Tag: Jordanie

  • Solidarité avec les masses en révolte en Tunisie! Manifestation jusqu’au consulat de Tunisie à Hong Kong

    Ce vendredi 21 janvier, durant l’après midi, des militants ont exprimé leur solidarité avec les travailleurs et les masses opprimées de Tunisie à Hong Kong. Ils ont ainsi montré leur solidarité avec la lutte des masses tunisiennes contre le régime dictatorial du président déchu Ben Ali.

    J. M. Roy, chinaworker.info

    "Le pouvoir aux travailleurs! Non à tous les dictateurs!" ont ainsi crié les manifestants. Le groupe de militant a manifesté du commissariat de police jusqu’au consulat de Tunisie pour y remettre une lettre de protestation et de solidarité avec la révolte de masse en Tunisie contre le régime du RCD (Rassemblement Constitutionnel Démocratique). Cette marche avait été organisée par Socialist Action – Hong Kong (section du CIO à Hong Kong) et par le célèbre militant Leung Kwok Hung, de la Ligue des sociaux-démocrates. Ce dernier est surnommé ”Cheveux longs” depuis qu’il a décidé de ne pas se couper les cheveux jusqu’à ce que le régime de Pékin présente ses excuses pour la répression de Tian’anmen en 1989.

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    Sur la Tunisie:

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    "Nous condamnons fermement la réponse brutale du régime et de ses forces de police, ce qui a coûté la vie à 100 personnes" était-il notamment écrit dans la lettre de protestation, signée par Leung et Vincent Kolo, de Socialist Action. La lettre mettait également en garde contre les tentatives d’accords entre représentants du vieux régime et les partis d’opposition pro-capitalistes, tout en appelant les travailleurs et les jeunes de Tunisie à construire des comités de luttes démocratiques et à lutter pour une assemblée constituante révolutionnaire ainsi que pour le contrôle public de l’économie du pays afin de la retirer des griffes de la vieille élite.

    Comme cela a été souligné par les orateurs lors de la manifestation, l’importance de cette lutte ne se limite pas qu’aux rues de Tunis ou des autres villes de Tunisie. Les réactions des classes dirigeantes des autres pays a été très révélatrice. Le gouvernement français a ainsi offert de soutenir la répression du soulèvement dans son ancienne colonie, et le président Sarkozy avait il y a peu félicité le dictateur Ben Ali, se disant ”impressionné par la clarté des analyses du Président Ben Ali,  par son ouverture d’esprit et par sa franchise.” Il ne fait aucun doute que les masses d’Afrique du Nord et de France ne se souviendront que trop bien de la manière dont le gouvernement capitaliste français traite les peuples qui osent se soulever contre la tyrannie. Les dirigeants d’Égypte et de Libye ont également été rapides pour condamner les luttes du peuple tunisien et ils ont directement pris des mesures pour prévenir de tels mouvements de la part de leurs propres masses opprimées. Dans le même but, les gouvernements du Maroc et de Jordanie ont abaissé les prix de l’alimentation pour essayer d’ainsi apaiser les masses.

    Les évènements de Tunisie sont aussi riches de leçons pour les masses en Chine et à Hong Kong, avec leur propre forme de régime dictatorial. Les dictateurs arabes ne sont pas les seuls à suivre avec effroi les nouvelles de Tunis…

  • Les tâches urgentes de la révolution tunisienne

    L’insurrection populaire de masse a forcé Ben Ali à quitter le pays

    La Tunisie d’aujourd’hui n’est pas le même pays que celui qu’elle était il y a à peine un mois. Le puissant mouvement de révolte des masses tunisiennes a balayé le dictateur, le Président Ben Ali, à la vitesse d’une tornade, preuve s’il en fallait de la rage qui s’est accumulée après des décennies de règne autoritaire. La peur de parler de politique, même en privé, a été remplacée par un gigantesque processus de bouillonnement politique ; nous assistons au début d’une révolution. Comme ils paraissent loin, les jours de la dictature “incontestée” de Ben Ali !

    Par Chahid Gashir, CIO

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    Pour en savoir plus:

    • Maghreb : La révolte Tunisienne s’étend en Algérie – Solidarité avec les masses Tunisiennes et Algériennes !
    • Révolte sans précédent en Tunisie – A bas le régime de Ben Ali !
    • Tunisie: Message de solidarité de Joe Higgins, député européen du CIO
    • Algérie: Arcelor Mittal connaît sa seconde grève à durée indéterminée de l’année! Juin 2010
    • Algérie : Révolte de masse et actions de grève continuent de secouer le pays Avril 2010
    • COURRIER des lecteurs: Elections en Tunisie – Quels enjeux et perspectives? Septembre 2009

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    La Tunisie qui, pendant des années, était louée par les analystes capitalistes et les pays impérialistes en tant que régime le plus stable de la région, décrit comme un “modèle de développement économique” il y a à peine un mois par le chef du FMI Dominique Strauss-Kahn, est maintenant parcourue de fissures. Ce paradis touristique, avec ses merveilleuses plages méditerranéennes, a révélé son vrai visage, et la violence utilisée pour écraser la véritable révolte de masse a montré le vrai caractère d’un des régimes les plus répressifs de la région.

    Le mouvement révolutionnaire qui s’est développé au cours du dernier mois en Tunisie est d’une importance historique pour les masses de l’ensemble du monde arabe et d’ailleurs. Au moment où dans la plupart des pays du monde on applique des politiques d’austérité et le cours des denrées alimentaires ne cesse de monter, affectant tout le monde, la Tunisie pourrait devenir un exemple à suivre pour les travailleurs et les jeunes du monde entier. Ce mouvement est le plus grand bouleversement qui ait ébranlé la dictature tunisienne au pouvoir depuis plus d’un quart de siècle, et sans doute le plus grand bouleversement de toute l’histoire du pays.

