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  • Myanmar : Entretien avec Khaing Zar, dirigeante syndicale au Myanmar

    Khaing Zar

    Les travailleurs du monde entier ont été inspirés par la résistance déterminée du Myanmar contre le coup d’Etat militaire et la répression généralisée qui a suivi. La classe ouvrière y a joué un rôle central. Alternative Socialiste Internationale (ASI, dont le PSL/LSP est la section belge) a discuté de la situation avec Khaing Zar, dirigeante du syndicat des travailleurs du textile et trésorière nationale de la Confédération des syndicats du Myanmar.

    ASI : Merci de prendre le temps de discuter avec nous. Nous avons été particulièrement inspirés lorsque le coup d’État a eu lieu, car les travailleurs, notamment dans la santé et le textile, ont été très actifs en s’opposant au coup d’État et en créant le Mouvement de désobéissance civile (CDM). Pouvez-vous nous expliquer comment cela s’est passé, quel rôle a joué votre syndicat par exemple ?

    Khaing Zar : Notre syndicat a immédiatement tenu une réunion de son comité exécutif, notre organe central, pour décider de la manière de répondre au coup d’État. Nous avons pris la décision de ne pas travailler avec les militaires. Nous avons publié une déclaration pour l’expliquer et nous avons organisé la participation de nos affiliés aux manifestations contre le coup d’État militaire.

    ASI : Comme vous le savez, il y a eu un grand mouvement de protestation au Belarus l’année dernière. Les travailleurs ont là aussi été très actifs dans leur opposition au régime, mais ils n’étaient pas organisés de manière indépendante. Mais dans votre cas, il y a eu une organisation indépendante de la classe ouvrière, notamment dans la santé et le textile.

    Khaing Zar : Oui, bien sûr, nous avons notre propre organisation et nos membres voulaient savoir ce qu’il fallait faire et attendaient notre décision. Ainsi, le 2 février, le lendemain du coup d’État, ils étaient prêts à agir.

    ASI : La semaine dernière, les écoles devaient reprendre les cours, mais on rapporte que de nombreux étudiants les boycottent. Est-ce le cas, et si oui, pourquoi ?

    Khaing Zar : Oui, quand vous parlez des étudiants, des lycéens, ils ne veulent pas se rendre aux cours à cause du régime militaire. Mais il y a également eu un attentat à la bombe dans une école, deux jeunes ont été blessés, ce qui a créé une situation où les parents s’inquiètent pour leurs enfants. Donc pour les enfants de la maternelle ou du collège qui ne comprennent pas la politique, ils ne se rendent pas aux cours parce que leurs parents sont inquiets.

    ASI : Le pays connait une très mauvaise situation économique en raison du coup d’État et du Covid. Quelle est la situation pour la classe ouvrière et pour vos affiliés en particulier dans l’industrie textile ?

    Khaing Zar : Après le coup d’État militaire, près de 200.000 travailleurs du textile et 500.000 travailleurs de la construction ont perdu leur emploi. Beaucoup de nos membres perdent leur emploi, en particulier les dirigeants du syndicat. Comme ils ont pris part aux manifestations, ils sont maintenant traqués par les militaires. Beaucoup de nos membres et beaucoup de dirigeants syndicaux ont dû se cacher. Ils perdent donc leur emploi. Mais il n’y a pas que nos membres. Des centaines de milliers d’autres personnes perdent leur emploi parce que le 14 mars, de grandes zones industrielles comme Hlaing Thar Yar et Shwepyitha ont été attaquées par l’armée, obligeant de nombreuses usines, principalement chinoises, à fermer.

    Ces zones avaient été le théâtre de grandes manifestations que les militaires ont brutalement réprimées. Cela a laissé 150.000 travailleurs sans emploi dans une seule zone. Après cela, les militaires ont déclaré la loi martiale pour les deux zones. Les travailleurs ne peuvent que retourner dans leurs villages, ils ne peuvent pas retourner au travail à cause de ces attaques, et parce que le transport vers ces zones a cessé. Les usines ont rouvert après une semaine, mais les travailleurs ne peuvent toujours pas revenir. Chaque jour, nous assistons à des bombardements dans les zones industrielles. Les militaires effectuent des fouilles brutales maison par maison.

    Protestation des enseignants de l’État de Kayin.

    ASI : La situation des travailleurs dans les zones industrielles est très importante. Nous avons également beaucoup entendu parler des travailleurs du secteur public dans les villes et de la répression (des arrestations aux licenciements) qui a frappé les travailleurs de la santé ou de l’enseignement. Le rôle de la classe ouvrière semble plus central dans la révolution au Myanmar, par rapport à d’autres mouvements dans le monde, et qu’elle doive faire face à plus de répression.

