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Tag: Suisse
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La crise exige une modification de la politique économique – La lutte des classes en déterminera le caractère (Quatrième partie)
Dans cette partie, nous analysons les propositions à l’approche des négociations pour un accord interprofessionnel. Nous soulevons les difficultés pour boucler les budgets de 2008 et de 2009, qui devraient être finalisés le 14 octobre. Dans la dernière partie, nous révélons les drames sociaux déjà présents même avant que la crise se soit étendue à l’économie réelle.
Texte de perspectives du Congrès National DU PSL/LSP. Ce texte a été écrit durant l’été.
Handicap salarial ?
112. Mais d’où vient alors cette ténacité chez les travailleurs à se mettre tout de même en action ? C’est vrai que nous n’avons pas encaissé les profits des entreprises, les dividendes des actionnaires ou encore les augmentations salariales des managers, mais nos salaires augmentent quand même plus vite que dans les pays voisins, n’avons-nous pas un handicap salarial ? Notre salaire horaire nominal a été relevé de 7,5% en 2007 et 2008, largement plus que la norme salariale de 5,1% que les syndicats avaient eu dans l’accord de février 2007. (1) Mais avec les statistiques, tout peut être prouvé. Le chiffre du Bureau du Plan de 2007-2008 est une estimation. En outre, le Bureau du Plan s’attend à une inflation de 6.5% pour la même période. Après déduction de l’inflation, il ne reste donc que 1% d’augmentation salariale. Cela doit représenter aussi bien l’augmentation de la productivité que les glissements des salaires et les augmentations barémiques. La Banque Nationale estime que l’augmentation de la productivité en 2007 a été plus basse que 1%, et ce pour la première fois depuis 2001. Elle estime le glissement des salaires sur 1% cette même année, c’est le phénomène d’augmentation du salaire moyen par le fait que le nombre d’emplois non qualifiés diminue pendant que le nombre d’emplois qualifiés augmente. (2) De plus, il s’agit ici de moyennes qui sont déformées par certaines catégories.
113. En août, le Bureau du Plan a dégagé des chiffres qui donnent le vertige. Les salaires bruts réels, adaptés à l’inflation, des ouvriers masculins dans l’industrie auraient, dans le meilleur cas, diminués de 2.6% de juillet 2007 à juillet 2008. (3) Cela confirme une étude similaire précédente du Bureau du Plan en février de cette année, lorsque les salaires bruts réels de ces mêmes travailleurs avaient, à ce moment là, diminué de 2% sur base annuelle. (4) Les chiffres de la Banque Nationale ont confirmé que cette tendance valait aussi pour les employés et les ouvriers des autres secteurs. Comme raison principale, le Bureau du Plan met en avant l’index santé. Pourtant, déjà avant, la situation n’était pas positive. Fin 2007, il semblait déjà que « le paiement des salariés belges », le salaire, y compris les cotisations sociales, était pour la première fois depuis ’71 en dessous de 50 % du PIB. (5) Dans sa réaction, Cortebeeck, le président de la CSC, avait dit: “cela ne peut pas durer”, tandis que Rudi Thomaes de la FEB avait qualifié ces chiffres de “purement symboliques”.
114. Des études ont paru, pour un oui ou pour un non, afin d’affirmer que les coûts salariaux belges déraillent, que le handicap du coût salarial augmente, etc. La plupart du temps, ce sont des études de l’OCDE qui reçoit ses chiffres des gouvernements nationaux qui, eux, les reçoivent des patrons. Selon la FEB, le handicap salarial s’élève à 12%. On se demande alors comment la Belgique reste un pays si attractif pour les investisseurs. Un coup d’oeil sur les frontières nous l’explique rapidement. Il semble que dans les pays voisins, on raconte les mêmes histoires. Le but de l’OCDE, des gouvernements nationaux,… n’est jamais de parler des salaires à voix haute, au contraire. La Banque Nationale est toutefois, elle, obligée de publier les chiffres réels. Il semble dès lors que les coûts salariaux par heure de travail dans le secteur privé, entre 1996 et 2007, ont diminué en Allemagne de près de 10%, en Belgique de 1% et a augmenté en France et au Pays-Bas de, respectivement, 6% et un peu plus de 15%.(6) La fête en Allemagne se prolonge d’ailleurs jusqu’à la fin. IG-Metall, le syndicat faisant autorité dans toute l’Europe avec ses 3.5 millions de membres, a exigé cette année 8% d’augmentation, revendication la plus élevée depuis 16 ans. Aujourd’hui, près de la moitié a été obtenu, mais cela aurait pu se finir autrement.(7)
115. Il n’est donc pas étonnant que les attaques du président de la BCE Trichet sur l’indexation aient peu impressionné.(8) Les patrons ne sont pas réellement chauds pour une confrontation là-dessus, mais avec une adaptation de l’index à la fin 2007, deux fois en 2008, et probablement encore une fois dans la première partie de l’année 2009, l’avidité patronale peut être stimulée. Lorsque Thomas Leysen est devenu président de la FEB, qui selon lui représente 33.000 entreprises, il a déclaré : « il faudra bien que quelque chose se passe. » (9) Guy Quaden, gouverneur de la Banque Nationale, a suggéré une indexation en chiffres absolus plutôt qu’en pourcentage. De cette manière, les revenus les plus élevés feraient des économies sur l’indexation. Les syndicats ne sont pas tombés dans le piège. Luc Cortebeeck a répondu : « En tirant une partie de l’index à celui qui gagne un peu plus, on mine la portée de tout le système. » (10)
Un accord interprofessionnel en fin d’année
116. Contrairement à ce que les patrons suggèrent tout le temps, le travailleur belge n’a rien à se reprocher. A chaque fois, il apparait qu’il se trouve au top de la productivité. En terme de valeurs produites par heure de travail, avec une moyenne de 53,4$ par heure, il ne laisse passer devant lui que les travailleurs luxembourgeois (71,3$) et norvégiens (53,5$).(11) En Norvège, c’est principalement dû au secteur pétrolier. Les travailleurs américains (52,3$), néerlandais (52,2$), allemands (49,3$), français (51,3$) et surtout japonais (37,5$) sont tous moins productifs. En termes de valeur produite par travailleurs, les belges sont « seulement » à la cinquième place. C’est parce que les travailleurs belges travaillent en moyenne 1.610 heures par an, les américains 1.785 et les irlandais 1.870. Les néerlandais, par contre, travaillent en moyenne 1.413 heures, les français 1.559 et les allemands 1.432. (11)
117. Mais pour certains, ce n’est jamais assez. Le provocateur Van Eetveelt, d’Unizo, ne nous a pas réellement surpris lorsqu’il a prétendu qu’il n’y aurait pas d’espace pour des augmentations salariales. « Ce serait déjà tout un art de pouvoir sauvegarder notre système d’indexation. » Pour la diminution des charges par contre, il voit encore quelques possibilités. (12) Son rêve ? « Travailler 6 jours, pas d’augmentation. Pourquoi ne pas augmenter la semaine de travail de 38 à 48 heures ? Pendant des périodes chargées, on doit pouvoir prester plus. » (13) Ainsi, Van Eetvelt joue son rôle classique : il lance des pistes là où d’autres n’osent pas se prononcer. La FEB va aussi aux négociations pour l’accord interprofessionnel avec des mots d’ordre clairs. Ils en ont 5 : le pouvoir d’achat n’est pas un problème, les salaires sont trop élevés, le marché du travail n’est pas assez flexible, les belges travaillent trop peu et les autorités n’ont pas une vision à terme car malgré l’augmentation de l’espérance de vie, les carrières restent trop courtes. Peter Timmermans, directeur général, rajoute que les négociations d’un accord seront plus difficiles que jamais.
118. Il y a déjà quelques années que nous disons que les petites et moyennes entreprises de livraison seront très vulnérables dans le cas d’une récession. Les 8 premiers mois de 2008, on comptait déjà 5.191 faillites, 8,3% de plus qu’en 2007 et nous sommes sur la voie de casser le record de 2004 de 7.935 faillites. Ces faillites ont entrainé la perte de 12.000 emplois, il s’agissait surtout de petites entreprises. L’assainissement du groupe pharmaceutique UCB où 555 emplois sont menacés à Bruxelles et à Braine-le-Comte, n’en fait pas partie. Il ne s’agit pas d’une faillite. Mais c’est bien un affront pour le gouvernement wallon, puisqu’il appartient au secteur de pointe du plan Marshall. La plus grande augmentation des faillites s’est produite à Bruxelles (+20%), en Wallonie (+10%) et beaucoup moins en Flandre (+1,4%) où 2.387 faillites ont néanmoins été enregistrées. Mais tout ceci avant que la récession n’ait réellement commencé. (14)
119. En septembre, une accélération s’est produite aussi en Flandre. Déjà avant l’été, Beekaert avait fermé sa production de cables d’acier à Lanklaar : une perte de 136 emplois. En été, Punch International a fait de même avec son usine d’enjoliveurs à Hoboken : -315 emplois. En septembre, Barco a décidé de railler 113 emplois dont 2/3 en Belgique. Ce même mois, Picanol a annoncé la perte de 190 emplois à Ypres. L’entreprise de textile Beaulieu restructure à Wielsbeke, -209 emplois et ferme sa filiale à Ninove, -178 emplois. Chez Gilbos à Herdersem, construction de machines de textile, 48 emplois disparaissent en conséquence du démantèlement d’activités de livraison. Domo Gand ferme sa filiale Cushion Floor à Zwijnaarde, 91 ouvriers et 47 employés perdent leurs emplois. En termes de faillites, il y a la fermeture d’UCO-Gand, -400 emplois et du fabricant de meubles Sint-Jozef à Aarschot, -33 emplois. Tout cela seulement en septembre 2008.
120. Pour le patronat, c’est la situation rêvée pour faire monter la pression et se débarrasser de personnel superflu. Probablement espère-t-il effrayer les travailleurs et en même temps procurer une arme pour paralyser la base aux amis secrétaires syndicaux, tels que Herwig Jorissen de la centrale des métallos de la FGTB qui vient d’être divisée sur base communautaire. Bien que la vague de faillites pourrait provoquer des doutes pendants quelques semaines, nous ne croyons pas que cela va paralyser le mouvement des travailleurs. L’appel confus de la FGTB pour une journée d’action le 6 octobre l’exprime. Les différentes centrales interprètent la situation de manière différente.
121. Certains plaident à juste titre pour démarrer la mobilisation par une manifestation nationale. Le 25 septembre déjà, les travailleurs des autorités locales et régionales de Bruxelles ont bloqué toute la ville par des blocages filtrants. A Belgacom, les trois syndicats ont organisés une assemblée commune pour la première fois en 40 ans. (15) Dans la centrale des métallos de la FGTB Wallonie et Bruxelles, on voulait partir immédiatement en grève durant 48 heures, entrainant le danger d’être trop en avance sur la conscience qui vit dans d’autres secteurs. La Centrale Générale et le Setca ont plaidé pour organiser d’abord une manifestation nationale. A De Lijn et à la STIB, on a pratiquement immédiatement commencé à organiser la journée de grève du 6 octobre. En Flandre orientale, en préparation, des assemblées interprofessionnelles sont organisée. A Anvers, on veut organiser un blocage filtrant du port. Cette situation chaotique va restaurer l’atmosphère d’action qui existait avant l’été et préparer les forces pour une confrontation à l’approche des négociations sur l’accord interprofessionnel (AIP).
122. Dans les appareils syndicaux, la contradiction sera poussée jusqu’au bout entre ceux qui veulent totalement atomiser le mouvement et rêvent probablement déjà d’une carrière ailleurs, et d’autres plus sensibles aux pressions de la base et veulent le refléter même si ce n’est que de façon très limitée. Les parties plus radicales des organisations patronales (Voka, Unizo, VKW, Agoria) vont vouloir se baser sur cette contradiction pour lancer des revendications de plus en plus osées et aboutiront probablement à un discours très communautaire. Les parties plus intelligentes du patronat, le sommet de la FEB, reflèteront de temps en temps la pression de ces fragments radicaux et l’utiliseront lorsque cela leur conviendra, mais essaieront en général de temporiser pour permettre aux dirigeants syndicaux de ne pas perdre leur contrôle sur la base et pour permettre aux politiciens de rétablir la stabilité.
