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Tag: Standard & Poor
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[DOSSIER] Pourquoi le capitalisme prépare de puissantes explosions sociales
Le mois dernier, en une fraction de temps, l’euphorie concernant la ‘‘reprise économique’’ est devenue panique. Commentateurs et analystes s’efforcent à expliquer le phénomène. On fait référence à la psychologie et au manque de leadership politique. Pour nous, ce ne sont là que les symptômes d’une maladie chronique. La plupart de la population ne doit s’attendre qu’à l’appauvrissement et à une exploitation accrue de la part du capitalisme.
Par Eric Byl, article tiré de l’édition de septembre de Lutte Socialiste
Si l’on avait consacré les 5.000 milliards de dollars de valeur boursière évaporés ce dernier mois à la lutte contre la faim dans le monde, la Corne de l’Afrique serait probablement un paradis aujourd’hui. Avec les 25 milliards d’euros disparus à Bruxelles, on aurait pu déminer la bombe à retardement du coût du vieillissement. Mais ce n’est pas ainsi que les choses fonctionnent. Il faut d’abord créer la richesse avant de pouvoir la partager, nous disent les libéraux. Ils nous ont aussi affirmé que lorsque l’on enrichi suffisamment les riches, cela arrose le reste de la population. C’est exactement l’inverse que nous constatons : lorsque les pauvres deviennent plus pauvres, cela affecte également le revenu des groupes moyens. Le professeur britannique Richard Wilkinson souligne que tant la crise de 1929 que celle de 2008 sont survenues à un moment où l’inégalité sociale a atteint un sommet.
Quand les économistes bourgeois sont au bout du rouleau, ils font appel à Marx. Selon le professeur d’économie Nouriel Roubini, celui-ci ‘‘avait partiellement raison en disant que la mondialisation, un secteur financier enragé et la redistribution des richesses issue du travail finiraient par conduire à la destruction du capitalisme.’’ Tout comme le prix Nobel Paul Krugman, il appelle à une restauration progressive des finances publiques, à des stimulants ciblés et à des impôts plus équitables. ‘‘L’alternative, c’est comme dans les années ‘30 du siècle dernier, la stagnation interminable, la dépression, des guerres monétaires et commerciales, des contrôles de capitaux, des crises financières, des gouvernements insolvables et l’instabilité politique.’’ Pour éviter cela, Warren Buffet, le gourou des bourses, appelle à cesser le traitement fiscal favorable aux super-riches. ‘‘Dans les années ‘80 et ‘90, quand je payais encore plus d’impôts, je n’ai jamais hésité à investir’’. Voilà ce que n’aiment pas entendre nos patrons belges, pour qui les propositions – pourtant timides – de Di Rupo représentent déjà un tsunami d’impôts.
La recette de Roubini a pourtant déjà été appliquée, en 1933, quand le président américain Roosevelt a renversé la politique d’assainissements catastrophique de Hoover avec son New Deal. Dès que Roosevelt a voulu réduire le déficit budgétaire en 1937, l’économie a à nouveau plongé dans la dépression. Si Roubini avait pris au sérieux la seconde partie de sa citation de Marx, il saurait pourquoi. Il a finalement fallu la deuxième guerre mondiale et ses 70 millions de morts, la destruction massive des infrastructures et des entreprises, puis la peur du communisme et par conséquent l’acceptation de la nationalisation de pans entiers de l’économie, de l’organisation des services publics, de la création de la sécurité sociale et de la négociation sociale pour que l’économie se remette complètement de la Grande Dépression.
Des sociétés et leurs limites
Marx a dit, en boutade, que l’homme n’a pas été libéré de l’esclavage mais qu’il s’agit de l’inverse. Les sociétés esclavagistes, aussi répréhensibles furent-elles, ont à une certaine époque joué un rôle dans la protection de l’homme, à la merci de la nature. Même si, initialement, les sociétés esclavagistes se situaient à un niveau inférieur et ont étés envahies par des sociétés basées sur ce que Marx appelait le mode de production asiatique, elles l’ont par la suite remporté. Elles étaient plus productives, les esclaves étant totalement à la merci du maître.
Au fil du temps, cet avantage s’est transformé en son ‘‘opposé dialectique’’. Le nombre d’esclaves était la mesure de toute richesse, un ‘‘investissement’’ à nourrir et à loger, y compris aux moments non productifs. L’amélioration de la production ou de l’utilisation des outils n’intéressait pas les esclaves. Ils frappaient les chevaux jusqu’à ce qu’ils deviennent boiteux. Le besoin continuel de nouveaux esclaves réclamait des efforts de guerre constamment plus importants. Ce n’est que lorsque Rome est complètement tombée en décadence que des sociétés féodales primitives et moins développées ont eu des opportunités de l’envahir.
Les serfs étaient alors liés à la terre. Ils devaient céder une partie du produit au Seigneur, mais ils pouvaient utiliser eux-mêmes le restant. Eux avaient donc intérêt à accroître la productivité, et c’est ainsi qu’ont été rendus possibles l’utilisation de meilleurs outils et le passage de l’assolement biennal à l’assolement triennal. La croissance de la productivité a également jeté les bases du capitalisme commercial, des expéditions et des pillages coloniaux ainsi que du développement des précurseurs de nos industries (les manufactures) qui, par la suite, se sont heurtés aux limites de la société féodale basée sur la propriété terrienne.
Selon les économistes actuels, les conditions matérielles ne contribuent guère à expliquer pourquoi le socialisme ne fonctionne pas, contrairement au capitalisme. Seuls leur suffit l’égoïsme de l’homme et son manque de motivation pour être productif sans compétition. Marx ne nierait pas l’existence de caractéristiques psychologiques mais, plutôt que d’expliquer la société à partir de là, il enquêterait sur les caractéristiques matérielles à la base de certains phénomènes psychologiques. Parallèlement, il tiendrait compte d’une certaine interaction.
Ses conclusions au sujet de l’aliénation associée au développement du capitalisme nous offrent d’ailleurs beaucoup plus de bases pour comprendre les récentes émeutes des banlieues anglaises que les discours des politiciens portant sur la haine et ‘‘l’effondrement moral’’ de la génération actuelle. Marx admirait la manière révolutionnaire dont le capitalisme développait les forces productives. Il reconnaissait le rôle progressiste du capitalisme mais, comme avec toutes les sociétés antérieures, il a en même temps analysé ses limites en profondeur.
