Tag: Nida Tounes

  • Tunisie: A bas Ennahda, à bas la ‘Troika’ !

    L’UGTT et le Front Populaire doivent offrir une stratégie pour en finir avec le capitalisme – Non à des accords avec des forces liées à l’ancien régime!

    Vers un gouvernement révolutionnaire et socialiste des travailleurs, de la jeunesse, des chômeurs et des masses pauvres!

    Par Serge Jordan (CIO)

    Deux ans et demi après la chute de Ben Ali, la situation pour les masses tunisiennes n’a fait qu’aller de mal en pis, et la colère gronde comme jamais aux quatre coins du pays. Le fameux slogan de la révolution « pain, liberté, dignité nationale » n’a sans doute jamais autant été en contraste avec la réalité vécue sur le terrain par des millions de Tunisiens et de Tunisiennes, faite d’une explosion insupportable des prix, de l’absence d’emplois et de perspectives pour les jeunes, d’une augmentation de l’insécurité et de la violence terroriste, d’une paupérisation accélérée des classes moyennes, d’une « colonisation » rampante des rouages de l’appareil de l’Etat par le parti islamiste, d’attaques redoublées sur les maigres acquis démocratiques….

    Dans ce contexte, l’assassinat politique du dirigeant d’opposition de gauche Mohamed Brahmi ne pouvait être qu’un nouveau catalyseur de la furie des travailleurs, des jeunes et des masses révolutionnaires, dont la volonté de se débarrasser du régime de la ‘Troïka’ (la coalition au pouvoir dirigée par Ennahda) a atteint un point de non-retour. Depuis cet assassinat, le pays traverse une crise politique sans précédent, et, malgré la chaleur intense et le jeûne du Ramadan, vit au rythme des manifestations quotidiennes, des sit-in et des grèves, et d’un climat proche de l’insurrection dans certaines régions pauvres et militantes de l’intérieur du pays en particulier.

    Le pouvoir Nahdaoui au pilori

    La survie du régime islamiste en Tunisie est clairement posée. Les masses demandent partout la chute de ce dernier, et la centrale syndicale UGTT a émis un ultimatum d’une semaine au gouvernement pour se rendre avant d’envisager d’autres actions. Dans la capitale Tunis, tous les jours, des dizaines de milliers de manifestants se réunissent devant le Parlement au Bardo pour exiger la fin du gouvernement, un sit-in ouvert joint aussi par des ‘caravanes’ provenant de l’intérieur du pays.

    Même dans les coins les plus reculés de la Tunisie, des manifestations massives, y compris en pleine nuit, expriment clairement le rejet viscéral du pouvoir en place, tandis que le rassemblement pro-Ennahda de samedi dernier, point culminant de la contre-offensive du parti au pouvoir, faisait toujours pâle figure face au « million » de personnes annoncées au préalable par la direction de ce parti, et ce malgré tous les efforts logistiques déployés. Surtout lorsque l’on sait que beaucoup de ces manifestants étaient payés pour manifester leur attachement à la ‘légitimité’ !

    Le gouvernement est isolé comme jamais, sa cote de popularité est en chute libre dans les sondages, et son emprise sur la situation, en particulier dans les régions intérieures du pays, est proche de zéro. Dans certaines localités, des structures de pouvoir parallèles ont émergé de la lutte, montrant ce qu’il est possible de faire pour se débarrasser dans les faits de ce pouvoir honni. Le silence quasi complet dans les médias dominants sur ces développements indique l’état de panique qui traverse les classes dirigeantes quant au risque d’ « émulation » de ces expériences ailleurs.

    Dans la ville de Sidi Bouzid par exemple, berceau de la révolution tunisienne, les habitants refusent désormais tout lien avec les autorités officielles nahdaouies, et ont érigé un comité de Salut qui a pris en mains les affaires de la ville. La permanence locale du parti Ennahda a été fermée, et les manifestants se rassemblent quotidiennement devant les bâtiments du gouvernorat pour empêcher le retour de l’ancien gouverneur. Les forces vives de ce mouvement sont constituées de militants du ‘Front Populaire’ (coalition de divers partis de gauche et nationalistes) et de syndicalistes de l’UGTT. Des conseils similaires ont été créés dans trois localités dépendant du gouvernorat de Sidi Bouzid: Regueb, Mekessi et Menzel Bouzaine. Mais Sidi Bouzid n’est pas la seule région du pays à ne plus reconnaître le pouvoir central. Au Kef, à Gafsa, à Sousse, à Kairouan, et en bien d’autres endroits, des comités locaux sous diverses formes ont été mis sur pied en vue de gérer les affaires locales.

    Pour agrandir leur soutien de masse et assurer leur caractère authentiquement révolutionnaire, ces comités devraient être élus démocratiquement par la base, avec des délégués soumis à révocabilité. Par ailleurs, il est essentiel que ces expériences ne restent pas isolées à l’échelon local, car une telle situation donnerait plus de latitude à l’appareil d’Etat pour les étouffer dans l’œuf. Il est essentiel que tous les efforts soient au contraire entrepris en vue de les élargir à l’ensemble du territoire et, en les liant entre eux au travers de comités démocratiquement élus à chaque niveau, de poser les bases en vue de l’établissement d’un gouvernement des travailleurs, des jeunes et des masses pauvres. Un simple appel dans ce sens de la part de l’UGTT serait suffisant pour transformer la situation dans le pays en l’espace de quelques heures, de balayer le régime actuel dans les poubelles de l’histoire, et de donner un nouveau souffle à la révolution.

    Crise au sommet

    Le pouvoir tremble sur ses bases et est maintenant entré dans une phase avancée de désintégration. Les prétentions pathétiques des dirigeants d’Ennahda à parler encore au nom de la révolution ne vont tromper personne. Depuis que ce parti est arrivé au pouvoir, plus de 40.000 grèves, plus de 120.000 sit-ins, et environ 200.000 manifestations ont eu lieu à travers le pays. De quelle révolution parlent-ils donc?

    Tout indique que le gouvernement actuel ne survivra pas la présente crise. Déjà le ministre de l’Éducation, Salem Labyedh, a remis sa démission, et d’autres ministres ont menacé de faire de même. Ettakatol et le CPR, partis fantoches qui jouent depuis le début le rôle de cinquième roue du carrosse nahdaoui, continuent leur descente aux enfers, tandis que le porte-parole d’Ettakatol a annoncé que le parti se retirerait de la coalition gouvernementale à moins que le cabinet ne soit dissous et remplacé par un cabinet d’union nationale. La chute du gouvernement de la ‘Troïka’ n’est sans doute plus maintenant qu’une question de temps.

    Le grand révolutionnaire russe Lénine définissait comme « crise révolutionnaire » une situation marquée par l’impossibilité pour les classes dominantes de maintenir leur domination sous une forme inchangée, par l’aggravation plus qu’à l’ordinaire de la détresse et de la misère des classes opprimées, et par une accentuation considérable de l’activité des masses. Sans aucun doute, ces ingrédients évoquent la situation en Tunisie aujourd’hui, et le scénario exprimé par tant d’activistes d’une « nouvelle révolution » n’est pas loin.

