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Tag: Rwanda
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Nouveau livre des éditions Marxisme.be : 1994, génocide au Rwanda. Une analyse marxiste

Photographies de victimes du génocide au Centre du mémorial du génocide à Kigali Gisozi (Rwanda). Wikipédia Comment le capitalisme a engendré la barbarie dans la région des Grands Lacs
En 1994, un événement d’une horreur inouïe et historique a eu lieu au Rwanda : le génocide des Batutsi et le massacre des Bahutu modérés. Cet événement qui fut médiatisé sidéra le monde entier. La barbarie à l’échelle industrielle entraina la mort de 800.000 à 1.000.000 de personnes en trois petits mois. 25 ans plus tard, c’est l’occasion de revenir sur les causes et les conséquences de ce massacre pour le Rwanda et toute la région.Plus jamais ça !
C’est la réaction immédiate de toute personne prenant connaissance de cette folie meurtrière. Vient ensuite le temps de l’analyse. Cet ouvrage tente notamment d’expliquer le type de société qui a permis à ces funestes événements d’avoir lieu. Beaucoup de choses ont été écrites et dites sur le sujet. À la différence de beaucoup d’autres analyses, la méthode marxiste se base sur la division en classes de la société et du système de production capitaliste et ses contradictions, pour tenter de comprendre comment la société rwandaise a pu sombrer dans le génocide.
Comprendre le monde pour le changer, telle est la devise des marxistes. À contre-courant des analyses réductrices, racistes ou malthusiennes, ce livre veut être une contribution à l’élaboration d’un programme qui répond aux besoins socio-économiques dans la région, pour en finir définitivement avec les divisions sectaires, l’exploitation de l’Humain et de la nature par une minorité.
ALAIN MANDIKI est un militant syndical et politique, actif au sein du Parti Socialiste de Lutte / Linkse Socialistische Partij (PSL/LSP) en Belgique. Originaire du Kivu, il est notamment l’auteur de nombreuses analyses concernant l’Afrique, particulièrement la République démocratique du Congo. Il s’agit du premier livre concernant l’Afrique – et en particulier subsaharienne – publié par les éditions marxisme.be.Le livre coûte 4€ (+3€ de frais de port, en cas de livraison)- Commandez ce livre avec notre formulaire en ligne !
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25 ans du génocide au Rwanda (5). Les contradictions actuelles du Rwanda et la réponse des marxistes

Kagame. Photo de Wikimedia Comment le capitalisme a engendré la barbarie dans la région des Grands Lacs (Cinquième partie)
Il y a 25 ans, un événement historique d’une horreur inouïe a eu lieu en Afrique de l’Est : le génocide des Tutsis et le massacre des Hutus modérés. Cet événement qui fut médiatisé sidéra le monde entier. La barbarie à l’échelle industrielle entraina la mort de 800.000 à 1.000.000 personnes en 3 petits mois. 25 ans plus tard, c’est l’occasion de revenir sur les causes et les conséquences de ce massacre pour le Rwanda et toute la région. Nous publions cette analyse en plusieurs parties, de la période précédant la colonisation à la situation actuelle, en passant par la colonisation, la décolonisation et la période du génocide elle-même. Place maintenant à la dernière partie.
Par Alain Mandiki
- 25 ans du génocide au Rwanda (1) – Le Rwanda avant la colonisation
- 25 ans du génocide au Rwanda (2) – La colonisation et la décolonisation du Rwanda
- 25 ans du génocide au Rwanda (3) – La Deuxième République, la guerre civile et le génocide de 1994
- 25 ans du génocide au Rwanda (4) – Le rôle de l’impérialisme et la situation post-génocide
Le Rwanda post-génocide voit l’arrivée au pouvoir du Front patriotique rwandais (FPR). Afin de maintenir la stabilité de son régime, le FPR lutta contre les divisions ethniques héritées de l’ancien régime. La mention de l’ethnie fut retirée de la carte d’identité, les écoles furent ouvertes à tous et les orphelins furent dispensés de minerval. Mais les contradictions du régime capitaliste ont rendu bancale la reconstruction de la société. L’aide internationale n’est pas arrivée jusqu’aux victimes dans les villes et villages. La mémoire politique du génocide a été confisquée par le régime. D’une part pour faire taire toute opposition en interne et d’autre part pour discréditer la communauté internationale lorsque celle-ci se met en tête de critiquer le régime : celui-ci peut à tout moment agiter le spectre de l’implication impérialiste ou de l’inaction d’autres durant le génocide.
La détribalisation de la société n’a pas abouti à un partage démocratique du pouvoir. En fait, de nouvelles contradictions ont émergé. Les batutsi autour de Kagame qui avaient émigré en Ouganda ont repris le pouvoir. Et afin d’établir leur pouvoir sur une autre base que l’ethnisme, ils ont transformé la société. Cela a abouti en 2009 à l’adhésion du pays au Commonwealth (1). Alors que la langue parlée par la majorité des rwandais, outre le kinyarwanda, était le français, tout a été fait pour que l’anglais devienne la langue de l’enseignement supérieur et de l’administration. Cela a permis de favoriser les réfugiés tutsi anglophones proches du régime.
Paul Kagame, l’homme fort du Rwanda
Directement après la fin du génocide, sur base des accords d’Arusha, un gouvernement d’union nationale est créé autour du président Pasteur Bizimungu (2), avec Faustin Twagiramungu (3) comme Premier ministre et Paul Kagame comme ministre de la défense et vice-président. Malgré ce soi-disant partage du pouvoir, c’est bien le FPR et Kagame qui tenait les rênes. En 2000, après la démission de Pasteur Bizimungu, Kagame deviendra président de la république.
Paul Kagame est, depuis, le dirigeant inamovible du Rwanda. Il a réussi à stabiliser le nouveau régime et à s’attirer les bonnes grâces des dirigeants états-uniens, canadiens et britanniques dans un premier temps. Cela lui a permis de bénéficier de l’afflux d’investissements directs étrangers mais aussi de fonds d’aide au développement colossaux. Kagame a réussi à se présenter comme “l’homme de la situation”. Il a réussi à donner une image d’un Rwanda moderne et réconcilié : la parité hommes-femmes est respectée à la Chambre des députés ; la lutte contre la corruption est intraitable, surtout contre les ennemis du régime ; la capitale Kigali est bien entretenue et sécurisée ; la lutte contre les déchets et l’interdiction du plastique datent de 2004 (4).
Ce statut d’homme fort, Paul Kagame le doit aussi et surtout à la manière dont il traite toute opposition. Il n’hésite pas à liquider ses opposants au Rwanda même, mais aussi à l’extérieur du pays et notamment en Afrique du Sud où se sont réfugiés une partie des récents opposants à son régime (5). Une journaliste canadienne a dû être placée sous la protection de la Sûreté de l’État belge car elle était menacée par des mercenaires rwandais pour ses enquêtes (6). Après l’accession de Kagame à la présidence de la République, l’ancien président Bizimungu sera emprisonné par le régime entre 2004 et 2007 “pour considérations politiques” et ne devra sa libération qu’à une grâce présidentielle (7). L’ancien Premier ministre Twagiramungu deviendra lui aussi un opposant au régime, dont il dénoncera l’hégémonie du “parti unique FPR” (8). Cette hégémonie, Kagame a su manœuvrer pour la construire, comme en témoigne la modification de la Constitution en 2015, basée sur un référendum largement remporté par le régime. Cela lui a permis de se présenter aux élections présidentielles au-delà des deux mandats jusqu’alors autorisés, qui allaient se terminer en 2017. Dès lors, s’il est élu, Kagame pourra ainsi rester à la fonction suprême jusqu’en 2034, après cinq mandats consécutifs… (9)
La manière dont Kagame a stabilisé le régime est aussi parlante. Afin que les ex-génocidaires ne reprennent pas pieds au Rwanda, le FPR a été mener la guerre au Congo voisin en appuyant le changement de régime lors de la chute de Mobutu en 1997. Prenant pieds dans l’Est du Congo, il a profité de sa situation militaire pour exploiter les minerais et les terres congolaises, avec les multinationales états-uniennes, britanniques et canadiennes. Cela a contribué aux deux guerres dans l’Est du Congo et aux massacres qui y ont pris place. Cela a aussi contribué à la déstabilisation de l’ensemble de la région dont l’Ouganda et le Rwanda se disputent l’hégémonie (10).
Le Rwanda, élève modèle du FMI
Grâce à la stabilité retrouvée et au développement économique, le Rwanda est considéré actuellement comme l’élève modèle du Fonds monétaire international (FMI), ce qui se solde par des lignes de crédit qui sont renouvelées pour le pays (11). Les chiffres de l’économie Rwandaises impressionnent, avec un taux de croissance à 7% sur base annuelle. Le Rwanda de Kagame sait très bien vendre son image et arrive même à investir dans le “softpower”, par exemple en achetant un encart publicitaire sur la manche du maillot de l’Arsenal Football Club (12).
Mais cela ne doit pas masquer les contradictions qui dorment sous la surface de l’économie rwandaise. Il est vrai que le Rwanda a connu en 2018 une croissance du PIB de 8,6% et près de 8% en moyenne depuis le début du siècle, selon les chiffres du FMI. Il s’agit d’une croissance élevée, en partie due à un phénomène de rattrapage, après des années de difficultés profondes. Mais c’est aussi une croissance stimulée par de gros investissements étrangers, et par l’exploitation des “minerais du sang” dans l’Est du Congo (13). Il faut en outre nuancer : en 2018, le PIB du pays était de 9,5 milliards de dollars pour une population de plus de 12 millions d’habitants, ce qui pousse le PIB par habitant à près de 800 dollars par personne, et donc un revenu d’environ 2,2 dollars par jour (14). Et ce n’est qu’une moyenne, calculée mécaniquement. On le voit : tout reste à faire, d’autant plus que la répartition des richesses reste fondamentalement inégalitaire.
Il y a eu tout un tas de discussions sur la réduction de la pauvreté constatée sous le régime Kagame. En août 2019, le Financial Times annonçait que le Rwanda avait en 2015, année de modification constitutionnelle, manipulé ses statistiques sur la pauvreté (15). Et les chiffres récents tendent à penser que les inégalités ne se sont pas réduites, mais ont augmentées. Il semble même que l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) ait dû procéder à des distributions alimentaires dans certaines régions du pays afin d’éviter la famine (16). 37% des enfants Rwandais souffrent de malnutritions chroniques. Dans les campagnes, la “révolution verte” préconisée par le FMI se révèle être catastrophique (17). 70% des parcelles sont de moins de 1 hectare (18), ce qui ne permet pas d’assurer la subsistance d’une famille.
Cela illustre un processus de morcellement des terres qui ne fait que s’accroitre au fil de l’évolution du nombre de la population. Les contradictions de la propriété privée sur les terres agissent dans les deux sens : d’une part la concentration et d’autre part le morcellement. La combinaison des deux processus entraîne des conflits fonciers qui augmentent les tensions parmi la population rurale.
D’un autre côté, on assiste à une urbanisation importante de la société. Le phénomène a été jusqu’ici sous-évalué. Il semble que la part de la population urbaine soit de 26,5% en 2015, contre 15,8% en 2002 (19).
Quelle couche sociale et quel système pour régler les contradictions ?
On le voit, les contradictions sociales n’ont pas disparu dans la société rwandaise. Le nouveau régime ne peut pas jouer sur les questions “ethniques” pour maintenir son pouvoir, comme cela a pu être fait auparavant. Le régime d’Habyarimana basait sa légitimité sur le fait qu’il représentait le “peuple majoritaire hutu”. Cette division ethnique de la société avait pour but d’écarter les batutsi des postes de pouvoir sans répondre réellement aux critères de représentations démocratiques de base. Le régime de Kagame, qui est issu des couches aristocratiques d’ancien régime, n’a aucun intérêt à reprendre ces théories pour se maintenir.
L’embrigadement de la population dans la haine ethnique ne semble pas être à l’ordre du jour au Rwanda. Cela ne veut pas dire que cette question est réglée à tout jamais. L’ancien régime de Habyarimana a été vaincu mais pas éliminé. Grâce au soutien militaire de la France et du régime de Mobutu, ils se sont installés dans l’Est du Congo. Ils sont encore organisés, principalement au sein des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), et disposent de ressources importantes via l’exploitation des minerais tels que coltan, wolframite et tungstène. Au Rwanda, à court terme, le risque de retourner dans les conflits ethniques est faible mais, sur base des contradictions de la société rwandaise et de l’ensemble de la région, il ne peut être écarté. Les FDLR sont une des sources de déstabilisation dans la région. Pour les affaiblir, la nationalisation et le contrôle démocratique des richesses minières par la majorité sociale est la seule alternative.
Nous pensons tout de même qu’une catastrophe de l’ampleur de 1994 n’est pas le scénario le plus probable à court terme, dans le Rwanda d’aujourd’hui. D’une part parce que les rapports de forces actuels ne le permettent pas, d’autre part parce qu’après le génocide de 1994, les bourgeoisies nationales et internationales ne permettront pas de jeter leur autorité aux abîmes comme ce fut le cas en 1994. Néanmoins, des contradictions sont toujours présentes sous la stabilité affichée en surface. Les conflits fonciers font rage dans toute la région : au Rwanda, au Burundi, au Congo dans la province d’Ituri et en Ouganda. Cela sur fond d’inégalités sociales et de maintien de régimes dictatoriaux. Dans ce genre de situation, les forces centrifuges et les divisions sur bases ethniques peuvent trouver un terreau fertile.
Reste les deux questions essentielles : quelle couche sociale peut faire face à la situation, et avec quel programme ? Il faut bien sûr placer ceci dans le contexte de nouvelles vagues de crises économiques sur le plan mondial. Dans une récente étude sur la désindustrialisation dans le monde néocolonial, le Centre tricontinental (CETRI) (20) nous livre quelques éléments de réflexion intéressants : « (…) la part de l’industrie dans l’emploi global comme dans le revenu national commence à diminuer à des niveaux de revenu par habitant beaucoup plus bas que pour les pays riches : 700 dollars par habitant en Afrique ou en Inde, contre 14 000 dollars en Europe occidentale. (…) « de nombreux pays, sans être sortis d’un sous-développement industriel, deviennent des économies de services bas de gamme ou de qualité moyenne à faible productivité, via l’explosion des activités dites informelles »” (21).
Les auteurs poursuivent, dans la préface de leur analyse, concernant les conséquences de cette désindustrialisation au niveau social et démocratique : “Donc oui, la désindustrialisation précoce apparaît à nos auteurs comme une évolution négative (…). Au-delà des considérations économiques (…), le « développement » sans industrie présente généralement des caractéristiques régressives sur les plans social, démocratique et environnemental. (…) Le travail dans les manufactures est par ailleurs plus propice au développement du syndicalisme et de la capacité d’action collective des secteurs populaires face aux oligarchies économiques et politiques.” (22).
Ces conclusions sont très importantes pour la présente discussion car elles tirent des leçons politiques sérieuses :
- La crise mondiale du capitalisme est liée au fait qu’il a cessé de développer les forces productives de l’humanité. Empêtré dans ses contradictions, il continue d’exploiter de manière délétère les deux seules sources de richesse : le travail humain et la nature.
- Sous le capitalisme, les régions qui sont sous-développées en terme industriel ne pourront pas arriver à établir des régimes politiques où les normes démocratiques de bases sont respectées. Dans beaucoup de pays en Afrique, des élections sont organisées de manières régulières. Ces périodes sont souvent des périodes d’instabilités et le fait même d’organiser le scrutin est une victoire du mouvement social. Mais l’organisation d’élections à elle seule ne garantit pas forcément la démocratie. En fait, seule la maîtrise de la politique économique peut garantir une réelle démocratie. Comment peut-on parler de démocratie dans une zone où l’accès à l’eau, l’alimentation, l’électricité, le logement et la formation n’est pas garanti. Pour arriver à réaliser cela, le mouvement social doit pouvoir s’organiser et mener des actions collectives. Beaucoup de droits démocratiques de base manquent dans les pays néocoloniaux : liberté d’opinion, liberté de presse, droit d’association, droit de mener des actions collectives, reconnaissance du fait syndical, inviolabilité du domicile, droit à ne pas être détenu sans motif, droit à un procès équitable. Cela entrave la capacité de résistance et d’action collective.
- Seule la classe ayant un caractère ouvrier constitue la couche capable de répondre à ces défis. Elle peut le faire du fait de sa position dans le système de production. Le mouvement ouvrier ne possède pas de capital et, pour survivre, ne peut que vendre sa force de travail à des propriétaires de capitaux qui en retirent une plus-value. La position unique occupée par les ouvriers dans la chaîne de production leur confère la capacité de bloquer le processus de production lors d’un bras de fer avec leur patron ou avec les autorités. En partageant cette condition commune d’exploitation et cette capacité d’impact sur l’économie, les prolétaires développent des pratiques de solidarité et de luttes collectives contre leur exploitation. En Angleterre, à partir de 1830, le mouvement “chartiste” mettait en avant des revendications démocratiques pour résoudre les problèmes socio-économiques auxquels la classe ouvrière faisait face. La bourgeoisie a durement réprimé ces mouvements, révélant ainsi son caractère anti-démocratique. C’est aussi une leçon qui illustre que les revendications socio-économiques et démocratiques sont inextricablement liées. C’est sur base de ce genre d’expériences que la théorie et le programme socialiste ce sont développés.
- Concernant la nature, la désindustrialisation entraîne une re-primarisation de l’économie qui a des conséquences économiques et écologiques tragiques. La position de l’Afrique dans la chaîne de valeur mondiale en fait une zone qui produit des matières premières et se base surtout sur le secteur primaire. Ce sont des secteurs tels que le pétrole, les mines, l’agriculture qui sont exploités de manière capitaliste, c’est-à-dire sans vision à long terme et de manière prédatrice sur l’environnement. Le but est de générer des profits en vendant les matières premières aux bourgeoisies des pays capitalistes avancés qui vont tirer la plus grande partie de la plus-value. Les exemples actuels les plus tragiques concernent la déforestation et les feux de forêts. La concentration des terres agricoles productives dans ce secteur et le morcellement des terres entraîne une pression énorme sur le foncier. Cela conduit à une déforestation qui se fait sur base d’abattis-brûlis, une méthode agricole qui, dans ce contexte, se révèle tragique pour l’environnement. Afin de répondre aux besoins sociaux, il faudrait un plan d’investissement et de production qui nécessite une infrastructure industrielle, quoiqu’en pensent certains écologistes qui aujourd’hui se prononcent contre ce genre d’approche.
Les tâches du mouvement ouvrier et des socialistes
Une partie du mouvement ouvrier essaye de maintenir les leçons de l’expérience des luttes collectives. La théorie socialiste, qui est le résumé de 200 ans de luttes de la classe ouvrière contre son exploitation, est riche d’enseignement pour tout qui cherche des alternatives au régime capitaliste. Malgré les bonnes conclusions des auteurs précédemment cités, force est de constater qu’elles ne vont pas assez loin. En effet, quel est l’intérêt pour la bourgeoisie locale au Rwanda et dans la région de développer un secteur d’activité économique qui sera son propre fossoyeur, si ce n’est qu’elle soit poussée par la concurrence ?
On se retrouve en fait à l’étape de la discussion dans laquelle se sont retrouvés les militants du mouvement ouvrier socialiste en Russie avant la révolution de 1917. Pour la plupart des marxistes à cette époque, la révolution ouvrière en Russie n’était pas possible du fait de l’arriération économique du pays. La révolution devait “obligatoirement” débuter dans un pays industriellement avancé. Une révolution bourgeoise devait “obligatoirement” avoir lieu au préalable en Russie, pour accomplir les tâches nécessaires afin de pouvoir réaliser le développement des forces productives qui installent les bases d’une future société socialiste.
Trotsky avait répondu à cela dès 1905 avec sa théorie de la “révolution permanente” (23). Au niveau international, les conditions sont mûres pour une révolution socialiste. Le mouvement ouvrier dans les pays arriérés industriellement doit donc prendre sur ses épaules les tâches “bourgeoises” et “ouvrières” de la révolution, dans le même mouvement. Mais ce type de révolution ne peut réussir que si elle commence sur l’arène nationale et se termine sur l’arène internationale. Pour ce faire, la classe des travailleurs et des opprimés a besoin de partis ouvriers organisés nationalement mais aussi internationalement, pour l’aider dans sa prise de pouvoir.
Le développement d’une classe ouvrière jeune et urbaine au Rwanda est une opportunité qu’il faut saisir pour construire ce genre d’organisation de classe dans la région. Évidemment ce processus de construction de forces révolutionnaires n’est pas linéaire et dépend dans une certaine mesure de la préexistence de forces révolutionnaires qui se donnent ces tâches et se construisent elles-mêmes. C’est dans ce sens que le PSL, avec son organisation internationale, veut contribuer à la lutte dans la région.
