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  • Brésil : réémergence des luttes de masse dans un contexte de crise

    A São Paulo, dans la nuit du 13 juin, la police militaire a brutalement attaqué une manifestation pacifique d’environ 15.000 personnes dans le centre-ville. 235 personnes ont été arrêtées arbitrairement par les forces de l’ordre, beaucoup d’entre elles juste pour leur apparence d’étudiant ou pour avoir eu du vinaigre dans leur sac à dos (c’est une manière d’atténuer les effets du gaz lacrymogène). La police anti-émeute a tiré des balles et des bombes en caoutchouc et, en plus des manifestants, beaucoup de journalistes, de photographes et de caméraman ont été blessés. Même ceux qui essayaient de soigner les blessés ont été arrêtés et leur matériel de premiers secours a été confisqué.

    André Ferrari – LSR (CIO-Brésil)

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    Depuis l’écriture de cet article, le mouvement est considérablement allé de l’avant et la mobilisation a atteint une ampleur jamais vue depuis 21 ans.

    De plus, une importante victoire a été obtenue dans la mesure les gouverneurs de Sao Paulo, Rio de Janeiro et d’autres villes ont dû revenir sur les augmentations de prix du transport. Mais la lutte se poursuit.

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    Cette répression policière s’inscrit dans le cadre d’attaques contre les mouvements sociaux et les pauvres en général. Le Brésil expérimente une nouvelle ère marquée par les signes les plus évidents de crise et de résurgence de luttes des travailleurs et des jeunes. L’année 2012 a compté le plus grand nombre de grèves depuis 16 ans. Les travailleurs du secteur public résistent aux coupes budgétaires et aux attaques contre leurs droits. Les travailleurs du secteur privé demandent également leur part de la croissance économique tant vantée. Mais les effets politiques de ces luttes ont été limités par la division du mouvement, le caractère bureaucratique des dirigeants syndicaux ainsi que par les faiblesses de l’opposition de gauche du gouvernement de Dilma Rousseff du Parti des Travailleurs (PT).

    Cependant, l’année 2013 a montré une érosion croissante du soutien politique pour le gouvernement ainsi que l’émergence d’une nouvelle conscience parmi de larges secteurs de jeunes et de travailleurs. L’image du Brésil comme celle d’un pays qui se dirige vers le ‘‘sommet mondial’’ est lourdement minée par une situation de croissance très lente (moins de 1% en 2012) couplée à une haute inflation qui affecte principalement les pauvres.

    Alors que le gouvernement a pris un tournant à droite dans sa politique économique (augmentation des taux d’intérêts, privatisation des ports, aéroports, champs de pétrole, …), son soutien dans les sondages est tombé de 8% depuis mars (de 65% à 57%)

    L’augmentation des tarifs des transports, déclencheur de luttes dans les grandes villes

    Ces dernières semaines, nous avons vu une explosion des luttes populaires, dirigées par la jeunesse enflammée par l’augmentation des tarifs des transports publics. Dans beaucoup de capitales d’État et de grandes villes, les manifestations ont pris une plus grande dimension qualitativement mais aussi quantitativement que précédemment. Dans beaucoup de celles-ci, comme à Porto Alegre, Goiânia, Teresina et Natal, l’augmentation des tarifs fut annulée après les manifestations.

    A ce moment, la principale étape de la lutte est la ville de São Paulo. Avec quatre manifestations depuis le 6 juin (cet article date du 14 juin), le mouvement grandit tous les jours. La revendication immédiate est la réduction des tarifs de bus et de métros de 3,20 reals à 3 reals, mais le mouvement remet également en cause la logique du système de transport dans la ville, tourné exclusivement vers les profits d’une poignée d’employeurs. Des tarifs couteux, un surpeuplement et des conditions de pauvreté représentent un cauchemar quotidien pour les travailleurs et les étudiants qui doivent voyager tous les jours dans l’immense métropole.

    Au Brésil, on estime que 37 millions de personnes n’ont pas accès aux transports publics à cause de leur coût. Dix millions de plus dépensent la majorité de leurs revenus dans leur trajet pour le boulot et les études dans un transport chaotique de pauvre qualité. Une des revendications soulevées par le mouvement est donc de disposer d’un tarif zéro pour les transports à São Paulo. L’idée est que les industries et que les couches riches de la population doivent payer la plus grande part des prix du transports et non les travailleurs et les étudiants.

    Le PT a défendu le projet du taux zéro dans les années 1980, quand le parti était toujours à gauche et était basé sur les mouvements sociaux. L’actuel gouvernement PT dans la ville, dirigé par le maire Fernando Haddad, rejette aujourd’hui ce projet, refuse de revenir sur les privatisations du système de transports et agit avec une fidélité à toute épreuve pour les businessmen du transport.

    Le gouvernement d’État de São Paulo, dirigé par Geraldo Alckmin du PSDB (Parti Social Démocrate Brésilien), le principal parti d’opposition de droite au PT au gouvernement fédéral, et responsable du métro de São Paulo, a également refusé de discuter de ces revendications. Alckmin promeut un processus de privatisations des nouvelles lignes de métros et est responsable de la brutale réponse répressive de la police militaire de Sao Paulo durant les manifestations.

    Beaucoup de jeunes travailleurs qui ont voté pour Haddad et le PT lors des élections municipales d’octobre de l’an dernier afin d’éviter une nouvelle victoire de la droite traditionnelle, à l’époque dirigée par le candidat PSDB José Serra, sont aujourd’hui profondément déçus du PT. L’unité du PT avec le PSDB contre les revendications du mouvement et dans la politique de répression des manifestations lui coute de larges parts de sa base sociale et électorale.

    Les crimes de la Coupe du Monde

    Les grands évènements prévus dans le pays dans les années à venir (la Coupe du Monde en 2014 et les Jeux Olympiques à Rio en 2016) servent de prétexte pour une véritable contre-réforme urbaine dans les grandes villes. Les projets de construction liés à la Coupe du Monde causent l’expulsion de milliers de famille de leur maison pour faire place à la spéculation immobilière. Au lieu de servir les gens, les villes sont de plus en plus modelées pour servir le capital. L’espace de la ville est à vendre et tous les obstacles qui se mettent dans le chemin du profit doivent être éliminés. Tout cela sous la façade d’une modernisation et d’une paix sociale.

    Les stades sont privatisés, la corruption est courante dans les projets de construction de la Coupe, la surexploitation des travailleurs du bâtiment a causé beaucoup d’accidents et de morts, les contractants complices des gouvernements profitent de façon exorbitante pendant que les droits des résidents des grandes villes sont piétinés. Aujourd’hui, le 14 juin, débute une campagne de luttes nationales des mouvements populaires pour le logement, le Front de Résistance Urbaine, au côté des Comités Populaires de la Coupe du Monde, pour dénoncer les crimes de celle-ci.

    Répression et criminalisation des mouvements sociaux

    Confrontée à la montée des luttes et à la nécessité d’empêcher les manifestations à la veille de la Coupe des Confédérations (qui débute le 15 juin), la répression policière contre les protestations s’est dramatiquement intensifiée. Occuper les rues – un droit démocratique de base – est ainsi interdit. Dans beaucoup de ville, la répression policière nous a rappelé la période de la dictature militaire. Les décisions de justice interdisant les manifestations, avec l’utilisation de balles et de bombes policières contre les manifestants, montrent que nous vivons une période d’attaques sérieuses contre les droits démocratiques de base de la population.

    Après une forte campagne médiatique scandant que les manifestants contre l’augmentation des tarifs de transport étaient des vandales et des hooligans et donc justifiant et supportant la répression policière, l’intense répression de la manifestation du 13 juin a causé un grand émoi et même les média eux-mêmes ont dû changer de ton.

    A São Paulo, dans la nuit du 13 juin, la police militaire a attaqué lâchement une manifestation pacifique et organisée d’environs 15.000 personnes dans le centre-ville. La police a arrêté d’une façon totalement arbitraire 235 personnes. La police anti-émeute a tiré des balles et des bombes en caoutchouc indistinctement. En plus des protestataires, beaucoup de journalistes, de photographes et de caméraman ont été blessés.

    La répression policière s’intègre dans le cadre d’une avalanche d’attaques sur les mouvements sociaux et les pauvres en général. Dans les grandes villes, comme à São Paulo et Rio, les jeunes noirs des banlieues vivent une véritable situation de massacre. Les viols à Rio de Janeiro ont fortement augmenté dans la dernière période. La violence policière raciste, l’impunité des actions des escadrons de la mort, la violence contre les femmes, la criminalisation de la pauvreté et la répression des droits des organisations populaires, sont une réalité dans les banlieues.

    Des dirigeants ruraux sans terre ont été systématiquement assassinés et récemment, deux dirigeants indigènes (des ethnies Terena et Guarani-Kaiwoas) qui se battaient contre le business agricole et le gouvernement pour la démarcation de leur terre ont également été tués.

    La lutte de défense des droits démocratiques a acquis une importance centrale dans le contexte de la Coupe du Monde, avec la tentative de créer un véritable état d’urgence dans le pays, interdisant les manifestations et la liberté d’expression.

