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  • Environnement. Pénurie énergétique et changement climatique : Il faut une planification socialiste pour les énergies alternatives

    Un spectre hante le monde – le spectre du changement climatique irréversible. Mais en même temps, le monde est saisi d’une soif désespérée d’énergie. Chaque année, nous générons et utilisons de plus en plus, produisons de nouveaux produits, tandis que les habitants des pays riches sont persuadés de jeter leurs vieux produits. Au Royaume-Uni, la consommation d’énergie est restée à peu près constante pendant les 30 dernières années, parce que presque tous nos biens de consommation sont importés. L’énergie qui est nécessaire à la fabrication de ces produits, par exemple, en Chine, est une des raisons pour lesquelles la demande en énergie s’est tellement accrue. Mais la demande en énergie n’est pas simplement un besoin de l’“Occident avide”.

    Par Geoff Jones, Socialist Party of England and Wales (CIO-Angleterre et Pays de Galles)

    Au fur et à mesure que les travailleurs des pays en voie de développement s’organise et obtiennent le droit à la parole, ils demandent eux aussi le droit de pouvoir posséder tous ces biens que nous tenons pour indispensables à la vie : des frigos, des lampes électriques, des radiateurs ou climatiseurs.

    La construction de routes, de chemins de fer, de logements décents, tout cela demande de l’énergie, même si de nouvelles technologies permettent aujourd’hui de ralentir la croissance de cette demande – par exemple, l’utilisation de téléphones portables nous épargne la nécessité de mettre en place un réseau de câbles téléphoniques ; les ampoules LED consomment beaucoup moins que les ampoules incandescentes traditionnelles.

    La concentration de dioxyde de carbone et autres gaz à “effet de serre” dans l’atmosphère terrestre augmente de plus en plus. Cette augmentation de leur concentration va mener à une hausse de la température mondiale, dont les conséquences pourraient être catastrophiques pour l’humanité. 87 % de notre énergie dans le monde est produite en brulant des carburants fossiles non-renouvelables – essentiellement le pétrole, le gaz et le charbon –, ce qui génère du dioxyde de carbone.

    Au Royaume-Uni, la proportion est presque la même, bien que le gouvernement Con-Dem se soit engagé à ce que 15 % (à peine) de notre énergie provienne de sources d’énergie renouvelables d’ici 2020. Une telle politique qui finalement ne mène à aucun changement, ne peut que nous conduire à la catastrophe.

    Les sources d’énergie aujourd’hui

    Aujourd’hui, la plupart de notre énergie est produite par de grosses multinationales dont le seul but est une offre sur le court terme et de super profits.

    Pour extraire le pétrole, ils passent des contrats avec les seigneurs féodaux du Moyen-Orient, et ils transforment des terres agricoles en déserts pollués. Ce n’est que lorsque la pollution causée par l’extraction du pétrole apparait plus proche de chez eux, comme on l’a vu avec la catastrophe du golfe du Mexique, que les multinationales pétrolières (essentiellement américaines) affichent un tant soit peu de repentir – mais ça ne dure jamais qu’un bref moment.

    Cela fait une génération que l’offre mondiale de pétrole est dominée par les dictatures du golfe Persique. L’Arabie saoudite produit ainsi à elle seul le dixième des exportations de pétrole. Cherchant désespérément d’autres sources, les compagnies pétrolières bâtissent des plate-formes pétrolières en haute mer qui forent de plus en plus profond et dans des zones de plus en plus dangereuses.

    L’ironie suprême est que le réchauffement climatique lui-même cause la fonte des glaces polaires, ce qui ouvre tout d’un coup l’accès aux immenses gisements de pétrole et de gaz de l’Arctique, ce qui ne peut avoir pour conséquence qu’une hausse encore plus catastrophique de la température mondiale.

    L’exploitation à ciel ouvert des sables bitumineux du nord du Canada, qui est un procédé extrêmement polluant et inefficace, fournit malgré tout 20 % des importations de pétrole américaines. À présent, il y a un projet de démarrer une exploitation qui créera dans le nord du Canada un désert toxique de la taille de l’Arabie saoudite, qui amènera ensuite le pétrole sur la côte Pacifique à l’ouest afin qu’il puisse y être acheminé vers la Chine. Ce projet a déjà provoqué de nombreuses manifestations.

    Certains “biocarburants” sont une source alternative d’énergie, mais leur culture implique la destruction d’immenses superficies de forêt tropicale en Amérique latine et la reconversion de terrains aux États-Unis et ailleurs uniquement pour la production de maïs, à fins de biocarburant. Toutes ces terres pourraient à la place être employées pour cultiver des vivriers.

    Après le pétrole, le gaz naturel est la deuxième plus grande source d’énergie du Royaume-Uni ; dans le monde, ce combustible est troisième derrière le charbon et le pétrole. Dans les années ’80 et ’90, les Tories ont utilisé les champs de gaz de la mer du Nord pour restaurer leur économie capitaliste en faillite. À présent ces gisements sont presque épuisés. En 2011, les importations de gaz ont excédé la production nationale pour la première fois.

    Dans le reste du monde, la production continue de s’accroitre, mais les réserves ne sont évidemment pas inépuisables. En outre, rien ne permet d’empêcher les exportateurs d’augmenter leurs prix sans prévenir (comme l’Opep, Organisation des pays exportateurs de pétrole, l’avait fait en 1973 en décidant subitement une hausse de +70 %), ou d’éviter de couper totalement leurs fournitures énergétiques, comme la Russie l’a fait subir à l’Ukraine en 2009 en coupant le “robinet à gaz”.

    La nouvelle panacée serait à présent la “fracturation hydraulique” – un forage profond dans les couches de schiste géologiques pour en extraire du gaz. Au Royaume-Uni, les ministres Con-Dem ont sauté sur cette occasion pour permettre aux firmes privées de foncer sur ce nouveau créneau, même après qu’une première expérience ait déclenché des séismes mineurs et ait révélé un véritable risque de pollution des eaux souterraines.

    Les Tories parlent de gaz “bon marché”, mais le gaz qui sera ainsi produit sera vendu sur le marché mondial ; donc son prix sera aligné sur le prix mondial. De toute manière, un récent rapport indique que le cout de l’extraction par fracturation hydraulique serait plus élevé que le prix mondial actuel du gaz.

    Enfin, il y a le charbon. La Chine est le plus grand producteur de charbon mondial. Elle extrait trois fois plus de charbon que les États-Unis et six fois plus que l’Inde, qui sont les deux autres plus grands producteurs mondiaux. Depuis que les Tories ont détruit l’industrie charbonnière britannique dans les années ’80, le Royaume-Uni est contraint d’importer deux fois plus de charbon que ce qu’il en produit.

    À l’échelle mondiale, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) prédit, sur base des tendances actuelles, que le charbon sera la plus grande source d’énergie mondiale d’ici 2020, et que si cette tendance continue, le climat mondial connaitrait une hausse de température de 6°C d’ici 2100.

    L’énergie nucléaire, qui était généralement considérée il y a 50 ans comme une source d’énergie bon marché et non-polluante, a depuis longtemps perdu de son aura. Les réacteurs nucléaires, utilisant des systèmes conçus pour produire des armes nucléaires, laissent derrière eux des montagnes de déchets radioactifs hautement dangereux.

    Au centre de traitement des déchets nucléaires de Sellafield, en Angleterre, le stock de déchets radioactifs est égal en volume à 27 piscines olympiques, et les autorités n’ont aucune idée de quoi faire avec ! (ce serait déjà bien s’ils savaient où se trouve l’ensemble des déchets). On pourrait construire des systèmes qui produisent moins de produits dangereux mais, à nouveau, les gouvernements et les entreprises privées ne sont pas désireux de financer les investissements sur le long terme que cela implique.

    Pendant ce temps, la possibilité de systèmes efficaces et non-polluants tels que la fusion nucléaire (plutôt que la fission) semble n’avoir été qu’un mirage, qui s’éloigne au fur et à mesure qu’il parait plus proche.

    La capture du carbone ?

    Le charbon, le pétrole et le gaz requièrent des procédés de plus en plus chers, dangereux et polluants pour leur extraction, tout en continuant à relâcher de plus en plus de gaz à effet de serre. Les émissions mondiales de dioxyde de carbone sont passées de 20 gigatonnes par an en 1990 à près de 30 gigatonnes par an aujourd’hui. Neuf gigatonnes sont produits par les seules centrales électriques au charbon.

    Le changement climatique ne peut plus être empêché, mais il pourrait être ralenti en capturant une partie du dioxyde de carbone émis et en le stockant quelque part. Mais cela voudrait dire un investissement considérable dans la recherche afin de développer des systèmes adéquats ; cela couterait de l’argent et nuirait aux bénéfices des compagnies énergétiques. Les gouvernements parlent de la nécessité de capturer et stocker le carbone, mais il faut beaucoup plus de recherches ; aussi, le nombre d’installations à capture du carbone actuellement opérationnelles est minuscule si on le compare à l’ampleur du problème.

    Il y avait dans le monde en 2011 seize installations à grande échelle de capture du carbone, qui toutes ensemble ne capturaient qu’un millième du carbone généré à l’échelle mondiale. Il est prévu d’en construire plus (surtout en Chine), mais dans de nombreux cas, les investissements gouvernementaux se font longtemps attendre.

    Au Royaume-Uni par exemple, l’installation de capture de carbone de Longannet, qui devait capturer environ 1,5 mégatonnes de carbone par an, n’a finalement jamais vu le jour, parce que les propriétaires espagnols de Scottish Power et le gouvernement Con-Dem ne sont pas parvenus à se mettre d’accord sur le financement du projet.

    Bien que Ed Davey, secrétaire d’État à l’énergie Con-Dem, aime discourir à longueur de temps sur les “formidables opportunités” qui se présentent dans l’industrie de la capture de carbone, il n’y a en ce moment que très peu de recherches effectuées, et aucune installation de capture de carbone à grande échelle n’existe au Royaume-Uni.

    Il existe une alternative

    Il existe pourtant une alternative à l’accroissement indéfini de l’utilisation de carburants fossiles. En fait, en novembre 2009 déjà, dans un article paru dans la célèbre revue américaine Scientific American, on démontrait que simplement en utilisant la technologie dont nous disposons déjà à l’heure actuelle, il serait possible de satisfaire toute la demande mondiale en énergie, en utilisant des sources d’énergie renouvelables et non-polluantes. Quelles sont ces sources ? Essentiellement les énergies solaire, éolienne, et hydraulique.

