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  • La Révolution Russe d’Octobre 1917 : quelques leçons, 90 ans après

    Toutes les classes dominantes dans l’histoire ont voulu donner à leur mode de production un caractère éternel. Dans la même idée, les prophètes du capitalisme ont toujours tenté d’empêcher les travailleurs de tirer la conclusion que le capitalisme pouvait être changé.

    Cédric Gérôme

    Rappelons-nous seulement la fameuse phrase du pseudo-philosophe américain Fukuyama annonçant à grands cris « la fin de l’histoire » après la chute de l’URSS, voulant ainsi dépeindre le système capitaliste comme l’horizon ultime de la société humaine. Rien qu’à ce titre, la Révolution Russe d’Octobre 1917 fut un événement d’une portée gigantesque : pour la première fois dans l’histoire après la brève expérience de la Commune de Paris en 1871, les travailleurs russes ont pris le pouvoir entre leurs mains et montré que le capitalisme pouvait être renversé.

    La révolution russe revue et corrigée par la bourgeoisie

    C’est pourquoi étudier la révolution russe est extrêmement important, surtout lorsque l’on voit à quel point, de nos jours, cet événement historique est ‘revisité’ par certains historiens. Marx affirmait que “Les pensées de la classe dominante sont aussi, à chaque époque, les pensées dominantes”. Cette phrase n’a pas vraiment vieillie lorsqu’on voit comment l’anniversaire des 90 ans de la Révolution d’Octobre 1917 est ‘commémorée’ dans la presse et les médias officiels.

    Le magazine ‘L’Histoire’ a édité un numéro spécialement pour l’occasion, intitulé “Les crimes cachés du communisme – de Lénine à Pol Pot”.Tout un chapitre porte le titre “Lénine est aussi coupable que Staline”, dossier dont le fil conducteur sert à accréditer la thèse selon laquelle le stalinisme trouverait ses germes dans le léninisme ; Lénine aurait ainsi enfanté les Staline, Mao, Pol-Pot, Kim-Il-Sung et compagnie…Le quotidien gratuit ‘Métro’ avait quant à lui trouvé une manière un peu plus subtile de fêter l’événement : il y a deux semaines, une petite brève relatait la tuerie dans un lycée en Finlande. L’article finissait par une petite phrase tout à fait innocente : “Il a mis ses menaces à exécution le jour anniversaire de la révolution d’Octobre.” Au début du mois, la chaîne de télévision ARTE a passé un reportage-documentaire sur la vie de Léon Trotsky. Ce reportage se concluait par l’épisode de l’assassinat de Trotsky, commentée par un historien affirmant : “En analysant la mort de Trotsky, je pense qu’il est devenu victime d’une machine qu’il avait lui-même construite.” Sur cette conclusion apparaissait le générique auquel venait se greffer la citation d’un poète allemand : “La révolution est le masque de la mort. La mort est le masque de la révolution.” L’idée qui sous-entend cette conclusion ressort sans ambiguïté : si tu joues avec le feu en essayant de faire comme Trotsky, à essayer de renverser le capitalisme, tu vas faire naître un monstre encore plus grand… Mais point n’est besoin de se choquer de ce genre d’analyses. A l’époque même de la révolution de 1917, les journalistes de la bourgeoisie ne s’encombraient pas de toutes ces subtilités mais allaient directement droit au but, comme le montre un magnifique éditorial du ‘Times’ (le quotidien britannique) paru quelques jours avant l’insurrection qui affirmait, tout simplement : “Le seul remède contre le bolchévisme, ce sont les balles.”

    Les livres d’histoire évoquent souvent l’année 1917 comme « l’année terrible », illustrant le cauchemard qu’elle a représentée pour les classes dominantes. Et c’est bien par crainte du spectre de nouvelles années terribles que la bourgeoisie continue de faire tout, 90 ans après, pour enterrer les véritables leçons de la Révolution d’Octobre, du rôle que Lénine, Trotsky et le Parti Bolchévik ont réellement joué dans ces événements, et pour réduire cette expérience gigantesque à l’horreur du stalinisme et des goulags.

    Une tempête révolutionnaire

    La victoire de la Révolution d’Octobre ainsi que les mots d’ordre des Bolchéviks avaient rencontré un enthousiasme libérateur et stimulé le tempérament révolutionnaire des travailleurs et des opprimés du monde entier. Dans les années qui suivirent la révolution russe, des foyers révolutionnaires s’allumèrent aux quatre coins de l’Europe (en Allemagne, en Hongrie, dans le Nord de l’Italie, en Finlande,…) et rencontrèrent un écho considérable jusque dans le monde colonial : en Corée, en Inde, en Egypte, etc. Tous les écrits et les mémoires des politiciens bourgeois de l’époque témoignent de la panique généralisée qui dominait dans la classe dominante, celle-ci craignant de perdre pour de bon le contrôle de la situation face à cette tempête révolutionnaire. En 1919, le premier ministre britannique Lloyd Georges écrivait : “L’Europe entière est d’une humeur révolutionnaire. Tout l’odre social, politique et économique existant est remis en question par les masses populaires d’un bout à l’autre de l’Europe. Si nous envoyons plus de troupes pour combattre la Russie, la Grande-Bretagne elle-même deviendra bolchévique et nous aurons des soviets à Londres.” Même les Etats-Unis étaient traversés par une vague de grèves sans précédent, au point que le président Wilson disait : “Nous devons absolument agir pour plus de démocratie économique si nous voulons contrer la menace socialiste dans notre pays.” Ce n’est pas pour rien non plus si, en Belgique, les acquis de la journée des 8 heures et du suffrage universel (…pour les hommes) ont été obtenus respectivement en 1918 et 1919 : ce sont des concessions qui ont été lâchées par la bourgeoisie belge à une époque où elle craignait les soubresauts révolutionnaires qui contagiaient l’Europe entière.

    Il existe un courant de pensée que l’on appelle le courant évolutionniste, suivant lequel la société humaine ne ferait pas de bonds, mais évoluerait de manière linéaire de la barbarie vers le progrès et la civilisation. Cette théorie a souvent été utilisée pour fournir une base soi-disant scientifique contre les idées révolutionnaires. En tant que marxistes, nous pensons au contraire que la société ne se développe pas d’une manière lente et évolutive. Les contradictions dans la société conduisent au contraire à des crises sociales et politiques, à des guerres et à des révolutions, autrement dit à des changements soudains et des tournants brusques. Les retombées qu’a eu la victoire de la révolution russe dans toute une série de pays illustrent à quel point les acquis du mouvement ouvrier ne sont pas tombés du ciel, ou par une constante évolution du capitalisme vers plus de progrès, mais ont été obtenus par des batailles acharnées que le mouvement ouvrier a menée pour les obtenir.

    Octobre : un putsch ou une révolution ?

    Il est devenu courant aujourd’hui de présenter la révolution d’Octobre comme un putsch réalisé par une minorité de Bolchéviks conspirateurs. C’est probablement une des contre-vérités les plus répandues sur la révolution russe. Le schéma classique consiste à présenter la Révolution de Février 1917 comme la “vraie” révolution populaire, suivi quelques mois après par le “coup d’état”, le “complot” d’Octobre. Le tout vise à dépeindre le Parti Bolchévik comme un petit groupe de gens mal intentionnés qui ont pris le pouvoir de manière despotique, sans l’assentiment populaire.

    Pourtant, ce qui donna à l’insurrection dans la capitale Petrograd le caractère d’une petite échauffourée nocturne rapide, réalisée au prix de seulement 6 victimes, et non l’aspect d’un grand soulèvement populaire avec des batailles de rue ouvertes, ne s’explique pas par le fait que les Bolchéviks étaient une petite minorité, mais au contraire parce qu’ils disposaient d’une écrasante majorité dans les quartiers ouvriers et les casernes. Si Lénine dira par la suite que “prendre le pouvoir en Russie fut aussi facile que de ramasser une plume”, c’est précisément parce que la prise du pouvoir en elle-même n’était que le dernier acte visant à la destitution d’un régime totalement brisé, isolé et discrédité politiquement en huit mois d’existence, un régime dont la base sociale s’était littéralement évaporée sous ses pieds. Lorsque les Bolchéviks ont destitué le gouvernement provisoire et transmis le pouvoir aux Soviets, beaucoup pensaient que ce pouvoir ne tiendrait pas trois jours. De la même manière, beaucoup pariaient sur l’inévitable défaite de l’Armée Rouge dans la guerre civile. Si tel ne fut pas le cas, c’est bien parce que les Bolchéviks disposaient d’un programme capable de rallier des millions de travailleurs et de paysans pauvres, en Russie et par-delà les frontières, dans une lutte à mort contre leurs exploiteurs.

    La plupart des historiens bourgeois ne comprennent pas -ou plutôt ne veulent pas comprendre- que la révolution n’est pas un processus artificiel créé de toutes pièces, qui peut se fabriquer dans les laboratoire des état-majors des partis politiques, mais est un processus objectif qui a des racines historiques profondes dans la société : les contradictions entre les classes sociales. Pour les marxistes, les révolutions ne sont pas des surprises, mais sont préparées par toute l’évolution antérieure. La révolution arrive inévitablement quand la contradiction entre la structure de la société et les nécessités de son développement arrive à maturité : lorsque l’accumulation quantitative de frustration encaissée pendant des décennies par les classes exploitées atteint un stade qualitatif, lorsque toute cette quantité d’énergie accumulée dans la société augmente jusqu’à faire ‘sauter le couvercle’.

    Dans ce sens, la Révolution d’Octobre 1917 n’a été que l’aboutissement d’un processus révolutionnaire ouvert par l’écroulement du régime tsariste en février, et qui, durant cette période qui sépare la révolution de février de celle d’octobre, va voir se déployer une énergie, une vitalité, un bouillonnement incroyable parmi les masses, et une vie politique intense. 1917 fut une année d’action de masses étonnante par la variété et la puissance des initiatives populaires, témoin du déferlement d’un torrent de politisation générale de la société : partout, les ouvriers dans les usines, les soldats dans les casernes et les tranchées, les paysans dans les villages, avaient soif de politique, soif de s’instruire, soif de lire des journaux, de discuter des idées, de participer aux grands débats,…Chaque ville, chaque village, chaque district, chaque province, développait ses soviets de députés ouvriers, soldats et paysans, prêts à assurer l’administration locale. John Reed, le journaliste socialiste américain auteur du célèbre livre ‘Dix jours qui ébranlèrent le monde’ expliquait qu’ « à Pétrograd comme dans toute la Russie, chaque coin de rue était transformée en une tribune publique. » L’intervention active des masses dans les événements constitue l’élément le plus essentiel d’une révolution. Toute cette dynamique de masse illustre l’absurdité des arguments sur le soi-disant ‘putsch’ des Bolchéviks.

    Les Bolchéviks et la question de la violence

    Bien sûr, il est aujourd’hui de bon ton de présenter le parti Bolchévik comme des bouchers sanguinaires assoiffés de sang. On se souvient notamment de l’image de Trotsky entourée d’une montagne de crânes et de squelettes, dépeint comme un assassin et un bourreau. Des tonnes d’encres ont été déversées pour dénoncer en long et en large la Terreur Rouge et les exactions de la guerre civile. On parle étrangement beaucoup moins du fait que la guerre civile fut suscitée par la volonté des anciennes classes possédantes de Russie et de l’impérialisme mondial de mettre le pays à feu et à sang pour écraser la révolution par tous les moyens, et que le jeune Etat ouvrier fut réduit à une situation de ‘forteresse assiégée’ par un total de 22 armées.