123. Il y a probablement une partie des organisations patronales qui estime ne pas avoir besoin d’un accord interprofessionnel. Les grosses entreprises et leurs représentants, par contre, considèrent un accord interprofessionnel comme un instrument pour freiner une vague d’actions et de grèves dans les secteurs et entreprises et seront probablement en faveur d’un accord même si cela exige des concessions limitées. Mais un des problèmes, c’est que le gouvernement ne dispose pas de moyens pour aider à venir à un accord avec des moyens supplémentaires.
La création d’un budget
124. Le gouvernement a d’ailleurs un gros problème. Après s’être chamaillé pendant 15 mois sur le communautaire, il doit toujours faire aboutir son premier budget. Le précédent, était a à l’époque été fait par les ministres de la violette. Le fait que Melchior Wathelet, le ministre du budget sous Leterme Ier, soit devenu le « secrétaire d’Etat au Budget », alors qu’il est en plus responsable de la politique des familles, était déjà un signe. Avec Reynders sur les finances, c’est fatal, celui-ci s’est de nouveau trompé dans ses comptes. Selon le service d’étude des finances, les impôts en 2008 rapporteront 1,1 milliards d’euros en moins que prévu lors du contrôle budgétaire de juillet.(16) Ce sont surtout les revenus de la TVA, et les précomptes professionnels, qui ont été décevant, l’un à cause de l’affaiblissement de la consommation, l’autre à cause des diminutions de charge sur les heures supplémentaires, le travail de nuit et en équipe. Mais pour Reynders, un déficit de -0,3% n’est pas problématique. Cela pourrait d’ailleurs devenir -0,5%. La contribution de Suez de 250 millions d’euros n’est toujours pas réalisée et celle du gouvernement flamand, presque 400 millions d’euros, ne rentrera pas puisqu’il n’y a pas encore de réforme d’Etat.
125. La construction d’un budget pour 2009 sera encore plus difficile. Pour le Bureau du Plan, la croissance diminue jusqu’à 1,2% et si la politique appliquée n’est pas changée, il faudra au moins trouver 5 milliards pour arriver à un équilibre. De plus, le gouvernement a promis de lier les allocations au bien être (200 millions en 2009), de diminuer encore les charges sur les entreprises et de réaliser une marge de 0,3%. (17) Leterme prétend chercher 5 milliards, mais selon Knack et Trends, il devrait en trouver 7. Le 14 octobre, il doit prononcer son discours sur sa politique dans le parlement fédéral. Luc Coene, vice-gouverneur de la Banque nationale, de cachet VLD, a lancé déjà quelques pistes début septembre. « Les années précédentes, les dépenses sociales ont connu une croissance de 2,3% du PIB de plus que prévu. Ce rythme de croissance des dépenses doit diminuer. » Il trouve aussi que « les dépenses publiques doivent être tenues sous contrôle. »
126. Coene ne veut évidemment pas dire que le gouvernement doit quitter sa politique de baisse des charges. Evidemment non, car il prétend que « Après la suède, la Belgique est toujours à la deuxième place sur le plan mondial en ce qui concerne la pression fiscale. » Que faut-il alors ? Voici une sélection du Standaard. Celui-ci titre le 6 mai 2008 : « 40% des fonctionnaires partent en pension d’ici 5 ans ». Le 22 mai, « remplacer seulement un fonctionnaire sur 3 ». Le 26 juin, « Avec 72.000 fonctionnaires de moins, cela marche également ». Finalement, Van Eetvelt a écrit dans une carte blanche à la presse : « L’Etat doit vivre selon ses moyens, comme toute entreprise ». Qui vient de décider que l’Etat est une entreprise ? Il ne le mentionne pas. Pour Van Eetvelt, les dix prochaines années, 11.000 fonctionnaires peuvent disparaitre, et ceci sans bain de sang social et sans diminuer l’efficacité des autorités. Ainsi Van Eetvelt veut répondre à quelques experts financiers qui venaient de déclarer il y a quelques jours qu’ils ne croient pas en des économies sur les fonctionnaires et les soins de santé. (18)
127. Selon ces experts, une économie sur les 80.000 fonctionnaires fédéraux ne rapporte que très peu. Le gros des coûts salariaux se trouve d’ailleurs dans les communautés et les administrations locales. Ils disent ne pas conseiller d’économiser sur les enseignants. Et évidemment, Van Eetvelt et compagnie ne sont pas d’accord. Ils savent aussi qu’une entreprise sur trois est en infraction selon l’inspection sociale (19), que l’administration fiscale est en manque systématique de personnel. Ne plus remplacer les fonctionnaires fédéraux qui partent en pension signifie parallèlement l’érosion de services publics gênants tels que l’inspection sociale et la lutte contre la fraude fiscale. En ce qui concerne l’enseignement, Van Eetvelt et compagnie ont leur réponse : l’immigration économique, c’est meilleur marché. Avec la ministre Open-VLD Turtleboom, ils ont installé une dame de fer sur cette matière.
128. Les spécialistes trouvent aussi que faire des économies sur les soins de santé est irréaliste. « A cause du vieillissement, les dépenses pour les soins de santé croissent systématiquement ce qui rend difficile d’économiser. » Marc Devos, du groupe de réflexion ultralibéral Itinera, totalement hors de soupçon d’une quelconque sympathie de gauche, dit que les soins de santé sans réforme vont directement vers des déficits. Ce que les patients paient pour les soins de santé a augmenté systématiquement contre la tendance européenne et ceci pendant que la qualité a systématiquement reculé. L’OCDE place nos soins de santé à la 18e place (sur 26) en termes de performance. Le nombre de soins prestés est bon mais les résultats sur la santé, tels que l’espérance de vie, la mortalité infantile, les décès dus à des cancers guérissables,… tirent notre système vers le bas. Aux USA, au Canada, en Suisse, en Espagne et au Portugal, les patients eux-mêmes paient une plus grande partie de soins de santé. Pourtant, Itinera plaide pour une limitation de la croissance du budget : « Puisque, autrement, la volonté de réforme n’est pas stimulée. »
129. Van Eetvelt a calculé qu’en diminuant la norme de croissance de 4,5 à 2,8% en 2009, 365 millions d’euros peuvent être économisés sur les soins de santé. « Sans problème pour la santé de la population », ajoute-t-il. Sur le terrain, on n’en est pas convaincu. Là, on montre du doigt le fait qu’il faut tenir compte des développements techniques et scientifiques. Les prothèses des genoux, des hanches, ou les opérations de la cataracte sont heureusement devenus beaucoup plus accessibles qu’à la fin des années ‘80, mais la facture augmente. La norme de croissance actuelle menace d’ailleurs tout le secteur. Des hôpitaux se plaignent de déficits structurels. A Bruxelles, plusieurs hôpitaux sont au bord de la faillite. Au rythme actuel, on évolue de plus en plus vers des soins de santé à 2 vitesses, avec des soins de base pour ceux qui ne peuvent plus se le permettre. On fait d’ailleurs appel de plus en plus à des aides soignants mal payés et la charge du travail est systématiquement augmentée.
130. Où les experts voient-ils alors les possibilités pour équilibre le budget ? « Du côté des revenus, il y a encore des possibilités. C’est déjà la deuxième année consécutive que les revenus des impôts sont en retard de 1 milliards sur le schéma. Avec plus de contrôle, une partie du problème budgétaire serait résolu. » Et plus encore : « Le gouvernement fédéral doit quitter les recettes classiques et taxer le capital. » La crise de crédit internationale et l’indignation généralisée sur l’avidité d’une infime minorité aux dépend de la grande majorité de la population traversent toute la société. C’est ce qui explique le sens soudain des réalités de quelques experts qui voient dans l’avidité de Van Eetvelt et compagnie une menace pour la légitimité du système de profits. Nous sommes ici témoins d’un phénomène classique, c’est-à-dire que la révolution se manifeste d’abord au sommet de la société et non comme on le pense souvent à la base de celle-ci.
131. Pour la majorité des stratèges (petits-) bourgeois et leurs marionnettes politiques, le danger n’est aperçu que lorsqu’il se trouve déjà sous leur nez. En général, ils y ajoutent encore une cuillère. En juin encore, le VLD a revendiqué une baisse des charges à hauteur de 4,4 milliards d’euros. Au niveau de la Flandre, le VLD voulait en plus une diminution de taxe, de ce que l’on nomme le job-korting, à la hauteur de 600 euros, une diminution de l’impôt des sociétés à hauteur de 350 millions d’euros et une augmentation de l’exonération des précomptes professionnels sur le travail de nuit et d’équipe de 10,7 à 15,6%. Finalement, le VLD veut aussi de plus grands avantages fiscaux pour des heures supplémentaires.(20) A la fin de février 2009, tous les flamands qui ont un travail recevront une diminution de taxe de maximum 300 euros, avec un maximum de 600 euros par foyer. Cette diminution ne sera cette fois pas éparpillée sur les 12 mois, mais calculée dans le précompte professionnel sur le salaire de février, trois mois avant les élections. « De cette manière, la diminution est visible pour chaque flamand. »
132. Sur le plan fédéral, le VLD a aussi un liste de revendications : activation plus intensive des 50 ans et plus, réduction des termes d’invitation des chômeurs à un entretien de contrôle, dégressivité des allocations, remplissage plus souple de la semaine de 38 heures et immigration économique. Et, enfin, l’Open-VLD veut s’attaquer aux fraudes sociales. Selon Rik Daems, on peut aller y chercher 3 milliards d’euros, ce qui n’est pourtant qu’un dixième de la fraude fiscale estimée dans une étude de Mc Kinsey et de la VUB à 30 milliards d’euros annuellement. Daems ne vise évidemment pas les cotisations sociales non payées par les patrons, ni les heures supplémentaires payées en noir ou les patrons qui emploient illégalement des travailleurs. Il vise exclusivement ceux qui combinent une allocation avec un peu de travail en noir à gauche et à droite. Selon la criminologue de l’ULB Carla Nagels, Daems a une vision extrêmement libérale de la lutte contre la fraude sociale.
