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  • [DOSSIER] Protestations massives au Moyen-Orient et en Afrique du Nord: Quelles perspectives pour la révolution en Egypte?

    A la suite des évènements révolutionnaires de Tunisie, les masses égyptiennes ont occupé les rues 18 jours durant. Après le départ de Ben Ali et de Moubarak, les régimes autoritaires de la région craignent pour leur survie. Pourtant, en Egypte, il ne s’agit encore que du début de la révolution.

    Dossier par Peter Taaffe

    Soulèvement révolutionnaire

    En 1936, Léon Trotsky déclarait à propos de la France : ‘‘Jamais la radio n’a été aussi précieuse que ces derniers jours.’’ S’il y a plus de moyens de communication globaux aujourd’hui, le sentiment est identique. Des millions de personnes ont pu suivre le déroulement des évènements et tout a été mis de côté, comme les matchs de l’équipe nationale égyptienne.

    Même dans un mouvement révolutionnaire spontané, la garantie du renversement du vieux régime est souvent liée à l’élément de direction de l’insurrection, direction préparée par les forces révolutionnaires au cours de la période précédente. Cet élément était absent de la révolution égyptienne, que divers commentateurs ont qualifiée de ‘‘révolution sans dirigeant’’ Mais la foule était immense (jusqu’à 6 millions de personnes) et très déterminée.

    Certains facteurs sont responsables de la décision des généraux de finalement laisser tomber Moubarak. L’un d’entre eux est l’occupation de la place Tahrir, qui a constitué un élément de double pouvoir où la rue a contesté le pouvoir d’Etat. Mais les généraux ont pris peur de la foule croissante, certainement au vu du fait que certains commençaient à prendre la direction du Palais présidentiel et d’autres centres du régime, comme les locaux de télévision. Le ministre américain de la Défense, Robert Gates, a appelé les généraux pour pousser au départ de Moubarak. Mais un autre élément décisif est l’implication de la classe ouvrière, avec des grèves et des occupations d’entreprises.

    Un Elément de surprise Ce soulèvement révolutionnaire et insurrectionnel a constitué une surprise pour les commentateurs bourgeois. Dans les documents de notre Congrès Mondial de décembre dernier, on pouvait notamment lire : ‘‘Tous les régimes despotiques et autoritaires de la région craignent à juste titre les mouvements d’opposition de masse qui pourraient se développer en Iran, en Égypte et ailleurs, et qui constitueraient une source d’inspiration pour leurs populations opprimées. Toutefois, à moins que la classe ouvrière ne prenne la direction de tels mouvements, avec un programme de classe indépendant, l’opposition de masse peut emprunter des canaux différents.’’

    Tous les ingrédients de la révolution étaient présents, avec la division au sein de la classe dirigeante, l’entrée en résistance de la classe moyenne, et les travailleurs et les pauvres qui expriment leur mécontentement face à la détérioration de leurs conditions de vie, à l’augmentation des prix et au chômage de masse. Cela avait déjà été démontré par la vague de grève qui avait récemment déferlé sur le pays.

    Il y a aussi une tradition de lutte contre le régime. Le jour où les protestations de masse ont commencé, le 25 janvier, est aussi le jour où les forces britanniques ont perpétré un immonde massacre de manifestants égyptiens, dont des policiers ironiquement. En 1952, il y a eu une révolution contre le Roi et des émeutes de la faim ont eu lieu contre Moubarak mais aussi contre son prédécesseur, Anwar El Sadat. Aujourd’hui, les évènements de Tunis ont été l’étincelle qui a mis le feu à la révolution égyptienne.

    Un coup d’Etat en douceur

    La joie était énorme à l’annonce du départ de Moubarak, mais la révolution n’est pas encore achevée, ce qui est compris par de nombreux combattants égyptiens. Les droits démocratiques ne sont toujours pas d’actualité et la loi martiale (en application depuis 30 ans) n’a toujours pas été abrogée. Comme l’a dit un manifestant : ‘‘Nous n’allons pas nous contenter d’une demi-révolution.’’

    En fait, il y a eu une sorte de coup d’Etat en douceur destiné à garantir les éléments centraux du régime: le capitalisme et la grande propriété terrienne. L’armée reflète la composition sociale de l’Egypte elle-même. Les conscrits en composent environ 40%. Ces derniers ont été radicalisés par la révolution, tout comme une partie du corps des officiers. Les généraux auront des difficultés à faire respecter la stricte discipline militaire.

    Tant la direction de l’armée que l’élite dirigeante espèrent de tout coeur que le rôle des masses est terminé. C’est encore loin d’être le cas. Des illusions existent parmi les masses concernant le rôle de l’armée comme caution de la révolution, idée renforcée par des figures comme Mohamed El Baradei qui a déclaré que l’armée devrait prendre le pouvoir afin d’empêcher toute ‘‘explosion’’ dans le pays. Cela résume la crainte des capitalistes libéraux face aux menaces qui pèsent contre les bases économiques et sociales de l’Egypte capitaliste.

    La menace de la contre-révolution

    Si la classe dirigeante et l’armée ont à faire le choix entre un statu quo et une véritable révolution, certainement une révolution socialiste, ils feront tout pour favoriser la première option. Le révolutionnaire irlandais Henry Joy McCracken avait dit : ‘‘Les riches trahissent toujours les pauvres’’. Cela vaut tout particulièrement pour les propriétaires terriens et les capitalistes pourris qui prédominent dans les pays néocoloniaux. Les responsables de l’ancien régime sont dans un premier temps obligés de s’adapter au nouveau pouvoir, mais uniquement pour ensuite voir comment restaurer leur influence. C’est ce qui s’est produit après la révolution de février 1917 en Russie avec le général réactionnaire Kornilov ou au Chili avec le général Pinochet, qui avait utilisé sa position dans l’armée sous le gouvernement radical d’Allende pour faire un coup d’Etat et noyer la révolution dans le sang. La révolution, à moins de parvenir à sa conclusion socialiste, provoque inévitablement des tentatives contre-révolutionnaires de la part du vieux régime.

    L’armée manoeuvre

    Il ne suffit pas de déposer Moubarak et sa clique, il faut mettre un terme au pouvoir socio-économique sur lequel se base le régime. La direction de l’armée est pieds et poings liée au capitalisme et aux propriétaires terriens. Le chef du conseil suprême de l’armée égyptienne, le maréchal Tantawi, est également l’un des plus gros industriels du pays. L’armée égyptienne ressemble sur ce point à l’élite militaire pakistanaise : elle contrôle une grande part de l’industrie et fait partie de l’élite capitaliste. L’élite de l’armée égyptienne n’est pas seulement liée à la classe dirigeante, elle a intégralement soutenu la politique impérialiste américaine au Moyen Orient. Ces dernières années, le régime égyptien a reçu environ 1,5 milliards de dollars chaque année, dont une bonne part est revenue à la direction de l’armée.

    De ce côté-là, aucun soutien ne peut être attendu pour la révolution. Une fois que la classe ouvrière aura décidé de s’impliquer sur le plan politique avec des mouvements et des grèves de masse qui mettront en avant des revendications autres que seulement sur les salaires et les conditions de travail, l’armée aura vite fait de choisir son camp. Mais d’autre part, il y a un soutien à la révolution à différents niveaux de l’armée. Les soldats doivent aussi s’organiser, même si la radicalisation n’y atteint pas les proportions que l’on a pu connaître dans l’armée portugaise durant la révolution de 1974.

    Parmi les soldats, le rôle de la direction de l’armée va de plus en plus être questionné, ce qui conduira à des conflits. Les forces révolutionnaires doivent y jouer un rôle et poser la question des liens entre la base de l’armée et les protestations de la rue. Cela peut se faire avec des revendications portant sur la constitution de comités de soldats avec les droits démocratiques pour parvenir à un changement dans l’armée et dans la société.