    Khaing Zar : Je dirais que le rôle des syndicats et des travailleurs est très important. Comme vous l’avez dit, il y a beaucoup d’enseignants, de médecins, d’infirmières et de sages-femmes ou encore de conducteurs de train qui s’engagent contre le coup d’État. De nombreux travailleurs de différents secteurs rejoignent le Mouvement de désobéissance civile (MDC). Le gouvernement, le régime militaire, essaie de les forcer à reprendre le travail. C’est pourquoi tant de travailleurs ont été arrêtés ou font l’objet de mandats d’arrêt. Beaucoup ont dû quitter leur maison et se cacher. Beaucoup de ceux qui travaillent dans le secteur public vivent dans des logements fournis par le gouvernement. Maintenant, les militaires les expulsent de force. Ainsi, de nombreux travailleurs qui rejoignent le MDC sont confrontés à une situation vraiment difficile. Mais le régime militaire, qui est maintenant au pouvoir depuis plus de 100 jours, ne peut pas diriger le pays. Nous ne les laisserons pas faire, nous continuerons la lutte. Nous devons maintenant intensifier la campagne. Nous organisons par exemple les enseignants en leur montrant comment former un syndicat et en leur présentant les syndicats internationaux.

    ASI : Vous avez mentionné à plusieurs reprises le MDC. Est-ce que le MDC joue toujours un rôle central dans la lutte, et si oui, comment cela ?

    Khaing Zar : Oui, les travailleurs sont toujours derrière le MDC, ils ne retournent pas au travail pour soutenir le régime militaire. C’est parce que nous, le peuple du Myanmar, avons une très mauvaise expérience du régime militaire. Je suis sûre que vous savez que le Myanmar a été sous régime militaire pendant plusieurs décennies. Notre système éducatif a été détruit et nous avons connu le travail des enfants et le travail forcé. La liberté d’association n’existait pas. Les droits des travailleurs et les droits humains n’existaient pas. Dans de nombreux cas, des enfants ont été arrachés à leur famille pour être soumis au travail forcé. C’était une situation très amère et difficile. Il est donc hors de question de revenir à un régime militaire. C’est pourquoi nous devons nous opposer à ce nouveau coup d’État militaire.

    ASI : Nous comprenons les problèmes liés au régime militaire, mais le gouvernement de la NLD (Ligue nationale pour la démocratie, le parti d’Aung San Suu Kyi) n’était pas particulièrement favorable aux travailleurs. Il n’avait pas non plus de bonnes relations avec les minorités nationales, en particulier les Rohingyas bien sûr. Comment considérez-vous la NLD et le gouvernement d’unité nationale ? Défendront-ils les droits des travailleurs ?

    Khaing Zar : Nous sommes comme les syndicats dans le monde entier – nous n’avons généralement pas le soutien des gouvernements. Je ne vois personne dans le nouveau gouvernement proposé par la NLD qui connaisse le droit international, ils ne connaissent pas les syndicats parce que la plupart des membres de la NLD actuellement en poste étaient en prison pendant le régime militaire. Nous avons besoin de temps pour éduquer les personnes responsables des questions relatives aux travailleurs, que ce soit au sein du parti ou du gouvernement. Nous avons besoin de temps. Ce temps ne sera possible que lorsque nous aurons de meilleures conditions.

    ASI : Nous avons remarqué que lors des élections, que les militaires ont maintenant annulées, il y avait quelques candidats ouvriers/syndicaux. Qu’ont-ils fait et n’y a-t-il pas un rôle pour la participation des travailleurs/syndicats aux élections ?

    Khaing Zar : Nous avions quelques candidats, mais nous avons perdu. Dans la plupart des cas, la NLD a gagné. Bien sûr, la plupart des gens voulaient que la NLD gagne, mais nous avons besoin de personnes qui comprennent les droits des travailleurs et qui défendront les travailleurs au Parlement. Nous n’avons vu personne dans le gouvernement précédent qui comprenait les problèmes des travailleurs, mais nous voulions être représentés au Parlement. C’est pourquoi certains de nos membres se sont présentés aux élections. Nous avons fait cela sans aucune coordination avec la NLD.

    Les travailleurs du textile de Hengmao protestent contre leur licenciement

    ASI : Pouvons-nous revenir sur une autre question ? Vous avez parlé de la nécessité pour les militants syndicaux du Myanmar d’avoir des contacts au niveau international, afin que les organismes internationaux puissent faire avancer la question à l’OIT (Organisation internationale du travail) et dans d’autres instances. D’après notre expérience, la solidarité des travailleurs est plus efficace lorsqu’il y a un contact direct entre les travailleurs sur les lieux de travail. Par exemple, l’industrie textile pose problème et H&M est un client important. H&M a initialement suspendu son contrat mais cela ne fut que provisoire. Il y a, ou il y a eu récemment, des grèves chez H&M en Espagne, au Chili, en Nouvelle-Zélande, et je pense en Belgique. Le contact direct au niveau de la base est toujours utile car ils font pression sur la direction ou en boycottant l’utilisation des marchandises. Il y a aussi la question du pétrole et du gaz, ces travailleurs sont organisés. S’ils comprenaient la nécessité, ils pourraient boycotter les livraisons de pétrole et de gaz en provenance du Myanmar. Cela porterait gravement atteinte au régime. Avez-vous eu des discussions dans ce sens ?

