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  • Afrique du Sud – Décision historique du syndicat des métallos

    Au cours de ce qui restera dans l’Histoire comme le plus important congrès syndical depuis la fondation du Congress of South African Trade Unions (Cosatu) en 1985, les délégués du congrès spécial de la National Union of Metal Workers of Soutah Africa (Numsa) ont pris la décision audacieuse et historique de couper les ponts avec l’ANC, parti au pouvoir depuis la fin de l’apartheid. Avec le retrait de leur soutien financier et logistique à l’ANC, celui-ci va entrer dans les élections 2014 sans le soutien du syndicat membre du Cosatu le plus nombreux et le plus influent politiquement. Etant donné le soutien de la base de toutes les composantes du Cosatu envers la Numsa, y compris dans celles dirigées par des leaders pro-capitalistes, cela signifie que l’ANC est partie pour perdre non seulement le vote des 340.000 membres de la Numsa, mais potentiellement également plus d’un million de voix des autres syndicats affiliés au Cosatu. L’ANC va sortir des élections de 2014 significativement affaiblie. Les scénarios-catastrophes des stratèges de l’ANC eux-même, où l’ANC obtiendrait moins de 50%, ne peuvent être écartés.

    Article du Workers’ And Socialist Party, parti large au sein duquel travaille le Democratic Socialist Movement, section du CIO en Afrique du Sud

    Les répliques du séisme commencé à Marikana, qui ont ébranlé les fondations de l’ordre politique post-apartheid ingénieusement établit dans les négociations de la Conférence pour une afrique du Sud Démocratique (CODESA), ont maintenant trouvé une expression sur le plan politique.

    Pour adapter le titre du livre du commentateur politique Allister Spark sur les perspectives du pays après la CODESA (tomorrow is another country), ”aujourd’hui, l’Afrique du Sud est un autre pays”. Les barreaux en or de la prison politique dans laquelle la classe ouvrière est maintenue depuis 20 ans sont brisés et le processus de l’émancipation de classe et d’indépendance politique de la classe ouvrière a commencé avec force.

    De plus, la Numsa va cesser sa contribution financière au Parti Communiste Sud-Africain, coupant les liens politiques avec ce parti ”en faillite idéologique”, selon les mots du secrétaire général de la Numsa, Irvin Jim.

    La colère et le sentiment de trahison des délégués envers les dirigeants de l’ANC et du PC Sud-Africain se sont exprimés pendant toute la conférence. A aucun moment un seul délégué n’a donné d’argument sérieux pour la poursuite du soutien à l’ANC. Pour les membres de la Numsa, la réalité est claire : l’ANC et le PC Sud-Africain sont des partis de la classe capitaliste. Le prochain gouvernement dirigé par l’ANC, avec le Programme de Développement néo-libéral comme pièce maîtresse, sera un gouvernement consciemment anti-ouvrier et ne mérite pas le soutien de la classe ouvrière.

    A ce stade, la Numsa s’est gardée de décider de soutenir un parti alternatif en 2014 et a simplement réitéré le droit de ses membres de voter individuellement selon leurs convictions. Au lieu de prendre une position claire pour 2014 au cours du congrès, la Numsa a pris la décision de lancer un ”front uni” modelé sur le United Democratic Front des années ’80, pour unir les luttes des travailleurs et des communautés tout en contribuant à former un ”Mouvement pour le Socialisme”. Le Workers’ And Socialist Party, dans sa lettre ouverte à la Numsa, a appelé au lancement d’un réseau syndical socialiste pour aider à surmonter les divisions au sein de la classe ouvrière et à surmonter la paralysie de la lutte unifiée causée par la crise du Cosatu. Nous appelons aussi à une Assemblée de l’Unité de la Classe Ouvrière pour établir un plan de bataille pour les luttes de masse. Dans la décision de la Numsa de lancer un Front Uni et un Mouvement pour le Socialisme, nous voyons que ces appels ont trouvé un écho.

    Cependant, avec les élections nationales et provinciales à quelques mois d’ici, nous avons invité la Numsa à ”prendre sa place dans la direction du WASP”. Le WASP a été lancé pour unir les luttes des travailleurs, des communautés et des jeunes et est organisé de façon démocratique et fédérative qui permettrait à Numsa d’utiliser l’étiquette du WASP pour présenter ses propres candidats, sélectionnés selon ses propres procédures. La Numsa pourrait s’opposer au Plan de Développement National au parlement en tant qu’auxiliaire des luttes qui vont avoir lieu dans les lieux de travail et les communautés.

    Au congrès spécial de la Numsa, la direction a établi les critères que tout parti politique devrait présenter pour obtenir son soutien politique. Ces critères ont été approuvés par les délégués au cours de l’adoption du rapport du secrétariat. Nous pensons que le WASP présente ces critères. Le WASP s’est forgé dans les luttes des mineurs et se base sur la classe ouvrière ; il défend la nationalisation des mines, des banques, des exploitations agricoles, des usines et des autres grandes entreprises sur base du contrôle ouvrier et dans le cadres de la lutte pour une société socialiste ; le WASP est une organisation complètement démocratique. Dans leur nouvelle stratégie politique, la direction de Numsa a reçu le mandat ”d’être attentif à tout parti engagé pour le socialisme dans les élections futures”. Nous répétons donc notre appel envers la Numsa à prendre place dans la direction du WASP et à soutenir et à présenter des candidats sous l’étiquette du WASP aux élections de 2014, ce qui serait une étape cruciale dans la construction du nouveau Mouvement pour le Socialisme.

    Les limites de la position spécifique de la Numsa pour les élections 2014 ne peuvent cependant amoindrir le changement monumental dans le paysage politique annoncé par sa décision. La rupture de l’ordre politique est maintenant bien engagée et le chemin vers l’indépendance politique de la classe ouvrière est ouvert. La décision de la Numsa a accéléré le processus commencé par les mineurs en 2012. En reconnaissant que le changement dans la situation politique post-Marikana demandait la convocation d’un congrès spécial, la Numsa a amené ce processus à un plus haut niveau de conscience.

