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  • Rosa Luxemburg : une source d’inspiration dans la lutte pour une autre société

    Plus de 100 ans après sa mort, Rosa Luxemburg continue de parler à notre imagination. Lorsque la campagne ROSA (Résistance contre l’Oppression, le Sexisme et l’Austérité) a vu le jour en 2017 dans la perspective de la renaissance du mouvement pour l’émancipation des femmes, ce qui s’est effectivement produit depuis lors, l’adoption de ce nom s’imposait de toute évidence. L’idée était de faire référence à Rosa Luxemburg (1871-1919) mais aussi à Rosa Parks (1913-2005), cette femme qui, en 1955, a refusé de céder sa place dans un bus parce qu’elle était noire. Deux femmes courageuses, deux sources d’inspiration pour les luttes actuelles. L’acronyme ROSA a été rempli après le choix du nom.

    Dossier écrit par Geert Cool en préface du livre “Rosa Luxemburg. Passions, amours, origines” d’Anne Vanesse. Ce texte a été rédigé à la fin de l’année 2019

    «  Rosa Luxemburg a donné au socialisme tout ce qu’elle pouvait lui donner  »

    Rosa Luxemburg a profondément marqué le mouvement ouvrier. Sa petite taille avait peine à contenir sa détermination dans la lutte pour une société socialiste. A sa mort, le révolutionnaire russe Trotsky remarque : «  Elle avait adopté la méthode marxiste comme un corps contrôle ses propres organes. Le marxisme coulait dans son sang.  » Sa bonne amie et combattante Clara Zetkin a déclaré : «  Rosa Luxembourg a donné au socialisme tout ce qu’elle pouvait lui donner. Il n’y a pas de mots pour saisir la volonté, le désintéressement et le dévouement qu’elle a donné à la cause  ».

    Cependant, Rosa n’était pas destinée à devenir un leader révolutionnaire. Elle avait tout contre elle : elle a grandi dans la partie de la Pologne occupée à l’époque par la Russie tsariste et le mouvement ouvrier naissant y était brutalement persécuté, elle venait d’une famille juive dans la petite ville de Zamość, elle était une femme et avait en plus des problèmes de santé (un problème de hanche l’a maintenue au lit pendant un an). Ses parents l’ont envoyée à l’école à Varsovie afin qu’elle ait plus de chances d’accéder à un meilleur avenir. C’est là que Rosa fit ses premiers pas dans le mouvement révolutionnaire, à l’âge de 16 ans. Mais ces premiers pas furent découverts par la police et le seul moyen d’échapper à l’exil en Sibérie était de fuir le pays. Son parcours et ses origines ont toujours joué un rôle. Comme l’écrivait Henriette Roland-Holst dans la biographie qu’elle a consacrée à sa bonne amie Rosa : «  Les racines de son socialisme sont : la compassion universelle et la passion pour la justice  ».

    «  Un désir sans cesse renouvelé de connaissance et de perspicacité va de pair avec un besoin constant d’activité  », faisait encore remarquer Henriette Roland-Holst. C’est ce qui s’est passé en exil en Suisse, où Rosa a mené des recherches approfondies sur l’histoire de la Pologne et du mouvement ouvrier, entre autres choses. Mais tout en étudiant et s’intéressant à l’orientation des révolutionnaires polonais en exil, elle s’est heurtée à la nécessité d’agir. Dans les années 1890, la social-démocratie allemande connaissait une croissance particulièrement rapide. Le parti social-démocrate allemand, le SPD, était à cette époque un exemple pour la Deuxième Internationale. Rosa a voulu y jouer un rôle actif et elle s’est donc installée en Allemagne en 1898.

    Initialement, elle a principalement servi à aider le parti pour organiser les travailleurs de la partie occupée de la Pologne. En tant que femme polonaise, Rosa n’a pas eu la vie facile, même au sein du SPD. Mais elle était déterminée à jouer un rôle de premier plan dans la lutte pour une transformation socialiste de la société. Rosa considérait d’ailleurs cette transformation comme la seule réponse à des formes spécifiques d’oppression. La lutte pour les droits des femmes – à l’époque, surtout pour le droit de vote – n’était, selon Rosa, «  seulement l’une des expressions et une partie de la lutte générale du prolétariat pour sa libération. En cela réside sa force et son avenir  ». Elle s’est trouvée une alliée en Clara Zetkin. Rosa ne désirait délibérément pas limiter son action à la lutte pour les droits des femmes : c’est toute la société qui devait changer pour obtenir ces droits. Cela ne signifiait pas qu’elle estimait que la lutte des femmes n’était pas importante, comme l’illustre sa référence à la déclaration de Charles Fourier : «  Dans chaque société, le degré d’émancipation des femmes est la mesure naturelle de l’émancipation générale  »  . (Suffrage féminin et lutte de classes, 1912)

    Elle n’a pas hésité à se dresser contre les grands dirigeants de la social-démocratie allemande. Un jour, après que Rosa se soit éloignée d’un chemin lors d’une promenade avec Clara Zetkin pour s’approcher dangereusement d’un terrain militaire, les chefs du parti réunis chez les Kautsky se sont moqués d’elle. August Bebel a plaisanté au sujet du texte de leur épitaphe, mais il fut interrompu par Rosa qui fit sèchement remarquer qu’il faudrait écrire : «  Voici les deux derniers hommes de la social-démocratie allemande.  » Le silence a duré un certain temps après cette réplique…

    Rosa n’hésita pas non plus à s’engager dans une lutte politique contre ces dirigeants. Avec Clara Zetkin et Karl Liebknecht, entre autres, elle s’est toujours opposée aux tendances réformistes au sein du mouvement socialiste. Cette tendance qui gagnait en influence considérait les petites réformes immédiates comme un moyen de parvenir progressivement à une société socialiste. Ce réformisme a pris naissance dans une période de croissance économique capitaliste et de croissance rapide d’un mouvement ouvrier qui était parvenu à arracher certaines concessions. Il existait donc une base matérielle derrière l’émergence d’un groupe de dirigeants syndicaux et de dirigeants du parti qui, d’une part, étaient capables d’obtenir des conquêtes sociales et qui, d’autre part, voulaient protéger leur propre nouvelle position dans la société. En 1914, le SPD, qui avait quitté l’illégalité en 1890 seulement, comprenait plus d’un million de membres, plus de 15.000 organisateurs à plein temps et une centaine de quotidiens. Pour reprendre les mots de Ruth Fischer, cette machine du parti était «  un mode de vie  »  : des travailleurs étaient nés et vivaient au sein du parti. L’affirmation de Bernstein, selon laquelle le mouvement était tout et le but ultime du socialisme n’était rien, en était l’expression. Le fait que des réformes aient été effectivement obtenues pendant cette période de croissance économique a renforcé la tendance au réformisme. Cependant, ces réformes n’ont pas mis fin aux contradictions du capitalisme. La Première Guerre mondiale l’a clairement démontré de façon sanglante.

    Les critiques de Rosa n’étaient pas seulement dirigées contre des réformistes tels que Bernstein, mais aussi contre ceux qui, comme Kautsky, n’étaient pas assez perspicaces dans leur réponse. Au début, Lénine et Trotsky n’ont pas compris sa critique de Kautsky. Ce n’est qu’au début de la Première Guerre mondiale, quand la grande majorité des dirigeants du SPD, y compris Kautsky, a voté en faveur de la guerre, que Lénine s’est aperçu que Rosa avait constaté les limites de Kautsky et des ‘centristes’ plus tôt que quiconque. «  Rosa avait raison  », déclara-t-il. Lorsque Lénine apprit la nouvelle du vote des crédits de guerre par les parlementaires du SPD, le 4 août 1914, ce dernier pensait qu’il de “fake news” visant à embrouiller le mouvement ouvrier. Contrairement à Rosa Luxemburg, il n’était pas préparé à cette situation.

    Mais, dans sa brochure «  Réforme ou révolution  », Rosa ne s’est pas opposée aux réformes favorables à la classe ouvrière : elle considérait celles-ci comme des étapes importantes dans l’édification des forces nécessaires pour provoquer un changement fondamental de société. Rosa Luxemburg fut notamment l’une des pionnières à souligner l’importance et le rôle des grèves générales, ce qu’elle a fait à partir de l’expérience de la Révolution russe de 1905, à laquelle elle a tenté de participer en tant qu’internationaliste en Pologne, puis à Saint-Pétersbourg. L’énergie des masses dans la Révolution russe contrastait avec la machine de plus en plus lourde des dirigeants syndicaux et des dirigants du parti en Allemagne. Rosa a également tiré les leçons des grèves générales belges. «  L’importance politique des masses ouvrières en grève réside toujours, et aujourd’hui encore, dans le fait qu’en cas de refus obstiné de la majorité parlementaire, elles sont éventuellement prêtes et capables de dompter le parti au pouvoir par des troubles, par des révoltes de rues.  » C’était en même temps une vive critique à l’encontre des dirigeants du POB, qui considéraient les grèves comme un moyen de relâcher la pression ou simplement de renforcer leur propre position de négociation parlementaire.

    Le mouvement de masse “par en-bas” dans la révolution russe de 1905 a confronté Rosa à l’emprise bureaucratique de la direction du SPD. A cette époque, ce que Lénine tirait comme conclusion du même mouvement révolutionnaire, c’était la confirmation de la nécessité d’un parti des cadres bien organisé. En raison du rôle étouffant de la direction du SPD pour qui le mouvement était tout et l’objectif socialiste final rien, Rosa s’est opposée à ce qu’elle considérait être une organisation révolutionnaire nationale trop centralisée. Sa résistance n’était donc pas synonyme d’opposition à l’organisation en tant que telle. Avec son camarade et compagnon de l’époque Leo Jogiches, elle a posé les bases du parti socialiste polonais SDKPiL et, au sein du SPD, elle a fait tout son possible pour maintenir ensemble un noyau authentiquement révolutionnaire. En 1913, elle faisait remarquer : «  Les dirigeants qui s’assoient à l’arrière seront anéantis par les masses. Il peut être bon pour un philosophe solitaire d’attendre calmement que les événements se produisent pour s’assurer que le ‘moment est propice’, mais pour les dirigeants politiques d’un parti révolutionnaire, ce serait un signe de pauvreté, de faillite morale. La tâche de la social-démocratie et de ses dirigeants n’est pas de se laisser emporter par les événements, mais de s’y préparer consciemment, d’avoir une vue d’ensemble des tendances des événements, d’écourter la période de développement par une action consciente et une accélération des événements  ».

