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  • Chine : Bo Xilai et la crise du PCC

    La lutte de pouvoir expose le régime chinois à encore plus de risques

    Quand Bo Xilai est spectaculairement tombé en disgrâce au sein de la direction du Parti Communiste Chinois, cela a révélé les profondes divisions qui règnent au sein de l’élite dirigeante. La révélation semi-publique de la lutte de pouvoir expose le régime chinois à encore plus de risques.

    Vincent Kolo (Chinaworker.info), article initialement paru dans Socialism Today, magazine mensuel du Socialist Party (CIO-Angleterre et Pays de galles)

    L’exclusion du ”prince rouge” déchu Bo Xilai du Parti ”Communiste” (PCC) au pouvoir, décidée à la réunion du Politburo le 28 septembre dernier, a marqué une nouvelle phase dans la lutte de pouvoir de haut niveau qui se mène en Chine, la plus sérieuse depuis au moins 20 ans. A cause des divisions sur le degré de dureté avec lequel traiter Bo, le congrès du PCC qui se tient tous les 5 ans a été reporté de plus d’un mois, au 8 novembre.

    Ce délai a illustré la profondeur des divisions internes sur les places dans composition de la nouvelle direction, qui seront révélées au congrès. Les dates des trois derniers congrès (1997, 2002 et 2007) avaient été annoncées fin août, un mois plus tôt que pour ce congrès. En août, un traditionnel conclave pré-congrès des dirigeants du PCC, qui s’est tenu dans la station balnéaire de Beidhane, était sensé avoir trouvé un accord sur la composition de la direction très contestée. Ce délai suggère que cet accord s’est rompu dans le renouvellement des querelles des factions.

    Le sort de Bo Xilai a été utilisé comme monnaie d’échange entre ses partisans et opposants au sein de la direction du parti. Les opposants de Bo – qui incluent la direction actuelle du président Hu Jintao et du premier ministre Wen Jiabao – semblent avoir pris le dessus, mais la question est à quel prix ? Quelles concessions la faction ”tuanpai” (ligue de la jeunesse communiste) de Hu a-t-elle été forcée de faire sur le partage des sièges dans le tout puissant Comité Permanent du Bureau Politique (CPBP) ?

    Les divisions actuelles dans l’Etat à un seul parti reflètent les tensions explosives dans la société, qui a l’écart de richesse le plus extrême en Asie, une épidémie de corruption, et des centaines d’ ”incidents massifs” chaque jours. La ligne de faille principale dans la lutte de pouvoir actuelle est entre les ”princes rouges” – les super-riches de la deuxième ou troisième génération de dirigeants du PCC comme Bo – et leurs opposants – surtout représentés par la faction tuanpai, qui veut limiter le pouvoir des princes rouges et mettre fin à leurs ”droits acquis”. Ceux-ci incluent les groupes industriels puissants appartenant à l’Etat, qui sont vus comme un blocage dans la libéralisation de l’économie. Certains commentateurs comparent la férocité de la lutte interne actuelle au coup d’Etat manqué de Lin Biao contre Mao Zedong en 1971 et au mystérieux accident d’avion qui a tué Lin pendant qu’il tentait de s’échapper en Union Soviétique.

    L’exclusion de Bo est un premier pas vers un procès-spectacle minutieusement préparé dans le but de ”l’éliminer” – politiquement, sinon littéralement. Il risque maintenant une longue peine de prison, voire même la peine de mort. Alors que cela pourrait faire un tollé en Chine parmi les nombreux partisans de Bo, quelques uns de ses opposants ”libéraux” seraient en faveur d’une condamnation aussi drastique, pour éliminer toute possibilité de retour politique. Il est improbable que le procès de Bo soit ouvert au public, pour éviter tout acte de défi en public ou tentative d’incriminer ses ennemis. En ce sens, la procédure sera surement moins démocratique que quand la ”bande des quatre” maoïstes ont été jugés en 1981 et que Jiang Qing (Madame Mao) a engueulé ses accusateurs pendant deux heures la télé.

    Bo Xilai et la ”nouvelle gauche”

    Avant sa destitution de la direction du parti à Chongqing, Bo était la principale figure de proue de la ”nouvelle gauche” en plein essor, un groupe imprécis qui va de la jeunesse inspirée par Mao aux nationalistes en passant par les vieux du PCC. Ils sont critiques des politiques néolibérales et mondialistes de Pékin. Bien qu’il soit lui-même un multimillionnaire, Bo a acquis une renommée nationale avec ses campagnes flamboyantes contre l’autopromotion, comme sa campagne néo-Maoïste de ”culture rouge” qui puise dans le rejet populaire des effets de la restauration du capitalisme.

    La répression brutale des célèbres triades de Chongqing, dirigées par le chef de police et ancien sous-fifre de Bo, Wang Lijun, récemment emprisonné, a attiré les critiques des militants des droits de l’Homme, et a visé beaucoup d’autres au-delà des triades. Une telle campagne et la popularité que Bo en a tirée n’étaient pas pour plaire à la direction en place de Hu et Wen. Bo était vu comme une menace contre les tentatives de Pékin de régner sur les provinces rebelles et comme un symbole de l’arrogance des princes rouges, de la corruption et d’autoritarisme qui, s’il n’est pas contrôlé, est une menace au pouvoir du PCC.

    Depuis son exclusion, les médias contrôlés par l’Etat ont dénigré Bo dans des termes inhabituellement durs pour un dirigeant déchu, en présentant une litanie de crimes, dont l’abus de pouvoir, corruption et même ”relations sexuelles inappropriées”. Significativement, ces soupçons reviennent sur presque 20 ans, à l’époque où Bo était vice-maire de Dalian. Il a été cloué au pilori en tant que ”dictateur” qui régnait sur Chongqing d’une ”main de fer” et en tant que ”homme vraiment dégoûtant”, selon le Guangming Daily, un journal sous contrôle du Comité Central. Ce journal ouvertement libéral n’a pas pu se retenir d’attaquer les positions prétendument à gauche de Bo, qu’il décrit comme un ”modèle politique dépassé qui a mené la Chine à un désastre sans équivalent”.

    Ces attaques constituent une stratégie très risquée pour la direction du PCC. Son but est clairement de détruire non seulement Bo mais aussi de porter un coup à la gauche néo-Maoïste qui est de plus en plus audible et a adopté Bo comme porte-drapeau. Mais la campagne de propagande contre Bo peut aussi attiser le scepticisme à l’égard du régime dans son ensemble.

    Les gens vont inévitablement se demander pourquoi, si Bo ”a violé la discipline du parti” pendant 20 ans, le régime n’a pas réagi jusqu’ici ? Et en quoi ses actions sont-elles plus dictatoriales que celles des autres hauts fonctionnaires du PCC ? En tant qu’historien libéral, Yuan Weishi, demande : ”Pourquoi a-t-il été malfaisant si longtemps et qu’est-ce qui peut bien alimenter ce comportement ?” Bo s’est vu reprocher d’avoir choisi peu judicieusement Wang comme chef de police, dont la fuite vers le consulat américain à Chengdu a accéléré la chute de Bo. Mais, comme le commente l’avocat militant Liu Xiaoyuan : ”Bo Xilai a échoué à surveiller Wang Lijun, mais alors qui a échouéà surveiller Bo ?”

    Avec ces attaques, le régime s’avance sur un terrain glissant. Elles pourraient attiser les protestations des partisans de Bo mais aussi des opposants qui doutent de la sincérité du régime ou de sa capacité à faire face à la corruption et les ”abus de pouvoirs”. L’impasse sur le sort de Bo, et le délai du congrès du parti, soulignent la sérosité de cette tactique et les risques encourus. En plus de profiter de la protection des princes rouges, Bo a construit un soutien considérable en dehors du PCC et aussi dans les forces armées, à un degré sans doute inégalé par aucune personnalité du régime.

    ”Le cas de Bo est sans précédent car il a apparemment beaucoup plus d’influence que Chen Liangyu et Chen Xitong [anciens chefs du parti à respectivement à Shanghai et Pékin, emprisonnés pour corruption]”, note Yuan Weishi, faisant référence aux deux plus importantes affaires de corruption des deux dernières décennies.

    Le procès pour meurtre de Gu Kalai

    C’est un revirement total depuis le procès en août de Gu Kalai, la femme de Bo, qui a reçu une peine capitale suspendue après avoir avoué le meurtre de l’homme d’affaire Neil Heywood. Le procès mis en scène de Gu, qui n’a duré qu’une journée, n’a pas fait la moindre mention de Bo. Maintenant, Xinshua écrit que Bo porte la « principale responsabilité » dans le meurtre de Heywood ! De la même façon, le procès de Gu minimisait la question de la corruption, malgré qu’il soit connu que Heywood blanchissait l’argent de la famille Bo et a été tué à cause d’une dispute avec Gu après qu’une affaire de plusieurs millions de dollars ait tourné au vinaigre.

    En ne mentionnant pas Bo, le procès de Gu impliquait qu’une procédure criminelle lui serait épargnée et qu’il serait traité avec plus d’indulgence, dans les canaux disciplinaires du PCC lui-même (shanggui). Cela a été perçu comme faisant partie d’un accord plus large à la tête du parti à l’approche du congrès. Apparemment, les choses ont changé. Le changement a commencé avec le procès de Wang Lijun à la mi septembre, qui a envoyé l’ancien chef de police de Chongqing en prison pour 15 ans – une peine indulgente si on considère qu’un des quatre actes d’accusation était la tentative de déserter vers les USA. Les rapports officiels du procès en grande partie secret de Wang impliquent Bo, dans la tentative de couvrir le meurtre de Heywood. Bo n’était pas explicitement nommé, cependant le rapport parlait du ”principal responsable du comité du parti à Chongqing à cette époque”.

    On nous dit maintenant que Bo ”recevait d’énormes pots-de-vin, personnellement et à travers sa famille” (Xinhua, 28 septembre). Mais, à son procès il y a juste deux mois, cette charge n’a été retenue contre Gu Kalai ou contre le fils de Bo, Bo Guagua, dont on dit qu’il se cache à présent aux USA. L’omission de telles charges malgré une connexion évidente avec le meurtre de Heywood montre à quel point le procès de Gu a été manipulé par le groupe dirigeant du PCC dans son propre intérêt, qui a à présent changé. Le procès imminent de Bo XIlai ne va probablement pas montrer une plus grande « impartialité » ou un plus grand respect de « l’autorité de la loi ».

    Même le compte rendu officiel du meurtre de Heywood a été mis en question, sur le blog de Wang Xuemei (26 septembre), l’un des principaux experts de médecine légale chinois. Elle a mis en doute la confession écrite de Gu attestant qu’elle avait empoisonné Heywood avec du cyanure parce que cela donne des symptômes indubitables, comme la décoloration du corps, qui aurait forcément été remarquée par les médecins légaux sur la scène du crime. Le post de Wang, qui a rapidement été supprimé par la censure, soulevait l’hypothèse qu’il ait été étouffé.

    Pourquoi l’accusation a-t-elle besoin de « modifier » la méthode par laquelle Heywood a été tué ? Il est possible que ce soit pour soutenir un scénario dans lequel Gu a agi seule, prétendument dans un état mental instable, plutôt que tout simplement (et plus logiquement) faire appel à des « professionnels » des forces de sécurité sous le contrôle de Bo pour s’occuper de Heywood.