Drame social en construction
133. Daems et compagnie sont à peine capables de s’imaginer ce qui pousse des gens à accepter du travail au noir, pour autant que ça les intéresse. Dans une étude pour l’institut du développement durable, Philippe Defeyt, président du CPAS de Namur, est venu à la conclusion que de plus en plus de familles refusent dorénavant de prendre en charge leurs enfants. Un jeune de moins de 25 ans sur vingt est dépendant d’une allocation du CPAS.(21) Le nombre de personnes dépendantes d’un revenu d’insertion sociale a augmenté de 75.400 en 2005 à 82.000 en janvier 2008.(22) Un belge sur 7 (14,7%) a un revenu inférieur à 60% du revenu médian, le seuil de pauvreté officiel. Celui-ci est de 860€ pour une personne isolée et de 1.805€ pour une famille avec deux enfants. (23) En Wallonie, ils sont 17%, en Flandre 11,4%. Le salaire minimal est de 1.355,78€ brut. 260.000 belges combinent deux ou plusieurs emplois. Selon Elsy Verhofstadt, chercheur à la RUG, ils le font principalement « pour pouvoir gérer les prix de mazout, d’immobilier ou de nourriture. » (24)
134. Les propositions du VLD pour augmenter la politique d’activation et pour la dégressivité des allocations arrivent à un moment où une personne sur 8 en Belgique vit dans une famille sans emploi. En Europe (27), seules le Royaume-Uni et la Hongrie font un plus mauvais score sur ce plan là. 16% des européens vivent avec un revenu en dessous du seuil de pauvreté, dont la moitié fait partie d’un foyer où au moins une personne travaille. Le phénomène du « travailleur pauvre » se produit donc aussi en Europe.(25) Depuis 2004, 12.516 chômeurs se sont vus suspendre leurs allocations, dont 3.605 définitivement, les autres temporairement, en général pour 4 mois. Plus de la moitié des suspensions ont été faites sur la seule année 2007 ! En Flandre, on laisse sousentendre systématiquement que la politique d’activation en Wallonie et à Bruxelles serait appliquée de manière insuffisante. Pourtant, bien que la Flandre compte 32,96% des chômeurs au niveau national, « seulement » 28,63% des suspensions y ont été appliquées. La Wallonie, avec 49,62% des chômeurs, compte 50,02% des suspendus. Pour Bruxelles, 17,42% des chômeurs et 21,35% des suspendus. (26)
135. On aurait l’impression que le chômage n’est pas vraiment un problème, à l’exception de quelques profiteurs acharnés. En 2007, 116.000 emplois auraient été créés. Le nombre total de travailleurs est de 4,4 millions contre 3,6 millions au début des années 80. Nous avons toujours dit que des bons emplois étaient remplacés par des mauvais, des emplois flexibles, partiels et temporaires, évidemment aussi avec un salaire bas et partiel. De plus, la majorité de ces emplois font partie de ceux qui sont payés avec des moyens publics tels que les chèques-services. Selon l’enquête des forces de travail (EFT) du service public fédéral, 3,9% de la population active en Flandre était sans emplois, 10,3% de celle en Wallonie et 16,3% de celle à Bruxelles. Les chiffres d’EFT utilisent la définition de sans-emploi du Bureau International du Travail et sont plus bas que ceux de l’ONEM. (27)
136. En 1964, le nombre d’heures de travail prestées annuellement en Belgique a reculé pour la première fois en dessous de 8 millions, en 1973 en dessous de 7 millions. En 1964, cela se faisait avec 3.740.000 travailleurs, en 1973 avec 3.777.000 travailleurs. C’était la conséquence de la réduction du temps de travail arraché par la lutte des travailleurs. En 1999, nous étions pour la première fois plus de 4 millions de travailleurs et ensemble nous avons presté 6,5 millions d’heures de travail. Ce n’était plus le résultat d’une lutte pour une réduction du temps de travail, mais plutôt de l’augmentation de l’emploi à temps partiel jusqu’à 19,5%. En 2007, 4.337.000 travailleurs, dont déjà 23,7% à temps partiel, ont presté 6,9 millions d’heures de travail, fortement moins que pendant les golden sixties. (28) A cette époque, un salaire par foyer suffisait pour s’en sortir, aujourd’hui c’est devenu intenable. Surtout ceux qui gagnaient le moins dans le foyer, sont obligé de combiner l’entretien de la famille avec un emploi à temps partiel ; 42,6% des femmes travaillent à temps partiel, 7,8% des hommes. (29)
137. Mais tout ceci, c’était avant que la crise ne se traduise dans l’économie réelle. Entre-temps, le nombre de faillites augmente de manière spectaculaire. Les récessions précédentes menaient systématiquement à de fortes explosions du chômage. Celle de 74-75 a rayé 350.000 emplois dans l’industrie. Ceci a été compensé parce que les autorités ont créé à peu près 250.000 emplois dans les services publics, mais les chiffres de chômage de la période précédente, autour de 75.000, appartenaient définitivement au passé. La crise de ‘81-83 a doublé le nombre de chômeurs officiels jusqu’à 500.000, un chiffre en dessous duquel on n’a plus jamais réellement été. Depuis, les gouvernements consécutifs ont commencé à modeler les statistiques. Mais cela n’a pu empêcher une augmentation forte du degré de chômage officiel lors de la crise de ‘90 de moins de 9% à 15% dans la deuxième partie de ‘95. La mini crise de 2008 a fait sauter le nombre de chômeurs de presque 200.000. Ces dernières années, le chômage est descendu, mais malgré les chèques services et d’autres types de statuts, même pas jusqu’au niveau du point le plus bas précédent, de juin 2001, ne parlons même pas de celui du début des années ‘90. (30) En août 2008, De Tijd s’est demandé : « Un orage d’automne menace-t-il le marché de l’emploi ? » Le journal fixe notre attention sur le fait que le marché du travail ne réagit qu’avec un retard d’une demi-année sur des changements conjoncturels et que pour la fin de l’année, il y a bien des raisons de se faire des soucis. (31) A Bruxelles, depuis, le chômage est remonté de 18,8% avant l’été à 19,4% en septembre 2008. (32)
138. Leterme avait probablement espéré autre chose, mais il peut se préparer à une augmentation forte des dépenses sociales. Celles-ci avaient légèrement reculé dans la période 2003-2007 de 23% du PIB à 22,5%. Pendant cette même période, la sécurité sociale a connu trois fois un surplus, une fois un déficit (2003) et une fois un équilibre (2005). En 2007, les recettes de la sécurité sociale étaient de 64 milliards d’euros. C’est composé principalement de salaires différés – nommées cotisations patronales et les cotisations des travailleurs – pour 43 milliards d’euros et de ce que l’on nomme les contributions des autorités, pour 18 milliards d’euros, principalement des financements alternatifs (presque 10 milliards d’euros). Encore en 2007, la sécurité sociale a dépensé 62,5 milliards d’euros, principalement dû à ce qui était son but, c’est-à-dire les allocations sociales et les coûts du personnel, mais aussi de plus en plus pour des subsides aux entreprises (1,6 milliards déjà). Des allocations sociales en 2007, 21 milliards ont été dépensés aux soins de santé, 19 milliards aux pensions, 7,8 milliards au chômage (comprenant aussi une partie des prépensions), 4,5 milliards aux allocations familiales, et 4 milliards aux incapacités de travail. (33)
139. Pendant des années, on nous a effrayé avec le vieillissement et le fait que nos pensions seraient impayables. Pour chaque personne de plus de 60 ans, il y a aujourd’hui 2,5 travailleurs actifs, en 2015 ce ne sera plus que 2,1 travailleurs actifs. Presque tout le monde connait l’ordre de grandeur de ces chiffres. Via la télé et d’autres médias, ils ont été imprégnés dans notre conscience de la même manière que l’on marque le bétail au fer rouge. Cela servait à nous faire accepter l’érosion de notre pension. Pendant des décennies, des économies à charges de nos personnes âgées n’auraient provoquées que des indignations. Encore aujourd’hui, il n’y a rien de pire que quelques jeunes qui se moquent, volent ou maltraitent des personnes âgées, ou qui les laisse tout simplement à leur propre sort. C’est pourtant l’exemple que nos gouvernements donnent depuis des années. L’allocation de retraite moyenne d’un salarié masculin n’est plus que de 1.000 euros, d’une salariée féminine, de 700€. Les recherches démontrent que les « pensions supplémentaires » arrivent pratiquement exclusivement chez ceux qui ont déjà une pension légale élevée. (34)
140. Entretemps, la pension moyenne après taxation n’est plus que de 64,4% du salaire moyen. En Grèce et aux Pays-Bas, c’est plus de 90%. Au Luxembourg, un pensionné reçoit, pendant sa vie, si on totalise toutes ses allocations, en moyenne 664.240€ contre 179.056€ en Belgique, moins qu’en Grèce qui connait pourtant un niveau de vie en moyenne beaucoup plus bas (35). Délaisser les personnes âgées de telle manière est l’expression la plus écoeurante d’une société basée sur l’avidité. Après avoir réalisé ce drame, le Bureau du Plan nous amène des nouvelles : le vieillissement sera dans les prochaines années moins fort qu’on ne l’avait prévu. Mais ceci n’est pas une raison de ne plus rien faire : en 2050 (la date a reculé de 35 ans), il y aura 44 personnes âgées de plus de 65 ans (on n’y a ajouté 5 ans) sur 100 travailleurs actifs. Les voyants du Bureau du Plan prévoient 30,38 personnes âgées de plus de 65 ans sur 100 travailleurs actifs pour la région Bruxelles-Capitale, 42,68 en Wallonie et 47,38 en Flandre. (36)
141. Nous avons déjà traité des économies sur les salaires et sur les conditions de travail des salariés, des emplois flexibles et sous-payés des jeunes, de l’immigration sélective, des attaques sur les chômeurs, les malades et les pensionnés. Et pourtant nous ne sommes pas encore à la fin. Selon l’Agence flamande des personnes handicapées, les listes vacantes pour les personnes handicapées ont augmenté de 5.689 en 2003 à 8.200 en 2007. (37) Pour une région qui est capable de donner le fameux « job-korting » et d’autres cadeaux à l’approche des élections, cela témoigne de mauvais goût.
(1) Bureau Fédéral du Plan, communiqué du 12 septembre 2008
(2) Rapport annuel de la Banque Nationale, 2007, p. 97 et 99
(3) De Tijd, 27 août 2008, Reële lonen werknemers dalen
(4) De Tijd, 27 février 2008, Lonen kunnen prijzen niet volgen
(5) De Tijd, 3 octobre 2007, Lonen stijgen trager dan BBP. Entre 2002 et 2006, les salaires (nominaux) et les allocations sociales ont augmenté de 13% pour atteindre 158,2 milliards €, dans cette même période, le surplus d’exploitation brut et les revenus mixtes, principalement composé des revenus des entreprises, a connu une croissance de 26% pour atteindre 121 milliards €. Le PIB était de 316,6 milliards €.
(6) Rapport annuel de la Banque Nationale, 2007, p. 103, graphique 41
(7) De Tijd, 9 septembre 2008, IG Metall eist 7 tot 8 procent meer loon
(8) Des 15 Etats-membres, 6 possèdent une indexation automatique ou partielle : la Belgique, le Luxembourg, l’Espagne, la Slovénie, Chypre et Malte. Dans certains pays, il existe en plus une indexation du salaire minimum.
(9) De Morgen, 19 avril 2008, De index is geen ideaal systeem
(10) La Belgique et le Luxembourg sont les seuls pays avec une indexation automatique. Le système se base sur les prix de 507 produits. Dès que l’index atteint un certain, niveau, appelé l’index pivot, une adaptation à l’index s’applique. Pour les allocations dans le mois qui suit, pour les services publics et quelques secteurs du privé dans le deuxième mois qui suit. Si certains perdaient une partie de leur indexation, cela minerait leur attachement à l’index et détricoterait le front en défense de l’indexation.
(11) The Conference Board & Groningen Growth and Development Centre – summary statistics et total economy database, janvier 2008 – en 2007 US $
(12) De Tijd, 25 juillet 2008, Unizo trekt streep onder loonsverhogingen
(13) Het Nieuwsblad, 17 septembre 2008, Zes dagen werken, geen opslag
(14) De Tijd, 2 septembre 2008, Faillissementen op record na acht maanden
(15) De Tijd, 2 septembre 2008, CAO-overleg Belgacom nog onzeker
(16) De Tijd, 3 septembre 2008, Belastingsinkomsten met 1,1 miljard in het rood
(17) Knack, 24 septembre 2008, Rolverdeling met een hoge prijs
(18) De Tijd, 4 septembre 2008, We moeten besparen, maar waar?
(19) De Tijd, 8 février 2008, Een op drie bedrijven overtreedt wet
(20) De Tijd, 6 juin 2008, Open VLD eist 4,2 miljard minder lasten
(21) Le Soir, 12 septembre 2008, Un tiers de jeunes dans les CPAS
(22) Le Soir, 5 juillet 2008, Le public des CPAS continue de s’élargir
(23) Le revenu médian est la somme qui compte autant de gens avec un revenu supérieur que de gens avec un revenu inférieur. Le revenu moyen est la somme de tous les revenus divisée par le nombre de personnes ayant un revenu.
(24) Laatste Nieuws, 26 mars 2008
(25) De Tijd, 26 février 2008, Een op de acht Belgen leeft in gezin zonder job
(26) De Tijd, 21 février 2008, RVA-activeringsbeleid leidde sinds 2004 tot 12.500 schorsingen
(27) De Tijd, 15 mai 2008, 116.000 extra banen in recordjaar 2007
(28) The Conference Board & Groningen Growth and Development Centre –total economy database, janvier 2008
(29) Site des autorités fédérales, emploi et chômage
(30) Taux de chômage en pourcentage de la population active
(31) De Tijd, 2 augustus 2008, Dreigt herfststorm op arbeidsmarkt
(32) Le Soir, 4 septembre 2008, Deuxième mois de hausse consécutive pour le chômage
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Débat : La spéculation est-elle fondamentale dans les causes de la hausse des prix?
DEBAT
Quelques temps après la publication de notre tract sur la crise alimentaire, nous avons reçu cette lettre d’un lecteur de notre site. Nous la publions ici, ainsi que notre réponse. Vous aussi, n’hésitez pas à réagir vis-à-vis de nos articles, idées, méthodes,… La polémique est souvent une bonne manière d’aller au fond des choses !
Bonjour camarades,
Je voudrais réagir à l’article et au tract intitulés "Prix de l’alimentation. Ils spéculent. Nous payons la note!"