    Un gigantesque gouffre entre les classes

    Il est maintenant d’une importance cruciale de construire sur base des récentes luttes de la classe ouvrière et d’instaurer des comités de travailleurs et des pauvres dans les usines et les quartiers ainsi que de les relier aux niveaux local, régional et national.

    A la base même de la société, parmi les travailleurs les plus exploités et les pauvres, une révolution suscite naturellement la sympathie et le soutien. Le journaliste britannique Robert Fisk a relaté la façon dont les enfants sans abris (au nombre de 50.000 dans la capitale) ont été impliqués dans les évènements révolutionnaires. Le régime a essayé de les récupérer, mais nombreux sont ceux qui ont choisi le camp de la révolution.

    La révolution offre à la classe ouvrière l’opportunité de mettre en avant ses propres revendications au niveau politique ou social. Nombre de facteurs économiques sont à la base des mouvements en Tunisie, en Egypte et ailleurs. Les salaires très bas combinés à la hausse astronomique des prix (certainement pour les produits de base comme la nourriture) ont été parmi les éléments déterminants du déclenchement de la révolution. Cela a conduit la classe moyenne mais aussi les travailleurs et les pauvres à protester. Les statistiques officielles disent que sur une population de 80 à 85 millions d’habitants, 40% vit sous le seuil de pauvreté, 44% sont quasi illettrés et 54% travaillent dans le secteur ‘‘informel’’.

    Le gouffre entre riches et pauvres est abyssal, un gouffre qui s’approfondit à travers le monde sous le coup de la crise économique. Pour tenter de rester au pouvoir, Moubarak avait promis une augmentation salariale de 15% aux six millions de travailleurs des services publics, ce qui n’a toutefois pas suffi à stopper les protestations. Des revendications portant sur les salaires, une semaine de travail plus courte et d’autres revendications du mouvement ouvrier (notamment au sujet des soins de santé et de la sécurité) devront faire partie du programme combatif dont ont besoin les travailleurs pour la période à venir. Pour cela, les travailleurs doivent construire leurs propres organisations et syndicats.

    L’auto-organisation des travailleurs

    Les syndicats indépendants qui se développent maintenant doivent tourner le dos aux dirigeants syndicaux occidentaux qui voudront les limiter à l’intérieur du cadre du capitalisme.

    La lutte ne concerne pas seulement les droits démocratiques comme le droit de grève et le droit de constituer des syndicats. La classe ouvrière a besoin de ses propres organisations de lutte, dans les entreprises mais aussi dans la société de façon plus générale. La classe dirigeante essayera de former un ‘‘Parlement’’ pour défendre ses intérêts. Les masses doivent y opposer leur propre ‘‘Parlement’’ : des conseils de travailleurs et des paysans pauvres qui lutteraient pour une Assemblée Constituante démocratique.

    La nécessité d’une véritable confédération syndicale des travailleurs égyptiens est criante. Cette question est liée à la création d’une expression politique indépendante, flexible et démocratique de la classe ouvrière organisée, l’équivalent des comités de masse créés durant la révolution russe et que l’on a aussi pu voir durant des évènements similaires dans l’histoire. Quand, durant la première révolution russe de 1905, de tels comités ont été improvisés, c’était essentiellement des comités de grève. Aucun des représentants politiques des travailleurs n’imaginait que cela puisse être élargi jusqu’à devenir des organes de lutte de masse et, éventuellement, après la révolution d’Octobre 1917, des organes de pouvoir pour la classe ouvrière victorieuse. La revendication de construction de comités ouvriers de masse n’est pas applicable à toutes les situations, mais c’est tout à fait légitime dans une période révolutionnaire, comme c’est clairement le cas en Egypte.

    Une Assemblée Constituante Révolutionnaire

    Les grèves ne concernent déjà plus uniquement des caractéristiques économiques et industrielles mais aussi des aspects politiques.

    C’est assez symptomatique de la façon dont les travailleurs égyptiens voient la situation. Une révolution est un grand professeur pour les masses, qui apprennent plus et à plus grande vitesse qu’en temps normal. Les 18 jours de janvier et de février ont été une période d’éducation intense et ont forgé les travailleurs égyptiens dans un processus de révolution et de contre-révolution.

    Dans le but de soutenir cela, la classe ouvrière a besoin de tirer les conclusions nécessaire. Il est primordial d’entamer un processus de création de comités de masse. La classe ouvrière doit se battre pour exprimer de manière indépendante ses positions dans la société en gardant farouchement son indépendance de classe.

    La classe ouvrière doit se faire le meilleur avocat d’un programme et des droits démocratiques. C’est la seule façon pour elle de prendre la direction révolutionnaire des différentes sections de la société : les paysans, les pauvres des villes et des sections de la classe moyenne qui voient l’obtention de la démocratie comme la tâche la plus urgente dans la situation actuelle. Les slogans démocratiques comme de revendiquer une presse libre, avec la nationalisation des imprimeries pour faciliter l’expression de toutes les tendances de l’opinion, et le droit d’association libre sont cruciaux.

    Mais la revendication la plus importante d’une portée générale est celle d’un Parlement démocratique, d’une assemblée constituante. Il est clair que les classes possédantes, même si elles sont préparées à concéder certains droits démocratiques, ne sont pas en faveur d’une démocratie large, honnête et accessible à tous. On ne peut accorder aucune confiance aux généraux ou aux élites pour construire une véritable démocratie en Egypte.

    Face à cela, les travailleurs devraient appeler à la formation de conseils indépendants des travailleurs et des paysans pauvres. L’ensemble du programme démocratique devrait être appuyé par l’appel pour une assemblée constituante qui aurait un caractère révolutionnaire dans le contexte de la révolution actuelle. Des comités doivent assurer que les élections soient correctement organisées et que les votes ne soient pas achetés comme par le passé.

    Nous nous démarquons complètement des formations ‘pro-capitaliste’ qui ont aussi soulevé la question de l’assemblée constituante dans une forme abstraite. La classe ouvrière n’a aucun intérêt dans un régime où le président a le dernier mot. Ce régime était celui de Moubarak, celui de Sadate et celui de Gamal Abdel Nasser. Nous sommes contre une ‘chambre haute’ qui contrôle et repousse les demandes radicales de la classe ouvrière et des pauvres. Une élection démocratique pour une assemblée constituante révolutionnaire devrait être le mot d’ordre des masses égyptiennes.

    Une telle revendication agitée dans une campagne de masse par les forces révolutionnaires aurait un énorme effet dans la situation actuelle. Cela devrait aller de pair avec la création d’un parti de masse des travailleurs qui donnerait une voix aux sans-voix et aux oubliés.

    Répercussions internationales

    La révolution Egyptienne n’a pas été un évènement strictement intérieur, mais un phénomène étendu à tout le Moyen-Orient et à l’ensemble du monde. Les masses égyptiennes ont secoué les fondations du pouvoir impérialiste qui croyait qu’il pouvait tenir toutes les rênes dans ses mains. Une des affiches placardée après le départ de Moubarak disait : ‘‘2 partis, 20 à faire partir’’, premièrement la Tunisie et maintenant l’Egypte. Bien sûr, cela ne se reproduira pas à l’identique automatiquement pour chaque aspect et détail dans les pays de la région.

    Il n’y a aucun régime stable dans la région. Les régimes les plus réactionnaires du Golfe, les potentats semi-féodaux, tremblent actuellement devant le magnifique mouvement des travailleurs Egyptiens. Déjà en Jordanie, les échos de ces mouvements sont reflétés dans les manifestations de masses, tout comme en Lybie, en Algérie et au Maroc. Au Yémen, le président a promis de ne pas se représenter. Cependant, sa tentative de rester encore 2 ans est intenable. Il peut être déchu par un mouvement de masse dans la prochaine période.

    L’équilibre des forces a considérablement changé dans la région. Un des régimes le plus effrayé est sans doute celui qui apparait comme le plus fort, Israël. Jusqu’ici, la classe dirigeante israélienne était soutenue par le régime de Moubarak à travers son soutien honteux à l’embargo imposé aux masses pauvres palestiniennes à Gaza. Le canal de Suez est aussi un facteur stratégique vital.