    On peut s’attendre à de telles « modifications » des faits pendant le procès de Bo. Déjà, dans la campagne médiatique contre lui, les allégations de corruption ont été ramenées à 20 millions de yuan par commodité. C’est un chiffre ostensiblement bas, en particulier si cela représente tout ce qu’il a pris pendant une carrière de deux décennies. « Pour autant que je sache, c’était bien plus que 20 millions de yuan », note Li ZHuang, un avocat emprisonné par Bo. « Bien plus que 200 millions, je dirais même. »

    Une comptabilité honnête du montant du pillage de la famille Bo poserait cependant de graves problèmes au régime du PCC. La décision de baisser les sommes d’argent concernées et d’introduire la question des « relations inappropriées avec de multiples femmes » (ce qui n’est pas un crime en Chine) représentent des manœuvres de diversion de la part de l’Etat et de sa machine de propagande. Malgré cela, beaucoup de gens vont conclure avec raison que, plutôt que la « brebis galeuse », Bo n’était ni meilleur ni mauvais que les autres dirigeants quand il s’agissait de s’en mettre plein les poches.

    Le niveau de corruption dans le cas de Bo et de sa famille n’est pas du tout exceptionnel dans la Chine d’aujourd’hui, bien qu’il s’agisse probablement de milliards de yuan. Selon les rapports dans les médias étrangers basés sur les informations des initiés du parti, Bo a collecté un milliard de yuan en pots-de-vin rien qu’en dispensant des promotions, quand il dirigeait le parti à Chongqing entre 2007 et cette année. Si ces sommes plus réalistes faisaient surface pendant le procès et dans les comptes rendus officiels, cela alimenterait inévitablement les revendications d’une investigation plus approfondie. La plupart des subalternes qui ont payé Bo pour des promotions sont encore assis sur leurs sièges officiels hors-de-prix. Très peu d’entre eux ont été purgés à Chongqing après la chute de leur bienfaiteur.

    La lutte de pouvoir va continuer

    Le drame autour de Bo ne peut pas être compris simplement en termes de corruption et de criminalité. Comme toujours en Chine, les affaires de corruption de haut niveau sont menées par la lutte entre les factions du parti pour des postes, l’influence et le contrôle. Les factions internes du PCC ne sont pas basées sur un programme ou une idéologie mais sur des loyautés claniques et le pouvoir politique. Cependant malgré ce manque de distinctions politiques apparentes, qui prête à confusion, la lutte actuelle reflète une grande différence entre ceux qui veulent accélérer la dérégulation et la privatisation de l’économie et diminuer le rôle des entreprises d’Etat, surtout dans « l’aile réformiste » de Wen (qui inclurait aussi le président à venir Xi Jinping), et ceux comme Bo qui dont pour plus d’intervention de l’Etat et la défense du capital national contre le capital étranger.

    Le principal appui de Bo dans la hiérarchie du parti vient de la faction connue en tant que « gang de Shangai » ou « faction des princes rouges », dirigé par l’ex-président Jiang Zemin (86 ans). Ce groupe avait espéré protéger Bo d’une crucifixion publique, pas par solidarité politique au départ (la plupart des princes rouges d’opposent au Maoïsme teinté de populisme de Bo) mais dans un esprit d’auto-préservation collective. Rendre publics les méfaits de Bo menace la position des princes rouges de couche politique privilégiée. Cela pourrait aussi représenter une menace systémique plus large contre l’Etat à parti unique lui-même.

    D’après Steve Tsang, professeur d’études chinoises contemporaines à l’université de Nottingham, la tournure récente des événements signifie que la faction de Jing a « accepté de laisser Bo être jeté aux loups en échange d’un accord quelconque dans le changement de direction du parti. » Il semble qu’ils aient sacrifié Bo pour plus de présence dans le CPBP. Il y a même une rumeur selon laquelle Jiang, officiellement depuis longtemps à la retraite, a assisté à la réunion du Bureau Politique qui a exclu Bo.

    Plutôt qu’une victoire que certains observateurs ont proclamée pour Hu, Wen et le camp réformiste tuanpai, c’est plus probablement un compromis qui inclut des concessions à Jiang, qui est maintenant présenté comme exerçant une influence considérable, en échange du scalp de Bo. Si, comme on s’y attend, le nombre de sièges du CPBP passe de 9 à 7 pour concentrer plus de pouvoir dans les mains de Xi Jinping, cela va aussi accentuer la lutte de pouvoir – une version brutale des chaises musicales.

    Manifestations anti-Japon

    Il est aussi possible que la faction de Hu, soutenue par Xi, n’ait changé sa position que récemment en faveur d’une « solution durable » au problème de Bo, même si cela signifie accorder un plus grand rôle à la faction des princes rouges de Jiang dans la nouvelle direction.

    Les récentes manifestations contre le Japon dans plus d’une centaine de villes en Chine peuvent avoir pesé dans la balance. C’étaient les plus grosses manifestations depuis plusieurs années, exigeant la restitution des îles Diaoyu par le Japon alors que les nationalistes japonais de droite sont très actifs. Elles montrent aussi de nouvelles preuves de scissions dans le PCC.

    Alors que le gouvernement central cherche à maintenir un contrôle serré et à utiliser ces manifestations pour renforcer sa position dans les négociations avec le Japon et les USA, les manifestations ont donné quelques mauvaises surprises à Pékin. L’apparition de portraits de Mao et de slogans en soutien à Bo Xilai en particulier ont fait sentir au gouvernement que les manifestations ont été détournées par les partisans de Bo et ses alliés factionnels dans les forces de sécurité et les gouvernements locaux. Cela « a alarmé de nombreux membres du parti », selon Zhang Ming, un politologue à l’université de Renmin, à Pékin.

    En retournant ses fusils contre Bo, la direction du PCC veut empêcher tout retour politique futur. Elle veut aussi porter un coup à ses partisans dans la « nouvelle gauche » et l’empêcher de lancer un défi au régime et à son programme de plus en plus néolibéral.

    Dans le monde entier, les commentateurs capitalistes ont voulu nous rassurer en disant que la décision de juger Bo Xilai signifiait que Pékin était « sur la bonne voie » avec son congrès et la cure de jouvence de sa direction. Depuis quelques temps, les bourses du monde entier ont été très nerveuses à propos de la paralysie étatique et de l’impasse en Chine, un peu comme dans l’Union Européenne et aux USA. Cela a paniqué les capitalistes quand ils ont vu l’économie chinoise plonger vers un possible dur atterrissage. Ils ont sollicité un retour à des mesures pratiques à Pékin, comme un plus grand stimulus économique.

    Mais quel que soit le sort de Bo, il ne mettra pas fin à la lutte de pouvoir au sein du régime, qui lui-même n’est qu’un reflet des contradictions sociales fondamentales de la société chinoise. Elles proviennent de la fusion du développement capitaliste déchaîné et de la dictature du parti unique. La lutte est installée pour continuer et la ligne de conduite dans laquelle le régime s’est embarqué lui-même peut lui donner un nouvel élan explosif.

    « Déballer tout ce linge sale est très risqué pour le parti. Ils jouent avec le feu », avertit Chovanec. Il faut une force politique massive de la classe ouvrière, complètement indépendant des factions du PCC, pour lutter pour les droits démocratiques et le socialisme.

  • Chine : La grève de Honda, point tournant du mouvement ouvrier naissant

    Les grèves des travailleurs des usine de sous-traitance de Honda dans la province méridionale du Guangdong (Canton) ont fait trembler la Chine, « l’atelier du monde ». L’exemple combatif des travailleurs de Honda, dont de nombreux n’ont qu’à peine vingt ans, a engendré une vague de grèves à sa suite à travers toute la Chine, au fur et à mesure que les travailleurs migrants (pour la plupart, des paysans venus chercher du travail en ville en tant qu’ouvriers), surtout dans les entreprises étrangères, qui se tuent à l’ouvrage dans des conditions connues pour leurs longs horaires et leurs bas salaires, exigent des hausses salariales, de meilleures conditions et une « restructuration » des syndicats.

    Vincent Kolo, chinaworker.info

    La vague de grève ne fait que commencer, mais si elle se poursuit et se développe, elle a le potentiel de transformer le paysage politique et économique de la Chine. Cette vague de grèves est déjà la plus importante explosion de lutte ouvrière depuis 2002, lorsque les ouvriers dans l’industrie lourde se sont battus, sans succès, pour protéger leur emploi et leurs pensions lorsque les entreprises d’Etat ont été vendues et restructurées. Les luttes d’aujourd’hui se concentrent essentiellement sur le secteur manufacturier et de l’exportation, avec sa main d’oeuvre essentiellement constituée de travailleurs migrants. Les grèves actuelles, et en particulier les revendications de l’élection des représentants syndicaux, posent des problèmes majeurs à la dictature « communiste » au pouvoir, qui craint plus que tout la croissance d’un mouvement ouvrier indépendant.

    La première grève de Honda, dans la ville de Foshan, province du Guangdong, a été la « plus grande et la plus puissante grève jamais vue par une multinationale en Chine », selon le South China Morning Post. Terry Gou, le patron milliardaire de l’entreprise Foxconn, s’est exclamé : « Ceci est une déferlante. On ne peut plus se baser sur le bas coût de la main d’oeuvre chinoise ». Gou, qui a aussi annoncé de fortes hausses salariales la semaine passée dans son entreprise Foxconn, dans une tentative de rompre le cycle de suicides de jeunes et de désapprobation publique, a prédit le fait que des hausses salariales pour les ouvriers de production chinois allaient devenir « une tendance irréversible ». De nombreuses entreprises dans le même parc industriel de Foshan où se situe l’usine Honda ont relevé les salaires en tant que mesure préventive, probablement poussées par le gouvernement, afin d’éviter que ne se répande la grève à Honda.

    Au cours des derniers jours, des grèves ont éclaté dans au moins cinq provinces de Chine, touchant l’industrie automobile, mais aussi des usines de composants électroniques, de caoutchouc, d’équipements sportifs, de chaussures, et de machines à coudre industrielles. Plus récemment, dans la province du Jiangxi, 8000 travailleurs qui fabriquaient les ballons de la Coupe du Monde tant controversés sont partis en grève. Dans presque tous les cas, les grévistes ont proclamé avoir été encouragés par la victoire à Honda Foshan. « Si leur grève n’avaient pas été victorieuse, nos travailleurs ici ne seraient pas aussi unis qu’ils ne le sont à présent » a déclaré une travailleuse migrante de 22 ans à l’usine Foshan Fengfu Autoparts, où 250 travailleurs ont organisé une grève de trois jours du 7 au 9 juin.

    Bien que la grève à l’usine de transmission de Foshan, qui appartient entièrement à Honda, ait permis des hausses de salaire de 24 à 32%, les jeunes travailleurs qui se sont confiés à chinaworker.info ont exprimé leur mécontentement et ont insisté sur le fait que le retour au travail ne serait que temporaire à moins que leur liste de 147 revendications ne reçoive une réponse adéquate de la part de la direction de Honda. L’entreprise a négocié une période d’étude de deux mois afin d’ « examiner » ces revendications. Les principaux points incluent le droit d’organiser des élections afin de remplacer les pantins de la direction qui se trouvent à la tête de la branche locale du syndicat officiel contrôlé par l’Etat.