Dans ce texte, il est indiqué que la spéculation est le facteur prépondérant dans la flambée des prix. Je pense que cette analyse est erronée et peut déboucher sur de mauvaises conclusions. Voici en gros, mon analyse :
- 1. Il est clair que la spéculation joue un rôle. Mais pas forcément le 1er rôle. Il faut d’abord regarder les fondamentaux du marché. Or nous sommes dans une situation où la demande augmente de manière régulière depuis plusieurs années, sous l’impulsion des pays émergeants.
- 2. La production ne suit pas la même courbe et les stocks baissent pour atteindre des niveaux très bas ces derniers mois.
- 3. Les coûts de production augmentent fortement (notamment à cause du pétrole). Les petits producteurs ont donc des difficultés à investir pour produire plus, à cause du renchérissement des intrants. Et s’ils peuvent investir, ils ont la possibilité de s’orienter vers les agrocarburants…
- 4. La spéculation vient s’ajouter à tout ceci. Mais la spéculation ne fonctionnerait pas si le marché n’était pas tendu. En d’autres termes, dans un contexte de surproduction, même en achetant des centaines de tonnes de céréales, il sera très difficile de faire monter les prix ne fût-ce que de 1%. Aujourd’hui, beaucoup de denrées alimentaires sont à la limite de la rupture, donc la spéculation peut fonctionner à plein rendement. Sur les matières premières, le déterminant essentiel des prix ce n’est pas l’offre ou la demande mais bien le niveau des stocks ; or, pendant des années on a fait face au surcroît de demande de céréales en puisant dans les réserves, à tel point que celles-ci ont désormais atteint des niveaux proprement intenables, d’où l’extrême violence des "ajustements" actuels, amplifiés par les restockages prudentiels de nombre de pays importateurs… La spéculation n’est donc pas indispensable ni nécessaire pour faire monter les prix. Pour preuve, certaines denrées sont inaccessibles aux spéculateurs (pas de marchés à terme), et les prix ont doublé en quelques mois (ex : les lentilles, le riz…). Il est vrai que le Japon détient des stocks pharaoniques de riz, mais c’est la conséquence d’une contrainte imposée de longue date par l’OMC…
- 5. Les inégalités croissantes de revenus jouent un rôle important dans la flambée des prix, car la différence entre ce que peuvent payer les uns et les autres pour se nourrir est… énorme.
En conclusion, la spéculation joue certes un rôle, mais globalement marginal. Pointer le doigt vers elle, c’est désigner la partie visible (et particulièrement abjecte) de l’iceberg du capitalisme.
Ce qu’il faut dénoncer, c’est le fonctionnement global du système capitaliste : laisser la production des denrées alimentaires, et donc la survie d’une grande partie de l’humanité aux mains des capitalistes, c’est courir à la catastrophe, de manière certaine et répétée. La situation actuelle était prévisible, mais personne n’a voulu l’éviter. Seule une planification démocratique de la production et une organisation structurelle de la surproduction peut faire face aux aléas du climat et à l’augmentation des besoins de la population.
En l’absence d’une telle planification démocratique organisée au niveau mondial, chaque Etat doit avoir le droit de prendre des mesures pour garantir sa sécurité alimentaire.
J.L.
Cher camarade,
Différentes données démontrent le rôle prépondérant de la spéculation dans la hausse des matières premières, notamment de l’alimentation et du pétrole. Cela découle de la crise inhérente au capitalisme. Faute de pouvoir investir dans la production par crainte d’une crise de surproduction, les capitalistes spéculent en injectant leur argent non pas pour de nouveaux appareils dans les entreprises par exemple, mais en entretenant différentes "bulles" économiques. L’éclatement de celles du crédit et de l’immobilier a poussé les spéculateurs à chercher d’autres débouchés chez les valeurs "sures" comme les matières premières. Une récente enquête réalisée par des parlementaires américains et révélée par le Wall Street journal indique par exemple que la spéculation représente autour de 71% des échanges sur le Nymex, le New York Mercantile Excange (bourse spécialisée dans l’énergie et les métaux). En 2000, ce pourcentage était "seulement" de 37%. Il est vrai qu’il ne s’agit pas ici de denrées alimentaires, mais le principe est le même.
Le magazine britannique New Statesman a par exemple publié un article ("La folie commerciale à l’origine de la flambée des prix") qui parle bien sûr de l’augmentation de la population mondiale et de la place occupée par les agrocarburants, mais continue en affirmant que :"Ces facteurs à long terme sont importants, mais ne sont pas les raisons véritables pour lesquelles les prix alimentaires ont doublé ou pourquoi l’Inde rationne le riz ou pourquoi les éleveurs britanniques tuent les cochons pour lesquels ils ne peuvent plus payer la nourriture animale. C’est la crise du crédit. (… la crise alimentaire s’est développée au cours) d’un laps de temps incroyablement court, en essence au cours de ces 18 derniers mois. (…) La raison de la "pénurie" alimentaire est la spéculation sur le marché à termes de marchandises, suite à l’effondrement des marchés à termes des instruments financiers. En désespoir de cause d’obtenir un rendement rapide, les courtiers ont retiré des millions de dollars investis en actions et dans des prêts immobiliers pour les placer dans les denrées alimentaires et les matières premières. A Wall Street, on parle alors de "super cycle des matières premières" et il est probable que cela conduise à une famine à une échelle épique." Avec un certain cynisme, la première banque belge, la KBC, a eu comme slogan pour un de ses "produits" financier: "Tirez avantage de la hausse du prix des denrées alimentaires !".
Sean Corrigan (Diapason Commodities Management, Suisse, en charge d’un portefeuille de 6 milliards de dollars) a déclaré en 2007 que : "S’il y a un ralentissement mondial de l’activité, ça n’affectera pas les produits agricoles car les gens continueront de manger (…) L’acier, le fer et le nickel souffriront, mais les gens continueront d’acheter du pain et des pommes de terre."
De son côté, l’ancien associé de George Soros Jim Roggers disait aussi au même moment "Il y a trois milliards d’asiatiques (…) qui ne perdront pas leur appétit à cause d’un problème aux Etats-Unis.".
Pour Marc Faber, financier spécialiste des matières premières, les prix des matières premières agricoles sont relativement "attractifs". Il précise aussi que les perturbations climatiques vont faire monter les prix.
Il existe, comme tu le mentionnes, différents facteurs qui jouent dans la hausse des prix. Mais la spéculation en est le facteur fondamental. Et au plus les prix augmentent, au plus ils attirent d’autres investissements.
Le Monde Diplomatique, dans son édition de mai, a aussi déclaré que "Les indices agricoles font un tabac auprès des fonds d’investissement. Entre la fin du premier trimestre et la fin du quatrième trimestre 2007 (…) le volume des capitaux gérés par les fonds d’investissement cotés sur les produits agricoles européens a quintuplé" et est passé de 99 millions d’euros à 583 millions. Aux USA, c’est par sept que les fonds d’investissement sur les produits agricoles ont été multipliés l’année dernière…
Mais, bien évidemment, nous nous rejoignons sur la nécessité d’une économie planifiée et sur le fait qu’il faut dénoncer le capitalisme… Laisser à la soif de profit et au chaos du secteur privé des secteurs aussi fondamentaux que ceux de l’énergie et de l’alimentation, par exemple, signifie de laisser consciemment un gaspillage immense s’effectuer, en terme de ressources et de vies humaines.
Pour plus d’informations, nous invitons les lecteurs à lire notre dossier Crise internationale du pouvoir d’achat, crise alimentaire,… Le malheur des uns fait le bonheur des autres!.
Liens:
- Prix de l’alimentation: Ils spéculent, nous payons la note! Tract du MAS/LSP
- Augmentation des prix et crise alimentaire: Ce n’est pas notre faute, ce n’est pas à nous de payer!
- Augmentation des prix, rébellion et pauvreté.
- Rage globale contre les hausses de prix de la nourriture
- Côte d’Ivoire: Lutte victorieuse contre l’augmentation des prix de la nourriture !
- Catégorie "Pouvoir d’achat"
Crise économique (articles du plus récent au plus ancien)
- C’est la crise pour tout le monde… sauf pour les gros joueurs
- Capitalisme en crise. En route vers un tsunami économique ?
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8 mars 2008 : la Journée internationale des Femmes a cent ans
La Journée Internationale des Femmes trouve son origine dans une grève de travailleuses de l’industrie de textile et de vêtements à New York, le 8 mars 1908, menée pour une journée de travail de 8 heures, pour de meilleures conditions de travail et pour le droit de vote des femmes. L’année suivante, un appel du Socialist Party américain a débouché sur une lutte de plusieurs semaines pour de meilleurs salaires et conditions de travail, dans laquelle 30.000 travailleuses ont été impliquées,. Cette journée est restée longtemps un jour de fête et de lutte pour les organisations de femmes du mouvement ouvrier, même si la mobilisation s’affaiblissait d’année en année. La nouvelle vague d’activités féministes après Mai’68 a repris cette vielle tradition et, cette année encore, il y aura des activités partout dans le monde, bien que celles-ci ne mobilisent plus les masses.
Anja Deschoemacker
L’histoire de l’origine de la Journée Internationale des Femmes ressemble beaucoup à celle du 1er Mai. Tout comme celle-ci, elle célèbre des actions qui ont eu lieu aux Etats-Unis et qui ont été ensuite reprises internationalement par le mouvement ouvrier organisé. La première célébration internationale, celle qui a été en ce sens la première véritable Journée Internationale des Femmes, date de 1911. La Journée des Femmes la plus tumultueuse et la mieux connue, celle aussi qui a eu le plus de conséquences, a été celle du 8 mars 1917 (23 février en Russie), qui annonçait le début de la Révolution de Février dans ce pays. Ce n’est qu’en 1922, à l’appel de l’Internationale Communiste, que la journée a été fixée à une date qui s’est imposée partout : le 8 mars.
Les femmes ouvrières ont lutté pour l’acceptation de leurs revendications dans le mouvement ouvrier
L’acceptation de la revendication du droit de vote des femmes n’était pas évidente dans l’Internationale Socialiste (aussi connue comme la Deuxième Internationale), tout comme ne l’était d’ailleurs pas l’ensemble de la lutte pour les droits des femmes. L’organisation en 1907, par Clara Zetkin et les femmes socialistes allemandes, d’une Conférence internationale des femmes, qui s’est réunie la veille de la Conférence de la Deuxième Internationale, a donc marqué la préhistoire du mouvement. Une motion y a été votée par laquelle les partis adhérents s’engageaient à lutter pour le droit de vote des hommes et des femmes.
Clara Zetkin était une figure importante dans le parti socialiste allemand, une socialiste convaincue et une championne des droits des femmes, mais aussi une opposante déterminée au féminisme bourgeois. Lors de la réunion où a été décidée la mise sur pied de la Deuxième Internationale (1889), elle avait déjà argumenté que le socialisme ne pouvait pas exister sans les femmes, que les hommes devaient lutter ensemble avec les femmes pour les droits des femmes, que cette lutte faisait partie aussi de la lutte des classes. La réponse peu encourageante qu’elle avait reçue l’avait conduite à prendre l’initiative d’un mouvement socialiste des femmes, ayant pour but d’influencer les partis socialistes. Elle avait essayé d’acquérir et d’élargir cette influence avec le journal femme socialiste Die Gleichheit, dont elle était rédactrice en chef.
Mais, malgré l’acceptation de la résolution, l’enthousiasme pour le droit de vote des femmes était tiède dans la plupart des partis socialistes. Pour changer cela et pour impliquer davantage les femmes dans la lutte, la deuxième Conférence Internationale des Femmes Socialistes a décidé de tenir chaque année une journée internationale des femmes, une journée pendant laquelle on manifesterait, on ferait de la propagande,… En 1911, la Journée Internationale des Femmes a été célébrée en Allemagne, en Autriche, au Danemark, en Suisse et aux Etats-Unis. La liste des pays s’est élargie jusqu’à la Première Guerre Mondiale.