    La ville pour les travailleurs, les jeunes et le peuple !

    Ces luttes pour le transport public, les logements et le droit démocratique d’occuper les rues doivent être unifiées dans un grand mouvement national pour les droits des travailleurs, des jeunes et de la population à posséder et contrôler leur propre ville.

    Comme résultat à cette lutte, il serait possible de reconstruire les bases pour l’unification et la réorganisation de mouvements populaires de travailleurs et de jeunes combattifs, indépendants des gouvernements et des employeurs. Une rencontre nationale des travailleurs et des jeunes pour porter un plan de lutte pourrait être construit et avancer dans la direction de construire un nouvel instrument unifié de lutte.

    C’est ce pourquoi le LSR (section brésilienne du CIO) plaide dans les mouvements sociaux auxquels nous participons et à l’intérieur du PSOL (le Parti du Socialisme et de la Liberté).

    Nous luttons pour :

    • Une réduction immédiate des tarifs des transports ! Luttons pour les tarifs zéro – faisons payer les patrons pour les transports publics ! Nationalisation des transports publics sous le contrôle démocratique des travailleurs et des usagers ! Non au payement de la dette aux banquiers et aux spéculateurs et pour des investissements massifs dans les transports publics !
    • La fin des expulsions des résidents ! Non à l’exploitation sexuelle ! Luttons contre le viol et la violence contre les femmes !
    • Assurer les droits des travailleurs de la construction des projets de la Coupe du Monde ! Non à la privatisation de Maracana et à la corruption dans les sites de construction de la Coupe du Monde ! Démarcation des terres indigènes ! Non aux lois d’urgence imposées par la FIFA – Pour le droit d’organisation, d’expression et de manifestation !
    • Non à la répression dans les manifestations des jeunes et des travailleurs ! Non à la criminalisation et l’utilisation croissante du système judiciaire contre la lutte sociale ! Liberté immédiate pour tous les prisonniers politiques en lutte contre l’augmentation des tarifs du transport public et d’autres mouvements. Non au massacre de la jeunesse noire dans les banlieues.
    • Pour un jour national de lutte unifiée autour des revendications pour les transports publics, des logements abordables, contre les crimes de la Coupe du Monde et pour la défense des droits de manifester et contre la criminalisation et la répression des mouvements sociaux.
    • Pour un meeting national des travailleurs et des jeunes pour construire un plan d’action et un forum national uni de luttes.
  • Afrique du Sud : De l’apartheid à Marikana, la lutte pour plus de justice sociale continue

    La grève, couronnée de succès, des mineurs de Marikana a changé la donne en Afrique du Sud et a suscité une intensification de la lutte des travailleurs. Elle s’est répandue très rapidement vers d’autres mines et a énormément augmenté le niveau de confiance des travailleurs en Afrique du Sud, initiant une nouvelle étape dans le mouvement révolutionnaire sud-africain.

    Par April Ashley, article tiré de l’édition de décembre/janvier de Lutte Socialiste


    Ce jeudi 13 décembre : Meeting sur la situation en Afrique du Sud, en présence d’un orateur de notre parti-frère sud-africain (plus d’infos)


    Le massacre de plus de 40 mineurs dans ‘‘une violence rappelant les pires moments de l’apartheid’’ (Business Day du 17/08/2012) a choqué la société sud-africaine toute entière, propulsé l’Afrique du Sud comme fer de lance de la lutte internationale des travailleurs et suscité soutien et solidarité dans le monde entier. Cette lutte a fait ressurgir le souvenir des anciens combats contre le régime de l’apartheid chez les plus anciens des travailleurs et a fait se développer un grand intérêt pour les luttes sociales parmi les plus jeunes.

    C’est en 1994 que la majorité noire du pays a mis en avant un candidat et a mis fin à l’apartheid en élisant le premier gouvernement noir (de l’ANC – Congrès National Africain). Le 11 février 1990, le jour où Nelson Mandela a enfin été libéré après 27 ans de prison, le monde a retenu son souffle. Les espoirs et les rêves de la majorité du peuple sudafricain reposaient sur ses épaules : une nouvelle Afrique du Sud, libérée du joug de l’oppression et de l’exploitation par la minorité blanche. Sa libération st survenue après des décennies de luttes intenses durant lesquelles le régime de l’apartheid a tenté de noyer la révolution dans le sang. Le massacre de Sharpeville en 1960 et les héroïques émeutes des jeunes de Soweto en 1976 (une centaine de jeunes avaient été tués par la police) avaient clairement montré quelle était la détermination des masses pour renverser le régime de l’apartheid.

    L’adoption de la ‘‘Freedom Charter’’, la Charte de la Liberté, par l’ANC en 1955 fut l’expression de l’aspiration à un changement révolutionnaire dans la société de la part des travailleurs. Cette charte appelait à la nationalisation des secteurs-clés de l’économie : ‘‘La richesse nationale de notre pays, l’héritage des sud-africains, sera rendu au peuple. Les ressources de notre terre, les banques et les industries seront désormais la propriété d’un peuple uni.’’

    Les luttes ouvrières

    Entre 1961 et 1974, le nombre de travailleurs noirs employés dans l’industrie d’Afrique du Sud a doublé. La classe ouvrière s’est organisée et a pris les devants de la lutte, comme en a témoigné la grève des dockers de 1973 qui a ébranlé le pays entier et entraîné des progrès qualitatifs en termes d’organisation de la lutte et de niveau de vie.

    Ces grèves massives ont enflammé l’imagination des travailleurs du monde entier. Il y eut partout des marches de soutien, du lobbying et du boycott, tout cela conduisant nombre de travailleurs à devenir politiquement actifs en soutenant leurs camarades d’Afrique du Sud. Les mouvements ouvriers des années 1980 a par la suite conduit à la création du Cosatu (‘‘Congress of South African Trade Unions’’, en français ‘‘Congrès des Syndicats sud-africains’’) en 1985. Le Cosatu a adopté la Freedom Charter en 1987 sous le slogan de ‘‘Socialism means freedom’’ (‘‘le socialisme signifie la liberté’’ en français).

    Sa composante la plus importante, l’Union Nationale des Mineurs (NUM), dirigée à l’époque par le militant Cyril Ramaphosa, était le fer de lance des luttes de masse et le Cosatu a lancé une série de grèves générales qui ont rendu le pays ingouvernable et ont précipité la fin du régime d’apartheid. Mais, 20 ans après la fin de l’apartheid, qu’estil advenu des espoirs et des rêves des travailleurs englués dans la Freedom Charter ?

    Le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO, parti révolutionnaire mondial dont le PSL est la section belge) a expliqué que, suite à l’effondrement du stalinisme, le régime de De Clerck a reconnu la possibilité de conclure un accord qui laisserait une part de pouvoir à l’ANC. Les intérêts économiques fondamentaux du capitalisme ne furent pas vraiment menacés avec cet accord en conséquence du virage à droite opéré par l’ANC, trahissant ainsi les efforts fournis dans la douleur des luttes passées.

    L’échec de l’ANC

    L’Afrique du Sud est actuellement le pays le plus inégalitaire au monde, les 10% les plus riches détenant 60% des richesses du pays alors que la moitié la plus pauvre de la population n’en détient que 8%. Près d’un quart des foyers sud-africains subit quotidiennement la faim. Un travailleur perçoit en moyenne 18 Rands (1,57€) par jour mais 44% des travailleurs, c’est-à-dire 6 millions de personnes, vivent avec moins de 10 Rands (0,87€) par jour. Le chômage atteint 25% (50% chez les jeunes).

    En clair, cela signifie que les travailleurs vivent dans un état de pauvreté effarant. En plus de conditions de travail infernales, en témoigne cet article du Guardian : ‘‘Un mineur détaille ses conditions de travail : ‘’Nous passons huit heures sous terre. Il y fait très chaud et on ne peut pas voir la lumière du jour. Parfois, il n’y a même pas d’air et nous devons en drainer à travers des tuyaux jusque tout en bas.’’ Son abri de fortune n’a ni eau courante, ni électricité et les toilettes, situées à l’extérieur, sont partagées avec deux autres familles.’’ (The Guardian du 7/9/2012)

    A part quelques plans de reconstruction et de développement à court terme lancés les premières années de son arrivée au pouvoir (et dont l’apport réel aux classes laborieuses noires fut assez limité), l’ANC a poursuivi l’application d’un programme néolibéral agressif en privatisant massivement des services publics tels que l’électricité et l’eau courante, ce qui a encore plus paupérisé la classe des travailleurs.

    Ces pratiques ont suscité une intensification des luttes pour faciliter l’accès au logement et aux services de base. La fin des subsides pour l’acheminement de l’eau au Kwa Zulu Natal en 2000 a par exemple provoqué la plus importante épidémie de choléra de l’histoire du pays, les habitants ayant dû aller s’abreuver à même les fleuves et barrages puisqu’ils ne pouvaient plus payer leurs factures d’eau.