    Cependant, Lénine rajoutait que la révolution ne surgit pas de toute situation révolutionnaire, mais seulement dans le cas où, à tous les changements objectifs énumérés ci-dessus, vient s’ajouter un changement subjectif, à savoir : « la capacité, en ce qui concerne la classe révolutionnaire, de mener des actions révolutionnaires de masse assez vigoureuses pour briser complètement l’ancien gouvernement, qui ne ‘tombera’ jamais, même à l’époque des crises, si on ne le ‘fait choir’. »

    D’où l’importance pour les révolutionnaires de s’armer d’un programme d’action audacieux et répondant aux nécessités du moment. Un parti de masse véritablement marxiste pourrait, dans une telle situation, faire une différence énorme et décisive. Les forces pour construire un tel parti ne manquent pas, parmi les dizaines de milliers de travailleurs et de jeunes tunisiens qui s’identifient aux idées socialistes et communistes, et dont beaucoup sont dans et autour de la coalition du Front populaire. Un programme pour un tel parti aurait besoin de s’enrichir des expériences passées, et en dégage les leçons nécessaires à chaque étape. Et une de ces leçons essentielles en Tunisie aujourd’hui est la nécessaire indépendance politique des forces révolutionnaires, des travailleurs et de leur syndicat l’UGTT, par rapport aux velléités et tentatives de sabordage de la révolution orchestrées par les classes ennemies.

    En effet, les forces néolibérales, celles liées à l’ancien régime ainsi que les puissances impérialistes, traversées par une vague de frayeur quant à la possibilité d’une nouvelle conflagration révolutionnaire, cherchent par tous les moyens à bloquer la dynamique en cours et à reconstruire un pouvoir politique capable de faire barrage aux revendications des masses, de préserver les intérêts de l’élite capitaliste et la continuité de son appareil d’Etat, mis à mal par les développements récents.

    Les déclarations de Néjib Chebbi, dirigeant du parti d’opposition libéral ‘Al Joumhouri’, qui évoque le risque d’un mois de septembre socialement « très chaud » et réfère aux conséquences de la crise sociale en termes quasi apocalyptiques, en disent long sur l’état d’esprit qui doit régner dans les villas et les salons de la bourgeoisie tunisienne. « Ce sera Siliana 1, 2, 3 .. à Sidi Bouzid, Gafsa, Kasserine, le Kef sans oublier les grandes villes du littoral, avec leurs cortèges de comités autonomes », dit-il.

    Ces gens savent maintenant que le régime de la Troïka est sur ses genoux, et tentent d’exploiter le mouvement en cours pour avancer leurs pions sur l’échiquier politique et, en jouant d’une certaine fibre populistes dans leurs discours, essaient par tous les moyens de canaliser la colère populaire dans un sens favorable aux classes dirigeantes. Face à ces pressions, Ennahda tente de sauver la face, et se dit prêt à ouvrir le gouvernement à d’autres partis, tout en refusant de céder le poste de chef du gouvernement.

    Cependant, la crise actuelle ne peut se résumer à une question de postes ministériels, à l’incompétence ou à la mauvaise foi de l’un ou de l’autre politicien. La crise actuelle trouve sa source dans l’incapacité de ceux au pouvoir d’offrir autre chose qu’une voie de garage aux revendications révolutionnaires des masses tunisiennes. Et ce pour une raison bien simple : ce pouvoir défend les intérêts de la classe capitaliste, des multinationales et des fonds d’investissements, des hommes d’affaires et des spéculateurs, tous ceux dont le seul but est de continuer par tous les moyens à exploiter le peuple tunisien pour satisfaire leur soif de profits.

    Dans cette optique, toutes les forces politiques qui défendent ce même système capitaliste, un système qui nage dans une crise économique profonde à l’échelle internationale, se retrouveront rapidement confrontées aux mêmes problèmes. C’est pour cela que pour accomplir les objectifs originaux de la révolution, derrière Ennahda c’est tout ce système qui doit dégager !

    Le Front Populaire face à ses responsabilités

    La coalition de gauche du Front Populaire rassemble de nombreux militants révolutionnaires, syndicalistes et de jeunes qui aspirent à poursuivre la révolution jusqu’au bout, jusqu’à un pouvoir au service des travailleurs et des masses populaires, un pouvoir qui en finisse avec le système d’exploitation capitaliste, et son lot de misère, de chômage et de répression.

    Cependant, la direction du Front Populaire lorgne de plus en plus ostensiblement vers des compromissions avec des forces hostiles au camp des travailleurs, des pauvres et de tous ceux et toutes celles qui ont fait la révolution. Les dirigeants du Front Populaire et de ‘l’Union pour la Tunisie’ ont ainsi tenu samedi une réunion de coordination qui scelle le rapprochement entre la direction du Front et un ensemble de partis dont plusieurs abritent des forces liées directement à l’ancien régime et à la bourgeoise destourienne.

    Le Front fait écho à ‘l’Union pour la Tunisie’ dans son appel à la constitution d’un gouvernement de « salut national ». Bien que nous comprenons que dans un contexte marqué par un vomissement du parti islamiste en place, un gouvernement dans lequel ce parti n’occupe plus le siège de conducteur pourrait être accueilli favorablement par une partie de la population, il est du devoir pour tous les révolutionnaires d’appeler un chat un chat. Il n’y a pas de « salut » possible avec des gens qui défendent le camp des patrons licencieurs, des semeurs de misère du FMI, et qui n’hésiteront pas demain à brandir la matraque face aux grèves et aux revendications des travailleurs, de la jeunesse au chômage et des masses pauvres au sens large. Les habitants de Sidi Bouzid l’avaient pourtant compris, eux qui l’an dernier criaient « ni Jebali, ni Sebsi, notre révolution est une révolution des pauvres ».

    Le seul objectif de partis comme ‘Nida Tounes’ est d’en finir avec la lutte des masses populaires, des jeunes et de classe ouvrière, au profit de certains clans de l’élite dirigeante et de grandes puissances qui sentent le vent tourner. Nida Tounes, c’est le parti de la restauration, et de la dictature sous une autre forme. Le règne de Sebsi sous son bref mandat provisoire a clairement démontré en quoi sa politique consiste : accords de Deauville avec les puissances du G8 pour poursuivre l’endettement de la Tunisie, ‘autorité de l’Etat’ érigé en dogme justifiant la répression systématique des mouvements sociaux, la torture et le meurtre de manifestants…

    Le CIO pense que la force du mouvement syndical tunisien et le poids du Front Populaire, au lieu de servir de ‘flanc gauche’ à des forces contre-révolutionnaires, devraient au contraire être mis au service de la lutte indépendante des masses laborieuses, en vue de constituer un pouvoir à elles, appuyé et contrôlé démocratiquement par des comités d’action à l’échelle de tout le pays. Si les dirigeants du Front refusent de respecter les aspirations de leur base, laquelle rejette en grande majorité des accords politiques avec des forces telles que ‘L’Union pour la Tunisie’, alors il revient aux militants et militantes de base de prendre les choses en main partout où c’est possible, afin de changer le cours des choses avant qu’il ne soit trop tard.

