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  • [TEXTE de CONGRES] Le post-féminisme n’est plus le consensus général

    [TEXTE de CONGRES] Le post-féminisme n’est plus le consensus général

    workers_feminismAnnexe au texte de perspectives internationales et belge discuté, amendé et voté lors du Congrès National du PSL de novembre 2015. Ce document accompagne également notre texte de perspectives sous forme de livre. Commandez dès maintenant votre exemplaire en versant 10 euros sur le compte BE48 0013 9075 9627 de ‘Socialist Press’ avec pour mention « texte de Congrès ».


    texte_congres_livre« Après une longue période durant laquelle le post-féminisme était dominant, la lutte des femmes presque inexistante et le sexisme soi-disant rigolo, nous avons assisté à un début de changement ces dernières années ». Nous avons écrit ses mots à l’occasion de la Journée Internationale des Femmes en 2015. Non pas que le post-féminisme a maintenant disparu, mais le consensus qui existait à ce sujet est rompu. Dans cet article, nous avons fait référence à la lutte massive des femmes et des hommes contre la violence à l’encontre des femmes en Inde et en Turquie, mais aussi au mouvement en Espagne en défense des lois sur l’avortement ou encore aux luttes syndicales de différents pays dans « les secteurs féminins » comme les hôpitaux, où des femmes ont joué un rôle crucial. Comme nous l’avons expliqué au début de la crise, au moment où la perte d’emplois était surtout dans l’industrie et parmi des hommes, une deuxième phase de la crise allait voir la politique d’austérité commencer à lancer des attaques contre les services publics et les secteurs des soins. Là, ce seraient les emplois et les conditions de travail de couches entières de travailleuses qui allaient être mises sous pression. Nous avons aussi constaté qu’en Irlande, la lutte contre l’interdiction constitutionnelle de l’avortement a commencé à prendre de l’ampleur, en liaison avec la lutte pour les droits égaux des LGBTQI. En Belgique – où l’on n’avait vu, à côté de la proposition de Femma pour la semaine de travail des 30 heures, que quelques actions spontanées autour du traitement juridique des viols – nous avons assisté dans les jours qui ont suivi le 8 mars à l’éclatement de « wij overdrijven niet » en Flandre (nous n’exagérons pas »), une réaction antisexiste massive sur les médias sociaux. Le mouvement dépassait en tout cas le carcan de « l’action individuelle » surtout orientée vers les médias précédemment mise en avant par des groupes comme les Femens.

    Ce changement dans la situation objective conduit à repenser notre travail femme et notre rôle dans le « mouvement femmes » puisque le travail femmes du PSL/LSP a commencé dans les années ’90, au sommet du consensus post-féministe. Le « mouvement femmes » (mis entre guillemets en raison du peu de « mouvement » ces dernières décennies), largement composé d’organisations de femmes des partis traditionnels, a priorisé la lutte pour les quotas de femmes concernant les hautes fonctions. Son « action » consistait à organiser des élections pour « le manager féminin de l’année ».

    On ne pouvait donc pas parler de mouvement, mais sur le plan parlementaire, un certain nombre de politiciennes sont restées actives autour de quelques propositions de loi destinées à en finir avec les « restes » acharnés de l’inégalité. Sur ce plan-là aussi, les travailleuses ont payé un prix élevé pour la bourgeoisification du PS et SP.a : ces propositions de loi étaient à 100 % basées sur une vision bourgeoise et formelle de l’égalité de genre et pas sur la force progressiste d’une lutte contre le capitalisme, d’une lutte dans laquelle le mouvement des travailleurs met en mouvement tous les groupes opprimés de la société. Il est toutefois de nouveau clair aujourd’hui que lorsque la classe des travailleurs apparait massivement sur scène, elle tire derrière elle tous les groupes opprimés et donne un élan et une stratégie – l’action collective – au mouvement femmes, au mouvement LGBTQI, aux réfugiés et sans-papiers,…

