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Tag: Grande Dépression
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Leçons des années ’30 pour les luttes des travailleurs

“Le choc du COVID-19 sur l’économie mondiale a été à la fois plus rapide et plus grave que… même la Grande Dépression” Ce commentaire de l’économiste Nouriel Roubini du 24 mars indique la possibilité croissante que les événements mondiaux nous fassent entrer dans une période entièrement nouvelle. L’une des manières de s’y préparer est d’étudier les années ’30 pour en tirer les leçons.Par Per-Åke Westerlund, Rättvisepartiet Socialisterna (section suédoise d’Alternative Socialiste Internationale)
Les années 1930 constituent une décennie où le sort du système capitaliste était en jeu. Avec une internationale socialiste révolutionnaire forte et des partis de masse, la colère et la volonté de lutter auraient pu mettre fin à ce système. L’un des meilleurs romans de cette décennie, Les raisins de la colère de John Steinbeck, illustre les difficultés d’une famille pendant la Dépression, en route vers une société meilleure.
Les années 1920 et les bulles spéculatives
La période précédant la Grande Dépression présente de nombreuses similitudes avec celle ayant précédé la crise de 2008-09, des caractéristiques qui se sont répétées à une échelle encore plus grande dans la décennie suivante. Les années 1920 ont posé les bases de la dépression déclenchée par le crash de Wall Street en octobre-novembre 1929. Cependant, en étudiant ces processus, il est important de comprendre que la raison fondamentale de ces crises est le système capitaliste lui-même.
L’une des principales contradictions du système est la recherche de marchés et la production mondiale, alors que la classe capitaliste, la bourgeoisie, est nationaliste. La classe capitaliste dépend de l’État national et de ses forces pour être compétitive au niveau international et pour régner sur les travailleurs et les opprimés dans son propre pays.
La fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle ont été marqués par un processus simultané de mondialisation et de renforcement des États nationaux. De même, la mondialisation rapide des années 1990 et du début des années 2000 s’est accompagnée d’une augmentation continue des dépenses militaires, bien que celle-ci ait été un peu plus lente immédiatement après l’effondrement du stalinisme.
La mondialisation capitaliste n’est pas un processus harmonieux, elle donne naissance à de nouvelles contradictions plus aiguës. La mondialisation d’il y a un siècle s’est terminée par la première guerre mondiale, le conflit le plus sanglant que le monde ait connu à l’époque. Les révolutions russe et allemande ont mis fin à la guerre, mais il restait de vifs conflits inter-impérialistes. L’Internationale communiste fondée en 1919 prédisait qu’une nouvelle guerre impérialiste aurait lieu si la classe ouvrière ne prenait pas le pouvoir.
L’impérialisme américain est sorti de la guerre économiquement renforcé, contrairement à toutes les autres puissances impérialistes. Au cours des années 1920, 60 % des flux de capitaux mondiaux provenaient des États-Unis. Leur économie était considérée comme un modèle, Wall Street étant le centre financier mondial et les grands monopoles y étaient dominants. La propagande capitaliste disait que chaque ménage aurait bientôt une voiture. Herbert Hoover a remporté une victoire écrasante aux élections présidentielles de 1928 en prédisant la “victoire finale sur la pauvreté”.
En Europe, les classes capitalistes craignent les révolutions qui ont secoué la plupart des pays après la guerre. Puis a suivi un fort ralentissement économique, qui a alourdi le fardeau de la dette déjà élevé à cause de la guerre. La façon de mettre en œuvre l’austérité que les capitalistes souhaitaient était de passer par des accords internationaux, prédécesseurs de l’Union européenne. Une conférence monétaire internationale tenue à Gênes en 1922 a préconisé la convertibilité de l’or, la discipline budgétaire et l’indépendance des banques centrales. En outre, à commencer par la Grande-Bretagne, de nombreux pays sont revenus à l’étalon-or comme moyen d’imposer l’austérité, les dévaluations et les stimuli financiers étant devenus impossibles.
La propagande disait que les marchés feraient la paix. Les marchés financiers volatils étaient censés être contrôlés par la Banque des règlements internationaux, créée en 1928.
