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  • Comment les politiciens et les patrons transforment la réalité

    Ce n’est pas la concurrence, mais la solidarité qui crée les richesses

    Ce n’est pas la solidarité, mais la concurrence qui appauvrit

    Ce dossier traite du fondement-même de la société actuelle ; la production basée sur la concurrence. On nous le rappelle chaque heure, chaque minute, chaque seconde : si nous ne sommes pas concurrentiels, nous allons tous périr ensemble. Des syndicalistes combatifs lanceront une contre-offensive au cours des prochaines semaines et des prochains mois. La concurrence n’est plus depuis longtemps un moteur pour la création de richesses, au contraire. La production actuelle, le développement de la science et de la technique, exigent un autre modèle économique dont la base ne serait plus la concurrence et la compétition, mais la coopération et la solidarité.

    Par Eric Byl, dossier par dans l’édition de mars de Lutte Socialiste

    L’idéologie dominante

    La propagande du patronat, nous la connaissons. Ce sont toujours ces mêmes patrons qui sont interviewés par une élite ‘‘choisie’’ de journalistes neutres dans des médias de masse qu’ils contrôlent eux-mêmes, que ce soit de façon directe ou indirecte.

    Ce sont toujours ces mêmes politiciens qui, avec en vue de futurs postes lucratifs dans des conseils d’administrations d’entreprises, viennent répéter les mêmes ‘‘vérités’’. Dans le meilleur des cas, les journalistes sont forcés de se retenir mais, dans leur majorité, ils sont imprégnés de la logique patronale et, très souvent, sollicitent ouvertement une future carrière politique. Leur bas de laine ? Pour survivre, il faut augmenter la compétitivité des entreprises.

    Il existe aussi une propagande plus raffinée, plus systématique et par conséquent mortellement efficace. Des publicités, des feuilletons, des films, des magazines, des journaux commerciaux et des quotidiens soutiennent tous, de façon consciente ou inconsciente, l’idée qu’il faut être concurrentiel pour avoir du succès. Même le sport, où une bonne dose de compétition devrait stimuler le développement physique et psychologique de tous, est transformé en un plaidoyer pour une concurrence impitoyable. Le moyen de propagande peut-être le plus efficace d’entre tous est la simple transmission des valeurs et des mœurs dominantes de la société par les parents, les amis, l’école, l’église, etc. C’est ce dont Marx parlait en disant que l’idéologie dominante dans une société est en général celle de la classe dominante.

    Le socialisme scientifique

    Il ne s’agissait pas simplement d’une intuition que Marx a appliquée par la suite aux sociétés précapitalistes, mais au contraire une loi tendancielle déduite après une étude approfondie de l’histoire humaine telle qu’elle était jusqu’alors connue. D’où l’appellation de socialisme scientifique. C’est tout à fait différent du ‘bon sens’ dont parlent si souvent nos politiciens. Ils ne font que repérer des caractéristiques de leur environnement immédiat pour décréter que ces “découvertes” sont des lois universelles. Quelques exemples ? ‘‘L’homme est naturellement égoïste’’, ‘‘l’exploitation a toujours existé et existera toujours’’, ‘‘l’homme a besoin de la concurrence en tant que stimulant pour produire’’,… Toutes ces ‘‘vérités’’ doivent nous convaincre de fatalisme et nous faire accepter notre sort.

    Avec son approche scientifique, Marx a pu non seulement reconnaitre la validité relative d’une loi tendancielle, mais également en voir les limites. Pendant 3 millions d’années (200.000 ans pour l’Homo sapiens), les humains ont vécu en tant que chasseurs-cueilleurs. Il n’y avait ni égoïsme ni exploitation, ils vivaient de façon sociale et solidaire, non pas par générosité, mais simplement puisque les conditions matérielles – vivre de ce qu’offre la nature – ne permettait pas de faire autrement. Ce n’est qu’il y a 10.000 ans, avec la révolution agraire, que l’exploitation est devenue la meilleure forme d’adaptation à son environnement. A la division du travail selon le sexe, les capacités physiques et l’âge s’est ajoutée une division du travail permanente entre activités physiques et spirituelles.

    L’espace nous manque ici pour analyser chaque type de société que nous avons connu depuis lors. Mais ce qui les caractérise tous, c’est l’existence d’un monopole de la violence aux mains de l’élite dominante et d’idéologies adaptées pour faire accepter aux sujets qu’ils cèdent une partie de leur travail à cette élite, qu’importe s’il s’agissait d’une caste dominante – dont le pouvoir est basé sur sa place spécifique dans la division de travail, comme avec le mode de production asiatique ou le stalinisme – ou d’une classe dominante qui possède directement les moyens de production telle que les sociétés esclavagistes, féodales, capitalistes ou l’une des nombreuses formes intermédiaires.

    Marx est parvenu à la conclusion qu’une société peut tenir tant qu’elle réussit à développer les forces productives. Du moment qu’elle n’en est plus capable, le déclin s’amorce, le moteur de l’histoire – la lutte des classes – se met en marche ou, en cas d’absence de lutte des classes, la société est écrasée par d’autres plus dynamiques. Dans des telles périodes, les contradictions de la société deviennent plus aigües, de plus en plus visibles et de plus en plus insupportables. L’ancienne société ne veut pas encore céder la place, la nouvelle ne peut pas encore casser le carcan de l’ancienne. Cela provoque une crise qui atteint toutes les anciennes institutions, qui s’accrochent toutes désespérément à leurs privilèges et à leur vision idéologique, le dogme libéral de la concurrence dans le cas du capitalisme. C’est ce qui explique que des processus qui prendraient autrement des siècles peuvent soudainement éclater et se dérouler en quelques heures, quelques jours ou quelques années.

    une offensive pour annuler l’effet de la manifestation du 21 février

    Les syndicalistes venaient à peine de ranger leurs pancartes et de replier leurs calicots que l’offensive patronale reprenait de la vigueur. “La manifestation superflue” écrivait le lendemain le quotidien flamand De Morgen. “Coene s’alarme de la compétitivité morose”, annonçait De Tijd. Le jour d’après De Standaard avertissait: “Sans mesures drastiques, la Belgique s’expose à une amende européenne”. Le message ? ‘N’écoutez pas ces 40.000 syndicalistes bruyants, conservateurs et grisonnants, divisés en interne et isolés de leurs troupes, mais écoutez plutôt des personnalités importantes comme Luc Coene, gouverneur de la Banque Nationale et le Commissaire Européen Oli Rehn, sinon nous allons tous périr.’

    C’était comme si ces articles dénonçant que 18 des 100 plus grosses multinationales au monde utilisent la voie belge pour éviter de payer des milliards d’euros d’impôts n’avaient jamais étés publiés. Nous, par contre, nous avons retenu que les 25 sociétés de financement et holdings les plus capitalisés (qui gèrent ensemble 340 milliards d’euros et ont fait en 2011 un profit cumulé de 25 milliards d’euros) ont seulement payé 183 millions d’euros d’impôts, soit à peine 0,7% à peine (1) . Ne parlons pas cette fois-ci d’Arnault et de Depardieu. Mais nous ne pouvons que tirer l’attention sur le fait que les déductions d’impôts des entreprises ont, en 2010, largement dépassé la totalité des impôts de sociétés ! (2) Que disent Oli Rehn ou le rapport de Luc Coene à ce sujet ? Que dalle. Le rapport mentionne juste que “Les impôts sur les bénéfices des sociétés ont fortement progressé pour la troisième année consécutive.” (3)

    Une coïncidence est fort bien possible, mais le timing de la publication du rapport annuel de la Banque Nationale arrive très exactement au bon moment pour la droite politique et le patronat. Il se peut que ce soit une coïncidence aussi qu’Oli Rehn s’est senti appelé à consacrer quelques phrases à la Belgique le lendemain de la manifestation, mais nous ne serions pas étonnés d’apprendre que cela lui a été chuchoté.

    Dans la presse flamande, ça y va cash. La presse francophone doit être plus prudente. Pourquoi ? En mars de l’an dernier déjà, un sondage d’Ipsos avait dévoilé que 71% de la population Belge voulait réduire les avantages fiscaux des grosses entreprises. (4) Cette majorité se retrouvait dans toutes les régions mais, au sud de la frontière linguistique, elle n’était pas seulement plus large, mais aussi plus explicite et plus manifeste. C’est pourquoi Onkelinx réplique dans Le Soir que les nouvelles propositions de Luc Coene pour une nouvelle réforme de l’index sont une folie. Elle explique le fait qu’elle est déjà en train d’appliquer cela au gouvernement par la pression de la droite.