    Les grèves massives contre la privatisation en 2007 et 2010 ont ébranlé le gouvernement de l’ANC, dirigeant le pays avec le Cosatu et le SACP (Parti communiste sud-africain), alors que des divergences faisaient leurs apparitions dans cette alliance au fur et à mesure des trahisons successives de l’ANC vis-à-vis des classes laborieuses. L’ANC est consciemment devenue l’agent du patronat.

    Certains cadres du Cosatu ont également été assimilé à l’élite et ont abandonné toute lutte effective. Cyril Ramaphosa a en effet été payé 75.371 € net l’année dernière pour son mandat de directeur honoraire de Lonmin (géant anglais de l’exploitation minière), devenant le symbole du fossé séparant les nouvelles élites noires et la majorité précaire.

    Une alternative socialiste

    Suite au massacre de Marikana, la crédibilité de l’ANC a été sérieusement entamée. Les évènements récents ont prouvé que le Congrès National Africain partage avec la classe capitaliste la même peur, le même rejet de la classe ouvrière. ‘‘L’ANC, c’était l’âme noire, l’esprit noir, cela avait quelque chose de quasimystique. Mais à l’heure actuelle, toute foi en eux est perdue. Le lien est brisé et cela a eu lieu à la télévision.’’ (The Guardian du 7/9/2012)

    Au fil de l’aggravation de la récession économique, les patrons, épaulés par le gouvernement de l’ANC, vont continuer d’alourdir le fardeau pesant sur les épaules des travailleurs. Le contexte est donc propice non seulement à des grèves de plus en plus explosives mais aussi à une scission au sein de l’alliance tripartite voire au sein même de l’ANC.

    L e Mouvement Socialiste Démocratique (section sud-africaine du CIO) appelle à la grève générale à Rustenburg, suivie d’une grève et d’une manifestation à l’échelle nationale. La pression des travailleurs et des militants à l’échelle internationale doit également s’amplifier. La réponse enthousiaste des travailleurs aux idées du MSD prouve qu’il y a un potentiel conséquent pour le développement d’un nouveau parti des travailleurs avec un programme socialiste, défendant coûte que coûte les intérêts de la classe ouvrière en Afrique du Sud.

  • Afrique du Sud : De l'apartheid à Marikana, la lutte pour la justice sociale se poursuit

    Le succès de la grève des mineurs de Marikana a transformé la situation en Afrique du Sud et a annoncé une reprise de la lutte des travailleurs. La grève s’est répandue comme une trainée de poudre vers les autres mines et a énormément augmenté la confiance des travailleurs d’Afrique du Sud. Cette grève des mineurs a marqué le début d’une nouvelle ère dans le mouvement révolutionnaire du pays.

    Par April Ashley, Socialist Party (CIO-Angleterre et Pays de Galles)

    Le massacre de plus de 40 mineurs lors de ‘‘scènes rappelant les pires commises lors de l’apartheid’’ (Business Day, 17/08/2012) a choqué le cœur de la société sud-africaine et catapulté le pays sur le front des luttes ouvrières du monde entier, attirant le soutien et la solidarité de travailleurs de tous les continents.

    Cette lutte a rappelé aux travailleurs les plus âgés les anciens souvenirs du combat mené contre le régime raciste de l’apartheid (un régime de ségrégation appliqué de 1948 au début des années ‘90). Pour les plus jeunes, un grand intérêt a été suscité. Ce n’est qu’en 1994 que la majorité noire de la population a finalement pu réellement en finir avec l’apartheid en élisant, au cours des premières élections libres du pays, le premier gouvernement du Congrès National Africain (ANC), suite à un accord négocié avec l’élite du pays.

    Le monde entier avait retenu son souffle le 11 févier 1990, le jour de la libération historique de Nelson Mandela, après 27 ans de prison. Les espoirs et les rêves de la majorité de la population pour une nouvelle Afrique du Sud reposaient sur ses épaules : une nouvelle Afrique du Sud libérée de l’oppression et de l’exploitation féroce et sans pitié d’une minorité blanche. Cette libération fut le fruit de dizaines d’années de luttes au cours desquelles le régime de l’apartheid a tenté de noyé la révolution dans le sang. Le massacre de Sharpeville en 1960 et l’héroïque révolte de la jeunesse à Soweto en 1976, où 100 jeunes ont été massacrés par la police (voir l’encadré ci-dessous) ont montré la détermination des masses à en finir avec l’apartheid.

    L’adoption de la Charte de la Liberté par l’ANC en 1955 a été une expression de l’exigence d’un changement révolutionnaire de la société par les travailleurs. Cette charte appelait à la nationalisation des secteurs-clé de l’économie et déclarait : ‘‘La richesse nationale de notre pays, l’héritage des Sud-Africains, doit être rendu au peuple, la richesse minérale du sous-sol, les banques et le monopole industriel doivent être rendus propriété publique dans leur entièreté.’’

    Les luttes des travailleurs

    Entre 1961 et 1974, le nombre de travailleurs noirs employés dans l’industrie minière d’Afrique du Sud a doublé. Ce fut là une véritable explosion de la classe ouvrière organisée, qui l’a propulsée sur le devant de la scène. En 1973, les grèves des dockers ont réellement bouleversé l’Afrique du Sud tout entière et ont emmenés les luttes vers un changement qualitatif d’importance.

    Ces grèves de masse ont embrasé l’imagination des travailleurs du monde entier, qui ont démontré leur solidarité aux luttes avec des manifestations de solidarité, de actions de lobbying et de boycotts. Nombreux sont les travailleurs qui ont commencé à s’engager politiquement par le biais du soutien à leurs frères et sœurs d’Afrique du Sud.

    Ensuite, les mouvements des travailleurs des années ‘80 ont conduit à la naissance de la fédération syndicale Congress of South African Trade Unions (COSATU) en 1985. La COSATU a adopté la Charte de la Liberté en 1987, soutenant que ‘‘Le socialisme signifie la liberté’’. Son plus grand affilié, le Syndicat National des Mineurs (NUM), mené par l’ancien militant Cyril Ramaphosa, était à la tête des grèves de masse, et le COSATU a initié une série de grèves générales qui ont rendu le pays ingouvernable et ont précipité la chute de l’apartheid.

    Mais aujourd’hui, 20 ans après la fin de l’apartheid, qu’en est-il des espoirs et des rêves des travailleurs, cristallisés dans la Charte de la Liberté ? Le Comité pour une International Ouvrière et ses sections à travers le monde ont expliqué qu’après la chute du stalinisme et le virage à droite des directions sociale-démocrates et des syndicats à travers le monde, le régime blanc de Frederik de Klerk a su reconnaître le potentiel d’un partage du pouvoir avec l’ANC. Avec cet accord, les intérêts économiques fondamentaux du capitalisme n’ont pas été menacés, car la direction de l’ANC a elle aussi viré à droite. Dans les faits, elle a trahi la lutte révolutionnaire.

    L’échec de l’ANC

    L’Afrique du Sud est actuellement le pays le plus inégalitaire au monde, les 10% les plus riches de la population profitant de 60% des richesses alors que la moitié la plus pauvre se partage 8% de celles-ci ! Près d’un quart des foyers d’Afrique du Sud font quotidiennement face à la famine. Le travailleur moyen gagne 18 rands (l’équivalent de 1,23 euros) par jour, mais 44% d’entre-eux (c’est-à-dire 6 millions) vivent avec moins de 10 rands par jour. Le taux de chômage atteint les 25%, et culmine à 50% chez les jeunes. Cela signifie concrètement que les travailleurs continuent à vivre dans une pauvreté écrasante.

    Un mineur a récemment fait part de ses conditions de vie dans la presse britannique : ‘‘Nous passons 8 heures sous terre. Il fait très chaud, et nous sommes privés de la lumière du jour. Parfois, le seul moyen d’avoir de l’air est d’utiliser la tuyauterie.’’ Sa cabane ne dispose pas d’électricité, ni d’eau courante, et deux familles se partagent les toilettes situées à l’extérieur. (The Guardian, 7/9/12)

    Mis à part l’éphémère programme de reconstruction et de développement lancé lors des toutes premières années du gouvernement, qui a donné naissance à des améliorations limitées pour la classe ouvrière noire, l’ANC a poursuivi un programme économique néolibéral agressif, avec des privatisations massives des services publics tels que l’électricité et l’eau, qui ont mené à une paupérisation grandissante de la classe ouvrière. Cela a alimenté une kyrielle de luttes communautaires pour l’accès au logement et la distribution des services durant de longues années.

    Par exemple, la fin des subventions de la distribution d’eau à Kwa Zulu Natal en 2000 a provoqué la plus grande épidémie de choléra de l’histoire du pays, les travailleurs s’étant vus forcés de boire aux fleuves et aux bassins de barrage car ils ne pouvaient se permettre de payer l’eau courante, devenue trop chère.