Défauts inhérents et maladie chronique du capitalisme
La tendance à la surproduction et au manque d’investissements sont des ‘‘défauts inhérents’’ au capitalisme. Le travailleur ne reçoit jamais le produit intégral de son travail sous forme de salaire. Une partie du travail non rémunéré (plus-value) disparaît dans les poches du patron qui, autrement, fermerait rapidement boutique. Mais la compétition favorise la concentration de capital dans de grands conglomérats. Tant que les capitalistes réinvestissent une part importante de la plus-value, la surproduction est principalement un problème cyclique, puisque la production et l’installation de nouvelles machines exige des travailleurs qu’ils consacrent à leur tour leur salaire en biens de consommation et en services.
Face à la concurrence, les capitalistes sont obligés de recourir à l’usage des techniques de production les plus modernes. Cela nécessite des investissements sans cesse plus importants dans les machines, la recherche scientifique et le développement technologique, qui devront être amortis dans des délais constamment plus courts. Dans la composition du capital, le facteur travail (ou capital variable, générateur de plus-value) souffre donc en faveur du capital fixe. Le bénéfice par unité de capital investi (le taux de profit) a dès lors tendance à baisser. C’est ce qui explique que, surtout depuis le milieu des années ’70, les marchés boursiers ont connu une forte expansion. Beaucoup de capitalistes préfèrent spéculer en bourse plutôt que d’investir dans la production, qui ne génère pas grand chose. Ceux qui sont restés dans la production se sont adressés aux banques afin de financer des investissements coûteux. Toutes les grandes entreprises participent désormais à l’investissement en bourse. L’idée qu’il existerait un capital industriel responsable au côté d’un capital financier téméraire n’est qu’un mythe.
Par le passé, ces défauts inhérents étaient ‘‘gérables’’. Mais comme la science et la technologie ont atteint un niveau où toute innovation engloutit rapidement le marché capitaliste, la manière dont notre production est organisée constitue un frein continuel au développement. Les innovations nécessitent des années de recherche pour une durée de vie de plus en plus courte. Pourtant, les actionnaires privés exigent du rendement et ne veulent surtout pas courir le risque qu’un concurrent s’envole avec le fruit de leur investissement, d’où le commerce des brevets et le sabotage constant des savoirs scientifiques, qui devraient être librement accessibles.
Les raisons immédiates de la crise actuelle
La presse économique cite toute une série de raisons derrière cette ‘‘montagne russe boursière qui donne le vertige à l’investisseur’’. Pour les Etats-Unis : la crainte d’une nouvelle récession, l’impasse entre Démocrates et Républicains et la réduction de la notation triple A. Pour l’Europe : l’extension de la crise de la dette, l’avenir de la monnaie unique et la solvabilité des banques. Pour la Chine : l’inflation galopante, les craintes de l’impact de la récession américaine sur les exportations et la dette des collectivités locales. Nous ne balayons pas ces raisons immédiates, mais la raison sous-jacente est que la science et la technique ont dépassé les limites de l’élasticité du marché capitaliste. Les possibilités modernes aspirent à une libre gestion collective et à une planification démocratique, ce que les capitalistes ne peuvent temporairement contourner qu’en repoussant les contradictions internes jusqu’à devenir incontrôlables !
Dans les années ’80, déjà, pour tenter de surmonter la surproduction et restaurer les taux de profits, on s’est servi de l’extension des crédits à bon marché sur le plan de la consommation et, sur celui de la production, de restructurations et de fermetures d’entreprises, de réduction des coûts de production de biens et de services ainsi que d’attaques contre les salaires, les conditions de travail, les horaires et les contrats de travail. L’effondrement des caricatures totalitaires de socialisme en Europe de l’Est et en Union Soviétique sous le poids parasitaire de la bureaucratie stalinienne et la décision de la bureaucratie chinoise d’introduire – de façon contrôlée – le marché libre afin de s’enrichir personnellement ont donné une énorme impulsion au transfert de production vers des pays à bas salaires.
L’économie mondiale est un enchevêtrement de nombreux facteurs qui s’influencent mutuellement. D’où ‘‘l’effet papillon’’ selon lequel un petit mouvement dans un pays, dans des circonstances particulières, peut déclencher une tornade dévastatrice dans un autre. Avec 1.200 milliards de dollars de bons du Trésor américain dans ses réserves de change et encore 800 milliards de dollars en obligations d’institutions liées aux autorités américaines, le gouvernement chinois est effrayé par une dévaluation drastique du dollar. En 2000, la consommation particulière en Chine représentait 46% de son Produit Intérieur Brut et les investissements, 34%. Dix ans plus tard, ces investissements représentaient déjà 46%, tandis que la consommation privée avait chuté à 34%, en conséquence de l’expansion massive du crédit bon marché et de la sous-évaluation de la monnaie chinoise. Cela explique l’inflation galopante et la menace de surchauffe de l’économie. Si le marché américain décroche suite à une récession, on craint que la Chine connaisse un développement semblable à celui que connaît le Japon depuis le début des années ‘90.
USA : vers une rechute
L’impasse entre Démocrates et Républicains, en particulier du Tea Party, concernant l’augmentation du plafond d’endettement du pays a illustré à quel point les représentants politiques de la bourgeoisie sont divisés concernant la manière de s’attaquer à cette crise. Rien ne semble fonctionner. Les ménages ne consomment pas parce qu’ils réduisent leurs dettes, que le chômage mine leur pouvoir d’achat et que les gouvernements locaux économisent. Malgré les taux d’intérêt bas, les entreprises continuent de garder leur argent au lieu de l’investir. La Banque Fédérale s’est déjà, à deux reprises, mise à imprimer de l’argent sans que cela n’apporte fondamentalement de solution, et le gouvernement fédéral devra bien un jour endiguer son déficit budgétaire. Comment faire cela sans provoquer une explosion sociale?
