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[INTERVIEW] ITALIE : ''La crise systémique a fait exploser le paysage politique. Les travailleurs ont besoin d’un parti sérieux et combatif pour les aider à résister à l’austérité.''
Même si l’Italie est l’un des pays européens les plus touchés par la crise, les évènements qui s’y passent actuellement sont moins connus que ceux d’Espagne, du Portugal ou de Grèce, notamment à cause de l’absence de lutte de masse contre l’austérité brutale. Nous en avons discuté avec Giuliano Brunetti, membre de ControCorrente, le parti-frère du PSL en Italie. Dans cette interview, il nous parle de la situation de crise que subissent les travailleurs et leurs familles, du processus de décomposition/recomposition du paysage politique ainsi que des luttes récentes et en cours, en développement.
Interview réalisée par Stéphane Delcros
Socialisme.be : Que signifie l’austérité pour les Italiens ?
Giuliano : D’un point de vue général, la crise a fortement frappé en Italie. En 2012, le niveau de consommation est tombé à son niveau le plus bas depuis la deuxième guerre mondiale. La production industrielle a chuté et le nombre de travailleurs sans emplois a explosé. La situation est surtout difficile pour les pensionnés, les jeunes travailleurs du Sud, et spécialement les femmes.
Selon l’institut national des statistiques, 52% des pensionnés italiens reçoivent moins de 1.000€ par mois. Le nombre de travailleurs sans emplois s’élève officiellement à 2,9 millions, soit 11,1% ; chez les jeunes, le chiffre est de 36,5%. Mais il faut considérer que les gens qui travaillent ne serait-ce qu’une heure par semaine ne sont pas considéré comme sans emplois. Dans le Sud du pays, plus d’une femme sur deux est sans emploi.
C’est devenu incroyablement difficile de trouver un job pour un jeune ou un travailleur sans-emploi. Les petites entreprises familiales, qui représentent 90% des entreprises du pays, sont chaque jour en train de fermer par centaines, parfois par milliers, car la production fonctionne pour moins de la moitié de la capacité de production. Les travailleurs de l’usine de Fiat à Melfi (Turin), par exemple, travaillent deux jours par mois. Dans le secteur public, ce sont des dizaines de milliers d’emplois qui sont supprimés, et on attend une nouvelle suppression d’une centaine de milliers d’emplois, avec les 30 milliards d’euros d’économie budgétaires prévues dans le secteur des soins de santé.
Le gouvernement Monti, soutenu par toutes les fractions politiques principales de la classe capitaliste italienne, a assuré, en un an, l’introduction d’un nombre extraordinaire de réformes antisociales sur les pensions et les salaires. Le gouvernement a réussi le démantèlement de l’article 18 du statut des travailleurs. Cette article de la législation sociale sauvegardait les travailleurs des grosses entreprises contre les licenciements illégaux menés par les patrons. Mais aussi, et peut-être même pire, le gouvernement a réussi à faire passer une réforme constitutionnelle, qui est la traduction, dans la législation nationale, du Pacte budgétaire européen (le Traité d’austérité), avec la nécessité de réduire la dette publique italienne au niveau de 60%, ce qui veut concrètement dire qu’entre 40 et 45 milliards d’euros d’économies vont être mises sur la table chaque année d’ici à 2020 par la coalition gouvernementale qui va diriger le pays.
Ceci, bien sûr, si on ne prend pas en compte la possibilité d’une lutte généralisée qui développera inévitablement du moment que les conséquences de la crise deviendront de plus en plus visibles et que des couches de jeunes activistes et de travailleurs rentreront dans l’arène politique.
D’un point de vue social, du fait de l’échelle des attaques et de la crise, du fait de l’appauvrissement généralisé de la population italienne, l’Italie, avec la Grèce, l’Espagne et le Portugal, est l’un des pays européens les plus touchés, même si nous n’y avons pas encore vu le même type de réaction généralisée comme celles qui se sont développées dans les autres pays PIIGS.
Pourquoi justement, contrairement aux autres pays du Sud de l’Europe, n’y a-t-il pas encore eu de grand mouvement contre l’austérité en Italie ?
Il n’y a pas d’explication simple à cela, il faut prendre plusieurs éléments en compte. Tout d’abord, il faut se rendre compte que Berlusconi n’a pas été chassé du pouvoir sur base d’une fronde du peuple. Son gouvernement était une coalition entre des représentants du grand capital et du petit capital, avec la Ligue du Nord. Après les nombreux scandales et provocations dont il usait largement, il n’avait pas la force de résister à une mobilisation de masse contre l’austérité nécessaire pour les intérêts des capitalistes italiens.
Les classes dominantes italienne et européenne ont donc décidé à l’unanimité de trouver un outil plus respectable pour imposer l’austérité. Ils ont alors choisi un vieil homme poli et respectable, Monti, mais en dessous de l’image du bon grand-père se cachent les intérêts de la Troïka et des grandes banques et entreprises qu’il représente. Aujourd’hui, c’est donc seulement un gouvernement du grand capital. Les ministres sont presque tous des grands banquiers. Le ministre de la justice, par exemple, a un patrimoine de 7 milliards d’euros. Mais la bourgeoisie se rend compte qu’elle n’a pour le moment pas d’outil politique. L’euphorie après le départ de Berlusconi a en fait été très courte.
Le sentiment général qui existe aujourd’hui dans la société est la peur. Ceux qui ont le privilège d’avoir un emploi défendent leur salaire, qui est souvent un moyen de survie pour trois générations, et ils le défendent à tout prix, souvent en acceptant une réduction de la paye, ou une limitation de leurs droits si c’est la condition pour pouvoir ramener du pain à la maison.
L’entièreté du système politique est en décomposition. Tous les partis principaux, de l’extrême-droite à l’extrême-gauche, sont confrontés à des scandales de corruptions. Cette situation nous ramène au grand chamboulement politique d’il y a 20 ans, quand la classe dominante, la presse et le système judiciaire ont détruit le système politique qui avait géré l’Italie après 1945. Les partis politiques qui sont aujourd’hui en désintégration avaient alors été mis sur pieds.
L’Italie des Valeurs, un parti populiste et moraliste dirigé par le l’ancien magistrat Antonio Di Pietro, a beaucoup perdu. Son dirigeant fait face à à des accusations de vols ; il est notamment accusé d’avoir acheté une douzaine de propriétés avec l’argent du parti.
Le Peuple de la Liberté (PDL), le parti de Berlusconi, tout puissant il y a si peu, a perdu près de 70% de ses votes dans la récente élection régionale en Sicile. Le parti est sévèrement touché par une montagne sans précédent de scandales qui impliquent également les gouvernements régionaux du Latium (Rome) et de Lombardie (Milan) où les directions locales du PDL ont été forcées à démissionner après avoir admis le vol de millions d’euros des caisses régionales pour leur usage personnel. Berlusconi semble maintenant incapable de revitaliser son parti, qui est en désintégration visible et en proie à des luttes de factions.
Même la Ligue du Nord , le parti raciste d’Umberto Bossi, qui avait construit sa crédibilité politique ces deux dernières décennies en attaquant ‘les voleurs de Rome’, est devenue une organisation de voleurs, le type même d’organisation qu’il dénonçait. L’argent du parti a été investit dans l’achat de diamants en Angola, et le jeune fils idiot de Bossi, le chef du parti, a été promu conseiller régional de Lombardie alors qu’il n’avait que 21 ans et qu’il a raté trois fois ses examens finaux à l’école.
Dans cette situation complexe et rapidement mouvante, une partie de l’élite italienne qui a des doutes sur Bersani, le nouveau leader de la coalition de centre-gauche (PD), essaie désespérément de reconstituer son propre parti politique. Après les gros scandales de corruption des années ’90, la classe capitaliste n’a jamais réussi à avoir son propre outil politique pour remplacer la Démocratie Chrétienne, pour parler en son nom.