    Des grèves massives du secteur public contre les privatisations en 2007 et en 2010 ont ébranlé le gouvernement de l’ANC, qui fait partie d’une tripartie avec le COSATU et le Parti Communiste d’Afrique du Sud (PCAS). Les divisions se sont répandues dans l’alliance à cause de l’abandon manifeste de la classe ouvrière par l’ANC, devenu le larbin des grands patrons et du capitalisme. Certains leaders du COSATU ont aussi rejoint les rangs de l’élite et ont abandonné leur lutte. Ainsi, Cyril Ramaphosa a été payé 76.000 euros l’an dernier en tant que directeur non-exécutif de la société minière Lonmin (dont dépend le site de Marikana), et est ainsi devenu le symbole du gouffre qui sépare la nouvelle élite noire et la majorité frappée de plein fouet par la pauvreté.

    Une alternative socialiste

    Suite au massacre de Marikana, la crédibilité de l’ANC en a pris un grand coup. Cet événement a prouvé qu’il partage avec la classe capitaliste la même peur et le même dégoût de la classe ouvrière. ‘‘L’ANC était dans l’esprit et l’âme des noirs, il avait presque acquis une propriété mystique. Mais maintenant ils ont perdu foi en lui. Le lien est brisé, et cela s’est passé à la télévision.’’ (The Guardian 7/9/12). Alors que la récession économique se poursuit, les patrons, soutenus par le gouvernement de l’ANC, continueront à vouloir se délester du fardeau sur les épaules des travailleurs. On ne s’attend donc plus seulement à des luttes explosives, mais à une séparation dans la tripartie et au sein-même de l’ANC.

    Le Socialist Democratic Movement (Mouvement Socialiste Démocratique, section du Comité pour une Internationale Ouvrière en Afrique du Sud) propose une grève générale à Rustenburg, et projette une grève et une manifestation d’ampleur nationale.

    La pression internationale des travailleurs et des militants doit être maximisée. La réponse enthousiaste aux idées du DSM parmi les travailleurs indique un grand potentiel pour la développement d’un nouveau parti de masse des travailleurs doté d’un programme socialiste, afin de défendre plus encore les intérêts de la classe ouvrière d’Afrique du Sud.

    Photo ci-contre: des mineurs en grève lisent le journal de nos camarades sud-africains du Democratic Socialist Movement


    La révolte de Soweto de 1976

    Par Roger Shrives

    En 1976, le régime de l’apartheid a été ébranlé par une révolte héroïque lancée par des milliers d’étudiants de la ‘‘commune’’ de Soweto, près de Johannesburg. La police a tué près de 140 personnes du 16 au 17 juin 1976, principalement à Soweto, et 600 autres en tentant de mettre fin à une année de révolte.

    L’Afrique du Sud subissait alors toujours le régime de l’apartheid et son principe du ‘‘développement séparé’’ servant à racialement discriminer, dominer et priver de ses droits la majorité noire du pays ainsi qu’à assurer une vaste offre d’emploi à faible rémunération.

    La gouvernement nationaliste au pouvoir a insisté pour que certaines leçons soient uniquement enseignées en Afrikaans, associé à la minorité dirigeante, particulièrement pendant l’apartheid. Les étudiants ont commencé a boycotter les cours d’Afrikaans et ont élu un comité d’action qui est devenu plus tard le Conseil Représentatif des Étudiants de Soweto (CCES). La campagne a commencé avec une manifestation le 16 juin.

    La police a réagi en recourant au gaz lacrymogène, balancé sur une foule forte de 12.000 personnes. Les étudiants ont répondu par des jets de pierres. La police a ensuite tiré directement sur la foule. Hector Petersen, 13 ans, fut l’une des premières victimes, abattu sous les yeux de sa sœur et de ses amis. Le système éducatif a donc été l’étincelle qui mit le feu à de nombreuses autres manifestations durant l’apartheid, particulièrement dans les communes.

    A l’époque, nos camarades britanniques du Militant (le prédécesseur du Socialist Party à l’époque où nous représentions l’aile marxiste du parti travailliste) décrivaient Soweto comme ‘‘un baril de poudre attendant une allumette pour le faire exploser’’ avec ‘‘des camps de concentration virtuels. (…)Un million d’Africains sont massés dans Soweto. La moitié de la population est sans emploi et donc sans autorisation de rester, à la merci des assauts de la police.’’ Cet article mettait en contraste les terribles conditions de vie dans les communes avec celles des classes moyennes blanches.

    La révolte de Soweto a changé la conscience politique de la classe ouvrière noire sud-africaine. Les jeunes de la commune d’Alexandrie, au nord de Johannesburg, ont constaté leur incapacité à battre les forces de l’apartheid seuls, et ont mobilisé leur parents pour les soutenir. Le 22 juin 1976, plus de 1000 travailleurs de l’usine automobile Chrysler ont arrêté de travailler. Ce fut la première action de grève menée en soutien aux étudiants.

    A Soweto, le CCES a pris la responsabilité d’organiser une marche des étudiants dans Johannesburg le 4 août, et durant 3 jours s’est déroulée la première grève générale politique depuis 1961. Le gouvernement est revenu sur le sujet des cours en Afrikaans, mais le révolte s’était développée et ciblait maintenant le régime lui-même.

  • Afrique du Sud : Après le massacre de Marikana, les inculpations de meurtres et de tentatives de meurtre contre les mineurs provoquent une explosion de colère

    Face à l’étendue de la colère, l’Autorité nationale chargée des poursuites judiciaires en Afrique du Sud (NPA) s’est vue obligée de relâcher les 270 mineurs qui avaient été arrêtés après le massacre de Marikana ce 16 août. De plus, le NPA été forcé d’abandonner les inculpations de meurtres qui pesaient à leur encontre. À de nombreuses reprises, les auditions de jmise en liberté sous caution ont été reportées car le NPA commettait sans cesse des abus. Par exemple, les accusés étaient présentés devant la Cour au compte goutte et on violait ainsi leurs droits à un procès équitable. C’est pourquoi les avocats de la défense des mineurs ont posé un ultimatum à Jacob Zuma, président de la république d’Afrique du Sud. Celui-ci devait relaxer les travailleurs d’ici dimanche ou des actions légales à son encontre seraient entreprises devant la Cour Suprême. 170 mineurs ont été relâchés cette semaine. Le NPA a déjà pris la décision d’abandonner les chefs d’inculpations de violence publique, de possession d’armes dangereuses, de possession d’armes et de munitions ainsi que de rassemblement illégal.

    Weizmann Hamilton, Democratic Socialist Movement (CIO en Afrique du Sud)

    Les chefs d’inculpation de meurtres et de tentatives de meurtre ont été l’étincelle qui a déclenché l’incendie de colère qui a traversé le pays. Des divisions se sont même créées au sein du Congrès national africain (ANC). Le ministre de la Justice, Jeffe Radeba qui bénéficiait du soutien du chef parlementaire de l’ANC, Whip Mathole Motshekga, a demandé des explications de la part du NPA en déclarant: ”je n’ai aucun doute sur le fait que les décisions du NPA aient créé un choc, de la panique et de la confusion» au sein de la population.” (Sunday Independent, 02/09/2012)

    Le trésorier général de l’ANC, Matthews Phosa avait déjà averti dans le passé que le chômage de masse dans la population, et plus particulièrement chez les jeunes, formait le terreau d’un ”printemps arabe” sud-africain. Il a formulé des attaques virulentes à l’encontre du NPA en déclarant : ”Inculper des membres clés du mouvement devant une Commission d’enquête est contraire aux règles de la justice, c’est inconsidéré, incongru et presque absurde. D’ailleurs, les conséquences auxquelles nous sommes confrontés aujourd’hui sont absolument épouvantables. Nous n’avons pas besoin d’un autre Marikana.”

    En dehors de l’absurdité légale des chefs d’inculpation, ce qui a exacerbé la colère, c’est que la doctrine d’intérêt commun était l’arme légale q’utilisait le régime de l’apartheid contre les luttes anti-apartheid. De plus, les survivants ont été accusés du meurtre de ceux qui se sont faits faucher par la police en direct des télévisions. Ces accusations ont forcé les leaders du Congrès des syndicats d’Afrique du Sud (Cosatu) à condamner cette décision. Pourtant, à la suite du massacre, ils avaient d’abord décidé de collaborer lâchement avec le syndicat des mineurs (NUM) en abdiquant devant la pression que celui-ci lui infligeait. De cette manière ,le syndicat des mineurs, déjà fortement discrédités, tentait de sauver la face.

    Qu’une telle décision puisse même avoir été envisagée montre bien à quel point le gouvernement de l’ANC a été poussé vers la droite sous le mandat de Zuma. Après tout, c’est le NPA qui s’était assuré de ne pas voir Zuma suivre la route de ses bienfaiteurs en prison. Ils avaient tous été condamnés pour corruption. En 2009, les chefs d’inculpation qui pesaient contre Zuma ont été abandonnés par le truchement d’une technicité douteuse. De plus, les actions entreprises par le NPA ont lieu seulement quelques semaines après qu’un procureur fût isolé car il résistait aux pressions qui pesaient sur lui. En effet, le NPA voulait qu’il abandonne les inculpations de corruption contre deux personnages importants du Congrès national africain (ANC) à Kwa Zulu Natal, le foyer de soutien de Zuma. En fait, le NPA n’a personne à sa tête car Menzi Simelane, qui avait été désigné par Zuma, a lui aussi été isolé. La Cour Suprême a déclaré qu’il ne possédait pas ”l’honorabilité et les compétences” d’administrer le NPA, c’est pourquoi sa désignation a été jugée inconstitutionnelle. Un officiel de la police a déclaré qu’aucun des travailleurs qui se sont faits arrêter ne pourrait retravailler un jour à Lonmin. D’ailleurs, les agissements du NPA démontrent à quel point les institutions de l’Etat sous l’ANC ont agit comme des agences de sécurité privée pour les patrons des mines. Ces agissement exposent aussi le rôle de la machine qu’est l’Etat sous le capitalisme.