    Cela ne fait qu’une semaine que la grève des 1900 travailleurs de l’usine Foshan a été « résolue », pourtant la Chine semble depuis lors être un endroit différent. La grève qui a tout d’abord éclaté le 17 mai a redémarré avec une vigueur renouvelée le 23 mai, après que la direction ait annoncé une hausse misérable de seulement 55 yuan par mois. La revendication des travailleurs était d’une hausse mensuelle de 800 yuan, afin d’aligner les salaires de Foshan sur ceux des travailleurs dans les autres usines d’assemblage de Honda en Chine. Le sixième plus grand producteur automobile au monde a la capacité de fabriquer 650 000 véhicules par an en Chine, tout en prévoyant d’étendre sa production à 830 000 véhicules par an d’ici 2012. La grève de dix jours a été remarquablement solide, malgré les tentatives mafieuses par la direction, par le gouvernement local et par son syndicat pantin de briser la résolution des travailleurs. Sous un régime dictatorial qui interdit les grèves et de véritables syndicats, ceci est une magnifique réussite.

    En étouffant l’approvisionnement des pièces détachées, la grève de Foshan a mis à l’arrêt les quatre usines automobiles de Honda dans le Guangzhou et dans le Wuhan, ce qui aurait coûté à l’entreprise 130 millions de dollars en termes de production perdue. Ceci souligne la puissance dévastatrice des travailleurs à l’époque de la mondialisation capitaliste, avec ses chaînes d’approvisionnement complexes, et ses méthodes de production just-in-time. Sans structures formelles, et confrontés à de terribles pénalités légales pour avoir participé à une organisation indépendante, la lutte a été construite en utilisant des affiches sur les murs de l’usine, des messages SMS et par des grèves éclair grâce auxquelles un département en appelait un autre à rejoindre la grève. Ces travailleurs ont fait preuve d’une grande audace tactique : alors que la direction faisait tout son possible pour briser la grève, et que certaines sections se flétrissaient sous la pression, ils ont organisé une marche de 500 travailleurs à l’intérieur du terrain de l’usine, renforçant le moral et mettant en échec l’offensive patronale.

    Le 31 mai, les patrons de Honda ont fait monter les enchères dans leur tentative d’écraser la grève. Ils ont mobilisé les cadres du syndicat et les professeurs des écoles d’apprentissage qui fournissent Honda avec une masse d’apprentis – un autre dispositif couramment employé par les multinationales afin de maintenir le bas niveau des salaires en Chine. Les professeurs et les directeurs ont ordonné aux travailleurs de signer de nouveaux contrats comprenant un accord de non-grève, menaçant les apprentis en leur disant qu’ils ne recevraient pas leurs diplômes et devraient faire face à la police pour avoir enfreint la loi. Partout dans le monde, sont apparues des images montrant des nervis à casquette jaune en train de filmer les grévistes, de beugler des ordres et de maltraiter les jeunes travailleurs, leur criant de sortir de l’usine s’ils ne voulaient pas travailler. « Votre action a gravement endommagé la production et l’opération de l’usine », clamait un dirigeant syndical via mégaphone.

    Ces « casquettes jaunes » étaient censés être des représentants de la Fédération Panchinoise des Syndicats (FPCS), le seul syndicat légal. Des rumeurs circulent sur internet selon lesquelles le dirigeant de la branche locale du syndicat a été payé 600 000 yuan pour mettre un terme à la grève, et a engagé 100 nervis à 200 yuan par jour pour brutaliser les grévistes. Voilà bien une illustration frappante du véritable rôle des syndicats officiels – un rôle de criminels et de briseurs de grèves. Toutefois, l’incident du 31 mai a encore plus fait enrager les travailleurs de Foshan. « Maintenant, ce n’est plus une question de hausse salariale, mais de garder notre dignité », disait au South China Morning Post (1er juin 2010) un travailleur âgé de 23 ans. Un jour plus tard, le porte-parole du syndicat officiel a été forcé de publier une lettre d’excuse aux grévistes. Ceci n’a que partiellement satisfait à leurs revendications en la matière, cependant, qui demandaient que soient punis les « syndicalistes » coupables d’avoir physiquement attaqué les grévistes.

    Lorsque la direction a réalisé qu’elle ne pourrait pas facilement briser la grève par la force ou par l’intimidation, elle a reculé, offrant des hausses salariales nettement améliorées d’environ 400 yuan par mois. Mais ceci est toujours peu comparé à la revendication des travailleurs d’une hausse de 800 yuan. La nouvelle offre est parvenue à diviser la main d’oeuvre, entre une couche qui voulait accepter et d’autres qui préféraient continuer la grève.

    Certains travailleurs de Foshan qui ont discuté avec chinaworker.info étaient critiques vis-à-vis du retour au travail, et pensaient que bien plus aurait pu être obtenu, étant donné la puissance de la grève. Certains ont accepté l’accord à contre-coeur, le considérant plutôt comme un « cessez-le-feu » de 2 mois, jurant d’organiser une nouvelle grève si de nouvelles concessions ne sont pas faites. L’équipe de négociation composée de 16 personnes, qui a doublé les structures du syndicat officiel pro-Honda, semble avoir été mis sous une forte pression de la part de l’entreprise et du gouvernement pour faire cesser la grève avant la date anniversaire politiquement chargée du 4 jjuin (jour de commémoration du massacre de la place Tiananmen).

    Les experts basés à Beijing qui ont offert leurs services en tant que « conseillers » à l’équipe de négociation ont eux aussi pu insister sur une résolution rapide afin d’éviter que la grève ne soit perçue comme étant « politique ». La manière dont l’équipe de négociation des travailleurs a été sélectionnée reste peu claire étant donné les problèmes de l’illégalité et les risques de victimisation, et est le sujet de discussions ininterrompues. Etablir des structures syndicales indépendantes cachées de l’entreprise et de l’Etat, avec ses espions et ses méthodes de surveillance sophistiquées, n’est pas une tâche facile en Chine. L’internet a joué un rôle crucial tout au long de la grève en fournissant un forum anonyme aux travailleurs afin de discuter des tactiques au jour le jour.

    Les discussions et même les controverses parmi les travailleurs de Honda se sont reflétées dans une interview donnée par un travailleur à l’agence Reuters (9 juinb 2010) :

    « Nous devons toujours discuter de nombreuses conditions… Ils n’ont accepté qu’une petit nombre des revendications, y compris une très modeste hausse salariale qui est bien en-dessous de ce que nous avions demandé… Pour nous, nous faisons tout ceci simplement parce que nos salaires sont trop bas. Mais notre grève semble avoir causé un impact négatif sur la société et avoir causé des soucis aux cadres locaux. Nous ne voulons pas ceci… par conséquent, certains d’entre nous ont décidé de retourner au travail. »

    Il ne fait aucun doute que, cherchant désespérément à mettre un terme à la grève avant l’anniversaire du 4 juin, les autorités « communistes » ont été impliquées afin d’obtenir cet accord à la va-vite en faisant pression sur Honda. On ne sait pas vraiment encore dire à présent quelles garanties ils ont données à Honda. Mais ce problème était particulièrement aigu étant donné le tollé en Chine contre une autre multinationale, Foxconn, où une douzaine de suicides se sont produits cette année dans ses deux usines géantes de Shenzhen. Foxconn est devenu synonyme de l’exploitation inhumaine de la main d’oeuvre chinoise dans ses usines massives qui ressemblent à des dictatures militaires en modèle réduit. Si le but du gouvernement à Honda est de prévenir une potentielle vague d’actions de grèves à la suite de Foshan, toutefois, cette stratégie a clairement échoué.

    Ces derniers jours, deux autres usines affiliées à Honda dans le Guangdong ont été touchées par une action de grève. La composition de la main d’oeuvre – à majorité de jeunes migrants – de même que les tactiques et les revendications sont similaires à celles de la grève de Foshan initiale. Au moment où nous écrivons ces lignes, la grève de Foshan Fengfu Autoparts s’est terminée avec une modeste prime salariale, mais une troisième, à Honda Lock dans la ville de Zhongshan, est entrée dans sa troisième journée de grève avec environ 85% des 1400 travailleurs qui soutiennent la grève. Cette usine fournit les verrous et clés pour Honda.

    Certains reportages donnent l’impression que le régime chinois a adopté une approche bienveillante par rapport à ces grèves – en particulier contre les capitalistes étrangers – en tant que partie prenante d’un grand stratagème visant à renforcer le pouvoir d’achat et à rééquilibrer l’économie, mettant un terme à sa dépendance actuelle aux exportations extérieures pour se tourner vers le marché interne. Mais ce point de vue est trompeur. La police et les agences de sécurité ont brutalement attaqué les travailleurs de Zhonshang et d’autres grévistes ces derniers jours, pas vraiment une preuve d’un soutien officiel ! Un gréviste migrant de Zhongshang a raconté au South China Morning Post que la police avait distribué des tracts menaçant de trois à cinq ans d’emprisonnement toute personne prenant part à la grève. De même, les travailleurs de Fengfu à Foshan se plaignent d’avoir été forcé à retourner au travail sur base d’une pression massive et de menaces. Cette entreprise, un partenariat entre Honda et une société taïwanaise, a dit aux travailleurs que leur action serait classifiée en tant qu’ « émeute » et que la police pourrait intervenir d’un moment à l’autre.

    « Nous voulons être traités de la même manière que les travailleurs de Honda Autoparts », expliquait un travailleur de Honda Lock. Leurs revendications reprennent celles de la grève de Foshan : une hausse du salaire mensuel de base de 930 à 1600 yuan (100 à 180€), un double salaire pour toute heure supplémentaire, des blâmes pour les gardes qui battent les travailleurs, un syndicat « restructuré », et pas de victimisation pour les grévistes. A Zhongshang, de même que lors d’une autre grève chez l’entreprise taïwanaise KOK dans la province du Jiangsu, les médias officiels ont faussement rapporté que la grève était terminée. Ceci est en partie un reflet de leurs propres espoirs, en partie une tentative de semer la confusion dans une situation où les grèves doivent être dirigées de manière complètement clandestine. C’est cette même tactique qui a été utilisée contre les travailleurs de Honda à Foshan, et qui a échoué dans tous ces cas : afin de fournir une preuve que leur grève était toujours bien vivante en son troisième jour, les travailleurs de Honda Lock se sont rassemblé à l’entrée de l’usine et ont commencé à entonner : « Est-ce qu’on y retourne pour 200 ? Jamais ! 300 ? Jamais ! Pour 400 alors ? Jamais ! »

    D’autres grèves dans le delta du Fleuve des Perles (province de Guangdong) incluent une action le dimanche 6 juin de la part de 300 travailleurs de chez Merry Electronics à Shenzhen, une entreprise taïwanaise de composants automobiles, qui ont bloqué les routes en guise de protestation contre les changements de pauses. Les patrons de Merry Electronics ont affirmé avoir décidé de rehausser les salaires de +10% pour le 1 juillet, « mais ils ne l’avaient pas encore annoncé au personnel ». Lundi 7 juin, 2000 travailleurs sont partis en grève chez Yacheng Electronics à Huizhou.

