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Tag: Littérature
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Isaac Babel : écrivain soviétique, victime du stalinisme
Ce 13 juillet 2014 marque le 120e anniversaire de la naissance de l’exceptionnel écrivain soviétique Isaac Babel. Son œuvre la plus connue, «Cavalerie rouge», décrit le temps qu’il a passé au sein d’une unité de l’Armée Rouge durant la guerre de 1920 avec la Pologne, mais il a également exploré dans ses écrits la situation des quartiers juifs d’Odessa, en Ukraine, tout en étant impliqué dans le journalisme, la critique littéraire et le théâtre.
Par Andy Ford, Socialist Party (CIO-Angleterre et Pays de Galles)
Babel est né dans une famille de commerçants juifs, pas tellement loin de la maison natale de Léon Trotsky. Tout comme lui, il fut balloté entre les cultures juive et russe et, à un âge précoce, fut exposé à la vie cosmopolite du fameux port de la Mer Noire Odessa.
Ses premiers écrits rappellent le style de l’écrivain français Guy de Maupassant et, en fait, ont été couchés sur papier dans un fin français littéraire. Mais, très rapidement, il a vu son éducation limitée du fait des quotas imposés instaurés par le régime tsariste pour l’éducation des juifs. Il fut témoin de pogroms organisés par le tsarisme, pour qui les Juifs étaient les boucs émissaires de toutes les défaillances de l’État russe, une expérience immortalisé plus tard dans le récit “Histoire de mon pigeonnier”.
Son avenir bouché à Odessa, il déménage alors à Saint-Pétersbourg en 1915, où il se lie d’amitié avec l’écrivain socialiste Maxime Gorki, qui publiait ses histoires dans le style de Maupassant et dont les écrits l’avaient conduit à être condamné pour “obscénité”.
La révolution d’Octobre 1917
“Cavalerie rouge”Durant la révolution et par la suite, il a officié en tant que journaliste soviétique, jusqu’en 1920 lorsqu’il fut affecté à la 1ère Division de Cavalerie de l’Armée Rouge, une unité de « cosaques rouges » qui a combattu dans la guerre polono-soviétique de 1920. Cette expérience a constitué la base du grand classique qu’est «Cavalerie rouge», largement reconnu aujourd’hui comme l’une des créations littéraires soviétiques les plus étonnantes, mélange d’imagerie lyrique et de descriptions de scènes d’extrême violence ainsi que des horreurs de la guerre.
Il y a décrit sa lutte pour être accepté en tant que Juif, que bolchevique et que cavalier débutant par des Cosaques anarchiques, courageux et parfois brutaux alors qu’ils combattaient ensemble les forces encore plus brutales de l’Etat polonais soutenues par les grandes puissances capitalistes. Une description saisissante d’un coucher de soleil est directement suivie par le compte-rendu de ses tentatives visant à empêcher les Cosaques d’exécuter leurs prisonniers. A férocité de la bataille s’ensuit une scène poignante où Babel lit un texte de la Pravda consacré à Lénine face à un rassemblement des troupes cosaques analphabètes lors d’une halte. Il s’agit d’un récit vivant, choquant et véridique au sujet de la guerre civile.
Le stalinisme
Pareille approche déplaisait bien entendu profondément à la bureaucratie stalinienne naissante. Les bureaucrates staliniens n’appréciaient que très modérément de lire une description véridique de la guerre; ils ne voulaient que du «réalisme socialiste» ou, plus exactement, de la morne propagande sans vie. Après la chute du stalinisme, l’ouverture des archives de l’URSS a notamment révélé qu’un général avait demandé l’arrestation et même l’exécution de Babel. Sa sincérité l’a de plus en plus démarqué au sein du cauchemar de la dictature stalinienne.
Babel était devenu une grande figure de la littérature soviétique mais, comme le temps passait, il a trouvé des plus difficiles de tordre son talent pour qu’il cadre avec les désirs de Staline. Il s’est plus fortement orienté vers le journalisme et le théâtre, certaines réalisées avec Sergei Eisensein, mais a été critiqué pour son «formalisme» et des politiques inappropriées jusqu’à ce qu’il explique en 1934 qu’il travaillait dorénavant « dans le genre du silence ».