Montezemolo, précédent président de l’organisation des patrons, et propriétaire de Ferrari, a organisé la conférence de fondation de son nouveau mouvement appelé ‘Italia Futura’, en présence de 5.000 personnes, dont le secrétaire général pourri du syndicat CISL, qui a ouvertement lancé l’idée de la nécessité de reconstituer un gouvernement ‘technique’ sous la direction de Mario Monti lui-même.
Cette perspective, étant donné l’augmentation des soutien pour le Parti Démocrate, ne semble pas la plus probable au stade actuel, mais ne peut être complètement exclue. Monti lui-même a déclaré qu’il était prêt, si on lui demandait, à servir une nouvelle fois le pays après les élections générales du printemps prochain.
C’est la situation qui a mené à la spectaculaire percée du Mouvement Cinq Étoiles du comédien milliardaire et populiste Beppe Grillo qui est devenu le premier parti politique à Palerme dans le Sud profond et qui est crédité de 20% des votes dans les élections à venir. En fait, même le Mouvement Cinq Étoiles fait face à des complications internes, mais qui ne devraient pas affaiblir leur soutien électoral en ce moment.
Il y a un manque total de confiance dans toute forme de parti politique et d’institution, y compris dans les confédérations syndicales qui sont vues comme faisant partie de l’establishment. Il y a le sentiment que des grands changements sont en train de se faire et les travailleurs et les gens ordinaires ont peur de ces changements, qui signifient habituellement une chute dramatique des standards et conditions de vie.
Même le Parti Démocrate (PD), qui a vu son soutien dans la société augmenter autour des élections primaires, est vu avec scepticisme, et certainement sans enthousiasme. La popularité de Monti a brutalement chuté, même s’il reste le politicien le plus populaire. Les membres du Parti Démocrate ont choisi Bersani, un ancien communiste, pour mener le PD aux prochaines élections. Mais il ne faut avoir aucune illusion dans ce Bersani. Il a déjà plus d’une fois prouvé sa capacité à défendre sa classe, et ce n’est pas la nôtre. Ancien ministre du gouvernement Prodi, Bersani s’est rendu responsable du processus de privatisation, notamment des pharmacies et des taxis. Et lui et son parti, ensemble avec le parti de Berlusconi, ont soutenu toutes les mesures antisociales du gouvernement Monti.
Cette situation politique complexe et l’absence totale d’instrument politique pour les gens ordinaires est une des raisons qui explique l’absence relative de réponse des masses ou, pour être plus précis, la guerre de classe unilatérale que les banquiers et les patrons ont lancé contre les travailleurs et leurs familles.
Des luttes, plus locales et sectorielles, se sont tout de même développées récemment.
Oui, d’importantes batailles ont été menées dans le secteur industriel comme la lutte victorieuse des mineurs du Sulcis en Sardaigne qui ont occupé le puit, avec de la dynamite collé à leurs corps pour défendre le seul puit de charbon qu’il reste dans le pays. Ils ont gagné là un répit temporaire.
La bataille est encore en cours entre les travailleurs, les patrons, les institutions et le système judiciaire à l’Ilva à Tarente, une gigantesque usine de production d’acier en Europe, représentant 40% de la production sidérurgique d’Italie. On y a notamment vu des occupations des usines. C’est une expression de l’énorme colère qui vit parmi les travailleurs. Les juges ont ordonné la fermeture d’Ilva à Tarente à cause de problèmes environnementaux. L’usine est ultra-polluante, des centaines de travailleurs sont morts de cancer dans cette région. Mais fermer Ilva signifierait la décapitation complète de la production industrielle de l’Italie du Sud, la disparition de 20.000 emplois à Tarente et des licenciements sur les autres sites d’Ilva à Gênes et près de Turin.
Chez Fincantieri à Gênes, les travailleurs ont stoppé avec succès un plan de privatisation qui aurait signifié la fermeture du chantier naval de Sestri. Nos camarades ont été impliqués dans cette lutte majeure et ont joué un rôle-clé dans la défense de ces emplois.
Dans toutes ces luttes, la FIOM (syndicat des ouvriers du métal de la fédération syndicale CGIL) a joué un rôle important même si elle était assez isolée dans la société. La direction de la FIOM est confrontée à une contradiction majeure : d’un côté elle fait partie de la direction collective de la CGIL, qui tente de freiner les luttes, et de l’autre, elle doit répondre à l’avant-garde des travailleurs la plus combattive et la plus avancée. Cette contradiction va inévitablement devenir plus aiguë à un certain moment.
Le 14 novembre dernier, la grève générale européenne a été très bien suivie dans certains pays d’Europe du Sud. Comment était la mobilisation en Italie ?
Le 14 novembre, on a connu 4 heures de grève générale organisée par la Confédération générale italienne du travail (Confederazione Generale Italiana del Lavoro, CGIL), la principale confédération syndicale. C’était beaucoup trop peu au regard de l’ampleur de la politique d’austérité du gouvernement. La FIOM, le secteur public et les télécommunications, qui sont les secteurs les plus importants, ont eux étendu leur grève jusqu’à 8 heures de grève générale.
Les autres confédérations syndicales (CISL, UIL et UGL) n’ont pas pris part à la grève, pas plus que l’USB, un syndicat dont la base est plus radicale et qui attire quelques-uns des membres les plus militants de la CGIL et des jeunes travailleurs précaires.
La participation générale à la grève du 14 était assez faible, étant donné la faiblesse de la mobilisation qui était improvisée. Beaucoup de travailleurs se sont demandés quel était l’intérêt de prendre part à la grève de la CGIL, puisque ce même syndicat n’a rien fait lorsque le gouvernement Monti, soutenu pas le Parti Démocrate, a procédé à des attaques sur les pensions, les salaires et la législation sociale.
De ce que nous savons de sections importantes du syndicat qui n’ont pas pris part aux actions de grève, c’est que les travailleurs ont mis en question la raison même de la grève: ”pour quoi faisons-nous grève?” Et pour beaucoup: ”quel intérêt à faire grève aujourd’hui, alors que mon syndicat n’a même pas levé le petit doigt quand mon salaire a été attaqué?”
La jeunesse a-t-elle pris part à cette grève ?
Même si le mouvement étudiant n’est pas directement concerné, durant la semaine passée, on a vu une vague d’occupations d’écoles et d’instituts par des étudiants en colère. L’État italien dépense 1,2% du PIB pour l’éducation, ce qui a pour conséquences une situation où l’école tombe littéralement sur la tête des étudiants, où le papier toilette et le savon manquent et où on impose aux étudiants de contribuer ‘volontairement’ à certaines dépenses. Le mouvement étudiant est une expression claire de la colère qui se développe parmi les jeunes, mais il n’est pas encore certain que ce mouvement se généralise pour le moment.
Les dernières initiatives prises à gauche vont-elles dans la voie de la formation d’un nouveau parti des travailleurs ?
La question d’un nouveau parti politique est un aspect important de la stratégie de la classe capitaliste dominante. Mais c’est une question réellement vitale pour le mouvement ouvrier et les secteurs progressistes de la société dans la période turbulente dans laquelle nous entrons.
Les différentes tentatives qui ont été lancées ces derniers mois pour construire une nouvelle arme pour coordonner et organiser la résistance dans la société ont malheureusement toutes résulté en confusion et alliances politiques contre-nature. Le Comitato No Debito (Comité contre le payement de la dette) dans lequel nous intervenons et dans lequel nous jouons un rôlé-clé, surtout à Bologne et à Gênes, aurait pu être un bon outil. Malheureusement, le sectarisme de certains de ses membres fondateurs (Sinistra Critica et FalceMartello, sections italiennes respectivement du Sécretariat Unifié de la Quatrième Internationale et de la Tendance Marxiste Internationale) et l’incapacité de traduire le refus du payement de la dette aux banquiers en revendications politiques concrètes ont conduit à une situation de faiblesse. Le comité a organisé une manifestation nationale contre le gouvernement en octobre, qui s’est révélée être un certain succès politique. Mais il est peu probable que ce comité puisse émerger comme une force motrice pour la formation d’un nouveau parti des travailleurs dans la période à venir.
