Tag: Rap

  • Le rap est-il devenu une marchandise comme les autres ?

    Le Hip Hop est devenu au fil des décennies le style musical le plus écouté. Cela a pris un certain temps, mais ça été bien intégré par l’industrie du divertissement qui, malgré certaines réticences, veut profiter de la notoriété de ce style musical, notamment auprès du public jeune pour continuer à faire tourner la machine à profit.

    Par Alain (Namur)

    Une bouée de sauvetage pour la plateforme Netflix

    Faisant face à l’émergence de nouveaux joueurs dans le secteur des plateformes VOD, Netflix a lancé en juin pour son public francophone l’émission « nouvelle école » qui est un genre de « the voice » pour le rap. Le succès de cette émission était le bienvenu dans cette année où Netflix perd des abonnées pour la première fois depuis 10 ans.

    Netflix a mis en scène un télécrochet sur le rap. Cela lui a permis de profiter de la popularité de cette musique pour faire des vues, cela a permis au jury (Shay, Niska et SCH) de faire de l’autopromotion en ayant une exposition énorme avant la saison d’été et cela a permis à de jeunes artistes d’avoir pour la plupart un espoir de célébrité et de succès et pour le plus chanceux (Fresh la peufra) d’obtenir les 100.000 euros dévolus au gagnant.

    On ne peut regretter qu’une chose pour les personnes passionnées par ce genre musical : ce format d’émission ne favorise pas l’émergence de véritable produit artistique mais plutôt de produit prêt à être vendu. C’était d’ailleurs assez évident dans la démarche de sélection des candidats et dans le commentaire des jurys. Ce qu’ils cherchaient, c’était la personne capable de faire des hits et des streams sur les réseaux.

    Le rap : un genre qui est passé de la sous culture à la moula !

    On n’a souvent pas idée à quel point le système de production et les rapports sociaux capitalistes influencent l’ensemble de la société. La plupart des gens estiment que l’éducation et la culture représentent une solution à tout un tas de problèmes auxquels fait face la société. Mais c’est en fait oublier que l’éducation et la culture sont elles-mêmes influencées par la société. En fait, pour véritablement libérer le potentiel de l’éducation et de la culture comme vecteur d’émancipation sociale, il faut changer la société et donc son système de production et les rapports sociaux d’exploitation qui y sont liés.

    Les artistes aussi libres qu’ils veulent être sont généralement dépendants de leur support qui est produit par l’industrie pour véhiculer leur art. À l’époque des 45 tours, les musiciens étaient limités physiquement par la capacité des disques 45 tours et les morceaux ne pouvaient pas excéder un certain temps. Aujourd’hui, avec les plateformes d’écoute et leurs méthodes de paiement, on constate que la taille des morceaux a tendance à se raccourcir.

    Cela illustre un point fondamental que Marx avait souligné en son temps. Une des choses qui caractérise le plus le système capitaliste, c’est qu’il fait de toute chose une marchandise. Que ce soient les relations sociales, notre nourriture ou la musique qu’on écoute. Le Hip Hop, qui était une musique honnie à ces débuts et considérée comme une sous culture, a changé de statut. L’industrie a bien compris qu’il était impossible d’empêcher sa diffusion. Du coup, elle a changé de stratégie. Au lieu de combattre cette musique, elle a noyé son potentiel créatif et contestataire sous les millions. Elle a poussé les artistes à se caricaturer eux-mêmes en reproduisant sans cesse ce qui fait le plus vendre : Kiss Kiss-Bang Bang.

    C’est comme ça que le rap maintsream est devenu dans ses pires aspects une caricature du capitalisme avec l’apologie de l’argent facile, le sexisme ambiant, l’hétéronormativité et la réussite individuelle comme vertu. L’émission de Netflix véhicule une partie de tout cela. D’abord par le choix du jury avec la sélection du rappeur Niska comme jury alors qu’il est accusé de violence conjugale. Ensuite dans la réalisation qui stéréotype les candidat-e-s et les enferment dans une image et, enfin, avec la référence constante à cette somme de 100.000 euros agitée à ces jeunes comme la promesse d’une vie meilleure.

    Un discours aux antipodes de la réalité

    Comme dans les pires séminaires professionnels, la réussite est présentée dans l’émission et souvent dans le rap comme le résultat d’un effort individuel. Si tu crois en tes rêves et que tu as assez « la dalle » tu peux tout faire. Le rappeur Booba avait dit un jour « tout le monde peux s’en sortir, aucune cité n’a de barreau ». C’est d’une certaine manière la transposition du discours méritocratique avec les mots de la rue. La différence étant tout de même que la plupart des artistes qui énoncent ce discours ne le font pas dans un but de stigmatiser leurs communautés. Ils perçoivent cela comme une manière d’échapper au déterminisme social. Ils ont d’autant plus de raisons d’adhérer à cela que leur réussite personnelle est la preuve de ce qu’ils avancent. Cette situation illustre ce que veut dire la fameuse phrase de Marx sur le fait que la culture dominante dans la société est celle de la classe dominante.