Il fut néanmoins arrêté en 1939 et détenu par le NKVD (Commissariat du peuple aux Affaires intérieures). Après trois jours et trois nuits d’interrogatoire, il a «avoué» être un membre d’une «organisation trotskyste anti-soviétique» et a été jugé au cours d’un procès secret de 20 minutes le 26 janvier 1940. Il est revenu sur ses aveux durant ce procès, affirmant qu’ils avaient été extorqués par la force, mais il fut abattu peu de temps après. Ses cendres furent jetées avec celles de dizaines d’autres dans une fosse commune. Ses livres se virent frappés d’interdiction, ils furent détruits, ses notes et manuscrits saisis et son nom fut retiré des encyclopédies soviétiques.
Babel a toutefois été «réhabilité» par Khrouchtchev après la mort de Staline. Sa réputation, tant à l’est qu’à l’ouest, n’a cessé de croître depuis lors.
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Après le livre, maintenant le film : ‘‘La stratégie du choc’’ de Naomi Klein
Le livre de Naomi Klein “La stratégie du Choc” avait déjà fait pas mal de bruit, sa version cinéma est sortie ce 2 juin en Belgique. Naomi Klein est loin d’en être à son coup d’essai, son livre “No Logo” avait eu un succès tel qu’il avait fait d’elle l’une des porte-paroles du mouvement antimondialisation.
Tout comme le livre, le documentaire livre une analyse acerbe et bien argumentée de l’histoire du néolibéralisme et de ses effets sur les masses d’Amérique Latine, d’Asie et d’Europe de l’Est. L’idée de base est que la phase actuelle du capitalisme recourt à des “chocs” afin d’imposer les contre-réformes procapitalistes du FMI et de la Banque Mondiale. Elle compare cette stratégie à l’usage désastreux d’électrochocs dans les années ‘40 et ‘50.
Aujourd’hui, les chocs sont utilisés par le capitalisme pour imposer l’agenda néolibéral sur les plans social et politique. Ces chocs peuvent prendre la forme d’écroulements économiques (comme avec la chute de l’URSS), de catastrophes naturelles (l’ouragan Katrina, le tsunami d’Asie du sud-est), de changements de régime (Pinochet), etc. En bref, de tout ce qui cause assez de désorientation publique pour que les dirigeants du pays aient le champ libre de faire ce que bon leur semble.
Naomi Klein détaille clairement les méfaits du capitalisme. Son exposé sur le Chili des années ‘70 et le passage au néolibéralisme après qu’Allende ait été renversé par le coup d’Etat de Pinochet soutenu par la CIA a beaucoup de mordant et est très bien rendu. Le rôle des soi-disant “conseillers économiques” qui avaient profité de leur formation à Chicago sous la supervision de Milton Friedman est parfaitement décrit. Ces “conseillers” ont été placés au Chili mais aussi dans d’autres parties d’Amérique Latine. Aujourd’hui encore, ils continuent leurs méfaits en Chine. Naomi Klein dresse encore un tableau des conséquences de la restauration capitaliste en Europe de l’Est et en Asie, mais également des conflits pour l’occupation des terres au Sri Lanka et dans d’autres pays asiatiques après le tsunami.
Hélas, après un brillant exposé, les conclusions politiques sont très limitées et se bornent à appeler à un “retour” à un “meilleur capitalisme”, avec une plus forte sécurité sociale et un Etat-providence. Naomi Klein n’est pas marxiste, son livre illustre tout de même une confiance envers le pouvoir des travailleurs et pauvres dans leur lutte contre le néolibéralisme et le capitalisme.
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Critique: ‘Comment les riches détruisent la planète’, par Hervé Kempf
Le lecteur de www.socialisme.be pourrait penser qu’avec un titre pareil, ce petit livre de 125 pages aura fait notre bonheur. En un sens oui, car il part d’un constat correct, celui d’associer la crise sociale et la crise écologique en pointant directement le capitalisme comme responsable. Mais Hervé Kempf reste toutefois très fortement marqué par les délires de l’idéologie dominante concernant la ‘nature humaine’ compétitive par essence ou encore ‘l’idéal d’universalité de l’Europe’.
Par Nicolas Croes
Comme le dit l’auteur, le constat est brutal: «Si rien ne bouge alors que nous entrons dans une crise écologique d’une gravité historique, c’est parce que les puissants de ce monde le veulent». Il dit encore qu’il est nécessaire de «comprendre que crise écologique et crise sociale sont les deux facettes d’un même désastre. Et que ce désastre est mis en œuvre par un système de pouvoir qui n’a pour fin que le maintien des privilèges des classes dirigeantes.»