Une autre tentative de créer une formation de gauche a été initiée par un groupe d’intellectuels de gauche regroupés autour du journal national Il Manifesto. L’initiative a organisé une conférence de fondation de l’ALBA (Alliance, Travail, Biens Communs, Environment) qui tente de remplir le vide politique à gauche.
Le parti de la Refondation Communiste (RC) a essayé de construire son propre outil politique pour revenir au Parlement. Ils ont lancé la Fédération de la Gauche, une alliance électorale avec un autre parti communiste et deux forces plus modestes. Mais cette alliance était mort-née, et la RC essaie maintenant de construire une autre alliance politique sous le nom de ‘Le changement, c’est possible’, autour de Luigi De Magistris, ancien député européen et actuel maire de Naples. Malheureusement pour la RC, un tel développement va probablement pousser leur crédibilité un peu plus vers le bas. Ils avaient déjà perdu énormément lors de leur engagement dans les gouvernements néolibéraux sous la direction de Romano Prodi.
Toutes ces tentatives ratées de lancer une nouvelle formation politique de gauche ont résulté en faillites complètes. Cela va peut-être ralentir le processus de construction d’un outil politique pour les travailleurs combatifs dans la prochaine période, mais cette question reste ouverte dans la société et ne peut pas être évitée. Les luttes industrielles et sociales seront la clé dans le développement d’une telle force.
La crise systémique du capitalisme a fait exploser le paysage politique. Toutes les formations politiques majeures paient en fait le prix de leur participation à la défense des intérêts capitalistes ces vingt dernières années. Ces chamboulements politiques et l’austérité paralysent temporairement la majorité des travailleurs. Mais nul doute que notre classe se mettra en mouvement dans la prochaine période. Les travailleurs auront alors plus que jamais besoin d’un parti sérieux et combatif pour les aider à résister à l’austérité. Et nous serons présents, avec ControCorrente, pour stimuler la mise sur pied d’un tel outil, tout en avançant la nécessité de balayer ce système pour une société qui défende les intérêts de tous.
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Aggravation de la crise sociale et politique en Italie
Les possibilités de création d’un nouveau parti des travailleurs grandissent
L’année 2012 a vu les crises économique, sociale et politique s’aggraver encore plus en Italie. Après la Grèce, l’Italie est un des pays les plus touchés par la crise au sein de l’Union Européenne. Le FMI estime à 2,2% la diminution du PIB italien pour 2012. Le taux de chômage y a atteint son niveau le plus élevé depuis 2001, 1 jeune sur 3 se retrouvant officiellement sans emploi. Durant les premiers mois de l’année, 150.000 entreprises ont dû mettre la clé sous la porte – l’équivalent de 1.600 fermetures par jour.
Giuliano Brunetti, Controcorrente (CIO-Italie)
Selon l’ISTAT (Institut National de la Statistique), 8,3 millions d’Italiens (12% de la population) vivent sous le seuil de pauvreté tandis que 5% d’Italiens vivent dans une situation de pauvreté alarmante. Pendant ce temps, le gouvernement a voté le Pacte Fiscal et une nouvelle « révision des politiques publiques ». Appliquer ces deux mesures signifierait une réduction drastique des fonds alloués à la santé publique et le licenciement de 130.000 employés du secteur public. D’ores et déjà, 35% des jeunes sont sans emploi et dépendent de leur famille pour survivre.
Maintenant que la Constitution italienne impose d’équilibrer le budget, avec l’objectif de réduire la dette publique (123,8% du PIB) de 5% par an, cela veut dire que jusque 2023, les différents gouvernements devront mettre en oeuvre des coupes budgétaires de 45 milliards d’euros par an.
Ces données chiffrées, factuelles, sont le meilleur indicateur de la profondeur de cette crise, de ses sévères répercussions pour l’homme de la rue et des abysses vers lesquelles le capitalisme traîne la société.
Crise du système politique
La crise économique s’est traduite dans le langage cru d’une crise politique. En fait, on peut même dire que le système entier a été secoué par plusieurs tremblements de terre. Les classes dirigeantes sont maintenant confrontées à un tumulte grandissant dans leurs rangs. Pas une seule institution n’a été épargnée par la crise : la Cofindustria (Fédération des patrons italiens), l’Eglise catholique et même la Fédération Nationale de Football ont été affaiblies par des scandales de corruption, de pots-de-vin, par des divisions internes.
Au récent Congrès National de la Cofindustria, le président de la fédération n’a été élu qu’à une majorité de 11 votes seulement. C’est la première fois dans l’histoire de cette institution qu’un président est élu avec une majorité si ténue. Ces divisions sont l’expression de tensions bien réelles au sein des classes dirigeantes, particulièrement dans les rangs des gros industriels.
Dans ces circonstances, il serait correct de dire que leur seule force réside dans la faiblesse des organisations des travailleurs et particulièrement de leur ligne de conduite politique.
Le gouvernement technocrate dirigé par le banquier Mario Monti, composé de quelques uns des « plus fins stratèges » de la classe capitaliste italienne, est isolé dans la société italienne : moins d’un Italien sur trois le soutient. Et seulement 4% des Italiens disent faire confiance aux partis politiques !
Tous les partis politiques majeurs, de la Ligue du Nord au PDL (Peuple de la Liberté) de Berlusconi en passant par le PD (Parti Démocrate) doivent faire face à une forte réduction de leur soutien populaire, tout en sachant que la moitié des Italiens n’ont pas voté aux dernières élections locales.
La Ligue du Nord, qui pendant de nombreuses années a construit son caractère populaire autour de son opposition aux élites corrompues des salons romains, est à son tour secouée par des scandales de corruption. Ces derniers impliquent l’achat d’un diplôme pour le fils de l’ancien chef de file Umberto Bossi ou encore l’acquisition de diamants et de propriétés en Tanzanie via les caisses électorales du parti.
Confrontés à la colère dans leurs rangs, les élites de la Ligue ont préféré écarter leur leader historique pour élire Roberto Maroni, ancien ministre de l’intérieur sous le gouvernement Berlusconi, au poste de Secrétaire Fédéral.
Il y a quelques mois, le PDL se targuait encore d’être le premier parti d’Italie, affirmant compter un million de membres dans ses rangs. Mais aux dernières élections locales, le parti a subi une défaite cuisante, perdant des centaines de mayorats et finissant troisième voire quatrième dans certaines villes, souvent avec moins de 10% des suffrages.
Le possible retour de Berlusconi sur la scène politique est quant à lui le dernier geste désespéré et grotesque du capitaine essayant de sauver son navire sur le point de couler.
Le PD, même lui, a perdu des dizaines de milliers de votes, en partie dans des bastions de longue date du PD. Cependant, la base électorale du PD a mieux tenu que celle du PDL.
Beppe Grillo et le Mouvement 5 Etoiles
Le nouveau facteur pouvant bouleverser le champ politique italien est incarné par le succès sans précédent du Mouvement 5 Etoiles. Mené par Beppe Grillo, humoriste millionnaire reconverti en politique, le Mouvement 5 Etoiles n’est ni un parti politique, ni une alliance, ni un mouvement social comme nous aurions l’habitude d’en voir. Le mouvement a été construit autour d’Internet, d’un site web, mettant en avant des visions politiques très généralistes prônant le rejet des politiques de droite comme de gauche. Le mouvement de Beppe Grillo n’a pas vraiment de liste de membres, de structure, de ramifications visibles ou encore de dirigeants élus. Grillo a bâti son autorité en proclamant la différence entre son mouvement et la caste politique corrompue. Bref, avec une façon obsolète de faire de la politique.
Il a érigé ses forces sur les ruines de la gauche traditionnelle, débâcle politique et organisationnelle du Parti de la Refondation Communiste (PRC) incluse. Avec sa rhétorique radicale, Grillo a pu attirer vers son mouvement une nouvelle frange de la société – des jeunes provenant généralement de milieux de gauche mais également de milieux de droite, parfois même de la Ligue du Nord.