    Il n’empêche que ce discours ne correspond pas à la réalité. Après 2 ans de pandémie, la crise sociale et économique s’est aggravée, les inégalités explosent et les quartiers populaires sont donc de plus en plus sous pression. Une infime partie de la jeunesse considère le trafic comme un moyen d’échapper à tout ça. Ce discours de la méritocratie est une voie sans issue. Seule la lutte sociale est à même de changer la situation de la majorité sociale.

    Malgré tout ça, il faut laisser une chose au Hip Hop : cette musique vient de la rue et est influencée comme aucune autre par ce qui y vit. Lorsque les mouvements sociaux traversent la société, on constate que le rap devient plus conscient et contestataire. On l’a vu après la lutte contre le plan Juppé où on a eu toute une génération de rappeurs dits conscients. On l’a vu aussi lors de la lutte contre Macron et lors de la crise des Gilets Jaunes. La plupart des rappeurs, aussi millionnaires soient-ils, ont toutes et tous soutenus les Gilets Jaunes.

    Pour une culture hip hop à son plein potentiel, luttons pour un système où l’on produit en fonction des besoins

    La culture Hip Hop est une culture formidable. Elle a réussi à faire évoluer les codes. Elle a enfoncé des portes. Mais elle est aussi un puissant vecteur d’évolution de la langue et de créolisation de la culture et de la société. Elle permet de faire passer des émotions de relier les gens entre eux et à celles et ceux qui le pratiquent de se dépasser.

    Les problèmes que connaît le Hip Hop ne sont pas des problèmes propres au Hip Hop mais sont liés au système capitaliste qui vise à faire de toute chose une marchandise pour la vendre avec un profit et accumuler du capital. Il est temps d’en finir avec ce système pour libérer le potentiel créatif de l’humanité. Si tu es d’accord avec nous, rejoins-nous !

  • Qui prétend faire du rap sans prendre position ? (1)

    Le RAP (Rythms and Poetry) est, avec le break dance, le graff et le djing l’une des 4 disciplines du hip hop. Depuis sa naissance dans les quartiers défavorisés du Bronx au début des années ‘70, le rôle du rappeur a évolué. Historiquement, le fait de parler de rap engagé ou conscient était un pléonasme, aujourd’hui de plus en plus privilégient le rap pour le rap, sans message, festif, divertissant. Le rap aurait-il vendu son âme au profit du profit ? Comment est-on passé de rappeurs politiquement engagés, enracinés dans leurs communautés et nés dans la période post mouvements des droits civiques et Black Power, aux gangsters de studio (héros rêvés de ce système capitaliste, répandant l’appât du gain, le non-respect des femmes et l’ignorance) qui tournent en boucle aujourd’hui à la radio et à la télévision ?

    Par Yves (Liège)

    L’école de la rue

    ‘‘[L’art] n’est pas un élément désincarné se nourrissant de lui-même, mais une fonction de l’homme social, indissolublement liée à son milieu et à son mode de vie.’’ (2) L’art est un phénomène social et les artistes ont une responsabilité sociale envers leurs communautés et envers leur art.

    Le hip hop est né dans les quartiers Sud du Bronx, à New York ; la décennie suivant l’assassinat de Malcolm X et Martin Luther King Jr, à une époque où J. Edgar Hoover (patron du FBI) s’efforçait à démanteler et détruire les leaders noirs et révolutionnaires qui s’organisaient et commençaient à articuler leurs discours contre le capitalisme et pour le socialisme plutôt que vers le communautarisme et le nationalisme noir (à l’instar des Black Panthers). La guerre impérialiste du Vietnam envoyait des jeunes adultes mourir à des milliers de kilomètres de chez eux, et les gangs et la drogue (crack et héroïne) gangrénaient les ghettos urbains. En plus de ça, la fin de la croissance économique de la période post seconde guerre mondiale et la restructuration massive de l’échec des politiques économiques keynésiennes d’interventionnisme d’Etat en néolibéralisme, la théorie du ruissellement (selon laquelle une réduction fiscale des entreprises bénéficiera aux populations pauvres via des réinvestissements), la désindustrialisation de certaines zones urbaines qui, abandonnées par le gouvernement et fuies par les revenus moyens, se sont ghettoïsées et ethnicisées, les taux de chômages exorbitants (jusqu’à 60% – officiellement – chez les jeunes) et les baisses de salaires dans ces zones urbaines par rapport au reste des USA, finirent de dresser les conditions matérielles qui permirent la naissance du hip hop.