    Sous le titre “Les Belges accusent le coût salarial’’ , La Libre a publié un sondage de Dedicated. Bien que le titre de l’article suggère le contraire, les résultats sont alarmants pour le patronat et ses laquais politiques. Pas moins de 72% des sondés veulent des garanties d’emplois des multinationales en échange des avantages fiscaux. Plus frappant encore : 60% sont favorables à l’interdiction des licenciements dans les entreprises qui font du profit (72% en Wallonie, 66% à Bruxelles et même une majorité de 52% en Flandre). A la question de savoir si les autorités doivent contrer les fermetures par des nationalisations ou des régionalisations, 43% des sondés répondent par l’affirmative, une majorité à Bruxelles (52%) et en Wallonie (53%), mais aussi une minorité significative de 36% en Flandre. (5)

    Pas d’investissement

    Le mythe selon lequel il est possible de sortir de la crise par l’austérité est sérieusement miné. Nombreux sont ceux qui ne croient plus que de nouvelles concessions sur les conditions de travail et les salaires suffiront à restaurer la compétitivité des entreprises et à relancer l’économie.

    De plus en plus de salariés se rendent bien compte que chaque concession de leur part ne conduit qu’à de nouvelles concessions ailleurs. Ainsi, nous sommes tous entrainés dans une spirale négative de casse sociale. Le nombre de dépressions et de maladies psychologiques liées au stress augmente, tout comme le manque de perspective et le sentiment de se sentir traité comme des mouchoirs jetables.

    “Nous achèterons une usine à pneus en Chine ou en Inde, nous y payerons un salaire horaire inférieur à un euro et nous exporterons vers la France tous les pneus dont elle a besoin. Vos ouvriers, faites-en ce que vous voulez.” C’est ce que l’investisseur Américain Maurice Taylor a répondu à la demande de négociations sur la reprise du site de Goodyear à Amiens, menacé de fermeture.(6) Ce n’est pas étonnant que beaucoup de gens considèrent l’austérité comme un moyen de l’élite pour accumuler encore plus de richesses. Ils ne croient plus que plus de profits conduiront à plus d’investissements. Selon Trends, l’an dernier, les 30.000 plus grosses entreprises ont payé 40% de leurs profits aux actionnaires. (7) Quant aux entreprises européennes non-financières, elles disposent d’une réserve de cash de 2000 milliards d’euros, mais refusent de les investir.

    A en croire Coene, cela s’explique par le manque de confiance, tant des consommateurs (ce qui explique l’arrêt de la consommation) que des producteurs (qui craignent que les investissements ne seront pas suffisamment rentabilisés). N’est-il plutôt pas possible d’imaginer que les richesses ne sont pas réparties équitablement ? En fait, les produits de luxe se portent très bien, alors que la production de masse est partout en surcapacité malgré le besoin manifeste de logements sobres en consommation énergétique, d’écoles, de matériel convenable dans les transports publics, etc.

    Un problème de redistribution?

    D ans ‘Socialisme utopique et socialisme scientifique’ Friedrich Engels avait déjà accentué le fait que le capitalisme a socialisé la production. Nous sommes de nombreux producteurs à travailler sur un même produit, mais les moyens de production restent privés.

    De plus, le travailleur ne reçoit en salaire qu’une partie de son travail, le reste, c’est du profit qui peut être réinvesti ou qui disparait dans les poches des actionnaires. Il y a donc d’office une tendance systématique à la surproduction. Finalement, ceux qui disposent encore d’épargnes ne sont pas tentés de les dépenser alors que rode le spectre du chômage, alors qu’augmentent les coûts des soins de santé, de l’enseignement et des autres services et alors que la retraite légale permet de survivre de plus en plus difficilement. Une nouvelle dose d’austérité n’arrangera rien.

    Mais si le problème s’explique entre autres par l’inégalité de la répartition des richesses, n’est-il pas possible de corriger le marché et d’atténuer la concurrence ? Avec un gel des prix par exemple, comme Vande Lanotte l’a fait pour l’énergie ou comme Chavez au Venezuela ? Le gel des prix ne supprime pas la concurrence mais la déplace vers ailleurs, avec la diminution de la masse salariale dans le secteur concerné. De plus, un gel des prix sans nationalisation des entreprises concernées peut très bien, comme au Venezuela, conduire à des étagères vides en conséquence du refus de vendre des investisseurs privés qui peuvent aussi carrément décider de réorienter leurs investissements vers d’autres secteurs. Ne pouvons-nous pas atténuer les effets de la concurrence par un impôt plus important sur les sociétés, par un impôt sur les fortunes comme la CSC le défend ou par une taxe des millionnaires comme nos collègues du PTB le défendent ? Si le PSL avait l’occasion de voter pour ces mesures dans un parlement, nous le ferions certainement, mais pas sans expliquer d’avance les limites et les dangers de ces mesures. Les simples mesurettes de Hollande en France ont entrainé une fuite de capitaux de 53 milliards d’euros en deux mois à peine, en octobre et novembre 2012. De plus importantes mesures feraient sauter de joie les banques internationales dans la perspective d’accueillir une vague de capital en fuite. La population risquerait bien de se retrouver avec une sévère gueule de bois et l’idée que la gauche peut être positive pour le social, mais catastrophique pour l’économie.

    Un problème de profitabilité

    Dans ‘Misère de la philosophie’, Marx a répondu à Proudhon, qui lui aussi ne voulait pas abolir la concurrence, mais la limiter, “chercher un équilibre” . Marx y appelle la société capitaliste “l’association basée sur la concurrence.” Il démontre “que la concurrence devient toujours plus destructive pour les rapports bourgeois, à mesure qu’elle excite à une création fébrile de nouvelles forces productives, c’est-à-dire des conditions matérielles d’une société [socialiste, NDLA] nouvelle. Sous ce rapport, du moins, le mauvais côté de la concurrence aurait son bon.”

    Dans ‘Beginselen van de Marxistische économie’ (les bases de l’économie marxiste, non-traduit en français), Ernest Mandel l’expliquait en disant que les causes principales de la concurrence sont l’indétermination du marché et la propriété privée des moyens de production. C’est ce qui oblige le capitaliste à se mettre à la tête du progrès technologique, afin de ne pas se laisser dépasser par la concurrence. Cela exige de plus en plus de capitaux pour l’achat de machines de plus en plus modernes. Amortir ces machines pèse de plus en plus sur la quantité de profits réalisée par unité de capital investi. Des capitalistes moins riches sont poussés vers des secteurs moins productifs, d’autres partent en faillite et rejoignent les rangs des salariés.

    La concurrence conduit donc à la concentration, la formation de monopoles qui entrent en concurrence à un plus haut niveau. La concurrence économique pousse à l’accumulation de quantités de capitaux de plus en plus importantes. Ces capitaux sont soustraits du travail non rémunéré du salarié, la plus- value, d’où la contrainte économique d’augmenter cette dernière de manière permanente. La lutte sur le rapport entre le travail non-rémunéré et le travail rémunéré, entre la plus-value et le salaire (le taux d’exploitation), c’est le contenu élémentaire de la lutte des classes.

    La concurrence entre capitalistes entraîne une concurrence entre travailleurs. Avec les syndicats, les travailleurs essayent d’étouffer la concurrence entre travailleurs, en vendant leur force de travail de façon collective et non plus individuelle. Leur organisation collective devient donc un moyen de partiellement compenser la relation de soumission du travailleur face au capitaliste. Ainsi, la politique économique des travailleurs fait face à celle de la bourgeoisie. Le fondement de la politique économique de la bourgeoisie, c’est la concurrence, celui de la politique économique des travailleurs, c’est la solidarité.

    Dans les branches de l’industrie les plus développées, la production, la science et la technique ont depuis quelque temps atteint un niveau supérieur aux possibilités des investisseurs privés. Cela a provisoirement pu être surmonté avec la mobilisation de capitaux “dormants” (notamment des fonds de pensions), des subsides publics, des investissements militaires et la commercialisation de l’enseignement et des soins de santé. Mais la mise au point de nouveaux produits exige tellement de recherche et de développement et le capital investi doit être amorti à une échéance tellement courte (afin de ne pas se faire rattraper par des produits encore plus performants) que même ses moyens palliatifs ne suffisent plus. Des découvertes scientifiques essentielles sont cachées à l’aide de brevets afin de se protéger de la concurrence. Du temps, de l’énergie et des moyens précieux sont ainsi gaspillés.

    Aujourd’hui, la concurrence provoque la paralysie, fait obstacle au libre échange de savoirs ; ne nous permet pas d’investir les moyens nécessaires à prendre à bras-le-corps les grands défis écologiques, sociaux et économiques ; et condamne des millions de jeunes et d’autres travailleurs à être des spectateurs sans emploi. La concurrence ne détruit pas seulement nos emplois, nos conditions de vies, nos communautés, notre environnement, mais aussi souvent des unités de production performantes que nous pourrions utiliser pour répondre à de nombreux besoins sociaux urgents.