    Le général blanc Kornilov illustrait à merveille l’état d’esprit peu soucieux d’amabilité des capitalistes face au pouvoir soviétique lorsqu’il disait : “Si nous devons brûler la moitié de la Russie et décimer les trois quarts de sa population pour la sauver, nous le ferons. Le pouvoir est aux mains d’une plèbe criminelle que l’on ne mettra à la raison que par des exécutions et des pendaisons publiques”. On ne peut donc pas faire une analyse un tant soit peu sérieuse si l’on ne tient pas compte qu’il s’agit là du genre de bonhommes que les Bolchéviks avaient en face d’eux. L’ironie de l’histoire est qu’au début, les Bolchéviks étaient même plus qu’indulgents avec leurs ennemis de classe, au point de libérer les généraux contre-révolutionnaires sur base d’un engagement sur parole qu’ils ne prendraient plus les armes contre le pouvoir soviétique! Bien sûr, les marxistes ne sont pas des apologistes de la violence, surtout lorsqu’il s’agit d’une violence aveugle, réalisée par une minorité isolée et coupée de l’action de masses. Les marxistes russes avaient notamment mené un combat idéologique pendant des années contre les terroristes russes, à commencer par la ‘Narodnaia Volia’ (= ‘La Volonté du Peuple’), organisation terroriste qui voulait combattre l’autocratie par la seule force de la bombe et du revolver. Leur chef disait explicitement : “L’histoire est trop lente, il faut la bousculer”. Cette organisation va perpétrer en 1881 un attentat contre le Tsar Alexandre II, persuadée que cela allait stimuler un soulèvement général des paysans. L’assassinat n’aura aucun écho, les auteurs seront pendus, la répression va s’abattre sur le pays et décapiter la Narodnaia Volia ; Alexandre II, quant à lui, sera simplement remplacé par Alexandre III. Les marxistes ont toujours opposé à ce type de méthodes de terrorisme individuel l’organisation des masses.

    Mais les marxistes ont aussi les pieds sur terre; ils ne raisonnent pas sous forme de catégories abstraites –pour ou contre la violence ‘en général’-, mais prennent comme point de départ de leur analyse la situation concrète. Et une réalité concrète est que lorsque la classe opprimée ose se rebeller pour ses droits, les classes dominantes n’hésitent jamais à recourir à une répression impitoyable, à un déferlement d’une violence inouïe, dépassant parfois toute imagination. Il suffirait par exemple de rappeler la répression des Communards de Paris par les bandes de Thiers, qui culmina dans un carnage effroyable, exécutant à bout portant hommes, femmes, enfants et vieillards. Le fusil ne tuant plus assez vite, c’est par centaines que les ouvriers vaincus furent abattus à la mitrailleuse. On s’apitoie souvent sur le triste sort réservée à la famille tsariste exécutée par les ‘Rouges’. On s’apitoie beaucoup moins sur les 5 millions de soldats envoyés par le régime tsariste se faire charcuter dans la boucherie des tranchées, parfois à pieds nus et sans armes. Il faut s’imaginer que les soldats russes devaient parfois partir à l’assaut avec un fusil pour quatre. Il est d’ailleurs clair que l’horreur de cette guerre impérialiste, dont l’unique but était le partage du monde et des sphères de marché entre les grandes puissances, jouera un rôle décisif d’accélérateur des événements révolutionnaires de l’après-guerre. La combativité des masses, étouffée dans un premier temps par la propagande patriotique, va dans un deuxième temps ressurgir à la surface avec une vigueur et une vitalité exceptionnelle.

    Le développement d’une conscience révolutionnaire : un processus dialectique

    Il n’y a pas de meilleure école que celle de la pratique : l’éducation politique des masses s’effectue à travers leur propre expérience pratique. Ce que l’on constate dans toute période révolutionnaire ou dans toute lutte d’une certaine importance, c’est que dans le feu de l’action, la conscience politique des travailleurs peut faire des bonds gigantesques en avant. Engels disait qu’”il peut y avoir des périodes dans la société humaine où 20 ans apparaissent comme un seul jour, tout comme des moments où une seule journée apparaît comme 20 ans.” L’année 1917 en Russie illustre cette idée : la classe ouvrière russe a plus appris en quelques mois qu’elle n’avait pu le faire pendant des dizaines d’années auparavant. C’est ce qui explique comment un type comme Alexandre Kérensky, très populaire en mars ’17, était unanimement détesté au mois d’octobre. C’est ce qui explique la progression numérique fulgurante du Parti Bolchévik, qui ne comptait que quelques milliers de membres au début du mois de février, déjà 100.000 en avril, près de 200.000 au mois d’août et plus d’un quart de millions au début d’octobre. On voit ainsi que, dans le cours d’une révolution, quand les événements se succèdent à un rythme accéléré, un parti faible peut rapidement devenir un parti puissant : le POUM (Parti Ouvrier d’Unification Marxiste), dans les six premières semaines qui suivirent l’offensive révolutionnaire de juillet 1936 en Espagne, était ainsi passé d’un parti de 1000-1500 membres à plus de 30.000 membres.

    Cela montre que la compréhension de la nécessité d’un parti révolutionnaire au sein de larges couches de travailleurs n’est pas quelque chose d’automatique. Le processus qui part de l’élaboration d’un programme révolutionnaire et de l’accumulation primitive des premiers cadres révolutionnaires jusqu’à la construction de partis révolutionnaires de masse est un processus qui s’accomplit à travers divers stades inégaux de développement. Mais en dernière instance, ce n’est que lorsque les contradictions du système éclatent au grand jour que les conditions objectives se créent pour une large pénétration des idées révolutionnaires au sein de la classe des travailleurs.

    Le stalinisme et le fascisme étaient-ils inévitables ?

    Une chose est sûre : s’il n’y avait pas eu de Parti Bolchévik en Russie, toute l’énergie révolutionnaire colossale des travailleurs aurait été lamentablement gâchée et aurait repoussé le mouvement ouvrier en arrière pour longtemps au prix d’une défaite catastrophique et sanglante, comme cela s’est d’ailleurs passé en Hongrie avec l’avènement de la dictature militaire du général Horthy, ou en Allemagne et en Italie avec la montée au pouvoir du fascisme. Ces régimes vont liquider avec zèle les syndicats et les organisations ouvrières, torturer et massacrer les communistes et les socialistes par milliers. La communiste allemande Clara Zetkin l’avait compris, elle qui déclarait en 1923 que “le fascisme sera à l’ordre du jour si la Révolution Russe ne connaît pas de prolongement dans le reste de l’Europe.” Le fascisme a été le prix à payer de la trahison des partis de la social-démocratie, et de l’inexistence ou de la faiblesse d’un parti politique de type Bolchévique comme il en existait un en Russie.

    Mais ce prix, les travailleurs russes le payeront également. Car ces défaites vont contribuer à l’isolement de la révolution russe dans un pays extrêmement arriéré, et, en conséquence, à sa dégénérescence vers une dictature bureaucratique et totalitaire. En 1924, Staline mit en avant la théorie du ‘socialisme dans un seul pays’, afin de se débarrasser de la tâche de la construction de la révolution mondiale, et pour protéger les intérêts et privilèges de la bureaucratie montante, notamment en empêchant le développement et l’aboutissement d’autres révolutions ouvrières qui auraient pu mettre ces privilèges en péril. Cette dégénérescence sera elle-même facteur de nouvelles défaites (comme lors de la révolution chinoise de 1926-27).

    Lorsque Lénine arriva à Pétrograd au mois d’avril 1917, le président du soviet (encore un Menchévik à l’époque) va prononcer un discours rituel d’accueil; Lénine va lui tourner le dos, grimper sur un char, se tourner vers la foule des travailleurs et proclamer : “L’aube de la révolution mondiale est arrivée…Vive la révolution socialiste mondiale!” Ce slogan sera gravé plus tard sur le socle d’une statue de Lénine érigée à cet endroit…mais en y retirant le mot ‘mondiale’! La fameuse théorie de Staline du ‘socialisme dans un seul pays’ était une théorie réactionnaire qui allait à l’encontre de tout l’enseignement marxiste et de toute la tradition internationaliste du Bolchévisme; ce ne fut en fait rien d’autre que le couronnement idéologique de la position de l’appareil bureaucratique stalinien qui va s’ériger et se conforter sur les ruines de toutes ces défaites du mouvement ouvrier.

    Le Parti Révolutionnaire : un ingrédient indispensable

    Trotsky expliquait que « Sans organisation dirigeante, l’énergie des masses se volatilise comme de la vapeur non enfermée dans un cylindre à piston. » La révolution d’Octobre n’aurait jamais pu aboutir sans l’existence d’un tel parti, capable de donner à la force spontanée des travailleurs une expression politique consciente, organisée et disciplinée ou, pour reprendre l’expression de Lénine, pour “concentrer toutes les gouttes et les ruisseaux du mécontentement populaire en un seul torrent gigantesque.” Toute révolution exige une organisation sérieusement structurée pour définir et mettre en application un programme, une stratégie, des tactiques correspondant aux diverses phases de la lutte et à l’évolution des rapports de force. Comment les Bolchéviks ont-ils été capables de conquérir un territoire géographique aussi vaste que la Russie ? Cela s’explique par le vaste réseau de cadres révolutionnaires que Lénine et le Parti Bolchévik avait construit et formé pendant des années. Pendant la révolution, des détachements d’ouvriers et des régiments de soldats envoyaient des délégués au front, allaient conquérir les régiments arriérés, se cotisaient pour envoyer des délégués dans les provinces et les campagnes dont ils étaient originaires, parfois dans les régions les plus reculées du pays. Certains cadres passaient des journées entières à haranguer les usines, le front, les casernes,…sans relâche. C’est comme ça qu’en quelques mois, en s’appuyant sur le développement de la révolution, le parti a été capable de convaincre la majorité des travailleurs de la justesse de ses mots d’ordre. Cela illustre l’importance de la construction préalable d’un parti de cadres formés et préparés aux événements, éprouvés et trempés dans la lutte, prêts au sacrifice, et capables par l’expérience qu’ils ont accumulée, de jouer un rôle décisif au moment fatidique. Là était toute la force du parti Bolchévik.

    Ce dernier n’était pourtant suivi en février 1917 que par une insignifiante minorité de la classe ouvrière. Lors du premier congrès des Soviets en juin, sur 822 délégués, seulement 105 étaient Bolchéviks, montrant qu’une majorité encore imposante des ouvriers soutenait les partis Mencheviks et ‘Socialiste-Révolutionnaire’. Ces partis jouaient littéralement le rôle de commis de la bourgeoisie dans le mouvement ouvrier : soucieux de respecter les engagements pris avec l’impérialisme étranger, ils appuyaient la poursuite jusqu’à la victoire d’une guerre massivement rejetée par la population, s’évertuaient à freiner les revendications sociales, refusaient d’accorder la terre aux paysans. En d’autres termes, ils faisaient tout pour empêcher la réalisation de revendications qui puissent empiéter sur les intérêts des classes possédantes. Ils prônaient la collaboration entre deux formes de pouvoir irrémédiablement incompatibles et s’appuyant sur deux classes antagonistes : d’un côté, les soviets, épine dorsale de la révolution représentant les masses laborieuses en action, et de l’autre, le gouvernement provisoire représentant la bourgeoisie et les propriétaires terriens. Alexandre Kérensky était la forme achevée de ce rôle conciliateur, étant pendant toute une période à la fois vice-président du Soviet de Pétrograd et membre du gouvernement provisoire. Son action, comme celle de tous les politiciens Menchéviks et S-R, était guidée par l’idée de contenir les masses et de maintenir les Soviets dans le giron de la bourgeoisie. Mais au fur et à mesure que les masses populaires devenaient plus radicales, poussaient pour mettre en avant leurs revendications propres et une politique indépendante, autrement dit au plus les masses évoluaient vers la gauche, au plus ces politiciens étaient repoussés vers la droite. Kérensky finira d’ailleurs par dire : “Le gouvernement provisoire non seulement ne s’appuie pas sur les soviets, mais il considère comme très regrettable le seul fait de leur existence.”