On estime à 20% les intentions de vote pour son mouvement. Ce résultat ferait du Mouvement 5 Etoiles la seconde force politique en Italie. A l’heure actuelle, le mouvement a déjà plusieurs centaines de conseillers locaux élus. Certains mayorats ont aussi été obtenus, notamment dans la ville de Parme, cité d’une taille déjà conséquente. Le succès de Beppe Grillo doit être vu comme étant l’expression du rejet des partis traditionnels et des énormes possibilités existant pour une une opposition, un mouvement alternatif au sein de la société italienne.
Cependant, cet engouement est plus basé sur une perte de confiance et un dégoût envers la politique dite traditionnelle, plutôt que sur un enthousiasme positif et constructif que le mouvement aurait suscité. Ce succès est donc extrêmement volatile : il serait ainsi plus approprié de parler de rassemblement contre le reste du paysage politique plutôt que de soutien pour Grillo et son mouvement à proprement parler.
Le Mouvement 5 Etoiles pourrait drainer plus de soutien dans un futur proche mais son inaptitude à adopter un programme clair pour répondre aux besoins des gens ordinaires, en addition d’une absence d’ancrage réel dans la société, pourrait nous indiquer un déclin après l’ascension vertigineuse que l’on a pu observer.
A ce moment-là, des milliers de militants du Mouvement risquent de finir déçus, découragés et en quête d’une autre solution politique. La gauche et le mouvement ouvrier se devront alors de proposer une solution aux nombreux jeunes gens, aux nombreux travailleurs ayant été dans un premier temps séduits par la rhétorique « anti-système » de Beppe Grillo.
ALBA, le Comité Anti-Dette et le combat pour la fondation d’un nouveau parti des travailleurs
Comme l’a démontrée la montée en puissance du «Grillismo », nous vivons une situation extraordinaire, une période où l’accélération des processus sociaux et historiques est flagrante, caractérisée par une décomposition/recomposition rapide du paysage politique.
Rarement auparavant a-t-on ressenti aussi fort le besoin d’une entité politique nouvelle ; une arme dans les mains de celles et ceux qui veulent se battre et résister aux attaques frontales menées par les oligarques sur les droits et les conditions de vie des classes populaires.
Aujourd’hui, le débat est ouvert autour de cette problématique : elle ne peut plus être postposée ni évitée. La tentative de la direction du syndicat métallurgiste (la FIOM) d’envoyer un « ultimatum » aux partis politiques démontre bien la volonté de certains militants actifs dans les milieux industriels de trouver un moyen d’expression, un mégaphone à utiliser pour organiser la lutte et rallier ceux qui veulent s’unir contre le système en place.
Le 1e octobre 2011, un millier d’activistes, leaders syndicalistes et autres travailleurs luttant pour leurs droits répondirent présent à l’appel lancé par Giorgio Cremaschi, ancien leader de la FIOM, ainsi que par certaines sections du Syndicat de la Base (USB). Cet appel proposait de bâtir une organisation de lutte et de discussion autour d’un programme politique anti-crise.
Le « manifeste » politique qui fut approuvé à la première assemblée générale du « Comité Anti-Dette » s’articulait autour du besoin d’un côté de rejeter l’étranglement provoqué par la dette publique et de l’autre d’argumenter en faveur d’une nationalisation des banques – et de la finance en général – sous contrôle démocratique avec pour objectif de faire payer aux responsables la crise du capitalisme.
Cependant, le sentiment de découragement, de résignation, la frustration ambiante concernant la situation politique, l’appel à la grève générale (d’abord postposée puis finalement abandonnée) de la Confédération Générale Italienne du Travail (CGIL), accumulés à l’inaptitude à transformer en propositions politiques concrètes la demande de non-paiement de la dette, ainsi que l’opportunisme avec lequel certaines composantes d’organisations de gauche telles que Sinistra Critica (Secrétariat Unifié de la Quatrième Internationale) et Falcemartello (Tendance Marxiste Internationale) ont « oeuvré », tout cela a au cours des derniers mois stoppé dans leur élan les processus de construction, renforcement et consolidation du Comité Anti-Dette et ses composantes territoriales.
Il n’est pourtant pas exclu qu’avec l’intensification de la crise de l’euro et le renforcement de la dette, le Comité puisse résoudre ses remous internes. Cependant, cette hypothèse n’est pas la plus probable de toutes.
En parallèle, une discussion s’est ouverte concernant une proposition lancée par « Il Manifesto », journal politique de gauche. Cette proposition est connue sous le nom d’ALBA, une association entre diverses campagnes visant à protéger la propriété publique et l’environnement. ALBA a tenu son premier meeting national à Florence. Des activistes de mouvements sociaux divers, des leaders syndicalistes ainsi que des citoyens ordinaires s’y sont joints. Le programme politique d’ALBA doit certes encore être défini mais apparaît d’ores et déjà très confus.
Néanmoins, nous ne pouvons pas écarter la possibilité que cette initiative puisse attirer le soutien de tous ceux ayant perdu leurs illusions concernant les partis traditionnels, et donc à la recherche d’un nouveau « foyer politique ».
Le succès du Mouvement 5 Etoiles montre toutes les possibilités offertes par une telle situation politique et surtout qu’un espace vacant politique de cette importance ne peut persister bien longtemps. Il peut y avoir d’énormes possibilités, d’énormes opportunités mais en l’absence d’une réelle alternative de gauche, d’autres forces – de droite y compris – peuvent occuper la place laissée libre par l’effondrement de la gauche traditionnelle.
Dans le futur, Controcorrente continuera d’oeuvrer dans les alliances, de faire campagne pour une lutte organisée et de promouvoir l’exigence d’une grève générale de 24 heures comme première étape dans le combat contre le gouvernement Monti et ses attaques.
En même temps, nous continuerons de coopérer avec le Comité Anti-Dette ainsi qu’à suivre le développement d’ALBA, tout en restant ouverts à toute initiative nouvelle qui pourrait émerger, autour du FIOM par exemple.
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Italie : retour sur l’énorme manifestation des “indignés” à Rome le 15 octobre dernier
La violence d’une minorité utilisée pour tenter de faire baisser l’opposition croissante
Le 15 octobre, une des plus grandes manifestations de ces dernières années s’est déroulée. Même si les estimations sont très divergentes, il semble qu’elle ait rassemblé entre 300.000 et 500.000 personnes. Le sentiment anticapitaliste dominait largement la manifestation, mais d’une manière un peu amorphe. La protestation visait la Banque Centrale Européenne (BCE), les mesures d’austérité, le payement de la dette et la dictature des banques. Cette humeur s’exprimait au travers des idées très répandues de renvoyer les “lettres à l’Italie” de Trichet et Draghi à leur expéditeur. Le même jour, Draghi (l’homme de Goldman Sachs en Italie, tout nouveau président de la BCE) déclarait qu’il sympathisait avec les motivations des manifestants !
Par Guiulano Brunetti, ControCorrente (CIO-Italie), article initialement publié le 20 octobre
Contro Corrente (CIO-Italie) est intervenu et a manifesté aux côtés du mouvement lancé par Giorgio Cremaschi, président du syndicat des métallos (FIOM), sous les slogans “Nous devons les arrêter ! Nous ne payerons pas leur dette !” Un grand nombre de jeunes étaient présents dans la manifestations, aux côtés des syndicalistes et des forces politiques de gauche. En première page, notre journal ‘Resistenze’ titrait : “Indignés, mais contre qui et pour quoi?”, “Le problème n’est pas seulement Berlusconi” et “Nous avons besoin d’une REVOLUTION en Italie”. Comme l’attestent les excellentes ventes de ce journal, ceci exprimait les sentiments de nombreux travailleurs et jeunes manifestants qui recherchaient davantage que des mots, mais une stratégie politique pour vaincre la crise.
Comme c’était prévisible, les médias ont délibérément voilé la signification et la portée de la manifestation, en se concentrant sur les actes de violence d’une minorité. Ils l’ont fait pour discréditer la portée de cette grande protestation aux yeux de la population et pour décourager de futures mobilisations. Ils ont honteusement essayé de réduire une journée importante de lutte à des actions d’une poignée de jeunes cagoulés sans perspectives. Ils ont refusé de parler du caractère de l’événement, à savoir la colère des gens ordinaires contre le système, les banques et la dette, et ils “oublient” de mentionner qu’un bon nombre des éléments violents ont été chassés de la manifestation par les délégations de travailleurs et les syndicats, y compris la FIOM.