    Les lois qui ont été votées “pour les femmes” entre la fin des années ’80 et maintenant, mais aussi la règlementation du travail qui a suivi la concertation entre syndicats, organisations patronales et gouvernement, a toujours placé les intérêts des femmes face à ceux des hommes et non pas ceux des capitalistes. L’aspiration à l’égalité pour les politiciens – au service des patrons – visait à démanteler les « droits des hommes » et non pas à augmenter les droits des femmes. Accord Interprofessionnel après Accord Interprofessionnel, un progrès minime pour les plus bas salaires et allocations était acheté en octroyant des concessions sur les salaires les plus élevés – la « solidarité » ne signifiait plus que les secteurs où les travailleurs avaient gagné beaucoup de conquêtes sociales se battaient aussi pour ceux qui n’étaient pas si loin, mais au contraire que les travailleurs des meilleurs secteurs voyaient s’effriter leur meilleure position parce qu’ils étaient tenus à « contribuer » au progrès des secteurs à bas salaires. Ceci, en combinaison avec la lutte pour les quotas et la représentation selon laquelle chaque problème des femmes est un problème créé par les hommes individuellement et leurs comportements – les campagnes Equal Pay Day du SP.a et FGTB montrent dans quelle mesure ceci était aussi la tonalité principale dans le mouvement organisé des travailleurs – a fait en sorte que le féminisme a eu une image encore pire que précédemment au sein du mouvement des travailleurs.

    Ainsi, une réponse bourgeoise était formulée sous pression de ce qui se produisait dans les soi-disant « secteurs féminins », comme les hôpitaux, pour de meilleurs salaires et conditions de travail. En dépit du recul du féminisme, le marché du travail continuait à se féminiser. Ce processus est toujours en cours et va de pair avec la montée des contrats temporaires, à bas salaires et à temps partiel, alors que le nombre d’« emplois masculins » dans l’industrie continue de diminuer depuis le début de la crise. Les travailleurs de ces secteurs sont bien obligés de se battre pour de meilleures conditions, en dépit du manque d’organisation syndicale, parce qu’on ne sait tout simplement pas vivre avec de tels salaires. C’est ce à quoi nous avons assisté autres chez les gardiennes d’enfants flamandes l’an dernier et ensuite avec une première action des travailleurs du système des titres-service.

    Parallèlement, des couches entières de jeunes femmes et jeunes filles qui ont grandi dans le mythe du post-féminisme affrontent péniblement la réalité – sur le marché de l’emploi, dans la rue et dans leurs familles,… – et commencent à revendiquer haut et fort l’égalité et la fin du sexisme et des discriminations. Leur part majoritaire dans le personnel de tous les secteurs qui ont de près ou de loin à voir avec les soins assure aussi que leur rôle dans la défense de ce qui reste des soins de santé est crucial. La lutte pour, entre autres, un financement adéquat des hôpitaux s’est mise en branle à un rythme variable dans les différents pays, avec comme exemple le plus fort jusqu’à présent la lutte de l’hôpital de la Charité à Berlin.

    Du slogan “la lutte est toujours nécessaire” à la lutte pour un programme socialiste et pour la direction du mouvement femmes

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    Cette année encore, le PSL commémorera la Journée Internationale des Femmes sous la forme d’une journée de formation politique. Plus d’informations dans notre rubriques “femmes” ou sur notre calendrier disponible sur ce site.

    Quand nous avons commencé nos premières campagnes antisexistes dans les années ’90, essentiellement dans les universités, nous étions alors la seule force à dépenser encore de l’énergie sur ce thème. Nous défendions évidemment une approche socialiste – non pas un féminisme dirigé contre les hommes, mais contre le système – avec un accent sur la lutte contre le post-féminisme. À contrecourant par rapport à presque toutes les forces politiques, nous avons continué à frapper sur le même clou : le post-féminisme est erroné, l’égalité est loin d’être gagnée et nous devons reprendre le chemin de la lutte. Lorsque nous voulions de l’action – l’élément de conscientisation par excellence – autour des sujets liés à la question femmes, nous devions organiser les choses nous-mêmes.

    Nous n’avons pas touché de larges couches avec ce travail. A aucun moment nous n’avons obtenu des résultats comparables à ceux de notre campagne Blokbuster autour de la question du racisme, du populisme et du fascisme. Mais pour attirer des jeunes femmes vers notre parti et assister leur formation comme cadres dirigeantes, ce travail a joué un rôle important. Cela nous a préparé pour le moment où la lutte des femmes serait de nouveau présente de manière plus proéminente. Là où nous étions, avant les années ’90 sous le nom de Vonk, le plus faible dans le mouvement féministe de gauche en comparaison des autres forces révolutionnaires, notre organisation est aujourd’hui au-devant de la gauche radicale en ce qui concerne les méthodes d’action, le programme et la présence de cadres féminins. Nous avons pu tenir debout durant la période de détérioration du féminisme parce nous avons continué, à contrecourant, à nous baser sur les traditions marxistes, qui placent complètement la lutte pour l’émancipation de tous les groupes opprimés – les femmes, mais aussi par exemple les minorités nationales – dans la lutte pour le socialisme sur base de la confiance dans la classe des travailleurs et de sa lutte comme moteur pour le changement. Comme base pour notre travail femmes, nous avons voté à un Congrès National précédent des thèses et résolutions concernant le travail femmes basés sur ceux de la Troisième Internationale (3e Congrès, juillet 1921).