    Ce processus illustre qu’il n’y a pas de troisième voie, de solution ‘à mi-chemin’ entre le pouvoir des capitalistes et celui des travailleurs. Et ça, c’est une leçon que les anarchistes espagnols –ainsi que le POUM à leur suite- n’ont pas compris lors de la révolution espagnole de 1936 : dans une situation de dualité de pouvoir, caractéristique de toute situation révolutionnaire, c’est-à-dire au moment crucial où il faut choisir entre deux formes de pouvoir différents, les dirigeants anarchistes de la CNT, refusant a priori toute forme de pouvoir quelle qu’elle soit, vont non seulement accepter de laisser les rênes de ce pouvoir dans les mains de l’ennemi de classe, mais même participer à la reconstitution de l’Etat bourgeois en acceptant des portefeuilles ministériels dans le gouvernement de Front Populaire.

    Marx disait que “Dans toute révolution, il se glisse, à côté de ses représentants véritables, des hommes d’un tout autre caractère; ne comprenant pas le mouvement présent, ou ne le comprenant que trop bien, ils possèdent encore une grande influence sur le peuple, souvent par la simple force de la tradition.” Lors de la révolution russe, ce rôle fut incontestablement joué par les Menchéviks et les S-R. Mais ce n’est que peu à peu, et seulement sur la base de leur propre expérience à travers les différentes étapes de la bataille, que les couches les plus larges des masses ont fini par se défaire de ces partis, et par se convaincre que la direction Bolchévique était plus déterminée, plus sûre, plus loyale, plus fiable, que tous les autres partis. Les 8 mois qui séparent Février d’Octobre ont été nécessaires pour que les travailleurs et les paysans pauvres de Russie puissent faire l’expérience du gouvernement provisoire, et pour que, combiné avec le travail mené par le Parti Bolchévik, les larges masses puissent arriver à la conclusion que ce régime devait être renversé car il n’était pas le leur, mais celui de la bourgeoisie et des grands propriétaires ; à l’inverse, le parti Bolchévik était quant à lui le seul parti prêt à les défendre jusqu’au bout, jusqu’à l’ultime conclusion…c’est-à-dire jusqu’au pouvoir.

    Mais la condition pour cela était évidemment l’existence même d’une organisation véritablement révolutionnaire capable, de par sa lucidité politique et sa détermination, de contrecarrer l’influence des appareils et des politiciens traîtres et réformistes. L’absence d’un tel facteur sera à l’origine de toutes les défaites révolutionnaires ultérieures. En mai’68, dix millions de travailleurs étaient en grève en France, occupant leurs usines, dressant des comités ouvriers dans tout le pays. La classe ouvrière française était à deux doigts du pouvoir .Mais la bureaucratie stalinienne du Parti Communiste Français refusera de prendre ses responsabilités : elle va dénigrer les étudiants en lutte qualifiés pour l’occasion de “renégats gauchistes” ou de “faux révolutionnaires”, nier le caractère révolutionnaire du mouvement, et détourner la lutte vers la voie électorale avec des slogans tels que “rétablissons l’ordre dans le chaos”. La plus grosse grève générale de toute l’histoire va ainsi refluer faute de perspectives politiques, et c’est ainsi que la plus belle occasion pour les travailleurs de prendre le pouvoir dans un pays capitaliste avancé sera perdue.

    La crise historique de l’humanité se réduit à la crise de la direction révolutionnaire

    Marx affirmait que “les révolutions sont les locomotives de l’histoire”. Mais chacun sait qu’une locomotive a besoin d’un bon conducteur pour arriver à destination, sinon elle risque de dérailler rapidement. De la même manière, si la révolution ne dispose pas d’un bon conducteur pour l’orienter, sous la forme d’une direction révolutionnaire, elle déraille aussi. Et une chose dont nous pouvons être sûrs, c’est que la locomotive de la révolution n’attendra pas les révolutionnaires ; elle ne laisse en général que peu de temps à la confusion et à l’hésitation. Le sort des partis qui ne sont qu’à moitié ou au quart révolutionnaires est de passer en-dessous des roues de la locomotive : c’est ce qui est par exemple arrivé au POUM en Espagne, dont beaucoup des militants vont payer de leur vie les erreurs et les hésitations de sa direction. C’est aussi ce qui est arrivé au MIR au Chili en 1973, dont de nombreux militants vont finir leur vie torturés dans les geôles de Pinochet. L’approche et les méthodes gauchistes du MIR vont le rendre incapables de développer une assise significative au sein du mouvement ouvrier. Ce qui met en avant un autre élément fondamental : se dire révolutionnaire est une chose ; mais encore faut-il arriver à transcrire le programme révolutionnaire de manière correcte dans la réalité vivante, avec une approche et des revendications qui soient adaptées à chaque situation spécifique, à chaque étape de la lutte, tenant compte du niveau de conscience, des traditions du mouvement ouvrier dans chaque pays, etc. Lénine disait que “le marxisme, c’est avant tout, l’analyse concrète de la situation concrète.” Il est clair par exemple que le slogan “Tout le pouvoir aux soviets” était un slogan directement adapté aux conditions spécifiques de la Russie de 1917. Lors de la révolution chilienne de 1973, un tel slogan aurait dû être traduit par quelque chose comme “Tout le pouvoir aux cordons industriels” les cordons industriels étant les organismes de classe rassemblant les travailleurs et les habitants des quartiers ouvriers qui étaient apparus pendant le processus révolutionnaire au Chili. Mais lorsque les staliniens du Parti Communiste Espagnol vont lancer au début des années ‘30 le mot d’ordre: «A bas la République bourgeoise ! Tout le pouvoir aux soviets ! » à une période où la république venait d’être proclamée et où il n’existait pas l’ombre d’un soviet ou d’un organisme semblable dans toute l’Espagne, le seul résultat qu’ils pouvaient obtenir était de s’isoler complètement des masses…

    Cette discussion met en évidence une des principales contributions de Trotsky au marxisme, à savoir le ‘Programme de Transition’. Trotsky expliquait qu’il faut aider les masses, dans le processus de leurs luttes quotidiennes, à trouver le pont entre leurs revendications actuelles, immédiates, et le programme de la révolution socialiste. Ce pont doit consister en un système de revendications transitoires, qui partent des conditions actuelles et de la conscience actuelle de larges couches de travailleurs pour conduire à une seule et même conclusion : la révolution socialiste et la conquête du pouvoir. C’est-à-dire élaborer un panel de revendications qui, en partant des besoins concrets et du niveau de conscience des travailleurs et de leurs familles, sont par essence incompatibles avec le maintien du système capitaliste. Le slogan des Bolchéviks “Pain, Terre et Paix”, dans une situation où la famine rôdait, où la paysannerie avait soif de terre, et où le ras-le-bol de la guerre était général, faisait ainsi directement appel aux aspirations les plus profondes de la majorité de la population laborieuse, et, tout en même temps, renvoyait implicitement à la nécessité de renverser le pouvoir de la bourgeoisie; cette dernière, pieds et poings liés et avec l’impérialisme étranger et avec les grands propriétaires fonciers, était absolument incapable de satisfaire ne fût-ce qu’une seule de ces revendications.

    Trotsky commençait son programme de transition en disant que “La crise historique de l’humanité se réduit à la crise de la direction révolutionnaire.” Le rôle et la responsabilité de la direction politique dans une époque révolutionnaire sont effectivement d’une importance colossale. Dans une telle époque, en l’absence d’un parti révolutionnaire, les espoirs des masses font place à la désillusion, l’ennemi tire profit de cette désillusion et se remet de sa panique, les masses découragées se lancent dans des explosions désordonnées et sans perspective, et c’est la défaite assurée.

    Bien sûr, la construction d’un Parti Révolutionnaire n’est pas seulement importante dans une époque révolutionnaire. En effet, la construction d’un cadre marxiste révolutionnaire solide et préparé ne peut pas s’effectuer du jour au lendemain, mais exige au contraire des délais considérables que la rapidité des processus révolutionnaires ne laisse pas le temps d’entreprendre en quelques jours, semaines ou mois. La société connaît, à côté des périodes d’ouverture révolutionnaire, des périodes d’un tout autre caractère : des périodes de réaction, de recul, durant lesquelles la lutte du mouvement ouvrier ainsi que les idées socialistes sont poussées sur la défensive. Nous avons connu une telle période après la chute des régimes staliniens dans les années ’90, période durant laquelle les révolutionnaires devaient complètement nager à contre-courant dans la société pour pouvoir exister. Dans un tout autre contexte, les Bolchéviks avaient connu une période similaire après la défaite de la révolution russe de 1905. Sous les coups de la répression et de la démoralisation, le parti subit une véritable hémorragie en termes de membres, et mêmes certains cadres dirigeants du parti succombèrent à la pression et au défaitisme ambiants ; pour exemple, Lounatcharsky développa un groupe appelé ‘Les Constructeurs de Dieu’, qui se fixait pour idée-maîtresse de présenter le socialisme sous la forme d’une religion, jugée selon eux « plus attractive » que la lutte des classes pour les masses déçues et démoralisées ! Néanmoins, la volonté infatigable de Lénine de s’acharner, même dans ces conditions difficiles, à construire et à former un cadre révolutionnaire pendant cette période va considérablement aider le Parti Bolchévik à pouvoir affronter les défis et les tâches grandioses qui allaient l’attendre quelques années plus tard.

    Lénine avait certes éduqué un cadre sur base de perspectives qui révéleront leur faiblesse dans la pratique en 1917. En effet, jusque-là Lénine croyait encore à l’idée d’une révolution par étapes nettement séparées dans le temps : une première étape à caractère démocratique-bourgeoise, portée par une « alliance démocratique entre le prolétariat et la paysannerie » (c’est-à-dire une révolution prolétarienne dans sa forme, mais bourgeoise dans son contenu), suivie d’une étape socialiste plus lointaine ; ces deux étapes étant entrecoupées d’une période significative de développement capitaliste du pays. Cependant, refusant de s’accrocher aux vieilles formules, et proclamant que « le vieux bolchévisme doit être abandonné », Lénine corrigera ses perspectives à la lumière des événements, lors de l’éclatement de la révolution. Là est toute l’essence de ses ‘Thèses d’Avril’, dans lesquelles il rallie la perspective d’une ‘révolution permanente’ avancée depuis plusieurs années déjà par Trotsky. A partir de ce moment, tout son travail consistera à tenter d’infléchir la ligne du Parti Bolchévik en vue d’une telle perspective : armer politiquement le parti pour le préparer à une rapide prise du pouvoir par les soviets, à l’instauration d’un gouvernement ouvrier et des premières mesures socialistes.

    Avec le recul, on peut aisément affirmer que Trotsky disposait de perspectives plus élaborées que Lénine. Mais le développement théorique plus consistant de Trotsky ne peut se comprendre sans tenir compte du fait que durant toutes les années qui précèdent la révolution de 1917, toute l’énergie de Lénine était concentrée sur la construction du Parti Bolchévik, à une époque où, de ses propres aveux, Trotsky n’avait pas encore saisi toute l’importance d’un parti soudé et centralisé comme condition indispensable pour atteindre le but révolutionnaire, et, jusqu’à un certain point, entretenait encore l’illusion d’une ‘réconciliation’ entre la fraction réformiste (les Menchéviks) et la fraction révolutionnaire (les Bolchéviks) de l’ancien POSDR (Parti Ouvrier Social-Démocrate de Russie). C’est finalement la révolution elle-même qui permettra de rassembler les deux hommes autour d’une même perspective et d’une même conception du type de parti nécessaire.

    Ne laissons pas ces leçons sur le papier !

    A d’innombrables reprises dans l’histoire, les travailleurs ont tenté de suivre la voie des travailleurs russes, de se frayer un chemin vers le pouvoir et vers l’instauration d’une société socialiste. Lors de la révolution portugaise de 1974, les travailleurs en étaient tellement proches que la presse annonçait déjà “la fin du capitalisme” au Portugal ! On pourrait multiplier ces exemples. L’histoire du capitalisme est jalonnée de nombreux combats révolutionnaires héroïques menés par le mouvement ouvrier pour son émancipation. Mais à l’exception de la révolution russe, la défaite a été l’issue de tous ces combats pour la seule raison qu’ils n’avaient pas à leur tête une direction politique expérimentée, préparée à encadrer ces mouvements, à leur donner une perspective, et à les faire aboutir jusqu’à leur conclusion logique et naturelle. Malgré sa dégénérescence ultérieure, malgré les décennies de pourriture du stalinisme, la révolution russe continuera de se distinguer de toutes les autres révolutions ouvrières sur un point essentiel : c’est la seule qui a abouti. Dès lors, s’atteler à la construction d’une organisation révolutionnaire internationale est la leçon la plus générale, mais aussi la plus importante, que l’on puisse dégager d’une telle discussion aujourd’hui, afin d’éviter de nouvelles défaites au mouvement ouvrier et d’assurer un meilleur avenir pour les générations futures.