Nous rejoignons Hervé Kempf dans le constat, fort étaillé, qu’il tire du monde inégalitaire dans lequel nous vivons. Un monde où le pourcent le plus riche possède 183 fois ce que possèdent les 20% les plus pauvres. Un monde où un milliard de citadins (un tiers de la population urbaine mondiale) vit dans des bidonvilles. Un monde où un revenu de moins d’un million de dollars fait de vous «le plancton à la base de la chaîne alimentaire», pour reprendre les termes du Financial Times.
Une grille d’analyse farfelue, des solutions qui le sont tout autant
Mais notre accord s’arrête à ce constat – pour lequel il ne suffit du reste que de savoir ouvrir les yeux honnêtement. En guise d’analyse, pour expliquer comment nous en sommes arrivés à une pareille situation, Hervé Kempf se base essentiellement sur les travaux d’un économiste de la fin du XIXe siècle, Thorstein Veblen. Pour ce dernier, l’économie est dominée par un principe fondamental: «La tendance à rivaliser – à se comparer à autrui pour le rabaisser – est d’origine immémoriale : c’est un des traits les plus indélébiles de la nature humaine». Pour Vleben, donc, le principal moteur de la vie sociale est une rivalité ostentatoire, une concurrence basée sur l’exhibition d’une prospérité supérieure à celle de son entourage directement sortie des profondeurs de la nature humaine.
Depuis lors, de nombreuses recherches anthropologiques ont permis de tordre le cou à de nombreuses conceptions de la prétendue ‘nature humaine’, de la pensée de Vleben au darwinisme social.
On connait ainsi bien mieux maintenant la manière dont les humains étaient organisés et ont pu vivre pendant des millions d’années. Les sociétés nomades de chasseurs-cueilleurs égalitaires primitives étaient basées sur la coopération et non sur la compétition. Ce n’est qu’après la révolution agraire, une fois les nomades devenus cultivateurs, qu’un surplus de richesse est apparu, base matérielle pour l’émergence d’une classe dirigeante et pour une modification profonde des rapports sociaux. Toujours est-il que des millions d’années durant, les êtres humains seraient allés à l’encontre de leur ‘nature humaine’…
Dans beaucoup de sociétés, la notion de compétion existait à peine. Par exemple, aux Etats-Unis, quand des chercheurs ont voulu faire passer des tests de QI à des Sioux, les Amérindiens n’arrivaient pas à comprendre pour quelle raison ils ne devaient pas s’entraider pour répondre aux questions. Leur société était basée sur une intense coopération.
Cette ‘nature humaine naturellement portée à la compétition’ sert en fait de prétexte pour ne pas chercher à modifier radicalement le système de production capitaliste. De nombreux penseurs sont tombés dans ce piège, et Hervé Kempf lui-même a sauté dedans à pieds joints. S’il fait par exemple le parallèle entre le développement des services collectifs et celui d’une société égalitaire, il refuse de pousser cette logique jusqu’au bout. Il ne parle dans son chapitre consacré aux solutions que d’un plafonnement de la consommation par une limite imposée aux revenus. Sur base de l’exemple ainsi donné par les super-riches, les autres couches de la société suivraient par mimétisme. Au-delà de cette ‘solution’ au réalisme ténu, reste encore à savoir comment plafonner ces revenus. Demander gentillement ne suffira très probablement pas…
Pour Hervé Kempf, le ‘mouvement social’ (concept plutôt vague: que représente ce spectre et sur quelles forces est-il basé?) ne pourra l’emporter seul et devra s’unir aux classes moyennes et à une partie de l’élite dirigeante qui prendrait le parti «des libertés publiques et du bien commun». Les médias, encore, ont un rôle à jouer car «la corporation des journalistes n’est pas encore totalement asservie et pourrait se réveiller autour de l’idéal de liberté». Il y a aussi «la gauche», qui devra unir la lutte contre les inégalités et pour l’écologie.
Sortir de l’idéalisme
Hervé Kempf espère qu’il arrivera un jour une prise de conscience quasiment spontannée qui toucherait une partie des classes dirigeantes et des médias. Il consacre pourtant de nombreuses pages à expliquer à quel point cela va à l’encontre de leurs intérêts. Et ce n’est pas la seule contradiction de son travail.