    Les délégués ont accueilli les survivants du massacre de Marikana et leurs familles et ont levé des fonds à hauteur de 20.000 rands (plus de 20.600€) pour les familles des tués. Ce montant sera augmenté à 500.000 rands (plus de 34.300€) par les employés de la compagnie d’investissement de la Numsa et par la compagnie elle-même. L’importance que le congrès a donné à la lutte des mineurs en 2012, y compris au massacre de Marikana, a montré la reconnaissance de la Numsa envers le rôle des mineurs en tant qu’avant-garde de la classe ouvrière dans sa libération de la prison de l’Alliance Tripartite (ANC, PC sud-africain et Cosatu). L’exode massif de la National Union of Mineworkers était aussi une rupture des liens politiques avec l’ANC. C’est de cette bataille ouverte qu’est né le WASP. La Numsa a maintenant complètement rejoint la bataille que les mineurs ont commencée.

    La Numsa a envoyé un signal clair aux mineurs et aux autres travailleurs, en montrant qu’il ne va pas les abandonner aux directions syndicales pro-capitalistes qui continuent à s’accrocher à l’ANC. Irvin Jim a déclaré que la Numsa ”ne rejettera plus jamais un seul travailleur”, en défi ouvert à la politique ”une industrie, un syndicat” du Cosatu. Jim a même regretté que cela n’ait pas été la politique de la Numsa à l’époque de Marikana. Cela va mettre la Numsa en opposition avec l’aile droite pro-ANC du Cosatu et va certainement mener à une rupture avec le Cosatu. La décision de retirer leurs 800.000 rands de cotisation de membre au Cosatu tant que leur demande de congrès spécial n’a pas aboutit est une autre mesure audacieuse.
    Les projets d’action de masse début 2014 et la solidarité du congrès envers les mineurs (qui vont sûrement mener d’autres luttes pour les salaires et contre les licenciements cette année) montrent que la Numsa va être au centre des luttes des travailleurs dans la prochaine période. La conférence pour le socialisme qui est prévue va continuer la discussion sur la construction d’une alternative politique de la classe ouvrière commencée au congrès spécial. La Numsa a fait les premiers pas dans le nouveau paysage politique qu’ils ont aidé à créer et, avec le WASP et les mineurs, ont entamé la tâche historique de reconstruire une indépendance politique de la classe ouvrière. Le WASP salue la direction de la Numsa et les délégués pour leur décision.

  • Afrique du Sud : Un an après le massacre de Marikana

    Tant les capitalistes que la classe des travailleurs se préparent à des troubles sans précédent

    Le 16 août 2012, à Marikana, une ligne sanglante a été tracée dans le sable politique de l’Afrique du Sud après que la police ait froidement abattu 34 grévistes et blessé 78 autres. Les quelques secondes de ce massacre qui sont passées à la télévision ont démoli des décennies d’illusions soigneusement entretenues par le gouvernement de l’ANC (le Congrès National Africain) et l’Etat capitaliste. Ce recours de l’Etat à la forme la plus brutale de répression contre les grévistes de l’entreprise minière britannique Lonmin a mis en branle une nouvelle période de révolution et de contre-révolution dans le pays.

    Liv Shange, Democratic Socialist Movement (CIO-Afrique du Sud)

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    Pour en savoir plus:

    Un an plus tard, l’offensive des patrons des mines contre les emplois et les droits des travailleurs ne cesse de prendre de l’ampleur. Mais les leçons du massacre de Marikana sont profondément enracinées dans la conscience de millions de travailleurs et de jeunes, et cela prépare le terrain pour de plus amples bouleversements axés autour de l’industrie minière, le secteur économique central du pays.

    Marikana : nous n’oublions pas

    Le massacre du 16 août 2012 était une opération soigneusement orchestrée, dont l’objectif était d’écraser le défi représenté par les travailleurs de Lonmin pour le gouvernement et l’ordre capitaliste. A la suite de jours (et d’années) de répression, des milliers de travailleurs s’étaient rassemblés sur la colline, ‘‘la montagne’’ clôturée de barbelés qui surplombe Marikana, mais ils ont été attaqués par derrière à coups de tirs d’armes automatiques et de canons à eau. Chassés vers l’ouverture de cinq mètres dans la clôture, un premier groupe a été littéralement abattu devant les caméras. La majorité des personnes tuées et blessées a ensuite été portée hors de vue des caméras, au milieu de rochers et de buissons d’une autre petite colline. Beaucoup de victimes ont été abattues à bout portant, dans le dos ou alors qu’elles levaient les bras en l’air pour se rendre. La police a délibérément détruit les visages des morts en roulant sur leurs crânes avec des véhicules blindés. ‘‘L’enquête’’ de la police a par contre été bien moins préparée. Il s’agissait très clairement d’une maladroite tentative de couvrir cette violence.

    La véritable histoire de Marikana a été largement connue grâce à la ténacité des travailleurs qui ont poursuivi leur combat après le massacre, la grève se développant même à l’échelle de toute l’industrie minière nationale. Dans les jours qui ont précédé et suivi le massacre, l’opinion publique avait subi un déluge virtuel de propagande vicieuse contre les travailleurs de Lonmin et leur lutte. Suite à la trahison du Syndicat national des mineurs (le NUM), les travailleurs n’ont eu d’autre choix que de prendre eux-mêmes en main la lutte pour un salaire décent. C’est pour ce ‘‘crime’’ qu’ils ont eu à faire face à une répression abjecte et ont été dépeints comme des criminels sanguinaires et assassins, comme des sauvages possédés ou encore comme de malheureuses victimes des manipulations d’une ‘‘troisième force’’. Jeremy Cronin, du Parti ‘‘communiste’’ sud-africain (SACP) a remporté la palme en condamnant publiquement les grévistes en tant que ‘‘gros bras de la mafia du Pandoland’’ (une région d’Afrique du Sud). L’Etat, de son côté, n’a cessé de marteler le refrain de ‘‘l’auto-défense’’ de la police devant la Commission Farlam qui a enquêté sur le massacre. Cela n’a fait qu’illustrer à quel point cette parodie de procès a été déconnectée de toute réalité.