Cette guerre n’a pas signifié seulement un massacre massif, mais aussi la désintégration de la Deuxième Internationale. Le soutien à la guerre, venu d’abord de la social-démocratie allemande mais adopté ensuite par tous les partis de la Deuxième Internationale, a montré que, dans chacun de ces partis, le soutien à sa propre bourgeoisie dans le cadre d’un socialisme réformiste avait pris le dessus sur l’internationalisme, sur le refus de laisser les travailleurs de « son » pays tirer sur ceux d’autres pays, au seul bénéfice de leur propre bourgeoisie belliqueuse. Le seul parti qui est resté fidèle aux principes internationalistes du socialisme a été le parti russe, et en particulier son aile gauche majoritaire (les bolcheviks) sous la direction de Lénine, suivi dans cette voie par une partie de l’aile gauche de l’Internationale Socialiste.
L’organisation internationale des femmes a continué d’exister et s’est rangée dans le camp anti-guerre. Les Femmes Socialistes allemandes, au contraire de la direction du Parti Social-Démocrate allemand, ont aussi continué à mobiliser contre la guerre et contre la répression de l’Etat, notamment en 1914 contre la guerre qui approchait à grands pas et contre l’arrestation de Rosa Luxembourg, qui participait avec Clara Zetkin à la direction des groupes de gauche dans le SPD.
Les protestations à l’occasion de la Journée Internationale des Femmes ouvrent la voie à la Révolution de Février en Russie
Pendant la guerre, les femmes socialistes ont poursuivi les actions de protestation à l’occasion de la Journée Internationale des Femmes, dont la date varie alors entre le 23 février et le 18 mars. Ces protestations étaient fortement centrées sur le manque de vivres et les prix élevés de la nourriture provoqués par la guerre, ainsi que sur l’opposition à la guerre elle-même.
C’est ainsi les femmes socialistes italiennes de Turin ont diffusé une affiche, adressée aux femmes des quartiers ouvriers. L’arrière-plan de leur propagande, c’est alors l’augmentation générale des prix de la nourriture de base, comme la farine (dont le prix a grimpé de 88% entre janvier 1910 et 1917) et les pommes de terre (+ 134%). Ces affiches disaient : « N’avons-nous pas assez souffert à cause de cette guerre ? Maintenant la nourriture qu’il faut pour nos enfants commence à disparaître aussi. (…) Nous crions : à bas les armes ! Nous faisons tous partie de la même famille. Nous voulons la paix. Nous devons montrer que les femmes peuvent protéger ceux qui dépendent d’elles. »
Mais les protestations les plus spectaculaires ont eu lieu lors de la célébration de la Journée Internationale des Femmes en 1917 en Russie. Sous la direction d’Alexandra Kollontaï, les femmes russes sont descendues dans les rues. Au centre de leurs préoccupations se trouvaient les conditions de vie qui continuaient à empirer. Le loyer d’un logement à Saint-Pétersbourg avait doublé entre 1905 et 1915. Les prix des produits alimentaires, surtout ceux de la farine et du pain, avaient augmenté de 80 et 120%. Le prix d’une livre de pain de seigle, qui était la base de la nourriture des familles ouvrières de Saint-Pétersbourg, était monté de 3 kopecks en 1913 à 18 kopecks en 1916. Même le prix du savon avait augmenté de 245%. Une spéculation énorme et un marché noir de la nourriture et de l’énergie se développaient à toute allure alors que les entreprises fermaient leurs portes l’une après l’autre faute d’énergie. Les femmes et les hommes qui étaient licenciés partaient souvent en grève. En janvier et février 1917, plus d’un demi-million de travailleurs russes ont ainsi fait grève, surtout à Saint-Pétersbourg. Comme dans les autres pays impliqués dans la guerre, les femmes formaient une grande partie de ces travailleurs, vu que beaucoup d’hommes avaient été envoyés au front.
A l’occasion de la Journée Internationale des Femmes (le 23 février du calendrier russe correspond au 8 mars) les femmes ouvrières ont organisé une manifestation passant le long des usines de Saint-Petersbourg. Beaucoup de travailleurs des usines métallurgiques ont rejoint l’action. Le 25 février, deux jours après le début de l’insurrection des femmes, le Tsar a commandé à l’armée de tirer sur les masses pour arrêter le mouvement. Ainsi a commencé la Révolution de Février, qui a forcé le tsar à abdiquer le 12 mars.
Le Gouvernement Provisoire qui a pris le pouvoir en main est le premier gouvernement d’une grande puissance à accorder le droit de vote aux femmes. Mais, pour le reste, ce gouvernement n’était pas du tout prêt à augmenter le niveau de vie des masses. Le Tsar était parti mais les grands propriétaires fonciers et les capitalistes continuaient d’exploiter les masses et d’accaparer les richesses. A coté de ce Gouvernement Provisoire, une autre force s’est construite, les Conseils (soviets) de délégués élus des travailleurs, paysans et soldats. Ces Soviets sont entrés en concurrence avec le Gouvernement Provisoire sur la question centrale : qui va diriger le pays. En outre, le gouvernement refusait également de mettre fin à la guerre, une revendication qui gagnait toujours plus de soutien parmi les masses, en raison aussi de la campagne menée sans répit par les bolcheviks.
Ce double pouvoir – d’un coté le Gouvernement Provisoire et de l’autre les soviets – ne pouvait pas durer longtemps. Lors de la Révolution d’Octobre, les Soviets, réunissant les représentants élus des masses laborieuses, ont répondu à l’appel des bolcheviks et ont pris le pouvoir en main. Ces événements ont fixé la date de la Journée Internationale des Femmes en Russie et en Europe au 8 mars. L’Internationale Communiste (ou Troisième Internationale), mise sur pied à l’initiative de Lénine et Trotsky, les principaux dirigeants de la Révolution Russe, a fait en 1922 de cette journée un jour férié communiste.
La dégénérescence du mouvement communiste révolutionnaire coïncide avec celle de la Journée Internationale des Femmes
L’Etat ouvrier, arrivé au pouvoir par la Révolution d’Octobre, a donné aux femmes travailleuses des acquis dont les femmes en Occident ne pouvaient alors que rêver. A coté de l’égalité devant la loi, non seulement il leur a offert le droit au travail et des régimes de travail spéciaux (diminution du temps de travail, interdiction du travail de nuit, congé de maternité,…) qui tenaient compte de la fonction sociale des mères en plus du travail hors de la maison, mais il a aussi été le premier à prendre réellement ses responsabilités envers les masses populaires sur le plan du logement et des services de base. Les richesses produites par la population laborieuse ont été pour la première fois réellement utilisées pour servir les intérêts des masses, par le biais d’une économie planifiée qui avait au cœur de ses préoccupations les besoins des masses et qui, dans une première période, était aussi élaborée de manière démocratique à travers les soviets, les conseils des travailleurs, paysans et soldats.
Mais le jeune Etat ouvrier a fait beaucoup plus encore. L’oppression des femmes est en effet un problème plus profond qu’une simple question de revenu et de salaire. Le droit à l’avortement, la possibilité de divorcer plus facilement, l’abolition des « droits » que les hommes avaient sur les femmes dans le mariage,… tout cela a fait partie des acquis des femmes travailleuses russes – des acquis que les femmes occidentales ont du attendre longtemps encore. Afin de stimuler et d’aider les femmes à sortir de leur foyer et à s’engager dans la société, un travail de formation sur une grande échelle a aussi été entamé, au moyen de campagnes d’alphabétisation dans la campagne et du travail de formation pour élever le niveau culturel. Des femmes socialistes ont parcouru cet immense pays pour expliquer aux femmes les droits dont elles disposaient.
Mais la Révolution Russe ne pouvait pas rester debout et évoluer vers une société socialiste dans l’isolement total dans lequel se trouvait le pays après la défaite des mouvements révolutionnaires en Europe, et tout particulièrement en Allemagne, des défaites qui se sont succédées surtout à cause de la trahison des partis socialistes de la Deuxième Internationale. La société russe se heurtait à un manque de développement technique, à une arriération culturelle dans les vastes régions rurales,… et était en plus entraînée dans une guerre sans fin, les puissances capitalistes de l’extérieur faisant tout pour aider l’ancienne élite dirigeante russe à reprendre le pouvoir, en bloquant les relations commerciales mais aussi en envoyant des troupes (les armées de 21 pays ont ainsi foncé à travers le territoire de la Russie). La continuation d’une situation de guerre imposée à la société russe a conduit à des famines dans différentes parties du pays.
Le soutien – ouvert et concret – donné par tous les partis russes, excepté les bolcheviks, à la contre-révolution a conduit à une situation dans laquelle de plus en plus de partis ont été mis hors-la-loi. Cette période de « communisme de guerre » reste toujours vue, même aujourd’hui, par une série de partis communistes comme un « modèle » alors qu’elle n’était qu’une adaptation concrète et nécessaire à la guerre qui était imposé au jeune Etat ouvrier. Beaucoup de penseurs bourgeois mettent cela en avant pour montrer combien le « communisme » est « antidémocratique » – bien que dans les pays capitalistes la démocratie ait été également suspendue en temps de guerre et parfois d’une manière encore plus profonde qu’en Russie.
Mais l’échec des révolutions en Europe occidentale et les difficultés économiques internes dans un pays détruit par la guerre ont fait qu’en Russie, une bureaucratie a pu concentrer dans ses mains toujours plus de pouvoir. Cette bureaucratie, sous la direction de Staline, a progressivement étranglé toute opposition et a remplacé le fonctionnement démocratique de l’économie planifiée par son propre pouvoir tout-puissant. Cette prise de pouvoir s’est marquée aussi à travers l’adaptation graduelle du programme du Parti Communiste russe envers les femmes, qui a glissé de plus en plus vers la glorification de la maternité et de la famille nucléaire dans laquelle la mère préoccupée du bien-être de la famille occupait la place centrale.
Parallèlement, l’Internationale Communiste est devenue partout dans le monde un instrument de cette bureaucratie russe, donnant chaque jour davantage la priorité aux intérêts de la politique extérieure de l’URSS sur les intérêts de la classe ouvrière dans le reste du monde. C’est ainsi qu’a commencé une longue chaîne de trahisons, débutant avec la première Révolution Chinoise dans les années ’20 (au cours de laquelle le Parti Communiste a été forcé à aider le Kouo-Min-Tang, le parti bourgeois nationaliste au pouvoir), se poursuivant avec la guerre civile espagnole en 1936-39 (au cours de laquelle le Parti Communiste a notamment utilisé son influence pour retirer leurs armes aux femmes ouvrières et les cantonner au rôle de cuisinières et d’infirmières dans l’armée), dans laquelle les intérêts des travailleurs et paysans espagnols ont reçu une importance bien moindre que les accords que Staline avait conclus avec des différents pays capitalistes, ce qui a mené à la victoire de Franco ou encore avec la Révolution Iranienne de 1979, au cours de laquelle le Parti Communiste a refusé de jouer un rôle indépendant et de diriger lui-même la lutte, a apporté son soutien à Khomeiny et a abandonné les femmes iraniennes totalement à leur sort. Dans ce cadre, la Journée Internationale des Femmes a changé de nature dans les pays staliniens pour devenir une sorte de fête des mères ou de Saint-Valentin, un jour où les femmes reçoivent des fleurs.
Relance de la lutte des femmes dans les années ‘60
Dans le reste du monde, la Journée Internationale des Femmes a été de plus en plus oubliée pour n’être reprise qu’à la fin des années ’60 par le nouveau mouvement féministe, ce qu’on a appelé la « deuxième vague » (après une « première vague » pour le droit de vote). C’est également la période dans laquelle d’autres mouvements d’émancipation, comme le mouvement des homosexuels, a connu une forte poussée.
Les années ’60 ont vu un grand afflux de femmes sur le marché de travail. Vu le chômage très bas, les femmes ont été stimulées à aller revendiquer leur place au travail. La nouvelle vague féministe s’est donc développée sur la base de ces conditions économiques favorables. En Belgique, la montée de ce mouvement a été annoncée par la grève des ouvrières de la FN d’Herstal sur la revendication « à travail égal, salaire égal » qui a duré 12 semaines.
Cette nouvelle vague féministe, qui a coïncidé avec le développement d’autres mouvements d’émancipation comme celui des homosexuels, avait comme objectifs d’obtenir l’indépendance économique, de rompre avec la répartition classique des rôles entre hommes et femmes, d’arracher la libération sexuelle, de casser le « plafond de verre » qui tenait les femmes loin des hautes fonctions, y compris dans la politique. Dans beaucoup de pays, cette lutte a obtenu des acquis importants, entre autres sur les questions de la contraception et de l’avortement, de l’assouplissement des lois sur le divorce,… illustrés par des slogans comme le très connu « maître de mon ventre » ou « le personnel est politique ».