    En raison de l’absence d’un parti révolutionnaire en Allemagne, Rosa n’a pu compter que sur une poignée de partisans au début de la Première Guerre mondiale. Elle disait alors que «  la social-démocratie n’est plus qu’un cadavre puant  ». Rosa n’a pas choisi la voie la plus facile : elle a toujours été contre ce qu’elle considérait à juste titre comme une trahison de la classe ouvrière et du socialisme international. Elle a agi de la sorte même si, au début, elle est tombée en dépression et s’est retrouvée isolée. La nouvelle réalité a conduit à la création de la Ligue Spartakiste, au côté notamment de Karl Liebknecht, le député qui qui fut le premier au Parlement à voter contre les crédits de guerre. C’est autour de Luxemburg, Liebknecht, Zetkin et Franz Mehring que les bases d’un parti de cadres révolutionnaire ont été établies.

    Ce petit groupe a constitué la Ligue Spartakiste qui s’est fait connaître auprès de couches plus larges pour sa cohérence dans la résistance à la guerre. Ce n’est qu’à ce moment, dans le contexte difficile de la guerre, que ce groupe s’est attelé à la tâche de construire une organisation révolutionnaire. Ce ne fut pas évident ; la Ligue Spartakiste était plutôt jeune et inexpérimentée, situation qui a eu des conséquences lors de la vague révolutionnaire qui a suivi la guerre.

    Henriette Roland-Holst, auteur de la traduction néerlandaise de ‘‘De Internationale’’ et amie personnelle de Rosa, s’est prononcée ainsi au sujet des raisons pour lesquelles la Ligue spartakiste a échoué : ‘‘Parmi ses membres – principalement très jeunes – il y avait des idéalistes ardents et énergiques, comme ceux que toute crise sociale majeure met en évidence. (….) La Ligue est apparue dans les années où il n’y avait pas de vie normale pour l’individu et le groupe ; cette vie ressemblait aux rêves sombres et sauvages d’une personne qui souffrait de fièvre. (…) La Ligue était dirigée par d’excellents marxistes, mais il n’y avait pas de cadre marxiste. Ce qui s’est manifesté dans sa disposition spontanée, c’est moins le marxisme que le radicalisme utopique, qui récolte ses fruits bien avant qu’ils ne mûrissent, et qui veut les récolter même là où il n’a pas semé.’’

    Au fur et à mesure que la guerre devenait de plus en plus désespérée, les masses devenaient de plus en plus lasses du conflit. Cela a conduit à une scission au sein du SPD, une minorité importante étant expulsée du parti et formant le SPD indépendant (l’USPD). De larges couches de la population ont compris que le massacre de la guerre n’était pas dans l’intérêt des travailleurs, mais dans celui des puissances impérialistes et des capitalistes. Il y avait partout des mouvements qui tiraient leur inspiration et leur enthousiasme de la Révolution russe. Ce fut également le cas en Allemagne. En novembre 1918, le mouvement a atteint son premier sommet : partout les ouvriers formaient leurs propres conseils et prenaient en réalité le contrôle de la société elle-même. La révolution de novembre a montré quel potentiel était présent, mais elle n’a pas conduit à une rupture anticapitaliste. L’Empereur fut balayé de la scène tandis qu’un gouvernement ouvrier était en gestation sur base des conseils d’ouvriers et de matelots. Les capitalistes ont dû faire d’énormes concessions dans le but de maintenir leur système à flot. La pression exercée par la révolution de novembre 1918 a conduit à de grandes avancées : l’instauration d’une république, la fin de la guerre, diverses conquêtes sociales,… Du gouvernement où il se siégeait, le SPD a tenté de revendiquer l’honneur de ces réalisations, alors même que la participation du SPD au gouvernement bourgeois visait principalement à enrayer le processus révolutionnaire. Les réformes d’en haut ont servi à stopper la révolution d’en bas.

    L’une des concessions a été la libération des pionniers révolutionnaires tels que Rosa Luxemburg. Elle avait suivi la Révolution russe de prison. N’ayant pas accès à des sources suffisantes, elle a beaucoup critiqué les bolcheviks. Une fois libérée, elle ne voulait pas publier son livre. Ce ne fut le cas qu’après sa mort, dans le contexte d’un règlement politique interne au sein du parti communiste allemand. L’œuvre sera largement utilisée pour creuser un fossé entre Rosa et les bolcheviks. Elle a cependant écrit dans cette brochure célèbre  : «  Tout ce qu’un parti peut apporter, en un moment historique, en fait de courage, d’énergie, de compréhension révolutionnaire et de conséquence, les Lénine, Trotsky et leurs camarades l’ont réalisé pleinement. L’honneur et la capacité d’action révolutionnaire, qui ont fait à tel point défaut à la social-démocratie, c’est chez eux qu’on les a trouvés. En ce sens, leur insurrection d’Octobre n’a pas sauvé seulement la révolution russe, mais aussi l’honneur du socialisme international.  » Elle a également noté que les limites de la Révolution russe ne pouvaient être dépassées que par l’arrivée de la très nécessaire Révolution allemande.

    Le processus révolutionnaire en Allemagne n’a commencé qu’en novembre 1918. De nombreux autres mouvements ont suivi et ont démontré la volonté des masses de changer la société. L’absence d’une organisation suffisamment développée avec des cadres en acier a eu des conséquences : il manquait une coordination nationale, les capitalistes ont pu bénéificier de temps et d’espace pour se réorganiser et la contre-révolution a pu briser le mouvement ville par ville.

    En janvier 1919, un exemple en fut donné à Berlin : le mouvement révolutionnaire y était en avance sur le reste du pays, de sorte que la contre-révolution a pu se concentrer entièrement sur la capitale. Les révolutionnaires y ont été brutalement été attaqués : des dirigeants tels que Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht ont été assassinés. Ils avaient bien compris le danger, mais avaient refusé de quitter Berlin à un moment où leurs camarades révolutionnaires risquaient d’être victimes de la violence contre-révolutionnaire. Ils se sont retrouvés aux côtés de leurs camarades d’armes jusqu’au dernier moment. Le prix à payer pour cette attitude conséquente fut élevé. La Révolution allemande n’a plus su compter sur ses dirigeants les plus clairvoyants, des dirigeants qui auraient pu faire une différence entre 1919 et 1923 pour réaliser le potentiel du mouvement révolutionnaire. L’échec de la révolution allemande a ouvert la voie à la barbarie du nazisme et a contribué à l’isolement de l’Union soviétique. Malheureusement, le slogan de Rosa Luxemburg «  socialisme ou barbarie  » fut confirmé.

    Rosa est morte comme elle a vécu : combative, consciente, cohérente, déterminée. «  Etre humain, c’est s’il le faut, mettre gaiement sa vie toute entière ‘‘sur la grande balance du destin’’, tout en se réjouissant de chaque belle journée et de chaque beau nuage  », écrivait-elle de prison en 1916. Cela aussi c’était Rosa : profiter de la nature, jouer avec les enfants de la rue, être émue par une belle poésie. En bref, nous nous battons pour le pain, mais aussi pour les roses. Rosa a mis sa vie dans la balance du destin, dans la lutte pour une autre société.

    Sa rébellion révolutionnaire, sa pensée indépendante et son action cohérente ont rendu l’héritage politique de Rosa difficile à assumer dans de nombreux milieux. La social-démocratie était bien sûr responsable de l’assassinat de Rosa et elle avait été l’objet de sa critique caustique du réformisme. Le caractère révolutionnaire et internationaliste de Rosa fut la véritable raison des critiques que Staline lui a adressée dès le début des années 1930. En RDA, Rosa et Karl Liebknecht étaient vénérés comme des figures mythiques, mais la contribution de Rosa au marxisme était moins mise en avant. Rosa était souvent maltraitée dans les milieux de gauche : ses désaccords avec Lénine et les bolcheviks étaient amplifiés et transformés en ce qu’ils n’étaient pas. Les limites de ses analyses, telles que celles concernant la question nationale ou le parti révolutionnaire, étaient si généralisées qu’elles diminuaient le rôle de Rosa en tant que penseuse et militante révolutionnaire cohérente. Il est grand temps de changer cela et de commémorer Rosa Luxemburg comme il se doit : comme l’une des plus importantes marxistes de l’histoire du mouvement ouvrier.

    Une inspiration permanente

    Plus de cent ans après la mort de Rosa Luxemburg, le monde est à un nouveau tournant. Le triomphalisme néolibéral qui était omniprésent après la chute du mur de Berlin et la disparition des caricatures staliniennes du socialisme est maintenant lui-même en ruines. Même le Financial Times se demande s’il n’est pas temps que le capitalisme soit ‘redémarré’. Dix ans après la grande récession de 2008, il n’y a aucune perspective de reprise économique réelle et de sombres nuages s’élèvent au-dessus de l’économie mondiale. Les tensions entre les puissances impérialistes s’accroissent. Les intérêts conflictuels entre les États-Unis et la Chine ne conduisent pas à une guerre ouverte traditionnelle, en partie parce que cela signifierait aujourd’hui une destruction mutuelle. Mais la guerre commerciale et les affrontements entre grandes puissances dans les différentes guerres par procuration sont l’expression d’une instabilité grandissante. La bourgeoisie est dans le pétrin sur le terrain politique. Un système en crise produit les dirigeants politiques qui s’y intègrent : Trump, Bolsonaro, Modi,… A cela s’ajoute le désastre climatique imminent : les scientifiques nous donnent à peine plus de dix ans pour éviter des dommages catastrophiques irréversibles.

    Le capitalisme est dans l’impasse, ce qui entraîne de plus en plus de protestations de masse. Du Chili à l’Equateur, de Porto Rico à l’Algérie et au Soudan, en passant également par le Liban, l’Irak, l’Iran ou encore Hong Kong : le nombre de mouvements de masse augmente fortement. Plusieurs gouvernements et régimes ont été l’objet de protestations massives. L’énergie de ces actions collectives n’est pas neuve. C’est l’énergie même que Rosa a si bien observée en Russie en 1905. Les similitudes sont nombreuses entre ce mouvement révolutionnaire du début du XXe siècle et la vague des mouvements d’aujourd’hui. Il y a l’inévitable confrontation entre le mouvement social et les dirigeants, la question de l’organisation de la lutte, celle du rôle des grèves générales pour mettre effectivement de côté les dirigeants, celle de la prise du pouvoir et enfin celle de l’alternative à mettre en place.

    Le mouvement de masse au Chili à l’automne 2019 affirme explicitement que ce ne sont pas seulement les raisons directes du mécontentement qui jouent un rôle, mais tout ce qui l’a précédé. Il ne s’agit pas seulement de l’augmentation des prix du métro de 30 pesos, mais de 30 ans d’absence de changement après la chute de la dictature de Pinochet. Le néolibéralisme est contesté dans le pays qui a vu la naissance de ce système politique. Cela rappelle ce que Rosa écrivait à propos de la Russie en 1905  : «  Il est absolument faux d’imaginer la grève de masse comme une action unique. La grève de masse est plutôt un terme qui désigne collectivement toute une période de la lutte de classes s’étendant sur plusieurs années, parfois sur des décennies.  » En période révolutionnaire, toute raison peut conduire à une grande confrontation. «  Dans la tempête révolutionnaire, chaque lutte partielle entre le capital et le travail prend les dimensions d’une explosion générale  ».