    La répression sanglante des luttes des travailleurs en général, et de celles des mineurs en particulier, n’a bien entendu pas commencé à Marikana. Tout juste deux semaines plus tôt, le 1er août 2012, par exemple, cinq travailleurs qui protestaient ont été abattus par la police à l’extérieur Rustenburg, à l’entreprise Aquarius K5. Leurs meurtres n’ont constitué qu’un nouveau paragraphe sur les pages sombres des pratiques des entreprises. L’ampleur de la violence publique infligée aux travailleurs Lonmin, qui a secoué l’Afrique du Sud et le reste du monde, ne devait rien au hasard. Il s’agissait d’une riposte calculée face au plus sérieux défi auquel faisait face l’African National Congress (ANC, Congrès National Africain) : une révolte de mineurs contre le syndicat des mineurs NUM, qui tout au long de l’ère post-apartheid a joué un rôle clé pour contrôler les mineurs et soutenir les patrons de l’industrie minière, l’épine dorsale de l’économie sud-africaine. Le NUM est devenu le pilier du Congrès des syndicats sud-africains (le COSATU) et de l’alliance dirigée par l’ANC au pouvoir (qui comprend également le Parti ‘‘Communiste’’ Sud-Africain). L’autorité du NUM n’était pas seule à être menacée. La capacité de l’ANC à préserver la confiance de la classe dirigeante capitaliste en tant que force capable de ‘‘contrôler la classe ouvrière noire’’ (selon les mots du Business Daily pour résumer la raison d’être de l’ANC) était aussi en jeu. La répression décidée par l’ANC et le grand actionnaire de Lonmin Cyril Ramaphosa (ancien dirigeant du NUM, député de l’ANC et 21e fortune africaine) devait par conséquent affirmer l’autorité de l’Etat-ANC à l’aide de fusils.

    ‘Ceci n’est pas notre gouvernement’

    “Longue vie à l’esprit de nos héros” : commémoration du massacre de Marikana ce 16 août 2013, à l’initiative du WASP.
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    La tentative de noyer la grève dans le sang a exposé aux yeux de millions de personnes quel était réellement devenu le rôle de l’ANC, du NUM,… avec une clarté aveuglante et instantanée. L’un des principaux enseignements du marxisme – que le noyau dur de tout Etat se compose de ‘‘bandes d’hommes en armes’’ qui défendent la classe dirigeante, tout en s’appuyant également sur des institutions plus ‘‘douces’’ (comme le parlement en tant que moyen de renforcer régulièrement les illusions ressenties envers le système) et avec l’aide de prolongements comme les syndicats, les partis politiques et les médias afin de justifier l’oppression des uns par les autres – a été soudainement compris bien au-delà de la portée des militants marxistes. Marikana a clarifié que le gouvernement ANC est un gouvernement dirigé par un parti qui n’existe que pour défendre les intérêts des capitalistes, que le NUM est l’outil principal pour mener à bien cette tâche et que la police, les tribunaux et les médias soi-disant neutres ne sont guère plus que les propriétés effectives des grandes de grandes entreprises.

    Ce qui découle directement de ces conclusions, c’est la nécessité d’une alternative politique pour la classe des travailleurs. Les mineurs, tout d’abord dans la ceinture des mines de platine de Rustenburg puis dans les mines de tout le pays, ont suivi l’exemple des travailleurs de Lonmin et instauré des comités de grève indépendants. Le permanents syndicaux du NUM, qui gagnaient parfois l’équivalent de dix fois le salaire d’un travailleur ordinaire, ont été chassés des bureaux syndicaux. Grâce à la diffusion de la grève, à son unification et à sa coordination, les compagnies minières et le gouvernement ont été contraints de reconnaître les comités de travailleurs. Dans l’esprit des grévistes, dès le début, cela était lié à la nécessité de renverser le gouvernement des patrons pour le remplacer par un gouvernement des travailleurs. Au fur-et-à-mesure que les travailleurs ont retrouvé confiance dans leur capacité de s’organiser, de combattre et de gagner, l’idée de construire un nouveau parti, une alternative politique à l’ANC et aux partis établis pour défendre les intérêts des travailleurs, a pris racine en tant qu’urgente nécessité. De là sont sortis le Comité de grève national sur base du développement des comités de grève locaux en octobre 2012 et le Workers and Socialist Party (WASP) fondé en décembre 2012.

    De nouvelles batailles sur le front des mines

    A partir de Marikana, la conscience de classe au sein de la classe ouvrière sud-africaine a atteint un nouveau stade. Les luttes se développent sur divers fronts, des lieux de travail aux communautés locales, sur base quotidienne. Et alors que celles-ci sont en pleine recrudescence, le contexte actuel est que les choses ne peuvent pas continuer comme avant – au sein de la classe ouvrière et de la classe capitaliste. Encore une fois, les contradictions politiques et économiques sud-africaines atteignent leur expression la plus concentrée dans l’industrie minière. Les ventes perdues suite à la vague de grèves d’août-décembre 2012 sont certainement irritantes pour les patrons, mais ce n’est pas cela qui explique les attaques actuelles contre l’emploi dans les mines : c’est le ralentissement inexorable de l’économie mondiale. Les cours de l’or et du platine ont chuté, par exemple, et les profits et marges de manœuvre des multinationales minières s’en sont retrouvés réduits. L’objectif visé par les licenciements actuels est de supprimer l’offre excédentaire de minéraux comme le platine et l’or afin de restaurer la profitabilité tout en s’en prenant à la confiance retrouvée des travailleurs.