Alors qu’il dénonce très justement l’élargissement du fossé entre riches et pauvres et les conséquences des politiques néolibérales, notamment en Europe, il enscence un des principaux instrument et prétexte de la casse sociale dans nos pays, l’Union Européenne. Des phrases comme: «L’Europe porte encore en elle un idéal d’universalité dont elle démontre la validité par sa capacité à unir, malgré les difficultés, des Etats et des cultures très différents» ne semblent pas à leur place dans un livre qui a pour titre «Comment les riches détruisent la planète»…
On peut encore critiquer un certain anti-américainisme primaire (le qualificatif de «puissance obèse» et d’autres termes suintent l’arrogance envers un peuple américain qui souffre lui aussi de son gouvernement) et, de façon générale, l’idée de l’existence d’une forme de communauté d’intérêts au sein d’un même pays. Encore une fois, un joli paradoxe après des pages qui expliquent correctement comment la richesse des capitalistes repose uniquement sur l’exploitation des travailleurs, quelle que soit leur nationalité.
Pour critiquer ceux qui ne voient pas la responsabilité écrasante des capitalistes et le lien entre la crise écologique et la crise sociale, Hervé Kampf écrit un moment: «Si l’on veut être écologiste, il faut arrêter d’être bénêt.» Ce n’est pas faux, et nous l’invitons d’ailleurs à suivre son propre conseil.
La force fondamentale sur laquelle nous devons compter est le mouvement ouvrier organisé, seul capable à prendre les moyens de production entre ses mains pour les faire fonctionner dans le bien de tous. Tant que les leviers de l’économie restent sous le contrôle du privé, l’intérêt collectif – dont la question environnementale – restera négligeable sur les profits qui peuvent être accumulés. D’autre part, une gestion responsable des ressources de la planète nécessite d’aller au-delà d’incitant à une moindre consommation : il faut planifier centralement l’économie en fonction des ressources disponibles et pour la satisfaction des besoins de tous.
Nous pouvons bien comprendre que certains amalgament toujours le stalinisme et le socialisme, le véritable pouvoir des travailleurs. Le contrôle démocratique de la collectivité est un point fondamental pour une société planifiée, comme l’effondrement des dictatures bureaucratiques des pays de l’Est l’ont démontré. Cette lutte pour une société démocratiquement planifiée sous le contrôle des travailleurs est la seule qui soit une solution globale face aux crises écologique et sociale.
- Rubrique “Environnement” de socialisme.be
- Brochure du PSL sur la crise environnementale
- En Belgique, un tiers des espèces vivantes sont menacées de disparition
- “La crise climatique est déjà là”
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La recette de vacances réussies : un polar par semaine (6)
La recette de vacances réussies : un polar par semaine (6)
A l’heure où les médias font frémir la planète à la perspective des ravages que provoquerait une pandémie de la grippe A(H1N1), voici un polar hautement recommandable.
À la veille d’une échéance décisive, les dirigeants du laboratoire pharmaceutique Santaz emmènent tous leurs cadres en Thaïlande pour la grand-messe annuelle de leur séminaire de « motivation ». Sur le sable blanc, près de la piscine, entre les persiennes des bungalows de l’hôtel, se préparent à la fois le lancement d’un nouveau médicament, le Zépam, qui inquiète même ses inventeurs, et le rachat imminent de la société par le géant Planchett Ltd, laboratoire australien de renommée internationale.
Ces incertitudes plombent un peu toutes ces réjouissances exotiques. D’autant que le remaniement, inévitable, de l’équipe dirigeante préoccupe davantage les esprits que l’innocuité non garantie du nouveau traitement et les tâtonnements de l’industrie du médicament. C’est alors que les rancoeurs s’exacerbent, que les rivalités s’attisent, que les manipulations se planifient, et que Verbois, un cadre supérieur, après avoir été brutalement viré, disparaît…
Dans le jeu de massacre qui s’annonce, chacun va chercher par tous les moyens à gagner du galon ou à sauver sa peau.
La description du comportement des cadres du labo, de leurs relations avec leurs patrons, les « communicants » et la population locale est hilarante. Mais, féroce satire du monde du travail à l’heure de la mondialisation et roman noir de l’arrivisme débridé, Chères Toxines est aussi, et même surtout, une enquête minutieuse sur le lobby pharmaceutique et ses pratiques réelles. Car Jean-Paul Jody a réuni une documentation serrée sur son sujet et son bouquin est aussi un réquisitoire terrible qui met en accusation tous les profiteurs du monde de la santé, du médecin au ministre en passant par les labos.