    La puissance des mouvements de masse, et en particulier des grèves générales, est également reconnue par les historiens. Des mouvements qui mobilisent les travailleurs avec des grèves ont historiquement le plus grand effet dans la conquête des droits démocratiques. Telle était la conclusion d’une étude réalisée par l’American Washington Post en octobre 2019. Toutes les grandes conquêtes sociales proviennent de luttes de masse  : la journée des 8 heures, le suffrage universel, les congés payés, la sécurité sociale,… Rien n’a été acquis grâces à de bonnes initiatives parlementaires, cela fut le fruit de mouvements de masse qui ont menacé le système tout entier.

    Le défi des mouvements de masse d’aujourd’hui est de savoir comment parvenir à un véritable changement. Ce que l’on ne veut pas est souvent évident, mais quelle forme doit prendre notre alternative et comment pouvons-nous y parvenir ? Grâce à l’action collective, des leçons peuvent être tirées quant à la façon dont le capitalisme est organisé, au rôle de l’État sous le capitalisme, à la force de notre nombre et de notre unité par-delà les divisions nationales, religieuses et autres. Mais nous il nous faut plus encore  : nous avons besoin d’une organisation qui agit consciemment en faveur d’un changement de société.

    Le révolutionnaire russe Trotsky déclarait dans un discours au tribunal où il fut accusé après la révolution de 1905  : «  préparer l’inévitable insurrection (…) signifiait pour nous d’abord et avant tout, d’éclairer le peuple, de lui expliquer que le conflit ouvert était inévitable, que tout ce qui lui avait été donné lui serait repris, que seule la force pouvait défendre ses droits, que des organisations puissantes de la classe ouvrière étaient nécessaires, que l’ennemi devait être combattu, qu’il fallait continuer jusqu’au bout, que la lutte ne pouvait se faire autrement ».

    Le système ne disparaitra pas spontanément pour remettre les clés de la société à la classe ouvrière. De puissants intérêts sont en jeu derrière la défense du capitalisme : les ultra-riches voient leurs richesses croître à un rythme vertigineux. Ils font bien entendu tout ce qui est en leur pouvoir pour les défendre et ils sont très bien organisés : ils contrôlent non seulement les secteurs clés de l’économie, mais aussi les médias, la politique,… Cela leur donne l’apparence d’un pouvoir énorme, mais leur point faible est leur nombre. Sans notre travail, l’ensemble de leur machinerie est à l’arrêt.

    Les grèves sont populaires comme moyen d’action et sont reprises dans différents mouvements. Le mouvement pour l’émancipation des femmes en Espagne et en Amérique latine reprend l’arme de la grève le 8 mars. La signification d’une grève générale dans le domaine politique n’est toujours pas bien comprise, mais cette signification politique est ancrée dans la méthode d’action elle-même. Comme Rosa l’écrivait à propos de la révolution de 1905 en Russie : «  La lutte économique présente une continuité, elle est le fil qui relie les différents nœuds politiques; la lutte politique est une fécondation périodique préparant le sol aux luttes économiques. La cause et l’effet se succèdent et alternent sans cesse, et ainsi le facteur économique et le facteur politique, bien loin de se distinguer complètement ou même de s’exclure réciproquement, comme le prétend le schéma pédant, constituent dans une période de grève de masse deux aspects complémentaires de la lutte de classe prolétarienne en Russie. C’est précisément la grève de masse qui constitue leur unité  ». La grève générale souligne le rôle économique et collectif de la classe ouvrière, la force qui peut entraîner une transformation socialiste de la société.

    Un autre élément remarquable des mouvements de masse d’aujourd’hui est la façon dont ils s’enflamment les uns les autres à l’échelle internationale. En Catalogne, par exemple, la manifestation contre la répression s’est penchée sur les méthodes d’action des manifestations de Hong Kong contre la dictature chinoise. Certains attribuent cette interaction internationale aux médias sociaux. Il est vrai que les médias sociaux offrent des possibilités de contacts plus rapides et plus internationaux. Mais tout comme les médias établis, les médias sociaux sont contrôlés par de grandes entreprises ayant des intérêts autres que ceux de la majorité de la population. Le capitalisme est encore toujours lié aux structures de l’Etat-nation, seule la classe ouvrière est sincèrement porteuse de l’internationalisme. Même avant l’existence des médias sociaux, les luttes réussies dans un pays ont eu un effet sur le mouvement ouvrier dans d’autres pays. Des militants comme Rosa en étaient particulièrement conscients et s’inspiraient non seulement des luttes menées dans d’autres pays, mais essayaient aussi de transformer cette inspiration en une meilleure compréhension et une plus grande prise de conscience de la part de la classe ouvrière.

    Le capitalisme est en eaux troubles. Dans de nombreux pays, les masses descendent dans la rue par colère contre tout ce qui va mal, contre tout le système en fait. Le plus grand atout du capitalisme aujourd’hui est que la conscience d’une alternative – la possibilité d’une autre société, le socialisme – est limitée. De nouvelles formations politiques émergent, fondées sur l’insatisfaction à l’égard du capitalisme, sans toutefois reconnaître la nécessité d’une rupture révolutionnaire avec le système et sans prendre des mesures en ce sens. Les nouvelles formations de gauche comme Syriza, Podemos ou le PTB en Belgique sont politiquement plus proches du réformisme de Bernstein que de la politique révolutionnaire de Rosa Luxemburg. Mais avec la différence que Bernstein est passé au réformisme pendant une période de croissance économique qui permettait au mouvement ouvrier d’obtenir des concessions. Cette marge est aujourd’hui inexistante, ce qui signifie que Syriza, par exemple, a rapidement échoué en Grèce. Qu’en aurait pensé Rosa ? Elle nous aurait sans doute incités à une vive critique sur base d’une compréhension globale du fonctionnement du capitalisme et sur base de la dynamique de la lutte des classes. Les idées de Rosa au sujet de la relation entre réforme et révolution sont toujours bien utiles pour construction l’expression politique de la classe ouvrière!

    Dans les mouvements sociaux d’aujourd’hui, les jeunes et les femmes sont à l’avant-garde. Pensons aux grèves pour le climat qui se propagent dans le monde entier avec pas moins de 7,6 millions de manifestants à la fin septembre 2019 ! Pensons au mouvement grandissant des femmes, qui est également plus largement soutenu en Belgique et qui provoque de nouvelles mobilisations de masse ! Rosa est parfois accusée à tort de ne pas s’être impliquée dans les luttes des femmes. Pour elle, il s’agissait en effet d’une lutte importante, mais elle ne la considérait pas comme distincte de la lutte de classe en général. Imaginons ce que aurait été la critique de Rosa sur un slogan comme « Les femmes se libéreront elles-mêmes  ». Elle a d’ailleurs écrit au sujet du droit de vote des femmes : «  La lutte de masse pour les droits politiques des femmes est seulement l’une des expressions et une partie de la lutte générale du prolétariat pour sa libération. En cela réside sa force et son avenir.  » Cette approche est celle défendue par la Campagne ROSA en Belgique aujourd’hui. La lutte pour l’émancipation des femmes fait partie de la lutte pour l’émancipation générale de la classe ouvrière. Dans cette lutte, des formes spécifiques d’oppression doivent être reconnues et combattues. Les formes spécifiques d’oppression ne doivent pas être considérées isolément du fonctionnement de l’ensemble du système, mais comme une expression de celui-ci. Résister, c’est entrer en lutte contre le capitalisme et nous sommes plus forts dans ce combat si la classe ouvrière est unie. Afin de réaliser une plus grande unité de la classe ouvrière, les sensibilités autour de formes spécifiques d’oppression, comme l’oppression des femmes ou celle de la communauté LGBTQI+, doivent être prises en compte.

    Le fait que l’humanité soit confrontée au choix entre «  socialisme ou barbarie  » est peut-être la citation la plus connue de Rosa. La lutte pour le socialisme était au cœur de sa vie et elle ne considérait pas cela comme quelque chose de destiné à un lointain avenir. La défense d’une société socialiste devra aujourd’hui être un élément inséparable de toute lutte directe et concrète. Lors de l’éclatement de la révolution de novembre en Allemagne en 1918, Rosa a déclaré : «  La classe ouvrière doit avant tout essayer de s’emparer de toute la puissance politique de l’Etat. Pour nous, socialistes, ce pouvoir politique n’est qu’un moyen. Le but pour lequel nous devons employer ce pouvoir, c’est la transformation fondamentale de tous les rapports sociaux.  » Un changement fondamental de société était l’objectif et le principe directeur de la vie quotidienne et du travail de Rosa.

    N’est-il pas trop tard aujourd’hui ? Les marxistes révolutionnaires analysent la société en profondeur et en tirent leur optimisme et leur confiance dans la classe ouvrière. Rosa est également un exemple à cet égard. Même lorsque la révolution s’est retrouvée attaquée et que Rosa a réalisé que sa vie était en danger, sa confiance dans le changement social fondamental est restée intacte. «  “L’ordre règne à Berlin !” sbires stupides ! Votre “ordre” est bâti sur le sable. Dès demain la révolution se dressera de nouveau avec fracas proclamant à son de trompe pour votre plus grand effroi. J’étais, je suis, je serai !  »

  • Rosa Luxemburg et les socialistes belges

    Dans ‘‘Rosa Luxemburg et les socialistes Belges’’, Anne Vanesse présente une esquisse de portrait de Rosa Luxemburg et nous fait ensuite découvrir ses analyses pointues et les polémiques engagées au sujet des grèves belges pour le suffrage universel.

    Par Geert Cool

    Dans ‘‘Rosa Luxemburg et les socialistes Belges’’, Anne Vanesse présente une esquisse de portrait de Rosa Luxemburg et nous fait ensuite découvrir ses analyses pointues et les polémiques engagées au sujet des grèves belges pour le suffrage universel.

    Rosa Luxemburg était une militante polyvalente, avec ses forces et ses faiblesses. Cela entraine inévitablement des estimations très différentes de sa pensée politique. Nous considérons ainsi différemment beaucoup d’éléments présents l’introduction et l’aperçu biographique de Rosa Luxemburg. Le livre développe une approche unilatérale des divergences d’opinion entre Rosa et les bolcheviks, tout particulièrement avec Lénine.