    Ce qui est encore plus choquant, ce sont les éléments de plus en plus nombreux qui prouvent ce qui était évident dès le départ: le massacre était prémédité. La propagande empoisonnée qui a été diffusée par la police, une partie des médias et le Syndicat national des mineurs (NUM) immédiatement après le massacre rapportait que la police avait ouvert le feu sur les travailleurs pour se défendre. Cette idée commence à se dissiper. En effet, des enquêtes montrent que de nombreux travailleurs se sont faits tirer dans le dos alors qu’ils tentaient de fuir.

    Le journal Sunday paper City Press (02/09/2012) a visité les lieux du massacre accompagné de Greg Marinovich, vainqueur du prix Pulitzer en journalisme. Celui-ci avait tout d’abord établi qu’il y avait deux lieux de combat. Plus tard, il a pourtant trouvé des preuves allant dans le sens des survivants du massacre. Au moins 14 corps ont été découverts à 300 mètres de Wonderkop, le lieu du massacre qui a été filmé par les caméras des chaînes de télévision, dans un endroit que les locaux appellent Small Koppie. City Press a amené les preuves découvertes au Directorat de la police d’investigation indépendante (Ipid) afin d’obliger ses enquêteurs à retourner sur la scène du crime. Ils ont trouvé des carabines R1 usées, des marqueurs de la police aux endroits où les corps étaient tombés, des traces de sang et ce qui semblerait être une tentative de camouflage des preuves. Les travailleurs ont dit à City Press que les mineurs de Small Koppie s’étaient enfuis là-bas mais que la police les avait poursuivi et que des véhicules blindés avaient écrasé des travailleurs en fuite.

    La conduite de la direction de Lonmin, du gouvernement et du syndicat des mineurs (NUM) suggère que la décision de faire couler le sang des grévistes avait déjà été prise au plus haut niveau du gouvernement, de la police et de la direction de Lonmin. Le 15 août 2012, la direction de Lonmin, le syndicat des mineurs (NUM) et le syndicat d’association des mineurs et des travailleurs de la construction (AMCU) se sont engagés publiquement sur la chaîne d’information SAFM à entamer des négociations sur base des revendications des travailleurs. L’AMCU est arrivé à la mine à 9h du matin le 16 août. Lorsque les membres de la direction sont finalement arrivés, avec 90 minutes de retard, ils ont dit à l’AMCU qu’il n’y aurait aucune négociation. Les dirigeants de Lonmin ont dit à la délégation de l’AMCU que ”tout était désormais entre les mains des généraux.”

    A quelques centaines de mètres de la mine, et à une certaine distance des camps les plus proches, le regroupement des travailleurs sur le site de Wonderkop ne représentait aucun danger pour la mine ou pour le camps. D’ailleurs, certains travailleurs y vivaient. Les mineurs s’étaient armés et s’étaient retirés à Wonderkop, non pas comme un acte d’agression mais plutôt d’auto-défense. En effet, les massacres avaient déjà causés une dizaine de morts car les dirigeants de la sécurité de la mine et le syndicat des mineurs avaient déjà tenter de casser la grève. Cette grève avait été initiée de manière indépendante par les travailleurs.

    Les travailleurs ont affirmé à DSM que la grève avait été menée par un comité indépendant formé par les travailleurs suite au refus du syndicat de soutenir les revendications des mineurs. Ces allégations se sont confirmées lorsque le secrétaire général du syndicat, Frans Baleni qui gagne R100 000 par mois, a dénoncé la revendication des travailleurs qui exigeaient un salaire de R12 500 par mois, la trouvant déraisonnable. Les mineurs ont déclaré à DSM que lorsqu’ils ont tenté une approche auprès du bureau du syndicat à la mine, afin de discuter d’une action commune, la délégation s’est faite tirer dessus, et deux membres du comité sont morts. La direction de la mine a une histoire sanglantes et brutale de répression envers les mineurs qui ont l’impertinence d’essayer de briser leurs chaînes de l’oppression et de l’exploitation. C’est sur cette base que la décision d’occuper Wonderkop Hill a été prise.

    Le fait que l’Etat ait décidé de déployer l’équipe d’intervention tactique des services de police sud africain armée de carabine automatique R1, de plusieurs véhicules blindés et de barbelés plutôt que de faire appel à la police anti-émeute indique clairement que le massacre était prémédité.

    ANC a décidé de réagir à ces événements en réalisant une étude incompréhensible et en adoptant une attitude indifférente et insensible.Ils n’ont toujours pas publier de déclaration condamnant le massacre. Le générale Riah Phiyega, le commissaire de police qui a été désigné récemment, a communiqué à la police après le massacre: ”la sécurité de la population est non-négociable. Ne soyez pas désolés de ce qui s’est passé.” Susan Shabangu, la ministre de l’énergie et des minéraux, s’est réfugiée derrière ”l’indépendance” (qu’on ignore d’habitude) de l’autorité judiciaire qui a rejeté la requête de libération des mineurs. Dans les instants qui ont suivi le massacre, elle a initiallement refusé d’inviter le syndicat rival, le syndicat d’association des mineurs et des travailleurs de la construction (AMCU) afin de remettre les négociations sur les revendications des mineurs sur la table.

    Comme Julius Malema, l’ancien président de la ligue des jeunes de l’ANC l’a affirmé à la radio ce matin (sur Khaya FM), pendant plus de 48h, aucun des chefs de l’ANC n’a mis les pieds sur les lieux de l’incident. Il a ajouté que Zuma lui-même, qui a été obligé d’écourter sa visite au Mozambique à cause du massacre, est tout d’abord arrivé sur les lieux sous le couvert de l’obscurité. Ensuite, il aurait seulement rendu visite aux blessés à l’hôpital mais n’aurait pas daigné parler aux travailleurs qui l’attendaient sur la colline. Lorsqu’il n’a plus pu justifier son absence, les travailleurs ont condamné son échec et son incapacité à agir dans l’urgence alors que la situation l’exigeait. Même lorsqu’il a annoncé la mise sur pied de la Commission d’Enquête, Zuma a clairement fait savoir qu’il ne désignerait pas de coupable. Cela venant d’un président dépeint comme la voix des pauvres à la tête d’un parti qui affirme de manière assez maladroite avoir un ”penchant pour la classe des travailleurs” et qui s’efforce d’être une ”force de la gauche disciplinée”.

    L’ANC suffoque. Elle est heurtée par l’approfondissement de la crise économique, les profondes inégalités, les problèmes sociaux qui s’accumulent tels que le chômage de masse, la criminalité et la corruption, l’embarras extrême de ne pas être en mesure de fournir des manuels scolaires aux écoles dans plusieurs provinces alors qu’on arrive au trois-quart de l’année. Cette situation est aggravée par les batailles de factions militaires pour la succession à la présidence. Et l’utilisation de la doctrine d’intérêt commun dans les chefs d’inculpation, même si elle a été abandonnée, a renforcé la crise politique profonde que l’ANC traverse. Avec l’incident de Marikana qui a coûté la vie à plus de 34 travailleurs, l’ANC s’est tiré une balle dans le pied.

    Désormais, après quatre semaines de grève, les travailleurs de Lonmin tiennent fermement le piquet face à l’énorme pression qui pèse sur eux afin qu’ils retournent travailler. Le Ministre du Travail, des Minéraux et de l’énergie, la Commission pour un arbitrage, une médiation et une conciliation ainsi que le Conseil des Eglises essayent tous de persuader les partis de signer un Accord de paix. AMCU a rejeté cette proposition en déclarant qu’ils n’étaient pas en guerre avec le NUM. Ils veulent que les négociations sur les revendications des travailleurs soient au centre de l’attention dans les efforts de médiation.

    En attendant, inspirés par la résistance des mineurs de Marikana, ”la révolte de la mine de platine” selon l’expression utilisée par le Business Day, s’est étendue au secteur de l’or. En effet, 12 500 mineurs du complexe Goldfield’s Kloof Driefontein ont déposé leurs outils ce mercredi.

    Ces actions constituent un réel défi à l’organisation de la classe des travailleurs. Le Cosatu a hésité à dénoncer le rôle réactionnaire que jouait leur plus proche affilié, le NUM. Ce silence n’a servi qu’à encourager la direction dans son attitude. Si Cosatu était sorti pour soutenir les revendications des travailleurs avant l’incident, s’ils avaient mobilisé des travailleurs pour organiser des action de solidarité, il est clair que la direction de Lonmin et la police n’auraient pas osé agir aussi sauvagement qu’ils ne l’ont fait. La faiblesse de Cosatu a laissé le champs libre aux agressions des patrons, du gouvernement et de l’Etat.