    Khaing Zar : Eh bien, la Conférence internationale du travail (CIT) est sur le point de commencer et nous y remettrons en question les liens avec l’armée du Myanmar. Avant le début de la conférence, nous avons eu une réunion avec la Confédération syndicale internationale (CSI) pour lui demander de soutenir notre appel à la CIT et reconnaître le gouvernement d’unité nationale. Tous les syndicats internationaux sont d’accord avec nous et nous soutiennent. À la CIT, le groupe des travailleurs soutient notre appel. Les militaires et le gouvernement d’unité nationale ont tous deux envoyé des délégations à la CIT et tous deux ont posé leur candidature. C’est donc maintenant à l’OIT de décider si elles seront acceptées.

    Récemment, l’Organisation mondiale de la santé a décidé d’exclure le Myanmar de sa réunion annuelle, car elle ne parvenait pas à déterminer qui était le représentant légitime. Nous ne voulons pas que la même chose se produise avec la CIT. Nous avons besoin que l’OIT rejette le régime militaire et reconnaisse le gouvernement d’unité nationale – nous y travaillons toujours. Je vous demande également de faire pression sur l’OIT.

    En ce qui concerne les entreprises, en tant que présidente de la Fédération des travailleurs industriels du Myanmar, je travaille avec les marques qui sont présentes au Myanmar. J’ai été choquée lorsqu’elles ont annoncé qu’elles renouvelaient leurs commandes. Avant cette annonce, nous étions en train de négocier avec elles pour obtenir un accord visant à protéger les travailleurs qui perdent leur emploi à cause des attaques militaires, et nous sommes en train de finaliser cet accord pour protéger les travailleurs, en insistant particulièrement sur le fait qu’ils ne doivent pas être discriminés à cause de la question de la sécurité. Actuellement, si les travailleurs ne peuvent pas retourner au travail, après trois ou cinq jours, ils peuvent être licenciés sans compensation. Nous soutenons que les travailleurs ne peuvent pas être licenciés sans compensation – cela sera appliqué après notre accord.

    Je suis très inquiète pour les travailleurs qui n’ont pas pu travailler, qui ont perdu leur emploi. C’est pourquoi nous nous sommes engagés auprès des marques, mais je vois maintenant qu’elles reprennent leurs commandes au Myanmar. Je ne suis pas d’accord avec cela.

    En ce qui concerne les compagnies pétrolières et gazières, nous demandons des sanctions complètes, en particulier pour les compagnies pétrolières et gazières et les compagnies d’assurance. Nous nous concentrons sur ces secteurs car le pétrole et le gaz rapportent beaucoup d’argent aux militaires, et cela doit cesser immédiatement. Un autre problème concerne les assurances : nous demandons maintenant aux compagnies d’assurance de cesser d’investir au Myanmar, car sans assurance, aucune entreprise ne peut fonctionner. C’est très important, et nous y travaillons actuellement.

    ASI : Vous avez un levier sur les marques qui n’est actuellement pas utilisé – le conseil d’administration ne s’intéresse qu’au profit, mais les travailleurs des marques ont un intérêt direct. Nous devrions faire campagne parmi eux pour soutenir votre lutte.

    Khaing Zar : Oui, je suis tout à fait d’accord.

    ASI : Nous avons vu que les femmes ont été à l’avant-garde de l’opposition au coup d’État. Elles ont été actives dans les rues, mais aussi soumises à d’horribles violences sexuelles après leur arrestation. Le rôle des femmes a été très inspirant. ASI et ROSA-International ont participé à la diffusion d’informations sur la répression et les violences sexuelles dont sont victimes les femmes au sein du mouvement. Que pouvez-vous dire sur la situation des droits des femmes au Myanmar aujourd’hui ?

    Khaing Zar : Eh bien, je constate que de nombreuses femmes mènent la révolution. Dans le mouvement syndical (pas seulement dans mon propre syndicat) et les ONG, de nombreuses femmes dirigent les activités. Mais comme vous le dites, le harcèlement sexuel est très répandu, comme en témoigne ce qui est arrivé à la dirigeante de la “Solidarité des syndicats du Myanmar”, Daw Myo Aye, qui a été arrêtée. J’ai entendu dire qu’elle devait être soignée. Mais ce que je vois maintenant, c’est que les hommes et les femmes travaillent et luttent ensemble. Les femmes ne sont pas laissées pour compte dans ce mouvement.

