore plus brutale, trois mois plus tard, des manifestations de la place Tiananmen à Beijing. Ceci montre comment le perfectionnement des méthodes de répression dans le cadre de la lutte contre le “séparatisme” au Tibet est ensuite employé contre les travailleurs et les paysans des communautés Han, ou autres, partout en Chine lorsqu’ils osent élever la voix contre la corruption, l’injustice et le manque de droits démocratiques. Ceci est l’une des raisons pour lesquelles tous les travailleurs doivent s’opposer à la répression exercée par le régime chinois au Tibet.

    Malgré le coup de vernis passé sur l’administration grâce à la nomination de dirigeants tibétains (66 pourcent de la bureaucratie régionale en 1989), aucun Tibétain n’a jamais tenu le poste-clé de secrétaire du parti dans la RAT. Cette place est plus importante dans la hiérarchie de l’Etat chinois que le poste de chef du gouvernement. De la même manière, les commandants des forces de l’ALP et de la PAP (Police Armée Populaire) stationnées au Tibet ont toujours été des officiers Han. Ceci en particulier est une source de ressentiment parmi les dirigeants tibétains. Les retournements constants de politique sur ordre de Beijing ont aussi mené à un soutien croissant pour les idées d’une autonomie “réelle” – ou “à la Hong Kong” – parmi la même couche. Cette position est quasi identique à celle prônée par le Dalai Lama et le gouvernement en exil, tirée de la vieille classe féodale, ce qui souligne une large symétrie de points de vue entre les ailes internes et externes de l’élite tibétaine.

    Le Dalai Lama abandonne l’idée “d’indépendance”

    De l’extérieur, les tensions entre la Chine et le Tibet semblent s’être apaisées, avec la reprise de pourparlers sporadiques entre Beijing et les représentants du Dalai Lama. Les discussions entre les deux parties avaient été suspendues après les manifestations indépendantistes de la fin des années 80’s. Le dirigeant bouddhiste a jusqu’ici mené une lutte au sein du mouvement nationaliste tibétain afin d’annuler les demandes d’indépendance, préconisant une “authentique autogestion à l’intérieur de la Chine” en tant qu’alternative. Cette “troisième voie” autoproclamée – une tentative de revenir aux termes du traité de 1951-59 – est une reconnaissance du fait que les tentatives de gagner le soutien de Washington et des autres gouvernements capitalistes à la cause des Tibétains ont échoué. Cela reflète également la pression de la nouvelle élite privilégiée à l’intérieur du Tibet, qui a évolué et est devenue prospère sous le patronage des Chinois.

    La stratégie et la politique bourgeoise du gouvernement tibétain en exil ont montré leur complète faillite. En dépit de la popularité du Dalai Lama en tant que symbole de la nation tibétaine, il y a parmi les exilés tibétains un mécontentement et un criticisme croissant vis-à-vis de la stratégie de leur direction. Le Congrès de la Jeunesse Tibétaine (une organisation d’exilés), par exemple, a récemment averti qu’il n’exclurait pas la lutte armée dans le cadre de la recherche de l’indépendance. Mais une telle tactique a déjà été tentée auparavant, dans les années 50-60’s, alors que l’on disposait à l’époque d’armes et d’un entraînement américains. Une lutte purement militaire, càd, une guérilla, serait encore plus impossible à gagner aujourd’hui, avec la modernisation de l’ALP et le développement d’unités de “contre-terroristes” d’élite. Les soi-disant méthodes de “guérilla urbaine”, ou terrorisme, comme la montré l’expérience du Xinjiang de la fin des années 90’s, mènent invariablement à une intensification de la répression étatique, et minent les possibilités de développer un mouvement de masse.

    La seule lutte qui peut montrer une issue en avant est une lutte socialiste, qui se détournerait des capitalistes et de leurs gouvernements, y compris le régime pro-capitaliste actuellement aux commandes à Beijing, et se tournerait vers la classe des travailleurs, en particulier vers ce colosse qui se réveille, la classe ouvrière chinoise. Même si le Tibet recevait son indépendance sur une base capitaliste, que signifierait cela pour la masse de la population ? Ses voisins himalayens sont un exemple frappant de ce qui veut dire “l’indépendance” dans le contexte de la division impérialiste du monde. Le Bhoutan et le Népal ne sont en réalité rien de plus que des Etats vassaux de l’Inde, tandis que le Sikkim, qui a obtenu son indépendance de la Grande-Bretagne en 1918, a été jugé “déficitaire” et absorbé par l’Inde en 1975.