    Chacune des tentatives successives de Ben Ali dans le but de calmer la situation a lamentablement échoué. Le clan dirigeant de Ben Ali a définitivement perdu toute sorte de soutien populaire. Après avoir dissous le gouvernement tout entier, annoncé de nouvelles élections législatives dans les six mois, et décrété l’état d’urgence, le Président haï a fini par fuir le pays, tandis que les opposants étaient en train de déchirer en riant ses nombreux immenses portraits qui ornaient les façades de la capitale.

    Des ondes de choc dans toute la région

    La lutte épique des travailleurs et de la jeunesse tunisienne a créé une vague de panique parmi les régimes voisins, de même que parmi les gouvernements de leurs alliés occidentaux en Europe et aux États-Unis.

    Les commentaires du Président américain Barack Obama, qui applaudissait le « courage et la dignité du peuple tunisien », vont certainement laisser un gout amer aux nombreux Tunisiens qui ont combattu sans relâche leur gouvernement, celui-ci étant soutenu par les États-Unis. Obama ne fait bien entendu que célébrer un fait déjà accompli, dans l’espoir qu’il trouvera une conclusion pro-impérialiste. Lui et ses cohortes n’ont jamais pris aucune initiative pour critiquer les régimes amis ou vassaux ; c’est ainsi que Washington n’a pas dit le moindre mot au sujet du trucage flagrant des élections en Égypte à la fin de l’année passée.

    De la même manière, la réponse muette du gouvernement français quant aux protestations et à la répression dans son ancienne colonie nord-africaine a suscité un tollé parmi sa forte communauté maghrébine. La déclaration de la Ministre française des affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie, qui proposait la coopération de la France avec le gouvernement tunisien afin de “rétablir la sécurité” – allant même jusqu’à souligner l’expérience et l’expertise de l’État français dans ce domaine – a une fois de plus révélé le véritable caractère de la politique extérieure française et l’embarrassement de sa classe dirigeante, qui perçoit une menace à ses investissements dans un de ses avants-postes dans la région.

    L’insurrection tunisienne a ouvert un nouveau chapitre de développements révolutionnaires dans le monde arabe, qui pourrait rapidement provoquer un effet domino à l’encontre des régimes dictatoriaux voisins. D’ailleurs comme par hasard, les gouvernements de Jordanie, du Maroc, d’Algérie et de Lybie ont tous mis en place au cours des dernières semaines des mesures pour diminuer les prix des denrées alimentaires, de peur de voir des développements similaires se produire dans leurs propres pays. « Chaque dirigeant arabe tourne vers la Tunisie son regard rempli de peur, tandis que chaque citoyen arabe se tourne vers la Tunisie rempli d’espoir et de solidarité », twittait un commentateur égyptien cité par le Guardian de Londres le 15 janvier.

    La révolte a commencé dans la petite ville de Sidi Bouzid à la mi-décembre pour se répandre comme un feu de brousse à l’ensemble du pays, et est allée bien plus loin que de simples revendications contre le chômage. Elle n’a montré aucun signe d’épuisement malgré tous les zigzags et toutes les manœuvres désespérées du régime Ben Ali dans sa lutte pour la survie. Le cycle de répression barbare opéré par la police sur ordre de la clique au pouvoir a selon les organisations des droits de l’Homme causé la morte de plus de 70 citoyens. Il a été rapporté que la police a tiré à balles réelles sur les cortèges funèbres en mémoire aux manifestants tués lors des jours précédents ; ceci montre bien jusqu’où était prêt à aller le régime afin de préserver son emprise sur le pouvoir. Une telle débauche de violence est typique d’un régime aux abois et dont la survie même est en danger ; cependant, cette violence n’a fait qu’encore plus enflammer la colère des travailleurs et des jeunes. La Tunisie n’est d’ailleurs pas un cas isolé à cet égard : c’est le cas dans de nombreuses parties du monde, où les actions de solidarité et les appels à la fin de la répression n’ont fait que croitre au cours de la dernière période.

    Les masses tunisiennes, ayant perdu toute crainte du régime de plus en plus isolé, se sont soulevées dans chaque recoin du pays. La capitale Tunis, le cœur économique du pays qui avait été épargnée lors des premières semaines du mouvement qui avait éclaté dans les provinces pauvres du centre et du sud du pays, a été atteinte de manière décisive par le mouvement à partir du mardi 11 . « On n’a pas peur, on n’a pas peur ! » clamaient ce jour-là les centaines de jeunes qui se soulevaient et attaquaient les bâtiments administratifs à Ettadem, un quartier pauvre de Tunis. En guise de réponse, le gouvernement a ordonné l’imposition d’un couvre-feu illimité de 20h à 5h30 du matin dans toute la capitale et a dans un premier temps déployé le soir même dans toute la ville des unités militaires accompagnés de véhicules blindés. Mais ces mesures se sont en général révélées inefficaces : des milliers de manifestants les ont courageusement défiées dès le premier soir. La peur a changé de camp, passant du côté de l’élite dirigeante.

    Les failles dans le camp du pouvoir

    Ces derniers jours, certains ministres et ex-ministres, ainsi que d’autres politiciens membres du parti présidentiel, le RCD (Rassemblement constitutionnel démocratique), ont exprimé de plus en plus de critiques publiques à l’encontre de Ben Ali et sur la manière dont il avait répondu aux protestations ; ces divisions au sein du camp du pouvoir étaient le reflet de la pression qui venait d’en-bas. Certaines personnalités du régime cherchaient par-là à se positionner pour la période de l’“après Ben Ali” en misant sur le mouvement de masse. Certaines parties de l’élite dirigeante se sont de plus en plus apprêtées à se débarrasser de Ben Ali afin de préserver leurs propres intérêts, espérant ainsi apaiser la révolte des masses, de la même manière que l’on jette un os à un chien dans l’espoir de le calmer.