    Mettre sur pied une plate-forme organisée d’opposition de gauche regroupant tous les militants du Front populaire qui sont en désaccord avec la trajectoire politique actuelle menée par la direction pourrait être une étape vers la reconstruction d’une force de gauche de masse sur la base des aspirations initiales des membres et sympathisants du Front Populaire.

    L’UGTT

    De même, l’abandon par l’UGTT de la demande pour en finir avec l’Assemblée Nationale Constituante (ANC) a été largement perçue comme une trahison par nombre de militant(e)s. Cet abandon s’inscrit dans une logique de concessions vers un pouvoir pourtant rejeté dans la rue, alors que cette ANC n’a plus aucune légitimité, ni formelle, ni réelle. Aux yeux des masses, elle n’évoque qu’amertume et colère, une Assemblée remplie de politiciens opportunistes en tout genre, dont le train de vie est à mille lieux des préoccupations et des souffrances des travailleurs, des pauvres et de leurs familles. Cette ANC a failli, elle doit dégager. La seule Assemblée Constituante légitime serait une Assemblée composée de représentants sincères des couches qui ont fait la révolution, de syndicalistes, de chômeurs, de militants et de gens ordinaires qui partage le même quotidien que la majorité de la population.

    Au lieu de chercher à composer avec l’ANC actuelle, l’UGTT pourrait lancer une vaste campagne visant à encourager, dans toutes les localités du pays, la convocation d’assemblées générales sur les lieux de travail et dans les quartiers, visant à élire démocratiquement des représentants directement issus des masses et de leurs luttes, qui auraient la confiance et le contrôle de ceux et celles qui les ont élus, et seraient responsables et révocables à tout instant pour le travail qu’ils font. En partant directement de la base, de telles élections pourraient ainsi permettre l’érection d’une véritable Assemblée Constituante révolutionnaire, caisse de résonance la plus représentative possible du mouvement réel et des aspirations de la masse en lutte.

    Il n’y a pas de compromis possible ! L’UGTT et le Front Populaire peuvent et doivent en finir avec le régime pourri actuel et prendre le pouvoir dans leurs mains

    La direction du Front Populaire et celle de l’UGTT, au lieu de se tourner vers des forces de droite dont les intérêts divergent à 180 degrés avec ceux de la révolution, feraient bien mieux plutôt de proposer un plan d’action révolutionnaire clair aux masses tunisiennes afin de balayer non seulement le pouvoir actuel, mais aussi tout l’échafaudage économique sur lequel ce dernier repose. Chercher le grand écart avec des forces hostiles au peuple et à sa révolution ne peuvent mener qu’au manque de clarté, à la confusion et en définitive, à la défaite, dont la gauche risque de payer un prix très lourd.

    Bien sur, nous ne pouvons qu’appuyer l’appel à poursuivre les moyens de pression et la « désobéissance civile », mais ces mots d’ordre ont le défaut de rester assez flous. Le seul langage que ce gouvernement peut comprendre est le même langage que celui qui a fait tomber Ben Ali : celui du rapport de force dans la rue et dans les entreprises, celui du déploiement massif et coordonnée de la force de frappe de la classe ouvrière et de son puissant syndicat, l’UGTT.

    A temps exceptionnel, mesures exceptionnelles ! L’enjeu de la situation exige plus qu’une grève générale de 24H, surtout si celle-ci reste sans lendemain et sans objectifs précis. D’ores et déjà, plusieurs secteurs ont annoncé des actions de grève dans les jours et les semaines qui viennent. D’autant plus que la situation économique et sociale ne fait que se détériorer chaque jour un peu plus : les usines ferment, les patrons licencient, le chômage s’étend, et les mesures d’austérité imposées par le FMI frappent à la porte. Ce contexte sert de toile de fond aux bouleversements actuels.

    C’est avec toute cette situation qu’il faut en finir ! La dynamique du mouvement actuel doit être utilisée pour entamer une vaste campagne visant à restituer le pouvoir économique et les richesses à ceux qui travaillent et produisent. Dans ce sens, les exemples tendant vers l’occupation des bâtiments publics et vers l’auto-administration des affaires par la population elle-même doivent être encouragés à l’échelle des entreprises, des usines et des lieux de travail également.

    Pour en finir avec la dictature des bas salaires, des mauvaises conditions de travail et des licenciements, exigeons la nationalisation immédiate des entreprises qui ne garantissent pas l’emploi, et des centaines d’entreprises qui ont été privatisées dans les dernières décennies au profit d’une poignée de riches actionnaires ! Pour en finir avec la corruption des hauts cadres, avec l’augmentation continue des prix et l’évasion fiscale, exigeons l’ouverture immédiate des livres de comptes des grandes entreprises à des représentants élus du personnel ! Pour en finir avec le sous-développement des régions et le manque cruel d’emplois dignes de ce nom, luttons pour un plan massif d’investissement public, géré démocratiquement par la population !

    Pour réaliser tout ca, rien ne sera donné, tout devra être arraché par la lutte et la construction d’un rapport de force à la hauteur des enjeux. C’est dans ce sens que les sympathisants du CIO en Tunisie défendent la perspective d’une grève générale ouverte, en encourageant les travailleurs à occuper leurs lieux de travail. Un tel mouvement permettrait non seulement d’apporter le coup de grâce au gouvernement de la Troïka, mais aussi de remettre toutes les questions sociales et économiques au centre du jeu. Il permettrait de couper l’herbe sous le pied des partis pro-capitalistes de l’opposition qui surfent sur le mouvement actuel, et de préparer le terrain en vue d’une véritable révolution, sociale celle-là, donnant le pouvoir aux travailleurs, à la jeunesse révolutionnaire, aux chômeurs et aux pauvres, en vue de réorganiser la société selon leurs propres besoins sociaux.

    Au contraire, l’absence de mots d’ordre clair à l’échelle nationale sur comment prolonger et organiser les actions dans les jours prochains risquent de laisser place à la lassitude, la frustration et la démobilisation, et en définitive, pourrait laisser un terrain plus favorable à la contre révolution pour s’engager dans toutes sortes de manœuvres de coulisses pour restituer l’ordre selon le bon vouloir des classes dirigeantes et des grandes puissances impérialistes. <p< Pour éviter un tel scenario, structurer démocratiquement le mouvement par la base est d’une importance cruciale. Les sympathisants du CIO en Tunisie appellent à la constitution de comités révolutionnaire à l’échelle des entreprises, des lieux de travail et d’étude, des quartiers populaires, en vue d’organiser collectivement et démocratiquement le mouvement selon la volonté des masses mobilisées. De tels comités sont essentiels pour assurer le contrôle du mouvement par la base, et, par leur structuration locale, régionale et nationale, pourraient ainsi servir de levier vers l’institution d’un gouvernement révolutionnaire au service des travailleurs, des jeunes et des opprimés, appuyée par la force de l’UGTT, par les milliers de militants du Front Populaire, de l’UDC (Union des Diplômés Chômeurs) et des divers mouvements sociaux.