Comme au cours des dernières décennies, les inégalités ont fortement augmenté dans les années 1920. Aux États-Unis, les salaires ont augmenté de 1,4 % par an tandis que les revenus des actionnaires augmentaient de 16,4 % par an. Un moyen de maintenir la consommation était d’introduire le paiement à tempérament, ce qui augmentait l’endettement des ménages. Les 200 plus grandes entreprises possédaient 69 % de la richesse et 56 % des bénéfices
1929 : la bulle éclate
Le crédit et les prêts étrangers ont explosé dans les années ayant précédé 1929. De nouveaux instruments financiers ont été inventés. Des banques d’investissement furent fondées pour la première fois. Les entreprises manufacturières devenaient des spéculateurs financiers. Les grandes banques américaines se sont impliquées dans les affaires financières mondiales.
Les politiciens et les capitalistes s’inquiétaient des bulles spéculatives, sans oser agir de peur de déclencher une crise. Encore une fois, comme l’ont fait les gouvernements à travers le monde dans les années 2000. Les sociétés défendaient la valeur élevée de leurs actions en faisant référence à la connaissance et à la bonne volonté. Une société détenue par Goldman Sachs, GS Trading, a plus que doublé sa valeur boursière entre ses débuts en décembre 1928 et février 1929. Au cours de l’été 1929, la valeur des actions aux États-Unis a augmenté de 25 %.
Quelle était la taille du “marché” ? Aujourd’hui, les médias capitalistes considèrent le marché comme une sorte de phénomène naturel, qui doit être bien traité. En 1929, 600.000 des 120 millions d’habitants des États-Unis possédaient des actions. C’était moins d’un pour cent, bien que les négociants vraiment importants étaient bien sûr beaucoup moins nombreux.
La crise est survenue plus tôt en Europe, et déjà en 1927 en Allemagne. Les puissances auxquelles l’Allemagne payait ses dettes de guerre – les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne – ont refusé de revoir leurs exigences à la baisse, ce qui a aggravé la crise.
Le crash ne fut pas un événement isolé, mais un processus qui a fait suite au Jeudi noir du 24 octobre 1929. La Réserve fédérale, les grandes banques de Wall Street et le gouvernement ont fait tout ce qu’ils ont pu, en utilisant toutes les mesures possibles à leur disposition. À plusieurs reprises, la crise a été déclarée terminée, par exemple par le président Hoover le 1er mai 1930. Cependant, un nouvel effondrement majeur de Wall Street a eu lieu en novembre 1930 et a déclenché une spirale descendante de trois ans.
La crise s’éparpille
La Grande Dépression fut une réaction en chaîne. Le crash boursier a déclenché une spirale déflationniste, qui s’est étendue à la production, aux matières premières et au commerce mondial. Les importations américaines ont diminué de 20 % entre septembre et décembre 1929.
La déflation signifie un fardeau accru pour tous ceux qui sont endettés, avec un gel plus ou moins important des nouveaux prêts. La production industrielle a connu une baisse record. Ford a licencié les trois quarts de ses effectifs, passant de 128.000 à 37.000 personnes, sur une période de 18 mois. Cela a eu des effets dévastateurs, mais dans la crise actuelle du coronavirus, le rythme des pertes d’emplois est beaucoup plus élevé.
Le PIB américain a été divisé par deux entre 1929 et 1931, passant de 81 milliards de dollars à 40 milliards. Les coûts salariaux sont passés de 51 milliards en 1929 à 31 milliards en 1931. Les investissements sont tombés à un niveau proche de zéro. Même si les chiffres indiquent que les salaires ont augmenté en proportion du PIB, les conséquences sociales furent catastrophiques. Il y avait de la nourriture, mais pas d’argent pour l’acheter.
Dans le monde entier, des États ont fait défaut, à commencer par l’Amérique latine en 1931 avec la Bolivie, suivie du Pérou, du Chili, du Brésil et de la Colombie. En Europe, la Hongrie fut la première à faire défaut, également en 1931, suivie par la Yougoslavie, la Grèce en 1932, l’Autriche et l’Allemagne après l’arrivée au pouvoir des nazis en 1933. Ces défauts de paiement souverains représentaient un soulagement pour les capitalistes nationaux puisque cela ouvrait la porte à la dévaluation et la réduction de la dette, mais pour les travailleurs et les pauvres, cela signifiait une austérité dramatique.