  • Le rôle d’un parti révolutionnaire, à la veille de la création d’un nouveau parti des travailleurs en Belgique

    Trotsky expliquait dans son ‘Programme de transition’ en 1938 : « La crise historique de l’humanité se réduit à la crise de la direction révolutionnaire ». Cette phrase est tout aussi valide aujourd’hui qu’elle ne l’était il y a 70 ans. Les 150 années qui nous précèdent sont jalonnées de luttes gigantesques et héroiques menées par le mouvement ouvrier et, ponctuellement, d’explosions révolutionnaires qui ont fait trembler sur ses bases le régime bourgeois.

    Dossier par Cédric Gérôme

    Quelques exemples…

    En Espagne en 1936, au lendemain du coup d’Etat des généraux franquistes, il s’est présenté une situation révolutionnaire exceptionnellement favorable, durant laquelle les travailleurs et les paysans ont contrôlé pendant un moment les ¾ du territoire espagnol.

    Durant l’immense mouvement de masse qui a traversé l’Italie en 1969 (= ‘l’automne chaud’), un banquier originaire de Milan expliquait qu’il avait testé à plusieurs reprises le meilleur moyen de s’enfuir à pied par la frontière suisse à travers les montagnes, paniqué qu’il était à l’idée que la classe ouvrière puisse prendre le pouvoir dans son pays !

    Au Portugal en 1974, le mouvement révolutionnaire était tel que le journal anglais « The Times » avait déclaré que le capitalisme était mort au Portugal…

    De nombreux autres exemples peuvent encore être cités ; cependant, malgré les nombreuses tentatives que le mouvement ouvrier a initiées durant l’histoire pour renverser le capitalisme et établir une société socialiste, cette tâche est toujours devant nous, et non derrière nous. Les raisons expliquant la capacité de la bourgeoisie à avoir pu systématiquement rétablir son autorité ne sont pas à chercher dans une faible conscience de la classe ouvrière ou dans une invincibilité des forces du capitalisme, mais bien plutôt dans la trahison, l’incapacité ou l’impréparation de la direction du mouvement ouvrier à mener à bien la tâche que lui posait l’histoire : diriger les travailleurs jusqu’à la prise du pouvoir.

    L’exemple des Bolchéviks

    A la question de savoir comment la société doit être transformée dans un sens socialiste, Lénine et les révolutionnaires russes nous ont procuré la réponse en construisant le Parti Bolshévik, qui a fourni à la classe ouvrière l’outil nécessaire pour prendre le pouvoir, et établir pour la première fois dans l’histoire un Etat ouvrier basé sur une économie planifiée. Les Bolchéviks ont fait passer la question de la révolution socialiste du domaine de l’abstraction au domaine de la réalité vivante, et ont démontré l’importance vitale d’un parti révolutionnaire pour réaliser cette tâche.

    La révolution d’octobre 1917 fut suivie d’une tempête révolutionnaire dans toute l’Europe. Mais Trostky expliquait que « Sans organisation dirigeante, l’énergie des masses se volatilise comme de la vapeur non enfermée dans un cylindre à piston. » Par l’absence précisément de cylindres à piston suffisamment solides, toutes ces révolutions vont se terminer en défaites sanglantes. Ces échecs successifs vont contribuer à isoler la Russie soviétique sur le plan international, et créer les conditions pour l’avènement d’une bureaucratie totalitaire qui sera elle-même le facteur de nouvelles défaites et entachera le drapeau du socialisme pendant des décennies.

    La chute du stalinisme

    Le poids parasitaire que représentait la bureaucratie sur le développement de l’économie planifiée dans les régimes staliniens finira par précipiter leurs chutes, à la fin des années ’80-début des années ’90. En ce sens, la chute du stalinisme fut un point tournant : la période qui suivit directement le retour à l’économie de marché dans les pays de l’ex-bloc de l’Est fut marquée par un recul des luttes des travailleurs sur le plan mondial et, parallèlement, par un recul de la conscience ouvrière. Beaucoup de militants et d’organisations de gauche ont succombé à l’atsmosphère ambiante d’attaques idéologiques contre les idées socialistes, se sont mis à penser que le développement du capitalisme était relancé pour une longue période, à remettre en question la possibilité même d’une transformation socialiste de la société, ou à repousser cette tâche à un avenir lointain et indéfini.

    Au lendemain de la chute du mur de Berlin, le journal bourgeois ‘The Wall Street Journal’, reflétant au mieux l’état d’esprit des milieux d’affaires, avait en première page le titre : « We won ! » (=nous avons gagné !). Le MAS-LSP, ainsi que son organisation internationale, le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) ont toujours considéré que ce triomphalisme de la part de la bourgeoisie serait de courte durée, que le capitalisme n’avait pas pour autant effacé ses contradictions et que pour cette raison, il donnerait lieu à de nouvelles explosions de luttes massives au sein de la classe ouvrière et remettrait les idées socialistes à l’ordre du jour. Pour résumé, alors que certains pensaient que la lutte des classes était définitivement mise à la poubelle, nous pensions simplement qu’elle avait temporairement été mise au frigo.

    Les développements de ces dernières années nous ont indéniablement donné raison. Dans ce cadre, des luttes telles que la grève générale contre le pacte des générations en Belgique au mois d’octobre dernier, ou la lutte contre le CPE en France ne sont qu’un léger avant-goût des explosions sociales qui nous attendent dans les 5, 10, 15 années à venir. C’est pourquoi nous pensons que la discussion sur la nécessité et le rôle d’un parti révolutionnaire n’est pas une discussion du passé mais une discussion qui reste d’une brûlante actualité.

    « Les révolutions sont les locomotives de l’histoire » (Karl Marx)

    La révolution n’est pas une création « artificielle », préparée dans un bureau et apportée de l’extérieur par une poignée de fanatiques de la révolution. Un mouvement révolutionnaire est un processus objectif, qui naît périodiquement et spontanément des contradictions de classes présentes dans la société capitaliste. C’est pourquoi, bien entendu, la révolution n’attendra pas les révolutionnaires. Marx disait que « les révolutions sont les locomotives de l’histoire ». Mais celui qui rate la locomotive le paie généralement très cher…

    Le développement d’une conscience socialiste révolutionnaire et la compréhension de la nécessité d’un parti révolutionnaire au sein de larges couches de travailleurs n’est pas quelque chose d’automatique, qui se développe de manière linéaire en un seul mouvement dans une seule direction. Dans le même sens, le processus qui part de l’élaboration d’un programme révolutionnaire et de l’accumulation des premiers cadres jusqu’à la construction de partis révolutionnaires de masse est un processus long et complexe, qui s’accomplit à travers divers stades d’évolution et de développement. En dernière instance, ce n’est que lorsque les contradictions du système atteignent leur point culminant et apparaissent au grand jour que l’espace et les conditions se créént pour une large pénétration des idées révolutionnaires au sein des masses.

    De nombreux exemples dans l’histoire illustrent comment un tout petit parti peut rapidement se développer en une force de masse lorsque les événements sont avec lui. Le Parti Bolshévik est ainsi passé d’un parti de 8000 membres à la veille du mois de février 1917 jusqu’à un parti d’un quart de millions de membres en octobre de la même année. Pendant la révolution espagnole, le POUM (Parti Ouvrier d’Unification Marxiste) a quadruplé ses effectifs en six semaines.

    Pourquoi un « Nouveau Parti des Travailleurs » ?

    Bien sûr, nous sommes encore loin d’une situation révolutionnaire en Belgique aujourd’hui. Le réveil de la classe ouvrière n’en est encore qu’à ses balbutiements, et à l’heure actuelle, peu de travailleurs sont déjà enclins à tirer des conclusions révolutionnaires de leur situation. Un long chemin à travers l’école de la pratique, long chemin parsemé de luttes -dont beaucoup encore se solderont par des défaites-, sera nécessaire avant que les idées révolutionnaires d’un parti comme le MAS-LSP puissent gagner une audience de masse. Et pour cela, il ne suffira pas simplement de crier sur tous les toits que la révolution socialiste est nécessaire et que nous devons construire un parti révolutionnaire. Si tel était le cas, nous vivrions sous une société socialiste depuis longtemps déjà.

    Nous devons être capables, à chaque étape de la lutte, de construire une sorte de pont qui puisse permettre de rendre notre programme révolutionnaire accessible aux larges couches de travailleurs. C’est de l’incompréhension de cette tâche que découle l’accusation que certains nous portent en nous qualifiant de « réformistes » du fait que nous appelons à construire un nouveau parti pour les travailleurs et que nous collaborons au projet « Pour une Autre Politique » lancé par l’ex-parlementaire du SP.a, Jef Sleeckx. Ces gens ne font en réalité que camoufler derrière un discours ultra-radical une incapacité à orienter celui-ci vers des couches larges de travailleurs. C’est ce que Lénine appelait le « gauchisme ». Ce dernier expliquait que le gauchisme n’est rien d’autre que « traduire sa propre impatience révolutionnaire en une doctrine politique » ou encore « prendre son propre niveau de conscience pour celui de l’ensemble de la classe ouvrière ».

    Un proverbe dit : « c’est ceux qui en parlent le plus qui en font le moins ». En effet, pour nous, être révolutionnaires n’est pas une simple question de termes et ne se résume pas à greffer mécaniquement les formules du passé à la situation actuelle, car cela tout le monde est évidemment capable de le faire. L’histoire porte plusieurs exemples de partis qui portaient l’étiquette « révolutionnaires » sur le front, mais qui ont fini par plier les genoux devant la bourgeoisie au moment fatidique. La force d’un parti révolutionnaire se mesure notamment à sa capacité à pouvoir appliquer les leçons absorbées du passé dans des circonstances radicalement différentes, c’est-à-dire à pouvoir s’adapter aux changements qui ont lieu dans la situation objective et dans la conscience des travailleurs et à traduire son programme différemment en fonction de ces changements.

    C’est dans cette mesure que nous pensons qu’aujourd’hui, le mouvement ouvrier a besoin d’un outil intermédiaire à travers lequel chaque travailleur puisse faire sa propre expérience sur le terrain politique. La bourgeoisification accélérée de la social-démocratie (PS et SP.a) dans les années ’90 implique qu’à l’heure d’aujourd’hui, les travailleurs ne disposent même plus d’un tel instrument. Dans une période où le patronat multiplie ses attaques sur tous les terrains, la situation des travailleurs qui ne disposent pas d’un tel parti est un peu comparable à quelqu’un qui se fait gifler mais qui est incapable de riposter car il a les deux mains ligotées derrière le dos. C’est dans le but de délier les mains des travailleurs et de leur donner cet outil, qui leur permettent de riposter et de repartir à l’assaut contre les attaques de la bourgeoisie, que nous défendons depuis 1995 la nécessité d’un nouveau parti de masse pour les travailleurs.

    Cependant, nous avons toujours dit que l’émergence du potentiel politique nécessaire afin de lancer de telles formations allait dépendre des événements, des luttes concrètes qui allaient se manifester dans la société. Aujourd’hui, l’intensification de la lutte des classes est un processus perceptible à l’échelle de la planète entière. La naissance de nouvelles formations larges dans différents pays est l’expression politique de ce processus, la première réponse à la recherche parmi des couches plus importantes de travailleurs et de jeunes d’une alternative, d’un relais politique à leurs luttes. La grève générale contre le pacte des générations ainsi que la naissance de l’initiative « Pour une Autre Politique » ne sont en fait que la contribution belge à ce processus.