    L’énergie solaire, générée par des panneaux photovoltaïques, est déjà familière. On la voit un peu partout, sur les calculatrices de poche et sur les toits des maisons. La baisse de cout extrêmement rapide des matériaux nécessaires pour la fabrication des panneaux photovoltaïques rend aujourd’hui possible et compétitive la génération d’énergie solaire à une échelle industrielle.

    En Californie par exemple, près de 2 gigawatts d’énergie solaire ont été installés. Cela est d’une part réalisé par des “fermes solaires”, champs de panneaux solaires à grande échelle, et d’autre part, par les nombreuses installations sur les toits des maisons et des entreprises, qui subviennent ainsi à leurs propres besoins.

    Cette “génération d’énergie distribuée” a aussi le grand avantage de fortement diminuer le cout du transport de l’électricité. De tels plans ont été adoptés en Allemagne, et c’était également un des objectifs du dernier gouvernement britannique, qui voulait créer une “taxation adaptée” afin d’encourager les firmes solaires britanniques (mais ce plan est passé à la trappe sitôt les Con-Dem au pouvoir).

    Bien sûr, la Californie est un cas particulier, vu qu’elle jouit d’un climat idéal, et de centaines d’hectares de désert ; mais l’idée des fermes solaires est reprise sur d’autres continents. Au Ghana par example, un projet d’installation solaire devrait fournir 155 mégawatts – 6 % de la demande énergétique ghanéenne.

    Aussi, un immense projet appelé “Desertec”, vise à satisfaire 15 % de la demande énergétique européenne à partir de fermes solaires en Afrique du Nord, acheminée par des câbles sous la Méditerranée. Mais ce projet rencontre beaucoup de critiques. Au premier rang, les Africains qui se demandent pourquoi ils devraient envoyer toute cette électricité en Europe, quand eux-mêmes en ont tellement besoin. Mais il reste tout de même que ce projet démontre que la génération d’énergie solaire à grande échelle est possible.

    L’énergie éolienne est devenue la source d’énergie renouvelable la plus diabolisée. Mis à part les mythes selon lesquels les champs éoliens en haute mer terroriseraient les dauphins et tueraient les oiseaux migrateurs, l’énergie éolienne est souvent décrite comme inefficace et chère. En réalité, tout cela est faux.

    Une récente étude effectuée par un groupe de recherche très respecté, Cambridge Econometrics, a démontré qu’il est possible d’installer des turbines éoliennes en haute mer qui satisferaient à un quart de la demande énergétique britannique à un cout modique, à peine plus que le cout équivalent d’utilisation de gaz équivalent, tout en créant des dizaines de milliers d’emplois dans le secteur de la construction.

    Il faut, il est vrai, des systèmes de stockage de l’énergie pour s’assurer de la fourniture au cas où il n’y a ni vent, ni soleil, mais cela peut être fait.

    On entend aussi l’argument comme quoi le régime des vents n’est pas fiable. Moins que les oligarques russes et les sultans arabes ?

    L’énergie hydraulique, qui utilise des turbines actionnées par l’eau stockée dans de grands réservoirs (lacs de barrage), est la plus ancienne forme d’énergie renouvelable.

    Aux États-Unis dans les années ’30, l’Autorité de la vallée du Tennessee a été instituée en tant qu’agence fédérale hydraulique – suscitant une vive critique de la part des compagnies énergétiques – afin de fournir des emplois et une électricité à bon marché grâce à un réseau d’immenses barrages. En Chine, le barrage des Trois Gorges, qui traverse le fleuve Yangtzi, devrait fournir 22,5 gigawatt. Mais ce barrage a déplacé 1,3 millions d’habitants, et causé de graves dégâts écologiques.

    D’un autre côté, l’énergie océanique et marémotrice est une immense ressource mais qui est complètement négligée, surtout si on parle d’une nation insulaire telle que le Royaume-Uni.

    En Europe, il n’existe qu’une seule installation marémotrice à grande échelle, celle de l’estuaire de la Rance, en France, qui fonctionne depuis 1966, et génère 240 mW. Mais des projets grandioses tels que celui du barrage maritime de l’estuaire du Severn, censé produire 5 % des besoins énergétiques britanniques, ne sont sans doute pas la meilleure option. Une majorité de l’industrie de la construction pourrait se voir engagée dans ce projet pendant des années, et il pourrait avoir des conséquences environnementales imprévisibles. D’un autre côté, un réseau de générateurs marémoteurs tel que proposé par l’ONG Friends of the Earth, produirait tout autant d’énergie pour beaucoup moins de dégâts écologiques.

    Enfin, le développement de générateurs utilisant l’énergie des vagues (ou houlomotrice) est complètement ignorée par le gouvernement et par les entreprises énergétiques.

    En fait, dans l’ensemble, très peu d’intérêt est affiché par les gouvernements et les multinationales de l’énergie partout dans le monde pour le développement de systèmes non-polluants.

    Bien que la recherche dans de nouvelles technologies encore inconnues puisse offrir des solutions encore plus efficaces dans le futur, et devrait d’ailleurs être financée comme il le faut, il est urgent de s’occuper de ce problème aujourd’hui et maintenant. Au Royaume-Uni, la dépendance obsessive de la part du New Labour et des Tories sur l’industrie privée nous mène droit au pire.

    D’un côté, il faut absolument fermer les centrales électriques au charbon qui vomissent des tonnes de dioxyde de carbone dans l’air, d’autant plus étant donné leur âge, vu que que les firmes énergétiques refusent d’investir dans de nouveaux générateurs qui seraient un peu plus propres.

    D’un autre côté, nous voyons que les gouvernements ont toujours échoué à maintenir le moindre engagement envers la production d’énergie non-polluante et les économies d’énergie. Ils espèrent pouvoir se baser sur des centrales au gaz, en important du gaze ou en utilisant des procédés polluants et potentiellement très dangereux tels que la fracturation hydraulique.

    Quoi qu’il en soit, le prix des combustibles va inévitablement s’accroitre, ce qui veut dire que de plus en plus de gens seront poussés dans la misère de ce fait. Et le chef de l’office de régulation de l’industrie, Ofgen, nous a déjà prédit que dans quelques années, le Royaume-Uni connaitra sans doute des délestages, ce que nous n’avons jamais vu dans le pays depuis la grève des mineurs de 1974.

    Que doivent faire les marxistes?

    Tout d’abord, nous ne devons pas accorder la moindre confiance au système capitaliste pour nous sortir de la catastrophe qui arrive à grands pas.

    Au Royaume-Uni, nous devons réclamer :

    • La fin immédiate des essais de fracturation hydraulique.
    • La renationalisation du secteur de la production et de la distribution d’énergie, afin de permettre la mise en place d’un plan de capture de carbone, et de nous sortir de l’utilisation de combustibles fossiles aussi rapidement que possible.
    • Une reconversion à très grande échelle de l’industrie de la “défense” vers la production de générateurs éoliens et solaires, en nationalisant les grandes compagnies énergétiques quand cela est nécessaire, sans compensation sauf sur base de besoins prouvés.
    • Un programme national d’expansion de la “génération énergétique distribuée” sur chaque nouveau bâtiment construit : à chaque logement et chaque entreprise ses panneaux solaires.
    • Une expansion massive du système de transport public, en particulier des chemins de fer, afin de réduire la pollution par les véhicules qui circulent sur les routes.
    • Un plan massif et public de recherche et de développement dans les systèmes de génération d’énergie marémotrice et houlomotrice.

    Dans le monde :

    • Les organisations des travailleurs, des peuples indigènes et des militants écologistes doivent s’opposer à tous les plans de développements désastreux tels que l’extraction des sables bitumineux et les plantations de cultures à “biocarburants”.
    • Il faut soutenir la lutte des peuples des pays à basse altitude, en particulier d’Asie du Sud-Est et du Pacifique, qui seront contraints à la migration et à l’appauvrissement national à cause de la hausse du niveau de la mer et du changement climatique.
    • Il faut se battre pour un plan énergétique international afin de satisfaire aux besoins de l’humanité en utilisant uniquement les énergies renouvelables.
  • Mali : l’intervention impérialiste n’offre aucun espoir à la classe des travailleurs

    Du Libéria au Congo et à la Somalie, de la Sierra-Léone au Rwanda et au Burundi, du Soudan au Sud-Soudan et au Kenya, en Côte d’Ivoire, au Nigéria et maintenant au Mali, une grande proportion de pays post-coloniaux et néo-coloniaux d’Afrique sont victimes de faillites étatiques. Comme le Démocratic Socialist Movement (DSM) l’a toujours défendu, la raison sous-jacente de cette faillite (qui se manifeste par des guerres, des rébellions, des coups d’états et l’instabilité gouvernementale), c’est l’incapacité des Etats à satisfaire les besoins essentiels des masses.

    Par Lanre Arogundade, Démocratic Socialist Movement (CIO-Nigéria)

    • Rubrique de ce site consacrée à l’Afrique

    Mais le glissement vers le chaos et l’anarchie est encore plus appuyé par, de temps à autre, des questions ethniques non-résolues, dont les racines se trouvent dans la volonté de s’accaparer des ressources naturelles et dans le dessin de frontières artificielles par les anciennes puissances colonisatrices.

    Il y a également l’intégration des pays africains néo-coloniaux dans le giron du capitalisme mondialisé – ce qui correspond de facto à l’agenda de re-colonisation – qui est venue avec l’imposition de politiques publiques néo-libérales et anti-pauvres à travers lesquelles la richesse se concentre en un nombre toujours plus restreint de mains pendant que l’immense majorité des pauvres et des travailleurs souffre de privations.

    La vraie tragédie de l’Afrique, c’est que ces pays sont riches en ressources humaines et naturelles, à tel point qu’une telle pauvreté devrait être une abhérration. Cependant, comme nous le voyons tous les jours, ces ressources sont sources de beaucoup plus de maux que d’aides. Ainsi, parfois, plus riche en minérai est le pays (comme la RDC ou le Nigéria) plus grand est le nombre de guerres, de guerres civiles ou le chaos de ce pays.

    Au dela de cela, la crise qui secoue le Mali n’est que le dernier chapitre d’un conte sordide. La réalité reste qu’en dépit de l’intervention de l’impérialisme francais et des forces de la Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), ce ne sera pas la dernière crise à cause de la fragilité croissante des soi-disantes démocratie africaines. C’est cette fragilité qui a fait que la classe dirigeante malienne (civile ou militaire) s’est jetée dans les bras des forces d’intervention étrangères. Les jeunes officiers formés par les Etats-Unis, qui avaient préalablement planifié un coup d’état contre le gouvernement civil, ont dû se rétracter quand ils se sont rendus compte du sous-équipement et de la sous-motivation de leurs troupes.