    Reflétant ces divisions croissantes, on a également fait état de tensions en train de se développer au sein de l’armée. Le chef de l’armée, le Général Rachid Ammar, a été démis de ses fonctions le dimanche 9 janvier pour avoir refusé de donner l’ordre aux soldats de réprimer les manifestations, et pour son attitude ouvertement critique sur l’usage “excessif” de la force contre les manifestants. De tels prises de position se sont multipliées, notamment parmi les soldats qui ont refusé d’ouvrir le feu sur leurs frères et sœurs de classe et qui dans certaines zones ont fraternisé avec les manifestants et les ont protégés de la police.

    C’est la raison pour laquelle l’armée a été retirée de Tunis jeudi soir pour y être remplacée par la police et d’autres forces de sécurité généralement considérées comme étant plus loyales au régime. Mais même certaines sections de la police ont été affectées par le mouvement de masse. Le New York Times a rapporté l’histoire de deux policiers qui ont dissuadé les manifestants enragés d’attaquer un commissariat à Tunis en leur suggérant d’aller plutôt saccager les luxueues villas de bord de mer de la famille du Président ! Un manifestant a commenté : « Les policiers sont pauvres tout comme nous. Ils ont dit, “Allez plutôt à leurs villas s’il vous plait, c’est plus logique” ».

    La révolution doit exploiter ces fissures au sein de l’appareil d’État, afin de renforcer ses propres forces. De fait, malgré le départ de Ben Ali, le vieil appareil d’État avec son immense machine de répression est resté essentiellement intact. En-dehors de l’armée, on estime qu’entre 80 000 et 120 000 personnes on été déployées par l’État tunisien pour assurer le contrôle de la population. Malgré le climat compréhensible d’euphorie qui vit après la fuite de Ben Ali, le processus révolutionnaire ne fait en réalité que commencer, et tous les dangers qui se pointent à l’horizon doivent être affrontés grâce à une politique correcte. Des forces réactionnaires incorrigibles, provenant de l’intérieur comme de l’extérieur de la machine d’État, pourraient tenter d’exploiter l’état de confusion générale afin de reprendre l’initiative, et d’organiser une violence sans merci contre les forces progressistes, les syndicalistes, les jeunes manifestants, etc.

    Pour faire face à une telle situation, un appel de classe doit être adressé aux troupes afin de les gagner à la cause de la révolution ; la création de véritables comités élus de soldats doit faire partie d’un tel processus, afin de purger l’armée des éléments réactionnaires et des personnes qui ont collaboré avec le vieux régime.

    On parle beaucoup de gangs de pillards qui s’attaquent aux habitations et aux magasins, incendiant des bâtiments et attaquant des gens. Il y a énormément de soupçons qui indiquent que ces gangs sont en fait composés de policiers, d’éléments des forces de sécurité et d’anciens criminels engagés par la clique de Ben Ali pour montrer que sans Ben Ali, “le chaos règne”, et pour tenter d’en faire porter la responsabilité aux manifestants pacifiques.

    D’un autre côté, le problème de “la loi et l’ordre” est utilisé par les autorités intérimaires pour tenter de justifier le maintien de l’état d’urgence et de la loi martiale, et pour imposer de grosses restrictions sur les libertés civiles. Ces deux aspects doivent recevoir une réponse par la formation de forces de défense ouvrières armées et gérées démocratiquement afin de protéger les quartiers, les citoyens et les manifestants contre la violence arbitraire, quelle qu’en soit l’origine. Il a été rapporté que des habitants de la cité côtière de Gammarth, dans le Nord, sont en train de s’organiser dans leur quartier pour se protéger contre les milices du régime. De telles initiatives doivent être prises partout, afin de garantir la sécurité contre toutes représailles de la part d’éléments réactionnaires.

    Les zigzags politiques de Ben Ali ne l’ont pas sauvé d’une fin honteuse

    Ben Ali, dans une tentative désespérée de gagner un certain répit, a viré mercredi son Ministre de l’Intérieur, Rafik Belhaj Kacem – le chef de la police tunisienne – en tentant de fournir aux masses un bouc-émissaire. Mais cette manœuvre, comme tous les précédents limogeages de ministres, a à peine satisfait la combativité et le désir de vengeance qui s’étaient développés parmi les masses tunisiennes. Ben Ali a alors plus mis l’accent sur la “carotte” que sur le “bâton”, allant d’une concession à l’autre.

    Son discours télévisé de jeudi soir, dans lequel il promettait de ne pas se représenter aux élections de 2014, ordonnait aux troupes d’arrêter de tirer à balles réelles sur les manifestants, annonçait la fin de la censure d’internet et la liberté totale des médias, plus de “pluralisme politique” et la réduction du prix du pain, du lait et du sucre, représentait un demi-tour complet par rapport à la politique qu’il avait adoptée précédemment. Mais les mesures n’ont pas permis d’arrêter la colère. Cette preuve flagrante de faiblesse de la part du régime n’a fait que renforcé la volonté et la confiance du mouvement, galvanisant le sentiment de ses propres forces, et ouvrant la porte pour que les actions de protestation déferlent dans une direction encore plus radicale. C’est ce qui a été illustré par la manifestation sans précédent de milliers d’opposants qui ont descendu l’avenue Bourguiba vendredi, en criant « Non à Ben Ali, la révolte se poursuit ! », « Ben Ali — assassin ! », « Ben Ali — dehors ! », « Go, go, go… game over ! », exigeant que Ben Ali quitte le pouvoir immédiatement.