Nationalisme et protectionnisme
Dans toute crise majeure, la bourgeoisie devient de plus en plus nationaliste, ce qui aggrave encore la crise. Dans un processus parallèle, les partis bourgeois d’opposition, la social-démocratie et même certains partis de “gauche” ont tendance à soutenir “leurs” gouvernements.
Pendant la Grande Dépression, le nationalisme et le protectionnisme ont aggravé la crise. Comme pour Trump aujourd’hui, les plus grandes économies ont ouvert la voie, puisqu’elles avaient une marge de manœuvre bien plus grande pour suivre leur propre chemin, tout en restant dépendantes du marché mondial. En 1933, le nouveau président américain Franklin D. Roosevelt, est arrivé à une conférence internationale à Londres pour déclarer que chaque pays devait se débrouiller avec sa propre économie – monnaie, dettes et déficits. Le gouvernement britannique a accepté, en déclarant que l’exposition aux marchés étrangers était leur talon d’Achille. Pour reprendre les mots de Charles Kindleberger dans son histoire de la Grande Dépression, cela signifiait que personne n’était responsable dans la pire crise mondiale.
La désormais célèbre loi Smoot-Hawley aux États-Unis comportait 21.000 mesures douanières. Le nationalisme et le protectionnisme se sont alors rapidement répandus. “Le Canada d’abord” (canada first) était le slogan gagnant des élections du pays. La Grande-Bretagne et la France ont renforcé leurs échanges commerciaux avec leurs empires coloniaux. L’Allemagne a formé un bloc autour du Reichsmark avec la Hongrie et les pays des Balkans. Le commerce mondial est passé de 2.998 millions de dollars en janvier 1931 à 944 millions de dollars deux ans plus tard. Le chômage a augmenté pour atteindre 24 % aux États-Unis et plus de 30 % en Allemagne.
Roosevelt
La présidence de Roosevelt s’est vue attribuer à tort le mérite d’avoir résolu la crise. En fait, Roosevelt a adopté certaines mesures que les capitalistes n’apprécient pas pour en atténuer les effets. Il a également vivement critiqué la spéculation et les dettes de la période précédente. Cependant, il n’a jamais cherché à changer le système, mais à “sauver le système de profit privé”, comme il l’a dit à ceux qui le critiquaient.
Cependant, il existe de nombreuses similitudes avec la situation actuelle. Les partisans de la privatisation, de la réduction du secteur public et de l’allègement des dettes ont supplié l’État de les sauver en 2008. Les entreprises ont applaudi l’intervention et le soutien de l’État, les décisions prises en faveur de la construction de ponts et de routes, etc.
L’intérêt du capitalisme privé est devenu une priorité pour l’État dans chaque pays. Des mesures “fortes et décisives” ont été prises pour prévenir toute action des travailleurs. Roosevelt était d’ailleurs lui-même particulièrement intéressé par l’arrêt de la vague de grèves de 1934 aux Etats-Unis. Avec le New Deal de Roosevelt, le nombre de chômeurs est passé de 15 à 9 millions, la plupart des nouveaux emplois étant au salaire minimum. Aucun filet de sécurité sociale n’existait, sauf bien entendu pour les grandes entreprises.
Au milieu de l’année 1937, la production aux États-Unis est revenue au niveau de 1929. Les luttes des travailleurs avaient fait augmenter les salaires et donc la consommation. Mais un nouveau ralentissement brutal s’est produit, le mardi noir du 19 octobre 1937. Une crise s’ensuivit, avec une chute brutale de la production et des prix des matières premières. Par exemple, le prix du coton a chuté de 35 % et celui du caoutchouc de 40 %, frappant durement les pays qui dépendaient entièrement des matières premières.
La crise de 1937-38 a prouvé que le New Deal était loin de résoudre la crise. Les faiblesses sous-jacentes du système ont continué à déclencher de nouvelles crises. Et pourtant, seule une économie de la taille des États-Unis avait les moyens de tenter une politique telle que celle-ci. Dans la plupart des pays, la bourgeoisie a remis le pouvoir d’État aux dictatures et même au fascisme, afin d’empêcher la révolution.