    Nous avons opéré parmi de petits groupes de femmes, mais nous n’y avions aucune concurrence. Aujourd’hui, cette donne est rapidement en train de changer et nous allons vite nous retrouver en minorité. Les couches de femmes qui veulent dénoncer le sexisme et mener la lutte ont grandi, mais cela s’accompagne de la réapparition de personnes qui défendent un féminisme bourgeois ou petit-bourgeois. Même si les « nouvelles féministes » ne définissent généralement plus tout simplement « les hommes » comme grands responsables du problème mais parlent plutôt du rôle de la société, des grandes entreprises et de l’instrumentalisation commerciale du corps des femmes, il existe encore beaucoup de confusion et ces mouvements n’ont aucune stratégie pour permettre la victoire. Cela comprend également le PTB qui a décidé, lors de son dernier Congrès, qu’il fallait mettre plus d’attention sur la question femmes en passant par la fondation d’une Commission femmes et la mise en place de quotas de femmes à la direction. Tout comme sur d’autres plans, ils ne défendent pas sur le terrain des femmes beaucoup plus que la veille social-démocratie qui, par son opportunisme et son réformisme, n’est pas non plus parvenue à créer un véritable lien entre la lutte des femmes et la lutte des classes afin de livrer un véritable combat pour la direction du mouvement femmes.

    Les « nouvelles féministes » ne considèrent pas cette lutte dans le cadre de la lutte du mouvement des travailleurs pour une autre société, une idée qui a reçu de grands coups en raison de l’existence et plus tard de la chute du stalinisme, mais aussi à cause du rôle de la social-démocratie, cet autre courant opportuniste dominant dans le mouvement des travailleurs. Elles considèrent complètement la lutte comme devant être menée à titre individuel et pour des solutions individuelles. Un pur idéalisme est aux commandes : « si on se détache seulement de manière individuelle des normes dominantes qui sont imposées aux femmes et si nous revendiquons activement notre rôle, tout est possible », est un peu la teneur générale de leurs propos. Nous devons prendre les aspects positifs et progressistes là-dedans – le refus radical et explicite de chaque forme d’arriération et de sexisme et la volonté de s’engager – et les utiliser dans notre approche transitoire. Parallèlement, nous devons avertir des limites de cette approche. Un mouvement qui ne va pas plus loin et qui ne commence pas une lutte contre les conditions matérielles qui donnent l’occasion à l’existence du sexisme ne peut que se heurter péniblement à un mur. Dans le meilleur des cas, ça se termine en queue de poisson, comme cela a été de nouveau le cas avec « wij overdrijven niet » (nous n’exagérons pas), sans vouloir sous-estimer l’influence que ce mouvement spontané sur les médias sociaux a eue sur « l’opinion publique ». Si la lutte n’est pas soutenue et ne commence pas à imposer des changements dans la situation objective, cette influence se diluera et, à un moment ou un autre, on en revient au « business as usual ».

    Il existe un renouveau d’activités de femmes qui s’expriment ouvertement comme féministes. Nous voulons rentrer en discussion avec elles, en partant de leurs expériences, de leur refus du rôle qui leur est imposé par la société capitaliste, de leurs revendications (etc.) pour faire un pont vers la nécessité d’un changement socialiste de société. Il y a cependant aussi d’autres figures qui arrivent sur ce terrain et qui veulent canaliser ce nouveau mouvement dans une direction inoffensive pour le capitalisme. Dans la discussion qui a éclaté suite aux déclarations du doyen de la VUB, Willem Elias, ce n’était pas par coïncidence qu’on a vu la politicienne VLD de Bruxelles, Ann Brusseel, se mettre en avant avec sa revendication au Comité d’Administration de la VUB pour la démission d’Elias parce qu’aucune étudiante ne pouvait passer ses examens le cœur léger face à ce sexiste notoire.