    La classe ouvrière israélienne qui est récemment entrée en conflit avec son propre gouvernement sera aussi touchée par la révolution égyptienne. Une Egypte démocratique et socialiste lancerait une collaboration intime avec la classe ouvrière dans les deux pays conduisant à une réelle paix à travers une confédération socialiste des états du Moyen Orient. Des conséquences à moyen et long terme pourraient mettre en avant le scénario d’une autre guerre dans la région. Mais la plus importante guerre qui doit être diligemment menée est la guerre de classe. Nul doute qu’une nouvelle page de l’histoire est en train de s’écrire dans cette région du monde et particulièrement pour la classe ouvrière. Toutes les forces combattant pour un monde socialiste, le PSL et son internationale le Comité pour une Internationale Ouvrière saluent la classe ouvrière égyptienne et espèrent et attendent avec ferveur que ce nouveau chapitre soit favorable au mouvement de la classe ouvrière dans le monde.

  • Crise révolutionnaire en Iran: La classe ouvrière doit jouer un rôle central!

    L’Iran est confronté à une crise révolutionnaire depuis les dernières élections présidentielles. Des millions de personnes sont descendues dans les rues. La peur de protester contre le régime dictatorial est tombée, la rage et le mécontentement retenus pendant des années ont explosé dans un mouvement qui, en termes d’ampleur, ne connaît pas d’équivalent depuis la révolution iranienne de 1978-79.

    Par Geert Cool

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    Révolution détournée

    L’Iran a connu une histoire tumultueuse au cours de ces 40 dernières années. Dans les années ’70, les pays riches en pétrole, dont l’Iran, ont profité du quadruplement du prix du pétrole: entre 1972 et 1975, le PIB iranien a grimpé de 34% par an en moyenne. Le régime pro-occidental et dictatorial du Shah croulait sous les milliards, mais cela ne bénéficiait qu’à une petite élite : 45 familles possédaient 85% des grandes et moyennes entreprises! Les 10% les plus riches recevaient 40% des revenus du pays tandis que plus qu’un quart de la population vivait dans la pauvreté absolue.

    Solidarité internationale

    Le PSL a participé à plusieurs actions de solidarité en Belgique. Nous avons publié un message de solidarité diffusé en néerlandais, français, anglais et persan. Nous collaborons avec des militants iraniens de gauche qui résistent au régime réactionnaire d’Ahmadinejad sans aucune illusion envers Moussavi ou l’impérialisme occidental.

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    Le mécontentement croissant a entraîné une explosion de rage, un mouvement qui a renversé en février 1979 le régime du Shah, considéré pourtant comme un modèle de stabilité. Tout avait commencé un an auparavant lorsque l’armée avait ouvert le feu contre une des nombreuses manifestations illégales contre le régime. Cela a conduit à une escalade de manifestations de plus en plus imposantes, marquées chaque fois par des répressions brutales, une grève générale de plusieurs semaines et une ultime manifestation de deux millions de manifestants à Téhéran suivie par la fuite du Shah aux USA.

    Pendant la grève générale, la classe ouvrière a joué un rôle très actif dans la lutte contre le régime. Elle a pris conscience de sa force, mais pas de la manière de l’organiser. Il manquait aux travailleurs un programme et une alternative clairs. Le principal parti actif parmi les travailleurs, le puissant parti communiste (Toudeh), a continuellement cherché à se rapprocher d’autres forces extérieures au mouvement ouvrier et s’est mis à la remorque du clergé chiite opposé au Shah. Un large espace a ainsi été ouvert aux forces réactionnaires autour de l’Ayatollah Khomeiny.

    Les religieux réactionnaires ont institué un régime totalitaire qui a brutalement opprimé le mouvement ouvrier et a mis fin aux comités ouvriers armés qui avaient pris le contrôle de bon nombre d’usines. Khomeiny a toutefois dû avancer prudemment : la répression a progressé pas à pas mais était combinée à des concessions sociales (soins de santé et transport public gratuits, subventions de l’Etat pour l’énergie et les produits de base,…). Le régime religieux s’est construit au départ sur cette double base.

    Différents courants existaient cependant au sein même du régime. D’un côté, le groupe autour de Khomeyni voulait que la direction religieuse garde le pouvoir et cherchait à exporter le fondamentalisme islamique vers le reste du monde. De l’autre coté, une aile plus pragmatique plaidait pour un Etat capitaliste centralisé et moderne. Cette contradiction est toujours au cœur des confrontations entre l’Ayatollah Khamenei, héritier de Khomeiny, et le «réformateur» Rafsanjani.

    Depuis lors, le fossé entre riches et pauvres n’a pas disparu : la moitié de la richesse est dans les mains de moins de 20% de la population. L’immixtion de la religion et du clergé dans la vie des jeunes et des femmes se heurte à une résistance grandissante. Cela a conduit à plusieurs reprises à des mouvements de contestation. A la fin des années ’90, une série d’actions étudiantes ont éclaté, dissipant une partie des illusions dans le président «réformateur» Khatami, qui ne s’était pas opposé à la répression. Aujourd’hui, Khatami est une des figures centrales derrière Moussavi.

    Depuis 2004, les grèves et actions ouvrières ont pris de l’ampleur : dans les bus de Téhéran (où un syndicat indépendant a été mis sur pied sous la direction de Mansour Osanloo, aujourd’hui en prison), les usines de sucre de Haf Tapeh, l’enseignement, le textile et le secteur automobile. En 2005, une journée nationale de grève et d’action a même eu lieu. Le 1er mai de cette année a aussi été marqué par des manifestations et des actions auxquelles le régime a répondu par l’arrestation de plus de 80 militants. Ces actions ont constitué un prélude du mouvement qui a explosé en juin. révolte

    475 candidats se sont présentés pour participer aux élections présidentielles, mais quatre seulement ont effectivement pu participer, tous membres de l’establishment. Le challenger le plus important du président Ahmadinejad était Moussavi, partisan d’une approche plus modérée face à l’Occident mais qui avait été premier ministre au cours de la guerre avec l’Irak (1980-88) et qui avait alors mené une politique très répressive.

    En 2005, Ahmadinejad avait vaincu Rafsanjani sur base de promesses d’une répartition plus juste des revenus pétroliers et d’une amélioration du niveau de vie des pauvres. Il parlait même d’une « république des pauvres ». Ahmadinejad n’a pas réalisé ses promesses, mais il a continué à se présenter en ennemi des capitalistes corrompus.

    Il n’a fallu que deux heures après la fermeture des bureaux de vote pour annoncer le résultat des élections. Il a été très vite clair qu’il y avait fraude. Ahamdinejad prétendait avoir obtenu 64% des votes. L’annonce de ce «résultat» a tout de suite provoqué des rassemblements et des manifestations massives, surtout de jeunes et de femmes (60 à 70% de la population iranienne n’a pas encore trente ans). Très vite, les protestations n’ont plus seulement porté uniquement sur les résultats électoraux, mais également sur le manque de droits démocratiques, sur le chômage, les problèmes de logement,…

    Le thème central est devenu la répulsion ressentie face au régime, par ailleurs incapable de stopper le mouvement. Moussavi a dans un premier temps lancé un appel à arrêter les actions, mais il a de nouveau du y prendre part Une fois la résistance active enclenchée contre le régime, le mouvement semblait ne plus pouvoir être arrêté.

    Le régime même était divisé sur la manière de réagir face au mouvement. Selon le journaliste britannique Robert Fisk, les milieux conservateurs du régime ont eu des discussions si tendues qu’ils en sont venus aux coups de poing. Après une semaine de manifestations, le régime semble avoir choisi la voie de la répression brutale. Au moment d’écrire cet article (fin juin), le développement à venir du mouvement est encore incertain, mais c’est un véritable processus révolutionnaire qui s’est ouvert. Pour des rapports détaillés et des analyses actualisées, nous vous invitons à consulter notre site www.socialisme.be. N néanmoins quelques leçons générales peuvent déjà être tirées.