    ASI : Nous avons vu le chiffre de 60% de femmes parmi les manifestants au Myanmar ?

    Khaing Zar : Oui, je pense que c’est correct.

    ASI : Nous aimerions en savoir un peu plus sur le rôle de votre syndicat – nous comprenons que, légalement, les syndicats sont nouveaux, ce qui rend encore plus impressionnant le fait qu’ils jouent un rôle important. Le rôle des travailleurs du textile a également été très impressionnant. Comment votre syndicat s’est-il développé ?

    Khaing Zar : En ce moment, nous essayons de faire de notre mieux pour soutenir les travailleurs qui soutiennent le MDC. Ils perdent leurs salaires, leurs maisons. Ils sont nombreux à se trouver dans une situation difficile. Par le biais des syndicats internationaux, nous collectons donc tout l’argent que nous pouvons. Chaque fois que nous recevons un soutien de la communauté internationale, nous envoyons un soutien aux travailleurs. Et nous faisons tout ce que nous pouvons à l’intérieur du pays.

    Certains de nos dirigeants doivent se rendre dans les zones libérées où la Force de défense populaire (qui a été fondée en mai dernier sous l’autorité du gouvernement d’unité nationale, NdT) a établi une base. Là, nos membres s’organisent avec d’autres, dont des groupes politiques. Nous essayons d’organiser les travailleurs dans différents secteurs et de les mettre en relation avec des organisations internationales, afin d’obtenir l’aide que nous pouvons. Pour terminer, je voudrais vous demander votre aide, demander à vos dirigeants de faire pression sur vos gouvernements pour qu’ils ne reconnaissent pas la junte militaire à la CIT. Nous avons vraiment besoin que toutes les organisations internationales, à commencer par l’ONU, refusent de reconnaître ce gouvernement, pour le forcer à partir.

    ASI : Vous avez dit à quel point le régime militaire était détesté. Malheureusement, il se qualifiait lui-même de parti bouddhiste socialiste birman. Et, vous le savez, ASI est une organisation socialiste. Comment considérez-vous le socialisme aujourd’hui ?

    Khaing Zar : En tant que syndicaliste, j’aime l’idéologie sociale-démocrate et bien sûr, dans le passé, de nombreux partis ont utilisé des idées socialistes et coopératives. Je pense que les idées ne sont pas mauvaises, mais leur mise en œuvre était incorrecte. Elles ont été corrompues et les gens n’ont pas confiance dans le système. Les gens ne considèrent pas que c’est un problème avec un parti, mais avec le système. En tant que syndicat, nous avons prévu d’éduquer nos membres, de leur apprendre les différentes idéologies. Nous avons bien sûr été très occupés et n’avons pas encore pu le faire, mais au sein de la direction, nous en avons discuté. En 2012, nous avions prévu une formation idéologique pour nos membres dirigeants. Nous pensons que c’est très important. On parle beaucoup de démocratie au Myanmar, mais les gens ne comprennent pas vraiment ce qu’est la démocratie. Nous avons besoin de beaucoup d’éducation politique.

    ASI: Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?

    Khaing Zar : Si nous pouvons communiquer davantage, je pourrai partager plus d’informations. En ce qui concerne les marques, nous avons maintenant un endroit sûr d’où nous pouvons nous organiser. Il y a de nombreuses violations ; il est très difficile de s’assurer que les droits des travailleurs sont respectés. Mais je pense que les chaînes d’approvisionnement sont importantes, pour des entreprises comme H&M. Primark, Adidas. Comme il y a des problèmes de sécurité tels que les explosions de bombes, les fouilles, les arrestations, les enlèvements et les vols dans les zones industrielles, les marques doivent s’engager auprès de leurs fournisseurs pour s’assurer que leurs fournisseurs et leurs usines respectent pleinement les droits des travailleurs et ne licencient aucun travailleur pour absence du travail pour des raisons de sécurité et des difficultés de communication.

    Nous continuons à nous battre contre le régime militaire terroriste. Nous ne pouvons pas gagner ce combat seuls. Nous avons besoin du soutien international. Alors je crois que nous gagnerons.

  • Le soulèvement de masse au Myanmar isole le coup d’État

    Le 1er février, les dirigeants militaires du Myanmar, sous la direction de Min Aung Hlaing, ont organisé un coup d’État. Les mobilisations ont été massives, ce qui a rendu les choses très difficiles aux putschistes. La vague de mobilisations de 2019, interrompue par le Covid-19 n’est certainement pas terminée. Bien au contraire, la crise sanitaire a intensifié la colère.