Notes :
(1) http://www.rfi.fr/contenu/20091129-le-rwanda-le-commonwealth.
(2) Membre du FPR. Son oncle, colonel des Forces armées rwandaises (FAR), avait été assassiné par le régime Habyarimana suite à des luttes de fractions.
(3) Membre du Mouvement démocratique républicain (MDR) et beau-fils du président de la première République Grégoire Kayibanda, qui avait été déposé par le régime de Habyarimana.
(4) https://www.nouvelobs.com/planete/20180525.OBS7239/comment-le-rwanda-est-devenu-le-premier-pays-d-afrique-a-se-debarrasser-du-plastique.html.
(5) https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/01/21/assassinat-de-l-ex-chef-des-renseignements-rwandais-des-liens-entre-les-suspects-et-kigali_5412364_3212.html.
(6) https://www.rtl.be/info/monde/international/menacee-par-des-agents-rwandais-une-journaliste-canadienne-a-beneficie-de-la-protection-de-la-surete-de-l-etat-en-belgique-745142.aspx.
(7) https://www.lemonde.fr/afrique/article/2007/04/06/l-ancien-president-rwandais-pasteur-bizimungu-a-ete-libere_892928_3212.html.
(8) https://www.jeuneafrique.com/58929/archives-thematique/faustin-twagiramungu/.
(9) https://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/12/19/le-rwanda-vote-la-revision-de-la-constitution-permettant-un-nouveau-mandat-pour-kagame_4835071_3212.html.
(10) https://www.liberation.fr/planete/2000/07/21/kisangani-ville-martyre-de-l-occupation-etrangere_330760.
(11) https://afrique.latribune.fr/economie/conjoncture/2017-01-09/le-rwanda-eleve-modele-selon-le-fmi.html.
(12) https://www.jeuneafrique.com/563591/politique/polemique-sur-le-sponsoring-darsenal-par-le-rwanda-londres-reagit/.
(13) “En 2010, les exportations d’or, de coltan et de cassitérite par le Rwanda ont atteint plus de 30 % de ses exportations, derrière le thé et le café. Le Rwanda ne possède pourtant ces minerais qu’en infime quantité.” Lu dans : https://www.lepoint.fr/monde/les-minerais-du-sang-passent-par-le-rwanda-05-01-2011-126866_24.php. A lire également : https://www.franceinter.fr/emissions/geopolitique/geopolitique-03-aout-2018.
(14) https://donnees.banquemondiale.org/pays/rwanda.
(15) Financial Times, “Rwanda: where even poverty data must toe Kagame’s line”, 12/08/2019, https://www.ft.com/content/683047ac-b857-11e9-96bd-8e884d3ea203. A lire en français sur : https://www.france24.com/fr/20190813-rwanda-manipulation-statistiques-pauvrete-economiques-financial-times?fbclid=IwAR1NgeOeX7g9Kfyx_c5MRQv3LFLLekbQ8HgSBskNESgHWpJE83h0cFVZnU0&ref=fb_i.
(16) http://www.rfi.fr/afrique/20180606-miracle-mirage-rwandais-chiffres-economie-pauvrete-kagame.
(17) https://www.alimenterre.org/rwanda-bilan-mitige-pour-la-revolution-verte.
(18) https://www.lemonde.fr/afrique/article/2018/06/14/au-rwanda-une-revolution-verte-a-marche-forcee_5315138_3212.html.
(19) https://www.banquemondiale.org/fr/country/rwanda/publication/leveraging-urbanization-for-rwandas-economic-transformation.
(20) Fondé en 1976 et basé à Louvain-la-Neuve (Belgique), le Centre tricontinental est un “centre d’étude, de publication, de documentation et d’éducation permanente sur le développement et les rapports Nord-Sud” (cetri.be).
(21) CETRI, “Quêtes d’industrialisation au Sud”, coll. Industrialisation – Alternatives Sud, coord. François Polet, XXVI – 2019 n°2, 06/2019, p. 9.
(22) Idem, p. 11.
(23) “(…) 2. Pour les pays à développement bourgeois retardataire et, en particulier pour les pays coloniaux et semi-coloniaux, la théorie de la révolution permanente signifie que la solution véritable et complète de leurs tâches démocratiques et de libération nationale ne peut être que la dictature du prolétariat, qui prend la tête de la nation opprimée, avant tout de ses masses paysannes. (…) 10. La révolution socialiste ne peut être achevée dans les limites nationales. Une des causes essentielles de la crise de la société bourgeoise vient de ce que les forces productives qu’elle a créées tendent à sortir du cadre de l’Etat national. D’où les guerres impérialistes d’une part, et l’utopie des Etats-Unis bourgeois d’Europe d’autre part. La révolution socialiste commence sur le terrain national, se développe sur l’arène internationale et s’achève sur l’arène mondiale. Ainsi la révolution socialiste devient permanente au sens nouveau et le plus large du terme: elle ne s’achève que dans le triomphe définitif de la nouvelle société sur toute notre planète. (…)” Dans : Léon Trotsky, La révolution permanente, “Qu’est-ce que la révolution permanente (thèses)”. A lire sur : https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/revperm/rp10.html. -
25 ans du génocide au Rwanda (4). Le rôle de l’impérialisme et la situation post-génocide

Bureaux du Tribunal pénal international pour le Rwanda à Arusha Comment le capitalisme a engendré la barbarie dans la région des Grands Lacs (Quatrième partie)
Il y a 25 ans, un événement historique d’une horreur inouïe a eu lieu en Afrique de l’Est : le génocide des Tutsis et le massacre des Hutus modérés. Cet événement qui fut médiatisé sidéra le monde entier. La barbarie à l’échelle industrielle entraina la mort de 800.000 à 1.000.000 personnes en 3 petits mois. 25 ans plus tard, c’est l’occasion de revenir sur les causes et les conséquences de ce massacre pour le Rwanda et toute la région. Nous publions cette analyse en plusieurs parties, de la période précédant la colonisation à la situation actuelle, en passant par la colonisation, la décolonisation et la période du génocide elle-même.
Par Alain Mandiki
- 25 ans du génocide au Rwanda (1) – Le Rwanda avant la colonisation
- 25 ans du génocide au Rwanda (2) – La colonisation et la décolonisation du Rwanda
- 25 ans du génocide au Rwanda (3) – La Deuxième République, la guerre civile et le génocide de 1994
Impérialisme = barbarie
En 2011, un mouvement révolutionnaire a parcouru l’Afrique du Nord et le Moyen Orient. Les difficultés dans le processus ont conduit une partie de l’opinion publique européenne à soutenir des interventions “humanitaires”, notamment en Libye. L’illusion répandue et entretenue alors était que nos Etats avaient un rôle à jouer pour faire advenir la démocratie et le progrès social dans ces régions. Dans les sondages d’opinions de l’époque, une grande majorité soutenait le fait que les pays occidentaux devaient intervenir pour protéger la ville de Benghazi de la répression sanglante de Kadhafi. Une majorité de la social-démocratie et des verts, ainsi que des figures de gauche comme Jean-Luc Mélenchon, se sont rangés derrière une intervention à l’initiative de la France. Même une partie de la gauche marxiste révolutionnaire a abandonné la position internationaliste pour soutenir une intervention impérialiste.
Aujourd’hui, la Libye est enfoncée dans la guerre civile et la France, contre l’avis même de l’Union Européenne, soutient le général Haftar, un seigneur de guerre barbare, pour défendre ses propres intérêts. La Libye est, dans les faits, démantelée. Et ce n’est pas seulement elle qui est en proie aux forces centrifuges, mais même l’ensemble du Sahel qui a été déstructuré par ces interventions impérialistes. Des groupes terroristes comme AQMI (1) ont créé le chaos pour la population. L’Union européenne, quant à elle, est touchée par la vague de migration issue de la région. Et en son sein, l’incapacité des politiques néolibérales à régler la question de l’accueil de ces réfugiés est instrumentalisée par les populistes de droite et d’extrême droite.
De manière générale, les aspects humanitaires d’une opération militaire ne sont que de la poudre aux yeux qui masquent le calcul froid et brutal des intérêts d’une petite minorité qui a le pouvoir. La lutte des classes ne se pose pas comme une question morale, mais comme un rapport de force. L’impérialisme ne se soucie pas de la vie humaine ou de la nature. Il se soucie de son approvisionnement, de ses débouchés, de ses zones d’influences et, en dernière analyse, de son taux de profit. Et, cela, quel que soit le coût pour l’humanité et la nature. Pour s’en convaincre, l’étude du génocide rwandais est un cas d’école.
Au Rwanda, l’impérialisme français a subi une énorme défaite. Mais ça n’a pas été une défaite sans combattre. L’impérialisme a fait tout ce qu’il pouvait pour protéger ses relais sur place. Avant d’entrer en détail dans le développement, il est important de rappeler que si l’impérialisme français a joué un rôle réactionnaire dans ce cas, cela ne veut pas dire que les impérialismes américain et britannique y ont joué un rôle progressiste. Ils avaient juste des intérêts contradictoires. Dans la même période, l’impérialisme américain a notamment mené l’opération Tempête du désert qui sera le prélude à la déstructuration de l’ensemble de la région du Golfe Persique après 10 ans de guerre Iran-Irak. De plus, suite à l’installation du régime de Kagame au Rwanda et la déstabilisation de l’ensemble de la région suivront les deux guerres du Congo (2). Celles-ci verront mourir plusieurs millions de personnes avec notamment le phénomène de viols de guerre massifs. Les USA n’ont pas voulu participer directement à la mission de l’ONU après l’échec de l’opération “Restore Hope” de la Force d’intervention unifiée (UNITAF) en Somalie.
Le “nouveau Fachoda” : de la Françafrique au Commonwealth
Les faits datent de 25 ans, mais ça n’est que depuis récemment que du matériel commence à s’accumuler et que certaines langues commencent à se délier. Cela permet de se faire une idée de l’implication de l’Etat français dans la guerre civile et le génocide. Mais énormément de travail reste à faire, dont l’essentiel : se débarrasser de ce système d’exploitation capitaliste qui, pour couvrir ses crimes, travestit la vérité. L’armée française a son honneur couvert de sang par le génocide de 1994. Plusieurs journalistes et militaires en témoignent, comme le lieutenant-colonel Guillaume Ancel qui a récemment sorti un livre, le général Jean Varret qui avait dès les années ’90 avertit sa hiérarchie que les extrémistes du régime voulaient “liquider” les Batutsi, le journaliste Jacques Morel qui a déclaré que “la France a couvé le génocide comme une poule couve ses poussins” (3). Pour avoir une idée de l’implication générale de la France, les documentaires “Rwanda, chronique d’un génocide annoncé” (3) et “Tuez-les tous !” (4) sont à conseiller.
En 1990, la France a envoyé un millier soldats sur place pour former, armer et même commander certaines unités opérationnelles des Forces armées rwandaises. Le but étant de maintenir en place un régime avec lequel la coopération avait débuté dès 1973. Jusqu’au bout, l’armée française jouera sa carte. La mission des Nations Unies pour le Rwanda (la MINUAR), avec à sa tête le canadien Roméo Dallaire, avait pour mission de faire tampon entre les deux camps soutenus par des Etats impérialistes différents. Celle-ci avait averti des mois auparavant de la préparation imminente d’un génocide sur base d’informateurs au sein des milices interahamwe (5). Mais, dès que la situation d’affrontement entre les deux factions en présence est montée à son point critique avec l’assassinat de 10 casques bleus belges, la MINUAR s’est retrouvée bloquée par les contradictions de son mandat, laissant le rapport de force déterminer quelle faction l’emportera et la population aux mains des génocidaires. En juin 1994, la France lançait sa fameuse “opération Turquoise”, dont faisait notamment partie l’actuel chef d’Etat-major des armées françaises, le général Lecointre. Selon Ancel et d’autres, cette opération militaire française, conçue à la base comme une tentative de sauver in extremis le régime, s’est mué en opération humanitaire face à la médiatisation du massacre et la déliquescence du régime. Cependant, l’armée française a exfiltré tous les hauts dignitaires et responsables vers le Congo voisin (6).
Certains en tirent la conclusion qu’il faut donner plus de pouvoir aux institutions supranationales et sont, du coup, pour un monde multilatéral et multipolaire. C’est une illusion complète. Quand les puissances impérialistes jugent dans leur intérêt d’adopter une approche multilatérale, elles le font. Si cela contrarie leur intérêt, ils passent outre. L’exemple de la Libye est très parlant. Et si vraiment les institutions supranationales gênent et que les intérêts sont jugés comme étant de vie ou de mort par les puissances impérialistes, alors, s’il faut les sacrifier, elles n’hésitent pas non plus. La récente relance de l’enquête sur la mort de Dag Hammarskjöld en route vers le Congo illustre ce point (7).
Déchirée par le génocide, une société à reconstruire
Malgré le soutien de l’impérialisme français, le régime de Habyarimina a perdu la guerre civile. La victoire du FPR a permis de mettre fin au génocide des Batutsi. Cette victoire militaire et l’arrêt de la barbarie meurtrière du Hutu Power a conféré au nouveau régime un crédit et une autorité nationale et internationale importante. D’autant plus que les opposants organisés étaient défaits et en dehors des frontières nationales.
La prise du pouvoir du FPR n’est cependant pas dénuée de contradictions. Tout d’abord, lors de la campagne militaire, plusieurs membres de l’APR ce sont livrés à des massacres, des représailles voire des actes de crimes de guerres plus classiques (8). Ces massacres auraient continué une fois la victoire militaire établie pour sécuriser le pouvoir récemment acquis et pour permettre l’installation d’anciens réfugiés Batutsi dans certaines régions comme Byumba et Kibungo (9). Ces massacres sont à la base de deux récits réactionnaires : l’un purement négationniste qui nie la réalité du génocide des batutsi et des bahutu modéré ; l’autre qui, sur base de ces massacres, avance la théorie du “double génocide”. Selon cette dernière, des massacres “équivalents” ont été perpétrés par les deux ethnies. Et en mélangeant l’histoire du Rwanda et du Burundi, la confusion peut être créée. Au Burundi, les puissances capitalistes néocoloniales ont misé sur une minorité tutsi pour diriger le pays. Suite à une rébellion de la population et en particulier des bahutu, le régime de Micombero a organisé des massacres de nature génocidaire en 1972. Et en 1993, la crise au Burundi a dégénéré en guerre civile où se sont perpétrés des massacres à caractère génocidaire.
Même si une partie de ces massacres étaient conditionnés par la haine ethnique, la plupart d’entre eux sont le fait de lutte pour le pouvoir et révèlent l’incapacité de réponse aux besoins sociaux sur base d’un système capitaliste en proie à ses contradictions. La propriété privée des moyens de productions, les terres agricoles en premier lieu, implique que les conflits se soldent en luttes politiques et armées, pour pouvoir disposer de ressources.
La situation post génocidaire était catastrophique. Le Rwanda est un pays pauvre qui a connu, entre 1989 et 1994 : une crise économique ; un programme d’austérité imposé par le FMI et la banque mondiale ; des épisodes de famines, une guerre civile où différents impérialistes s’affrontent par procuration ; et un génocide. On se trouvait dans une société avec un million de personnes massacrées, des centaines de milliers d’orphelins, et des milliers de femmes contaminées par le sida suite aux viols subis durant la guerre. Et une société qui s’apprêtait à juger plusieurs centaines de milliers de personnes suspectées d’avoir participé aux massacres. Tout devait être reconstruit avec peu de moyen. L’aide internationale se concentra dans un premier temps sur les camps de réfugiés et une grosse partie de cette aide n’arriva même pas directement au Rwanda mais dans la caisse des banques, en remboursement de prêts concédés par la Banque mondiale et la Banque africaine de développement (BAD) (10).
Les Gacaca, une tentative de réconcilier la société minée par les contradictions de l’Etat en régime capitaliste
Afin de démasquer les responsables de la préparation et de l’organisation du génocide, et aussi de juger les nombreux suspects, plusieurs instruments ont été mis en place. Au niveau international, le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) a étudié le cas de près de 100 personnes à Arusha (11). Sur base de sa Loi de compétence universelle de 1993, la Belgique a jugé 4 personnes du Hutu Power (12). Mais la faiblesse de ces institutions est multiple. Tout d’abord, elle ne se concentre que sur des “gros poissons”, laissant de côté la masse de suspects pourrissants dans les prisons. Et puis, tout cela a un coût. Le Procès des “quatre de Butare” en Belgique a ainsi coûté plus de 3 millions d’euros. D’autre part, les institutions internationales ne jugent que ce que le rapport de force leur permet de juger. À ce jour, aucun membre du FPR ayant perpétré des actes de crime de guerre n’a été jugé. De plus, très vite, la Belgique a abrogé la version forte de sa Loi de compétence universelle, sous pression américaine, suite au conflit en Irak (13). Du coup, cela fait dire à certains observateurs que la justice internationale ne jugent que des Africains, ce qui affaibli son autorité. C’est évidemment une mauvaise formulation, mais dans le fond la justice que nous connaissons est tributaire des contradictions de classe de la société et donc dépendantes des rapports de forces entre les classes. Cela limite le potentiel de rendre une justice qui permette une vrai réconciliation.
Au niveau du Rwanda, l’autorité judiciaire c’est concentrée sur les organisateurs, ceux qui ont tués des enfants et ceux qui ont commis des viols. Les moyens dévolus à la justice ne permettaient pas de faire beaucoup plus. Mais l’élément limitant principal est que si l’on veut retracer l’histoire du génocide on doit pouvoir raconter l’histoire récente du Rwanda de manière libre. Or, on le sait, l’histoire est écrite par les vainqueurs. Ces derniers n’ont pas d’intérêt à ce que leur règne de classe soit dévoilé.
Pour les présumés coupables de crime de génocide des autres catégories, une institution originale s’est mise sur pieds : les Gacaca. Ces juridictions communautaires sont la version moderne d’une vieille tradition et institution de règlement des conflits dans la société rwandaise avant la période de colonisation. Les Gacaca ont jugé plus de 1,2 millions d’affaires et 2 millions de personnes de 2005 à 2012. Le bilan de ces jugements est mitigé (14). Le président Kagame a présenté ces tribunaux communautaires comme étant des “solutions africaines à des problèmes africains”. Cette manière de formuler les choses est souvent une justification pseudo-panafricaine de l’injustice et de la dictature. En effet, comme nous avons pu le montrer plus haut, ce qui s’est passé au Rwanda en 1994 et avant cela ne relève pas d’une problématique “strictement” africaine mais bien d’une situation où les rapports de forces internationaux et nationaux sont intrinsèquement liés.
Au-delà des critiques, force est de reconnaître qu’après un tel déchirement, au sein d’un système capitaliste qui se nourrit de la division et qui n’est prêt à sortir les budgets que lorsque c’est profitable pour les élites économiques et politiques, ou lorsque la pression de mouvements de masse le leur impose, réconcilier la société est impossible. Il aurait fallu mettre les moyens nécessaires pour assurer une prise en charge matérielle et psychologique des victimes et mettre en place des institutions qui forment adéquatement les personnes impliquées dans la justice communautaire, ce qui implique d’investir dans l’enseignement et l’éducation populaire. Il aurait aussi fallu réparer les dégâts de la guerre civile et du génocide en reconstruisant tout ce que cette période avait détruit. Seul un plan démocratiquement discuté par l’ensemble de la population pouvait y faire face. Un plan faisant un état des lieux des besoins sociaux, répartissant de manière égalitaire les terres et orientant les moyens économiques vers la réponse aux besoins et non vers le remboursement des bailleurs. Et seul le cadre d’une société socialiste démocratique permettrait la mise en place de ces éléments.
> La cinquième et dernière partie de ce dossier abordera la situation actuelle du Rwanda post-génocide et la conclusion générale de cette analyse.
Notes :
(1) Al-Qaïda au Maghreb islamique, anciennement GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat).
(2) 1996-1997 et 1998-2003.
(3) “Rwanda, chronique d’un génocide annoncé”, Reporters, reportage long format de France 24, 5 avril 2019.
(4) “Tuez-les tous ! (Rwanda : Histoire d’un génocide « sans importance »)”, Raphaël Glucksmann, David Hazan et Pierre Mezerette, 27 novembre 2004.
(5) Milice créée en 1992 par le régime de Habyarimana. Celle-ci a pris part aux massacres qui ont eu lieu au cours du génocide. Une partie de leurs forces ont été exfiltrées par la France dans l’Est du Congo, où elles résident toujours.
(6) https://www.lemonde.fr/international/article/2018/03/15/guillaume-ancel-nous-devons-exiger-un-reel-controle-democratique-sur-les-operations-militaires-menees-au-nom-de-la-france_5271448_3210.html.