Ce qui semblait être un gain dans un seul pays était toujours une perte pour le système mondial. Il n’y avait pas de “puissance mondiale” ou de coopération, pas de “prêteur de dernier recours”, comme l’expliquent Kindleberger et d’autres. Ce n’est qu’avec l’armement et la Seconde Guerre mondiale que la production a repris.
La lutte des classes et la revolution
Les années 20 et 30 furent une période de révolution et de contre-révolution, une ère de rebondissements extrêmes. Personne n’a analysé cette période de manière plus pointue que Léon Trotsky, un révolutionnaire russe qui a dirigé la révolution russe et avait été déporté par la dictature stalinienne. Trotsky a émis toute une série de conseils concrets au mouvement ouvrier et à ses partis.
Dans la lignée de Marx, Trotsky a expliqué que la cause fondamentale de la crise était l’incapacité du système à développer les forces productives, et la collision entre les forces productives et l’État-nation. De plus, la seule façon d’avancer était de résoudre la lutte de classe entre la classe capitaliste et la majorité sociale, la classe ouvrière, pour aboutir au socialisme international.
Malgré la dégénérescence stalinienne de l’URSS, le souvenir de la victoire sur le tsar et le capitalisme était encore frais. Les partis établis ont été minés par la crise, aux côtés des banques et des autres institutions du capitalisme. La société était aux prises avec une radicalisation de masse et une explosion de luttes.
Aux États-Unis, la lutte des classes s’est rapidement intensifiée en 1934, après une première période où la crise avait frappé les travailleurs de léthargie. Un million et demi d’ouvriers étaient en grève en 1934, le Los Angeles Times qualifiant une grève à San Francisco de “révolte communiste”. La grève et le soulèvement des Teamsters à Minneapolis, menés par les trotskystes, ont représenté un modèle d’organisation des travailleurs. Les comités contre les expulsions et les chômeurs se multipliaient. La répression policière contre les travailleurs était massive et brutale. Des grèves avec occupation d’entreprise ont commencé en 1936 et se sont multipliées pour atteindre 477 l’année suivante. La nouvelle fédération syndicale industrielle, la CIO, a été créée en 1935 et a atteint cinq millions de membres en 1936.
Sur le plan international, il y a eu des révolutions et des luttes de masse dans de nombreux pays, avec la France et l’Espagne au premier plan en 1935-36. La “direction” donnée par les partis communistes staliniens et les partis sociaux-démocrates de l’époque a conduit à des défaites dévastatrices, tout comme leur incapacité à bloquer l’arrivée d’Hitler au pouvoir en 1933, malgré l’existence de partis de masse et d’une classe ouvrière organisée, voire armée. Ceci souligne la tâche sérieuse et décisive de construire des organisations et des partis de travailleurs qui peuvent obtenir la victoire et abolir le capitalisme.
Après la Grande Dépression et aujourd’hui
Suite à l’expérience de la Grande Dépression – l’échec économique, l’expérience du fascisme et de la Seconde Guerre mondiale, ainsi que le renforcement du stalinisme après la guerre – les capitalistes ont dû revêtir un visage démocratique. Ils ont été contraints de faire des concessions, par exemple le National Health Service en Grande-Bretagne, les systèmes de protection sociale dans certains pays européens, et même de renoncer à des colonies (tout en conservant leur mainmise économique). Un certain nombre d’institutions sont restées plus discrètes, comme les marchés boursiers, les banques, les entreprises financières. À l’époque de l’après-guerre, c’était un prix qu’elles étaient prêtes à payer.
Cependant, la radicalisation politique des années 60 et 70, la lutte des classes et les révolutions coloniales, la crise économique du milieu des années 70 et la mollesse des partis politiques bourgeois ont conduit les capitalistes à se tourner vers le néolibéralisme et les attaques contre les travailleurs et le bien-être partout. Ils ont apparemment réussi, surtout après la chute du stalinisme et la bourgeoisification de la social-démocratie.