    Le MAS ne veut pas se contenter de saluer du balcon la naissance de ces partis, mais veut y jouer un rôle actif. Nous comprenons que ces partis peuvent servir de point de rassemblement pour tous les jeunes, les travailleurs et les militants syndicaux qui veulent se battre contre la politique néo-libérale. Cependant, nous sommes tout aussi conscients du fait que s’opposer à la politique néo-libérale n’est pas en soi une condition suffisante pour régler tous les problèmes posés par la société capitaliste aujourd’hui. En effet, l’histoire a très bien démontré que dans le cadre du système capitaliste, la bourgeoisie finit toujours par reprendre de la main droite ce qu’elle a pu donner ou lâcher comme concession de la main gauche. C’est pourquoi la question de l’orientation d’un tel parti large est une question de la plus haute importance.

    Le parti révolutionnaire et le Nouveau Parti des Travailleurs : deux tâches contradictoires ?

    Un parti ne se développe évidemment pas dans le vide : il ne peut donc pas échapper à l’influence et à la pression sociale exercée par l’environnement dans lequel il évolue ; cet environnement, c’est le système capitaliste : cela signifie que pour un parti sensé défendre les travailleurs, il s’agit d’un environnement hostile. Si cela est déjà vrai pour un parti révolutionnaire, c’est encore plus vrai pour une formation large rassemblant différents courants et individus, et qui, de par ses structures et son caractère, est nécessairement plus « perméable » à l’entrée d’éléments qui peuvent s’avérer étrangers à la défense de la cause des travailleurs. C’est une des raisons pour laquelle nous défendons l’idée que les représentants élus d’un tel parti ne peuvent percevoir un salaire mensuel dépassant ce que gagne un travailleur moyen. Le cas échéant, c’est laisser la porte grande ouverte aux politiciens carriéristes et à la course aux postes.

    Au sein d’une telle formation, les révolutionnaires devront inévitablement faire face à des pressions de toutes sortes d’individus et de courants qui tenteront de pousser cette formation dans une direction réformiste. Autrement dit, de gens qui se baseront sur les illusions réformistes encore présentes parmi les travailleurs pour se construire une position au sein du parti et qui par la suite, se serviront de cette position pour dévier le parti de ses objectifs. Cette éventualité sert d’ailleurs d’argument à certains pour tourner le dos à une telle initiative. Pour nous, c’est un argument supplémentaire pour y construire en son sein une fraction marxiste révolutionnaire avec ses propres structures, assez solide que pour être capable de constituer un contrepoids par rapport à ce type d’éléments et d’orienter cette nouvelle formation dans un sens révolutionnaire. Cela non pas en imposant notre programme comme un ultimatum à tous ceux qui rejoignent ce parti, mais bien à travers un travail patient d’actions et de discussions orientées vers la base de ce parti.

    Des expériences enrichissantes

    En ce sens, l’expérience apportée par l’évolution de partis larges dans d’autres pays doit nous servir de leçon et de mise en garde. Même si le processus de création et d’évolution de ces partis a pris des chemins différents et des spécificités dans chacun des pays concerné, nous pouvons malgré tout en tirer certaines conclusions générales. Nous ne pouvons pas ici aborder dans les détails chacune de ces expériences. Pour en savoir plus, nous vous conseillons de vous référer aux nombreux articles et documents qui ont déjà été écrits sur le sujet.

    Quoiqu’il en soit, ces expériences nous montrent que de telles formations sont très rapidement confrontés à un choix crucial : le choix entre l’inféodation progressive aux limites imposées par le système capitaliste ou celui de la défense d’un programme socialiste conséquent. L’absence ou la faiblesse du facteur révolutionnaire à l’intérieur de ces formations a à chaque fois signifié le choix de la première option.

    En Italie, le « Partito della Rifondazione Comunista » avait, au moment de sa création, non seulement attiré la majorité des anciens membres de l’ex-Parti Communiste Italien, mais également toute une nouvelle couche d’activistes au point qu’au milieu des années ’90, il comptait dans ses rangs plus de 130.000 adhérents. Ce parti avait obtenu en 1996 jusqu’à 8,6% des voix aux élections, et beaucoup de travailleurs et de jeunes avaient placé leurs espoirs en lui. Après avoir participé à plusieurs reprises à des plans d’austérité sur le plan local, la direction de ce parti a finalement décidé d’entrer en avril de cette année, au nom de l’unité anti-Berlusconi, dans la coalition néo-libérale de Romano Prodi. Cette coalition s’apprête à la rentrée à lancer un plan d’attaques néo-libérales sans précédent, comprenant une nouvelle restructuration du système des pensions ainsi que des coupes sombres dans l’éducation, les soins de santé et la fonction publique.

    pour plus d’infos :

    > http://www.lsp-mas.be/mas/archives/2005/12/28/italie.html

    > http://www.lsp-mas.be/mas/archives/2006/03/19/rome.html

    > http://www.lsp-mas.be/mas/archives/2006/03/26/italie.html

    > http://www.lsp-mas.be/mas/archives/2006/04/21/italie.html

    En Ecosse, la majorité de la direction du Scottish Socialist Party, après avoir orienté au fil des années ce parti vers une ligne de plus en plus droitière, a mené, sur base de fausses rumeurs parue dans la presse bourgeoise sur la vie sexuelle de Tommy Sheridan (=ancien membre du CIO qui était devenu le principal dirigeant et la figure publique du SSP) une campagne de diffamation digne des pires méthodes staliniennes, et a contribué ainsi à traîner le nom du SSP dans la boue. Cette crise et les méthodes de sabotage utilisés par la direction du SSP ont fini par convaincre notre section écossaise d’arrêter de faire un travail désespéré au sein du SSP. Nos camarades ont estimé sur cette base que le mieux qu’ils avaient à faire était de mettre leur énergie dans la construction d’une nouvelle formation. Cependant, la crise qu’a traversé le SSP est pour nous une crise politique qui trouve ses racines dans l’abandon, par la majorité de notre ancienne section écossaise, de la construction du parti révolutionnaire et de la dissolution de celui-ci au sein du SSP au moment de sa création.

    pour plus d’infos :

    > http://www.cwiscotland.org/ (en anglais)

    > http://www.marxist.net/scotland/index.html (en anglais)

    En Allemagne, sur base des mobilisations massives menées contre l’agenda 2010 néo-libéral du gouvernement de Schröder, une nouvelle formation de gauche lancée à l’initiative de militants et de délégués syndicaux (le WASG : Wahlalternative – Arbeit und soziale Gerechtigkeit; Alternative électorale pour l’Emploi et Justice Sociale) avait ouvert une brèche sur la scène politique allemande. Cette formation avait obtenu, ensemble avec le PDS (=héritier de l’ancien parti communiste dirigeant de l’Allemagne de l’Est) le score significatif de 8,7% des voix aux élections régionales l’année dernière. Notre organisation soeur joue un rôle déterminant dans la bataille acharnée qui se mène actuellement contre la direction nationale du WASG pour préserver les principes fondateurs qui ont été à la base de sa création, dans le but entre autres de contrecarrer les manoeuvres auxquelles ont recours les éléments droitiers du WASG pour fusionner celui-ci avec le PDS, ce dernier étant mouillé depuis plusieurs années dans la politique d’austérité. Nos camarades expliquent très justement qu’ils ne sont pas opposés à l’unité, mais que celle-ci est impossible avec le PDS tant qu’il se rend coresponsable des attaques anti-sociales contre lesquelles le WASG a été mis sur pied.

    pour plus d’infos :

    > http://www.lsp-mas.be/mas/archives/2005/09/09/allemagne.html

    > http://www.lsp-mas.be/mas/archives/2005/10/01/allemagne.html

    > http://www.lsp-mas.be/mas/archives/2005/10/20/allemagne.html

    > http://www.lsp-mas.be/mas/archives/2005/11/12/wasg.html

    > http://www.lsp-mas.be/mas/archives/2006/07/04/allemagne.html

    > http://www.lsp-mas.be/mas/archives/2006/08/25/lucy.html

    Conclusion

    Tous ces exemples montrent que si la naissance de nouveaux partis des travailleurs peut être un pas gigantesque en avant, cela ne nous offre en rien une garantie sur leur évolution future. Le rôle des révolutionnaires marxistes ne doit donc pas se limiter à aider à construire ces partis et à se laisser « emporter par le courant », mais bien à construire, renforcer et défendre consciemment leur programme révolutionnaire au sein de telles formations.

    Le fait que nous plaidions pour une approche large à travers notre participation à la construction d’un nouveau parti des travailleurs ne nous décharge en aucun cas de la nécessité de défendre de manière ouverte notre programme socialiste révolutionnaire à l’intérieur de ce parti, bien au contraire. Pour nous, cela n’a aucun sens de s’atteler à la tâche de construire un nouveau parti des travailleurs, qui puisse servir de tremplin pour permettre à des couches larges de travailleurs et de jeunes de se lancer dans la lutte politique, si c’est pour abandonner en même temps la tâche de poursuivre la bataille pour la plus grande clareté politique – et donc pour la défense des idées révolutionnaires- au sein même de cette formation. En réalité, nous voyons ces deux tâches comme inséparablement liées.

    Notre travail au sein d’un tel parti sera une combinaison de deux éléments, qui ne sont qu’une adptation aux conditions actuelles des principes du Front Unique Ouvrier élaborés par le Troisième Congrès de l’Internationale Communiste en 1921, et très bien résumés dans la fameuse phrase : ‘Marcher séparément, frapper ensemble’ : d’une part, systématiquement veiller à adapter notre approche, notre orientation et notre discours vers des couches larges et être prêts à s’engager dans des campagnes et des actions communes ; d’autre part, maintenir une clareté programmatique dans la discussion en déployant en toute circonstance notre drapeau du marxisme révolutionnaire.

    La situation d’un révolutionnaire qui rentre dans une formation large sans un parti révolutionnaire solidement structuré et préparé à cette tâche est comparable à celle d’un joueur de tennis qui vient sans sa raquette sur le terrain ou à celle d’un soldat qui débarque sur le champ de bataille sans ses munitions : autrement dit, il est désarmé et a déjà perdu la bataille d’avance…

    Tout cela n’a pour nous rien à voir avec l’idée d’établir quelque chose comme une « pureté idéologique » au sein de la nouvelle formation ; c’est tout simplement une question vitale pour son évolution future.

  • Théorie. La révolution espagnole 1931-1939

    D’emblée, certains se demanderont pourquoi nous parlons de « révolution » espagnole. Et effectivement, lorsque nous parcourons les manuels d’histoire, on évoque le plus souvent ces événements sous le terme de « guerre d’Espagne » ou « guerre civile espagnole ». Il ne s’agit cependant pas d’une simple querelle de termes ; il s’agit d’une déformation consciente de l’idéologie dominante visant à éluder tout le caractère de classe de ce conflit. C’est donc volontairement que nous utilisons le mot « révolution ». Ce mot a le mérite d’éviter tout malentendu et de mieux cerner ces événements dans leurs justes proportions.

    Cédric Gérôme

    La révolution espagnole est pour nous une expérience historique extrêmement riche en leçons. Il s’agit tout en même temps d’une confirmation éclatante de la théorie de la révolution permanente développée par Trotsky, d’une démonstration pratique, si besoin en est encore, de la faillite des méthodes anarchistes dans la lutte du mouvement ouvrier révolutionnaire, et enfin, d’un exemple de plus du rôle objectivement contre-révolutionnaire qu’a joué le stalinisme dans la lutte des classes.

    Trotsky disait que l’héroïsme des travailleurs espagnols était tel qu’il eût été possible d’avoir 10 révolutions victorieuses dans la période 1931-1937. Pour exemple, on a dénombré pas moins de 113 grèves générales et 228 grèves partielles en Espagne rien qu’entre février et juillet ’36 ! Malheureusement, par le manque d’un parti révolutionnaire à même d’amener le mouvement à ses conclusions logiques, la politique du « Front Populaire » prônée par les staliniens va ouvrir la voie à 40 ans de régime fasciste pour la classe ouvrière espagnole. Il est donc plus qu’important d’étudier les leçons de cet épisode de l’histoire pour éviter de reproduire les mêmes erreurs.