En termes légaux, la revendication “à travail égal, salaire égal” a été obtenue, tout comme l’interdiction des discriminations professionnelles, mais sur ce plan on doit aujourd’hui bien constater que les salaires réels des femmes sont toujours en moyenne 25% plus bas que ceux des hommes.
La Journée Internationale des Femmes doit être remise à l’ordre du jour
Malgré les énormes acquis – accès à l’enseignement et au marché du travail, légalisation de l’avortement, facilitation des procédures de divorce, égalité devant la loi,… – obtenus par les femmes dans les pays capitalistes développés, les problèmes ne sont pas fondamentalement résolus. Au contraire, au cours des 20 à 30 dernières années de politique antisociale et néolibérale, un grand nombre d’acquis ont été rabotés. Les femmes sont touchées de façon très dure : les chômeurs qui ont perdu leur allocation de chômage à cause du fameux article 143 (devenu 80) limitant la durée des allocations pour les chômeurs cohabitants sont en grande majorité des femmes, les allocations de chômage partiel des travailleurs à temps partiel non-volontaire ont été graduellement abolies, le démantèlement de services comme ceux des hôpitaux (notamment avec la réduction du temps de séjour) a pesé surtout sur elle,…
Beaucoup de femmes travaillent en dehors de la maison aujourd’hui et très peu de filles et de jeunes femmes se voient comme futures femmes au foyer. Mais la société ne voit toujours pas les tâches ménagères et de soins – que ce soit pour les enfants, pour le mari et, à cause du coût élevé des maisons de repos combiné au faible montant des pensions, toujours plus aussi pour les parents âgés – comme des tâches sociales pour lesquelles il faut créer des services publics. Dès lors, tout le poids repose dès lors sur le dos des femmes qui subissent une double journée de travail. Cette double journée, dans la situation d’un marché de travail de plus en plus flexible, fait que beaucoup de femmes ne gagnent pas assez pour être indépendantes sur le plan financier. De bas salaires, le temps partiel, des périodes de non-présence sur le marché de travail,… font qu’arrivées à un certain âge, les femmes sont aussi en moyenne bien plus pauvres parce que leurs pensions sont plus faibles, et parfois beaucoup plus faibles.
Ce manque d’indépendance financière fait que les femmes sont vulnérables face à la violence. Même si elles veulent échapper à une relation violente, elles rencontrent plein d’obstacles sur leur route. Comment, avec les bas salaires que beaucoup de femmes subissent à cause du temps partiel, avec les titres-services et autres « petits boulots », avec l’insécurité d’un contrat temporaire ou intérim,… trouver un nouveau logement et des revenus suffisants pour vivre, en particulier s’il y a des enfants ?
La violence contre les femmes est inhérente au capitalisme : elle fleurit sur la division et les préjugés entretenus envers les groupes spécifiques afin de diviser et de paralyser la majorité de la population qui est exploitée et opprimée par la bourgeoisie. Les femmes sont souvent confrontées au harcèlement sexuel dans l’espace public, dans les écoles et les lieux de travail, mais aussi avec la violence physique et sexuelle dans leurs familles. Les préjugés envers les femmes font aussi qu’elles doivent souvent travailler bien plus dur pour être vues comme égales aux hommes. Le sexisme installe des limitations très réelles dans la vie des femmes. Malgré les énormes pas en avant qui ont été faits et la plus grande liberté que les femmes ont aujourd’hui pour déterminer leur vie, cette violence dure toujours : la principale cause de mort et de handicap permanent pour les femmes entre 16 et 44 ans en Europe est la violence du partenaire.
De nouvelles formes d’oppression sont aussi apparues, ou plus exactement de vieilles formes sous une nouvelle apparence. La croissance de l’internet a été utilisé par la mafia du sexe pour assurer un élargissement jamais vu de l’industrie de sexe – le porno est un des plus grands secteurs sur internet. On voit aussi un glissement vers du porno de plus en plus dur, vers la pornographie enfantine. Le porno est présent partout aujourd’hui et diverses études ont montré que cela impose une pression sérieuse sur les jeunes femmes, en particulier sur le plan de leurs « prestations » sexuelles. Elles ont montré que, dans 97% du matériel pornographique, les relations entre les sexes reposent sur l’obéissance et la soumission des femmes. La plus grande partie du matériel porno déborde de clichés du genre « si les femmes disent non, elles veulent dire oui.
Pour beaucoup de jeunes femmes qui sont attirées dans cette industrie du porno – faire des photos est quand même une façon « innocente » et facile de se faire un peu d’argent – ces premiers pas s’avèrent être un marchepied pour la prostitution. Bien qu’on entende aujourd’hui dire de plus en plus souvent que c’est un « choix » que les femmes font, il est quand même remarquable que même ces femmes qui pensent que c’était leur « choix » doivent à terme utiliser des drogues pour pouvoir continuer à faire ce « travail ». Toutes les prostituées sont confrontées régulièrement à la violence. Bien que différentes organisations, y compris des organisations soi-disant progressistes, veulent présenter aujourd’hui la prostitution comme « un boulot comme un autre », ce n’est pas du tout le cas. Pour la grande majorité des prostituées, il ne s’agit pas d’un « choix », mais d’une pure nécessité économique. Une grande partie du marché de la prostitution est en outre occupée par ce qu’on ne peut pas appeler autrement que des esclaves sexuelles, importées par des réseaux de traite d’êtres humains. Ce n’est pas étonnant que cette industrie du sexe ait profité à fond de la désintégration des Etats staliniens en Europe de l’Est et en Russie et qu’un grand nombre de femmes submergent le marché de prostitution, forcées de façon directe ou indirecte par les trafiquants de chair humaine.
Malgré le fait qu’une plus grande proportion de femmes que d’hommes se trouvent dans une situation de pauvreté, leur surconcentration dans les emplois mal payés, temporaires et à temps partiel, la violence, le harcèlement et les préjugés,… une grande partie des politiciens et politiciennes prétendent pourtant que les femmes ne sont plus opprimées ni discriminées. En réalité, la situation s’est détériorée au cours des dernières décennies pour les femmes qui travaillent ou qui dépendent d’une allocation. La dépendance économique fait que toute une série de droits dont les femmes disposent légalement ne peuvent pas être appliqués dans la réalité.
C’est pour cela que le MAS mène campagne en mars. Une campagne sur le thème du pouvoir d’achat et son impact sur de larges couches de femmes qui disposent de revenus moyens plus bas que ceux des hommes. Une campagne qui met aussi en lumière la solidarité internationale avec une manifestation en solidarité avec le mouvement des femmes iraniennes, contre le régime en Iran mais aussi contre l’intervention impérialiste des Etats-Unis au Moyen-Orient.
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90 années après la révolution russe… Une expérience toujours d’actualité !
1917-2007
En ce mois d’octobre, nous commémorons le 90ème anniversaire de la révolution russe de 1917. Bien trop souvent, cet événement est présenté comme une « aberration de l’histoire » ou comme le résultat des sinistres desseins d’une poignée d’hommes malfaisants. Nous voulons au contraire profiter de l’occasion pour réaffirmer la légitimité historique et la portée gigantesque de ce qui fut la première révolution socialiste de l’histoire.
Le développement inégal et combiné
Dans son livre La révolution permanente, Trotsky dira de la révolution d’Octobre qu’elle fut « la plus grandiose de toutes les manifestations de l’inégalité de l’évolution historique. » Au début du siècle dernier en effet, la Russie présente une situation historique pleine de contradictions. Réduit à un état semi-barbare, le pays est sous le joug d’un régime tsariste autocratique, tandis que l’immense majorité de la population ( 87%) vit dans les campagnes, le plus souvent dans un état de misère et d’arriération lamentable. Le sous-développement culturel est latent : l’analphabétisme atteint un niveau supérieur à celui existant en France au 18ème siècle avant la révolution ! Les tentatives de moderniser les structures de la vie nationale se heurtent aux lourdes survivances du féodalisme, à la faiblesse de la bourgeoisie nationale, au système archaïque de gouvernement et à la dépendance économique de la Russie à l’égard du capital étranger. Ce sont pourtant ces investissements de capitaux étrangers qui permettent, dans le dernier quart du 19ème siècle, un développement capitaliste accéléré et la formation de centres industriels importants. L’arriération du pays contraste dès lors avec l’apparition rapide d’un prolétariat moderne concentré dans de grosses entreprises, et dont la combativité n’a rien à envier au mouvement ouvrier occidental. Rien qu’entre 1865 et 1890, le nombre d’ouvriers d’usine double, passant de 700.000 à 1.430.000. A la veille de la révolution de 1917, ils sont 4,5 millions. Rosa Luxembourg, révolutionnaire allemande, en déduit : « La situation contradictoire de la Russie se manifeste par le fait que le conflit entre la société bourgeoise et l’absolutisme est déjà surpassé par le conflit entre le prolétariat et la société bourgeoise. » (1)
1905 : la répétition générale
En 1905, la Russie est traversée par une première onde de choc révolutionnaire. L’année débute par une grève à l’usine Poutilov à Saint-Pétersbourg, qui, rapidement, s’élargit. L’épisode du Dimanche Rouge, lorsque des milliers de travailleurs et leurs familles se rendant vers le Palais d’Hiver du Tsar pour réclamer une amélioration de leurs conditions de travail et davantage de libertés publiques se font accueillir à coups de fusils, de sabres et de baïonettes, au prix de centaines de morts, a pour effet de dissiper la confiance obscure de centaines de milliers de travailleurs dans le tsar, et enflamme le pays par une vague de grèves. Celle-ci atteint son apogée par la grève de masse du mois d’octobre, qui voit la constitution des premiers Soviets (conseils des députés ouvriers), véritables embryons d’un gouvernement ouvrier révolutionnaire. Mais le pouvoir d’Etat tsariste a finalement raison de ce déferlement révolutionnaire, qui, insuffisamment préparé et réduit à ses seules ressources, reflue à partir de décembre. Trotsky conclut : « Cet épisode n’a pas seulement montré que la Russie des villes était une base trop étroite pour la lutte, mais aussi que, dans les limites de la révolution urbaine, une organisation locale ne peut assumer la direction du prolétariat. La lutte du prolétariat au nom de tâches nationales exigeait une organisation de classe d’envergure nationale. » (2) Si la défaite de cette première révolution ouvre une ère de répression féroce qui pousse le mouvement ouvrier dans le repli pour plusieurs années, cette expérience révèle néanmoins pour la première fois le prolétariat comme une force avec laquelle il va falloir compter, et restera ancrée dans la conscience collective des travailleurs russes.
Trois conceptions de la révolution
Le caractère de la révolution en gestation fut l’objet d’âpres divergences au sein du mouvement ouvrier russe. Dès 1904, ces divergences aboutissent à la formation de deux tendances fondamentales : le menchevisme et le bolchevisme.
Pour les menchéviks, la Russie devait passer par une révolution démocratique portant au pouvoir la bourgeoisie, laquelle développerait le capitalisme et instaurerait un régime parlementaire. Le rôle du parti ouvrier devait donc se limiter à « donner plus de vaillance à la bourgeoisie libérale » (3) pour l’aider à s’engager dans cette voie. « Les conditions historiques objectives font que la destinée de notre prolétariat est irrémissiblement de collaborer avec la bourgeoisie dans sa lutte contre l’ennemi commun » (4) , résumait le dirigeant menchévik Axelrod. La lutte pour le socialisme était ainsi renvoyée à un avenir indéfini, le contenu de la révolution étant d’avance limité à des transformations acceptables pour la bourgeoisie libérale. Cette perspective partait davantage d’une transcription mécanique, sur le sol de la Russie, du schéma suivi par la révolution française de 1789 que d’une analyse réelle des conditions sociales et politiques existant en Russie à cette époque.