    Aucune défaite des forces islamistes au Nord Mali ne pourra sortir la grande majorité des maliens de la pauvreté aussi longtemps que le système d’oppression capitaliste se maintiendra aux commandes.

    Bien que la cause immédiate de la crise actuelle est la pression des restes des forces touaregs (qui ont conservés leur loyauté d’autrefois à l’ex-régime de Muhammar Khadafi) pour obtenir par la force leur Etat propre, le facteur déterminant dans cette crise reste le fait que le gouvernement de Bamako a pratiquement perdu toute légitimité à cause de son incapacité à résoudre les problèmes fondamentaux auxquels est confrontée la population malienne. En lancant un appel à l’intervention militaire étrangère, la classe dirigeante malienne a agit de facon à classer l’affaire, après avoir précipité l’économie dans un état de dépendance envers l’aide étrangère qui lui permet à peine de survivre. Comme Walter Rodney le disait dans son livre Comment l’Europe a sous-développé l’Afrique, “Si le pouvoir économique est situé en dehors des frontières nationales de l’Afrique, alors le pouvoir politique et militaire est de fait situé en dehors des frontières nationales jusqu’à ce que les masses des paysans et des travailleurs se mobilisent pour offrir une alternative à ce système de parodie d’indépendance politique.”

    En effet, c’est cette dépendance économique qui rend le Mali si vulnérable à n’importe quelle crise sur le marché des matières premières puisque les deux piliers de son économie restent la production agricole et la prospection d’or. En 2001, le Mali est devenu le 3° plus grand extracteur d’or d’Afrique avec 41 tonnes par an (après l’Afrique du Sud et ses 391 tonneset le Ghana avec 72 tonnes). Il n’est pas exclu que les riches réserves d’or du pays aient été une motivation majeure pour les rebelles, de même que l’étalage des vastes ressources minérales de RDC continue d’encourager des rébellions armées répétées et tout comme les “diamants du sang” constituent le facteur central dans la guerre menés par les rebelles de Charles Taylor qui toucha la région de la rivière Mano (Libéria, Sierra Léone et Côte d’Ivoire) des années ’90 jusqu’à tout récemment.

    Pourtant, le Mali figure dans le classement des 25 pays les plus pauvres au monde selon l’Observatoire Economique Africains. La croissance économique s’est écroulée pour atteindre 1,1% en 2011, une situation économique attribuée en partie “ à la crise post-électorale de la Côte d’Ivoire, à la guerre en Lybie et à la flambée des prix du pétrole, du gaz et de la nourriture”, avec comme conséquence un boom de la pauvreté pendant que le chômage frappe les catégories les plus jeunes de la population dont 15,4% des 15-39 ans. “Les jeunes sans emploi représentent 81,5% du total des sans emlplois du pays.” Tout cela est arrivé après que le pays ait accepté le prêt du FMI qui précède chronologiquement l’incursion rebelle au Nord-Mali

    Malheureusement, ce niveau de pauvreté n’arrêtera pas les impérialistes dans leur volonté de faire payer au pays les frais liés à l’entrée en guerre, tout comme l’Irak a dû le faire et doit toujours le faire pour la guerre du Golfe, via ses ressources pétrolières, ou comme le Libéria a dû payer sa propre guerre avec ses abondantes plantations de caoutchouc qui sont désormais vendues insouciamment à des intérêts économiques étrangers. Le plus grand propriétaire mondial de caoutchouc peut se vanter de ne pas détenir sur son territoire national la moindre usine de caoutchouc ne serait-ce même que pour les semelles de pantoufles…

    Au Mali, cette volonté se présente sous la forme de nouvelles exploitations impitoyables des gisements d’or et de la politique économique néo-libérale via la privatisation des principaux secteurs de l’économie.

    Des pays comme le Nigéria sont extrêmement désireux de contribuer à l’envoi de troupes au Mali, car ils sont confrontés à leurs propres crises internes. La classe dirigeante Nigériane s’appuie sur les services secrets étrangers (américains, israëliens et anglais) pour faire face aux campagnes de bombardements de Boko Haram (organisation islamiste nigériane qui est en rébellion armée dans ce pays et est également présente au Mali, ndlr ). Apparemment, cette intervention est aussi un moyen d’envoyer l’avertissement que l’utilisation de la force brute soutenue par des puissances étrangères peut devenir une option au Nigéria.

    Cependant, nous devons mettre en garde contre cette réponse musclée et militaire qui échouera à enrayer la menace posée par l’insurrection de Boko Haram. Il convient de rappeler que ce sont les brutales réponses militaires – avec le meurtre de sang-froid du leader de Boko Haram, Mohammed Yusuf, en 2009 – qui ont conduit à l’escalade des activités de Boko Haram avec son cortège de massacres insensés et de destructions debridées des institutions d’Etat et de bâtiments l’Eglise, tous deux percus comme des ennemis.

    Pareillement, après des années d’expéditions militaires par les pouvoirs capitalistes mondiaux menés par les Etats-Unis – et qui ont coûté des milliards de dollards et la vie de centaines de milliers (si ce n’est de millions) de soldats et de personnes sans défenses – des pays comme l’Afghanistan, l’Irak, le Pakistan ou encore la Lybie où les forces impérialistes ont mené une guerre contre les soi-disant terroristes, restent les pays les plus instables, où la pauvreté règne, des pays non-démocratique et plus divisés que jamais.

    Evidemment, les conséquences de l’actuelle expédition impérialiste au Mali ne va qu’empirer la situation politique et sociale du Mali et du Nigéria qui a donc envoyé des soldats commme composantes des troupes de la CEDEAO. Les insurgés tuant déjà beaucoup de soldats déployés au Mali.

    Les véritables socialistes et les véritables militants de la classe ouvrière continueront de s’opposer à l’intervention impérialiste au Mali et dans d’autres parties de l’Afrique car elle n’offre aucune perspective d’espoir pour les travailleurs. Mais les forces de la désintégration continueront d’être présentes tant qu’il n’y aura pas d’intervention décisive de la classe ouvrière agissant de concert avec les paysans pauvres et les fermiers.

    Il est donc devenu impératif de faire croître la conscience sociale des travailleurs à travers la construction d’un puissant mouvement politique avec l’objectif de conquérir le pouvoir sur base des idées socialistes.

    Seul un gouvernement des travailleurs et des paysans pauvres pourra opposer la garantie du droit à l’autodétermination aux tentatives des groupes armés de s’imposer non démocratiquement et par la force aux populations.

    Du Mali au Nigéria, au Libéria, au Kenya et au Soudan, un tel gouvernement devra prendre les décisions pour aller vers la nationalisation des secteurs clés de l’économie sous contrôle démocratique et la gestion des travailleurs dans l’objectif de libérer les ressources nécessaire à la réalisation d’un programme d’investissement public massif dans l’éducation, la santé, les logements et les infrastructures rurales.

  • L'Afrique peut-elle sauver le capitalisme ?

    L’élite capitaliste cleptomane vit dans l’opulence, mais la croissance ne touche pas les masses laborieuses

    ”Je suis absolument convaincu du fait que l’Afrique représente la prochaine zone pionnière économique mondiale, et je ne suis pas le seul à partager cette conviction” affirmait en avril dernier Johnnie Carson, sous-secrétaire d’Etat américain pour l’Afrique. Il n’est pas le seul à exprimer son optimisme croissant au sujet de l’Afrique. Comme il l’a fait remarquer, les perspectives de croissance de la Banque mondiale pour l’Afrique pour les deux prochaines années se situent entre 5 et 6 %, un taux de croissance au-delà de celui de l’Amérique latine, de l’Asie centrale ou de l’Europe.

    Peluola Adewale, Democratic Socialist Movement (CIO Nigeria)

    Selon les prévisions du FMI pour les cinq années qui suivent 2011, sept pays africains (Éthiopie, Mozambique, Tanzanie, Congo-Kinshasa, Ghana, Zambie et Nigeria) se trouveront dans les top dix des pays à la croissance la plus rapide au monde. Une analyse du magazine The Economist révélait l’an dernier que six pays africains (Angola, Nigeria, Éthiopie, Tchad, Mozambique et Rwanda) se trouvaient dans le top dix des pays qui ont eu la croissance la plus rapide entre 2000 et 2010. De fait, l’Afrique a commencé à attirer des remarques positives de la part des commentateurs capitalistes, surtout depuis le début de la crise économique mondiale.

    Cette crise, qui est la pire crise capitaliste depuis la Grande Dépression des années 1930, a enflammé l’Europe et les États-Unis, poussant apparemment les stratèges capitalistes à aller chercher le succès ailleurs – et ils en auraient trouvé en Afrique.

    Les grands médias capitalistes ont arrêté leur campagne permanente de dénigrement du continent africain, et acclament à présent en grande pompe la moindre tendance “positive”. On peut voir un exemple clair de tout ceci dans les pages de The Economist où l’Afrique s’est métamorphosée, passant de “Continent sans espoir” en mai 2000 à “Continent rempli d’espoir” en décembre 2011.

    Cependant, la plupart des superbes taux de croissance de ces pays reflètent une hausse de la valeur des exportations des matières premières, à la fois en termes de production et en termes de prix, qui est liée à la croissance de la demande mondiale, surtout de la part de la Chine. Par exemple, le prix du pétrole est passé de 20 $ du baril en 1999, à 147 $ en 2008. Ces statistiques, de manière générale, ne reflètent pas une croissance généralisée de l’économie du continent ni de son niveau de vie. De plus, tout ralentissement de l’économie, que ce soit en Occident ou en Chine, aura pour conséquence une baisse brutale de la demande pour les exportations africaines.

    Une grande misère

    Pour la plupart des travailleurs, qui n’ont vu qu’une aggravation de leurs conditions de vie d’année en année, les statistiques économiques impressionnantes qu’on voit apparaitre çà et là sont un grand mystère. En fait, la forte augmentation du prix de la nourriture et du carburant revient à une attaque constante contre le niveau de vie. L’Afrique est aujourd’hui un continent dévasté par une misère de masse, avec un accès très limité aux nécessités vitales de base.