    Par Geert Cool

    Comme dans les mouvements précédents de ces derniers mois et années, les jeunes et les femmes sont à la pointe de la mobilisation. C’est malheureusement également ce qu’illustrent les décès. La première victime était une étudiante de 20 ans, Mya Thwate Khaing. La victime la plus connue est Angel Kyal Sin, une jeune femme de 19 ans assassinée à Mandalay le 3 mars, une journée sanglante où 38 personnes ont été tuées, alors qu’elle portait un T-shirt avec le slogan « Tout ira bien ».

    Les travailleurs prennent l’initiative

    La contestation au Myanmar s’inspire explicitement d’autres mouvements dans la région et ailleurs. Des symboles tels que les trois doigts levés des « Hunger Games » ont été adoptés et de nombreux slogans sont écrits en anglais sur les pancartes. Mais chaque mouvement a ses propres caractéristiques. Ce qui frappe le plus ici, c’est la puissance de l’arme de la grève. Des grèves générales ont eu lieu le 22 février et le 8 mars. Dans certains secteurs, les grèves durent depuis début février. Ce n’est pas une coïncidence si les premiers à prendre des mesures contre le coup d’État étaient ceux qui avaient dernièrement acquis l’expérience des grèves et des manifestations. Les syndicats s’étaient ainsi renforcés dans les secteurs des soins de santé, de l’enseignement et du textile.

    Le secteur du textile s’est développé à un rythme particulièrement rapide ces dernières années pour devenir un secteur qui emploie jusqu’à 900.000 personnes, dont de nombreuses jeunes femmes. Il représente 30 % des exportations du Myanmar. Cette croissance rapide a entraîné une vague de grèves pour des salaires plus élevés et de meilleures conditions de travail dès 2019. Ces grèves réussies ont eu un effet de contagion et le syndicat a également connu une croissance rapide. La pandémie a entraîné une baisse de la demande des géants occidentaux du textile. Au Myanmar, les patrons en ont profité pour se débarrasser des travailleurs et cibler les syndicalistes. Cela a conduit à de nouvelles grèves, tant pour des conditions de travail sûres que contre les licenciements.

    Dans le secteur des soins de santé, l’année écoulée a montré que la pénurie de ressources rend une crise sanitaire désastreuse. Dans le domaine de l’enseignement, l’année 2014-15 a été marquée par des manifestations contre des réformes. Les étudiants y ont joué un rôle de premier plan, mais le personnel a également été particulièrement actif. Lors des actions de ces dernières années, les travailleurs n’ont pas pu compter sur le soutien de la Ligue nationale pour la démocratie (LND) d’Aung San Suu Kyi, qui disposait de la majorité parlementaire depuis les élections de 2015. Celle-ci a appliqué des politiques favorables aux grandes entreprises avec un recours croissant au nationalisme et à la division (visible, entre autres, dans la persécution des Rohinya). Les premières initiatives de protestation contre le coup d’État militaire sont venues des travailleurs les plus militants, ce qui a contribué à définir le caractère du mouvement.

    Le rôle des grèves générales

    Des grèves dans divers secteurs et entreprises, il était logique de passer à une grève générale, ce qui a été fait le 22 février. Non seulement les mineurs et les dockers étaient en grève, mais les vendeurs informels et les restaurants ont également fermé leurs portes. Le site d’information Irrawaddy.com a décrit comment, à Mandalay, il semblait que chaque habitant descendait dans la rue pour participer à des manifestations qui, selon les vétérans de la manifestation de 1988, étaient les plus importantes jamais organisées. Même à Naypyidaw, une ville construite de toutes pièces entre 2002 et 2012 pour servir de capitale au régime, il y a eu des grèves et des manifestations. Les fonctionnaires ont cessé de travailler et ont quitté la ville pour rejoindre leur ville et village d’origine.

    La grève générale a attiré de nouvelles couches dans l’action et a renforcé le mouvement ailleurs. Dans les banques, la grève des travailleurs a entraîné un manque d’argent tel que le régime a eu des difficultés à payer les salaires des soldats qui lui sont si désespérément nécessaires.

    La réaction du régime fut une répression sanglante et des tirs à balles réelles. Le 28 février, 18 personnes ont été tuées et 38 le 3 mars. Les travailleurs ont riposté avec une puissante grève générale le 8 mars. La mobilisation a également eu un impact sur les forces de police, en particulier à la base. L’étape suivante, après ces grèves générales, est de passer à une grève générale illimitée, qui nécessite que des éléments de la vie quotidienne soient organisés par les travailleurs et les paysans pauvres.

    Le Mouvement de désobéissance civile

    Dès les premières actions de grève, le Mouvement de Désobéissance Civile (MDC) a été lancé, avec une page Facebook qui a rapidement compté plus de 300.000 personnes. Il est important que le mouvement mette en place et contrôle ses propres organisations. L’initiative d’un comité de grève générale pour la grève du 22 février était intéressante, même s’il s’agissait d’une initiative de haut en bas et non d’une coordination des représentants élus de comités de grève locaux.