    Les féministes bourgeoises s’en tiennent systématiquement à de telles « victoires symboliques » (Elias a effectivement démissionné), à des « revendications femmes » qui ne coutent rien à la bourgeoisie. Le « féminisme » de l’Open VLD – tout comme celui des autres partis traditionnels (et les partis bourgeois Écolo, Groen et NVA) – ne l’empêche pas de mener une politique d’austérité qui touche particulièrement durement les femmes. Cela signifie pour de larges couches de femmes de la classe des travailleurs que le choix pour l’indépendance d’un gagne-pain masculin est en même temps un choix pour la pauvreté. Tous les pays qui ont eu à faire avec les formes les plus brutales de la politique d’austérité, comme en Grèce ou en Espagne, ont connu une croissance de la prostitution. C’est devenu la seule manière de se nourrir et de nourrir ses enfants pour une couche grandissante de femmes. Cela ne sont que quelques exemples pénibles de l’insuffisance du programme bourgeois féministe.

    Les féministes bourgeoises sont notre ennemi de classe sur le terrain de la lutte des femmes : c’est le sens véritable et le contexte derrière le 8 mars et le mouvement des travailleuses

    Le féminisme bourgeois et petit-bourgeois ne constituent pas seulement un problème du fait de leur absence de réponses face aux problèmes de la majorité des travailleuses, cela représente même un obstacle au développement d’une solution en raison de sa fonction de division dans le mouvement des travailleurs. Là où nous le pouvions, nous avons exprimé notre opposition à la forme spécifique prise par la campagne Equal Pay Day, avec sa grande attention sur la responsabilité individuelle des hommes quant à la division des tâches domestiques et son soutien à la revendication de négociations salariales individuelles comme pas vers plus d’égalité salariale. De façon similaire, nous nous sommes toujours opposés à l’idée de quotas et avons défendu un programme général pour toute la classe des travailleurs et contre chaque discrimination. Ceux qui ne font pas de même ne comprennent pas que le sexisme dispose d’une base matérielle.

    Le féminisme bourgeois a encore un rôle très diviseur sur un autre plan, parce que c’est souvent le fer de lance dans des attaques racistes contre la population musulmane de Belgique. L’interdiction du foulard, premièrement dans les écoles (allant aujourd’hui dans certaines écoles jusqu’à l’interdiction de porter des jupes longues !), puis aussi dans les fonctions aux guichets dans plusieurs administrations publiques, était en Flandre une tentative des partis bourgeois de se montrer « fermes » envers les immigrés dans la concurrence électorale avec le Vlaams Blok/Belang. Tout ceci était toujours vendu avec des arguments « féministes ». En Wallonie, ce même courant venait de France, où le mécontentement et la rage envers les partis traditionnels s’expriment, par manque d’une alternative large et crédible de gauche, avec une popularité grandissante et potentiellement dangereuse pour le FN. La gauche officielle en France défend un laïcisme militant utilisé comme instrument dans une campagne raciste. Cela joue un rôle dans le fait que la population d’origine immigrée des pays musulmans se replie de plus en plus sur elle-même.

    Nous devons continuer à mettre en garde contre cette approche. Il en va de même concernant la question nationale : nous devons comprendre que la religion est un aspect secondaire et que c’est seulement par la défense de la liberté religieuse des travailleurs croyants que l’on peut offrir une chance à l’unité des travailleurs nécessaire pour la lutte pour une autre société, où la religion s’évaporera parce que l’être humain aura finalement contrôle sur sa vie et ne sera plus soumis à l’anarchie et aux lois aveugles du marché capitaliste. Nous devons aussi comprendre que chaque limitation du droit à la liberté d’expression des groupes opprimés spécifiques va finalement mener à des restrictions de la liberté d’expression du mouvement des travailleurs et de ses organisations-sœurs. C’est bien un droit qui fait partie de la révolution bourgeoise, mais la lutte de classe des travailleurs a partout été nécessaire pour assurer l’utilisation de ce droit y compris aux couches opprimées et pas seulement à la bourgeoisie elle-même. De la même manière, cela a toujours été la classe des travailleurs qui a contré les attaques contre ce droit.