    Une ligne a été tracée dans le sable avec les os sanguinolents des martyres de Marikana. D’en côté il y a la désintégration de l’ANC et de l’alliance tripartite et de l’autre, d’énormes possibilités. L’expérience de l’intervention de DSM à Rustenberg avant les événements de Marikana, démontre le potentiel qui existe pour le développement des idées socialistes ainsi que pour un soutien à la création d’un parti de masse des travailleurs basé sur un programme socialiste.

  • Afrique du Sud : Bilan des élections locales de mai 2011

    L’ANC garde une large majorité, mais son autorité politique est affaiblie

    L’analyse officielle du résultat des élections locales du 18 mai en Afrique du Sud est plutôt ennuyeuse. Bien que les élections aient marqué un développement dans un bien plus grand scrutin pour le plus grand parti d’opposition, l’Alliance démocratique (DA), et un léger déclin des voix pour le Congrès national africain (ANC), cela n’est pas en soi une cause de souci pour le parti au pouvoir. L’ANC a, comme d’habitude depuis les premières élections démocratiques en 1994, récolté une écrasante majorité des voix (63%).

    Liv Shange, Democratic Socialist Movement, section sud-africaine du CIO

    La DA n’est certainement pas en état de rivaliser avec cela, malgré sa percée à 23% (contre 16% lors des dernières élections, en 2006). Cependant, sous la surface, ces élections marquent un important tournant – les mouvements de protestation passifs du passé, tels que l’abstention ou l’apathie pure, ont commencé à se transformer en des tentatives actives d’obtenir une représentation ouvrière indépendante.

    Dans un contexte d’intensification des luttes dans les communautés ouvrières pauvres et dans les entreprises, en plus du dégout croissant envers le mode de vie de luxe et de corruption des élites dirigeants, le nombre de candidats indépendants et de nouvelles organisations militantes – la plupart avec une orientation socialiste – s’est élevé à un niveau sans précédent. Plusieurs de ces nouvelles formations ont maintenant obtenu une avancée significative.

    Le résultat final des élections a été publié le 24 mai : l’ANC a reçu 63%, contre 66% lors des dernières élections locales en 2006 et des élections parlementaires de 2009. La DA, qui est un parti néo-libéral dominé par des blancs, a gagné des voix après avoir été rejoint par un autre petit parti (les Démocrates indépendants), et a organisé une campagne intense dans le but de se présenter en tant qu’“opposition officielle”. Malgré ses tentatives désespérées de se débarasser de son étiquette pro-apartheid, voter pour la DA est toujours quelque chose d’impensable pour la plupart des noirs. Cependant, il ne faudrait pas exagérer l’importance des gains de la DA, et en particulier sa capacité à construire sur base de cette progression et sans avoir aucune alternative à offrir à la classe ouvrièr. Le fait que la DA soit parvenue à passer la barre des 20% (avec quelques gains dans des quartiers ouvriers noirs) est surtout important pour l’effet que cela a sur la confiance en soi de l’ANC, et pour la manière dont cela va accélérer le processus qui mènera à démasquer ce parti de droite au regard de ceux qui lui ont aujourd’hui donné des votes de protestation ou qui croient réellement que cela va changer quelque chose.

    Dans un climat de polarisation sociale et politique croissante, le taux de participation aux élections a été plus élevé que d’habitude lors des élections locales, en même temps que les petits partis d’opposition ont perdu de leur soutien. La chute la plus abrupte a été celle du Parti Inkatha de la liberté (IFP) – un ancien parti séparatiste zoulou anti-apartheid qui avait une forte base dans la province KwaZulu-Natal – qui a maintenant totalement disparu, avec l’effondrement quasi-total de ses voix lors de ces élections. Le parti ne contrôle plus que deux municipalités dans le KwaZulu-Natal ; la plupart seront maintenant dirigées par des coalitions de l’ANC et du NFP (Parti national pour la liberté, une scission de l’IFP).

    L’ANC et ses partenaires de l’Alliance tripartite – le Parti communiste d’Afrique du Sud (SACP) et le Congrès sud-africain des syndicats (Cosatu, le plus grand syndicat du pays, et historiquement le plus radical) – ont malgré leur victoire été incapable de cacher leur réconfort, tout en proclamant que les voix en leur faveur prouvent la confiance éternelle que placent les gens dans ce parti. Ils se sont au passage sentis obligés d’annoncer des mesures afin d’endiguer la vague de mécontentement croissante contre la gestion des municipalités par l’ANC. Des politiciens vont être “envoyés” dans les “zones à problèmes” afin d’y écouter le peuple. Un nouveau système de redevabilité va être mis en place aussi vite que possible pour les conseils communaux et les maires.

    La nervosité de l’ANC est un signe, malgré la large majorité électorale, de la perte d’autorité politique de plus en plus prononcée de ce parti. De prime abord, un regard de plus près par rapport à l’arithmétique des élections révèle en soi le fait que le parti a reçu sa plus petite part des voix depuis 1994 : 63% des 13,6 millions d’électeurs signifie 8,1 million de voix. 23,7 millions de gens sont inscrits en tant qu’électeurs – en d’autres termes, cela signifie que 10 millions de personnes se sont abstenues ; plus du double des gens qui ont voté pour l’ANC. L’ANC a reçu seulement 25%% des voix de l’ensemble de la population inscrite aux registres électoraux.

    Pendant la campagne électorale, il semblait que l’aura de “libérateur” de l’ANC (provenant de son passé de lutte contre l’apartheid, NDT), bien que celle-ci continue à être son meilleur atout, avait perdu une grande partie de son pouvoir d’attraction aux yeux des travailleurs. Dans les derniers jours de la campagne électorale, les tentatives de jouer cette carte ont pris une tournure plus brutale et raciale que jamais – par exemple, Nceba Faku, un dirigeant de l’ANC à Port Elizabeth, a dit que ceux qui n’ont pas voté pour l’ANC (ciblant en particulier les blancs) devraient être “jetés à la mer”. De manière générale, toutefois, la campagne a été caractérisée par une revue à la baisse de l’arrogance habituelle de ce parti, et l’adoption d’une approche plus humble, du style « Nous savons qu’il y a des problèmes mais s’il-vous-plait donnez-nous une autre chance de les résoudre ».

    Le meurtre par la police du manifestant Andries Tatane le 13 avril, juste devant les caméras de la télévision, a lui aussi contribué à cette approche plus prudente. Andries Tatane, âgé de 33 ans, faisait partie des dirigeants d’une manifestation pour de l’eau propre pour le township de Meqheleng, dans la petite ville de Ficksburg. Il s’est lui-même désigné comme cible de la démonstration de force de la police en remettant en question l’aspersion d’un vieillard au canon à eau. Les coups et balles des huit policiers qui ont battu à mort un Tatane sans défense ont été vus au journal télévisé par des millions de gens le soir même, ce qui a ému le pays tout entier. Cela a contribué, parmi d’assez larges couches de la population, à une plus grande compréhension de quelle classe le gouvernement représente en réalité.

    La violence policière contre les manifestations n’est pas en soi quelque chose de nouveau ; plusieurs manifestants ont été abattus au cours des dernières années. Un délégué du SAMWU (syndicat des travailleurs des administrations communales) avait lui aussi été tué par la police un mois plus tôt lors d’une manifestation des chauffeurs de bus de Tshwane (= nouveau nom de Pretoria, capitale du pays et cinquième plus grande ville avec 2 millions d’habitants, NDT). Après les élections, d’autres manifestants ont encore été abattus par la police, mais bien à l’abri des caméras de télévision cette fois-ci. La répression étatique fait de plus en plus partie d’une tendance générale vers un populisme de droite autoritaire. La police a reçu l’ordre de “tirer pour tuer”, et est entre autres revenue aux grades et à la formation qui étaient en vigueur du temps de l’apartheid.

    La manifestation à Meqheleng n’était qu’une des nombreuses actions qui se sont déroulées au cours des mois qui ont précédé les élections, constituant une autre vague de troubles dans ce qui est en réalité un flux général de “protestations concernant la prestation des services” long déjà de plusieurs années – avec des manifestations et parfois de véritables révoltes locales pour de meilleurs services gouvernementaux tels que le logement, l’électricité, l’eau, les égouts ; contre la corruption et les politiciens égoïstes.

    L’Afrique du Sud est officiellement le pays le plus inégal du monde. Le pourcent le plus riche de la population possède 70% de l’économie. Les vingt pourcents les plus pauvres en détiennent 1%. Bien que l’Afrique du Sud soit parvenue à éviter les crises bancaires et la crise de la dette d’État qui a frappé d’autres pays pendant la récession économique mondiale toujours en cours, le pays a été fortement frappé par la crise. La production industrielle a chuté de 7% en 2009. Plus d’un million de gens ont perdu leurs emplois entre début 2009 et la mi-2010, s’ajoutant à la masse déjà présente de chomeurs longue durée, faisant passer le taux de chômage à 36% (25% officiellement). Tout comme en ce qui concerne l’économie mondiale dans son ensemble, la récente reprise en Afrique du Sud est faible et limitée. Cette année, on a déjà vu la grève des travailleurs communaux tels que les éboueurs et les chauffeurs de bus ; mais également les positions de plus en plus dures entre les syndicats du métal et des mineurs et leurs employeurs respectifs pourraient vouloir dire que de nouvelles grèves seront bientôt à l’ordre du jour.