    Si les travailleurs et les paysans pauvres ne construisent pas eux-mêmes une direction pour le mouvement à partir de la base, il y aura toujours des candidats venus d’en haut. La LND tente ainsi de reprendre l’initiative. Le 2 mars, la NLD a formé un gouvernement alternatif : le Cabinet du comité représentant le Pyidaungsu Hluttaw (CRPH, Pyidaungsu Hluttaw est le nom du parlement). Il comprend quatre ministres : trois de la NLD et un universitaire et médecin indépendant, Zaw Wai Soe, qui était responsable de la lutte contre le Covid-19 à Yangon, la plus grande ville du pays.

    Il est normal qu’il y ait des illusions au sein de la population vis-à-vis du CRPH. Les manifestants demandent à juste titre la libération de tous les prisonniers politiques. Mais quelle politique le CRPH entend proposer ? Quelle tactique utiliser contre l’armée ? Quelle alternative si les putschistes sont chassés ? Le retour à la situation antérieure n’est pas une solution. C’est un problème à la fois pour la NLD et pour les dirigeants de l’armée. Si le mouvement ne prend pas de mesures pour organiser lui-même la société, certaines parties de l’establishment auront la possibilité de rétablir l’ordre, avec ou sans le soutien international de la Chine ou des États-Unis.

    Comment procéder ?

    Le peuple veut la fin du règne des militaires. Le parti de l’armée a été éliminé en novembre 2020, le coup d’État est désormais isolé dans la société. Pour se débarrasser de l’armée, il faut la combattre non seulement sur le terrain politique mais aussi sur le terrain économique. Les dirigeants de l’armée jouent un rôle important dans certains conglomérats, tels que la Myanmar Economic Corporation (MEC) ou la Myanmar Economic Holding Ltd (MEHL). Le mouvement de masse le comprend instinctivement, comme en témoigne le boycott de Myanmar Beer ou de l’opérateur télécom MyTel, qui font partie de la MEC.

    Même dans un pays où la majorité de la population travaille dans l’agriculture, la classe ouvrière joue un rôle central et attire la population rurale à ses côtés dans l’action. Dans les manifestations de masse, on ressent instinctivement l’importance de l’unité fondée sur le respect des minorités nationales. Cela renforce le mouvement, mais il faut traduire cela en un programme politique qui intègre le droit à l’autodétermination dans le cadre d’un changement de système.

    L’ampleur de la contestation et des grèves aujourd’hui conduit à des éléments de double pouvoir : l’armée a formellement le pouvoir, mais dans les rues, le mouvement fait la loi. Pour donner véritablement le pouvoir au peuple, le mouvement de contestation a besoin d’un programme. Pour cela, il est important de briser complètement le pouvoir de l’armée. Cela implique de remettre en question l’ensemble du système. Les revendications démocratiques revêtent inévitablement un caractère social. Des élections démocratiques ne suffisent pas : la population doit prendre le contrôle des secteurs clés de l’économie afin de permettre une planification démocratique de l’utilisation des énormes richesses du pays.

    Pour diriger le mouvement, il faut discuter des revendications et d’une alternative à un système où l’armée joue un rôle central. Les comités de grève et les comités d’action dans les entreprises, les districts et les villages sont nécessaires pour discuter démocratiquement des prochaines étapes de la protestation et pour les organiser avec la plus grande participation possible. Ces comités sont également essentiels pour organiser la défense contre la répression. Ces comités doivent assurer une coordination au niveau local et national, tout en intégrant des éléments de gouvernance quotidienne tels que l’organisation de la distribution de nourriture, de soins médicaux et d’autres besoins urgents. Une direction claire du mouvement pourrait s’attirer les policiers et les soldats de la base.
    Une assemblée constituante élue par la classe ouvrière, la population rurale et les opprimés donnerait l’impulsion pour une autre société, une société socialiste reposant sur une économie planifiée démocratiquement. Un tel changement aurait un impact gigantesque et disposerait d’une très large solidarité au niveau régional et international.

  • Myanmar : Les protestations de masse après le coup d’État seront décisives

    Le soutien à la “campagne de désobéissance civile” lancée par le personnel médical de plus de 80 hôpitaux au Myanmar est en augmentation. Ils ont maintenant été rejoints par des fonctionnaires du ministère de l’énergie et des membres des forces de police se joignent à la lutte contre le coup d’État, en manifestant ouvertement le salut à trois doigts – symbole de la protestation.

    Par James Clement (Socialist Alternative, Angleterre, Pays de Galles et Ecosse) et Geert Cool (PSL/LSP, Belgique)

    La population du Myanmar descend dans la rue pour protester en masse contre le coup d’État militaire. Malgré le Covid-19 et la répression des autorités, ce mouvement prend de l’ampleur. Si les militaires pensaient s’en tirer à bon compte avec leur coup d’État, ils se sont trompés. Les mobilisations pourraient être décisives.