    Le fait que nous défendons la liberté religieuse ne signifie évidemment pas que nous cherchons la collaboration avec des groupes religieux ou que nous sommes prêts à baisser notre programme, entre autres notre programme concernant les femmes. Nous refusons seulement de nous retrouver du même côté des barricades que la bourgeoise dans une campagne raciste. Nous défendons le droit des musulmanes à porter le voile si elles le souhaitent, nous défendons aussi le droit des musulmanes à ne pas le faire si elles ne le désirent pas. Interdire tout simplement le port du voile n’offre pas aux femmes l’obtention de l’indépendance envers leur famille ou leur communauté. Pour cela, il faut un programme social, un programme général qui permet aux femmes de la classe des travailleurs de faire des choix de manière indépendante : le plein emploi, des salaires décents et des conditions de travail qui permettent de combiner travail et famille, des allocations décentes et le soutien social aux femmes qui en ont besoin, un programme massif de construction sociale,…

    Ces aspects diviseurs du féminisme bourgeois et petit-bourgeois clarifient que nous n’avons aucune affinité avec eux. Nous pouvons – comme c’était le cas dans la campagne contre les « pro-vie » – parfois être autour de la même table parce ces organisations sont incontournables sur certains terrains et/ou parce que nous pouvons établir une plateforme acceptable à nos yeux. Mais nous cherchons nous-mêmes la collaboration avec des organisations de travailleuses, comme les commissions femmes des syndicats et leurs organisations de jeunesse ou encore d’autres organes du mouvement des travailleurs qui organisent (surtout) des femmes. Et nous comprenons profondément que nous devons nous présenter entièrement indépendamment de ces organisations et que nous continuons à exprimer ouvertement nos critiques sur ces organisations, leur programme limité, leurs méthodes d’action incorrectes, leur bureaucratisme, etc. Dans la lutte pour les droits de femmes, nous considérons le mouvement organisé des travailleurs comme notre premier et plus important allié. Nous refusons absolument de considérer le mouvement femmes dans un cadre restreint, comme un mouvement de femmes pour les femmes exclusivement.

    Dans les années à venir, l’accent de notre travail doit être mis sur notre différenciation avec le féminisme bourgeois et petit-bourgeois ainsi que sur le recrutement de jeunes femmes et de travailleuses pour le parti sur base d’un programme socialiste. La stimulation à s’opposer au sexisme et à l’oppression des femmes ne va plus seulement venir de nous, nous allons pouvoir intervenir dans des actions spontanées comme des actions organisées par d’autres, même elles peuvent encore souvent être limitées en ampleur. Dans ces interventions, notre accent doit être mis sur notre caractère et notre programme socialiste. Nous devons dénoncer l’hypocrisie des politiciennes qui se profilent sur les problèmes de femmes, mais qui restent en même temps dans des partis qui mènent une politique d’austérité sur le dos de la grande majorité de femmes.

  • ‘‘Comment peut-on (encore) être une femme’’

    MoranAu moment de sa parution, le livre ‘‘Comment peut-on (encore) être une femme’’ (de l’auteure britannique Caitlin Moran, chroniqueuse au Times) a été décrit par certains comme rien de moins qu’un nouveau “manifeste” du féminisme. Si ce n’est aucunement le cas, il s’agit par contre d’une saga amusante et par moment hilarante par laquelle Moran décrit l’évolution de sa propre conception de la “féminité” de ses 13 à ses 35 ans. C’est un appel lancé aux femmes à dire non au sexisme sous toutes ses formes, avec une forte dose d’indignation quant au rôle joué par l’industrie dans l’image de la femme aujourd’hui.

    Par Anja Deschoemacker

    Rédigé comme l’autobiographie d’une journaliste talentueuse, le récit traite du sexisme quotidien et de son impact sur la perception qu’ont les femmes d’elles-mêmes. L’auteure n’a pas souffert de violence sexuelle, elle n’a pas dû non plus tenter de joindre les deux bouts avec un salaire de misère en combinant vie professionnelle et vie familiale. Le livre ne traite aucun de ces thèmes importants – et ne propose pas non plus la moindre solution ou stratégie pour changer les choses – il aborde le sexisme qui frappe l’ensemble des femmes, indépendamment de sa classe sociale.

    La lecture de ce livre vaut le coup, l’ouvrage constitue une rupture vivifiante par rapport au postféminisme qui domine le débat depuis les années ‘80. Non, nous n’avons pas encore triomphé, nous n’avons que commencé à gagner une position différente dans la société. Le féminisme reste essentiel et concerne chaque femme. À celles qui en doute, Caitlin Morgan demande : ‘‘De quelles conquêtes du féminisme vous ne voulez plus ? Du droit de vote ? Du droit de vous marier et de divorcer quand vous le voulez ?’’