    C’est historiquement Afrika Bambaata qui, en transformant le gang Black Spades en Universal Zulu Nation en 1973, utilisa le terme hip hop pour définir un mouvement culturel fondé sur la paix, l’amour et l’unité, réorientant l’énergie des membres de gangs vers quelque chose de positif pour leur communauté.

    Sois journaliste de ta propre vie

    Le rap a permis aux jeunes de toutes origines ethniques de s’exprimer politiquement, socialement et culturellement, dressant un tableau lyrique de la situation dans leurs quartiers : brutalités policières, discriminations à l’embauche (quand il y a de l’emploi), délabrement de l’enseignement public, absence de considération de leurs élus, etc. Cette génération oubliée, qui peignait sur les trains abandonnés et les murs, se donnant ainsi une visibilité dans l’espace public, qui n’avait pas accès aux instruments de musiques de leurs parents bluesmen et jazzmen, se mit à parler poétiquement et de façon rythmée sur les instruments de leurs parents (djing) ou sur les beats sortant de la bouche de leurs beatboxeurs.

    Mais c’est véritablement en 1982, avec ‘‘The message’’, où Grandmaster Flas and the Furious Five décrivaient les conditions de vie dans leur ghetto, que le rap pris une tournure sociale tout en rencontrant un succès commercial. Certains rappeurs des années ’80 (KRS-One) lançaient des appels à organiser et organisaient des mouvements pour l’arrêt de la violence dans les quartiers (Stop the violence movement), pointant du doigt le chemin autodestructeur que suivaient certains jeunes, ils poussaient à l’auto-éducation et à la recherche de connaissances afin de briser ce cercle vicieux.

    Le groupe Public Ennemy qui s’est rendu célèbre avec ‘‘Fight the Power’’ a articulé, plus loin que Run-DMC, des idées de changement social et collectif, d’anti-impérialisme et d’identification culturelle. Le but, comme disait Tupac (fils et filleul de Black Panthers) était ‘‘à l’opposé de promouvoir la violence, mais de montrer les détails imagés des conditions de vies des ghettos en espérant qu’il y ait du changement’’, ceci sans se poser en organisateurs politiques. ‘‘Les travailleurs culturels, tels que les artistes hip hop devraient faire plus que de rapper leurs problèmes: ils doivent construire des organisations et récolter les fonds et le pouvoir politique nécessaire pour tenter de les régler sur base et avec l’aide de leurs auditeurs.’’ (3)

    De 50cent à 100 millions

    Le hip hop est aujourd’hui international, et en 1999 ses fans consommaient l’équivalent de 150 milliards de dollars annuellement en disques, habits, accessoires, etc. Dr. DRE a gagné 110 millions en 2011 rien qu’en prêtant son nom à des casques audio (4)

    Le ‘‘telecommunication Act’’ qui a étendu le droit de propriété des radios et télévisions à des entreprises (selon le Congrès américain ‘‘un marché dérégulé servirait mieux les intérêts du public’’), a conduit à l’absorption rapide de petites stations de radio locales par des grandes sociétés. Elles ont ainsi perdu leur rôle communautaire (et des emplois) et certaines ont systématisé l’usage de playlists standardisées.

    L’image du rappeur dealer, gangster n’a pu être possible qu’avec les dérégulations néolibérales des marchés qui ont permis depuis 1970 le rachat massif des maisons de disques indépendantes par les 4 sociétés (Sony/ATV, EMI, Universal, Warner) qui se partageaient en 2000 plus de 80% de la distribution mondiale. Elles investissent massivement dans le matraquage radio quand elles ne possèdent tout simplement pas ces radios (ce qui laisse moins d’espace aux artistes indépendants). Elles n’ont aucun intérêt à promouvoir des artistes qui questionnent le système capitaliste. De plus, cette image d’authenticité (street credibility) mise en scène, remplie de stéréotypes raciaux, tend à justifier des politiques tels que les contrôles au faciès et rend la population moins sensible aux taux d’incarcération des minorités.

    Aujourd’hui, avec des vecteurs tels qu’Internet, les labels musicaux participatifs, les radios et les maisons de disques perdent de plus en plus leur monopole sur la distribution. On assiste au retour de rappeurs engagés, spirituels, conscients, politiques et surtout à celui d’un public de plus en plus nombreux à les écouter et à les soutenir.