    Mais les grèves ne se sont pas limitées au delta du Fleuve des Perles ; elles se sont répandues dans le delta du Fleuve Yangtze près de Shanghai, et jusqu’aux provinces de l’intérieur. Dans la province de Shaanxi, 900 travailleurs employés par Brother, un fabricant japonais de machines à coudre industrielles, ont organisé un arrêt de travail du 3 au 10 juin. Dans le district de Pudong à Shanghai, un sous-traitant de Foxconn, TP Displays, a été touché hier par « un arrêt quasi total » en réaction au plan de relocalisation de l’entreprise. Une grève « quasi unanime » de la part de plusieurs centaines de travailleurs du caoutchouc a éclaté vendredi 4 juin à KOK International à Kunshan, province de Jiangsu. Ces travailleurs se sont mis en lutte pour des hausses de salaire, le payement des heures supplémentaires et contre le non-payement par la compagnie de la sécurité sociale et de l’assurance santé. Près de 50 de ces travailleurs ont été blessés lors d’affrontements avec la police le week-end passé : « La police nous a tous battus sans distinction… Ils nous sont rentrés dedans et ont frappé tout le monde, hommes comme femmes », a rapporté une travailleuse. AU moins sept grévistes ont été arrêtés par la police. Mais les grèves en cours en ce moment ne se produisent pas que chez les multinationales. On a fait état d’une grève à l’usine de Qijiang Gear Transmission à Chonqching qui s’est déroulée en même temps que celle de Honda à Foshan.

    Les hausses de salaire à deux chiffres qui sont en train d’être arrachées de la part des patrons à travers certains des conflits en cours semblent énormes, mais comme les analystes capitalistes l’ont eux-mêmes fait remarquer, il ne s’agit que de hausses de « rattrapage » – les salaires ouvriers ont été gelés depuis fin 2008 lorsque la crise capitaliste mondiale a frappé la Chine. Dans de nombreux cas, les niveaux de salaires réels ne se sont pas améliorés depuis le milieu des années 90, tandis que l’inflation des prix, et en particulier pour les produits de base tels que la nourriture, a fortement entamé les salaires et alimente le mécontentement des travailleurs. Les travailleurs chinois ont encore un long chemin à parcourir ne serait-ce que pour rattraper le niveau des travailleurs des autres pays soi-disant émergents. Les salaires dans l’industrie manufacturière en Chine ne valent que 5% des salaires ouvriers sud-coréens, et 17% des salaires ouvriers brésiliens.

    La part du PIB qui est constituée des salaires n’a fait que diminuer depuis 22 ans, passant de 57% en 1983 à 37% en 2005. Ces statistiques illustrent bel et bien quelle classe est celle qui a payé pour les « réformes » capitalistes mises en place au cours de cette période. Au même moment, la productivité au travail – la quantité produite par chaque travailleur en Chine – a cru de plus de 9% par an lors des cinq dernières années, selon les estimations de la U.S. Conference Board (Wall Street Journal du 7 juin 2010). Pourtant, les syndicats officiels ont récemment rapporté que près d’un travailleur chinois sur quatre n’a reçu aucune augmentation salariale depuis cinq ans. En conséquence, le coût du travail ne représente qu’une minuscule fraction des bénéfices immenses engrangés par les entreprises multinationales opérant en Chine.

    Dans le cas de Honda, par exemple, une hausse uniforme de +30% des salaires à l’usine ne réduirait les marges de profit de l’entreprise que 0,6%. Même si l’on se base sur les hausses de salaires obtenues par les travailleurs de Honda à Foshan, avec un salaire relevé à 1650 yuan (180€) par mois, il faudrait 7 ans et demi de travail (sans rien dépenser du tout !) à un de ces travailleurs pour acheter la moins chère Honda Civic fabriquée en Chine. Comme Marx l’a expliqué, la source du profit des capitalistes est la force de travail de la classe ouvrière, ce qui veut dire que les travailleurs ne peuvent pas se permettre de racheter ce qu’ils produisent, poussant par là le système de marché à des crises et à des troubles inévitables.

    L’économie chinoise semble avoir bien récupéré, avec un PIB en hausse de +11,9% au premier trimestre par rapport à l’année précédente. Ceci a sans nul doute l’effet d’inciter les couches les plus exploitées des travailleurs chinois et une nouvelle génération relativement intrépide à revendiquer leur part de la reprise économique. Des pénuries de main d’oeuvre existent dans de nombreuses provinces côtières dont les économies sont dominées par des multinationales. Les données du gouvernement ont récemment montré une hausse brusque de +35% dans les postes à pourvoir publiés par les employeurs au premier trimestre de 2010, mais seulement une hausse de +8% dans le nombre de personnes postulantes.

    Un important facteur derrière ce développement est la croissance basée sur la propriété foncière dans les provinces de l’intérieur des terres, également alimentée par de grands projets d’infrastructure financés par les gouvernements locaux, qui ont généré des nouveaux emplois dans l’industrie, dans la construction et dans les services, justement dans ces régions de Chine qui sont la source traditionnelle de travailleurs migrants. Beaucoup de personnes, en particulier les migrants plus âgés avec des enfants, préfèrent chercher un travail dans ou près de leur province natale, abandonnant des emplois mieux rémunérés dans les ateliers des provinces côtières. Il semble que la province du Guangdong souffre cette année d’un déficit de 2 millions de travailleurs migrants, et les autres provinces côtières sont confrontées à des pressions similaires.

    Mais il y a d’autres facteurs économiques et sociaux derrière la hausse de combativité actuelle sur le lieu de travail, et surtout concernant la nouvelle jeune génération de travailleurs migrants. Ces travailleurs ne considèrent plus la ville comme étant un lieu d’habitation temporaire avant de rentrer à la campagne après avoir économisé assez d’argent que pour bâtir une maison et fonder une famille. Ces jeunes sont de plus en plus urbanisés dans leur vision du monde, et mis en colère par la discrimination et les mauvais traitements systématiques qui forment l’apanage du travailleur migrant. Les nombreux ingrédients présents aujourd’hui dans l’économie et dans la société chinoises (et non des moindres, le caractère de « bulle » extrêmement instable de la reprise actuelle) forment un cocktail explosif. Dans un sens négatif, ceci est démontré par le désespoir à Foxconn, et dans un sens positif, par le flambeau de la lutte qui semble avoir été passé des mains des jeunes grévistes de Honda à celles des travailleurs d’autres usines en Chine.

    Afin d’éviter la propagation des grèves actuelles, le régim chinois pourrait tenter une nouvelle tournée d’augmentation des salaires minimums (établis au niveau provincial ou municipal, avec de grandes variations). Ceci pourrait être accompagné d’une propagande massive selon laquelle le gouvernement serait convaincu que les travailleurs méritent « leur juste part » du progrès économique, mais aussi de terribles menaces comme quoi le régime ne tolérera pas les « menaces faites à la stabilité ». A de nombreuses occasions auparavant, nous avons vu une telle combinaison « carotte et bâton » être employée par le parti au pouvoir afin de tuer dans l’oeuf les mouvements populaires. Mais même cette stratégie d’action comporte d’importants risques pour le régime chinois et pour le capitalisme mondial, qui dépend si fortement de la Chine, surtout si ces concessions sont perçues comme étant le résultat de la lutte ouvrière.

    Chinaworker.info appelle à la formation de syndicats indépendants et au droit de grève au côté des autres droits démocratiques fondamentaux en Chine. Nous appelons à des hausses de salaires immédiates pour tous les travailleurs afin de compenser les longues années de stagnation et de hausses des prix. Nous exigeons un salaire national minimum de 3000 yuan (330€) pour tous. Nous appelons à la fin des heures supplémentaires obligatoires, et à un contrôle démocratique des travailleurs concernant la sécurité et la santé sur leur lieu de travail. Nous soutenons les luttes des travailleurs afin d’obtenir toute amélioration fût-elle modeste, tout en insistant sur le fait qu’une lutte de masse pour une alternative socialiste est nécessaire afin de garantir des emplois et des salaires décents, de même que le bien-être pour tous. Chinaworker.info et Socialist Action (CIO à Hong Kong) ont organisé et participé à diverses actions de protestation en solidarité avec les travailleurs de Honda en Chine de même que pour ceux de Foxconn.

  • [DOSSIER] La lutte pour des syndicats indépendants en Chine

    Le régime annonce des « réformes » syndicales – vers une démocratisation des syndicats d’Etat?

    La récente vague de grèves en Chine a revigoré les revendications des travailleurs en faveur de véritables syndicats et de représentants élus. Comment le régime et ses syndicats pantins vont-ils faire face à ce défi ? La démocratisation est-elle à l’ordre du jour ?

    chinaworker.info

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    Grève à Honda, au Zhongshan
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    Le 17 mai dernier, un travailleur de l’usine de transmission de Honda à Foshan (une Ville de la banlieue de Guangzhou de 6 millions d’habitants), âgé de 24 ans, a pressé le bouton « arrêt d’urgence », mettant de ce fait toute l’usine à l’arrêt. Cet acte intrépide, à l’origine d’une grève de deux semaines, aura été l’élément qui aura fait dévier l’immense locomotive du Travail chinois vers une nouvelle voie entièrement neuve. La grève de Foshan est devenue célèbre en tant que point de départ de la vague de grèves audacieuse de cet été. La plupart des travailleurs impliqués dans cette première grève, tout comme dans celles ont suivis, étaient âgés d’à peine 20 ans. Nombre d’entre eux étaient des internes (logés dans les entreprises), dont les conditions de travail sont plus précaires que celles des autres travailleurs. Par leur bravoure, leur détermination et leur aptitude à improviser des tactiques et des méthodes « sous le feu ennemi » (face aux tentatives de la direction de briser les grèves), cette nouvelle génération de travailleurs émigrés s’est imposée en tant que facteur décisif dans la Chine d’aujourd’hui.

    Ces événements dramatiques ont forcé les politiciens et les économistes, partout dans le monde, à en prendre note. Le Wall Street Journal avertit que les grèves sont ‘‘un dilemme pour le Parti Communiste’’, dont les dirigeants sont ‘‘très inquiets quant à un scénario comme celui qui s’est déroulé en Pologne à la fin des années 80, lorsqu’un mouvement syndical indépendant a mené au renversement du gouvernement polonais…’’ (stalinien).

    Bien que les grévistes aient remporté ce qui de prime abord semble être une forte hausse salariale, de +25, 30%, et dans certains cas +50%, ces hausses ne sont rien de plus que des ‘‘rattrapages’’. Pendant plus d’une décennie de croissance salariale non-existante ou léthargique, la productivité du travail en Chine s’est accrue de près de +10% par an, rapportant d’énormes bénéfices aux capitalistes, surtout en ce qui concerne les marchés étrangers. Ensuite, la plupart des gouvernements locaux ont imposé un gel des salaires lorsque la crise capitaliste mondiale a frappé en 2008. De nombreux analystes parlent d’employeurs qui ‘‘utilisent la crise comme une excuse’’ afin de maintenir les salaires à la baisse et d’augmenter l’exploitation (journées plus longues, heures supplémentaires non-payées, non-paiement de l’assurance-pension et autres allocations).

    Partout dans le pays, les autorités locales ont été plus souples concernant la (non-)mise en application du Code du Travail. Un gérant d’une usine à Dongguan (une autre ville de la banlieue de Guangzhou – 6 millions d’habitants également) disait du gouvernement local qu’il ‘‘ne dit pas qu’il ne faut pas se soucier du Code du Travail, mais à présent c’est «un œil ouvert, l’autre fermé»’’. D’autres régions ont introduit des lois locales qui contredisent le Code du Travail. La loi est ‘‘entrée dans un état de paralysie dans certaines régions’’, selon les termes Qiao Jian de l’Institut Chinois sur les Relations au Travail.