    Seule une société basée sur la solidarité, où toutes les banques et toutes les institutions financières seraient réunies en une seule banque sous le contrôle démocratique de la collectivité, pourra suffisamment mobiliser de moyens et les utiliser comme un levier pour une planification démocratique de l’économie en fonction des intérêts de toute la collectivité. Cette solidarité sera évidemment internationale.


    Notes

    1. De Tijd 2 février 2013 page 5
    2. De Tijd 13 février 2013
    3. http://www.nbb.be/doc/ts/Publications/ NBBreport/2012/FR/T1/rapport2012_TII. pdf Selon ce rapport, l’impôt des sociétés (plus d’un million de sociétés) représentait 3,2% du PIB en Belgique en 2011. Nous en sommes ainsi quasiment revenus au niveau d’avant la crise. Au total, cela signifie 11,6 milliards d’euros. Nous ne connaissons pas les profits cumulés de toutes les entreprises. Mais grâce à Trends, nous savons que les 30.000 plus grosses sociétés ont réalisé cette année-là un profit net cumulé de 76 milliards d’euros, contre 57 milliards d’euros en 2010 et 63 milliards d’euros en 2009. Cela laisse supposer que le taux réel d’impôt des sociétés ne peut être de plus de 9%, alors que le taux légal est de 33,99%. Les autorités perdent ainsi 30 milliards d’euros de revenus !
    4. Faire payer les grandes entreprises: le Belge est pour – Le Soir 14 mars 2012
    5. La Libre – 22 février 2013 page 6 en 7
    6. Het Nieuwsblad – 21 février 2013
    7. http://trends.knack.be/economie/nieuws/ bedrijven/trends-top-30-000-nettowinst-van- 76-miljard-euro/article-4000217926367.htm
  • Mettons la pression dès la rentrée sociale !

    Manifestation de la FGTB le 14 septembre, à 10h, place Brugmann à Ixelles

    La rentrée sociale qui arrive promet d’énormes défis pour le mouvement des travailleurs. Les mesures d’austérité budgétaire de l’année dernière n’ont pas encore montré tous leurs effets que d’autres sont déjà annoncées ; le tout dans un environnement économique qui se détériore. Les mesures d’austérité et les contre-réformes néolibérales ne fonctionnent pas, il suffit de considérer la dette croissante de la SNCB pour s’en convaincre (près de 4 milliards d’euros pour l’année prochaine). Avec, en plus, les négociations sur l’Accord Interprofessionnel (AIP), tous les travailleurs vont devoir se mobiliser pour garantir leur avenir face à la voracité des 1% de super-riches.

    Par Alain (Namur)

    Le gouvernement Papillon a célébré en juin, avec toute la presse, les 6 premiers mois de son activité. En juillet, pour la fête nationale, le Roi était lui aussi de la partie pour célébrer la signature des accords institutionnels. Comme dans toutes les fêtes un peu trop arrosées, la gueule de bois fut sévère. Sans pour autant avoir participé au festin, ce sont les travailleurs et leurs familles qui risquent la migraine. Luc Coene, gouverneur de la Banque Nationale, a refroidi les esprits en annonçant que le pays est, contrairement à ce qui était précédemment affirmé, dans une phase de recul économique. Pour 2012, la récession pourrait être de 0,6%. Ceci confirme que la clôture du budget sera difficile, tandis qu’on annonce déjà 2 à 3 milliards d’euros de coupes budgétaires pour respecter les oukases de la Commission (maintien du déficit en dessous de 3% du PIB). Il faut encore ajouter, toujours selon Luc Coene, la probable recapitalisation de Dexia à hauteur de 5 à 10 milliards d’euros qui ne fera qu’augmenter la dette publique.

    Sur le front social, les patrons affirment que la sauvegarde de la compétitivité des entreprises impose une modération salariale, voire un détricotage de l’index. Les capitalistes ont utilisé toutes les institutions au service de leur offensive. C’est ainsi que la Banque Nationale a sorti un plan de réforme de l’index avec différentes solutions qui ne manqueront pas d’être mises en avant lors des négociations. Dernièrement, la Fédération des Entreprises Belges (FEB) a avancé dans le débat la question du deuxième pilier des pensions (pensions complémentaires). La FEB déclare ‘‘à un moment donné, cela risque de peser lourd pour les employeurs. Nous pensons que la responsabilité doit être partagée. Il y a plusieurs acteurs dans le deuxième pilier, mais l’ensemble de la responsabilité revient aux entreprises. Ce problème doit s’intégrer dans une discussion globale sur la compétitivité des entreprises.’’ Il faut préciser que le deuxième pilier représente une cinquantaine de milliards d’euros et plus de 3 millions de travailleurs (Le Soir du 14 et 15 août 2012). Après avoir petit à petit détruit le premier pilier, on nous annonce que les autres ne sont pas une solution…

    On le voit, on fait face à une situation où les patrons ont préparé leur offensive contre nos conditions de vie et de bien-être, pour préserver leurs profits. Cela s’illustre par le fait que 1 million des 18-34 ans vivent encore chez leurs parents en Belgique. Seuls 6% des 25- 34 ans qui vivent encore chez leurs parents sont au chômage. Cela veut dire que malgré un travail, les jeunes ne sont plus capables de faire face au coût de la vie. Les contrats précaires, le prix des loyers, la faiblesse des revenus sont autant d’éléments qui expliquent que ce phénomène s’amplifie.

    Pour la classe des capitalistes, malgré la crise, la situation belge reste très bonne. Dans son édition de juillet, Le Monde Diplomatique a écrit un article sur le “paradis fiscal” belge. Il y est notamment rapporté ‘‘une spécificité du système belge : si la majorité des contribuables y sont soumis à des prélèvements parmi les plus élevés au monde, la classe des rentiers, elle, bénéficie d’un régime particulièrement favorable…’’ (Le Monde Diplomatique, juillet 2012). Dans cet article, un exemple assez frappant est énoncé. Le candidat républicain à la présidentielle américaine, Mitt Romney, a dû déclarer 22 millions de dollars comme revenus imposables pour 2009. S’il était belge, il n’aurait dû déclarer que 2 millions de dollars !

    Le mouvement ouvrier doit faire face à l’offensive patronale en préparant sa riposte dès la rentrée. Il y aura des mobilisations à la SNCB contre le plan du gouvernement. Tous les secteurs de la SNCB doivent être prêts au combat et s’adjoindre les usagers. Mais le président de la CSC-Transcom a averti que pour faire reculer ce plan ‘‘il faut faire tomber le gouvernement.’’ Cela montre l’ampleur du défi posé à chaque secteur qui entre en lutte.

    Ce n’est qu’en généralisant et en élargissant la lutte à tous les secteurs que l’on pourra imposer un rapport de force. Il faut chercher l’appui le plus large en expliquant les conséquences pour la population. La manifestation de la FGTB du 14 septembre initialement prévue contre les attaques visant les chômeurs constitue un bon signal ; la réforme du chômage doit être combattue par les chômeurs et les t ravailleurs. L’exemple du ‘‘modèle allemand’’ basé sur une extension des secteurs à bas salaires doit être expliqué et débattu dans les entreprises et dans des collectifs de chômeurs. Enf in, en vue de l’AIP, il faut opposer un modèle de relance alternatif à la modération salariale voulue par la FEB. Une manifestation large avant le début de la négociation doit faire sentir aux négociateurs la force de la classe ouvrière. C’est seulement par cette méthode que l’on pourra obtenir des victoires et éviter l’appauvrissement que nous promettent la FEB et ses multiples relais politiques.

  • Le ciel n’est pas plus clair au-dessus de Dexia. Qui payera le crash ?

    En avril, le gouverneur de la Banque Nationale Luc Coene a été entendu à huis clos en Commission parlementaire concernant Dexia. Son approche assez pessimiste de l’avenir de Dexia n’a pas été confidentielle longtemps, et s’étalait dès le lendemain dans tous les journaux. Une grande attention a été apportée à la provenance de la fuite et sur les intentions de Luc Coene la concernant, mais il est surtout devenu on ne peut plus clair que les problèmes de Dexia sont encore loin d’être résolus. Quelles seraient les conséquences d’une nouvelle explosion de la ‘‘bombe à retardement Dexia’’ ?

    Dossier, par Tim (Bruxelles)

    Quand le gouvernement fédéral a nationalisé Dexia banque en octobre 2011, il a repris le réseau belge pour 4 milliards d’euros. Une ‘‘bad bank’’ fictive a parallèlement été créée : toutes les opérations à haut risque du groupe ont été rassemblées, et les gouvernements belge, français et luxembourgeois se sont portés garants pour 90 milliards d’euros pour cette ‘‘banque’’ en prévision d’une faillite éventuelle. La Belgique supporte le plus gros : 54 milliards d’euros. Depuis ce moment, Dexia Banque Belgique est devenu Belfius, un changement de nom destiné à tourner symboliquement le dos à ces problèmes.