Cependant, certains analystes renversent le raisonnement. Un éditorial du journal boursier flamand De Tijd, fait même appel à Gustave Lebon, qui à publié en 1895 ‘‘La psychologie des foules’’. Selon le rédacteur, les investisseurs aspirent à une poigne de fer, mais ils ne la reçoivent ni aux États-Unis, ni en Europe. Le raisonnement est ainsi fait: il n’y a pas de direction, la confiance disparaît, ainsi la panique se crée et le troupeau court dans toutes les directions. Les fondations, selon ces analystes, sont en effet en bonne santé, parce que les entreprises ont un stock de cash important. L’hebdomadaire The Economist estime toutefois la probabilité d’une récession aux États-Unis à 50% et les investisseurs espèrent quand-même un troisième recours à la planche à billet.
Si l’agence de notation Standard & Poor a, pour la première fois depuis 1941, dévalorisé la cote des États-Unis, c’est, selon ces mêmes analystes, la faute des politiciens. S&P peut bien prétendre que l’énorme erreur de calcul à hauteur de 2.000 milliards de dollars dans le rapport sur lequel elle se basait n’a pas joué dans la démission du PDG, il est certain que cela y aura certainement contribué. La vague de critiques que S&P a dû avaler et le fait que les investisseurs, au lieu de fuir, ont encore augmenté leurs achats d’obligations du Trésor américain, permettant aux États-Unis d’emprunter à un taux d’intérêt inférieur à celui de l’Allemagne, l’ont probablement achevé.
Bye, bye Europe ?
Pour ne pas se faire assommer par les oracles modernes – les agences de notation – les foyers grecs, portugais et irlandais ont fortement serrés leurs ceintures. Mais maintenant, presque tout le monde s’accorde à dire qu’elles sont incompétentes. Parce que ce sont des personnes de chair et de sang, selon le professeur d’économie Paul De Grauwe de Louvain ; parce que ce sont des entreprises privées qui veulent faire du profit et non pas des évaluations appropriées, selon nous. La sévère politique d’économie imposée à la population en échange de l’aide de la troïka (Fonds monétaire international, Banque centrale européenne et Fonds européen de stabilité) a plongé ces sociétés dans une profonde récession.
L’unification capitaliste de l’Europe et la monnaie unique étaient des leviers de maximisation des profits et de casse sociale. Les différences entre les diverses économies nationales de la zone euro n’ont pas diminué, mais augmenté. Avec la politique de faibles taux d’intérêt que les économies les plus fortes ont exigé de la Banque Centrale Européenne, des bulles immobilières se sont développées et des paradis fiscaux ont été créés dans la périphérie, instrumentalisés ailleurs pour briser des acquis sociaux et mettre en place des secteurs à bas salaires. Cette hydrocéphalie devait se dégonfler à un certain moment, nous le disons depuis des années. Les spreads, la différence entre les coûts auxquels les gouvernements nationaux peuvent emprunter, n’ont jamais été plus grands.
Des pays non membres de la zone euro peuvent stimuler les exportations en dévaluant leur monnaie. Quiconque est emprisonné dans la zone euro ne peut que recourir à la dévaluation interne, un mot à la mode qui signifie ‘‘casse sociale’’. Les bourgeoisies européennes se sont elles-mêmes placées dans une situation kafkaïenne. Abandonner l’euro provoquerait une hémorragie majeure pour les entreprises qui repousseraient sans doute la facture vers les travailleurs et leurs familles. Mais le coût du maintien de la zone euro pourrait devenir trop élevé. La Grèce a besoin d’une seconde aide, et quelques pays ripostent déjà, mais si l’Espagne et l’Italie glissent elles-aussi bientôt, nous entrerions alors dans une toute autre dimension. Le secteur bancaire européen deviendrait insolvable, la liquidité s’assécherait, une récession mondiale s’ensuivrait et la zone euro s’éclaterait probablement de façon incontrôlée. C’est pourquoi la BCE a relancé son programme d’achats d’obligations d’États. Pour l’instant, cela semble fonctionner, mais personne ne croit que cela puisse être suffisant à terme.
D’où l’illusion de transférer – en partie ? – les dettes nationales vers l’Europe et de les mutualiser dans des obligations européennes. Selon Karel Lannoo, le fils, cela sous-entend une responsabilité commune, un trésor européen et donc des revenus d’impôts européens. Tous les 17 parlements nationaux auraient à l’approuver. Par ailleurs, on sait très bien que la crise en 2008 avait été déclenchée parce qu’on avait saucissonné de mauvais prêts, en particulier les hypothèques à grands risques, pour les emballer avec de meilleurs prêts, en espérant qu’ainsi, les risques seraient tellement éparpillés qu’il n’y en aurait plus. Qui ose prétendre que la même technique, parce que ce sont les obligations européennes, fonctionnerait lorsqu’il s’agit de dettes publiques ?
Fuite vers des refuges
Les investisseurs fuient vers de prétendues valeurs refuges. En cas de croissance, ce sont des matières premières, particulièrement le pétrole, mais la hausse des prix conséquente étrangle la croissance. Les récoltes sont aussi très populaires, mais elles ont déjà entraîné des émeutes de la faim. Aujourd’hui, les obligations des gouvernements américain et allemand sont populaires, mais elles rapportent chacune moins que ce que l’on perd par inflation. Ensuite viennent l’or et les francs suisses. Le prix de l’or dépasse de loin le coût de production et la Suisse risque de devenir victime de son succès. La demande pour les francs fait tellement rebondir la monnaie que sa propre industrie risque d’être enrayée et que l’industrie du tourisme risque de s’effondrer. Des consommateurs suisses vont de plus en plus faire leurs achats de l’autre côté des frontières. Cet avertissement, l’Allemagne le prendra en considération, car ce scénario risque de lui arriver dans le cas d’un éclatement de la zone euro.
Explosions sociales
Ces dernières années, les fidèles lecteurs de Lutte Socialiste et du site ‘‘socialisme.be’’ ont pu lire dans nos publications de nombreux articles consacrés aux révolutions, aux grèves générales et aux mouvements provoqués par les premiers effets de la crise. Selon nous, ce ne sont là que des signes avant-coureurs des explosions sociales qui nous attendent. Lors de ces explosions, le mouvement ouvrier va se réarmer tant sur le plan organisationnel que programmatique. Le Parti Socialiste de Lutte est déterminé à y apporter une contribution importante.
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La menace des marchés financiers et des agences de notation contre la Belgique est-elle réelle ?
Fitch Ratings, Moody’s et Standard & Poor’s ; des noms autrefois inconnus du grand public mais aujourd’hui si redoutés que leur seule évocation en fait trembler plus d’un. Régulièrement, concernant notre pays, ces agences de notation précisent que les tensions communautaires pourraient avoir des conséquences très néfastes pour la note de crédit de la Belgique. Qu’en est-il ?