    Par exemple, en Éthiopie – pays qui se trouve justement sur la “liste d’or” –, 90 % de la population a été classée en tant que “pauvre multidimensionnelle” par un rapport du Programme des Nations-Unies pour le développement (Pnud) publié en 2010. La situation au Nigeria, qui est le plus grande producteur de pétrole africain, a également été très correctement décrite par le Pnud. Son représentant dans le pays, M. Daouda Touré, a remarqué que ”Depuis maintenant plus d’une décennie, le Nigeria a connu un taux de croissance élevé permanent, qui n’a pas eu la moindre répercussion sur le plan de l’emploi ni sur celui de la réduction de la pauvreté parmi ses citoyens.” Il ajoute : ”Les statistiques disponibles en ce moment suggèrent que le taux de pauvreté au Nigeria s’est en réalité aggravé entre 2004 et 2010” (The Nation, Lagos, 29 août 2012). Cela n’a que confirmé ce que le statisticien général du Nigeria, M. Yomi Kale, avait dit concernant le ”paradoxe (…) qui fait que malgré le fait que l’économie nigériane est en pleine croissance, la proportion de Nigérians vivant dans la pauvreté ne fait qu’augmenter d’année en année.” (The Guardian, Lagos, 14 février 2012).

    L’Afrique du Sud, qui est la plus grande économie du continent, est aussi le deuxième pays le plus inégalitaire au monde. Cela, malgré la politique du “black economic empowerment” (promotion économique des noirs) menée par le gouvernement ANC dans l’Afrique du Sud post-apartheid.

    En Angola, les deux tiers de la population vivent avec moins d’un euro (656 FCFA) par jour, et seuls 25 % des enfants fréquentent l’école primaire (The Guardian, Londres, 18 novembre 2011). L’Angola est pourtant le pays qui a eu le taux de croissance économique le plus élevé au monde, avant la Chine, dans les années 2000 à 2010. L’Angola représente à l’heure actuelle un paradis économique pour le capitalisme portugais, dont le pays natal se trouve en ce moment sous les feux de la crise de la zone euro. Ce pays nous offre ainsi un exemple classique de migration inversée entre l’Europe et l’Afrique. Non seulement l’Angola abrite aujourd’hui une communauté de 150 000 Portugais chassés par le chômage dans leur pays, mais il a également massivement investi ses pétrodollars au Portugal. La compagnie pétrolière d’État angolaise, la Sonangol, est le principal actionnaire d’une des plus grandes banques du Portugal, la Millenium BCP. En juin 2010, l’ensemble des investissements angolais dans des entreprises portugaises étaient estimés valoir plus de deux milliards d’euros, selon le Financial Times. Et pourtant, on ne trouve quasiment ni électricité ni eau potable dans tout le pays, même dans la capitale Luanda.

    Tout cela est symptomatique de la situation en Afrique, où la croissance économique se reflète uniquement dans l’opulence de l’élite de voleurs capitalistes au pouvoir, et aucunement dans le développement de l’infrastructure ou dans l’amélioration du niveau de vie de la masse de la population.

    Mais les stratèges capitalistes ne sont pas concernés par le sort des travailleurs. Tant qu’il y a des ressources naturelles à exploiter librement pour leurs super-profits, l’Afrique est pour eux tels un lit de roses.

    Comme le rapportait The Guardian de Londres : ”Il y a parmi le monde des affaires de plus en plus de confiance dans le fait que l’Afrique est la destination d’investissements qui donne les plus grands profits au monde” (28 mars 2012). C’est ainsi que la banque d’investissements mondiales Goldman Sachs disait dans un rapport en mars 2012 que : ”L’Afrique est une destination à laquelle les investisseurs doivent réfléchir, pour une croissance sur le long terme (soit on y participe, soit on rate une bonne occasion).”

    Cette course à la super-exploitation de l’Afrique explique pourquoi le continent, avec ses immenses ressources naturelles et ses immenses terres fertiles pour l’agriculture, est dominé par des multinationales et est dirigé sur base d’une politique capitaliste néolibérale qui bénéficie avant tout à l’Occident impérialiste.

    L’absence d’infrastructures de base (ou, quand elle est présente, sa médiocrité) signifie que l’Afrique est toujours en très grande partie dépendante de ses exportations de matières premières, et que le continent dans son ensemble ne compte toujours que pour un ridicule 2 % de la production mondiale.

    Les soi-disant “investisseurs” ne sont surtout intéressées que par les industries d’extraction qui, bien que créant de la croissance, ne créent que très peu d’emplois. Cet échec dans le développement de l’industrie de transformation explique pourquoi l’Afrique, en tant qu’exemple classique de croissance sans emploi, ne peut imiter le rôle de la Chine en tant que moteur du capitalisme mondial, malgré son immense population et son urbanisation croissante. Au contraire, c’est le capitalisme qui garantit le sous-développement du continent.

    Une corruption rampante

    Les souffrances de l’Afrique sont également dues à la corruption caractéristique de ses dirigeants. Il convient cependant bien de souligner le fait que la corruption est loin d’être propre de l’Afrique ou des pays en développement.

    La plupart des ressources qui restent en Afrique, après les pertes dues au commerce inéquitable et au payement de la dette, sont volées par les dirigeants pro-impérialisme corrompus, puis envoyées vers des comptes en banques privés à l’étranger, en Europe ou en Amérique.

    Le capitalisme néolibéral, qui entraine avec lui privatisations et dérégulations, a donné encore plus de marge aux dirigeants africains pour piller le trésor public, puisque ce ne sont plus eux qui sont censés utiliser ces ressources afin de fournir les infrastructures et les services de base.

    Mais face à cette situation, les travailleurs, les jeunes et les pauvres du continent sont loin d’être passifs. L’Afrique a une longue histoire de luttes de masse contre le colonialisme et le racisme. Plus récemment, on a vu apparaitre des luttes contre les régimes pourris et corrompus et pour une vie meilleure, comme on l’a vu après les insurrections de masse, surtout en Afrique du Nord, qui ont chassé au moins trois dictateurs. En janvier 2012, nous avons assisté à la plus grande grève générale et au plus grand mouvement de masse de toute l’histoire du Nigeria, contre la hausse du prix de l’essence. Les mineurs sud-africains, dans leur lutte pour de meilleures conditions de travail et pour un meilleur salaire, ont quasi mis à genoux l’industrie minière. Le secteur des mines compte pour une très grande part de la richesse du pays ; il est aussi un symbole de l’immense inégalité entre travailleurs et patrons.

    Cette lutte des mineurs, dans laquelle le DSM sud-africain joue un rôle dirigeant, a contribué à mettre au-devant de la lutte la revendication pour la nationalisation de l’industrie minière, ainsi que l’idée d’une alternative politique des travailleurs et des pauvres contre l’ANC.

    Les mouvements de masse des travailleurs et de la jeunesse en Europe, et en particulier en Grèce et en Espagne, contre l’austérité et contre les attaques néolibérales sur l’emploi, sur les salaires, sur l’enseignement et sur la santé, vont continuer à élever la conscience des travailleurs en Afrique. Les nouvelles luttes qui vont se développer en Afrique auront pour effet qu’il n’y aura aucun refuge sûr pour le capitalisme dans un monde de crise, et seront une source d’inspiration afin d’intensifier la quête d’une alternative socialiste.

  • La Côte d'Ivoire s'engage sur le chemin de la lutte

    La Côte d’Ivoire, ancien joyau de l’impérialisme français en Afrique de l’Ouest, considéré comme la “locomotive” de toute la sous-région, semble doucement se remettre de la grave crise politique et militaire qui l’a ravagé pendant une dizaine d’années. Cette crise avait vu le territoire partagé entre deux camps adverses de l’élite ivoirienne : d’une part le gouvernement mafieux de Laurent Gbagbo, ancien syndicaliste, qui avait instrumentalisé la soif de changement des jeunes ivoiriens afin de se constituer une grande base de milices semi-fascistes, les “Jeunes Patriotes”, tout en détournant lui-même des sommes considérables directement prélevées sur le dos des planteurs et en accueillant à bras ouvert l’impérialisme et le FMI ; de l’autre, les “Forces nouvelles” qui prétendaient défendre les intérêts des populations du nord du pays, longtemps considérées comme citoyens de seconde zone par ceux du Sud, et poussant devant elles le candidat Alassane Ouattara, dont la candidature à la présidence avait été à plusieurs reprises refusées pour incertitude quant à son “ivoirité”.

    Par Gilles (Hainaut)

    Photo ci-contre : Conférence de presse durant la grève des taxis

    Les élections, longtemps reportées par le camp Gbagbo – qui a ainsi outrepassé sa présidence de cinq ans –, ont finalement été organisées en 2010, menant à un nouveau tour de violences électorales. Les deux candidats avaient en effet chacun obtenu un score quasi identique, d’autant plus que les comptages divergeaient en fonction des institutions et que des irrégularités avaient été observées de part et d’autres. Mais la “communauté internationale” avait fait son choix en la personne d’Alassane. Aucune négociation ne portant de fruits, il a fallu l’intervention de l’ONU pour aller chercher Gbagbo, qui s’était enfermé dans la présidence, et l’expulser du territoire. Mais ne nous leurrons pas : si Gbagbo a attiré sur lui tellement d’opprobre de la part de la “communauté internationale”, ce n’est pas pour avoir menacé leur système. Il n’a rien d’un chantre de l’anti-impérialisme, malgré certains de ses discours, et est bien loin d’un Chavez ou d’un Sankara ! Simplement, l’impérialisme l’a à juste titre perçu comme un individu trop imprévisible pour le poste qu’il occupait, et dont la personnalité instable menaçait les intérêts de leurs investissements dans le pays. Alassane au contraire est un candidat zélé de l’impérialisme : ancien haut cadre du FMI, époux d’une riche colonialiste française, il a déjà fait ses preuves en tant que premier ministre de Côte d’Ivoire, poste créé pour lui en 1990 par le président Félix Houphouët-Boigny qui l’avait chargé d’appliquer les plans d’“ajustement structurel” (austérité) imposés par le FMI.