    Partout, l’environnement de travail est devenu plus dur à cause de la crise. People’s Daily Online (10 mars 2010) a rapporté que 14,4% des travailleurs ont subi un non-paiement de salaire en 2009 – en 2007 ils n’étaient que 4,1%. Ces statistiques et d’autres retraçant les salaires et le paiement des heures sup’ ont révélé un nouveau transfert de pouvoir et de richesse – sous couvert de la crise – du Travail vers le Capital. Cette pression à la baisse s’est heurtée aux coûts qui montent en flèche, surtout depuis que l’économie s’est rétablie. Le prix du riz a grimpé de +17% en un an, et les légumes frais coûtent +22% plus cher.

    Le Premier Ministre Wen a récemment pris la parole devant des dirigeants japonais en visite au sujet des ‘‘salaires relativement bas’’ octroyés par les compagnies japonaises, qui sont la cause des grèves. Les salaires de nombreux sous-traitants chinois sont même encore plus bas. Les médias officiels veulent donner l’impression que le gouvernement soutient les hausses de salaire et même perçoit les grèves d’un bon œil, en tant que manière d’imposer de meilleures conditions aux capitalistes étrangers. Cela n’est qu’un conte de fées. Si c’était vrai, pourquoi les grèves ont-elles dû subir la répression, la brutalité policière, et un boycott des médias afin de limiter la propagation du mouvement ?

    Malgré des rapports comme quoi les salaires minimum se sont accrus de +12% en moyenne cette année, le salaire minimum est toujours de tout juste 770 RMB (87€) à Dongguan, et de 960 RMB (108€) à Beijing (une hausse par rapport à 800 RMB en juin 2010). C’est à Shanghai qu’on trouve le plus haut salaire minimum du pays, à 1120 RMB (127€). Avec les pressions du capitalisme mondialisé et sa course vers le bas, les autorités chinoises sont forcées de jouer les équilibristes, entre l’explosion de colère des ouvriers d’une part, et de l’autre la possibilité pour les capitalistes de transférer ailleurs la production, les investissements et les emplois.

    Les grèves de 2010 représentent par conséquent, dans une certaine mesure, la revanche des plus jeunes travailleurs après les privations des dernières années. Une confluence de plusieurs facteurs leur a suggéré que l’heure était venue de se battre.

    D’abord, il y a eu la reprise de la conjoncture économique et une croissance plus forte dans les régions continentales, ce qui a ouvert un marché de l’emploi alternatif par rapport aux régions côtières, ce qui a ensuite conduit à un manque de main d’œuvre dans certaines parties du Guangdong (1) et d’autres zones exportatrices. En plus de cela, il y a eu beaucoup d’investissements, surtout dans l’automobile. Honda, qui a été touché par au moins dix grèves en Chine, a annoncé des plans pour étendre d’un tiers sa capacité de production en Chine au cours des deux prochaines années. Malgré la hausse des coûts salariaux, la compagnie s’attend à profiter du plus grand et du plus dynamique marché automobile au monde. Un autre facteur crucial derrière les grèves est la nouvelle perception du monde de la nouvelle génération de travailleurs émigrés. Une majorité d’entre eux se considèrent maintenant non plus comme ‘‘paysans’’ ni même comme ‘‘ouvriers-paysans’’, mais comme ‘‘ouvriers’’.

    ‘‘C’est une nouvelle race. Leur expérience différente fait en sorte qu’ils ont des perspectives différentes… C’est cette société qui a modelé leur mode de pensée, elle leur a coupé le chemin du retour à la maison, et les a laissé sans aucune issue.’’ – Voilà la vision d’un étudiant de Beijing qui travaillait à l’usine de Dongguan l’été dernier (Pensées au Hasard sur la Vie à l’Usine, China Labour Bulletin).

    Appel à des ‘‘syndicats réorganisés

    Même avant la récente vague de grèves, les statistiques montrent une rehausse de protestations ouvrières. En décembre de l’an dernier, le magazine Liaowang de la Xinhua News Agency, une agence de presse gouvernementale, a rapporté que ‘‘selon la Cour Populaire Suprême, les cours civiles ont accepté 280 000 cas de disputes au travail en 200, 93,93% de plus que l’année précédente. Dans la première moitié de 2009, 170 000 cas ont été accepté, soit 30% de plus’’.

    Mais ce qui est encore plus alarmant pour le régime chinois et pour la ‘stabilité’ qu’il chérit par-dessus tout : ‘‘Les incidents de masse provenant de disputes au travail se sont considérablement accrus et ont pris une forme plus violente, augmentant la conscience du public quant à ces enjeux. De nombreux experts et académiciens qui ont été interviewés pour cet article ont confirmé ce point, et ont ajouté que les disputes au travail étaient maintenant devenues une source de conflits majeure dans la société chinoise’’ (Liaowang).

    En même temps, le régime est prudent quant à l’usage de la répression. Non seulement les grèves bénéficient d’un soutien considérable parmi els autres travailleurs et les couches moyennes, mais le régime lui-même n’est pas certain que la répression fonctionnera, et craint de déclencher une explosion sociale encore plus large.

    La caractéristique la plus importante des luttes de 2010 a été les appels répétés par les grévistes, de Dalian (ville de la province de Liaoning, important port à la frontière Nord-Coréenne, 2 millions d’habitants) à Tianjin (grande métropole adjacente à Pékin, qui lui sert de port maritime, 12 millions d’habitants) en passant par Guangzhou (Capitale de la province du Guangdong (Canton), très importante région industrielle du sud de la Chine – 13 millions d’habitants ) pour des syndicats ‘‘réorganisés’’ et pour une représentation ‘‘de la base’’.

    Au cours de la grève à l’usine Honda de Foshan, cette revendication a été posée de la manière la plus vive lorsque 200 nervis, payés par la section locale du syndicat officiel, ont tenté de briser la grève manu militari. Lorsque cette tactique s’est avérée avoir l’effet inverse – plutôt que d’affaiblir la grève, elle a suscité une combativité encore plus grande parmi les jeunes ouvriers – les représentants du syndicat officiel ont été sacrifiés par leur supérieurs bureaucrates et par les patrons de Honda. Quelques jours plus tard, un message d’excuses a été publié par le syndicat : c’était là une des principales conditions posées par les travailleurs pour mettre un terme à la grève.

    Ces grèves, et la proéminence de la question syndicale en leur sein, marque un tournant. Ceci du fait du degré d’organisation, de la sympathie générée dans la société en général et par-dessus tout de la conscience quant à la question syndicale. Comme l’a fait remarquer un analyste dans le China Daily : ‘‘La Fédération Pan-Chinoise des Syndicats (FPCS) a réalisé que la grève à Honda est une forme nouvelle d’action ouvrière, très certainement parce qu’elle va au cœur du problème – quel est le rôle légitime du syndicat. Son impact est potentiellement énorme’’ (souligné par le magazine Socialist).

    Il y a eu d’autres luttes de masse dans lesquelles la revendication pour des syndicats indépendants a fait surface. Les mouvements dans le Liaonin (2) et dans le Heilongjiang (3) en 2002 en ressortent comme un important exemple. Mais aussi dans d’autres grèves, telle que l’arrêt de travail des ouvriers d’Uniden à Shenzhen (ville de la province de Guangdong, entre Guangzhou et Hong Kong, 9 millions d’habitants) en 2005, le rejet de la FPCS et la revendication d’une vraie représentation ouvrière a été un véritable moteur. Dans le mouvement de 2002, principalement basé sur des xia’gang (travailleurs d’entreprises étatiques qui ont été licenciés), les autorités ont répondu avec quelques concessions symboliques, mais aussi avec une répression totale. Les dirigeants du mouvement ont été arrêtés et emprisonnés. A Uniden, les directeurs de la société et les dirigeants locaux ont coordonné leur réponse afin de noyer la revendication d’un syndicat indépendant en offrant des concessions plutôt généreuses. Cette fois-ci, cependant, à cause de l’étendue des grèves, du haut degré de conscience et d’opposition vis-à-vis du syndicat officiel, et de la position centrale de cette revendication, il ne sera pas si facile pour le gouvernement de s’en dépêtrer. Le génie syndical a été libéré de sa lampe !

    Qu’est-ce que la FPCS ?

    La FPCS prétend être la plus grande organisation syndicale au monde, avec ses soi-disant 226 millions de ‘‘membres’’. Mais il s’agit d’un syndicat ‘‘jaune’’ (c.à.d, acquis à la cause patronale), qui par-dessus le marché fait partie intégrante de l’Etat chinois. Le président de la FPCS, Wang Zhaoguo, est un membre haut placé de la hiérarchie du PCC (Parti Communiste Chinois), et est un des vice-présidents du Congrès National Populaire. En tant que syndicat, la FPCS possède un historique plutôt unique :

    • Elle n’a jamais mené ni soutenu des grèves, et ne s’est jamais battue pour des augmentations de salaire. Depuis 1982, où toutes les grèves ont été interdites, le syndicat condamne ce genre d’action « illégale ».
    • Elle n’a jamais protesté contre les arrestations de militants ouvriers ou de meneurs de grève
    • Elle recrute ses membres en cooptant les entreprises privées et leur direction dans la structure du syndicat. Pour la plupart des travailleurs, le syndicat n’a aucune présence réelle, la seule preuve de son existence est constituée des déductions de leur « cotisation de membres » de leurs salaires.

    La transition vers le capitalisme ‘‘a conduit à une marginalistion tragique de la FPCS’’ dans les années ‘90, selon l’IHLO, une organistion de Hong Kong qui soutient les syndicats démocratiques et indépendants. La base traditionnelle de la FPCS se trouvait dans le secteur étatique en constante diminution alors qu’aujourd’hui, environ 80% des entreprises sont soit privées, soit appartenant à des capitaux étrangers. Craignant un vide de pouvoir dans les usines privées susceptible de causer des dégâts, Pékin a poussé la FPCS dans ce secteur avec pour instruction d’établir des sections et de saboter toute tentative d’auto-organisation de la part des travailleurs.

    Là où la FPCS existe – et ceci englobe la plupart des entreprises privées actuelles – elle a ressuscité en tant que ‘‘partenariat’’ entre la direction et le gouvernement local, avec pour objectif de contrôler la main d’œuvre et d’empêcher les protestations et tout mouvement indépendant.

    ‘‘Dans les entreprises étrangères de la région du delta du Fleuve des Perles – province de Guangdong -, les représentants syndicaux (du moins, là où ils existent) sont désignés par les gouvernements locaux, dont l’intérêt majeur est d’attirer les investissements étrangers. Historiquement, ces gouvernements sont constitués des anciennes brigades ou communes de production, qui maintenant louent la terre aux entreprises et désignent quelques personnes locales ignorantes sur le plan syndical afin de diriger les centrales syndicales. Même certains hauts-gradés syndicaux en parlent en tant que ‘‘faux syndicats’’» (Anita Chan, dans le China Daily du 18 juin 2010)

    La FPCS étatique est-elle sur le point de changer ?