Aujourd’hui, cette période est terminée. Nous allons voir une combinaison de concessions et d’attaques, de politique de stimulation économique et d’austérité, de la part des capitalistes. Avec la nouvelle crise, ces derniers se sont encore plus tournés vers le nationalisme dans la lignée de la tendance initiée en 2018-19. Cette crise va faire comprendre aux masses populaires que le système est fondamentalement mauvais, même à partir d’un faible niveau de lutte et de conscience dans de nombreux pays. La classe ouvrière est loin d’être vaincue, mais elle n’est pas par contre pas organisée.
Les années 1930 nous montrent que le capitalisme survivra à tout prix s’il n’y a pas de mouvement conscient de la classe ouvrière pour l’abolir. La tâche dans cette nouvelle crise est de construire de tels partis et mouvements ainsi qu’une internationale.
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Retour sur la Grande Dépression et les soulèvements ouvriers en Belgique
La Grande Dépression qui a suivi le crash boursier de 1929 a également frappé notre pays avec des répercussions désastreuses pour les travailleurs et leurs familles. Ces derniers ont été amenés à riposter. Démunis face à la crise et sans solution dans cette situation, les dirigeants syndicaux et du parti socialiste (le POB) ont freiné les grèves et la contestation. Cela a conduit à des débordements d’autant plus intenses.Par Geert Cool
La Grande Dépression en Belgique
Après la Première Guerre mondiale, la demande croissante de charbon et le pillage du Congo avaient permis la reprise de l’économie, au côté de l’effet des mesures sociales imposées par le mouvement ouvrier qui était sorti renforcé de la guerre. Le plein emploi fut atteint en 1924 et, en 1925, l’économie était revenue à son niveau de 1914.
Tous les éléments qui ont conduit à la Grande Dépression (l’instabilité sous-jacente du capitalisme due à la baisse du taux de profit, les pertes et dettes résultant de la guerre, la perturbation du commerce mondial, les tensions inter-impérialistes, la spéculation, etc.) jouaient également en Belgique, pays exportateur par excellence. La chute du commerce mondial mit directement l’économie belge sous une intense pression. La production a stagné en 1929 mais, à partir du milieu des années 1930, on assista à une contraction de l’économie et la récession est arrivée. Elle fut d’autant plus dure que les mesures adoptées dans les pays voisins pour soutenir leurs propres économies avaient négativement impacté l’économie belge.
Les conséquences sociales furent désastreuses. En 1932, environ un Belge sur trois était totalement ou partiellement au chômage. En 1932, jusqu’à 40 % des mineurs connaissaient le chômage au moins un ou deux jours par semaine. Parallèlement, les loyers ont très rapidement augmenté. Le budget des ménages était en outre impacté par des mesures telles que les taxes supplémentaires instaurées sur l’importation de farine, par exemple, ce qui a fait exploser le prix du pain.
Le parti social-démocrate POB (Parti ouvrier belge) considérait la récession comme un déséquilibre temporaire entre la production et la consommation et estimait que le mouvement ouvrier devait serrer les dents et simplement endurer la situation. Ainsi, en août 1930, le député liégeois du POB Dejardin écrivit : “La classe ouvrière doit se préparer à une période très difficile, au cours de laquelle elle devra subir des baisses de salaire. Le mot d’ordre des travailleurs doit être : prudence, réflexion et renforcement de l’organisation syndicale. Surtout, n’oubliez pas qu’en temps de crise, les grèves, et certainement les mouvements spontanés, sont plus dangereux pour la classe ouvrière que pour la classe capitaliste”.
Le POB a préféré éviter que le gouvernement tombe. Le parti craignait par-dessus tout de devoir lui-même participer à un gouvernement impopulaire. Les dirigeants syndicaux faisaient également appel à la prudence. Eux aussi étaient dépourvus face à la crise. La direction du POB et celle des syndicats avaient été complètement aspirés dans la logique du capitalisme. Les choses étaient si graves que la Banque du Travail, dont Edouard Anseele fut l’un des fondateurs, a été jusqu’à acheter une plantation de coton au Congo ! C’était une manière d’assurer que cette coopérative soit concurrentielle face aux autres banques. Cela n’a pas empêché la Banque du travail de faire faillite en 1934.