    L’absence d’un mouvement révolutionnaire organisé au sein de la social-démocratie allemande s’est révélée être une faiblesse majeure au début de la Première Guerre mondiale. Les critiques de Rosa à l’égard de la guerre étaient vives, mais sans qu’il n’y ait d’organisation pour la soutenir. Ce n’est que pendant la guerre que cette tâche difficile a commencé, d’abord autour du journal Die Internationale et ensuite avec la Ligue Spartakiste. Elle disait alors que ‘‘la social-démocratie n’est plus qu’un cadavre puant’’ et s’accordait avec Lénine et Trotsky sur le besoin d’une nouvelle Internationale. Rosa a contribué au développement de la Ligue Spartakiste et plus tard du Parti communiste allemand. La Révolution russe d’Octobre l’a enthousiasmée, malgré des critiques qu’elle a immédiatement liées à la nécessité de l’expansion internationale de la Révolution russe.

    La critique de Rosa Luxemburg sur l’attitude de la direction du POB (Parti ouvrier belge, l’ancêtre du PS) dans la lutte pour le suffrage universel en Belgique constitue le point fort de ‘‘Rosa Luxemburg et les socialistes belges’’. Ce passage décrit la puissance des grèves générales pour arracher des conquêtes sociales. Les grandes grèves de 1891 et 1893 ont livré le Suffrage universel masculin tempéré par le vote plural (les privilégiés avaient plusieurs voix). La force de ces mouvements de masse de la base a toutefois été affaiblie par la suite en alignant la lutte sur la conclusion de compromis parlementaires avec les libéraux. C’est ainsi que la revendication du suffrage universel féminin a été mise de côté. Elle faisait remarquer : ‘‘c’est une nouveauté de considérer ainsi (le) programme comme un menu dont les plats ne peuvent être dégustés que l´un après l’autre. Même si une situation politique particulière peut amener temporairement le parti ouvrier de chaque pays à se mobiliser davantage pour certains objectifs de son programme que pour d´autres, c´est bien la totalité de notre programme qui reste le fondement permanent de notre combat politique.’’

    Rosa Luxemburg faisait remarquer que la lutte syndicale et la lutte politique vont de pair, mais que soumettre la lutte extra-parlementaire à celle des compromis parlementaires conduit aux défaites. Elle a souligné la nécessité des mouvements de masse et d’une large participation afin d’assurer le contrôle du mouvement sur les parlementaires ainsi que pour garantir que la discussion prend toujours pour base les besoins de la population active et non ce qui est réalisable dans le cadre de compromis politiques. Elle a également expliqué qu’il ne faut pas instrumentaliser les grèves pour relâcher de la vapeur. ‘‘Même un enfant ne s’effraie pas d’une menace ‘‘les poings dans la poche’’, ainsi que le Peuple le conseillait sérieusement aux grévistes, et une classe au pouvoir luttant à la vie et à la mort pour le reste de sa domination politique, s’en effraie moins encore.’’ Une grève générale a toujours une signification politique : ‘‘l’importance politique des masses ouvrières en grève réside toujours, et aujourd’hui encore, dans le fait qu’en cas de refus obstiné de la majorité parlementaire, elles sont éventuellement prêtes et capables de dompter le parti au pouvoir par des troubles, par des révoltes de rues.’’

    Avec ce livre, Anne Vanesse contribue à ce que Trotsky écrivait au sujet de Rosa Luxemburg concernant le ‘‘devoir de transmettre dans toute sa splendeur et son haut pouvoir d’éducation cette figure vraiment merveilleuse, héroïque et tragique, aux jeunes générations du prolétariat’’.

     

  • Quelles sont les origines du 1° mai ? – Par Rosa Luxemburg

    Rosa Luxembourg (1871-1919) est une révolutionnaire marxiste cofondatrice de la Ligue spartakiste, puis du Parti communiste d’Allemagne. Elle fut assassinée à Berlin en janvier 1919 pendant la révolution allemande, lors de la répression de la révolte spartakiste. [/caption]

    L’heureuse idée d’utiliser la célébration d’une journée de repos prolétarienne comme un moyen d’obtenir la journée de travail de 8 heures [1], est née tout d’abord en Australie. Les travailleurs y décidèrent en 1856 d’organiser une journée d’arrêt total du travail, avec des réunions et des distractions, afin de manifester pour la journée de 8 heures. La date de cette manifestation devait être le 21 avril. Au début, les travailleurs australiens avaient prévu cela uniquement pour l’année 1856. Mais cette première manifestation eut une telle répercussion sur les masses prolétariennes d’Australie, les stimulant et les amenant à de nouvelles campagnes, qu’il fut décidé de renouveler cette manifestation tous les ans.

    De fait, qu’est-ce qui pourrait donner aux travailleurs plus de courage et plus de confiance dans leurs propres forces qu’un blocage du travail massif qu’ils ont décidé eux-mêmes ? Qu’est-ce qui pourrait donner plus de courage aux esclaves éternels des usines et des ateliers que le rassemblement de leurs propres troupes ? Donc, l’idée d’une fête prolétarienne fût rapidement acceptée et, d’Australie, commença à se répandre à d’autres pays jusqu’à conquérir l’ensemble du prolétariat du monde.

    Les premiers à suivre l’exemple des australiens furent les états-uniens. En 1886 ils décidèrent que le 1° mai serait une journée universelle d’arrêt du travail. Ce jour-là, 200.000 d’entre eux quittèrent leur travail et revendiquèrent la journée de 8 heures. Plus tard, la police et le harcèlement légal empêchèrent pendant des années les travailleurs de renouveler des manifestations de cette ampleur. Cependant, en 1888 ils renouvelèrent leur décision en prévoyant que la prochaine manifestation serait le 1° mai 1890.

    Entre temps, le mouvement ouvrier en Europe s’était renforcé et animé. La plus forte expression de ce mouvement intervint au Congrès de l’Internationale Ouvrière en 1889 [2]. A ce Congrès, constitué de 400 délégués, il fût décidé que la journée de 8 heures devait être la première revendication. Sur ce, le délégué des syndicats français, le travailleur Lavigne [3] de Bordeaux, proposa que cette revendication s’exprime dans tous les pays par un arrêt de travail universel. Le délégué des travailleurs américains attira l’attention sur la décision de ses camarades de faire grève le 1° mai 1890, et le Congrès arrêta pour cette date la fête prolétarienne universelle.

    A cette occasion, comme trente ans plus tôt en Australie, les travailleurs pensaient véritablement à une seule manifestation. Le Congrès décida que les travailleurs de tous les pays manifesteraient ensemble pour la journée de 8 heures le 1° mai 1890. Personne ne parla de la répétition de la journée sans travail pour les années suivantes. Naturellement, personne ne pouvait prévoir le succès brillant que cette idée allait remporter et la vitesse à laquelle elle serait adoptée par les classes laborieuses. Cependant, ce fût suffisant de manifester le 1° mai une seule fois pour que tout le monde comprenne que le 1° mai devait être une institution annuelle et pérenne.

    Le 1° mai revendiquait l’instauration de la journée de 8 heures. Mais même après que ce but fût atteint, le 1° mai ne fût pas abandonné. Aussi longtemps que la lutte des travailleurs contre la bourgeoisie et les classes dominantes continuera, aussi longtemps que toutes les revendications ne seront pas satisfaites, le 1° mai sera l’expression annuelle de ces revendications. Et, quand des jours meilleurs se lèveront, quand la classe ouvrière du monde aura gagné sa délivrance, alors aussi l’humanité fêtera probablement le 1° mai, en l’honneur des luttes acharnées et des nombreuses souffrances du passé.

    Notes :
    [1] L’usage était alors une journée de travail d’au moins 10 à 12 heures par jour.
    [2] Il s’agit du premier congrès de la II° internationale.
    [3] Raymond Lavigne (1851- ?), militant politique et syndicaliste.

  • Allemagne : Merkel sur la route de sa réélection

    Il faut renforcer Die Linke !

    L’Allemagne connaîtra de nouvelles élections législatives le 22 septembre prochain. La chancelière conservatrice Angela Merkel (CDU, chrétiens-démocrates) est bien partie pour être réélue, mais son partenaire de coalition libéral risque de perdre pas mal de plumes. Le parti social-démocrate SPD ne parvient pas à menacer la position électorale de Merkel. A gauche, Die Linke (La Gauche) fait campagne pour limiter la casse électorale depuis les dernières élections. En 2009, ce parti représentait encore 12%, mais il risque de tomber à 7 ou 8%. Le texte ci-dessous est un résumé de la déclaration de notre organisation-sœur allemande, le SAV, qui milite au sein de Die Linke.

    Les loyers et les prix de l’énergie s’envolent et, une fois leur salaire dépensé, beaucoup de gens doivent encore tenir le coup une bonne partie du mois. Alors que les travailleurs, les retraités et les chômeurs payent de plus en plus, les banques ont été sauvées avec l’argent des contribuables et des milliards d’euros ont été consacrés à des projets de prestige comme ‘‘Stuttgart 21’’ (une nouvelle gare et un nouveau réseau ferroviaire) ou l’aéroport de Berlin.

    Beaucoup d’électeurs trouvent que tous les partis se ressemblent et ne comptent donc pas participer au scrutin. Il est vrai que quelque soit la coalition qui sortira des urnes – noire-jaune (chrétiens-démocrates et libéraux) ou rouge-verte (SPD et Verts) – rien ne changera, la politique restera unilatéralement favorable aux riches et aux grandes entreprises. Après tout, il y a dix ans, c’était une coalition socio-démocrates / Verts qui avait appliqué la batterie d’attaques contre nos conditions de travail et nos salaires que constituaient ‘‘l’Agenda 2010’’ et le plan Hartz IV. Ces mêmes partis, prétendument de gauche, ont conduit l’Allemagne à participer à diverses opérations militaires et ont œuvré à la libéralisation accélérée du secteur financier.

    Aujourd’hui, le dirigeant du SPD Peer Steinbrück tente de faire croire qu’il s’est découvert une conscience sociale en parlant de la nécessité de redistribuer les richesses. Si le SPD et les Verts réclament maintenant l’instauration d’un salaire minimum, c’est principalement parce que Die Linke défend cette revendication avec un certain succès, ils ont dû lui emboîter le pas. Mais le SPD, les Verts, les chrétiens-démocrates du CDU/CSU et les libéraux du FDP savent pertinemment que de nouvelles mesures d’économies suivront directement le 22 septembre et s’ajouteront à l’austérité aux niveaux local et régional.

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    Une députée de Die Linke nous rejoint

    “Renforcer le SAV, c’est renforcer la gauche au sein de DIE LINKE”

    La députée de Die Linke pour la Basse-Saxe, Heidrun Dittrich, vient de rejoindre Sozialistische Alternative (SAV), notre organisation-sœur en Allemagne. Cela fait suite à toute une période d’intense collaboration au sein de Die Linke et de son courant de gauche, la “Gauche Anticapitaliste’’. En tant qu’élue de notre organisation, elle ne touche que l’équivalent du salaire moyen d’un ouvrier qualifié, le reste étant reversé pour soutenir diverses luttes sociales. Elle ne sera hélas pas réélue en septembre puisqu’elle n’est plus candidate, mais elle restera très impliquée dans la construction de Die Linke et du SAV. Voici ci-dessous une version abrégée de sa déclaration d’adhésion.