    Depuis lors, la situation semble s’être bien calmée. Gbagbo croupit aujourd’hui en prison à La Haye au Pays-Bas – son procès auprès de la Cour pénale internationale vient de commencer –, la plupart de ses cadres sont en exil au Ghana ou en Afrique du Nord. Les investisseurs se suivent, dans le sillage des nombreuses visites officielles à l’étranger accomplies par le président. On annonce une croissance de 8 % pour cette année et pour l’an prochain, avec l’objectif de faire de la Côte d’Ivoire un “pays émergent” pour 2020. Il reste cependant des menaces. Beaucoup d’armes demeurent parmi la population. Le nouveau pouvoir a été obligé de composer avec divers chefs de guerre des deux camps, fusionnant les deux armées rivales et accordant des postes bien juteux des deux côtés ; sa sécurité repose donc en partie sur d’anciens ennemis. En outre, pas une semaine ne se passe sans qu’on entende parler d’attaques ici et là : des centrales électriques, des casernes, des prisons seraient visées. Bien que ces attaques soient sporadiques et n’aient jusqu’ici fait quasiment aucun mort, elles jettent un doute sur la stabilité du pays. Cependant, aucune n’ayant été revendiquée, les rumeurs vont bon train sur qui pourrait se trouver à leur tête : une conspiration pro-Gbagbo télécommandée de l’étranger (la frontière avec le Ghana a été temporairement fermée le mois passé à la suite d’une escarmouche, le pouvoir craignant la possibilité d’un regroupement des forces pro-Gbagbo dans ce pays voisin) ? Des anciens militaires pro-Gbagbo déçus de l’attribution de postes par le nouveau pouvoir ? Des militaires pro-Outtara déçus ? Des mercenaires (on sait que les Forces nouvelles ont fait grand usage des “dozos”, confréries de chasseurs traditionnels, qui n’ont eux non plus pas obtenu tout ce qu’ils désiraient) ? De vulgaires bandits ? Ou bien y a-t-il réellement une préparation en vue d’un coup d’État ? Beaucoup de questions restent posées. Mais selon de nombreux rapports, le camp Gbagbo est bel et bien désarmé : la plupart de ses cadres ont été dispersés dans des pays différents, sont sans le sou et vivent de transferts de Western Union en provenance de famille en France, ou bien sont en prison sous étroite surveillance, comme c’est le cas entre autres de la femme de Gbagbo, Simone.

    Et donc, dans ce contexte d’euphorie en bémol, la population, qui pour la plupart n’avait pas véritablement pris part aux combats, relève la tête pour faire l’état des lieux après l’orage. Les bonnes nouvelles se succédant sur le plan économique, tout le monde est confiant dans l’avenir : ne parle-t-on pas de “pluies de milliards” provenant des nombreux contacts de Ouattara à l’étranger ? Pourtant, la reprise tarde un peu. Les grands projets sont reportés à “après les élections” (communales et régionales, en février), les nombreux subsides accordés par l’étranger ne quittent pas le cercle dirigeant ou vont en priorité aux ONG créées par eux (comme la fondation “Children of Africa” de la première dame, Dominique Ouattara). La police continue ses exactions, l’administration est peuplée de gens qui se prennent très au sérieux, la corruption est toujours là, et on ressent partout l’arrogance du nouveau pouvoir. Cette arrogance peut notamment se ressentir avec la nouvelle politique d’“urbanisme” dans tout le pays, qui vise à nettoyer, parfois au bulldozer, les trottoirs des petits commerces pourtant installés là légalement !

    La population, qui était jusqu’ici en attente, soucieuse de ne pas déstabiliser le nouveau gouvernement, commence à grogner et à reprendre le chemin de la lutte des classes. La voie a déjà été ouverte par les enseignants des lycées au printemps dernier, mais cet automne, ce sont les chauffeurs de taxi d’Abidjan et les étudiants qui font beaucoup parler d’eux.

    Le mouvement des chauffeurs de taxi repose surtout sur les jeunes chauffeurs, dont la revendication en ce moment est la fin des rackets policiers, et des contrôles plus sévères sur les taxis clandestins qui nuisent à leurs bénéfices. Il faut savoir que les taxis appartiennent en général à des petits patrons qui prélèvent un montant fixe sur chaque taxi chaque jour, laissant ensuite au chauffeur le soin de payer le carburant utilisé, avant de garder le maigre bénéfice qui reste éventuellement. La grève des taxis à Abidjan est organisée par des meetings de masse des chauffeurs qui se réunissent à la gare routière, en-dehors de toute structure syndicale officielle. Il existe certes un syndicat des taxis, mais celui-ci a dans les faits dégénéré en une mafia qui se contente de prélever des “taxes” sur les autres chauffeurs. Les taxis étant les seuls transports “en commun” réellement disponibles dans la ville, ce mouvement met à chaque journée de grève à l’arrêt l’ensemble de la capitale économique du pays.

    Les étudiants quant à eux sont confrontés à toutes sortes de problèmes graves. Mis à part le fait que le système universitaire dans son ensemble se trouve dans un état déplorable, tant au niveau des salles de classe que des logements étudiants et du nombre d’enseignants, il y a aussi le problème d’arriéré des bourses, qui bien souvent n’ont pas été payées depuis presque un an, et le problème encore plus sérieux de la hausse subite des frais d’inscription à l’université, qui sont passés sans prévenir de 6000 FCFA à 30 000 pour les licences, 60 000 pour les masters et 90 000 pour les doctorats (respectivement 10, 45, 90 et 135 €) ! On veut ainsi faire “participer” les étudiants au cout réel de leur formation. Et tout cela dans une ambiance de chaos complet : vu que plusieurs années d’université ont été perdues à cause de la crise, plusieurs générations d’étudiants se retrouvent contraintes de s’inscrire en même temps, ce qui démultiplie la surpopulation sur le campus, et qui mène à un grand retard au niveau de la reprise des cours, qu’on attend depuis plusieurs mois malgré l’annonce officielle du premier septembre. Des manifestations ont été organisées, directement réprimées par la police à coups de gaz lacrymo et autres joyeusetés. Mais les meetings se poursuivent dans les auditoires avec les diverses organisations syndicales estudiantines.

    Les étudiants ne sont en fait pas les seuls à ne pas reprendre le chemin de la lutte, puisque le corps enseignant est lui aussi en grève, à nouveau pour des raisons d’arriérés salariaux. La rentrée risque d’attendre encore un peu.

    À côté de ça, on voit d’autres mouvements comme les balayeuses de Yamoussoukro en lutte pour récupérer des arriérés salariaux, les employés de l’usine Olhéol de Bouaké, en chômage technique depuis plusieurs mois et qui exigent la reprise du travail et le payement, à nouveau, des arriérés salariaux.

    La population de Côte d’Ivoire n’a aucune tradition révolutionnaire, n’a jamais connu aucun dirigeant historique aux déclarations radicales. Elle a été gâtée par un système clientéliste où tout lui était offert sur simple demande (ou flatterie) auprès de l’échelon supérieur. La conscience a de plus été fortement repoussée en arrière pendant la crise, avec dix années de divisions, de lutte fratricide, d’instabilité, de violence et pendant lesquelles toute l’attention était focalisée sur le grand soap opéra des politiciens, les rumeurs et les intrigues parmi l’élite nationale. Elle a été de plus quasi coupée du monde et des développements politiques à l’échelle régionale. Aujourd’hui cependant, les travailleurs sont à la recherche de solutions. La croissance dont on parle tous les jours est loin de se refléter dans les assiettes, d’autant plus qu’on annonce de nouvelles hausses des prix de l’alimentation au niveau mondial.

    Dans ce contexte, il est crucial que la population de Côte d’Ivoire relève la tête et se remette à jour sur ce qu’il se passe dans les autres pays. Beaucoup d’événements se sont produits depuis l’année passée, à commencer par la révolution en Afrique du Nord, qui a déclenché de gigantesques mouvements de résistance en Europe et en Amérique. La Côte d’Ivoire, sortie de sa propre crise politique, réalise qu’elle se trouve aujourd’hui au beau milieu d’une crise économique et politique de portée mondiale. La reprise du militarisme dans l’océan Pacifique, les menaces de déstabilisation et de guerre au Moyen-Orient, la crise de la zone euro, le ralentissement de la croissance chinoise, sans parler du réchauffement planétaire, ne présagent rien de bon pour l’avenir, malgré toutes les déclarations sur le “nouvel eldorado africain”.

    La crise mondiale a ses répercussions sur le continent africain, tout comme le mouvement des Indignés européens. S’il est vrai que de lourdes menaces pèsent sur la stabilité du Sahel avec la crise malienne, beaucoup de leçons sont par contre à tirer du mouvement “Y en a marre” au Sénégal qui a fait dégager le président Wade en mobilisant la nation tout entière, de la grève générale au Nigeria contre la hausse du prix des carburants, qui a été le plus grand mouvement de masse de toute l’histoire du Nigeria, et de la grève des mineurs en Afrique du Sud, à la suite du massacre de Marikana, qui débouche aujourd’hui sur la décision de mettre sur pied un nouveau parti de masse des travailleurs. D’autres mouvements peuvent encore survenir dans la sous-région, au Burkina par exemple pour faire dégager l’usurpateur Compaoré, ou au Togo contre le président Eyadéma Junior.

    La Côte d’Ivoire peut reprendre son rôle de “locomotive” de la sous-région, plus seulement en termes économiques, mais aussi sur le plan de la lutte sociale. Le peuple de Côte d’Ivoire doit tirer les leçons de toutes ces expériences, et développer une alternative à la misère néolibérale, une alternative unitaire qui regroupe l’ensemble de la population laborieuse, au-delà des clivages communautaires, religieux et ethniques, contre les politiciens blagueurs, contre l’arrogance des patrons colons, contre ce système pourri qu’on cherche à nous imposer, en lien avec la population de toute l’Afrique de l’Ouest. En bref, une alternative socialiste.

  • Crise des réfugiés – C’est aux multinationales qu’il faut s’en prendre, pas à leurs victimes

    Le mois passé, au Niger, j’ai rencontré Jerry. Jerry avait quitté son Libéria natal pour se rendre à pied, en bus, en taxi, en charrette et en stop en Europe, où il espérait enfin trouver un travail. Après avoir parcouru ainsi 4.000 km le baluchon sur le dos et traversé neuf pays, il s’est retrouvé au Maroc, devant un mur. C’est là que la police l’a attrapé. Refoulé en compagnie d’une cinquantaine d’autres Africains venus d’autant de pays différents, il a été relâché quelque part en plein désert algérien. Une caravane l’a ramené au Niger. De là, il comptait prendre un bus pour le Nigéria, puis, ‘‘avec l’aide de Dieu’’, gagner le Sud-Soudan nouvellement indépendant pour y trouver un travail et, enfin, y poser son baluchon, après plus d’un an sur les routes.