    Avant les évènements de Marikana, des entreprises minières avaient déjà tâté le terrain pour réduire la surproduction en essayant de fermer des puits de mines autour de Rustenburg. Après avoir été forcés de battre en retraite par le mouvement de grève, ils ont repris l’offensive immédiatement après la fin des grèves en commençant un lock-out (une grève patronale par la fermeture des sites) et en expulsant 6.000 travailleurs au puits de Kusasalethu de l’entreprise Harmony Gold à Carletonville le jour du Nouvel An 2013. Amplats, premier producteur de platine au monde, a suivi en annonçant deux semaines plus tard la mise sous cocon (fermeture avec possibilité de réouverture ultérieure) de quatre puits à Rustenburg, la fermeture d’une mine et le licenciement de 14.000 travailleurs. Sous la pression du gouvernement et de la combativité des mineurs, ces chiffres ont été revus à trois puits et à 6000 travailleurs pour l’instant. Alors que l’AMCU (Association of Mineworkers Union et Construction, née d’une scission de la fédération des syndicats d’Afrique du Sud COSATU) est toujours empêtrée dans les consultations avec les patrons concernant cette ‘‘révision stratégique’’, les patrons agissent déjà et comptent bien finaliser leur projet pour la deuxième moitié de l’année 2013. De son côté, AngloGold Ashanti a annoncé la réduction d’un tiers de sa production mondiale en un an, plus que probablement essentiellement en Afrique du Sud.

    Tout comme Amplats, Glencore Xstrata est un cas pilote pour la classe dirigeante. Eux aussi comprennent bien cette vérité de la classe ouvrière : une attaque contre un est une attaque contre tous. Tout au long de l’année 2013, l’industrie minière n’a cessé d’être marquée par des grèves spontanées dirigées par les travailleurs eux-mêmes. À la mine de chrome de Glencore Xstrata à Tubatse (région de Limpopo), 2000 travailleurs ont protesté contre le fait que la société ait protégé un superviseur blanc raciste qui avait agressé un travailleur noir. La société a immédiatement agi en déclarant la grève illégale et en licenciant les 2000 travailleurs avec le soutien de tous les patrons des mines et des spéculateurs internationaux. Les patrons de Xstrata Glencore veulent empêcher toute victoire des travailleurs aujourd’hui engagés dans la bataille pour récupérer leurs emplois, avec le soutien du Workers and Socialist Party (WASP) et du Democratic Socialist Movement (DSM, section du Comité pour une Internationale Ouvrière en Afrique du Sud, active au sein du WASP). Certains commentateurs bourgeois parlent d’une possible réduction d’emplois de l’ordre de 200.000 postes au cours des quelques prochaines années. Pendant ce temps, la monnaie nationale (le Rand) baisse, de même que le taux de croissance et les recettes fiscales. L’inflation est la hausse, tout comme le taux de chômage et la dette publique. L’économie sud-africaine approche d’un point tournant que craignent tous les analystes pro-capitalistes, car cela peut déclencher une crise sociale globale.

    Une paix sans justice ?

    En plus de ces attaques contre l’emploi dans les mines, la classe dirigeante veut se débarrasser du système de négociation collective et plus souvent recourir à une répression similaire à celle qui a pris place à Marikana. Une série ‘‘d’accords de paix’’, sous diverses étiquettes, a été conclue au lendemain du massacre. Le dernier en date est ‘‘l’accord-cadre pour une industrie minière durable’’ qui fait suite aux négociations entre le gouvernement, l’industrie et le syndicat, sous la direction du Vice-Président Kgalema Motlanthe (un ancien secrétaire général du NUM). Tout comme les accords précédents, il ne contient que de vagues promesses pour améliorer le niveau de vie dans les communautés minières. Par contre, il est beaucoup plus concret concernant le respect de la loi et de l’ordre, avec notamment le stationnement permanent de la police et ‘‘d’autres forces de sécurité’’ sur toutes les sites miniers. Les travailleurs et les syndicats devraient prendre la responsabilité de maintenir la ‘‘paix’’ alors que les patrons se préparent à la guerre. Pendant ce temps, les menaces et les assassinats contre les dirigeants des travailleurs associés à l’AMCU ont continué, provoquant parfois de sanglantes représailles.

    Cet accord-cadre est à considérer dans le cadre des tentatives du gouvernement ANC pour rassurer les capitalistes des mines et la classe dirigeante dans son ensemble sur les capacités de ce parti à regagner le contrôle de la situation après Marikana. Ce n’est bien entendu aucunement un hasard si cet accord intervient au moment du début des négociations salariales dans els secteurs de l’or et du platine, les négociations les plus polarisées depuis des décennies avec par exemple la revendication d’une augmentation de 120% contre l’offre patronale de 5% dans le secteur de l’or et le début d’une vague de licenciements de masse. L’attaque portée contre le Democratic Socialist Movement (CIO-Afrique du Sud) en essayant de prendre pour bouc émissaire la membre du DSM Liv Shange accusée d’être responsable de l’anarchie dans l’industrie minière et menacée d’expulsion fors d’Afrique du Sud (voir notre article à ce sujet) fait partie des efforts visant à amoindrir la capacité de combat des mineurs.

    En dépit des efforts de l’ANC, ses déchirements internes continuellement en cours sont la preuve que ses dirigeants, par ailleurs grands gestionnaires d’entreprises, doivent encore être convaincus que les choses peuvent être gardées sous contrôle. Alors que la faction du président Zuma semble toute-puissante pour l’instant, sa paranoïa est une indication qu’elle reconnait que d’autres forces peuvent jouer un rôle grandissant, par exemple autour de du vice-président de l’ANC Cyril Ramaphosa.

    De plus en plus, la classe dirigeante sud-africaine se prépare à un ‘‘Plan B’’ sans ANC. La formation de Agang (‘‘Construire’’ en langue Sotho), un nouveau parti politique dirigé par le magnat des mines et ancienne directrice de la Banque Mondiale Mamphela Ramphele est à considérer dans ce cadre. L’opposition de droite de la Democratic Alliance s’acharne actuellement à avaler d’autres partis pour constituer une ‘‘super-opposition’’. L’ancien président de la Ligue de la Jeunesse de l’ANC Julius Malema est désormais le ‘‘commandant en chef’’ des Economic Freedom Fighters (EFF), un parti nouvellement créé, dans l’espoir de tirer profit de cette nouvelle situation avec un programme de revendications radicales. L’ANC devrait avoir à souffrir de lourdes pertes aux prochaines élections au parlement national et aux parlements provinciaux.