    A la question de savoir s’il faut s’attendre à du changement, la réponse est à la fois oui et non. Il est clair que la FPCS, en tant que structure étatique, doit modifier ses méthodes face à ces grèves. Si elle refuse catégoriquement les revendications des travailleurs en faveur de syndicats de la base, elle risque de perdre le contrôle de ce processus. Reflétant son approche par rapport au contrôle des médias en notre ère d’internet, le gouvernement va tout d’abord tenter de vendre sa propre version, promue à coups de restrictions et de menaces implicites, plutôt que de laisser se créer un vide dans lequel d’autres forces puissent s’avancer.

    Les propositions qui ont jusqu’ici été révélées sont essentiellement cosmétiques, plutôt que de posséder une quelconque substance réelle. Comme toujours, on a droit à de vagues indications quant à un changement à venir, accompagnées de l’adjectif ‘graduellement’. Une chose est sûre : la nature fondamentale de l’Etat de parti unique et de son faux syndicat reste la même. Il est simpliste et naïf de dire, comme l’ont fait certains analystes sur la chaîne d’actualité CNN, que ‘‘la FPCS est maintenant confrontée à un choix : devenir un véritable syndicat ouvrier, ou rester marginalisée’’. Une telle perspective, selon laquelle la FPCS pourrait devenir une authentique organisation ouvrière, est complètement exclue.

    Le gouvernement comprend les implications d’un appel à des ‘syndicats réorganisés’, au cas où cette tendance devait poursuivre son élan à travers l’industrie. Un mouvement syndical indépendant, basé sur le prolétariat le plus nombreux au monde, dans sa plus grande base d’exportation, deviendrait une superpuissance économique et politique. Une dictature autoritaire peut faire beaucoup de choses, mais une chose qu’elle ne peut pas faire, c’est partager le pouvoir avec une puissance indépendante rivale. Les initiatives en vue d’une ‘réforme’ annoncée par la FPCS ces derniers mois doivent être comprises dans cette lumière – en tant que manœuvre défensive afin de saboter le mouvement en faveur de véritables syndicats.

    La principale fondation de cette ‘nouvelle’ politique est composée de déclarations superficielles et encore floues en vue d’élections sur le lieu de travail. L’objectif est de fournir une soupape de sécurité pour le mécontentement des travailleurs, un mécanisme afin de relâcher la pression, sans pour autant fournir aux travailleurs un réel outil de lutte. Un certain espace va être octroyé pour des élections sur le lieu de travail. Mais le régime voudra garder cela endéans des limites strictes, afin de barricader chaque entreprise en tant qu’entité hermétiquement scellée, et d’empêcher l’émergence de véritables structures de la base. Selon le plan de la FPCS, les travailleurs pourraient recevoir le droit d’élire des délégués d’usine, mais ceux-ci seront placés sous la ‘supervision’ de la hiérarchie syndicale au niveau du district ou de la ville, c.à.d. du gouvernement !

    Certains militants et experts des droits au travail applaudissent ce nouveau tour de passe-passe. Han Dongfang, Directeur du China Labour Bulletin de Hong Kong, a décrit la réponse du gouvernement comme étant ‘‘positive’’, affirmant que les nouvelles propositions ‘‘pourraient se révéler être d’une portée historique’’. The Socialist avertit que ce n’est absolument pas ce que la FPCS et le gouvernement ont en tête.

    Le fait qu’ils puissent être forcés à faire bien plus de concessions que ce qu’ils ne l’auraient souhaité est une toute autre affaire. Mais cela dépend du niveau de lutte de masse dans la période à venir, et non pas de pseudo ‘réformes’ ou ‘réformateurs’ dont l’influence au sein du gouvernement est négligeable. Le facteur positif dans cette situation est que le gouvernement se sent forcé de battre en retraite – bien qu’une petite retraite. Ceci veut dire qu’il y a plus à gagner, que la lutte de masse est capable d’arracher des concessions encore plus grandes, qui vont encore plus loin !

    Personne ne devrait se sentir exagérément impressionné de l’offre d’organiser des élections syndicales locales, de la manière dont elles seront réalisées dans le cadre de la machine à contrôler de la FPCS. Comme le dit le dicton, ‘‘le diable est dans le détail !’’ Selon Liu Jichen du département juridique de la FPCS, les élections proposeront des candidats ‘‘validés par le syndicat’’. Il ajoute que ‘‘Même avec les élections directes [du délégué principal], aucun autre mode d’organisation n’est permis que le système syndical unifié actuel, dans lequel les syndicats de la base sont dirigés par leurs autorités supérieures ». (South China Morning Post du 23 août 2010)

    Il est clair que le système d’élections envisagé par Liu et ses amis bureaucrates incorporera sans nul doute des ‘sonnettes d’alarme’ tels que le droit pour les comités supérieurs de la FPCS d’approuver ou de rejeter les candidats au niveau de l’entreprise. Le rôle de ces ‘sonnettes d’alarme’ – de même que celui des odieuses ‘circonscriptions fonctionnelles’ de la ‘démocratie’ hongkongaise – est de garantir le contrôle ultime de la dictature du parti unique et de s’assurer que les travailleurs et les revendications de la base soient filtrées et rejetées en-dehors du système.

    La force réside dans l’organisation clandestine des travailleurs

    Le régime chinois a une expérience considérable quant à l’organisation d’élections à petite échelle – dans des dizaines de milliers de villages – et celle-ci ne présage pas grand’chose de bon. Non seulement ces élections sont organisées de telle sorte qu’elles excluent toute véritable militance ou organisation de la base, mais elles sont de plus en plus devenues un champ de bataille pour les intérêts éhontés de tel ou tel homme d’affaires ou pour diverses luttes de pouvoirs entre clans.

    Si les entreprises perdent le pouvoir de désigner les représentants syndicaux qu’elles possèdent aujourd’hui, elles vont exercer leur pression sur les structures syndicales par une approche plus indirecte, fréquentant les échelons supérieurs de la FPCS de manière plus assidue, et intervenant dans les ‘expériences démocratiques’ à l’échelle de l’usine soutenant leurs propres agents contre les véritables délégués syndicaux. Ceci peut bien entendu être accompli par toutes sortes de moyens, du pot-de-vin aux menaces en passant par la propagande. Ce sont là les leçons à tirer de l’expérience des élections villageoises. C’est donc avec le plus grand scepticisme que les travailleurs de Chine devraient par conséquent traiter les dernières gesticulations officielles autour de la « réforme » syndicale. Ceci ne veut pas dire qu’il faille rejeter ce développement en bloc. Tout symptôme d’une crise au sein de l’appareil dirigeant doit être exploité. Les travailleurs devraient tout naturellement défendre le droit d’élire leurs propres représentants ‘en accord avec la loi’, et tenter d’utiliser ce processus afin de mettre en avant leurs revendications. Mais pour que ceci puisse fonctionner, il est nécessaire de s’organiser de manière informelle et séparée des institutions gouvernementales. Malgré son ‘lifting’ en cours, la FPCS reste pour les travailleurs une organisation hostile et antidémocratique, capable uniquement de saboter la lutte de classe et de limiter la vision des travailleurs à un seul lieu de travail, sans aucune possibilité de forger des liens entre usines et entre villes.

    Afin de construire des organisations plus fortes, il est nécessaire d’exploiter même les plus restreints des canaux légaux. Mais à moins que des structures inofficielles, des comités d’usine ou autres organes locaux directement élus et redevables ne soient bâtis derrière l’écran des structures officielles, les travailleurs ne disposeront pas d’un instrument qu’ils puissent eux-mêmes contrôler. L’exemple des travailleurs de Honda à Foshan est encore une fois une grande leçon. Au cours des négociations, leurs représentants ont juré de ne jamais signer un accord sans qu’il ait été soumis au vote de l’assemblée des travailleurs, et ils ont exigé de la direction qu’elle accorde au personnel des temps de pause afin de pouvoir participer à ces assemblées. Le régime de Pékin va tout faire pour résister, et sa capacité à manœuvrer et à attendre est légendaire. Mais la formation de syndicats de la base indépendants n’est maintenant plus qu’une question de temps. C’est là tout le sens à donner à la récente vague de grèves.


    (1) Province de Canton (Guangzhou), très importante zone industrielle du sud de la Chine, qui inclut entre autres les villes de Guangzhou, de Foshan et de Dongguan ; 100 millions d’habitants dont 31 millions de travailleurs émigrés (en 2005), même taille que la France

    (2) Nord-Est de la Chine, entre la province de Hebei (Pékin) et la Corée du Nord, capitale Shenyang – 43 millions d’habitants pour 5 fois la taille de la Belgique

    (3) Nord-Est de la Chine, à la frontière avec la Russie (fleuve Amour), dont la capitale est Harbin – 38 millions d’habitants pour 2,5 fois la taille de la France

  • Interview d’un socialiste chinois

    Dean Roberts, du journal australien "The Socialist" (journal du Socialist Party, section australienne du CWI, notre Internationale), s’est récemment rendu en Chine. Durant son voyage, il a rrencontré Li Gang, un socialiste de 25 ans, qui travaille en tant qu’employé à Shanghai, à l’administration dans l’entreprise d’Etat des Chemins de Fer Chinois. Ci-dessous, vous trouverez le compte-rendu d’un entretien qui s’est déroulé à la mi-décembre.

    Dean Roberts

    Peux-tu me parler des conditions de travail auxquelles doivent faire face les Chinois ?

    Li Gang : En gros, les travailleurs en Chine sont divisés en deux groupes. Le premier est constitué de ceux qui ont été assez chanceux que pour pouvoir aller à l’université, et qui visent à obtenir un poste d’employé dans une entreprise d’Etat. Dans les grandes villes, comme Shanghai et Beijing, les diplomés gagnent environ 2000 Yuan par mois (210€).

    Le problème, cependant, est que beaucoup de ces diplomés universitaires ne trouvent pas de travail car il n’y nulle part assez de place. Il y a eu beaucoup de restructurations massives dans les compagnies étatiques ces dernières années, et dans les entreprises privées les salaires et les conditions de travail sont bien moindres. Dans les entreprises d’Etat, on peut travailler de 8h à 17h, du lundi au vendredi et recevoir une assurance-santé et autres avantages.

    L’autre groupe des travailleurs, est celui de ceux qui n’ont pas eu de place à l’université, et des gens de la campagne qui migrent vers les villes pour y trouver un emploi. C’est surtout dans les usines qu’on retrouve tous ces gens, ou sur les chantiers de construction et dans les autres secteurs moins bien payés, comme la vente. Bon nombre d’entre eux travailleraient aussi dans le secteur informel. Le revenu moyen pour ces travailleurs est de seulement 1000 Yuan par mois (105€). Ils n’ont aussi droit qu’à 4 jours de repos par mois, s’ils sont chanceux, et peuvent travailler jusqu’à 12h par jour !

    Dans les boîtes privées, il n’y a pas d’assurance-santé, tout ce qu’on reçoit, c’est un salaire. Une journée de travail typique commence à 8h et ne se termine pas avant que tout le travail n’ait été effectué, ce qui signifie travailler jusqu’à 21 ou 22h !

    Les immigrés en provenance de la campagne subissent une forte discrimination, et ont beaucoup moins de droits que les gens nés dans les villes, et ceci à cause du hùkou. Le hùkou est un système de permis qui détermine où les gens ont le droit de travailler en Chine. Les gens sont grossièrement répartis en travailleurs "ruraux" ou "urbains". Pour une personne venant d’une région rurale, il est quasiment hors de question de pouvoir obtenir un job dans une entreprise d’Etat.