(7) Ancien secrétaire général de l’ONU dont l’avion s’est écrasé dans des circonstances suspectes. https://www.lalibre.be/actu/international/un-pilote-belge-m-a-confie-avoir-tue-le-secretaire-general-de-l-onu-hammarskjold-5c3b54ccd8ad5878f0fc194d.
(8) https://www.liberation.fr/evenement/1996/02/27/rwanda-executions-massives-de-hutus-dans-l-ombre-du-genocide-des-tutsis_161810.
(9) Colette Braeckman, Les Nouveaux prédateurs: Politique des puissances en Afrique centrale, Aden Belgique, 2009, p.235.
(10) Idem, p.238.
(11) Pour en savoir plus à ce sujet : http://unictr.irmct.org/fr/tribunal.
(12) https://www.liberation.fr/planete/2001/04/17/la-belgique-juge-quatre-genocideurs-rwandais_361579.
(13) https://www.rtbf.be/info/belgique/detail_il-y-a-15-ans-la-belgique-abrogeait-sa-loi-de-competence-universelle?id=9988443.
(14) https://www.hrw.org/fr/report/2011/05/31/justice-compromise/lheritage-des-tribunaux-communautaires-gacaca-du-rwanda. -
25 ans du génocide au Rwanda (3) – La Deuxième République, la guerre civile et le génocide de 1994

Ossements de victimes du génocide. Photo : Wikipédia. Comment le capitalisme a engendré la barbarie dans la région des Grands Lacs (Troisième partie)
Il y a 25 ans, un événement d’une horreur inouïe et historique a eu lieu en Afrique de l’Est : le génocide des Tutsis et le massacre des Hutus modérés. Cet événement qui fut médiatisé sidéra le monde entier. La barbarie à l’échelle industrielle entraina la mort de 800.000 à 1.000.000 de personnes en 3 petits mois. La période d’avril à juin 2019 est l’occasion de revenir sur les causes et les conséquences de ce massacre pour le Rwanda et toute la région. Cette analyse est publiée en plusieurs parties, de la période précédant la colonisation à la situation actuelle, en passant par la colonisation, la décolonisation et la période du génocide elle-même.
- 25 ans du génocide au Rwanda (1) – Le Rwanda avant la colonisation
- 25 ans du génocide au Rwanda (2) – La colonisation et la décolonisation du Rwanda
Par Alain Mandiki
Dans les 2 premières parties, nous avons retracé de manière chronologique les éléments d’histoire qui permettent selon nous d’analyser les causes du génocide. Dans cette troisième partie, nous ne suivrons plus chronologiquement les événements, mais nous voulons entrer directement dans le débat. Au-delà de l’explication, il s’agit surtout de remettre en cause certaines analyses superficielles qui ont été amenées dans le débat public.
Comment expliquer le génocide ?
Un des clichés de la propagande coloniale pour justifier la colonisation de l’Afrique par les puissances impérialistes a été “la mission civilisatrice”. La propagande raciste de l’époque dépeignait l’Afrique comme un continent barbare en proie à l’esclavage arabo-musulman et aux guerres ethniques. La mission de l’Occident était d’apporter la paix et le développement économique. Ce qui allait amener la démocratie et le progrès.
Mais la réalité, c’est qu’après la mise en place du système de production capitaliste et l’intégration au marché mondial, les standards moyens de démocratie ne sont pas présents et la paix est loin d’être garantie dans l’ensemble du continent, et en Afrique de l’Est en particulier. Au lieu de chercher les explications dans les contradictions du capitalisme, beaucoup d’idéologues ont préféré aller reprendre des explications dans la propagande raciste des années coloniales.
Selon nous, le point culminant des tensions “ethniques” a pour base une classe dominante qui se bat par tous les moyens pour rester aux commandes et profiter des miettes qui tombent des termes des échanges mondiaux. Dans cette lutte, l’élimination physique comme “solution finale” de son challenger et la désignation de l’ennemi en tant que race qui serait la cause de toutes les contradictions a été l’option du Hutu Power, les extrémistes du régime d’Habyarimana. Selon les idéologues précités, il n’en est rien : le génocide serait lié aux luttes ethniques et barbares consubstantielles à l’Afrique et aux africains. C’est une manière ironique de reconnaître l’échec total du projet colonial. Voyant la contradiction argumentative, certains intellectuels poussent l’argument à l’absurde en réclamant une nouvelle colonisation de l’Afrique (1).
Les deux premières parties ont apporté des éléments de réponses à ce courant réactionnaire qui utilise la distorsion de l’histoire et la racialisation de la société comme moyen de division pour cacher les ambitions impérialistes. Il existe cependant un courant d’idéologues considéré comme “progressistes” et “scientifiques” qu’il convient aussi de démasquer.
Le néo-malthusianisme à la rescousse du capitalisme
Analyser le génocide comme un phénomène “moderne” lié aux contradictions du capitalisme est une attitude philosophiquement matérialiste, c’est à dire rationnelle. Mais aujourd’hui, avec la division du travail dans le monde intellectuel et l’absence de remise en cause globale du système capitaliste, ce genre d’approche est beaucoup moins audible. Les experts de chaque discipline abordent une question générale sous l’angle unique de leur expertise et il généralise cela en voulant faire correspondre la réalité à leur analyse. C’est ce que nous appelons une réflexion philosophiquement idéaliste.
C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre les analyses de Jared Diamond. Ce géographe et biologiste est davantage connu dans le monde anglo-saxon, mais ses thèses sont aussi relayées dans le monde francophone et belge par des académiques comme Jean-Philippe Platteau, de l’Université de Namur. De manière générale, avec la crise environnementale, le néo-malthusianisme fait un retour en force. On entend des dirigeants de premier plan comme le Président français Emmanuel Macron dire que la cause du sous-développement en Afrique est due au ventre des femmes africaines (2). On entend aussi certains courant écologistes réclamer un arrêt de la reproduction pour sauver la planète (3).
Le marxisme est souvent disqualifié, car il ne serait qu’une “vieille théorie”. Mais en général, les contradicteurs réutilisent des idées tout aussi vieilles qui, déjà à leur époque, ont été battue en brèche. Jared Diamond a été l’un de ceux qui ont remis au goût du jour les idées de Malthus (4). Il a écrit deux livres qui traitent de ce sujet. L’un d’eux : “Guns, Germs, and Steel: The Fates of Human Societies” (“De l’inégalité parmi les sociétés : Essai sur l’homme et l’environnement dans l’histoire”). Il y explique comment les occidentaux ont pu coloniser l’Afrique. Les éléments géographiques et biologiques sont mis en avant comme déterminant la supériorité occidentale. Lié au même sujet, son second livre est “Collapse: How Societies Choose to Fail or Survive” (“Effondrement : Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie”). Il y expose le fait que la trop grande pression sur les ressources environnementales est la cause d’effondrement des civilisations. Il prend pour exemple les habitants de l’île de Pâques, les Pascuans, et leurs statues (Moaï). Dans ce même livre, il y a tout un chapitre sur le génocide au Rwanda, s’intitulant “Malthus en Afrique”. Il prend l’exemple du génocide pour développer sa thèse : la surpopulation a été l’un des éléments déterminants les événements.
Dans l’absolu, il ne faut pas écarter la surpopulation comme élément explicatif. C’est d’ailleurs à prendre en compte pour comprendre les tensions sociales dans la région de manière fine. À ce titre, les analyses de Platteau et consorts sur le Rwanda sont intéressantes à plus d’un titre.
Mais l’erreur consiste à prendre un élément d’analyse et le généraliser pour en faire l’élément de causalité principale en considérant le système de production capitaliste comme un invariant. Ce faisant, on cache les contradictions sociales et économiques qui sont liées au capitalisme et on le présente comme étant l’horizon indépassable de l’humanité. Dans l’analyse, on oublie donc comment, dans le cadre d’un conflit de classe aigu de revendication foncière non traitée, la question de la démographie approfondit la crise. C’est l’erreur que commet Diamond. Dans le chapitre consacré au génocide, il écrit : “La pression démographique a été l’un des facteurs importants à l’œuvre dans le génocide rwandais. Le scénario catastrophe de Malthus peut parfois se réaliser et le Rwanda en fut un modèle. De graves problèmes de surpopulation, d’impact sur l’environnement et de changement climatique ne peuvent persister indéfiniment : tôt ou tard, ils se résolvent d’eux-mêmes, à la manière du Rwanda ou d’une autre que nous n’imaginons pas, si nous ne parvenons pas à les résoudre par nos propres actions. Des mobiles semblables pourraient œuvrer de nouveau à l’avenir, dans d’autres pays qui, comme le Rwanda, ne parviennent pas à résoudre leurs problèmes environnementaux. Ils pourraient jouer au Rwanda même, où la population augmente aujourd’hui encore de 3 % l’an, où les femmes donnent naissance à leur premier enfant à l’âge de quinze ans, où la famille moyenne compte entre cinq et huit enfants.”
Dans son “Essai sur le principe de la population”, Malthus avait la même approche. Karl Marx avait réfuté Malthus en remettant l’élément démographique en lien dialectique avec les rapports de production capitaliste. La théorie de Diamond sur l’effondrement a été réfuté dans son ensemble (5). Des intellectuels sont revenus sur son analyse de la société pascuane. Mais très peu a été écrit sur son analyse du génocide.
L’élément que nous voulons ajouter à cette réfutation concerne donc l’analyse faite par Diamond sur le génocide au Rwanda mais de manière spécifiquement matérialiste. Le capitalisme ne se développe pas de manière linéaire et homogène. C’est ce que les marxistes appellent le “développement inégal et combiné”, cela génère des possibilités de réserves jusqu’au moment où l’ensemble des régions du monde sont soumises aux rapports capitalistes de productions. La manière dont les rapports capitalistes s’imposent à de nouvelles sociétés ne peut être pacifique. Cela est liée d’une part à l’affrontement entre l’ancien et le nouveau rapport de production, et d’autre part à la concurrence impérialiste. Pour établir sa domination, l’impérialisme réutilise l’ancienne organisation sociale en la remodelant en fonction de ses intérêts et donc, ce faisant, il la transforme, créant de nouveau rapports sociaux et ainsi de nouvelles contradictions. C’est ce que nous avons voulu illustrer aussi avec les 2 premières parties. C’est aussi dans ce sens que nous ne suivons pas les analyses soient disant “progressistes” et “scientifiques” comme celles de Diamond.
L’analyse de la crise de la Deuxième République rwandaise et du génocide illustre bien ce propos.
La crise de la Deuxième République
Juvénal Habyarimana a pris le pouvoir en 1973. La fraction de la classe dominante a changé. Une petite minorité hutu du nord du pays a pris le contrôle du pouvoir d’Etat, profitant de celui-ci pour pouvoir s’enrichir sur base de leur rôle d’intermédiaire dans l’exportation des principales ressources du pays, essentiellement agricoles (café, thé). Pour renforcer son pouvoir, le régime s’est appuyé sur l’organisation du pays, avec une population sous contrôle stricte de l’administration. Il y avait ainsi une division du pays en 10 préfectures, elle-même subdivisées en sous-préfectures, et 145 communes divisées en secteur de 5.000 habitants, subdivisés en cellules de 1.000 personnes. Chaque cellule était contrôlée par 5 personnes proches du régime. Tous les samedis, la population devait participer à du travail communautaire et aux réunions d’endoctrinement du régime. Ce contrôle strict de la population servira le régime une fois qu’il mettra en œuvre les plans d’éliminations physiques des Batutsi (6). Le régime de parti unique était soutenu par 7.000 soldats et par une garde prétorienne forte de 1.500 hommes (7). Tout au long de la dictature du régime Habyarimana, il s’est développé une coopération militaire et diplomatique forte avec la France qui a saisi cette opportunité d’affaiblissement de l’ancienne force coloniale belge pour s’implanter dans l’Est de l’Afrique.
Le Rwanda à l’époque était présenté comme un pays modèle de coopération au développement. L’économie du pays était sous perfusion d’aide internationale. Cela a pu masquer temporairement les faiblesses du régime, mais les contradictions économiques sont remontées à la surface lors de la chute des prix mondiaux des matières premières, et plus particulièrement fin des années 80 quand le thé et le café ont chuté. Cela a obliger les dirigeants rwandais à frapper à la porte du FMI et à s’astreindre aux fameux plans d’ajustement structurels, les ancêtres des plans d’austérités, et autres mémorandums d’aujourd’hui. Cela s’est déroulé alors que la famine frappait fin des années 80 et début 90 suite à une sécheresse dans le Sud du pays. La question agraire n’étant pas réglée, une minorité concentre la majorité des terres : 16% de la population détient 43% des terres et les revenus du café constituent 80% des revenus de l’Etat. Entre 1962 et le début des années 90, la population a augmenté de 2.400.000 à 7.148.000 personnes. Principalement rurale et jeune c’est une population en proie à la famine et à la misère qui doit subir des coupes drastiques imposées par l’extérieur suite au développement de sa dette (7).
En parallèle à cela, les Batutsi qui avaient dû quitter le pouvoir au tout début de la Première République dans les années 60 se sont organisés dans la diaspora au sein de différentes organisations politico-militaires. Présente dans les pays frontaliers, une partie a pu prospérer et constituer des moyens pour challenger le pouvoir en place au Rwanda. Fin des années 70, l’Ouganda du président Idi Amin Dada est confronté à une guérilla qui conteste son pouvoir. A la suite de luttes de factions, le guérillero Yoheri Museveni, avec la National Resistance Army (NRA), arrivera à s’établir comme chef de l’Etat ougandais. Des guérilleros batutsi combattront dans cette guérilla, dès le début et jusqu’à la prise de pouvoir de Museveni. Fred Rwigema, l’un des fondateurs du Front Patriotique Rwandais (le FPR), mais aussi Paul Kagame, actuel Président du Rwanda, y seront présents et y acquerrons une expérience militaire. Le FPR est issu de la Rwandese Alliance for National Unity (RANU) qui est le regroupement politique de la diaspora tutsi. Une fois au pouvoir, Yoheri Museveni installa ses frères d’armes à des postes-clés. La concurrence pour les postes poussa les proches de Museveni à contester la présence de Batutsi aux postes à responsabilité en Ouganda. Ce dernier chassera donc les Batutsi hors de son régime et les poussera à retourner au Rwanda. Rwigema sera tué dans des circonstances troubles lors de la première attaque et Paul Kagame, en formation militaire aux USA, reviendra pour diriger l’Armée patriotique rwandaise (APR), l’aile militaire du FPR.
C’est le début de la guerre civile rwandaise qui part de l’Ouganda vers le nord du pays. Les contradictions du régime rwandais sont trop fortes et, très vite, l’APR qui est bien financée, très bien entrainée et disciplinée engrange des victoires militaires. Pour stopper la poussée du FPR, le régime demande l’appui de militaires et diplomatiques de la France qui va, jusqu’à la chute du régime, lui accorder sans faillir. Le but pour la France étant de maintenir dans la région un régime favorable à ses intérêts et éviter un nouveau Fachoda, c’est-à-dire l’émergence d’un régime ou un dominion anglo-saxon en Afrique de l’Est. Face à cette situation, la France propose au régime de mener des négociations vers une transition démocratique (ouverture au multipartisme) et pacifique sous l’égide de l’ONU. Ce seront les Accords d’Arusha qui amèneront une force, la MINUAR, à prendre pied au Rwanda. Ces négociations sont le reflet du rapport de force interne mais aussi international. Il n’y a pas la volonté du régime de concéder une miette de pouvoir. Et dans cette démarche, il se sait soutenu par la France.
Le régime réagit à cette situation de crise en amplifiant la propagande raciale. Face à la colère et à la misère de la population, lors de ses réunions d’endoctrinement, il désigne le retour de l’ancien ordre féodal “Tutsi”. Cela génère des explosions de colère et des pogroms, mais au fur et à mesure que la situation militaire se résout en faveur du FPR, le régime durci son discours racial. Dès le début des années 90, un courant extrémiste se développe autour de la femme du président, qui vient aussi du Nord du pays. C’est l’idéologie du Hutu Power et de l’élimination physique des opposants. Les préparatifs du génocide se mettent en place par un battage idéologique raciste renforcé par les moyens modernes. Comme dit précédemment, la population devait participer à des réunions hebdomadaires d’endoctrinement. La bourgeoisie hutu du Nord finançait la Radio Télévision Libre des Mille Collines (RTLM) qui diffusait dans tout le pays un climat de haine raciste qui désignera le mututsi comme la cause des problèmes. Il s’agira aussi de déshumaniser le mututsi en le présentant comme un “cafard” venu de l’étranger pour oppresser le muhutu. Dans une situation de crise économique et sociale terrible et d’une sécheresse qui entraîne une famine pour une population nombreuse n’ayant pas accès à la terre de manière égale, à cela s’ajoute une militarisation de la société par l’endoctrinement et les médias de masses, c’est le cocktail qui explique qu’une partie de la population a pu perpétrer et participer à ce massacre de masse.
Cela illustre que le génocide n’était pas une manifestation de colère spontanée. C’est le résultat d’un processus qui a été soigneusement préparé par une frange de la bourgeoisie comprador (8) aux abois en compétition avec une autre frange de la bourgeoisie. D’ailleurs, dans la première phase du génocide en lui-même, les premières personnes à être exécutées l’ont été sur base d’une liste préétablie de Batutsi considérés comme sympathisants avec le FPR. C’est la garde présidentielle appuyée par les milices extrémistes hutu interahamwe qui ont effectué la “chasse”. C’est seulement dans un deuxième temps que l’élimination physique comme “solution finale” des Batutsi en tant qu’ethnie a été mise en place pour éliminer à tout jamais le danger de restauration. Ce processus a été assisté par la France de François Mitterrand, Hubert Védrine et Bernard Kouchner, qui ont jusqu’au bout soutenu la frange dure du régime et qui l’ont même exfiltrée vers le Congo voisin une fois la guerre perdue.
Un génocide sous l’œil des médias du monde entier
Le génocide de 1994 s’est établi alors que, depuis le début de la guerre et très certainement depuis 1992, le double discours du régime lors des accords d’Arusha (9) était limpide : “négocié” en français, “appeler au meurtre” en la langue rwandaise (kanyarwanda). Les médias du monde entier ont suivi les développements, une force des Nations-Unies était présente sur place, mais s’est retirée après le massacre des 10 Casques bleus belges.
Le génocide des Batusti et le massacre des Bahutu qui s’opposaient au régime au pouvoir a engendré un déchirement de la société rwandaise et a déstructuré toute la sous-région. Plusieurs centaines de milliers de Bahutu issu du régime ou qui ont perpétré des massacres, mais aussi ceux craignant des représailles ou fuyant la misère sont partis en exil, notamment dans le Congo voisin. L’arrivée au pouvoir du FPR a remodelé les rapports de force internes et internationaux dans la région. Le battage médiatique racial a eu un impact sur toute la région de l’Afrique centrale et de l’Est en mettant notamment en danger les Banyamulenge (10) en République démocratique du Congo (RDC).
Les contradictions liées au capitalisme n’ont pas disparues mais se sont transformées, générant une nouvelle situation et un nouveau rapport de force. Nous reviendrons dans la dernière partie sur la nouvelle situation post-génocide. Nous voulons ajouter que, sur le déroulement du massacre en lui-même et sur le génocide en général, il existe énormément de documents, analyses, documentaires, livres, … Il est nécessaire de les consulter pour avoir une idée précise de la situation et aussi de tenter de s’imaginer à quelle point la violence à déchiré la région. C’est aussi nécessaire pour tordre le cou aux idées révisionnistes et négationnistes qui ne manquent pas d’émerger chez les nostalgiques du régime de 73.
Enfin, pour conclure cette partie, nous trouvions nécessaire de publier une analyse conséquente, à l’occasion des 25 ans du génocide, pour pouvoir indiquer la manière dont les marxistes veulent répondre à la situation actuelle en Afrique de l’Est. Comme nous l’avons indiqué dans la première partie, la lutte des classes détermine le cours de l’évolution historique. Dans cette lutte, nous nous basons sur la majorité sociale qui lutte contre l’oppression de la minorité pour répondre aux problèmes et aux contradictions capitalistes. Cette approche exclu donc toute division raciale de la société. Elle met en avant un programme qui vise à l’unité de toute les couches exploitées et oppressées et établit que seule la majorité sociale peut construire une société où les besoins de l’ensemble de la population seront assouvis. Nous appelons cette société le socialisme démocratique.
> Nous publierons d’ici peu la dernière partie de cette analyse ; elle abordera la situation actuelle du Rwanda post-génocide, ainsi que le rôle joué pour l’impérialisme durant le génocide et actuellement.
Notes :
(1) http://www.slate.fr/story/152360/article-bienfaits-colonisation-revue-scientifique.
(2) https://www.nouvelobs.com/politique/20180706.OBS9286/7-ou-8-enfants-par-femme-en-afrique-le-refrain-demographique-de-macron.html.