    Il était clair que les concessions effectuées par Ben Ali n’étaient que des changements cosmétiques, proposés dans une tentative désespérée du gouvernement d’éviter que la lutte n’aille plus loin et ne menace les fondations même des intérêts capitalistes. De fait, bien que le départ de Ben Ali était devenue une des principales revendications du mouvement, derrière cet appel se trouvait d’instinct remis en question l’ensemble du système sur lequel reposait le pouvoir de Ben Ali, même si cela n’était pas formulé clairement.

    L’emprise étroite de Ben Ali et de sa famille, qui s’est retrouvée aux commandes de pans entiers de la richesse et des activités profitables du pays grâce à un savant mélange de corruption, d’extortion et autres pratiques mafieuses, est devenue le symbole du pouvoir arrogant et corrompu de la riche classe capitaliste tunisienne. « Non, non, aux Trabelsi qui ont pillé le budget ! » était un des slogans les plus populaires, visant Leila Trabelsi, la deuxième femme de Ben Ali, qui possède d’importants parts dans de nombreuses entreprises tunisiennes. « Il semble que la moitié des membres du monde des affaires tunisien possèdent une connection avec Ben Ali grâce à un mariage, et on dit que ce sont ces relations qui ont le plus contribué à leur fortune », écrivait un ambassadeur américain dans un des câbles diplomatiques publiés récemment par WikiLeaks. Il semble que certains membres de la famille de Ben Ali avaient déjà quitté le pays jeudi par peur des conséquences du mouvement révolutionnaire. C’était le cas par exemple de Mohamed Sakher El Materi, le beau-fils milliardaire de Ben Ali, qui s’était réfugié dans sa villa de luxe à Montréal au Québec.

    Quelles perspectives pour le mouvement ?

    La chute de Ben Ali est maintenant acquise mais, malheureusement, il n’y a jusqu’ici aucune force ouvrière indépendante capable de donner une direction à cette explosion spontanée pour indiquer l’étape suivante, et pour prendre des initiatives afin de faire triompher une révolution politique et sociale qui pourrait radicalement transformer la société tunisenne tout entière. Pour accomplir cela, il faut rompre avec le capitalisme et commencer à élaborer un plan de rénovation de la société selon des lignes socialistes, pour satisfaire aux intérêts de la majorité en instaurant une justice sociale, en résolvant le problème du chômage en donnant un emploi décent à tous, et en donnant libre cours aux aspirations longtemps réprimées en faveur de réels droits démocratiques.

    L’absence d’une direction armée d’un programme socialiste clair et capable d’expliquer quelles sont les prochaines étapes nécessaires pour faire progresser le mouvement pourrait avoir comme conséquence un reflux temporaire du mouvement. Le vide politique laisse ouverte la possibilité à toutes sortes de forces de venir exploiter la situation à leur propre avantage. Dans une telle situation, il n’est pas exclu d’assister à un coup d’État militaire justifiant son action par la nécessité d’un “grand nettoyage”. Un tel coup d’État pourrait même bénéficier d’un certain soutien populaire. D’un autre côté, certains dirigeants de l’opposition bourgeoise, qui avaient déjà tenté de qualifier le discours de Ben Ali d’“ouverture” de la part du gouvernement (le principal dirigeant de l’opposition, Najib Chebbi du Parti démocratique progressiste, a qualifié l’allocution présidentielle de « très bonne », tandis que Moustapha Ben Jaafar, le chef du Forum démocratique pour le travail et les libertés, a dit que le discours de Ben Ali « ouvrait des possibilités »), vont essayer de se mettre en avant et d’utiliser leur écartement de la vie politique pour préserver l’ordre ancien.

    Vendredi soir, après que le Premier Ministre Mohamed Ghannouchi ait déclaré prendre les commandes en tant que dirigeant parce que Ben Ali était « temporairement dans l’incapacité d’accomplir son devoir », il y a eu des rumeurs de protestations continues devant le Ministère de l’Intérieur, appelant à la démission immédiate de Ghannouchi. Par la suite, le Conseil constitutionnel a annoncé que le dirigeant de la chambre basse du Parlement, Fouad Mebazaa, serait le Président intérimaire. La Constitution requiert que de nouvelles élections présidentielles soient organisées dans les 60 jours à partir d’aujourd’hui. Ces gens sont en train de se préparer à poignarder dans le dos la lutte héroïque des masses ! Ghannouchi est un économiste qui a passé l’entièreté de sa carrière politique aux côtés du Président Ben Ali, tandis que Mebazaa fait lui aussi partie de la même élite politique corrompue. Comme l’a fait remarquer Youssef Gaigi, un militant tunisien cité par Al-Jazeera : «Les gens ne savent pas s’ils peuvent faire confiance à ce type, parce qu’il fait lui aussi partie de l’establishment. Il a fait partie du parti politique qui a dirigé la Tunisie pendant ces 23 dernières années, et il était fortement impliqué dans le précédent gouvernement, qui est maintenant appelé une dictature ».

    Les masses n’ont pas dépensé autant d’énergie, fait autant de sacrifices, versé autant de sang pour voir tout bêtement d’autres membres de l’élite dirigeante, étroitement associés à l’ancien régime, prendre la place de Ben Ali. Le premier jour après que le gouvernement Ben Ali se soit enfui, le gouvernement a déployé l’armée, la police et les services de sécurité dans les rues. Que cela serve d’avertissement aux travailleurs, aux chômeurs, aux jeunes et aux masses pauvres des régions urbaines et rurales. Officiellement c’était pour assurer “la loi et l’ordre”, mais tandis que la population laborieuse veut de l’ordre dans sa vie, ce n’est pas le but du gouvernement. “La loi et l’ordre” que désirent les associés de Ben Ali sont celles qui leur permettent de garder le contrôle. C’est pourquoi il est essentiel que la population s’organise et construise des organisations indépendantes de masse capables d’élaborer une stratégie révolutionnaire afin de sortir de l’impasse et d’éviter que la révolution ne soit volée par en-haut.