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Jody a choisi un labo comme point central de son roman, car c’est sans doute l’endroit où se dévoile le plus clairement toute l’histoire de la marchandisation de la santé.
Son laboratoire Santaz a en effet d’abord été une affaire familiale – peuplée d’employés idéalistes dont le but principal étaient tout de même de produire des substances à même de servir le bien-être et la santé de la population – avant de devenir une société florissante et cotée en bourse, peuplée de directeurs, de commerciaux, de communicateurs et de visiteurs médicaux. Et, en chemin, l’objectif de la boîte a radicalement changé : désormais il ne s’agit plus de fabriquer des médicaments mais bien des molécules qu’il faut faire breveter au plus vite afin qu’elles puissent être utilisées le plus longtemps possible dans des médicaments « nobles » – et chers – avant de tomber dans le domaine beaucoup moins rentable des « génériques ». Car c’est là le véritable objectif d’un laboratoire pharmaceutique aujourd’hui : chasser la molécule et la garder pour soi parce que tant qu’elle nous appartient, on en fixe nous-mêmes le prix. Et qu’importe le malade, qu’importe le système de santé qui rembourse aux frais de la princesse, qu’importent les pandémies qui ravagent le tiers-monde, qu’importent les souffrances de ceux qui ne peuvent pas se payer un traitement. L’important, c’est la cote en Bourse et le paquet de pognon qu’on peut palper en fin d’année.
Un très bon thriller donc, doublé d’une solide mise en accusation de la logique du profit. De quoi donc amorcer en souplesse le passage des vacances qui se terminent à une rentrée sociale et politique qui s’annonce mouvementée…
Jean-Paul Jody, Chères toxines
Editions du Seuil, 356 pages, environ 20 EUR.
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Nous ne sommes rien, soyons tout de Valerio Evangelisti
La recette de vacances réussies : un polar par semaine (5)
Valerio Evangelisti fait vivre les luttes des dockers et marins de San Francisco lors de la dépression des années ‘30, en suivant Eddie Lombardo, un petit truand italo-américain piteux qui se met au service des patrons et des bureaucrates syndicaux. Ceux-ci vont l’utiliser sans scrupule contre les communistes et les militants les plus combatifs. Eddie poursuit son ascension dans la bureaucratie syndicale jusqu’aux années ’50, où il essaie encore de se rendre utile dans la chasse aux rouges menée par les maccarthystes. Mais ses maîtres n’hésitent pas à en faire un bouc émissaire lorsqu’il devient trop encombrant.
Depuis la fin du 19e siècle, les Etats-Unis ont connu, plusieurs immenses vagues de grèves ouvrières qui ont mis en jeu des centaines de milliers, voire des millions de travailleurs, suscitant les pires craintes de la grande bourgeoisie. Les Lombardo, des immigrés italiens installés à New York, sont des syndicalistes très combatifs. Sauf Eddie Lombardo, qui ne veut pas ressembler à son père ni à son frère, des dockers, des syndicalistes qui resteront toujours des gagne-petit, des « communistes ». Lui veut réussir à tout prix. D’abord comme proxénète, puis en se servant de ce qu’il connaît bien – ses anciens compagnons, travailleurs sur les quais – pour devenir un informateur appointé du FBI et jouer les mouchards au service du patronat.
Violent, totalement dépourvu de morale, Eddie – qui se fait appeler Florio pour rompre avec sa famille ” communiste ” – gravit rapidement les échelons de l’International Longshoremen’s Association, organisation du port de New York bien connue pour ménager les intérêts des armateurs plutôt que ceux des dockers. Maître ès chantage et extorsion, aussi doué pour déclencher une grève que pour y mettre fin, il n’hésite jamais à rendre “service” à ses puissants protecteurs mafieux ni à utiliser les femmes pour satisfaire ses pulsions perverses, quitte à s’en débarrasser ensuite le plus cyniquement du monde. Car dans ces milieux corrompus où bonzes syndicaux et dirigeants de compagnies participent aux mêmes partouzes, les ouvriers et les femmes ne sont pas à la fête.