Face à la crise, la réponse de la bourgeoisie était une politique de réduction des coûts pour les patrons par le biais, entre autres, de réductions de salaires. Au même moment, les impôts indirects étaient augmentés afin d’absorber la hausse des dépenses publiques (dont les allocations de chômage). Le POB et les syndicats ont limité leur riposte au rejet des attaques contre les éléments de protection sociale précédemment gagnés par le mouvement ouvrier. Une véritable campagne conservatrice était à l’œuvre et l’on a ainsi pu lire le 7 juillet 1932 dans La Libre Belgique: “Les allocations familiales ruinent le pays”. La bourgeoisie défendait que le pays ne pouvait pas faire face à de pareils frais. Les allocations de chômage et les pensions étaient également en ligne de mire.
La résistance du POB et des syndicats face à ces attaques a conduit, entre autres, à de grandes mobilisations de chômeurs. Mais la social-démocratie n’a pas livré de réponse plus globale à la crise du capitalisme, et encore moins popularisé l’idée d’une transformation socialiste de la société comme un objectif concret à atteindre.
Les grèves des mineurs de 1932
Alarmé, le député démocrate-chrétien Bodart a averti que les travailleurs ne continueraient pas à se résigner : « Il viendra un jour où ils en auront assez et où ils diront avec les manifestants du Borinage : “Mieux vaut être mort que de voir nos enfants mourir de faim”. Tout sera possible ce jour-là, même le pire. » À un certain point, le réflexe de défense individuelle cède la place à la lutte collective. De là sont nées les manifestations spontanées au début de l’année 1932 ou la grande participation aux manifestations de chômeurs durant l’été 1932. Mais c’est surtout lors de la grève des mineurs de 1932 que la colère a éclaté.
Derrière les vagues de grèves spontanées – tant en mai dans le Borinage qu’à partir de la fin juin dans un mouvement de grève plus soutenu au niveau national – se trouvaient plusieurs réductions salariales à un moment où le prix du pain augmentait. Lorsqu’une réduction des salaires a été introduite le 19 juin, des grèves spontanées ont éclaté. Une semaine plus tard, elles semblaient terminées. Le patronat a tenté de profiter de la situation pour licencier des centaines de mineurs. Cependant, cela a déclenché encore plus de grèves : le 6 juillet, le mouvement de grève était général.
La direction du syndicat a été dépassée tandis que les parlementaires du POB se contentaient de présenter un nouveau projet de loi sur la nationalisation des mines, en sachant très bien qu’aucune majorité parlementaire ne pourrait être trouvée pour ce projet. Avec ces propositions législatives, le sommet du POB voulait surtout détourner le mouvement vers le terrain parlementaire au lieu de le renforcer sur le terrain afin d’imposer la nationalisation par une pression d’en bas.
Là où les révolutionnaires, en particulier les trotskystes de l’Opposition de Gauche Communiste (OGC), ont joué un rôle pionnier, la grève a été organisée avec le plus d’implication possible. Au lieu d’assemblées générales (AG) par syndicat avec contrôle à l’entrée, des AG ont été organisées en étant ouvertes à tous et avec participation de la salle. Ce fut le cas à Gilly et Châtelineau, près de Charleroi. Ces AG étaient le lieu où la plate-forme de revendications et les actions ultérieures étaient discutées. Les revendications centrales portaient sur le retrait des réductions de salaires, la répartition du temps de travail disponible, le contrôle du commerce, la réduction de l’âge de la retraite et enfin la nationalisation des mines et des grandes entreprises.