Article tiré de l’édition de septembre de Lutte Socialiste
A lire la presse économique, il semblerait que les fondamentaux économiques de la Belgique protègent relativement le pays. La dette nationale, par exemple, est passée de 137% du Produit Intérieur Brut en 1993 à un peu moins de 100% actuellement. Cela reste considérable aux yeux des observateurs du marché, mais nombre d’autres pays commencent à nous rejoindre. Dans les cas de l’Allemagne ou de la France, sur un laps de temps similaire, la dette nationale est passée d’environ 45% à 85%. La différence n’est donc plus aussi énorme.
Ensuite, des résidants en Belgique possèdent des fortunes financières considérables. En 2010, il s’agissait de quelque 900 milliards d’euros, soit environ 250% de la dette nationale, dont 200 milliards d’euros (60% de la dette nationale) en comptes d’épargnes, des records historiques. Le message est clair : en moyenne, les ménages en Belgique peuvent encore faire face à un approfondissement de la crise économique et ne vont pas stopper net leur consommation directement. Les chiffres d’emploi sont aussi assez rassurant pour les marchés. La Belgique a même plus d’emplois aujourd’hui qu’avant la crise (au détail près qu’il y a eu une explosion du travail précaire et temporaire et d’emplois subsidiés…). Tous ces éléments font dire aux agences de notations que la situation économique et budgétaire de la Belgique, dans le contexte international actuel, est assez bonne, avec une épargne importante.
Reste le risque politique. L’agence Fitch, la dernière à avoir livré un rapport sur la Belgique, estime que le fait que la Belgique ne s’est toujours pas dotée d’un gouvernement de plein exercice ne constitue encore qu’un problème à long terme. Pour Moody’s, ‘‘une pression potentielle à la baisse sur la note pourrait naître si l’impasse politique actuelle n’est pas résolue rapidement’’. Standard & Poor’s ne dit pas autre chose. Cette dernière agence a récemment dégradé la note des Etats-Unis, notamment pour des raisons politiques, au vu de l’impasse entre Démocrates et Républicains concernant le relèvement du plafond de la dette du pays.
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Des trous dans la couche de l’eurozone
Le 16 novembre passé, au terme d’une réunion d’urgence de la Commission Européenne, de la Banque Centrale et du FMI (Fonds Monétaire International), le président du Conseil Européen, Hermann Van Rompuy, déclarait que ‘‘l’union monétaire est confrontée à une crise pour sa survie’’. Pour renflouer les caisses de l’Irlande et de la Grèce menacées de faillite, il était jugé indispensable que les Etats européens qui résistaient mieux à la crise accordent des prêts à leurs partenaires plus faibles… et ils ne s’y prêtaient que de mauvaise grâce. Quelques mois plus tard, et malgré les milliards mobilisés au sein d’un fond européen de stabilisation financière bidouillé dans l’urgence, la crise ne s’éteint pas: la Grèce s’enfonce dans la crise.
Par Simon (Liège), article tiré de l’édition de juin de Lutte Socialiste
L’agence de notation tristement célèbre Standard & Poor’s a abaissé la note de la Grèce de deux crans, la faisant passer dans la catégorie des ‘‘emprunteurs peu fiables’’. Le pays menace même de quitter la zone euro pour revenir à la drachme. Cette menace a peu de chance d’être mise à exécution, mais il est effectivement tentant pour un gouvernement grec aux abois d’y recourir. Une telle mesure aurait pour conséquence de dévaluer la monnaie grecque et, du même coup, de diminuer sa dette. Mais cela mettrait aussi en péril la zone euro elle-même. Il n’est pas garanti que la ‘‘crise pour la survie’’ de l’union monétaire trouve une issue favorable. Pour les travailleurs grecs et leurs familles, dans tous les cas, le choix se posera entre l’austérité au sein de la zone euro ou une inflation galopante provoquée par la sortie de l’eurozone. Une alternative comme on en fait peu!
Notre courant politique a toujours maintenu la position que construire une Union Européenne dans le cadre du marché était une entreprise vouée tôt ou tard à l’échec. Les élites des différents Etats membres jouant en définitive le jeu européen pour leur propre compte, il était clair pour nous qu’au premier séisme économique de forte magnitude, chacun se retrancherait derrière ses propres frontières nationales. Cela nous avaient valu, à l’époque, les ricanements des économistes officiels et académiciens adeptes de l’Europe des régions aussi bien que le dédain des néo-marxistes pour lesquels nous étions incapables de comprendre l’émergence de la nouvelle bourgeoisie supranationale.
On entend moins, ces temps-ci, ces brillants analystes. Mais il ne s’agit pas ici de polémiquer de façon abstraite, il s’agit de se rendre compte que les bourgeoisies des différents pays de la zone euro n’aideront la bourgeoisie grecque que tant que cela sert leurs propres intérêts. Cette aide, la plupart des économistes la jugent indispensable à la survie de l’économie grecque. ‘‘Une seule solution: la solidarité’’ déclarait l’économiste français Hakim El Karoui dans Le Monde du 10 mai. Mais avec l’approfondissement de la crise et les difficultés croissantes auxquelles les différents Etats seront confrontés, cette solidarité risque d’être difficile à trouver. Le même économiste rappelle aussi cette évidence: l’austérité appliquée à grande échelle en Europe ne peut qu’étouffer tout début de reprise puisqu’elle empêche une augmentation de la consommation des ménages. En Grèce certainement plus encore qu’ailleurs, toutes les mesures d’assainissement exigées par ses bailleurs de fonds n’ont fait que prolonger et accentuer la crise. L’économie grecque s’est contractée de 4,4% l’année passée et l’on s’attend à une nouvelle baisse de 3,5% cette année.
La Grèce est sans doute l’exemple le plus frappant de l’ampleur de la crise, elle n’est pas pour autant un cas isolé: L’Irlande, le Portugal, l’Espagne sont confrontés aux mêmes problèmes, obligés de contracter auprès des Etats membre de la zone euro des prêts aux conditions léonines les contraignant à appliquer une austérité sauvage.