Jusqu’à un certain point, les bolchéviks admettaient également que la révolution aurait un caractère bourgeois. Lénine expliquait : « Nous ne pouvons sauter par-dessus le cadre démocratique bourgeois de la révolution russe… Pour le prolétariat, la lutte pour la liberté politique et pour la république démocratique au sein de la société bourgeoise est simplement un stade nécessaire dans sa lutte pour la révolution socialiste. » (5). La vision des bolchéviks se distinguait cependant de celle des menchéviks sur deux points : d’une part, ils ne renvoyaient pas la révolution socialiste aux calendes grecques mais voyaient au contraire la révolution bourgeoise comme un « stade nécessaire » vers la réalisation de ce but ; d’autre part, ils ne portaient aucune illusion quant à la capacité de la bourgeoisie russe à diriger jusqu’au bout sa propre révolution. L’existence de fait d’un prolétariat moderne contestant l’ordre capitaliste, ainsi que les attaches existant entre l’aristocratie foncière et la bourgeoisie, rendaient cette dernière incapable, selon les bolchéviks, d’entreprendre la moindre initiative sérieuse vers la conquête des droits politiques des travailleurs et la réalisation d’une véritable réforme agraire. L’évolution des rapports de forces pousserait tout au contraire la bourgeoisie vers un compromis avec l’absolutisme. C’est pourquoi, à la position des menchéviks préconisant une alliance entre le prolétariat et la bourgeoisie, les bolchéviks opposaient l’idée d’une alliance entre le prolétariat et la paysannerie. Cette position était résumée dans la formule de Lénine : « la dictature démocratique du prolétariat et de la paysannerie. »
Léon Trotsky, quant à lui, n’adhèrait à l’époque ni à l’une, ni à l’autre de ces conceptions. Tirant le bilan de l’expérience de 1905, il élaborera dans sa brochure Bilan et perspectives, une analyse clairvoyante qui se verra brillamment confirmée par le développement ultérieur des événements révolutionnaires en Russie, analyse par la suite connue sous le nom de Révolution Permanente. D’accord avec les bolchéviks sur l’analyse qu’ils font du rôle du libéralisme bourgeois, Trotsky cernait néanmoins les faiblesses de la formule de Lénine. Il soulignait d’une part l’incapacité historique pour la paysannerie, de par son morcellement géographique et social, de jouer un rôle politique indépendant ; la passivité des villages et l’inertie des éléments paysans dans l’armée fut en effet une des raisons principales de l’écrasement de la révolution de 1905. Dautre part, il insistait sur l’impossibilité objective pour le prolétariat de se maintenir dans le cadre d’un programme démocratique bourgeois : « Il serait du plus grand utopisme de penser que le prolétariat, après avoir accédé à la domination politique puisse borner sa mission à créer les conditions démocratiques et républicaines de la domination sociale de la bourgeoisie. » Une fois au pouvoir, la classe ouvrière serait irrésistiblement poussée à entreprendre ses propres tâches, à savoir l’expropriation des capitalistes et la socialisation de l’économie. «La perspective des bolchéviks était incomplète; elle indiquait correctement la direction générale de la lutte, mais caractérisait incorrectement ses stades…La victoire complète de la révolution démocratique en Russie est inconcevable autrement que sous la forme d’une dictature du prolétariat appuyée sur la paysannerie. La dictature du prolétariat mettra inévitablement à l’ordre du jour, non seulement des tâches démocratiques mais aussi des tâches socialistes, et va en même temps donner une puissante impulsion à la révolution socialiste internationale. » (6)
La guerre mondiale : la trahison historique de la social-démocratie
En août 1914, la nécessité latente pour les Etats impérialistes d’engager un nouveau partage des marchés et des colonies éclate en une puissante conflagration mondiale. Les belles résolutions contre la guerre de l’Internationale Socialiste sont d’un seul coup rangées au placard : presque tous les partis sociaux-démocrates capitulent devant la guerre, en s’alignant sur leurs gouvernements respectifs et leurs discours bellicistes. Le 4 août, le groupe parlementaire social-démocrate allemand, unanime, vote les crédits de guerre. Les députés socialistes français les imitent avec enthousiasme. Lorsqu’en Belgique, le roi Albert se présente devant les Chambres et que le gouvernement catholique demande le vote de crédits militaires, les députés socialistes du POB applaudissent le souverain et, à leur tour, se rallient à l’union sacrée en votant les crédits de guerre. Emile Vandervelde, alors président de l’Internationale, part, sur la demande du roi, haranguer les troupes sur le front de l’Yser. Celui que l’on considérait comme « le père du marxisme russe », Plékhanov, comme la majorité des menchéviques, se rallie au discours de « la guerre jusqu’à la victoire ». De tous les partis sociaux-démocrates de l’époque, les bolchéviques seront les seuls à rejeter l’effort de guerre de façon radicale et conséquente. Rosa Luxembourg qualifie l’Internationale de « cadavre puant » (7). Lénine affirme : « Dès aujourd’hui, je cesse d’être social-démocrate et deviens communiste. » (8)
Si, dans un premier temps, la vague de chauvinisme entraîne tout sur son passage et terrasse des millions de travailleurs, la guerre deviendra par la suite un puissant catalyseur de la colère ouvrière, qui se répandra comme une tempête sur tout le continent. La combativité des masses, enfouie sous la boue et le sang des tranchées, remontera à la surface avec d’autant plus de vigueur. « La première vague des événements a élevé les gouvernements et l’armée à une puissance jamais encore atteinte. D’autant plus effrayante sera la chute des dirigeants, quand le sens réel des événements se révélera dans toute son horreur », commentait Trotsky dans La guerre et l’Internationale.
Février 1917 : l’explosion
Un peu partout, la prolongation du massacre impérialiste excite les sentiments de révolte. La discipline se relâche parmi les troupes, le mécontentement gronde dans les quartiers ouvriers. En Russie, la crise éclate en février 1917 : le 23 de ce mois, à l’occasion de la journée internationale des femmes, des ouvrières du textile de Saint-Pétersbourg débrayent et défilent dans des manifestations de masse en criant : « Du pain ! Du pain ! » Cet événement met le feu aux poudres ; le lendemain, la moitié du prolétariat de la capitale -200.000 ouvriers- a cessé le travail. Le 25, la grève devient générale. Rapidement, le conflit prend un caractère insurrectionnel ;les mutineries des soldats, entraînées par la marée révolutionnaire, sonnent le glas du régime impérial. Ce dernier, incapable de faire obstacle au soulèvement des masses, ne pouvant s’appuyer sur des troupes sûres, vole en miettes. Le 27 au soir se tient la séance constitutive du Soviet des députés ouvriers et soldats de Pétrograd. Le 2 mars, le Tsar Nicolas II, lâché par ses alliés de la veille, abdique. Le même jour les députés de l’opposition libérale constituent à la hâte un gouvernement provisoire présidé par le prince Lvov, grand propriétaire terrien : les classes possédantes, paniquées, cherchent à rebâtir un appareil d’Etat capable d’endiguer la révolution des masses ouvrières. L’Eglise orthodoxe, pourtant vieille complice du tsarisme, voit dans la chute du régime « la volonté de Dieu » et invite les fidèles à « soutenir le gouvernement provisoire » (9). Loin d’être un aboutissement, la révolution de février ne marque pourtant que le début d’un processus de révolution et de contre-révolution qui verra se défier sur l’arène politique deux prétendants à la direction de la société.
Les soviets : organes de pouvoir d’un type nouveau
La révolution a fait naître une dualité de pouvoir : à côté du gouvernement provisoire bourgeois s’érige et se développe un autre type de pouvoir : les Soviets des députés ouvriers, élus dans les usines et les quartiers ouvriers. « La dualité de pouvoirs se manifeste là où des classes ennemies s’appuient déjà sur des organisations d’État fondamentalement incompatibles – l’une périmée, l’autre se formant – qui, à chaque pas, se repoussent entre elles dans le domaine de la direction du pays (…) Par sa nature même, une telle situation ne peut être stable… » (10) En effet, une société ne peut pas plus avancer sous la houlette de deux pouvoirs opposés qu’un train ne peut avancer s’il est guidé par deux conducteurs voulant chacun aller dans des directions opposées !
Dès le début mars, des soviets surgissent dans toutes les principales villes et les centres industriels du pays ; la révolution commence à gagner les campagnes, tandis que les soviets de soldats se multipient dans l’armée pour contester le diktat des officiers. Lénine affirme très justement : « Les parlements bourgeois ne sont jamais considérés par les pauvres comme des institutions à eux. Tandis que, pour la masse des ouvriers et des paysans, les soviets sont à eux et bien à eux. » (11). Ces soviets, organes d’auto-organisation des masses opprimées, véritables parlements ouvriers, reprennent en main la gestion de tâches normalement dévolues à l’appareil d’Etat officiel (ravitaillement, ordre public, armement des travailleurs…) et contribuent à engager les larges masses de la population laborieuse dans le débat et l’action politique, loin des basses manoeuvres et des intrigues des bourgeois. Pourtant, et c’est là ce que Trostky appelle le « paradoxe de février », les soviets sont initialement composés d’une majorité de délégués des partis menchévik et socialiste-révolutionnaire, qui n’ont pas la moindre intention de renverser le gouvernement provisoire, appuient la poursuite des hostilités sur le front, et s’évertuent à freiner les revendications sociales. « Non seulement dans les soviets de soldats, mais également dans les soviets ouvriers, les bolchéviks disposaient généralement de1-2%, au mieux 5%. Les menchéviks et les prétendus ‘socialistes-révolutionnaires’ s’assuraient le soutien de 95% des travailleurs, des soldats et des paysans engagés dans la lutte » (12)
Les thèses d’avril : la révolution permanente en pratique
Dictée par leur ancienne analyse des tâches de la révolution, l’attitude initiale de la direction nationale du parti bolchévik, en ces premiers mois de révolution, est sujette à maintes hésitations et confusions. Staline et Kaménev, à la tête du parti en l’absence de Lénine exilé en Suisse, adoptent une position de soutien critique au gouvernement provisoire et de rapprochement avec les menchéviks. La conférence bolchévique qui se tient à la fin du mois de mars décide par exemple, sous proposition de Staline, que le rôle des Soviets est de « soutenir le gouvernement provisoire dans son action aussi longtemps qu’il marche dans la voie de satisfaire la classe ouvrière. » (13). Fort heureusement, le retour de Lénine, le 3 avril, va retourner la situation dans les rangs bolchéviques. S’adaptant à la nouvelle réalité au lieu de s’accrocher aux vieilles formules, il rejoint implicitement la perspective avancée par Trostky : « La formule inspirée du ‘vieux bolchévisme’, comme quoi ‘La révolution démocratique bourgeoise n’est pas terminée’, a vieilli : elle n’est plus bonne à rien (…) Le trait distinctif de la situation actuelle en Russie consiste en la transition de la première étape de la révolution, qui remit le pouvoir à la bourgeoisie à cause de l’insuffisance de la conscience et de l’organisation prolétariennes, à sa seconde étape, qui remettra le pouvoir aux mains du prolétariat et des couches les plus pauvres de la paysannerie. » (14). Lénine formula sa position dans les Thèses d’Avril, véritable réquisitoire contre le gouvernement provisoire et plaidoyer en faveur du pouvoir des Soviets « seul pouvoir révolutionnaire viable » (15). Par un travail patient et tenace, soutenu par la radicalisation du mouvement révolutionnaire, il parvient à ressaisir le parti. Trotsky, quant à lui, ralliera formellement les bolchéviks au mois d’août
Les journées de juillet
Les 3 et 4 juillet s’opère un tournant décisif : les ouvriers et soldats de Petrograd manifestent leur impatience en exigeant des dirigeants du soviet qu’ils prennent le pouvoir. Les bolcheviks s’opposent à une insurrection, qu’ils estiment prématurée et suicidaire : la capitale est en avance sur le reste du pays, et les larges couches de travailleurs et de paysans ne sont pas encore prêts à soutenir activement le renversement du gouvernement provisoire. Ce n’est pas parce que l’avant-garde est gagnée au programme révolutionnaire que la situation est déjà mûre pour la prise du pouvoir. N’ayant pas réussi à contenir le mouvement, les bolchéviks ne tournent pas le dos aux travailleurs déterminés à descendre dans la rue : ils descendent avec eux tout en leur expliquant le caractère aventuriste de l’opération. Karl Radek expliquera par la suite : « En juillet 1917, nous avons de toutes nos forces retenu les masses, et, comme nous n’y avons pas réussi, nous les avons conduites au prix d’efforts inouïs, vers la retraite, hors d’une bataille sans espoir. » (16) Les désordres qui s’ensuivent font des centaines de victimes, et une vague de répression s’abat sur le parti bolchévik.