Tout au long du mouvement de grève, l’unité s’est construite de bas en haut. Les femmes et les migrants ont joué un rôle actif, même si les dirigeants du POB étaient au départ très négatifs à l’égard des migrants. Le député Pierard, par exemple, a écrit : “Les travailleurs étrangers ne sont pas aussi durs que les Borains. Nous comprenons certainement le besoin d’avoir de la pitié pour les étrangers qui viennent ici. Nous ne demandons pas que les malheureux Italiens qui sont ici en tant que réfugiés politiques soient renvoyés à la frontière. Mais pour ce qui est des autres ! Aussi internationalistes que nous soyons, nous demandons que nous pensions d’abord aux nôtres, sans travail et sans pain”. Quant à la CSC, elle a notamment exigé la suppression progressive du travail des femmes mariées afin de libérer de l’espace pour les hommes au chômage. Mais dès que la classe ouvrière s’est mobilisée, il est apparu clairement que les divisions entre hommes et femmes ou entre travailleurs belges et migrants affaiblissaient le mouvement. Lorsque, début juillet, la Fédération des mineurs a défendu un accord dans lequel il était proposé de renoncer aux étrangers non mariés, celui-ci a été rejeté de manière imposante par les assemblées générales de mineurs.
Le manque de perspective de la grève, aggravé par l’absence de réponse politique à la crise due au POB et la relative faiblesse du Parti communiste et de l’opposition de gauche trotskyste (qui s’est toutefois fortement développée en raison de son rôle actif dans la grève des mineurs), a rendu difficile la poursuite de la grève. Finalement, un accord a été imposé par le sommet, malgré la forte opposition de la base, laquelle a continué à faire grève en de nombreux endroits pendant des semaines. L’accord a obtenu l’arrêt des réductions salariales en plus de la majoration de 1 %, mais d’autres éléments sont restés très vagues ou ont rapidement disparu de la table une fois le travail repris.
Conséquences
Cela n’a pas mis fin à la crise économique en Belgique. Il n’y a pas eu de reprise. En 1933, le gouvernement a essayé de faire face à la crise par de nouvelles augmentations des impôts indirects, ce qui a entraîné une hausse des prix. Le gouvernement a agi avec les pouvoirs spéciaux: un instrument toujours utilisé pour imposer des mesures “impopulaires” sans même tenir un débat parlementaire. Dès 1933, de nouvelles grèves spontanées à petite échelle ont eu lieu.
La vague de grève spontanée de 1932 a eu des conséquences bien après cette année. Une pression de gauche a été exercée au sein du POB, en partie due à la grève de 1932 et au mécontentement qui s’en est suivi concernant la politique antisociale. À la fin de 1933, le POB a adopté un programme d’investissements et de travaux d’infrastructure en réponse à la crise. Il s’agit du “Plan De Man”, qui a suscité l’enthousiasme d’une grande partie de la population.
En 1936, après l’assassinat de deux syndicalistes socialistes, Pot et Grijp, une grève générale nationale fut déclenchée. La direction syndicale fut à nouveau dépassée et les travailleurs ont réclamé une semaine de 40 heures, une augmentation générale des salaires, un salaire minimum de 32 francs par jour et six jours de congés payés. Le gouvernement et le patronat ont été forcés de faire des concessions. Ils craignaient une nouvelle expansion du mouvement de grève et avaient l’expérience de 1932 encore fraîche dans leur esprit. Avec le couteau de la grève sur la gorge, une augmentation de salaire de plus de 7% a été accordée, en plus de l’introduction d’un salaire minimum légal, de la semaine de 40 heures dans les mines et de six jours de congé payé pour tous les travailleurs.
Une période de crise économique et de dépression peut initialement avoir un effet paralysant sur la lutte des travailleurs. Elle a un effet encore plus grand sur les dirigeants politiques et syndicaux pour qui le changement social n’est pas lié à la lutte quotidienne pour préserver et étendre les conquêtes sociales. La colère et le réflexe de défense individuelle se transforment inévitablement en luttes collectives de la part de travailleurs qui ne veulent pas, et souvent ne peuvent pas, payer la crise. Imposer des concessions exige un rapport de force que les patrons redoutent. “La bourgeoisie doit être terrifiée pour être rendue docile”, a fait remarquer Trotsky.
Pour construire une gauche cohérente, il faut s’engager dans la lutte, défendre une issue et la rendre concrète, tant en ce qui concerne l’organisation de la lutte que le programme de transformation socialiste de la société. Un mouvement socialiste révolutionnaire fortement organisé et implanté est nécessaire pour mettre fin au capitalisme, un système qui condamne sans cesse les travailleurs à de nouvelles crises.