    L’Espagne: le maillon faible

    Dans les années ’30, l’Espagne est un des maillons les plus faibles de la chaîne du capitalisme européen. L’Espagne reste à cette époque un pays arriéré, agricole, où 70% de la population vit dans les campagnes. Dans l’ensemble du pays, la terre appartient essentiellement à la classe des propriétaires fonciers ; 50.000 d’entre eux possèdent la moitié du sol. Le poids de l’Eglise catholique espagnole donne une image assez claire de ce monde rural médiéval : à côté de la masse paysanne qui compte encore 45% d’illettrés, on dénombre plus de 80.000 prêtres, moines ou religieuses, ce qui équivaut au nombre d’élèves des écoles secondaires et dépasse de 2 fois et demi le nombre d’étudiants…Si l’Espagne a connu un « âge d’or », période de floraison et de supériorité sur le reste de l’Europe au 15è-16ème siècle, cette situation s’est transformée en son contraire suite à la perte de ses positions mondiales, celle-ci s’étant achevée au 19ème siècle par la perte des dernières colonies en Amérique du Sud.

    Dans le courant du 19ème siècle et durant le 1er tiers du 20ème siècle, on assiste en Espagne à un changement continuel de régimes politiques et à des coups d’état incessants (les « pronunciamentos »), preuve de l’incapacité aussi bien des anciennes que des nouvelles classes dirigeantes de porter la société espagnole en avant. En réalité, la société de l’ancien régime n’avait pas encore fini de se décomposer que déjà la société bourgeoise commençait à ralentir. Trotsky analysait la situation comme suit : « La vie sociale de l’Espagne était condamnée à tourner dans un cercle vicieux tant qu’il n’y avait pas de classe capable de prendre entre ses mains la solution des problèmes révolutionnaires ».

    Cependant, la période de la première guerre mondiale et le rôle neutre que va y jouer l’Espagne, vont amener de profonds changements dans l’économie et la structure sociale du pays, créer de nouveaux rapports de force et ouvrir de nouvelles perspectives. Cette période va en effet voir s’amorcer une industrialisation rapide du pays, et son corollaire : l’affirmation du prolétariat en tant que classe indépendante. Les années 1909, 1916, 1917, 1919 seront des années de grandes grèves générales en Espagne, mais dont les défaites successives vont préparer le terrain pour la dictature militaire bonapartiste du Général Primo de Riveira. Il s’agira par là de mettre un terme à l’agitation ouvrière et paysanne, en s’en prenant aux principales conquêtes ouvrières et aux relatives libertés démocratiques qui permettaient, dans une certaine mesure, l’organisation des ouvriers et des paysans.

    Cependant, cette dictature n’assure aux classes dominantes qu’un bref répit. L’inflation galopante qui dévore les salaires et le niveau de vie, puis la crise économique de ’29 qui mine profondément la base du régime vont obliger le roi, pour préserver la monarchie, à se débarasser de Primo de Riveira en 1930. Et de la même manière, un an plus tard, les classes possédantes obligeront le roi Alfonso XIII à faire ses bagages et sacrifieront la monarchie dans le but de sauver leur propre peau ;autrement dit, dans le but de ne pas faire courir au pays le risque d’une révolution « rouge »…

    La République : portier de la révolution

    Le 14 avril 1931, la République est donc proclamée. Il ne s’agit toutefois que d’un changement de façade, du remplacement d’un roi par un président, d’une opération à laquelle ont recours les classes possédantes afin de bénéficier d’un nouveau sursis et de calmer les ardeurs des masses. Mais cela aura l’effet inverse : la proclamation de la République nourrit les aspirations des masses et ouvre un processus révolutionnaire qui s’étendra sur plusieurs années. Pendant toute cette période cependant, le facteur subjectif (la direction du mouvement ouvrier) restera en retard par rapport aux tâches du mouvement : c’est la faiblesse de ce facteur qui conduira le mouvement à sa perte.

    L’anarchisme dispose à l’époque d’une influence beaucoup plus importante en Espagne que dans les pays industrialisés d’Europe Occidentale. La CNT (Confédération Nationale du Travail), de tendance anarcho-syndicaliste, rassemble autour d’elle les éléments les plus combatifs du prolétariat espagnol, même si elle n’a aucune perspective et aucun programme à offrir à sa base. En 1918, elle réunit déjà plus d’un million de syndiqués. Cette prépondérance des anarchistes en Espagne s’explique par plusieurs raisons :

    – le rôle de premier plan qu’a joué la CNT dans l’organisation de la grève générale insurectionnelle de 1917 <br- le tournant à droite que connaît le PSOE (Parti Socialiste Ouvrier Espagnol) après la première Guerre Mondiale, suivant la tendance générale de toute la social-démocratie en Europe. Cela va se marquer fortement en Espagne par le fait que le PSOE et la centrale syndicale qu’il contrôle, l’UGT (Union Générale des Travailleurs) se prononcent en 1923 pour une collaboration avec la dictature militaire. Le secrétaire général de l’UGT, Francisco Largo Caballero, celui que d’aucuns qualifieront par la suite, et à tort, de « Lénine espagnol », sera même conseiller d’Etat sous Primo de Riveira !

    – l’inconsistance du Parti Communiste Espagnol, qui sera affaibli tant par la répression systématique qu’il subit sous la dictature que par sa politique sectaire qui l’isole des masses. En effet, à partir de ’24, le PCE subit le même sort que tous les PC, soumis mécaniquement aux ordres et zigzags de la bureaucratie stalinienne en URSS. Pour exemple, lors de la proclamation de la République, le PCE, suivant la ligne ultra-gauche de l’Internationale, reçoit la consigne de lancer le mot d’ordre de : « A bas la République bourgeoise ! Tout le pouvoir aux soviets ! » dans un pays et à une période où il n’existe pas l’ombre d’un soviet ou d’un organisme semblable. Le résultat de cette politique désastreuse est qu’en avril ’31, moment de l’avènement de la République, le PCE ne compte pas plus de 800 membres dans l’ensemble de l’Espagne.

    Le premier gouvernement républicain est formé d’une coalition entre les Socialistes et les Républicains. Ces derniers sont les principaux représentants politiques de la bourgeoisie et se caractérisent par un programme social extrêmement conservateur. Trotsky expliquait : « Les républicains espagnols voient leur idéal dans la France réactionnaire d’aujourd’hui, mais ils ne sont nullement disposés à emprunter la voie des Jacobins français, et ils n’en sont même pas capables : leur peur devant les masses est bien plus forte que leur maigre velléité de changement. » Et de fait, cette coalition républicano-socialiste, à cause de la crise mondiale du capitalisme, est bien incapable de tenir ses promesses et de réaliser les tâches élémentaires, bourgeoises, qui se posent au pays : la réforme agraire, la séparation de l’Eglise et de l’Etat, et la résolution de la question nationale. Celle-ci est particulièrement aigüe en Espagne, dans la mesure où, l’unification nationale n’étant pas arrivée à son terme, deux régions –bastions de l’industrie-, la Catalogne et le Pays Basque, manifestent de sérieuses tendances séparatistes. Cela rajoute un élément explosif au contexte de crise générale que traverse la société espagnole.

    L’impuissance du nouveau gouvernement face aux problèmes historiques du pays alimente les contradictions sociales et les divergences au sein du mouvement ouvrier. Celui-ci s’engage dans une série de grèves qui sont réprimées sans ménagement. Parallèlement, la paysannerie s’engage dans des tentatives de saisir la terre, mais là aussi , la seule réponse du gouvernement est d’envoyer les troupes. La CNT, à la tête de laquelle domine le courant aventuriste, putschiste et anti-politique de la FAI ( Fédération Anarchiste Ibérique), s’engage quant à elle dans une série d’insurrections locales, éphémères et désorganisées qui sont violemment réprimées dans le sang. Quant au PC, il continue d’appliquer mécaniquement les analyses et les mots d’ordre élaborées dans le cadre de la politique dite « de la 3ème période », caractérisée par son sectarisme et son refus de l’unité ouvrière.

    La définition de la social-démocratie comme « social-fasciste », qui aboutira en Allemagne à la victoire sans combat des bandes hitlériennes, est appliquée à la situation espagnole. Mais ici, les staliniens vont encore plus loin : ils étendent cette définition aux anarchistes, désormais qualifiés d’ « anarcho-fascistes » ! Il est évident que cette politique contribue davantage à les isoler.

    Pendant ce temps, les communistes oppositionnels s’efforcent de promouvoir une autre politique. Sous l’impulsion d’Andrès Nin, ancien cadre de la CNT et ami personnel de Trotsky, ainsi que d’autres militants trotskistes, l’opposition de Gauche, appelée « Izquierda Comunista » (=Gauche Communiste) est créée officiellement en Espagne en 1932. A peu près à la même période se crée également le Bloc Ouvrier et Paysan, dirigé par d’anciens membres du PCE, et dont le principal dirigeant, Joacquin Maurin, ne cache pas ses tendances boukhariniennes. Ce parti refuse de prendre position entre trotskistes et staliniens, et adopte une ligne très opportuniste sur la question nationale, se déclarant « séparatiste » en Catalogne et soutenant, sans distinction, tous les mouvements indépendantistes catalans.

    Le fascisme : la réaction bourgeoise en marche

    Les élections d’octobre ’33 donnent l’avantage à la droite, qui profite de la faillite de la coalition socialiste-républicaine des 2 années précédentes. Pour ce nouveau gouvernement, il ne s’agit plus simplement d’une alternance de pouvoir, mais d’un début de contre-attaque contre le mouvement ouvrier, pour laquelle d’autres moyens qu’électoraux seront employés si nécessaire. Le nouveau gouvernement, présidé par un certain Lerroux, donne d’exorbitantes subventions au clergé, diminue les crédits de l’école publique, engage massivement dans la police et l’armée. Les groupes d’extrême-droite descendent dans la rue avec la protection ouverte des autorités ; les fascistes commencent à attaquer locaux et journaux ouvriers.

    Mais la victoire de la droite n’est pas la seule conséquence de la politique de collaboration de classes des socialistes. Dans les rangs du PSOE, et plus particulièrement de la Jeunesse Socialiste, se dessine un courant qui remet radicalement en question la défense de la démocratie bourgeoise et l’optique réformiste de la direction. Ce développement aura d’importantes répercussions par la suite…

    Après plusieurs hésitations, le gouvernement Lerroux décide d’intégrer dans son cabinet 3 membres de la CEDA, parti catholique d’extrême-droite. La CEDA est sans cesse menacée d’être débordée sur sa droite, soit par sa propre organisation de jeunesse , la Juventud de Accion Popular (J.A.P.) que dirige Ramon Serrano Suner, beau-frère de Franco, admirateur d’Hitler et de Mussolini, grand pourfendeur de « juifs, franc-maçons et marxistes », soit par la Phalange, au programme et aux méthodes typiquement fascistes, que dirige José Antonio Primo de Riveira, fils du dictateur et agent du gouvernement fasciste italien.

    L’épisode de la « Commune Asturienne »

    La nouvelle composition du gouvernement, comprenant 3 ministres d’extrême-droite, est considérée comme une déclaration de guerre par le mouvement ouvrier. Elle provoque sa réaction immédiate ; les travailleurs espagnols sont en effet bien décidés à ne pas subir le même sort que leurs camarades allemands et autrichiens, qui viennent de succomber sous la botte du régime nazi. L’UGT lance le mot d’ordre de grève générale, tandis que la CNT, sur le plan national, ne bouge pas. Finalement, 3 foyers insurrectionnels se déclarent : Barcelone, Valence et les Asturies. A Barcelone et à Valence, le gouvernement rétablit facilement son autorité, du fait que la CNT s’est positionné contre la grève et a ainsi brisé le front unique.