    Par Gilles (Hainaut)

    La misère ou la guerre poussait déjà énormément de gens à rechercher un avenir à l’étranger, la crise capitaliste a déjà renforcé ce processus et nous nous trouvons face à une crise alimentaire, selon le porte-parole de l’agence alimentaire des Nations Unies. Toujours selon ce dernier, la population mondiale n’aurait que 3 possibilités: fuir, mourir ou se révolter. Quitter son pays d’origine n’est jamais facile, mais beaucoup d’immigrés doivent en plus affronter les flots sur de fragiles bateaux surchargés ou encore l’énorme clôture qui est en construction à la frontière gréco-turque. Sur place, ils auront encore à faire face à la peur, la répression, l’enfermement, le racisme… et le froid. Cet hiver, près de 6.000 demandeurs d’asile étaient sans logis et l’an dernier déjà, des familles entières avaient dû dormir dans les gares par un froid glacial.

    C’est le système capitaliste qui pousse les gens à quitter leur pays. En Tunisie, les multinationales (dont 146 entreprises belges) exploitaient brutalement les travailleurs avec l’appui du régime policier de Ben Ali, et profitaient des très bas salaires, des droits syndicaux extrêmement limités et du chômage de masse (toujours utile pour maintenir les salaires au plus bas…). Le capitalisme ne peut exister sans exploitation, sans oppression et donc sans “flots massifs” de réfugiés.

    En plus, les crises politiques, catastrophes “naturelles” et sociales amplifient le problème. Des milliers de gens tentent de fuir la Libye pour la Tunisie, d’autres milliers cherchent à quitter la Côte d’Ivoire pour le Ghana ou le Libéria. Pareil pour ceux qui quittent le Nord-Soudan pour le Sud-Soudan et vice-versa. En Libye, si les ressortissants français ont pu bénéficier d’un rapatriement rapide, les six mille travailleurs bangladeshis attendent toujours un avion pour les ramener chez eux – suscitant une crise politique au Bangladesh même.

    Après la chute de Ben Ali, 5.000 réfugiés tunisiens sont arrivés en Italie en seulement une semaine. Les politiciens de droite et d’extrême-droite comme Marine Le Pen tentent d’exploiter ces images de réfugiés arrivant sur les plages d’Italie. Mais ce n’est pas l’immigration qui constitue une menace pour les conditions de travail et de salaires des travailleurs européens: c’est la soif de profit des banques et des actionnaires, des patrons et des spéculateurs. Ce sont eux les responsables de la crise, eux qui veulent nous la faire payer et c’est encore eux qui bénéficient de toutes les attentions des partis capitalistes, d’extrême-droite ou non.

    Les patrons profitent de la situation des sans-papiers pour les exploiter, les criminaliser et faire pression sur nos salaires en nous mettant en concurrence avec ces nouveaux venus. Ces immigrés privés de tous les droits se voient forcés, pour survivre, d’accepter des boulots inhumains et sous-payés. Les patrons cherchent ainsi à saper les conditions de travail durement acquises des travailleurs belges. Travailleurs belges et immigrés ont un intérêt commun : lutter pour un salaire égal pour tous, pour la fin des discriminations, afin de stopper la concurrence entre travailleurs belges et immigrés. C’est main dans la main que nous devons demander cela – non aux divisions ! Régularisation de tous les sans-papiers !

    Il faut une campagne d’adhésion massive des immigrés dans les syndicats, et les intégrer activement à la lutte contre la casse sociale, pour la défense de l’emploi, pour le partage du temps de travail entre les travailleurs disponibles sans perte de salaire et avec embauche compensatoire. Mais la concurrence et le ‘‘diviser-pour-mieux-régner’’ ne s’exerce pas seulement au niveau de l’emploi : il faut aussi lutter pour un plan public et massif de construction de logements sociaux, pour plus d’écoles,… Enfin, il faut stopper la politique des États européens qui crée la misère dans les pays du Sud et pousse une partie de la population à désespérément chercher un avenir ailleurs. Cela signifie s’opposer aux aventures impérialistes en Afghanistan et en Libye, exproprier les entreprises belges en Chine, au Congo, etc. et les placer sous le contrôle des travailleurs, totalement reconvertir l’industrie de l’armement, aider à l’organisation de syndicats indépendants en Chine, en Égypte, et ailleurs; soutenir les révolutions au Moyen Orient et en Afrique du Nord,…

    En bref, tant en Belgique qu’ailleurs dans le monde, résoudre la question des réfugiés revient concrètement à entrer en conflit avec le système capitaliste et chercher à le renverser. Pour cela, le meilleur moyen reste la mobilisation de masse des travailleurs et des pauvres, le blocage de l’économie par la grève générale et le début de l’instauration d’une autre société basée sur les comités de lutte dans les quartiers, les entreprises, etc. et sur leur coordination et sur la remise en marche de l’économie sous le contrôle et la gestion de ces comités.

  • [DOSSIER] Côte d’Ivoire: Des tensions croissantes

    Les élections présidentielles conduisent le pays au bord d’une guerre civile totale et aggravent la crise du capitalisme

    Le fait que les élections du 28 novembre en Côte d’Ivoire ait produit deux Présidents – Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo – n’est pas une surprise, bien que les travailleurs s’étaient attendu à ce que ces élections leur apportent le retour à la paix. Le pays a été divisé en deux depuis la tentative de coup d’État de 2002 et la rébellion qui s’en est suivi, chaque moitié ayant son propre gouvernement de facto.

    Peluola Adewale, Democratic Socialist Movement (CIO – Nigeria)

    Le Nord est contrôlé par les rebelles des Forces nouvelles (FN), tandis que le Sud est sous contrôle de Gbagbo, avec le soutien de l’armée régulière et de la milice des jeunes. Par conséquent, sur cette base et avec le sentiment d’ethnocentrisme qui a caractérisé la politique ivoirienne au cours des deux dernières décennies, il est naturel que quel que soit le vainqueur officiel, le résultat des élections serait âprement contesté par le perdant.

    La commission électorale a déclaré gagnant Ouattara, un nordiste et ancien Premier Ministre sous feu Félix Houphouët-Boigny, tandis qu’à peine quelques heures plus tard, la Cour constitutionnelle – dont on dit qu’elle est dirigée par un important allié de Gbagbo – a annulé certains votes dans le Nord en parlant de fraude électorale et a décerné la victoire à Gbagbo. Selon les observateurs internationaux, bien qu’il y ait eu quelques cas d’irrégularités à travers le pays, les élections ont été globalement libres et transparentes, et la victoire revient à Ouattara. De son côté, la mission des Nations-Unies qui, selon les termes de l’accord de paix qui a enclenché le processus électoral, est mandatée pour certifier la bonne conduite et le résultat des élections, a donné son aval à Ouattara. Les deux candidats ont tous deux affirmé être Président et ont nommé leur propre cabinet, tandis que la crise post-électorale a déjà pris la vie de 173 personnes et poussé 20 000 personnes, essentiellement des femmes et des enfants, à se réfugier dans des camps au Libéria. Il y a aussi l’allégation selon les Nations-Unies de l’existence de deux fosses communes remplies des corps des victimes des partisans de Gbagbo. Ceci a été nié par le camp Gbagbo.

    La “communauté internationale”

    La “communauté internationale”, qui est l’euphémisme pour désigner l’impérialisme occidental (la France, ancienne puissance coloniale et qui a de très importants intérêts économiques en Côte d’Ivoire, assistée par l’Union africaine et par la CEDEAO, communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest), exerce une pression continue sur Gbagbo pour qu’il accepte le verdict de la commission électorale et qu’il quitte le fauteuil du Président. Les États-Unis et l’Union européenne ont interdit de séjour Gbagbo et ses proches et ont gelé leurs avoirs sur leur territoire. La Banque mondiale et la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest ont gelé son financement pour tenter d’affaiblir son emprise sur le pouvoir. De fait, les dirigeants des pays de la CEDEAO, dont la plupart sont voisins immédiats de la Côte d’Ivoire, ont menacé de recourir à la “force légitime” au cas où Gbagbo refuserait de quitter le pouvoir. Une telle intervention n’a pas non plus été exclue du côté des gouvernements américain et britannique. Quelques jours avant que la CEDEAO n’annonce la possibilité d’employer la force, William Fitzgerald (adjoint-assistant au Secrétaire d’État américain aux Affaires étrangères) y avait fait allusion. « Y a-t-il une option de déstabilisation et d’envoi d’une force de stabilisation ? Bien entendu, toutes les options sont ouvertes, mais probablement pas une force américaine. Ce pourrait être une force africaine » (Bloomberg, 21 décembre 2010).

    Toutefois, la soi-disant préoccupation de la “communauté internationale” pour des élections démocratiques est une hypocrisie. Qui a haussé le ton face à la fraude flagrante lors des élections parlementaires en Égypte ? Ou même par rapport aux élections truquées au Nigéria en 2007. L’impérialisme ne crie à la fraude électorale que lorsque c’est le “mauvais” candidat qui l’emporte, ou lorsqu’il craint que la fraude ne provoque une révolte populaire.

    L’“ivoirité”

    Jusqu’ici, Gbagbo a refusé de bouger et reste imperturbable face à toutes les pressions et menaces. Il a continué à stimuler le sentiment nationaliste contre le “complot international” qui vise à le chasser. Il a trouvé un public auprès de toute une section de la population ivoirienne qui a depuis longtemps adhéré au principe de l’“ivoirité” – le fait d’être un “vrai” ivoirien –, un concept qui a été introduit et grossi par les différentes sections de l’élite qui se sont succédé au pouvoir depuis 1993 en tant qu’outil pour se maintenir en place et continuer le pillage du pays en dépit des rigueurs socio-économiques. Cette frénésie xénophobe n’a pas été inventée par Gbagbo, mais il l’a trouvée utile pour préserver son pouvoir. Ce concept avait tout d’abord été créé de toute pièces par Henri Konan Bédié dans une précédente lutte pour le pouvoir avec Ouattara afin de savoir lequel des deux allait succéder à leur maitre à tous les deux, Houphouët-Boigny, après sa mort fin 1993 après plus de trois décennies au pouvoir. Avant la mort de Houphouët-Boigny, Bédié avait été Président de l’Assemblée nationale et Ouattara, Premier Ministre.