    Un an après Marikana, nous sommes au seuil d’une tourmente qui pourrait ébranler les bases de l’Afrique du Sud. La classe ouvrière sud-africaine vient seulement d’entamer la reconstruction de ses organisations de classe indépendantes. L’AMCU, le syndicat qui a repris une grande partie des adhésions au NUM dans la ceinture des mines de platine de Rustenburg et dans l’industrie de l’or dans le sillage des dernières grèves, doit encore démontrer comment il se comportera dans la pratique, à commencer par la lutte contre les licenciements. Jusqu’à présent, l’absence apparente de toute stratégie de riposte est une grande source de préoccupation. Le Cosatu, la fédération syndicale à laquelle appartient le NUM, semble de son côté incapable de se remettre de sa capitulation historique face aux patrons de Marikana. Les dirigeants du Cosatu ont toléré le massacre et continuent de soutenir les dirigeants de l’ANC pour leur réélection. Rien n’est fait pour mener des campagnes efficaces, au contraire, la fédération ne cesse de sombrer avec de nombreuses luttes intestines.

    Il est grand temps pour les travailleurs, les chômeurs, les jeunes et les étudiants d’agir sur base de la leçon essentielle de Marikana : il n’existe pas de force plus puissante que la classe ouvrière indépendamment organisée et unie dans l’action. Izwi labasebenzi (le Democratic Socialist Movement) appelle les mineurs du Comité national des travailleurs à travailler à l’élaboration d’un plan de contre-attaques conjointes, coordonnées entre les différents secteurs miniers et entre les syndicats afin de stopper les licenciements de masse et de lutter pour des salaires et des emplois décents.

    Nous appelons également à une journée nationale d’action contre les suppressions d’emplois, pour la nationalisation des mines, des banques et des grandes entreprises afin de les placer sous contrôle et gestion démocratiques des travailleurs et des collectivités locales, pour l’emploi et des conditions de vie décentes avec un bon logement et un enseignement gratuit pour tous.

    Izwi labasebenzi / DSM lutte pour l’unité de la classe ouvrière et exhorte tous les authentiques combattants de la classe ouvrière à s’unir dans la construction du Workers and Socialist Party (WASP). Le meilleur hommage que nous puissions rendre aux camarades fauchés à Marikana est de construire l’arme politique capable de vaincre leurs meurtriers une fois pour toutes : un parti ouvrier de masse armé d’un programme socialiste.

  • Afrique du Sud : des convulsions sismiques

    L’École d’été internationale du CIO qui s’est déroulée en Belgique la semaine passée, s’est ouverte sur le récit époustouflant des derniers développements épiques de la lutte des travailleurs d’Afrique du Sud, avec l’importante participation du Democratic Socialist Movement (CIO en Afrique du Sud) et le lancement du Parti socialiste et ouvrier (WASP).

    Par Nick Chaffey, Socialist Party (CIO-Angleterre et Pays de Galles)

    Le CIO s’est réuni en Belgique cette semaine pour son école d’été annuelle. Des centaines de camarades du CIO venus d’Afrique du Sud, du Nigeria, de Tunisie et du Moyen-Orient, des États-Unis, du Canada et du Québec, du Brésil et du Venezuela, d’Australie, de Chine, de Malaisie, et de toute l’Europe, étaient présents pour discuter de la situation mondiale, du programme du socialisme, et des perspectives pour la lutte de classe des travailleurs mondiale.

    La session a été introduite par le camarade Alec Thraves du Socialist Party of England & Wales, qui a effectué plusieurs visites en Afrique du Sud, et par le camarade Mametlwe Sebei du DSM (CIO Afrique du Sud).

    L’Afrique du Sud totalement changée par le massacre de Marikana

    Alec a commencé par un aperçu des changements rapides qui se sont déroulés après la lutte des mineurs et son impact partout en Afrique du Sud et dans chaque couche de la société. Le meurtre délibéré de 34 mineurs par la police – sous un gouvernement ANC qui est soutenu par la fédération syndicale, Cosatu, et par le syndicat officiel des mineurs, le NUM (National Union of Mine Workers) – a démontré la brutalité des méthodes employées par l’État. La réponse des mineeurs a elle aussi démontré la puissance et la force de la classe ouvrière et le rôle vital que le DSM et le CIO ont joué.

    L’expérience du massacre et de la lutte des mineurs a révélé la véritable nature du régime ANC post-apartheid à de larges sections de la classe ouvrière.

    Non contents de revenir à une répression digne du temps de l’apartheid, la politique pro-capitaliste du gouvernement a créé une énorme inégalité dans la société, et provoqué un mécontentement croissant de la part des travailleurs. Des luttes se sont développées autour de la revendication d’un salaire décent partout en Afrique du Sud, mais cette revendication a été rejetée par le dirigeant du NUM, qui reçoit lui-même un salaire de 1,5 millions de rands (80 millions de francs) payé par les patrons des mines. Il n’est donc guère étonnant que les travailleurs rejettent ces dirigeants corrompus et développent leur propre lutte militante.

    C’est dans ce cadre que le DSM a joué un rôle crucial en organisant la coordination de comités de grève indépendants non officiels, en posant une alternative à la crise et en construisant une nouvelle direction.

    Alec a expliqué qu’après son discours à un meeting de masses avec les mineurs, les travailleurs étaient si enthousiastes à l’annonce de la solidarité du CIO, et de la nouvelle des énormes grèves et luttes qui parcourent toute l’Europe, qu’ils ont acheté 250 exemplaires du journal du DSM à la fin du meeting.