    Dans les Asturies en revanche, la CNT rejoint la lutte, ce qui donne à celle-ci un autre impact. Dans tous les villages miniers se constituent des comités locaux qui prennent le pouvoir. Etant sûr de tenir le reste de l’Espagne, le gouvernement central emploie les grands moyens et écrase dans le sang ce que l’on appellera la «Commune Asturienne ». La répression est féroce : plus de 3000 travailleurs tués, 7000 blessés et plus de 40.000 emprisonnés. L’instigateur de cette répression n’est autre que Francisco Franco.

    Création du POUM et entrée en scène des staliniens

    Après cet épisode, on assiste à des reclassements rapides au sein du mouvement ouvrier. Trotsky préconise l’entrée de la Gauche Communiste dans le PSOE afin d’opérer la jonction avec l’aile gauche des Jeunesses Socialistes en train de se radicaliser. Nin, comme la majorité des dirigeants de la GC, refuse le conseil de Trotsky, rompt avec celui-ci et s’oriente vers une fusion avec le Bloc Ouvrier et Paysan. Cette fusion aboutira à la création du POUM (Parti Ouvrier d’Unification Marxiste) en 1935, qui compte alors quelques 8000 militants et une base ouvrière réelle, surtout en Catalogne, mais qui ne dispose pas d’un caractère national. C’est là une lourde responsabilité et une grave erreur qu’ont pris sur eux les dirigeants de l’Opposition de Gauche, laissant sans perspectives cette jeunesse socialiste qui se cherche et qui, comme le disait Trotsky, « en arrivait spontanément aux idées de la 4ème Internationale ».

    Car dans le même temps, l’Internationale Communiste stalinienne opère un tournant radical à 180° et adopte une ligne complètement nouvelle lors de son 7ème congrès, préconisant la politique du Front Populaire, à savoir une coalition programmatique avec les républicains bourgeois. Rompant ainsi son isolement et jouant sur le prestige de la révolution russe dans cette période de troubles révolutionnaires, le PCE va ainsi réussir à attirer vers lui l’aile gauche du Parti Socialiste. Cela aboutit, en avril ’36, à la fusion entre la minuscule Jeunesse Communiste et la puissante organisation de la Jeunesse Socialiste, donnant naissance à la JSU (Jeunesse Socialiste Unifiée) qui constitue dès lors le levier principal de l’influence stalinienne en Espagne. En Catalogne, le PCE et le PSE fusionne carrément pour former le PSUC (Parti Socialiste Unifié de Catalogne) qui adhère, dès sa fondation, à la 3ème Internationale. De plus, le « tournant politique » de 1935 et les circonstances particulières de la guerre civile redonnent au communisme un visage attractif auquel cèderont, au moins dans un premiers temps, bien des libertaires endurcis.

    Le Front Populaire : une combinaison politique pour tromper les travailleurs

    A l’approche de nouvelles élections, alors que la polarisation de classes est à son plus haut niveau et que le danger fasciste se fait de plus en plus menaçant, un pacte d’alliance électorale – le futur Front Populaire- est signé entre les Républicains, le Parti Socialiste, le Parti Communiste, l’Esquerra catalane (parti nationaliste bourgeois) …et le POUM. Le programme du Front Populaire mentionnait pourtant explicitement le refus de la nationalisation des terres et des banques, le refus du contrôle ouvrier, l’adhésion à la Société des Nations,…bref, un programme qui, en toute logique compte tenu de ses principaux signataires, ne dépassait pas le cadre de la société bourgeoise. Les socialistes le qualifient d’ailleurs sans ambages de « démocratique bourgeois ».

    Le Front Populaire, présenté comme une alliance nécessaire avec la soi-disante bourgeoisie « progressiste » pour constituer le front le plus large contre le fascisme, va en réalité servir à freiner l’action révolutionnaire des masses et donner un sérieux coup de pouce à la victoire du fascisme. Le rôle du Front Populaire est clairement exprimé par cette déclaration du Secrétaire Général du PC de l’époque, José Diaz : « Nous voulons juste nous battre pour une révolution démocratique avec un contenu social. Il n’est pas question de dictature du prolétariat ou de socialisme mais juste d’une lutte de la démocratie contre le fascisme ».

    En réalité, la prétendue bourgeoisie « progressiste » n’existait que dans la tête des staliniens. La bourgeoisie industrielle de Catalogne avait été le plus fervent soutien à la dictature militaire de Primo de Riveira. La bourgeoisie espagnole était une bourgeoisie largement dépendante des capitaux étrangers, et entretenant des liens étroits avec l’aristocratie et les propriétaires terriens. Pour exemple, l’Eglise était simultanément le plus gros propriétaire de terres et le plus gros capitaliste du pays ! Difficile dans ces conditions d’admettre que « la bourgeoisie était dynamique et très intéressée par un changement politique. » (1). Pour tout dire, la bourgeoisie espagnole avait très bien compris que le fascisme était le seul et ultime rempart contre la montée du mouvement ouvrier. C’est pourquoi, déjà à cette époque, elle s’était rangée comme un seul homme derrière Franco…De la même manière que la montée révolutionnaire ne pouvait être véritablement vaincue que par la réaction fasciste, le fascisme ne pouvait être combattu que par la voie de la lutte révolutionnaire. Opposer un barrage légal au fascisme ne pouvait donc servir qu’à endormir les masses et à paralyser leur action ; en d’autres termes, à sauver la bourgeoisie.

    Dès la victoire du Front Populaire en février ’36, la classe ouvrière va montrer dans la pratique sa détermination à aller plus loin que le programme plus que modéré de celui-ci ; autrement dit, à éclater les cadres trop étroits du succès remporté aux urnes. Sans attendre le décret d’amnistie, les travailleurs espagnols ouvrent les portes des prisons et libèrent les milliers de prisonniers de la Commune Asturienne. Des défilés monstres et des grèves éclatent dans tout le pays, pour la réintégration immédiate des ouvriers licenciés, le paiement d’arriérés de salaires aux travailleurs emprisonnés, contre la discipline du travail, pour l’augmentation des salaires et de meilleures conditions de travail. Les cheminots exigent la nationalisation des chemins de fer. A la campagne, les occupations de terre se multiplient, les fermiers refusent de payer leurs fermages. Le gouvernement de Front Populaire, lui, multiplie les appels au calme, demande aux travailleurs de « rester raisonnables afin de ne pas faire le jeu du fascisme », et reste passif, incapable d’apporter la moindre réforme digne de ce nom dans l’intérêt des ouvriers et des paysans.

    De plus, même si deux généraux suspects de conspiration sont éloignés de la capitale (Franco est nommé aux Canaries, Goded aux Baléares), le gouvernement fait preuve d’une grande tolérance vis-à-vis des éléments fascistes présents dans l’armée et l’appareil d’état. « Quelles sont les mesures drastiques qui ont été prises contre les provocateurs fascistes et contre les criminels ? Aucune.», reconnaît après coup Jiminez Asua, député socialiste à Madrid en ‘36. Le contraire eût d’ailleurs été étonnant. S’attaquer aux officiers fascistes de l’armée signifiait s’attaquer à la machine d’état sur laquelle se reposait la classe dominante, avec laquelle les représentants du Front Populaire n’étaient nullement prêts à rompre.

    La contre-révolution déclenche la révolution

    Mais alors que le gouvernement se porte garant de la fidélité des officiers à la république, le coup d’état des Généraux se prépare dans les hautes sphères de l’armée, tandis que Hitler et Mussolini fournissent argent et armes aux fascistes espagnols. Le coup d’état militaire éclate dans la nuit du 16 au 17 juillet 1936. Le chef du gouvernement prononce alors cette phrase célèbre, nouveau témoignage de toute la détermination du Front Populaire à combattre le fascisme : « Ils se soulèvent. Très bien. Et bien moi, je vais me coucher. »

    Contre toute évidence, le gouvernement nie la gravité de la situation, et refuse de distribuer des armes à la population, qui envahit par milliers les rues des grandes villes pour les réclamer. Il est clair que les politiciens bourgeois au gouvernement craignaient mille fois plus une classe ouvrière armée qu’une Espagne fasciste.

    Dès lors, la classe ouvrière prend l’offensive et commence à organiser la lutte armée. Dans la plupart des grandes villes, le peuple assiège les casernes, érige des barricades dans les rues, occupe les points stratégiques. On raconte que dans certaines régions, la population laborieuse se lançait à l’assaut des bastions franquistes avec des armes de fortune tels que des canifs, couteaux de cuisine, fusils de chasse, pieds de chaise, dynamite trouvée sur les chantiers, poêles, fourches,…bref, avec tout ce qu’elle pouvait trouver, et parfois même à mains nues ! La situation est très bien décrite par Pierre Broué (2) : « Chaque fois que les organisations ouvrières se laissent paralyser par le souci de respecter la légalité républicaine, chaque fois que leurs dirigeants se contentent de la parole donnée par les officiers, ces derniers l’emportent…par contre, ces mêmes officiers sont mis en échec chaque fois que les travailleurs ont eu le temps de s’armer, chaque fois qu’ils se sont immédiatement attaqués à la destruction de l’armée en tant que telle, indépendamment des prises de position de ses chefs, ou de l’attitude des pouvoirs publics légitimes ». Bien souvent, les travailleurs peuvent compter sur le soutien ou dumoins la sympathie d’une frange importante des soldats. C’est le cas dans la marine de guerre où la quasi-totalité des officiers sont gagnés au soulèvement, mais où les marins, sous l’impulsion de militants ouvriers, se sont organisés clandestinement en « conseils de marins ». Ces derniers se mutinent ; certains, en pleine mer, exécutent les officiers qui résistent, s’emparent de tous les navires de guerre et portent ainsi au soulèvement des généraux un coup très sérieux. « Au soir du 20 juillet, sauf quelques exceptions, la situation est clarifiée. Ou bien les militaires ont vaincu, et les organisations ouvrières et paysannes sont interdites, leurs militants emprisonnés et abattus, la population laborieuse soumise à la plus féroce des terreurs blanches. Ou bien le soulèvement militaire a échoué, et les autorités de l’Etat républicain ont été balayées par les ouvriers qui ont mené le combat sous la direction de leurs organisations regroupées dans des « comités » qui s’attribuent, avec le consentement et l’appui des travailleurs en armes, tout le pouvoir. » (3)

    La lutte armée ne représente effectivement qu’un aspect de ce vaste mouvement d’ensemble initié par la classe ouvrière : en réalité, la contre-révolution avait déclenché la révolution. Le putsch des chefs militaires ne réussit qu’à accélérer le processus de transformation de la société déjà commencé dans les faits. L’Espagne se couvre de comités ouvriers qui entreprennent la remise en marche de la production et la direction des affaires courantes. Pour exemple, à Barcelone, les travailleurs, dès les premiers jours, prennent en main les transports en commun, le gaz, l’électricité, le téléphone, la presse, les spectacles, les hôtels, les restaurants , et la plupart des grosses entreprises industrielles. Le même processus apparaît dans les campagnes : les paysans non plus n’avaient pas l’intention d’attendre en vain que le gouvernement légifère. Entre février et juillet ’36, la prétendue « réforme agraire » initiée par le Front Populaire avait fourni de la terre à 190.000 paysans…sur 8 millions ! (moins d’un sur 40). A ce rythme, il eût fallu plus d’un siècle pour donner de la terre à tout le monde…C’est pourquoi, rapidement, les villageois se débarassent de leurs conseils municipaux et s’empressent de s’administrer eux-mêmes. Se met alors en place un profond mouvement de collectivisation de la terre, jamais vu dans l’histoire. En Aragon, les ¾ de la terre sont collectivisés.