    Comment obtenir une victoire?

    Une nouvelle époque a commencé en Iran : le mouvement de révolte va se développer sur une plus longue période à travers diverses crises et en connaissant de nouveaux moments-clés. La question centrale est la suivante : comment la classe ouvrière peut-elle jouer un rôle central dans la lutte pour faire progresser ce processus révolutionnaire ?

    Lénine parlait de quatre conditions essentielles pour le développement d’une révolution socialiste. Premièrement, des fractures et des divisions doivent s’ouvrir au sein de la classe dirigeante et de ses représentants politiques. Deuxièmement, la classe moyenne doit se trouver dans un état d’hésitation, avec une couche importante en son sein qui soutienne la révolution. Troisièmement, la classe des travailleurs doit être organisée et afficher une évidente volonté de lutte, en se plaçant à la tête du processus révolutionnaire. Quatrièmement, il faut un parti socialiste révolutionnaire de masse, avec une direction décidée, et bénéficiant d’un large soutien pour ses idées parmi d’importantes couches de la population – et en particulier, le soutien des couches actives des salariés.

    Les deux premières conditions sont présentes en Iran. Mais il serait prématuré et irresponsable d’argumenter de façon simpliste que ces conditions sont à ce moment assez développées. La troisième condition – que la classe ouvrière soit préparée à mener la lutte – n’est pas totalement claire à ce moment. La classe ouvrière n’a pas encore pu mettre sa marque sur le mouvement, en tout cas pas en tant que force indépendante. La quatrième condition dont Lénine parle, la nécessité d’un parti et une direction socialiste et révolutionnaire, doit encore être réalisée. La volonté de lutte des travailleurs doit être testée dans des comités de lutte élus et par des syndicats indépendants qui doivent être construits.

    L’absence d’une conscience fortement répandue parmi la classe ouvrière de son rôle indépendant et l’absence de direction révolutionnaire sont des obstacles objectifs à la révolution. D’autre part, le mouvement en Iran n’est encore qu’un prélude à des mouvements plus importants. Même si le régime peut encore se maintenir pendant une période, la crise sociale et les contradictions vont continuer à se développer et conduire à de nouvelles montées révolutionnaires.

  • Crise révolutionnaire en Iran : Les divisions au sein de la classe dirigeante s’approfondissent

    Les élections présidentielles du 12 juin en Iran ont déclenché une crise révolutionnaire. La classe capitaliste islamiste est profondément divisée sur la question de savoir comment arrêter le mouvement historique de masse qui a émergé: répression brutale ou concessions? Les dirigeants et, de plus en plus, leur système ont perdu leur légitimité. La propagande nationaliste et religieuse n’a eu que peu d’effet. Les fusillades, les bastonnades et les arrestations sont le dernier recours dont dispose l’appareil de Khamenei et d’Ahmadinejad. Toutefois, l’absence d’organisations ouvrières de masse et d’un parti révolutionnaire de masse sont également un facteur majeur au cours de ces événements.

    Per-Ake Westerlund, Rättvisepartiet Socialisterna (Parti de la Résistance Socialiste – CIO Suède), article publié le 22 juin

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    • Révolution iranienne: vers où aller?
    • Appel à la solidarité du PSL/LSP en français et néerlandais (PDF)
    • Appel à la solidarité du PSL/LSP en anglais (PDF)
    • Appel à la solidarité du PSL/LSP en persan (PDF)
    • Protestations de masse en Iran
    • Iran 1978-79: Une révolution volée à la classe ouvrière
    • Rubrique "Asie" de socialisme.be
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      Les mobilisations qui ont rassemblé plus d’un million de personnes dans les rues de Téhéran à partir du 16 juin, à côté des divisions ouvertes au sein de la classe dirigeante capitaliste islamiste, marquent une crise révolutionnaire en Iran. Les gens ont perdu leur crainte. L’immense haine contre le système politique actuel et la colère face aux difficultés économiques qui touchent la population ont explosé.

      Le Guide Suprême, l’Ayatollah Ali Khamenei, a dans son discours du vendredi 19 juin, ouvertement menacé de répression et de violence, de «faire couler le sang». Il a ouvert la porte à ses rivaux au sein du régime – l’ancien Président l’Ayatollah Akbar Rafsanjani, qui est aussi l’homme le plus riche d’Iran, accompagné de son protégé, le candidat présidentiel Mir Hossein Moussavi – qui ont appelé à annuler les manifestations à cause du risque de massacre. Les politiciens occidentaux ont eux aussi «exprimé leur crainte» et leur «inquiétude» face à la violence, se proclamant en faveur d’un compromis au sommet.

      Cette semaine, les manifestations ont été attaquées sur leurs lieux de rassemblement pour le départ, limitant la possibilité d’organiser des manifestations de masse. Des miliciens Basiji à moto ont attaqué les manifestants à coups de feu et de matraques. La police et l’armée utilisent des gaz lacrymogènes et tirent à balles réelles. Les rapports estiment le nombre de morts à entre 50 et 184 personnes. L’Etat a officiellement affirmé avoir arrêté 475 personnes, mais ce nombre s’élèverait à entre 800 et 1.000 personnes selon les observateurs. Selon Reporters Sans Frontières, 26 journalistes sont détenus, tandis que d’autres agences d’information parlent de l’arrestation de 100 dirigeants étudiants. Un tribunal spécial a été mis en place afin d’interroger et de condamner les détenus.

      La division au sommet du régime s’approfondit de plus en plus. Le candidat présidentiel Mir Hossein Moussavi – qui se tient à l’épicentre de la fracture au sein du régime, ayant défié Khamenei et Ahmadinejad – a été placé sous arrêt à domicile, et son propre journal a été saccagé, avec 25 personnes arrêtées. Son « parrain », L’Ayatollah Akbar Hashemi Rafsanjani, qui est aussi l’ancien Président et l’homme le plus riche d’Iran, a été mis sous pression par l’arrestation de sa famille, y compris sa fille, Faezeh Hashemi. Rafsanajani s’est apparemment rendu dans la ville sainte de Qom afin d’y rassembler ses partisans.

      Khamenei a été forcé de descendre de son piédéstal qu’il occupait en tant qu’arbitre religieux et, dans une certaine mesure, de mettre Ahmadinejad de côté afin de pouvoir proférer ses menaces, apparemment inquiet à l’idée que toute concession aux manifestants ne ferait qu’accroître l’appétit des masses. Le Conseil des Gardiens a admis le fait que certaines failles existent dans le système électoral, mais nient toute possibilité d’un recomptage complet, sans même parler de nouvelles élections. C’est pourquoi la réponse de Khamenei consiste en une répression de masse. Jusqu’ici, toutefois, Musavi n’a pas riposté, préférant appeler à l’annulation des manifestations, mentionnant le risque d’un bain de sang. Les politiciens occidentaux expriment leur «crainte» et leur «inquiétude» au sujet de la violence, espérant un compromis au sommet.

      L’humeur des masses, toutefois, n’est pas facilement contrôlée. Les manifestations de masse de mardi – deux millions selon certains observateurs – se sont déroulées malgré à la fois le mot d’ordre d’ouvrir le feu donné aux forces étatiques et l’appel à rester chez soi lancé par Moussavi. A ce stade, l’Etat et les dirigeants ont à nouveau été pris par surprise. On a même vu la police protéger les manifestants des attaques des milices basiji honnies. Cette semaine, les manifestations des toits – des jeunes sur les toits, criant des slogans toute la nuit – se sont renforcées chaque jour.