Le putsh de Kornilov
Le reflux de juillet semble rétablir un certain équilibre entre les classes antagonistes. La polarisation des classes est à son comble, et la base sociale du gouvernement provisoire, emmené par le socialiste-révolutionnaire Kérenski, s’évapore sous ses pieds. Le dirigeant Mililoukov, du parti cadet (le parti de la bourgeoisie) affirme : « La vie poussera la société et la population à envisager l’inéluctabilité d’une opération chirurgicale ». Il ajoute : « le pays n’a le choix qu’entre Kornilov et Lénine » (17).
Les classes possédantes, en effet, face à l’apathie du gouvernement provisoire et des partis conciliateurs, sentent venu le moment de frapper à la tête le mouvement révolutionnaire : c’est le généralissime ultra-réactionnaire Kornilov qui est choisi comme sauveur suprême, l’objectif étant d’organiser une marche punitive vers Petrograd afin d’écraser la révolution dans le sang…mais le coup d’état s’effondre en quelques jours. Face à l’incapacité du gouvernement provisoire à organiser la résistance, les bolcheviks prennent en main la défense de la capitale. En définitive, même les soldats des troupes de Kornilov se mutinent contre leurs officiers et se rallient à la cause de la révolution : le complot se décompose sans combat. Fouettées par la tentative de la contre-révolution, les masses se radicalisent davantage encore : cet événement a pour effet de renverser la situation en faveur des bolchéviks, qui relèvent la tête et gagnent un prestige, une audience et une confiance parmi les masses jusque-là inégalés.
Octobre : la prise du pouvoir
Le 31 août, le soviet de Petrograd vote une résolution réclamant tout le pouvoir aux soviets et, tout comme 126 soviets de province, accordent la majorité aux bolcheviks. Les uns après les autres, les soviets des grandes villes alignent leur position sur celle du soviet de la capitale. « Avant septembre, l’avant-garde des masses était plus bolchévik que les bolchéviks. Après septembre, ce sont les masses qui sont plus bolchéviks que l’avant-garde. » (18) Lénine, quant à lui, parle de la « rapidité d’un ouragan incroyable » (19). Dès la mi-septembre, il martèle : « L’Histoire ne nous pardonnera pas si nous ne prenons pas le pouvoir dès maintenant. » (20) L’irrésistible ascension des bolchéviks culmine finalement dans l’insurrection et la prise du Palais d’Hiver, qui ont lieu dans la nuit du 24 et 25 octobre 1917 sous la direction de Trotsky, et ce presque sans effusion de sang. Le 26 du même mois, le deuxième congrès pan-russe des soviets ratifie le premier Etat ouvrier de l’histoire.
Le rôle du Parti Bolchévik
La révolution d’Octobre n’aurait jamais pu aboutir sans l’existence d’un parti capable, comme le disait Lénine, de « concentrer toutes les goutelettes et les ruisseaux de l’effervescence populaire qui suintent à travers la vie russe en un seul torrent gigantesque. » (21). La progression numérique du Parti Bolchévik est saisissante : ne comptant guère plus de 3.000 membres en février 1917, le parti, qu’on qualifiait encore en juillet d’une « insignifiante poignée de démagogues », verra en quelques mois ses effectifs exploser, atteignant en octobre le quart de millions d’adhérents. L’éducation politique des masses s’effectue à travers leur propre expérience ; dans le feu de l’action d’une période révolutionnaire, la conscience des masses évolue à la vitesse grand V. Le Parti Bolchévik a, mieux que les autres, su exprimer les aspirations profondes de la population laborieuse de Russie, et formuler les moyens concrets pour les mettre en œuvre. Un monarchiste moscovite de l’époque reconnaissait sobrement : « Les bolchéviks sont le vrai symbole du peuple. » (22). La construction d’un parti à même de grouper et d’organiser les masses ouvrières, et de les amener avec audace jusqu’à la prise effective du pouvoir, tel fut et reste le mérite et l’apport essentiel du bolchévisme dans l’histoire.
- Rosa Luxembourg : Grève de masse, parti et syndicat (1906)
- Léon Trotsky : Le conseil des députés ouvriers et la révolution (1906)
- Jean-Jacques Marie : Lénine 1870-1924 (2004)
- Léon Trotsky : Bolchévisme contre stalinisme (1939)
- Ibidem
- Ibidem
- Rosa Luxembourg : La crise de la social-démocratie (1915)
- Marcel Liebman : Le léninisme sous Lénine : 1.La conquête du pouvoir (1973)
- Ibidem
- Trotsky : Histoire de la Révolution Russe : 2.Octobre (1932)
- Jean-Jacques Marie : Lénine 1870-1924 (2004)
- Trotsky : Histoire de la Révolution Russe :1.Février (1932)
- Pierre Broué : Le Parti Bolchévique : Histoire du P.C. de l’U.R.S.S. (1962)
- Ibidem
- Ibidem
- Jean-Jacques Marie : Lénine 1870-1924 (2004)
- Jean-Jacques Marie : Lénine 1870-1924 (2004)
- Marc Ferro : La révolution russe (1976)
- Pierre Broué : Le Parti Bolchévique : Histoire du P.C. de l’U.R.S.S. (1962)
- Ibidem
- Lénine : Que faire ? (1902)
- Jean-Jacques Marie : Lénine 1870-1924 (2004)
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Crash en Chine : 140 milliards de $ de valeurs boursières partent en fumée
Crash en Chine : 140 milliards de $ de valeurs boursières partent en fumée
L’index boursier de Shanghai et de Shenzhen a plongé de pas moins de 9,2% ce mardi 27 février, ce qui correspond à 140 milliard de dollars de pertes en valeurs boursières. Les bourses de Tokyo, Hong Kong, Séoul, Kuala Lumpur et Sidney ont suivis le lendemain. Au Mexique, en Argentine et au Brésil, des pertes de 5,8% à 7,5% ont été enregistrées. A New York, le Dow Jones a connu sa plus grande chute depuis le 11 septembre et, en Europe, 3% des valeurs en moyenne sont parties en fumée. Cela ne mènera probablement pas dans l’immédiat à une récession, mais c’est un signal appréciable d’un futur tremblement de terre de l’économie mondiale.
Eric Byl
La croissance mondiale de ces dernière années n’a pas été basée sur un renouvellement des techniques de production, mais surtout sur une baisse d’impôts pour les entreprises et une intensification de l’exploitation des forces de travail. Suite à la chute des caricatures de socialisme à l’Est, l’arrivée de nouveaux travailleurs a fortement augmenté la concurrence sur le marché de l’emploi. Les tentatives de la bureaucratie stalinienne chinoise pour instrumentaliser l’ancien appareil d’Etat et l’infrastructure construite sous l’économie planifiée, afin de se transformer graduellement en nouvelle classe capitaliste, a encore renforcé ce processus. Le nombre de travailleurs mondialement disponibles a doublé, avec pour conséquences des salaires plus bas et des conditions de travail détériorées.
Les forces de travail très bon marchés et la baisse systématique des charges patronales a conduit à des profits records. La valeur des actions a bondit, provoquant à son tour des investissements spéculatifs et la surévaluation des marchés d’actions, des « bulles ». Si les bas salaires minent le pouvoir d’achat, cela est cependant temporairement compensé par la concentration croissante de richesses dans les mains d’une élite constamment plus petite, ce qui créé un afflux d’argent liquide. Cet argent est mis à disposition à bas taux d’intérêts pour acheter de l’immobilier ou des produits de consommation. Notre pouvoir d’achat est diminué, mais grâce à des crédits bon marchés, nous dépensons aujourd’hui les salaires que nous devons encore gagner à l’avenir. Les ménages, surtout aux Etats-Unis, ploient sous des dettes massives.
Cette situation ne peut durer. L’abondance d’argent liquide devrait mener à une baisse de la valeur du dollar, mais grâce à l’arrivée de produits chinois bon marchés, l’inflation reste basse pour l’instant. De plus, la Chine, quelques pays asiatiques en voie de développement et les pays de l’OPEP investissent leurs surplus commerciaux en bonds d’Etat américains pour financer les déficits commerciaux et budgétaires des Etats-Unis. Un avertissement de l’ancien président de la Banque Fédérale américaine, Alan Greenspan, sur la possibilité d’une récession aux Etats-Unis ce deuxième semestre a mené à la panique.
Si la demande de produits chinois aux Etats-Unis et ailleurs diminue, cela provoquera de nombreuses faillites, d’abord en Chine, puis sur le plan mondial. Cela produirait en plus une forte chute du dollar et donc l’implosion des réserves investies dans cette monnaie.
Ce déséquilibre doit être corrigé. Au plus on attend, au plus se sera pénible. L’économie mondiale se comporte comme un drogué à l’héroïne. L’héroïne mène au dépérissement total de l’organisme mais, à chaque fois, le dernier shoot provoque un sentiment de soulagement. L’économie mondiale est intoxiquée de dettes, qui mènent inévitablement au dépérissement du tissu économique, mais chaque nouveau crédit créé temporairement ce sentiment de soulagement. Dans son chef d’œuvre sur la dépression de 1929, J.K. Galbraith écrit que la raison principale de ce crash était l’énorme écart entre riches et pauvres. A l’occasion du rassemblement de Davos, en Suisse, pour dirigeants d’entreprises et politiciens, Stephen Roach, économiste à Morgan Stanley, a pointé lui aussi les dangers liés à cet écart. Pierre Huylenbroeck, responsable Argent et Investissement au journal flamand Tijd, a écrit que si les cours boursiers ou les profits des entreprises augmentent durant des années de 10%, ou même plus, une rechute devient inévitable. Il a avertit : “Au plus quelque chose monte, au plus cela peut chuter plus tard”.
Ce crash ne mènera pas immédiatement à une dépression, de nouveaux crédits seront pompés dans l’économie. Mais tôt ou tard, les contradictions énormes du système capitaliste devront exploser et provoquer, comme pendant des récessions précédentes, un doublement, voire plus, du chômage et un accroissement catastrophique de la pauvreté. Les travailleurs ont un intérêt à ce que cela soit postposé afin de pouvoir au mieux préparer leurs forces.
Le capitalisme ne survit qu’en abusant des travailleurs, de leurs familles, de nos communautés et de notre environnement. Notre choix se limite à l’exploitation chaotique de nous-mêmes et de notre environnement ou à l’utilisation des richesses indescriptibles dont nous disposons en fonction des besoins de tous. Cette dernière option n’est possible que si les travailleurs et leurs familles construisent une force capable de rendre accessible l’alternative du socialisme démocratique.
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UDC: Le consensus à la suisse victime de la crise
Les élections législatives du 19 octobre en Suisse ont vu la percée spectaculaire de l’Union démocratique du Centre (UDC), un parti populiste de droite. L’UDC est désormais le premier parti suisse en voix et en sièges.
Thierry Pierret
La progression de l’UDC est spectaculaire: elle obtient 27,7% des voix, soit le score le plus élevé jamais enregistré par une formation populiste de droite ou d’extrême droite en Europe. Pendant longtemps, les Suisses ont vécu dans l’idée que leur pays était un sanctuaire à l’abri de la crise du capitalisme mondial. La faillite de Swissair a frappé les esprits. Les Suisses ont massivement rejeté la politique néolibérale, les uns en votant pour la social-démocratie et les Verts – qui ont fait campagne pour le maintien des acquis sociaux – les autres en votant pour l’UDC qui a surtout fait campagne contre l’immigration et l’ouverture de la Suisse sur l’extérieur. Cette démagogie protectionniste dissimule pourtant mal les orientations néolibérales de l’UDC.
Son leader, le milliardaire Christoph Blocher, exige une baisse d’impôts pour les riches et s’oppose à l’intervention de l’état dans l’économie, même lorsqu’il fallait sauver Swissair et ses milliers d’emplois.
La polarisation gauche/droite sonne le glas du consensus à la suisse et met à l’ordre du jour la question d’un nouveau parti des travailleurs capable d’organiser la lutte contre la politique antisociale et de (re)gagner à la gauche les salariés et les petits indépendants séduits par la démagogie de l’UDC.