    Quel est l’état des syndicats en Chine ?

    Li Gang : En Chine, le pouvoir des syndicats est très limité, pour employer un euphémisme. Par exemple, les grèves sont interdites par la loi. Comparé à celui des pays les plus développés, le droit du travail en Chine n’est qu’une farce.

    En Chine, les syndicats "officiels" ne sont rien de plus qu’une division de l’Etat. Ils sont un mécanisme de contrôle des travailleurs, pas de combat. Je comprends évidemment que la plupart des syndicats australiens soient plus intéressés par l’obtention d’ordinateurs bon marché et de tickets de cinéma plutôt que par une réelle représentation industrielle des travailleurs, mais en Chine, cet état de fait se situe sur un autre plan. Les syndicats sont extrêmement efficaces pour l’organisation de visites de musées ou de voyages à la Grande Muraille, mais il ne leur viendrait même pas à l’idée de même protester contre la super exploitation actuelle.

    Sur mon lieu de travail, le permanent syndical a son bureau dans la même pièce que le gérant, et il est considéré comme un cadre !

    Plus généralement, quels sont les autres problèmes auxquels sont confrontés les travailleurs chinois ?

    Li Gang : Par où commencer ?! … Le coût de la vie pour les gens ordinaires est extrêmement élevé. Le prix du logement est un gros fardeau, de même que les soins de santé. Croyez-moi, en Chine, vous devez vraiment vous assurer de ne jamais tomber malade ! Une simple visite à l’hopital coûte jusqu’à 500 Yuan (50€). Puis, il faut payer les médicaments. On trouve de la corruption partout dans le secteur de la santé. Nous sommes dans une situation où les docteurs reçoivent des backchiches de la part des entreprises pharmaceutiques, afin qu’ils prescrivent des médicaments très chers mais inutiles.

    L’éducation en Chine est loin d’être gratuite. Les minervals peuvent aller jusqu’à 5000 Yuan (520€). Quand on regarde le salaire moyen en Chine, on constate que ceci est hors de porrtée de la plupart.

    Les dégâts environnementaux sont un problème qui affecte de plus en plus directement les travailleurs en Chine. Dans les grandes villes, la pollution des cours d’eau et de l’air devient de pire en pire. Il y a déjà eu de nombreuses manifestations au sujet des problèmes environnementaux, et elles ne sont pas près de s’arrêter.

    Qu’est-ce qui t’a mené à te considérer socialiste ?

    Li Gang : En Chine, nous étudions le "marxisme" et le "socialisme" à l’école. L’Etat prétend même que nous vivons sous le socialisme en Chine ! Mais ils ne nous enseignent qu’une version déformée du marxisme, afin de contrôler la population ; en ce qui les concerne eux, le marxisme est une doctrine à réciter par coeur, plutôt qu’une gamme d’outils destinée à changer le monde. L’Etat se contente de nous apprendre la théorie, à condition que nous ne tentions jamais de la mettre en pratique !

    Les enseignements du gouvernement ne sont pas basés sur le marxisme authentique, et nous ne vivons pas sous le socialisme en Chine. Avec toutes les inégalités qui existent dans ce pays, personne ne croit que nous vivons ici un socialisme authentique. J’ai voulu apprendre par moi-même les vraies idées de Marx, Engels, Lénine et Trotsky, afin de pouvoir changer le monde.

    Je suis fâché du gouffre énorme qui existe entre les riches et les pauvres en Chine. Les inégalités qui existent ici seraient impossibles à croire pour la majorité des travailleurs du monde développé. Il y a tellement de gens en Chine qui n’ont pas d’argent ni pour des soins de santé de base, ni pour l’éducation, ni pour un logement décent. Il doit clairement y avoir une meilleure manière de gérer la société. Je veux combattre côte à côte avec les socialistes au niveau international pour une égalité des humains partout dans le monde.

    Quels sont les dangers auxquels doivent faire face les socialistes en Chine ?

    Li Gang : Être un socialiste en Chine est quelque chose de très dangereux. Nous risquons l’arrestation, des années de prison et même la mort. Il est en ce moment interdit par la loi de critiquer le gouvernement.

    On n’a qu’à regarder ce qui s’est passé en 1989 (NDT : le mouvement national de protestation en faveur de la démocratie, qui culmina avec le massacre de la place Tian’anmén du 4 juin 1989) pour voir comment le gouvernement gère le mécontentement. A cette époque, ils ont tué des milliers d’étudiants, dont le nombre réel ne sera jamais révélé. Ces étudiants se battaient contre la corruption de l’Etat et pour des droits démocratiques. Certains se battaient même pour un véritable socialisme.

    Que savent les jeunes des manifestations de 1989 ?

    Li Gang : Rien du tout ! Les événements de 1989 en Chine, et en particulier le massacre de la place Tian’anmén, furent un moment majeur de l’histoire mondiale, mais le gouvernement chinois aimerait faire croire aux gens que rien ne s’est jamais produit. La plupart des jeunes chinois ignorent complètement l’existence de ces manifestations. A cause de la censure, il est extrêmement difficile de trouver des informations à ce sujet, même sur internet. Le sujet tout entier a été rendu tabou par le gouvernement.

    Ce que nous pensons, c’est qu’une nouvelle situation comme les événements de 1989 est inévitable dans le futur. Le couvercle ne peut plus être maintenu bien longtemps sur la marmite bouillonnante qu’est la Chine. La politique actuelle du gouvernement ne fait qu’ajouter de l’huile sur le feu en créant de plus en plus d’inégalités. Les tensions dans la société ne peuvent que s’intensifier, avec l’aggravement de l’économie mondiale.

    La tâche des socialistes est de prendre une part active à la construction d’un nouveau mouvement ouvrier, et de s’y battre pour les idées du marxisme authentique. Lorsque ce mouvement se développera sur une plus large échelle, la classe salariée écrira une fois de plus une nouvelle page de l’histoire de la Chine, posant les bases pour un monde socialiste.

  • Perspectives pour la lutte des classes en République « Populaire » de Chine

    Lors de notre dernière école d’été s’est tenue une large discussion sur la Chine. Dans quelle direction s’engage ce colosse d’Asie ? La Chine a-t-elle les moyens de sortir l’économie mondiale de ses crises ? Quelle sont les conditions de vie dans ce pays qui soi-disant construit le « socialisme » ? C’est à ces questions – et à bien d’autres, comme celle de la pollution – que nous nous sommes intéressés. Voici un résumé des différentes contributions.

    Nicolas Croes

    Enlèvement et trafic d’enfants esclaves : un élément révélateur de la situation en Chine

    Tout récemment, l’implication du Parti « Communiste » Chinois dans le trafic d’esclaves en Chine a pu être prouvée. La nouvelle de cette exploitation immonde ainsi que le soutien avéré du gouvernement à ces pratiques a été un choc pour la population : des enfants enlevés travaillaient 18 heures par jour et depuis des années (l’un d’entre eux a été exploité ainsi durant 7 ans avant de réussir à s’échapper). A côté des enlèvements, on trouve aussi des enfants vendus par des parents désespérés par leur situation économique. Comment cela a-t-il pu être possible – et surtout pendant aussi longtemps ? Dans une des briqueteries liée à ce scandale, un enfant a expliqué que le propriétaire possédait en réalité toute la ville. Quand la police passait, ils ne faisaient que discuter avant de s’en aller. En fait, cette affaire révèle l’ampleur de la corruption qui sévit en Chine ainsi que la manière dont le régime choisit ses priorités.

    Un des responsables du gouvernement a ainsi déclaré : « Il s’agit d’un conflit entre le travail et le capital, nous ne pouvons pas intervenir ». Un autre responsable du PCC a lui déclaré : « Ce n’est pas notre faute si vos enfants sont kidnappés, vous n’avez qu’à mieux vous en occuper ». Le gouvernement a toutefois été contraint d’autoriser la divulgation de ces informations, qui ont défilé sans arrêt durant une semaine sur la chaîne officielle.

    Alors que l’on parle sans cesse du boom économique chinois, cette situation est une réalité pour des centaines de milliers de Chinois, particulièrement dans les régions rurales beaucoup plus pauvres.

    Des conditions de travail qu’apprécient les multinationales…

    Pour régler cette situation catastrophique, la bourgeoisie a ses solutions. Le ministre du commerce de Suède a par exemple déclaré « Au plus nous commercerons avec la Chine, au plus celle-ci évoluera vers la démocratie ». Cette déclaration est révélatrice de la manière dont les profits des entreprises passent avant toute autre chose dans le système capitaliste. Car les moindres coûts de la Chine sont le résultat d’une exploitation sans précédent : salaires de misère, horaires insoutenables, punitions corporelles, retenues sur salaires,… Mais, à cela, les entreprises étrangères ont leurs réponses. Ainsi, quand H&M est critiquée pour l’exploitation d’enfants en Chine, l’entreprise rétorque : « Ce n’est pas nous, ce sont les sous-traitants ».

    De fait, la Chine développe un labyrinthe de sous-traitants derrière lesquels se cachent les multinationales (comme cela se fait aussi ailleurs, au Bangladesh notamment). Ainsi, alors que les multinationales ont – sous la pression des consommateurs – adopté des clauses éthiques, il ne s’agit en réalité que d’une gigantesque escroquerie destinée à gagner la confiance du marché. Les multinationales disent aussi envoyer régulièrement des inspecteurs vérifier s’il n’y a pas d’enfants au travail ou d’autres abus. Mais tout comme cela se faisait au 19e siècle, les entreprises sont prévenues à l’avance de leur arrivée. L’utilisation de différentes cartes de pointages a aussi été instauré : l’une n’excède pas les huit heures tandis que l’autre compte encore quatre ou cinq heures de plus. Il y a même un système de salaires officiels et officieux, les travailleurs rendant le « surplus » à la sortie. On estime en fait que 60% des entreprises en Chine ne respectent pas la législation.

    Même si une loi est récemment passée instaurant un nouveau salaire minimum, il est très difficile de vérifier l’étendue de son application. Comme la plupart des lois chinoises, celle-ci est plus une ligne de conduite à respecter (ou non) plutôt qu’une véritable loi contraignante. Le plus bas salaire minimum dans une province est de 25 euros par mois, tandis que le bas salaire le plus haut en Chine est de seulement 85 euros par mois. Quant à la couverture sociale, seul un dixième des travailleurs possède une couverture sociale.