    L’armée du Myanmar (le Tatmadaw) a organisé un coup d’État le 1er février, la veille de l’entrée en fonction du nouveau parlement. L’état d’urgence a été déclaré, les résultats des élections parlementaires de novembre 2020 ont été invalidés et les dirigeants de la Ligue nationale pour la démocratie (LND) d’Aung San Suu Kyi ont été arrêtés.

    Ce coup d’État intervient à un moment important pour l’establishment du Myanmar. Les dirigeants militaires ont été contraints d’autoriser des éléments de démocratisation ces dernières années, en partie parce que cette décision a ouvert de nombreuses portes au niveau international et en partie parce qu’une vague de protestations en 2007 a menacé la stabilité du régime. Les chefs de gouvernement internationaux ont fait la queue pour rendre visite à Aung San Suu Kyi après sa libération en 2010. Quelques jours avant le coup d’État, le FMI a donné au pays 350 millions de dollars pour lutter contre la pandémie de Covid-19.

    La LND anéantit les espoirs

    Ceux qui ont pris part aux précédentes manifestations ont placé leurs espoirs dans le changement lorsque la LND est entrée au gouvernement. La désillusion fut toutefois croissante. Au cours des ans, la LND a loyalement coopéré avec les dirigeants de l’armée. Cette loyauté n’était pas réciproque : même après qu’Aung San Suu Kyi se soit rendue à La Haye pour défendre la persécution de la minorité Rohingya, le commandement de l’armée est resté méfiant.

    Ce n’est pas un hasard si le coup d’État du 1er février a eu lieu juste avant l’entrée en fonction du nouveau parlement. En novembre 2020, la LND d’Aung San Suu Kyi a remporté une large majorité des sièges, même si l’armée s’est automatiquement attribué un quart des sièges. Cela donnait une plus grande emprise sur le pouvoir à la LND. De plus, la retraite de Min Aung Hlaing, l’homme fort de la direction de l’armée qui aura 65 ans en juillet, est imminente.

    Peut-être les dirigeants militaires pensaient-ils s’en tirer facilement avec ce coup d’Etat étant donné la crise sanitaire et les tensions croissantes entre la Chine et les États-Unis. Les réactions très prudentes des organismes internationaux ont démontré qu’il ne fallait pas compter sur la désapprobation de la communauté internationale. Pour le régime chinois, un coup d’État militaire ne pose bien sûr aucun problème, tant que le régime reste stable. Les États-Unis et d’autres puissances internationales sont prudents dans leur réaction au coup d’État ; ils ne veulent pas donner au régime chinois trop d’espace dans un pays doté d’importantes ressources naturelles. Le ministère japonais des affaires étrangères a même déclaré ouvertement qu’il fallait maintenir les communications avec l’armée, de peur que la Chine ne renforce sa position dans le cas contraire.

    L’armée craint les protestations

    Le plus grand problème pour les dirigeants militaires et les puissances internationales, en particulier la Chine, a été et continue d’être la mobilisation de masse. C’est d’ailleurs pour cela que les figures de proue des manifestations de moines de 2007 et du soulèvement de 1988 ont été immédiatement arrêtées le 1er février. Le commandement militaire estimait peut-être éviter la mobilisation de masse de cette façon. Mais la crise sanitaire ne constitue pas un frein absolu aux mouvements sociaux, comme cela a déjà été démontré dans la Thaïlande voisine, notamment. Si les protestations continuent à se développer, le coup d’État pourrait bien avoir été le fouet de la contre-révolution qui a l’effet de faire avancer la révolution.

    L’annulation des résultats des élections de 1990, que la LND a remportées, a suivi le mouvement de masse de 1988. Aujourd’hui, l’intervention de l’armée a elle-même déclenché un nouveau mouvement. Cela sape la stratégie d’Aung San Suu Kyi et de la direction de la LND. Ces dernières années, elles ont suivi une stratégie de coopération loyale avec le commandement militaire. Si le mouvement de masse stoppe le coup d’Etat, il sera difficile pour Aung San Suu Kyi de continuer sur cette voie.

    Le coup d’État démontre de façon éclatante toute l’étendue de l’échec de cette approche. Un mouvement de masse a de plus toujours tendance à développer plus de revendications à mesure qu’il gagne lui-même en confiance. Il sera dès lors difficile de le stopper en utilisant des manœuvres au sommet, même si le mouvement n’est pas très organisé et en dépit d’éléments indubitablement contradictoires en son sein.

    Une fois que les masses sont en mouvement, le débat sur les droits démocratiques déborde rapidement sur les revendications sociales. Ces deux thèmes vont bien entendu de pair. Les marxistes ne laissent pas la discussion sur la démocratie aux ailes “libérales” de la classe dirigeante, mais ils participent à ce combat en tant que démocrates les plus conséquents, en reliant les revendications démocratiques à la nécessité d’une lutte révolutionnaire pour une transformation socialiste de la société.