(3) https://www.lalibre.be/actu/planete/ne-pas-faire-d-enfant-pour-sauver-la-planete-5bbc5ececd70a16d814e8a16.
(4) Intellectuel du 19e siècle qui a développé la théorie de la surpopulation.
(5) https://www.scienceshumaines.com/la-theorie-de-l-effondrement-s-effondre_fr_24958.html.
(6) Dans la région des Grands Lacs, pour les noms des populations, l’accord au pluriel se fait en ajoutant le préfixe ‘Ba-‘ et, au singulier, ‘Mu-‘. Par exemple, pour un ‘Tutsi’ et un ‘Hutu’, on dira ‘Mututsi’ et ‘Muhutu’.
(7) Yves Ternon, Rwanda 1994. Analyse d’un processus génocidaire, dans « Revue d’Histoire de la Shoah » 2009/1 (N°190).
(8) Intermédiaires locaux de l’impérialisme.
(9) Négociations mises en place sous l’égide de la France dont le motif officiel était de trouver une solution politique à la guerre civile.
(10) Populations de l’Est de la RDC provenant historiquement de la région qui deviendra l’actuel Rwanda. -
25 ans du génocide au Rwanda (2) La colonisation et la décolonisation du Rwanda

Comment le capitalisme a engendré la barbarie dans la région des Grands Lacs
Il y a 25 ans, un événement d’une horreur inouïe et historique a eu lieu en Afrique de l’Est : le génocide des Batutsi (1) et le massacre des Bahutu (1) modérés. Cet événement qui fut médiatisé sidéra le monde entier. La barbarie à l’échelle industrielle entraina la mort de 800.000 à 1.000.000 de personnes en 3 petits mois. La période d’avril à juin 2019 est l’occasion de revenir sur les causes et les conséquences de ce massacre pour le Rwanda et toute la région. Nous publierons cette analyse en plusieurs parties, de la période précédant la colonisation à la situation actuelle, en passant par la colonisation, la décolonisation et la période du génocide elle-même.
Par Alain Mandiki
Les puissances impérialistes se disputent le gâteau Africain
L’Allemagne, nouvelle puissance impérialiste
Aucun Etat africain n’a l’allemand comme langue issue de la colonisation occidentale. Cette situation est due aux rapports de forces internationaux qui ont fait perdre à l’Allemagne toute leurs colonies sur le continent. L’Allemagne était déjà arrivée tardivement dans la “course aux colonies”. La cause était le retard qu’avait pris la bourgeoisie allemande pour réaliser son unité nationale. Alors que l’Angleterre, La France, la Belgique, l’Espagne, le Portugal et les Pays-Bas menaient des explorations depuis des dizaines d’années, l’Allemagne se lança tardivement dans la conquête coloniale.
Ce retard accumulé dans l’unification nationale explique aussi le fait que le jeune Etat allemand se focalisa en 1871 sur le renforcement de son Etat en interne et ne se lança pas directement dans la guerre de conquête coloniale que menèrent ses rivaux. Dans un premier temps, c’est du capital privé qui bénéficia de la protection de l’Etat allemand qui se lança dans les explorations, les conquêtes et les investissements. La conférence de Berlin de 1885 consacra les rapports de forces militaires entre les différents puissantes qui verront émerger l’Afrique Orientale Allemande dont fera partie le Ruanda-Urundi.
Parallèlement aux rivalités inter-impérialistes, les contradictions de la société monarchique rwandaise étaient remontées à la surface, entraînant une grave crise de régime. Après la mort de Kigeli IV Rwabugiri, son successeur a dû faire face à des incursions militaires belges sur son territoire et fut renversé suite à une défaite militaire et un complot ourdi en interne. Yuhi Musinga arriva ensuite à la tête du royaume. Très vite, le jeune roi s’allia avec les allemands pour stabiliser son pouvoir. Comme l’exprime très bien l’historien français Jean-Pierre Chrétien : “manifestement l’aristocratie rwandaise a joué la carte d’un camp européen contre l’autre, elle cherche l’appui de ceux qui lui semble les moins dangereux ou les plus respectueux…”(2) Cette alliance permit à l’Allemagne de stabiliser son empire colonial et de le gérer de manière économique avec des relais sur place ; et cela permit à la famille royale régnante de s’assurer le pouvoir.
La Première Guerre mondiale redistribue les cartes
Les puissances impérialistes tenteront de résoudre leurs différends coloniaux de manière pacifique à travers plusieurs conférences internationales. Finalement, la logique intraitable de concurrence entre les différentes bourgeoisies nationales conduira à la Première Guerre mondiale. Cette guerre fut menée pour redistribuée les cartes au niveau mondial, chaque Etat capitaliste voulant augmenter sa part du gâteau et assurer son hégémonie. La défaite de la Triple alliance (Allemagne, Autriche-Hongrie et Italie), se soldera par la perte de l’AOF pour l’Allemagne.
La tutelle du Ruanda-Urundi fut confiée à la Belgique qui réussit par un jeu d’équilibre à récupérer cette région-clé. En effet, la rivalité entre le Royaume-Uni et la France en Afrique de l’Est était permanente à l’époque, comme l’avait par exemple illustré l’incident de 1898 à Fachoda, dans l’actuel Soudan du Sud. Le territoire occupé par le Ruanda-Urundi est stratégique à plusieurs égards car il constitue une porte d’entrée au Congo, il est à la source du Nil et c’est aussi une porte d’entrée vers le Tanganyika et le Kenya qui ont des côtes sur l’océan Indien.
La colonisation des esprits
Afin d’assurer son pouvoir, le colonisateur belge comme l’allemand auparavant ne pouvait pas compter que sur la force ou la coercition. Ils se sont basés sur la famille royale, qui était le pouvoir précédent, pour avoir une base dans la société. Mais ils ont aussi eu besoin de casser toutes les résistances qui pouvaient être une barrière à l’exploitation coloniale. Ils ont donc figé la société qu’ils ont trouvée et ont créé de toutes pièces une division ethnique dans la population. Au Rwanda, l’ensemble de la population partageait la même culture, parlait la même langue, vénérait le même dieu “Imana”. Les colonisateurs ont institué le fait que ce peuple était divisé en deux ethnies totalement distinctes. Les Batutsi : race supérieure Hamito-sémites ou nilo-hamitique constituant 5% de la population, éleveur naturellement apte à diriger, couche de seigneurs proche de la race blanche. En dessous d’eux, les Bahutu : paysans bantous, race inférieure qui devait être commandée. Les Pères blancs (3) considéraient que seuls les Batutsi pouvaient bénéficier d’une instruction essentiellement primaire qui permettait d’avoir des postes dans l’administration coloniale. Une petite élite tutsi se constitua alors, mais qui ne représentait pas l’ensemble de la population décrite comme étant tutsi. Celle-ci était, dans sa majorité, exploitée comme les Bahutu.
Pour faciliter ce processus, il a fallu réduire le pouvoir du roi et autoriser la liberté de religion afin d’imposer le catholicisme. Ce processus aboutira à la destitution de Musinga et à la mise en place d’un roi catholique proche de l’administration coloniale, Mutara III Rudahigwa. L’élite tutsi en constitution autour de lui aura sa place seulement si elle fait la jonction avec les intérêts coloniaux, comme le rappella le colonel Jungers aux élèves du groupe scolaire Astrida des Frères de la charité de Gand, qui formait les futures élites : “restez modestes. Le diplôme de sortie qui vous sera attribué, n’est pas une preuve de compétence. Il ne constitue que la preuve que vous êtes aptes à devenir des auxiliaires compétents.”(4)
Dans les années 1930, l’administration coloniale fera renseigner, sur les papiers d’identité, la race à laquelle appartenait chaque rwandais. Selon l’historien français Yves Ternon, à cette époque, 15% se déclarèrent Tutsi, 84% Hutu et 1% Twa.(5)
Après la guerre, la Belgique a été mise sous pression suite aux terribles famines qui ont eu lieu à cause du manque d’investissement agricole et en infrastructures. La Belgique a été forcée, par exemple, d’ouvrir l’enseignement aux Bahutu. Mais, encore en 1948, la revue des anciens élèves d’Astrida disait : “de race caucasique aussi bien que les Sémites et les indo-Européens, les peuples hamitiques n’ont à l’ origine rien de commun avec les nègres… Physiquement ces races sont superbes : malgré les inévitables métissages résultant d’un contact prolongé avec les nègres, la prépondérance du type caucasique est resté nettement marquée chez les Batutsi…”(6)
L’Arabica, base du revenu de la colonie
Au-delà de sa situation géostratégique, une des richesses du Rwanda réside dans ses terres agricoles. Le colonisateur Allemand, d’abord, puis Belge, a fait du Rwanda une terre de caféiculture. Ce processus a vu le remplacement de cultures maraîchères et vivrières par des cultures d’exportations dépendantes des prix sur les bourses mondiales. Pour acheminer ces marchandises, il a fallu construire et entretenir un réseau de routes carrossables. Cela s’est fait par le travail forcé, qui en 1930 représentait presque 2 mois par an.(7) Ces deux éléments ne pouvaient que renforcer les contradictions sociales, puisque la population était écartée du travail des champs pour entretenir l’infrastructure coloniale, mais devait en plus cultiver du café pour pouvoir payer les impôts à l’Etat. Cela entraînera des famines et des fuites de population vers les pays voisins.
Edmond Leplae, Directeur de l’Agriculture au Ministère des Colonies de 1910 à 1933, mis en place un système de culture obligatoire qu’il copia du modèle Hollandais à Java. À cette époque, il y eu de 1 à 4 millions de plants de café planté par an. De 11 tonnes en 1930, la production grimpera à 10.000 tonnes en 1942 et 50.000 en 1959.
La “révolution coloniale” : les populations opprimées commencent à se libérer de leurs chaînes
Les marxistes ont toujours expliqué que la révolution entraîne la guerre et que la guerre entraîne les révolutions. Après la Seconde Guerre mondiale, un processus révolutionnaire a pris place partout à travers le monde. Les Etats alliés objectifs de ce processus ne pouvaient être que les pays dans lesquels la base sociale de l’Etat était différente et où le système de production représentait une alternative au système capitaliste. C’est donc l’URSS dans un premier temps puis la Chine en 1949 qui vont inspirer les révolutionnaires. À cette époque, la dégénérescence bureaucratique en URSS était déjà un frein relatif, mais l’économie bureaucratiquement planifiée (même avec ses limites) et la victoire face aux nazis vont conférer à la bureaucratie stalinienne une immense autorité. En effet, l’existence d’une alternative au système capitaliste permettra d’installer un rapport de force international favorable qui obligera la bourgeoisie dans les pays capitalistes avancés à offrir d’énormes concessions économiques, démocratiques et sociales à la classe ouvrière dans leur pays, et démocratiques dans les pays qui subissaient l’oppression coloniale. Par ailleurs, la bureaucratie qui s’est installée au pouvoir en URSS au cours des années 1920 a tout fait pour que n’émerge pas une révolution socialiste démocratique dans un autre pays. Cela aurait pu relancer le processus de lutte en URSS-même pour une véritable démocratie ouvrière et pour une planification économique démocratique. Malgré ces limites, c’est donc un modèle de révolution dirigée par le haut et une économie planifiée bureaucratiquement qui a été prise comme modèle alternatif dans tout un tas de pays lors des révoltes contre l’oppression coloniale.
Dans la lutte contre l’impérialisme sur le continent asiatique, la victoire de l’armée populaire de Mao et la constitution d’un Etat ouvrier déformé par la bureaucratie dès son début sera le modèle que beaucoup de nationalistes dans les pays qui subissait encore le joug colonial utiliseront. Il ne se base pas sur la méthode et le programme du parti bolchevik durant la révolution russe qui s’est basée sur la combativité et le sens d’initiative de la classe ouvrière russe. Partant des contradictions propres au régime colonial, ce modèle se base sur la petite-bourgeoisie nationaliste, la couche supérieure de la société (officiers supérieurs, intelligentsia, …) et des éléments progressistes radicalisés qui luttent contre le pouvoir impérialiste. La stratégie utilisée n’est donc pas la mobilisation systématique de l’ensemble de la société à travers les actions collectives de masse telles que les manifestations et les grèves d’où émergent une situation de double pouvoir, mais bien la guerre de guérilla dirigée par ces couches. Dans une situation internationale et nationale favorable, cela mena à des victoires et à un recul temporaire des puissances impérialistes.
Ce sera le cas par exemple en Indochine avec la défaite de l’armée française à Diên Biên Phu. De manière générale, un processus révolutionnaire dans un pays inspire les masses en lutte et les révolutions dans d’autres pays. En Afrique et en Amérique centrale et du Sud, ces exemples ont inspiré les couches qui cherchaient à vaincre l’impérialisme. Cela s’est traduit par la vague de luttes sur base des méthodes de guerres de guérilla qui prendra place entre autres à Cuba et en Algérie. À la fin des années ‘50, la plupart des combattants pour l’indépendance dans les pays colonisés sont gagnés par le nationalisme ; certaines couches de la petite-bourgeoisie sont touchées par les idées socialistes mais sur base du modèle de l’armée populaire de Mao. Le rôle dirigeant dans la révolution n’y est pas dévolu à la classe ouvrière et ses organisations indépendantes, mais bien à une couche supérieure de la société qui s’appuie sur une guérilla paysanne pour prendre le pouvoir.
Au Rwanda, les élites nationales sont aussi touchées par ce processus. Mais la division ethnique de la société divise l’élite en deux camps qui tirent des conclusions différentes sur la manière de voir l’oppression coloniale. Dès 1957 se fonde l’Association pour la promotion sociale de la masse (APROSOMA). Celle-ci ne s’organise malheureusement pas sur une base de classe mais bien sur une base ethnique. En 1957 aussi, le Manifeste des Bahutu est écrit par 9 intellectuels hutu dont le futur président de la République Grégoire Kayibanda. Il dénonce non pas la colonisation mais bien le pouvoir tutsi. Pour eux, la question de l’indépendance est secondaire par rapport à la question de l’élimination de la domination économique, politique et culturelle des Batutsi.
Les bases de l’idéologie génocidaires sont présentes dans ce manifeste. Il reprend la division en catégories créées par l’administration coloniale pour en déduire la nécessite d’une passation de pouvoir à la majorité hutu. Sur base de cette idéologie se crée le Parti du mouvement de l’émancipation hutu (PARMEHUTU). Pour l’élite tutsi regroupée autour de l’Union Nationale Rwandaise (UNAR), il faut l’indépendance et le départ de l’administration coloniale, ainsi que la remise en place d’une monarchie constitutionnelle au Rwanda. À côté de cela, un parti favorable aux intérêts occidentaux émerge : le Rassemblement démocratique rwandais (RADER), qui regroupe des anciens “astridiens” (8) et des Bahutu.
Le pouvoir colonial, voyant le danger de la perte de contrôle, changea alors ses alliances et utilisa la petite-bourgeoisie hutu en promouvant l’idée du “peuple majoritaire”. Celle-ci fut portée en grande partie par la démocratie-chrétienne, principalement flamande, et l’élite de l’Eglise catholique sur place. Des élections furent organisées et remportés par le PARMEHUTU. La première république fut installée. Grégoire Kayibanda en était le président. Une politique de discrimination systématique vis-à-vis des Batutsi se mit en place, appuyée par des violences et des pogroms vis-à-vis de ceux identifiés comme tels. Les violences permettront de dévier la colère des masses contre un ennemi identifié et de détourner l’attention des problèmes auxquels faisait face le Rwanda : l’inégalité économique et la question agraire non résolue. La première République durera de 1962 à 1973. Mais le mécontentement populaire se poursuivra. Et sur base de cela, Juvénal Habyarimana, provenant du Nord du pays, utilisera les tensions régionales entre la petite-bourgeoisie hutu du centre et celle du Nord pour s’élever au pouvoir en 1973.
> Nous publierons d’ici peu la troisième partie de cette analyse – La deuxième République, la guerre civile et le génocide de 1994.
Notes :
(1) Dans la région des Grands Lacs, pour les noms des populations, l’accord au pluriel se fait en ajoutant le préfixe ‘Ba-‘ et, au singulier, ‘Mu-‘. Par exemple, pour un ‘Tutsi’ et un ‘Hutu’, on dira ‘Mututsi’ et ‘Muhutu’.
(2) Jean-Pierre Chrétien, L’Afrique des grands lacs. Deux mille ans d’histoire, Paris, Aubier, 2000, p. 188.
(3) Ordre religieux missionnaire fondé par le Cardinal Lavigerie.
(4) Jean-Pierre Chrétien, L’Afrique des grands lacs…, p. 240.
(5) Yves Ternon, Rwanda 1994. Analyse d’un processus génocidaire, dans “Revue d’Histoire de la Shoah” 2009/1 (N°190).
(6) Citation reprise dans : Jean-Pierre Chrétien, L’Afrique des grands lacs…, p. 247.
(7) Ibidem, p. 245.
(8) Anciens du groupe scolaire de Butare (ex-Astrida). -
25 ans du génocide au Rwanda (1) – Le Rwanda avant la colonisation
Comment le capitalisme a engendré la barbarie dans la région des Grands Lacs

Photographies de victimes du génocide au Centre du mémorial du génocide à Kigali Gisozi (Rwanda). Wikipédia Il y a 25 ans, un événement d’une horreur inouïe et historique a eu lieu en Afrique de l’Est : le génocide des Tutsis et le massacre des Hutus modérés. Cet événement qui fut médiatisé sidéra le monde entier. La barbarie à l’échelle industrielle entraina la mort de 800.000 à 1.000.000 de personnes en 3 petits mois. La période d’avril à juin 2019 est l’occasion de revenir sur les causes et les conséquences de ce massacre pour le Rwanda et toute la région. Nous publierons cette analyse en plusieurs parties, de la période précédant la colonisation à la situation actuelle, en passant par la colonisation, la décolonisation et la période du génocide elle-même.
Par Alain Mandiki
On dit souvent que l’histoire est écrite par les vainqueurs. C’est une autre manière d’exprimer le fait que les sociétés humaines sont traversées par des rapports de forces entre classes antagonistes qui s’affrontent. Ceci constitue le moteur de l’histoire. Pour ceux qui veulent voir la société se transformer dans l’intérêt de la majorité sociale, ce que nous appelons une société socialiste démocratique, il est important d’étudier l’histoire en relation avec cette lutte de classe. C’est ainsi que nous pouvons tirer les leçons pour les combats politiques actuels.
Le Rwanda est situé en Afrique de l’Est dans ce que l’on a dénommé la région des Grands Lacs. C’est une région qui a une histoire riche, variée et complexe, à l’origine des sources du Nil. Un des éléments qui rend complexe l’analyse historique, c’est que la dynamique des relations sociales dans la région a souvent été fixée pour pouvoir défendre idéologiquement un régime politique particulier. Certains historiens de la région, comme l’Abbé Kagame Alexis, ont établi des éléments qui étaient vrais à une période historique dans une région géographique précise pour justifier et perpétuer la domination de leur couche sociale. Il en est de même pour les colons qui ont, eux, surtout assis leur autorité sur un récit national et une vision des relations sociales qui correspondaient à la nécessité de diviser pour régner, sur base notamment des théories racistes de Gobineau (1). Lors de la période coloniale, cela prendra la forme de l’indirect rule (2). Pour cela, il fallait jouer sur les contradictions qui étaient présentes dans le Rwanda précolonial, amplifier les antagonismes, en créer de nouveaux et les fixer comme s’ils étaient là de tout temps. C’est ainsi qu’est née l’idéologie génocidaire selon laquelle les Tutsis, peuple de pasteurs (3) hamitiques (4), aurait colonisé le Rwanda, un pays peuplé d’Hutus, peuple de cultivateurs Bantous.
Une des autres difficultés est de pouvoir étudier les processus historiques dans leur développements et leurs contextes. L’histoire de la région des Grands Lacs connait des similarités avec des périodes que nous avons connu en Europe occidentale, mais il y a surtout des différences. On ne peut pas tout simplement parler du Rwanda précolonial comme étant médiéval et tirer un parallèle complet avec notre Moyen-Âge. Malgré certains points communs, la temporalité des faits et les spécificités liées aux différents royaumes qui se sont établis dans la région doivent nous éviter de tirer des raccourcis hâtifs. Il reste aux scientifiques à faire leur travail pour nous donner une image de ce que fut l’histoire précoloniale de cette région, depuis son peuplement qui remonte à l’expansion du premier homo sapiens sapiens de la vallée du Grand Rift (Afrique de l’Est). Différents auteurs, qu’ils soient de la région ou originaire de pays impliqués dans le processus colonial, s’intéressent à ce vaste sujet. Au-delà des nuances et des débats contradictoires propres à l’immensité de la tâche, des consensus scientifiques se dégagent et établissent des faits historiques sur certains points d’importance.