    Il y a actuellement quelques 600.000 entreprises étrangères en Chine. En fait, pour tenir le coup face aux concurrents, c’est devenu presque une obligation de s’implanter dans ce pays. L’économie chinoise est ainsi devenue celle qui se développe le plus au monde avec une croissance économique pour cette année de 12%, un record depuis 1995 (ce chiffre est à nuancer, la Chine a déjà connu des croissances beaucoup plus impressionnantes). Il semblerait même que la Chine ait dépassé l’Allemagne sur le plan économique, lui raflant la troisième place dans l’économie mondiale. On peut aujourd’hui comparer l’économie chinoise à une gigantesque locomotive lancée à toute allure et que personne ne sait comment arrêter. La Chine a par exemple construit plus de voitures que les USA l’an dernier alors que la production était quasiment inexistante il y a 10 ans. Selon le Financial Times, sur les 100 plus grandes entreprises au monde, 7 sont françaises, 3 italiennes, 6 japonaises, et 6 chinoises. De même, depuis la privatisation des 4 grandes banques chinoises, 3 d’entre elles sont déjà bien installées dans le top 10 des plus grandes banques du monde tandis que la dernière vient d’y faire sont apparition. Mais bien que le marché intérieur se développe un peu, la Chine est incapable de fournir un milliard de nouveaux consommateurs, contrairement aux désirs de l’Organisation Mondiale du Commerce dont la Chine est membre depuis maintenant 6 ans…

    Une croissance économique au détriment des travailleurs et de leur environnement

    La Chine est l’un des plus grands pollueurs mondiaux. En 2006, elle a émis 8% de gaz carbonique en plus que les USA. D’ici 2020, en terme de production de gaz toxiques (tous confondus), la Chine sera un 2e Etats-Unis. Le gouvernement chinois n’a en fait plus aucun contrôle sur son économie, qui est devenue un jouet aux mains du marché mondial. De plus, le pouvoir central a du mal à se faire respecter par les pouvoirs régionaux. Donc, et ce malgré les déclarations fracassantes du régime, l’évolution prend la forme d’un recul sur la question environnementale. C’est ainsi qu’au bas mot 750.000 personnes meurent chaque année en Chine à cause de la pollution, principalement celle de l’air. L’indice de pollution de l’air à Pékin est deux fois supérieur à celui relevé à Mexico ou à Los Angeles. Pour les enfants, on calculé que cela revenait à fumer 40 cigarettes par jour. Cette situation est similaire dans les deux-tiers des villes chinoises dont l’air est de très mauvaise qualité. Mais le gouvernement ne ménage bien entendu pas ses efforts pour ne pas ébruiter ces informations de crainte de susciter des troubles : il y a déjà eu des centaines de milliers d’actions de protestation concernant uniquement la thématique de l’environnement ces dernières années. Quelques- unes ont même réussi à obtenir des effets positifs. Les slogans utilisés lors de ces actions sont du genre : « Nous ne voulons pas de PIB, nous voulons une vie ».

    Services publics et acquis en déclin

    Il y a aujourd’hui plus de voitures à Pékin qu’à Londres et 1.000 voitures supplémentaires arrivent chaque jour. Le sous-investissement dans les transports en commun, lui, est tout aussi flagrant. A titre de comparaison, on trouve dans une ville comme Shanghai moins de la moitié des transports en commun qui existent dans une ville d’un pays capitaliste développé. Dans 1/3 de la Chine, il n’existe d’ailleurs aucun subside gouvernemental pour les transports en commun alors que, malgré les privatisations, de tels subsides existent encore dans les villes des pays capitalistes.

    Le système de soins de santé a lui aussi beaucoup souffert alors qu’il était un modèle et un exemple dans le monde néo-colonial il y a trente ans. L’espérance de vie de la population était même passée de 39 ans en 1949 à 70 ans en 1969. Mais aujourd’hui, plus de 400 millions de Chinois n’ont pas les moyens de faire appel à un véritable médecin et plus de la moitié des malades n’ont accès à aucun traitement quel qu’il soit. Dans un pays ou plus de 70% de la population rurale n’a pas accès à des sanitaires… Et si les hôpitaux sont encore propriété d’Etat, ils ne reçoivent aucun subside et doivent fonctionner seuls et donc adopter une attitude commerciale pour s’en sortir. Tomber malade est devenu un véritable cauchemar.

    Dans certaines villes, le personnel porte même un gilet pare-balles en prévention de la colère des familles ou des patients mécontents. Un hôpital a par exemple été rasé par 2.000 personnes en réaction à la mort d’un enfant pauvre qui n’avait reçu aucun soin à l’hôpital. Pourtant, un cinquième des réserves en liquidités de l’Etat suffiraient à résoudre le problème des soins de santé. Mais la Chine est obligée d’utiliser cet argent pour investir dans les obligations américaines pour éviter l’inflation. Voilà une absurdité des plus ridicules : l’argent existe, mais on ne peut pas l’utiliser.

    Une situation pareille est d’autant plus infâme qu’elle côtoie des écoles d’élite à 300.000 euros par an où les cours de golf sont obligatoires, pour les enfants de la bureaucratie « communiste » et de la classe capitaliste naissante.

    Un gouvernement à la fois impuissant et complice

    Les luttes entre les régions et le centre sont millénaires en Chine, mais il faut aujourd’hui y ajouter les conflits avec – et entre – les mafias, les relations avec les entreprises et les Etats capitalistes, les querelles au sein de la bureaucratie,… En fait, restaurer l’autorité du gouvernement central de manière administrative est impossible. La seule solution serait de faire appel aux masses, un peu comme lors de la révolution culturelle, mais le régime a bien trop peur, à juste titre, de perdre le contrôle du mouvement.

    La classe ouvrière représente aujourd’hui en Chine 256 millions de personnes. Mais à cause de la répression, elle ne peut développer son propre mouvement. Celle-ci existait déjà du temps de Mao, mais les acquis sociaux en limitaient relativement les effets. En fait, sous la pression de la base, Mao a été forcé d’aller plus loin que ce qu’il imaginait au départ. Malgré tout, une grève démarre toutes les cinq minutes en Chine. Malheureusement, la grande majorité de ces grèves sont spontanées et sans aucune coordination. Dans cette situation, la plupart ne durent au mieux que deux jours. Les syndicats autonomes sont bien sûr interdits en Chine, ce qui représente un avantage et un attrait énorme pour les entreprises étrangères. Ainsi, 480 des 500 plus grandes entreprises au monde possèdent des usines en Chine. L’exemple récent de la ville d’Erlangmaio nous donne une idée de l’autre facette de la médaille. Cette ville de la province centrale de Sichuan est isolée par la police et le gouvernement suite à une grève de deux semaines déclenchée par plus de 3.000 travailleurs du ciment. L’accès au téléphone, à internet et au GSM a même été coupé. Le pouvoir en place a eu la possibilité de faire disparaître une ville entière du système de communication !

    La part de l’économie aux mains de l’Etat diminue sans cesse. Plus de la moitié des entreprises nationales ont disparu : on est passé de 100 millions à 48 millions. La privatisation s’effectue peu à peu, tranche par tranche. A l’origine, c’est sous le « règne » de Deng Xiaoping que se sont développées les enclaves capitalistes au sein de l’économie planifiée. Petit à petit, le reste du pays a suivi. C’est d’ailleurs sur base de ces enclaves qu’a été brisée la règle des huit heures, l’un des acquis de la révolution chinoise.

    Entre 1997 et 1999 seulement, 30 millions de travailleurs ont été licenciés, suite aux privatisations et à la crise financière asiatique de 1997. Mais alors que la Chine connaît actuellement une croissance énorme, les problèmes demeurent et même empirent, et les réactions se développent. Il y a eu de véritables explosions de rage ces 15 dernières années, et le nombre d’« incidents de masse » (selon la terminologie gouvernementale) est passé de 9.300 en 1990 à 87.000 en 2005. Il semblerait que ce chiffre ait ensuite un peu baissé, mais il est terriblement difficile de savoir exactement ce qui se déroule là-bas, le gouvernement faisant tout son possible pour masquer l’ampleur de la contestation, agissant ainsi dans ce domaine de la même manière qu’avec les données sur l’environnement. Toutefois, l’ampleur de ces actions a elle aussi augmenté et il n’est pas rare qu’elles impliquent des dizaines de millier de personnes. Les protestations se basent principalement sur des revendications liées aux salaires et conditions de travail, à l’écologie et enfin aux expropriations. En fait, la moitié des conflits en zone rurales sont dus à des questions liées à la terre. L’abolition des taxes sur les produits agricoles fait partie des petites mesures destinées à calmer le jeu autrement qu’en utilisant uniquement la répression.

    En 2008, les Jeux Olympiques se dérouleront en Chine et on peut faire un parallèle avec la Corée du Sud où s’étaient tenus les jeux en 1998. Cet événement avait mené à l’époque à des protestations massives contre le régime militaire en place. Le même potentiel existe actuellement en Chine et pourrait devenir un point de cristallisation du mécontentement.

    En fait, même parmi la classe moyenne – qui vit mieux qu’il y a 10 ans – le sentiment que la société ne va pas dans la bonne direction s’est répandu. L’ampleur du mécontentement ouvre la voie au développement de sectes religieuses diverses ainsi qu’au Kuomintang, l’ancien parti bourgeois nationaliste qui s’est réfugié avec ses dirigeants à Taiwan après la victoire de Mao en 1949. Ce parti réactionnaire a reconstruit des cellules clandestines en Chine. Peut être le PCC sera-t-il amené à créer lui-même sa propre opposition en se scindant pour servir de soupape de pression.

    De fait l’orientation actuelle du Parti Communiste Chinois est étrange. On a ainsi pu lire récemment dans le China Daily, organe du PCC, un article fustigeant le processus qui se développe en ce moment en Amérique Latine : « Quand certains régimes en Amérique Latine imposent de force plus de justice sociale, cela augmente la dette et crée des désordres économiques ».

    Où va la Chine ?

    La Chine se dirige de plus en plus vers le capitalisme et un retour au stalinisme est devenu impossible, même s’il subsiste encore des ruines et des vestiges de cette tradition. Le processus de restauration du capitalisme est avancé et organisé par l’Etat. Cela peut paraître contradictoire au premier abord mais la bourgeoisie naissante n’a pas intérêt à essayer de modifier de suite ce processus, faute de disposer d‘un autre moyen de maintenir la cohésion du pays et de contenir l’agitation sociale. Il n’y a plus rien dans cet Etat corrompu qui puisse lutter contre la place grandissante laissée au capitalisme dans le pays. Comme Trotsky l’a expliqué : « Des restes d’anciens régimes ne sont pas des facteurs dominants en général, même si l’on doit les prendre en compte ». La Chine combine aujourd’hui le pire du stalinisme et du capitalisme sans élément positif ni de l’un, ni de l’autre. Et ce phénomène se répand, en Afrique notamment, à travers les entreprises chinoises.

    Il est extrêmement difficile de pronostiquer ce qui peut arriver. Si la croissance économique continue au rythme actuel pendant quelques années encore (ce qui est le scénario le moins probable), la classe capitaliste naissante va entrer de plus en plus en conflit avec la bureaucratie. Mais si une crise économique se développe au niveau mondial (sur base des rapports entre la production chinoise et la consommation américaine), alors elle touchera également la Chine et renforcera l’élément bureaucratique au sein de la société. Ce ne serait finalement qu’une déformation de la tendance au protectionnisme que l’on trouverait alors ailleurs. Mais la bureaucratie sera incapable de contrôler éternellement le développement de la situation. Le processus actuel n’est pas un choix de sa part, elle est obligée de continuer sur cette voie qu’elle ne maîtrise que fort partiellement.

    La question fondamentale n’est cependant pas de savoir si la Chine est déjà capitaliste ou pas et, si non, quand elle le sera. La question cruciale est de savoir comment les masses vont réagir face aux changements. Cependant, sans connaître exactement le niveau de conscience des masses, répondre à cette question est difficile. Dans un premier temps, c’est probablement un Etat démocratique bourgeois que réclameront les masses qui s’éveillent et la réaction de l’Etat et des différentes tendances et niveau de la bureaucratie à ce moment seront déterminants. Sans compter que le problème des nationalités gagne en importance et qu’il n’est pas impossible de voir des sécessions se produire.

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