    Ce n’est pas ce que représente la LND. Ces dernières années, le mécontentement à l’égard des politiques et de l’orientation de la LND s’est accru. Si celle-ci a remporté les élections de novembre 2020, c’est principalement une expression du rejet que suscitent les militaires. La LND n’offre rien aux différents groupes ethniques du Myanmar dans des régions comme les États de Shan ou de Kachin. Dans l’État de Rakhine, par exemple, le parti national de l’ethnie locale Arakan a remporté plus de voix que la LND, même avec une participation électorale limitée à seulement 25 %.

    Le rôle de la classe ouvrière

    Le coup d’État et le début des protestations de masse ont bouleversé la situation. Il est logique que de nombreux manifestants demandent avant tout la libération d’Aung San Suu Kyi et des dirigeants de la LND. Ils les considèrent comme un instrument contre l’armée. Mais en même temps, la discussion doit se concentrer sur la manière de réellement stopper l’état-major : Les méthodes d’Aung San Suu Kyi n’ont manifestement pas fonctionné. Sa politique de coopération a été considérée comme un signe de faiblesse par l’armée. Et, comme nous le savons, la faiblesse appelle à l’agression.

    Pour vaincre, le mouvement doit développer ses propres instruments, à la fois pour se structurer et pour formuler et défendre des revendications politiques et sociales avec la participation la plus large possible. Des milliers de travailleurs de la santé et de médecins se sont déjà organisés en “désobéissance civile” sous forme de grèves. Les mineurs des mines de cuivre et les fonctionnaires se sont également mis en grève. Pour manifester leur colère, les médecins du service des urgences de l’hôpital de Yangoon continuent à fournir des soins d’urgence mais ne traiteront pas ceux qui ont participé aux actions pro-militaires.

    Un appel à la grève générale après les protestations des médecins, des enseignants et d’autres offre des possibilités considérables pour renforcer le mouvement, surtout si des comités de grève sont mis en place dans tous les lieux de travail et les quartiers, avec une coordination de ces comités de grève qui peut servir de base à une assemblée constituante. Il est urgent de procéder de la sorte, ne serait-ce que pour protéger les mobilisations contre la répression et la violence des autorités.

    Le soutien à la direction de l’armée est extrêmement limité, comme l’ont déjà montré les élections de novembre 2020, et cela ne s’améliorera pas avec ce coup d’État. Un régime acculé peut avoir des réactions étranges, ce qui est particulièrement vrai de la part de ce régime. Cela peut conduire à une forte augmentation de la violence et de la répression pour noyer les mobilisations populaires dans le sang. Le régime a attaqué les manifestants avec des gaz lacrymogènes, des canons à eau et des balles en caoutchouc tandis que la loi martiale s’abat sur internet et les réseaux sociaux.

    Les leçons de l’histoire

    Les masses du Myanmar ont montré par le passé que des défaites sanglantes peuvent être suivies de nouveaux mouvements : les expériences de 1988 ne sont pas encore oubliées. En même temps, il faut tirer des leçons politiques : le changement ne s’obtient pas en gouvernant avec les militaires ou en acceptant leurs conditions. Les réformes démocratiques sont également insuffisantes pour transformer les misérables conditions de vie de la majorité de la population. Pour cela, il faut un programme de transformation socialiste de la société et la construction d’une organisation révolutionnaire capable de popularise cette nécessité au sein des comités de grévistes organisés et coordonnés.

    Il ne faut pas croire que les institutions du capitalisme mondial jouent un rôle véritablement “progressiste”. L’hypocrisie des nations développées, ainsi que des blocs commerciaux comme l’ANASE (Association des nations de l’Asie du Sud-Est), en matière de droits humains n’est plus à démontrer. Leur principale motivation, ce sont les intérêts commerciaux. Ce n’est qu’à la suite du coup d’État lui-même et de l’instabilité engendrée que la grande société japonaise Kirin et l’homme d’affaires singapourien Lim Kaling ont publiquement coupé leurs liens financiers avec le régime du Myanmar.

    Le mouvement de masse contre le régime thaïlandais voisin, inspiré de Hong Kong et impliquant un grand nombre de jeunes, a également eu un effet sur la conscience du peuple du Myanmar.

    Une analyse récente du mouvement en Thaïlande par des membres d’ASI appelle à la construction d’un “nouveau parti de gauche reposant sur la lutte pour changer la société” en défiant l’armée et les grandes entreprises (ainsi que la famille royale thaïlandaise). Le mouvement au Myanmar doit attirer à lui les travailleurs, y compris ceux qui sont exploités dans les zones économiques spéciales, et construire une base solide avec les masses opprimées sur tout le continent asiatique.

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