Peu à peu, Florio est aspiré par la mafia, très implantée dans les syndicats de dockers. Dans l’Amérique de la Grande Dépression des années ‘30, Eddie fait ainsi fortune, rendant service sans états d’âme, tuant ceux qui lui barrent le chemin. Mais avec la guerre, l’Amérique change, et le syndicat du crime avec elle. Eddie a beau avoir passé sa vie à étouffer les “rouges”, le délire maccarthyste au début des années ’50 ne le sert pas. Devenu encombrant, trop voyant du fait de ses mœurs effrayantes, il perd la confiance des parrains. Or dans ce monde-là, mieux vaut ne pas se retrouver seul…
Avec Nous ne sommes rien, soyons tout, Valerio Evangelisti réalise un polar remarquable sur l’ascension et la chute d’un odieux second couteau de la mafia, renouant avec les grands thèmes du roman noir américain : l’Amérique de la Dépression, du syndicalisme gangrené, des politiciens véreux et des immigrés qui feront le lit du gangstérisme. A sa façon inimitable, il rend également un hommage aux grands précurseurs du roman noir américain, Hammett en tête.
Mais ce livre est en même temps une extraordinaire fresque qui retrace plusieurs décennies de luttes sociales.
Le récit est émaillé de grèves dures, où l’on voit à l’œuvre les méthodes des grandes compagnies maritimes qui ne lésinent pas sur les moyens pour lutter contre les militants les plus combatifs. Ces derniers cherchent à organiser leurs camarades et à s’opposer à la volonté patronale d’imposer, par exemple, des augmentations de cadences (le « speed-up »). La répression policière est souvent féroce. Mais la grève, parfois, se généralise, au grand dam de certains syndicats qui pèsent également de tout leur poids (comme c’est souvent le cas de la plus grande confédération syndicale américaine, l’American Federation of Labour, AFL) pour endiguer les colères ouvrières. La violence et parfois le meurtre font partie de leurs méthodes de résolution des conflits !
Certaines directions syndicales se montrent totalement corrompues. Elles jouent aussi de leur influence sur les travailleurs pour faire monter les enchères patronales et déclenchent parfois des grèves « sauvages » pour rappeler aux armateurs le danger qu’il y aurait à ne pas s’entendre avec elles.
L’AFL a alors pour ennemi les communistes qui se montrent, dans les années 1930, très combatifs (notamment dans le nouveau syndicat CIO), mais qui seront, pendant la Seconde Guerre mondiale, et sur ordre de Staline, de véritables complices du grand patronat dans la mise en œuvre de l’économie de guerre. Toute grève sera alors interdite et les militants communistes se montreront les plus acharnés à lutter contre les revendications des travailleurs qui voient leurs conditions d’existence se détériorer rapidement.
Enfin, on découvre encore dans ce livre qu’à l’époque de McCarthy, la lutte contre les communistes (et tous les progressistes en général) se double d’une volonté de débarrasser les ports de la mafia, dont le poids finit par gêner les compagnies. Elles refusent de subir le dictat de cet échelon intermédiaire entre elles et la masse des dockers. Mais l’épuration se limite à quelques têtes… tandis que les communistes feront l’objet d’une chasse systématique.
Nous ne sommes rien, soyons tout
de Valerio Evangelisti
Rivages Thriller, 385 pages, 23 €
Si vous avez aimé le sujet et l’auteur…
Valerio Evangelisti est déjà l’auteur d’Anthracite, un roman social traité à la manière d’un western, qui se déroule à l’époque de la révolution industrielle dans les mines de Pennsylvanie et qui montre le rôle du crime dans la naissance de l’Amérique. Anthracite, vient d’être réédité en poche (Rivages Noir, 10 €).
Si vous voulez en savoir plus sur le sujet…
Pour résister intelligemment aux assauts de la propagande pro-US sur le « rêve américain » (mais aussi pour en finir avec quelques idées toutes faites et bien fausses sur la classe ouvrière US qui aurait été de tous temps embourgeoisée, apathique et conservatrice), le meilleur antidote est le livre « Une histoire populaire des Etats-Unis, de 1492 à nos jours » de Howard Zinn (Agone, environ 28 EUR). Sur l’histoire du mouvement ouvrier américain, le bouquin de référence en français reste Le mouvement ouvrier américain (1867-1967) de Daniel Guérin (Maspero). Sur la répression anticommuniste, on peut lire les Mémoires d’un rouge de Howard Fast (Rivages Noir, environ 10 EUR), qui est par ailleurs l’auteur de l’inoubliable Spartacus. Et pour avoir une vue marxiste sur l’ensemble des luttes ouvrières, syndicales et politiques des années ’30, la lecture de Histoire du trotskysme américain, 1928-1938 de James Cannon (Pathfinder, environ 20 EUR, disponible au PSL) reste un must.