Violence
Nous comprenons que les jeunes soient enragés et que certains soient attirés par l’action directe violente, surtout lorsqu’ils ne voient aucune force politique pour les représenter. Mais casser les vitres des banques et mettre le feu aux voitures ne sont pas des actions qui font progresser la lutte. Au contraire, elles peuvent en éloigner les gens ordinaires et offrir un prétexte à la répression. Dans la manifestation de Rome, des manifestants pacifiques ont été mis en danger : un d’entre eux a perdu trois doigts en essayant d’écarter un cocktail Molotov. Des groupes comme le Black Block, souvent infiltrés par des ‘agents provocateurs’ se nourrissent de la colère des jeunes en créant des tensions et en donnant au gouvernement des prétextes pour introduire des mesures répressives plus draconiennes.
Après la manifestation, la police a mené de larges perquisitions dans les maisons des militants et dans les centres sociaux, en essayant de trouver des boucs émissaires pour ce qui s’était passé dans la manifestation. Le maire de Rome a interdit toute manifestation dans le centre de la capitale. Ceci pourrait réduire le droit de la FIOM de manifester le 21 octobre, date de l’appel à une grève de 8 heures des usines FIAT et du chantier naval Fincantieri, avec une manifestation de masse à Rome. Les violences du 15 octobre ont été utilisées par les autorités pour essayer de dissuader les militants de se déplacer à Val di Susa pour la journée de solidarité avec le mouvement ‘No TAV’. Elles ont également été utilisées par le président Sarkozy pour ‘interdire’ les italiens de traverser la frontière française pour rejoindre les protestations contre le sommet du G20 à Cannes.
Nous nous opposons totalement à ces mesures antidémocratiques et répressives. Nous sommes également contre d’autres propositions comme la réactivation de la loi “Reale” de 1975, qui permet à la police de mener des arrestations préventives et de tirer à balles réelles pour maintenir ‘la loi et l’ordre’ et de maintenir des gens en détention jusqu’à quatre jours sans aucune charge. Ces propositions ont été scandaleusement avancées non par la la Ligue du Nord, mais par Antonio Di Pietro, le dirigeant du parti “l’Italie des valeurs”, un parti qui s’apprête à former une coalition avec les partis de ‘gauche’ lors des prochaines élections, ou par Nichi Vendola et le PRC (Parti de la Refondation Communiste).
L’opposition grandit
Il y a beaucoup de leçons à apprendre. La manifestation du 15 octobre était pour ainsi dire une mobilisation spontanée suite aux mobilisations croissantes des semaines précédentes. C’est un signe que l’opposition au gouvernement Berlusconi, aux patrons et aux banquiers progresse. De futures protestations et manifestations de masse doivent être organisées, encadrées et défendues contre les infiltrateurs, les provocateurs et ceux dont les actions cherchent à nuire au mouvement. Cet encadrement doit être organisé par les manifestants eux-mêmes, en impliquant particulièrement le mouvement ouvrier organisé.
Nous ne pouvons pas faire confiance aux forces de l’Etat qui lancent des attaques brutales sans distinction contre les manifestants et qui accroissent la tension. Le souvenir du meurtre de Carol Giulani est toujours vivant tout comme celui de l’attaque brutale de la police contre l’école Diaz, qui aurait pu provoquer un massacre lors des protestations contre le G8 à Gênes, il y a dix ans.
Pour que le mouvement puisse grandir et progresser, il doit être capable de faire le lien entre la colère légitime largement répandue contre la situation actuelle et un programme anticapitaliste avec la construction d’une force politique organisée capable de remettre en cause le système capitaliste lui-même.
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ITALIE: Pour barrer la route à la politique de Berlusconi, il faut un programme socialiste!
ITALIE
Ce week-end des 18 et 19 mars fut marqué par des manifestations dans le monde entier pour protester contre la guerre et l’occupation impérialiste de l’Irak, celle-ci entrant à présent dans sa quatrième année. C’est à Rome que le nombre de personnes descendues dans les rues fut le plus massif: on évoque des chiffres allant jusqu’à 150.000 manifestants. Il Tempo, le principal journal contrôlé par Berlusconi, parlait quant à lui de moins de 10.000 manifestants!
Cédric Gérôme
L’approche des élections législatives italiennes (qui auront lieu les 9 et 10 avril 2006) n’y est pas pour rien dans ce genre de distorsion de l’information: en effet, dans le cadre de la campagne électorale, la coalition concurrente à celle de Berlusconi, L’Unione (coalition dite de « centre-gauche » autour de Romano Prodi, ancien président de la Commission Européenne) fait du retrait des troupes italiennes un de ces chevaux de bataille.
Il est clair cependant que le discours pacifiste des partis qui forment la coalition de centre-gauche a ses limites: pour preuve, le DS (Democratici di Sinistra, principal parti de la coalition) a refusé de participer à la manifestation de samedi sous prétexte que la plate-forme ne condamnait pas assez explicitement le terrorisme ; pour les mêmes raisons, la direction de la CGIL (le plus gros syndicat italien, qui compte dans ses rangs plus de 5 millions d’adhérents et joue habituellement un rôle-moteur dans le mouvement anti-guerre) a elle aussi boycotté la manifestation. Cela n’a pas empêché nombre de militants de la base d’assister au défilé, mais les mots d’ordre absentéistes du sommet ont tout de même contribué à déforcer grandement le cortège.
De plus, la plupart des dirigeants parlent d’un retrait des troupes « conditionné à l’approbation des Nations Unies ». Quoiqu’il en soit, il est clair que l’évocation du retrait des troupes, même si elle est mise en pratique sous un futur gouvernement Prodi, sera surtout un moyen de gagner des points sur la politique étrangère en jouant sur le fort sentiment anti-guerre présent parmi la population italienne dans le but de détourner l’attention de la politique interne, qui risque de ne pas se distinguer fondamentalement de la politique anti-sociale appliquée pendant 5 ans par le gouvernement de Berlusconi.
L’Unione semble en effet se profiler comme la formule gagnante du patronat pour poursuivre ses attaques. Pendant que des dizaines de milliers de jeunes et de travailleurs descendaient dans la rue contre la guerre, Prodi s’entretenait avec le grand patronat pour lui présenter le programme de son futur gouvernement: un programme de recettes néo-libérales (réduction des charges patronales et autres cadeaux fiscaux aux entreprises, nouvelles privatisations, augmentation de la flexibilité sur le marché du travail,…). Le titre révélateur du Giornale d’Italia en dit long sur ce qu’en pense les patrons: « Les oligarques veulent un gouvernement de gauche » (!) D’ailleurs, un sondage paru dans La Repubblica – «Les pronostics des industriels»- fournit des chiffres révélateurs quant à l’état d’esprit de la bourgeoisie: à la question « Qui gagnera les élections ? », 44% des patrons de la Confindustria- la principale confédération patronale du pays, équivalent de la FEB en Belgique- répondent Prodi, et seulement 12% affirment qu’il s’agira de Berlusconi.
Les intentions de vote des électeurs semblent confirmer cette tendance: dans les derniers sondages, L’Unione jouit de presque 5 points d’avance sur son adversaire. Il est clair que la majorité des travailleurs et des jeunes veulent en finir avec ce bandit milliardaire qu’est Berlusconi, ainsi qu’avec La casa delle libertà – La Maison des Libertés, sa coalition dite de « centre-droit », abritant en réalité nombre de néo-fascistes notoires.
A ce titre, Berlusconi vient tout récemment de conclure une alliance avec Alessandra Mussolini, petite-fille du Duce, et ouvertement nostalgique du régime de son grand-père. Son parti, Alternativa Sociale, s’ajoute ainsi à l’Alleanza Nazionale de Gianfranco Fini (n°2 du gouvernement, considérant le Duce comme « le plus grand homme d’Etat du 20ème siècle ») et du ministre Gasparri (ancien président du Front de la Jeunesse, mouvement d’extrême-droite). Berlusconi n’avait-il pas lui-même déclaré, en septembre 2003: « Mussolini n’a jamais tué personne, tout au plus envoyait-il les gens en vacances aux abords des frontières » ?