    Grâce à cette furia et à cette combativité populaire exemplaire, non seulement l’échec de l’insurrection militaire est consommé en quelques jours, mais en outre, les masses détiennent pratiquement le pouvoir entre les mains. La situation qui se crée en Espagne n’est en effet rien d’autre qu’une situation de double-pouvoir. Lorsque les autorités se remettent de leur stupeur, elles s’aperçoivent tout simplement qu’elles n’existent plus. L’Etat, la police, l’armée, l’administration, semblent avoir perdu leur raison d’être. Le gouvernement est suspendu dans les airs et n’existe plus que par la tolérance de la direction des différents partis ouvriers. Fin juillet, les masses contrôlent 2/3 du pays. Elles exercent le pouvoir, mais celui-ci n’est pas organisé ni centralisé. Les « comités » (ou « conseils », « juntes », ou « soviets », qu’importe le nom), organes d’auto-administration de toutes les couches de la population laborieuse, et élus par celle-ci, auraient dû être élargis à chaque entreprise, chaque lieu de travail, chaque district, en y incluant la population paysanne ainsi que les milices ouvrières. Ces comités auraient dû être reliés via des délégués dans le but de former des comités locaux, régionaux, et national. Cela aurait constitué les bases d’un nouveau régime, jetant définitivement par-dessus bord le vieux gouvernement impuissant et passif : la dictature du prolétariat, Etat de type nouveau reposant sur la représentation directe des travailleurs et rompant une fois pour toute avec la « légalité bourgeoise ». Les masses voulaient abattre le capitalisme, tentaient d’imposer une politique révolutionnaire à leurs dirigeants qui étaient trop aveugles, trop malhonnêtes, trop peureux ou trop sceptiques que pour appréhender la situation correctement. Ceux-ci seront les principaux obstacles sur la voie d’une prise de pouvoir effective : la révolution va s’arrêter à mi-chemin.

    Le mouvement ouvrier : analyses

    Anarchistes et anarco-syndicalistes refusent d’engager une lutte pour un pouvoir dont ils ne sauraient que faire vu qu’il serait contraire à leur principe. Ils affirmeront par la suite qu’ils auraient pu prendre le pouvoir mais qu’ils ne l’ont pas fait, non parce qu’ils ne le pouvaient pas mais parce qu’ils ne le voulaient pas. Cela n’empêchera pourtant pas les anarchistes d’accepter finalement des portefeuilles dans les 2 gouvernements : celui de la Généralité de Catalogne d’abord, celui de Madrid ensuite ! Autrement dit, de collaborer à un gouvernement bourgeois et qui plus est, à un moment où sa base dans le rapport de force a disparu…On cerne ici toute la faillite de la théorie anarchiste, prise au piège de ses propres contradictions : n’ayant pas d’alternative et de stratégie pour contrer la politique de la classe dominante, les anarchistes font la politique A LA PLACE de la classe dominante. En renonçant à exercer la dictature du prolétariat, ils acceptent dans les faits à exercer la dictature…de la bourgeoisie. Comme le disait Trotsky, renoncer à la conquête du pouvoir, c’est le laisser dans les mains de ceux qui le détiennent, c’est-à-dire aux exploiteurs.

    Le POUM était quant à lui l’organisation la plus honnête et la plus à gauche en Espagne. Mais bien qu’ils se dénommaient marxistes, les dirigeants du POUM resteront à la traîne des anarchistes pendant tout le conflit, et les suivront jusqu’à entrer dans le gouvernement de Catalogne avec eux. Au moment où l’heure a sonné de préparer la prise du pouvoir par les masses, Andrès Nin affirme que la dictature du prolétariat existe déjà en Espagne. Ensuite, alors que les dirigeants bourgeois profitent de la passivité des organisations ouvrières pour restaurer l’appareil d’Etat bourgeois, celui-ci devient ministre de la Justice en Catalogne. En couvrant ainsi l’aile gauche du Front Populaire, le POUM préparera la voie à sa propre destruction. Pourtant, le POUM avait d’énormes possibilités. Il était passé d’un parti de 1000-1500 membres à plus de 30.000 membres en 6 semaines. Selon certaines sources, il aurait atteint jusqu’à 60.000 membres. Proportionnellement, il était donc numériquement plus fort que le Parti Bolchévik au début de la révolution russe. Malheureusement, oscillant entre le réformisme et la révolution, le POUM commettra toute une série d’erreurs qui lui seront fatales : au lieu de faire un travail dans la CNT, syndicat le plus puissant d’Espagne, les poumistes créeront leurs propres syndicats, laissant ainsi les travailleurs de la CNT dans les mains d’une direction aveugle et minée par la bureaucratie. Au lieu de faire un travail dans l’armée, ils créeront leurs propres milices. Cherchant ainsi des raccourcis dans la lutte des classes, ils isoleront l’avant-garde de la classe et laisseront les masses sans direction.

    Quant aux staliniens, il n’est sans doute pas exagéré de dire qu’ils constitueront l’avant-garde de la contre-révolution espagnole. Pendant tout le conflit, les staliniens nageront complètement à contre-courant de la dynamique révolutionnaire, allant jusqu’à nier le fait qu’une révolution prenait place en Espagne. Il est clair que le but poursuivi à l’époque par Staline dans ce pays n’était pas la victoire de la révolution, mais seulement l’assurance de se constituer de bons alliés contre l’Allemagne nazie pour la 2ème guerre mondiale qui s’annonçait. Staline ne voulait à aucun prix du triomphe d’une révolution sociale en Espagne, parce qu’elle eût exproprié les capitaux investis par l’Angleterre, alliée présumée de l’URSS dans la « ronde des démocraties » contre Hitler. D’ailleurs, les staliniens ne le cachent pas. Dans un livre écrit par Santiago Carillo, président du PCE dans les années ’70, on peut lire : « Il est clair qu’à l’époque, la bourgeoisie européenne n’aurait pas toléré qu’un petit pays comme l’Espagne puisse victorieusement porter une révolution socialiste. A cette époque, nous ne parlions pas de révolution socialiste et nous critiquions même ceux qui le faisaient, car nous voulions neutraliser les forces bourgeoises des démocraties européennes. » Ce qu’on ne précise pas dans ce passage -très instructif, au demeurant-, c’est que les staliniens ne se contentaient pas de « critiquer » ceux qui parlaient d’une révolution socialiste, mais les arrêtaient, les emprisonnaient, les torturaient dans des prisons spéciales du GPU, les assassinaient…En outre, on a beaucoup de mal à croire que les classes dominantes anglaise et française étaient assez dupes pour ne pas se rendre compte qu’une révolution était en train de menacer leurs intérêts capitalistes en Espagne, et cela du simple fait que les staliniens refusaient d’en parler !

    Pour les staliniens, la lutte n’était pas entre révolution et contre-révolution mais entre démocratie et fascisme, ce qui rendait nécessaire le maintien du Front Populaire et de l’alliance avec les républicains bourgeois, le respect des institutions légales, de la démocratie parlementaire et du gouvernement. Le journal « L’Humanité » (journal du PCF) du 3 août 1936 affirmait : « Le peuple espagnol ne se bat pour l’établissement de la dictature du prolétariat mais pour un seul but : la défense de la loi et de l’ordre républicain dans le respect de la propriété. » Un argument souvent utilisé par les staliniens pour justifier la politique du Front Populaire est que celui-ci visait à « avancer un programme plus modéré capable d’attirer la petite-bourgeoisie vers le mouvement ouvrier ». S’il entendait cela, Lénine se retournerait dans sa tombe ! L’histoire du bolchévisme est l’histoire d’une guerre sans relâche contre de telles notions. Le moyen de gagner les couches moyennes à la cause du mouvement ouvrier n’est pas de lier les mains de ce dernier aux politiciens bourgeois, mais bien au contraire de faire tout pour les démasquer , de faire tout pour montrer l’incapacité de la bourgeoisie et de son système politique à résoudre la crise, de faire tout pour démontrer dans l’action que la seule issue se trouve du côté des travailleurs. En Russie en 1917, c’est cette politique de classe intransigeante qui a permis de gagner la confiance de la paysannerie et a ainsi assuré le succès de la révolution. La petite-bourgeoisie, de par sa position intermédiaire dans la société, a tendance, dans la lutte des classes, à se ranger du côté du « cheval gagnant », c’est-à-dire du côté de la classe qui se montrera la plus résolue et la plus à même de gagner la bataille. En Espagne en 1936, la politique de Front Populaire a seulement réussi à pousser la paysannerie et la petite-bourgeoisie des villes dans l’indifférence, voire dans les bras de la réaction fasciste.

    La réaction « démocratique »

    Dans ces conditions, les premiers succès des milices restent sans lendemain. Une machine de guerre moderne entre en action, la situation se renverse : les fascistes reprennent du terrain et procèdent à des massacres féroces. En septembre ’36, tous les comités sont dissous et remplacés par des conseils municipaux à l’image du gouvernement. Le corps des magistrats est remis en fonction, les milices placées sous le contrôle du Ministère de l’Intérieur. Les conseils de soldats qui avaient vu le jour pendant la révolution sont supprimés, les grades, les galons et l’ancien code de Justice Militaire sont remis en vigueur.

    Le gouvernement, selon sa propre expression, « légalise les conquêtes révolutionnaires », ce qui constitue en réalité un moyen d’empêcher leur extension. Le coup d’arrêt porté à la révolution coïncide avec l’arrivée de l’aide matérielle russe (chars, tanks, avions…et police politique), qui s’était jusqu’ici engagée dans un pacte de « non-intervention », et l’entrée en scène, à l’initiative et sous le contrôle des différents partis communistes du monde, des « Brigades Internationales », formées de volontaires de tous pays venus combattre le fascisme.

    La contre-révolution stalinienne, la défaite et son prix

    La « réaction démocratique » fait ensuite place à la contre-révolution stalinienne dans toute sa cruauté, mettant la touche finale à l’étranglement de la révolution. L’Espagne devient un laboratoire pour la prochaine guerre mondiale où Staline va pouvoir démontrer aux puissances occidentales qu’il est un allié solide capable d’arrêter une révolution. Le mot d’ordre principal du PC est qu’il faut « d’abord gagner la guerre », et remettre à plus tard les questions sociales. Ce qu’il faisait mine de ne pas comprendre est qu’on ne pouvait gagner la guerre sans gagner la révolution. Il n’y avait évidemment pas de solution intermédiaire, à partir du moment où l’on admet la structure de classe de la société.

    Les staliniens vont exceller dans un travail consistant concrètement à aider le fascisme à triompher. En novembre ’36, le consul général d’URSS à Barcelone dénonce le journal du POUM « vendu au fascisme international ». La presse stalinienne se déchaîne contre les révolutionnaires, le POUM est dissout et tous ses dirigeants sont arrêtés. Andrès Nin et de nombreux militants trotskistes sont exécutés par la police politique ;on les accuse d’être « des fascistes déguisés qui emploient un langage révolutionnaire pour semer la confusion » (4).

    Le décret de collectivisation en Catalogne est suspendu, les propriétaires récupèrent les terres et les usines. Fin ’37, les premiers conseillers russes seront rappelés : la plupart seront à leur tour exécutés en URSS. Les envois d’armes diminuent rapidement. L’Espagne devient le théâtre d’une guerre classique où un camp se trouve en situation d’infériorité militaire et technique. Le calvaire durera jusqu’en ’39 ; il se terminera par de nombreux supplices et exécutions et par la victoire définitive de Franco.

    Conclusion

    Il s’est présenté en Espagne une situation révolutionnaire exceptionnellement favorable. Malheureusement, il n’y avait pas un parti révolutionnaire avec une direction capable de faire une analyse correcte de la situation, d’en tirer les conclusions nécessaires et de mener fermement les travailleurs à la prise du pouvoir. Trotsky disait que pour la solution victorieuse des tâches révolutionnaires qui se posaient à l’Espagne, il fallait trois conditions : un parti, encore un parti…et toujours un parti. Cette même conclusion peut être tirée de nombreux mouvements révolutionnaires qui jalonnent l’histoire du capitalisme. C’est pourquoi nous pensons que les leçons à tirer de cette expérience sont d’une importance cruciale et conservent toute leur actualité.


    (1) extrait d’une interview de Santiago Carillo, président du PCE dans les années ’70

    (2) voir Pierre Broué, « La Révolution et la Guerre d’Espagne » (p.87-88)

    (3) voir Pierre Broué, « La Révolution Espagnole 1931-1939 » (p.70)

    (4) José Diaz, discours du 9 mai 1937, « Tres Anos de Lucha » (pp.350-366)

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