Mais ces mesures ont évidemment un corollaire: les travailleurs des pays concernés ne sont pas prêts à subir sans réagir les conséquences d’une crise qu’ils n’ont pas provoquée. En Grèce se sont déroulées pas moins de neuf grèves générales. Au Portugal, on a assisté à plusieurs grèves sectorielles, manifestations nationales et à une grève générale. Toutes ces actions ont résonné du slogan ‘‘Nous ne payerons pas pour leur crise’’. En Espagne, la jeunesse précarisée depuis de longues années déjà refuse d’être la laissée-pour-compte d’une économie en faillite. Inspirée par l’exemple égyptien, elle occupe les places de 57 villes et villages et réclame un changement du système.
Ces revendications sont centrales pour le mouvement ouvrier international: les protestations doivent être organisées sur base du refus absolu de payer les dettes de gouvernements aux ordres des grands actionnaires. Mais refuser de payer ne suffit pas: sur base du capitalisme, la banqueroute des Etats provoquerait une période de misère prolongée pour les travailleurs. La jeunesse espagnole a raison d’en appeler au changement de système: pour les socialistes, cela signifie enlever aux élites financières le contrôle des banques et des secteurs principaux des économies nationales et européennes. L’économie pourrait ainsi être orientée en fonction des besoins sociaux sous le contrôle de représentant élus des syndicats, des consommateurs et des localités. C’est la base du projet socialiste d’économie démocratiquement planifiée.
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DOSSIER: Le Portugal au bord de l’incendie
Préparons-nous à une lutte de masse
‘‘Vladimir Lénine a dit un jour qu’une révolution se développe lorsque ceux d’en haut ne peuvent plus gérer les choses comme avant et que ceux d’en bas ne peuvent plus subir les choses comme avant.’’ Ces paroles n’ont pas été prononcées par un membre du Parti Communiste, mais par Pedro Aguiar-Branco, député du PSD (Partido Social Democrata, le principal parti d’opposition de droite au Portugal), lors de la session commémorative de l’Assemblée Nationale du 36ème anniversaire de la Révolution d’Avril 1974. Il a également, entre autres, cité la dirigeante révolutionnaire allemande Rosa Luxemburg, terminant son discours par ‘‘Donnons au peuple le pouvoir de produire, de choisir et de décider.’’
Cédric Gérome, Comité pour une Internationale Ouvrière
Le fait qu’un membre dirigeant d’un des partis les plus réactionnaires du Portugal ait déclamé un discours aussi populiste donne une idée de la vague de déroute qui affecte l’establishment au pouvoir, avec pour toile de fond la crise organique à laquelle est confrontée le pays. Le militantisme croissant des travailleurs portugais lors de la période récente, et l’impact toujours influent de la révolution de 1974-75 dans leurs esprits, sont des facteurs importants dans les calculs cyniques de tels politiciens de droite. Mais par-dessus tout, ce discours illustre le fait que l’élite politique a perdu toute boussole idéologique pour justifier de manière populaire sa poursuite d’un brutal agenda anti-travailleurs.
Le gouvernement du PS intensifie l’austérité
Après l’adoption du PEC (Plan de Stabilité et de Croissance), un plan déjà gigantesque de bain de sang social, très justement renommé par les travailleurs portugais ‘‘Plan d’Exploitation Capitaliste’’, l’ensemble de l’establishment européen a clairement affirmé que ce plan était ‘‘insuffisant’’.
Après la nouvelle dévalorisation des bons d’Etat portugais par l’agence de cotation Standard and Poor, le gouvernement du PS (Partido Socialista) est confronté à une intense pression pour accélérer les mesures d’austérité. Malgré leurs lamentations quant aux ‘‘attaques spéculatives injustifiées contre notre pays’’, le Premier Ministre José Sócrates et le Ministre des Finances Teixeira de Santos ont promptement révélé leurs véritables intentions en annonçant leur disponibilité pour faire ‘‘tout ce qui est nécessaire’’ afin d’apaiser les marchés, présentant avec entrain avec un nouveau plan destiné à couper les allocations de chômage.
La base de ce plan, adopté dans un contexte de taux de chômage officiel record, à son niveau le plus élevé depuis le début des statistiques, est de restreindre les conditions par lesquelles les chômeurs seraient forcés d’accepter un travail. A partir du 13ème mois de chômage, un travailleur sans emploi doit accepter n’importe quel travail, même s’il est sous le salaire minimum officiel (475€), ou risquer de perdre ses allocations.
Mais, évidemment, ce n’était pas assez. Moody’s, une autre agence de cotation, a annoncé qu’elle allait probablement procéder à une dévalorisation de la cote des bons d’Etat portugais. Jouant le rôle de pantins entre les mains des spéculateurs et des banques, Socrates et le dirigeant du PSD, Pedro Passos Coelho, ont arrangé une réunion en commun afin de mettre sur pied un nouveau tour de mesures d’austérité. Ces nouvelles mesures incluent une hausse de 1% la TVA, à 21% au lieu de 20%, y compris sur les produits de base, une hausse de 1,5% de l’impôt sur le revenu, une coupe de 5% des salaires du personnel senior du service public et des politiciens, et le gel des grands travaux publics, tel que le nouvel aéroport de Lisbonne qui avait été projeté.
Tout comme son prédécesseur, ce ‘‘PEC 2’’ ne résoudra aucun des problèmes auxquels est confrontée l’économie capitaliste du Portugal. En attaquant la demande domestique, le gouvernement ne fait qu’appliquer exactement les mêmes recettes que celles qui ont plongé le pays dans l’abysse pour commencer. Un dirigeant conservateur a correctement caractérisé la nouvelle version du PEC comme un ‘‘bombardement de l’économie’’.
Qui plus est, alors que les mesures précédentes ont essentiellement ciblé le secteur public, ces nouvelles hausses de taxes ont un caractère général, attaquant l’ensemble de la classe ouvrière sans distinction. Ceci jette les bases d’un autre type de ‘‘bombardement’’ : un bombardement social.
Crise politique
Malgré ses gesticulations populistes, le PSD est tout à fait d’accord avec le PS sur l’idée fondamentale que la crise actuelle doit être ‘‘résolue’’ par le massacre des acquis et du niveau de vie des travailleurs et des pauvres. En fait, le PSD aimerait même aller plus loin et plus vite dans cette direction : la principale direction du parti ces derniers mois a été de plaider pour un changement de la Constitution ouvrant la porte à un démantèlement encore plus poussé et à la privatisation de la sécurité sociale, de l’éducation et des soins de santé.