    Les comités de grève ont dû organiser des meetings illégaux dans des parcs, et tous les jours, les membres du DSM Liv Shange et Sebei apparaissaient dans la presse et à la télé, et recevaient chaque jour de nouvelles demandes d’aller parler à des meetings de masse.

    Une société hyper violente

    En plus des luttes pour le salaire, les travailleurs sont obligés de lutter même pour les plus basiques des services. Dans certains quartiers, on voit des travailleurs qui vivent dans des abris en tôle qu’en Europe, on n’utiliserait même pas pour y ranger des animaux ni même des outils ! Alec a ainsi expliqué que « Il n’y a pas d’électricité, il n’y a pas d’eau, il y a seulement la misère ». Ces conditions engendrent des problèmes tes que le crime et la consommation de drogues, mais aussi, heureusement, la croissance d’idées révolutionnaires ; le DSM a construit des sections dans les pires bidonville d’Afrique du Sud.

    Les femmes militantes ont également fait preuve d’un énorme courage, surtout à Freedom Park, où les femmes ont été terrorisées par les viols atroces perpétrés par le Golf Club Gang, et contre les attaques homophobes qui voyaient des lesbiennes avérées ou non se voir infliger des “traitements correctifs” par des violeurs qui espéraient ainsi les “soigner” de leur “maladie”.

    L’Afrique du Sud reste une des plus violentes sociétés de la planète. Récemment, un dirigeant des mineurs du Syndicat association des mineurs et de la construction (AMCU, un syndicat indépendant formé par les travailleurs contre le NUM corrompu) a été assassiné par des miliciens à la solde du NUM. Le secrétaire général du Cosatu a lui aussi parlé de sa crainte de se voir assassiné. Soixante-dix personnes ont été tuées lors de la grève des mineurs, et ç’aurait été plus encore, sans la présence et le rôle joué par le DSM. Alec nous a raconté un meeting dans un parc avec une centaine de travailleurs pendant une étape cruciale de la grève.

    La discussion était très dure politiquement, vu le danger qu’il y avait que les mineurs décident de reprendre le travail. Certains militants ont fait une proposition qui était d’envoyer un avertissement aux mineurs avant de partir tuer 50 “jaunes” (ouvriers qui travaillent malgré la grève) le lendemain. Les camarades sont intervenus pour contrer cette proposition, en demandant qu’à la place soit envoyée une délégation de représentants des mineurs pour aller discuter avec eux, démolir les arguments des patrons et convaincre plus de travailleurs de rejoindre la grève.

    Avec le soutien d’autres, des mineurs et du DSM, le Parti socialiste et ouvrier (WASP) a été officiellement lancé, et se prépare maintenant à participer aux élections l’an prochain. La lutte de classe est devenue plus intense et plus violente que partout ailleurs, et la conscience socialiste est bien plus grande. Il est vrai que nous avons de dangereux adversaires au sein de l’ANC, parmi les grands patrons et certains dirigeants syndicaux. Toutefois, nos camarades d’Afrique du Sud, comme ceux du Nigeria, du Kazakhstan et du Sri Lanka, ont mis en avant nos idées malgré les mêmes menaces. Nous avons de dangereux adversaires, mais aussi de puissants soutiens parmi les millions de travailleurs, de chômeurs et parmi tous les miséreux qui vivent dans les bidonvilles.

    Le rôle du DSM

    Le camarade Sebei, un de nos dirigeants sud-africains, nous a informé du travail du DSM et nous a expliqué comment une si petite organisation a pu se voir élevée au point où elle est en ce moment en train de jouer un si grand rôle dans un tel mouvement.

    Le DSM s’était préparé à ces évènements, grâce à son analyse complète de la situation à laquelle est confrontée l’économie capitaliste et des relations de classes en Afrique du Sud. Nous avions identifié le maillon faible de l’alliance tripartite (ANC, Parti “communiste” et Cosatu) avec sa tentative de lier et de subordonner la classe ouvrière au gouvernement, surtout vu l’importance de l’extraction de matières premières, et la façon dont le secteur des mines serait le premier touché en cas de crise économique mondiale, surtout à partir du moment où l’économie chinoise commencerait à ralentir. C’est cette analyse qui nous a décidé à nous orienter vers les mineurs de Rustenburg, et qui nous a permis de nous retrouver directement à la tête du mouvement lorsque la grève a éclaté , c’est notre analyse et notre stratégie qui nous a permis de faire cela, et non pas un simple coup de chance, comme certains de nos adversaires (y compris nos rivaux à gauche) l’ont suggéré.

    Pendant très longtemps, il a été clair qu’une guerre cruelle et brutale était en train d’être perpétrée contre les mineurs de Rustenburg par leurs patrons. Au cours des quatre dernières années, nous avons vu commencer de grands combats, impliquant des milliers de mineurs. Le DSM a construit une base dans cette ville, et a étendu son influence à toute l’Afrique du Sud. Cette guerre cruelle et sans merci a duré pendant très longtemps.

    Cinq de nos membres qui travaillaient dans les mines de Rustenburg ont été tué trois semaines avant le massacre de Marikana.

    La direction du DSM a identifié le fait que c’était à Rustenburg que la résistance des mineurs et de la classe ouvrière se développait le plus rapidement. Cette analyse a été rejetée par les autres forces de gauche, qui l’ont décrite comme “gauchiste”. Beaucoup d’autres organisations de gauche avaient tiré la fausse conclusion, vu la faiblesse du Cosatu, qu’il fallait abandonner le travail parmi les travailleurs organisés. Dans un tel contexte, les premières personnes à rencontrer des mineurs ont été les camarades du DSM, et notre intervention nous a élevé à Rustenburg et au-delà, à tout le secteur minier.