      Avec son discours de vendredi, Khamenei a tenté de renforcer le moral des forces de l’Etat, de la même manière qu’il l’a fait contre le mouvement étudiant il y a dix ans. Il y a de nombreux moments décisifs au cours de mouvements de masse et de révolutions. La répression de samedi contre la plus petite des manifestations en route vers la Place de la Révolution n’a pas mis un terme au mouvement de protestation – les manifestations ne vont très certainement pas se terminer maintenant, même si personne n’est sûr de savoir jusqu’où le nouveau mouvement et les forces contre-révolutionnaires sont prêts à aller. Samedi 20 juin, Mir Hossein Moussavi a même appelé à une grève générale au cas où il serait arrêté, ce qu’il a prédit. Certains des syndicats clandestins ont eux aussi appelé à la grève générale.

      Une accumulation de colère

      Cette explosion n’est pas surgie de nulle part. L’authentique révolution ouvrière de 1979, soutenue par les pauvres urbains et ruraux, a été plongée dans le sang par la réaction islamiste. Une contre-révolution brutale, se poursuivant sur de nombreuses années, a annihilé toutes les organisations démocratiques et ouvrières. Ceci a été rendu possible par le rôle joué par le parti communiste pro-Moscou, le Toudeh, qui a soutenu le dirigeant islamiste Khomeyni, considéré comme «anti-impérialiste», poussant la logique jusqu’à ce que le Toudeh lui-même soit écrasé.

      Le mouvement étudiant de 1999 était le premier à réellement secouer le régime et à susciter l’espoir des masses. Mais il a aussi exposé les illusions vis-à-vis de Khatami, le Président «réformateur» d’alors, qui n’a même pas levé le petit doigt pour défendre les étudiants contre la répression. Khatami représentait une aile du régime qui visait à améliorer les relations – à la fois sur le plan national et international – afin de pouvoir éviter tout changement réel. Cette année, Khatami fait partie de l’équipe qui soutient Moussavi. Au cours des dernières années, les étudiants ont organisé toute une série de manifestations sur leurs universités. Les dirigeants étudiants et les éditeurs des magazines étudiants ont été emprisonnés.

      Depuis 2004, il y a eu une importante reprise des grèves et des luttes des travailleurs. Les chauffeurs de bus de Téhéran, les ouvriers de la sucrerie de Haf Tapeh, les enseignants, les ouvriers du textile et les ouvriers de l’usine automobile d’Iran Khodro ont organisé des grèves et des luttes pour les emplois et les salaires – et pour le droit à former des syndicats indépendants. Ils ont aussi formé leurs propres organisations et élu leurs représentants. En juillet 2005, une journée de grèves et de manifestations nationale a vu des grèves se produire même dans la ville sainte de Qom. Cette année, plus de 80 militants ont été arrêtés à la manifestation du Premier Mai dans le parc de Laleh à Téhéran. La détermination des masses, et de la classe ouvrière en particulier, a été démontrée encore et encore. La répression contre le syndicat des chauffeurs de bus et l’emprisonnement de leur dirigeant, Mansur Osanloo, n’a pas pu venir à bout de leur organisation. Après les arrestations du Premier Mai, les travailleurs et leurs familles ont organisé des manifestations quotidiennes pour réclamer la libération de tous les militants.

      Point de focalisation de tous les espoirs

      Les élections présidentielles de cette année sont devenues le point de focalisation pour les espoirs des masses, malgré les pseudo-analyses des «experts» occidentaux qui affiramaient que les conservateurs avaient renforcé leur emprise et que les «réformateurs» avaient été mis de côté. Certains avaient prédit que le Président sortant, Mahmoud Ahmadinejad, pourrait être mis à l’épreuve par un conservateur un plus modéré. En 2005, Ahmadinejad était parvenu, de manière inattendue, à vaincre Rafsanjani grâce à ses promesses de répartition équitable des revenus du pétrole et d’amélioration du niveau de vie pour les pauvres. Malgré la rupture de ces promesses, Ahmadinejad s’est habilement promu lui-même, et est parvenu à échapper au contrôle des mollahs capitalistes. A la place, Ahmadinejad a soutenu les capitalistes parmi le Basij et les Gardiens de la Révolution Islamaique, surtout dans l’industrie pétrolière et le secteur de la construction.

      Malgré le style non-orthodoxe d’Ahmadinejad, l’Ayatollah Kamenei a décidé qu’il était tout de même la meilleure carte à jouer pour les élections présidentielles. Les trois autres candidats approuvés par le Conseil des Gardiens, composé de douze chefs religieux, parmi les 475 personnes ayant demandé à participer à la campagne présidentielle, étaient plus proches du clergé et plus académiques. Ahmadinejad avait aussi montré qu’il n’hésitait pas un instant à recourir à la répression et à se confronter aux Etats-Unis sur la question nucléaire.

      Rafsanjani, qui est lui-même un grand capitaliste et le chef de l’Assemblée des Experts (composée de 86 membres) qui choisit le Guide Suprême, a adopté une position différente. Il considère Ahmadinejad comme un handicap, qui provoque à la fois l’opposition interne et les puissances mondiales. A la place, il voulait élire Mir Hossein Moussavi. Cependant, personne ne s’attendait à ce que l’ancien Premier Ministre, au pouvoir durant une période notoirement répressive (celle de la Guerre contre l’Irak de 1980-88), reçoive un soutien de masse.

      «C’est le duel télévisé entre Moussavi et Ahmadinejad – suivi par 40 millions de téléspectateurs – qui a tout déclenché, et qui a créé des réactions populaires que très probablement ni Moussavi, ni personne au sein de l’appareil du pouvoir iranien n’avait prévues», selon l’analyste suédois Bitte Hammargren. Bien que de nombreux électeurs ne se sentaient pas réellement attirés par Moussavi, il a été perçu par les masses comme étant le candidat qui pourrait vaincre Ahmadinejad.

      Des milliers de jeunes gens et en particulier de femmes sont devenus militants pour Moussavi. L’oppression des femmes est une des clés de voute de la dictature iranienne. Aux côtés des étudiants et des syndicats indépendants, les femmes se sont organisées pour se battre pour leurs droits, et de nombreuses militantes ont été emprisonnées ou tuées. Lorsque la femme de Moussavi, la célèbre artiste Zahra Rahnavard, a participé et a pris la parole aux meetings électoraux de son mari, cela a donné un énorme élan à sa campagne. Au cours de la dernière semaine avant les élections, les étudiants pouvaient plus ou moins librement distribuer des tracts et organiser de smeetings dans les parcs et à l’université. A Téhéran, Moussavi a organisé des meetings de masse, tandis qu’Ahmadinejad, qui dominait totalement et contrôlait les médias étatiques, rassemblait moins de gens.

      L’humeur des masses était au plus haut et, avec un taux de participation de 75%, la jeunesse s’attendait à ce que Moussavi l’emporte. Mais moins de deux heures après la fermeture des bureaux de vote, Ahmadinejad a été déclaré gagnant. Et le lendemain, Khamenei le félicitait, disant que sa victoire était un «événement lumineux». Les politiciens et analystes occidentaux ont semblaient accepter le résultat, le justifiant par le soutien rural pour Ahmadinejad. Toutefois, Moussavi n’était pas d’accord de se laisser mettre de côté, et encore moins ses partisans – ou plutôt, encore moins quiconque qui se déclare contre Ahmadinejad et est mécontent du système. Des rapports faisant état d’arrondissements avec plus de votes que d’électeurs, de bureaux de vote fermés trop tôt, etc. continuaient à arriver. Au lieu de 24 millions de votes, Ahmadinejad n’en aurait reçu que 7 millions, à comparer aux 13 millions de Moussavi. Lors d’un second round, les électeurs des deux candidats vaincus auraient certainement eux aussi voté pour Moussavi.

      Une colère de masse canalisée

      Les manifestations ont démarré immédiatement, avec Ahmadinezhad qui se moquait, les comparant aux petites émeutes qu’on voit après un match de foot. Mais ces manifestations ne protestaient pas seulement contre les résultats électoraux – elles canalisaient toute la colère qui vit contre le chômage, les bas salaires, la crise du logement et le manque de droits démocratiques, avec en plus, pour les militants, l’espoir d’une vengeance contre le régime. Les manifestations sont devenues de plus en plus grandes. Les attaques violentes pendant la nuit menées contre les étudiants sur le campus universitaire par des Basiji à moto, avec des conséquences mortelles, n’ont fait qu’accroître la colère, culminant avec les manifestations de masse de mardi.