    Au vu des mouvements de masse qui prennent place sur tous les continents, de l’actuelle absence d’alternative dans l’esprit de nombreuses personnes et de la désillusion face aux partis néolibéraux, la construction de forces socialistes conséquentes est décisive pour montrer une voie de sortie hors de la crise du capitalisme.

    Sans cela, des groupes pro-capitalistes ou mêmes fascistes peuvent instrumentaliser la désillusion existante, des mouvements progressistes peuvent tourner à la guerre civile comme en Syrie ou des militaires peuvent prendre le pouvoir comme en Egypte. De tels développements ne peuvent être prévenus que si la classe ouvrière dispose de forces indépendantes qui luttent pour une alternative à une échelle internationale.

    J’ai été élue au Parlement allemand sur une liste présentée dans l’Etat fédéral de Basse Saxe en 2009. Je suis d’opinion que notre travail parlementaire doit être premièrement et principalement utilisé, comme Rosa Luxemburg l’avait écrit il y a plus de cent ans, afin d’exposer l’hypocrisie des partis bourgeois, de propager notre alternative politique, de diffuser les revendications des mouvements extra-parlementaires et de renforcer la résistance locale. J’ai toujours été opposée à la conception des positions parlementaires considérées comme un but en soi.

    Tout comme les camarades du SAV, je ne pense pas que la crise actuelle est juste une crise des marchés financiers, mais une crise systémique du capitalisme. Cette crise ne pourra pas être résolue par une redistribution des richesses, parce que la force principale au sein du capitalisme est celle de la maximisation du profit. Une solution ne peut être trouvée que dans la socialisation des moyens de production et dans la planification écologique et sociale de l’économie au sein d’une société socialiste. Notre tâche est, à partir des problèmes quotidiens de la population, de montrer une issue socialiste et de construire un pont vers une alternative socialiste.

    Afin de fondamentalement changer les relations sociales, nous devons gagner la majorité de la société. Cela ne saurait être possible qu’en stimulant l’entrée en activité militante pour que de plus en plus de gens rentrent en conflit avec le système. Cela ne se fera pas avec des coalitions parlementaires avec des partis bourgeois comme le SPD et les Verts.

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    Parvenir à un changement nécessite de construire un rapport de force à partir de la base de la société – dans les entreprises, les universités, les écoles et les quartiers. Dans ce cadre, ces élections de septembre revêtent tout de même une certaine importance car elles offrent l’occasion à Die Linke d’être à nouveau – le plus fortement possible – présent au parlement.

    Die Linke : Un parti différent ?

    Contrairement à l’ensemble des partis de l’establishment, Die Linke défend l’homme de la rue, le chômeur et le retraité, et utilise pour ce faire tant sa position au parlement que des actions en dehors des institutions. Ainsi, Die Linke mène une campagne active pour soutenir le personnel du secteur de la distribution qui revendique des salaires plus élevés et une convention collective de travail décente. Dans le secteur des soins de santé, Die Linke défend la revendication de l’augmentation du personnel et appuie les actions menées par le personnel hospitalier (y compris les grèves, comme à l’hôpital de la Charité à Berlin). Les actions de Blockupy contre la dictature des banques (tenues à Francfort le 1er juin dernier aux abords de la Banque Centrale Européenne) ont pu compter sur la présence active de députés de Die Linke, qui eux aussi ont été arrêtés. Le parti s’est opposé à tout plan de sauvetage des banques, a voté contre la participation des troupes allemandes aux interventions impérialistes – les prétendus ‘‘militants de la paix’’ des Verts ne peuvent pas en dire autant. Lors du débat sur l’utilisation de drones (des bombardiers téléguidés) en Afghanistan, Die Linke a défendu le slogan : ‘‘Investir dans l’aide à l’enfance au lieu de la tuer avec des drones.’’

    Die Linke a joué un rôle actif dans la résistance contre les politiques antisociales et a permis de laisser moins d’espace aux forces populistes de droite. Mais tout cela n’est qu’une face du parti de gauche. Certaines forces en son sein veulent rendre le parti plus ‘‘acceptable’’ en vue de collaborer avec le SPD et les Verts. Mais là où Die Linke participe à des coalitions locales, comme dans le Brandebourg, le parti applique la politique d’austérité. A Berlin, dix ans de coalition ‘‘rouge-rouge’’ (SPD/Die Linke) n’ont apporté qu’une succession de mesures antisociales. Certains veulent faire de même au niveau national.

    Die Linke n’est pas un parti homogène, mais c’est le seul parti qui s’oppose à la pensée unique néolibérale. Voter pour Die Linke entraîne le renforcement de la résistance contre les prochaines mesures d’austérité du nouveau gouvernement. Die Linke fourmille de partisans d’une opposition combative, avec une participation active de la base du parti.

    Pourquoi s’engager ?

    La différence ne sera pas faite au Parlement. Il faut frapper les grandes banques et les grosses entreprises là où ça leur fait le plus mal. Le Parlement et le gouvernement ne sont composés que de pantins à leurs ordres, Die Linke doit jouer un rôle actif dans l’organisation de la résistance contre les marionnettistes !

    Il nous faut un puissant mouvement de travailleurs, de chômeurs, de jeunes et de retraités, accompagné d’un parti de masse ayant une orientation socialiste pour que la colère puisse forcer l’arrivée de réels changements et faire plier les super-riches. Un tel parti doit s’élever contre le capitalisme et pour une société socialiste démocratique. Des positions parlementaires peuvent être utilisées à cette fin, mais uniquement comme moyen de renforcer les revendications et les luttes concrètes du mouvement social.

    Sans une réponse anticapitaliste globale, l’infime élite qui est aujourd’hui la seule à avoir son mot à dire continuera sa politique antisociale faite de destruction sociale et environnementale, le tout saupoudré des mensonges nécessaire pour nous la faire avaler.

  • [DOSSIER] Quel rôle les coopératives peuvent-elles jouer pour changer le monde?

    Des millions de personnes autour du monde cherchent désespérément la voie de sortie hors de la misère infligée par le capitalisme. Au milieu des soulèvements de masse constants qui surgissent dans beaucoup d’endroits du monde, beaucoup débattent des nouvelles et vieilles idées sur la manière de changer la société au mieux. L’idée de coopératives de travailleurs et de consommateurs est l’une de ces discussions qui a regagné de l’attention.

    Par Kirk Leonard, Socialist Party (CIO-Australie)

    Les socialistes devraient-ils préconiser les coopératives comme un moyen de transformer fondamentalement le monde, ou devraient-ils les discréditer crument en tant que pure fantaisie ? La discussion et le débat à ce sujet se déroulent depuis de nombreuses décennies, il s’agit d’une caractéristique commune au mouvement socialiste dès ses premiers pas.

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    Pour en savoir plus

    Robert Owen – un industriel écossais de la fin du 17ème et du début du 18ème siècle – est considéré comme étant le premier défenseur et théoricien des coopératives. Les idées d’Owen étaient parmi les tendances dominantes du socialisme utopique pré-marxiste. Owen rêvait de villages coopératifs indépendants, construits à l’écart de la société capitaliste. Il a mené plusieurs expériences concrètes. Malheureusement, les expériences d’Owen ont échoué et son mouvement s’est effondré, mais ses idées initiales ont continué d’alimenter la théorie, la pratique et le débat pour les décennies à suivre.

    Dans les années qui ont suivi les expériences d’Owen, le mouvement des travailleurs à travers l’Europe a commencé à organiser des magasins coopératifs pour saper la vente capitaliste et réduire les prix. Les travailleurs ont également mis en commun leurs ressources pour créer des usines coopératives sans propriétaire capitaliste bien que celles-ci ne furent pas aussi populaires que leur magasin. C’est dans ce contexte que les coopératives ont été discutées, débattues et que l’on a écrit sur le sujet dans mouvement socialiste. Des géants de la théorie socialiste comme Marx, Lénine et Luxemburg ont tous écrit à ce propos.

    Les prix élevés des denrées alimentaires, la menace de catastrophes écologique et les pertes d’emplois dans les entreprises des pays capitalistes avancés ont fait ressurgir l’idée de coopératives dans certaines parties du mouvement ouvrier d’aujourd’hui. Le projet Earthworker d’établir une coopérative de travailleurs de fabrication verte à Victoria (en Australie) en est un exemple. Selon un de ses principaux organisateurs, le projet Earthworker se veut être une ‘‘tentative pratique, innovante et visionnaire pour commencer à construire un nouveau système économique qui respecte en même temps l’environnement et les travailleurs.’’

    L’ensemble actuel de dirigeants syndicaux a échoué à mener un véritable débat sur les questions urgentes de l’emploi, de l’économie et de l’environnement. Au cours des 25 dernières années, les discussions sur une autre façon de gérer la société ont été étouffées par la domination de l’ALP (Australian Labor Party, équivalent australien du PS) et de son idéologie du ‘‘libre marché’’ dans le mouvement. Les socialistes accueillent et encouragent toute opportunité d’analyser et de discuter des problèmes qu’affrontent les travailleurs, avec pour objectif de s’organiser et d’agir. Les socialistes voient le débat autour de la question des coopératives comme une voie saine pour explorer ces très importantes questions.

    Les mouvements coopératifs trouveront presque certainement une nouvelle vie alors que la crise globale du capitalisme se déploie. La classe ouvrière cherchera instinctivement des voies pour panser les plaies sociales et améliorer sa qualité de vie. Au cours des dernières années, les médias ont été remplis d’un grondement constant de mécontentement contre le supermarché duopole Woolworths-Coles. Il est possible d’imaginer que les épiceries coopératives – où les consommateurs mettent en commun leurs ressources pour mettre en place leurs propres magasins et des achats en gros groupés auprès des fabricants – pourraient gagner en popularité dans le but de répondre à ce problème.

    Aussi bien les coopératives de producteurs que de consommateurs ont leurs points positifs. Premièrement, elles peuvent apporter un certain soulagement immédiat vis-à-vis des différents symptômes du capitalisme, comme les prix abusifs et la surexploitation. En cas de succès, les coopératives peuvent également avoir le potentiel de fournir de l’argent et d’autres formes de soutien aux fonds de grève, aux syndicats, à des campagnes ou à des organisations politiques qui profitent à la classe ouvrière dans son ensemble.