Des Etats monarchiques centralisés
Dans la région des Grands Lacs, de manière spéculative à partir du 15e siècle, mais de manière plus sûre au 18e siècle, il existait plusieurs petits Etats monarchiques centralisés comme le Bunyro, le Buganda, le Nkore, le Burundi et le Rwanda. Ces Etats étaient parcourus de luttes pour le pouvoir interne entre les différents clans de la noblesse, et de contradictions sociales propres à l’exploitation d’un surproduit social sur lequel vivait la couche supérieure de la société. Il y existait également une volonté propre à chaque royaume de s’étendre au détriment de ses voisins.
Cela se faisait en fonction du potentiel des forces productives et du développement de celles-ci. L’ensemble de la société, et en particulier les couches dominantes, était organisée sur une base patrilinéaire clanique. Les clans pouvaient se composer d’un mélange Hutu – Tutsi ou Bairu – Bahima. D’autres groupes de populations existaient, comme les Twas. Un peuplement très anciens de la région vit de la culture maraichère et céréalière et de l’élevage pastoral. Il faut bien comprendre que la relation qui lie l’agriculture et l’élevage dans la région est autant complémentaire que contradictoire. Les troupeaux ont besoin de pâture pour se produire et se reproduire, et les pâtures ont besoin de troupeaux pour le travail du sol et le fumier qui permet la fertilisation du sol. Les grands propriétaires terriens s’élèvent au-dessus de la société, comme les propriétaires de grands troupeaux. En dessous d’eux se trouvent ceux qui doivent entretenir le bétail, le travailler, et de même pour les cultures. Il y avait au Rwanda ceux qui sont devenus des Hutus, qui parfois possédaient du bétail, et ceux qui sont devenus des Tutsis, qui étaient parfois agriculteurs, au contraire de ce que les colons ont pu écrire. Ceci étant dit, la vache représentait un capital important : par exemple, un grenier de 300 kg de haricots achetait une génisse de 100 kg ; une peau de vache non tannée achetait 30 kg de haricots, ou une houe, ou une jeune chèvre (5). ‘‘Rien ne surpasse la vache’’ dit un dicton rwandais. Cela reflète le statut primordial de la vache dans les échanges commerciaux. Les pasteurs, majoritairement Tutsis, ont donc eu tendanciellement une position de force plus importante en possédant ce capital.
La question ethnique – Les idées vraies, comme les idées fausses peuvent devenir une force matérielle quand elles sont reprises en masses
Le racisme est un ensemble d’idées né dans un contexte économique et social bien particulier. Cependant, une fois que ce contexte a déterminé l’idéologie qui la reflète, celle-ci prend sa dynamique propre et influe sur le développement du contexte lui-même. Ainsi, l’idéologie des races avait pour contexte l’esclavage dans le cadre de l’accumulation primitive capitaliste. Alors que ce contexte sous cette forme particulière a disparu, l’idéologie des races a resurgi à plusieurs reprises dans l’histoire avec les diverses conséquences funestes que nous connaissons. Nous pensons que si nous comprenons le contexte qui a pu faire émerger un tel ensemble d’idées, nous serons plus à même de le combattre. C’est ce que nous appelons la théorie de l’action.
L’ethnisme dans la région a toujours été un outil idéologique qui permet de diviser pour mieux régner. Mettre en avant un antagonisme ethnique permet de masquer le conflit de classes et d’éviter de répondre par exemple à la question agraire. Ainsi, les historiens, fonctionnaires et missionnaires coloniaux allemands puis belges ont inventé l’idée selon laquelle les Tutsis étaient des Hamitiques venus d’Abyssinie (6) et qu’ils étaient plus aptes au commandement. Cela a justifié le retrait de plusieurs chefs locaux (mwami) qui s’opposaient aux colons et leur remplacement par des chefs Tutsis acquis à la cause coloniale. Lors de la lutte pour l’indépendance, cet antagonisme a été joué dans l’autre sens, notamment par la démocratie chrétienne belge, pour maintenir la domination coloniale puis néocoloniale. Cette idéologie raciste a été promue par des pseudoscientifiques qui, sur base de l’anthropologie physique, ont installé un antagonisme permettant d’asseoir la domination impérialiste, et générant par là même les bases de l’idéologie génocidaire.
La production du surproduit social
Le Rwanda précolonial était une société inégalitaire. La soudure (7), les accidents de cultures, les épizooties (8) entrainaient des famines qui pouvaient jeter des familles ou des clans dans la pauvreté et les faire entrer dans des relations de dépendance. Un riche était défini par le nombre de personnes qu’il faisait travailler sur ses propriétés (cultures ou élevages). Une partie de ce qui était produit par le paysan moyen allait au chef qui lui avait concédé la parcelle. Ceux ne possédant pas de terre travaillaient donc comme journaliers sur des terres possédées par d’autres contre rétribution en marchandise (haricots, sorgho, bière, beurre,..) leur permettant d’acquérir d’autres biens. Ce statut, considéré comme indigent, était en marge de la société. À côté de cela s’établissaient des relations de clientèle propres à la société féodale rwandaise entre un riche et son corvéable, renforcées et valorisées par l’idéologie.
Lors de l’émergence de la dynastie des Banyiginya au Rwanda fin du 18e siècle, on a vu un renforcement du pastoralisme dans la structure sociale. Un système que l’on peut rapprocher du servage s’est développé, par lequel le paysan devait travailler sur les terres du seigneur un certain nombre de jours (2 jours d’akazi), sur une semaine de 5 jours. Le régime de l’ubuhake, une relation de clientèle et d’obligation qui fonctionnait en milieu pastoral, a été étendu et a recoupé les nouvelles structures de pouvoir. Néanmoins, ce ne sont pas les Tutsis dans leur totalités qui ont constitué la classe dominante, mais bien une minorité d’entre eux. On estime entre 10.000 et 50.000 le nombre de Tutsis de clan noble qui ont été impliqués dans le pouvoir colonial sur un total de plusieurs centaines de milliers de Tutsis au 18e siècle.
On le voit : les contradictions et les lignes de failles de la société rwandaise étaient nombreuses. Cela entraînait des luttes et des résistances. L’entrée en jeu des puissances impérialistes viendra modifier les rapports de forces internes à la région et fera entrer de plain-pied l’Afrique de l’Est dans les contradictions capitalistes.
> Nous publierons d’ici peu la deuxième partie de cette analyse – La colonisation et la décolonisation du Rwanda : les puissances impérialistes se disputent le gâteau africain.
Notes :
(1) Homme politique et écrivain français du 19e siècle.
(2) Méthode d’administration d’une colonie se basant sur des relais locaux.
(3) Eleveurs de bétails.
(4) Terme d’origine biblique attribué péjorativement à des populations africaines qui descendraient de personnages du Premier Testament.
(5) Claudine Vidal, Économie de la société féodale rwandaise, Cahiers d’Études africaines, 1974.
(6) Région de la Corne de l’Afrique.
(7) Période entre deux récoltes.
(8) Maladie frappant un groupe d’animaux. -
1994 : La tragédie du Rwanda
Il y a vingt ans, presqu’un million de personnes mouraient au Rwanda dans l’indifférence quasi générale des médias de l’époque. C’était la conséquence directe d’un siècle de pouvoir colonial avec complicité de la France sous la présidence socialiste de François Mitterrand. Le dossier dossier ci-dessous a été écrit par Andy Ford et est paru dans les pages du magazine mensuel Socialism Today, publication du Socialist party, section du Comité pour une Internationale Ouvrière en Angleterre et au Pays de Galles.
Le génocide au Rwanda s’est étalé d’avril à juin 1994. Il s’agit de l’un des évènements les plus effroyables de l’Histoire. On estime à 900.000 le nombre de personnes qui ont perdu la vie, souvent tuées par des voisins ou des collègues.
Le Rwanda est un petit pays au cœur de l’Afrique au sol est volcanique et fertile. Il y pleut en suffisance et son altitude est assez élevée pour éviter que les habitants ne soient touchés par la malaria ou victimes des mouches tsétsé. C’est pourquoi ce pays a toujours connu une forte densité de population et a tenu les influences européennes quelque peu à distance.
Le Rwanda pré-colonial consistait en une société qui a, petit à petit, pris forme d’État avec l’avènement d’un « roi » et d’un État de structure clanique. La tradition y était orale, l’écriture n’existait pas encore. Le Roi Rwabugiri (1860-95) a consolidé le premier véritable royaume en conquérant d’autres clans ou en collaborant avec eux. Il s’agissait d’une société basée sur l’élevage avec le « système ubuhake » par lequel les éleveurs prêtaient le « bétail » en échange de services et de loyauté et/ou d’accès à des pâturages. Pour ceux qui s’en sortaient un peu moins bien, il y a avait « ubureetwa » – l’utilisation de terres en échange de travail non rémunéré – ou « akaze », simplement du travail non rémunéré.
« Tutsi » était un terme large désignant celui qui avait du bétail, « Hutu » celui qui n’en avait pas. Les liens réciproques et les mariages mixtes étaient très courants et les deux groupes parlaient la même langue. Un missionnaire belge constatait en 1922 : « Les termes Tutsi et Hutu ne réfèrent pas à l’origine mais aux conditions sociales de richesse, en particulier en matière de bétail. Un chef de tribu ou un riche est appelé un Tutsi. » (Catherine Newbury, The Cohesion of Oppression : Clientship and Ethnicity in Rwanda 1860-1960, Columbia University Press, 1993).
Le Rwanda colonial
Au congrès de Berlin de 1884, le Rwanda a été attribué à l’Allemagne. Lors de ce congrès, le continent africain a été réparti entre les puissances européennes. La classe dirigeante allemande n’a effectivement reçu le nouveau territoire qu’en 1894, lorsque le comte de Gatzen arriva à Kigali. L’Allemagne a eu peu d’impact sur la colonie isolée mais elle repoussa quand même les envahisseurs belges qui venaient du Congo, alors sous contrôle du roi Léopold II. Des moyens étaient tirés des colonies sous la forme d’un impôt sur les huttes imposé via le roi rwandais. Le Royaume britannique a lui aussi utilisé des impôts sur les huttes, en fait pour chaque habitation, en Afrique du Sud afin de forcer les agriculteurs auto-suffisants à entrer dans l’économie capitaliste. Ils devaient gagner un salaire en travaillant pour des entreprises britanniques et pouvoir ainsi payer les impôts.
En 1917 se déroula une attaque commise par des troupes belges depuis le Congo, et le Rwanda a été conquis. Une collaboration avec les souverains autochtones s’est établie, certains obtinrent des armes et du soutien en échange d’aide pour le prélèvement d’impôts et l’exploitation de matières premières. L’exploitation des agriculteurs (Hutus) qui existait précédemment a été intensifiée par les Belges qui pour cela firent appel aux chefs de tribus (Tutsis). Newbury écrit : « les chefs de tribus qui voulaient travailler avec les Belges ont vu leur pouvoir et leur richesse augmenter. En échange, ils étaient censés imposer des lourdes charges à la population, initialement pour fournir des porteurs et de la nourriture aux Européens, ensuite, via l’agriculture et la construction de routes forcées. »
La « guerre » contre le royaume Bukunzi en 1923-25 illustre clairement els conséquences de cette politique. Les chefs de tribus Tutsis voulaient le bétail des souverains de Bukunzi et les Belges voulaient les imposer. Bukunzi se situait plus haut dans les montagnes par rapport au reste du Rwanda et les expéditions allemandes qui avaient voulu s’approprier ces territoires en 1907, 1909 et 1914 avaient été vaincues. Sous domination belge, une querelle de succession a offert une opportunité d’intervention. La première expédition belge se perdit en chemin, mais la seconde soumit le territoire à une occupation militaire brutale pour laquelle elle reçut le soutien des troupes rwandaises locales, en échange de bétail. La reine de Bukunzi décéda en 1925, en plein combat contre les Belges.
Les chefs de tribus s’approprièrent des produits ou du travail forcé, souvent, en prétendant qu’il s’agissait d’un service traditionnel non seulement pour servir les maîtres coloniaux mais aussi leurs propres besoins. Les expulsions forcées furent nombreuses, et la violence massive et omniprésente. Newbury cite un agriculteur rwandais qui déclarait en 1970 : « ils arrivaient et prenaient une vache sous prétexte que tu étais un rebelle. Il n’y avait rien à faire : à la moindre résistance, on était arrêté voire assassiné. »
L’ubureetwa et l’ubuhake ont augmenté étant donné que beaucoup d’agriculteurs dépendaient d’agriculteurs mieux lotis qu’eux et de chefs de tribus. Sans protection, ils perdaient facilement leur bétail, leur terre voire les deux. Ainsi, les dominateurs belges décidèrent en 1931 d’intensifier la production de café. Ils imposèrent à chaque chef de tribu Tutsi d’organiser la culture de 1.000 plants de café de sorte que chaque personne qui était dans l’ubereetwa (utilisation de terres) devait obligatoirement cultiver 54 plants dans le cadre du travail non rémunéré.
Les Belges incorporèrent les pratiques rwandaises telles que l’ubuhake et l’ubureetwa dans la législation coloniale, mais un fermier Hutu qui avait un litige avec un chef de tribu Tutsi devait en référer aux tribunaux locaux pour régler le conflit. Les dominateurs coloniaux avaient utilisé et intensifié les obligations pour exploiter davantage leur colonie. Il y avait une codification des formes précapitalistes de travail.
Une exploitation extrême
Dans les années 1920 et 1930, le pouvoir belge au Rwanda est devenu systématique. En 1921, les exploiteurs coloniaux imposèrent un impôt de 10 francs par vache à tous ceux qui possédaient plus de dix têtes de bétail, celui qui avait moins de dix têtes devait payer cinq francs. Cela occasionna une division entre ceux qui avait du bétail et ceux qui en avaient peu ou pas. En 1933, il y a eu un recensement de population tristement célèbre via lequel chacun devait s’enregistrer comme ‘Tutsi’ (15%), ‘Hutu’ (80%) ou ‘Twa’ (5%). Les Twas étaient les chasseurs-cueilleurs originels du pays.
Au cours de la Seconde Guerre mondiale, il y a eu une forte croissance au Rwanda. Beaucoup de routes ont été construites et le système akaze de travail non rémunéré était de plus en plus détesté. L’objectif était d’utiliser la terre fertile, la population nombreuse et le bétail du Rwanda pour fournir les centres industriels et miniers du Congo en nourriture.
L’exploitation via les chefs de tribus Tutsis fut intensifiée avec culture forcée de plantes (on présentait hypocritement cette culture comme un exercice à but éducatif…), assèchement des marais pour cultiver du café, service obligatoire dans les mines du Congo ou installation obligatoire sur d’anciens terrains boisés. Les fermiers étaient exploités de manière impitoyable. Cela allait si loin que lors d’une « famine » en 1943, il y eut 300.000 morts alors qu’au même moment, de la nourriture était exportée. Le travail forcé ne pouvait continuer, l’opposition massive à son encontre devenait trop forte. L’Ubureetwa fut aboli en 1949 et l’ubuhake en 1954 mais, dans beaucoup de territoires, il subsista cependant.
La politique du « diviser pour régner » par laquelle seuls les Tutsis recevaient une formation et étaient utilisés pour l’administration de l’autorité et les principales positions commerciales assura que cette minorité détenait tout le pouvoir entre ses mains. Telle pratique permettait à un très petit nombre de Belges de contrôler quatre à cinq millions de Rwandais. Il s’agissait de colonialisme classique, à l’instar des méthodes appliquées par la classe dominante britannique en Irlande, au Sri Lanka, en Inde et ailleurs de par le monde. Karl Marx signalait ainsi que la Grande-Bretagne régnait sur l’Inde avec une armée indienne financée de l’extérieur du pays. Le même modèle fut appliqué par la classe dirigeante belge au Rwanda.
Même le gouverneur belge au Congo, Charles Voisin, reconnaissait en 1930: “Sans collaboration avec les autorités locales, le pouvoir occupant serait impuissant et confronté à l’anarchie.” (citation du livre de Newbury). Dans le cas du Rwanda, la ‘division ethnique’ a, en grande partie, été créée par les colonisateurs.
Le soulèvement des Hutus
Une conscience Hutu s’est développée parmi les masses rurales sous la direction de commerçants Hutus et de petits fonctionnaires qui n’avaient pas accès aux hauts postes de l’administration coloniale. Deux des principaux leaders étaient journalistes pour des journaux catholiques qui n’avaient un public que parce qu’ils jouaient sur la colère latente en zone rurale.
Ils ont commencé à semer l’agitation contre la maison royale et la domination des Tutsis, de sorte que le problème fut posé en termes ethniques. Il fut appelé à la suppression du travail forcé et à son remplacement par du travail rémunéré sous contrats. Il fut exigé que les personnes à la campagne puissent avoir accès au crédit et que les Hutus soient admis dans les écoles et l’enseignement supérieur. Ces importantes revendications étaient limitées par la tendance à les placer dans le cadre de l’identité Hutu. En l’absence d’un programme de transformation socialiste de la société, les revendications revenaient en fait à prendre aux Tutsis pour donner aux Hutus. Les leaders hutus dépendaient même de la division de la société rwandaise et s’opposaient même aux cartes d’identité sur lesquelles l’origine tribale n’était pas mentionnée. Ils argumentaient vouloir mesurer le progrès de l’égalité.
Les dirigeants belges essayaient en vain de maintenir leur système en expérimentant la représentation « ethnique » dans les institutions naissantes mais la situation à la campagne restait pratiquement inchangée. Seuls 6% du conseil d’État consultatif étaient Hutus alors qu’ils représentaient 80% de la population. Les leaders hutus mobilisaient autour de la revendication d’un “gouvernement de majorité” même si une division au sein du mouvement hutu même était déjà présente entre ceux qui défendaient un point de vue anti-Tutsis et ceux qui défendaient l’égalité pour tous.
En novembre 1959, les Hutus se soulevèrent massivement. Le mouvement a démarré lorsqu’un leader hutu fut attaqué par des jeunes tutsis. Des huttes ont été brûlées dans tout le pays et il y a eu beaucoup de violence. Les forces tutsies, mieux organisées et armées, essayèrent de réprimer brutalement la protestation. Les Belges ne pouvaient soudainement plus compter sur leur collaborateurs locaux. Ils parvinrent à peine à rétablir ce qui ressemblait à de l’ordre en nommant des Hutus responsables, de sorte que les anciens collaborateurs Tutsis furent abandonnés à leur sort. Lors des élections de 1960, les partis Hutus remportèrent 84% des voix. L’indépendance suivit en juillet 1962.
La France intervient
Avec l’héritage de la division et de l’exploitation ainsi que l’ingérence de la Belgique qui permettait à l’élite hutue de garder un pied dans la porte, le gouvernement du Rwanda n’a jamais été stable. Cela demeura ainsi jusqu’au coup d’État de Juvénal Habyarimana en 1973. Ce coup d’État a été soutenu par les Français, qui utilisaient l’argument qu’un État à parti unique amènerait la “stabilité”. Dans un certain sens, le coup d’État confirmait que la Belgique avait abandonné l’espoir d’une domination néocoloniale sur le Rwanda. Le pays se retrouva sous sphère d’influence française.
Il s’agissait d’un État à parti unique, d’une dictature anti-communiste, un régime-marionnette aux ordres de la France. Habyarimana obtenait régulièrement plus de 90% des voix lors de la tenue d’élections truquées. Son soutien s’est progressivement affaibli. Certains leaders hutus quittèrent le navire à la dérive, d’autres fuirent à l’étranger. La principale base de soutien d’Habyarimana provenait du groupe Akazu, surtout dans sa propre région.
Le régime dépendait de plus en plus de l’extrémisme hutu pour compenser le manque de progrès sur le plan économique et social. Plus de 90 % de la population dépendaient toujours de l’agriculture et moins de 5% avaient accès à l’électricité. En 1989, le prix du café s’est effondré et Habyarimana a accepté un programme du Fonds Monétaire International, ce qui occasionna de fortes mesures d’austérité et la pauvreté allant de pair pour la population.
Le Front Patriotique rwandais (FPR) a joué sur le mécontentement. En 1990, le groupe vint d’Ouganda au Rwanda. Le FPR était surtout composé de membres de la guérilla tutsie et était dirigé par le président autoritaire actuel, Paul Kagamé. Le FPR n’est pas parvenu à renverser le régime parce qu’en février 1993, les Français sont intervenus.
Le régime de Habyarimana a perdu de plus en plus de soutien, le fait que le pouvoir était détenu par des Hutus ne suffisait pas à fournir la population en nourriture, eau potable ou électricité. Habyarimana dut conclure un accord avec le FPR. Cela se fit via les accords d’Arusha en 1993, par lesquels la France et les USA essayèrent d’imposer un partage de pouvoir.