La haine des travailleurs à l’égard d’«Il Cavaliere » et les scandales à répétition qui l’ont éclaboussé (collusions avec la mafia, faux bilans, banqueroute frauduleuse, mise en accusation pour être soupçonné d’avoir versé 600.000 $ à l’avocat anglais David Mills en remerciement d’un faux témoignage, publication de faux sondages le profilant en tête pour les prochaines élections, démission de son ministre des réformes institutionnelles Calderoli –de la Ligue du Nord- après que celui-ci eut fièrement exhibé sur un plateau de télévision un T-shirt à l’effigie des caricatures danoises de Mahomet,… pour ne citer que quelques exemples récents) ont fait de Berlusconi un pion gênant pour la bourgeoisie italienne. Les relations entre celle-ci et le premier ministre ne sont plus au beau fixe ; bien au contraire, elles se sont envenimées au point de se transformer en une véritable foire d’empoigne dont la presse italienne fait quotidiennement ses choux gras. Ainsi, La Repubblica du lundi 20 mars avait pour titre à la une: « La Confindustria contre Berlusconi »…
Toutefois, la mainmise de ce dernier sur les médias du pays (Berlusconi possède et contrôle directement ou indirectement les médias audiovisuels et la presque entièreté de la presse écrite) lui assurent encore, d’ici au 9 avril, la possibilité de convaincre les quelques 24% d’électeurs indécis et de faire ainsi basculer les urnes en sa faveur. La possibilité que Berlusconi reste au pouvoir n’est donc pas totalement exclue: un tel scénario pourrait constituer l’élément déclencheur de nouvelles luttes de masse en Italie.
L’Unione, copie conforme de L’Olivier… avec le PRC en plus
A la différence des précédents gouvernements de centre-gauche (L’Ulivo), un éventuel gouvernement de L’Unione incluerait directement le PRC (Partito della Rifondazione Comunista), lequel prendrait alors sur ses épaules la responsabilité de la politique gouvernementale. De la part de Prodi, cette alliance avec le PRC n’est évidemment pas anodine: grâce au soutien dont dispose encore ce parti parmi de larges couches de travailleurs et de jeunes, celui-ci s’assure une bonne couverture sur la gauche. L’autorité dont bénéficie le PRC parmi les couches les plus combatives des travailleurs de la CGIL et de COBAS (= deuxième syndicat le plus important d’Italie) d’une part, et la ligne de plus en plus opportuniste suivie par la majorité des dirigeants du PRC d’autre part, ouvrent l’espace à Prodi pour former un gouvernement de collaboration de classes amortissant les luttes ouvrières et liant ainsi les mains des travailleurs au grand capital grâce à la complicité de la bureaucratie syndicale.
Le 13 mars, Bertinotti, secrétaire général du PRC, affirmait, en réponse à une question qui lui était posée par un internaute: « Une alliance plurielle entre plusieurs partis, dont Rifondazione, s’est constituée sur un programme partagé et très engagé: un programme de réforme. Nous soutenons celui-ci avec conviction. » On comprend un peu mieux la nature de ce programme lorsque l’on sait qu’il est soutenu –avec tout autant de conviction- par la Confindustria: Luca di Montezemolo, le patron des patrons, s’est en effet dit « très satisfait » par l’entrevue qu’il avait eu avec Prodi, entrevue portant précisément sur ce fameux programme de gouvernement que Bertinotti défend de vive voix…
« Battre Berlusconi et le gouvernement de droite est nécessaire », affirme le PRC. Il s’agit bien entendu d’un souhait partagé par des centaines de milliers de jeunes et de travailleurs italiens ; cependant, ceux-ci ne veulent pas se débarasser de Berlusconi et de la droite pour les voir revenir au pouvoir quelques années plus tard. Or, le soutien à la politique néo-libérale de Prodi ne peut que creuser le lit pour une telle perspective. Au nom d’une unité sacrée contre Berlusconi et ses sbires, les dirigeants du PRC semblent avoir mis sous le tapis les leçons du passé: c’est précisément la politique du précédent gouvernement de centre-gauche, arrosée d’attaques sur les acquis sociaux et de privatisations en tout genre, qui avait ouvert la voie au second gouvernement de Berlusconi en 2001.
La Rifondazione conserve toujours le support de nombre de travailleurs et de jeunes qui veulent en finir avec la politique néo-libérale. Il était pourtant clair lors de la manifestation de samedi que beaucoup d’entre eux réalisent que le parti prend une mauvaise orientation. Car l’objectif poursuivi par la direction du parti n’est pas seulement de se présenter sur une liste pour contribuer à la défaite de Berlusconi, mais bien d’être une composante directe d’un gouvernement qui fera inévitablement payer la crise sur le dos de la classe ouvrière et de la jeunesse.
Les dirigeants du PRC, tel Bertinotti, bercent leur base de phrases creuses et de slogans apolitiques – « Pour que l’Italie change vraiment » est ainsi le slogan principal de leur campagne – au lieu de mettre en avant une position de classe claire et indépendante et un programme de revendications qui soit dans la lignée de ce que le nom de leur parti laisse suggérer.
L’Italie est en proie à une crise économique profonde, le pouvoir d’achat en chute libre. Le FMI estime que le déficit du PIB italien atteindra en 2006 les 4,1% et que la croissance demeurera nulle. La propension des familles italiennes à l’endettement a pratiquement doublé en 10 ans, et, selon la Banque d’Italie, la moitié des jeunes entre 15 et 29 ans travaillent sous contrat à durée déterminée. Un jeune travailleur italien sur quatre est en outre considéré comme travailleur précaire.
Toutefois, il est clair que les craintes d’une dégradation de cette situation ne sont en rien balayées par la perspective d’un nouveau gouvernement de centre-gauche. Le seul moyen d’en finir avec cette politique est de rompre avec les politiciens bourgeois responsables d’attaques vicieuses sur les travailleurs et les jeunes et de construire la lutte et les instruments pour une politique vraiment socialiste. Ceci devrait être l’ABC pour ceux qui se proclament communistes et représentants des intérêts du mouvement ouvrier.
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Le néo-libéralisme mis en cause. Union européenne: une claque magistrale!
La victoire du NON au référendum sur la constitution européenne, le 29 mai dernier en France, est une claque magistrale infligée par les travailleurs et les jeunes aux institutions capitalistes de l’Union européenne. Le taux de participation élevé (70%), les 56% de NON à la constitution sont sans appel. L’Europe capitaliste est K.O. debout ! Chirac et la classe politique et médiatique peuvent aller se rhabiller : ils ont mal mesuré le ressentiment des classes défavorisées envers les institutions européennes. Depuis des années, celles-ci incarnent, pour une masse croissante de travailleurs et de jeunes, les privatisations, la casse des services publics, les coupes dans les budgets sociaux, la compétition forcée avec les pays à bas salaire,…
Peter Delsing
Le NON aux Pays-Bas (63%), le 1er juin, a été le clou du cercueil. En quelques semaines, une atmosphère de crise a gagné les bourgeoisies européennes. L’eu(ro)phorie est bien loin !
Le NON comme expression des contradictions de classes
En France et aux Pays-Bas, l’extrême droite et les nationalistes ont fait campagne pour le NON : le néo-fasciste Le Pen et le conservateur de droite De Villiers en France, le populiste de droite Geert Wilders aux Pays-Bas. Mais le NON était principalement l’expression d’un rejet de l’Europe capitaliste par les victimes de la crise. En France, les mobilisations de masse contre l’abolition de la semaine de 35 heures, contre la baisse du pouvoir d’achat et contre les privatisations ont pesé lourd dans le camp du NON. L’opposition à la Constitution est devenue une question sociale : la politique antisociale de Chirac et des autres gouvernements fait partie intégrante de la politique néo-libérale imposée par l’Union européenne. Dans les grandes villes ouvrières comme Marseille, Nice ou Lille, le NON l’a emporté haut la main. Dans les villes plus nanties, avec une forte concentration petite-bourgeoise, comme Paris, Lyon, Strasbourg, le OUI l’a emporté. Dans les quartiers populaires d’Amsterdam (Amsterdam-Nord : 73%, Volewijck et Buiksloterham ; tous deux 79%) le NON l’a emporté sans bavures.