    Terrorisme

    Parallèlement au mouvement actuel, une montée fulgurante des actes de violence terroriste a pris place dans les deux dernières semaines sur plusieurs parties du territoire tunisien. Le gouvernement a multiplié les opérations policières et militaires « anti-terroristes » contre certains groupes ou individus jihadistes armés, tandis que 8 soldats tunisiens ont été sauvagement tués le 29 juillet au mont Chaambi, près de la frontière algérienne.

    Bien que les responsabilités derrière ces attaques ne soient pas clairement établies à ce stade, force est de constater que le gouvernement cherche à les instrumentaliser à son avantage, en tentant de recréer un sentiment d’unité derrière lui. C’est ainsi que Lotfi Ben Jeddou, ministre de l’Intérieur, s’est empressé de déclarer que « lorsqu’un pays est frappé par le terrorisme, tous ses citoyens serrent les rangs ».

    Pourtant, il est significatif que dans un récent sondage, 74% des Tunisiens font endosser à Ennahda la responsabilité de la montée du terrorisme dans le pays. La montée de l’extrémisme religieux a été favorisée tout au long du règne de la Troïka par le parti au pouvoir et ses milices, certains représentants nahdaouis appelant même ouvertement au meurtre d’opposants. C’était Bhi Atik, chef du Bloc Ennahda à l’Assemblée constituante, qui avait promis récemment que « Toute personne qui piétine la légitimité en Tunisie sera piétinée par cette légitimité et (…) la rue tunisienne sera autorisée à en faire ce qu’elle veut y compris de faire couler son sang » Pas étonnant dans ces conditions qu’une majorité de Tunisiens refusent de donner au gouvernement carte blanche sur ce sujet, pas plus que sur tous les autres sujets d’ailleurs.

    Face à la montée généralisée de la violence, la multiplication des assassinats politiques, des actions de milices réactionnaires, du terrorisme sanglant, il est essentiel que la population s’organise. L’autodéfense des quartiers, du mouvement révolutionnaire, des bâtiments publics, des syndicats, s’impose plus que jamais.

    La répression des mouvements pacifiques par les forces de l’Etat, telles que les tentatives de répression du mouvement populaire à Sidi Bouzid, montre aussi que la violence, bien que loin d’être au même niveau de barbarie, n’est pas l’exclusive de groupes terroristes pour autant. Pour éviter que les armes utilisées dans la lutte anti-terroriste aujourd’hui ne soient utilisées contre les révolutionnaires demain, il est essentiel de forger des liens entre le mouvement révolutionnaire et les forces armées sur lesquelles le pouvoir s’appuie aujourd’hui pour l’exercice de la violence, dont beaucoup sont issues du peuple. De plus, les soldats envoyées dans des opérations difficiles telles que celle au Mont Chambi gagnent bien souvent une misère, et n’ont pas de droits syndicaux.

    C’est pourquoi les sympathisants du CIO en Tunisie appellent à la constitution de comités de défense ouvriers et populaires partout où c’est possible. Et cela y compris au sein des forces armées, afin de faire valoir les intérêts des soldats du rang et leur droit à une rémunération et des conditions de travail décentes, à la hauteur des sacrifices exigés. Des appels à la constitution de comités de soldats démocratiquement élus dans l’armée, des appels à la désobéissance des forces de l’Etat et la défense de leur droit à refuser d’être utilisés pour réprimer la lutte des travailleurs et des jeunes, pourraient servir de base pour opérer la jonction entre les masses révolutionnaires en lutte d’une part, et, d’autre part, ces couches qui servent aujourd’hui de chair à canon pour les calculs abjects de la clique au pouvoir.

     

    • Troïka dégage! Pour une grève générale ouverte, jusqu’à la chute du régime
    • Non à des accords gouvernementaux avec des forces politiques qui défendent la continuation du capitalisme. L’ « Union pour la Tunisie » défend les hommes d’affaire, pas la révolution ni les travailleurs !
    • Pour un gouvernement des travailleurs, de la jeunesse et des masses pauvres, appuyé par les organisations de gauche, syndicales et populaires (UGTT, Front Populaire, UDC…)
    • Pour la répudiation de la dette – pour le rejet des accords avec le FMI – pour la nationalisation sous contrôle démocratique des travailleurs et de la collectivité, des banques et des secteurs vitaux de l’économie
    • Pour la lutte internationale des jeunes et des travailleurs contre le capitalisme et l’impérialisme – pour une société socialiste mondiale, où l’économie est planifiée démocratiquement selon les intérêts de la majorité.
  • Tunisie: Non à Larayedh, ministre de la chevrotine! A bas Ennahdha! Pour la chute du système!

    La colère du peuple tunisien est profonde. Alors que l’élite politique a échoué à ne fut-ce que commencer à résoudre les problèmes quotidiens du plus grand nombre, et cela après plus de 14 mois au pouvoir, l’assassinat de Chokri Belaïd le 6 février a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, exaspérant l’ensemble du pays et poussant de ce fait le gouvernement haï d’Ennahdha dans ses retranchements.

    Par des partisans du CIO en Tunisie

    Le pays traverse désormais sa plus grave crise politique depuis la chute de Ben Ali. Les manœuvres par le Premier ministre Hamadi Jebali de former un gouvernement de soi-disant «technocrates» étaient destinées, comme Jebali l’a d’ailleurs dit lui-même explicitement, à «estomper la colère populaire», et à redonner de la marge de manœuvre au parti dominant, en perte de vitesse. Cependant, mardi, Jebali a annoncé l’échec de ces tentatives et sa démission, face à l’opposition de son propre parti à lâcher les postes ministériels-clé qu’il contrôle.

    Maintenant, la nouvelle mascarade d’Ennahdha est de resservir, encore, du neuf avec du vieux, en nommant son ministre de l’Intérieur, Ali Larayedh, comme nouveau chef de gouvernement. Il ne s’agit rien de moins que d’une pure provocation. Ali Larayedh a chapeauté le "ministère de la terreur" depuis plus d’un an, responsable d’abus et de violences systématiques par les forces de l’ordre, cette même flicaille aux ordres qui, rodées aux méthodes apprises sous Ben Ali, n’a répondu aux griefs et aux attentes de la population qu’a coups de matraques, de tortures, de gaz lacrymogènes et même de chevrotine, comme cela s’est passé lors du soulèvement dans la région de Siliana en décembre dernier.