En avril 1994, l’avion d’Habyarimana fut abattu, peut-être par l’Akazu. Ils avaient rassemblé des armes avec la complicité de la France, dont 500.000 machettes, des listes de Tutsis et une milice avait été mise sur pied, l’Interhamwe. Les trois mois qui suivirent, il y eut presqu’un million de morts. La plupart tués à coups de machettes. L’autorité française était au courant du plan mais a laissé faire pour maintenir les liens avec les alliés. Ce qu’on appelle la « mission de paix » de la France a complètement ignoré le bain de sang et juste protégé les criminels. Lorsqu’Interhamwe a été battue par le FPR, les troupes françaises ont couvert ses troupes dans leur fuite vers le Zaïre.
L’impérialisme est coupable
Pour tenter de minimiser leur propre responsabilité dans le terrible bain de sang, les Français ont commencé à parler de “vieille haine” et à dire que de toute façon « les Africains sont comme ça ». L’extrême-droite et certains médias parlaient d’un exemple de primitivité africaine. Une version légèrement sophistiquée consiste à dire que des politiciens sans scrupules ont conquis le pouvoir et l’ont conservé en jouant sur les rapports entre tribus et l’identité ethnique. Les choses sont présentées de cette manière dans un rapport de Human Rights Watch, “None Left to Tell the Story”. La responsabilité des troubles sanglants est reportée sur les Africains. De telles explications ne suffisent tout simplement pas pour comprendre ce qui s’est passé.
Dans le livre ‘Collapse’ de Jared Diamond, les limites de l’histoire de la “haine ethnique” sont expliquées. Il indique que sur l’île d’Ijwi dans le lac Kivu, une île qui est rwandaise ethniquement même si elle fait partie du Congo, les identités Tutsi et Hutu sont plus disparates et moins importantes. Il n’y a pas eu de manipulation ethnique par l’impérialisme belge à cet endroit. D’autre part, la population Twa du Rwanda – ni tutsie ni hutue – a également été attaquée. Dans une région au nord-est du Rwanda où il y avait moins de Tutsis, beaucoup de Hutus ont été assassinés.
Diamond donne une image claire de la vie au Rwanda juste avant le génocide. Il esquisse une image de densité de population croissante avec épuisement et érosion du sol et un morcellement des terres qui a fait que beaucoup de gens n’avaient plus assez de terres arables. Cela a provoqué une large sous-alimentation. Dans les villages, il y avait une polarisation entre un groupe de riches propriétaires terriens impitoyables d’un côté et de pauvres sans terre de l’autre côté.
De plus en plus de conflits ont éclaté à propos de terres entre propriétaires, pères et fils, veuves et beaux-frères,… Les tribunaux traditionnels recevaient de nombreuses affaires de cette sorte. Juste avant le génocide, il y eut d’ailleurs une forte augmentation des conflits juridiques. Toute la société a connu une tension insoutenable qui a finalement conduit aux atrocités du génocide. (Collapse: How Societies Choose to Fail or Survive, Penguin, 2011)
L’impérialisme et le capitalisme ont démontré leur faillite à chaque instant. L’impérialisme belge a, en réalité, créé les identités tutsi et hutu pour pouvoir piller le pays. Les entreprises belges et les administrateurs coloniaux ont renforcé les formes de travail traditionnelles pour favoriser leur propres intérêts. Même après l’indépendance, le Rwanda a été soumis aux dominations étrangères, d’abord avec les Belges puis avec le néo-colonialisme français.
Seul un gouvernement des travailleurs et des pauvres reposant sur une planification socialiste et démocratique de la production est capable de libérer la population du Rwanda des dominations coloniales et de dépasser la division créée par les exploiteurs capitalistes. Une perspective internationaliste claire doit y être combinée, pour une transformation socialiste de la société dans la région subsaharienne et au-delà.
Au lieu de ça, la dictature soutenue par les Français a progressivement perdu le soutien de la population et dépendait de plus en plus des extrémistes Hutus. Le pays stagnait et les tensions augmentaient à la campagne. L’État français soutenait les forces meurtrières afin de maintenir le Rwanda dans sa propre sphère d’influence. En protégeant Interhamwe, des centaines de milliers de personnes ont été massacrées.
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L'Afrique peut-elle sauver le capitalisme ?
L’élite capitaliste cleptomane vit dans l’opulence, mais la croissance ne touche pas les masses laborieuses
”Je suis absolument convaincu du fait que l’Afrique représente la prochaine zone pionnière économique mondiale, et je ne suis pas le seul à partager cette conviction” affirmait en avril dernier Johnnie Carson, sous-secrétaire d’Etat américain pour l’Afrique. Il n’est pas le seul à exprimer son optimisme croissant au sujet de l’Afrique. Comme il l’a fait remarquer, les perspectives de croissance de la Banque mondiale pour l’Afrique pour les deux prochaines années se situent entre 5 et 6 %, un taux de croissance au-delà de celui de l’Amérique latine, de l’Asie centrale ou de l’Europe.
Peluola Adewale, Democratic Socialist Movement (CIO Nigeria)
Selon les prévisions du FMI pour les cinq années qui suivent 2011, sept pays africains (Éthiopie, Mozambique, Tanzanie, Congo-Kinshasa, Ghana, Zambie et Nigeria) se trouveront dans les top dix des pays à la croissance la plus rapide au monde. Une analyse du magazine The Economist révélait l’an dernier que six pays africains (Angola, Nigeria, Éthiopie, Tchad, Mozambique et Rwanda) se trouvaient dans le top dix des pays qui ont eu la croissance la plus rapide entre 2000 et 2010. De fait, l’Afrique a commencé à attirer des remarques positives de la part des commentateurs capitalistes, surtout depuis le début de la crise économique mondiale.
Cette crise, qui est la pire crise capitaliste depuis la Grande Dépression des années 1930, a enflammé l’Europe et les États-Unis, poussant apparemment les stratèges capitalistes à aller chercher le succès ailleurs – et ils en auraient trouvé en Afrique.
Les grands médias capitalistes ont arrêté leur campagne permanente de dénigrement du continent africain, et acclament à présent en grande pompe la moindre tendance “positive”. On peut voir un exemple clair de tout ceci dans les pages de The Economist où l’Afrique s’est métamorphosée, passant de “Continent sans espoir” en mai 2000 à “Continent rempli d’espoir” en décembre 2011.
Cependant, la plupart des superbes taux de croissance de ces pays reflètent une hausse de la valeur des exportations des matières premières, à la fois en termes de production et en termes de prix, qui est liée à la croissance de la demande mondiale, surtout de la part de la Chine. Par exemple, le prix du pétrole est passé de 20 $ du baril en 1999, à 147 $ en 2008. Ces statistiques, de manière générale, ne reflètent pas une croissance généralisée de l’économie du continent ni de son niveau de vie. De plus, tout ralentissement de l’économie, que ce soit en Occident ou en Chine, aura pour conséquence une baisse brutale de la demande pour les exportations africaines.
Une grande misère
Pour la plupart des travailleurs, qui n’ont vu qu’une aggravation de leurs conditions de vie d’année en année, les statistiques économiques impressionnantes qu’on voit apparaitre çà et là sont un grand mystère. En fait, la forte augmentation du prix de la nourriture et du carburant revient à une attaque constante contre le niveau de vie. L’Afrique est aujourd’hui un continent dévasté par une misère de masse, avec un accès très limité aux nécessités vitales de base.
Par exemple, en Éthiopie – pays qui se trouve justement sur la “liste d’or” –, 90 % de la population a été classée en tant que “pauvre multidimensionnelle” par un rapport du Programme des Nations-Unies pour le développement (Pnud) publié en 2010. La situation au Nigeria, qui est le plus grande producteur de pétrole africain, a également été très correctement décrite par le Pnud. Son représentant dans le pays, M. Daouda Touré, a remarqué que ”Depuis maintenant plus d’une décennie, le Nigeria a connu un taux de croissance élevé permanent, qui n’a pas eu la moindre répercussion sur le plan de l’emploi ni sur celui de la réduction de la pauvreté parmi ses citoyens.” Il ajoute : ”Les statistiques disponibles en ce moment suggèrent que le taux de pauvreté au Nigeria s’est en réalité aggravé entre 2004 et 2010” (The Nation, Lagos, 29 août 2012). Cela n’a que confirmé ce que le statisticien général du Nigeria, M. Yomi Kale, avait dit concernant le ”paradoxe (…) qui fait que malgré le fait que l’économie nigériane est en pleine croissance, la proportion de Nigérians vivant dans la pauvreté ne fait qu’augmenter d’année en année.” (The Guardian, Lagos, 14 février 2012).
L’Afrique du Sud, qui est la plus grande économie du continent, est aussi le deuxième pays le plus inégalitaire au monde. Cela, malgré la politique du “black economic empowerment” (promotion économique des noirs) menée par le gouvernement ANC dans l’Afrique du Sud post-apartheid.
En Angola, les deux tiers de la population vivent avec moins d’un euro (656 FCFA) par jour, et seuls 25 % des enfants fréquentent l’école primaire (The Guardian, Londres, 18 novembre 2011). L’Angola est pourtant le pays qui a eu le taux de croissance économique le plus élevé au monde, avant la Chine, dans les années 2000 à 2010. L’Angola représente à l’heure actuelle un paradis économique pour le capitalisme portugais, dont le pays natal se trouve en ce moment sous les feux de la crise de la zone euro. Ce pays nous offre ainsi un exemple classique de migration inversée entre l’Europe et l’Afrique. Non seulement l’Angola abrite aujourd’hui une communauté de 150 000 Portugais chassés par le chômage dans leur pays, mais il a également massivement investi ses pétrodollars au Portugal. La compagnie pétrolière d’État angolaise, la Sonangol, est le principal actionnaire d’une des plus grandes banques du Portugal, la Millenium BCP. En juin 2010, l’ensemble des investissements angolais dans des entreprises portugaises étaient estimés valoir plus de deux milliards d’euros, selon le Financial Times. Et pourtant, on ne trouve quasiment ni électricité ni eau potable dans tout le pays, même dans la capitale Luanda.
Tout cela est symptomatique de la situation en Afrique, où la croissance économique se reflète uniquement dans l’opulence de l’élite de voleurs capitalistes au pouvoir, et aucunement dans le développement de l’infrastructure ou dans l’amélioration du niveau de vie de la masse de la population.
Mais les stratèges capitalistes ne sont pas concernés par le sort des travailleurs. Tant qu’il y a des ressources naturelles à exploiter librement pour leurs super-profits, l’Afrique est pour eux tels un lit de roses.
Comme le rapportait The Guardian de Londres : ”Il y a parmi le monde des affaires de plus en plus de confiance dans le fait que l’Afrique est la destination d’investissements qui donne les plus grands profits au monde” (28 mars 2012). C’est ainsi que la banque d’investissements mondiales Goldman Sachs disait dans un rapport en mars 2012 que : ”L’Afrique est une destination à laquelle les investisseurs doivent réfléchir, pour une croissance sur le long terme (soit on y participe, soit on rate une bonne occasion).”
Cette course à la super-exploitation de l’Afrique explique pourquoi le continent, avec ses immenses ressources naturelles et ses immenses terres fertiles pour l’agriculture, est dominé par des multinationales et est dirigé sur base d’une politique capitaliste néolibérale qui bénéficie avant tout à l’Occident impérialiste.
L’absence d’infrastructures de base (ou, quand elle est présente, sa médiocrité) signifie que l’Afrique est toujours en très grande partie dépendante de ses exportations de matières premières, et que le continent dans son ensemble ne compte toujours que pour un ridicule 2 % de la production mondiale.
Les soi-disant “investisseurs” ne sont surtout intéressées que par les industries d’extraction qui, bien que créant de la croissance, ne créent que très peu d’emplois. Cet échec dans le développement de l’industrie de transformation explique pourquoi l’Afrique, en tant qu’exemple classique de croissance sans emploi, ne peut imiter le rôle de la Chine en tant que moteur du capitalisme mondial, malgré son immense population et son urbanisation croissante. Au contraire, c’est le capitalisme qui garantit le sous-développement du continent.
Une corruption rampante
Les souffrances de l’Afrique sont également dues à la corruption caractéristique de ses dirigeants. Il convient cependant bien de souligner le fait que la corruption est loin d’être propre de l’Afrique ou des pays en développement.
La plupart des ressources qui restent en Afrique, après les pertes dues au commerce inéquitable et au payement de la dette, sont volées par les dirigeants pro-impérialisme corrompus, puis envoyées vers des comptes en banques privés à l’étranger, en Europe ou en Amérique.
Le capitalisme néolibéral, qui entraine avec lui privatisations et dérégulations, a donné encore plus de marge aux dirigeants africains pour piller le trésor public, puisque ce ne sont plus eux qui sont censés utiliser ces ressources afin de fournir les infrastructures et les services de base.
Mais face à cette situation, les travailleurs, les jeunes et les pauvres du continent sont loin d’être passifs. L’Afrique a une longue histoire de luttes de masse contre le colonialisme et le racisme. Plus récemment, on a vu apparaitre des luttes contre les régimes pourris et corrompus et pour une vie meilleure, comme on l’a vu après les insurrections de masse, surtout en Afrique du Nord, qui ont chassé au moins trois dictateurs. En janvier 2012, nous avons assisté à la plus grande grève générale et au plus grand mouvement de masse de toute l’histoire du Nigeria, contre la hausse du prix de l’essence. Les mineurs sud-africains, dans leur lutte pour de meilleures conditions de travail et pour un meilleur salaire, ont quasi mis à genoux l’industrie minière. Le secteur des mines compte pour une très grande part de la richesse du pays ; il est aussi un symbole de l’immense inégalité entre travailleurs et patrons.
Cette lutte des mineurs, dans laquelle le DSM sud-africain joue un rôle dirigeant, a contribué à mettre au-devant de la lutte la revendication pour la nationalisation de l’industrie minière, ainsi que l’idée d’une alternative politique des travailleurs et des pauvres contre l’ANC.
Les mouvements de masse des travailleurs et de la jeunesse en Europe, et en particulier en Grèce et en Espagne, contre l’austérité et contre les attaques néolibérales sur l’emploi, sur les salaires, sur l’enseignement et sur la santé, vont continuer à élever la conscience des travailleurs en Afrique. Les nouvelles luttes qui vont se développer en Afrique auront pour effet qu’il n’y aura aucun refuge sûr pour le capitalisme dans un monde de crise, et seront une source d’inspiration afin d’intensifier la quête d’une alternative socialiste.
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Élections présidentielles au Congo : Les suites de la ”transition démocratique”…
Les élections présidentielles qui ont eu lieu fin novembre au Congo ont permis de clarifier l’état de la ”transition démocratique” dans le pays. Alors que celles-ci devaient confirmer l’action en faveur de la paix et de la démocratie de la ‘communauté internationale’, celles-ci nous ont permis de vérifier une fois de plus que cette ‘communauté’ est incapable d’apporter la paix, la démocratie ou le développement.
Par Alain (Namur)
L’avènement de Joseph Kabila
Joseph Kabila a été élu en 2006 en tant que président de la république. Cette élection, conforme aux vœux de la communauté internationale, a pris place dans une situation où le peuple congolais sortait de 10 ans de guerre et d’instabilité politique. Joseph Kabila a pu se forger l’image d’un homme qui a réussi à ramener une relative paix au Congo. Après cette décennie de guerre qui vu mourir 4 à 6 millions de personnes, le peuple n’avait qu’un seul espoir : la paix et le développement. Joseph Kabila a pu s’appuyer sur cet espoir pour asseoir son autorité.
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Il a aussi habillement joué sur l’attrait du pouvoir afin d’effacer toute contestation. Il a nommé comme premier Premier Ministre Antoine Gizenga, dirigeant historique du PALU ( le parti lumumbiste unifié- le parti du dirigeant nationaliste Patrice Lumumba héros de l’indépendance).
Son programme comme président faisait écho à cet espoir de paix et de développement et était constitué de 5 chantiers qui devaient fonder son action comme président : l’infrastructure, la création d’emploi, l’éducation, l’eau et l’électricité et la santé. À côté de cela, il y avait la promesse de pacifier le pays, notamment à l’Est, où des groupes armés sévissaient encore.
Les 5 chantiers où la désillusion du peuple
Durant son mandat de 5 ans, Kabila aurait pu mettre à profit les énormes richesses naturelles dont dispose le Congo pour répondre aux besoins sociaux. S’il avait ne fut-ce qu’entamé un pas dans cette direction, il est clair qu’il se serait attiré la sympathie d’une grande partie de la population pauvre des villes et des campagnes.
Au lieu de cela, et conformément à la volonté de ses donneurs d’ordres, il n’a avancé dans aucun des 5 chantiers. D’un côté les richesses naturelles du pays ont été bradées aux compagnies étrangères à la recherche de matière premières en échange de quelques miettes (comme la construction de routes ou de bâtiments publics par ces mêmes compagnies). De l’autre côté, le pouvoir à cherché à écarter toute critique soit par la corruption directe ou indirecte (un député gagne 4 à 5.000 dollars là où la majorité de la population vit avec moins de un dollar par jour), soit par la conclusion d’accord avec ”l’opposition” : il a ainsi pris comme vice Premier ministre l’un des fils de Mobutu, pour s’allier à lui la mouvance Mobutiste.
Les voix dérangeantes pour le pouvoir, comme celle de Floribert Chebeya (représentant de l’association de défense des droits de l’homme ”La voix des sans Voix”), ont été assassinées purement et simplement.
Malgré tout cela, la communauté internationale (ONU, USA, UE,UA,…), en général, mais aussi les politiciens traditionnels belges ont toujours soutenu Kabila. Dernièrement, Louis Michel, interviewé à Matin Première, disait qu’il n’avait jamais soutenu Kabila en lui-même, mais bien le processus de paix et de démocratie au Congo. Ce soutien d’une partie de la classe politique belge, malgré les assassinats et malgré la corruption avérée du régime ainsi que la pauvreté persistante et sévère du peuple, est un élément d’explication de la colère qui s’exprime dans le quartier Matonge à Ixelles.
Pour les Congolais, le processus de pacification et de démocratie est une farce. La MONUC qui est déployée depuis 10 ans au Congo ainsi que l’armée congolaise n’ont pas été capables de sécuriser l’Est du pays. Actuellement, il y a encore une dizaine de groupes armés différents qui circulent dans la région alors que la mission des Nations Unies coûte 1 million par jour.
La coopération au développement belge, alliée indéfectible de Kabila, a réalisé via l’aide au développement certainement bien plus que Kabila lui-même. Cela lui a permis de prendre pour lui le crédit de réalisations pour lesquelles il n’a strictement rien fait
La seule chose où le régime présidentiel excelle vraiment, de même que toute l’actuelle classe politique congolaise, c’est la corruption. Un député travailliste britannique, Eric Joyce, déclarait fin novembre que le gouvernement Kabila aurait ”signé plusieurs contrats miniers pour quelques 5,5 milliards de dollars américains, dans une totale opacité, avec des sociétés fictives immatriculées aux îles Vierges britanniques”. Il ajoutait : ”ces documents prouvent que les ressources naturelles du Congo ne sont pas exploitées comme des sources de revenus légitimes pour le peuple congolais. Des séries d’arrangements complexes entre le gouvernement du Congo et des sociétés fictives des IVB (îles Vierges britanniques, ndlr) font en sorte qu’un petit nombre de personnes s’enrichissent moyennant des pertes énormes pour le reste de la population.” Il a même qualifié la gestion des contrats miniers de scandale du siècle…
Il s’agit de corruption de haut vol mais, dans des conditions matérielles difficiles, c’est l’ensemble de la société congolaise qui est touchée par la corruption. La population pauvre des villes et des campagnes en est la première victime. Certains salaires de fonctionnaires (soldats, enseignants, administrations,…) qui sont déjà faibles, n’arrivent parfois plus depuis des mois. Cela pousse les représentants de l’Etat à rançonner la population. Cette situation de corruption généralisée ne peut être combattue que par un contrôle collectif de la population sur chaque secteur. C’est la seule manière de s’assurer que les richesses produites et la plusvalue de ces richesses vont bien répondre aux besoins sociaux, qui sont immenses.
Les élections présidentielles
Le 28 novembre, les Congolais étaient appelés aux urnes pour élire un nouveau président et une nouvelle assemblée parlementaire. La loi électorale a été modifiée afin de favoriser Kabila. Il a fait passer le système électoral de 2 tours à 1 seul. Il a utilisé les moyens de l’Etat pour sa campagne. Mais ceci est encore superficiel. De nombreux droits démocratiques ont été bafoués durant la campagne, comme des meetings interdits ou attaqué par les forces de l’ordre. Il y a eu une trentaine de morts durant la campagne. Malgré cela, les politiciens belges envoyés comme observateurs internationaux n’ont rien trouvé à redire de ces élections qui, selon eux, se sont bien déroulées, à l’exception de quelques problèmes ça et là… Ce n’est pas l’avis du centre américain Carter, pour qui ces élections ne sont pas crédibles. Marie-France Cros, du quotidien La Libre, est du même avis.