    ‘‘A rose by any other name would smell as sweet” (‘‘Ce que nous appelons une rose embaumerait autant sous un autre nom’’) disait Juliette à son Roméo sous la plume de Shakespeare. Une jolie phrase qui résume bien le problème Dexia : changer de nom n’a pas pour autant résolu le moindre problème. Aujourd’hui, personne ne sait exactement dans quelle condition se trouve Dexia : les analyses vont de ‘‘peu optimiste’’ jusqu’à ‘‘apocalyptique’’. Il n’y a guère eu que l’ancien dirigeant de Dexia, Pierre Mariani, pour oser encore prétendre que ‘‘les choses pourraient peut-être encore se résoudre.’’ En disant cela, il pensait plus que probablement à son ‘‘parachute doré’’… Une chose est certaine : la ‘‘bad bank’’ Dexia est fondamentalement en perte, nous ne savons tout simplement pas jusqu’à quel point …

    Vers un démantèlement contrôlé…

    Pour cette ‘‘bad bank’’, le gouvernement belge a pour perspective un “démantèlement contrôlé” : l’idée est de garder l’entreprise fictive le plus longtemps possible afin de disposer de suffisamment de temps pour en vendre les parties potentiellement profitables et ainsi compenser les parties qui ne représentent qu’une perte assurée. Il reste ensuite à prier que les comptes s’équilibrent pour éviter un déficit. Lors de son audition parlementaire, Luc Coene a abordé ce scénario : il craint que la ‘‘bad bank’’ Dexia réserve trop de mauvaises surprises et que le prix de son démantèlement ne soit au final bien plus élevé qu’initialement espéré. Le président de la Banque Nationale a toutefois une idée très précise de ceux sur qui retombera ce coût : les contribuables. En d’autres termes : la poursuite de l’avalanche d’austérité et des augmentations d’impôts pour les travailleurs.

    D’ailleurs, même le scénario le plus positif pour Dexia a son prix, et une nouvelle facture nous attend dans ce cas également : nous devrons à nouveau payer pour les pertes des spéculateurs ! Aujourd’hui déjà, les communes belges cherchent désespérément des moyens destinés à éponger les pertes de Dexia avec des impôts cachés sur l’énergie ou des augmentations d’amendes. Après les élections communales d’octobre, nous pouvons nous attendre à une nouvelle facture. Quelle sera l’ampleur globale de l’austérité ‘‘Dexia’’ aux niveaux du fédéral, des régions et des communes ?

    … ou un crash non-contrôlé ?

    Les médias se sont fortement penchés sur les perspectives officielles pour la ‘‘bad bank Dexia’’, un peu trop roses. De nombreux éléments soutiennent cette hypothèse : les pertes déjà prises en compte concernent entre autres les investissements en Grèce, en Espagne, en Italie et au Portugal. Quelle est la valeur totale de ces pertes ? Le reviseur d’entreprise de Dexia, Deloitte, a calculé que les pertes pour l’année 2011 ne s’élevaient pas à 11,6 milliards d’euros comme la direction de Dexia l’a prétendu, mais à 16,4 milliards d’euros.

    Ceci signifie que ‘‘l’actif net’’ de Dexia (la valeur de l’entreprise moins le total des dettes), serait négatif. Une solution pourrait être que les actionnaires de Dexia injectent plus de liquidités dans l’entreprise. Mais à l’exception du gouvernement belge, aucun investisseur n’est intéressé à investir à fonds perdus dans une ‘‘bad bank’’. Quant au gouvernement belge, il deviendrait ainsi actionnaire majoritaire d’une ‘‘bad bank’’ qui ajouterait ses dettes à la dette publique. On parle ici de plus de 400 milliards d’euros de dettes supplémentaires, une somme équivalente au Produit Intérieur Brut du pays, c’està- dire à la totalité des richesses produites en un an !

    Le plus grand problème de ce scénario est qu’il ne prend en compte que la situation actuelle. Que se passerat- il demain si l’Espagne, l’Irlande ou le Portugal ne peuvent plus rembourser leurs dettes ? Que faire si Dexia perd son accès aux fonds de la Banque Centrale Européenne ? Le gouvernement belge espère également que l’Espagne, l’Allemagne et l’Italie se porteront garants pour les filiales de Dexia dans ces pays, mais est-ce réaliste ? Le gouvernement belge est semblable à l’orchestre du Titanic, continuant à jouer tandis que le navire Dexia s’enfonce dans les flots en espérant qu’un canot de sauvetage apparaisse par magie…

    Dexia : un cas isolé ?

    Dexia est un phénomène emblématique de la situation globale de l’économie mondiale. On n’exprime dorénavant plus de perspectives économiques en nombre d’années, mais en mois ou en semaines. Les incertitudes sont si importantes qu’une perspective à long terme est irréaliste. Chaque jour apporte son lot d’éléments qui réduisent à néant les perspectives d’hier.

    Le capitalisme souffre d’une crise de surproduction : ces dernières années, les plus grandes entreprises sur le globe ont amassé en réserve des milliers de milliards d’euros avec leurs profits record, les baisses de charges et les cadeaux fiscaux. La recherche de moyens pour réinvestir ces fonds dans l’économie réelle est désespérée, mais la destruction du pouvoir d’achat des masses par le biais des plans d’austérité ne laisse aucune voie pour un investissement rentable. Avec un tel scénario, chaque plan de sauvetage pour une banque comme Dexia est absurde : qui donc pourrait être intéressé d’investir dans une banque qui croule sous les pertes dans des conditions pareilles ?

    Quelle alternative ?

    Un démantèlement contrôlé de Dexia parait exclu dans le contexte économique actuel. La population, innocente, ne devrait pas supporter les frais de la catastrophe. Mais quelle alternative mettre en avant ?

    Dans le cadre de cette discussion sur la crise bancaire, on entend souvent parler de la création d’une banque publique. Nous pensons quant à nous que la création d’une banque publique dans un océan d’institutions financières privées est intenable. Et d’ailleurs, en fonction de quels intérêts sont opérées les nationalisations actuelles ? La même question se pose au sujet d’un ‘‘audit’’ sur les dettes visant à voir quelles sont les dettes ‘‘justes’’ ou non. Qui réalisera cet audit ? Et c’est quoi, une dette ‘‘juste’’ ?

    Un tel audit devrait être réalisé par des représentants des syndicats et des partis ouvriers, dans la perspective d’une nationalisation du secteur financier tout entier, sans compensations pour les spéculateurs. Nous voulons une enquête publique sur les dettes et les pertes de Dexia, et des compensations uniquement pour les petits actionnaires, sur base de besoins prouvés. Nous voulons des gérants qui travaillent au salaire ouvrier moyen, placés sous contrôle démocratique et révocables à tout instant. Un pôle financier public serait un bon refuge pour l’épargne et accorderait des crédits bon marché aux travailleurs et à leurs familles, de même qu’en libérant les moyens nécessaires pour investir dans les services publics et l’infrastructure.

  • La crise exige une modification de la politique économique – La lutte des classes en déterminera le caractère (Quatrième partie)

    Dans cette partie, nous analysons les propositions à l’approche des négociations pour un accord interprofessionnel. Nous soulevons les difficultés pour boucler les budgets de 2008 et de 2009, qui devraient être finalisés le 14 octobre. Dans la dernière partie, nous révélons les drames sociaux déjà présents même avant que la crise se soit étendue à l’économie réelle.

    Texte de perspectives du Congrès National DU PSL/LSP. Ce texte a été écrit durant l’été.

    Handicap salarial ?

    112. Mais d’où vient alors cette ténacité chez les travailleurs à se mettre tout de même en action ? C’est vrai que nous n’avons pas encaissé les profits des entreprises, les dividendes des actionnaires ou encore les augmentations salariales des managers, mais nos salaires augmentent quand même plus vite que dans les pays voisins, n’avons-nous pas un handicap salarial ? Notre salaire horaire nominal a été relevé de 7,5% en 2007 et 2008, largement plus que la norme salariale de 5,1% que les syndicats avaient eu dans l’accord de février 2007. (1) Mais avec les statistiques, tout peut être prouvé. Le chiffre du Bureau du Plan de 2007-2008 est une estimation. En outre, le Bureau du Plan s’attend à une inflation de 6.5% pour la même période. Après déduction de l’inflation, il ne reste donc que 1% d’augmentation salariale. Cela doit représenter aussi bien l’augmentation de la productivité que les glissements des salaires et les augmentations barémiques. La Banque Nationale estime que l’augmentation de la productivité en 2007 a été plus basse que 1%, et ce pour la première fois depuis 2001. Elle estime le glissement des salaires sur 1% cette même année, c’est le phénomène d’augmentation du salaire moyen par le fait que le nombre d’emplois non qualifiés diminue pendant que le nombre d’emplois qualifiés augmente. (2) De plus, il s’agit ici de moyennes qui sont déformées par certaines catégories.