      La violence et la propagande comme quoi les USA étaient derrière les manifestations ne sont pas parvenues à mettre un terme au mouvement. Moussavi a dû calmer les manifestations, appelant à des marches funèbres pour jeudi et vendredi. L’Ayatollah Khamenei a dû opérer une retraite partielle et appeler à un recomptage des votes – seulement dans quelques arrondissements, et sous le contrôle du Conseil des Gardiens – ce qui représente un gest dérisoire, mais néanmoins sans précédent. Mais il ne devrait y avoir aucune illusion – à côté de celan Khamenei et le régime ont comment à arrêter les critiques, et à se préparer à une mise au pas dès que possible.

      C’est un mouvement massif et puissant. S’il connaissait sa propre force, le régime pourrait être terminé. Mais il y a aussi des facteurs majeurs qui le retiennent en arrière – la conscience confuse, le manque d’organisations ouvrières indépendantes. Les masses apprendront à travers les événements historiques, mais le mouvement ira-t-il assez loin? Jusqu’où les masses pourront-elles aller avant que Moussavi et Rafsanjani décident qu’elles devraient rentrer chez elles?

      Robert Fisk a écrit dans The Independant de Londres du 19 juin : «Des dizaines de milliers de partisans de Moussavi ont défilé en noir à travers les rues du centre de Téhéran hier soir». Il cite un participant : «On ne peut pas s’arrêter maintenant. Si on s’arrête maintenant, ils vont nous bouffer». Cette humeur combative est probablement typique et peut en soi pousser de côté la répression. Mais le même manifestant poursuit en disant «Le mieux ce serait que les Nations Unies ou n’importe quelle organisation internationale organise de nouvelles élections». Et Fisk de conclure à juste titre : «C’est sur de telles illusions que se construit un désastre».

      Personne en Iran ne devrait faire la moindre confiance aux Nations Unies ou à la classe dirigeante américaine. Lorsque le Président Obama dit qu’il est inquiet, c’est qu’il est surtout inquiet du caractère révolutionnaire des masses. Obama a bien expliqué qu’il n’a aucune préférence pour l’un ou l’autre Président, tant que ce Président est prêt à écouter les Etats-Unis. Les «réformateurs» n’ont jusqu’ici pas été plus ouverts vis-à-vis de la Maison Blanche que ne l’a été Ahmadinejad. L’humeur mixte est aussi observée parmi les manifestations «vertes» anti-Ahmadinejad, où l’on scande ausis des slogans religieux.

      Le mouvement de masse a déjà affecté d’autres couches de la société. Certains policiers ont défendu les manifestants et ont été acclamés comme des héros. Les journaux ont été forcés de donner des compte-rendus des manifestations. Des professeurs d’université ont démissionné en guise de protestation contre les fusillades fatales sur le campus.

      Khamenei a maintenant menacé d’accroître la répression. Mais si le mouvement de masse se poursuit encore quelques jours, Khamenei pourrait être forcé de lâcher Ahmadinejad et de tenter de trouver un compromis avec le camp Rafsanjani. La division au sein de la classe dirigeante est un signe de crise révolutionnaire, et les dirigeants vont lutter pour la surmonter. Moussavi n’est pas une réelle alternative, mais a été poussé dans le rôle de détonateur. Il a accompli sa part en promettant la loyauté à Khamenei et à la république islamique, tout en se donnant l’air d’un dirigeant de l’opposition agressif.

      La classe ouvrière

      La tâche la plus urgente est de former et construire des organisations indépendantes de travailleurs à une échelle de masse. Indépendantes de l’Etat, de la religion, des capitalistes, des libéraux, etc., elles devraient montrer la voie vers les entreprises et les comités de quartier. Tout comme les shuras de la révolution de 1979, des comités de travailleurs devraient prendre à charge à la fois l’auto-défense et le contrôle ouvrier sur la production et l’économie. Contrairement à 1979, ces comités doivent être coordonés à l’échelle d’une ville et à l’échelle nationale.

      Certaines organisations ouvrières indépendantes existent déjà, comme le syndicat des chauffeurs de bus, qui a adopté la ligne correcte de ne soutenir aucun des candidats à la Présidence. Tous étaient des candidats capitalistes religieux d’un genre ou d’un autre. Aucun d’entre eux n’allait se charger du chômage qui touche 20% de la population (12,5% officiellement) ni de l’inflation de 30% par an (25% officiellement).

      Les organisations de travailleurs doivent maintenant se positionner à l’avant de la résistance de masse – construisant des syndicats, formant des comités de défense larges et cherchant le soutient des étudiants et des autre smilitants parmi les pauvres urbains. Mais par-dessus tout, l’Iran a besoin d’un parti clairement socialiste. Les soi-disantes «révolutions de couleur» des autres pays ont montré la possibilité de renverser un gouvernement, mais lorsque cela s’est produit, il s’est avéré que les nouveaux régimes pro-capitalistes qui en ont émergé n’ont pas fondamentalement changé la vie des travailleurs et des gens ordinaires. C’était aussi la leçon des révolutions de masse qui se sont produites partout en Europe en1848, et qui ont été étudiées par Marx et Engels, ce qui a établi la base pour leur conlusion selon laquelle il faut s’efforcer d’organiser la classe ouvrière de manière indépendante.

      Les mouvements de masse ne sont pas inépuisables – ils se battent tant qu’ils croient que la lutte peut et va obtenir des résultats. La lutte pour les droits démocratiques doit être liée à la lutte pour la libération politique et économique. Les mollahs capitalistes doivent être renversés et leur richesse confisquée. Seule une économie démocratiquement contrôlée par un plan socialiste démocratique peut offrir l’éducation, des emplois et des salaires décents. L’Iran a une forte tradition ouvrière, remontant à la révolution de 1906-11, mais avant tout à celle de 1979. C’était le mouvement de grève des travailleurs, plutôt que les simples manifestations dans les villes, qui a renversé l’énome appareil d’Etat du Shah. La leçon principale de cette révolution, apprise dans le sang, est le besoin d’un parti ouvrier socialiste révolutionnaire de masse, afin de désarmer les islamistes, politiquement et militairement.


      Le Comité pour une Internationale Ouvrière, CIO

      Rättvisepartiet Socialisterna est la section du CIO en Suède.

      Le capitalisme est un système mondial et il doit être combattu à la même échelle. C’est pourquoi le Parti Socialiste de Lutte fait partie d’une organisation marxiste internationale: le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO), un parti mondial actif sur tous les continents. Notre lutte en Belgique s’inscrit dans le cadre d’une lutte des travailleurs du monde entier pour un société socialiste car si la révolution socialiste éclate sur le plan national, elle se termine sur l’arène internationale. La démocratie ouvrière et la planification socialiste de la production ne peuvent se limiter à un seul pays. C’est d’ailleurs l’isolement de la Russie soviétique qui a conduit à sa dégénérescence à partir de 1924.

  • Accuser l’impérialisme. “La Grande Guerre pour la Civilisation : La Conquête du Moyen-Orient”

    Qui donc porte la responsabilité de la catastrophe au Moyen-Orient ? Dans ce livre, le journaliste Robert Fisk tente de retracer tous les événements qui se sont déroulés dans cette région au cours des 30 dernières années.

    Revue par Per-Ake Westerlund.