    Selon la politique de l’“ivoirité” prônée par Bédié, toute personne dont les deux parents n’étaient pas ivoiriens, n’était pas éligible pour un quelconque poste politique et ne pouvait bénéficier de certains droits sociaux, tels qu’accéder à la propriété terrienne. Ce concept diviseur a marginalisé la plupart de la population d’origine nordiste, qui sont des mêmes ethnies que les immigrants économiques en provenance de pays voisins, comme le Burkina Faso, le Mali ou le Niger. Il a touché un nerf sensible chez la plupart des Ivoiriens, dans une période où le déclin de ce qui était l’économie la plus prospère de toute l’Afrique de l’Ouest avait atteint un point critique. Par conséquent, il était facile pour les élites dirigeantes de faire des immigrés – qui constituent environ 30% de la population – les boucs-émissaires des souffrances économiques infligées par la crise capitaliste.

    Les “Jeunes Patriotes”

    En plus de l’armée, Gbagbo a à sa disposition une milice de jeunes connue sous le nom de “Jeunes Patriotes”, qui sont principalement des jeunes chômeurs mobilisés par l’“ivoirité” et un nationalisme malsain, et qu’il déploie sans hésiter contre toute menace à son pouvoir. Selon la Banque mondiale, plus de 4 millions de jeunes hommes sur un total de 20 millions sont sans emploi. Ceci constitue un véritable réservoir d’outils politiques pour l’élite égocentrique au pouvoir. Les “Jeunes Patriotes” dont le dirigeant, Charles Blé Goudé, est un Ministre du cabinet de Gbagbo, ont joué un rôle central dans les attaques sur la population française et blanche en 2004, après que l’armée française ait détruit l’ensemble de la Force aérienne de Côte d’Ivoire en réplique au bombardement d’une base française dans le Nord, qui avait couté la vie à neuf soldats français et à un Américain. Ils sont aussi contre l’afflux de Nordistes et d’immigrés qui fournissent une main d’œuvre à bon marché et prennent les quelques emplois disponibles à la place des autochtones dans le Sud, surtout à Abidjan. Tout comme en 2002, les Jeunes Patriotes ont été impliqués dans les attaques sur des Nordistes depuis l’éclatement de la crise post-électorale.

    Les “Jeunes Patriotes” se présentent comme anti-néocolonialistes, surtout contre les Français, qui contrôlent fermement l’économie ivoirienne (la plupart des entreprises du pays et des ports appartiennent à des Français), et qui chercheraient à renverser Gbagbo afin de maintenir le pays dans son état d’État vassal. Toutefois, les pogroms sur les Nordistes et les immigrés les révèlent comme de pantins utilisés pour perpétrer des attaques xénophobes et ethniques.

    Gbagbo et l’impérialisme français

    Gbagbo n’a jamais été le premier choix de l’impérialisme français pour la direction de son principal avant-poste en Afrique. Avec son passé radical, Gbagbo était au centre des actions de protestation contre la “démocratie” du parti unique de Houphouët-Boigny. Celui-ci dirigeait le pays en tant que son fief personnel et en a fait une mine d’or pour les exploiteurs les chercheurs de fortune français. Le régime de Houphouët-Boigny bénéficiait d’un soutien sans faille de la part de l’impérialisme occidental, puisqu’il était bon pour leurs intérêts économiques, et aussi en tant qu’instrument contre les dirigeants radicaux et pro-Moscou en Afrique en cette période de Guerre froide. On a par exemple rapporté que Houphouët-Boigny a joué un rôle central dans le renversement de Kwamé Nkrumah au Ghana et de Thomas Sankara au Burkina Faso. Après la légalisation des partis d’opposition, Gbagbo était le seul leader de l’opposition qui était assez courageux que pour se dresser et contester les toutes premières élections présidentielles de Côte d’Ivoire en 1990 contre le monstre politique qu’était Houphouët-Boigny. Dix ans plus tard, Gbagbo a été porté au pouvoir par une insurrection de masse qui a renversé le dictateur militaire de l’époque, Robert Guei, qui avait refusé de reconnaitre sa défaite aux élections présidentielles de 2000, que tout le monde estimait avoir été remportées par Gbagbo.

    À ce moment-là, devant le soutien populaire, l’impérialisme français n’avait pas d’autre choix que de s’accommoder de Gbagbo, laissant de côté leur appel à de nouvelles élections à cause de la décision de la Cour suprême d’exclure la candidature de Ouattara parce qu’il n’était pas ivoirien. Mais Gbagbo n’était pas une menace pour les immenses intérêts économiques de l’élite dirigeante française. Toutefois, malgré toutes les déclarations anti-françaises énoncées aujourd’hui par Gbagbo, Pierre Haski révèle dans le Guardian de Londres que « Tout au long des dix ans qu’a passé Gbagbo au pouvoir, les entreprises françaises ont eu tous les plus gros contrats : Total pour l’exploration pétrolière, Bolloré pour la gestion du port d’Abidjan, Bouygues pour les télécoms » (The Guardian de Londres, 5 janvier 2011). Par ailleurs, il a de fait dirigé le pays sur base d’un agenda capitaliste néolibéral, et il a signé en 2001 un programme d’encadrement qui soumet l’économie aux dictats du FMI. Néanmoins, la relation entre les capitalistes français et Gbagbo est devenue plus tendue à la suite de l’incident du bombardement de 2004, qui a également renforcé les soupçons du camp Gbagbo comme quoi la France était impliquée dans la rébellion nordiste qui a éclaté en 2002. Toutefois, ce sont les forces françaises qui ont aidé à repousser l’avancée des rebelles vers le Sud lorsqu’elles ont semblé assez fortes que pour envahir tout le pays, et qui ont facilité le cessez-le-feu de 2002. La France s’est apparemment vue forcée de faire cela afin de garantir la sécurité de ses entreprises, principalement situées dans le Sud.

    C’est une base militaire française qui avait été conservée en tant que composante de la zone tampon dans le Nord après l’accord de cessez-le-feu qui a été bombardée par les forces ivoiriennes en 2004, et qui ont plus tard avoué que c’était une erreur. Auparavant, Houphouët-Boigny avait signé un pacte de défense en 1961 qui avait réduit la Côte d’Ivoire au statut d’avant-poste militaire de la France et qui avait permis le maintien de la présence française, avec le 43ème bataillon d’infanterie marine stationné à Port-Bouet dans les quartiers sud d’Abidjan.

    Crise politique – Prétexte pour de nouvelles attaques sur les travailleurs

    Il ne fait aucun doute que la crise politique causée par la guerre civile a eu des conséquences désastreuses sur l’économie et sur la vie de la population, en particulier dans le Nord, où l’accès aux services sociaux tels que l’éducation, les soins de santé et l’électricité a disparu. La crise a par contre fourni un prétexte à Gbagbo pour lancer des attaques sur la population des travailleurs et des paysans, tout en assurant à l’élite dirigeant autour de Gbagbo qu’elle puisse manger tant qu’elle le désirait. La seule exception à ce pillage du pays par Gbagbo a été les ressources du nord du pays, comme l’or et les diamants, qui servent de vache à lait pour les rebelles. Même si il y a eu un embargo international sur les ventes de diamants, il y a des débouchés par la contrebande. Les exportations de cacao et d’autres produits agricoles comme le café, qui proviennent surtout du Sud, n’ont pas été fondamentalement touchées. De plus, les revenus de l’exportation du pétrole ont fortement augmenté lors de la période du boum mondial du pétrole, et n’ont diminué que l’année passée à cause de la récession économique mondiale. De fait, au cours de cette période, le revenu du pétrole, dont l’extraction offshore n’est pas menacée par la rébellion ni par la crise, a surpassé celui du cacao. Il y a eu des cas et des rapports largement publiés de scandales financiers impliquant des hauts cadres du gouvernement, surtout concernant le revenu du cacao. Comme c’est le cas dans la plupart des pays africains, il n’y a pas eu d’audit indépendant des secteurs du cacao et du pétrole.

    La politique économique du gouvernement est conçue pour huiler la machine du gouvernement et les privilèges pour ses fonctionnaires, tandis que le peuple fait la file pour recevoir les miettes. Comme de grosses quantités sont destinées aux poches des membres du gouvernement, les services sociaux et les conditions de vie des travailleurs se sont détériorées non seulement dans le Nord mais aussi dans le Sud à cause du manque de financement et des attaques néolibérales. Les dépenses publiques dans les soins de santé en terme de pourcentage du PIB sont les troisièmes plus basses de toute l’Afrique sub-saharienne. Le gouvernement a aussi pressé le revenu des cultivateurs de cacao pour accroitre son revenu. Selon les chiffres de la Banque mondiale de 2008, les cultivateurs ivoiriens ne reçoivent que 40% du prix du cacao sur le marché mondial, alors qu’au Ghana ils en reçoivent 65%, et au Nigéria 85%. Une énorme proportion de paysans ivoiriens vivent dans la misère, malgré le fait que ce sont eux qui sont la colonne vertébrale de l’économie du pays. Ils sont contraints de faire travailler des enfants afin de réduire les frais de production du cacao et de pouvoir tirer un quelconque bénéfice de leurs ventes.

    Riposte de la classe ouvrière

    Bien entendu, il y a eu des ripostes contre les attaques, avec des grèves des travailleurs de différents secteurs comme la santé, l’éducation et les gouvernements locaux, surtout entre novembre et décembre 2009. Toutes ces grèves ont rencontré la répression du gouvernement, avec l’arrestation et la détention des militants ouvriers, dont certains ont été trainés en justice et ont été condamnés. Dans le secteur privé aussi les travailleurs ne sont pas restés sans rien faire. Les dockers et les routiers sont partis en grève en 2009. Des milliers de dockers ont bravé les mesures de répression de leurs employeurs privés qui avaient appelé la police armée, et ont tenu leur action pendant deux semaines, du 2 au 17 juin. Il y a eu aussi toutes sortes de manifestations de masse contre les hausses du prix officiel du carburant et la hausse des prix de l’alimentation en 2008. Les paysans sont partis en grève en 2004 et 2006 pour demander leur part du revenu du cacao.

    Il est clair que les différentes sections de la population laborieuse sont prêtes à la lutte pour un meilleur sort que celui que leur réservent les élites répressives et kleptomanes. Yacouba Fandio, chauffeur de taxi à Abidjan, a par exemple dit à l’IRIN (l’agence de presse des Nations-Unies) qu’il était intéressé à participer à des actions de protestation, mais ne l’avait pas fait jusque là. « À chaque fois, on entend qu’une manifestation va être organisée contre le cout de la vie, mais elle est annulée au dernier moment. La prochaine fois qu’on dit qu’il va y avoir manif, il y aura tellement de gens qu’ils vont bien finir par devoir écouter » (IRIN, 31 mars 2008). Malheureusement, il n’existe pas de fédération syndicale viable qui puisse rassembler la colère de tous les travailleurs et des pauvres pour organiser une grève générale et des manifestations de masse.