    Cette nouvelle manœuvre politique montre, s’il le fallait encore, que les pourris d’Ennahdha ne lâcheront pas le pouvoir aussi facilement. Le parti, qui depuis plus d’un an, s’est attelé a placer ses pions un peu partout dans l’appareil d’Etat, dans les médias, dans les administrations, ne va pas s’en aller sans une lutte d’arrache-pied imposée par la rue.

    Ceci dit, les événements des dernières semaines ont donné une nouvelle indication, et non des moindres, de ce qui est possible d’accomplir par la mobilisation de masse, pour autant que celle-ci soit soutenue et armée d’une stratégie claire pour en finir avec le pouvoir actuel. En effet, malgré les tentatives désespérées de donner l’image du contraire, les racines de la crise institutionnelle actuelle résident dans la résistance de masse à laquelle le gouvernement dirigé par Ennahdha est confronté depuis des mois et des mois par le mouvement ouvrier organisé, par la jeunesse, les femmes, les pauvres des zones urbaines, les paysans, les chômeurs, les petits commerçants, etc. Cette résistance a atteint son paroxysme avec l’explosion de colère qui a secoué le pays le 8 février dernier, lorsqu’une grève générale d’une ampleur historique a secoué le pays, et que plus d’un million de personnes sont descendues dans les rues de Tunis et d’autres villes afin de commémorer la mort de Chokri Belaïd.

    Le bilan d’Ennahdha

    Le pouvoir d’Ennahdha a reproduit tous les mécanismes qui ont poussé les masses tunisiennes vers la route de la révolution il y a un peu plus de deux ans. Quand les masses se sont soulevées contre Ben Ali, l’un de leur principal slogan était: «Le travail est un droit, bande de voleurs». Depuis lors, plus de 200.000 personnes se sont rajoutées à la liste déjà longue des sans-emploi, malgré les prétentions d’Ennahdha de créer 500.000 emplois durant son mandat.

    Contrastant avec toutes les promesses vides du pouvoir en place, les régions du Sud et du Centre-Ouest du pays continuent à s’enfoncer dans une spirale de misère extrême, dans certains cas dépourvus des infrastructures les plus élémentaires.

    La hausse continue des prix des produits alimentaires (qui ont enregistré une augmentation globale de 8,4% en l’espace d’un an) poussent la survie quotidienne et le rationnement à la limite du supportable pour de nombreuses familles pauvres. Et c’est dans ces conditions déjà extrêmes que la clique au pouvoir a récemment décidé l’augmentation du prix des carburants, du tabac et de l’électricité, un nouveau hold-up sur les poches déjà vides des Tunisiens, plutôt que de s’attaquer aux intérêts des grosses entreprises et des spéculateurs qui s’enrichissent a partir de la misère généralisée.

    De nombreux parents demeurent jusqu’à ce jour dans l’ignorance des personnes responsables de la mort de leurs enfants tués sous les coups des balles de la machine répressive de Ben Ali, tandis que des dizaines de blessés continuent de souffrir en attendant désespérément des traitements médicaux appropriés.

    A cela se sont ajoutés l’étouffement systématique des droits démocratiques, les attaques contre la culture et contre la liberté d’expression. Tout au long de l’année dernière, les tribunaux ont appliqué des lois répressives datant de la dictature de Ben Ali afin de persécuter ce que le gouvernement considère comme nocif pour les «valeurs, la moralité ou l’ordre public, ou visant à diffamer l’armée.»

    Des gangs salafistes ont également participé de manière répétée à de violentes attaques contre tout ce qu’ils considèrent comme incompatible avec leur version rétrograde de l’Islam, bénéficiant, pour ce sale boulot, de la complaisance, voire de la collaboration directe, de certaines factions d’Ennahdha, utilisant ces milices salafistes ainsi que les "Ligues de Protection de la révolution" comme troupes auxiliaires de leur contre-révolution rampante.

    Les affrontements perpétrés par des milices armées d’Ennahda contre le syndicat UGTT à Tunis en décembre dernier ont abouti à la création d’une commission d’enquête. Mais comme celle qui avait été mise en place suite à la répression policière sauvage de la manifestation du 9 avril dernier a Tunis, cette commission n’a rien fait pour traduire les auteurs de ces actes en justice; elle a au contraire été essentiellement utilisée pour couvrir leurs abus.

    Les décisions politiques concernant le sort de millions de personnes sont quant à elles canalisées dans les hautes sphères du pouvoir entre Carthage, La Kasbah, Le Bardot et Montplaisir, à l’abri des regards et du contrôle de tous ceux et toutes celles qui ont fait la révolution, autrement dit, de tous ceux et toutes celles qui ont contribué, par leurs sacrifices et leur lutte héroïque, à mettre cette clique assassine et corrompue la ou elle est.

    En bref, tous les objectifs essentiels de la révolution restent non seulement sans réponse, mais sont mis en péril par les aspirants à l’imposition, de fait, d’une nouvelle dictature.

    Mais celle-ci est aussi d’ordre économique. Ennahdha, tout comme Nida Tounes (un repère de vieux destouriens et de partisans de l’ancien régime), défendent tous deux les impératifs de la classe patronale, des multinationales occidentales implantées en Tunisie, et des institutions créancières internationales, lesquelles poussent a réintroduire les "normes" économiques d’autrefois, celles qui ont permis à une clique de parasites de s’enrichir en saignant à blanc les travailleurs et le peuple tunisiens.

    Ces institutions capitalistes ne chôment d’ailleurs pas: pendant que toute l’attention des médias est portée vers les magouilles en cours dans la classe politique, le FMI poursuit ses "négociations" avec les autorités tunisiennes afin d’octroyer un "prêt" d’une valeur de 1,78 milliard de dollars qui, comme tous les prêts du FMI, sera conditionné à de nouvelles mesures drastiques d’appauvrissement de la population: réduction des salaires et licenciements dans la fonction publique, nouvelles privatisations, diminution des subventions sur les produits de base,…

    La Nahdha a échoué.. Qu’elle dégage!

    Il n’y a pas de meilleur exemple du discrédit du parti au pouvoir et de l’érosion de sa base sociale que les deux manifestations que ce parti a organisé récemment dans le but, précisément, de prouver le contraire. La dernière en date, organisée une semaine après la grève générale, était sensée être une de leur plus grande démonstration de force, certains dirigeants d’Ennahda prédisant même "une marche d’un million". Le parti avait mobilisé pour ce faire tous ses réseaux de soutien, amenant des bus de supporters des quatre coins du pays, pour en faire un succès. Des biscuits au chocolat furent même distribués aux gens présents pour rendre l’événement plus attractif. Pourtant, pas plus de 15.000 personnes se montrèrent pour l’occasion!