    Fisk a connu plus d’aventures que la plupart des héros de films. Parmi les gens qu’il a interviewés en tant que reporter figurent l’Ayatollah Khomeini et Oussama ben Laden, l’un pour le Times, l’autre pour The Independant. Il se trouvait en Iran pendant et après la révolution de 1979. Il a visité plusieurs fois la ligne de front des deux côtés pendant la guerre entre l’Iran et l’Iraq, en 1980-88. Il a accompagné les troupes russes dans les années 80’s jusqu’en Afghanistan, et y a été battu par une foule en colère après les bombardements américains de 2001. Il est arrivé à Bagdad par le dernier avion juste avant que Bush ne lance ses premiers missiles en mars 2003.

    Fisk est toujours volontaire pour prendre des risques afin de se faire sa propre opinion sur ce qui se passe réellement. Il a de plus en plus défié la majorité des médias, par sa critique de la guerre d’Iraq et de l’oppression des Palestiniens par l’Etat d’Israël. Par conséquent, ce qu’il écrit vaut toujours la peine d’être lu, et c’est encore plus le cas pour ce livre, qui comprend plus de 1000 pages sur l’histoire récente du Moyen-Orient. Si le point de départ est la propre expérience de l’auteur, le thème n’en est pas moins la responsabilité des puissances occidentales dans la guerre, la souffrance et la dictature dans cette partie du monde. Une de ses conclusions est que « historiquement, il n’y a jamais eu d’implication de l’Occident dans le monde arabe sans que s’ensuive une trahison ».

    Fisk écrit que le 11 septembre n’est pas la raison de ce livre, mais plutôt une tentative d’expliquer l’enchaînement des événements qui a mené aux fameux attentats. Comment Oussama ben Laden a-t-il pu remporter tous les sondages de popularité ? D’où vient-il ? La réponse se trouve dans l’histoire. Tout au long du 20ème siècle, les puissances occidentales ont démarré des guerres, occupé des pays, et renversé des régimes au Moyen-Orient, encore et encore. Selon Fisk, tout Arabe raisonnable serait d’accord de dire que les attentats du 11 septembre sont un crime, mais demanderait aussi pourquoi le même mot n’est pas employé lorsqu’on parle des 17 500 civils tués par l’invasion du Liban par Israël en 1982. Alors que les régimes du Moyen-Orient – l’Egypte, l’Arabie Saoudite, la Jordanie, la Palestine actuelle de Mahmoud Abbas – sont en excellents termes avec les Etats-Unis, ben Laden et d’autres islamistes ont rappelé aux masses toutes les guerres contre les musulmans dirigées par les USA et Israël. Avec l’échec sur le plan international des partis communistes staliniens et du mouvement social-démocrate à montrer la voie à suivre pour la lutte, c’est la religion qui est apparue comme un facteur politique. C’est le même facteur qui a également été utilisé par des régimes qui se prétendaient comme étant des musulmans authentiques – parmi lesquels le régime de Saddam Hussein des dernières années n’était pas des moindres.

    A la suite du 11 septembre, George Walker Bush, avec le soutien des « dirigeants mondiaux », a décidé de bombarder ce pays déjà dévasté qu’était l’Afghanistan. Lorsque ce pays a été envahi par l’Union Soviétique en 1980, cela était le début d’une guerre qui allait durer 16 ans, avec plus d’un million de morts et six millions de réfugiés. Le régime stalinien déclinant de Moscou fut forcé à une retraite en 1988, après une longue guerre contre les « saints guerriers » moudjahiddines, que le président Reagan saluait en tant que « combattants de la liberté ». Parmi eux se trouvait un contingent saoudite, mené par le milliardaire ben Laden, financé et encadré par la CIA, la monarchie saoudite, et le Pakistan. A partir de 1988, le pays sombra dans la guerre civile entre différentes troupes de moudjahiddines, avant la prise du pouvoir par les Talibans en 1966. Les Talibans étaient des enfants de réfugiés afghans vivant dans la misère, élevés dans des écoles islamistes de droite au Pakistan, et armés par les services secrets pakistanais. Les Talibans prirent rapidement le contrôle du pays et établirent un régime islamiste fortement réactionnaire, notoire pour sa répression des femmes, son interdiction de la musique, etc. Oussama ben Laden, en conflit avec les Saoudites et les Américains après la première guerre d’Iraq en 1991, fut accueilli par les Talibans avec tous les honneurs.

    Malgré le caractère du régime taliban, Fisk avait prévenu à quoi allaient mener les bombardements de Bush Jr. L’Alliance du Nord, les troupes au sol alliées de Bush, était elle aussi constituée d’assassins islamistes de droite – bien qu’opposés aux Talibans. Le nouveau président, Hamid Karzai, est un ancien employé d’Unocal, une compagnie pétrolière américaine qui essayait d’obtenir un contrat avec les Talibans au sujet d’un pipeline reliant l’Asie Centrale au Pakistan. Les avertissements de Fisk s’avérèrent rapidement fondés, de sorte qu’aujourd’hui la population locale se retrouve de nouveau piégée dans une guerre entre les troupes menées par les Etats-Unis d’une part, et les nouvelles forces des Talibans de l’autre.

    Fisk nous fournit également un important récit des développements en Iran depuis1953, lorsque le Premier Ministre élu, Mohammad Mossadegh, fut renversé après qu’il ait nationalisé les installations de la Compagnie Pétrolière Anglo-iranienne (aujourd’hui devenue British Petroleum – BP). Dans les années 1980’s, Fisk a interviewé un des agents britanniques qui, avec la CIA, avait dirigé le coup d’Etat et installé le régime du Shah et de sa répugnante police secrète, la SAVAK. Le Shah devint un allié de confiance pour l’impérialisme américain en tant que fournisseur de pétrole et soutien militaire. A la base, cependant, le nationalisme iranien et la haine des Etats-Unis n’en furent que renforcés.

    La situation finit par exploser lors de la révolution de 1979. Fisk cite Edward Mortimer, un de ses amis reporters, qui avait décrit ce mouvement en tant que « révolution la plus authentique de l’histoire mondiale depuis 1917 ». La principale faiblesse de Fisk est qu’il ne comprend pas le rôle de la classe salariée, bien qu’il insiste sur le fait que « les pauvres des villes » furent la principale force de la révolution. Les slogans et les espoirs des travailleurs et des organisations de gauche pour une « démocratie populaire » entrèrent bientôt en conflit avec les intentions des islamistes et des mollahs. La classe salariée dans le nord de l’Iran avait confisqué la propriété capitaliste, tandis que le régime de Khomeini, basé sur des couches urbaines plus riches, était contre toute forme d’expropriation. Pendant une longue période, la gauche pouvait se rallier un large soutien. Fisk décrit la manière dont un demi-million d’étudiants manifestèrent avec le Fedayin, alors illégal, en novembre 1979. Khomeini dut agir petit à petit pour écraser la gauche et les organisations de la classe salariée. Il exploita au maximum le conflit avec l’impérialisme américain, conduisant les partis communistes pro-Moscou, comme le Tudeh, à soutenir Khomeini jusqu’à ce qu’ils soient démantelés de force en 1983. Même alors, le régime au pouvoir en Russie ne voyait aucun problème à fournir des armes à Téhéran. Des purges massives furent menées pendant la guerre contre l’Iraq, parfois sur base d’informations « anti-communistes » fournies par l’Occident. Au cours de l’année 1983, 60 personnes par jour ont été exécutées, parmi eux de nombreux jeunes.

    Lorsque la machine militaire de Saddam attaqua l’Iran en 1980, le sentiment dans les médias et chez les « experts » était que l’Iraq remporterait une victoire rapide. Mais les troupes se retrouvèrent rapidement bloquées sitôt passée la frontière, et l’armée iraqienne commença à envoyer des missiles sur les villes iraniennes, y compris des armes chimiques. Fisk donne des rapports détaillés et émouvants en provenance du front, décrivant les horreurs qui s’y passent et interviewant des enfants soldats, enrôlés pour devenir des martyrs.