Si vous avez aimé l’auteur…
Valerio Evangelisti, écrivain italien né en 1952 à Bologne, est plus connu des amateurs de science-fiction et de fantastique que de polar, grâce aux « aventures » de l’inquisiteur espagnol Nicolas Eymerich. Celui-ci – qui est par ailleurs un personnage historique authentique, auteur du manuel de référence de l’Inquisition – est l’inquisiteur général d’Aragon au 14e siècle. Proche d’un Sherlock Holmes par le physique et le caractère, mais au service d’une Église qu’il sert avec une rigidité cadavérique (au vu du nombre de victimes brisées par la torture et de morts qu’il laisse derrière lui), obéissant strictement aux règles édictées, il traque les hérétiques de tous poils dans le sud de l’Europe et particulièrement en France. Appréciant peu la compagnie de ses semblables, il est impitoyable pour ses adversaires.
Mais cet inquisiteur doit faire face à des manifestations troublantes, apparemment surnaturelles. Et c’est là que joue le talent d’Evangelisti. En effet, l’écrivain déroule généralement sa trame en trois récits parallèles (différents lieux, différentes époques – passé avec Eymerich, présent, et futur désastreux – et différents personnages) chacun plein de mystères, qui à l’issue du roman se résolvent les uns les autres à l’aide d’explications scientifiques mêlées de théologie.
- Nicolas Eymerich, inquisiteur (Payot & Rivage 1998, Pocket, 1999 e 2004).
- Les Chaînes d’Eymerich (Payot & Rivages 1998, Pocket 1999, 2004 (éd. intégr.)).
- Le Corps et le sang d’Eymerich (Payot & Rivages 1999, Pocket 2000).
- Le Mystère de l’inquisiteur Eymerich (Payot & Rivages 1999, Pocket 2001).
- Cherudek (Payot & Rivages 2000).
- Picatrix : l’échelle pour l’enfer (Payot & Rivages 2002).
Une adaptation de la série en bande dessinée existe également, chez Delcour.
Evangelisti a aussi écrit deux autres cycles, Métal Hurlant et le Roman de Nostradamus (trois volumes chacun) des nouvelles et des romans policiers. Il est aussi correspondant du Monde Diplomatique et président de l’Archive Historique de la Nouvelle Gauche “Marco Pezzi” de Bologne.
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La recette de vacances réussies : un polar par semaine (3)
Si le cœur bat encore de Aino Trosell
Alors qu’une vague d’attentats néonazis secoue la Suède, Siv Dahlin, aide-soignante, trouve refuge dans la maison de sa tante, récemment décédée. Isolée dans ce village de campagne, elle espère ainsi pouvoir oublier ce décès brutal ainsi que la trahison de son mari dont elle vient de découvrir l’infidélité.
par Jean Peltier
Siv cherchait la quiétude ; elle va être rapidement déstabilisée. Très vite, ses voisins révèlent les dessous inquiétants de leur personnalité : tous semblent traîner un passé trouble et d’obscurs souvenirs de guerre. Et Siv imagine peu à peu que sa tante a peut-être fouillé sans le vouloir là où il ne fallait pas…
De la chaleur étouffeur du Mexique la semaine dernière au froid glacial de l’hiver suédois, le contraste pourrait difficilement être plus marqué. Mais, ici comme là-bas, sous la surface des apparences se cachent bien d’autres choses. La Suède, pays à la neutralité reconnue depuis longtemps, n’a pas connu l’invasion et l’occupation allemande pendant la guerre. Ce qui n’a pas empêché les nazis locaux de préparer avec ferveur l’intégration future de leur pays dans le grand Reich aryen. Et la Suède, modèle d’Etat-providence social-démocrate, est aussi le pays d’Europe où s’agitent les néonazis les plus déclarés et les plus violents…
Si le cœur bat encore, de Aino Trosell , Pocket policier n°13376, environ 7 EUR
- Que lire pendant les vacances?
- Série: “Un polar par semaine”: “Soleil Noir”
- Série: “Un polar par semaine”: “La frontière “