    Elle rompt également avec certains aspects du féminisme bourgeois. Si elle conteste à juste titre le fait que les féministes aient à parler d’un combat femmes contre hommes, elle n’y oppose cependant aucune stratégie alternative, à part une résistance individuelle contre les représentations sexistes. Elle ne se replie pas derrière l’idée de quotas ou de “discriminations positives”, ni derrière le mythe selon lesquelles les femmes gèreraient les entreprises “autrement” ou “mieux” que les hommes. On ne trouve aucune allégation du style ‘‘les femmes viennent de Vénus, les hommes de Mars” dans ce livre. Mais sa recherche d’une issue se limite à dire que les femmes, individuellement, savent se frayer un chemin vers le sommet et peuvent y exercer une influence.

    L’ouvrage s’élève contre l’ensemble des normes – comportementales, cosmétiques,… – auxquelles les femmes sont appelées à se conformer via les représentations privilégiées dans les médias. Moran expose de quelle manière ces standards découlent de la recherche de profit des grandes entreprises et défend que les femmes doivent s’en affranchir et être moins tourmentées par leur apparence et leur tenue. Au lieu d’imiter les manières et comportements de tel mannequin ou telle chanteuse, elle invite à développer ses talents et à atteindre ses propres objectifs.

    Le livre ne manque pas d’humour, son regard porté sur les choses est souvent rafraichissant, de même que son style très libre. Mais il ne rompt pas fondamentalement avec le vieux féminisme bourgeois, il en représente même une version moderne. S’il est souvent question du “fossé salarial” entre hommes et femmes et du “plafond de verre” (qui freine les femmes pour atteindre des fonctions dirigeantes), le fait que cette position de faiblesse sur le plan économique constitue un obstacle insurmontable à la libération de nombreuses femmes est ignoré. Les moyens financiers de l’auteure lui ouvrent l’accès aux crèches privées, à une femme de ménage, etc. et une séparation ne représenterait pas une catastrophe financière dans son cas. Pour la plupart des femmes, en particulier les mères, un divorce équivaut quasi-systématiquement à une chute des conditions de vie, comme en atteste le taux de pauvreté des mères isolées.

    L’indispensable liaison de la lutte contre le sexisme à celle pour une autre société est également absente de l’ouvrage. Les conquêtes sociales des femmes sont présentées comme autant d’acquis du féminisme, sans prendre en compte le rôle de la lutte du mouvement syndical et socialiste pour de meilleures conditions pour tous les travailleurs et travailleuses. L’implication des femmes dans cette lutte est pourtant absolument nécessaire. Et ce combat implique nécessairement d’en finir avec le capitalisme.

    Nous pouvons essayer de combattre individuellement le sexisme quotidien, mais cela revient à se battre contre des moulins à vent tant que cette lutte n’est pas liée à celle pour renverser le capitalisme et tous les obstacles qu’il répand et qui empêchent chacun d’e?tre soi-même, de développer ses talents et d’activement poursuivre ses aspirations.

    Ce livre est donc très agréable à lire et comporte nombre de réflexions intéressantes. Il s’agit du livre féministe le plus drôle que je n’aie jamais lu. Mais il n’explique pas pourquoi les femmes sont toujours aujourd’hui repoussées dans une position inférieure dans la société et encore moins comment nous pouvons sortir de cette situation.

    Caitlin Moran, Comment peut-on (encore) être une femme, Flammarion, 2013

  • Une approche marxiste de la prostitution et de l’industrie du sexe

    L’industrie du sexe, y compris la prostitution, constitue l’un des plus grands secteurs économiques au monde. Ce dossier aborde cette question sur base de l’oppression fondée sur le sexe et la classe ainsi qu’à partir des inégalités inhérentes au capitalisme. Cet article est une version raccourcie d’un dossier de notre camarade irlandaise Laura Fitzgerald (Socialist Party, République irlandaise).

    Une inégalité profondément enracinée

    Ce sont surtout des femmes qui vendent des services sexuels et surtout des hommes qui y recourent. Dans ce contexte de crise capitaliste mondiale, la disparité entre riches et pauvres augmente sans cesse, de même que celle entre hommes et femmes. Une illustration de cela a été livrée par la Banque Mondiale, selon laquelle une contraction économique de 1% entraîne une augmentation du taux de mortalité infantile de 7,4 décès pour 1.000 filles par rapport à 1,5 pour 1.000 garçons. La crise a également entraîné une chute du nombre de filles à terminer leur scolarité primaire de 29% à travers le globe, comparativement à 22% pour les garçons.