    Les travailleurs et les jeunes ne devraient accorder aucune confiance à aucune forme de repartage du pouvoir entre ces bandits pillards et meurtriers. Il ne faut pas permettre la persistance de l’appareil répressif de l’ancien régime, ni que le vieux gouvernement puisse rester au pouvoir. En ce qui concerne les appels à un “gouvernement d’unité nationale” – ce qui est de plus en plus suggéré par d’importantes couches des partis d’opposition –, cela n’aurait un sens que s’il s’agit d’un gouvernement d’unité de la classe ouvrière et de tous les opprimés, un gouvernement qui représente véritablement les masses en lutte, désireux de balayer l’ensemble de ceux qui ont participé au et profité du régime de Ben Ali, et qui s’oppose fermement à tout compromis avec l’ensemble des dirigeants capitalistes, qu’il s’agisse d’associés proches de Ben Ali ou pas. Toute autre forme d’“unité” reviendrait à la neutralisation du mouvement révolutionnaire et à ce que ce mouvement soit relégué au rang de force auxiliaire pour remplacer un clan d’oppresseurs par un autre. De vraies élections véritablement démocratiques peuvent être organisées sous le contrôle démocratique des travailleurs ; c’est là la seule manière d’empêcher les tentatives de récupérer la révolution par les partisans de l’ancien régime.

    Dans ce sens, la question de qui contrôle la richesse et les moyens de production du pays est devenue un des enjeux cruciaux auxquels est confronté le mouvement s’il veut résoudre la crise du chômage et de la misère. De fait, tant que les relations économiques demeureront sur une base capitaliste, orientée vers les profits de quelques-uns (qui que soient ces quelques-uns !), aucun changement fondamental et durable ne pourra être effectué dans les conditions de vie de la majorité. Seule la classe ouvrière organisée, en prenant le contrôle des secteurs-clés de l’économie, peut réaliser un tel changement.

    Une partie de la direction de la fédération syndicale UGTT (Union générale des travailleurs tunisiens) partage des relations amicales et de longue date avec la dictature ; par exemple, le secrétaire général de l’UGTT a réitéré son soutien à Ben Ali, seulement quelques jours avant sa chute. Malgré tout ceci, le syndicat a finalement été débordé par l’impact de la vague révolutionnaire sur ses 500 000 affiliés, et a donce été forcé à appeler à l’action. « Loyal au régime depuis la fin des années ’80, l’UGTT a soutenu la réelection du Président Ben Ali en 2009.Toutefois, son rôle depuis le début du mouvement le 17 décembre 2010 à Sidi Bouzid est plutôt différent. De nombreux débats ont tout d’abord été organisés à travers tout le pays dans les bâtiments des sections régionales, qui ont eu pour résultat à la fin de décembre que le secrétaire général de l’UGTT a menacé d’attaque en justice quiconque parmi ces membres participerait à de tels meetings. Le lendemain de Noël, le mouvement, qui reposait sur quelques branches dissidents du syndicat comme la poste ou l’enseignement primaire et secondaire, a graduellement gagné l’ensemble des branches du syndicat » (Mediapart, 12/01/2011).

    Cette semaine, de solides grèves générales de ville ont été organisées à Sfax, à Sousse, à Kasserine, et à Tunis. Dans la capitale, malgré l’appel des dirigeants syndicaux à ne pas manifester pendant la grève générale de deux heures de vendredi, beaucoup de syndicalistes ont défié ces ordres et sont quand même descendus dans les rues. Il est urgent que cette lutte pour balayer l’ancien régime soit étendue et coordonnée, y compris si nécessaire via une grève générale demandant le départ des associés de Ben Ali, les pleins droits démocratiques et un gouvernement des travailleurs et des pauvres. Pour cela, il faut la formation de comités démocratiquement contrôlés, élus par les travailleurs eux-mêmes dans les entreprises et dans les usines. De tels comités d’organisation doivent être mis sur pied dans les quartiers et dans les villages, afin de garantir que la lutte soit partout contrôlée par en-bas, et que chaque organisation politique puisse y défendre son point de vue et ses propositions en termes de suivi du mouvement actuel. De tels comités pourraient ensuite se coordonner les aux autres sur une base locale, régionale, et nationale, afin d’édifier les fondations d’un gouvernement des travailleurs et des pauvres.

    Un tel gouvernement – dans lequel chaque responsable élu ne gagnerait pas plus que le salaire d’un travailleur moyen, et serait soumis au droit de révocation à tout moment – pourrait confisquer les principales entreprises et banques qui sont toujours en ce moment aux mains des dirigeants mafieux, pour les placer sous le contrôle et la gestion démocratiques de la population laborieuse dans son ensemble. On jèterait par-là les bases pour commencer la reconstruction socialiste de la société, basée sur la planification démocratique de l’économie dans l’intérêt de tous. De telles mesures constitueraient un exemple éclatant, inspirant les masses de la région tout entière.

    Le CIO est pour la pleine reconnaissance des droits démocratiques, de la liberté d’expression, de la liberté d’association, de la liberté de presse et pour la fin immédiate de l’état d’urgence. Nous appelons à la libération immédiate de tous les prisonniers politiques en Tunisie et à la constitution de tribunaux ouvriers afin de juger les criminels, les assassins et les bourreaux qui sont toujours en maraude et qui occupent même d’importantes positions dans l’appareil d’État. L’avenir de la Tunisie ne doit pas être déterminé par un accord entre des éléments de l’ancien régime et les dirigeants de l’opposition pro-capitaliste ; au lieu de ça, il faut des élections transparentes et pleinement démocratiques pour une Assemblée constituante révolutionnaire, dans laquelle les représentants des travailleurs et des pauvres pourraient décider de l’avenir du pays.