    Les coopératives peuvent également fonctionner comme des écoles importantes pour ceux qui y sont impliqués. Elles sont des exemples de preuve qu’il est possible d’organisation la production et la distribution sans la présence de l’avidité capitaliste privée. Par cette voie, elle aide à démonter le mythe selon lequel la classe ouvrière ne peut s’organiser ou gérer la société et montre que la classe capitaliste est parasitaire et non nécessaire. Elles montrent une vision d’une société alternative plus pratique et plus accessible.

    D’un autre côté, il y a aussi des dangers idéologiques pour les travailleurs dans les coopératives. Les coopératives qui existent dans le décor général du capitalisme sont toujours sujettes aux lois des opérations capitalistes. Elles cherchent souvent des prêts et du financement auprès des banques capitalistes et elles doivent rivaliser au niveau des prix contre d’autres entreprises capitalistes privées, parmi d’autres restrictions. Cela signifie que les travailleurs des coopératives sont poussés et tirés à jouer le rôle contradictoire dans leur propre exploiteur. S’ils refusent de jouer avec ces règles, ils courent le risque que la coopérative s’effondre.

    Les travailleurs peuvent potentiellement apprendre sur la nécessité de prendre le pouvoir économique et politique de la classe capitaliste à travers ce processus. Cependant, les gens ont tendance à se pencher sur la solution la plus facile ou la moins complexe pour tout problème qu’ils rencontrent. Plutôt que de s’attaquer aux vastes questions politiques, économiques ou sociales, ceux qui sont impliqués dans les coopératives se limitent souvent aux perspectives de petites entreprises ou se concentrent exclusivement sur les problèmes commerciaux auxquels font face leur propre coopérative.

    Via ce processus, beaucoup des vieilles coopératives de consommateurs à travers l’Europe ne sont plus que des coopératives que de nom. Beaucoup sont bel et bien des entreprises capitalistes à l’heure actuelle. En Australie, beaucoup de coopératives, par exemple la chaîne en croissance de librairie coopératives dans les universités, sont également des commerces capitalistes à peine voilés.

    Les coopératives peuvent être une voie légitime par laquelle les travailleurs tentent d’améliorer leurs conditions. Mais certaines personnes vont plus loin, argumentant qu’établir des coopérative est une stratégie capable de transformer radicalement le monde. Mais est-il possible que le capitalisme puisse être dépassé et remplacé par une masse critique de coopératives de producteurs et de consommateurs ? La réponse est non.

    Les coopératives de producteurs sous le capitalisme sont hybrides. Elles sont des ‘‘îles socialistes’’ dans l’océan capitaliste. Elles sont vulnérables aux forces de tempêtes de cet océan capitaliste : les conditions de crédits, le prix des matières premières, les loyers, la compétition, la capacité de faire du bénéfice, … . Elles peuvent seulement être à l’abri de certaines de ces pressions en trouvant un marché garanti pour éviter la ‘‘libre compétition’’.

    Cela rend les coopératives de producteurs dépendantes des coopératives de consommateurs, ou à des notions comme ‘‘le consumérisme éthique’’. De cette façon, les coopératives sont écartées des plus importantes sphères de l’industrie lourde, ce qui doit être prise en compte si nous voulons véritablement effectuer un changement économique et social fondamental.

    Il y a de véritable limites dans lesquelles les coopératives peuvent se confronter aux bases du capitalisme – la manière dont les biens et les services sont produit – à une échelle importante.

    Le capitalisme se maintient par le contrôle des classes capitalistes sur l’État, leur contrôle de la finance et leur contrôle sur la majorité des entreprises, particulièrement l’industrie première et lourde. Un mouvement coopératif menaçant pourrait aisément être saboté commercialement, ou par d’autres manières, par ces bases du pouvoir capitaliste. En revanche, les coopératives n’offrent aucune possibilité de prendre ce pouvoir des mains de la classe capitaliste. En tant que tel, il est impossible pour un mouvement coopératif en soi de renverser le capitalisme. Comme l’a affirmé la marxiste allemande Rosa Luxemburg, les coopératives sont ‘‘une attaque portée contre les rameaux de l’arbre capitaliste.’’

    A ce point, la tâche principale pour les véritables socialistes est de reconstruire les organisations de la lutte des classes. Nous avons besoin de reconstruire des partis des travailleurs et de transformer nos syndicats en forces combatives. Il y a une nécessité absolue de réinjecter les idées du marxisme dans le mouvement des travailleurs. Avoir une compréhension scientifique de comment fonctionne le capitalisme est la clé si vous voulez réaliser de véritables changements sociaux.

    Alors que le mouvement coopératif ressurgit, les socialistes devraient promouvoir les politiques de la lutte des classes et la solidarité parmi elles. Par exemple, à côté de la construction de coopératives, le mouvement des travailleurs a besoin d’une campagne pour la nationalisation des secteurs clés de l’économie. Les coopératives peuvent être un auxiliaire à la lutte des classes mais pas un but en soi, elles doivent systématiquement être liées à une stratégie plus large de prise de pouvoir économique, politique et social hors des mains de la classe capitaliste.

    En fin de compte, un réel changement social ne sera possible que si nous prenons les secteurs majeurs de l’économie hors des mains des capitalistes et que nous les plaçons en propriété publique sous contrôle et gestion démocratiques des travailleurs et de la collectivité. De cette manière, le concept de coopératives peut être implanté dans la société, avec la planification nécessaire qui permettra que la richesse soit distribuée équitablement et que le chômage et la destruction environnementale appartiennent au passé.

  • Le retour des coopératives

    Affronter le capitalisme avec ses propres armes ?

    La colère ressentie contre les banquiers et leurs dettes de jeu contractées au casino du capitalisme est très grande, un constat évident au vu de l’enthousiasme pour New-B, le projet de nouvelle banque coopérative belge qui compte aujourd’hui près de 40.000 inscrits. De son côté, la corporation basque Mondragon (la plus grande structure coopérative au monde) réunit plus de 250 entreprises et emploie plus de 80.000 personnes.

    Le débat consacré aux avantages et limites du travail avec des coopératives a traversé l’histoire du mouvement socialiste. Travailler et produire ensemble ou organiser l’achat et la distribution de denrées de manière collective sans que la logique de profit ne soit centrale sont des idées qui reposent sur la solidarité instinctivement fortement présente parmi les travailleurs et leurs familles. Il s’agit d’une tentative collective d’améliorer la qualité de vie dans un système capitaliste qui fonctionne dans le sens inverse.

    Mais cette approche a des limites. Dans le contexte du système capitaliste, aucune entreprise ne peut se soustraire à ses lois. Qui n’est pas compétitif finit par disparaître… Les coopératives sont ainsi prises entre le marteau et l’enclume : dans quelle mesure exploiter son propre personnel pour faire face à cet aspect concurrentiel ?

    Dans une période de ralentissement économique, on peut davantage mettre l’accent sur l’éthique. Mais que faire si, dans ce contexte de crise, survient une brève période de croissance limitée avec des possibilités de spéculation et les profits qui y sont associés ? Une banque coopérative refuserait-elle de s’impliquer dans tout ça ? L’exemple d’Arco, la coopérative du mouvement ouvrier chrétien, et de sa participation au désastre Dexia sont encore frais dans nos mémoires… Il existe encore l’exemple historique de la Banque du Travail tombée en faillite en 1934.

    La militante marxiste allemande Rosa Luxemburg faisait remarquer en 1900 déjà qu’une coopérative de production signifie avant tout que ‘‘les travailleurs sont appelés à jouer le rôle de l’entrepreneur capitaliste’’, une contradiction ‘‘généralement à la base de l’échec des coopératives qui se sont soit converties en pures entreprises capitalistes soit ont été dissoutes, dans le cas où elles continuaient à considérer comme centraux les intérêts des travailleurs’’.

    Une coopérative de consommation (de même que les Groupes d’Achats Communs) part de l’idée tout à fait correcte qu’il est possible d’obtenir un meilleur prix en achetant à plus large échelle. Ce constat explique le succès des achats groupés d’énergie, ce n’est d’ailleurs pas une coïncidence si l’on voit cette approche se développer dans un secteur où les prix sont très élevés en conséquence directe de la libéralisation. Nous soutenons toutes les mesures visant à atténuer les effets de la libéralisation, mais nous voulons défendre une alternative à la libéralisation elle-même.

    Cette idée de coopérative revient régulièrement sur la table du côté du PS. En 2009, en pleine crise du lait, l’idée d’une coopérative laitière wallonne est venue dans le débat. Mais le plus concret a encore été le lancement des magasins ‘‘C Populaire’’ en avril 2010, à l’initiative du PS, de la FGTB et des Mutualités Socialistes (Solidaris), avec l’objectif de ‘‘Favoriser les relations entre producteurs et consommateurs, valoriser la production régionale et offrir des produits de qualité accessibles à tous.’’ Sauf que, trois ans après, ces magasins n’existent plus, sans que les fermetures n’aient bénéficié du quart de la couverture médiatique de leur lancement. De telles initiatives restent par essence limitées, noyées dans un océan capitaliste.

    Le capitalisme ne peut être domestiqué, il doit être combattu et abattu. La Charte de Quaregnon – le programme historique du mouvement ouvrier socialiste en Belgique – ne se limite pas à des achats groupés d’énergie ou à un meilleur contrôle des banques, elle exige de placer l’ensemble du secteur financier et du secteur de l’énergie entre les mains de la collectivité. Voilà une solution qui dépasse le cadre de l’aspirine contre le cancer, cela poserait les bases d’un enseignement gratuit, de l’éradication de la pauvreté, d’une création de bons emplois socialement utiles,…

  • Occupy Oakland : De l’occupation à la grève

    La question de la manière dont le mouvement Occupy va se développer est importante tant pour les 99% que pour les 1% et Occupy Oakland a illustré la meilleure manière d’aller de l’avant. L’avenir du mouvement aura des conséquences pour tout le monde et, comme le disait l’historien et militant américain Howard Zinn: ‘‘Il n’est pas possible d’être neutre sur un train en mouvement.’’

    Par Jente (Anvers), article tiré de l’édition de décembre-janvier de Lutte Socialiste (n°167)

    Une des revendications parmi les plus fréquentes du mouvement Occupy concerne l’accès à l’enseignement et quand, une journée à peine après une répression massive et brutale du mouvement Occupy, la ville d’Oakland (Californie) a décidé de fermer cinq écoles pour raisons budgétaires, les enseignants ont de suite rejoint le mouvement. Rester à l’écart n’était pas une option, cela aurait tout simplement signifié d’accepter les pertes d’emplois sans broncher.