    L’oppression des femmes existe depuis des milliers d’années. La sexualité des femmes a été réprimée par le mariage, avec l’objectif de transmettre la propriété privée par la voie des descendants masculins, ce qui a offert de nombreux avantages à l’élite dominante. Le capitalisme a eu pour effet que l’inégalité profondément enracinée a été renforcée par l’idéologie de la famille patriarcale avec le mari comme chef de famille et l’épouse en tant que fournisseur de soins pour la famille, un travail non-rémunéré effectué par les femmes.

    La lutte des femmes et, plus généralement, la lutte du mouvement des travailleurs a assuré que l’idée de la subordination des femmes vis-à-vis des hommes soit considérée comme inacceptable, du moins dans le monde capitaliste développé. Cela n’a toutefois pas signifié la disparition de l’inégalité. Les femmes gagnent toujours en moyenne moins que les hommes pour un emploi similaire et la violence conjugale continue d’être un problème gigantesque, renforcé par la crise sociale.

    La faillite du post-féminisme

    Au cours de ces dernières décennies s’est développée l’idée selon laquelle les femmes avaient atteint l’égalité complète. Les principales discriminations juridiques ont été éliminées, et les post-féministes en ont déduit que la bataille était terminée et qu’il était du ressort de chaque femme de saisir sa chance. Cette rhétorique s’est accompagnée d’une croissance exponentielle de l’image de la femme considérée comme un vulgaire objet de commerce dans la société. Cela n’est pas brusquement tombé du ciel, l’industrie cosmétique représente un marché de grande ampleur.

    La croissance de l’industrie du sexe – tant légale qu’illégale – a totalement déformé la manière de considérer la sexualité en présentant les femmes comme des objets destinés à servir la sexualité masculine. Il suffit de regarder la place qu’a prise l’industrie pornographique. Bien entendu, les relations sexuelles librement consenties restent une affaire privée, mais la commercialisation massive de la pornographie est une expression de la nature exploiteuse du système et cela affecte notre sexualité.

    Notre opposition à l’industrie du sexe n’a rien de commun avec l’approche des conservateurs moralistes ou des bigots religieux. Il s’agit d’une protestation contre la commercialisation du sexe. Ce commerce est nocif pour les femmes et pour la société en général, car cela ne fait que renforcer les inégalités.

    La lutte contre l’austérité requiert l’unité la plus forte parmi la classe des travailleurs. Et ces politiques antisociales affectent plus durement les femmes, à la fois au travail et à la maison, notamment par la dégradation des services publics. Lutter contre le sexisme et la division que cela entraîne est une nécessité cruciale pour renforcer l’unité et le combat de notre classe.

    La prostitution

    La prostitution est une partie spécifique de l’industrie du sexe, c’est l’une des pires formes d’exploitation. Les discussions sont nombreuses quant à sa réglementation mais, tout comme l’égalité juridique n’a pas stoppé l’oppression des femmes, aucune loi ne sera suffisante pour débarrasser la prostitution de l’exploitation.

    Femmes, hommes et personnes transgenres tombent dans la prostitution pour des raisons différentes et leurs expériences personnelles peuvent être très variées. Limiter les causes de la prostitution à la pauvreté est trop unilatéral, même s’il faut remarquer qu’en Grèce, par exemple, l’appauvrissement rapide de la population s’est accompagné d’une forte croissance de la prostitution. La prostitution de rue (souvent effectuée par des toxicomanes), les agences d’escorts de luxe et la prostitution oeuvrant à partir d’Internet ne peuvent pas simplement être mises dans le même sac.

    Le débat public sur la prostitution est souvent écarté par la notion de ‘‘choix’’. C’est un terme très relatif. Pour certains, ce n’est de toute façon pas une question de choix. La traite des femmes est toujours un problème majeur à notre époque, cet esclavage moderne connaît même une progression. Il s’agit cependant d’une situation extrême qui ne concerne pas la plupart des personnes prostituées. Mais le ‘‘choix’’ dont il est ici question est limité par la naturemême du capitalisme, particulièrement en temps de crise. On arrive généralement dans le milieu de la prostitution par manque d’alternative et donc de véritable choix.