    Ce genre d’exemples constitue une gifle au visage de tous les commentateurs cyniques qui avait prévu, lors des élections d’octobre 2011, un "triomphe islamiste" clôturant le chapitre des espoirs révolutionnaires, et plongeant le pays dans un hiver long et sombre de réaction fondamentaliste. Si le danger de la réaction islamiste est loin d’être hors du jeu, il est clair que les mobilisations de rue survenues immédiatement après la mort de Chokri Belaïd ont démontré d’une manière limpide de quel côté pèse encore le rapport de forces pour le moment. La révolution n’est pas finie: partout, la tâche du moment doit être de se préparer pour le ‘deuxième round’!

    Les tâches de la gauche, le rôle du Front Populaire et de l’UGTT

    La classe ouvrière et la jeunesse tunisienne disposent encore de réserves de force insoupçonnées, qui ont plus d’une fois surpris même certains des commentateurs les plus avertis. Cet état de fait, cependant, ne doit pas être considéré comme définitivement acquis. L’aptitude de la gauche à saisir les opportunités ouvertes sera soumise à rude épreuve dans les semaines et mois à venir. Si l’énergie des masses n’est pas canalisée dans un programme clair d’action révolutionnaire, celle-ci pourrait se dissiper ou se perdre dans des explosions de colère localisées et désordonnées, le vent pourrait tourner rapidement, et un climat potentiellement favorable pourrait être perdu pour toute une période historique. La tergiversation ou la passivité dans cette situation risque de jouer le jeu de l’ennemi, lui donnant de nouveaux répits pour rassembler ses forces et contre-attaquer.

    En particulier, les couches de la population pauvre les plus opprimées et désespérées, si elles ne voient aucun espoir sérieux et radical provenant du mouvement syndical et de la gauche organisée, pourrait devenir la proie de démagogues réactionnaires du type salafiste ou autres. Le meurtre de Chokri Belaïd doit en ce sens servir d’avertissement sur le fait que ces groupes ne reculeront devant aucune méthode pour briser le cou de la révolution. La descente du pays dans une spirale de violence, avec des éléments de guerre civile larvée, pourrait prendre le dessus si la lutte révolutionnaire pour transformer la société n’est pas menée jusqu’à sa fin, et si les tentatives des fondamentalistes pour perpétrer leurs crimes contre la gauche et contre les «mécréants» n’est pas contrecarrée par une lutte de masse et unifiée des travailleurs, de la jeunesse et des pauvres.

    L’immense force du mouvement syndical tunisien, qui n’a d’équivalent dans aucun pays de la région, doit être utilisée à plein pour imposer sa marque sur la situation. Pour cela, une trajectoire radicalement différente de celle offerte jusqu’a présent par la direction nationale de l’UGTT est urgemment nécessaire. Une chose doit être absolument claire: chercher à éviter une confrontation pourtant inéluctable avec le pouvoir en place courre seulement le risque de l’avoir quand même, mais dans des conditions bien plus défavorables pour le camp de la révolution.

    L’absence de plan d’action offert par l’UGTT pour poursuivre et renforcer les mobilisations a la suite du succès indéniable de la grève générale du 8 février est, dans ce sens, le genre d’épisode à ne pas reproduire. De plus, comme lors de la grève générale avortée de décembre dernier, la limitation des mots d’ordre au "refus de la violence" et à la dissolution des "milices parallèles" est bien en-dessous des enjeux du moment: en effet, c’est bien du futur de la révolution pour l’emploi, la liberté et la dignité dont il est question.

    De surcroit, la dissolution effective de ces milices ne proviendra pas de mesures administratives prises par en-haut (le pouvoir ne sciera pas la branche sur laquelle il est assise), mais bien d’une mobilisation de tous les instants, couplée a l’organisation et a la coordination de groupes d’auto-défense composés de syndicalistes, de jeunes révolutionnaires et de tout ce que la révolution compte de forces vives, afin de faire face efficacement a la violence croissante de la réaction.

    Beaucoup de travailleurs et de jeunes ont leurs yeux tournés vers la coalition de gauche du Front Populaire. Cependant, depuis la grève du 8 février, la direction du Front n’a fourni aucun véritable mot d’ordre mobilisateur. Ses appels répétés à des formules gouvernementales et institutionnelles peu lisibles aux yeux des travailleurs et des jeunes ("gouvernement de compétences nationales", "Congrès national de dialogue", etc.) ne fournissent pas d’outil clair sur la marche à suivre et laissent les masses dans l’expectative. Un encouragement, par exemple, à une nouvelle grève générale aurait permis de rebondir sur celle du 8, et de construire la confiance parmi les larges masses que le Front Populaire est préparé a mener la bataille jusqu’au bout: jusqu’a la confrontation avec ce régime pourri, et avec le système économique tout aussi pourri qui le sous-tend.

    Un immense fossé sépare la majorité des Tunisiens de l’establishment politique actuel. Si le Front Populaire ne formule pas urgemment de propositions d’action visant à organiser et construire le mouvement des masses dans cette nouvelle étape cruciale de la révolution, il risque d’en payer les frais, lui aussi.

    Pour une nouvelle révolution! Pour la construction d’une lutte de masse afin d’imposer un gouvernement révolutionnaire des travailleurs, de la jeunesse et des pauvres!

    Probablement jamais depuis la chute de Ben Ali la crise du pouvoir n’a été aussi clairement exposée aux yeux de tous qu’aujourd’hui. Mais le fait que la seule manifestation d’ampleur qui ait pris place contre le régime en place depuis la démission de Jebali ait été prise a l’initiative d’activistes indépendants sur les réseaux sociaux, atteste a la fois d’un certain vide en termes d’initiatives prises par la gauche, mais aussi de la détermination et de la disposition d’une couche importante du peuple tunisien, de sa jeunesse active en particulier, de ne pas lâcher la rue.

    La plupart des organisations de la gauche tunisienne, à l’exception notable de la Ligue de la Gauche Ouvrière, défendent de fait une position ‘gradualiste’ de la révolution, considérant que la Tunisie doit d’abord devenir un pays capitaliste ‘développé’ et ‘démocratique’, libre de toute ingérence impérialiste, avant d’envisager, plus tard, une lutte pour le socialisme et pour le pouvoir des travailleurs. Cependant, une telle perspective gradualiste entre en conflit avec la réalité vivante, dans laquelle les questions démocratiques et économiques sont organiquement liées.

    L’expérience des deux dernières années a clairement démontré que le développement social et la démocratie véritable ne viendront pas tant que le capital règne sur l’économie. La perpétuation d’un système axé sur le profit individuel et l’exploitation des travailleurs va main dans la main avec la nécessité de «domestiquer» les travailleurs et la population, et s’accompagne nécessairement d’un mouvement irrésistible vers la restauration d’une dictature économique et politique, sous une forme ou l’autre.