    Le DSM a utilisé la grève pour mener campagne pour l’idée d’une alternative, qui vivait déjà dans l’esprit des mineurs, après qu’à peine 300 secondes de violence aient exposé toute l’ampleur de la réalité du régime – un régime prêt à noyer la lutte des travailleurs dans le sang uniquement afin de protéger les super-profits des patrons des mines. Après une première intervention à Marikana, le DSM a rassemblé à Rustenburg l’ensemble des comités de grève indépendants qui avaient été construits par les mineurs vus la méfiance envers le NUM, qui est un syndicat qui se bat pour les patrons et non pas pour les travailleurs. Nous les avons amenés autour d’un programme commun et d’un plan d’actions, nous sommes parvenus à briser l’isolement des travailleurs de Lonmin, et nous avons apporté la possibilité de gagner leurs revendications salariales et de remporter une victoire. Ce qui a commencé par une rupture d’avec le NUM, a été le début de la décomposition de l’alliance tripartite de l’ANC, du Cosatu et du PCAS, qui détenait la clé des intérêts capitalistes en Afrique du Sud.

    Le WASP

    La grève n’est pas retombée après la victoire à Lonmin, mais au contraire s’est étendue à tout le pays, vers le nord dans le Limpopo et dans toutes les régions minières. Lorsque le DSM a convoqué une réunion qui a rassemblé les comités de grève de toute l’Afrique du Sud, cette coalition et son autorité parmi les mineurs et au-delà ont permis le lancement d’un nouveau parti des travailleurs, le WASP.

    Lancé le 23 mars, ce parti a connu un succès immense, bien au-delà de nos attentes. Lors de cette réunion où nous attendions 100 personnes, 500 sont arrivées. Certains travailleurs ont marché pendant des kilomètres pour y participer. Toutes les radios, tous les journaux du pays ont mentionné la création du nouveau parti. Dans trois régions où des représentants des mineurs n’avaient pas été envoyés, les mineurs ont marché sur les bureaux de leur syndicat pour demander pourquoi ils n’avaient pas été invités.

    Ce qui hante à présent la classe dirigeante, surtout depuis le lancement du WASP, est que sa vision est en phase avec celle de larges couches de la classe ouvrière et de militants du Cosatu. Un sondage dans les syndicats a révélé que l’ANC, le PCSA et l’alliance tripartite sont complètement discréditées aux yeux de la base, qui veut que le Cosatu rompe avec l’ANC pour former un nouveau parti des travailleurs. Malgré le large soutien exprimé au président Zuma lors de la conférence de l’ANC, une majorité de la Cosatu rejette ces déclarations et appellent à cesser le soutien à l’ANC.

    Sebei a expliqué que plus intéressant encore est l’attitude des travailleurs vis-à-vis de l’idée du socialisme. Un journaliste demandait : « Pourquoi le reste de la gauche vous déteste-il et vous traite de “gauchiste” ? » Parce que pour nous, la gauche officielle est en réalité à droite par rapport à la vision des travailleurs d’Afrique du Sud. 80 % des délégués Cosatu sont pour la nationalisation et pour que l’industrie soit dirigée par des comités ouvriers, et concluent que les travailleurs ont besoin d’un changement fondamental dans l’organisation de la société, c’est-à-dire, du socialisme. C’est pour cette raison que le programme du DSM qui appelle à la nationalisation des mines, des banques et des monopoles sous le contrôle démocratique des travailleurs est en phase avec les travailleurs actifs et les couches avancées de la classe ouvrière. D’autre principes avancés par le DSM ont gagné un large soutien.

    Le principal évènement de la semaine passée a été la démission de 18 conseillers ANC. Ayant entendu parler de notre revendication selon laquelle les représentants doivent être élus, soumis à révocation de leur base, et ne devraient recevoir pas plus que le salaire moyen d’un travailleur, ils ont décidé de nous rejoindre.

    Développer le DSM

    Après avoir lancé le WASP en tant qu’idée, l’organiser dans la pratique c’est avéré une tâche difficile mais que nous avons brillamment accomplie en construisant le soutien des masses pour notre programme. Cette tâche n’était pas simple, surtout vu le fait que nous n’avions qu’un très petit nombre de cadres expérimentés. La DSM a dû trouver le juste équilibre entre l’effort de construction du WASP et la construction d’une base solide pour le DSM en tant que pilier du nouveau parti.

    Le DSM a multiplié par dix son nombre de membres au cours de la dernière période, ce qui est un immense succès, vu la difficulté de développer un cadre du parti dans un contexte d’analphabétisme répandu, avec des militants très combatifs mais qui doivent aussi pouvoir s’assimiler nos idées.

    Sebei a expliqué comment le DSM parvient à construire une base solide pour nos idées. Le soutien a gagné suffisamment d’élan pour gagner les travailleurs des transports en plus des mineurs en tant que colonne vertébrale du parti, mais il nous a également permis d’attirer les travailleurs de la chimie et un syndicat de manœuvres agricoles qui a dirigé plusieurs grèves l’an passé.

    Ailleurs, le niveau de la lutte grandit autour de la question des services publics, du logement et de l’électricité, deux choses qui sont considérées comme normales en Europe mais qui, en Afrique du Sud, sont le fruit d’une lutte brutale. Dans les semaines qui viennent, le DSM compte convoquer une assemblée de travailleurs, qui rassemblera des mineurs, des travailleurs d’autres secteurs, la base du Cosatu, les militants des quartiers pour les services publics, et les étudiants, afin de lancer une campagne pour l’emploi.

    Il est clair que le WASP va se développer en tant que point focal pour tous les travailleurs, y compris des groupes qui nous ont aidé à mener campagne pour le retour de notre dirigeante Liv Shange, qui a été récemment attaquée par le régime. Le régime a en effet profité du fait qu’elle soit rentrée au pays rendre visite à ses parents pour lui refuser un nouveau visa et l’empêcher de revenir en Afrique du Sud où elle vit depuis 10 ans, est mariée et est mère de deux enfants. La campagne pour son retour en Afrique du Sud a forcé le gouvernement à capituler. L’impact de la campagne a été si grand, que Liv est passée à de nombreuses reprises au journal télévisé, avant même les reportages sur l’état de santé de Mandela.