    Ces Etats connaissent de plus hauts taux de mortalité infantine et une moins bonne espérance de vie que le Tibet (la mortalité infantiel du Bhoutan est presque le triple de celle du Tibet ; l’espérance de vie au Népal est de 59,8 ans, au Bhoutan elle est de 54,4 ans, alors qu’elle est de 65 ans au Tibet). Découlant de la politique menée par les dirigeants locaux sur ordre du FMI et de la Banque Mondiale (sur laquelle la Chine exerce une influence grandissante), le Népal et le Bhoutan ont tous les deux un plus grand nombre de réfugiés hors de leur territoire que le Tibet. La politique raciste du gouvernement bhoutanais a mené un cinquième de la population (134 000 personnes) à l’exil au début des années 90’s. Le Népal, dirigé par son propre “roi-dieu” (hindou), est en prises à la plus sanglante des guerres civiles d’Asie, laquelle a fait perdre la vie à 10 000 personnes depuis 2001. Par une des grandes ironies de l’histoire, le gouvernement chinois fournit des armes au roi Gyanendra contre la guérilla maoïste, sa crainte de voir le “mal népalais” se répandre au Tibet n’étant pas une de ses moindres raisons là-derrière.

    Une solution socialiste

    La nouvelle “troisième voie” prônée par le gouvernement tibétain en exil – un arrangement avec le régime chinois – n’a pas plus de chances de succès que ses précédents stratagèmes diplomatiques. Beijing voit surtout les discussions comme un moyen de détourner la critique internationale de ses actions au Tibet. En privé, la stratégie de Beijing est probablement d’attendre la mort du Dalai Lama septuagénaire et sa “réincarnation” dans un enfant. Ayant déjà imposé leur propre Panchen Lama (la deuxième figure la plus importante du bouddhisme tibétain) après la mort mystérieuse du dixième Panchen Lama en 1989, les cadres “communistes” espèrent pouvoir truquer la sélection du prochain Dalai Lama.

    Pour le régime chinois, la renonciation à l’indépendance n’est pas assez ; il insiste pour que les Tibétains abandonne aussi de manière explicite tout espoir à l’arrangement de “une nation, deux systèmes” suivant les lignes de Hong Kong. Dans le cas de Hong Kong, Beijing a fait d’importantes concessions afin de s’assurer que la classe capitaliste de la cité-état ne décampe pas après la réunification, emportant avec eux tous leurs milliards. Par la formule de “une nation, deux systèmes”, Hong Kong a son propre système légal, monétaire et financier, et bien que son “parlement” n’est qu’une façade, la population jouit de droits démocratiques de base (liberté d’assemblée, droit de grève, etc.) qui sont uniques en Chine. Une telle “carotte” a aussi été tendue à Taiwan dans l’espoir de la voir retourner “dans le giron de la mère-patrie”. Mais Beijing craint – non sans fondement – que des concessions similaires dans le cas du Tibet créent un dangereux précédent. Ceci serait perçu comme une récompense pour l’insubordination tibétaine, et ouvrirait les portes à des revendications similaires de la part d’autres provinces et régions.

    Pour vaincre, les masses tibétaines doivent lier leur lutte pour des droits démocratiques et la fin de l’occupation militaire à la lutte qui se développe maintenant, de la classe laborieuse chinoise surexploitée. Suivant un agenda parfait, l’élite tibétaine poursuit sa réconciliation avec Beijing au moment même où une explosion de protestations des travailleurs et paysans chinois secoue pratiquement chaque province de Chine. La jeunesse tibétaine, en particulier, doit soutenir et construire des liens avec la lutte des travailleurs chinois, qui combattent le même oppresseur, et recherchent fondamentalement les mêmes libertés : la fin du règne du parti unique et de la terreur policière, la liberté d’assemblée, de parole et de culte, le droit à s’organiser, et l’abolition de l’exploitation de classe à travers la socialisation de l’industrie sous contrôle démocratique. En d’autres mots, la lutte tibétaine doit être une lutte socialiste, reliée aux masses opprimées de la région de l’Himalaya, de la Chine et du monde.

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