    Le chouchou de l’impérialisme

    Toutefois, il n’y a aucun espoir d’un meilleur futur pour les Ivoiriens ordinaires sur base de l’alternative que représente Ouattara, le champion de l’impérialisme. Pas besoin d’une boule de cristal pour tirer la conclusion que l’ancien Premier Ministre de Houphouët-Boigny, qui est ensuite passé vice-directeur à la gestion du FMI, va diriger le pays en obéissant à l’impérialisme au doigt et à l’œil.

    La Côte d’Ivoire a déjà été listée parmi l’initiative de la Banque mondiale et du FMI des pays pauvres très endettés (PPTE), en tant qu’étape préliminaire pour bénéficier d’une remise d’un allègement du fardeau de la dette dans laquelle elle a été plongée par l’archétype de dictateur africain pro-impérialiste qu’était Houphouët-Boigny. Ceci signifie que pour recevoir cette remise de dette, le pays doit mettre en œuvre des politiques économique d’austérité dure et d’ajustements structurels, soit un programme capitaliste néolibéral, selon les termes qui lui sont dictés par le FMI et la Banque mondiale. Il ne fait aucun doute que Ouattara accomplira ces attaques néolibérales sans ciller, quel qu’en soit le cout pour la population laborieuse. Ouattara est un vieux cheval de l’impérialisme. Il faut se rappeler que c’était lui qui avait été mandaté par Houphouët-Boigny pour imposer et appliquer les mesures d’austérité et le programme d’ajustement structurel au début des années ’90. Pour lui, le néolibéralisme qui a prouvé être le fléau du développement est en réalité un remède économique. Toutefois, la Côte d’Ivoire avait atteint le point de décision du PPTE en mars 2009, ce qui signifie que Gbagbo ne s’en est pas trop mal tiré non plus en terme d’application des attaques néolibérales dictées par la Banque mondiale et le FMI. Le FMI a félicité Gbagbo pour son travail et lui a demandé d’accélérer les “réformes” en direction du point d’achèvement de PPTE. Il ne fait qu’aucun doute que Ouattara, en véritable agent bleu du FMI, fera mieux que Gbagbo à cet égard.

    Ce n’est un secret pour personne que l’impérialisme occidental, et en particulier la France, a d’important intérêts économiques en Côte d’Ivoire. La France y a par exemple environ 500 entreprises qui dominent d’importants secteurs de l’économie. Le pays est le plus grand producteur de cacao au monde, pour 40% de la production mondiale. Il est aussi un producteur majeur de café et de bois, en plus de l’augmentation de sa production de pétrole. Il y a des dépôts d’or et de diamants dans le Nord. Il y a aussi un rapport de la Commission d’enquête internationale qui parle de la découverte de gisements pétroliers dont les réserves pourraient faire de la Côte d’Ivoire le deuxième ou troisième plus grand producteur de pétrole africain, en plus d’immenses gisements de gaz, assez pour une centaine d’années d’exploitation.

    Afin de pouvoir reprendre la pleine exploitation de l’économie et des ressources du pays, cela va dans les intérêts de l’impérialisme de mettre une terme à la guerre civile actuelle. Selon ses calculs, cela pourrait être effectué par Ouattara qui bénéficie d’un soutien de masse dans le Nord dont il est originaire, et soutenu par les rebelles dont il a nommé Premier Ministre le dirigeant Guillaume Soro. Il est également apprécié par certaines sections dans le Sud. Il n’est pas impossible que Ouattara ait reçu d’importants votes de la part des Baoulés, le plus grand groupe ethnique du pays (et duquel était originaire Houphouët-Boigny), puisque l’ex-Président Bédié leur a demandé de voter pour lui. Bédié, qui est arrivé troisième au premier tour, a tiré la plupart de ses voix des Baoulés, qui sont pour la plupart cultivateurs de cacao, et qui avaient des comptes à régler avec Gbagbo sur base de la baisse constante de leur part du revenu du cacao, et de son opposition historique à Houphouët-Boigny. Ouattara leur a promis que s’il était élu Président, Bédié serait son “patron”, et qu’il installerait tout de suite son gouvernement à Yamoussoukro, qui jusqu’ici n’est que la capitale nominale (Abidjan restant la capitale de facto), et qui était la ville natale de Houphouët-Boigny.

    Le spectre de la guerre

    Jusqu’ici, la pression de l’impérialisme occidental et de son pion – la CEDEAO – n’a fourni aucune solution. Il n’est pas impossible que la CEDEAO, sous l’injonction de l’impérialisme occidental, mette à exécution sa menace d’utiliser la force pour chasser Gbagbo du pouvoir au cas où les moyens diplomatiques venaient à échouer. Ceci ramènera certainement le spectre du conflit ethnique entre Ivoiriens, et mettrait en danger les vies et les biens de millions d’Africains provenant d’autres pays qui seraient brutalement assaillis par les partisans de Gbagbo. L’explosion d’une guerre civile pourrait déclencher des troubles sociaux et des tensions dans des pays comme le Burkina Faso, dont environ 3 millions de nationaux travaillent en Côte d’Ivoire. Déjà, les Nigérians vivant en Côte d’Ivoire ont prévenu le gouvernement de Goodluck Jonathan des conséquences de l’intervention militaire qui se prépare. De plus, la Côte d’Ivoire n’est pas le Sirra Leone, où l’ECOMOG a pu facilement intervenir pour chasser du pouvoir un putschiste. L’armée ivoirienne, jusqu’ici loyale à Gbagbo, est une véritable force, tandis que les fervents sentiments nationalistes qui vivent parmi toute une couche de la population faciliteraient à Gbagbo la mobilisation d’un grand nombre de jeunes, dont certains sont déjà organisés au sein des “Jeunes Patriotes”, afin de prendre les armes contre l’occupation et les forces étrangères. La popularité de Gbagbo parmi certaines sections de la population dans le Sud, par exemple, s’est accrue après les attaques françaises de 2004.

    Les organisations ouvrières, socialistes et pro-peuple au Nigéria et dans d’autres pays d’Afrique de l’Ouest doivent commencer à se lever et à organiser des actions de masse contre le projet d’interférence militaire dans la crise ivoirienne, tout en appelant de la manière la plus claire qu’il soit à l’unité de classe des travailleurs et des pauvres de Côte d’Ivoire quels que soient leur appartenance ethnique, leur religion ou leur nationalité.

    Même un départ “volontaire” de Gbagbo n’est pas une garantie pour la restauration d’une paix durable. En effet, c’est une impasse sans issue visible. L’option du partage du pouvoir avec un “gouvernement d’unité nationale” comme on l’a vu dans des circonstances similaires au Kénya ou au Zimbabwé a jusqu’ici été exclue par la “communauté internationale”. La dégénération en une guerre civile ouverte, avec une implication active de forces étrangères, régulières comme mercenaires, semble être la prochaine phase de la crise. Ceci reviendra à un plongeon en enfer du type de celui qu’on a vu en Afrique centrale pour la population, qui a déjà été la plus touchée par des années d’attaques néolibérales et de crise politique.

    Mouvement uni des travailleurs et assemblée du peuple démocratiquement élue

    Seule l’unité et l’organisation des travailleurs peut mettre un terme à cette horreur. Les grèves et les actions de masse que les travailleurs ont menées contre les attaques néolibérales au cours des dernières années ont prouvé qu’ils peuvent se dresser au-delà des divisions religieuses et ethniques qui sont exploitées par l’élite capitaliste égoïste au pouvoir, et qu’ils peuvent s’unir pour lutter pour leurs intérêts à tous, pour une vie meilleure. Le problème est qu’il semble qu’il n’y a pas de mouvement central des travailleurs qui puissent mobiliser la masse des Ivoiriens, des ouvriers, des paysans et des artisans contre la xénophobie, l’ethnicisme et la guerre, et qui puisse les organiser en un grand mouvement politique capable d’arracher le pouvoir à toutes les factions d’élites capitalistes qui ont plongé le pays dans cette abysse de crises économiques et sociales. Par conséquent, il est grand temps de construire un authentique mouvement de masse des travailleurs, qui puisse également contester l’emprise du capitalisme sur l’économie.

    Les dirigeants syndicaux radicaux, les militants de gauche et les socialistes doivent immédiatement appeler à une conférence pour la construction d’un mouvement unifié des travailleurs qui unisse les ouvriers, les paysans et les pauvres de toutes ethnies et de toutes les religions contre la xénophobie, l’ivoirité et la guerre ethnique, et qui mobilise une résistance de masse contre tous les conflits ethniques et sectaires, et aussi contre la possible intervention militaire qui est en train d’être considérée par la CEDEAO. Un tel mouvement pourrait être la base pour la formation d’un parti des travailleurs, armé d’un programme socialiste. En opposition aux manœuvres et aux luttes des cliques rivales, les travailleurs ont besoin de leur propre alternative : la création d’une assemblée véritablement populaire – formée de représentants élus des ouvriers, des paysans, des petits commerçants, des artisans et des nationalités ethniques – qui pourrait former un gouvernement intérimaire qui agirait dans les intérêts des travailleurs et des pauvres. Un tel gouvernement serait capable d’organiser de nouvelles élections libres, sans interférence de l’agence pro-capitaliste que sont les Nations-Unies, dans lesquelles un parti des travailleurs pourrait mener campagne sur base de la résistance contre les programmes capitalistes néolibéraux et pour une alternative socialiste.

    Les ouvriers, les paysans et les pauvres doivent réaliser que l’“ivoirité” et la xénophobie sont des produits de la crise du capitalisme qui a ravagé le pays depuis les années ’90, et qui a continué à s’accroitre avec l’aggravation des problèmes socio-économiques causée par la politique néolibérale antipauvres qui est soutenue par toutes les factions de l’élite dirigeante qui entrent à présent en guerre. Quel que soit le vainqueur de cette guerre, Gbagbo ou Ouattara, les travailleurs et les pauvres de Côte d’Ivoire vont rapidement réaliser que leur niveau de vie ne va pas s’améliorer, s’il n’empire pas. Ceci va définitivement approfondir le mécontentement social et pourrait ouvrir la porte à une lutte de masse et à la recherche d’une alternative qui puisse relever la conscience en faveur d’une alternative socialiste pour le pays.

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