    La grève des 1,3 millions de travailleurs du secteur public en aout 2010 a été un important tournant dans l’évolution de la manière dont les travailleurs organisés les plus conscients perçoivent le gouvernement ANC de Jacob Zuma. Le président Zuma est arrivé au pouvoir lors des élections générales de 2009 après avoir pris la direction de l’ANC, porté par la quasi révolte du SACP et du Cosatu contre l’ancien président Thabo Mbeki lors de la conférence du parti en décembre 2007. Mais la résistance entêtée du gouvernement Zuma contre les revendications des travailleurs du public, couplée à la dure répression de la grève du public (arrestations de masse, brutalité policière), a porté un coup fatal au mythe de “Zuma, l’ami des travailleurs et des pauvres”.

    La pression sur les dirigeants du SACP et du Cosatu, qui avaient guidé leurs membres en troupeau vers le kraal de Zuma, s’est énormément intensifiée dans la période qui a suivi la grève du secteur public. Les divisions au sein du Parti “communiste”, qui fournit au Capital ses ministres les plus fiables dans le gouvernement ANC, deviennent de plus en plus évidentes, comme on l’a vu dans la question des élections. Le SACP ne se présente pas de lui-même aux élections, mais soutient et travaille au sein du parti “progressiste bourgeois” qu’est selon lui l’ANC. Après que les chefs du SACP soient apparemment parvenus à contenir les frustrations de leur base concernant cette question et d’autres, il y a eu plusieurs scissions, avec le départ de groupes qui se sont présentés aux élections par eux-mêmes.

    La division entre la direction du SACP et leurs disciples idéologiques du Cosatu devient aussi de plus en plus apparente. En octobre, le Cosatu a organisé une “Conférence de la société civile”, aux côtés de plusieurs mouvements sociaux (comme par exemple la Campagne d’action pour le traitement, qui se bat pour un accès équitable aux soins de santé pour toutes les personnes séropositives). La conférence se présentait comme une tentative d’unir les travailleurs et les pauvres autour d’un nouveau programme politique – et ni l’ANC, ni le SACP n’ont été invités. Cela a provoqué un invraisemblable tollé de la part de la direction de l’ANC, qui a accusé le Cosatu de vouloir effectuer un “changement de régime”.

    Un changement de régime et la formation d’un nouveau parti des travailleurs indépendant ne faisait malheureusement pas du tout partie des objectifs des dirigeants du Cosatu. La Conférence de la société civile a été une tentative de relâcher la pression contre toute possibilité d’émergence de véritables efforts de construire une alternative à l’ANC – cette menace étant de plus en plus présente dans l’air. Bien qu’ils soient jusqu’ici en apparence parvenus à éviter ce piège, la conférence a eu à un niveau plus fondamental l’effet opposé, en légitimant l’idée que le mouvement ouvrier pourrait élaborer son propre programme politique sans recourir ni à l’ANC ni à son Alliance.

    La réponse paranoïaque de la direction de l’ANC par rapport à la Conférence de la société civile montre bien quel était l’effroi qu’elle ressentait tout en s’avançant vers les élections de mai. Pour éviter l’importante désintégration de sa base électorale et la possible mobilisation hostile des non-électeurs qu’il craignait certainement, le parti au pouvoir a recouru à des mesures extraordinaires : plutôt que de permettre aux structures de l’ANC d’élire elles-mêmes les candidats du parti au gouvernement local comme d’habitude, le processus a été “démocratiquement” ouvert à la participation de communautés entières. Les non-membres de l’ANC ont ainsi reçu l’opportunité de mettre de côté toute une série de politiciens locaux ANC détestés et corrompus et d’élire les candidats de leur choix au nom du parti. Cette soi-disant démocratisation a été dans les faits un coup d’État bureaucratique au sein de l’ANC, privant les membres du parti de leur droit souverain d’élire les représentants de leur propre organisation. Inévitablement, le coup d’État par en-haut du parti a été dans de nombreux endroits accueilli par des contre-coups de la part des couches et factions inférieures au sein de la bureaucratie du parti, ignorant les choix de leurs communautés et mettant en avant leur propre candidat malgré tout. Partout dans le pays, l’imposition des candidats par les structures de l’ANC a été suivie par de violentes manifestations de masse.

    Tandis qu’approchait le jour des élections, la situation devenait si instable que le président Zuma s’est senti obligé d’intervenir avec la promesse que les candidats “imposés par l’ANC” seraient remplacés une fois que les élections seraient terminées. Il n’avait probablement même pas un mandat de la part de son parti pour proclamer cette mesure d’urgence, qui, comme on aurait pu s’y attendre, est aujourd’hui en train d’attiser l’incendie du factionnalisme au sein de l’ANC et de l’Alliance plutôt que de l’éteindre. Par exemple, la première réunion du Conseil municipal dans la ville de Bizana (200 000 habitants, NDT) dans la province du Cap-Est a dû être reportée au 1er juin, après que l’Hôtel de ville ait été bloqué par une foule en colère qui a été jusqu’à lancer une bombe au pétrole. La police a répondu par des tirs de balles en caoutchouc et par l’arrestation de 38 manifestants.

    Lors des précédentes élections, la position plus ou moins organisée par les organisations basées sur des communautés ouvrières impliquées dans des protestations de “prestation de services” a été de punir l’ANC en boycottant les élections. Cette position a été clairement résumée dans le slogan de l’organisation des habitants de bidonvilles Abahlali Base Mjondolo Movement : « Pas de terrain, pas de maison – pas de vote ! » À côté des tentatives de forcer l’ANC à accepter les candidats “du peuple”, ces élections ont été marquées par un tournant parmi les communautés en lutte vers une remise en question plus active de l’ANC. Le nombre de candidats indépendants s’est accru de 14% comparé aux élections locales de 2006 (parmi de tels candidats il y a bien sûr certains opportunistes, mais ces candidats représentent pour la plupart des communautés organisées et combatives dans leurs districts respectifs). De plus, près d’un millier de candidats ont été présentés par diverses organisations militantes telles que les “forums de communauté” et autres “associations de résidents préoccupés”. Parmi celles-ci, il y avait aussi quelques organisations à orientation socialiste, y compris des scissions du SACP. Par exemple, le parti Mpumalanga à Moutse, dans la province de Mpumalanga, a été formé deux mois avant les élections sur base d’un véritable effondrement local de l’Alliance tripartite. Ce parti a gagné 12 sièges au conseil municipal, avec le soutien d’environ 11 000 personnes ! (sur environ 200 000 habitants, NDT)

    Un exemple qui illustre bien notre propos est celui du quartier de Khutsong dans le township de Merafong, au sud de Johannesburg. Ici, les habitants, organisés dans le Forum pour la démarcation de Merafong, ont organisé un boycott total des élections en 2006 (seule une poignée de votes ont été effectués), en protestation contre le “transfert” de leur township, qui est passé de la province de Gauteng (la province de Pretoria, qui est la plus riche du pays) à la province du Nord-Ouest (la plus pauvre du pays), via le redessinement des frontières provinciales. Cela a au final mené à une victoire – l’ANC a reculé et l’ensemble de Merafong a été incorporé dans la province de Gauteng. C’était une importante victoire symbolique – mais concrètement vide de sens, puisque les besoins de la classe ouvrière continuent à être négligés dans toutes les provinces quelles qu’elles soient. En même temps, le Forum pour la démarcation de Merafong s’est transformé en un Forum pour le développement de Merafong, dont la direction a été largement cooptée par l’ANC. Mais il est ici remarquable de constater que les militants impliqués dans ce mouvement de protestation, qui a été un exemple pour l’ensemble des communautés de toute l’Afrique du Sud, se sont basés sur leur expérience pour créer l’Association civique de Merafong (MCA) afin de poursuivre la lutte, y compris en se présentant aux élections plutôt qu’en les boycottant. La MCA a obtenu un score honorable en récoltant les voix de plus de 600 personnes (sur 200 000 habitants, NDT).