Lors de la dernière période, divers pactes nationaux ont été conclus entre Sócrates et Pedro Passos afin de s’assurer que le programme d’attaques du gouvernement PS minoritaire ne serait pas bloqué au Parlement par l’opposition de droite. Des parties importantes de la bourgeoisie aimeraient voir une coalition formelle impliquant ces deux partis, une sorte de gouvernement d’urgence nationale, afin d’assurer un exécutif plus stable, afin de resserrer les rangs pour les féroces batailles de classe à venir, auxquelles la thérapie de choc imposée au pays va immanquablement mener.
Mais la faisabilité d’un tel scénario est incertaine. Plutôt que d’adoucir la crise politique, les accords entre les deux partis ne font qu’aiguiser les tensions entre leurs propres rangs. La révolte sociale émergente ne va que contribuer à affûter ces traits, et à ouvrir de nouvelles divisions entre et à l’intérieur des partis dominants, quant à la route à suivre.
Militantisme en hausse
‘‘Le Portugal n’est pas la Grèce’’, voilà une phrase qui, au cours de cette dernière période, est devenue un véritable leitmotiv pour l’establishment portugais. Au-delà du risque d’un défaut sur sa dette, ce qui est en jeu ici est la peur de la classe dominante portugaise que, sous la pression d’une intensification ininterrompue des mesures d’austérité contre leurs conditions de vie, le militantisme des travailleurs portugais se développe de la même manière que celui des travailleurs grecs.
‘‘Malgré quelques actions dans le secteur public, l’opposition aux coupes budgétaires est moins bruyante qu’en Grèce’’, écrivait The Economist du 22 avril. Mais cela a bien plus l’air d’être un commentaire auto-satisfaisant qu’une perspective réaliste. Tout dans la situation indique que le peuple portugais ne va plus rester calme très longtemps. Et en fait, il ne l’est déjà plus.
Nous avons déjà publié plus tôt sur le site du Comité pour une Internationale Ouvrière un article sur la manifestation qui a été organisée à l’occasion de l’anniversaire de la Révolution des Œillets. ‘‘On ne s’est pas battu il y a 36 ans pour en arriver là’’ était un sentiment très vivant lors de la manifestation. Un grand nombre de personnes considéraient cette manifestation comme partie intégrale de la riposte contre l’offensive du gouvernement et des patrons.
La semaine suivante a été accompagnée par des grèves quasi chaque jour. Les facteurs ont organisé un arrêt de travail du 27 avril au 7 mai. La compagnie nationale des chemins de fer est partie en grève le 27, anticipant sur la grève générale des transports du lendemain, avec la participation massive – 95% nationalement – des travailleurs du rail, des chauffeurs de bus, des équipages des ferries et des bateaux, etc.
Le jour suivant, la session parlementaire n’a pas pu se tenir, à cause de la grève des travailleurs du Parlement ! Le 1er Mai, 130.000 manifestants se sont rassemblés dans les rues de Lisbonne, sous la bannière de la lutte contre le PEC. Les travailleurs de la compagnie pétrolière Galp ont déjà, à deux reprises, bloqué les deux raffineries et autres installations de la compagnie en avril et en mai, autour d’un conflit salarial.
Le nombre de conflits locaux est en augmentation lui aussi. A Lisbonne, plus de 3.000 nettoyeurs ont organisé une grève de deux jours, et 90% des égoutiers, des éboueurs, des chasseurs de vermines et même des jardiniers de cimetières se sont unis pour une hausse des subsides de sécurité, qui n’ont pas été ajustés à la l’inflation et aux salaires en hausse depuis 2003. ‘‘C’est pas parce qu’on ramasse les déchets qu’on doit se faire traiter comme tels !’’ a déclaré un des travailleurs qui menait la lutte et qui est également actif avec deux autres collègues dans Socialismo Revolutionario, la section portugaise du CIO. Les travailleurs ont obtenu une importante victoire, avec l’obtention d’une hausse des subsides de sécurité pour cinq ans, et une hausse des salaires pour 2010.
Les infirmières, qui ont déjà organisé plusieurs jours de grève depuis le début de l’année, se préparent à de nouvelles actions dans leur lutte pour une hausse des salaires. Les enseignants ont menacé de partir ‘‘en guerre’’ contre le gouvernement. Et ils savent de quoi ils parlent, comme l’a clairement démontré leur long et massif conflit de 2008.
‘‘Em April, aguas mil’’ est un proverbe portugais qui signifie ‘‘En avril, mille pluies’’. Un journal portugais l’a transformé en ‘‘Em april, greves mil’’! En effet, le mois d’avril de cette année a connu le plus grand nombre de grèves dans le pays depuis seize ans. La classe capitaliste est de plus en plus effrayée par la possibilité de troubles sociaux. Le 27 avril, le plus grand journal d’affaires, Diario Economico, écrivait cet avertissement dans son éditorial: ‘‘Les actions de grève sont en hausse après 15 ans de calme. Si les syndicats poursuivent leur stratégie, nous allons droit vers un suicide collectif’’. Toutefois, du point de vue des travailleurs, le problème de la stratégie des syndicats… est plutôt le fait qu’il n’y en a pas.
La CGTP-IN doit utiliser ses forces de manière efficace – construisons la grève générale !
Après les nouvelles mesures d’austérité annoncées par le gouvernement, Carvalho da Silva, secrétaire général de la plus grande centrale syndicale, la CGTP-IN, a déclaré que ‘‘Soit nous organisons une très forte riposte, soit nous serons tous au pain sec et à l’eau’’, ajoutant que ‘‘probablement, on adoptera des décisions en vue d’une mobilisation exceptionnelle des travailleurs.’’ Malheureusement, il n’a pas spécifié en quels termes cette ‘‘mobilisation exceptionnelle’’ serait organisée, à part le fait d’appeler à la manifestation nationale déjà prévue, le 29 mai.