    Nous appelons à l’organisation d’actions de solidarité avec la lutte tunisienne à l’échelle internationale. Des initiatives peuvent aider à structurer une campagne internationale afin de propager le soutien de manière active pour la révolution tunisienne en cours.

  • Accuser l’impérialisme. “La Grande Guerre pour la Civilisation : La Conquête du Moyen-Orient”

    Qui donc porte la responsabilité de la catastrophe au Moyen-Orient ? Dans ce livre, le journaliste Robert Fisk tente de retracer tous les événements qui se sont déroulés dans cette région au cours des 30 dernières années.

    Revue par Per-Ake Westerlund.

    Fisk a connu plus d’aventures que la plupart des héros de films. Parmi les gens qu’il a interviewés en tant que reporter figurent l’Ayatollah Khomeini et Oussama ben Laden, l’un pour le Times, l’autre pour The Independant. Il se trouvait en Iran pendant et après la révolution de 1979. Il a visité plusieurs fois la ligne de front des deux côtés pendant la guerre entre l’Iran et l’Iraq, en 1980-88. Il a accompagné les troupes russes dans les années 80’s jusqu’en Afghanistan, et y a été battu par une foule en colère après les bombardements américains de 2001. Il est arrivé à Bagdad par le dernier avion juste avant que Bush ne lance ses premiers missiles en mars 2003.

    Fisk est toujours volontaire pour prendre des risques afin de se faire sa propre opinion sur ce qui se passe réellement. Il a de plus en plus défié la majorité des médias, par sa critique de la guerre d’Iraq et de l’oppression des Palestiniens par l’Etat d’Israël. Par conséquent, ce qu’il écrit vaut toujours la peine d’être lu, et c’est encore plus le cas pour ce livre, qui comprend plus de 1000 pages sur l’histoire récente du Moyen-Orient. Si le point de départ est la propre expérience de l’auteur, le thème n’en est pas moins la responsabilité des puissances occidentales dans la guerre, la souffrance et la dictature dans cette partie du monde. Une de ses conclusions est que « historiquement, il n’y a jamais eu d’implication de l’Occident dans le monde arabe sans que s’ensuive une trahison ».

    Fisk écrit que le 11 septembre n’est pas la raison de ce livre, mais plutôt une tentative d’expliquer l’enchaînement des événements qui a mené aux fameux attentats. Comment Oussama ben Laden a-t-il pu remporter tous les sondages de popularité ? D’où vient-il ? La réponse se trouve dans l’histoire. Tout au long du 20ème siècle, les puissances occidentales ont démarré des guerres, occupé des pays, et renversé des régimes au Moyen-Orient, encore et encore. Selon Fisk, tout Arabe raisonnable serait d’accord de dire que les attentats du 11 septembre sont un crime, mais demanderait aussi pourquoi le même mot n’est pas employé lorsqu’on parle des 17 500 civils tués par l’invasion du Liban par Israël en 1982. Alors que les régimes du Moyen-Orient – l’Egypte, l’Arabie Saoudite, la Jordanie, la Palestine actuelle de Mahmoud Abbas – sont en excellents termes avec les Etats-Unis, ben Laden et d’autres islamistes ont rappelé aux masses toutes les guerres contre les musulmans dirigées par les USA et Israël. Avec l’échec sur le plan international des partis communistes staliniens et du mouvement social-démocrate à montrer la voie à suivre pour la lutte, c’est la religion qui est apparue comme un facteur politique. C’est le même facteur qui a également été utilisé par des régimes qui se prétendaient comme étant des musulmans authentiques – parmi lesquels le régime de Saddam Hussein des dernières années n’était pas des moindres.

    A la suite du 11 septembre, George Walker Bush, avec le soutien des « dirigeants mondiaux », a décidé de bombarder ce pays déjà dévasté qu’était l’Afghanistan. Lorsque ce pays a été envahi par l’Union Soviétique en 1980, cela était le début d’une guerre qui allait durer 16 ans, avec plus d’un million de morts et six millions de réfugiés. Le régime stalinien déclinant de Moscou fut forcé à une retraite en 1988, après une longue guerre contre les « saints guerriers » moudjahiddines, que le président Reagan saluait en tant que « combattants de la liberté ». Parmi eux se trouvait un contingent saoudite, mené par le milliardaire ben Laden, financé et encadré par la CIA, la monarchie saoudite, et le Pakistan. A partir de 1988, le pays sombra dans la guerre civile entre différentes troupes de moudjahiddines, avant la prise du pouvoir par les Talibans en 1966. Les Talibans étaient des enfants de réfugiés afghans vivant dans la misère, élevés dans des écoles islamistes de droite au Pakistan, et armés par les services secrets pakistanais. Les Talibans prirent rapidement le contrôle du pays et établirent un régime islamiste fortement réactionnaire, notoire pour sa répression des femmes, son interdiction de la musique, etc. Oussama ben Laden, en conflit avec les Saoudites et les Américains après la première guerre d’Iraq en 1991, fut accueilli par les Talibans avec tous les honneurs.

    Malgré le caractère du régime taliban, Fisk avait prévenu à quoi allaient mener les bombardements de Bush Jr. L’Alliance du Nord, les troupes au sol alliées de Bush, était elle aussi constituée d’assassins islamistes de droite – bien qu’opposés aux Talibans. Le nouveau président, Hamid Karzai, est un ancien employé d’Unocal, une compagnie pétrolière américaine qui essayait d’obtenir un contrat avec les Talibans au sujet d’un pipeline reliant l’Asie Centrale au Pakistan. Les avertissements de Fisk s’avérèrent rapidement fondés, de sorte qu’aujourd’hui la population locale se retrouve de nouveau piégée dans une guerre entre les troupes menées par les Etats-Unis d’une part, et les nouvelles forces des Talibans de l’autre.