    Les puissances occidentales ne remirent à aucun moment en cause leur confiance en Saddam – c’est en 1983 que Donald Rumsfeld, alors secrétaire à la défense aux Etats-Unis, comme en 2003, rendit sa fameuse visite à Saddam – même si certains d’entre eux vendirent des armes à chacun des deux camps tout au long du conflit qui dura huit ans et coûta plus d’un million de vies. Plus de 60 officiers américains opéraient en tant que « conseillers militaires » auprès de Saddam, lequel bénéficiait également des données satellites de Washington. L’Arabie Saoudite paya plus de 25 milliards de dollars pour financer les frais de guerre de Bagdad. Le Koweït et l’Egypte furent eux aussi des mécènes enthousiastes. Même lors de l’Anfal, la terrible guerre que Saddam mena contre les Kurdes en Iraq du Nord, personne en Occident ne protesta. Rien qu’à Halabja, 5000 Kurdes furent tués par des armes chimiques les 17 et 18 mars 1988.

    La marine américaine était mobilisée dans le Golfe Persique, afin de menacer l’Iran. Un missile américain fut tiré sur un avion civil iranien qui transportait des passagers civils. L’hypocrisie américaine, cependant, fut révélée à tous lors de l’affaire Iran-Contra, en 1986. Les USA avaient vendu 200 missiles en secret à l’Iran dans l’espoir de pouvoir récupérer des otages américains qui avaient été capturés au Liban par des groupes liés à l’Iran. L’argent obtenu par la vente des armes fut ensuite envoyé aux troupes réactionnaires des Contra, au Nicaragua.

    Lorsque Saddam Hussein envahit le Koweït en 1990, il avait rendu visite à l’ambassadeur américain à Bagdad qui lui avait donné l’impression que Washington n’allait pas réagir. Il était toujours l’agent de l’Occident. En juin 1990, le gouvernement britannique avait encore approuvé la vente de nouvel équipement chimique à l’Iraq. Le Koweït avait fait partie de la même province de l’Empire Ottoman que l’Iraq jusqu’en 1889, et avait failli être à nouveau rattaché à l’Iraq en 1958, ce qui avait été empêché par les troupes britanniques.

    Mais l’enjeu ici était le pétrole, et les intérêts des autres alliés des Américains. Le régime saoudite invita les troupes américaines dans le plus important des pays islamiques, ce qui eut plus tard d’importantes répercussions. L’escalade qui mena à la guerre se forma sous l’illusion d’une alliance avec le drapeau des Nations-Unies, mais dans la pratique ce fut la plus grosse intervention américaine depuis la retraite humiliante du Vietnam. Mais cette fois-ci, la guerre démarra par un bombardement massif, qui dura 40 jours et 40 nuits, avec 80 000 tonnes d’explosifs, plus que pendant toute la seconde guerre mondiale. Parmi les cibles se trouvaient des ponts, des centrales électriques, et des hôpitaux. Les troupes de Saddam devaient se contenter de rations de survie, et fuirent de panique au moment où l’offensive au sol fut lancée. Entre 100 000 et 200 000 iraqiens furent massacrés par les attaques des avions, tanks et troupes américains.

    George Bush père appela alors à une grande insurrection contre Saddam, mais laissa les rébellions kurdes et chiites se faire réprimer ddans le sang. Fisk cite un officier américian disant "mieux vaut le Saddam que nous connaissons" que n’importe quel autre régime dont on serait moins certain. Plus de gens moururent lors de l’étouffement des émeutes qu’au cours de la guerre en elle-même, et deux millions de Kurdes devinrent des réfugiés.

    Les mêmes Etats arabes qui, quelques années plus tôt, avaient financé la guerre de Saddam en Iran, payèrent également la nouvelle facture, de 84 milliards de dollars. Et dans les deux années qui suivirent, les Etats-Unis vendirent des armes d’une valeur de 28 milliards de dollars à tous les pays de la région.

    Contre cet Iraq à l’infrastructure détruite et à la population appauvrie, les Nations Unies décidèrent d’appliquer toutes sortes de sanctions, qui conduisirent à ce que « 4500 enfants meurent chaque jour », selon Dannis Halliday, représsentant de l’Unicef en octobre 1996. Robert Fisk raconte la manière dont les enfants, victimes de munitions à l’uranium appauvri, souffrent de cancers – un mal dont souffrent également beaucoup de soldats américains. En plein milieu de la crise humanitaire, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne poursuivirent leurs raids de bombardements aériens, notamment le jour du Nouvel An 1999.

    Après le 11 septembre et les attaques sur l’Afghanistan, il était clair que Bush, Rumsfeld et leurs conseillers néoconservateurs visaient l’Iraq. Fisk énumère chacun des arguments qu’ils inventèrent pour se justifier, des « armes de destruction massive » aux « connections » avec al-Qaïda. De plus, George W Bush promettait « la démocratie pour tout le monde musulman », un objectif pour lequel il ne consulta que très peu ses amis d’Arabie Saoudite, d’Egypte et du Pakistan. L’appareil de propagande exigea alors que le soutien de l’Occident à Saddam soit oublié. La « guerre contre la terreur », à ce stade, signifiait aussi le soutien à Israël et à la guerre que la Russie menait en Tchétchénie. Les critiques de Fisk firent en sorte qu’il fut montré du doigt en tant que partisan du régime de Saddam.

    Cette guerre, que Fisk suivit à partir de Bagdad, signifiait encore plus de bombardements que 12 ans plus tôt. Fisk contraste les missiles dirigés par ordinateur aux hôpitaux sans ordinateurs qu’il visita. Les Etats-Unis lâchaient également des bombes à fragmentation contre les civils, ce qu’Israël a aussi fait par deux fois au Liban.

    Fisk demeura à Bagdad après sa « libération », le 9 avril 2003, lorsque le pillage de masse fut entamé. Les troupes américains ne protégeaient que le pétrole et les bâtiments du Ministère de l’Intérieur. A Bagdad, des documents vieux de plusieurs millénaires furent détruits lorsque les généraux américains pénétrèrent dans les palais de Saddam. Les Américains agirent comme le font tous les occupants, écrit Fisk. Les manifestants furent abattus ; Bremer, le consul américain pendant la première année, interdit le journal du dirigeant chiite Moqtada al-Sadr ; des soldats américains paniqués fouillèrent des maisons. Avec les prisons d’Abu Ghraïb et de Guantánamo, les Etats-Unis ont également copié les méthodes de torture chères à Saddam, allant jusqu’à réemployer le même médecin-en-chef. Les USA « quitteront le pays. Mais ils ne peuvent pas quitter le pays… », est le résumé que Fisk nous donne de la crise de l’impérialisme en Iraq, une description qui est toujours exacte aujourd’hui.

    Le livre de Robert Fisk contient beaucoup d’action, mais aussi de nombreux sujets d”analyse intéressants. Il écrit au sujet du génocide arménien de 1915 ; de la guerre de libération et de la guerre civile des années 90’s en Algérie ; de la crise de Suez en 1956. Il suit à la trace les producteurs du missile Hellfire utilisé par un hélicoptère Apache israélien qui tua des civils dans une ambulance au Liban. Il dit que le coût d’une année de recherche sur la maladie de Parkinson (qui emporta sa mère) est équivalent à cinq minutes de la dépense mondiale d’armes dans le monde. Il analyse la Jordanie et la Syrie ; il écrit au sujet de son père, qui était un soldat dans la première Guerre Mondiale. Ses critiques massives et bien fondées, toutefois, ne deviennent jamais des critiques du système, du capitalisme ni de l’impérialisme. A chaque fois qu’il parle des attaques militaires britanniques ou américaines, il dit « nous ».

    Les travailleurs et les socialistes eu Moyen-Orient et partout dans le monde doivent tirer les conclusions nécessaires de l’histoire de la région et des événements qui s’y déroulent actuellement. La classe salariée, alliée aux pauvres des villes et aux paysans, a besoin d’un parti révolutionnaire et socialiste, capable d’unifier la classe dans la lutte contre le capitalisme, l’impérialisme et la dictature, au-delà des différences religieuses et ethniques.

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