    113. En août, le Bureau du Plan a dégagé des chiffres qui donnent le vertige. Les salaires bruts réels, adaptés à l’inflation, des ouvriers masculins dans l’industrie auraient, dans le meilleur cas, diminués de 2.6% de juillet 2007 à juillet 2008. (3) Cela confirme une étude similaire précédente du Bureau du Plan en février de cette année, lorsque les salaires bruts réels de ces mêmes travailleurs avaient, à ce moment là, diminué de 2% sur base annuelle. (4) Les chiffres de la Banque Nationale ont confirmé que cette tendance valait aussi pour les employés et les ouvriers des autres secteurs. Comme raison principale, le Bureau du Plan met en avant l’index santé. Pourtant, déjà avant, la situation n’était pas positive. Fin 2007, il semblait déjà que « le paiement des salariés belges », le salaire, y compris les cotisations sociales, était pour la première fois depuis ’71 en dessous de 50 % du PIB. (5) Dans sa réaction, Cortebeeck, le président de la CSC, avait dit: “cela ne peut pas durer”, tandis que Rudi Thomaes de la FEB avait qualifié ces chiffres de “purement symboliques”.

    114. Des études ont paru, pour un oui ou pour un non, afin d’affirmer que les coûts salariaux belges déraillent, que le handicap du coût salarial augmente, etc. La plupart du temps, ce sont des études de l’OCDE qui reçoit ses chiffres des gouvernements nationaux qui, eux, les reçoivent des patrons. Selon la FEB, le handicap salarial s’élève à 12%. On se demande alors comment la Belgique reste un pays si attractif pour les investisseurs. Un coup d’oeil sur les frontières nous l’explique rapidement. Il semble que dans les pays voisins, on raconte les mêmes histoires. Le but de l’OCDE, des gouvernements nationaux,… n’est jamais de parler des salaires à voix haute, au contraire. La Banque Nationale est toutefois, elle, obligée de publier les chiffres réels. Il semble dès lors que les coûts salariaux par heure de travail dans le secteur privé, entre 1996 et 2007, ont diminué en Allemagne de près de 10%, en Belgique de 1% et a augmenté en France et au Pays-Bas de, respectivement, 6% et un peu plus de 15%.(6) La fête en Allemagne se prolonge d’ailleurs jusqu’à la fin. IG-Metall, le syndicat faisant autorité dans toute l’Europe avec ses 3.5 millions de membres, a exigé cette année 8% d’augmentation, revendication la plus élevée depuis 16 ans. Aujourd’hui, près de la moitié a été obtenu, mais cela aurait pu se finir autrement.(7)

    115. Il n’est donc pas étonnant que les attaques du président de la BCE Trichet sur l’indexation aient peu impressionné.(8) Les patrons ne sont pas réellement chauds pour une confrontation là-dessus, mais avec une adaptation de l’index à la fin 2007, deux fois en 2008, et probablement encore une fois dans la première partie de l’année 2009, l’avidité patronale peut être stimulée. Lorsque Thomas Leysen est devenu président de la FEB, qui selon lui représente 33.000 entreprises, il a déclaré : « il faudra bien que quelque chose se passe. » (9) Guy Quaden, gouverneur de la Banque Nationale, a suggéré une indexation en chiffres absolus plutôt qu’en pourcentage. De cette manière, les revenus les plus élevés feraient des économies sur l’indexation. Les syndicats ne sont pas tombés dans le piège. Luc Cortebeeck a répondu : « En tirant une partie de l’index à celui qui gagne un peu plus, on mine la portée de tout le système. » (10)

    Un accord interprofessionnel en fin d’année

    116. Contrairement à ce que les patrons suggèrent tout le temps, le travailleur belge n’a rien à se reprocher. A chaque fois, il apparait qu’il se trouve au top de la productivité. En terme de valeurs produites par heure de travail, avec une moyenne de 53,4$ par heure, il ne laisse passer devant lui que les travailleurs luxembourgeois (71,3$) et norvégiens (53,5$).(11) En Norvège, c’est principalement dû au secteur pétrolier. Les travailleurs américains (52,3$), néerlandais (52,2$), allemands (49,3$), français (51,3$) et surtout japonais (37,5$) sont tous moins productifs. En termes de valeur produite par travailleurs, les belges sont « seulement » à la cinquième place. C’est parce que les travailleurs belges travaillent en moyenne 1.610 heures par an, les américains 1.785 et les irlandais 1.870. Les néerlandais, par contre, travaillent en moyenne 1.413 heures, les français 1.559 et les allemands 1.432. (11)

    117. Mais pour certains, ce n’est jamais assez. Le provocateur Van Eetveelt, d’Unizo, ne nous a pas réellement surpris lorsqu’il a prétendu qu’il n’y aurait pas d’espace pour des augmentations salariales. « Ce serait déjà tout un art de pouvoir sauvegarder notre système d’indexation. » Pour la diminution des charges par contre, il voit encore quelques possibilités. (12) Son rêve ? « Travailler 6 jours, pas d’augmentation. Pourquoi ne pas augmenter la semaine de travail de 38 à 48 heures ? Pendant des périodes chargées, on doit pouvoir prester plus. » (13) Ainsi, Van Eetvelt joue son rôle classique : il lance des pistes là où d’autres n’osent pas se prononcer. La FEB va aussi aux négociations pour l’accord interprofessionnel avec des mots d’ordre clairs. Ils en ont 5 : le pouvoir d’achat n’est pas un problème, les salaires sont trop élevés, le marché du travail n’est pas assez flexible, les belges travaillent trop peu et les autorités n’ont pas une vision à terme car malgré l’augmentation de l’espérance de vie, les carrières restent trop courtes. Peter Timmermans, directeur général, rajoute que les négociations d’un accord seront plus difficiles que jamais.

    118. Il y a déjà quelques années que nous disons que les petites et moyennes entreprises de livraison seront très vulnérables dans le cas d’une récession. Les 8 premiers mois de 2008, on comptait déjà 5.191 faillites, 8,3% de plus qu’en 2007 et nous sommes sur la voie de casser le record de 2004 de 7.935 faillites. Ces faillites ont entrainé la perte de 12.000 emplois, il s’agissait surtout de petites entreprises. L’assainissement du groupe pharmaceutique UCB où 555 emplois sont menacés à Bruxelles et à Braine-le-Comte, n’en fait pas partie. Il ne s’agit pas d’une faillite. Mais c’est bien un affront pour le gouvernement wallon, puisqu’il appartient au secteur de pointe du plan Marshall. La plus grande augmentation des faillites s’est produite à Bruxelles (+20%), en Wallonie (+10%) et beaucoup moins en Flandre (+1,4%) où 2.387 faillites ont néanmoins été enregistrées. Mais tout ceci avant que la récession n’ait réellement commencé. (14)

    119. En septembre, une accélération s’est produite aussi en Flandre. Déjà avant l’été, Beekaert avait fermé sa production de cables d’acier à Lanklaar : une perte de 136 emplois. En été, Punch International a fait de même avec son usine d’enjoliveurs à Hoboken : -315 emplois. En septembre, Barco a décidé de railler 113 emplois dont 2/3 en Belgique. Ce même mois, Picanol a annoncé la perte de 190 emplois à Ypres. L’entreprise de textile Beaulieu restructure à Wielsbeke, -209 emplois et ferme sa filiale à Ninove, -178 emplois. Chez Gilbos à Herdersem, construction de machines de textile, 48 emplois disparaissent en conséquence du démantèlement d’activités de livraison. Domo Gand ferme sa filiale Cushion Floor à Zwijnaarde, 91 ouvriers et 47 employés perdent leurs emplois. En termes de faillites, il y a la fermeture d’UCO-Gand, -400 emplois et du fabricant de meubles Sint-Jozef à Aarschot, -33 emplois. Tout cela seulement en septembre 2008.

    120. Pour le patronat, c’est la situation rêvée pour faire monter la pression et se débarrasser de personnel superflu. Probablement espère-t-il effrayer les travailleurs et en même temps procurer une arme pour paralyser la base aux amis secrétaires syndicaux, tels que Herwig Jorissen de la centrale des métallos de la FGTB qui vient d’être divisée sur base communautaire. Bien que la vague de faillites pourrait provoquer des doutes pendants quelques semaines, nous ne croyons pas que cela va paralyser le mouvement des travailleurs. L’appel confus de la FGTB pour une journée d’action le 6 octobre l’exprime. Les différentes centrales interprètent la situation de manière différente.