    Fisk nous fournit également un important récit des développements en Iran depuis1953, lorsque le Premier Ministre élu, Mohammad Mossadegh, fut renversé après qu’il ait nationalisé les installations de la Compagnie Pétrolière Anglo-iranienne (aujourd’hui devenue British Petroleum – BP). Dans les années 1980’s, Fisk a interviewé un des agents britanniques qui, avec la CIA, avait dirigé le coup d’Etat et installé le régime du Shah et de sa répugnante police secrète, la SAVAK. Le Shah devint un allié de confiance pour l’impérialisme américain en tant que fournisseur de pétrole et soutien militaire. A la base, cependant, le nationalisme iranien et la haine des Etats-Unis n’en furent que renforcés.

    La situation finit par exploser lors de la révolution de 1979. Fisk cite Edward Mortimer, un de ses amis reporters, qui avait décrit ce mouvement en tant que « révolution la plus authentique de l’histoire mondiale depuis 1917 ». La principale faiblesse de Fisk est qu’il ne comprend pas le rôle de la classe salariée, bien qu’il insiste sur le fait que « les pauvres des villes » furent la principale force de la révolution. Les slogans et les espoirs des travailleurs et des organisations de gauche pour une « démocratie populaire » entrèrent bientôt en conflit avec les intentions des islamistes et des mollahs. La classe salariée dans le nord de l’Iran avait confisqué la propriété capitaliste, tandis que le régime de Khomeini, basé sur des couches urbaines plus riches, était contre toute forme d’expropriation. Pendant une longue période, la gauche pouvait se rallier un large soutien. Fisk décrit la manière dont un demi-million d’étudiants manifestèrent avec le Fedayin, alors illégal, en novembre 1979. Khomeini dut agir petit à petit pour écraser la gauche et les organisations de la classe salariée. Il exploita au maximum le conflit avec l’impérialisme américain, conduisant les partis communistes pro-Moscou, comme le Tudeh, à soutenir Khomeini jusqu’à ce qu’ils soient démantelés de force en 1983. Même alors, le régime au pouvoir en Russie ne voyait aucun problème à fournir des armes à Téhéran. Des purges massives furent menées pendant la guerre contre l’Iraq, parfois sur base d’informations « anti-communistes » fournies par l’Occident. Au cours de l’année 1983, 60 personnes par jour ont été exécutées, parmi eux de nombreux jeunes.

    Lorsque la machine militaire de Saddam attaqua l’Iran en 1980, le sentiment dans les médias et chez les « experts » était que l’Iraq remporterait une victoire rapide. Mais les troupes se retrouvèrent rapidement bloquées sitôt passée la frontière, et l’armée iraqienne commença à envoyer des missiles sur les villes iraniennes, y compris des armes chimiques. Fisk donne des rapports détaillés et émouvants en provenance du front, décrivant les horreurs qui s’y passent et interviewant des enfants soldats, enrôlés pour devenir des martyrs.

    Les puissances occidentales ne remirent à aucun moment en cause leur confiance en Saddam – c’est en 1983 que Donald Rumsfeld, alors secrétaire à la défense aux Etats-Unis, comme en 2003, rendit sa fameuse visite à Saddam – même si certains d’entre eux vendirent des armes à chacun des deux camps tout au long du conflit qui dura huit ans et coûta plus d’un million de vies. Plus de 60 officiers américains opéraient en tant que « conseillers militaires » auprès de Saddam, lequel bénéficiait également des données satellites de Washington. L’Arabie Saoudite paya plus de 25 milliards de dollars pour financer les frais de guerre de Bagdad. Le Koweït et l’Egypte furent eux aussi des mécènes enthousiastes. Même lors de l’Anfal, la terrible guerre que Saddam mena contre les Kurdes en Iraq du Nord, personne en Occident ne protesta. Rien qu’à Halabja, 5000 Kurdes furent tués par des armes chimiques les 17 et 18 mars 1988.

    La marine américaine était mobilisée dans le Golfe Persique, afin de menacer l’Iran. Un missile américain fut tiré sur un avion civil iranien qui transportait des passagers civils. L’hypocrisie américaine, cependant, fut révélée à tous lors de l’affaire Iran-Contra, en 1986. Les USA avaient vendu 200 missiles en secret à l’Iran dans l’espoir de pouvoir récupérer des otages américains qui avaient été capturés au Liban par des groupes liés à l’Iran. L’argent obtenu par la vente des armes fut ensuite envoyé aux troupes réactionnaires des Contra, au Nicaragua.

    Lorsque Saddam Hussein envahit le Koweït en 1990, il avait rendu visite à l’ambassadeur américain à Bagdad qui lui avait donné l’impression que Washington n’allait pas réagir. Il était toujours l’agent de l’Occident. En juin 1990, le gouvernement britannique avait encore approuvé la vente de nouvel équipement chimique à l’Iraq. Le Koweït avait fait partie de la même province de l’Empire Ottoman que l’Iraq jusqu’en 1889, et avait failli être à nouveau rattaché à l’Iraq en 1958, ce qui avait été empêché par les troupes britanniques.