    L’enseignement est aussi un thème important pour les vétérans de guerre. Ces derniers sont sensés obtenir des bourses d’étude, mais il est en réalité très difficile de pouvoir en bénéficier. Il leur est également difficile de trouver un emploi : le taux de chômage parmi les anciens soldats a augmenté pour dépasser les 30%. Leur risque de devenir sans-abris est deux fois plus élevé. Cela permet de comprendre pourquoi les vétérans rejoignent le mouvement Occupy et pourquoi ils ont joué un rôle dans le mouvement de masse qui s’est développé au Wisconsin il y a quelques mois.

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    • Comment les 99% de la population peuvent-ils prendre le contrôle de la société ?
    • #Occupy Wall Street : quand l’Amérique s’indigne !
    • Etats-Unis : Quel avenir pour le mouvement ‘Occupy’ ?
    • USA : Non à la dictature de Wall Street !
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      La manifestation d’Occupy Oakland du 25 octobre a été très brutalement réprimée, afin de tenter de stopper les actions par l’intimidation et la violence, sous prétextes de faits isolés alimentés par la désinformation. Les 1% ont tout intérêt à stopper le mouvement. En s’opposant au pouvoir de ces 1%, le mouvement s’oppose à leur soif de profit, cette avidité étant le socle sur lequel ce système est construit.

      L’assemblée générale qui a suivi ces faits a riposté en votant massivement pour un appel lancé aux syndicats pour une grève générale à Oakland, la première aux Etats-Unis depuis 1946, grève générale qui s’était d’ailleurs tenue… à Oakland. Avec le soutien de différents syndicats, plus de 20.000 manifestants se sont rassemblés à l’endroit où la manifestation de 1946 avait commencé. Le cinquième port des Etats-Unis a ensuite été bloqué par les milliers de personnes qui occupaient les rues.

      Conséquence du résultat enthousiasmant de cette action de masse : de nombreux participants sont désormais convaincus de la nécessité de développer consciemment la lutte comme une véritable lutte de classe contre le capitalisme, basée sur la force de la classe des travailleurs. Il est crucial de suivre partout l’exemple d’Oakland et de s’orienter vers la base du mouvement organisé des travailleurs. Il est alors possible de lutter pour une alternative au capitalisme, le socialisme démocratique.

      Personne ne peut rester à l’écart de cette lutte. Comme le disait en son temps la révolutionnaire allemande Rosa Luxemburg, le choix face à nous est limité à ‘‘socialisme ou barbarie’’.

  • Les soins de santé doivent-ils saigner pour leur crise ?

    Tract de Hypertension || PDF

    Austérité dans les soins de santé

    Après chaque round de négociations pour un nouveau gouvernement, les assainissements prévus dans les soins de santé augmentent. Le 20 novembre dernier, le montant de 1,2 milliard d’euros dans la note Di Rupo a presque doublé vers 2,3 milliard d’euros. Pour les libéraux, cette casse sociale n’est pas suffisante. La prochaine fois qu’Alexander De Croo de l’Open VLD tombe de son cheval, il pourra se soigner lui-même à l’hôpital. La norme de croissance du budget des soins de santé de 4,5% est diminuée et sera de 2% maximum. Cette norme de croissance du budget a pour but de payer le vieillissement (tant des patients que du personnel) et de payer les augmentations des frais liés aux progrès technologiques.

    Des milliards pour les banques, des cacahuètes pour nous ?

    Le budget pour l’accord social pluriannuel des services de santé fédéraux est 300 millions d’euros. Difficile à dire si c’est une blague ou pas. Pour les 150.000 travailleurs des secteurs flamands du non-marchand, un accord social a récemment été conclu, avec un coût de 210 millions d’euros. L’introduction d’un presque 13ème mois (94 à 95%) est un pas important. Quand on compare le budget pour les 300.000 travailleurs des secteurs fédéraux avec le budget flamand, il est clair que le budget fédéral est très limité…

    IF-IC

    La mise en oeuvre de la nouvelle classification des fonctions (IF-IC) avec des échelles de salaires correspondantes, coûtera déjà 910 millions d’euros. Bien que l’idée soit d’étaler les effets de cette classification sur deux accords sociaux successifs, il ne faut pas être physicien nucléaire pour savoir que les 300 millions d’euros sont largement insuffisants.

    Lorsque les banques étaient en difficulté, le gouvernement n’a eu besoin que d’un week-end pour mettre les milliards d’euros sur table. Notre secteur continue à « attendre Godot » depuis le dépôt de nos revendications le 2 février 2010. Ah oui, nous avions presque oublié le mini-accord de 2011. Le nom de cet accord vite fait dit tout ; avec seulement 50 millions d’euros en plus, c’est un vrai mini-accord. La priorité de ce gouvernement en affaires courantes est claire : sauver les banques pendant que les travailleurs sont en difficulté. Il semble qu’en plus ils veulent nous faire payer la crise.

    L’institut Itinera

    Dans le cercle antisocial autour d’Alexander De Croo, il y a aussi l’institut Itinera avec des experts qui ont un énorme accès aux médias pour défendre leurs positions néolibérales. Les prophètes de la commercialisation et des privatisations n’ont aucun scrupule pour mettre en avant leurs déclarations audacieuses.

    Dans le magazine Jobat du 14 novembre (consacré au secteur des soins de santé), Brieuc Van Damme suggérait : « La norme de croissance dans le secteur des soins de santé est encore de 4,5% en dessus de l’inflation. C’est beaucoup plus que la croissance de l’économie. Cela signifie que les soins de santé cannibalisent la richesse produite en Belgique. » Nous, le personnel naïf, pensions cependant que c’étaient les banquiers, spéculateurs et grand managers qui poussent l’économie dans les problèmes et qui sont responsables pour la crise la plus profonde depuis la Deuxième Guerre Mondiale. Heureusement que les prophètes de l’institut Itinera nous montrent la voie…

    En plus, l’article met en avant que la seule solution est une commercialisation profonde parce que nous évoluons vers une économie dans laquelle la responsabilité est mise chez les individus. Nous savons ce que cela veut dire aux Etats-Unis. Des millions d’Américains n’ont pas accès aux soins de santé pendant que les managers de grandes entreprises d’assurances sont parmi ceux qui ont les salaires les plus élevés. L’utilisation de nouveaux médicaments ou technologies devient dépendante d’une analyse coûts-bénéfices.

    Pas d’alternatives ?

    Le journal d’action Hypertension plaide pour une réorganisation fondamentale du système des soins de santé pour aller à l’encontre de la menace libérale de chaos. Notre réponse à la soif de profit de l’industrie pharma, à la commercialisation rampante et au cancer de la médecine de performance est la création d’un service de santé publique et national qui défende les intérêts de la population au lieu des intérêts du profit ou du prestige de différentes personnes et institutions.

    À notre avis, cela n’est pas possible dans le système capitaliste, qui est aujourd’hui dans une crise. La lutte pour un système de santé différent est une partie intégrante de la lutte pour une autre société. Il est donc grand temps que le mouvement syndical se rapproche de la nouvelle génération de jeunes qui, tant au Moyen-Orient et en Afrique du Nord qu’en Europe et aux Etats-Unis, se met en avant dans la lutte. Le socialisme démocratique est, à notre avis, la seule alternative.

    Notre réponse à TINA (There Is No Alternative) est la prononciation de ROSA* : "Socialisme ou barbarie !"

    (*Rosa Luxemburg : socialiste allemand)

  • Lier la lutte pour des réformes positives à la lutte pour le socialisme

    Le terme de ‘‘réforme’’ est maintenant utilisé de façon différente. Partout dans le monde, des gouvernements annoncent des ‘‘réformes’’. L’enseignement est réformé, les pensions doivent être réformées, l’Etat, le système fiscal, les allocations de chômage, la protection sociale,…

    Des réformes aux contre-réformes

    Dans le contexte de ces dernières années ‘‘réformes’’ signifie détérioration et assainissement pour les travailleurs, les jeunes et les pensionnées. Le terme ‘‘réforme’’ a été volé dans son sens originel. Dans les années 1970, les ‘‘réformes’’ en matière d’éducation voudrait dire un meilleur accès pour les jeunes issus de familles ouvrières, voire même un enseignement gratuit. Aujourd’hui, les ‘‘réformes’’, cela veut par exemple dire d’augmenter les frais d’inscription. Les réformes concernant le travail avaient comme but de réduire le temps de travail de 6 à 5 jours, de 48 à 40 heures, de 40 à 38 heures,… Aujourd’hui, les ‘‘réformes’’ impliquent de travailler plus long et d’augmenter l’âge de la pension.

    Au lieu de réforme, nous avons des contre-réformes. Cela explique pourquoi beaucoup de mouvements de lutte prennent un caractère défensif, pour préserver ce nous avons obtenu dans le passé. Des améliorations positives ne semblent plus réalisables, il s’agit surtout d’éviter le pire.

    Les temps ont changé

    Congés payés, sécurité sociale, primes de fin d’année, semaine des 40 heures, enseignement démocratique, congé parental,… sont autant de réformes qui affectent et améliorent la vie de la majorité de la population. Depuis la fin du 19e siècle, des centaines de milliers de travailleurs se sont organisés en partis qui ont défendu l’idée que, grâce à une série de réformes, il serait possible de créer une société juste.

    Ce discours était encore possible dans un contexte de croissance économique (dans la période directement après les deux guerres mondiales) et de développement (dans les pays capitalistes développés). La classe capitaliste a facilement pu faire des concessions, comme l’augmentation de l’exploitation dans le monde colonial impliquait que les réformes ne minaient souvent pas fondamentalement les profits des capitalistes. D’autre part, les protestations des masses, les grèves et l’existence d’un modèle de société différent en Europe de l’Est ont souvent instauré une pression suffisante sur les patrons pour qu’ils acceptent de faire des concessions, même s’ils n’étaient pas très chauds pour cela.

    Les partis sociaux-démocrates défendaient que, par une succession de réformes, le capitalisme pouvait être dépassé pour parvenir à une société socialiste. Pour beaucoup, les preuves matérielles étaient sur la table, avec l’argument ultime que chaque génération connaissait une avancée majeure en termes de conditions de vie et se retrouvait en meilleure position par rapport à la précédente.

    Il est clair aujourd’hui que ces réformes positives n’étaient que temporaire, liées à un contexte particulier. Le capitalisme n’a pas connu de croissance illimitée. Les contradictions du capitalisme, la concurrence, la poursuite de la maximisation du profit et la crise ont remplacé la croissance. Les périodes de crise s’enchaînent toujours plus vite. Les périodes de croissance sont toujours plus courtes et plus faibles. Cela limite les possibilités de réforme. La révolutionnaire allemande Rosa Luxembourg affirmait déjà, au début du XXe siècle déjà, que l’idée selon laquelle, dans le contexte des contradictions capitalistes, il est possible de créer une société socialiste sans que les caractéristiques fondamentales de l’économie ne soient changées de façon radicale est une illusion.