    121. Certains plaident à juste titre pour démarrer la mobilisation par une manifestation nationale. Le 25 septembre déjà, les travailleurs des autorités locales et régionales de Bruxelles ont bloqué toute la ville par des blocages filtrants. A Belgacom, les trois syndicats ont organisés une assemblée commune pour la première fois en 40 ans. (15) Dans la centrale des métallos de la FGTB Wallonie et Bruxelles, on voulait partir immédiatement en grève durant 48 heures, entrainant le danger d’être trop en avance sur la conscience qui vit dans d’autres secteurs. La Centrale Générale et le Setca ont plaidé pour organiser d’abord une manifestation nationale. A De Lijn et à la STIB, on a pratiquement immédiatement commencé à organiser la journée de grève du 6 octobre. En Flandre orientale, en préparation, des assemblées interprofessionnelles sont organisée. A Anvers, on veut organiser un blocage filtrant du port. Cette situation chaotique va restaurer l’atmosphère d’action qui existait avant l’été et préparer les forces pour une confrontation à l’approche des négociations sur l’accord interprofessionnel (AIP).

    122. Dans les appareils syndicaux, la contradiction sera poussée jusqu’au bout entre ceux qui veulent totalement atomiser le mouvement et rêvent probablement déjà d’une carrière ailleurs, et d’autres plus sensibles aux pressions de la base et veulent le refléter même si ce n’est que de façon très limitée. Les parties plus radicales des organisations patronales (Voka, Unizo, VKW, Agoria) vont vouloir se baser sur cette contradiction pour lancer des revendications de plus en plus osées et aboutiront probablement à un discours très communautaire. Les parties plus intelligentes du patronat, le sommet de la FEB, reflèteront de temps en temps la pression de ces fragments radicaux et l’utiliseront lorsque cela leur conviendra, mais essaieront en général de temporiser pour permettre aux dirigeants syndicaux de ne pas perdre leur contrôle sur la base et pour permettre aux politiciens de rétablir la stabilité.

    123. Il y a probablement une partie des organisations patronales qui estime ne pas avoir besoin d’un accord interprofessionnel. Les grosses entreprises et leurs représentants, par contre, considèrent un accord interprofessionnel comme un instrument pour freiner une vague d’actions et de grèves dans les secteurs et entreprises et seront probablement en faveur d’un accord même si cela exige des concessions limitées. Mais un des problèmes, c’est que le gouvernement ne dispose pas de moyens pour aider à venir à un accord avec des moyens supplémentaires.

    La création d’un budget

    124. Le gouvernement a d’ailleurs un gros problème. Après s’être chamaillé pendant 15 mois sur le communautaire, il doit toujours faire aboutir son premier budget. Le précédent, était a à l’époque été fait par les ministres de la violette. Le fait que Melchior Wathelet, le ministre du budget sous Leterme Ier, soit devenu le « secrétaire d’Etat au Budget », alors qu’il est en plus responsable de la politique des familles, était déjà un signe. Avec Reynders sur les finances, c’est fatal, celui-ci s’est de nouveau trompé dans ses comptes. Selon le service d’étude des finances, les impôts en 2008 rapporteront 1,1 milliards d’euros en moins que prévu lors du contrôle budgétaire de juillet.(16) Ce sont surtout les revenus de la TVA, et les précomptes professionnels, qui ont été décevant, l’un à cause de l’affaiblissement de la consommation, l’autre à cause des diminutions de charge sur les heures supplémentaires, le travail de nuit et en équipe. Mais pour Reynders, un déficit de -0,3% n’est pas problématique. Cela pourrait d’ailleurs devenir -0,5%. La contribution de Suez de 250 millions d’euros n’est toujours pas réalisée et celle du gouvernement flamand, presque 400 millions d’euros, ne rentrera pas puisqu’il n’y a pas encore de réforme d’Etat.

    125. La construction d’un budget pour 2009 sera encore plus difficile. Pour le Bureau du Plan, la croissance diminue jusqu’à 1,2% et si la politique appliquée n’est pas changée, il faudra au moins trouver 5 milliards pour arriver à un équilibre. De plus, le gouvernement a promis de lier les allocations au bien être (200 millions en 2009), de diminuer encore les charges sur les entreprises et de réaliser une marge de 0,3%. (17) Leterme prétend chercher 5 milliards, mais selon Knack et Trends, il devrait en trouver 7. Le 14 octobre, il doit prononcer son discours sur sa politique dans le parlement fédéral. Luc Coene, vice-gouverneur de la Banque nationale, de cachet VLD, a lancé déjà quelques pistes début septembre. « Les années précédentes, les dépenses sociales ont connu une croissance de 2,3% du PIB de plus que prévu. Ce rythme de croissance des dépenses doit diminuer. » Il trouve aussi que « les dépenses publiques doivent être tenues sous contrôle. »

    126. Coene ne veut évidemment pas dire que le gouvernement doit quitter sa politique de baisse des charges. Evidemment non, car il prétend que « Après la suède, la Belgique est toujours à la deuxième place sur le plan mondial en ce qui concerne la pression fiscale. » Que faut-il alors ? Voici une sélection du Standaard. Celui-ci titre le 6 mai 2008 : « 40% des fonctionnaires partent en pension d’ici 5 ans ». Le 22 mai, « remplacer seulement un fonctionnaire sur 3 ». Le 26 juin, « Avec 72.000 fonctionnaires de moins, cela marche également ». Finalement, Van Eetvelt a écrit dans une carte blanche à la presse : « L’Etat doit vivre selon ses moyens, comme toute entreprise ». Qui vient de décider que l’Etat est une entreprise ? Il ne le mentionne pas. Pour Van Eetvelt, les dix prochaines années, 11.000 fonctionnaires peuvent disparaitre, et ceci sans bain de sang social et sans diminuer l’efficacité des autorités. Ainsi Van Eetvelt veut répondre à quelques experts financiers qui venaient de déclarer il y a quelques jours qu’ils ne croient pas en des économies sur les fonctionnaires et les soins de santé. (18)

    127. Selon ces experts, une économie sur les 80.000 fonctionnaires fédéraux ne rapporte que très peu. Le gros des coûts salariaux se trouve d’ailleurs dans les communautés et les administrations locales. Ils disent ne pas conseiller d’économiser sur les enseignants. Et évidemment, Van Eetvelt et compagnie ne sont pas d’accord. Ils savent aussi qu’une entreprise sur trois est en infraction selon l’inspection sociale (19), que l’administration fiscale est en manque systématique de personnel. Ne plus remplacer les fonctionnaires fédéraux qui partent en pension signifie parallèlement l’érosion de services publics gênants tels que l’inspection sociale et la lutte contre la fraude fiscale. En ce qui concerne l’enseignement, Van Eetvelt et compagnie ont leur réponse : l’immigration économique, c’est meilleur marché. Avec la ministre Open-VLD Turtleboom, ils ont installé une dame de fer sur cette matière.

    128. Les spécialistes trouvent aussi que faire des économies sur les soins de santé est irréaliste. « A cause du vieillissement, les dépenses pour les soins de santé croissent systématiquement ce qui rend difficile d’économiser. » Marc Devos, du groupe de réflexion ultralibéral Itinera, totalement hors de soupçon d’une quelconque sympathie de gauche, dit que les soins de santé sans réforme vont directement vers des déficits. Ce que les patients paient pour les soins de santé a augmenté systématiquement contre la tendance européenne et ceci pendant que la qualité a systématiquement reculé. L’OCDE place nos soins de santé à la 18e place (sur 26) en termes de performance. Le nombre de soins prestés est bon mais les résultats sur la santé, tels que l’espérance de vie, la mortalité infantile, les décès dus à des cancers guérissables,… tirent notre système vers le bas. Aux USA, au Canada, en Suisse, en Espagne et au Portugal, les patients eux-mêmes paient une plus grande partie de soins de santé. Pourtant, Itinera plaide pour une limitation de la croissance du budget : « Puisque, autrement, la volonté de réforme n’est pas stimulée. »

    129. Van Eetvelt a calculé qu’en diminuant la norme de croissance de 4,5 à 2,8% en 2009, 365 millions d’euros peuvent être économisés sur les soins de santé. « Sans problème pour la santé de la population », ajoute-t-il. Sur le terrain, on n’en est pas convaincu. Là, on montre du doigt le fait qu’il faut tenir compte des développements techniques et scientifiques. Les prothèses des genoux, des hanches, ou les opérations de la cataracte sont heureusement devenus beaucoup plus accessibles qu’à la fin des années ‘80, mais la facture augmente. La norme de croissance actuelle menace d’ailleurs tout le secteur. Des hôpitaux se plaignent de déficits structurels. A Bruxelles, plusieurs hôpitaux sont au bord de la faillite. Au rythme actuel, on évolue de plus en plus vers des soins de santé à 2 vitesses, avec des soins de base pour ceux qui ne peuvent plus se le permettre. On fait d’ailleurs appel de plus en plus à des aides soignants mal payés et la charge du travail est systématiquement augmentée.