    En Tunisie comme partout à travers le monde, le capitalisme est synonyme de pauvreté de masse, de crise économique et d’austérité généralisée. En Tunisie, cela va de pair avec une offensive majeure pour faire reculer la roue de l’histoire sur les questions sociétales et culturelles, utilisées comme un instrument de détournement et de domination. Les droits, les libertés et les loisirs des femmes, des jeunes, des artistes, des journalistes, des intellectuels et du mouvement ouvrier en tant que tel sont dans la ligne de mire des réactionnaires au pouvoir, de leur flicaille et de leurs milices.

    Dans une telle situation, la seule voie possible pour arracher des mesures durables et substantielles afin d’alléger la souffrance des masses, ne peut être que de transformer les luttes défensives actuelles en une vaste offensive révolutionnaire vigoureuse afin de retirer le pouvoir économique et politique d’entre les mains de l’élite dirigeante et des forces capitalistes qui la soutiennent. Ceci afin de réorganiser la société en fonction des intérêts de la masse des Tunisiens, sur les bases d’un plan économique géré démocratiquement par les travailleurs et la population. Cette lutte doit être liée avec les luttes montantes du mouvement ouvrier international, dans l’objectif de renverser le capitalisme et d’établir une société libre, démocratique et socialiste, fondée sur la coopération, la solidarité et l’utilisation rationnelle des immenses ressources et techniques de la planète pour le bien de tous.

    C’est pourquoi les sympathisants du CIO en Tunisie, actifs dans la Ligue de la Gauche Ouvrière (elle même composante du Front Populaire), militent en vue des revendications suivantes:

    • A bas le régime actuel et ses milices!
    • Ennahdha dégage! Pour la désobéissance civile jusqu’a la chute du régime nahdhaoui et de ses alliés! Pour l’organisation rapide d’une nouvelle grève générale de 24H, a renouveler jusqu’au balaiement de la clique au pouvoir!
    • Pour la convocation d’assemblées dans les quartiers, dans les universités, les écoles et les lieux de travail, afin de préparer la résistance collective contre le régime en place!
    • Pour la formation de comités de défense par les travailleurs, les jeunes et les masses pauvres, afin de protéger toutes les mobilisations contre les agressions et les attaques de la contre-révolution!
    • Stop a l’état d’urgence et a la répression! Pour la défense résolue du droit de manifestation et de rassemblement, et de toutes les libertés démocratiques!
    • A bas la vie chère! Pour une augmentation immédiate des salaires! Pour la formation de collectifs populaires de contrôle des prix pour lutter contre la spéculation!
    • Un emploi décent pour tous! Pour le partage collectif du temps de travail. Pour des indemnités permettant de vivre décemment pour tous les chômeurs du pays. Pour un plan ambitieux d’investissement public dans les régions pauvres!
    • Non aux plans antisociaux du FMI! Non au paiement de la dette de Ben Ali! -Non aux privatisations! Pour la réquisition sous contrôle des travailleurs de toutes les entreprises qui licencient!
    • Pour la nationalisation et la gestion, par les travailleurs, des secteurs-clés de l’économie: banques, compagnies d’assurance, entreprises industrielles, mines, transports, grande distribution,…
    • Pour un gouvernement révolutionnaire des travailleurs et de la jeunesse, appuyée par l’UGTT, l’UDC et le Front Populaire, sur la base d’un programme socialiste.
  • Tunisie : L’assassinat du dirigeant de gauche Chokri Belaïd provoque des protestations de masse dans tout le pays

    L’UGTT et l’opposition appellent à la grève générale

    Le CIO et ses partisans en Tunisie condamnent vigoureusement l’assassinat brutal du dirigeant de gauche Chokri Belaïd. ‘Chokri’ était le principal dirigeant du Parti des ‘Patriotes Démocrates’, disposant d’une forte influence au sein du syndicat l’UGTT, et un porte-parole et une figure de proue de la coalition de gauche du ‘Front Populaire’. Il était un adversaire de longue date à la dictature de Ben Ali, ainsi qu’un avocat ayant défendu de nombreuses victimes de la répression politique, sous l’ancien comme sous le nouveau régime, et fut emprisonné sous Bourguiba et sous Ben Ali.

    Dans la matinée du mercredi 6 février, il a été lâchement assassiné par quatre balles dans la tête, le cou et la poitrine, alors qu’il sortait de son domicile. Chokri Belaïd a par la suite succombé de ses blessures à l’hôpital.

    Cet acte n’est aucunement un incident isolé ; c’est de toute évidence un assassinat politique en règle, organisée par des professionnels, ciblant une figure emblématique de la gauche. Et cela dans un contexte de tensions et de violence politique grandissante, aussi bien de la part des forces de l’Etat que des groupes salafistes ainsi que des milices au service du parti Ennahda au pouvoir.

    Dans des déclarations à la radio la veille de son assassinat, Chokri Belaïd avait signalé des menaces de mort qu’il avait reçues récemment en raison de son positionnement politique. Samedi, il avait même accusé des milices recrutées par le parti Ennahda d’avoir mené une attaque contre une réunion locale des Patriotes Démocrates au Kef, qui avait fait 11 blessés. Le gouvernement dirigé par Ennahda considérait Belaïd comme l’un des instigateurs des ‘troubles sociaux’ dans le pays. En tentant de le faire taire, c’est la révolution, c’est la résistance des travailleurs et de la jeunesse dans son ensemble qui est visée.

    Le CIO n’a jamais caché ses divergences avec l’orientation politique de Chokri Belaïd et des Patriotes Démocrates. Nous voulons néanmoins exprimer notre pleine sympathie avec tous les militants de cette organisation, ainsi que de la gauche et du peuple révolutionnaire tunisien en général, et notre profond ressentiment contre cet assassinat de sang-froid, qui s’ajoute à la liste déjà trop longue des martyrs tunisiens qui ont perdu leur vie pour lutter contre l’injustice et l’oppression, et pour une société meilleure.

    L’écrasante majorité du peuple tunisien rejette cet acte de violence barbare. Immédiatement après l’annonce de la mort de Belaïd, une grande vague de colère résonne déjà dans tout le pays. Peu après, des dizaines de milliers de personnes protestaient déjà à Tunis, au Kef, à Gafsa, Sousse, Sfax, Sidi Bouzid et d’autres villes encore, exigeant des comptes, demandant la chute du gouvernement actuel et une « nouvelle révolution ».

    Des actes de violence, d’émeutes, ainsi que des incendies de bureaux d’Ennahda, ont également été signalés dans quelques endroits. Si nous comprenons la rage et la colère présente, nous pensons aussi que la façon la plus efficace de l’exprimer reste à travers le canal de la mobilisation de masse, organisée, en particulier le recours à la puissance de frappe des travailleurs et de leur puissante centrale syndicale l’UGTT.

    Aussi, la mise sur pied d’organes de défense et de protection, démocratiquement organisées par la population dans les quartiers, pourrait permettre d’éviter les débordements et de faire face à la répression policière, ainsi qu’à la violence prévisible de certaines milices. Des services d’ordre pourraient s’établir en ce sens, travaillant en conjonction avec l’UGTT, l’UDC et d’autres organisations populaires.