    Ils sont très peu à parler véritablement de révolution socialiste (Dead Prez, Immortal Technique) mais de plus en plus d’entre eux dénoncent les pratiques des régimes totalitaires (weld-el 15 en Tunisie, qui a récemment été condamné à 22 mois de prison ferme), poussent à la réflexion et lancent des mouvements de contestation (collectif Y’en a marre au Sénégal). Le rap politique et engagé existe, mais il ne nous est pas présenté aussi facilement que ces nouveaux coons (acteurs ou actrices qui adoptent le portrait stéréotypé des noirs) et il faut malheureusement chercher pour le trouver.


    NOTES

    1) Calbo « je boxe avec les mots », arsenik,

    2) Trotsky “Littérature et révolution”, 1924

    3) Marable, “The Politics of Hip Hop.”

    4) http://www.dailymail.co.uk/news/article-2199025/Dr-Dre-built-headphones-empire-paid-110million-year.html, http://www.hamptoninstitution.org/capitalismhiphoppartone.html#.UjixYY6_Zc8 How Capitalism Underdeveloped Hip Hop: A People’s History of Political Rap, Derek Ide, http://www.socialistworld.net/doc/1044 The politics of hip hop, Nicki Jonas

  • Tunisie : Liberté d’expression en danger !

    Deux rappeurs ont été condamnés pour avoir dénoncé la brutalité de la police – SOLIDARITE !

    Deux jeunes rappeurs tunisiens engagés ont récemment été condamnés à de lourdes peines de prison pour avoir écrit et chanté des textes critiquant la police ainsi que la corruption, le népotisme et la violence enracinés en son sein. L’un d’eux, “Weld El 15”, avait déjà été condamné en juin à deux ans de prison pour un de ses textes (‘‘El Boulicia Kleb’’ – ‘‘Les policiers sont des chiens’’), mais avait été libéré en juillet suite à l’indignation et aux actions de protestations que cela avait entraîné.

    socialistworld.net

    Précédemment déjà, alors que Klay BBJ était au Maroc, en février 2013, sa mère avait reçu la ‘‘visite’’ de deux policiers en civil qui lui avaient livré l’avertissement suivant : ‘‘Klay doit arrêter de faire des chansons qui parlent de politique.’’

    Le 22 août, les deux rappeurs ont été arrêtés alors qu’ils se produisaient sur scène à un festival à Hammamet. Weld El 15 a été violemment battu par la police face à la foule et, après sa libération, a dû se rendre à l’hôpital à cause de ses sérieuses blessures. Klay BBJ a quant à lui été tabassé durant sa garde à vue. Tous deux ont été relâchés après que leurs cartes d’identité aient été confisquées par la police. Une vidéo de la descente de police durant le concert peut être vue sur le lien suivant.

    Le 29 août, ils ont été inculpés et jugés par contumace pour avoir ‘‘agressé un agent de police en service’’, pour avoir ‘‘attaqué la morale publique’’ et pour ‘‘calomnies’’. Tous deux ont reçu un total de 21 mois d’emprisonnement. Ils n’avaient même pas été informés des charges qui pesaient sur eux ni du jour de leur jugement !

    Il s’agit d’un exemple très illustratif de la vague croissante de répression et de menaces qui s’est abattue sur un très large éventail d’opposants de gauche, d’artistes, de journalistes, d’intellectuels, de syndicalistes, etc., au cours de cette dernière période, de la part du parti d’Ennahda, le parti au pouvoir, et de ses sbires, de la police, des groupes salafistes et d’autres encore.

    Il s’agit aussi du cadre dans lequel il faut considérer la grève nationale organisée le 3 septembre dernier par le Syndicat national des journalistes tunisiens des stations de radio appartenant à l’Etat, qui se sont opposés à la nominations arbitraires de responsables à la solde d’Ennahda à la tête de ces médias et qui ont défendu la liberté de la presse contre la censure policière.

    Envoyez de toute urgence des lettres de protestation au ministère de la Justice tunisien afin d’exiger l’abandon des charges retenues contre Weld El 15 et Klay BBJ et pour défendre les droits fondamentaux d’expression contre les méthodes autoritaires du gouvernement de l’Etat tunisien et de la police : mju@ministeres.tn. Envoyez une copie de vos mails à cwi@worldsoc.co.uk.

    • Abandon de toutes les charges retenues contre Weld El 15 et Klay BBJ!
    • Pour la liberté de la presse, pour la liberté d’expression, pour le respect de tous les droits démocratiques !
    • Non aux menaces et aux attaques contre les opposants au régime d’Ennahda – Non à la brutalité policière!
0
    0
    Your Cart
    Your cart is emptyReturn to Shop