Il est révélateur que même les commentateurs bourgeois ont été contraints de reconnaître qu’on avait voté contre la politique ‘libérale’. Les résultats de ces référendums ont confirmé l’analyse du MAS: depuis des années nous avons répété qu’une révolte de masse allait se lever contre la politique antisociale actuelle. Les mobilisations de la jeunesse annonçaient une radicalisation plus large chez les travailleurs. Quand nous avons organisé en 2001, à Gand, avec Résistance internationale, une grève et une manifestation de 2.500 lycéens et d’étudiants contre le sommet européen, certains commentateurs ont jugé qu’il s’agissait de protestations "marginales". Ils ont eu tort.
La crise capitaliste met à mal l’Union européenne
Toute tentative d’organiser un second referendum en France et aux Pays-Bas a fait long feu ; Cela ôterait toute crédibilité aux institutions capitalistes européennes, avec le risque de provoquer des mobilisations de rue. Ce serait une stupidité pour la bourgeoisie. La Grande-Bretagne, la Pologne et la Tchéquie ont décidé de reporter leur référendum. La victoire du NON en France et aux Pays-Bas a radicalisé les travailleurs. Ceux qui expliquent que le NON est l’expression d’un nationalisme étroit, n’ont rien compris: c’est au contraire l’expression d’une prise de conscience sociale internationale.
L’Europe ne peut être unifiée sur base de différents états-nations. Plus la crise économique s’approfondira, plus la pression au sein de chaque bourgeoisie pour trouver une issue individuelle pèsera. En Italie, pays officiellement en récession, la Ligue du Nord – pourtant au gouvernement – a préconisé l’abandon de l’euro et le retour à la lire! L’idée derrière cela est d’améliorer la position concurrentielle des exportations italiennes en dévaluant la lire. Ceci (évidemment) au détriment des autres états concurrents européens. Une crise économique profonde, et surtout le spectre de la lutte de classes qui pourra faire chuter des gouvernements, ne manquera pas de pousser à terme l’Union européenne hors jeu.
Les failles dans la construction européenne capitaliste se multiplient : la constitution est mise au frigo pour longtemps ; l’élargissement de l’Union (à la Turquie, à de nouveaux pays de l’Est) est remise aux calendes grecques ; le sommet de Bruxelles (en juin) a capoté sur le budget européen. Il s’agit de la crise la plus grave de la tentative d’unification capitaliste européenne. Il n’existe plus de noyau "convaincu" de pays forts qui rallient derrière eux les pays indécis, comme dans la deuxième partie des années 90, à l’époque d’une conjoncture économique meilleure. Les intérêts capitalistes nationaux regagnent du terrain. C’est la conséquence de l’aggravation de la crise du capitalisme.
Les dirigeants capitalistes n’ont rien appris: il est temps de les mettre dehors
En France, le nouveau premier ministre De Villepin veut inverser le cours en annonçant… de nouvelles mesures d’austérité. Il veut, par exemple, faciliter les licenciements dans les PME ("pour qu’elles embauchent plus vite") et organiser la chasse aux chômeurs.
Les syndicats doivent riposter à ces nouvelles attaques et défendre réellement les travailleurs. On ne pourra construire un rapport de forces qu’à travers la lutte. Le MAS veut participer à cette riposte. La création d’un nouveau parti des travailleurs à caractère de masse est un élément clé de cette riposte. Nous pensons que ces partis devront adopter un programme de transformation socialiste de l’Europe. Car seule une fédération des états socialistes d’Europe pourra mener une véritable politique sociale.
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ATTAQUES CONTRE LES pensions en europe
Attaques contre les pensions en Europe
La lutte contre les pensions est menée avec hargne par les patrons et les gouvernements à l’échelle internationale. Les raisons sont les mêmes dans tous les pays. Les gouvernements de l’Union européenne qui n’ont pas de déficit budgétaire peuvent être comptés sur les doigts de la main. Avec une population qui vieillit et une croissance économique extrêmement faible, les dirigeants craignent que la croissance des dépenses pour les pensions ne gonflent les dettes déjà immenses. De leur côté, les patrons espèrent augmenter leurs profits par des allocations de pensions plus basses. Par un système plus privatisé, ils veulent libérer de l’argent pour placer en bourse. L’argent ne doit pas stagner dans les coffres des gouvernements mais doit servir à faire du profit par la spéculation.
Peter Delsing
L’attaque généralisée contre les pensions est surtout due au changement du rapport de force entre les travailleurs et les patrons après la chute du stalinisme. L’offensive néo-libérale s’est accélérée ces 15 dernières années. Les patrons s’imaginent qu’ils peuvent abolir tous nos droits pour se remplir les poches. Beaucoup d’exemples montrent cependant que le thème des pensions est très sensible. Ce sujet peut provoquer des mouvements de masse dans la classe ouvrière. En Autriche, les attaques sur les pensions ont déclenché, en mai 2003, la plus grande grève générale depuis un demi siècle et ce après des décennies de luttes isolées et sporadiques.
Italie
En 1994, le premier gouvernement Berlusconi a échoué dans sa tentative de démanteler les pensions. Une grève et des manifestations de masse avaient suffit pour que la Ligue du Nord, partenaire dans la coalition, fasse tomber le gouvernement. Sa base ne pouvait pas avaler la réforme. Le mouvement contre Berlusconi avait ainsi porté au pouvoir la coalition de l’Olivier, qui se revendique de la gauche. Mais le gouvernement Dini a aussi introduit une réforme des pensions : pour les jeunes travailleurs, les pensions ne seraient plus comptées sur base du salaire – plus élevé – des dernières années de carrière, mais sur base des contributions pendant toute la carrière. Les travailleurs qui cotisaient depuis plus longtemps restaient, eux, dans l’ancien système. Le pire, c’est que cette stratégie de division a été soutenue par les trois grandes fédérations syndicales.
De leur côté, les patrons ne voulaient pas du plan de Dini. Ils trouvaient que celui-ci n’allait pas assez loin. La politique antisociale de la coalition de l’Olivier a donné l’opportunité à Berlusconi de revenir au pouvoir. Confronté à des dépenses pour les pensions de près de 15% du PIB et à des dettes toujours plus importantes, Berlusconi a présenté un nouveau plan d’austérité en septembre 2003. Celui-ci prévoyait de faire cotiser les travailleurs italiens pendant 40 ans pour une pension complète, au lieu de 35 ans précédemment, et ce dès 2008. L’âge moyen de la pension, 57 ans, devait systématiquement augmenter à 65 pour les hommes et 60 pour les femmes. A terme, Berlusconi comptait économiser 12,5 milliards d’euros par an, soit 1% du PIB (dès 2012). C’est donc une pure mesure d’austérité. Le président du syndicat CGIL, Epifani, menaçait déjà à l’époque d’organiser une grève générale. Le jour suivant l’annonce du projet, de nombreuses grèves spontanées éclataient de toute part dans la péninsule.
Le 24 octobre 2003, les trois grands syndicats – CGIL, CISL et UIL – organisaient une grève générale de 4 heures, à laquelle 10 millions de travailleurs ont participé. Plus de 100 manifestations ont été organisées. Bizarrement, le dirigeant de la CGIL Epifani déclarait qu’il ne s’agissait pas d’une « grève politique ». Il disait également que la chute du gouvernement Berlusconi en 1994 était la conséquence de la position de la Ligue du Nord et non pas des manifestations contre la réforme des pensions. Cette position souligne le manque d’alternative politique de la part des dirigeants syndicaux. A Rome, le dirigeant du parti d’opposition le plus important, la Gauche Démocratique (ex-communiste), a pris la parole lors de cette manifestation.