    Dans tous les pays, les médias fourmillent d’exemples de prostituées de luxe d’origine aisée et dont la vie quotidienne se situe à des kilomètres de la réalité vécue par la majorité des personnes prostituées. Ces cas sont instrumentalisés pour minimiser l’existence de l’oppression des femmes dans la société, ou même pour la nier. Cela vise à cautionner l’industrie du sexe sexiste et oppressive. Ces prostituées ne représentent qu’une infime minorité.

    Certains s’opposent au fait de considérer les personnes prostituées comme des victimes. Cela présuppose que toute oppression a disparu. Il est toutefois extrêmement significatif de constater que la majorité des personnes prostituées ne veulent pas que leurs enfants se retrouvent dans la prostitution. Une étude américaine des années 1990 a montré que 82% des prostituées des rues de San Francisco avaient été attaquées physiquement, 83% menacées d’une arme et 68% violées pendant leur travail. La prostitution entraîne souvent de graves conséquences psychologiques car, suite à un instinct de survie, la personne prostituée fait parfois la distinction entre son esprit et son corps. Les personnes prostituées sont des victimes de l’oppression qui existe dans cette société.

    Notre opposition à l’industrie du sexe ne signifie pas que nous sommes opposés à l’organisation des personnes prostituées et à mener par exemple campagne pour un accès libre et gratuit à la contraception. De la même manière, nous ne nous opposons pas à l’organisation des travailleurs de l’industrie nucléaire ou de l’industrie de l’armement afin qu’ils luttent pour de meilleurs salaires. Mais la nature du travail et du secteur rend difficile l’organisation des personnes prostituées.

    Légaliser ou décriminaliser ?

    De toute évidence, nous ne considérons comme un criminel aucune femme, aucun homme ou aucun transgenre travaillant dans la prostitution. Les initiatives législatives destinées à améliorer la sécurité et la situation des personnes prostituées peuvent compter sur notre soutien.

    Mais nous nous opposons à la légalisation complète de la prostitution. Le message d’une telle décision serait qu’il soit acceptable et normal d’acheter le sexe et que le corps, essentiellement celui des femmes, soit considéré comme une marchandise. Là où la prostitution est légale, cela n’a du reste pas conduit à une diminution de la stigmatisation des personnes prostituées. Cela n’a mis fin ni à la violence, ni à la traite des êtres humains. En Allemagne, la légalisation de la prostitution a même conduit un certain nombre de chômeuses à devoir répondre à des offres d’emploi dans l’industrie du sexe afin de conserver leurs allocations.

    Certains proposent de s’en prendre aux clients. Ce modèle a été introduit en Suède en 1999 sur base de l’idée que cela réduirait la demande. Il est difficile de trouver des données destinées à correctement évaluer l’impact de cette mesure qui, de plus, a été introduite dans le contexte d’un mouvement progressiste contre le sexisme, avec une large sensibilisation. Peut-être bien la demande a-t-elle pu être limitée, mais l’effet d’une telle mesure à long terme reste très incertain.

    Bien sûr, nous sommes en faveur d’une meilleure prise de conscience autour de la question de l’oppression des femmes et du sexisme. La gauche doit soutenir tous les efforts visant à lutter contre l’industrie du sexe et la prostitution. Les syndicats peuvent jouer un rôle au travers de campagnes visant à mieux faire connaître la réalité du commerce du sexe, de la traite des êtres humains, de la violence et du viol dont sont victimes tant de personnes prostituées. Mais cette approche doit s’accompagner d’un mouvement de lutte contre l’austérité.

    Poursuivre les clients ne suffit pas, cela peut même approfondir le problème en faisant tomber l’activité dans l’illégalité la plus totale. Nous avons besoin d’une riposte fondamentale contre le sexisme, avec une réelle éducation sexuelle et affective dans les écoles, une lutte contre l’industrie cosmétique et plus généralement contre la soif de profit à l’origine de la commercialisation du sexe.

    Notre programme

    Nous ne limitons pas notre position à une baisse de la demande. Nous n’acceptons pas les circonstances qui poussent les gens à se prostituer. Nous avons besoin d’une lutte de masse contre les politiques d’austérité avec des investissements massifs dans des emplois décents, autour d’un programme socialiste visant à retirer des mains de l’élite les richesses existantes pour les placer sous propriété publique démocratique et sous le contrôle de la population, afin d’éliminer les bases matérielles et économiques des inégalités. Le sexisme et les divisions ne sont pas inévitables. Une société socialiste fondée sur la coopération, le respect et la démocratie conduirait également au développement des relations humaines et sexuelles, sous leurs diverses formes.

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