    Le Democratic Socialist Movement (DSM), section sud-africaine du Comité pour une Internationale ouvrière, a soutenu lors de ces élections les campagnes du Mouvement Opération Khanyisa (OKM) à Thembelihle et à Soweto dans la banlieue de Johannesburg, ainsi que des candidats indépendants à Soweto et la Coalition verte-socialiste à Durban – tous ces groupes étant basés sur des plateformes combatives et acquis aux principes du droit de révocation, d’absence de privilèges, etc. Avec un total de 4400 voix (y compris les voix de listes de représentation proportionnelle et les voix pour les candidats des quartiers), l’OKM est parvenue à conserver son siège de représentation proportionnelle que le parti détient depuis 2006, et a été le principal rival de l’ANC dans les quartiers dans lesquels il s’est présenté. Le DSM est également en contact avec d’autres organisations qui ont présenté des candidats, comme le récemment formé Mouvement citoyen socialiste (SCM), qui s’est construit sur base des mouvements de protestation virulents des dernières années dans la municipalité de Balfour de la province de Mpumalanga. Le SCM est parvenu à obtenir un peu plus de 9% des voix à Balfour ! Le DSM espère pouvoir construire sur base de ces petits pas en avant et de la hausse de la conscience politique qu’ils représentent en prenant l’initiative de rassembler au cours des prochains mois autant de ces organisations que possible, ensemble avec les syndicats de la base, les jeunes et les étudiants, pour établir une stratégie et concentrer la lutte pour une alternative politique pour la classe ouvrière.

    Le nouveau Front démocratique de gauche (DLF), qui a été lancé en janvier 2011 et dans lequel le DSM a participé depuis sa création en 2008, a malheureusement manqué l’opportunité de tenter de rassembler les nombreux mouvements de protestation isolés qui continuent à ébranler les communautés ouvrières pauvres, les entreprises et les institutions éducationnelles. À la suite de l’intervention du DSM, le DLF s’est vu contraint d’affirmer son soutien à des candidats indépendants, socialistes et combatifs lors de ces élections, mais dans la pratique, cela n’a pas été plus loin qu’à quelques déclarations de circonstance dans sa mailing list.

    Le potentiel pour un nouveau parti ouvrier a cependant été mis en évidence par les succès de, par exemple, le SCM et le parti Mpumalanga. Bien que les dirigeants syndicaux gardent toujours la plupart des travailleurs organisés enfermés au sein de l’Alliance tripartite, il est évident que les tensions que cela crée en son sein, et en particulier à l’intérieur des syndicats Cosatu, deviennent de plus en plus intenables. Le syndicat des travailleurs communaux SAMWU a menacé de lancer une grève nationale quelques jours à peine avant les élections, après avoir annoncé quelques semaines plus tôt qu’il devenait impossible de convaincre les travailleurs d’aller voter pour l’ANC. Le gouvernement est intervenu avec des promesses, et la grève a été annulée à la dernière minute, mais une fois qu’un tel défi politique a été lancé, il ne peut pas être retiré aussi facilement. Quelles que soient les autres considérations qui ont pu influencer cette pirouette de la part de la direction du SAMWU, cela reflète les tentatives de la part des travailleurs de tester la marge de manœuvre politique au sein de leurs syndicats.

    L’Alliance avec l’ANC signifie que les dirigeants du Cosatu œuvrent souvent directement à l’encontre des intérêts de leurs membres, en important dans les entreprises les luttes entre les diverses factions pro-capitalistes de l’ANC, et en transférant leur collaboration de classe politique avec le représentant favori des patrons – l’ANC – sur le plan de la collaboration de classe concrète avec les patrons eux-mêmes. Il est honteux de constater que les dirigeants du Cosatu se trouvent souvent en train de se concentrer sur la construction de relations mutuellement bénéficielles avec les capitalistes plutôt que d’élaborer un programme pour une action de front uni des travailleurs contre tous les représentants du patronat. Le dernier de ces développements, qui est aussi le plus révoltant, a été le licenciement de l’ensemble des 9000 travailleurs de la mine de Karee à Rustenburg par la compagnie Lonmin (le troisième producteur mondial de platine) après que ceux-ci soient partis en grève spontanée – provoquée par la collaboration de leurs propres dirigeants nationaux du Syndicat uni des travailleurs des mines (NUM, la plus grosse centrale du Cosatu) avec la direction de l’entreprise, qui vise à supprimer l’élection démocratique des délégués par les travailleurs. Les travailleurs de Karee ont aussi vu le lien avec l’ANC et ont été chahuter le bureau de vote local le jour des élections en signe de protestation.

    Les élections locales de 2011 ont été organisées sur un fond de contradictions de classe croissantes et de fissures dans le mythe selon lequel le gouvernement ANC est l’ami des travailleurs et des pauvres, contradictions qu’elles ont elles-mêmes renforcées. Malgré le soutien et la protection des dirigeants du SACP et du Cosatu, l’ANC se révèle de plus en plus être l’ami du grand patronat et de ses propres comptes en banque – bien loin du changement espéré par de nombreuses personnes lorsque Mbeki a été “révoqué” de la présidence en 2008. Tandis que l’establishment politique célèbre la “maturité” de la jeune démocratie sud-africaine, ce sont dans les faits les illusions de 1994 qui ont mûri en désillusion et confusion, et maintenant de plus en plus en une colère organisée. Une révolte de la base au sein d’une des centrales de Cosatu pourrait être le point tournant dans la recherche d’un nouveau parti capable d’unir les travailleurs en lutte, les jeunes et les chômeurs via un programme socialiste. Le fait que de nouvelles organisations de gauche aient progressé lors de ces élections constitue les premiers pas, bien que petits et dispersés, dans cette direction. Il faut maintenant une force capable d’unir ces organisations de masse et d’élaborer un programme conjoint tout en forgeant les sièges communaux qui ont été gagnés en un fer de lance pointant vers la formation d’un nouveau parti ouvrier socialiste de masse.

  • Russie: Poutine gagne les élections parlementaires

    AUX ELECTIONS parlementaires du 7 novembre en Russie le parti de Poutine, Russie Unie, a obtenu la victoire. Avec 37,1% des voix il va probablement être capable (avec les autres partis qui défendent la même politique asociale) de former une majorité des 2/3 à la Douma, le parlement russe. Cette suprématie va lui permettre de changer la constitution. Les lois régissant le travail et l’enseignement vont être les premières dans le collimateur.

    Laurent Grandgaignage

    Après Russie Unie, le Parti communiste (PC) et les Démocrates libéraux (LDPR) obtiennent respectivement 12,7% et 11,6% des voix. Le nouveau bloc nationaliste Rodina (Pays Natal) a obtenu 9,1%. Les autres partis n’ont pas obtenu le seuil électoral de 5%.

    La victoire de Poutine doit être relativisée par la faible participation aux élections. La population russe n’a plus confiance en la pseudo "démocratie dirigée" du Kremlin. La politique pro-occidentale de Poutine et de ses prédécesseurs n’a pas amélioré le niveau de vie du russe moyen.

    Russie Unie dispose maintenant d’une marge de manoeuvre pour mettre en application les libéralisations sans protestation d’une opposition sérieuse. Les travailleurs et les jeunes en feront les frais tant qu’il manquera un parti ouvrier capable de défendre les intérêts de la population.

    Ce n’est pas une coïncidence si depuis la chute de l’Union soviétique le parti du président obtient la majorité. Ces dernières années les droits démocratiques ont été systématiquement bafoués. Une nouvelle loi empêche les petits partis de mener campagne. Pour être "validé" un petit parti doit avoir un certain nombre de membres, une infrastructure (comme des bâtiments) et doit exister dans toute la Russie. Il est évident que les petits partis n’en ont pas les moyens.

    Comme le CIO l’avait prédit après la chute du stalinisme, il n’est pas possible de construire une démocratie capitaliste stable en Russie. Avec Poutine comme bonapartiste (quelqu’un qui se base sur la force ouverte de l’état) cette perspective à été confirmée.

    De plus, les médias sont sous contrôle de l’état. Pendant les élections, ils étaient du côté du Kremlin. Une potentielle opposition au gouvernement aurait été effrayée d’avance. A l’automne, l’arrestation de l’oligarque notoire Chodorkovski a été arrêté un avertissement aux capitalistes russes: soutenir l’opposition peut avoir des conséquences néfastes! Et Poutine a eu le soutien de la puissante bureaucratie d’état.

    Malgré les critiques des observateurs internationaux, sur un nombre de normes démocratiques qui n’ont pas été respectées et sur une éventuelle fraude dans quelques républiques de Russie, il n’y a quasiment pas d’opposition politique contre Poutine. Le PC a perdu sa crédibilité – beaucoup de ses membres sont passés à LDPR et Rodina – et donc a perdu à peu près la moitié de ses voix. Au cours des quatre dernières années, le PC na pas été capable de mener une opposition contre le Kremlin. De plus il a mis aux places éligibles sur ses listes majoritairement des industriels du pétrole.

    Nous ne pouvons pas oublier que 5% des électeurs ont utilisé l’option électorale "contre tous les candidats". Le vide politique à la gauche existe, mais les tentatives de deux fédérations syndicales indépendantes de fonder un parti ouvrier ont échoué.

    Résistance socialiste (la section du CIO dans la CEI) a accueilli, au début, favorablement les tentatives de former un parti ouvrier et voulait aussi le soutenir aux élections. Mais nous ne pouvions pas être d’accord avec la participation de ce groupe au bloc chauvin de Rodina. En fin de compte nous avons appelé a voter "contre tous les candidats" et en même temps à construire une alternative politique concrète. Seul un parti ouvrier fort avec un programme socialiste est capable de monter une opposition forte contre le Kremlin et contre le capitalisme russe.

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