Le retour de ‘l’opposant éternel’
Etienne Tshisekedi qui a été plusieurs fois premier ministre sous Mobutu, a pu profité de la colère et du désespoir d’une partie de la population pour se mettre en avant. Il se présente comme un homme qui lutte depuis toujours pour la démocratie au Congo alors qu’il fait partie de la même classe politique corrompue. Au lieu d’organiser la population pour que celle-ci reprenne le contrôle de l’économie et de toute la société, lui et son parti (Union pour la démocratie et le progrès social) préfèrent instrumentaliser la colère pour tenter de décrocher des postes via la stratégie de la tension.
A ce point, il est difficile de savoir si le but de Tshisekedi est réellement de s’emparer du pouvoir ou de mettre assez de chaos pour pouvoir avoir une bonne place pour lui et son parti dans le prochain gouvernement. Louis Michel préconisait ”l’union nationale”. On verra comment ‘l’opposant éternel’ réagira à cette proposition.
Une perspective socialiste pour le Congo
L’indépendance politique que le Congo a acquis de haute lutte en 1960 ne s’est jamais accompagnée d’une indépendance économique, cela signifie que les droits pour lesquels ont lutté les héros de l’indépendance n’ont jamais été effectifs.
La réaction a, de plus, remporté une grande bataille en installant et en maintenant Mobutu durant une trentaine d’années. Après la chute de celui-ci, encore une fois par la lutte du peuple, il a fallu le temps que l’impérialisme retrouve un pion docile sur lequel s’appuyer dans la région. Ce pion, il l’a trouvé dans la personne de Joseph Kabila. Celui-ci a pu s’imposer par manque de perspectives claires quand à la manière de renverser une dictature chez tous les dirigeants révolutionnaires congolais.
En effet, Kabila-père a cru que par une guerre de guérilla et en s’alliant avec des anti-impérialistes il pourrait garder les rennes du Congo. Il a vite été éliminé du jeu politique. L’impérialisme a trop d’intérêts en jeu au Congo pour pouvoir garantir le minimum démocratique et social à la population. Il faut que les travailleurs et les paysans congolais s’organisent en un parti à caractère ouvrier qui lutte pour que l’économie soit gérée directement par les Congolais, ce qui implique :
- La dissolution de l’assemblée parlementaire actuelle et l’élection dans chaque localité de représentant du peuple. Ces comités doivent avoir une coordination par ville, province et nationalement
- la prise de contrôle par les travailleurs des secteurs miniers afin que les revenus de l’exploitation minière servent au développement du pays tout entier
- le partage des terres via des comités de paysans élu
Ces mesures doivent être accompagnées d’autres pour que chaque secteur soit entièrement sous le contrôle de la population. C’est la seule manière de lutter contre la corruption à tout les niveaux.
Si les Congolais prennent en main leurs richesses, le Congo sera capable d’offrir du travail avec un salaire convenable à l’ensemble de la population. En effet, la construction de routes, d’écoles, d’hôpitaux, l’agriculture, sont des domaines où tout reste à faire. Cela permettrait à d’autre pays de la région (Rwanda, Burundi,…) de se développer et de combattre la pauvreté en Afrique centrale ce qui diminuerai du même coup les tensions ethnique.
Les Tunisiens et les Égyptiens. Aucune dictature n’est éternelle. Il faut que les Congolais mettent fin à la dictature, et contribuent à la construction d’une Afrique prospère, démocratique et socialiste, où les secteurs clés de l’économie seront sous le contrôle des travailleurs et des paysans pauvres.
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Les crimes de guerre du gouvernement srilankais et le tardif rapport des Nations-Unies
Le rapport du groupe d’experts des Nations-Unies publié ce 25 avril après un délai considérable confirme l’analyse de Tamil Solidarity et d’autres organisations au sujet du massacre des Tamouls au Sri Lanka ces deux dernières années. Ce groupe d’experts avait été établi par le secrétaire général des Natons-Unies Ban Ki-Moon en juin 2010 afin de connaitre la situation au Sri Lanka.
Écrit par TU Senan, pour Tamil Solidarity
Le rapport confirme nos estimations selon lesquelles plus de 40 000 personnes ont été massacrées par l’armée srilankaise lors de la phase finale de la guerre qui s’est terminée en mai 2009. L’armée a constamment bombardé les hôpitaux, les écoles, les abris temporaires et les soi-disant “zones de cessez-le-feu”. L’ensemble des 400 000 réfugiés ont été ensuite déportés en masse vers des “camps de détention” sans aucune infrastructure. Toutes sortes de décès et abus scandaleux ont eu lieu au cours du transport et dans les camps. De nombreuses campagnes, y compris Tamil Solidarity et les médias tamouls, diffusent constamment de nouveaux rapports de ces horreurs.
Toutefois, il ne faut pas avoir la moindre illusion dans le fait que ce rapport de l’ONU n’apporte le moindre changement dans les conditions des victimes au Sri Lanka. Le lendemain de sa publication, le journal britannique The Guardian rapportait que le secrétaire général de l’ONU «ne désire lancer une enquête internationale que si le gouvernement srilankais est d’accord, ou si un “forum international” tel que le Conseil de sécurité des Nations-Unies appelle à une telle enquête». Il est évident pour de nombreuses personnes que le gouvernement srilankais ne permettra pas la moindre enquête internationale. En fait, la publication de ce rapport tardif a elle-même été retardée par les protestations du gouvernement srilankais. Le ministre srilankais des Affaires extérieures, GL Peiris, a qualifié ce rapport d’“absurde” et “sans fondement”.
Le président du Sri Lanka, Mahinda Rajapaksa, a appelé à une “démonstration de force” pour le Premier Mai, la journée internationale des travailleurs, pour «manifester contre l’injustice faite à notre pays» par ce rapport de l’ONU ! «Le Premier Mai ne devrait pas être confiné à exprimer la solidarité des travailleurs», disait Rajapaksa. Alors que le régime tente de récupérer à son compte la Fête du Travail pour ses propres intérêts chauvinistes, il accuse l’ONU d’être «récupérée par certains pays» ! Le gouvernement a aussi appelé tous les partis politiques du pays à exprimer leur opposition à ce rapport. Il cherche à détourner les critiques contre le gouvernement vers les “ennemis à l’étranger”.
En réponse à l’appel de Rajapaksa, le parti pseudo-marxiste qu’est le JVP (Janatha vimukthi peramuna – Front de libération populaire, un parti communautaire chauviniste pro-cingalais qui se prétend à tort “marxiste”) a attaqué les Nations-Unies pour leur ingérence dans les affaires internes du pays ! La véritable raison de l’opposition de ce parti au rapport de l’ONU provient du fait qu’il a soutenu le gouvernement pendant la guerre. Il a suivi le gouvernement dans chacun de ses pas tout au long de la guerre. Et il a été très rapide à appeler à ce que l’ex-général Sareth Fonseka, qui a dirigé la guerre, soit promu au rang de héros national.
Le JVP tente parfois de donner une image “mixte”. Il donne l’impression de se battre contre les attaques sur les droits démocratiques, de se battre pour les droits des réfugiés tamouls et pour la liberté des médias. Il fait cela uniquement pour conserver un certain soutien parmi les étudiants et certains travailleurs, qu’il mobilise sur base de revendications économiques et sociales “radicales”. Mais en mélangeant ces revendications avec le nationalisme cingalais bouddhiste, il pousse ces couches encore un peu plus vers le régime Rajapaksa. Cette méthode erronnée a été démontrée de manière très claire par l’ampleur de leurs pertes électorales. Un appel doit être fait envers tous ces étudiants et travailleurs qui cherchent une direction, afin qu’ils rompent avec le JVP et qu’ils rejoignent une véritable riposte.
Mais le JVP n’est pas le seul parti politique qui nie les affirmations des Nations-Unies. Certains membres du parti d’opposition capitaliste, l’UNP (Parti national uni), tels que P.E. Jayasuriya, déclarent encore que «Pas un civil tamoul innocent n’a été tué par l’armée durant la guerre, grâce à la bonne gestion du président Rajapaksa».
L’ironie étant (si on peut parler d’ironie dans le contexte du Sri Lanka) que Jayasuriya est également un membre de l’association internationale des droits de l’Homme ! Le vice-président de l’UNP, Karu Jayasuriya, a aussi proclamé que le parti se rangera du côté des forces de sécurité, apportant encore plus de soutien au gouvernement quant à cette question.
Le parti des moines bouddhistes fondamentalistes et racistes du JHU (Jathika hela urumaya – Parti du patrimoine national) fait “tout ce qu’il peut” pour soutenir le gouvernement. « Si Ban Ki-Moon et les Nations-Unies veulent mettre le président Rajapaksa sur la chaise électrique, il faudra alors qu’ils y mettent chacun de nous, les religieux en premier», disait le Vénérable Galagama Dhammaransi Thero, ajoutant que «Nous protégerons et bénirons toujours ce dirigeant courageux».
Pendant ce temps, la Commission de réconciliation et des leçons apprises (LLRC) mise en place par le gouvernement a déclaré qu’elle ne commentera pas ce rapport ni ne prendra la moindre action le concernant. La LLRC est une fausse commission mise en place par le président, et elle agit conformément à ses attentes.
Malgré la rhétorique anti-impérialiste utilisée par le gouvernement pour mobiliser le nationalisme cingalais, l’impérialisme occidental tout comme le régime srilankais sont bien conscients du caractère très limité des actions qui pourraient être entreprises à l’encontre du Sri Lanka.
L’hypocrisie des Nations-Unies
Malgré l’aveu du rapport lui-même selon lequel «au cours des dernières étapes de la guerre, les organes politiques des Nations-Unies ne sont pas parvenus à entreprendre la moindre action afin de prévenir la mort de civils», aucune “excuse” n’a été jusqu’ici faite par cette institution. À la place, l’ONU n’offre que l’inaction, encore et encore.
De nombreux appels à l’action ont été émis durant la guerre début 2009, afin d’arrêter la guerre et d’empêcher le massacre en masse de la population tamoulophone. Samedi 31 janvier 2009, 100 000 personnes ont défilé à Londres en opposition à cette boucherie. Des centaines de milliers de Tamouls et d’autres sont descendus dans les rues partout dans le monde. Après la guerre, ces mouvements ont continué à émettre des revendications en faveur de véritables mesures humanitaires. Dans le silence et l’inaction de l’ONU et des autres gouvernements, une horreur et un massacre sans nom ont eu lieu. Et les abus et tueries se poursuivent aujourd’hui même. Ceci ne sera pas oublié.
Avec ce rapport, les Nations-Unies tentent maintenant de se racheter quelque peu. Mais le fait reste que l’ONU n’a fait absolument aucune tentative pour empêcher la tuerie. Qui plus est, elle ne s’est même pas excusée pour avoir passé une résolution, à dix jours du début du massacre, qui consacrait l’innocence du gouvernement sri lankais. Cette résolution promulguée par le conseil des droits de l’Homme de l’ONU le 27 mai 2009 applaudissait la «conclusion des hostilités et la libération par leur gouvernement de dizaines de milliers de citoyens srilankais qui étaient tenus en ôtages contre leur volonté par les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE), de même que les efforts effectués par le gouvernement afin d’assurer la sécurité de tous les Sri Lankais et d’apporter une paix permanente aux pays».
Cette résolution du 27 mai 2009 ne contient pas la moindre critique du gouvernement srilankais. Celle-ci va même encore plus loin politiquement : «Nous réaffirmons le respect pour la souveraineté, l’intégrité territoriale et l’indépendance du Sri Lanka et pour son droit souverain à protéger ses citoyens et combattre le terrorisme».
En fait, la seule condamnation du rapport a été faite à l’encontre des LTTE pour avoir lancé «des attaques contre la population civile» et «utilisé des civils en tant que boucliers humains». Le récent rapport d’experts n’a pas dénoncé ni d’ailleurs fait la moindre référence à cette résolution. Il ne fait que demander au conseil des droits de l’Homme de “reconsidérer leur position” ! L’hypocrisie des Nations-Unies, comme l’a fait remarquer le professeur Noam Chomsky, «a été si profonde qu’elle en était étouffante».
On serait en droit d’espérer que ce rapport pourrait être considéré par tous les gouvernements et organes gouvernementaux comme une base minimale avant d’entamer toute relation avec le gouvernement srilankais, ou qu’il puisse servir de base à une enquête internationale quant aux crimes de guerre. Toutefois, nous ne constaterons sans doute aucune action de ce type.
Bien que l’ONU donne l’illusion d’agir en tant qu’organisation indépendante, il serait naïf d’imaginer que l’ONU entreprenne la moindre action qui aille à l’encontre des intérêts de ses constituants majeurs : les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Inde, la Chine et la Russie. Cet organe n’est pas indépendant d’aucune manière que ce soit. Il n’a pas non plus la moindre crédibilité dans le fait d’empêcher des massacres de se dérouler dans d’autres régions du monde. Les Nations-Unies n’ont pas empêché le massacre au Congo par exemple. Au Rwanda, les puissances mondiales ont observé sans broncher le génocide d’un million de gens en quelques mois.
Les Nations-Unis se placent systématiquement du côté des impérialistes. Lorsqu’elles ne le font pas, leurs actions sont bloquées par les grandes puissances qui peuvent exercer un pouvoir de véto sur leurs activités. Les masses opprimées n’ont aucune voix qui représentent leurs intérêts lors des prises de décision par l’ONU.
Le Conseil de sécurité de l’ONU est composé de pays tels que la Russie, la Chine et l’Inde, qui ont non seulement financé l’armée gouvernementale sri lankaise, mais continuent à la protéger. Après que le rapport ait été publié, le secrétaire d’État à la défense Gotabayah Rajapaksa a annoncé que le Sri Lanka «devra chercher la protection de la Russie et la Chine».
Les actions de ces gouvernements sont une extension de la manière dont ils traitent leur propre population. Ils n’accordent absolument aucun intérêt aux droits de l’Homme. Le rôle brutal de l’Inde au Cachemire et dans d’autre partis du pays est bien connu. Aucun gouvernement indien n’a jamais prêté la moindre attention à la décision des Nations-Unies d’organiser un référendum au Cachemire quant à son indépendance. Il existe beaucoup de documentation quant au massacre d’ethnies entières et de militants en leur faveur par le gouvernement indien au nom de la fameuse “opération green hunt” (récente campagne anti-terroriste lancée par l’État indien contre les milices naxalites organisées notamment par le Parti communiste d’Inde (maoïste) dans le “couloir rouge” formé par dix provinces – constituant ensemble 40% de la superficie de l’Inde – de l’est du pays –– NDT).
D’une même manière, le rôle du gouvernement russe en Tchétchénie et les maltraitances infligées par le gouvernement chinois à la population tibétaine et dans le reste de leurs pays sont tristement célèbres dans le monde entier. Ces États, qui méprisent les droits des masses de leur propre pays, n’ont pas le moindre scrupule à collaborer avec d’autres gouvernements qui commettent des crimes de guerre, tel que le régime Rajapaksa.
Les Nations-Unies et les intérêts impérialistes
Le gouvernement srilankais dépend de plus en plus du soutien de la Chine, de l’Inde, et des “États voyoux” tels que l’Arabie saoudite. Cet état de fait entre en conflit avec les intérêts de l’impérialisme occidental en Asie du sud. L’impérialisme occidental pourrait utiliser le rapport des Nations-Unies en tant que levier pour réétablir son influence dans la région.
Cependant, il y a une limite que l’Occident n’est pas prête à dépasser. Nous ne devrions pas sur-estimer le fait que ceci le mènera à défendre les intérêts des masses opprimées, ni à exiger le droit à l’auto-détermination ou toute autre solution politique.
Parmi la gauche traditionnelle en Inde, certains affirment que les rivalités inter-impérialistes peuvent être utilisées pour faire progresser les intérêts des opprimés. Cependant, sans une forte organisation indépendante des masses laborieuses et pauvres, une telle stratégie risque de faire tomber ceux qui désirent riposter dans le piège des impérialistes.
Nous avons vu comment les impérialistes se “liguent” bien souvent contre les intérêts des masses opprimées, malgré leurs différences. Les États indien et pakistanais, par exemple, ont mené ensemble campagne contre toute critique pouvant menacer le gouvernement srilankais. Bien que le Sri Lanka ne possède pas l’énorme manne pétrolière de la Libye – une des principales raisons derrière l’intervention de l’impérialisme occidental dans ce pays – sa position stratégique, y compris sa valeur aux yeux des ambitions régionales chinoises, le rend important pour les puissances occidentales. Les mesures mises en œuvre par les impérialistes au Moyen-Orient après que la vague révolutionnaire ait commencé à s’y répandre constituent à cet égard une bonne leçon.
La soi-disant “intervention humanitaire” en Libye n’est qu’une tentative de briser la vague révolutionnaire au Moyen-Orient, avec l’intention de regagner le contrôle sur les ressources naturelles. Kadhafi est pour eux un partenaire peu fiable, au contraire des régimes du Bahreïn et d’Arabie saoudite. Aucune action n’a été entreprise à l’encontre de ces régimes, malgré le fait que ces États ont utilisé la même violence meurtrière contre les manifestants pro-démocratie.
Le secrétaire aux affaires étrangères britannique, William Hague, en défendant sa visite en Syrie malgré les tueries qui y sont organisées contre les masses révoltées, a insisté sur le fait que son gouvernement est sur le point de conclure un “deal” avec le gouvernement syrien et le président Bashar al-Assad. Assad est considéré comme un “réformateur” potentiel. Ceci est en complète contradiction avec les intérêts des masses syriennes, qui exigent le renversement du régime Assad.
En outre, le rôle des puissances occidentales en Libye a été encore plus discrédité par leur rôle dans le massacre de millions de simples citoyens en Irak. Le rôle contradictoire des soi-disant “préoccupations humanitaires” dans la région démasque clairement les intérêts impérialistes des gouvernements occidentaux.
L’idée selon laquelle les masses opprimées devraient d’une manière ou d’une autre accorder leur soutien à l’intervention de l’impérialisme occidental en Libye – censé empêcher le “massacre potentiel” – est absolument erronnée. Le régime égyptien, qui a lui aussi voté le soutien à la résolution de mai 2009 sur le Sri Lanka, a été balayé par le mouvement de masse historique du peuple égyptien. C’est un mouvement comme cela, avec une telle confiance en soi, qui pourrait mettre un terme définitif à des régimes tels que celui de Kadhafi.
L’intervention impérialiste est une autre raison pour laquelle la révolution, qui est partie de Tunisie pour se propager à l’Égypte puis à Benghazi, n’a jusqu’ici pas eu le même impact à Tripoli. Kadhafi a été capable de mobiliser un certain soutien, non pas basé sur la loyauté tribale, mais aussi sur l’antagonisme anti-impérialiste des masses. La seule chose qui peut prévenir le massacre et sauver la révolution est l’action des masses unies à Tripoli, une fois qu’elles auront assez de confiance pour se dresser contre Kadhafi. La soi-disant intervention humanitaire de l’impérialisme est tout sauf ça. Qui plus est, elle a déjà causé énormément de morts.
Le régime du Sri Lanka tente de même de se baser sur l’antagonisme anti-impérialiste qui vit parmi les masses. L’ex ambassadeur sri lankais aux Nations-Unies, Dayan Jayatilleka, a attaqué les puissances impérialistes occidentales lors de la onzième session spéciale à l’UNHCR en mai 2009, afin de s’attirer un soi-disant soutien “anti-impérialiste” : «Ces gens sont les mêmes qui ont certifié que l’Irak détenait des armes de destruction massive. Je ne leur ferais pas confiance pour acheter une voiture d’occasion, encore moins en ce qui concernerait de prétendus “crimes de guerre” !» Même ce fidèle laquais a été viré par le président un peu plus tard sous le prétexte d’avoir défendu la “régionalisation” dans un journal local. Le secrétaire à la défense Gotabhaya Rajapaksa a été encore plus loin dans son “analyse”, annonçant : «Ils sont jaloux, parce qu’eux n’ont pas été capables de vaincre le terrorisme comme nous l’avons fait». Un autre loyal serviteur du régime sri lankais, et prétendu expert mondial en terrorisme, le Professeur Rohan Gunaratna, fait remarquer que : «En Irak et en Afghanistan, où plus d’un million de civils ont été tués, il n’y a pas de comité d’experts qui conseillet au secrétaire général de l’ONU de mener une enquête sur les crimes de guerre».
Le régime utilise l’hypocrisie des Nations-Unies et de l’impérialisme à son avantage, tout comme le régime Kadhafi en Libye. Nous aussi, nous nous opposons fermement aux non-respect des droits de l’Homme et à leur exploitation par les puissances occidentales, mais nous devons aussi étaler au grand jour l’hypocrisie qui se trouve derrière la pseudo-rhétorique “anti-impérialiste” du régime srilankais.