    En 1900, Rosa Luxemburg a écrit le texte ‘Réforme sociale et Révolution’, où elle s’oppose aux réformistes et plaide en faveur d’une social-démocratie ayant une approche révolutionnaire. ‘‘La social-démocratie veut établir un mode de répartition socialiste en supprimant le mode de production capitaliste, tandis que la méthode bernsteinienne consiste à l’inverse à combattre le mode de répartition capitaliste dans l’espoir d’arriver à établir progressivement par ce moyen même, un mode de production socialiste.’’

    Nous connaissons une des plus graves crises du capitalisme. Des réformes positives et l’idée d’une voie progressive vers une société socialiste sont hors de question. Au niveau européen, nous connaissons un tsunami d’attaques contre le niveau de vie de la population. Le chômage des jeunes dans l’Union européenne est déjà de 20,9%, avec l’Espagne en première ligne à 46,2%.

    Est-ce que des réformes sont encore possibles ?

    Le magazine britannique The Economist a écrit le 22 octobre sous le titre “Rage against the machine” que la social-démocratie européenne a promis des avantages impossibles aux électeurs, des promesses que la société d’aujourd’hui ne peut plus offrir. Cela soulève la question de savoir s’il y a encore la possibilité de réformes positives et comment nous pouvons les obtenir.

    Selon The Economist la social-démocratie a fait des promesses que la société ne saurait pas payer et, de fait, nous constatons qu’elle est à l’avant-garde de l’austérité et des attaques contre l’avenir des générations futures. En Grèce, ce sont les sociaux-démocrates qui s’attaquent aux travailleurs, malgré 12 grèves générales et des manifestations de masse.

    Dans des pays comme la Grèce, il semble aujourd’hui impossible d’obtenir des réformes positives sans qu’il n’y ait de changement révolutionnaire. La social-démocratie, le PASOK en Grèce, le PSOE de Zapatero en Espagne et Socrates au Portugal, suivent tous les diktats du FMI, de l’Union Européenne, de la Banque Centrale Européenne et des capitalistes privés. Par conséquent, il est désormais important de mener la lutte sur deux fronts. D’une part, avec des mobilisations concrètes dans les rues et, de l’autre, en soutenant la reprise du débat idéologique concernant les alternatives à ce système destructeur. Les deux vont de paire.

    ‘‘Cher 1%, nous nous sommes endormis un certain temps, mais nous venons de nous réveiller. Sincèrement, les 99’’ Le mouvement #Occupy Wall Street’, après les Indignad@s d’Europe du Sud et les révolutionnaires de Tunisie et d’Egypte, a réveillé quelque chose dans la société. Depuis la chute du Mur de Berlin, nous avons été bombardés de propagande avec l’idée que l’antagonisme entre Travail et Capital avait disparu. On a parlé d’une politique gagnant-gagnant, de partenaires sociaux et de démocratie populaire. Cela se traduit politiquement par l’argument selon lequel donner aux riches peut bénéficier à l’ensemble de la société, en ruisselant de bas en haut. Ils ont essayé de dissimuler l’impact de cette politique par la dette. Mais échapper à la réalité n’est aujourd’hui plus possible. Les 99% réalisent que leurs intérêts sont fondamentalement opposés à ceux du 1%.

    Quel programme pour le changement ?

    En Afrique du Nord et au Moyen-Orient, différents régimes ont dû faire concession de réformes face aux exigences des manifestants, afin de sauver leur peau. Dans le monde occidental, des capitalistes plaident pour un impôt temporaire sur les fortunes. Il ne faut pas y voir de volonté pour régler les problèmes budgétaires, ce ne sont que des tentatives visant à maintenir la légitimité de leur système. Ces exemples illustrent que les réformes positives, en général, ne sont que le produit d’un processus révolutionnaire ou d’une menace révolutionnaire.

    Il est grand temps de défier le capitalisme, d’armer les 99% d’un programme qui promeut des réformes positives et qui met cette lutte dans le contexte d’une lutte pour le socialisme. La politique du moindre mal a atteint ses limites et nous a conduits à cette crise. Le moindre mal signifie aussi une attaque frontale contre les 99% pour maintenir la position du 1%.

    Les marxistes ne se mettent pas de côté en disant que seule une société socialiste peut nous sauver et c’est tout. Nous soutenons les revendications des syndicats pour ne pas toucher à la sécurité sociale, à nos pensions ou à l’index. Nous demandons que les secteurs énergétique et bancaire soient placés dans les mains du public. Nous luttons pour société au service des 99%.

    Parallèlement, nous défendons la nécessité de renforcer ces revendications à l’aide d’actions de rue et en faisant grève, pour obtenir leur réalisation. Si les capitalistes ne sont pas disposés à céder leurs privilèges, c’est à la classe ouvrière de reprendre les usines et les machines afin de les relancer, sous la gestion et le contrôle des travailleurs.

  • SP.a et PS : la faillite du réformisme

    Avec un recul global de 700.000 voix, la coalition violette sort grande perdante des élections du 10 juin. C’est surtout la social-démocratie qui a perdu près d’un tiers de ses électeurs (quelque 500.000 voix). Sanctionnée à cause du Pacte des Générations? De la droitisation de la société ? De l’augmentation du nombre des pauvres ? Des scandales à répétition à Charleroi ? On peut songer à 1001 raisons, bonnes ou moins bonnes. Nous ne les écartons pas mais nous pensons qu’il y a une cause plus profonde à cette sanction.

    Eric Byl

    Des réformes de l’Etat-Providence…

    Le mouvement ouvrier a jadis pu faire reculer l’inégalité dans la société. Rappelons-nous la semaine des 8 heures, les cotisations patronales obligatoires aux pensions des ouvriers en 1924 et des employés en 1925. Les congés payés annuels en 1936.

    Après la Deuxième Guerre mondiale, l’affaiblissement de la bourgeoisie et la radicalisation du mouvement ouvrier ont mené à une nouvelle vague de réformes en échange de la paix sociale. De 1944 à 1949, il y a eu pas moins de 7 gouvernements, dont 5 avec les communistes, et tous avec les socialistes. Leur but ? Empêcher la révolution en associant les dirigeants ouvriers à la gestion de la société capitaliste et en faisant une série de concessions. Et non des moindres. L’Arrêté-Loi de 1944 oblige les patrons et les salariés à verser une partie du salaire à l’Office national de Sécurité sociale. En 1945 sont établis un impôt de 5% sur le capital, une augmentation salariale généralisée de 20%, l’indexation des salaires, les négociations paritaires obligatoires sur les salaires et les conditions de travail avec reconnaissance des syndicats dans les entreprises, les secteurs et au niveau national.

    C’étaient là les bases de l’Etat-Providence qui ont permis aux pouvoirs publics de stimuler le pouvoir d’achat pour relancer l’économie. De 1967 à 1977, le salaire horaire a crû en moyenne de 12,7% par an en Belgique! Il y avait un quasi-plein emploi et un haut taux de syndicalisation (90% en Belgique). D’où l’idée qu’on pouvait humaniser peu à peu le capitalisme pour en arriver à une société plus égalitaire sur le plan social. Cette illusion a été dissipée à partir de la fin des années ’70 : le marché ne parvenait plus absorber suffisamment vite de nouveaux produits, les entreprises voyaient s’éroder leurs profits et patronat et gouvernements ont mis en oeuvre des restructurations et des mesures d’économie pour sauvegarder le système. …aux contre-réformes qui le minent

    Depuis lors, les acquis sociaux ont été remis en cause, d’abord progressivement, ensuite à un rythme toujours plus soutenu. Les profits des entreprises ont ét rétablis, les managers ont reçu des salaires fabuleux pour réduire les coûts de production tandis que les pauvres et les exclus se multipliaient. Les partis sociaux-démocrates ont essayé de dorer la pilule : le PS en se servant des institutions publiques au service de son propre public, quitte à prendre quelques libertés avec la loi, le SP.a en essayant d’emballer la régression sociale d’une façon plus acceptable. Cela devait se payer. Le PS se traîne de scandale en scandale. Le SP.a n’est plus vu comme le parti qui applique la régression sociale avec un gant de velours, mais comme celui qui la conçoit. Cela illustre l’absence d’alternative de la social-démocratie qui se prosterne devant la logique du profit de la droite parce qu’elle ne croit plus elle-même dans la possibilité d’imposer des réformes.

    Résultat: toutes les réformes d’après-guerre sont menacées. L’index est vidé de son contenu par l’introduction de l’index-santé et la modification de la composition du panel des produits pris en compte au détriment des consommateurs. La loi sur la sauvegarde de la compétitivité jugule fortement les salaires. Les cadeaux fiscaux aux entreprises minent la sécurité sociale. Le droit de grève est remis en cause avec des requêtes unilatérales, des astreintes et bientôt l’introduction d’un service minimum. La progressivité de l’impôt qui veut que les plus hauts revenus soient proportionnellement les plus taxés est mise à mal par les hausses de TVA qui sont les mêmes pour tous. La concertation sociale est de plus en plus remise en cause.

    Quelle alternative?

    Sur base des premières expériences du mouvement ouvrier, Rosa Luxemburg écrivait déjà au début du 20e siècle que toute concession arrachée par le mouvement ouvrier sous le capitalisme serait inévitablement remise en cause dès que le rapport de force changerait.

    Aujourd’hui, la social-démocratie et les directions syndicales ne veulent pas organiser la lutte parce qu’elles réalisent très bien que la bourgeoisie est bien moins timorée aujourd’hui qu’il y a 30 ans. A l’époque, celle-ci acceptait encore de faire des concessions auxquelles elle n’est plus disposée aujourd’hui parce que le capitalisme a augmenté la concurrence à un point tel que toute concession sociale est sanctionnée sans pitié par la concurrence. La soif de profit des capitalistes mène aujourd’hui à de telles catastrophes sociales, économiques et écologiques qu’on ne peut plus en limiter l’ampleur par des réformes. C’est d’après nous la cause fondamentale de la sanction électorale subie par la social-démocratie, même si elle peut toujours se rétablir temporairement et partiellement dans les élections futures.

    Le problème est que la seule alternative possible, une transformation socialiste de la société, a été discréditée au plus haut point par les caricatures staliniennes de l’Est. Et que le moyen d’y arriver, la révolution, a été perverti par certains en soutien au terrorisme, à la guerilla urbaine et au pillage pur et simple.

    Face à la crise que connaît la social-démocratie, le MAS veut redonner vie à une véritable alternative au capitalisme. C’est-à-dire une société socialiste démocratique où la production est organisée en fonction des besoins de la population et non de la soif de profit d’une minorité de capitalistes. Et une révolution qui n’est pas une orgie de violence gratuite mais l’irruption consciente de la grande majorité de la population sur la scène politique et sociale pour prendre elle-même en main la gestion de la société.

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