    130. Où les experts voient-ils alors les possibilités pour équilibre le budget ? « Du côté des revenus, il y a encore des possibilités. C’est déjà la deuxième année consécutive que les revenus des impôts sont en retard de 1 milliards sur le schéma. Avec plus de contrôle, une partie du problème budgétaire serait résolu. » Et plus encore : « Le gouvernement fédéral doit quitter les recettes classiques et taxer le capital. » La crise de crédit internationale et l’indignation généralisée sur l’avidité d’une infime minorité aux dépend de la grande majorité de la population traversent toute la société. C’est ce qui explique le sens soudain des réalités de quelques experts qui voient dans l’avidité de Van Eetvelt et compagnie une menace pour la légitimité du système de profits. Nous sommes ici témoins d’un phénomène classique, c’est-à-dire que la révolution se manifeste d’abord au sommet de la société et non comme on le pense souvent à la base de celle-ci.

    131. Pour la majorité des stratèges (petits-) bourgeois et leurs marionnettes politiques, le danger n’est aperçu que lorsqu’il se trouve déjà sous leur nez. En général, ils y ajoutent encore une cuillère. En juin encore, le VLD a revendiqué une baisse des charges à hauteur de 4,4 milliards d’euros. Au niveau de la Flandre, le VLD voulait en plus une diminution de taxe, de ce que l’on nomme le job-korting, à la hauteur de 600 euros, une diminution de l’impôt des sociétés à hauteur de 350 millions d’euros et une augmentation de l’exonération des précomptes professionnels sur le travail de nuit et d’équipe de 10,7 à 15,6%. Finalement, le VLD veut aussi de plus grands avantages fiscaux pour des heures supplémentaires.(20) A la fin de février 2009, tous les flamands qui ont un travail recevront une diminution de taxe de maximum 300 euros, avec un maximum de 600 euros par foyer. Cette diminution ne sera cette fois pas éparpillée sur les 12 mois, mais calculée dans le précompte professionnel sur le salaire de février, trois mois avant les élections. « De cette manière, la diminution est visible pour chaque flamand. »

    132. Sur le plan fédéral, le VLD a aussi un liste de revendications : activation plus intensive des 50 ans et plus, réduction des termes d’invitation des chômeurs à un entretien de contrôle, dégressivité des allocations, remplissage plus souple de la semaine de 38 heures et immigration économique. Et, enfin, l’Open-VLD veut s’attaquer aux fraudes sociales. Selon Rik Daems, on peut aller y chercher 3 milliards d’euros, ce qui n’est pourtant qu’un dixième de la fraude fiscale estimée dans une étude de Mc Kinsey et de la VUB à 30 milliards d’euros annuellement. Daems ne vise évidemment pas les cotisations sociales non payées par les patrons, ni les heures supplémentaires payées en noir ou les patrons qui emploient illégalement des travailleurs. Il vise exclusivement ceux qui combinent une allocation avec un peu de travail en noir à gauche et à droite. Selon la criminologue de l’ULB Carla Nagels, Daems a une vision extrêmement libérale de la lutte contre la fraude sociale.

    Drame social en construction

    133. Daems et compagnie sont à peine capables de s’imaginer ce qui pousse des gens à accepter du travail au noir, pour autant que ça les intéresse. Dans une étude pour l’institut du développement durable, Philippe Defeyt, président du CPAS de Namur, est venu à la conclusion que de plus en plus de familles refusent dorénavant de prendre en charge leurs enfants. Un jeune de moins de 25 ans sur vingt est dépendant d’une allocation du CPAS.(21) Le nombre de personnes dépendantes d’un revenu d’insertion sociale a augmenté de 75.400 en 2005 à 82.000 en janvier 2008.(22) Un belge sur 7 (14,7%) a un revenu inférieur à 60% du revenu médian, le seuil de pauvreté officiel. Celui-ci est de 860€ pour une personne isolée et de 1.805€ pour une famille avec deux enfants. (23) En Wallonie, ils sont 17%, en Flandre 11,4%. Le salaire minimal est de 1.355,78€ brut. 260.000 belges combinent deux ou plusieurs emplois. Selon Elsy Verhofstadt, chercheur à la RUG, ils le font principalement « pour pouvoir gérer les prix de mazout, d’immobilier ou de nourriture. » (24)

    134. Les propositions du VLD pour augmenter la politique d’activation et pour la dégressivité des allocations arrivent à un moment où une personne sur 8 en Belgique vit dans une famille sans emploi. En Europe (27), seules le Royaume-Uni et la Hongrie font un plus mauvais score sur ce plan là. 16% des européens vivent avec un revenu en dessous du seuil de pauvreté, dont la moitié fait partie d’un foyer où au moins une personne travaille. Le phénomène du « travailleur pauvre » se produit donc aussi en Europe.(25) Depuis 2004, 12.516 chômeurs se sont vus suspendre leurs allocations, dont 3.605 définitivement, les autres temporairement, en général pour 4 mois. Plus de la moitié des suspensions ont été faites sur la seule année 2007 ! En Flandre, on laisse sousentendre systématiquement que la politique d’activation en Wallonie et à Bruxelles serait appliquée de manière insuffisante. Pourtant, bien que la Flandre compte 32,96% des chômeurs au niveau national, « seulement » 28,63% des suspensions y ont été appliquées. La Wallonie, avec 49,62% des chômeurs, compte 50,02% des suspendus. Pour Bruxelles, 17,42% des chômeurs et 21,35% des suspendus. (26)

    135. On aurait l’impression que le chômage n’est pas vraiment un problème, à l’exception de quelques profiteurs acharnés. En 2007, 116.000 emplois auraient été créés. Le nombre total de travailleurs est de 4,4 millions contre 3,6 millions au début des années 80. Nous avons toujours dit que des bons emplois étaient remplacés par des mauvais, des emplois flexibles, partiels et temporaires, évidemment aussi avec un salaire bas et partiel. De plus, la majorité de ces emplois font partie de ceux qui sont payés avec des moyens publics tels que les chèques-services. Selon l’enquête des forces de travail (EFT) du service public fédéral, 3,9% de la population active en Flandre était sans emplois, 10,3% de celle en Wallonie et 16,3% de celle à Bruxelles. Les chiffres d’EFT utilisent la définition de sans-emploi du Bureau International du Travail et sont plus bas que ceux de l’ONEM. (27)

    136. En 1964, le nombre d’heures de travail prestées annuellement en Belgique a reculé pour la première fois en dessous de 8 millions, en 1973 en dessous de 7 millions. En 1964, cela se faisait avec 3.740.000 travailleurs, en 1973 avec 3.777.000 travailleurs. C’était la conséquence de la réduction du temps de travail arraché par la lutte des travailleurs. En 1999, nous étions pour la première fois plus de 4 millions de travailleurs et ensemble nous avons presté 6,5 millions d’heures de travail. Ce n’était plus le résultat d’une lutte pour une réduction du temps de travail, mais plutôt de l’augmentation de l’emploi à temps partiel jusqu’à 19,5%. En 2007, 4.337.000 travailleurs, dont déjà 23,7% à temps partiel, ont presté 6,9 millions d’heures de travail, fortement moins que pendant les golden sixties. (28) A cette époque, un salaire par foyer suffisait pour s’en sortir, aujourd’hui c’est devenu intenable. Surtout ceux qui gagnaient le moins dans le foyer, sont obligé de combiner l’entretien de la famille avec un emploi à temps partiel ; 42,6% des femmes travaillent à temps partiel, 7,8% des hommes. (29)

    137. Mais tout ceci, c’était avant que la crise ne se traduise dans l’économie réelle. Entre-temps, le nombre de faillites augmente de manière spectaculaire. Les récessions précédentes menaient systématiquement à de fortes explosions du chômage. Celle de 74-75 a rayé 350.000 emplois dans l’industrie. Ceci a été compensé parce que les autorités ont créé à peu près 250.000 emplois dans les services publics, mais les chiffres de chômage de la période précédente, autour de 75.000, appartenaient définitivement au passé. La crise de ‘81-83 a doublé le nombre de chômeurs officiels jusqu’à 500.000, un chiffre en dessous duquel on n’a plus jamais réellement été. Depuis, les gouvernements consécutifs ont commencé à modeler les statistiques. Mais cela n’a pu empêcher une augmentation forte du degré de chômage officiel lors de la crise de ‘90 de moins de 9% à 15% dans la deuxième partie de ‘95. La mini crise de 2008 a fait sauter le nombre de chômeurs de presque 200.000. Ces dernières années, le chômage est descendu, mais malgré les chèques services et d’autres types de statuts, même pas jusqu’au niveau du point le plus bas précédent, de juin 2001, ne parlons même pas de celui du début des années ‘90. (30) En août 2008, De Tijd s’est demandé : « Un orage d’automne menace-t-il le marché de l’emploi ? » Le journal fixe notre attention sur le fait que le marché du travail ne réagit qu’avec un retard d’une demi-année sur des changements conjoncturels et que pour la fin de l’année, il y a bien des raisons de se faire des soucis. (31) A Bruxelles, depuis, le chômage est remonté de 18,8% avant l’été à 19,4% en septembre 2008. (32)