    Vers la grève générale ! A bas ce gouvernement pourri et discrédité !

    La meilleure façon d’honorer la mort de Chokri Belaïd est de continuer la révolution, plus déterminés que jamais, pour mettre fin à l’oppression sous toutes ses formes. En définitive, seule la mobilisation de masse des travailleurs peut contrecarrer la spirale de violence actuelle, en imposant une solution au service du plus grand nombre.

    Le fait que le premier ministre d’Ennahda, Hamadi Jebali, ait annoncé la constitution d’un gouvernement de supposés « technocrates apolitiques » ne doit duper personne: il s’agit bien d’une nouvelle manœuvre visant à empêcher les masses de déterminer le gouvernement qu’elles veulent, laissant cette latitude à des technocrates triés sur le volet pour leur servitude à l’égard du système actuel. Et le fait que cette proposition ait été rejetée par son propre parti indique que la crise politique au sommet de l’Etat a atteint son paroxysme. Il est temps d’en finir une fois pour toutes avec ce gouvernement branlant, qui n’a que la violence, le chômage et la misère à offrir !

    Une grève générale a été appelée pour le vendredi 8 par l’UGTT, relayant l’appel fait la veille par plusieurs forces de l’opposition, dont le Front Populaire, le Parti Républicain, Al Massar et Nidaa Tounes, lesquels ont également annoncé la suspension de leur participation à l’Assemblée nationale constituante. La date vise à coïncider avec les funérailles de Belaïd le même jour.

    Le fait que la question de la grève générale soit remise sur le tapis pour la deuxième fois en moins de deux mois, alors que la dernière remonte à 1978, est en soi l’expression de la crise organique que traverse le pays, et de la colère sociale immense qui couve depuis des mois et des mois. Mais deux remarques cruciales s’imposent toutefois à ce sujet.

    La première, c’est que les militants de l’UGTT et les travailleurs en général ne peuvent s’appuyer exclusivement sur les hypothétiques et souvent bien tardifs mots d’ordre venus d’en haut pour déterminer ce qu’il faut faire pour construire la lutte dans les prochains jours. L’expérience du mois de décembre, lorsque la direction nationale de l’UGTT a arbitrairement décrété l’annulation de la grève générale la veille au soir de la date prévue, est encore dans toutes les mémoires.

    D’ailleurs, à titre d’exemple, l’ordre national des avocats et le syndicat des magistrats ont d’ores et déjà publié un communiqué dans lequel ils indiquent qu’ils seront en grève pendant trois jours ; les enseignants de l’université de La Manouba sont déjà en grève, ainsi que le syndicat étudiant, l’UGET, qui a entamé une grève générale étudiante dès aujourd’hui jeudi. La section régionale de l’UGTT à Jendouba a quant à elle décidé d’appeler à une grève générale dans ce gouvernorat le lundi 11 février.

    Sans plus attendre, des assemblées générales devraient être convoquées partout où c’est possible : sur les lieux de travail, mais aussi dans les écoles, sur les facs, dans les quartiers, etc, élisant des comités en leur sein pour prendre la lutte en main à tous les niveaux, afin que le mouvement se structure partout selon la volonté des masses engagées dans la lutte.

    La discussion sur les initiatives à entreprendre et les suites à donner aux actions de grève doit être au maximum portée et contrôlée démocratiquement par la base, et ne pas être seulement le fait d’une poignée de dirigeants syndicaux concluant, à l’abri des regards, des accords sans contrôle populaire, comme cela s’est déjà trop souvent passé.

    Si après la grève générale de vendredi, le gouvernement n’a toujours pas compris qu’il doit quitter la scène, un prolongement des actions de grève dans les jours suivants, couplée à des manifestations de masse, sera nécessaire jusqu’à obtenir satisfaction.

    D’autre part, l’appui de partis comme Nidaa Tounes à la grève générale doit soulever, pour le moins, de sérieuses questions. Le camp d’Essebsi regorge d’individus qui ont du sang de militants de gauche sur les mains, et qui ont mouillé dans cette dictature contre laquelle Chokri Belaïd s’est pourtant battu pendant de nombreuses années.

    Le mouvement ouvrier, l’UGTT et la gauche doivent à tout prix écarter la dichotomie d’un supposé combat du camp « laïc » contre le camp « islamiste », une thèse chère à des partis laïcs mais pro-capitalistes comme Nida Tounes, dont l’objectif n’est en rien de défendre les travailleurs et les couches populaires, mais bien au contraire de mieux servir les intérêts des grosses entreprises, des banquiers et des puissances impérialistes, bien que sous une coloration identitaire différente de celle qu’Ennahda essaie d’imposer aujourd’hui.

    La sœur de Belaïd a d’ailleurs bien fait de souligner que Chokri était de ceux qui étaient « du côté des pauvres, des marginalisés, des opprimés… » contrastant ainsi avec ceux parmi l’establishment politique qui essaient maintenant d’exploiter cyniquement sa mort en réduisant le personnage à un « pourfendeur d’islamistes », rangeant ainsi sous le tapis le fait que Belaïd était aussi un militant de la gauche radicale.

    Dans ce sens, les masses tunisiennes ne peuvent vouloir faire tomber le gouvernement actuel avec comme résultat que ceux qui ont été chassés par la porte il y a deux ans reviennent tranquillement par la fenêtre, en utilisant, de surcroît, le lit de la révolution et la force des travailleurs comme cheval de Troie. Et dans ce sens, nous disons : ni la peste, ni le choléra, ni Jebali ni Essebsi – mais oui à une lutte de masse soutenue, jusqu’à l’imposition d’un gouvernement révolutionnaire des travailleurs et de la jeunesse, appuyée par les organisations de gauche, syndicales et populaires !

    Dans le contexte actuel, le Front Populaire et ses nombreux militants aux quatre coins du pays pourrait servir de colonne vertébrale pour une campagne de masse ayant comme vision stratégique la constitution d’un tel gouvernement, indépendant des capitalistes, de leurs partis politiques ou de leur technocrates prétendument « apolitiques », et engageant des mesures décisives pour mettre sous la gestion et le contrôle de la collectivité les secteurs-clés de l’économie tunisienne.

    • Pour la poursuite de la révolution jusqu’à la victoire ! Grève générale, jusqu’à la chute du gouvernement !
    • Non à un remodelage gouvernemental derrière le dos des masses ! Pour des élections véritablement démocratiques, et la formation d’un gouvernement composé de représentant(e)s de ceux et celles qui ont vraiment fait la révolution !
    • Pour un gouvernement révolutionnaire des travailleurs et de la jeunesse ! A bas les exploiteurs capitalistes et les politiciens à leur service !
    • Capitalisme dégage ! Pour une économie socialiste, au service des besoins sociaux, démocratiquement gérée par la population !
0
    0
    Your Cart
    Your cart is emptyReturn to Shop