    Mais l’enjeu ici était le pétrole, et les intérêts des autres alliés des Américains. Le régime saoudite invita les troupes américaines dans le plus important des pays islamiques, ce qui eut plus tard d’importantes répercussions. L’escalade qui mena à la guerre se forma sous l’illusion d’une alliance avec le drapeau des Nations-Unies, mais dans la pratique ce fut la plus grosse intervention américaine depuis la retraite humiliante du Vietnam. Mais cette fois-ci, la guerre démarra par un bombardement massif, qui dura 40 jours et 40 nuits, avec 80 000 tonnes d’explosifs, plus que pendant toute la seconde guerre mondiale. Parmi les cibles se trouvaient des ponts, des centrales électriques, et des hôpitaux. Les troupes de Saddam devaient se contenter de rations de survie, et fuirent de panique au moment où l’offensive au sol fut lancée. Entre 100 000 et 200 000 iraqiens furent massacrés par les attaques des avions, tanks et troupes américains.

    George Bush père appela alors à une grande insurrection contre Saddam, mais laissa les rébellions kurdes et chiites se faire réprimer ddans le sang. Fisk cite un officier américian disant "mieux vaut le Saddam que nous connaissons" que n’importe quel autre régime dont on serait moins certain. Plus de gens moururent lors de l’étouffement des émeutes qu’au cours de la guerre en elle-même, et deux millions de Kurdes devinrent des réfugiés.

    Les mêmes Etats arabes qui, quelques années plus tôt, avaient financé la guerre de Saddam en Iran, payèrent également la nouvelle facture, de 84 milliards de dollars. Et dans les deux années qui suivirent, les Etats-Unis vendirent des armes d’une valeur de 28 milliards de dollars à tous les pays de la région.

    Contre cet Iraq à l’infrastructure détruite et à la population appauvrie, les Nations Unies décidèrent d’appliquer toutes sortes de sanctions, qui conduisirent à ce que « 4500 enfants meurent chaque jour », selon Dannis Halliday, représsentant de l’Unicef en octobre 1996. Robert Fisk raconte la manière dont les enfants, victimes de munitions à l’uranium appauvri, souffrent de cancers – un mal dont souffrent également beaucoup de soldats américains. En plein milieu de la crise humanitaire, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne poursuivirent leurs raids de bombardements aériens, notamment le jour du Nouvel An 1999.

    Après le 11 septembre et les attaques sur l’Afghanistan, il était clair que Bush, Rumsfeld et leurs conseillers néoconservateurs visaient l’Iraq. Fisk énumère chacun des arguments qu’ils inventèrent pour se justifier, des « armes de destruction massive » aux « connections » avec al-Qaïda. De plus, George W Bush promettait « la démocratie pour tout le monde musulman », un objectif pour lequel il ne consulta que très peu ses amis d’Arabie Saoudite, d’Egypte et du Pakistan. L’appareil de propagande exigea alors que le soutien de l’Occident à Saddam soit oublié. La « guerre contre la terreur », à ce stade, signifiait aussi le soutien à Israël et à la guerre que la Russie menait en Tchétchénie. Les critiques de Fisk firent en sorte qu’il fut montré du doigt en tant que partisan du régime de Saddam.

    Cette guerre, que Fisk suivit à partir de Bagdad, signifiait encore plus de bombardements que 12 ans plus tôt. Fisk contraste les missiles dirigés par ordinateur aux hôpitaux sans ordinateurs qu’il visita. Les Etats-Unis lâchaient également des bombes à fragmentation contre les civils, ce qu’Israël a aussi fait par deux fois au Liban.

    Fisk demeura à Bagdad après sa « libération », le 9 avril 2003, lorsque le pillage de masse fut entamé. Les troupes américains ne protégeaient que le pétrole et les bâtiments du Ministère de l’Intérieur. A Bagdad, des documents vieux de plusieurs millénaires furent détruits lorsque les généraux américains pénétrèrent dans les palais de Saddam. Les Américains agirent comme le font tous les occupants, écrit Fisk. Les manifestants furent abattus ; Bremer, le consul américain pendant la première année, interdit le journal du dirigeant chiite Moqtada al-Sadr ; des soldats américains paniqués fouillèrent des maisons. Avec les prisons d’Abu Ghraïb et de Guantánamo, les Etats-Unis ont également copié les méthodes de torture chères à Saddam, allant jusqu’à réemployer le même médecin-en-chef. Les USA « quitteront le pays. Mais ils ne peuvent pas quitter le pays… », est le résumé que Fisk nous donne de la crise de l’impérialisme en Iraq, une description qui est toujours exacte aujourd’hui.

    Le livre de Robert Fisk contient beaucoup d’action, mais aussi de nombreux sujets d”analyse intéressants. Il écrit au sujet du génocide arménien de 1915 ; de la guerre de libération et de la guerre civile des années 90’s en Algérie ; de la crise de Suez en 1956. Il suit à la trace les producteurs du missile Hellfire utilisé par un hélicoptère Apache israélien qui tua des civils dans une ambulance au Liban. Il dit que le coût d’une année de recherche sur la maladie de Parkinson (qui emporta sa mère) est équivalent à cinq minutes de la dépense mondiale d’armes dans le monde. Il analyse la Jordanie et la Syrie ; il écrit au sujet de son père, qui était un soldat dans la première Guerre Mondiale. Ses critiques massives et bien fondées, toutefois, ne deviennent jamais des critiques du système, du capitalisme ni de l’impérialisme. A chaque fois qu’il parle des attaques militaires britanniques ou américaines, il dit « nous ».

    Les travailleurs et les socialistes eu Moyen-Orient et partout dans le monde doivent tirer les conclusions nécessaires de l’histoire de la région et des événements qui s’y déroulent actuellement. La classe salariée, alliée aux pauvres des villes et aux paysans, a besoin d’un parti révolutionnaire et socialiste, capable d’unifier la classe dans la lutte contre le capitalisme, l’impérialisme et la dictature, au-delà des différences religieuses et ethniques.

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