Malgré sa rhétorique, le régime sri lankais est toujours aussi coopératif vis à vis des puissances impérialistes tant régionales qu’occidentales. Le débat autour des “droits de l’Homme” est en partie dû à la concurrence entre les puissances régionales, comme la Chine et l’Inde, et les puissances occidentales qui cherchent à établir des conditions favorables afin d’obtenir un avantage sur le plan économique. Le FMI et la Banque mondiale ont donné leur plein accord concernant les prêts au gouvernement srilankais, et ont érigé le Sri Lanka au rang de “paradis pour les investisseurs”. Le gouvernement srilankais mène en ce moment une politique brutale de privatisations, attaques sur les pensions et soi-disant réformes fiscales, telle que dictée par le FMI. La pseudo rhétorique anti-impérialiste du régime Rajapaksa et son exaltation du nationalisme cingalais ont également pour but de détourner l’attention des masses laborieuses et pauvres des attaques brutales menées par Rajapaksa sur leurs conditions de vie et sur les services.
En outre, nous ne verrons pas l’annualtion des prêts du FMI ou de la Banque mondiale sur base d’un scandale de “crimes de guerre”. Même après la fuite du rapport du comité d’experts de l’ONU dans les médias, les congressistes américains ont continués à voter en faveur d’un “renforcement des liens entre le Sri Lanka et les États-Unis”. Le nouveau vice-président de la commission Sri Lanka du Congrès américain, Chris Van Hollen, qui est aussi un Démocrate, et qui défend les coupes budgétaires d’Obama, appelle l’ensemble de ses collègues à soutenir cet appel. En d’autres termes, l’impact de ce rapport pour le sauvetage des masses opprimées sera en réalité extrêmement minimal.
Le secrétaire assistant américain Robert Blake, qui a visité le Sri Lanka après que le rapport de l’ONU ait été publié, a donné son soutien indéfectible au gouvernement. Il a félicité le “progrès positif” et a affirmé que la LLRC (Commission pour la réconciliation et les leçons apprises, qui est fort critiquée dans le rapport de l’ONU) joue un “rôle important”. Dans une déclaration publiée le 4 mai, M. Blake dit que «Lors de mes rencontres officielles aujourd’hui, j’ai assuré au gouvernement sri lankais du fait que les États-Unis s’engagent à un partenariat fort et à long terme avec le Sri Lanka, et que des rumeurs concernant notre soutien à un “changement de régime” n’ont pas le moindre fondement. J’ai exprimé notre soutien pour les efforts du gouvernement visant à relever le pays après cette guerre civile dévastatrice, et ai encouragé de nouveaux pas en direction de la réconciliation et d’un Sri Lanka paisible, démocratique et uni». Il y a une très brève mention du rapport des Nations-Unies, dans laquelle il affirme que ce rapport souligne l’importance d’une “solution politique capable de forger un Sri Lanka uni”, et l’importance du “dialogue avec les Nations-Unies” de la part du Sri Lanka ! Voilà bien le genre de comportement hypocrite auquel nous devons nous attendre de la part des puissances impérialistes !
L’attaque sur la diaspora, et l’absence de solution politique
Parmi les cinq raisons citées par le rapport de l’ONU en tant qu’“obstacles à la reconnaissance”, on retrouve le “rôle de la diaspora tamoule” : «Certains ont refusé d’admettre le rôle des LTTE dans le désastre humanitaire dans le Vanni (la région du Nord du Sri Lanka), ce qui crée un obstacle supplémentaire sur le chemin de la reconnaissance et de la paix durable».
Il ne fait aucun doute que les Tamouls de la diaspora ont été les plus virulents à crier contre le massacre qui a lieu au Sri Lanka, tandis que les gouvernements de tous les autres pays ont préféré gardé le silence.
Des centaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues pour y clamer leur dégout. L’inaction de la part des organes gouvernementaux occidentaux et internationaux a radicalisé un grand nombre de gens, surtout parmi les jeunes.
Il n’est pas exagéré de dire que les jeunes Tamouls de la diaspora sont plus politisés aujourd’hui que pendant les trente années qu’a duré la guerre civile. De nouvelles vagues de jeunes se sont impliquées dans des activités politiques. Cette politicisation a eu pour conséquence la création de toute une série d’organisations de jeunes.
Tamil Solidarity désire rassembler le plus grand nombre possible de ces jeunes afin de mener une riposte de principe contre le régime chauviniste sri lankais, et appelle à une lutte unie avec l’ensemble des masses opprimées.
Cette politicisation n’est certainement pas un résultat favorable ni pour l’impérialisme occidental, ni pour le régime srilankais. Ces gens préfèrent les “diplomates” qui restent contrôlables, ceux qui vont faire en sorte que la société reste passive dans leurs intérêts, non pas la jeunesse qui se rebelle de colère contre l’injustice. Pendant la guerre, les ministres et députés du gouvernement Labour au Royaume-Uni ont fait toutes sortes de promesses dans une tentative de racheter la jeunesse révoltée pour pouvoir la contrôler. Ils n’ont tenu aucune de leurs promesses.
Les establishments sentent un “danger” dans la direction que pourrait prendre ce mouvement des jeunes de la diaspora. Les jeunes tirent la conclusion assez correcte du fait que l’attaque sur les Tamouls opprimés fait partie d’une lutte contre l’ensemle des masses opprimées. De plus en plus de jeunes participent de manière active à la politique locale de leurs pays respectifs contre les injustices, contre le racisme, contre les attaques sur les minorités, contre le chômage des jeunes, et contre les attaques sur les services publics.
En outre, il y a aussi une insistance naissante pour plus de démocratie, la nécessité de travailler avec les syndicats, les organisations de gauche et d’autres mouvements qui mènent campagne pour les droits et contre l’oppression.
L’establishment veut saper ce processus. Il souhaite pacifier et faire dérailler cette colère, car il comprend que cette rage est de plus en plus dirigée contre lui. Et il veut pousser ces jeunes vers la droite du spectre politique.
Le fait d’accuser la diaspora de garder le silence sur les crimes supposés des LTTE est, à ce stade, une des manières par lesquelles ils veulent atteindre leurs buts. Ils cherchent à propager un total rejet des idées des LTTE par la diaspora, et s’attendent à sa coopération dans le cadre du “développement et de la réconciliation” pour un Sri Lanka uni.
De solides groupes militants tels que Tamil Solidarity, tout en s’opposant fermement au régime srilankais, ont toujours remis en cause les méthodes utilisées par les LTTE. Nous avons attentivement expliqué les raisons pour lesquelles les LTTE ont été vaincus. Un des principaux échecs des Tigres a été leur absence d’un appel à l’ensemble des masses en lutte dans le sud du Sri Lanka, dans le Tamil Nadu (la province tamoule du sud de l’Inde, qui compte 70 millions d’habitants, y compris plusieurs grandes villes telles que Chennai (anc. Madras) – à titre de comparaison, le Sri Lanka compte 20 millions d’habitants, dont 2 millions de Tamouls –– NDT) et dans le monde.
Nous avons aussi critiqué les LTTE en ce qui concerne les tueries internes, les attaques contre la population musulmane (il y a 1 million de musulmans au Sri Lanka –– NDT) , et l’exécution de civils au cours de la dernière phase de la guerre. La majorité de la couche active de la diaspora ne nie pas ces faits non plus.
Cette analyse est importante, pas seulement pour critiquer les LTTE, mais pour pouvoir avancer dans la lutte. Cela représente une étape cruciale dans la définition d’une stratégie pour la prochaine étape de la lutte. C’est là une chose complètement différente de l’agenda des Nations-Unies qui se cache derrière son attaque sur les LTTE.
L’idée que la diaspora désire d’une certaine manière promouvoir le terrorisme est entièrement fausse. Toutefois, confrontés à l’immense violence contre la population tamoulophone du Sri Lanka, la première réponse de la jeunesse tamoule ne sera pas dirigée contre la direction des LTTE, dont tous les membres ont été assassinés par le gouvernement du pays. Au lieu de ça, ils vont certainement concentrer leur colère sur le gouvernement criminel du Sri Lanka et sur l’establishment occidental qui garde toujours le silence.
Dire à la diaspora que son premier rôle est de dénoncer les LTTE, revient à paver la voie pour la coopération des Tamouls avec l’État srilankais. Une telle collaboration pourrait ne pas se faire avec le gouvernement actuel qui est directement responsable du génocide, mais pourrait être organisée avec de futurs gouvernements srilankais avec lesquels l’Occident espérera pouvoir faire de bonnes affaires. En même temps, il est important pour les Tamouls de la diaspora de se distancier des erreurs faites par les LTTE, afin de ne laisser aucun espace à des organes droitiers tels que les Nations-Unies pour attaquer les campagnes de la diaspora.
Il suffit d’une simple compréhension du rôle de l’impérialisme et de la manière de lui résister. Construire une organisation sérieuse et indépendante, qui se batte sans aucun compromis pour les droits de masses opprimées, est la clé pour mener la lutte plus en avant. Ceci devrait se faire sur base non seulement d’une opposition au gouvernement Rajapaksa et à ses laquais, mais aussi sur base d’une opposition à toute forme d’oppression. Une fine compréhension des diverses forces de classe en action dans la société est requise afin de bâtir un mouvement capable d’amener un changement fondamental.
Ce mouvement peut être construit en regroupant les militants progressistes, les syndicalistes et les socialistes. Mais ce ne sera pas une tâche facile, car de sérieux obstacles doivent être surmontés avant que la confiance des masses puisse être gagnée. La trahison de l’ancienne organisations des masses opprimées autrefois si puissante, le Lanka Sama Samaja Party (LSSP – Parti srilankais pour l’égalité sociale, ex-membre de la Quatrième internationale, et ancien parti ouvrier de masse, qui dispose aujourd’hui d’un siège au parlement srilankais dans le cadre d’une coalition avec le parti de Rajapaksa –– NDT), est toujours fraiche dans la conscience des masses ouvrières du Sri Lanka.
C’est la décision du LSSP de rejoindre le gouvernement de droite en 1964, puis de refuser le droit des minorités dans la constitution de 1972, qui a créé les conditions pour l’afaiblissement de la classe ouvrière et une hausse des tensions ethniques. La force de la classe ouvrière avait été constamment attaquée par les gouvernemens de droite qui se sont succédé. Aujourd’hui, l’épave de ce qui reste du LSSP se trouve maintenant au gouvernement, et joue le rôle de couvrir ses crimes de guerre.
De même, la trahison des partis tamouls ne sera pas oubliée non plus. En l’absence d’une véritable organisation de masse indépendante des travailleurs et des pauvers, des partis tels que le JVP se sont embourbés de plus en plus, en mêlant marxisme et rhétorique anti-establishment, avec chauvinisme et nationalisme cingalais et bouddhiste.
Sur une telle toile de fond, il pourrait sembler impossible de regagner la confiance des masses afin de construire un mouvement combatif. Cependant, la reconstruction d’un tel mouvement est la seule manière de mettre un terme à l’oppression, à l’exploitation et à la guerre. En outre, il existe de véritables forces dans le sud du pays qui se positionnent toujours fermement du côté des masses opprimées. Le Parti socialiste uni, par exemple, n’a jamais reculé dans sa lutte cohérente contre les divers et brutaux gouvernements srilankais. Il n’a jamais non plus hésité dans son soutien pour le droit à l’auto-détermination des masses tamoulophones. Pendant la guerre, les membres de l’USP ont risqué leurs vies et ont mené une campagne virulente afin de mettre un terme à la guerre, dont a notamment beaucoup parlé dans les médias du Tamil Nadu en Inde.
Nous devons rassembler nos forces dans une telle organisation, et renforcer notre riposte. Nous devons aussi lancer un appel à l’ensemble des masses opprimées de l’Inde, et en particulier au Tamil Nadu, afin qu’elles nous rejoignent.
Il serait stupide de placer le moindre espoir dans le gouvernement srilankais, ni dans toute autre puissance extérieure, pour nous fournir une solution. Les attaques contre les minorités au Sri Lanka n’ont jamais été aussi intenses, et le gouvernement actuel a complètement mis de côté tout effort envers une solution politique.
Le président a notamment déclaré que : «Il n’y a pas de minorités dans ce pays». Ni les Nations-Unies, ni aucune puissance étatique ne propose non plus la moindre solution politique. Pour de telles puissances, le droit à l’auto-détermination est hors de question.
Certains ont même émis l’idée comme quoi le fait de nous opposer à l’impérialisme pourrait nous faire perdre le soutien de la soi-disant “communauté internationale”, des gouvernements occidentaux. Mais, sur le long terme, les masses opprimées ne vont rien gagner du tout en s’alliant avec ces oppresseurs. Au contraire, elles ont beaucoup à perdre – le soutien de tous ceux qui se battent contre eux –, et ils ne faut pas leur faire confiance pour faire quoi que ce soit qui ne rentre pas dans le cadre des intérêts de leurs propres classes capitalistes.
Par exemple, le peuple tamoul ne peut pas appeler le parti conservateur britannique (Tory) un allié, sur base d’un quelconque discours sur les droits de l’Homme fait par un de ses députés. Ceci représenterait une trahison aux yeux des millions de travailleurs au Royaume-Uni, de toutes origines, qui sont confrontés à un véritable bombardement d’attaques constantes sur les emplois, sur les services publics (comme la santé ou l’éducation) et sur les allocations de la part du gouvernement de coalition Tory/libéral-démocrate.
En s’associant avec un tel parti anti-travailleurs, les Tamouls non seulement perdraient le soutien potentiel de ceux qui se battent contre ces coupes budgétaires, mais trahiraient également les masses tamoules en leur donnant un faux espoir dans ces politiciens.
En fait, l’approche pro-monde des affaires des Tories est totalement opposée au moindre soutien à toute forme de riposte par les pauvres et par les travailleurs. Leur intérêt est purement avec les patrons et les hommes d’affaires qui cherchent à cacher le massacre qui s’est produit au Sri Lanka, et au lieu de cela, à promouvoir la création de zones de libre échange dans le Nord. Ces zones seront des sites d’exploitation intensive de la jeunesse tamoulophone. Rajapaksa a déjà promis une “main d’œuvre bon marché” en tant que moyen de “réhabilitation” des ex-Tigres ! La question des alliances est donc cruciale. Nous devons nous allier avec ceux qui se battent réellement contre l’inégalité et contre l’exploitation.
Au milieu de la crise économique monidale et des pénuries alimentaires, la lutte contre les autres gouvernements qui appliquent des coupes similaires dans les emplois et dans les services publics s’est accrue en Europe et au-delà.
À Londres, plus d’un demi-million de travailleurs ont défilé le 26 mars contre le gouvernement Con-Dem. Au Portugal et en Espagne, des centaines de milliers de gens ont manifesté pour les mêmes raisons. Des batailles de classe massives se déroulent en Grèce. Ces gouvernements, tout en attaquant les services publics, tentent aussi de fomenter le racisme et d’autres divisions dans ces pays. On voit la tentative de montrer du doigt les immigrants, sur base de la pression sur les services et les emplois limités, dans l’espoir d’en faire des boucs émissaires. Si le blâme pour les coupes budgétaires est dirigé à d’autres sections de la classe ouvrière et des pauvres, cela permet aux gouvernements de continuer leur politique au service des intérêts des riches et des grands patrons.
Il y a un processus similaire au Sri Lanka, où le gouvernement a tenté de détourner l’attention et de diviser l’opposition par le biais du nationalisme cingalais, afin de pouvoir mettre en place sa politique brutale.
Nous, les travailleurs, les minorités ethniques, les jeunes et les pauvres, portons le fardeau de ces attaques. En tant que minorités dans ces pays, les Tamouls sont aussi la cible du racisme et d’autres formes d’abus qui sont exacerbés par les partis de droite et les médias. Il nous faut répondre à ces attaques.
Que chacun sache que où que nous soyons, nous nous dresserons contre l’oppression sous toutes ses formes, et riposterons. Cette riposte sera encore plus renforcée si nous nous faisons cause commune avec les luttes qui se déroulent en ce moment à travers toute l’Europe.
Aucun droit ne peut être obtenu sans une lutte. Ainsi, le fait que les jeunes rejoignent les marches antiracistes et les manifestations de travailleurs au Royaume-Uni et en Belgique, est un développement significatif. Le fait que les Tamoulophones aient rejoint les action du Premier Mai à travers toute l’Europe est également un important pas en avant. Et c’est une telle solidarité et unité qui sème la panique dans le cœur des oppresseurs, au Sri Lanka comme ailleurs.
S’unir pour riposter
On peut comprendre que les Tamouls au Sri Lanka attendent contre tout espoir que le rapport de l’ONU puisse constituer un pas en avant dans le soutien à la lutte pour leurs droits.
On peut comprendre que certains pauvres tamouls au Sri Lanka espèrent qu’une “force extérieure” leur vienne en aide. Mais il est inutile de créer des illusions dans le seul but de fournir un réconfort temporaire. Cependant, Tamil Solidarity exigera des Nations-Unies qu’elles prennent au moins quelques mesures afin que soient mises en vigueur les recommendations détaillées dans ce rapport. Si l’ONU s’avère incapable d’entreprendre la moindre action sérieuse contre le gouvernement srilankais, son hypocrisie n’en sera que plus dévoilée.
Mais l’Alliance nationale tamoule (TNA) tente d’utiliser les attentes de la population tamoulophone pour se créer une base électorale. Elle fait cela en créant l’espoir que les Nations-Unies, voire l’Inde, peuvent apporter leur aide. Elle tente aussi de cacher le rôle crucial qu’a joué l’Inde dans la guerre. Il est important de rappeler que le gouvernement srilankais n’aurait pas pu gagner la guerre sans le soutien de l’Inde et de la Chine.
Le fait que le gouvernement indien refuse de faire la moindre critique à l’encontre du régime srilankais actuel, même après avoir accepté le fait qu’un massacre de masse se soit déroulé pendant la guerre, ne devrait pas nous surprendre. Il serait criminel de la part de la TNA de créer des illusions en faveur des mêmes forces qui ont joué un rôle dans le massacre de masse des Tamouls, et qui persévèrent en ce moment dans leur politique d’exploitation des victimes.
La TNA, tout en devenant de plus en plus “amicale” envers le régime meurtrier actuel, sous l’argument risible qu’elle n’a pas d’autre choix, refuse de chercher un allié parmi les forces qui continuent à se battre pour les droits de la population tamoulophone.
La TNA est clairement en train de suivre la voie déjà empruntée par son prédécesseur, le Front uni de libération des Tamouls (TULF), qui avait pour habitude de baratiner les Tamouls dans ses zones d’implantation afin de gagner des votes, en même temps qu’il était main dans la main avec les oppresseurs au parlement. C’est là une des raisons qui ont fini par pousser la jeunesse tamoule à prendre les armes.
Les jeunes et les militants du Sri Lanka doivent rompre avec ce genre de politique trompeuse. Ils doivent rejoindre les véritables combattants et militants dans leur pays. Il y a beaucoup à gagner pour les masses opprimées qui s’opposeront au gouvernement sur diverses plateformes, bien plus qu’en jouant le jeu des “négociations” qui ne mèneront à rien.
Il y a des journalistes, des militants et de véritables gens de gauche dans le pays qui continuent à se battre pour le droit à l’auto-détermination des masses tamoulophones. Depuis la fin de la guerre, ils se sont vus contraints de dénoncer la loi d’urgence et l’Acte de prévention du terrorisme.
Le gouvernement prétend avoir gagné la guerre contre le “terrorisme”, mais n’a pas abrogé ces lois draconiennes. Ces campagnes doivent être renforcées. Il faut aussi soutenir l’ensemble des forces qui se battent avec courage pour la liberté des médias et pour les droits démocratiques, et cela même au péril de leurs vies.
Plus important encore, nous devons nous opposer à la création des zones de libre échange promises par le régime aux gouvernements indien, chinois et occidentaux. Ces zones ne seront pas les centres de soi-disant “réhabilitation” tels que le régime cherche à les faire passer. Elles seront au contraire des centres d’exploitation intensive, où les victimes de la guerre et les ex-membres des LTTE seront forcés de travailler pour le plus bas salaire possible.
La reconstruction de syndicats puissants est urgemment requise en tant que meilleure opposition capable de s’opposer à ces conditions cruelles. De telles organisations ouvrières pourraient aussi remettre en question dans les faits les conditions inhumains et les bas salaires qui existent déjà à l’heure actuelle. La hausse rapide des prix de la nourriture, par exemple, constituera un autre “détonateur” pour un mouvement de masse contre le gouvernement, tout comme en Tunisie.
Les “négociations” et la “coopération” avec les oppresseurs ne rapporteront jamais le moindre résultat aux pauvres et aux opprimés. Pour défendre nos droits et en gagner de nouveaux, la tâche urgente est de construire des partis indépendants des travailleurs et des pauvres, et des syndicats puissants et démocratiques.