    Plus que les facteurs objectifs et les efforts des membres du DSM, Sebei a dit dans sa conclusion que : « Nous avons l’Internationale la plus révolutionnaire, dont les idées, les perspectives, le soutien des camarades et le sacrifice de toutes les sections du CIO, nous ont permis d’accomplir ce travail. Sans l’Internationale, nous n’aurions jamais pu réussir. »

    Importance des développements

    Au cours de la discussion, notre député irlandais Joe Higgins a fait un bref rapport de sa visite en Afrique du Sud où il a assisté à la fondation du WASP au nom du CIO : « C’était époustouflant, épatant, de voir l’enthousiasme et l’élan de la classe ouvrière qui se bat pour un changement et pour une nouvelle société. Il était extrêmement gratifiant de voir le rôle joué par nos camarades, de voir nos claires idées, stratégie, tactique, être reprises par les travailleurs.

    Nous commémorons cette année le centième anniversaire du Dublin Lock Out, une énorme lutte menée par les travailleurs d’Irlande contre les patrons et contre l’État, pour une vie meilleure. Cette lutte s’est vue dirigée par des révolutionnaires comme Jim Larkin et James Connolly, dont les noms resteront à jamais gravés dans le cœur de la classe ouvrière. Il n’est pas exagéré de comparer les évènements de Dublin 1913 à ceux qui se déroulent en ce moment en Afrique du Sud, sous la direction du DSM et du CIO ».

    En conclusion à la discussion, un camarade d’Angleterre qui a lui aussi visité l’Afrique du Sud, a dit : « Nos idées sont en train de pénétrer dans la conscience de la classe ouvrière, et d’être reprises comme les siennes. Nous articulons la marche à suivre pour la classe ouvrière, qu’elle-même sent de manière instinctive. Car tous les travailleurs savent au fond d’eux-mêmes qu’ils n’ont pas de voix politique, et qu’ils n’ont rien à attendre d’un éventuel maintien du capitalisme.

    Lors de la conférence du DSM en février, après trois jours de longues discussions, un travailleur d’une mine d’or a été tellement inspiré par tout ce qu’il a entendu, qu’il est rentré chez lui et a vendu 50 journaux à ses voisins – je ne pense pas que nous ayons perdu du soutien par le fait qu’il les ait réveillés au milieu de la nuit pour leur parler. Un autre jeune mineur d’or, qui n’avait pas rejoint le DSM, a dit qu’il voulait rejoindre plus que toute autre chose dans le monde.

    Le principal problème est de développer notre cadre pour qu’il puisse jouer de manière indépendante, et développer le soutien pour nos idées. Cela demande énormément de temps, et la misère freine notre travail. Chaque tentative d’organiser des évènements hors des localités des camarades demande une collecte de fonds. C’est pourquoi le soutien financier du CIO nous a tellement aidé dans tout notre travail.

    Les capitalistes à la recherche d’alternatives

    Les élections générales à venir seront les plus polarisées et les plus tendues depuis la fin de l’apartheid en 1994. Le gouvernement de l’alliance tripartite de l’ANC, du PCAS et du Cosatu est sous pression et se disloque. De nombreux analystes disent que le vote en faveur de l’ANC va passer sous la barre des 60 %, ce qui signifie que l’ANC perdrait la majorité des deux tiers qui lui permet de modifier la constitution à sa guise. La classe dirigeante craint cela, et se prépare à des alternatives. L’Alliance démocratique, un parti blanc, est un train de recruter des cadres noirs afin d’attirer les électeurs noirs. Les libéraux ont lancé un nouveau parti autour de célèbres militants noirs. Ils reconnaissent le fait que l’ANC est en train de perdre le soutien de la classe ouvrière.

    Mais le plus important est la tendance à gauche à former des nouveaux partis. Le WASP n’est pas le seul sur la scène. Notre programme a de nombreux points avec celui des “Combattants pour la liberté économique” (EFF) de Julius Malema, comme la nationalisation, et Malema a un véritable pouvoir d’attraction envers les jeunes et les pauvres.

    Mais « Dis-moi qui sont tes amis, et je te dirai qui tu es », dit le proverbe : le numéro trois de la direction des EFF est un ancien gangster devenu hommes d’affaires, qui a été conseiller en relation public pour les patrons des mines, et dont le nom est mêlé à de nombreux scandales.

    « Nous vous attendions »

    En même temps que la scission dans l’ANC, on voit des scissions dans le Cosatu, que les syndicats les plus combatifs sont en train de quitter. Les manœuvres agricoles ont été forcé de s’organiser eux-mêmes en reprenant les méthodes des mineurs. Lorsque nos camarades ont visité les grévistes sur leurs fermes du Cap, ces derniers leur ont dit : « Nous vous attendions ».

    Les élections générales seront le premier test électoral pour le WASP. Le système électoral sud-africain et notre renommée font en sorte que nos chances d’obtenir au moins un député sont assez élevées (bien que nous ne puissions faire la moindre promesse à cet égard). Il nous faut environ 42 000 votes au niveau national, et le cout pour nous présenter est de 10 millions de francs – plus encore si nous nous présentons en même temps aux élections régionales. Il nous faudra peut-être faire un appel financier afin de soutenir cette campagne.

    Nous sommes arrivés à un stade où les travailleurs les plus avancés se sont déjà joints au DSM et où les masses larges sont en route. Si nous n’avions pas pris l’initiative de créer le WASP, nous n’en serions pas là aujourd’hui, nous serions complètement inconnus.

    Tous nos camarades du monde entier doivent féliciter le DSM pour l’ampleur des efforts fournis. Ce travail a mis plusieurs années avant de porter ses fruits. Si nos camarades n’avaient pas tenu bon et n’avaient pas maintenu leur position coute que coute, nous n’aurions jamais pu accomplir quoi que ce soit.

    Le travail réalisé en Afrique du Sud doit être une source d’inspiration pour toutes les sections du CIO dans le monde entier. Nous pouvons rapidement passer de petits groupes à une influence de masse en un très bref délai. Il y a beaucoup de travail à faire. Avec le soutien du CIO, le DSM restera le joyau dans la couronne de notre Internationale. »

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