Malheureusement, Bertinotti, dirigeant du grand parti de gauche Refondation Communiste, a essayé de s’appuyer sur les partis discrédités de la coalition de l’Olivier. Alors qu’il fallait garder une attitude totalement indépendante de l’ex-«aile gauche» de la politique bourgeoise. Refondation Communiste ne pouvait et ne peut pas regagner la confiance des travailleurs de cette façon.
Le samedi 6 décembre 2003, à Rome, les syndicats organisaient une manifestation de 1,5 million de participants contre les plans de réforme des pensions de Berlusconi sous le slogan «Défendez votre avenir!». «Les contre-réformes ne passeront pas!», disait Angeletti, dirigeant de l’UIL. Le 26 mars 2004, une deuxième grève générale autour des pensions était organisée. De nouveau, plus d’un million de travailleurs étaient dans la rue. Mais aucun plan d’action réel n’était mis en avant pour chasser définitivement Berlusconi. Cela a permis au gouvernement de faire voter par le parlement les propositions de réforme pendant l’été 2004. Réaction de la direction syndicale: protestation verbale.
France
En France, les attaques contre les pensions ont également suscité des manifestations de masse. Le 13 mai 2003, une grève de la fonction publique, soutenue par quelques secteurs privés, a rassemblé près de 2 millions de manifestants dans 115 villes. Le mouvement contre la réforme des pensions de Raffarin montrait son potentiel à unifier les différentes luttes. Raffarin voulait allonger la durée de cotisation des travailleurs de la fonction publique de 37,5 ans à 40 ans pour une pension complète vers 2008 et à 42 ans vers 2020. Le 19 mai 2003, 700.000 travailleurs sont de nouveau descendus dans la rue.
Les syndicats CFDT et CGC ont néanmoins signé un accord avec le gouvernement de droite, lui permettant ainsi de poursuivre dans la même voie. Cela a provoqué des remous à la base et dans certaines directions régionales à la CFDT. La question de la démocratie interne a été posée et certains ont demandé la démission du président du syndicat. Deux autres syndicats – CGT et FO – ont organisé une nouvelle manifestation, le 25 mai à Paris, contre la réforme des retraites. A nouveau 1,5 million de personnes étaient dans la rue. Dans un sondage publié dans Le Parisien, 65% des sondés déclaraient soutenir ces manifestations.
L’appel pour une grève générale était toujours plus fort. Thibault, dirigeant de la CGT, craignait toutefois de perdre le contrôle de la base. Il s’est prononcé contre une grève générale parce que «ça affaiblirait la CGT pour des années». Le dirigeant du syndicat Force Ouvrière de l’époque, Marc Blondel, se prononçait dans un premier temps contre une grève générale – parce que ce serait «insurrectionnel» et cela poserait la question d’une «alternative politique». Ensuite il a été gagné à cette idée, mais « n’a pas voulu casser le front syndical»… C’est pourtant une grève générale de la fonction publique, en 1995, qui a torpillé le projet de réforme des retraites du gouvernement Juppé et qui a même mené plus tard à la chute du gouvernement. Les dirigeants syndicaux ne voulaient pas faire ce pas. Le 24 juillet 2003, la loi sur les pensions était voté par l’assemblée nationale.
Leçons des mobilisations
Les mobilisations contre la réforme des pensions peuvent mener à une lutte de masse de différents secteurs. Ces mobilisations ont la sympathie de la masse des travailleurs et peuvent – comme en France et en Italie – faire tomber des gouvernements. Les dirigeants réformistes sont un frein au mouvement. À la base,des comités de grève devraient être élus pour pouvoir décider de façon démocratique des objectifs de la grève. Ils devraient se rassembler régionalement et nationalement dans différents secteurs avec une force la plus efficace possible. Et cela pour démocratiser les syndicats et empêcher la trahison par la direction. Sur le plan politique il faut rompre avec les partis « progressistes » qui mènent une politique néo-libérale. La question d’un nouveau parti des travailleurs comme instrument politique de la lutte et la nécessité d’un gouvernement des travailleurs, appuyé sur les masses, deviennent alors des questions clés pour résoudre la situation.
La rôle d’une gauche syndicale combative est fondamentale. En Grande-Bretagne nos camarades ont joué un rôle important dans différents syndicats pour mettre en avant l’idée d’une grève générale contre les plans de pensions de Blair. C’était par exemple le cas dans le PCS, le syndicat des fonctionnaires où plusieurs membres du SP ont été élus au bureau exécutif. Confronté à la menace d’une grève des services publics juste avant les élections parlementaires en mai, Blair a fait marche arrière, du moins temporairement. «Une défaite importante», selon les porte-paroles du capital. Nous devons nous organiser nous aussi en Belgique pour pouvoir répondre aux attaques des patrons et du gouvernement.
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Contre le Vlaams Belang! Pour une alternative socialiste!
LA QUESTION d’une stratégie efficace contre le Vlaams Belang revient dans toutes les discussions. Faut-il donner raison au cynisme de la presse traditionnelle? Est-ce qu’on a vraiment tout essayé en vain? Selon nous: non. L’élaboration d’une stratégie est une question sérieuse où il faut tenir compte à la fois du score électoral du Vlaams Belang et du noyau dur fasciste qui dirige ce parti.
Geert Cool
Pour lutter contre un parti qui progresse à partir du mécontentement d’une partie de la population envers la politique antisociale de l’establishment, on ne peut pas s’en remettre à cet establishment. Crier victoire après une décision de justice ou après des déclarations de politiciens sur la dotation des partis ne mène à rien. Nous devons convaincre les électeurs du Blok que ce parti n’a pas de solutions à leurs problèmes. Edulcorer notre discours pour gagner des partisans dans l’establishment n’a non seulement aucun sens, mais est contreproductif.
Bien au contraire, nous devons construire une force qui s’oppose au système, non seulement en paroles, mais qui est aussi prête à l’affronter lors de campagnes concrètes.
Nous devons tirer les leçons des défaites de l’extrême-droite en Europe. L’Italie en 1994, la France en 1995, récemment l’Autriche – où l’extrême-droite a subi des – défaites électorales après les protestations de masse contre la politique néolibérale.
En Italie, à la fin 1994, des centaines de milliers de travailleurs ont manifesté contre les plans de retraite du premier gouvernement Berlusconi. Le mouvement fondait son espoir sur la gauche politique pour mettre fin à la politique antisociale. La base sociale du gouvernement de droite (auquel participaient aussi l’Alliance Nationale “postfasciste” et la Ligue du Nord) était totalement sapée et le gouvernement est tombé. Berlusconi et Cie ne sont revenus au pouvoir qu’après quelques années. En fin de compte, cela n’a été possible que grâce à la politique tout aussi néolibérale de la coalition de “l’Olivier” de centre-gauche.
En Autriche, le FPÖ a perdu le soutien de la population après la grève quasi générale de l’an dernier. Alors qu’après sa première participation au gouvernement, le FPÖ avait même vu son score augmenter. Ce qui contredit l’idée que la participation au pouvoir leur coûterait de toute façon des voix.
Ces exemples montrent qu’une stratégie antifasciste doit reposer sur la résistance active contre la politique antisociale. La croissance de la pauvreté, mais aussi la crainte des gens relativement plus aisés de voir chuter leur niveau de vie, mènent à un sentiment d’insécurité sociale et font douter de l’avenir. Tant que la résistance à tout cela ne parvient pas à s’exprimer activement dans des mobilisations et à s’organiser dans une formation politique ouvrière, elle continuera à s’exprimer passivement par un vote de protestation pour le Vlaams Belang.
Nous appelons tous les jeunes et les travailleurs qui veulent combattre l’extrême-droite à commencer la lutte dans les quartiers, les écoles, les entreprises, les universités,… C’est là qu’on doit construire la résistance active à la politique actuelle. Une bonne façon de le faire, c’est de participer à la campagne pour la Marche des Jeunes pour l’Emploi du 19 mars.