Ceci, malgré le fait qu’un grand nombre de travailleurs ont montré qu’ils sont prêts à se battre et attendent désespérément un plan d’action sérieux. Quiconque ne reconnaît pas cette réalité basique, est soit aveugle, soit criminel. Lors du meeting national des délégués des syndicats de la CGTP, qui s’est tenu le 15 mai, 500 délégués de différents syndicats étaient présents. La direction syndicale a été forcée de convoquer ce meeting à cause des nouvelles attaques de la classe dominante portugaise, mais aussi à cause de la pression croissante de la base des syndicats. La majorité des personnes présentes désiraient utiliser le 29 mai en tant que première étape vers la mobilisation pour une grève générale. Mais la direction syndicale a tenté d’employer une attitude prudente et, malgré un discours militant, a décidé d’attendre jusqu’à après le 29 mai avant de prendre ou d’annoncer de nouvelles actions.
Da Silva est en train de dire que ‘‘Il y a beaucoup de choses à faire avant la manifestation nationale prévue pour le 29 mai’’. Ceci est tout à fait vrai, mais lorsqu’on arrive à la question de que faut-il faire, rien de concret n’a été proposé. La direction syndicale devrait appeler immédiatement à une grève générale de 24 heures, et utiliser les prochaines semaines pour préparer sérieusement la mobilisation dans toutes les entreprises et toutes les usines. La manif du 29 mai doit être utilisée en tant que tremplin pour ce blocage, avec des meetings et manifestations de masse dans toutes les régions et toutes les villes, en invitant les travailleurs, les jeunes, les étudiants, les chômeurs, les pensionnés, etc. à se rassembler dans cette réponse massive contre l’agenda de misère concocté par le gouvernement capitaliste. Il ne fait aucun doute qu’un tel appel recevrait une réponse enthousiaste de la part des centaines de milliers de personnes partout dans le pays.
La Gauche et la nouvelle période
Un nombre important de travailleurs et de jeunes sont en train de se diriger vers les deux grands partis de gauche, le Bloc de Gauche (Bloco de Esquerda – BE) et le Parti Communiste Portugais (PCP), cherchant une réponse à l’impasse capitaliste actuelle. Avec leur influence dans les mouvements sociaux et au Parlement, ces partis ont des occasions uniques pour soulever à une échelle de masse la nécessité d’une perspective et d’un programme socialistes.
Le grand soutien dont le PCP dispose toujours dans la classe ouvrière et, dans une certaine mesure, parmi la jeunesse, est d’une grande importance. Il montre que le langage du marxisme est en train de trouver plus de quelques oreilles ouvertes dans le pays. Mais le fait de fournir un programme et une approche marxistes corrects en direction de ces couches est encore plus important.
Dans son dernier communiqué, le PCP a parlé de la nécessité de promouvoir l’investissement, ‘‘surtout l’investissement public’’. Il s’y disait en faveur de la création d’emplois, de hausses des salaires et des pensions, et d’une extension des allocations sociales. Nous soutiendrons toutes ces revendications. Mais ce parti n’explique pas comment ces mesures pourraient être mises en œuvre, à part par la proposition d’une taxe sur les banques à hauteur ‘‘d’au moins 25% de leurs profits’’, de même que d’une taxe sur les transactions boursières.
Ces mesures, bien que constituant des pas en avant, restent totalement insuffisantes et, en outre, très théoriques. Tant que le pouvoir politique et économique reste entre les mains des banques, des grandes corporations, et de leurs laquais au gouvernement, de telles mesures ne seront jamais mises en œuvre. La classe ouvrière doit de manière indépendante élaborer son propre agenda de luttes, avec pour but de placer ces banques, de même que les secteurs-clés de l’économie, sous contrôle public. Une économie planifiée, démocratiquement contrôlée et gérée à tous les niveaux par les travailleurs, créerait la base matérielle pour l’accomplissement de toutes les revendications précitées. Malheureusement, malgré les discours sur le ‘communisme’, le PCP ne tente quasi pas d’élaborer un programme concret de revendications transitoires afin de réaliser un tel objectif.
Le PCP dénonce tout à fait justement l’hypocrisie de la phraséologie PS et PSD, tous deux prônant l’‘‘intérêt national’’ afin d’attaquer les travailleurs et leurs familles. Mais pourquoi, ayant dit cela, le même PCP parle-t-il d’‘‘accroître la production nationale’’, de défense de la ‘‘souveraineté nationale’’, de l’affirmation d’une ‘‘gauche patriotique’’, etc. ? Les socialistes s’opposent aux dictats du marché, du FM, de l’UE, etc., mais, dans une société capitaliste, la ‘‘défense de l’économie nationale’’ ne signifie rien d’autre que la défense des intérêts et des profits des capitalistes et patrons nationaux. Nous savons que ce n’est pas pour cela que se battent les militants du PCP. Mais le PCP devrait clarifier ce point : il devrait se positionner en faveur de la nationalisation des secteurs-clés de l’économie et pour un monopole d’Etat sur le commerce extérieur afin de briser l’emprise du marché, mais aussi pour une réponse internationaliste face à la crise.
Comme l’a clairement démontré l’exemple de l’Union Soviétique, même une économie où la production a été nationalisée ne peut pas être durable si elle reste limitée à des frontières nationales et sans démocratie ouvrière.
Dans une situation où, partout en Europe, les travailleurs sont confrontés à une avalanche de propagande nationaliste, et où l’establishment politique tout entier ne parle plus que d’‘‘unité nationale’’ afin de lier les intérêts des travailleurs à ceux de leurs maîtres capitalistes, une réponse puissante et unie de la part de la classe ouvrière internationale afin de couper court aux tentatives de division n’a jamais été aussi nécessaire.
Récemment, un nombre important de membres du Parlement Européen du groupe GUE/NGL a pris une initiative en commun pour soutenir des actions paneuropéennes contre les programmes d’austérité, sous la forme d’une Semaine d’Actions et de Solidarité du 21 au 26 juin, en tant que première étape. La participation active du PCP à une telle initiative aurait un impact immense au Portugal.
D’un autre côté, alors que le CIO salue le fait que les parlementaires du Bloc de Gauche soutiennent une telle initiative, ce même parti doit rester consistant dans ce qu’il prône et s’assurer que ce soutien ne reste pas cantonné à de belles phrases sur papier. On ne peut pas parler de solidarité avec les travailleurs grecs tout en votant en même temps au Parlement National en faveur du plan de sauvetage de la Grèce de l’UE et du FMI, conditionné par l’imposition d’un programme d’austérité massif contre la population grecque, comme l’a honteusement fait l’ensemble du groupe parlementaire du Bloc de Gauche il y a à peine quelques jours.