    138. Leterme avait probablement espéré autre chose, mais il peut se préparer à une augmentation forte des dépenses sociales. Celles-ci avaient légèrement reculé dans la période 2003-2007 de 23% du PIB à 22,5%. Pendant cette même période, la sécurité sociale a connu trois fois un surplus, une fois un déficit (2003) et une fois un équilibre (2005). En 2007, les recettes de la sécurité sociale étaient de 64 milliards d’euros. C’est composé principalement de salaires différés – nommées cotisations patronales et les cotisations des travailleurs – pour 43 milliards d’euros et de ce que l’on nomme les contributions des autorités, pour 18 milliards d’euros, principalement des financements alternatifs (presque 10 milliards d’euros). Encore en 2007, la sécurité sociale a dépensé 62,5 milliards d’euros, principalement dû à ce qui était son but, c’est-à-dire les allocations sociales et les coûts du personnel, mais aussi de plus en plus pour des subsides aux entreprises (1,6 milliards déjà). Des allocations sociales en 2007, 21 milliards ont été dépensés aux soins de santé, 19 milliards aux pensions, 7,8 milliards au chômage (comprenant aussi une partie des prépensions), 4,5 milliards aux allocations familiales, et 4 milliards aux incapacités de travail. (33)

    139. Pendant des années, on nous a effrayé avec le vieillissement et le fait que nos pensions seraient impayables. Pour chaque personne de plus de 60 ans, il y a aujourd’hui 2,5 travailleurs actifs, en 2015 ce ne sera plus que 2,1 travailleurs actifs. Presque tout le monde connait l’ordre de grandeur de ces chiffres. Via la télé et d’autres médias, ils ont été imprégnés dans notre conscience de la même manière que l’on marque le bétail au fer rouge. Cela servait à nous faire accepter l’érosion de notre pension. Pendant des décennies, des économies à charges de nos personnes âgées n’auraient provoquées que des indignations. Encore aujourd’hui, il n’y a rien de pire que quelques jeunes qui se moquent, volent ou maltraitent des personnes âgées, ou qui les laisse tout simplement à leur propre sort. C’est pourtant l’exemple que nos gouvernements donnent depuis des années. L’allocation de retraite moyenne d’un salarié masculin n’est plus que de 1.000 euros, d’une salariée féminine, de 700€. Les recherches démontrent que les « pensions supplémentaires » arrivent pratiquement exclusivement chez ceux qui ont déjà une pension légale élevée. (34)

    140. Entretemps, la pension moyenne après taxation n’est plus que de 64,4% du salaire moyen. En Grèce et aux Pays-Bas, c’est plus de 90%. Au Luxembourg, un pensionné reçoit, pendant sa vie, si on totalise toutes ses allocations, en moyenne 664.240€ contre 179.056€ en Belgique, moins qu’en Grèce qui connait pourtant un niveau de vie en moyenne beaucoup plus bas (35). Délaisser les personnes âgées de telle manière est l’expression la plus écoeurante d’une société basée sur l’avidité. Après avoir réalisé ce drame, le Bureau du Plan nous amène des nouvelles : le vieillissement sera dans les prochaines années moins fort qu’on ne l’avait prévu. Mais ceci n’est pas une raison de ne plus rien faire : en 2050 (la date a reculé de 35 ans), il y aura 44 personnes âgées de plus de 65 ans (on n’y a ajouté 5 ans) sur 100 travailleurs actifs. Les voyants du Bureau du Plan prévoient 30,38 personnes âgées de plus de 65 ans sur 100 travailleurs actifs pour la région Bruxelles-Capitale, 42,68 en Wallonie et 47,38 en Flandre. (36)

    141. Nous avons déjà traité des économies sur les salaires et sur les conditions de travail des salariés, des emplois flexibles et sous-payés des jeunes, de l’immigration sélective, des attaques sur les chômeurs, les malades et les pensionnés. Et pourtant nous ne sommes pas encore à la fin. Selon l’Agence flamande des personnes handicapées, les listes vacantes pour les personnes handicapées ont augmenté de 5.689 en 2003 à 8.200 en 2007. (37) Pour une région qui est capable de donner le fameux « job-korting » et d’autres cadeaux à l’approche des élections, cela témoigne de mauvais goût.


    (1) Bureau Fédéral du Plan, communiqué du 12 septembre 2008

    (2) Rapport annuel de la Banque Nationale, 2007, p. 97 et 99

    (3) De Tijd, 27 août 2008, Reële lonen werknemers dalen

    (4) De Tijd, 27 février 2008, Lonen kunnen prijzen niet volgen

    (5) De Tijd, 3 octobre 2007, Lonen stijgen trager dan BBP. Entre 2002 et 2006, les salaires (nominaux) et les allocations sociales ont augmenté de 13% pour atteindre 158,2 milliards €, dans cette même période, le surplus d’exploitation brut et les revenus mixtes, principalement composé des revenus des entreprises, a connu une croissance de 26% pour atteindre 121 milliards €. Le PIB était de 316,6 milliards €.

    (6) Rapport annuel de la Banque Nationale, 2007, p. 103, graphique 41

    (7) De Tijd, 9 septembre 2008, IG Metall eist 7 tot 8 procent meer loon

    (8) Des 15 Etats-membres, 6 possèdent une indexation automatique ou partielle : la Belgique, le Luxembourg, l’Espagne, la Slovénie, Chypre et Malte. Dans certains pays, il existe en plus une indexation du salaire minimum.

    (9) De Morgen, 19 avril 2008, De index is geen ideaal systeem

    (10) La Belgique et le Luxembourg sont les seuls pays avec une indexation automatique. Le système se base sur les prix de 507 produits. Dès que l’index atteint un certain, niveau, appelé l’index pivot, une adaptation à l’index s’applique. Pour les allocations dans le mois qui suit, pour les services publics et quelques secteurs du privé dans le deuxième mois qui suit. Si certains perdaient une partie de leur indexation, cela minerait leur attachement à l’index et détricoterait le front en défense de l’indexation.

    (11) The Conference Board & Groningen Growth and Development Centre – summary statistics et total economy database, janvier 2008 – en 2007 US $

    (12) De Tijd, 25 juillet 2008, Unizo trekt streep onder loonsverhogingen

    (13) Het Nieuwsblad, 17 septembre 2008, Zes dagen werken, geen opslag

    (14) De Tijd, 2 septembre 2008, Faillissementen op record na acht maanden

    (15) De Tijd, 2 septembre 2008, CAO-overleg Belgacom nog onzeker

    (16) De Tijd, 3 septembre 2008, Belastingsinkomsten met 1,1 miljard in het rood

    (17) Knack, 24 septembre 2008, Rolverdeling met een hoge prijs

    (18) De Tijd, 4 septembre 2008, We moeten besparen, maar waar?

    (19) De Tijd, 8 février 2008, Een op drie bedrijven overtreedt wet

    (20) De Tijd, 6 juin 2008, Open VLD eist 4,2 miljard minder lasten

    (21) Le Soir, 12 septembre 2008, Un tiers de jeunes dans les CPAS

    (22) Le Soir, 5 juillet 2008, Le public des CPAS continue de s’élargir

    (23) Le revenu médian est la somme qui compte autant de gens avec un revenu supérieur que de gens avec un revenu inférieur. Le revenu moyen est la somme de tous les revenus divisée par le nombre de personnes ayant un revenu.

    (24) Laatste Nieuws, 26 mars 2008

    (25) De Tijd, 26 février 2008, Een op de acht Belgen leeft in gezin zonder job

    (26) De Tijd, 21 février 2008, RVA-activeringsbeleid leidde sinds 2004 tot 12.500 schorsingen

    (27) De Tijd, 15 mai 2008, 116.000 extra banen in recordjaar 2007

    (28) The Conference Board & Groningen Growth and Development Centre –total economy database, janvier 2008

    (29) Site des autorités fédérales, emploi et chômage

    (30) Taux de chômage en pourcentage de la population active

    (31) De Tijd, 2 augustus 2008, Dreigt herfststorm op arbeidsmarkt

    (32) Le Soir, 4 septembre 2008, Deuxième mois de hausse consécutive pour le chômage

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