Un autre exemple de ce genre de ‘‘schizophrénie politique’’ a été mis en évidence par le soutien officiel que la direction nationale du Bloc de Gauche a décidé de donner à la candidature de Manuel Alegre pour les élections présidentielles de 2011.
Manuel Alegre est une figure dirigeante historique du PS, qui est en train de se présenter comme candidat ‘indépendant’ pour ces élections. Le CIO pense que ce positionnement de la part du Bloc de Gauche est un dangereux précédent. A part le fait que cette décision n’a pas été prise sur base d’un débat démocratique à l’intérieur du parti, Manuel Alegre, malgré ses soi-disant différences avec la direction du PS, insiste toujours sur le fait que le PS reste sa ‘‘famille politique’’. Pire que ça, le même Alegre a accordé le 15 mai une interview au journal Expresso, dans laquelle il s’est explicitement dit d’accord avec le fait que les mesures d’austérité sont ‘‘dures, peu agréables et douloureuses, mais inévitables’’, avant d’ajouter qu’il ‘‘aimerait un accord politique autour de ces mesures, qui impliquerait les autres partis et les partenaires sociaux, y compris les syndicats’’.
Les résultats que le BE a obtenus lors des dernières élections ont représenté un signal positif de la part d’un certain nombre de gens qui recherchent une formation en tant qu’outil pour le changement. Mais, comme le CIO l’a commenté à ce moment-là, plutôt que de lorgner sur sa droite, le Bloc de Gauche devrait plus regarder à gauche et avoir plus de dialogue avec la seule force capable de changer la société et de réaliser un programme socialiste – la classe ouvrière.
Le Bloc de Gauche, malgré ses discours occasionnels sur un ‘‘socialisme populaire’’, se contente en général de critiques très vagues sur la politique du gouvernement, et n’utilise pas sa position pour formuler un agenda clairement anticapitaliste. Il ne fait rien ou pas grand-chose dans les syndicats et dans la classe ouvrière industrielle, et concentre de plus en plus l’ensemble de ses activités sur le terrain parlementaire.
Juste après que les bons d’Etat portugais se soient faits dévaloriser par Standard & Poor, Francisco Louça, le principal porte-parole du Bloc de Gauche, a donné une conférence de presse devant les caméras de la télévision nationale. Il n’a pas parlé de la nationalisation des banques et du système financier, ni même de la mobilisation des travailleurs. Il a parlé d’une ‘‘économie plus décente’’, sans spécifier comment et par qui ceci pourrait être réalisé, et la seule revendication concrète et discernable qu’il a mise en avant était ‘‘une agence de cotations publique européenne.’’
Pour un gouvernement ouvrier, basé sur un socialisme authentique et démocratique
Il est regrettable que ni le PCP, ni le Bloc de Gauche ne donnent une indication claire sur ce qu’il faut pour construire la mobilisation, ni n’offrent un programme qui lie la lutte actuelle à la nécessité d’une société socialiste de manière détaillée. Cependant, la Gauche devrait être préparée pour les batailles sociales qui sont en train de se développer. Il est inévitable que les traditions révolutionnaires du prolétariat portugais vont ressurgir, plutôt tôt que tard. ‘‘Jamais depuis 1974 le pays n’a été si proche de l’explosion sociale’’, disait une dame qui travaille dans une association d’aide sociale à Lisbonne, dans une intervew au Monde du 28 avril.
Malgré leurs limites, le BG et le PCP sont considérés par toute une couche de travailleurs radicalisés et de jeunes comme étant une alternative aux partis capitalistes actuels. Le CIO est en faveur d’une alliance entre ces deux partis, avec le mouvement syndical, qui puisse forger ensemble un programme de lutte capable de servir comme un point de ralliement, et donner la confiance et des perspectives à la masse du peuple qui montre en ce moment sa volonté de se battre, dans chaque coin du pays. Un appel clair pour une grève générale de 24 heures serait un premier pas important dans une telle direction.
Nous sommes en faveur de la mise sur pied de comités d’action démocratiques dans les entreprises et dans les quartiers afin de construire ce qui sera une bataille prolongée, afin de préparer la base pour l’établissement d’un gouvernement ouvrier, basé sur des représentants démocratiquement élus et révocables par les travailleurs, les syndicats et les organisations sociales, dans les entreprises et dans les quartiers. Un tel gouvernement placerait les secteurs bancaire et financier dans le domaine public, de même que dans les autres secteurs-clés de l’économie, et rédigerait un plan rationnel de production basé sur la satisfaction des besoins sociaux de la majorité. Les points de départ pour la construction d’une nouvelle société, libre de l’avidité, de l’exploitation et de la spéculation, serait alors possible et représenteraient un exemple immensément inspirant pour tous les travailleurs d’Europe.
- Renflouer les pauvres, pas les spéculateurs et les requins de la finance ! Nous ne payerons pas pour la crise, nous ne payerons pas la dette !
- Non au gel des salaires dans le public comme dans le privé !
- Non aux hausses d’impôts, à part pour les grosses entreprises et pour les banques ! Abolition de la TVA sur les produits de base !
- Combattre le chômage, pas les chômeurs ! Nationalisation sous le contrôle des travailleurs et de leurs organisations des industries et des compagnies qui menacent de licencier des travailleurs ou de fermer ; pour la semaine de 35 heures, sans perte de salaire, afin de partager le travail !
- Halte aux privatisations et aux partenariats public-privé ! Pour le financement d’un Service de Santé National, de l’éducation publique et de la sécurité sociale !
- Nationalisation des services bancaire et financier sous le contrôle des travailleurs et de leurs organisations, afin d’utiliser la richesse pour satisfaire les besoins de la population, et non les profits privés d’une minorité !
- Nationalisation des secteurs-clés de l’économie, sous contrôle et gestion démocratiques, avec compensation payée pour les actionnaires uniquement sur base de besoins prouvés !
- Halte à la dictature des marchés boursiers, des banques et des riches ! Pour une société socialiste authentique et démocratique, avec une économie planifiée afin de satisfaire les besoins de tous, et pas les profits des riches !
- Solidarité avec les travailleurs du reste de l’Europe et du monde entier, dans une lutte commune contre le capitalisme qui ruine nos vies et détruit la planète !